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Introduction
Il a toujours été beaucoup question de miracles dans le christianisme, particulièrement dans
l’Eglise catholique. Cela ne signifie pas pour autant que ceux-ci aient toujours été les
bienvenus. Le paradoxe est qu’alors que des miracles doivent être sérieusement attestés
pour une béatification ou une canonisation, l’institution ecclésiale est beaucoup moins à
l’aise lorsqu’il est question d’une personne vivante qui réalise des miracles. De même pèse-
t-il parfois un soupçon sur certaines manifestations extraordinaires dans le cadre de ce qu’on
appelle la « religiosité populaire » (apparitions, visions) ou dans celui de la mystique. On sait
de quelle façon ont été suspectés de leur vivant de grands mystiques comme Sainte
Thérèse d’Avila ou Saint Jean de la Croix. L’émotion a toujours été passée au crible de la
raison, souvent avec suspicion.
A partir de l’époque des Lumières, les miracles ont été de plus en plus soupçonnés
au nom des exigences de la rationalité moderne, aussi bien ceux des saints que ceux
présentés dans les Evangiles. Jusqu’il y a une trentaine d’années, bien des croyants instruits
affirmaient croire malgré les miracles, plutôt qu’à cause de ceux-ci. Ils les dérangeaient dans
leur conception de Dieu et de son rapport aux lois de la nature. Les miracles étaient relégués
dans le domaine de l’irrationnel ou de la naïveté populaire. Or, de nos jours, il semble que
ceux-ci posent de moins en moins question dans certains milieux chrétiens, toutes
confessions confondues. Il est normal qu’il y ait eu des miracles et qu’il y en ait toujours. Ils
sont reconnus par un nombre croissant de chrétiens comme la preuve que Dieu est toujours
à l’œuvre, jusque dans le cours des événements quotidiens.
Mais quand on parle de miracle, que désigne-t-on ? Dans le langage courant, on
considère que le miracle est un « fait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention
divine bienveillante auquel on confère une signification spirituelle » (Le Petit Robert, 1985). Il
y a, d’une part, un fait extraordinaire, et d’autre part, son interprétation spirituelle. Ce qui
autorise à parler de miracle, c’est moins le caractère extraordinaire de l’événement que
l’explication spirituelle qu’on lui donne… C’est ici que tout se joue. En effet, encore faut-il que
le fait soit bien reconnu comme extraordinaire… Reconnu par qui ? Extraordinaire par
rapport à quoi ? Par rapport à ce qui est considéré comme normal, habituel. Or, nous savons
que c’est la culture qui définit la norme. Ce qui peut être considéré comme a-normal ou
extra-ordinaire, d’origine divine ou surnaturelle même, dans telle culture, peut être interprété
comme un phénomène tout à fait naturel ou normal, explicable selon les conventions
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 2
habituelles, la vision du monde ou les connaissances scientifiques dans une autre. Cette
question relève donc autant de l’épistémologie que de l’herméneutique. Le débat sur le
miracle est un débat sur la normativité religieuse ou culturelle. Si la définition du miracle a
été étudiée de façon rigoureuse de la part de la hiérarchie catholique, c’est pour des raisons
ecclésiales, religieuses et sociales évidentes. Il existe aussi des enjeux économiques et
politiques (enjeux internes de pouvoir). D’un point de vue économique, pour ne parler que du
succès des lieux de pèlerinage, les retombées sont évidentes. A Toulouse, on se souvient
des concurrences médiévales entre sanctuaires tout au long des chemins de Saint-Jacques
à propos de l’efficacité des reliques miraculeuses, sources de profits lucratifs et de prestige.
Quant aux enjeux politiques, outre ceux qui sont liés aux enjeux économiques, ils concernent
la responsabilité du maintien de l’orthodoxie et de l’ordre ecclésial. Les Eglises veillent à ce
que leur corpus de croyances soit rigoureusement transmis, et qu’on ne confonde pas saine
piété chrétienne et manifestation sauvage d’enthousiasme populaire, selon elles1.
Tant qu’on reste dans le contexte des grands sanctuaires, les enjeux semblent
relativement circonscrits. Or, de nos jours, il est question d’une multiplication de miracles
dans les Eglises pentecôtistes et dans leur version récente, le Renouveau charismatique
catholique. La question se pose donc à une échelle de plus en plus large, puisque le
mouvement est mondial. Il est complexe, puisque des guérisons miraculeuses se
produiraient dans des groupes informels, difficiles à circonscrire. En effet, certains groupes
de prière se réunissent en marge (mais pas forcément en opposition) des structures
ecclésiales habituelles.
Cette remontée progressive de la croyance dans les miracles est à relier avec
l’évolution contemporaine de la conception de la santé et de la maladie dans les sociétés
occidentales et au déploiement de nouvelles demandes thérapeutiques qui s’accompagnent
de plus en plus d’une recherche spirituelle (Psychologie Magazine, 1999). En outre, les
Eglises chrétiennes se voient ainsi provoquées à approfondir le lien entre salut et santé dans
leurs propres traditions. Les fidèles leur demandent : pourquoi les Eglises ne guériraient-
elles pas aujourd’hui alors que le Christ le faisait dans le passé et a explicitement transmis
ce pouvoir à ces disciples?
Je traiterai ici des miracles de guérison en m’efforçant de fournir quelques repères
sur l’évolution religieuse de leur interprétation au siècle dernier. Tout d’abord, quel sens est
donné aux miracles par la tradition biblique ? Ensuite, qu’en est-il de l’évolution de la
conception de la guérison miraculeuse à Lourdes ? Enfin, comment les guérisons sont-elles
1
Aujourd’hui encore, il existe de réelles tensions à ce sujet, par exemple, quant la reconnaissance de ce qui est
considéré par un grand nombre de catholiques comme les apparitions successives et les messages de la Vierge
Marie à Medjugorje (ex-Yougoslavie). La tension est grande entre les inconditionnels de « la base » (où l’on
rencontre des religieux et des membres du clergé) et les garants de l’orthodoxie que sont les évêques. Il s’agit
donc, pour les autorités ecclésiastiques légitimes, non seulement de maintenir l’authenticité du « dépôt de la foi »
et de sa transmission mais aussi de contrôler les interprétations d’événements extraordinaires.
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 3
1. La tradition biblique.
Il est utile de rappeler tout d’abord l’étymologie du mot « miracle ». Il vient du verbe
latin « mirari », s’étonner. Le premier sens du mot « miraculum » est : « ce qui provoque
l’étonnement, l’admiration ». Or, dans la Bible, nous verrons que ce qui provoque
l’étonnement, ce n’est pas le fait qu’il existe des phénomènes inexplicables par les sciences
de l’époque, et ce, même si cet élément joue lors de certains événements (comme le
passage de la mer Rouge, dans le livre de l’Exode).
1.1. Dans le Premier Testament.
Pour l’homme biblique, puisque Dieu crée sans cesse, tout est source d’émerveillement, tout
est « miracle ». Certains événements sont perçus comme des signes forts, dans certains
contextes, non parce qu’ils sont extraordinaires, mais parce qu’ils sont lourds de sens pour le
croyant. Ils rappellent la présence salutaire de Dieu parmi son peuple. Pour Rabbi Eléazar
(IIIè siècle) : « Donner à l’homme son pain quotidien est un prodige aussi grand que de
séparer les eaux de la mer Rouge2. » C’est pourquoi, ce qui intéresse les anciens, ce n’est
pas la question de savoir si les miracles existent, mais le sens qu’ils portent. La référence
privilégiée du Premier Testament est la libération d’Egypte. Celle-ci représente le paradigme
de l’action salvifique de Dieu dans l’histoire du peuple élu. Il est bien le Dieu fidèle à son
alliance avec l’homme. Les grands signes sont la traversée de la mer Rouge, la manne, l’eau
qui jaillit du rocher, la colonne de nuée, etc. (cf. aussi le cycle d’Elie).
Par ailleurs, les juifs n’opèrent pas la distinction entre miracle de guérison et
exorcisme. Pour ceux-ci, il existe des puissances démoniaques qui sont des créatures, des
puissances subordonnées qui ont reçu un pouvoir limité pour « mettre l’homme à
l’épreuve ». Le mal est personnalisé par des agents auxiliaires : esprits, démons, même si
on connaît des causes physiques des maladies et toute une pharmacopée. Cette
démonologie permet d’évacuer toute responsabilité de Dieu à propos de l’origine du mal. Le
lien est évident entre maladie et péché, entre les effets physiques et la cause psychique
d’une maladie qui trouve son origine dans une rupture de relation avec soi-même, avec
l’autre, avec Dieu. Dans la Bible, le péché a engendré la maladie et la mort 3.
En outre, les juifs ne distinguent pas non plus les miracles qui concernent les êtres
humains (les guérisons)4 de ceux qui affectent la nature (la traversée de la mer Rouge). Il
2
Midrash Tehillim, (Psaumes), cité dans Cahiers Evangile, 66, p.11.
3
Exode 9,1-12 ; Psaume 38,2-6 ; Ezéchiel 18,20 ; 1 Corinthiens 11,30.
4
Dans la religion d’Israël, Yahvé est souvent présenté comme le « guérisseur», ainsi que le montrent de
nombreuses intercessions dans les psaumes.
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 4
protestantes et parce qu’il a pris une grande diversité de visages aujourd’hui dans le cadre
de l’Eglise catholique, dont il est question ici. En effet, en plus d’un grand nombre de
groupes de prière qui réunissent la majorité des « charismatiques », il existe un certain
nombre de communautés nouvelles, nées de ce renouveau. L’expression « renouveau
charismatique » provient de l’insistance apportée par ce « mouvement » spirituel sur
l’actualité des charismes6 tels qu’ils ont été répandus sur les apôtres à la Pentecôte et
particulièrement durant les débuts de l’Eglise7.
Le Renouveau charismatique est né dans la mouvance du pentecôtisme. Celui-ci
s’est développé en marge des Églises issues de la Réforme protestante à la fin du XIX è
siècle aux Etats-Unis. Il représente une manière particulière de vivre et d’exprimer sa foi.
L’accent est mis sur la présence de l’Esprit-Saint qui, comme au temps de la primitive
Église, agit dans le cœur des croyants, grâce aux charismes spirituels.8.
Le Néo-pentecôtisme apparaît lorsque des chrétiens d’autres confessions font la
même expérience. C’est le cas aux Etats-Unis, à partir de 1956, au sein de l’Eglise
épiscopalienne de Californie, ainsi que parmi des luthériens et des presbytériens. Le
Renouveau charismatique catholique naît en 1967, à la suite d’une expérience vécue par
des catholiques à l’université de Duquesnes (Pittsburg, Californie) (cf. K. et D. Ranaghan,
(1972) et R. Laurentin, (1974).. Notons que dès la naissance du Renouveau, des guérisons
physiques et intérieures « abondantes » sont proclamées par les membres des groupes de
prière (K. et D. Ranaghan , (1972), p.135, M. Scanlan, (1975).).
Le Renouveau se répand rapidement dans le monde entier. En 1973, lors de la
rencontre de Grotaferrata (Italie), trente-quatre nationalités sont représentées. En 1975, à
Rome, ils sont dix mille charismatiques, de cinquante pays, reconnus et encouragés par Paul
VI9. En 1978, à Dublin, des délégations de soixante pays sont présentes à Rome; en 1981,
quatre-vingt quatorze pays. Depuis lors, le Renouveau se répand sur tous les continents.
Depuis 1968, soixante millions de catholiques auraient été touchés. La moitié serait des
membres réguliers de groupes de prière. Le mouvement est coordonné sur le plan
6
Dans la tradition de l’Eglise, un charisme, comme son nom l’indique (de charis, grâce, don, en grec), est un don
gratuit fait à la communauté, pour son édification et pour sa mission. Dans un charisme, il y a toujours un appel et
un envoi. Celui qui le reçoit n’en est pas le propriétaire et ne peut l’exercer que pendant la période où la
communauté en a besoin. D’où l’importance de son discernement par la communauté et de la vérification du lien
entre le charisme, l’appel et le service, en communion avec l’ensemble de l’Eglise. On perçoit donc le lien entre
charisme et ministère. (Cf. Charles Perrot, (1986) p. 281-295).
7
24 charismes sont recensés dans le Nouveau Testament. Les quatre listes qui mentionnent le mot charisme
sont 1 Corinthiens 12,4-10.28-31; Romains 12,6-8; 1 Pierre 4,10. Quatre autres listes ne mentionnent pas ce
terme : 1 Corinthiens 14,6.13, 14,26; Ephésiens 4,11 et Marc 16,17-18. Les charismes les plus souvent
mentionnés sont les charismes de louange, de sagesse, d’enseignement, de compassion. Ils en existent qui sont
plus discutés comme ceux de la prière ou du chant en langue (glossolalie, d’interprétation, de science ou de
connaissance, de prophétie). Cf. B.V. Aufauvre, G. Constant, E. Garin, (1988).
8
Selon Harvey Cox (1994, p.50 s.), les noirs d’Amérique du Nord ont joué un rôle essentiel dans la naissance et
la diffusion du Pentecôtisme aux Etats-Unis.
9
Lors de cette rencontre, Paul VI déclara que le Renouveau charismatique était « une chance pour l’Eglise », ce
qui était loin d’être évident pour une grande partie du clergé catholique. Documentation Catholique, 1678, (1975),
p. 564.
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 8
international (coordination par l’ICCRS à Rome 10), national et, souvent, régional. L’accent est
mis sur le service de communion à tous ses niveaux. En 1992, il était question de vingt-cinq
millions de charismatiques dans le monde11.
Le courant est apparu en 1971 en France, principalement dans le cadre
d’aumôneries d’étudiants et dans des maisons de prière comme celle de Troussures. Il eut,
assez vite, une dimension fortement œcuménique ( Cf. B. Peyrous et H. M. Catta, (1999),
p.92). C’était le lendemain des retombées de mai 1968, marquées par des désillusions et
des aspirations à un autre changement. On signale actuellement mille groupes de prière en
France, avec environ vingt-huit mille participants. Certaines statistiques parlent de deux
cents mille personnes en relation avec ce courant12.
Une expérience fondatrice marque le renouveau charismatique, il s’agit de l’effusion
de l’Esprit. Celle-ci s’inscrit souvent dans le mouvement d’une quête spirituelle, d’un
itinéraire de foi ou de recherche de sens. Elle est accompagnée de la conviction de la
présence de l’Esprit Saint, comme une force qui vient d’en haut et est à l’œuvre dans le
cœur de la personne. Cette expérience – qui peut être vécue comme bouleversante - peut
être accompagnée de « manifestations charismatiques » comme le don des langues, le
repos dans l’Esprit, des charismes de prophétie, de science, de guérison,…13
Dans ce contexte, l’usage des prières de guérison repose sur une approche de la
santé qui a des points communs avec celle de certains nouveaux mouvements religieux ou
thérapeutiques14. (Il faut souligner que le Renouveau est né aux Etats-Unis à la même
époque et dans le même milieu socio-culturel qu’un certain nombre de nouveaux
mouvements religieux assimilés ultérieurement au Nouvel-Age). Il s’agit d’une approche
intégrale qui considère que la maladie, même physique, ne s’explique pas seulement par
une étiologie de type biomédical. Sans aller jusqu’à se référer à l’énergie cosmique ou à des
états modifiés de conscience, le Renouveau considère que la maladie peut avoir de
10
International Catholic Charismatic Renewal Service. Il s’agit moins d’une coordination que d’un service en vue
d’aider à la formation dans les pays du Tiers-Monde, de favoriser la communion et un partage d’expériences,
d’organiser des grands rassemblements. Ce service est également en contact avec les instances charismatiques
d’autres confessions.
11
Actualité Religieuse dans le Monde, 102, juillet-août 1998, p. 25..
12
Selon le Secrétariat de l’Épiscopat et des chercheurs du CNRS, en 1994. Tous ces chiffres ne représentent
que des estimations difficilement contrôlables car les membres des groupes sont mouvants. Pour une étude plus
approfondie de son évolution, consulter J. Séguy, (1979), 187-212) ; M. Cohen, (1986), 261-279 et (1986), 61-
79.
13
F. Sullivan, théologien catholique, décrit l’effusion comme « une expérience religieuse qui introduit quelqu’un à
un sens décisivement nouveau de la présence toute puissance de Dieu et de son action dans sa vie, cette action
impliquant habituellement un ou plusieurs dons charismatiques ». L’affirmation par le Concile Vatican II de
l’actualité des charismes spirituels a été décisive pour que ce courant n’apparaisse pas comme une forme de
« dissidence pentecôtiste » dans l’Eglise catholique
14
Cependant, certains de ces nouveaux mouvements religieux sont sous-tendus par une anthropologie et une
cosmologie spécifiques, de type énergétique (cf. le tantrisme) souvent peu compatibles avec celles du
christianisme et largement tributaires des religions orientales et de certaines pratiques psycho-spirituelles.
Certains visent à créer des états limites (en psychologie transpersonnelle, par exemple). L’accent est mis ici sur
une approche « holistique », souvent dans un sens ésotérique. Consulter F. Champion et D. Hervieu-Léger (dir.),
(1990) et J.-P. Sauzet, (1994).
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 9
de sa vie n’est pas systématiquement le résultat d’une prière de guérison. Il peut s’agir d’une
démarche d’accompagnement spirituel. Pour d’autres, la guérison des souvenirs jouera un
rôle important18. Certaines communautés proposent des démarches de couples et des
formations pour professionnels de santé.
Le Renouveau met l’accent sur le fait que tout homme est un être blessé, par lui-
même, par les autres, par les puissances du mal. Il vise la guérison intérieure, la guérison
psychologique et la guérison physique19. Souvent, ces guérisons sont liées entre elles. Le
succès du Renouveau s’explique en partie par l’évolution des demandes contemporaines en
matière de spiritualité et de santé ainsi que par la déception à l’égard d’une présentation plus
classique du christianisme. Qu’il le veuille ou non, il est obligé de se situer par rapport au
« super-marché » des nouvelles propositions auquel il peut être assimilé de l’extérieur.
Certains responsables reçoivent aujourd’hui une formation professionnelle, spirituelle et
théologique sérieuse à l’accompagnement.
Conclusion
18
J.M. Hennaux (1997) 65-84 et P. Madre, (1984).
19
Elles concernent aussi bien des maladies organiques que des pathologies d’origine psychosomatique. A
chaque type de demande peut correspondre une approche spécifique. Les exorcismes ne sont pas pratiqués,
mais bien des « prières de délivrance » lorsqu’une personne est considérée comme liée par Satan. Le sacrement
de la réconciliation est souvent associé à la prière de guérison, quand c’est possible. A propos du discernement
en Afrique, consulter M. Hebga, (1982).
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 11
question de contradiction avec les lois de la nature pour reconnaître qu’il y a eu guérison
extraordinaire, même si l’existence d’énigmes scientifiques est toujours reconnue possible
par les praticiens eux-mêmes ( A. Triffaud, 1993). Il suffit qu’elle soit actuellement
inexplicable et vécue comme une expérience spirituelle forte. Par ailleurs, l’Eglise considère
qu’il peut y avoir de réelles grâces de guérison, source de l’émerveillement du fidèle
(« miraculum »), sans qu’il soit nécessaire de proclamer un miracle. On l’a vu à propos du
Bureau médical de Lourdes. Cette évolution rejoint la position du Renouveau charismatique.
Des guérisons, de quelque ordre que ce soit, obtenues par la prière, au sein d’un groupe de
prière charismatique, sont considérées comme un signe fort du salut de Dieu à l’œuvre
aujourd’hui. Elles ne nécessitent pas obligatoirement une vérification d’un point de vue
médical, d’après les membres. Ce qui est souligné, c’est ce qu’a vécu la personne guérie et
ce qui a été discerné et interprété comme une expérience spirituelle par les responsables du
groupe. Le Renouveau charismatique est donc exposé à la tentation d’un retour à
l’enchantement et au merveilleux, dans un contexte culturel et religieux où la demande est
forte (surtout en Amérique latine et en Afrique, mais pas uniquement).
Il apparaît donc qu’aujourd’hui le critère normatif déterminant n’est plus purement
scientifique mais théologique. Il renvoie à l’authenticité de l’expérience spirituelle du
bénéficiaire de la guérison et de sa communauté 20. Il s’ensuit que, si l’institution a repris du
pouvoir par rapport à la gestion médicale des miracles à Lourdes, elle a beaucoup plus de
mal à gérer les interprétations plus ou moins miraculeuses de certains groupes de prière
charismatiques21.
Enfin, dans le cadre de cette évolution, les Eglises chrétiennes s’efforcent d’offrir de
nouvelles réponses à la quête spirituelle et religieuse de certains de nos contemporains.
Dans cette quête, des demandes religieuses sont adressées aux praticiens de la santé et
des demandes thérapeutiques aux accompagnateurs spirituels ou aux groupes de prière.
Les frontières sont de moins en moins précises entre les deux domaines Or, dans
l’adaptation à de nouvelles demandes, il s’avère que celles-ci non seulement ne sont pas
en rupture avec la conception traditionnelle des guérisons miraculeuses mais au contraire
renouent avec l’interprétation biblique du miracle considérée comme la plus authentique qui
avait été mise en veilleuse pour ne pas prêter le flanc aux attaques des rationalistes et des
positivistes. Dans ce sens, elles rejoignent nombre d’approches contemporaines, et parfois
parallèles, de la maladie et de la guérison, marquée par une conception de l’homme de type
holistique22.
20
Pour le gestion des conséquences de la guérison et de la non-guérison, cf. B. Ugeux, (2000), p. 146.
21
Des membres du clergé semblent craindre - plus ou moins consciemment - une forme de « protestantisation »
douce de l’Eglise catholique (de type pentecôtiste) à la suite de l’autonomisation de ces groupes et de leur
gestion du miracle ou du merveilleux.
22
Dans le sens de « globalisant », intégral, et non dans celui, d’inspiration ésotérique, qui repose sur un jeu de
correspondances entre microcosme et macrocosme, comme dans le tantrisme ou dans l’Anthroposophie de
L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. 12
Bernard UGEUX,
Professeur aux Instituts de Science et de Théologie des Religions de Toulouse et de Paris.
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