Vous êtes sur la page 1sur 45

NATHAN KOLEBKA

PSYCHOPATHOLOGIE DE LA
SEXUALITÉ

NOTES DE COURS

2019-2020

SANDRINE DETANDT

B-PSYE-3

PSYC-E-323
1 Psychopathologie De La Sexualité 1

Chapitre 1 — Histoire du sexuel, de la sexualité et de la santé sexuelle ................1

1. La médecine invente la sexualité ..............................................................................1

2. Une première émancipation via Freud et Havelock Ellis ...........................................2

3. Après la Seconde Guerre mondiale ..........................................................................3

4. Les sexualités quantifiées .........................................................................................3

5. À partir de 1950 .........................................................................................................4

6. L’éducation sexuelle ..................................................................................................6

7. Vers l’EVRAS .............................................................................................................7

Chapitre 2 — Introduction aux études de genre .....................................................8

1. Introduction ...............................................................................................................8

2. Pourquoi passer du sexe au genre ............................................................................8

3. Le constructivisme et l’essentialisme ........................................................................9

4. Le contrat hétérosexuel .............................................................................................11

5. Le genre est une grille d’analyse ...............................................................................11

6. En synthèse ...............................................................................................................12

7. Les articulations entre le genre, le sexe et la sexualité .............................................12

8. Du genre au sexe .......................................................................................................15

9. Le genre et la psychanalyse ......................................................................................16

Chapitre 3 — Définitions .........................................................................................20

1. La sexualité ...............................................................................................................20

2. Les zones érogènes et les objets sexuels .................................................................24

3. Le fantasme sexuel ...................................................................................................24

4. Les scripts .................................................................................................................26

Chapitre 4 — Introduction aux LGBTQI+ ................................................................28

1. Introduction ...............................................................................................................28

2. La construction des catégories .................................................................................29

3. De la transgression sexuelle aux variations et fluidités de genre ..............................30

4. Des effets de nomination ...........................................................................................30

5. Comportement VS catégorie .....................................................................................31

6. Les LGBTQI+ .............................................................................................................32

7. Quelques définitions et implications de l’appartenance aux LGBTQI+ ....................34

8. Les déterminants de la suicidalité des LGBTQI+ ......................................................36

9. Les santés des LGBTQI+ ..........................................................................................37

10.L’intersectionnalité ....................................................................................................39

11.Les freins et les pratiques problématiques ...............................................................39

Annexes ..................................................................................................................41
PSYCHOPATOLOGIE DE LA SEXUALITÉ
Chapitre 1 — Histoire du sexuel, de la sexualité et de la santé
sexuelle

1. La médecine invente la sexualité

L’objet de la psychologie a été créé à l’interstice de l’évolution de la médecine et de la


philosophie ; il en est de même pour ce qu’on appelle la sexualité. De fait, la sexualité (la
science décrivant les faits sexuels) est apparue quand la médecine a permis de procéder
à des descriptions plus fines des corps. Vers le 19e siècle, c’est-à-dire à l’époque où la
notion de sexualité a commencé à prendre forme, celle-ci concernait davantage ce qui ne
touchait pas à la reproduction directe, c’est-à-dire les actes criminels ou désordres
sexuels. C’est dans ce cadre-là qu’est apparu l’essai de Tissot sur l’onanisme ou que
Darwin a développé l’idée que l’instinct sexuel est le moteur de l’évolution. La médecine
s’attelait alors à décrire et à retranscrire les pathologies sexuelles, c’est-à-dire les
comportements jugés désordonnés (Exemple : la masturbation, les viols, la sodomie, les
attentats à la pudeur…). Les psychiatres, plus particulièrement, établissaient des
catégories et tentaient d’expliquer ces déviances qu’ils observaient. De ce fait, de
nouvelles étiquettes furent créées afin de classer les perversions autorapportées ou
examinées.

Durant l’Antiquité, des philosophes et des physiciens grecs et romains comme


Hippocrate, Platon, Aristote et Galien ont étudié et décrit la reproduction, la
contraception, le comportement sexuel humain, les dysfonctions sexuelles et leurs
thérapies, l’éducation et l’éthique sexuelle. Néanmoins, ces sujets ont été abordés
séparément dans des ouvrages traitant plus généralement de médecine, de diététique ou
de morale. Il existe par ailleurs un certain nombre de manuels anciens qui apparaissent
dans toutes les civilisations et qui traitent de ce que l’on pourrait appeler d’« éducation »
à l’érotisme, à la séduction et à l’amour, mais aussi aux techniques sexuelles, et qui
semblent destinés aux femmes, aux hommes et aux couples issus de milieux aisés. 
La première étude marquante a été produite par l’Autrichien Richard von Krafft-Ebing, qui
était considéré de son vivant comme l’un des plus grands psychiatres de l’époque. Son
principal ouvrage, Psychopathia Sexualis, publié pour la première fois en 1886,
abondamment étayé de cas cliniques exemplaires, devint un best-seller de la littérature
psychiatrique  ; il reflétait l’opinion victorienne dominante et diagnostiquait comme
maladie toutes les activités sexuelles qui n’étaient pas tournées vers la reproduction.

On voit apparaître en 1860 le premier manuel de psychopathologie sexuelle, en parallèle


avec l’invention des classes «  hétérosexualité  » et «  homosexualité  »1. Plus tard, de
nouvelles catégories de comportements ont été décrites et jugées déviantes, notamment
l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le fétichisme, la pédophilie, la bestialité, le sadisme et le
masochisme.

1 Un vote a été opéré en Allemagne, au lendemain de la séparation prussienne, auprès des habitants afin de
déterminer, entre autres, les pratiques sexuelles considérées comme étant déviantes. Un individu a proposé
le terme « homosexuel » et « homosexualité » dans le but que cette « catégorie d’individus » soit reconnue
d’un point de vue légal et que leurs pratique ne soient pas répressibles.
2 Psychopathologie De La Sexualité 43

Finalement, la découverte — ou plutôt la création — de ces perversions a permis de créer


la sexualité  ; la sexualité a donc été pensée, initialement, à partir des modèles de
perversion. De ce fait, en interrogeant un individu sur ces pratiques, il était possible de le
classer, à l’époque, dans les catégories « sexualité saine » ou « sexualité malsaine ». La
création de ces catégories divergentes coïncide avec une période à laquelle les
comportements sexuels étaient devenus des enjeux sociaux importants. Les experts
fournissaient alors des explications quant aux déviances, avançant notamment qu’elles
résultaient de déviances mentales. C’est à cette issue qu’est apparu un «  catalogue
détaillé des symptômes » et que les actes jugés pervers sont devenus des phénomènes
devant être détaillés, décrits, compris et expliqués.

Les déviances sexuelles ont été transférées de leur champ de considération initial. De
fait, à la base, elles étaient des péchés religieux (Exemple  : la sodomie est un péché),
mais avec l’engouement des médecins pour ces pratiques, elles sont devenues un sujet
relatant de la santé et de la maladie (Exemple : la sodomie est une inversion). De ce fait,
la sexualité est rapidement devenue une question politique et juridique (Exemple  : un
individu pratiquant la sodomie est-il auteur de ses actes ou bien objet de sa
pathologie  ?). La sexualité, finalement, pouvait se résumer au normal et à l’anormal, le
premier étant centré sur les relations sexuelles reproductives tandis que le second
concernait toutes les autres pratiques, les déviances.

2. Une première émancipation via Freud et Havelock Ellis

Havelock Ellis a empiriquement vérifié si l’onanisme entravait réellement les fonctions


générales et reproductives de l’homme et a confirmé que ce n’était pas le cas. Par ses
travaux, il a donc légitimé une pratique sexuelle non reproductrice.

Freud, de son côté, a intégré le sexuel dans le développement sain de tout individu, ce
qu’il a appelé le pervers polymorphe pour le jeune enfant, ce qui est à comprendre
comme étant le fait que l’enfant découvre le monde à travers ses pulsions partielles.
Cette révolution permet d’appréhender le sexuel dans sa dimension psychosexuelle,
c’est-à-dire résolument psychique et partiellement inconsciente. Tout en étant très
émancipatrice, cette vision par stades (oral, anal, latence, phallique) implique, de facto,
l’idée que enfant est supposé évoluer à travers les différents niveaux organiques jusqu’à
rejoindre sa destinée anatomique. La pratique clinique a souvent abordé cette mission en
termes de réparation des individus qui ont déraillé pendant leur cheminement vers leur
but biologique. En transformant des lois morales en lois scientifiques, la pratique clinique
a cherché à renforcer les conventions sexuelles vis-à-vis des individus. Dans ce sens, la
psychanalyse est souvent devenue plus qu’une théorie des mécanismes de la
reproduction des arrangements sexuels.

Il convient néanmoins de retenir de Freud, au travers sa théorie, la description des stades


par lesquels l’enfant s’approprie son corps et sa subjectivité (qui touche nécessairement
au corps). Ainsi, la définition qu’un individu peut se faire de lui-même par rapport aux
autres dépend de l’ancrage corporel et de la manière dont il est reconnu par les autres
(pour se différencier des autres, on est fondamentalement dépendant des autres). Ainsi, la
première différenciation qu’un individu établit entre lui et autrui s’opère dans la distinction
entre lui et sa mère. Freud a décrit différentes phases, ou stades, de contrôle de zones
corporelles précises, ces zones correspondant avec les zones érogènes de base, à savoir
les zones orale, anale et génitale.

3 Psychopathologie De La Sexualité 43

Dans un premier temps, l’inconfort physiologique causé par la faim mobilise la zone orale
et le réflexe de succion, ce qui permet au nourrisson de téter. La satisfaction entraînée
par l’assouvissement du besoin entraîne une volonté de reproduction de l’action dans le
but de retrouver l’expérience inédite qu’est cet assouvissement. De là découle le contrôle
de la sphère orale.

Par la suite s’opère le contrôle de la zone anale et des sphincters. Quand l’enfant
comprend qu’il peut contrôler cette zone et qu’il a alors accès à une certaine
subjectivation, il est en proie à une forte jouissance. Sur base de ce stade, Freud décrit le
complexe d’Œdipe et la naissance de l’altérité envers le père. Il s’ensuit une période de
latence durant environ six ans, période durant laquelle les pulsions et les
questionnements autour de soi sont mis au repos avant de reprendre avec le troisième
stade, à savoir le stade génital.

Lacan, par la suite, a repensé la théorie freudienne à partir de la linguistique ; il a articulé


la sexualité au langage.

3. Après la Seconde Guerre mondiale

À cette période, les cadres imposés par la médecine éclatent, ce qui amorce
l’émancipation sexuelle. Les ordres établis sont remis en cause et est générée l’idée que
la sexualité doit être libérée, et plus particulièrement les corps des femmes, trop contrôlés
auparavant. Cette libération se fait notamment au travers l’idéologie de l’amour libre et
l’idée que la cellule familiale n’est plus le seul lieu du sexuel légitime.

4. Les sexualités quantifiées

En 1960, Masters et Johnson ont été les premiers à proposer ce qu’on appelle
aujourd’hui une sexothérapie. Ils ont, au travers leurs entretiens, décrit une sexualité de
manière spécifique par rapport à ce qui se faisait auparavant. De fait, ils l’ont abordée
comme étant une fonction physiologique indépendante de la reproduction. Pour ce faire,
ils ont décrit les pratiques sexuelles en termes de faits dénués de contextes relationnels
ou politiques. Ils ont également proposé de nouvelles classifications, notamment celles
portant sur les troubles orgasmiques. De par leurs mesures physiologiques de la réponse
sexuelle, ils ont également réhabilité l’orgasme clitoridien qui était très souvent, pour ne
pas dire jamais, mis sur la touche.

Alfred Kinsey, de son côté, est un médecin qui a conduit de nombreux questionnaires
auprès de la population générale dans le cadre d’études visant à mesurer l’activité
sexuelle par l’orgasme. Ces questionnaires ont mis en évidence que de nombreux
individus dans la société se prêtaient à des pratiques « déviantes ». De fait, la plupart des
répondants ont indiqué :

• Pratiquer la masturbation.

• Pratiquer le sexe oral.

• Avoir des orgasmes multiples.

• Avoir des pratiques homosexuelles.

Si cette étude est fort intéressante dans ce qu’elle révèle, elle contient toutefois deux
biais. Le premier est que Kinsey a mené ses questionnaires dans son entourage proche,
c’est-à-dire dans des milieux libertins ne représentant pas la population générale. Le
4 Psychopathologie De La Sexualité 43

second est qu’il a également interrogé des prisonniers, c’est-à-dire des individus ayant
des tendances déviantes plus exacerbées que les personnes lambda.

En revanche, ces résultats lui ont permis de développer une échelle éponyme traduisant
l’idée qu’il existe un continuum de pratiques sexuelles. Plus précisément, cinq stades
séparent les individus strictement hétérosexuels des individus strictement homosexuels.
Au travers cette échelle, Kinsey a tenté d’objectiver et de quantifier la sexualité en
cassant les anciens codes, mais il a tout de même recatégorisé les individus au moyen de
sa nouvelle classification, certes plus ouverte, mais quand bien même réductrice par
définition.

5. À partir de 1950

A. Jusqu’aux années 70

En 1956 a été créée la première pilule contraceptive et la législation autour de cette


pratique a été légiférée dans les années 70 dans la plupart des pays.

En 1975, la loi Veil a été adoptée, celle-ci ayant pour but de dépénaliser l’avortement. Par
cette avancée, le féminisme a pu faire un pas. De ce fait, le droit du plaisir féminin (ainsi
que les troubles qu’il occasionne) devient un fait et prend une place importante dans les
sphères publique, médiatique et médicale en plus de devenir un critère de bien-être.
Ainsi, de plus en plus d’individus s’accordent à dire que les femmes ne sont pas
uniquement des matrices reproductrices et qu’elles peuvent, au même titre que les
hommes, avoir du plaisir sexuel en dehors de la procréation.

Il apparaît également une normalisation des discours sur les sexualités (Exemple  : les
hommes sont rustres tandis que les femmes sont hormonodépendantes) et,
paradoxalement, par l’existence de la pilule, les corps des femmes sont encore contrôlés.
En effet, bien que des pilules contraceptives aient également été développées à
destination des hommes, cette idée a été abandonnée à cause des effets secondaires
désagréables qu’elles occasionnaient. Les femmes, en revanche, ont historiquement un
corps de souffrance, destiné à souffrir (entre autres à cause de l’accouchement). Ce
faisant, la pilule contraceptive féminine, malgré son lot d’effets néfastes plus ou moins
délétères, a été conservée, car «  elles la supportent mieux  ». En outre, cela recentre la
responsabilisation des natalités du côté des femmes.

En 1976, Foucault publie son ouvrage Histoire de la sexualité où il propose l’idée que la
sexualité ne se connaît pas elle-même et qu’elle immédiate de l’expérience qu’on en fait.

B. Les approches urologiques des années 80 et 90

Dans la période des années  80, les problèmes organiques, et leurs fréquences, ont
commencé à être reconnus, surtout l’impuissance masculine se matérialisant par les
troubles érectiles. Des traitements chirurgicaux ont alors été déployés et la fin des
années 90 a vu apparaître une solution majeure : le Viagra.

Les années 90 ont été le théâtre d’une inquiétude majeure quand le sida est apparu. Au
travers de cette problématique, il s’est développé un certain intérêt pour l’identité
sexuelle des individus et pour les déficits du désir sexuel survenant dans le contexte
d’orientations sexuelles non-conventionnelles. Aussi, un intérêt pour le traitement des
abuseurs sexuels s’est forgé.

5 Psychopathologie De La Sexualité 43

De manière générale, cette époque représente un tournant majeur dans la conception de


la sexualité. On peut noter également quelques pensées qui ont commencé à emplir
l’imaginaire collectif :

• Les femmes et la pilule contraceptive  : avec la démocratisation de la pratique


contraceptive, il s’est développé l’idée que la femme la prenant peut l’arrêter à tout
moment, sans prévenir son conjoint et ainsi l’obliger à devenir père sans même qu’il
ne le sache. Cette pensée qui a contribué à ternir l’image de la femme, la diabolisant
quelque part, n’a pour autant aucun fondement scientifique  ; il n’a jamais été
observé qu’il y avait une augmentation du nombre de «  pères inconscients  » avec
l’avènement de la pilule. Ainsi, cette image de la femme toute puissante a été
construite à partir de la dangerosité perçue du féminin et de sa libération.

• La PrEP2 et le VIH  : ce traitement est à destination des individus prenant


couramment des risques par rapport au VIH. Ainsi, dans l’imaginaire collectif,
quelqu’un prenant ce traitement développera nécessairement plus de pratiques à
risques, sera beaucoup plus «  inconscient  » par rapport au virus (ce que l’on
appelle, dans le milieu, les «  truvada whores  », les putes à truvada, du nom de la
molécule de la PrEP). Or, dans les faits, les gens suivant ce traitement sont
justement les plus préventifs et les plus «  anxieux  » par rapport aux risques que
représente le VIH.

Ainsi, l’imaginaire collectif est conditionné par un contexte historique défini en partie par
le contrôle des grossesses et le risque que représentent les IST. Pour une majorité des
individus, la confiance est remise en cause et il est dangereux d’avoir des rapports avec
une femme prenant la pilule ou avec un individu suivant une PrEP, car à tout moment ils
peuvent se faire tromper.

Synthétiquement, nous pouvons analyser l’évolution des représentations et contrôles des


sexualités du siècle dernier comme suit. À l’époque victorienne, ladite «  traite des
blanches  » a justifié des croisades morales de lutte contre le vice (dirigées contre la
prostitution, la masturbation, l’obscénité, l’avortement et la contraception) et
d’encouragement de la chasteté (chez les jeunes). La période de guerre froide n’est pas
en reste là où l’idéologie de droite a lié le déclin supposé de la nation au sexe extra-
conjugal, à l’homosexualité et au communisme laissant place aux purges fédérales et aux
chasses aux sorcières. Enfin, le retour de la droite post-libération au début des
années 1980 marque une relance du contrôle de la vie sexuelle des majeurs consentants
par des programmes pour la vie de famille et diverses mesures de restriction du contrôle
des naissances et de l’avortement. Observatrice privilégiée, Rubin constate que
l’apparition du sida réactive l’homophobie sur le mode de la punition. L’homosexualité est
à peine sortie du DSM et les gays se retrouvent «  projetés dans une image de
détérioration physique mortelle. » Le sida, écrit Rubin, sera utilisé pour « renforcer la peur
ancestrale que l’activité sexuelle, l’homosexualité et la promiscuité sexuelle mènent à la
maladie et à la mort. » Visionnaire, elle entrevoit que la lutte contre le sida sera l’occasion
de tentatives de pénalisation. Cette prédiction prend toute son acuité trente ans plus tard
(Gaissad et Pezeril, 2011).

2 L’acronyme PrEP fait référence au terme Pré-Exposition Prophylaxie. Il s’agit d’un traitement préventif
pour les personnes très exposées au VIH qui leur permet d’avoir des rapports sexuels avec des individus
séropositifs sans contracter le virus.
6 Psychopathologie De La Sexualité 43

C. Des années 90 aux années 2000

Le début des années 90 a vu se développer les sexothérapies et l’idée de santé sexuelle.


Ces deux éléments intrinsèquement liés font suite à la définition de la santé donnée par
l’OMS :

La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

À partir de ce moment, il s’est également développé une série de recherches


interdisciplinaires au sujet des problèmes liés aux identités sexuelles.

Au début des années  2000, il est apparu une évolution pharmacologique. Si l’on a déjà
cité la création du Viagra dans la fin des années 90, il faut également faire référence aux
traitements spécifiques proposés aux individus rencontrant des difficultés plus
spécifiques :

• Les pharmacothérapies autour de l’organe (Exemple : les troubles érectiles).

• Les pharmacothérapies autour des hormones (Exemple : les hormones destinées à


aider la transition de sexe pour les personnes trans, les pilules contraceptives et les
autres formes de contraceptions hormonales…).

• Les pharmacothérapies autour du désir (Exemple  : les médicaments agissant sur


des neurones spécifiques permettant de regonfler la libido).

6. L’éducation sexuelle

La sexualité est peu à peu devenue une catégorie de pensée et de traitement. De ce fait,
il a fallu développer un nouveau type d’éducation à ce sujet, surtout concernant les
adolescents, car ils se trouvent dans une période de préparation et d’apprentissage de la
sexualité. Aussi, leur autonomie est très surveillée et ils sont sous la pression de leurs
pairs ; l’éducation se fait plus horizontalement, car en famille, il existe un tabou autour de
la sexualité, on n’en parle pas sauf de manière symbolisée à partir «  d’événements
importants » (Exemple : on parlera de sexualité de manière succincte quand la jeune fille
aura ses premières menstruations). Si l’on en parle, c’est surtout par le biais de la
question de la régulation des grossesses. Aussi, dans les manuels scolaires, la sexualité
est abordée uniquement d’un point de vue biologique, c’est-à-dire d’après son versant
reproducteur, au même titre que la reproduction des mammifères ou des plantes.

Au début du 20e, il y a une réaffirmation législative du devoir de maternité. De ce fait, les


filles sont éduquées à ce propos (elles apprennent seulement à devenir des mères) et
toutes pratiques abortives et publicités axées sur la vente de moyens de contraception
sont condamnées.

Malgré tout, parallèlement à la diffusion de la pilule contraceptive, les premiers plannings


familiaux voient le jour (ceux-là visent surtout les femmes et non pas les hommes). Avec
eux, une nouvelle éducation sexuelle se forme, celle-ci ayant pour objectif de contrer la
peur de l’enfant non désiré et de développer une sexualité libérée et épanouie. C’est en
1973 qu’en France il y a une instauration de l’information sexuelle dans les
établissements scolaires. Seulement, ces informations au contenu sexuel doivent être
transmises uniquement dans les cours de sciences naturelles (ce qui rejoint la position
ancienne, où la «  sexualité  » était enseignée d’un point de vue reproducteur
7 Psychopathologie De La Sexualité 43

conjointement à la reproduction animale et végétale). Ainsi, il n’y a pas de prescriptions


claires sur ce qui doit être dit et pourquoi. Ce mouvement a également suivi dans
quelques établissements belges, sous la pression de certaines directions sensibilisées à
ce sujet, mais là aussi, la transmission d’informations se fait toujours dans un contexte
médical et physiologique uniquement.

7. Vers l’EVRAS

L’acronyme EVRAS désigne l’Éducation à la Vie relationnelle, Affective et Sexuelle.

L’année 1970 est marquée par la création du premier subside de fonctionnement octroyé


aux plannings familiaux soutenant alors les bénévoles y travaillant, ce qui permet de
subventionner les consultations familiales et conjugales. Par le même temps, l’éducation
sexuelle trouve sa place à l’école, mais elle est uniquement focalisée sur la prévention
des grossesses non désirées et elle stigmatise les conséquences néfastes et les
pratiques à risques. Ainsi, deux thèmes sont principalement traités  : les grossesses
indésirables et le sida. Ce dernier point va peu à peu prendre davantage d’ampleur au
détriment de la « vraie » éducation sexuelle, au point de parler de la sexualité uniquement
par les angles de la maladie et de la mort. Si ce n’est pas optimal, cela permet tout de
même de parler de sexualité dans les écoles. En Belgique, l’Affaire Dutroux contribue
également à construire les sexualités autour de l’angoisse et de la peur.

Finalement, l’EVRAS parvient à faire son trou et devient une composante de l’éducation
citoyenne ; en 2012, elle est légiférée et devient donc une mission obligatoire de l’école :
il faut éduquer les jeunes à la sexualité. Ce faisant, la sexualité devient une thématique à
part entière et elle est séquencée (elle devient un « vrai cours »). Seulement, il n’y toujours
pas d’indication pour déterminer qui doit en parler et comment (Exemple  : si un
professeur de religion donne le cours, ce ne sera pas de la même manière qu’un
professeur de science ou encore d’une personne formée à l’EVRAS). Ainsi, la plupart des
écoles font appel à des ASBL externes afin d’informer les jeunes quant à la sexualité, que
ce soit par le prisme de la contraception, du plaisir ou de la prévention.

8 Psychopathologie De La Sexualité 43

Chapitre 2 — Introduction aux études de genre

1. Introduction

Selon Anne Bourguignon (dite Anémone), une actrice française contemporaine, la


spécificité de l’Homme est qu’il ne sait pas comment gérer ses rapports sociaux  ;
personne n’est d’accord sur le type d’organisation sociale à adopter. Elle nous compare à
nos plus proches cousins, voire frères  : les chimpanzés et les bonobos. Les premiers
entretiennent des relations sociales très hiérarchisées et très conflictuelles (ils règlent
leurs conflits par la guerre) tandis que les seconds sont comparés à des hippies dans le
sens où ils sont très portés sur le «  dialogue  » et ils désamorcent les conflits par les
relations sexuelles. D’après Anémone, l’Homme ne sait pas vers quel versant pencher
bien que le sexuel occupe quand même une place centrale dans les rapports sociaux et
les gèrent en partie, que ce soit implicitement ou explicitement.

Abordons une citation de Éric Fassin qui a réalisé la préface de la version française du
livre de Judith Butler « Trouble dans le genre » :

«  La sexualité est liée au genre, car les normes de genre traversent la sexualité. Pour
autant, elle n’est pas simplement la confirmation du genre  : loin de l’affermir, elle peut
l’ébranler […]  : c’est lorsque s’entrechoquent genre et sexualité que naît le trouble du
genre » (Fassin, 2012). D’après lui, il est impossible de parler de la sexualité sans parler
du genre, le genre étant abordé comme la manière dont le sexe est différencié et repris
socialement et politiquement  ; le corps est pris dans l’appareil du langage et dans une
contrainte sociopolitique. Ainsi, la matérialité des corps est prise dans un discours les
impactant directement. Seulement, contrairement à ce que l’on pourrait naïvement croire,
il s’agit de tous les corps, tant ceux qu’on appelle « cis » que les « trans » ou les individus
LGBTQI+. Ainsi, aucun individu ne jouit d’une liberté ou d’une émancipation totale, car
nous sommes tous aliénés par rapport à notre corps. De ce fait, les individus LGBTQI+ ne
sont pas plus «  libérés  » ou «  affranchis  » que les personnes «  classiquement
hétérosexuelles » comme le veut une pensée naïve à ce sujet.

2. Pourquoi passer du sexe au genre

Cette transition permet, dans un premier temps, d’adopter une perspective relationnelle.
De fait, ce passage permet de penser l’homme et la femme, le féminin et le masculin,
dans une relation produit d’un rapport social. Dès lors, il devient impossible d’étudier un
groupe d’un sexe sans le rapporter à l’autre ; l’homme existe à partir de du point de vue
de la femme et vice-versa.

Deuxièmement, cela permet une perspective compensatoire. Les savoirs «  acquis  » et


« mainstream » peuvent ainsi être repensés à travers le prisme du genre pour considérer
des éléments mis à part, qui ont été invisibilisés. De fait, les savoirs disciplinaires se
rapportant au genre se focalisant en réalité davantage sur l’Homme tout en prétendant
étudier des individus abstraits ; les femmes étaient ainsi mises de côté.

Enfin, ce décalage nous permet de repenser les catégories que l’on utilise. Le premier
mouvement féministe porté par des femmes américaines dans les années 70 a été créé
au regard des hommes. Le second temps de ce mouvement, composé de féministes
radicales (les «  queer  »), a questionné les représentations des féministes de la première
vague qui clamaient «  simplement  » qu’il existe des spécificités aux femmes qu’il faut
reconnaître. Ce discours a été critiqué par les féministes de la deuxième vague, car il
restait hétérocentré, il continuait d’instituer deux classes  : les hommes et les femmes.
9 Psychopathologie De La Sexualité 43

Ainsi, ces féministes plus radicales considèrent que tout n’est que pouvoir et que le
féminisme de base n’a pas su s’extraire du modèle dominant hétérocentré. Ainsi, elles
mettent à distance, comme les féministes de première vague, le patriarcat, mais
également le féminisme hétérocentré — qui s’exerce au regard des hommes — défendu
par les adhérents à la première vague du féminisme.

D’après Gayle Rubin, une anthropologue et militante féministe américaine contemporaine,


les contenus de la sexualité humaine et ses formes ne sont pas déterminés par le corps,
le cerveau, les organes génitaux ou encore les capacités linguistiques, bien qu’ils sont
nécessaires. Ainsi, ni le corps ni le rapport au corps de l’autre n’est une donnée, qu’elle
soit organique, psychologique, sociale ou politique. Elle ajoute également qu’il est
impossible de concevoir un corps sans prendre en compte les significations que lui
attribuent les cultures.

Amin Ghaziani, un professeur canadien contemporain de sociologie, se positionne


également dans une perspective culturaliste et il écrit notamment que «  notre sexe
biologique et nos actes sexuels n’ont de sens que grâce aux communautés dans
lesquelles nous les vivons, aux institutions qui tentent de les réglementer et aux traditions
qui les célèbrent ». Ainsi, il a développé le concept de culture sexuelle qui fait référence
aux contextes et coutumes qui donnent un sens au corps et à la manière de l’utiliser dans
la quête du plaisir qu’on entreprend à travers la sexualité.

3. Le constructivisme et l’essentialisme

Michel Foucault, un philosophe français du siècle dernier, a pensé la question de la


structuration des sexualités.

«  Le point essentiel (en première instance du moins) n’est pas tellement de savoir si au
sexe on dit oui ou non, si l’on formule des interdits ou des permissions, si l’on affirme son
importance ou si l’on nie ses effets, si l’on châtie ou non les mots dont on se sert pour le
désigner ; mais de prendre en considération le fait qu’on en parle, ceux qui en parlent, les
lieux et points de vue d’où l’on en parle, les institutions qui incitent à en parler, qui
emmagasinent et diffusent ce qu’on en dit, bref, le “fait discursif” global, la “mise en
discours” du sexe. (…)  » (Foucault, 1976). D’après lui, on est obligé d’entreprendre une
épistémologie des discours sur la sexualité, car en parler implique de savoir d’où on en
parle, de savoir qui en parle et la manière dont on en parle, car tous ces éléments du
discours influencent les sexualités elles-mêmes.

Vers les années 60, deux tensions traversaient le féminisme :

• Le constructivisme  : d’après ce courant, la biologie n’explique pas les


comportements et la domination s’opérant envers certains groupes, ces aspects se
comprenant uniquement par des raisons culturelles.

• L’essentialisme  : ce champ de pensée postule qu’il existe des différences


fondamentales entre les hommes et les femmes (que l’on peut étendre par la suite
aux binaires et non binaires, aux cis et aux trans…).

10 Psychopathologie De La Sexualité 43

A. Le constructivisme

Le courant constructiviste (ou universaliste), principalement mené par Simone de


Beauvoir, une philosophe française du XXe, argue que les différences biologiques
n’expliquent pas les différences de comportement et de domination. D’après les
dépositaires de cette pensée, seule la culture explique les différences intersexes. Plus
précisément, les différences et la domination émanent d’une socialisation et d’une
éducation genrées importantes (Exemple  : certains comportements sont davantage
féminins et il faut les entretenir pour «  être une femme  », certaines professions sont
davantage faites pour les hommes…). Ainsi, rien ne distingue les hommes des femmes en
ce qui concerne les aptitudes et les droits, mais l’éducation que l’on transmet creuse un
écart important d’où résulte une domination masculine (Exemple : il est fréquent que des
filles s’orientent vers des filières faiblement valorisées alors qu’elles ont de meilleurs
résultats scolaires que les garçons). L’éducation genrée, s’étalant de l’enfance à
l’adolescence, apprend aux jeunes filles comme aux jeunes garçons des représentations
stéréotypées de ce que sont les hommes et les femmes et donc les comportements et
les autres caractéristiques (Exemple  : les attitudes, les métiers, les tenues…) qui siéent
bien à ces catégories dressées par la société.

De ce fait, la lutte des universalistes est principalement portée sur le droit, dont la parité
dans toutes les fonctions, et sur le changement des mentalités, pour que les individus
abandonnent cette conceptualisation archaïque du féminin et du masculin.

B. L’essentialisme

Ce courant est notamment défendu par Antoinette Fouque, une psychanalyste française
contemporaine. Les partisans de ce point de vue proclament le droit à la différence et
clament qu’il existe de facto des différences entre les groupes d’individus et plus
particulièrement entre les hommes et les femmes ; il existe des spécificités propres aux
femmes et aux hommes, celles-ci étant complémentaires (Exemple  : les femmes sont
naturellement plus enclines à développer de l’empathie). D’après ce courant, il est
possible, pour le bien de la société, d’utiliser le plus harmonieusement possible les
compétences de chaque sexe en complémentarité.

Sur base de ce postulat, plusieurs études ont été menées pour démontrer qu’il existait
bien des différences biologiques intrinsèques aux structures cérébrales des hommes et
des femmes3. Ainsi, les femmes étaient considérées comme étant plus aptes à faire des
liens et à développer une vision du monde détaillée et transposable aux diverses
situations tandis que les hommes seraient plutôt «  faits  » pour prendre des décisions.
Cette étude a renforcé le sentiment et la vision des sexes répondants à l’adage «  Les
hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus ». De plus, cette vision a été renforcée
par le fait que l’étude se basait sur des neurosciences alors qu’en réalité, elle était emplie
de biais4.

3À titre informatif : Brain Connectivity Study Reveals Striking Differences Between Men and Women, Penn
Medicine Brain Imaging Study Helps Explain Different Cognitive Strengths in Men and WomenDecember 02,
2013.
4 Pour une lecture critique de ces études genrées : « Cerveau, sexe et pouvoir », par Catherine Vidal, avec
la collaboration de Dorothée Benoit-Browaeys, préface de Maurice Godelier, Belin.
11 Psychopathologie De La Sexualité 43

Les théories du care de Carol Gilligan, une  philosophe et psychologue  américaine


contemporaine, ont été construites à partir de ces prémisses (Exemple : les femmes sont
naturellement portées vers les soins, ce qui explique la plus grande proportion de sages-
femmes ou d’infirmières). Ces théories valorisent les femmes et leurs compétences
propres d’un point de vue social et théorique.

4. Le contrat hétérosexuel

Monique Wittig, une romancière et théoricienne française contemporaine, a développé le


concept de contrat hétérosexuel dans le cadre de son appartenance au mouvement
queer-féministe. Elle considère, à travers son œuvre, que les féministes de la première
vague ont opacifié la question que présupposait le contrat hétérosexuel.

«  D’après Rousseau, le lien social est une somme de conventions fondamentales qui,
même si elles n’ont jamais été énoncées, sont néanmoins impliquées par le fait de vivre en
société. Et nous les connaissons ces règles, le mot hétérosexualité les résume. (…)
Ces règles et ces conventions rendent la vie possible comme on doit respirer pour vivre.
En fait, les conventions sociales et le langage font apparaître avec une ligne en pointillés le
corps du contrat social désignant ainsi l’hétérosexualité. Pour moi, les deux termes de
contrat social et d’hétérosexualité sont superposables, ce sont deux notions qui
coïncident » (Wittig, 2001).

D’après Wittig, la société impose dans sa construction conventionnelle et également dans


le langage utilisé l’hétérosexualité, elle catégorise implicitement les individus comme
étant hétérosexuels. Wittig, à travers son œuvre, tente de déconstruire ce contrat tacite
en démontrant que les femmes ne sont pas exclusivement liées aux hommes, prenant les
lesbiennes à titre d’exemple.

5. Le genre est une grille d’analyse

Les savoirs sur la sexualité sont issus d’une construction genrée. Il y a des tensions entre
ce qu’on peut représenter et ce qui entrave à la liberté qu’on pourrait avoir par rapport
nos corps et la construction identitaire qui existe toujours. Il est essentiel d’observer
comment chacun construit sa solution singulière avec son corps réel et le rapport de ce
corps à l’autre.

Les manières dont on utilise notre corps, dont on le perçoit et dont on le présente à voir
sont toutes des constructions tant sociales que politiques et culturelles  ; il s’agit
d’activités performées dans une interaction avec l’autre. Ces activités constituent un
champ paradoxal, car elles résultent de la rencontre de contraintes et de normes
incorporées ainsi que de libertés et de résistances.

Paul B. Preciado, un philosophe transgenre espagnol contemporain, a développé une


pensée à partir de laquelle il a pu se présenter au monde comme étant « en transition »,
c’est-à-dire ni ancienne femme ni nouvel homme. De cette manière, selon lui, il est le
moins aliéné possible. Seulement, son corps performe quand même par rapport à un
monde dans lequel il évolue. Pour Preciado, l’identité est un concept vide, elle n’est pas
d’impact sur ce que l’on fait (alors qu’en psychologie, on se base régulièrement sur l’idée
d’identité). Selon lui, se baser uniquement sur notre identité est dangereux, car il est
toujours possible qu’elle s’écroule presque du jour au lendemain (Exemple : parmi notre
définition identitaire, on peut incorporer des éléments comme «  être en bonne santé  »,
12 Psychopathologie De La Sexualité 43

«  ne pas être handicapé  »… Mais si un accident de la route survient et que l’on se


retrouve en fauteuil roulant, c’est tout un pan de notre identité que l’on a définie qui
s’écroule, le psychisme basé dessus suivant indéniablement). De ce fait, la question de la
contrainte du corps est ignorée par Preciado, car il sait que son corps est une contrainte
pour se libérer, il est au courant que son corps n’est rien de plus qu’une construction. Il a
ainsi suivi une cure de testostérone «  consciente  », de manière presque expérimentale,
afin de voir à quel point son corps se transforme et, par la même occasion, son identité si
on la résume, à tort, au corps.

On peut envisager le genre comme étant une activité performée inconsciemment, mais
celui-ci n’est pas pour autant automatique. De fait, il est plus judicieux de comparer
l’exercice du genre à une improvisation sans fin se donnant lieu à l’intérieur d’une scène
de contraintes. De plus, on ne définit pas son genre de manière esseulée. En effet, on
construit notre genre, et notre indépendance, au travers le regard de l’autre, que ce soit
avec ou pour l’autre. Ainsi, ce qu’on appelle « mon genre » n’est pas notre propriété étant
donné que les composantes de celui-ci se trouvent à l’extérieur de nous-mêmes, voire
au-delà, dans une socialité et dans un rapport à l’autre. On peut ainsi considérer que
c’est par l’assujettissement que l’on devient un sujet à part entière, que c’est par la
dépendance que l’on devient indépendant.

6. En synthèse

Les études de genre, de par la diversité des théories existant à ce propos, constituent
nécessairement un champ conflictuel relevant de diverses dimensions :

• La construction sociale : c’est le fait que les sexes et les genres soient dénaturés.

• L’approche relationnelle : il s’agit du fait d’associer les genres masculins et féminins


dans une relation d’opposition, de construire et de se reposer sur un système de
bicatégorisation des sexes et des valeurs ainsi que des représentations associées
ou encore le fait que tout soit associé à un genre, surtout notre langue, ce qui mène
à avoir des représentations genrées.

• Le rapport de pouvoir  : la bicatégorisation est hiérarchisée, tant symboliquement


que matériellement. De ce fait, le genre devient un rapport social produisant
hiérarchie et inégalités (de là découlent le patriarcat, la domination masculine et
l’oppression des femmes).

• L’intersectionnalité  : le genre s’imbrique dans d’autres rapports de pouvoir


(Exemple : les « races », les classes, les sexualités…) de telle sorte que le cumul des
stigmates a des effets plus conséquents que la somme des effets spécifiques5.

7. Les articulations entre le genre, le sexe et la sexualité

Gayle Rubin avance l’idée qu’il existe des systèmes de hiérarchisation sexuelle
complexes. Plusieurs critères définissent la sexualité qui est «  bonne  », «  normale  »,
«  naturelle  »  : celle-ci est hétérosexuelle, conjugale, monogame, procréatrice, non
commerciale, monogénérationnelle, s’exerce dans le privé, n’a pas recours à la
pornographie ou à des sex toys… Quiconque transgresse ces règles bascule du mauvais

5 Cela traduit l’idée qu’une femme noire et lesbienne aura beaucoup plus de stigmates que si l’on
considérait l’addition de ceux d’une femme blanche hétérosexuelle, ceux d’un individu noir et ceux d’un
individu homosexuel.
13 Psychopathologie De La Sexualité 43

côté de la sexualité. Rubin esquisse également un schéma où elle distingue les pratiques
qui sont du bon côté de la barrière, celles qui sont du mauvais côté, et au milieu, une
zone de contestation sociale. Elle explique que l’homosexualité se situe dans la zone de
contestation, mais que si elle est stable et monogame, elle peut se frayer un chemin vers
l’acceptabilité. Elle montre aussi que ces barrières changent au cours du temps,
notamment sous l’influence de périodes de panique morale, ou de la contestation des
personnes à la sexualité stigmatisée. Enfin, Rubin montre que seuls les actes sexuels
situés du bon côté se voient accorder la complexité morale  : «  des relations
hétérosexuelles peuvent être sublimes ou dégoûtantes, libres ou forcées, épanouissantes
ou destructrices, romantiques ou mercenaires ». À l’inverse, les actes situés du mauvais
côté «  sont considérés comme répugnants par définition et absolument sans nuances
morales. Plus un acte est éloigné de la frontière, plus il est compris comme uniformément
mauvais ». Par exemple, à cette époque, dans de nombreux États, la sodomie, la fellation
et le sadomasochisme étaient illégaux indépendamment du fait qu’il y ait consentement
où non : « Pour la loi, le consentement est un privilège réservé à ceux qui ne pratiquent
que les activités sexuelles de rang supérieur. Ceux qui sont attirés par des
comportements de rang inférieur n’ont pas la capacité légale de s’y adonner. »

PRATIQUES ANORMALES, MAUVAISES ET PRATIQUES NORMALES, NATURELLES ET


NON-NATURELLES BÉNITES

L’homosexualité L’hétérosexualité

Les rapports sans être mariés Les rapports en étant mariés

La promiscuité La monogamie

La sexualité non-reproductive La sexualité reproductive

La sexualité commerciale La sexualité non-commerciale

La sexualité seule ou en groupe La sexualité en binôme

La sexualité libre La sexualité dans une relation

La sexualité inter-générationnelle La sexualité intra-générationnelle

La sexualité en public La sexualité en privé

La sexualité pornographique La sexualité non-pornographique

La sexualité avec des objets La sexualité ne contenant que des corps

La sexualité sadomasochiste La sexualité « vanille », douce

Une autre étude qu’elle a menée lui a permis de classer les individus selon trois
catégories qu’on lui rapportait :

14 Psychopathologie De La Sexualité 43

LA MAJEURE PARTIE DE LA
LE « MAUVAIS » SEXE POPULATION
LE « BON » SEXE

Les couples non-mariés


Les travestis L’hétérosexualité
hétérosexuels

La promiscuité
Les transsexuels Les mariés
hétérosexuelle

Les fétichistes La masturbation Les monogames

Les couples
Les sadomasochistes homosexuels stables sur La reproductivité
le long terme

Les lesbiennes dans les


Les travailleurs du sexe La sexualité à la maison
bars

La promiscuité entre des


Le sexe inter-
gays aux bains publics
générationnel
ou au parc

Ce faisant, elle a pointé le fait qu’il existe toujours des frontières fragiles, des difficultés à
placer les limites entre le droit et le contrôle (Exemple  : le mariage homosexuel est
aujourd’hui autorisé dans plusieurs pays, mais il est toujours compliqué pour ces couples
d’adopter un enfant, les procédures étant largement accentuées dans la longueur et la
difficulté dans leur cas).

Nicole-Claude Mathieu, une anthropologue française contemporaine, est la première à


avoir mis à la lumière que le sexe et le genre n’étaient pas forcément liés, que les rapports
les reliant différaient même en fonction des sociétés. Elle a ainsi identifié trois modes de
conceptualisation du rapport entre le genre et le sexe :

• Le genre traduit le sexe : il y a alors une conscience individualiste.

• Le genre symbolise le sexe : il y a une conscience de groupe

• Le genre est déconnecté du sexe : il y a une conscience de classe.

Ces trois conceptions ont été élaborées à la lumière d’ethnographies réalisées dans
différents pays. Ainsi, la deuxième conception est appuyée par les exemples que sont les
garçons-épouses Azande, les vierges jurées d’Albanie et les two-spirits d’Amérique du
Nord tandis que la troisième conception est imagée par le mouvement queer.

Les garçons-épouses Azande désignent des hommes qui sont donnés en épouse à un
militaire durant la période de son service. Durant ce laps de temps, le garçon-épouse
effectue les pratiques ritualisées des femmes (Exemple : le ménage, la cuisine, l’entretien
de la maison…) et il entretient des relations sexuelles avec le militaire. Quand celui-ci
revient de son service, il peut se marier avec une femme tandis que le garçon-épouse est
transféré à un autre militaire.

15 Psychopathologie De La Sexualité 43

Les vierges jurées d’Albanie désignent des femmes sous serment de chasteté à vie. Ce
vœu est effectué par l’aînée d’une famille n’ayant pas de descendance masculine et
voulant assurer la transmission des biens et des ressources. Ainsi, la première fille est
élevée comme un garçon de sorte qu’elle devienne l’homme de la famille. Elle vit comme
un homme, s’habille comme un homme, elle a les mêmes droits que les hommes et, étant
reconnue comme étant un «  vrai homme  », elle peut côtoyer les mêmes espaces de
socialisation que les hommes.

Les two-spirits d’Amérique du Nord sont les membres d’une communauté amérindienne
dans laquelle les individus ne sont ni hommes ni femmes ; ils appartiennent à un entre-
deux définissant un troisième genre à part entière. Seulement, à la différence des
LGBTQI+, ces individus sont socialement institués et donc reconnus. De plus, il n’agit pas
de personnes transgenres, il ne s’agit pas de se sentir homme dans un corps de femme
et vice-versa, il s’agit réellement d’un troisième genre à part entière. Ainsi, ces individus
développent des «  comportements d’homme et de femme  » simultanément (Exemple  :
effectuer des travaux manuels en portant une robe…).

8. Du genre au sexe

Thomas Laqueur, un historien américain contemporain, et Anne Fausto-Sterling, une


professeure américaine de biologie et d’études de genre contemporaine, ont contribué à
clarifier le fait que le genre et le sexe soient des constructions biologiques et
anatomiques. Laqueur a mis en évidence qu’avec le temps, nous sommes passés d’un
modèle antique et médiéval ne considérant qu’un sexe unique6 à une conceptualisation
plus moderne effectuant une dichotomisation des sexes en distinguant le masculin et le
féminin. Fausto-Sterling, de son côté, a montré que le terme « sexe » était polysémique et
qu’on pouvait identifier cinq marqueurs scientifiques se rapportant au même mot :

• Le sexe anatomique : c’est le niveau auquel on s’arrête classiquement, un homme


l’est s’il a un pénis, une femme l’est si elle a un vagin. De cette distinction naissent
les violences obstétricales faites aux enfants dont le sexe n’est pas l’un ou l’autre de
manière explicite.

• Le sexe gonadique : si d’un point de vue « externe » et anatomique un homme peut


effectivement l’être (il a un pénis), il se peut que son taux de gonades soit trop faible
que pour procréer. Dans ce cas, peut-on toujours affirmer qu’il soit un homme dans
son aptitude à procréer ?

• Le sexe chromosomique  : il est possible d’être une femme d’un point de vue
phénotypique, d’avoir toutes les caractéristiques sexuelles secondaires propres à
une femme, mais d’être génotypiquement un homme, ce qui rend la procréation
impossible7.

• Le sexe hormonal : il s’agit de la quantité d’hormones dites masculines et féminines


dans le corps.

• Le sexe humoral : c’est la manière dont les hormones citées avant circulent dans le
sang.

6S’il existait qu’un sexe unique, les individus étaient distingués entre eux par leur degré d’extraversion ou
d’introversion.
7 On peut se demander comment il est possible de s’approprier ce phénomène, comment on continue à
vivre avec une telle particularité et, surtout, comment on se définit. De fait, c’est tout l’imaginaire associé à
la sexualité, à la gestation et à la parentalité qui vole en éclats car il y a un « impossible » à traiter.
16 Psychopathologie De La Sexualité 43

En fonction du marqueur que l’on considère, on ne place pas la ligne d’arrêt entre les
hommes les femmes de manière similaire ; on distingue les deux sexes différemment et
les frontières sont plus ou moins floues entre ceux-ci.

«  Notre connaissance de l’embryologie et de l’endocrinologie du développement sexuel


(…) nous permet de comprendre que les humains mâles et femelles commencent leur vie
avec les mêmes structures : la féminité et la masculinité complète sont les extrêmes d’un
spectre de types de corps possibles. Leur fréquence nous a menés à croire qu’ils étaient
non seulement naturels, mais normaux. La connaissance des variations biologiques nous
mène à conceptualiser l’espace intermédiaire comme naturel, bien que statistiquement
rare » (Fausto-Sterling, 2000).

Dans cet extrait, Fausto-Sterling nous explique qu’être homme ou femme n’est rien de
plus que deux extrémités d’un continuum pour lequel les intermédiaires sont rares, mais
tout de même possibles. Seulement, ils sont tellement rares qu’ils sont considérés
comme étant anormaux.

Suzanne Kessler, une psychologue sociale américaine contemporaine, a émis une critique
quant à la position de Fausto-Sterling :

« La limite de la proposition de Fausto-Sterling réside en ceci qu’elle confère aux organes
génitaux un rôle déterminant et ignore le fait que dans le monde de tous les jours, les
attributions de genre se font sans accès à l’inspection génitale. Ce qui est fondamental
dans la vie de tous les jours, c’est le genre qui est acté (perfomed), quelle que soit la
configuration de la chair sous les vêtements » (Kessler, 2000).

Ainsi, elle explique que, certes, la biologie nous informe sur la continuité qu’il existe entre
les sexes, mais elle précise que les organes génitaux tels qu’ils sont considérés par
Fausto-Sterling jouent un rôle trop déterminant dans l’attribution du sexe, les attributions
de genre se faisant, en réalité, sans inspecter l’appareil génital des individus. Ainsi, on
oublie trop souvent que le genre est avant tout performé dans la vie de tous les jours et
donc socialement et psychologiquement construits, indépendamment donc du «  sexe
véritable ».

9. Le genre et la psychanalyse

Les théories du genre ne peuvent se joindre aux débats « intellectuels » et « psychiques »


que par le biais de la psychanalyse. De ce fait, la psychanalyse est alors le seul champ de
pensée qui s’attaque aux théories formulées par les théories du genre, simplement car
elle est la seule à avoir proposé une théorie du sexuel. Ainsi, dans tous les débats autour
de la sexualité, la psychanalyse est souvent posée en contrepoint des études de genre,
comme une sorte d’impossible mise en lien entre les deux.

En effet, quand on pense «  psychanalyse  », on est très largement redirigé vers les
théories freudiennes de base. Seulement, celles-ci doivent être repensées et être mises
au goût du jour, elles doivent être reconsidérées et adaptées à notre époque. En effet, la
vision stadique supposant un développement «  normal  » par évolution peut être une
source de méjugement de toutes les formes alternatives de solutions en ce qui concerne
le rapport au corps, aux objets sexuels, au genre et au fantasme (voir critique p.2, la
conception stadique permet de classifier les individus par rapport à des « déviances » qui
17 Psychopathologie De La Sexualité 43

n’en sont pas réellement). Ainsi, la psychanalyse «  classique  », au sens historique,


propose un discours normatif du développement individuel.

Aussi, la théorie de Freud pense le phallus comme un terme introduisant le rapport au


tiers, à la loi dans le développement du complexe d’Œdipe. Ce terme, dans la
psychanalyse contemporaine, considère la possibilité d’un élément venant réaliser une
castration. En effet, on admet que chaque individu est aliéné au discours de l’autre et
qu’il ne sera jamais possible de se connaître soi-même dans son intégralité  ; nous
sommes tous soumis aux lois symboliques. Ainsi, ce passage par l’acceptation des lois
symboliques passe par une perte qui est métaphoriquement nommée castration, eu
égard au phallus. Il est évident que les termes « phallus » et « castration » peuvent laisser
entendre une vision « hétérocentrée » bien que, conceptuellement, ce ne soit pas le cas ;
c’est à entendre comme la manière dont on accepte cette perte et dont on trouve ses
solutions singulières. Les psychologues orientés par la psychanalyse lacanienne
cherchent plutôt à traiter une par une les solutions que l’être parlant met en place dans
son rapport à ce qui se présente sous le signe de l’excès, du plus que représente la
jouissance, et qui, en tant que telle, résiste à la symbolisation. Quant au genre, la
psychanalyse contemporaine n’est nullement binaire et considère qu’au niveau de
l’inconscient, contrairement à l’imaginaire véhiculé par les mythologies et les religions, les
deux sexes ne sont nullement faits l’un pour l’autre et ne sont liés par aucune
complémentarité originaire, ce qu’exprime l’aphorisme de Lacan  : «  Le rapport sexuel
n’existe pas ».

Au sens symbolique, il ne devient plus problématique de penser la sexualité, car elle n’est
plus liée au phallus de manière hétérocentrée. Ainsi, les théories du genre et la
psychanalyse se retrouvent dans le fait qu’on fonctionne de manière performative.
Seulement, les théories du genre ajoutent un élément par rapport à la psychanalyse : elles
considèrent une certaine lecture du social dans la construction identitaire, elles admettent
que chaque individu construit son identité sexuelle dans un contexte social précis.

Comme on l’a dit, on est toujours aliéné au langage, on ne sait pas exprimer tout ce que
l’on veut et ce que l’on pense comme on le souhaiterait, dans sa complétude au travers
des mots. Ainsi, pour avoir une image de soi « rassemblée » et ne pas paraître fragmenté
à nos propres yeux, pour pouvoir se définir en tant que sujet, on place des points de
capiton, des points d’arrêt. Ceux-là sont des éléments qu’on considère comme faisant
partie de nous qui permettent de se définir en tout temps, il s’agit de « points de repère »
permettant de trancher sur «  ce qui est moi, ce qui n’est pas moi  » en toutes
circonstances (Exemple  : se sentir homme, se sentir en couple, se sentir heureux…). Il
n’est toutefois pas impossible que ces points de capiton changent au cours du temps.
Dans la psychose, il y a une impossibilité à placer ces points de repère. De ce fait, tout
prend du sens à l’infini, tout définit l’individu psychotique et il se définit par tout
(Exemple  : si l’on demande à un individu psychotique «  Qu’est-ce qui vous amène  ?  »
pour demander le motif de sa consultation, il pourrait nous répondre «  Le tram  81  »).
Ainsi, l’individu psychotique colle aux mots et ne sait pas faire preuve de second degré.
Dans les questions à propos du genre, on jette un voile sur la possibilité de se définir à
l’infini ; on s’arrête donc nécessairement à un endroit de l’infini des définitions de soi.

On peut envisager les théories du genre d’après l’axe de la clinique borroméenne, aussi
appelée clinique des nœuds. D’après cette conception, il existe un nouage de trois
sphères  : le réel, le symbolique et l’imaginaire. Le réel comprend notre corps dans sa
matérialité physique, qu’on l’accepte comme il est ou non, il nous précède. On essaye de
structurer le réel, notre corps donc, dans le symbolique grâce au langage. L’imaginaire
appartient au registre du miroir, c’est-à-dire ce que l’on voit de soi dans le regard de
l’autre et ce qu’on croit que l’autre pense de soi. Ainsi, en envisageant les théories du
18 Psychopathologie De La Sexualité 43

genre d’après cette conception, on peut dire qu’elles travaillent uniquement sur le
symbolique et l’imaginaire, délaissant le réel, le corps physique donc. À titre illustratif,
nous pouvons faire cette hypothèse pour certains individus transgenres  ; afin de
structurer leur réel, ils utilisent une symbolique « trans » par rapport à « ce qu’il faudrait ».
Ne parvenant pas à faire sens de leur corps réel, ils accèdent à un autre symbolique, celui
« de l’autre sexe ». La psychanalyse, elle, article ces éléments au regard du corps et dans
son rapport à l’autre. De ce fait, elle n’a pas d’intention par rapport à la sexualité et ne
considère pas des pratiques comme étant normales ou pas, elle n’émet aucun jugement
par rapport aux possibilités d’articulation des trois sphères.

Ainsi, ce que ces militants des particularismes sexuels tentent parfois d’éluder, c’est la
remise en cause d’un destin, anatomique ou autre, du fait de l’impact du langage pour un
sujet. En entrant dans le langage, le sujet s’est effacé, s’est perdu comme sujet de sa
propre énonciation. Il est nécessairement soumis au code de l’Autre, et représenté par un
signifiant pour un autre signifiant. Avec le langage, l’anatomie n’est plus seule à incarner
le destin. Le destin, en fait, c’est l’anatomie ébranlée par le langage, c’est l’anatomie prise
dans les rets du langage.

L’objet est perdu, et du coup, le sujet aussi, est perdu. Il est perdu à lui-même. Impliqué
dans le signifiant, son être lui échappe. Il est sujet de l’inconscient, il est constitué par un
non-savoir. L’instauration du signifiant fait que la jouissance sexuelle est perdue. L’univers
du signifiant est construit autour de ce vide constituant  : le phallus comme manquant. Le
champ du symbolique vient à cette place, et l’univers culturel lui-même est pris dans ce
déterminisme, dans cette aliénation.

C’est ce que Freud évoquait comme point de départ, ce destin anatomique. Un point de
départ dont il faut bien faire quelque chose. L’anatomie, c’est ce qui est là, visible ; mais
ce n’est pas tout  quant au choix d’objet. En partant de là, chacun va se construire un
vécu qui va dépendre des conditions contingentes de sa confrontation au complexe
d’Œdipe. L’anatomie, donc, ne détermine pas toute l’évolution ultérieure. Par ailleurs, on
doit remarquer que Freud énonçait cette formule à propos de la sexualité féminine, de
l’évolution des petites filles, et de phénomènes dont il disait qu’ils n’étaient pas encore
pleinement élucidés. Ce « destin » renvoyait donc pour lui à un non-savoir et à l’énigme du
féminin.

In fine, la psychanalyse est passée du «  du non du père aux noms du père  » pour
reprendre Lacan. Le non du père fait référence au père castrateur rompant la fusion entre
l’enfant et la mère, il «  dit non  », incarne le non. Les noms du père, eux, désignent les
nominations que prend le sujet pour se comprendre, pour désigner la manière dont il se
différencie de l’autre (et, en premier lieu, de sa mère). Il s’agit de l’action de mettre un
nom sur ce que le sujet vit, notamment du point de vue du genre et de la sexualité
(Exemple  : «  Je me sens pansexuel  », «  Je me sens homosexuel  », «  Je me sens
hétérosexuel », « Je me sens femme dans un corps de garçon »…).

« Pour la psychanalyse, il ne s’agit pas seulement de libérer les sujets d’un pouvoir qui les
assujettiraient tous ensemble à une vie non reconnue. Il ne s’agit jamais seulement de
sujets qui souffriraient d’une intériorisation de la norme faisant obstacle à l’assomption de
leur identité. Cette visée émancipatrice à l’échelle collective ne suffit pas. La psychanalyse
ne croit pas en la possibilité d’une solution au malaise de la civilisation. (…) Le
questionnement d’un sujet sur son être sexué ne peut se poser à l’échelle d’un groupe
dont les membres se reconnaîtraient, comme mis en difficulté tous ensemble de la même
façon par des normes dominantes  » (Fajnwaks et Leguil, 2015). Les auteurs de cette
citation expliquent qu’il est impossible de répondre aux questions intimes par
19 Psychopathologie De La Sexualité 43

l’émancipation (Exemple  : l’émancipation des femmes, des LGBTQI+…) et la libération


des groupes.

Selon Lacan, le rapport sexuel n’existe pas. Pour comprendre cet énoncé, il faut l’aborder
du point de vue du rapport, justement. Selon lui, l’inexistence découle du fait que le
rapport pouvant exister entre deux individus n’est pas préalablement écrit ou défini  ; il
n’existe pas de rapport inscrit entre des individus décrivant une opposition symbolique,
comme l’actif et le passif ou le maître et l’esclave, capable de déterminer la différence
sexuelle. Ainsi, dans l’intimité du rapport sexuel, rien de la distinction entre l’homme et la
femme ne permet de comprendre une distinction sexuelle ou de genre. Ainsi, aucune
donnée ne nous précède et ne nous définit.

Caroline Leduc, une psychologue clinicienne française contemporaine nous explique que
d’après la psychanalyse lacanienne, les termes «  homme  » et «  femme  » sont des
constructions et ne renvoient donc pas aux sexes biologiques. De plus toutes nos
constructions faites à partir de la famille, du culturel, du social et du politique sont les
éléments à partir desquels l’individu se définit et, parmi cette définition, se retrouve
également son sexe (qui est alors également une construction). Seulement, la pulsion
peut ne pas suivre ces éléments, ces constructions, de par sa nature indomptable et sans
relâche. De ce fait, elle nous positionne par rapport à un sexe ou un autre, parfois en
même temps et parfois non. En d’autres termes, la pulsion ne répond pas aux logiques
sociales, familiales ou politiques. En revanche, nous dit Leduc, l’individu a un corps qui le
détient plus qu’on ne le possède. Ce corps, de par son existence, détraque et perturbe
les constructions qu’on fait autour de celui-ci. Ainsi, il est scandaleux, d’après Leduc, que
le corps soit sexué par défaut étant donné qu’on essaye constamment de le construire,
voire même de dépasser ce corps qui nous est assigné par défaut.

Pour les théories du genre aussi le corps est une construction. De fait, pour nous le
représenter, nous utilisons des mots, un langage. Seulement, ce langage est lui-même
une construction. Ainsi, nous construisons nous-mêmes notre corps, principalement par
le social, qui ce à quoi le sujet se confronte.

La psychanalyse, elle, argue plutôt que le corps brut est composé d’attributs plus ou
moins féminins ou masculins et que l’individu essaye de faire avec, de se définir du mieux
qu’il puisse avec ces éléments, que le corps qui lui est attribué lui convienne ou pas.

Si les deux champs de pensée se rejoignent sur certains points, ils se différencient
également par quelques éléments. On peut notamment citer le fait que les théories de
genre n’incluent pas en leur sein la pulsion considérée par la psychanalyse. Cette
dernière, de fait, atteste que nous ne sommes pas uniquement un corps social, nous
serions également un corps pulsionnel et que c’est justement au sein de cette pulsion
qu’existe le psychisme. Plus précisément, il y a un corps biologique et physique qui
existe en tant que tel, on pourrait dire qu’il existe une « donnée », et il y a également un
discours, c’est-à-dire ce qu’on en fait et la manière dont on s’attribue ce corps. La
pulsion, elle, se situe entre les deux, c’est ce qui vient du corps et qui se jette dans le
social. Seulement, cette extériorisation pulsionnelle ne s’inscrit pas forcément dans la
logique du social et ne peut donc pas définir ce qui est actif ou passif, hiérarchisé ou
gradué, homme ou femme.

20 Psychopathologie De La Sexualité 43

Chapitre 3 — Définitions

1. La sexualité

On peut considérer que la sexualité se résume à trois caractéristiques :

• Elle est taboue.

• Elle est universelle.

• Elle est centrale.

A. La sexualité est taboue

La sexualité est taboue, car il est souvent, voire toujours, difficile d’en parler, et cela a été
le cas de tout temps. En effet, on peut observer deux tendances quand on aborde le sujet
de la sexualité  : la métaphore et le langage cru. Soit on image et métaphorise les
éléments relatifs à la sexualité (Exemple  : l’adulte expliquant à son enfant la fameuse
histoire de la graine plantée dans la maman, les indénombrables mots utilisables pour
désigner les organes génitaux…), soit on les explique de manière crue, désincarnée de
toutes émotions, s’approchant davantage du registre médical. Ainsi, parler de sexualité
est compliqué, même en utilisant notre meilleur outil qu’est la langue. Ces difficultés
peuvent même survenir chez des psychologues plus ou moins «  formés  » à aborder le
sujet. Il est donc essentiel, pour un psychologue, de trouver le juste milieu entre le
grossier, le métaphorique et le médical ainsi que de faire comprendre que, dans le cadre
de la rencontre thérapeutique, il est possible d’aborder le sujet de la sexualité, qu’il est
possible de nommer les choses sans que cela instaure une quelconque gêne, tant pour
soi que pour le patient.

La sexualité est également taboue, car au cœur de l’orgasme se trouve la transgression.


L’idée de transgression, la conception de l’orgasme comme un acte transgressif, est à
comprendre à partir du social, c’est-à-dire dans le rapport à l’autre. Ainsi, l’orgasme
répond à une logique non sociale. En effet, on jouit de l’autre, du fait qu’il devienne notre
objet ou vice-versa, qu’on s’offre sans concession à l’autre, ce qui est, finalement,
contraire à la norme sociale du vivre ensemble étant donné que l’on considère l’autre
comme sujet (cette relation est mutuelle). Dans la sexualité, on est pris par l’autre ou l’on
prend l’autre. De plus, lors de l’orgasme, l’individu est pris dans une fantasmatique
précise ; il est plus simple de jouir en ayant une image en tête que de manière « purement
mécanique ». Ainsi la transgression est atteinte dans l’imaginaire, car on utilise une scène
sur laquelle on projette des images transgressives. Ces images sont construites à partir
de deux axes fantasmatiques que sont le voyeurisme et l’exhibitionnisme ainsi que le
sadisme et le masochisme. Ainsi, lors de l’orgasme, on se représente un tas d’éléments
socialement transgressifs (Exemple : on s’imagine souffrir, on s’offre en spectacle à l’autre
ou, au contraire, on observe l’autre, on s’imagine avec quelqu’un d’autre…). La
transgression, ici, n’est nullement synonyme de « anormal » étant donné que l’on utilise
cette caractéristique par rapport aux rapports sociaux.

De plus, comme on l’a dit, on assujettit l’autre durant l’orgasme. Cet assujettissement est
inconditionnel, il ne peut donc pas y avoir de trou dans cet absolu qu’est l’orgasme.
Seulement, et comme on l’a développé précédemment (voir p.16), nous sommes
caractérisés par des manques (Exemple  : on ne peut pas tout acheter, on ne peut pas
tout comprendre, on ne sait pas tout dire…). Ainsi, pour éviter de créer un trou, il est
21 Psychopathologie De La Sexualité 43

impératif que la dimension taboue du fantasme soit maintenue. Vivre un orgasme est un
acte qui est complètement « hors la loi » dans le sens où il s’agit d’une situation où l’on
perd le contrôle, où quelque chose nous échappe. Ce faisant, on est tout à l’autre est tout
à nous  ; l’orgasme se fait complètement pour l’autre ou complètement pour soi, pour
notre fantasme. Un trou dans l’orgasme désigne une situation où l’on est plus
intégralement dans l’univers subjectif du fantasme (Exemple : se mettre à penser à autre
chose).

Si la sexualité est transgressive, c’est également de par son côté inaugural  ; l’inaugural
est nécessairement marqué par la transgression. De fait, la première fois de toutes
actions est, de par sa nature même, une transgression, un déchirement de l’uniformité qui
régnait. Il est ainsi essentiel qu’il existe une certaine asymétrie, ce qui permet la
construction de toutes choses, pas comme l’uniformité. Quand on parle d’asymétrie, on
fait référence au fait qu’il y ait une inconnue, un élément pas su ou imprévu. En effet, la
sexualité peut devenir répétitive quand il n’y a plus de transgression et l’on peut identifier
les sexualités les plus épanouies quand elles se construisent dans les moments les plus
transgressifs. D’un point de vue plus «  neuroanatomique  », on peut dire que les
événements non anticipés sont toujours marqués par un plus haut taux de dopamine.
Dans les cas où les mêmes scripts se répètent, le pic de dopamine se produira en
avance, en prévision de la récompense (étant donné qu’on sait l’anticiper). Ainsi, une fois
la première fois effectuée (cela ne se limite pas à la sphère de la sexualité), on tentera
constamment de la répéter et de la reconstruire dans les itérations futures, afin de
retrouver cette jouissance « ultime » et inconditionnelle. Cela peut expliquer pourquoi l’on
est amené à rechercher la transgression, à retrouver le moment inaugural, pour jouir,
notamment au travers des fantasmes.

On peut finir par dire qu’avant toutes choses, la sexualité est un passage à l’acte. De fait,
la mise en mot et l’intégration du sexuel ne se font que dans un second temps. On
entend par passage à l’acte un acte qui est structurellement hors de contrôle et donc
pulsionnel. Cette pulsion est, par contre, susceptible de devenir une angoisse. Pour
pouvoir l’extérioriser, mais de manière «  sociale  » et «  civilisée  », il faut reprendre le
passage à l’acte par la parole. Cependant, penser la pulsion sexuelle et lui attribuer des
mots contribuent à lui faire prendre un aspect pulsionnel. Elle doit alors être étayée,
notamment par les fantasmes.

B. La sexualité est universelle

Souvent, des chercheurs et des philosophes ont tenté de pointer quel était le propre de
l’Homme, proposant chacun une faculté nous distinguant du reste du règne animal. Une
de ces facultés est l’universalisme de notre sexualité, on pourrait dire qu’elle en fait la
condition humaine même. Comme on l’a dit précédemment, notre sexualité place la
transgression au cœur du fantasme. Cela a conduit Freud à nous décrire comme des
êtres psychosexuels. Aussi, la sexualité humaine est universelle de par les fantasmes qui
la construisent, ceux-là étant eux-mêmes communs à tous, car marqués par les
contraintes biologiques propres à l’espèce humaine. En effet, et comme on l’a dit
précédemment, les fantasmes se déclinent selon deux axes (dont les extrêmes sont des
« paraphilies ») :

• Le voyeurisme et l’exhibitionnisme.

• Le sadisme et le masochisme.

22 Psychopathologie De La Sexualité 43

Ces fantasmes sont, quant à eux, au cœur de notre construction psychique. De fait, les
premiers mois de la vie sont synonymes de la découverte des sensorialités, c’est à ces
moments que l’on ressent pour la première fois l’autre. Les principaux sens exploités sont
la vue et le toucher ; nous sommes manipulés par l’autre (la mère) et l’on se manipule tout
comme on est vu par l’autre et l’on voit l’autre. Ces premiers instants permettent de se
différencier de l’autre  ; en se manipulant et en étant manipulé par l’autre, on comprend
que l’on forme deux corps distincts, deux identités différentes. Tout comme voir l’autre et
comprendre que l’on ne se voit pas soi-même quand l’autre nous regarde permet de
distinguer l’autre de soi. On retrouve ces enjeux-là dans les axes fantasmatiques :

• L’enjeu du voyeurisme et de l’exhibitionnisme est de voir l’autre ou de se faire voir


par l’autre.

• L’enjeu du sadisme et du masochisme est de manipuler l’autre ou de se faire


manipuler par l’autre.

On retrouve à nouveau cette idée de devenir l’objet de l’autre ou de faire de l’autre notre
objet. C’est dans ce sens que les fantasmes, et donc la sexualité, sont universels, car ils
sont basés sur des éléments que chacun rencontre dans sa construction psychique.
Toutefois, il existe tout de même une composante individuelle  : les fantasmes sont
singuliers, car ils sont nécessairement inscrits dans l’histoire du sujet.

23 Psychopathologie De La Sexualité 43

UN MOT SUR LA PULSION

La pulsion ne peut pas être limitée à un instinct. De fait, comme on l’a brièvement
décrit, la pulsion est à. À l’interface du psychique et du somatique (le corps) (la vie
sociale). Quelque part, il s’agit du premier représentant psychique des excitations
parvenant de l’intérieur du corps et atteignant le psychisme. Aussi, on articule notre
corps en fonction de cette pulsion d’un point de vue psychique ou linguistique. Ce sera
en fonction de ces éléments qu’on pensera le « voir et être vu » ainsi que le « prendre et
être pris ». Le concept de pulsion remet en cause à lui tout seul le schéma somatique –
psychique et, par « extrapolation », le schéma inné – acquis.

D’après Freud, la pulsion est également à l’origine des fantasmes originaires qui sont
des fantasmes par lesquels l’on tente de comprendre d’où l’on vient (encore un manque
qui ne sera jamais comblé). Ainsi, la fascination sexuelle survenant à l’adolescence
tente de répondre à cette question ; l’individu essaye de comprendre d’où il vient.

Les pulsions sexuelles, selon Freud, s’étayent sur les fonctions corporelles
fondamentales : elles leur fournissent une source, un but et un objet. 

En un sens, la sexualité peut être retrouvée partout, comme naissant dans le
fonctionnement même des activités corporelles… Elle ne se détache que
secondairement (Laplanche & Pontalis 149).

De la faim à la succion, le plaisir qui prend corps dans la bouche :

• Un corps de l’oralité  : dominé par des fantasmes d’absorption, d’introjection,


d’incorporation, mais aussi de destruction par dévoration, morcellement…

• Un corps d’analité  ; la satisfaction défécatoire et sa maîtrise engendrant des


fantasmes en rapport avec la rétention, la conservation, l’expulsion.

• Un corps de la phase phallique centré sur le plaisir génital et les fantasmes de


castration.

L’érogénéité est alors une propriété générale de tous les organes, ce qui permet de
penser qu’il existe une cassure entre un corps physiologique réel, et un corps imaginé,
fantasmé, mais qui ne s’émancipe probablement pas radicalement de la binarité.

Selon Preciado, la pulsion a également une dimension culturelle, car la manière dont on
met en image nos fantasmes et les mots qu’on leur prête sont conditionnés par la
culture, par le bouillon culturel dans lequel nous sommes pris.

C. La sexualité est centrale

La sexualité occupe une place centrale, car parler de l’intimité, poser des mots sur l’acte
intime est émancipateur dans de multiples domaines, même certains n’étant pas
forcément liés à la sexualité (Exemple  : le professionnel, le social, le familial…). Ainsi,
l’intimité du couple doit pouvoir laisser la place à la mise en mots de la transgression, il
doit être possible d’exprimer la sexualité. Cette caractéristique doit également apparaître
dans l’intimité de la rencontre psychologique en cabinet, même si le psychologue n’est
pas «  formé  » à la sexothérapie  ; il doit pouvoir accueillir le sujet de la sexualité.
24 Psychopathologie De La Sexualité 43

Finalement, la sexualité est centrale, car elle est importante pour distinguer l’intime du
social.

2. Les zones érogènes et les objets sexuels

Les zones érogènes sont les bords où se rejoignent corps interne et externe. Ces organes
sont des zones de jonction entre les corps interne et externe, elles connectent les corps
internes et externes. On parle des organes génitaux, de la cavité orale, de l’anus et des
tétons (ces organes sont les principales zones érogènes). On peut remarquer deux
choses supplémentaires en envisageant ces zones. Premièrement, il s’agit de zones où
l’accumulation de tension peut être déchargée par une action directe (Exemple : manger,
déféquer, mâcher…). Dans un second temps, et en étant lié à la seconde observation, ces
zones concernent des organes nous permettant de réaliser nos besoins primaires
(Exemple  : manger, déféquer, se reproduire, nourrir le nouveau-né…). Ces besoins
primaires sont tous des échanges entre l’intérieur et l’extérieur (ce qui rejoint la première
particularité des zones érogènes). De ce fait, elles sont à chaque fois constituées de
muqueuses, ce type de tissu cellulaire étant innervé d’une manière particulière. La
satisfaction des besoins primaires provient des matériaux fournis ou retirés par l’action de
la zone en question (Exemple : l’air, les fèces, les fluides, la nourriture…). En revanche, en
ce qui concerne les zones érogènes, la satisfaction provient de l’action elle-même (elle
provoque une « décharge » et du plaisir s’ensuit).

Les zones génitales ont une activité réflexe (il peut y avoir des érections « réflexes » ou
des sensations d’excitations réflexes évoquées par des stimuli). Quand l’enfant apprend à
maîtriser cette activité réflexe, bien souvent (ou probablement par définition) par le détour
de l’autre, dès qu’il se positionne comme sujet actif dans la maîtrise de l’excitation des
zones génitales, c’est le primat du phallus, la phase génitale  ; il y a alors un grand
remaniement qui va faire que le sujet va s’approprier toutes les actions qui mènent au
plaisir, y compris celles qui n’avaient pas nécessairement un caractère sexuel au début,
et tout le prégénital devient sexuel. Après ce remaniement, tout ce qui est pulsionnel est
aussi sexuel. Le sexuel devient alors synonyme d’appropriation subjective, c’est-à-dire
qu’il active la motricité qui mène à l’assouvissement de la pulsion. De cet héritage, il faut
probablement retenir que toute pulsion va désormais également induire une tension
génitale qui s’accumulera et tendra à vouloir se décharger.

«  Toute sublimation ne se produit-elle pas par l’intermédiaire du moi, lequel transforme


d’abord la libido d’objet sexuel en libido narcissique pour lui poser ensuite peut-être un
nouveau but ? » (Freud, 2010, p.274).

3. Le fantasme sexuel

D’un point de vue neuroanatomique, les trois systèmes les plus sensibles, de par leur
innervation conséquente, sont les mains, les yeux et la bouche. On retrouve ici les
composantes des fantasmes biaxiaux décrits par Freud : les mains servent à manipuler,
les yeux servent à voir tandis que la bouche permet de parler de la sexualité, de mettre
des mots sur la transgression. Ainsi, l’activation de ces zones (Exemple  : manipuler,
regarder, lécher, parler, embrasser…) peut créer des images mentales puissantes lorsque
l’action produit une décharge inattendue (Exemple  : une relation amicale ou
professionnelle peut prendre une tournure tout à fait différente, sexuelle, avec une seule
25 Psychopathologie De La Sexualité 43

phrase, voire un seul mot, si celui-ci est inattendu et que son occurrence provoque une
décharge particulière8).

Concernant le troisième système, la bouche, on peut pointer le fait que l’organisation du


sexuel est linguistique. De fait, la tension peut être soulagée sur un mode actif (ou passif).
Après coup, le mode passif, «  l’opposé  », permet également de soulager la tension et
donc d’apporter du plaisir. C’est dans ce sens que l’on retrouve les couples sadisme –
masochisme et voyeurisme – exhibitionnisme sous les déclinaisons respectives manipuler
– se manipuler – être manipulé et regarder – se regarder – être regardé. Ces deux couples
sont des variations linguistiques de  faire – se faire à soi-même – être fait. Ainsi, le
fantasme sexuel part des contraintes biologiques du corps brut et perce au niveau
psychique, constituant une variation linguistique sur le double continuum fantasmatique.

La sexualité émane donc du corps, de la pulsion, et s’ancre dans les représentations


imaginaires et symboliques de l’individu. Se faisant, elle s’articule autour des fantasmes
fondamentaux qui sont eux-mêmes l’étayage des fonctions primordiales du corps
humain, à savoir la vue et le toucher pour, respectivement étayés par les dualités
voyeurisme — exhibitionnisme et sadisme – masochisme. Ces éléments, eux, se
retrouvent également linguistiquement (une fonction portée par une troisième zone
«  primordiale  », la zone orale), car c’est par la parole que l’on constitue nos fantasmes
supportant notre sexualité. De fait, on met des mots sur les fantasmes qui nous
accompagnent, on leur donne une réalité linguistique en les nommant.

«  La psychologue Michèle Perron-Borrelli (2001, p.1371) affirme que ce sont les images
perceptrices et motrices liées aux expériences précoces qui sont à l’origine de
l’élaboration des fantasmes. La création d’une fantasmatique sexuelle se baserait donc
sur “les représentations refoulées des expériences primaires […], les traces sensorielles de
l’expérience de satisfaction, tout comme celles des vécus traumatiques des débuts de la
vie” » (Hubin, De Sutter & Reynaert, 2011). Cette citation explique que, dans un premier
temps, il y a une constitution à partir d’un inconfort physique (Exemple  : la faim). Cet
inconfort va entraîner une réaction physique et motrice (Exemple : le cri), entraînant elle-
même une réaction de l’autre, de la mère (Exemple  : l’offre du sein pour la tétée ou le
nourrissage). Cette action que l’autre réalise à l’attention du sujet provoque l’apaisement
de la tension, il y a donc une dimension de plaisir. Ce plaisir occasionné engendrera la
création d’une première image mentale qui sera, dans le futur, investie de souvenirs et
réinvestie par une fantasmatique, par un imaginaire créé autour de cet événement.
L’élaboration des fantasmes s’étaye donc à partir d’un besoin physiologique, mais ils
s’articulent plus spécifiquement autour de la réponse physique fournie à ce besoin.

Bien évidemment, de telles interprétations et analyses doivent se faire dans l’après-coup.


Pour cela, il faut que l’individu puisse développer son fantasme dans la clinique, c’est ce
qui permettra de posséder à une telle analyse. Ainsi, dans l’histoire du sujet, il y a des
éléments qui viennent s’inscrire dans son corps, engendrant un rapport particulier par
rapport à son corps et à sa fantasmatique  ; il a quelque chose qui fait qu’il tente de
reproduire l’expérience de satisfaction vécue auparavant.

Étant donné que l’on parle d’événements qui se sont déroulés dans la tendre enfance et
qu’on les met en lien avec une période de la vie où la maturité sexuelle est apparue, on

8 Cet exemple permet également d’illustrer l’implication de l’organe oral dans les zones érogènes et dans la
fantasmatique. De fait, grâce à la linguistique et au langage, les mots peuvent être connotés, peuvent
transmettre des idées plus fortes que les mots employés les tournures de phrase ambiguës, également,
permettent de transmettre des éléments de l’ordre du sexuel.
26 Psychopathologie De La Sexualité 43

peut se demander qu’est-ce qui est de l’ordre du sexuel et du non sexuel. La dimension
sexuelle apparaît avec la jouissance liée aux actions, surtout déployées par l’Autre,
accompagnant la décharge de tension au niveau des zones érogènes. Le sexuel apparaît
lors de la satisfaction pulsionnelle. Il faut cependant bien différencier la jouissance du
plaisir et encore de l’orgasme. La jouissance est le chemin permettant d’accéder à la
satisfaction, elle entoure la possibilité d’arriver à la satisfaction pulsionnelle. La jouissance
est donc un ensemble d’actions motrices et mentales, c’est-à-dire les fantasmes,
permettant de parvenir à la satisfaction. L’orgasme, lui, est la résolution de l’excitation, ce
qui entraîne une forme de plaisir.

Le non sexuel, lui, concerne la satisfaction du corps interne sans mener à la constitution
d’objets représentés. Il concerne ainsi les actions menées par les zones érogènes et les
corps génitaux se trouvant en dehors du champ de la représentation sexuelle. Ainsi, ce
n’est qu’une fois associé aux objets sexuels que la dimension sexuelle puisse découler
des actions menées par les zones érogènes ou par celles-ci directement (Exemple : boire
n’est pas un acte sexuel. En revanche, associer une manière de boire particulière dans un
lieu spécifique et lors d’une rencontre avec quelqu’un sera sexuel par étayage de la
fonction primaire).

4. Les scripts

La perspective des scripts sexuels, formulée à partir de la fin des années  1960 par les
sociologues états-uniens John Gagnon et William Simon, représente un cadre général
pour l’analyse de la sexualité en tant que phénomène culturel et social. Elle a exercé une
influence importante sur les recherches menées jusqu’aujourd’hui en sciences sociales
sur la sexualité. La perspective des scripts sexuels repose sur le constat que les
individus, à travers leur inscription dans le groupe social et l’imprégnation par ses récits,
apprennent les significations particulières attribuées à certains événements et situations
qui les constituent comme sexuelles, et acquièrent ainsi la capacité à identifier des
situations sexuelles ainsi qu’à agir ou réagir sexuellement. Les scripts sexuels sont
organisés à plusieurs niveaux de la vie sociale, qui interagissent entre eux  : culturel,
intrapsychique et interpersonnel. Si les différences de genre ont fait l’objet de
développements intégrants dès les textes fondateurs de la perspective, les rapports de
classe et de race ont été abordés de façon plus fragmentaire au sein des travaux
auxquels elle a donné lieu. Cette prise en compte inégale des rapports sociaux dans la
perspective des scripts sexuels, sans véritable effort de dialogue conceptuel ou
empirique avec d’autres domaines des sciences sociales, illustre les limites de la
perspective des scripts sexuels autant qu’elle fournit des pistes pour son renouvellement.

27 Psychopathologie De La Sexualité 43

Contexte socio-culturel

el
Co

nn
so
nt
ex

r
pe
te

er
sit

int
ua

te
tio

ex
nn

nt
el

Co

• Le contexte socioculturel désigne les attentes et les représentations de la sexualité


dans la culture et la société (Exemple : en Europe, les sexualités sont très peu libres
et il est donc mal vu de ne pas entretenir une sexualité « classique »).

• Le contexte situationnel désigne les circonstances environnantes immédiates, le


contexte proximal de l’appareillage sexuel (Exemple  : le lieu, l’isolation sociale ou
pas, la présence de drogues ou d’alcool…).

• Le contexte interpersonnel désigne les dynamiques relationnelles et ce qui les


affecte (Exemple : la personnalité, les expériences personnelles…).

« Même en combinant des éléments tels que le désir, l’intimité et une personne du sexe
approprié et attirante sexuellement, la probabilité que quelque chose de sexuel se
produise restera extrêmement réduite si l’un ou les deux acteurs n’intègrent pas
l’ensemble de ces conduites dans un script approprié » (Gagnon, 2008).

Bien évidemment, la théorie des scripts a des limites. Il s’agit simplement d’une tentative
de montrer comment les pratiques sexuelles sont ritualisées et organisées dans les
sociétés et en fonction de celles-ci. Ainsi, le désir et le contexte ne suffisent pas, il faut
que tous les éléments soient rassemblés (Exemple  : établir un contexte propice en
disposant des bougies et une ambiance tamisée ne suffira pas pour « provoquer » l’acte
sexuel si l’autre n’a pas passé une bonne journée). Ainsi, d’après Gagnon, les problèmes
sexuels ne dépendent pas uniquement du sexuel (Exemple  : le vaginisme ou
l’impuissance sexuelle ne dépendant pas que de la sphère médicale ou physiologique ; la
somatisation peut découler de problèmes d’une autre grandeur).

28 Psychopathologie De La Sexualité 43

Chapitre 4 — Introduction aux LGBTQI+

1. Introduction

Dans un cours de psychopathologie de la sexualité, il est «  logique  » de parler des


minorités représentées par les individus dits LGBTQI+ pour deux raisons. D’une part, ils
sont encore considérés comme sujets à diverses pathologies et, d’une autre part, cela
permet d’aborder les spécificités de santé, en ce compris la santé mentale.

Pour rappel, le genre ne peut pas se résumer à un concept binaire. En effet, dans une
perspective plus moderne, on admet quatre concepts :

• L’identité de genre : il s’agit de la manière de se définir dans sa conscience de soi


sur le continuum de la féminité et de la masculinité. Un individu se sentant tout à fait
féminin se définira alors comme une femme tandis qu’un individu se sentant
masculin se sentira être un homme. Il est possible de prendre toutes les définitions
possibles de ce qu’on pense être les options de genre (Exemple : un individu peut
se sentir à la croisée du féminin et du masculin et donc se définir comme
intergenre).

• L’expression de genre : il s’agit de la manière dont l’individu se présente au monde


et manifeste son genre par ses actions, ses habillements et ses attitudes.
Évidemment, l’expression de genre dépend de ce que l’individu met en œuvre, mais
aussi de l’interprétation de ces éléments selon les normes de genre (Exemple  : en
Europe, les jupes correspondent à l’expression du genre féminin, car c’est ce qui est
socialement admis). L’individu va donc se positionner le long d’un continuum entre
le féminin et le masculin.

• Le sexe biologique : il s’agit de l’ensemble des caractéristiques sexuelles primaires


et secondaires que l’on acquiert au cours de la vie comme les organes génitaux, la
pilosité, la forme du corps, le ton de la voix… On peut utiliser des appellations
différentes en fonction de la concordance entre l’identité de genre et le sexe
biologique  : on appellera cisgenre les individus définissant leur genre «  interne  »
« conformément » à leur sexe (Exemple : se sentir femme dans un corps de femme),
transgenre les individus ayant un genre interne différent de leur sexe biologique et
intersexe les individus présentant une ambiguïté au niveau de leur sexe biologique
et donc également au niveau de leur identité de genre.

• L’attirance : elle ne dépend en rien des trois autres éléments cités et n’est donc pas
expliquée par ceux-ci non plus. De plus, on distingue deux types d’attirances  :
l’attirance sexuelle et l’attirance émotionnelle.

Tous ces niveaux sont indépendants les uns des autres et ne prédisent, comme dit
précédemment, ni l’attirance sexuelle ni l’attirance émotionnelle. Seulement, les tentatives
de catégorisation, même celles concernant les minorités, sont des tentatives de
circonscrire le réel, c’est-à-dire ce à quoi l’on fait face. Ainsi, on peut être tenté de mettre
des mots sur les «  faits  », sur ce qu’on observe de soi ou des autres, mais en ce qui
concerne ces continuums, on n’est jamais forcément arrêtés, il est toujours possible de
bouger et donc de se redéfinir au cours de la vie.

29 Psychopathologie De La Sexualité 43

2. La construction des catégories

On peut émettre trois réflexions quant à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre :

1) Une réflexion sur ce qui est pathologique et sur ce que signifie la maladie mentale.

2) L’accent mis sur la détresse subjective et l’expérience psychopathologique centrée


sur la personne : se vivre et se définir de manière « non conforme » n’est pas une
pathologie en soi. En revanche, cela se vit comme pathologisant dans notre société
actuelle.

3) La reconnaissance de la stigmatisation et de la discrimination en tant que variables


intermédiaires significatives  : il faut se rendre compte que, en fin de compte, le
problème n’est pas tant d’être LGBTQI+ ou de le vivre dans notre société. Le
problème est d’être LGBTQI+ dans notre société qui renvoie de la discrimination
envers ces individus.

On peut donc établir un « transfert du problème » :

Le problème est d’être


Le problème est d’être Le problème est d’être LGBTQI+ dans notre société
LGBTQI+ LGBTQI+ dans notre société qui renvoie de la
discrimination

À nouveau, dans les discours à ce propos, on retrouve une opposition entre


l’essentialisme et le socioconstructivisme, ces deux courant qui tentent de répondre à la
question suivante  : sont-ce des forces biologiques naturelles qui sous-tendent l’identité
de genre et l’orientation ou ces construits découlent-ils du social ?9

D’après l’essentialisme, il existe des forces biologiques qui sous-tendent l’identité de


genre. De ce fait, les homosexuels ne sont pas responsables de leur « attirance déviante »
étant donné qu’elle est définie par la Nature. Dans le même genre, l’homosexualité est
alors innée et présente dès la naissance et, aussi, elle est fixée, elle ne pourra par
changer dans le temps étant donné que ce qui est biologiquement déterminé n’est pas
censé changer.

Le socioconstructivisme, lui, défendra la position en quelque sorte opposée. De fait, les


partisans de ce courant arguent que des forces sociales sont à l’origine de l’identité de
genre. De ce fait, l’homosexualité est construite, mais elle est mouvante et peut donc
changer avec le temps. Pareillement, elle peut être choisie par l’individu et, si elle est
considérée comme étant une déviance, elle peut être traitée.


9 Nous prendrons à titre d’exemple et par faciliter les individus homosexuels mais, bien évidemment, les
réflexions s’appliquent à tous les individus considérés comme minoritaires, c'est-à-dire les transsexuels, les
transgenres, les lesbiennes…
30 Psychopathologie De La Sexualité 43

3. De la transgression sexuelle aux variations et fluidités de genre

Il a fallu du temps pour que les différentes orientations et identités de genre soient
acceptées comme normales, ou du moins comme non pathologiques, en admettant que
cela soit le cas partout.

C’est en 1869 que le mot homosexuel est inventé par Karl-Maria Kertbeny, un écrivain
hongrois. Dans le contexte de séparation de la Prusse, une grande récolte d’avis des
citoyens est organisée afin de fonder la législation. Dans l’ancienne législation, sont
considérés comme criminels les attouchements, la sodomie, les abus sexuels et
l’homosexualité (qu’on ne définissait pas comme cela, car le terme n’existait pas, mais
l’acte en lui-même était punissable). Kertbeny a ainsi proposé la création du terme dans
le but de décriminaliser (et dépathologiser) l’acte. Ce faisant, il se place dans une
perspective naturaliste, essentialiste, en soutenant que les individus homosexuels ne sont
pas responsables de leur nature. Étant donné le caractère naturel de la chose, il
considère ainsi qu’il est insensé de criminaliser cela. En 1952, le DSM adopte la définition
du trouble de la personnalité sociopathe et l’on parle de déviance sexuelle en l’an 1968.
En 1973, une première avancée est faite sous la pression de psychiatres homosexuels qui
permettent de voter en faveur du retrait de l’homosexualité de la catégorie des déviances
sexuelles. Si cela est positif, il faut noter que la vision pathologique associée, elle, est
malgré tout maintenue. En 1980, l’homosexualité est considérée par un grand nombre
d’individus comme un trouble de l’orientation sexuelle. Notons seulement le fait que ce
n’est pas l’orientation différente en elle-même qui est problématique, mais bien ce type
d’orientation dans la société de l’époque. Cette conception de l’homosexualité rend ainsi
légitimes les thérapies de conversions. L’année  1987 peut être associée à une victoire,
car elle sonne le retrait définitif de toutes allusions à l’orientation sexuelle du DSM. Il est à
noter que ce cheminement en trois temps est assez similaire pour les individus trans.

4. Des effets de nomination

« La définition même des catégories contribue à façonner les sujets à la lumière de cette
définition  » (Hacking, 2010). Le philosophe Ian Hacking stipule ici que le fait de donner
une définition participe déjà à la construction d’un imaginaire collectif et individuel et
modifie ainsi la manière de se penser et d’exister. Ainsi, quand un individu s’identifie
comme un homosexuel ou comme un trans ou comme encore autre chose, cela modifie
directement la catégorie et les autres individus qu’il met dedans. De ce fait, les catégories
que l’on établit sont ce qu’on appelle des cibles mouvantes, car toutes les personnes se
disant appartenantes à une catégorie la modifient. Aussi, si le fait de nommer les choses
permet aux individus de s’y identifier, mais cette identification n’est pas totale, car il est
probable que quelqu’un ne corresponde pas intégralement à la définition de ladite
catégorie.

« Mon propos n’est pas la maladie physique en soi, mais l’usage qui en est fait en tant
que figure ou métaphore. Or la maladie n’est pas une métaphore, et l’attitude la plus
honnête que l’on puisse avoir à son égard — la façon la plus saine aussi d’être malade —
consiste à l’épurer de la métaphore, à résister à la contamination qui
l’accompagne » (Sontag, 2009). On peut noter qu’au moment où l’homosexualité a cessé
d’être considérée comme une pathologie, c’est-à-dire dans les années  80, le sida a
commencé à se répandre. Très vite, le virus a été considéré comme une forme de
punition pour les anciens pécheurs, les condamnant justement pour leur sexualité
31 Psychopathologie De La Sexualité 43

anormale. Ainsi, les «  maladies  » portent une imaginaire impactant nécessairement les
individus, mais il ne faut justement pas s’en laisser contaminer.

« On est tous passés par cette table d’opération performative : c’est une fille ! C’est un
garçon  !  » (Béatriz [Paul B.] Preciado). Par cette citation, Preciado pointe le fait que le
simple fait de nommer le sexe de l’individu à sa naissance définit qui il est.

On peut s’intéresser à l’évolution du mot «  gay  » au cours du temps pour voir ce que
renvoyait le mot en fonction des époques. En 1637, il désignait un état d’immortalité.
Ainsi, être gay n’était nullement lié à la sexualité, mais bien au fait d’être un être
transcendantal. À la fin du 17e siècle, le terme ne désigne pas exclusivement un homme.
De fait, il est associé à tout individu dépendant des plaisirs. Ainsi, le gay désigne un être
insouciant et hédoniste qui suit ses pulsions sans prendre en compte les contraintes
morales. Au début du 20e siècle, le gay fait référence à un homme ou à une femme qui a
fait un faux pas social. Aussi, le terme est associé aux célibataires par c choix, quel que
soit leur sexe. Au milieu du 20e siècle, il fait référence à un homme ou à une femme qui
n’a pas d’attaches, qui est libre. Dans la période d’après-guerre, le modèle patriarcal
prend le dessus et le terme «  gay  » finit par ne désigner plus que les hommes
sexuellement déviants. Finalement, c’est en 1952 que l’homosexualité est considérée
comme une psychopathologie.

5. Comportement VS catégorie

«  Ainsi, un rôle d’“homosexuel” distinct, séparé, spécifique, a émergé en Angleterre à la


fin du XVIIe siècle et la conception de l’homosexualité comme un état qui caractérise
certains individus et pas d’autres est un fait aujourd’hui dans notre société.
Bien entendu, le terme rôle est une sorte de raccourci. Il fait référence non seulement à
une conception culturelle ou à un ensemble d’idées, mais aussi à un ensemble
d’arrangements institutionnels qui dépendent de ces idées et les renforcent. Ces
arrangements comprennent toutes les formes d’activité hétérosexuelle, de cour et de
mariage, de même que les processus d’étiquetage – ragots, dérision, diagnostic
psychiatrique, condamnation criminelle – et les groupes et réseaux de la subculture
homosexuelle. Par souci de simplification, nous dirons simplement qu’il existe un rôle
spécifique » (McIntosh, 1968).

En introduisant le terme de « rôle », l’objectif est de nous permettre de tenir compte du


fait que le comportement dans ce domaine ne correspond pas aux croyances populaires :
les modèles de comportement sexuel ne peuvent pas être dichotomisés de la même
manière que le sont les rôles sociaux de l’homosexuel et de l’hétérosexuel. Il peut paraître
quelque peu étrange de distinguer de la sorte rôle et comportement, mais si nous
acceptons une définition du rôle en termes d’attentes (qui peuvent être ou ne pas être
satisfaites), alors la distinction est à la fois légitime et utile. Dans les sociétés modernes
où l’on reconnaît un rôle homosexuel séparé, l’attente, de la part de ceux qui exécutent
ce rôle comme d’autres, est qu’un homosexuel le soit exclusivement, ou de manière
prédominante, au niveau des sentiments et du comportement. De plus, il existe
fréquemment d’autres attentes, en particulier de la part des non-homosexuels, mais qui
affectent cependant la conception qu’ont d’eux-mêmes ceux qui se considèrent comme
homosexuels : que ses manières soient efféminées, de même que sa personnalité ou ses
préférences sexuelles ; que la sexualité occupe d’une manière ou d’une autre une place
dans toutes les relations qu’il entretient avec les autres hommes ; et qu’il soit attiré par les
garçons et les très jeunes hommes, et probablement disposé à les séduire. Il est évident
que l’existence d’une attente sociale aide généralement à sa satisfaction.

32 Psychopathologie De La Sexualité 43

Dans la même idée, Foucault a écrit «  L’homosexuel du XIXe siècle est devenu un
personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une
morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physionomie
mystérieuses. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est
présente : sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elle en est le principe insidieux et
indéfiniment actif ; inscrite sans pudeur sur son visage et sur son corps parce qu’elle est
un secret qui se trahit toujours. Elle lui est consubstantielle, moins comme un péché
d’habitude que comme une nature singulière. (…) L’homosexualité est apparue comme
une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur
une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un
relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce  » (Foucault, 1976). Selon lui, le terme
même homosexuel a construit une idée spécifique de la manière dont il faut porter cette
particularité en société.

6. Les LGBTQI+

Appartenir à cette classe minoritaire est source d’un stigmate particulier. De fait, il y a un
stigmate au niveau du corps, au niveau du désir et un stigmate invisible. Pour rappel, ce
n’est pas tant l’appartenance à ces minorités sexuelles qui constitue le stigmate, mais
bien la manière dont cette appartenance est vue socialement. On peut parler de stigmate
invisible dans le sens où à chaque moment, à chaque rencontre, l’individu sera l’objet
d’une négociation psychique pour déterminer s’il doit ou non « révéler sa nature », exposé
son appartenance. À force de devoir faire des coming-outs toute sa vie et dans un grand
nombre de circonstances, il est probable que l’individu ait tendance à éviter les lieux
nécessitant ces coming-outs (Exemple  : le médecin, les lieux de dépistage, certains
milieux…). De plus, il est probable qu’émergent des problèmes de santé mentale en lien
avec cette nécessité et la perception du risque d’être constamment jugé. C’est dans ce
sens qu’il faut comprendre le stigmate invisible. On le dit invisible, car personne d’autre
ne le perçoit. En effet, c’est l’individu, dans une dynamique d’anticipation, qui va se
mettre des limites dans ses lieux de fréquentations, qui va s’interroger constamment.
C’est par l’anticipation du regard de l’autre, regard déjà supporté à cause des stigmates
du corps et du désir, que l’individu l’esquive. Aussi, il est possible que cette anticipation
mène à la légitimation de ce qu’on dit des LGBTQI+ (Exemple : un individu homosexuel
peut ne pas vouloir adopter d’enfant, car, dans la société, on dit que de tels individus
sont moins capables de s’en occuper. L’individu va doc intérioriser ce fait et être en
accord avec, ce qui modifiera ses pensées et ses comportements).

Parmi les LGBTQI+, les lesbiennes forment une catégorie à part, car elles ont la
spécificité d’être invisibilisées à tous les niveaux, même d’un point de vue discursif. En
effet, et paradoxalement, les mouvements de militance homosexuelle sont très genrés,
tout comme leurs combats. De ce fait, les lesbiennes sont souvent oubliées des
mouvements gays qui concernent les hommes. Dans le même genre, la «  catégorie
lesbienne » se retrouve dans le féminisme radical, mais est invisibilisée par le féminisme
classique qui se positionne, comme on l’a vu, d’après une construction patriarcale de la
société. De ce fait, les lesbiennes sont doublement inférieures, voire triplement dans
certains cas. L’intersectionnalité, qu’on a vue à la p.12, stipule qu’il y a une interaction de
genre, de sexualité et de classe. Ainsi, une femme est d’ores et déjà stigmatisée par son
« genre faible » dans nos sociétés patriarcales. Si en plus de cela elle est lesbienne, elle
sera également stigmatisée pour sa «  sexualité déviante  ». Enfin, si elle est issue d’un
milieu au niveau socio-économique faible ou qu’elle est d’origine étrangère, les stigmates
33 Psychopathologie De La Sexualité 43

s’additionneront. Plus précisément, le stigmate résultant sera plus important que la


somme des stigmates individuels.

Stigmate 1 : genre faible.

Poids = 1

Stigmate 2 : sexualité déviante.

Poids = 1

Stigmate 3 : niveau socio-économique


faible ou origine étrangère.

Poids = 1

Combinaison des stigmates 1, 2 et 3.

Poids = 5

On peut signaler l’évolution de la catégorie regroupant les minorités sexuelles. De fait, au


départ, on parlait uniquement des LGB pour désigner les gays, lesbiennes et bisexuels.
Plus tard, les transsexuels ont été «  admis  », ce qui a donné le sigle LGBT. Dans un
troisième temps, les queers ont été ajoutés à la liste, ce qui a donné les LGBTQ. Cela est
assez contre-intuitif étant donné que les individus du mouvement queer se battent
justement pour déconstruire toutes ces catégories. En effet, d’après les adhérents, toutes
les différences sont incarnées dans le mot désignant la catégorie à laquelle appartient un
individu (souvent malgré lui). En ce sens, ces catégories minoritaires que sont les LGBTQ
et leur nomination incarnent alors toute la monstruosité. Les partisans du mouvement
queer ont donc entamé une réflexion sur toutes les constructions qu’implique la création,
par la nomination, des catégories.

De ce fait, aujourd’hui, on voit de plus en plus les sigles HSH et FSF qui signifient
respectivement «  homme ayant des rapports sexuels avec des hommes  » et «  femme
ayant des rapports sexuels avec des femmes  ». Ce faisant, simplement par un
changement de nomination, le sujet devient l’enjeu de la santé publique et les catégories
considérées sont construites sur base des pratiques sexuelles en elles-mêmes et non
34 Psychopathologie De La Sexualité 43

plus sur base de l’identité des individus considérés. Ainsi, peut importe que l’individu que
l’on envisage soit transgenre ou cisgenre, s’il est partisan du mouvement queer ou s’il a
des rapports sexuels avec les deux sexes délibérément : s’il s’agit d’un homme ayant, à
un moment de sa vie, des rapports sexuels avec un autre homme, il entrera dans la
catégorie HSH, et ce quelle que soit l’identité qu’il s’accorde à lui-même.

Les individus bisexuels sont les personnes représentant la catégorie la plus en


souffrance. En effet, ils subissent une pression des autres groupes minoritaires ainsi que
des individus extérieurs à ces catégories, justement car ils n’ont pas choisi de catégorie
(on entend par-là les catégories LGT). En termes d’identité sexuelle, ils sont encore plus
invisibilisés car ils n’appartiennent ni à la « norme » ni aux groupes minoritaires LGT. C’est
par ce faire qu’ils sont donc plus en souffrance.

Les catégories trans, intersexes et + sont les témoins, quant à elles, de la prolifération
des identités et de la multiplicité des définitions de soi qu’il est possible d’acquérir, de
manière absolue ou au cours de la vie.

Il est intéressant de noter qu’il est possible que les individus appartenant aux minorités,
notamment les gays et lesbiennes, internalisent les pensées et stéréotypes homophobes
et lesbophobes. De ce fait, certaines femmes lesbiennes se considèrent comme moins à
risque d’attraper des IST, car elles considèrent, à tort, que la sexualité non pénétrative
(ou, du moins, pénétrative du point de vue organique, c’est-à-dire avec le pénis) est
moins à risque. Un autre facteur renforçant leur croyance d’être plus protégées des IST
est la considération que les lesbiennes sont sujettes à une hyposexualité par rapport aux
gays qui sont hypersexuels et qui ont de ce fait une sexualité débridée. Seulement, tous
ces éléments appartiennent à l’imaginaire collectif et ne sont pas vérifiés dans la réalité.
De ce fait, les lesbiennes peuvent se penser, à tort, hyposexuelles ou moins à risques du
point de vue de la transmission d’infections sexuellement transmissibles, car elles
intègrent, elles intériorisent, les stéréotypes véhiculés par la masse « normale ».

Il est essentiel de garder à l’esprit que les catégories LGBTQI+ sont constituées d’un
public hétérogène. De ce fait, il est, en réalité, difficile de définir des groupes et leurs
spécificités. De plus, il est recommandé d’aborder une approche systémique et globale
qui permet de prendre en compte tous les aspects et les particularités des individus
considérés. Comme on l’a dit, l’intersectionnalité est un phénomène à l’œuvre et il faut
veiller à le considérer lorsqu’on s’intéresse aux questions de genre et, plus
spécifiquement, aux minorités que sont les LGBTQI+. Enfin, et comme on l’a développé, il
faut garder à l’esprit qu’il existe au sein même de cette métacatégorie qu’est les
LGBTQI+ des sous-publics cibles plus à risques de discrimination ; toutes les minorités
ne sont donc pas sur un même pied d’égalité (Exemple  : les bisexuels sont très
discriminés, que ce soit de manière intracatégorielle ou extra-catégorielle, les lesbiennes
sont sujettes à la combinaison des stigmates…).

7. Quelques définitions et implications de l’appartenance aux


LGBTQI+

Appartenir à l’un des groupes de la catégorie LGBTQI+ est une expérience sociale à part
entière qui implique d’appartenir à des sous-cultures particulières, voulues ou non. Ce
faisant, des éléments apparaissent nécessairement comme l’adhésion à des normes et à
des valeurs, propres à chaque groupe d’appartenance. Aussi, l’appartenance à ces sous-
groupes a une dimension imminemment politique ; faire son coming-out ne concerne pas
35 Psychopathologie De La Sexualité 43

uniquement sa vie privée, il s’agit d’un acte porteur d’un message politique et d’une
vision particulière du monde et des choses.

Appartenir à l’un des groupes composant la catégorie LGBTQI+ est un acte qui entraîne
certains comportements réactionnaires de par la masse « normale ». On peut notamment
citer :

• L’hétéronormativité : c’est l’ensemble de croyances et de pratiques suggérant que le


caractère binaire du genre est une évidence qui ne se questionne pas et qui
présente l’hétérosexualité comme la seule forme de sexualité concevable et
acceptable. La manifestation de ce phénomène se marque par :

❖ La présupposition que tout le monde est hétérosexuel et cisgenre.

❖ L’intégration des normes hétérosexuelles et le manque de formation à propos de


la réalité des individus LGBTQI+ par les professionnels de la santé.

❖ La réticence et la non-divulgation de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle


aux professionnels de la santé par les individus LGBTQI+.

• L’hétérosexisme  : il découle directement de l’hétéronormativité et concerne


l’ensemble des attitudes, des comportements et des biais discriminatoires, fondés
sur la binarité de genre «  axiomatique  », et qui constituent à favoriser
l’hétérosexualité et donc les relations hétérosexuelles. Cela se marquera alors par :

❖ Le rejet des individus LGBTQI+ et une anxiété sociale importante pour ces
derniers.

❖ L’intériorisation du sentiment de honte et de culpabilité pour les personnes


LGBTQI+ pouvant mener à la détérioration de la santé mentale.

❖ Les désapprobations ouvertes dans l’accès aux soins et les attitudes des
professionnels de la santé.

• Les violences et les persécutions  : comme dit précédemment, les individus


minoritaires peuvent être persécutés, que ce soit de manière extra- ou
intracatégorielle, c’est-à-dire par des individus hétérosexuels et cisgenres ou par
des individus appartenant eux-mêmes aux sous-catégories minoritaires.

• Les facteurs de stress  : il peut être stressant pour les personnes LGBTQI+ de se
définir comme tel en public, de réaliser des coming-outs à répétition, justement à
cause de l’hétéronormativité et l’hétérosexisme à l’œuvre dans nos sociétés.

• La discrimination institutionnelle  : les institutions elles-mêmes, de par leur


construction historiquement basée sur la binarité de genre, discriminent les individus
ne rentrant pas dans les catégories bipolaires et cisgenres Homme et Femme
(Exemple  : les formulaires demandant le sexe et se limitant aux deux catégories
susmentionnées, la séparation des lieux de vie de manière hétérosexuelle et
cisgenre…).

• La stigmatisation  : comme pour les violences et les persécutions, la stigmatisation


peut provenir de tous les milieux (et donc être intériorisée) et découle des
phénomènes décrits précédemment.

36 Psychopathologie De La Sexualité 43

8. Les déterminants de la suicidalité des LGBTQI+

Ilan H. Meyer, un épidémiologiste en psychiatrie, auteur, professeur et chercheur en droit


public et en droit de l’orientation sexuelle américain, a proposé un modèle regroupant et
expliquant les déterminants de ce qu’il appelle le stress des minorités (minority stress).

EXCLUSIONS
SERVICE DE SANTÉ – « ACCÈS CULTUREL » LIMITÉ – ACCEPTABILITÉ ET
POLITIQUE ET RESPECT
LÉGISLATIVE

• Rôles • Rejet • Manque de • Augmentation


de genre familial
contrôle sur du risque de
minoritaires
• Intimidation par l’environnement traumas

• Marginalisés
les pairs
social
• Marginalisation

• Attitudes • Discrimination • Absence de • Abus de


sociales scolaire et dans réponse drogues et
négatives
le lieu de travail
systémique au d’alcool
• Peur du rejet • Violence statut marginal
sexuelle

• Violence
physique

STRESS DES TRAUMA ET DÉPRESSION ET SUICIDALITÉ ET


MINORITÉS VIOLENCE ANXIÉTÉ AUTOMUTILATION

ABUS D’ALCOOL, DE TABAC ET DE DROGUES

Meyer, avec son modèle, a mis en évidence les déterminants des stigmates impactant la
santé des individus appartenant aux minorités. Pour ce faire, il a développé le concept de
«  stress des minorités  » qu’il envisage comme un étant un type de stress tout à fait
spécifique à la population LGBTQI+. D’après Meyer et son schéma, si la société exclut
les individus en n’acceptant pas leur situation, tant d’un point de vue politique que
législatif, cela engendrera le stress si spécifique. Les violences et les traumas, eux,
découlent du coming-out. Elles contiennent entre autres le rejet, même temporaire, par la
famille, les pairs ou au sein de l’emploi ainsi que les violences sexuelles et physiques,
dont celles au sein même de la communauté LGBTQI+. Finalement, d’après Meyer, les
37 Psychopathologie De La Sexualité 43

quatre déterminants et l’usage de drogue s’influencent réciproquement, l’utilisation de


substances licites ou illicites permettant de prendre de la distance avec les facteurs sur
lesquels les individus n’ont pas de prise directement.

9. Les santés des LGBTQI+

A. La santé générale

La santé générale, physique, des individus appartenant à la communauté LGBTQI+ est


influencée à différents niveaux. En effet, de manière générale, on observe un plus grand
risque de cancers chez les individus HSH, FSF et transgenres. Il est constaté que les
hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ont des risques plus accrus de
développer des cancers du foie, des reins et anaux tandis que les FSF sont plus à risque
de présenter des cancers du col de l’utérus ainsi que des polykystoses rénales. En ce qui
concerne les individus transsexuels, ils sont sujets aux mêmes risques associés aux
organes génitaux historiques.

En ce qui concerne les individus HSH, on observe couramment des problèmes musculo-
squelettiques tels que l’arthrose ou les problèmes vertébraux.

Enfin, on peut constater tant pour les personnes HSH que FSF des problèmes liés au
surpoids et aux troubles du comportement alimentaire. Plus précisément, les HSH seront
plus sujets au surpoids et au manque d’activités physiques alors que les FSF auront plus
favorablement recours à la nicotine, et donc au tabagisme, pour réguler le poids.

Les individus intersexes ont une spécificité en plus, il s’agit de la difficulté d’accès aux
soins.

Tous ces problèmes ne sont pas intrinsèquement liés au fait même d’être HSH, FSF,
transgenre ou intersexe. En effet, la plupart de ces troubles proviennent de la difficulté à
accéder à des soins de qualité et à un suivi des soins optimal. De fait, il existe même
dans le milieu de la santé des discriminations envers les individus LGBTQI+, faisant que
ceux-ci sont moins enclins à recourir aux interventions médicales adaptées (Exemple : les
hommes gays en surpoids et recourant à une chirurgie bariatrique ont souvent un moins
bon suivi et sont moins bien encadrés que leurs homologues hétérosexuels). De plus,
tous les individus de la communauté minoritaire font face au même facteur commun : le
stress des minorités. Par celui-ci, ils anticipent le rejet et la mauvaise qualité de dépistage
et ne vont donc pas mettre en place des comportements de soin adéquats.

B. La santé sexuelle

L’ISP10, en 2018, a déterminé que 50 % des nouveaux diagnostics d’infection au VIH en
Belgique et pour lesquels le mode de contamination est connu sont attribuables à un
contact HSH. Si cela semble élevé, il faut toutefois nuancer le chiffre. Dans un premier
lieu, ce type de contamination est grandement en baisse depuis 2012. Ensuite, il occulte
le fait que les FSF, de par les images collectivement dessinées, sont surexposées aux IST,
dont le VIH, entre autres à cause du manque de dépistage qui leur est proposé et par la
mauvaise intervention à leur égard (ces éléments découlent de l’hyposexualité supposée
des lesbiennes qui est communément admise).

Un autre problème de santé sexuelle est la difficulté de recourir aux IVG pour les individus
trans et pour les FSF.

10 Cet acronyme désigne l’Institut scientifique de santé publique appelé aujourd’hui Sciensano.
38 Psychopathologie De La Sexualité 43

On peut également pointer le grand taux de violences sexuelles qu’encourent les FSF,
mais surtout les personnes transgenres.

Enfin, la parentalité des personnes homosexuelles et lesbiennes est un sujet qui est trop
peu abordé alors que ces individus souffrent de sérieuses discriminations à ce sujet.

On peut également citer le fait que les consultations médicales atteignent régulièrement
deux extrêmes : elles sont soit trop indifférenciées, soit pas assez. Dans le cas où elles
sont trop indifférenciées, le praticien traite l’individu LGBTQI+ exactement de la même
manière qu’il traiterait un individu hétérosexuel et cisgenre, c’est-à-dire sans prendre en
compte les spécificités de la personne qu’il a en face de soi, spécificités qui existent, bien
évidemment. Dans le second cas, il effectue une surparticularisation des différences et
fait donc l’impasse sur certains points tout de même essentiels et qui concernent
également l’individu LGBTQI+.

C. La santé mentale

I. Les éléments dégradant la santé mentale des LGBTQI+

Un premier élément que l’on peut pointer est le surinvestissement de la consommation de


psychotropes par rapport à la population générale. À nouveau, on peut faire ressortir
quelques statistiques  : les HSH consomment préférentiellement du tabac, de l’alcool et
du cannabis, 20  % des HSH consomment également des drogues illicites (dites dures)
alors que seuls 10 % de la population générale en consommerait, les FSF sont trois fois
plus à risques de souffrir d’alcoolisme et de tabagisme, le chemsex a tendance à se
développer et particulièrement dans les milieux HSH, les individus bisexuels peuvent
présenter un alcoolisme fortement développé du fait de leur fragilisation accrue découlant
de leur rejet des autres catégories existantes par les autres et les femmes sont plus à
même de consommer des antidépresseurs.

On observe également des risques de suicides particulièrement élevés chez les jeunes
LGBT avec une règle du cumul : cela concerne 22 % des individus LGB tandis que 43 %
des personnes trans sont concernés.

Aussi, on peut pointer les réactions traumatiques faisant suite aux événements stresseurs
et notamment au stress des minorités. On peut, de ce fait, pointer les phénomènes de
sensibilisation11 et d’habituation12 à l’œuvre  : le fait d’être soumis à des stresseurs
particuliers, pour les LGBTQI+, leur permet d’être plus résilient face à ces stresses d’une
part (le phénomène d’habituation), mais également de devenir plus fragilisé et donc
d’avoir plus de risques de craquer d’une autre part (le phénomène de sensibilisation).

Enfin, on peut noter qu’il existe une différence de genre en ce qui concerne l’impact de la
transition médicale et sociale sur la santé mentale pour les individus transgenres. En effet,
la transition est «  meilleure  », dans le sens où elle est plus aisée, pour les individus
féminins devenant masculins, notamment parce que, dans nos sociétés, les hommes
sont plus valorisés que les femmes (voir l’article d’E. Beaubatie).


11 Cet effet désigne le fait de devenir de plus en plus sensible aux éléments. Ainsi, il sera possible de
provoquer la même réaction avec une dose moins élevée d’un élément si la sensibilisation a eu lieu.
12 À l’origine, cela désigne le fait que le corps s’habitue à recevoir un élément et que, à terme, il faille
davantage de cet élément pour provoquer le même effet (Exemple : s’habituer à la drogue signifie qu’il faut
plus de substances pour provoquer le même effet qu’au début).
39 Psychopathologie De La Sexualité 43

II. La théorie du stress de la communauté gay

Cette théorie complète la théorie du stress des minorités développée par Meyer. Bien
qu’elle se focalise sur la communauté gay, il est possible de l’extrapoler aux autres
communautés minoritaires. Selon cette nouvelle théorie, il y a eu des négligences au sein
de la recherche sur l’impact des communautés elles-mêmes sur les préoccupations de
santé. Ainsi, elle propose que la société ne soit pas le seul élément ayant des
répercussions sur la santé des individus LGBTQI+ et que la restructuration sociale au sein
de ces communautés ait également des influences.

Aussi, elle propose que le stress que ressentent les hommes gays et bisexuels ressentent
en rapport avec les préoccupations en matière de sexe, de statut, de compétition et de
racisme est associé à une santé mentale compromise. Ce stress est également alimenté
par un idéal. De fait, dans le milieu gay, il existe des normes et des valeurs décrivant un
idéal de soi, de l’homosexualité, inatteignable (Exemple  : être un surhomme, être ultra-
masculin, avoir un statut économique élevé). Ces éléments sont ainsi des critères de
sélection au sein de la communauté, mais ils ont tendance à impacter négativement la
santé mentale des individus, notamment car ils effectuent constamment des
comparaisons ascendantes avec autrui. L’avènement des applications géolocalisées de
rencontres a rendu possible la sélection de l’homme attendu et donc de l’homme prescrit
et recevable. En d’autres termes, elles ont accentué la définition de l’idéal à atteindre et
ont également renforcé l’effet de sélection et de quantification des corps légitimés dans
l’ordre social (Exemple  : un individu ne correspondant pas aux critères admis aura de
moins en moins de chances de se faire admettre par sa communauté alors qu’il y
appartient). Finalement, cette théorie explique pourquoi et comment le stress au sein des
sous-catégories minoritaires est très fort, notamment en ce qui concerne la manière
d’exister en tant qu’homosexuel.

10.L’intersectionnalité

Comme on l’a déjà décrit, ce champ de recherche récent propose d’étudier les
phénomènes sociaux à leur intersection tout en précisant que la règle du cumul n’est pas
correcte pour réfléchir à la logique des rapports sociaux (et notamment de la
discrimination). En effet, l’intersection des diverses sphères comme le statut légal, le
statut socio-économique, l’origine, le genre, l’âge, le lieu de résidence, l’attirance sexuelle
et encore bien d’autres éléments produit des réalités spécifiques pour chaque individu,
réalité cependant différente de la somme des éléments la composant. Ainsi, de manière
similaire à l’holisme, on peut dire que le tout est supérieur à la somme des parties, ce qui
signifie qu’on ne peut pas expliquer les discriminations vécues par une femme noire
lesbienne, par exemple, par le fait qu’elle soit une femme, et noire, et lesbienne  ; c’est
bien l’ensemble, le tout pris dans sa globalité, qui est sujet à une forme de discrimination
particulière.

11.Les freins et les pratiques problématiques

On observe dans la pratique clinique quelques freins et problèmes lorsqu’il s’agit


d’aborder le sujet de la sexualité, et plus précisément quand celle-ci concerne un individu
de la communauté LGBTQI+. D’une part, on peut observe une certain malaise, un
inconfort général des professionnels à aborder le genre et les sexualités. Aussi, si le sujet
est abordé, il y a régulièrement un malaise dans l’usage du langage et des terminologies
qui présupposent l’hétérosexualité de l’individu (ce qui renvoie au concept
d’hétéronormativité, voir p.34). Ainsi, il est recommandé d’essayer de sonner «  le plus
40 Psychopathologie De La Sexualité 43

ouvert  » possible, de montrer qu’on est prêt à accepter cet élément, notamment en
laissant l’individu la possibilité d’utiliser son propre langage et les termes qu’il préfère. On
observe également des comportements discriminatoires à l’encontre des individus de par
les cliniciens et une tentative d’expliquer l’étiologie de l’homosexualité (ou d’une autre
appartenance à une minorité) alors que le patient ne vit pas la chose comme étant
problématique.

Il est possible également que les cliniciens, sûrement dans un souci de bien faire, luttent
pour rester le plus neutre possible, mais en passant outre les spécificités de l’individu
qu’il accueille. Aussi, il n’est pas rare que les documentations et informations de santé
ainsi que les protocoles soient inadéquats, tout comme la continuité des soins qui n’est
pas toujours assurée. Finalement, on observe un manque général de formation et de
connaissances des réalités de vie et des besoins des individus LGBTQI+.

41 Psychopathologie De La Sexualité 43

Annexes

Rubin, G. The sex hierarchy: the charmed circle vs the outer limits.

42 Psychopathologie De La Sexualité 43

Rubin, G. The sex hierarchy: the struggle over where to draw the line.

Gagnon, 2008, 59.

43 Psychopathologie De La Sexualité 43

Le modèle de Meyer.

Vous aimerez peut-être aussi