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UNIVERSITE DE BORDEAUX

NOVEMBRE 2018

J URISPRUDENCE
A DMINISTRATIVE
B ORDELAISE

SOMMAIRE

NUMÉRO 1

P.2 Editorial

P.3-7 La responsabilité du comptable public face au paiement d’une subven-


tion supérieure à 23 000 €, note sous CRC Nouvelle-Aquitaine, 15 mars 2018, Com-
mune de Chancelade, n° 2018-0004 par Florent GAULLIER

P.8–12 Mesure d’ordre intérieur et fonction publique, nouvelles d’un couple


infatigable, note sous CAA Bordeaux, 18 janvier 2018, Mme A. c/La Poste, req. n°
16BX03782 par Mattéo BARTOLUCCI
« COUP DE
POING SUR P.13-18 Contenu de l’avis médical du collège d’experts de l’OFII et garanties de

L’ACTUALITÉ l’étranger malade, note sous TA Bordeaux, 9 mai 2018, M. Caushdelo, n°1800719 par
Aurore JULIEN
JURIDIQUE
LOCALE » P.19-24 La diffusion d’une décision administrative sur un site internet et l’en-
clenchement du délai de recours contentieux, note sous CAA, Bordeaux, 20 mars 2018,
Madame S., n°16BX00203 par Vyctor MEURVILLE-BOSSUAT

P.25–32 L’indemnisation de l’occupant du domaine public induit en erreur sur


l’emplacement de son installation, note sous CAA Bordeaux, 5 février 2018, Société
Château Lilian Ladouys c/ Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB), n°16BX02018 et
n°16BX04268 par Clothilde LE GUAY

P.33–37 Le rapport entre la suffisance de l’étude d’impact et la légalité de la


décision d’autorisation d’exploiter un parc éolien, note sous CAA de Bordeaux, 13 juillet
2017, Ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, SNC MSE Le Vieux Moulin
c/ Association « Vent Funeste », n° 16BX02278 et 16BX02279 par Eviantha GKOUMA
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EDITORIAL

L’idée de créer le JAB est le fruit d’une réflexion, puis de l’action, d’une poignée de
jeunes chercheurs associés à l’Institut Léon Duguit1. Plusieurs souhaits président à cette entre-
prise.

En premier lieu, existe l’ambition de combler un angle mort de la littérature juridique.


Bien rares sont les productions mettant en exergue tel ou tel jugement des juridictions du fond.
Pourtant, ce vivier jurisprudentiel est une avant-première de toutes les questions juridiques
majeures qui se poseront par la suite à l’échelon national. Le temps où le Conseil d’Etat faisait
seul le droit administratif est révolu, la décision Blanco de 1873 serait, si elle avait été rendue
aujourd’hui, passée dans les prétoires du Tribunal administratif puis de la Cour administrative
d’appel de Bordeaux. Par conséquent, des efforts seront faits pour porter un éclairage sur ces
deux juridictions, mais aussi sur la Chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine, qui
constitueront à elles trois l’objet de nos études.

En second lieu, il y a une volonté forte de se fédérer autour d’un projet collectif. L’esprit
avec lequel le concept a été pensé, c’est celui d’un cœur de doctorants, essentiellement de
l’Institut Léon Duguit, mais fondamentalement ouvert à tous. Le JAB entend accueillir toutes les
personnes désireuses d’écrire à propos de la jurisprudence bordelaise ; qu’ils soient étudiants
ou professeurs, universitaires ou praticiens, de l’Université de Bordeaux ou d’ailleurs. L’objectif
est ainsi, par le biais d’une production scientifique, de développer des liens et de tisser des
filiations aussi bien avec les juridictions administratives bordelaises qu’avec l’ensemble des
juristes ayant un intérêt pour le projet.

Pour mettre en œuvre et concrétiser ces aspirations, le JAB a choisi la forme du com-
mentaire d’arrêt. Cet exercice est une tradition du droit administratif, et il nous semble qu’elle
doit se perpétuer. Loin d’être une simple reformulation de ce que dit le juge, le commentaire
offre un contexte propice à la réflexion juridique, dans une double perspective pédagogique et
critique. Chaque numéro devrait contenir une sélection de cinq ou six jurisprudences présen-
tant un intérêt particulier, auxquelles correspondront autant d’avis d’auteurs. Aussi, afin de
privilégier la qualité à la quantité, le dossier pourrait paraître au travers de deux numéros par
an. Pour finir cette brève présentation, nous revendiquons fort volontiers que la démarche envi-
sagée s’inscrit dans un mouvement de fond. ALYODA à Lyon, le JDA à Toulouse, le JADE à Bor-
deaux, ou la RDA à ASSAS et bien d’autres sont tous des revues, plus largement des collectifs,
ayant en commun cet alliage de la jeunesse et de l’expérience, ancré dans un territoire local.
Or, c’est bien dans ce cadre que souhaite s'esquisser notre ipséité.

Bonne lecture !

1 Et pas seulement. A dire vrai, il faut vivement remercier la gestionnaire de l’Institut Léon Duguit, Virgnie, pour son
aide précieuse dans la mise en œuvre matérielle du JAB.

Mattéo BARTOLUCCI et Florent GAULLIER


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LA RESPONSABILITÉ DU COMPTABLE PUBLIC FACE AU PAIEMENT D’UNE SUBVENTION SUPÉRIEURE À 23 000 €


Note sous CRC Nouvelle-Aquitaine, 15 mars 2018, Commune de Chancelade, n° 2018-0004
Florent GAULLIER

Résumé :

Dans ce jugement la Chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine oblige le comptable public de
la commune de Chancelade à s’acquitter d’une amende de 351 € pour avoir payé une subvention au comité des
fêtes sans disposer d’une des pièces justificatives exigées pour le type de dépense en cause. La solution du juge
des comptes est ici empreinte d’un classicisme certain, elle donne néanmoins l’occasion de revenir sur les points
les plus saillants de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public.

EXTRAITS

[…] causé de préjudice financier à l’organisme public concerné,


Attendu que, par ses conclusions, le procureur financier, fait le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme
valoir que dès lors que le montant total attribué nécessitait arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des cir-
la production d’une convention entre le bénéficiaire et la constances de l’espèce »; que le décret du 10 décembre
collectivité, le comptable devait obtenir de l’ordonnateur la 2012 susvisé, fixe le montant maximal de cette somme à un
production d’une convention comme exigée par la réglemen- millième et demi du montant du cautionnement prévu pour
tation applicable ; qu’en s’abstenant, en l’absence de cette le poste comptable ;
pièce, de suspendre les paiements, le comptable a manqué Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le
à ses obligations de contrôle et a pris en charge, à tort, les poste comptable considéré pour l’exercice 2013 est fixé à
mandats en cause ; 234 000 € ; qu’ainsi le montant maximum de la somme
Attendu que, les délibérations du conseil municipal de la susceptible d’être mise à la charge de M. Paul X... s’élève à
commune de Chancelade du 8 avril 2013 ainsi que celle du 351 € ;
16 septembre 2013, produites à l’appui des mandats de Attendu que, eu égard aux circonstances de l’espèce, le juge
paiement attestent bien de sa volonté de verser une subven- des comptes peut moduler à la baisse le montant cette
tion de 25 255 € à l’association dite « comité des fêtes de somme ; que durant l’instruction, le comptable n’a pas fait
Chancelade » au titre de l’année 2013 ; qu’en conséquence, état de circonstances permettant d’en justifier la diminu-
l’existence d’un préjudice financier pour la commune de tion ; qu’il y a donc lieu d’obliger M. Paul X..., comptable pu-
Chancelade n’est pas établie ; blic, à s’acquitter d’une somme non-rémissible de 351 € ;
Attendu qu’aux termes des dispositions du deuxième alinéa […]
du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963
susvisée, « lorsque le manquement du comptable […] n’a pas
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NOTE

Le versement des subventions est une des problé- deux délibérations, ni les trois mandats, ne dépassent ce
matiques les plus récurrentes dans les jugements des juri- seuil. Or, la position du juge est ici décisive dans la mesure
dictions financières. La CRC Nouvelle-Aquitaine n’échappe où elle conditionne directement l’existence d’un éventuel
pas à ce constat, bien au contraire : les deux premiers juge- manquement et, in fine, l’engagement de la responsabilité
ments rendus en 2018 par le juge des comptes aquitain le du comptable. Par ailleurs, si la responsabilité du comptable
sont sur la base d’une présomption de charge unique pour est engagée, il reste encore au juge des comptes le soin de
paiement d’une subvention en l’absence de la pièce justifi- déterminer si le manquement en cause a entrainé un préju-
cative exigée (CRC Nouvelle-Aquitaine, 8 janvier 2018, Com- dice financier pour la commune. Là encore cette apprécia-
mune d’Astaffort, n° 2017-0043 ; CRC Nouvelle-Aquitaine, 8 tion est essentielle puisqu’elle définit, depuis la réforme de
janvier 2018, Commune de Layrac, n° 2017-0044). 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectifi-
cative pour 2011. V. not. sur ce point, G. Miller, « Le nouveau
Dans la présente affaire, c’est également une pré-
régime de responsabilité des comptables publics. Une révo-
somption de charge unique qui est soulevée à l’encontre du
lution ? Non, une réforme ! », Gestion & Finances Publiques,
comptable public de la commune de Chancelade pour l’exer-
n° 5/6, 2015, p. 63 ; S. Damarey, « La réforme de la respon-
cice de l’année 2013. Cette présomption de charge porte sur
sabilité du comptable public et ses conséquences jurispru-
le versement d’une subvention au comité des fêtes de la
dentielles », Gestion & Finances Publiques, n° 2, 2016, p.
commune au moyen de trois mandats de 10 000 €, 9 255 €
42 ; H.-M. Crucis, « Les justes milieux. La responsabilité per-
et 6 000 €, pour un montant total de 25 255 €. L’octroi de
sonnelle et pécuniaire des comptables publics », RFFP, n°
cette subvention avait préalablement été décidé par deux
139, 2017, p. 87), le régime de responsabilité applicable.
délibérations du conseil municipal, l’une portant sur 19 255
€ et l’autre sur 6 000 €. Selon le procureur financier, le En l’espèce, le juge des comptes considère classi-

comptable public a ici engagé sa responsabilité en man- quement que le comptable a engagé sa responsabilité en

quant à ses obligations de contrôle de la dépense dans la payant une subvention au-delà du seuil des 23 000 € sans

mesure où il a payé le dernier mandat sans disposer d’une disposer de la convention d’objectif (I). Il estime cependant,
convention d’objectif. En application de la combinaison de au stade de l’appréciation de la responsabilité, que la com-
l’article 10 de la loi du 12 avril 2000 (loi n° 2000-321 du 12 mune n’a subi aucun préjudice financier eu égard à sa volon-
avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rela- té de verser ladite subvention qui est clairement manifestée
tions avec les administrations) et de l’article 1er du décret du par les deux délibérations municipales (II).
6 juin 2001 (décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 pris pour
I. L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSA-
l'application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril
BILITÉ COMPTABLE POUR LE PAIE-
2000 et relatif à la transparence financière des aides oc-
MENT D’UNE SUBVENTION SUPÉ-
troyées par les personnes publiques), l’administration doit
en effet conclure avec le bénéficiaire d’une subvention, dont RIEURE À 23 000 € SANS CONVEN-
le montant annuel dépasse 23 000 €, une convention d’ob- TION D’OBJECTIF
jectif définissant l'objet, le montant, les modalités de verse-
La CRC Nouvelle-Aquitaine rappelle la lettre de
ment et les conditions d'utilisation de la subvention attri-
l’article 60 de la loi du 23 février 1963 (Loi n° 63-156 du 23
buée. La convention d’objectif fait ainsi partie des pièces
février 1963 de finances pour 1963) disposant que les
justificatives que le comptable public doit exiger avant de
comptables publics sont soumis à une responsabilité person-
procéder au paiement d’une subvention dépassant le seuil
nelle et pécuniaire et que celle-ci se trouve engagée dès lors
des 23 000 €, conformément à l’article D. 1617-19 du
qu’une dépense a été irrégulièrement payée. À ce stade, le
CGCT. La principale difficulté réside ici dans l’appréciation
comptable public dispose de deux moyens pour ne pas voir
du seuil des 23 000 €. Il est vrai que pris isolément, ni les
sa responsabilité engagée.
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Il peut d’abord invoquer l’existence de circons- aucunement le seuil des 23 000 € à partir duquel une con-
tances constitutives de force majeure. En effet, depuis la loi vention d’objectif est exigée. Mais, d’une part, le jugement
du 30 décembre 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre relève que le comptable n’a ni contesté l’existence de son
2006 de finances rectificative pour 2006), le juge des manquement, ni porté à la connaissance du juge des élé-
comptes est habilité à se prononcer sur les circonstances de ments de fait ou de droit de nature à établir l’absence de son
force majeure alléguées par les comptables et, s’il les estime manquement. D’autre part, la jurisprudence constante du
établies, à les décharger de leur responsabilité. La réforme juge des comptes estime que le seuil des 23 000 € ne doit
de 2006, entrée en vigueur au 1er juillet 2007, conduit ainsi pas s’entendre délibération par délibération ni mandat par
à « rétablir le droit commun suivant lequel le juge de la res- mandat, mais bien annuellement et qu’il revient au comp-
ponsabilité est aussi le juge des causes d’exonération de table de procéder au calcul du cumul des subventions ver-
cette responsabilité » (J. Magnet, L. Vallernaud et T. Vught, La sées (par ex., C. comptes, 2 février 2012, Commune d’Auby,
Cour des comptes, 6ème éd., Berger-Levrault, 2007, p. 289). Rec. Ccomptes, p. 35). Dans l’affaire Commune de Chance-
Néanmoins, ces événements demeurent par définition, as- lade, le juge des comptes aquitain ne considère pas autre
sez rares. Aussi, comme le soulignent les Professeurs Dama- chose quand il évoque que « les contrôles auxquels le comp-
rey, Lascombe et Vandendriessche, « Le juge des comptes a table public est tenu de procéder en matière d’exécution des
développé une jurisprudence très restrictive dans son appré- dépenses publiques auraient dû le conduire à cumuler les
ciation des circonstances de force majeure » (S. Damarey, M. subventions déjà versées à l’association ». Pourtant, il faut
Lascombe et X. Vandendriessche, « Chronique de jurispru- souligner que si cette position est traditionnelle en matière
dence financière », Gestion & Finances Publiques, n° 6, de subvention elle ne l’est pas dans tous les autres do-
2017, p. 153). Il faut toutefois préciser que la Cour des maines de dépenses. Par exemple, en matière de marchés
comptes a accepté de reconnaitre la force majeure au béné- publics, les comptables n’ont pas à assurer le suivi du seuil
fice du comptable d’un centre culturel français à l’étranger des marchés qui justifierait le cas échéant le respect d’une
qui n’avait pas régularisé divers soldes débiteurs de trois procédure de passation particulière, en vertu de l’article D.
comptes dont il avait la charge en relevant que cette situa- 1617-19 du CGCT (par ex., C. comptes, 22 février 2018,
tion résultait directement de la rupture des relations diplo- CCAS de Souillac, n° S 2018-0318). Dans ce cas, la présen-
matiques entre la France et le Rwanda au cours de la pé- tation de la dépense se réalise sous la seule responsabilité
riode allant de 2006 à 2009, à la suite du pillage de de l’ordonnateur. Les contrôles réalisés par le comptable sur
l’ambassade de France, de l’évacuation en urgence des ser- les subventions sont donc particulièrement exigeants, et
vices français et de la destruction d’archives (C. comptes, 21 doivent en particulier le conduire à constater le dépasse-
mai 2015, Arrêté conservatoire de débet – Centre culturel ment du seuil des 23 000 € et à demander la production par
français de Kigali, n° 72327, Rec. Ccomptes, p. 66). Dans l’ordonnateur d’une convention d’objectif. S’il ne le fait pas, il
l’affaire sous commentaire, le juge aquitain n’a cependant manque à ses obligations et engage sa responsabilité. C’est
pas pu retenir la force majeure. Le jugement indique que le justement ce qu’a décidé ici la CRC Nouvelle-Aquitaine. Il lui
comptable n’a présenté aucun élément permettant de se revenait alors de déterminer le régime de responsabilité
prononcer sur son existence. applicable aux faits qui lui étaient présentés.

Le comptable peut surtout tenter de démontrer que


la dépense litigieuse n’a pas été irrégulièrement payée en II. L’APPRÉCIATION DE LA RESPONSA-
établissant qu’il n’a pas manqué à ses obligations de con- BILITÉ COMPTABLE POUR LE PAIE-
trôles, en somme qu’il n’a pas commis de manquement (par MENT D’UNE SUBVENTION SUPÉ-
ex., C. comptes, 8 mars 2018, Agence nationale pour les
RIEURE À 23 000 € AVEC DÉLIBÉRA-
chèques-vacances, n° S 2018-0365) Ici, le manquement
TION MUNICIPALE
n’avait en théorie rien d’évident puisque les montants des
délibérations et des mandats de paiement ne dépassaient
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La CRC Nouvelle-Aquitaine a considéré que la res- 22 janvier 2015, Commune de Lézat-sur-Lèze, n° 71640).
ponsabilité du comptable public de la commune de Chance- En pratique, le juge des comptes va surtout se baser sur la
lade devait être engagée, un manquement ayant été consta- volonté de l’autorité délibérante, et non de l’ordonnateur,
té. Il lui revenait alors d’apprécier cette responsabilité et pour apprécier le préjudice. Si le comptable a produit à l’ap-
d’en tirer les conséquences pécuniaires pour le comptable. pui de ses mandats de paiement une délibération de l’autori-
té délibérante attestant de sa volonté de verser la subven-
Une fois la responsabilité du comptable engagée, le
tion litigieuse, le juge considèrera, malgré l’absence de la
juge des comptes doit se prononcer sur l’existence d’un pré-
convention d’objectif, que la personne publique n’a pas subi
judice financier. La loi du 28 décembre 2011 est en effet
de préjudice (par ex., C. comptes, 22 juillet 2015, DRFIP
venue instituer « un nouvel équilibre fondé sur la notion de
d’Aquitaine et du département de la Gironde, n° 72551). À
préjudice financier » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet,
l’inverse, le juge considère que la dépense est indue et qu’il
« Responsabilité des comptables : le préjudice financier entre
y a préjudice financier pour la personne publique, lorsque le
en ligne de compte », AJDA, 2015, p. 2142). Si un manque-
comptable n’établit pas la volonté expresse de l’organe déli-
ment entraîne un préjudice financier, le comptable est con-
bérant d’attribuer une subvention (par ex., C. comptes, 22
damné à payer la totalité de la somme litigieuse. En l’occur-
janvier 2015, Commune de la Couronne, n° 71748). En
rence ici le dernier mandat de 6 000 € payé par le comp-
l’espèce, la CRC considère que les deux délibérations du
table. L’ancien système du débet continue de s’appliquer s’il
conseil municipal produites avec les mandats de paiement
y a préjudice. En revanche, si le manquement ne cause pas
révèlent bien la volonté de la commune de verser la subven-
de préjudice financier, le comptable n’est plus condamné au
tion de 25 255 €, et qu’en conséquence, l’existence d’un
débet. La loi de 2011 prévoit dans ce cas la possibilité pour
préjudice financier n’est pas établie.
le juge des comptes de mettre à la charge du comptable une
somme dont le montant maximal est actuellement fixé à En l’absence de préjudice financier l’engagement
0,15 % du montant du cautionnement prévu pour le poste de la responsabilité du comptable se matérialise non pas par
comptable considéré (décret n° 2012-1386 du 10 dé- un débet mais par une "somme" qui est ajustée par le juge
cembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI en fonction des circonstances de l’espèce et qui est plafon-
de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa née en fonction du niveau de garanties que le comptable
rédaction issue de l'article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 doit constituer avant son installation. Cette fameuse
décembre 2011 de finances rectificative pour 2011). Avec "somme", dont l’appellation révèle l’approche très « pudique
l’intervention de la notion de préjudice financier le nouveau » (S. Damarey, « Le nouveau régime de responsabilité du
régime de responsabilité des comptables semble en théorie comptable public », AJDA, 2014, p. 2405) du législateur, ne
plus juste et plus réaliste (M. Kernéis-Cardinet, « Le nouveau dit en réalité pas son nom (M. Kernéis-Cardinet, « Le nou-
régime de responsabilité du comptable public, un régime qui veau régime de responsabilité du comptable public, un ré-
ne veut pas révéler son nom », RFDA, 2014, p. 393). Décli- gime qui ne veut pas révéler son nom », RFDA, 2014, p.
née selon deux situations radicalement différentes, la res- 393), car « il s’agit bien de sanctionner le comptable à raison
ponsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public de l’irrégularité commise » (S. Damarey, « Le nouveau régime
s’éloigne largement du régime objectif et automatique en de responsabilité du comptable public », AJDA, 2014, p.
vigueur avant la réforme de 2011. Concernant le préjudice 2405) voire de la faute commise (v. sur ce point, S. Thébault,
financier, le jugement sous commentaire indique que « Le pas de plus vers la responsabilité pour faute du comp-
l’ordonnateur fait valoir que la commune de Chancelade n’a table ou comment tout changer en préservant l’essentiel »,
subi aucun préjudice suite au manquement du comptable RFFP, n° 121, 2013, p. 233). En ce sens, la majorité de la
mis en cause. Pour l’évaluation de la réalité du préjudice doctrine a qualifié cette somme d’ « amende » (v. not., L.
financier le juge des comptes est en effet tenu de prendre en Saïdj, « Particularités de la responsabilité personnelle et pé-
compte l’avis de l’ordonnateur. Néanmoins, cet avis ne lie cuniaire des comptables des collectivités locales », Revue
pas le juge dans son appréciation finale (par ex., C. comptes, Lamy des collectivités territoriales, n° 105, 2014, p. 11 ; S.
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Damarey, « Le nouveau régime de responsabilité du comp- dans ces derniers développements un début d’explication
table public », AJDA, 2014, p. 2405 ; H.-M. Crucis, « Les au fait que le comptable se soit montré peu combatif face
justes milieux. La responsabilité personnelle et pécuniaire au réquisitoire du procureur financier, et pourquoi, comme
des comptables publics », RFFP, n° 139, 2017, p. 93), et beaucoup d’autres, il ne s’est pas rendu à l’audience pu-
certains juges des comptes ont même adhéré audacieuse- blique, qui pourtant lui réserve le dernier mot.
ment à cette appellation (par ex., CRC Midi-Pyrénées, 9 avril
2015, Office de tourisme de la ville de Toulouse, n° 2015-
0003). En l’espèce, le juge aquitain décide de mettre à la Florent GAULLIER
charge du comptable le montant maximum de la "somme", Doctorant, chargé d’enseignement contractuel
Institut Léon Duguit– Université de Bordeaux
en l’occurrence 351 €. Selon le jugement, le comptable pu-
blic n’a pas présenté au juge de circonstances qui lui aurait
permis de moduler à la baisse la somme prononcée. Au
regard de la jurisprudence financière, auraient pourtant pu
constituer des circonstances atténuantes de responsabilité
les moyens restreints mise à la disposition du comptable
pour remplir ses missions (par ex., C. comptes, 21 janvier
2016, Centre national de la recherche scientifique, n° S
2016-0140), la faiblesse des sommes irrégulièrement ma-
niées (par ex., C. comptes, 22 juillet 2014, Institut national
des jeunes sourds de Paris, n° 70059), ou encore le carac-
tère isolé du manquement (par ex., C. comptes, 22 janvier
2015, CBCM placé auprès du ministère de la justice, n°
71642). Il faut enfin noter que la somme prononcée est dite
non-rémissible dans la mesure où elle ne peut faire l’objet
d’une remise gracieuse par le ministre chargé du Budget,
contrairement au débet (cette remise ne peut être totale,
sauf décès du comptable ou respect du plan de contrôle
sélectif de la dépense, le ministre ayant l’obligation de lais-
ser à la charge du comptable un montant au moins égal au
double du plafond de la somme non-rémissible, c’est-à-dire
0,30 % du montant du cautionnement prévu pour le poste
comptable en cause). Elle peut cependant être, dans sa
grande majorité, prise en charge par l’assurance à laquelle
souscrit le comptable quand il entre en fonction (v. sur ce
point, L. Le Gall, « Gestion de l’argent public : quelles respon-
sabilités ? », RFFP, n° 139, 2017, p. 98). Le montant de la
franchise s’élève dans la plupart des contrats d’assurance à
10 % de la somme laissée à charge du comptable public (v.
sur le site internet de la principale compagnie d’assurance
des comptables publics ; https://www.amf-sam.fr/
comptables-et-agents-comptables/). Dans cette affaire, le
comptable de la commune de Chancelade pourrait donc
s’appauvrir de 35,10 €. Finalement, il est possible de voir
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MESURE D’ORDRE INTÉRIEUR ET FONCTION PUBLIQUE, NOUVELLES D’UN COUPLE INFATIGABLE


Note sous CAA de Bordeaux, 18 janvier 2018, Mme A. contre La Poste, n° 16BX03782
Mattéo BARTOLUCCI

Résumé :

Suite aux problèmes survenus avec sa ligne hiérarchique, un agent fait l’objet d’un changement d’affec-
tation. Il estime alors être victime d’une sanction déguisée. Au contraire, l’administration voit dans l’acte de ré-
affectation une mesure d’ordre intérieur. L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux apporte des pré-
cisions sur l’articulation encore floue des notions de sanction déguisée et de mesure d’ordre intérieur. En rete-
nant cette seconde qualification, le juge bordelais confirme la vitalité d’une notion parfois regardée comme en
voie de disparition.

EXTRAITS

[…]

3. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée 7. Eu égard à ce qui précède, la réaffectation de Mme
du directeur de la DOTC Aquitaine Nord de muter Mme A...à A...dans un nouveau service au sein de la même direction
compter du 17 décembre 2013, dans l'intérêt du service, du territoriale et sur le même site, quand bien même elle a été
poste de contrôleur opérationnel qu'elle occupait jusque-là prise en considération de sa personne et alors même qu'elle
au sein de la direction " Risque, Qualité, Sûreté et Environ- a modifié les tâches lui incombant, constitue une mesure
nement ", sur un poste de contrôleur de gestion à la direc- d'ordre intérieur insusceptible de recours. Par suite, la de-
tion financière, est motivée par les " perturbations apportées mande aux fins d'annulation de la décision du 5 décembre
au bon fonctionnement du service " et par le " dissentiment 2013 présentée devant le tribunal par Mme A...était irrece-
survenu avec ses collègues et la ligne hiérarchique ". vable.

[…] […]

NOTE

Le temps passe, mais la mesure d’ordre intérieur TA, témoignant du conflit avec la retranscription de pas-
reste. Très loin du trépas, cette notion semble immuable sages diffamatoires et injurieux contenus dans le mémoire
comme l’atteste le récent arrêt de la Cour administrative de Mme A). Suite à cet évènement, il a été procédé à la mu-
d’appel de Bordeaux. tation de l’agent, vers un poste de contrôleur de gestion. Si
la question de l’équivalence des deux postes au niveau tant
Ce dernier concerne le changement d’affectation de la rémunération que des responsabilités exercées est
de Mme A., et n’est que peu disert sur les faits à l’origine du discutée, celle relative au lieu de travail ne l’est pas. La réaf-
litige. L’agent administratif occupait un poste de contrôleur fectation a certes lieu dans un nouveau service mais au sein
opérationnel jusqu’à ce que survienne un « dissentiment (…) de la même direction territoriale, et surtout sur le même site.
avec ses collègues et la ligne hiérarchique » (v. CAA BDX, 18
janvier 2018, Mme A c./ La poste, req. n° 17BX02066 rela- S’estimant lésée, Mme A. entame une contestation

tif à la demande d’exécution sous astreinte du jugement du de la décision de réaffectation devant le Tribunal administra-
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tif de Bordeaux. La requérante obtient gain de cause dans le la décision de réaffectation de Mme A. est une mesure
jugement rendu le 6 octobre 2016 enjoignant La Poste de d’ordre intérieur, elle n’est donc pas contestable. Pour ce
réintégrer l’agent dans ses précédentes fonctions ou sur un faire, les juges bordelais ont privilégié l’étude des effets de
poste équivalent. Refusant le verdict, l’entreprise publique l’acte, au détriment de ses motifs. Ainsi, si les raisons expli-
décide de faire appel. quant la décision de La Poste sont rapidement exposées,
elles ne semblent pas déterminantes dans l’esprit du juge.
Pour appuyer sa demande d’annulation du juge-
Elles s’inclinent, en tout cas, devant les effets de l’acte.
ment du tribunal administratif, La Poste faisait valoir que le
changement d’affectation n’était qu’une mesure d’ordre En ce sens, il faut souligner que les qualifications
intérieur, et par conséquent, une mesure insusceptible de juridiques de mesure d’ordre intérieur et de sanction dégui-
recours. Elle ajoutait également qu’il n’y avait pas d’intention sée ont leur point de jonction sur le critère des effets. Si le
de sanctionner son agent administratif. Version non parta- juge administratif relève des effets suffisants, il faudra alors
gée par celui-ci, présentant la mesure litigieuse comme une qu’il s’intéresse à l’intention de l’auteur de la décision pour
sanction déguisée entraînant diverses dégradations dans savoir s’il y a ou non sanction déguisée. S’il n’en relève pas,
ses conditions de travail. la question de l’intention et par suite, de la qualification de
sanction déguisée, est superflue. C’est bien ici la structure
Aussi bien la question posée aux juges girondins
du raisonnement suivi. Peu importe les motifs sur lesquels la
que la solution rendue intéressent le juriste. Au delà du cas
Poste a pris la décision de réaffectation de son agent admi-
d’espèce et du domaine de la fonction publique, est réaffir-
nistratif (I), dès lors que cette dernière n’apparaît pas dotée
mé le maintien de la qualification de mesure d’ordre inté-
d’effets suffisants (II).
rieur. Certains prophétisaient sa disparition (B. DEFOORT,
« L’ordre intérieur à bout de souffle », RFDA, 2015, p. 75),
d’autres en émettaient le souhait (C. CHAUVET, « Que reste-t- I. L’INDIFFÉRENCE IMPLICITE À LA
il de la “théorie” des mesures d’ordre intérieur », AJDA,
QUALIFICATION DE SANCTION DÉGUI-
2015, p. 793) ; il faudra encore attendre. Quant aux considé-
SÉE
rations propres à la fonction publique, elles ne sont pas dé-
laissées. En effet, la lecture de l’arrêt apporte un embryon de A titre liminaire, on soulignera que si le juge d’ap-
précisions sur l’articulation – jugée fréquemment trop floue pel ne montre pas d’intérêt particulier pour la qualification
et incertaine – entre sanction déguisée et mesure d’ordre de sanction déguisée, il en va de même pour la distinction
intérieur. Le problème est néanmoins loin d’être résolu et la entre la mutation d’office et le changement de poste. Dans
sécurité« Pour
juridique commande davantage de clarté pour l’ave-
attirer l'attention de vos lecteurs,
le dernier cas, et à la différence du premier, il n’y a ni
insérez ici une phrase ou une citation
nir. intéressante tirée de l'article. »
« changement de résidence », ni « modification de la situation
du fonctionnaire » (F. MELLERAY, Droit de la fonction pu-
On l’aura donc bien compris, la Cour devait tran-
blique, Economica, coll. « Corpus », 4e éd., Paris, 2017, p.
cher entre la qualification juridique de sanction déguisée ou
330). C’est l’idée d’une différence de degré avec une modifi-
celle de mesure d’ordre intérieur. On en mesure bien égale-
cation plus prégnante dans le cas de la mutation d’office.
ment les enjeux. Si la première option est retenue, cela signi-
Ainsi, parler de « décision (…) de muter Mme A. » et retenir
fie que l’usage de la procédure disciplinaire, qui est un biais
quelques lignes plus tard la qualification de mesure d’ordre
obligatoire pour sanctionner l’agent, n’a pas été respecté. La
intérieur est contradictoire. Il vaudrait mieux, pour une plus
sanction déguisée, en tant qu’elle n’offre pas les garanties
grande intelligibilité et une terminologie plus précise, parler
suffisantes au présumé coupable, est susceptible d’annula-
de simple changement de poste.
tion devant le juge administratif. C’est une toute autre his-
toire si la seconde option est retenue puisque les recours Cette remarque terminologique faîte, on exposera,
contre les mesures d’ordre intérieur sont déclarés en prin- en premier lieu, les éléments qui permettaient à la Cour
cipe irrecevables. C’est ce qui a été jugé dans notre affaire : d’appel de Bordeaux d’envisager la qualification juridique de
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ADMINISTRATIVE

sanction déguisée (A). On tentera, en second lieu, d’expliquer fense de Mme A. insistaient sur « l’intention de la sanction-
les raisons et les conséquences de l’éviction tacite d’une telle ner », la requête de son employeur indiquait le contraire.
qualification dans la démonstration menée (B). Reste à expliquer les raisons de cette indifférence à la qualifi-
cation de sanction déguisée.
A.LA SANCTION DÉGUISÉE, UNE QUALIFICA-

TION JURIDIQUE ENVISAGEABLE B. L A SANCTION DÉGUISÉE, UNE QUALIFICA-


TION JURIDIQUE INENVISAGÉE
Avant de savoir si une qualification est susceptible
d’être appliquée, autant la définir. Il est courant, pour la sanc-
D’emblée, on remarque que la Cour d’appel de Bor-
tion déguisée, de citer le président Genevois pour qui celle-ci
deaux se distingue du Conseil d’Etat et de son arrêt de prin-
« se caractérise par la conjonction d’un élément subjectif et
cipe en la matière (CE, 25 sept. 2015, Mme B., req. n°
d’un élément objectif » (B. GENEVOIS, conclusions sur CE, 9
372624). Ce dernier précise que le changement d’affectation
juin 1978, Spire, RA, 1978, p. 631). En bref, le premier élé-
de l’agent « ne présente pas le caractère d'une sanction disci-
ment est constitué par la volonté répressive de l’auteur de
plinaire déguisée » et le qualifie, par la suite, de mesure
l’acte quand le second concerne l’atteinte portée à la situa-
d’ordre intérieur. L’arrêt commenté est, au contraire, totale-
tion professionnelle de l’agent. Il faut qu’elle soit réelle, c’est
ment muet sur le sujet. La question de savoir si la réaffecta-
à dire caractérisée (pour un ex. d’atteinte non caractérisée, v.
tion constitue une sanction déguisée ou non n’est tout bon-
CE, 17 décembre 2009, Département des Ardennes, req. n°
nement pas traité. En lieu et place d’une réponse nette, on
372624). Autrement dit, l’agent doit avoir été réellement
trouve l’information selon laquelle la décision est prise dans
déclassé. La sanction disciplinaire déguisée, c’est donc une
l’intérêt du service pour remédier aux « perturbations appor-
mutation pour motif disciplinaire (également appelée dépla-
tées au bon fonctionnement du service ». Deux points méri-
cement d’office) qui ne dit pas son nom et qui n’emprunte
tent d’être soulevés. D’une part, la finalité visée, à savoir
pas la procédure prévue.
l’intérêt du service n’est pas exclusive de celle de répression
C’est une hypothèse bien différente de la mutation de l’agent. En d’autres termes, l’administration peut agir, par
d’office dans l’intérêt du service. Pour rappel, si cette der- un même acte, à la fois dans l’intérêt du service et dans le
nière n’est pas volontaire, en ce qu’elle ne fait pas suite à but de punir son employé. La connaissance lacunaire sur
une demande de l’agent administratif, elle n’est pas une l’existence ou non d’une intention sanctionnatrice reste donc
procédure employée pour punir et n’a pas d’effets négatifs entière. D’autre part, cette référence à l’intérêt du service
sur la situation de l’intéressé. Au contraire, elle vise le seul peut être comprise comme une subsomption du changement
intérêt du service sans nuire aux intérêts particuliers du tra- de poste sous la qualification de mutation d’office dans l’inté-
vailleur. rêt du service. Pourtant, elle n’est jamais véritablement for-
mulée et toutes les qualifications autres que celles de me-
Le cadre notionnel posé, il faut désormais se de-
sures d’ordre intérieur semblent inutiles, voire surabondantes
mander pourquoi on était en droit d’attendre que le juge bor-
dans l’argumentation de l’arrêt.
delais envisageât la qualification de sanction déguisée,
même uniquement en vue de mieux la rejeter ? D’abord, Cette « mise au ban » de l’ensemble des autres qua-
parce que le tribunal administratif avait, en ce qui le con- lifications, mais surtout de celle de sanction déguisée, n’est
cerne, opté pour une telle qualification. En conséquence, il pas sans conséquences. Une telle logique revient à créer une
aurait été utile de s’y attarder davantage. Ensuite, parce que hiérarchie entre les catégories juridiques puisque c’est réflé-
ni la présence ni l’absence de l’élément objectif ou subjectif chir prioritairement sur la qualification de mesure d’ordre
ne pouvaient être constatées de façon limpide. En effet, la intérieur, sans considération sur celle de sanction déguisée.
présence de l’élément objectif était discutable. Pour Mme A., Ce n’est que si la réflexion initiale n’aboutit pas que les
les effets entraînés par l’acte étaient bien préjudiciables alors autres hypothèses seront examinées. En somme, la ques-
que pour La Poste, ils étaient décrits comme neutres. Même tion : « quelles sont les raisons qui président à la mesure ? »
remarque pour l’élément subjectif. Si les mémoires en dé- n’est posée que si la réponse à la question : « la mesure pré-
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sente-t-elle des effets suffisants ? » est affirmative. Dès lors, A. estime que le changement de poste a entraîné une baisse
dans le premier temps, peu importe les fondements de la de sa rémunération, tandis que La Poste considère qu’il n’en
décision, ses effets seuls comptent. C’est ce qu’il semble est rien. Le choix d’une de ces deux thèses par le juge giron-
falloir déduire de l’indifférence de la Cour d’appel de Bor- din est porteur de conséquences. La première thèse oriente
deaux aux autres qualifications. Mais le sujet réclame davan- plutôt la réaffectation vers la qualification de sanction dégui-
tage de certitudes, tant le présent arrêt que la décision Mme sée quand la seconde l’envoie vers celle de mesure d’ordre
B. du Conseil d’Etat sont insatisfaisants quant à l’articulation intérieur. Quelles sont alors exactement les considérations
entre les différentes notions. En revanche, les justifications qui guident l’aiguillage du juge ?
données à l’irrecevabilité du recours étudié sont bien plus
claires. Tout d’abord, il est important d’avancer que le juge
administratif est attentif aux avantages offerts à l’agent (par
II. L’AFFIRMATION EXPLICITE DE LA ex., pour la perte du logement de fonction, v. CE, 22 mai
QUALIFICATION DE MESURE D’ORDRE 1981, Commune de Chennevières-sur-Marne, req. n°
INTÉRIEUR 17330), ce qui est plus large que la seule rémunération. En
clair, tout n’est pas directement question d’argent et le juge
Désormais, et depuis 2015, on sait que les me- admet que l’intéressé puisse être frappé au portefeuille de
sures d’ordre intérieur traduisant une discrimination sont manière indirecte. Puis, il est tout aussi important de souli-
susceptibles de recours contentieux. Cette exception à la gner qu’est apprécié non pas une stricte concordance entre
règle de l’irrecevabilité du recours, « dénaturation » (C. FOR- la rémunération perçue au titre du poste initial et celle nou-
TIER, « “Mesures d’ordre intérieur” : de la clarification à la vellement perçue, mais de façon plus souple une équiva-
dénaturation », AJFP, 2016, p. 39) de la notion, avait immé- lence entre elles. A titre d’appréciation, la réaffectation cau-
diatement fait surgir une interrogation chez plusieurs com- sant la perte du droit à une prime de travail de nuit est cons-
mentateurs : le harcèlement est-il une exception analogue, titutive d’une rupture de l’équivalence : elle n’est donc pas
voire doit il être considéré comme une discrimination ? Cette une mesure d’ordre intérieur (CE, 25 sept. 1995, Rispal, req.
question reste à ce jour sans réponse puisqu’il est estimé, n° 116085). En dernier lieu, il faut évidemment que les va-
en l’espèce, que le harcèlement allégué par la victime n’est riations liées à la rémunération, si elles existent, soient en-
pas prouvé. gendrées par la mesure de réaffectation. C’est sur cet argu-
ment là que la Cour d’appel reprend le jugement du tribunal
En revanche, l’affaire est intéressante sur les effets administratif. Il est effectivement relevé qu’il y a bien eu des
caractéristiques de la mesure d’ordre intérieur. L’absence de changements dans le traitement de Mme A., mais ceux-ci
changement du lieu d’exercice des fonctions de l’agent, c’est sont en réalité dus à d’autres faits causals (notamment le
à dire l’équivalence du lieu de travail, est un exemple d’élé- placement en congé maladie). Pour faire court, le change-
ment militant en faveur de l’irrecevabilité du recours. Pour ment de poste n’a eu aucune influence sur son traitement,
notre part et dans le but de suivre l’argumentation du juge, argument de plus en faveur d’irrecevabilité du recours. Un
on se focalisera d’abord sur l’équivalence – entre l’ancien et autre argument, le dernier donné par le juge, concerne les
le nouveau poste – relative au salaire (A) puis sur celle rela- tâches confiées à l’agent.
tive aux fonctions exercées (B).
B . L A MESURE D’ ORDRE INTÉRIEUR, QUALIFI-
A . L A MESURE D’ ORDRE INTÉRIEUR, QUALIFI-
CATION JURIDIQUE JUSTIFIÉE PAR UNE ÉQUI-
CATION JURIDIQUE JUSTIFIÉE PAR UNE ÉQUI-
VALENCE DANS LES FONCTIONS
VALENCE DANS LA RÉMUNÉRATION

Dans la continuité de l’opposition des versions sur la rému-


Sans rentrer dans des détails comptables ou ma- nération, les parties offrent encore un désaccord sur le com-
thématiques vains et stériles, retenons sobrement que Mme paratif des fonctions exercées avant et après la décision
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ADMINISTRATIVE

d’affectation à un nouveau service. Lorsque Mme A. évoque


une « rétrogradation de ses fonctions », La Poste lui répond
que « ses responsabilités ne sont pas moindres mais diffé-
rentes ». Le schéma est le même que précédemment. Selon
que le juge se rallie à l’une ou à l’autre des doctrines propo-
sées, la qualification juridique s’orientera vers la qualifica-
tion de mesure d’ordre intérieur ou non. Il faut, là aussi, se
demander quels sont précisément les éléments qui pèsent
dans le verdict du juge.

Ce dernier examine essentiellement deux choses.


D’un côté, son regard se tourne vers le fait de savoir si les
deux postes présentent un niveau de qualification identique.
La Cour d’appel répond affirmativement à cette question,
estimant que le niveau de qualification requis est le même, à
savoir un bac +5 ou équivalent. D’un autre côté – et c’est le
plus important –, l’attention est portée sur les fonctions ef-
fectivement exercées par l’agent public. Le point nodal est ici
constitué par la correspondance entre l’avant et l’après réaf-
fectation. C’est à dire que pour retenir la qualification de
mesure d’ordre intérieur, le juge n’exige pas l’exercice de
fonctions identiques ; il s’accommode aussi de l’exercice de
fonctions comparables. C’est une idée constante dans la
jurisprudence (parmi d’autres, v. CE, 6 mai 2009, Mme Sau-
nier, req. n° 304977), et le juge n’y déroge pas ici en souli-
gnant que si le nouvel emploi implique « des tâches et un
périmètre d’intervention différents », il n’entraîne pas pour
autant des « responsabilités (…) sensiblement moins impor-
tantes ». La qualification de mesure d’ordre intérieur est
donc in fine décernée à la décision de l’entreprise publique,
ce qui montre qu’elle n’est pas (encore ?) une notion desti-
née à rejoindre le cimetière des éléphants du droit public.

Mattéo BARTOLUCCI,
Doctorant contractuel
Institut Léon Duguit– Université de Bordeaux
JURISPRUDENCE
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ADMINISTRATIVE

CONTENU DE L’AVIS MEDICAL DU COLLEGE D’EXPERTS DE L’OFII ET GARANTIES DE L’ETRANGER MALADE


Note sous TA, Bordeaux, 9 mai 2018, M. Caushdelo, n° 1800719
Aurore JULIEN

Résumé :
Le contenu et la fonction de l’avis du collège de médecins ont été précisés et modifiés à de nombreuses
reprises, aussi bien par le pouvoir règlementaire que par le juge administratif. A l’occasion de ce jugement, le Tri-
bunal administratif de Bordeaux réuni en formation élargie se penche également sur la question. Il en conclut que
l’avis n’a pas à mentionner le nom du médecin rapporteur et que dans certains cas l’avis n’a pas à comporter
d’indications sur l’effectivité de l’accès au traitement dans le pays d’origine.

EXTRAITS

[…] 6. Considérant, d’autre part, que si l’avis émis par le collège


de médecins de l’OFII le 23 septembre 2017 ne mentionne
4. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les men-
pas le nom du médecin qui a établi le rapport médical au vu
tions susceptibles de figurer sur l’avis rendu par le collège de
duquel il a été émis, cette circonstance est sans influence,
médecins de l’OFII sont énoncées de façon limitative ; qu’il ne
ainsi qu’il a été dit, sur la légalité de la décision attaquée ;
résulte ni de ces dispositions, ni d’aucun autre texte ou prin-
qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier, et notamment
cipe, qu’au nombre des éléments de procédure que doit men-
d’un courrier électronique adressé par la directrice territoriale
tionner cet avis doive figurer le nom du médecin qui a établi
de l’OFII aux services de la préfecture, dont la validité n’est
le rapport médical au vu duquel il a été émis ; que, d’ailleurs,
pas utilement contestée, que le médecin qui a rédigé le rap-
le modèle prévu par l’annexe C de l’arrêté précité, qui a elle-
port médical, le Dr F...H..., n’a pas siégé au sein du collège de
même un caractère règlementaire, ne prévoit pas une telle
médecins qui a rendu l’avis, composé des Docteurs K... L...,
mention ; qu’il n’appartient pas davantage au préfet, préala-
P... M... et N... O... ; que, par suite, M. G...n’est pas fondé à
blement à sa décision, de vérifier la régularité de la composi-
soutenir que le collège aurait été irrégulièrement composé ;
tion du collège de médecins qui rend l’avis ; qu’en revanche,
peuvent être utilement soulevés devant le juge les vices de 7. Considérant, enfin, qu’il ressort de l’avis émis le 23 sep-
procédure tirés de ce que, en méconnaissance des disposi- tembre 2017 que le collège de médecins de l’OFII a estimé
tions réglementaires précitées, cet avis ne comporterait pas que si le requérant nécessitait une prise en charge médicale,
les mentions requises pour éclairer le préfet ou qu’il aurait le défaut de cette prise en charge ne devrait pas entraîner
été rendu par un collège de médecins irrégulièrement compo- des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; que, dès
sé du fait de la présence en son sein du médecin ayant rédi- lors, le collège n’était pas tenu de se prononcer sur la possibi-
gé le rapport, l’incompatibilité entre les fonctions de rappor- lité pour M. G...de bénéficier d’un accès effectif à un traite-
teur et celles de membre du collège constituant une garantie ment approprié dans son pays d’origine ; qu’en tout état de
pour l’étranger ayant sollicité un titre de séjour en raison de cause, dès lors que le préfet a, au vu de cet avis et des autres
son état de santé ; que dans ce dernier cas, si les éléments pièces du dossier, estimé que le défaut de prise en charge
du dossier ne permettent pas, par eux-mêmes, de savoir si le médicale n’entraînerait pas pour le requérant des consé-
médecin rapporteur était ou non présent au sein du collège, il quences d’une exceptionnelle gravité, la circonstance qu’il
appartient au préfet, saisi éventuellement d’une demande en n’ait pas été éclairé sur la condition relative à l’accès effectif
ce sens du tribunal dans le cadre de ses pouvoirs généraux à un traitement approprié dans son pays d’origine n’a pas
d’instruction, d’apporter la preuve de la régularité de l’avis, et privé M. G...d’une garantie et n’a pas été susceptible d’exer-
donc de l’absence du médecin rapporteur au sein de ce col- cer une influence sur le sens de la décision de refus de déli-
lège ; vrance de titre de séjour ;

[…]
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NOTE médical n’a pas siégé au sein du collège rendant l’avis et


qu’ainsi la composition du collège d’experts était régulière. Le
« C’est l’honneur de la France d’accueillir et de soi-
deuxième moyen avance l’existence d’un autre vice de procé-
gner correctement des personnes dont la vie pourrait être dure résultant de l’absence d’indications sur l’effectivité de
menacée faute de soins dans leur pays » (B. CAZEUNEUVE,
l’accès au traitement dans le pays d’origine dans l’avis du
séance du 7 octobre 2015, débat sur le projet de loi relatif au
collège. De telles irrégularités procédurales conduiraient, se-
droit des étrangers en France). Et pourtant le chemin que va lon le requérant, à l’annulation de la décision de refus de titre
devoir parcourir l’étranger malade pour se voir délivrer une
de séjour, et par voie d’exception, à celle de l’obligation de
carte de séjour en France afin d’y poursuivre ses soins, est quitter le territoire Français
parfois bien ardue, comme en atteste ce récent jugement du
Tribunal administratif de Bordeaux. Ainsi la crainte de Guy Braibant selon laquelle l’éla-
boration des décisions administratives devient « un parcours
En vertu de l’article 313-11 11° du code de l'entrée du combattant » où « chaque phase du processus [peut] être
et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), la la source d’irrégularité qui entraine l’effondrement de la déci-
carte de séjour « vie privée et familiale » est délivrée à l’étran-
sion finale » (G. BRAIBANT, « Du simple au complexe, quarante
ger même en situation irrégulière, dont l'état de santé néces- ans de droit administratif, 1953-1993 », EDCE, 1994, n° 45)
site une prise en charge médicale dont le défaut pourrait en-
serait avérée. La moindre absence dans le contenu de l’avis
traîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravi- peut être fatale pour la décision finale.
té, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans
le pays dont il est originaire. Le préfet se prononce sur cette C’est sans aucun doute pour éviter de telles consé-

demande de titre de séjour, éclairé par l'avis établi par un quences que le Tribunal administratif de Bordeaux adopte une

collège de médecins nommés par le directeur général de l'Of- lecture stricte et pragmatique des dispositions du CESEDA et
fice français de l'immigration et de l'intégration (OFII) (art. R. des textes d’application, limitant au strict minimum les men-

313-22 CESEDA). Préalablement, un rapport médical, relatif à tions obligatoires de l’avis.

l'état de santé de l'intéressé rédigé par un médecin instruc-


Ainsi à l’occasion de ce jugement le tribunal admi-
teur, est transmis au collège d’experts. Ce médecin rapporteur
nistratif réuni en formation élargie précise le contenu et la
ne doit pas siéger au sein dudit collège (art. R. 313-23 CESE-
fonction de cet avis du collège de médecins. Il en conclut que
DA).
l’avis n’a pas à mentionner le nom du médecin rapporteur et
En l'espèce, M. G, ressortissant albanais, s’était vu que dans certains cas il n’a pas à comporter des indications

délivrer le 19 mai 2016, un titre de séjour pour raison de san- sur l’effectivité de l’accès au traitement dans le pays d’ori-

té sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du CESEDA, gine. Une solution qui peut avoir des conséquences sur les

valable un an. Sa demande de renouvellement a été refusée garanties de l’étranger malade.

par le préfet de la Gironde par un arrêté en date du 15 no-


vembre 2017 assorti d’une obligation de quitter le territoire,
I. L’ABSENCE RÉGULIÈRE DU NOM DU
après avoir recueilli le 23 septembre 2017, l’avis des méde-
MEDECIN RAPPORTEUR SUR L’AVIS
cins de l’OFII.

Contestant ce refus devant le Tribunal administratif


Selon le Tribunal administratif de Bordeaux si l’étranger
de Bordeaux, M. G invoque la présence de nombreuses irrégu-
malade a droit de voir son état de santé analysé par un col-
larités dans l’avis du collège de médecins de l’OFII. Il soutient
lège de médecins régulièrement composé (B), il n’a pas droit
notamment que ladite décision est entachée d’un vice de
pour autant à la mention du nom du médecin rapporteur sur
procédure résultant du défaut de mention du nom du méde-
l’avis rendu (A).
cin ayant établi le rapport médical. En effet, cette omission ne
permettrait pas à l’autorité administrative de s’assurer, avant
de rendre sa décision, que le médecin ayant rendu le rapport
JURISPRUDENCE
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ADMINISTRATIVE

A. L ’ A B S E N C E D E D R O I T A U N O M D U M É D E C I N d’annuler l’ensemble de la procédure pour une telle omis-


sion, alors même que la composition est parfaitement régu-
Le Tribunal administratif de Bordeaux embrasse
lière.
une conception limitative des obligations respectives de
l’autorité administrative et du collège d’experts. Ainsi il consi- En ce sens dans ce jugement le Tribunal administra-
dère que le préfet n’a pas à vérifier avant de rendre sa déci- tif de Bordeaux fait preuve de pragmatisme en permettant au
sion que l’avis qui lui sert de support a bien été rendu par un préfet de prouver a posteriori et par d’autres moyens que le
collège de médecins régulièrement composé, c’est-à-dire médecin rapporteur ne faisait pas partie du collège d’experts
sans la présence du médecin ayant établi le rapport médical. ayant rendu l’avis, la mention du nom du médecin rapporteur
Cette vérification préalable n’étant pas obligatoire, la men- n’étant pas le seul moyen de vérifier la régularité de la com-
tion du nom du médecin rapporteur dans l’avis du collège position. En l’occurrence on utilise un courrier électronique
perd de son intérêt. Le tribunal administratif en conclut que adressé par la directrice territoriale de l’OFII aux services de
dans la mesure où aucun texte ne prévoit explicitement le la préfecture pour démontrer la régularité de la composition.
caractère obligatoire de cette mention, son omission ne peut
Il convient également de replacer ce jugement dans
être sanctionnée par l’annulation du refus de séjour.
le contexte qui est le sien, c’est-à-dire un contexte de massifi-
Une telle décision entre en opposition frontale avec cation du contentieux des étrangers (D. LOCHAK, « Qualité de
la conception de la Cour Administrative d’appel de Bordeaux. la justice administrative et contentieux des étrangers », Re-
Cette dernière rappelant régulièrement que l’avis du collège vue française d’administration publique, n° 159/2016, pp.
de médecins sur l’état de santé du demandeur de titre de 701-713). L’allègement des exigences procédurales semble
séjour doit, à peine d’irrégularité, mentionner le nom du mé- être en l’occurrence la voie empruntée pour limiter l’afflux de
decin rapporteur de façon à permettre au préfet de s’assurer, requêtes présentant à juger des moyens quasiment iden-
préalablement à sa décision, que ce dernier n’a pas siégé au tiques : c’est à dire l’absence de vérification préalable de la
sein dudit collège. (CAA Bordeaux, 26 janvier 2018, Préfet de composition du collège résultant du défaut de mention du
la Charente, n°17BX03206/ CAA Bordeaux 27 avril 2018, nom du médecin.
n°18BX00128/ CAA Bordeaux 3 juillet 2018, n°
Une solution qui peut sembler à certains égards
18BX01013). Cette antériorité du contrôle préfectoral de la
contreproductive. En effet en ne rendant pas cette mention
composition a pour intérêt d’offrir une garantie plus solide de
obligatoire, il est fort probable que les avis en soient de plus
la séparation des fonctions de médecin rapporteur et méde-
en plus dépourvus, ouvrant la porte à des contestations sys-
cin du collège au demandeur du titre de séjour. Cette logique
tématiques de la composition du collège d’experts. A
préventive permet également d’anticiper tout soupçon de
l’inverse, la mention du nom du médecin sur l’avis clôt le
partialité ou de dépendance des médecins siégeant au col-
débat sur ce sujet. Ainsi en souhaitant éviter ce contentieux,
lège et de gagner en transparence. Ainsi se dessine une ex-
un autre contentieux de masse se crée.
tension toujours plus grande de l’application de la théorie
des apparences à l’action publique (A. FITTE-DUVAL, « La La Cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy
théorie des apparences, nouveau paradigme de l’action pu- – 2 juillet 2018 – n° 17NC03088) propose quant à elle une
blique ? » AJDA, 2018, p. 440.) allant de pair avec la mé- position intermédiaire. En effet si elle déclare qu’« en prin-
fiance généralisée à l’égard du travail de l’administration. cipe » l’avis doit mentionner le nom du médecin rapporteur
pour opérer un contrôle préfectoral en amont sur la composi-
Mais jusqu’où pouvons-nous pousser « la tyrannie
tion du collège, elle ne déclare pas pour autant la procédure
de l’apparence » ? (P. MARTENS, « La tyrannie de l’appa-
irrégulière en cas d’absence d’une telle mention. Pour cela le
rence », obs. sur Cour EDH, 22 fév. 1996 Bulut c/ Autriche,
préfet devra prouver là aussi, la régularité de la composition ;
RTDH 1996, p. 627). L’absence du nom du médecin sur un
cette dernière constituant une garantie pour le demandeur
avis ne présume ni de l’irrégularité de la composition d’un
de titre de séjour.
collège d’experts, ni de sa régularité. Il peut paraitre excessif
NOVEMBRE 2018 Page 16

B. L ’ EXISTENCE D’ UN DROIT À LA COMPOSI- II. L ’ ABSENCE RÉGULIÈRE D’INDICATIONS

TION RÉGULIÈRE DU COLLÈGE DE MÉDECINS SUR L’ EFFECTIVITÉ

Bien que dans ce jugement, le Tribunal administratif Le Tribunal administratif de Bordeaux déclare l’absence
de Bordeaux considère que la composition du collège d’ex- d’indications dans l’avis du collège sur l’effectivité de l’accès
perts n’a pas à être vérifiée préalablement à la décision de au traitement dans le pays d’origine régulière en combinant
refus ou d’octroi de titre de séjour par le préfet, la régularité les effets de la danthonysation (B) à une interprétation res-
de la composition dudit collège demeure une garantie pour trictive des conditions d’éligibilité à la délivrance d’un titre de
l’étranger malade. La vérification de cette dernière pourra séjour pour raison médicale (A).
avoir lieu a posteriori, notamment en cas de contestation.
A. L ’ I N T E R P R É T A T I O N R E S T R I C T I V E D E S C O N -
Le tribunal administratif propose ainsi un point DITIONS D’ ÉLIGIBILITÉ À LA DÉLIVRANCE D’ UN
d’équilibre entre l’efficacité de l’action publique en limitant TITRE DE SÉJOUR POUR RAISON MÉDICALE
les lourdeurs procédurales et le respect des garanties de
l’étranger en modifiant la temporalité du contrôle préfectoral. Depuis la loi du 16 juin 2011 (LOI n° 2011-672 du
16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la
Néanmoins on peut se demander si les effets d’une
nationalité), seules les conséquences d'une exceptionnelle
telle modification seront ceux escomptés.
gravité d'un défaut de prise en charge médicale justifient la

Le tribunal administratif limite, certes, les lourdeurs délivrance du titre de séjour pour état de santé. Comme le

procédurales en amont de la décision finale incombant au souligne à juste titre Danièle Lochak « le mot "exceptionnel"

collège d’experts, lourdeurs qui consisteraient en un simple atteste bien au demeurant l'intention restrictive du législateur

report du nom du médecin rapporteur sur un avis. Mais en » concernant les pathologies relavant du champ d’application

parallèle c’est une procédure alourdie que va devoir mettre de l’article L. 313-11 11° (D. LOCHAK, « Droits et libertés des

en œuvre le préfet en aval. Ce dernier devra fournir dans le étrangers – Droit au séjour », J. Cl. Admin., fasc. n° 725, 46.).

cadre de l’instruction, des preuves telles qu’un courriel ou


De surcroit son interprétation jurisprudentielle est
encore une copie d’écran de l’application permettant le suivi
très défavorable aux demandeurs dans la mesure où cela
de l’instruction du dossier par l’OFII. Ainsi en corrélation avec
suppose un risque vital ou un handicap provoquant une
le contrôle préfectoral sur la composition, la lourdeur procé-
lourde incapacité. Ainsi une « regrettable » amputation de la
durale change de temporalité, elle en est même surement
jambe du demandeur, n’est pas suffisamment grave, selon
exacerbée.
les juges, pour pouvoir remplir ladite condition (CAA Marseille,

De plus on peut se demander quel est l’intérêt de 17 juill. 2012, n° 10MA04395). De même « le défaut de

vérifier ultérieurement à la décision finale la composition du prise en charge de la démence dont souffre l'intéressé, âgé

collège ? L’avis est la base que va exploiter le préfet pour de 75 ans {…} ne saurait entraîner des conséquences d'une

traiter la demande de séjour ; encore faut-il qu’il soit rendu exceptionnelle gravité » au vu de son âge et de l’existence de

régulièrement pour ne pas altérer la décision finale. traitement seulement palliatif et non curatif (CAA Lyon, 18
déc. 2014, n° 14LY00759).
Par ailleurs en vérifiant seulement en cas de conten-
Cette interprétation est reprise dans l’instruction du
tieux la composition, le préfet n’est pas en mesure d’assurer
10 mars 2014 qui précise que « la condition d’exceptionnelle
à l’étranger malade le respect de cette garantie quand il se
gravité des conséquences d’un défaut de prise en charge
prononce sur sa demande.
médicale (…) doit être regardée comme remplie chaque fois
Ayant conclu à l’absence régulière du nom du méde- que l’état de santé de l’étranger concerné présente, en l’ab-
cin rapporteur sur l’avis, les juges devaient se prononcer en- sence de la prise en charge médicale que son état de santé
suite sur la régularité de l’absence d’indications sur l’effectivi- requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne
té de l’accès au traitement dans le pays d’origine. saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital,
JURISPRUDENCE
Page 17
ADMINISTRATIVE

d’une atteinte à son intégrité physique ou d’une altération Cette condition joue donc le rôle de premier filtre. Les
significative d’une fonction importante. » étrangers ne pourront bénéficier du titre de séjour que si, et
seulement si, le défaut de prise en charge en France a des
En l’espèce, nous n’avons aucune information sur la
conséquences exceptionnellement graves sur leur état de san-
pathologie dont souffre le requérant. Néanmoins, le collège de
té. Les autres conditions filtrant dans un second temps les
médecins ainsi que l’autorité administrative ont tous deux
demandes ayant alors déjà franchi la première étape.
conclu à l’absence de conséquences d’une exceptionnelle
gravité. Les juges en déduisent que manquant cette première Néanmoins le Tribunal administratif de Bordeaux ne se
condition, le collège de médecins n’était pas tenu de se pro- contente pas de cet argument pour éviter l’annulation de la
noncer sur le bénéfice effectif ou non de traitement dans le décision de refus.
pays d’origine du demandeur, c’est-à-dire la seconde condi-
B. L ’ A P P L I C A T I O N D E L A J U R I S P R U D E N C E D A N -
tion.
THONY
Cette solution est révélatrice de l’interprétation que
donne le Tribunal administratif de Bordeaux des conditions Selon le Tribunal administratif de Bordeaux, si le
d’éligibilité à la délivrance d’un titre de séjour pour raison de préfet conclut lui aussi à l’absence de conséquences excep-
santé. En effet, la condition relative à l’intensité des consé- tionnellement graves, le défaut d’indications sur l’effectivité du
quences du défaut de prise en charge, semble à la lecture de traitement dans le pays d’accueil ne sera pas source d’illégali-
ce jugement, prédominante sur les autres, puisque si cette té. En effet pour entraîner l'illégalité de l'acte, le vice dans le
condition première n’est pas remplie, aucunes des autres con- déroulement de la procédure doit soit avoir été susceptible
ditions ne pourra servir la cause de l’étranger malade pour d'influer sur le sens de la décision, soit avoir privé les intéres-
obtenir un titre de séjour. sés d'une garantie. La décision finale est ainsi sauvée, l’illégali-
té ayant été neutralisée par la jurisprudence Danthony (CE Ass.
Le Tribunal administratif de Bordeaux ne fait pas
23 décembre 2011 Danthony, N° 335033)
figure d’exception à ce sujet : dans un arrêt en date du 15
mars 2016, la Cour Administrative de Lyon avait validé l’appré- Le recours à la jurisprudence Danthony en conten-
ciation du préfet consistant à refuser le titre de séjour du fait tieux des étrangers malades n’est pas rare. Ainsi, l'existence
de l’absence de « conséquences d’une exceptionnelle gravité » d'un vice de procédure ne rend pas nécessairement la déci-
alors même que le médecin de l’ARS avait indiqué l’incapacité sion préfectorale irrégulière, notamment en cas d’avis médical
à voyager du requérant. (A. JAVEL, « L’absence de « consé- donné par les médecins inspecteurs de santé publique alors
quences d’une exceptionnelle gravité » : refus inéluctable du qu'il aurait dû à l’époque émaner de l’ARS (CAA Lyon, 12 avr.
titre de séjour, même pour l’étranger dont le médecin de l’ARS 2012, n° 11LY02230).
indique l’incapacité à voyager » - Note sous CAA Lyon, 15 mars
Mais pouvons-nous réellement soutenir que dans le
2016, n°14LY02906, Monsieur A, Alyoda, 2016, n°3.).
cas d’espèce, l’absence d’indications d’experts sur l’effectivité
La Cour Administrative d’appel de Bordeaux, quant à de l’accès au soin du demandeur n’a pas était susceptible
elle, avait également considéré que « dès lors que le collège d’influencer le sens de la décision prise par le préfet, ou n’a
des médecins {…} a estimé que la condition tenant aux consé- pas privé l’étranger malade d’une garantie ?
quences d'une exceptionnelle gravité du défaut d'une prise en
En prévoyant l'intervention d'un avis médical, « le
charge médicale n'était pas en l'espèce remplie, l'absence de
pouvoir réglementaire a institué une garantie non seulement
mention dans l'avis {…} relative à l'accès effectif au traitement
pour le préfet, à qui il aurait été bien difficile de porter une
approprié dans le pays d'origine n'a pas entaché d'irrégularité
appréciation médicale sans cet avis extérieur, mais également
la procédure » (Cour administrative d'appel, Bordeaux, 5e
pour l'étranger, qui peut ainsi compter sur un avis émis par un
chambre, 15 Mai 2018 – n° 18BX00392 Cour administrative
professionnel de la santé » (concl. M. Austry sur CE
d'appel, Bordeaux, 5e chambre, 15 Mai 2018 – n°
29 juill. 2002 -n° 241912 - Omekoko)
18BX00396)
NOVEMBRE 2018 Page 18

Ainsi, cette omission ne permet pas au préfet d’être ment grave, les juges sauvent la décision finale grâce à la
parfaitement éclairé sur la situation du demandeur du titre de jurisprudence Danthony. Nous sommes ainsi face à ce qui
séjour. Il est possible que si l’avis avait mentionné l’inaccès semble être une incohérence : la jurisprudence Danthony
au soin dans le pays d’origine du requérant, le préfet réponde visant à neutraliser un vice de procédure. Or si le collège
favorablement à la demande de titre de séjour qui lui a été n’était pas tenu d’indiquer l’effectivité de l’accès au traite-
adressée. Par conséquent cette carence d’informations a pu ment dans le pays d’origine, l’omission d’une telle mention ne
être déterminante dans le refus du titre de séjour. Néanmoins peut en aucun cas être un vice de procédure neutralisé.
au vu du développement précédent (cf. II. A), en cas d’ab-
A titre de comparaison, quelques jours après le juge-
sence de conséquences d’une exceptionnelle gravité décou-
ment commenté, la Cour administrative d’appel de Bordeaux
lant du défaut de prise en charge médicale, la condition te-
s’est prononcée sur deux affaires similaires (Cour administra-
nant à l’inaccès du traitement même remplie ne lui aurai pas
tive d'appel de Bordeaux, 5e chambre, 15 Mai 2018 – n°
été d’une grande aide. Ce qui est certain c’est que le requé-
18BX00392 et Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5e
rant a été privé d’une garantie puisqu’il n’a pu compter sur un
chambre, 15 Mai 2018 – n° 18BX00396). Elle s’est conten-
avis complet sur sa situation médicale émis par des experts.
tée d’affirmer que l'absence d’indications du collège d’experts
Ce raisonnement conduit à se demander : qui dé- relative à l'accès effectif au traitement approprié dans le pays
cide réellement du refus ou de l’octroi du titre de séjour. En d'origine n'a pas entaché d'irrégularité la procédure sur la-
principe tel que présenté dans le CESEDA c’est le préfet qui quelle repose la décision de refus, sans détour par la jurispru-
tranche, éclairé néanmoins par l’avis du collège d’experts. A dence Danthony.
de nombreuses occurrences le juge administratif a été amené
à rappeler qu’il s’agissait uniquement d’un avis obligatoire et
non conforme. A ce titre il ne lie pas le préfet dans son appré- Aurore JULIEN
ciation de l’état de santé de la personne susceptible d’être Etudiante en M2 Droit des collectivités territoriales
Université de Bordeaux
éloignée. Néanmoins, le cas échéant, il appartient au préfet
de justifier des éléments qui l'ont conduit à écarter cet avis
médical positif. (CAA Lyon 4e Chambre- M.M – N°
13LY02263 – 10 avril 2014 / CAA Lyon 5e Chambre – M.A –
N° 13LY02541 – 3 avril 2014)

Or sans indications sur le bénéfice effectif du traite-


ment dans le pays d’origine, on peut se demander quelle est
la portée réelle de l’avis. Les informations à la disposition du
préfet étant lacunaires, il est probable qu’il suive plus facile-
ment l’avis du collège d’experts. L’avis prendrait ainsi une
importance disproportionnée.

L’utilisation de la jurisprudence Danthony en l’occur-


rence est d’autant plus discutable que la formulation du con-
sidérant 7 est alambiquée.

En effet, les juges expliquent dans un premier temps


que le collège d’experts n’est pas obligé de se prononcer sur
le bénéfice effectif ou non de traitement dans le pays d’ori-
gine du demandeur en cas d’absence de la condition d’excep-
tionnelle gravité. Puis dans un deuxième temps, si le préfet
conclut lui aussi à l’absence de conséquence exceptionnelle-
JURISPRUDENCE
Page 19
ADMINISTRATIVE

LA DIFFUSION D’UNE DÉCISION ADMINISTRATIVE SUR UN SITE INTERNET ET L’ENCLENCHEMENT DU DÉLAI DE


RECOURS CONTENTIEUX
Note sous CAA, Bordeaux, 20 mars 2018, Madame S., n° 16BX00203
Vyctor MEURVILLE-BOSSUAT

Résumé :

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient réaffirmer que la publication d’une
décision administrative non prévue par un texte dans un recueil autre que le Journal officiel peut faire courir le
délai de recours contentieux. Il faut toutefois qu’un tel recueil bénéficie d’une diffusion suffisante pour que
toutes les personnes intéressées puissent contester la décision administrative. Tel est le cas du système d'infor-
mation et d'aide pour les promotions (SIAP), un site internet, qui permet, notamment, la consultation des résul-
tats des opérations de promotion des personnels enseignants, d'éducation et d’orientation incluant la liste d'apti-
tude pour l'accès au corps des professeurs certifiés, établie par le Ministre de l’Education Nationale. La diffusion
sur un site de la liste d’aptitude, appartenant à la catégorie des décisions individuelles « collectives » fait courir le
délai de recours contentieux eu égard à la nature et à l’objet de ce même site. Il faut donc prendre en compte
l’objet et la nature d’un site internet pour examiner si la diffusion en son sein d’une décision administrative fait
naître le délai de recours contentieux.

EXTRAITS

[…] net du ministère chargé de l'éducation nationale


(education.gouv.fr), sur le système d'information et d'aide
3. La publication d'une décision administrative
pour les promotions (SIAP) auquel Mme B...avait librement
dans un recueil autre que le Journal officiel fait courir le
accès. Eu égard à l'objet et à la nature du SIAP qui est un
délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si
système d'information et d'aide pour les promotions destiné
l'obligation de publier cette décision dans ce recueil résulte
aux personnels enseignants d'éducation et d'orientation du
d'un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au
second degré et instituteurs et professeurs des écoles et à
Journal officiel de la République française. En l'absence
ses conditions d'accessibilité et d'utilisation, notamment
d'une telle obligation, cet effet n'est attaché à la publication
par les professeurs, catégorie à laquelle appartient
que si le recueil peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités
l'appelante, cette publication a fait courir les délais de
de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable
recours à son égard.
par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur
donnant qualité pour contester la décision. 5. Or, il ressort des pièces du dossier que la de-
mande de Mme B...dirigée contre cette liste d'aptitude n'a
4. Selon les indications du ministre de l'éduca-
été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bor-
tion nationale, non contestées par l'appelante, les résultats
deaux que le 11 septembre 2013, soit après l'expiration du
des opérations de promotion des personnels enseignants,
délai de recours contentieux de deux mois. Ce délai n'a pu
d'éducation et d'orientation pour la rentrée de l'année sco-
être prorogé par le recours exercé par l'intéressée auprès
laire 2013-2014, incluant la liste d'aptitude pour l'accès au
du recteur de l'académie de Bordeaux le 11 juin 2013, soit
corps des professeurs certifiés au titre de l'année 2013
avant la publication des résultats qu'elle conteste, à l'en-
établie par le ministre de l'éducation par arrêté du 21 juin
contre de l'absence de proposition d'inscription de sa candi-
2013, ont été mis en ligne le 26 juin 2013 sur le site inter-
NOVEMBRE 2018 Page 20

dature sur la liste d'aptitude, recours qui a été rejeté par la procédure, de l'erreur manifeste d'appréciation et du dé-
décision du 9 juillet 2013. La demande de Mme B...a ainsi tournement de pouvoir, sans remettre en cause l'apprécia-
été présentée tardivement et la fin de non recevoir opposée tion portée par le tribunal administratif de Bordeaux sur
par le ministre de l'éducation nationale doit être accueillie. l'irrecevabilité de ses conclusions présentées en première
Mme B...n'est, dès lors, pas fondée à se plaindre de ce que instance tendant à l'annulation, d'une part, de l'avis défavo-
par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bor- rable pris sur sa candidature par le recteur de l'académie de
deaux a rejeté comme étant irrecevables ses conclusions Bordeaux, révélé par l'absence de proposition d'inscription
tendant à l'annulation de la liste d'aptitude pour l'accès au la concernant, et, d'autre part, des conclusions dirigées
corps des professeurs certifiés au titre de 2013. contre le refus du recteur de réexaminer sa candidature,
exprimé dans une lettre du 9 juillet 2013.
6. S'agissant des autres moyens de sa requête
d'appel, Mme B...se borne à reprendre ceux tirés de l'incom- […]
pétence, de l'insuffisance de motivation, de l'irrégularité de

NOTE
Le Doyen Hauriou estimait que la notification et la naître. Face au risque d’un retour de l’obscurité et du secret
publication constituaient les conditions essentielles pour faire administratif, la CAA s’appuie sur l’exigence d’une diffusion
courir le délai de recours contentieux : « On part de l’idée que la nécessitant un support « aisément consultable par toutes les
seule émission de la décision ne suffit pas pour faire courir le personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité
délai du recours, qu’il faut que la décision ait été portée à la pour contester la décision ». Cette exigence permet aux
connaissance des intéressés, mais on ne voit que deux moyens destinataires d’une décision administrative de pouvoir en avoir
de porter à la connaissance, la notification ou la publica- connaissance et de contester, le cas échéant, cette même
tion » (Maurice HAURIOU, La jurisprudence administrative de décision devant le juge.
1892 à 1929 par Maurice Hauriou, t. 2, Sirey, 1929, p. 309).
En l’espèce, la question du point de départ du délai
Ces deux grands principes, parfois atténués, se voient désar-
de recours pouvait sembler secondaire. Elle est tout de même
maient bouleversés avec l’existence de mécanismes de diffu-
rappelée de manière solennelle par la Cour qui reprend une
sions dans le cadre de l’affermissement de l’administration
solution récente du Conseil d’Etat (CE, 10 mai 2017, Sté Cora
numérique. L’articulation entre l’exigence de publication des
et a., no 395220, Lebon, Tables) relative à la diffusion d’une
actes administratifs et le renfort de l’administration numérique
« Pour attirer l'attention de vos lecteurs,
décision administrative sur un site internet dédié et la nais-
(Geneviève KOUBI , « Administration électronique et circulaires
insérez ici une phrase ou une citation
intéressante tirée de l'article. »
sance du délai de recours contentieux selon laquelle :
administratives », AJDA, 2006, p. 953) implique un ensemble de
«Considérant que la publication d'une décision administrative
conditions énoncées à l’article R. 421-1 du code de justice ad-
dans un recueil autre que le Journal officiel fait courir le délai
ministrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction
du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si l'obligation
ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une
de publier cette décision dans ce recueil résulte d'un texte
décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou
législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de
de la publication de la décision attaquée » lesquelles visent à
la République française ; qu'en l'absence d'une telle obligation,
concilier ces exigences antagonistes tout en protégeant l’effecti-
cet effet n'est attaché à la publication que si le recueil peut, eu
vité du droit au recours (Emmanuel CARTIER, « Publicité, diffusion
égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé
et accessibilité de la règle de droit dans le contexte de la dé-
comme aisément consultable par toutes les personnes
matérialisation des données juridiques », AJDA, 2005, p. 1092).
susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour
C’est dans ce contexte que le CAA de Bordeaux vient rappeler
contester la décision » .
les conditions relatives à la publication spéciale d’une décision
administrative pour que le délai de recours contentieux puisse
NOVEMBRE 2018 Page 21

La CAA a donc transposé cette décision au litige ces deux supports sont familiers à la requérante et qu’elle
qu’elle devait examiner. En l’espèce, la requérante, profes- peut les consulter librement.
seure au sein d’un lycée professionnel, souhaitait bénéficier
Toutefois, la requérante n’a pas attendu la diffu-
d’une évolution de carrière et prétendait ainsi au titre de pro-
sion de la décision administrative en question pour contester
fesseure certifié. La nomination des professeurs certifiés par
l’avis défavorable du recteur de l’académie de Bordeaux. Elle
arrêté du ministre de l’éducation nationale peut exiger, no-
a ainsi exercé un recours gracieux, le 11 juin 2013, qui a été
tamment, un avis favorable du recteur de l’académie de ratta-
rejeté le 9 juillet 2013. Or la requérante n’a exercé un re-
chement du professeur candidat.
cours juridictionnel contre la décision administrative finale
Suite à un avis défavorable du recteur de l’acadé- que le 11 septembre 2013, bien après l’expiration du délai
mie de Bordeaux, le Ministre de l’éducation nationale a dres- de recours contentieux de deux mois débutant le 26 juin. Or,
sé par arrêté du 21 juin 2013 la liste d'aptitude pour l'accès cette même décision n’a pas pu être prorogée par le recours
au corps des professeurs certifiés pour la rentrée de l'année gracieux qui précède son entrée en vigueur, sa publication et
scolaire 2013-2014. Il faut préciser que l’article 27 du décret diffusion. La demande de la requérante est donc irrecevable.
75-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des pro- La CAA vient donc confirmer le jugement du tribunal adminis-
fesseurs certifiés énonce: « Les intéressés doivent être âgés tratif de Bordeaux.
de quarante ans au moins et justifier d'au moins dix années
Cette solution vient en réalité appliquer l’exigence
de services effectifs d'enseignement, dont cinq en qualité de
d’une diffusion suffisante à l’égard des intéressés au cas de
titulaire. Ils sont choisis parmi les candidats inscrits sur la
la diffusion sur un site internet connu et utilisé par les desti-
liste d'aptitude arrêtée chaque année par le ministre, après
nataires d’une décision administrative. La publication sur un
avis du groupe des inspecteurs généraux de l'éducation
site internet dédié aux destinataires d’une décision adminis-
nationale de la discipline concernée et de la commission
trative est une modalité de diffusion suffisante pour faire
administrative paritaire nationale du corps des professeurs
naître le délai de recours contentieux. C’est en ce sens que la
certifiés, sur la proposition des recteurs, en ce qui concerne
nature et l’objet du site en question viennent faire débuter le
les personnels enseignants en fonctions dans les
délai de recours contentieux.
établissements relevant du ministère de l'éducation nationale
ou, s'il s'agit de personnels enseignants détachés ou affectés
La CAA vient avant tout rappeler les conditions
dans les établissements d'enseignement supérieur, de
relatives à la diffusion et la publication sur un recueil autre
l'autorité compétente pour le choix de ces personnels ». Cette
que le Journal officiel pour que le délai de recours conten-
liste n’a fait l’objet d’aucune publication matérielle. Les listes
tieux puisse courir (I). Cette exigence est respectée lorsque la
d’aptitudes répondent à un régime contentieux particulier
diffusion s’effectue sur un site dédié aux intéressés d’une
étant donné qu’elles appartiennent à la catégorie des
décision administrative eu égard à la nature et l’objet de ce
décisions individuelles « collectives » (David KATZ, « Effets de
même site (II).
la publication d'une liste d'aptitude sur le site internet du
ministère de l'éducation nationale », AJDA, 2018, p. 890). I. LE RAPPEL DES CONDITIONS RELATIVES À
LA NAISSANCE DU DÉLAI DE RECOURS CON-
Ainsi, la publication de ces mêmes listes déclenche le délai
TENTIEUX EN L’ABSENCE D’UNE PUBLICA-
de recours contentieux. Les personnes dont le nom ne figure T I O N A U J O U R N A L O F F IC I E L
pas peuvent contester les listes d’aptitudes. Sur cette liste, le
La CAA, dans son considérant numéro 3, reprend
nom de la requérante ne figurait pas. Par ailleurs, cette
in estenso la solution de principe énoncé en 2017 par le Con-
même liste a fait l’objet d’une diffusion sur le site internet du
seil d’Etat dans la décision société Cora (CE, 10 mai 2017,
ministère chargé de l'Education Nationale sur le système
Sté Cora et a, préc). Il faut pourtant remonter à 2005 pour
d'information et d'aide pour les promotions, le SIAP,
voir la première mention de cette formulation dans une déci-
(education.gouv.fr) le 26 juin 2013. Il faut ici souligner que
sion du Conseil d’Etat Million (CE, sect., 27 juill. 2005,
n° 259004, Millon c/ Tête, n° 2005-068695 ; Lebon,
JURISPRUDENCE
Page 22
ADMINISTRATIVE

p. 336 ; JCP A. 2005; AJDA 2005, p. 2462, note L. Janicot ; Dr. ne peut courir que si la publication alternative rend accessible
adm. 2005, comm. 152 ; BJCL 2005, p. 636, concl. E. Glaser). la consultation aux intéressés et est susceptible de porter à
Ce principe distingue deux cas dans lesquels la publication leur connaissance aisément la décision en question. En réalité
d’une décision administrative peut s’effectuer dans un bulletin cette hypothèse témoigne d’une appréciation réaliste et cir-
ou recueil autre que le Journal officiel constanciée du juge sensible aux considérations pratiques.

L’obligation d’une publication alternative prévue Sans développer ici le vaste contentieux et les raffi-
par une autre norme. Le premier cas est celui tout à fait clas- nements du régime relatif à la publication des décisions lo-
sique de la prescription par une norme de l’insertion dans un cales l’on peut citer à titre d’exemple le décret n° 2016-146
recueil d’une décision administrative. Dans cette hypothèse, la du 11 février 2016 relatif aux modalités de publication et de
publication dans un bulletin ou recueil autre que le Journal transmission, par voie écrite et par voie électronique, des
officiel existe parce qu’elle est obligatoire et le délai de recours actes des collectivités territoriales et des établissements pu-
contentieux court à partir de cette publication spéciale. Cette blics de coopération intercommunale (Mehdi YAZI-ROMAN,
solution repose également sur l’idée que la norme instituant la « Décret sur la publication et la transmission, par voie écrite et
publication spéciale fait elle-même l’objet d’une publication au par voie électronique, des actes des collectivités territoriales »,
Journal officiel, le plus souvent, ce qui implique une diffusion AJCT, 2016, p.382; Pierre SABLIÈRE, « Nul n'est-il censé ignorer
des plus larges. internet ? », AJDA, 2010, p.127). Il convient d’insister sur le fait
l’appréciation in concreto (Laetitia JANICOT, « Le délai des
Il est d’ailleurs possible de trouver d’autres
recours contentieux formés à l'encontre des actes des
exemples antérieurs à 2005 dans lesquelles le juge a estimé
collectivités territoriales », AJDA, 2005, p. 2462 : « il ressort de
que le délai de recours contentieux débute par l’existence
la lecture des conclusions du commissaire du gouvernement
d’une publication spéciale. Ainsi, en 1998, dans la décision
que le Conseil d'Etat a en réalité apprécié les modalités
Comité de défense du bassin de la Vézère (CE, 1er avril 1998,
concrètes de diffusion du recueil des actes administratifs de la
Comité de défense du bassin de la Vézère, Lebon, tables, p.
région (…) , avant de se prononcer sur la question du
718) au sein de laquelle le Conseil d’Etat a estimé que la
déclenchement du délai de recours contentieux ») de la
publication d’un agrément d’une association, en matière de
publicité alternative permet de s’adapter au paysage
protection de l’environnement, peut s’effectuer dans un recueil
institutionnel local et d’éviter que, par principe, une décision
d’actes administratifs d’un département et ainsi faire courir le
publiée localement par une entité territoriale, en l’absence
délai de recours contentieux. Il faut ici insister sur un point
d’une telle obligation formulée par une norme elle-même
essentiel, une telle publication dans un recueil d’actes
publiée au Journal officiel, ne puisse voir son délai de recours
administratifs d’un département était prévue par l’article 16
contentieux déclenché (CE, 2 mai 1913, Pignal, Lebon p. 493).
du décret du 7 juillet 1977 qui lui même faisait l’objet d’une
C’est d’ailleurs cette appréciation circonstanciée que souligne
publication au Journal officiel. L’équilibre général de la
la CAA de Bordeaux lorsqu’elle fait mention des critères de la
première hypothèse de la solution de 2005 se retrouve donc
nature et de l’objet du support de la diffusion en question.
dès 1998.
En l’espèce, le support avait bien pour objet d’infor-
La possibilité d’une publication alternative en l’ab- mer les agents publics liés au ministère de l’éducation natio-
sence d’une norme publiée au Journal officiel la prescrivant. nale et pour nature de diffuser, notamment, des décisions
La seconde hypothèse présentée en 2005 par la solution Mil- administratives qui intéressent ces mêmes agents. D’ailleurs,
lion présente toutefois quelques difficultés supplémentaires. en matière de gestion des agents publics, la jurisprudence
En effet, il est possible d’opérer une publication spéciale d’une estime aisément qu’une décision intéressant les membres
décision administrative, et de déclencher le délai de recours d’un corps de la fonction publique puisse faire l’objet d’une
contentieux, en l’absence même d’une telle obligation posée publication spéciale, elle-même destinée aux membres de ce
par une norme elle-même publiée, le cas échéant, au Journal même corps, et dès lors déclencher le délai de recours conten-
officiel. Dans cette hypothèse, le délai de recours contentieux tieux (CE, 28 nov. 1952, Bouzat, Lebon, p. 544. La publication
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au bulletin officiel des contributions directes fait courir le et services de l'Etat ». Cela ne garantit pas, qui plus est, une
délai de recours contentieux « eu égard au caractère officiel recherche aisée car, à défaut de connaître la date, l'objet ou
du bulletin et à sa diffusion dans les bureaux »). Il faut les références des textes, la recherche par « mot clé » s'avère
toutefois insister sur l’illustration intéressante du principe de périlleuse dans la mesure où le tri des documents est fait
2005 que propose ici la CAA. Il s’agit en effet d’une uniquement à partir du titre, du numéro d'enregistrement ou
combinaison entre les exigences de publicité, de sécurité du « ministère déposant »). Tel n’était pas le cas de la
juridique et l’approfondissement de la dématérialisation solution d’espèce. Non seulement la requérante avait
administrative et de l’administration numérique. librement accès aux supports de diffusion de la décision
contestée, mais il semble qu’elle y était familiarisée. En effet,
I I . L A D I F F U S I O N E N L I G N E D ’ U N E D É C I S I ON
si le maniement et la hiérarchisation des décisions et
ADMINISTRATIVE COMME POSSIBLE MODALI- documents administratifs sur le site circulaire.gouv peut
T É D E P U B L I C I T É S U FF I S A N T E P O U R F A I R E s’avérer assez délicat même pour un agent public familiarisé
C O U R I R L E D É L A I D E RE C O U R S C O N T E N T I E U X avec de tels supports, le système d'information et d'aide pour
les promotions (SIAP) s’avère corriger ces difficultés. Il s’agit
La CAA de Bordeaux vient ici procéder à une trans-
d’un portail destiné directement aux enseignants du premier
position de la décision du Conseil d’Etat de 2017, société
et du second degré. Ils peuvent y avoir accès via le serveur de
Cora, au cas d’espèce qui lui était soumis. La publication
leur académie de rattachement. La diffusion s’avère dès lors
alternative trouve en effet un vaste champ d’application dans
suffisamment ciblée, pour que les intéressés puissent y avoir
le cadre d’internet et plus largement de la régulation. L’admi-
accès. Par ailleurs, un tel support implique une consultation
nistration classique y a recours et les autorités de régulation
régulière de la part des intéressés, ce qui constitue une
font aussi un usage très important de cette forme de diffu-
norme de travail communément acquise au sein de
sion des documents et décisions administratives révélatrice
l’administration. L’un des réflexes administratifs des agents
d’une technique de communication notamment par l’insertion
étant désormais de se connecter aux portails permettant de
complémentaire de « communiqués de presse ». En l’espèce,
gérer leur travail mais également leurs carrières.
la décision contestée, prise sous forme d’arrêté avait fait
l’objet d’une diffusion sur un site internet, circulaire.gouv, et Il est cependant envisageable d’y voir une certaine
également au sein d’un portail dédié aux personnels ensei- sévérité de la CAA de Bordeaux dans la mesure ou une forme
gnants du premier et du second degré. amoindrie de la théorie de la connaissance acquise pourrait
transparaître implicitement. En effet, le recours gracieux exer-
L’absence de difficulté de consultation du support
cé par la requérante semble indiquer qu’elle avait connais-
de diffusion pour les intéressés. La publication électronique
sance en amont de la teneur de la décision finale contestée.
fait l’objet de critiques selon lesquelles non seulement elle
Il faut toutefois être prudent dans cette affirmation, mais il
renforce le secret administratif mais également suppose que
n’en reste pas moins que cet élément préalable évite au juge
le destinataire ou l’intéressé d’une décision connaisse
d’examiner la teneur, la durée et la qualité de la publication
l’adresse, ou du moins les mots-clés, permettant d’accéder
en question comme il a pu le faire dans d’autres cas d’es-
au support internet de la diffusion (Pierre SABLIÈRE, « Nul n'est-
pèce dans le même cadre d’une diffusion sur le SIAP (CAA,
il censé ignorer internet ? », loc. cit.: « Pourtant, la publication
Paris, 26 mai 2016, M. A, n° 14PA00761. inédit au Lebon).
électronique devient, là encore, le vecteur unique d'une ac-
En réalité, la décision semblait « attendue » par la requérante
cessibilité non améliorée pour autant : y accéder suppose
et la teneur de cette même décision ne soulevait guère de
que l'on connaisse l'adresse électronique de ce site, distincte
difficultés en ce sens que deux alternatives existaient, soit le
de celle de Legifrance qui ne fait qu'y renvoyer à condition de
nom de la requérante y figurait, soit il n’y figurait pas.
savoir que c'est par le biais de la rubrique « autres
publications des JO en ligne » où « circulaires.gouv.fr » se
L’appréciation de la valeur de la publicité par dif-
cache sous l'appellation « instructions et circulaires
fusion eu égard à la familiarité entretenue par un champ
applicables adressées par les ministres aux établissements
d’intéressés avec le support en question. Au delà de cette
NOVEMBRE 2018 Page 24

difficulté d’espèce relative à la « pré » connaissance implicite égard. Là encore, l’on retrouve une appréciation circonstan-
de la décision, le juge vient réaffirmer l’idée selon laquelle la ciée en fonction du « champ » administratif en question. Un
diffusion par internet de décisions propres à un « champ » standard vient également accompagner l’examen du juge
administratif s’avère être une méthode opératoire pour ce qui dans la mesure où celui-ci considérera si les intéressés sont
est du déclenchement du délai de recours contentieux. Cette susceptibles d’avoir eu une connaissance suffisante de la
idée de culture et d’habitude du support informatique et norme diffusée eu égard à leur familiarité envers le support
d’internet appréciée in concreto transparaissait clairement de publication.
dans la décision société Cora de 2017. En effet, la décision
La décision de la CAA de Bordeaux s’inscrit dans
contestée, une « lettre circulaire », avait fait l’objet d’une diffu-
ce courant d’approfondissement de l’administration numé-
sion sur le site de l’Urssaf, site auquel les requérants étaient
rique tout en individualisant, en fonction de la familiarité en-
habitués et familiarisés puisqu’ils appartenaient à la catégo-
tretenue par les intéressés à l’égard du support de diffusion,
rie des employeurs redevables de cotisations sociales (CE, 10
l’appréciation du juge pour ce qui est de la notion de publicité
mai 2017, Sté Cora et a préc: « Considérant que, selon les
adéquate. Cette familiarité avec le dispositif de diffusion au-
indications de l'ACOSS, non contestées par les sociétés
quel la requérante était confronté ne faisait ici guère de
requérantes, la lettre circulaire litigieuse a été mise en ligne
doute.
sur le site internet des URSSAF dès le 29 mars 2011 ; qu'eu
égard à l'objet et à la nature de ce site et à ses conditions
d'utilisation par les employeurs redevables des cotisations
sociales, catégorie à laquelle appartiennent les requérantes, Vyctor MEURVILLE—BOSSUAT
cette publication a fait courir les délais de recours à leur Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche
Institut Léon Duguit - Université de Bordeaux
égard ; que, par suite, la requête introduite le 11 décembre
2015 était tardive »), le délai de recours contentieux pouvait
donc courir à leur égard.

Cette diffusion dématérialisée et atomisée, appré-


ciée en fonction du « champ » auquel elle s’adresse, s’illustre
tout particulièrement au sein des autorités administratives
indépendantes et de leurs normes de soft law. En effet, les
AAI ont bien souvent recours à un mode de publicité sur leur
site internet, auxquels les opérateurs du secteurs faisant
l’objet d’une régulation sont familiarisés et ont librement
accès (Julia SCHMITZ, Le droit « souple », les autorités
administratives indépendantes et le juge administratif. De la
doctrine au prétoire », RFDA, 2017, p. 1080 : « La question de
l'ouverture des délais de recours contre les actes de droit
souple émis par les AAI appelle plus de souplesse en raison
de leur mode spécifique de publicité, en particulier pour les
publications en ligne »). De ce point de vue la publicité a pour
effet de faire courir le délai de recours contentieux à l’égard
des actes de soft law des AAI publiés sur internet (CE, 13 déc.
2017, Sté Bouygues Télécom, n° 401799; AJDA, 2017,
p. 2497), la diffusion sur le site de l’Autorité de régulation des
communications électroniques et des postes (Arcep) de lignes
directrices fait courir le délai de recours contentieux à leur
JURISPRUDENCE
Page 25
ADMINISTRATIVE

L’INDEMNISATION DE L’OCCUPANT DU DOMAINE PUBLIC INDUIT EN ERREUR SUR L’EMPLACEMENT DE SON


INSTALLATION
Note sous CAA Bordeaux, 5 février 2018, Société Château Lilian Ladouys contre Grand Port Maritime de Bor-
deaux (GPMB), n° 16BX02018 et n° 16BX04268
Clothilde LE GUAY

Résumé :

L’attribution d’un titre d’occupation temporaire du domaine public à un occupant ne le prémunit pas
contre les risques de modification de celui-ci. L’autorité domaniale est toujours libre, eu égard au caractère pré-
caire et révocable des autorisations domaniales et aux besoins d’entretien du domaine, de procéder à une modifi-
cation de l’autorisation soumettant l’occupant à l’obligation de déplacer son installation. En revanche, lorsque le
gestionnaire du domaine a initialement induit en erreur le prétendant occupant sur l’emplacement à occuper, il
est considéré comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité pleine et entière. En pareil
cas, s’il demeure chargé de réparer les atteintes portées au domaine, l’occupant peut tout de même demander la
réparation du préjudice financier causé par le comportement fautif de l’autorité domaniale.

EXTRAITS

N°16BX02018 : dernier courriel en date du 2 septembre 2010, cet agent a


informé la société que son titre d’occupation avait été créé
(…)
et lui a transmis les références de celui-ci, à savoir les numé-
« 14. Ni l’article L. 2122-1 précité du code général de la pro- ros de la décision et de son titre d’occupation, et son numé-
priété des personnes publiques, ni aucune autre disposition ro client. Ainsi, confortée quant à l’existence d’une autorisa-
législative ou réglementaire n’imposent qu’une autorisation tion d’occupation temporaire à son bénéfice, la société a
d’occuper le domaine public soit accordée sous forme écrite, alors entrepris les travaux de construction du carrelet, les-
une telle autorisation devant seulement revêtir un caractère quels ont été achevés fin septembre 2010. En octobre et
exprès. novembre 2010 lui ont cependant été adressés des cour-
15. Il résulte de l’instruction que la société Château Lilian riers lui demandant de déplacer son installation de pêche au
Ladouys a adressé au GPMB, le 7 juin 2010, une demande motif qu’elle constituait un obstacle aux opérations de net-
d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public toyage du fleuve. Par un courrier du 11 juillet 2011, le chef
afin d’installer, sur la parcelle A 376, un carrelet de pêche. du service juridique du GPMB a d’ailleurs confirmé qu’il avait
Par un courrier électronique du 10 juin 2010, l’agent chargé été procédé à la “ suspension de l’autorisation d’occupation
d’instruire la demande de la société, lui a indiqué que son temporaire jusqu’à régularisation “, révélant ainsi l’existence
dossier était complet et n’appelait aucune remarque en même d’une autorisation au profit de cette société. Enfin, la
l’état. Il lui a alors précisé qu’il faisait le nécessaire afin société a versé au dossier une lettre datée du 1er février
d’établir son titre d’occupation et l’a, durant le temps de 2012 relative aux tarifs d’occupation domaniale, que le di-
l’instruction de sa demande, autorisée à commencer les recteur général du GPMB lui a adressée, en qualité de titu-
travaux d’implantation du carrelet. Par un courrier électro- laire d’une autorisation d’occupation temporaire. Dans ces
nique daté du 22 juillet 2010, il a précisé que le titre ne se- conditions, et quand bien même l’autorisation d’occupation
rait établi qu’en septembre mais a réitéré l’autorisation qu’il temporaire n’aurait pas été signée par le directeur de GPMB,
lui avait donnée de commencer les travaux. Enfin, par un la société Château Lilian Ladouys doit être regardée comme
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ayant été titulaire d’une telle autorisation. truction malgré mise en demeure de la déplacer. Par suite, et
alors que la société Château Lilian Ladouys n’établit pas que
Sur la légalité de la modification de l’autorisation initiale d’oc-
son refus de déplacer l’installation serait dû, de façon exclu-
cupation temporaire du domaine public :
sive, à un cas de force majeure ou à un fait de l’administra-
16. Le procès-verbal du 23 juin 2011 se fonde notamment, tion assimilable à un cas de force majeure, elle n’est pas
pour établir la contravention de grande voirie à l’encontre de fondée à solliciter la décharge de l’obligation de réparer les
cette société, sur le fait que la société Château Lilian Ladouys atteintes portées au domaine public. »
a maintenu son carrelet malgré plusieurs demandes tendant
__________
à ce qu’elle procède à son déplacement. Par un courrier du 7
octobre 2010, le chef du département de la gestion immobi- N°16BX04268 :
lière du GPMB avait en effet indiqué à cette société que l’im-
(…)
plantation de son carrelet ne respectait pas l’emplacement
initial et lui avait demandé de modifier cette implantation afin « 9. Dans ces conditions, la société Château Lilian Ladouys

de respecter la cote PK55 980. Les termes de ce courrier ont est fondée à soutenir qu’elle a été induite en erreur par le

été confirmés par une lettre du directeur de l’aménagement GPMB quant à la localisation précise de l’installation, et

et de l’environnement du 23 novembre 2010. Dans ces con- quant à la possibilité de la mettre en place dès la réception

ditions, le GPMB doit être regardé comme ayant procédé, le du courriel du 10 juin 2010. Le GPMB soit donc être regardé

23 novembre 2010, non à un retrait de l’autorisation d’occu- comme ayant commis à cet égard des fautes, de nature à

pation temporaire du domaine public dont le principe n’est engager sa responsabilité pleine et entière.

pas remis en cause en faveur de la société, comme le montre 10. En revanche, il résulte de l’instruction que le carrelet en
d’ailleurs le courrier précité du 1er février 2012 du GPMB, cause est situé en entrée de chenal, à un endroit où celui-ci
mais à une modification de cette autorisation eu égard à forme un coude. Compte tenu de la configuration des lieux et
l’emplacement autorisé. de la présence, sur l’autre rive, d’un autre carrelet, l’installa-

(…) tion en litige était de nature à faire obstacle au passage des


navires chargés de l’entretien du cours d’eau. Dans ces con-
21. Cependant, d’autre part, il résulte de l’instruction, et en
ditions, en procédant à la modification de l’autorisation d’oc-
particulier des photographies versées par l’administration,
cupation du domaine public au motif que le carrelet en litige
que le carrelet en cause est situé en entrée de chenal, à un
constituait un obstacle aux travaux d’entretien du chenal, et
endroit où celui-ci forme un coude. Compte tenu de la confi-
quand bien même cette modification est-elle intervenue peu
guration des lieux et de la présence, sur l’autre rive, d’un
de temps après que la société requérante eût terminé les
autre carrelet, l’installation en litige était de nature à faire
travaux, et alors qu’une autorisation d’occupation du do-
obstacle au passage des navires chargés de l’entretien du
maine public est par nature précaire et révocable, l’autorité
cours d’eau. Dans ces conditions, en procédant à la modifica-
gestionnaire du domaine public, qui a exercé son pouvoir
tion de l’autorisation d’occupation du domaine public au mo-
d’appréciation d’une façon qui n’est pas manifestement dé-
tif que le carrelet en litige constituait un obstacle aux travaux
nuée de fondement, n’a pas commis de faute.
d’entretien du chenal, et quand bien même cette modifica-
tion est-elle intervenue peu de temps après que la société (…)
requérante eût terminé les travaux, et alors qu’une autorisa-
Sur le préjudice :
tion d’occupation du domaine public est par nature précaire
12. La société Château Lilian Ladouys argue en premier lieu
et révocable, l’autorité gestionnaire du domaine public a
d’un préjudice financier, correspondant au coût de l’installa-
exercé son pouvoir d’appréciation d’une façon qui n’est pas
tion de pêche et au coût de son démontage. Elle a produit à
manifestement dénuée de fondement. En tout état de cause,
cet effet un devis émanant de l’entreprise GTM Bâtiment
il est constant que le procès-verbal en litige a été dressé, non
Aquitaine, qui indique un montant de 21 780 euros TTC pour
pour construction irrégulière ou absence d’autorisation d’oc-
la dépose de l’installation existante, cabane et ponton, et un
cupation du domaine public, mais pour maintien de la cons-
JURISPRUDENCE
Page 27
ADMINISTRATIVE

montant de 63 180 euros TTC pour la mise en place d’une truction ne serait pas faite à l’identique. Dans ces conditions,
nouvelle installation. Dès lors que le procès-verbal de contra- en raison des fautes commises par le GPMB, il y a lieu d’al-
vention de grande voirie qui lui a été infligé a été dressé, non louer à la société Château Lilian Ladouys la somme de 84 960
pour construction irrégulière, mais pour maintien de la cons- euros, correspondant au montant TTC de la dépose de l’instal-
truction malgré mise en demeure de la déplacer, il s’ensuit lation existante et de la mise en place d’une nouvelle installa-
que le GPMB n’a pas remis en cause le principe de l’autorisa- tion.
tion d’occupation du domaine public qui lui a été accordée,
13. En second lieu, la société réclame 20 000 euros au titre
comme le montre d’ailleurs la lettre sus-évoquée du 1er février
du préjudice moral et du préjudice d’image qu’elle estime
2012 relative aux tarifs d’occupation domaniale que lui a
avoir subi. Cependant, elle ne justifie ni de l’existence d’un
adressée le directeur général du GPMB, mais a modifié l’em-
préjudice moral, ni de celle d’un préjudice d’image, dès lors
placement sur lequel elle était autorisée à implanter son carre-
que son activité principale, sinon exclusive, est celle de l’ex-
let. Par suite, la société requérante a vocation à ré-implanter
ploitation de vignobles en AOC Saint-Estèphe et de la commer-
une installation au point kilométrique qui lui a été précisément
cialisation des vins qui en sont issus. »
attribué. Si la société produit un devis correspondant à la re-
construction de l’installation, il ne résulte pas de l’instruction
et n’est d’ailleurs pas soutenu en défense, que cette recons-

NOTE
En dépit des nombreuses solutions visant à sécuriser la 376, dépendance du domaine public de l’établissement. Un
situation des occupants du domaine public, celle-ci demeure agent a répondu le 10 juin 2010 à la demande de la société
singularisée par sa précarité. Qu’il s’agisse de la pérennité en lui informant que son dossier étant complet, le nécessaire
de l’occupation ou de ses conditions mêmes, les occupants serait fait afin d’établir le titre d’occupation. Par la même
du domaine se situent souvent en position de faiblesse face occasion, l’agent lui a donné l’autorisation expresse de débu-
à l’importance des mesures prises par les autorités doma- ter les travaux. Si l’établissement du titre a pris du retard, la
niales. Pour autant, celles-ci ne peuvent pas se prévaloir des société a reçu le 2 septembre 2010 un mail lui indiquant que
possibilités que leur offre leur pouvoir de gestion pour induire son titre était créé, recevant alors les numéros de décision,
les occupants privatifs en erreur. Cette nuance, pouvant dudit titre, ainsi que sa référence client. A la suite de cet
s’apparenter à une sorte d’exigence de bonne foi des autori- échange, la société a engagé les travaux qui se sont achevés
tés domaniales à l’égard de leurs occupants privatifs, est à la fin du mois de septembre de la même année, bien que
illustrée par les deux arrêts de la Cour administrative d’appel son titre n’ait toujours pas été signé par le directeur du grand
de Bordeaux du 5 février 2018, tranchant l’unique litige sur- port maritime.
venu entre la société Château Lilian Ladouys et le Grand Port
Toutefois, la société a fait l’objet, en octobre et no-
Maritime de Bordeaux (par la suite visé sous l’acronyme
vembre 2010, de deux demandes de déplacement de son
« GPMB »). Ce litige est né de la contestation d’une contra-
installation. Selon le GPMB, le carrelet implanté par la socié-
vention de grande voirie établie par le préfet de la Gironde à
té n’était pas situé au bon emplacement, celui-ci devant être
l’égard de la société, qui refusait de déplacer l’installation
placé précisément au point kilométrique PK 55980 et non
qu’elle avait édifiée sur le domaine public du GPMB.
sur n’importe quelle partie de la parcelle A 376. En ce sens,
Les faits du litige sont les suivants. Le 7 juin 2010, la selon le GPMB, la société n’aurait pas respecté l’emplace-
société Château Lilian Ladouys a adressé au GPMB une de- ment prévu par l’autorisation. De plus, l’établissement a
mande d’autorisation d’occupation temporaire du domaine avancé l’argument selon lequel l’édification de la société
public afin d’installer un carrelet de pêche sur la parcelle A constituait un obstacle aux travaux d’entretien du chenal. Le
NOVEMBRE 2018 Page 28

11 juillet 2011, la société a été informée de la suspension de l’autorité domaniale, il demeure que celle-ci avait initialement
son autorisation jusqu’à régularisation. Enfin, le 1er février induit en erreur son occupant, commettant alors une faute de
2012, elle reçut une lettre relative aux tarifs d’occupation nature à engager sa responsabilité. C’est pourquoi, bien
domaniale, qui lui fut adressée en sa qualité de titulaire qu’en l’espèce la société ait dû déplacer son carrelet de
d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine pu- pêche, le GPMB a tout de même été condamné à réparer les
blic. dommages causés par ce déplacement.

Le 31 décembre 2013, le tribunal administratif de Bor- I . L A R E C O N N A I S S A N CE D E L A L E G A L I T É D E


deaux avait accueilli la demande du préfet de la Gironde ten- LA MODIFICATION UNILATÉRALE DU TITRE
dant à la constatation de la contravention de grande voirie D’OCCUPATION
constituée par l’installation de pêche, à la condamnation de
Afin de pouvoir qualifier la demande de déplace-
la société au paiement d’une amende ainsi qu’à la démolition
ment de modification de l’autorisation, la Cour administrative
de cette installation et à la remise en état des lieux dans un
d’appel de Bordeaux a d’abord dû constater l’existence d’une
délai de trois mois. De même, le GPMB a été autorisé à y
telle autorisation. Or, sur ce point, les faits du litige ne ren-
procéder aux frais et risques de la société sous défaut d’exé-
daient pas la chose aisée. C’est à la suite d’une argumenta-
cution passé ce délai. Ayant été conduit jusque devant le
tion équivoque affirmant l’existence du titre domanial que la
Conseil d’Etat, le litige a été renvoyé par ce dernier à la Cour
Cour a pu reconnaître que le « principe » de l’autorisation
administrative d’appel bordelaise. La société Château Lilian
d’occupation n’ayant pas été remis en cause, la demande de
Ladouys demande l’annulation du jugement du tribunal ainsi
déplacement constituait une simple modification et non un
que le rejet de la demande du préfet. Parallèlement, elle a
retrait du titre, modification justifiée non pas par l’erreur de
formé un recours indemnitaire tendant à la réparation des
l’occupant sur l’emplacement, mais simplement par le fait
préjudices financier, moral et du préjudice d’image résultant
que le carrelet de pêche constituait un obstacle aux travaux
de la demande de déplacement de son installation.
d’entretien du chenal.
La question immédiate qui se posait à la Cour adminis-
Dans cette espèce, la Cour administrative d’appel
trative d’appel de Bordeaux portait sur la régularité de la con-
de Bordeaux adopte un raisonnement singulier afin de recon-
travention de grande voirie établie à l’égard de la société. En
naître l’existence d’une autorisation d’occupation du domaine
réalité, il s’agissait surtout de savoir si la demande de dépla-
public. Selon elle, « Ni l’article L.2122-1 précité du code géné-
cement de l’installation édifiée par l’occupant privatif sur le
ral de la propriété des personnes publiques, ni aucune autre
domaine public était justifiée. Afin d’examiner la régularité de
disposition législative ou réglementaire n’imposent qu’une
cette demande, il lui a été nécessaire de la qualifier. Consta-
autorisation d’occuper le domaine public soit accordée sous
tant l’existence initiale d’une autorisation d’occupation de la
forme écrite, une telle autorisation devant seulement revêtir
parcelle A 376, la Cour administrative d’appel a considéré
un caractère exprès ». Bien que reprenant mot pour mot le
que cette demande de déplacement ne constituait ni plus ni
considérant d’un arrêt plus ancien de la Cour administrative
mois qu’une modification de celle-ci. Dès lors, comme l’expo-
d’appel de Marseille (CAA Marseille, 18 décembre 2012, M.
sent les juges, « le procès-verbal en litige a été dressé, non
Suzzarini, n° 11MA00981), la puissance de cette formule
pour construction irrégulière ou absence d’autorisation d’oc-
peut faire douter. Si la condition du caractère exprès des
cupation du domaine public, mais pour maintien de la cons-
autorisations d’occupation du domaine public est imposée
truction malgré mise en demeure de la déplacer ». Autrement
depuis 2003 au nom de l’impératif constitutionnel de protec-
dit, le principe de l’autorisation d’occupation n’étant pas re-
tion du domaine public (CE, 21 mars 2003, SIPPEREC, n°
mis en cause, il était possible de demander à l’occupant de
189191), ce n’est que récemment que le Conseil d’Etat s’est
déplacer ses installations. Toutefois, il est apparu aux juges
positionné sur le caractère écrit des titres domaniaux. C’est
girondins que la société ne s’était pas trompée quant à l’em-
sur ce dernier aspect que l’arrêt de la Cour administrative
placement exact visé par l’autorisation. Ainsi, si l’emplace-
d’appel bordelaise peut nous laisser perplexes.
ment objet de l’autorisation a été régulièrement modifié par
JURISPRUDENCE
Page 29
ADMINISTRATIVE

Au sujet du caractère exprès de l’autorisation doma- tence d’un accord de volonté entre l’autorité domaniale et
niale, la Cour semble effectivement parfaitement s’aligner sur l’occupant. Néanmoins, l’unité presque totale du régime des
les solutions antérieures interdisant qu’un titre d’occupation actes unilatéraux et des contrats portant occupation du do-
puisse découler du silence de l’administration. En ce sens, la maine démontre que c’est davantage la nature d’autorisation
tolérance ne peut valoir titre. En l’espèce, les juges ont à rai- de l’acte juridique et son objet, le domaine public, que sa
son reconnu que l’autorité domaniale n’a pas été silencieuse nature contractuelle ou unilatérale qui est déterminante du
puisque la société occupante avait reçu de nombreuses com- régime applicable (Pour plus de précisions, se référer à B.
munications écrites confirmant le principe de l’autorisation et PLESSIX, « Contrats domaniaux et théorie générale du contrat
lui permettant d’installer son carrelet de pêche sur la parcelle administratif », in Contrats et propriétés publics, colloque des
désignée. De la même manière, lui ont été transmises toutes 28 et 29 avril 2011, Montpellier, LexisNexis, 2011, p. 29). Il
les références de son dossier, comprenant son numéro de est à cet égard remarquable que l’arrêt ici commenté ne vise
décision, de titre et de client. Aussi, rien ne pouvait laisser que l’« autorisation d’occupation temporaire du domaine pu-
croire que le GPMB avait refusé la demande d’autorisation blic » sans faire mention de sa nature unilatérale ou contrac-
formulée par la société, bien au contraire. Tous les éléments tuelle. De plus, la signature de l’acte, quand bien même serait
versés au dossier semblaient caractériser la forme expresse -il unilatéral, est d’une importance considérable dans le condi-
de l’autorisation domaniale. tionnement de sa validité. Ainsi, il semble que le caractère
écrit des autorisations domaniales soit une condition de la
Néanmoins, le titre, qui visiblement avait été consti-
reconnaissance de leur existence même, car permettant de
tué, n’avait pas été signé par le directeur de l’établissement.
s’assurer de leur caractère exprès (N. FOULQUIER, « Pas de
Ainsi, un élément caractéristique de l’acte juridique support
titre tacite d’occupation du domaine public », RDI, 2015, p.
de l’autorisation était défaillant, remettant en cause son ca-
537). Dans le but d’un meilleur respect des exigences consti-
ractère écrit. La Cour bordelaise semble ici vouloir s’en ac-
tutionnelles qui s’attachent à la protection du domaine public
commoder, s’en tenant aux nombreux indices « révélant ainsi
(Voir en ce sens J.-F. GIACUZZO, « Verba volent, scripta ma-
l’existence même d’une autorisation » au profit de la société.
nent : les effets de l’obligation pour un titre domanial de revê-
Cependant, cette solution semble douteuse puisqu’en opposi-
tir la forme écrite », Constitutions, 2015, p. 397), il est néces-
tion avec la jurisprudence de la Haute juridiction administra-
saire que l’acte juridique soit matérialisé par sa forme écrite,
tive. En effet, la question de la forme prise par l’autorisation
ce qui s’oppose à ce que, comme en l’espèce, une autorisa-
domaniale s’était déjà posée devant le Conseil d’Etat qui l’a
tion puisse être « révélée » et soit « de toute évidence » exis-
traitée de façon catégorique. Dans l’arrêt Société immobilière
tante.
du Port de Boulogne, la juridiction avait alors exposé qu’« une
convention d’occupation du domaine public ne peut être ta- Sans doute la particularité des faits de l’espèce, qui
cite et doit revêtir un caractère écrit » (CE, 19 juin 2015, So- semblaient toujours davantage confirmer l’existence d’un titre
ciété immobilière du Port de Boulogne, n°369558). Certes, domanial, ont poussé la Cour administrative d’appel de Bor-
comme l’expose la Cour, ni le code général de la propriété des deaux à affirmer la régularité de l’occupation initiale de la
personnes publiques ni aucun texte à valeur législative ou société. Néanmoins il paraît délicat d’encourager le faisceau
réglementaire n’imposent le caractère écrit de l’autorisation d’indices comme technique d’identification des titres doma-
domaniale, mais il apparaît que celui-ci demeure imposé par niaux. En l’espèce, pourtant, il apparaît que cela a permis de
la jurisprudence du Conseil d’Etat, ce qui peut amener à large- rendre la situation initiale de la société régulière, lui évitant de
ment douter de la fiabilité du raisonnement de la Cour borde- pâtir davantage des étourderies de l’autorité domaniale. Si le
laise. Il pourrait être opposé à ce rapprochement que le Con- directeur du GPMB n’a pas signé le titre, dans les faits rien ne
seil d’Etat ne vise dans son arrêt que les conventions doma- pouvait laisser subsister de doute dans l’esprit de la société
niales et non tous les types d’autorisation, et que par-là la sur la régularité de la situation, société qui disposait même
forme écrite s’impose uniquement pour s’assurer de l’exis- des références de son titre. Qualifier son occupation d’irrégu-
NOVEMBRE 2018 Page 30

lière aurait certes été fidèle à la jurisprudence du Conseil contexte bien particulier. Si l’argumentation adoptée par les
d’Etat, mais aurait pu défavoriser la société requérante qui juges est assez équivoque et semble dangereuse si elle se
aurait simplement été victime de l’insuffisance du comporte- révélait être étendue à un grand nombre de litiges, il demeure
ment de l’autorité domaniale et qui ne disposerait toujours que l’objet de la modification n’était en réalité qu’une préci-
pas aujourd’hui d’autorisation d’occupation, celle-ci ayant été sion du point kilométrique sur lequel devait être installé le
simplement modifiée et non retirée par le GPMB. carrelet de pêche. Il ne s’est pas agi de transférer le
« principe » de l’autorisation à une parcelle différente, plus
En demandant à la société titulaire d’une autorisa-
grande et dont les bénéfices tirés de l’occupation auraient
tion de modifier l’emplacement sur lequel il lui avait été indi-
varié. Si tel avait été le cas, il aurait été fort possible de dou-
qué qu’elle pouvait installer son carrelet, l’administration a
ter que la décision de l’autorité domaniale puisse être consi-
procédé à une modification de l’autorisation d’occupation du
dérée comme une modification de l’autorisation initiale. Si
domaine. Après avoir reconnu l’existence initiale d’une autori-
l’adaptabilité de l’action administrative suppose de pouvoir
sation d’occupation du domaine public au profit de la société
modifier les actes administratifs, il semble difficile d’imaginer
Château Lilian Ladouys, la Cour administrative d’appel de
– surtout désormais au regard des préoccupations concurren-
Bordeaux a affirmé la légalité de celle-ci. Cela lui imposait
tielles – que l’autorité domaniale puisse accorder de nou-
avant tout de qualifier cette opération de modification.
velles autorisations simplement par la modification de titres
En l’espèce, la question se posait de savoir si le préexistants. Sans minimiser les coûts du déplacement de
GPMB avait procédé au retrait ou à la modification de l’autori- l’installation, les conséquences pratiques de la modification
sation domaniale. La distinction entre le retrait et la modifica- n’ont été ici subies que par l’occupant et ne présentent pas
tion tient à ce que la modification permet de maintenir l’acte de grand enjeu au regard du droit de la domanialité publique,
dans l’ordonnancement juridique (Pour plus de développe- qui suppose que les autorisations aient un objet bien détermi-
ments, se référer aux propos de F. CROUZATIER-DURAND, né.
« Retrait et modification d’un acte administratif unilatéral »,
Ces nuances sont d’autant plus importantes qu’en l’espèce,
AJDA, 2002, p.802). Si certains des effets de l’acte s’arrêtent
la protection du domaine public justifiait la modification de
à la suite de sa modification, celui-ci ne disparaît pas pour
l’autorisation. Deux motifs étaient avancés par le GPMB pour
autant de l’ordonnancement juridique. A cet égard, la Cour de
demander à la société de déplacer son carrelet de pêche.
Bordeaux a constaté que le « principe » de l’autorisation
Tout d’abord, il était avancé que celle-ci n’avait pas implanté
n’avait pas été remis en cause, puisque la société avait reçu
son carrelet à l’endroit qu’elle avait indiqué dans sa demande
des courriers après la demande de déplacement qui lui
d’autorisation. D’autre part, celui-ci, en raison de sa situation
avaient été envoyés en sa qualité d’occupante régulière. Sim-
géographique, aurait constitué un obstacle rédhibitoire à
plement, le GPMB a demandé à la société de modifier l’im-
l’entretien du canal. Si la Cour contredit le premier argument
plantation de son carrelet afin de respecter le point géogra-
au motif que rien n’imposait à la société d’implanter son car-
phique qui lui convenait. Cette modification explicite (puisque
relet précisément au point kilométrique PK 55980, le deu-
les modifications, tout comme les autorisations elles-mêmes,
xième a pleinement joué son rôle. Effectivement, les juges
ne peuvent être implicites : CAA Douai, 14 décembre 2006,
mettent en avant le fait que le carrelet « était de nature à
Port autonome du Havre, n°04DA00627) est ici uniquement
faire obstacle au passage des navires chargés de l’entretien
déduite du maintien de l’accord exprès de l’autorisation d’oc-
du cours d’eau » pour affirmer que la modification n’est que
cupation. En ce sens, à en lire la Cour administrative d’appel
le résultat de l’usage manifestement fondé par l’autorité ges-
de Bordeaux, un titre domanial non écrit semble pouvoir être
tionnaire de son pouvoir d’appréciation. Rappelant alors que
modifié sur simple demande formulée par l’autorité doma-
les autorisations domaniales sont par nature précaires et
niale à l’occupant de déplacer des installations édifiées par
révocables, les juges bordelais se conforment aux fonde-
l’occupant. L’argumentation peut sembler laisser à désirer.
ments de la domanialité publique qui imposent une certaine
Toutefois, il ne semble pas ici opportun de condam- faiblesse de l’occupant face aux pouvoirs de gestion de
ner ipso facto la solution de la Cour, qui s’insère dans un l’autorité domaniale. Le déplacement du carrelet est néces-
JURISPRUDENCE
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ADMINISTRATIVE

saire à la préservation du domaine puisqu’il empêche son de l’espèce, de la condamner à une amende de 300 euros
entretien. Ainsi, quand bien même l’occupant serait dans une ainsi qu’au démantèlement de ses installations et à la remise
situation régulière car disposant d’une autorisation doma- en état des lieux.
niale, l’intérêt du domaine justifie que l’autorité gestionnaire
La société ne peut pas être déchargée de cette obligation
lui ordonne de déplacer ses installations par une modification
puisqu’elle n’établit pas que son refus serait dû « de façon
de son titre.
exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l’adminis-
I I . L ’ IN D E M N I S A T I O N D E L ’ E R R E U R A Y A N T tration assimilable à un cas de force majeure ». Ces cas d’exo-
IMPOSÉ LA MODIFICATION DU TITRE D’OCCU- nération, dont la formulation n’est pas nouvelle (Voir CE, 30
PATION décembre 2011, SNCF, n°336193), sont particulièrement

La Cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir restrictifs. En l’occurrence, s’il est remarqué que la société

qualifié et reconnu légale la modification de l’autorisation occupante a adopté un comportement marqué par la pru-

d’occupation temporaire de la société Château Lilian Ladouys, dence en ce qu’elle a bien pris garde de s’assurer que tout

a dû en tirer toutes les conséquences pour les parties au li- était en ordre dans l’établissement de son titre d’occupation

tige. Si l’occupant est toujours tenu de réparer les atteintes au avant d’entreprendre les travaux, cela ne permet pas de

domaine public, ce qui impose que la société soit ici dans l’exempter de la charge du démantèlement, puisqu’aucun cas

l’obligation de déplacer son carrelet, il apparaît tout de même de force majeure ne semble indiquer qu’elle n’avait pas la

qu’elle ait été initialement induite en erreur quant à l’empla- possibilité d’éviter l’atteinte portée au domaine. De la même

cement visé par l’autorisation, emplacement à l’origine du manière, le fait que le GPMB ait initialement donné son ac-

litige. Ainsi, elle peut prétendre à la réparation de certains cord au sujet de l’emplacement du point kilométrique ne peut

préjudices résultant d’une faute de l’autorité gestionnaire du s’apparenter à un cas de force majeure. Rappelons à cet

domaine. égard que plusieurs emplacements sur la parcelle visée par


l’autorisation étaient susceptibles d’accueillir le carrelet. Il
L’obligation pour le contrevenant de réparer les atteintes apparaît alors que l’opération de démantèlement des installa-
portées au domaine public implique pour la société, en dépit tions doit s’opérer à la charge de l’occupant, eut-il initialement
de l’absence de faute de sa part dans l’implantation initiale été dans une situation parfaitement régulière. La protection
de son ouvrage, de déplacer à ses frais les installations. La du domaine justifie là encore la précarité de la situation de
Cour administrative d’appel se montre ici très ferme quant à l’occupant, précarité accentuée par la difficulté d’admettre les
la possibilité de décharger le contrevenant de l’obligation de cas où le dommage serait « exclusivement » imputable aux
réparer les atteintes portées au domaine public. Cette possibi- hypothèses visées par la Cour.
lité ne se présente « que dans le cas où ce dernier produit des
éléments de nature à établir que le dommage est imputable, Lorsque l’installation initiale a été implantée à un

de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de emplacement mal indiqué par l’administration, l’occupant

l’administration assimilable à un cas de force majeure ». En peut être dédommagé du préjudice résultant du comporte-

ce sens, quand bien même l’occupant était persuadé d’im- ment fautif de l’autorité domaniale. Toutefois, ce comporte-

planter son carrelet au bon endroit, quand bien même le com- ment fautif ne réside pas dans la modification de l’autorisa-

portement de l’autorité gestionnaire du domaine lui aurait tion, qui elle est justifiée par la protection du domaine, mais

indiqué qu’il le faisait conformément à ce que prévoyait son dans le fait que l’autorité domaniale aurait induit en erreur la

autorisation, il demeure dans l’obligation de réparer les at- société Château Lilian Ladouys quant à la localisation précise

teintes portées au domaine public. En l’espèce, comme il l’a de l’installation et quant à la possibilité de la mettre en place

été précédemment exposé, le carrelet empêchait l’entretien dès le courriel du 10 juin 2010. En effet, la société a bien

normal du canal, constituant ainsi une atteinte au domaine disposé d’une autorisation d’occupation, mais celle-ci n’impo-

public. Il a donc appartenu à la société de le déplacer. Malgré sait pas précisément d’implanter le carrelet de pêche au point

les demandes du GPMB, la société a maintenu son carrelet à PK 55980. Au contraire, le GPMB avait indiqué à la société

l’emplacement initial. Il y a donc lieu, dans les circonstances qu’elle pouvait installer son carrelet sur la parcelle qui fut par
la suite contestée. De plus, ce n’est qu’après l’implantation de
NOVEMBRE 2018 Page 32

l’installation que l’autorité domaniale s’est rendue compte rateurs économiques à investir leurs deniers dans des occu-
que le carrelet pouvait constituer un obstacle à l’entretien du pations qui se révèleraient davantage incertaines que ce que
chenal. Ainsi, il apparaît que la société a été expressément la domanialité publique ne semble imposer.
autorisée à engager les travaux sur une parcelle qui finale-
ment ne se prêtait pas à l’édification du carrelet, ce qu’aurait
dû prévoir l’autorité domaniale. Clothilde LE GUAY
Doctorante contractuelle
Selon les juges de la Cour administrative d’appel de Bor- Institut Léon Duguit - Université de Bordeaux
deaux, il est possible d’affirmer que le GPMB a induit en er-
reur la société, comportement caractéristique d’une faute de
nature à « engager sa responsabilité pleine et entière ». Il est
dès lors loisible à la société de demander réparation de son
préjudice. En l’espèce, celle-ci a demandé la réparation du
préjudice financier correspondant au coût de l’installation de
pêche et au coût de son démontage, ainsi qu’à la réparation
du préjudice moral et du préjudice d’image qu’elle estime
avoir subis. La Cour accepte en l’espèce de réparer les dom-
mages financiers subis par la société en condamnant le
GPMB au versement d’une somme de 84 960€, correspon-
dant au montant TTC de l’installation initiale et de la mise en
place d’une nouvelle installation. En revanche, elle refuse de
réparer les autres préjudices, considérant que la société ne
justifie ni de l’existence d’un préjudice moral ni de celle d’un
préjudice d’image, son activité principale n’ayant pas de réel
lien avec le litige en cause.

Il apparaît ainsi qu’en dépit d’une solution de fond em-


blématique de la précarité des occupants du domaine public,
les juges administratifs bordelais identifient certains torts de
l’autorité domaniale dans la gestion de son domaine, justi-
fiant l’engagement de sa responsabilité. En ce sens, dès lors
que l’occupant a édifié sur la parcelle occupée des installa-
tions gênant son entretien, il est tenu de les désinstaller et de
remettre les lieux en état. Cependant, est imposée à la
charge du gestionnaire du domaine public une ligne de con-
duite qui peut sous un certain angle s’apparenter à une obli-
gation de professionnalisme. En n’approfondissant pas assez
les conséquences de l’implantation du carrelet de la société
sur l’emplacement qui lui avait été autorisé, l’autorité doma-
niale a commis une erreur, étourderie lui imposant de réparer
les dommages nés du démantèlement et de la réimplantation
de l’ouvrage. Il apparaît alors que si la précarité de la situa-
tion des occupants privatifs est un principe difficilement amé-
nageable, en aucun cas le pouvoir d’appréciation des autori-
tés domaniales ne saurait leur permettre d’autoriser des opé-
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LE RAPPORT ENTRE LA SUFFISANCE DE L’ÉTUDE D’IMPACT ET LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION D’AUTORISATION


D’EXPLOITER UN PARC ÉOLIEN
Note sous CAA de Bordeaux, 13 juillet 2017, Ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, SNC MSE
Le Vieux Moulin c/ Association « Vent Funeste », n° 16BX02278 et n° 16BX02279
Evanthia GKOUMA

Résumé :

Dans cette affaire juridictionnelle, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est amené à se prononcer
sur la légalité d’un arrêté interpréfectoral qui autorise l’implantation d’un parc éolien au regard du caractère suffi-
sant ou pas du contenu de l’étude d’impact. En confirmant le jugement de première instance, le juge démontre
avec son raisonnement qu’une étude d’impact réalisée de manière irrégulière ou incomplète est susceptible d’en-
tacher d’illégalité une décision administrative d’autorisation.

EXTRAITS

« (…) (…)

9. Il appartient au juge du plein contentieux des installations 29. Il résulte de tout ce qui précède que ni la société MSE Le
classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le Vieux Moulin ni le ministre de l'environnement, de l'énergie et
respect des règles de procédure régissant la demande de la mer ne sont fondés à se plaindre de ce que, par le juge-
d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit ment attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé
en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui l'arrêté du 21 février 2013.
des règles de fond régissant l'installation au regard des cir-
(…) ».
constances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il
se prononce. Les obligations relatives à la composition du
dossier de demande d'autorisation d'une installation classée
relèvent des règles de procédure. Les inexactitudes, omis-
sions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont suscep-
tibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité
l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'infor-
mation complète de la population ou si elles ont été de na-
ture à exercer une influence sur la décision de l'autorité ad-
ministrative. En outre, eu égard à son office, le juge du plein
contentieux des installations classées peut prendre en
compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il sta-
tue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous ré-
serve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'informa-
tion complète de la population.
JURISPRUDENCE
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ADMINISTRATIVE

NOTE

La constatation du caractère suffisant ou pas trique, consiste en ce que l’autorisation nécessaire à ce


d’une étude d’impact pèse sur le jugement concernant la raccordement relève d’une législation distincte, à savoir
légalité de la décision administrative d’autorisation d’un du code de l’énergie et pas du code de l’environnement.
projet. En effet, quand un projet de travaux, d’ouvrages
De son côté, l’association Vent Funeste fait valoir
ou d’aménagements est soumis à étude d’impact, cette
que l’étude d’impact est insuffisante lors de l’absence
dernière constitue un élément essentiel du dossier et par
des photomontages et que cette absence est de nature à
conséquent, son insuffisance est susceptible d’entacher
induire en erreur les intéressés sur l’impact du parc
d’illégalité la décision d’autorisation. Le juge administratif
éolien projeté sur le patrimoine architectural et à
est ainsi appelé à fixer les conditions sous lesquelles une
influencer le sens de la décision prise par
défaillance de l’étude d’impact pourrait fonder une annu-
l’administration. L’association précise en outre que
lation de l’autorisation délivrée. De plus, étant donné que
l’absence de photomontages ne saurait être compensée
dans la présente affaire une autorisation d’exploiter un
par le contenu de l’étude d’impact dès lors que les
parc éolien est contestée, il est intéressant de voir quelles
descriptions de cette étude sont succinctes et ont fait
sont les particularités, s’il y en a, quant aux effets d’une
l’objet d’appréciations contradictoires.
étude d’impact lacunaire sur l’autorisation d’une activité
d’exploitation des sources d’énergie renouvelables et plus D’ailleurs, elle soutient que l’étude d’impact ne
particulièrement, d’énergie éolienne. répond pas aux exigences du 4° de l’article R. 512-8 du
code de l’environnement dès lors qu’elle ne détaille pas
En l’espèce, un arrêté interpréfectoral qui autorise
de manière suffisante les mesures de compensation et ne
la société en nom collectif (SNC) MSE Le Vieux Moulin à
procède pas à une analyse des impacts de ces mesures
exploiter un parc éolien a été attaqué par l’association «
sur les terres agricoles.
Vent funeste». Par la suite, le tribunal administratif de
Poitiers a annulé cet arrêté en se fondant sur le caractère Enfin, l’association conteste l’efficacité et la perti-
insuffisant de l’étude d’impact au regard des dispositions nence des prescriptions dont est assorti l’arrêté attaqué,
de l’article R. 122-3 du code de l'environnement en ce qui et plus particulièrement celles concernant la prévention
concerne l’impact d’un projet sur le patrimoine culturel. des impacts négatifs potentiels du projet sur l’avifaune et
Par deux requêtes, qui sont joints, la société MSE Le le paysage.
Vieux Moulin et le ministre de l’environnement, de
Ayant pris en considération les arguments des
l’énergie et de la mer demandent à la Cour administrative
deux parties, la Cour décide de rejeter la requête de la
d’appel de Bordeaux d’annuler ce jugement.
société MSE Le Vieux Moulin et le recours de l’État en
Afin de défendre le caractère suffisant de l’étude confirmant le jugement du tribunal administratif qui
d’impact, les requérants considèrent que bien que l’étude estimait que l’étude d’impact présente un caractère
d’impact ne précisait pas l’impact des éoliennes en litige insuffisant.
sur quelques monuments historiques qui se trouvent à
Mais, quelles sont spécifiquement ces lacunes
proximité du parc envisagé, ces insuffisances ont été
qu’une étude d’impact pourrait contenir et qui lui attribue-
régularisées par la production ultérieure des photomon-
raient un caractère incomplet ? Quel est le contenu mini-
tages qui font apparaître les co-visibilités entre le parc
mal de l’étude d’impact et est-ce qu’il y ont des exigences
éolien projeté et les dits monuments historiques.
particulières concernant les projets éoliens ? Bien que le
Un deuxième argument mobilisé par la société législateur fixe le cadre normatif en la matière, le juge,
requérante afin de justifier le manque de précisions dans comme dans le cas de notre affaire, apporte des préci-
l’étude d’impact concernant l’impact environnemental du sions précieuses sur les critères d’une étude d’impact
raccordement des éoliennes projetées au réseau élec- suffisante (I).
NOVEMBRE 2018 Page 35

I . L ’I N S U F F I S A N C E D U C O N T E N U , F O R M E L’impact paysager des éoliennes n’est toutefois pas


A V É R É E D E D É F E C T U O S I T É D E L ’ É T U D E D ’I M - le seul (L.-P. BLERVACQUE, « Les impacts des parcs éoliens »,
PACT Dr. env., 2006, nº 135, p. 28), l’implantation d’une éolienne

L’étude d’impact est un mécanisme de prévention des ou d’un parc éolien ayant des conséquences sur l’avifaune

atteintes environnementales qui peuvent être causées par un devant également être considéré. Dans l’arrêt commenté, les

ouvrage ou une activité. Une telle activité qui, malgré ses imprécisions et les contradictions quant à l’impact du projet

effets positifs indéniables, est susceptible de provoquer des sur certaines espèces d’oiseaux font que l’étude d’impact soit

nuisances au milieu naturel est l’activité de production estimée insuffisante. A l’inverse, dans un arrêt rendu le 2

d’énergie éolienne. Cette énergie est produite au moyen de novembre 2017, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé qu’une

machines appelées « éoliennes », qui lorsqu’elle sont regrou- étude d’impact réalisée dans le cadre d’un projet d’implanta-

pées, s’appellent, entre autres, « parcs éoliens » (B. LE BAUT- tion d’un parc éolien doit être regardée comme présentant un

FERRARESE (dir.), Traité de droit des énergies renouvelables, caractère suffisant dès lors qu’elle identifie les espèces ani-

Le Moniteur, 2ᵉ éd., Paris, 2012, p. 23-24). males susceptibles d’être affectées et les dangers que repré-
sentent pour elles les aérogénérateurs (CAA Bordeaux, 2 no-
Dans le cas d’espèce, une étude d’impact a été réali- vembre 2017, Sas Energie Du Haut Dourdou, Ministre du
sée dans le cadre d’un projet d’implantation d’un parc éolien. logement, de l’égalité, des territoires et de la ruralité, req. nº
Il conviendrait de souligner que les éoliennes ne sont sou- 15BX02976, 15BX02977, 15BX03015) . Il n’en allait pas de
mises à étude d’impact que depuis 2003, la France ayant même dans une autre affaire dont a eu à connaître la même
évité de justesse une condamnation par la CJCE pour défaut cour, à l’origine d’un arrêt rendu le 28 septembre 2017, où
de transposition de la directive 85/337/CEE (CJCE, 7 no- des aigles royaux, dont la présence était avérée dans la zone
vembre 2002, Commission c./France, C-348/01, Rec. p. I- d’implantation d’aérogénérateurs, n’étaient pas mentionnés
10249). En 2010, la loi « Grenelle 2 » a soumis les éoliennes dans l’étude d’impact (CAA Bordeaux, 28 septembre 2017,
au régime des installations classées pour la protection de Société Ferme Eolienne de Plo d’Amourès, Ministre du loge-
l'environnement (ICPE) (Loi nº 2010-788 du 12 juillet 2010 ment, de l’égalité des territoires et de la ruralité, req. nº
portant engagement national pour l’environnement, dite « Loi 15BX02978 et 15BX02995).
Grenelle 2 »), c’est à dire des installations qui peuvent
présenter des dangers ou des nuisances pour la commodité Une étude d’impact est en outre incomplète en l’ab-

des riverains, la santé, la sécurité, la salubrité publique, sence d’explications convaincantes sur les conséquences

l’agriculture, la protection de la nature et de l’environnement, d’une installation éolienne sur le patrimoine architectural et

la conservation des sites et des monuments. culturel (v. par ex. CAA Douai, 22 janvier 2009, SNC MSEE Le
haut des épinettes, req. nº 08DA00372 ; CAA Bordeaux, 30
Ainsi, le contenu de l’étude d’impact requise pour un juillet 2010, Société d’exploitation du parc éolien du pays
parc éolien est celui du droit commun, déterminé par le code d’Ecueil, req. nº 09BX02233, Environnement, 2010, comm.
de l’environnement (C. Env., art. L. 122-3.2º et R. 122-5), 150, D. Gillig). Suivant le raisonnement du juge, une analyse
mais aussi complété par des exigences particulières. Ce con- imprécise ou incohérente sur les effets du parc sur deux
tenu étant d’une grande complexité et technicité , on se foca- églises et un château, qui sont considérés comme des monu-
lisera sur les spécificités de cas des éoliennes qui sont mises ments historiques est de nature à se répercuter négativement
en évidence par le juge. sur le caractère suffisant de l’étude.

Tout d’abord, l’incidence des projets éoliens sur les D’ailleurs, la rédaction d’une étude d’impact man-
paysages est le plus visible et celui qui cristallise normale- quante des éléments détaillés quant à la description des
ment toutes les oppositions. Sur cet aspect, la Cour n’observe mesures devant être prises pour compenser les inconvé-
pas de carences particulières dans l’étude d’impact. Pour- nients de l’installation est, d’après l’argumentation du juge
tant, elle constate des insuffisances aux prescriptions dont administratif, problématique. Au delà du cas d’espèce, a été
est assorti l’arrêté attaqué concernant les actions à mener réaffirmé l’insuffisance de l’étude d’impact en l’absence
afin de prévenir les impacts paysagers du parc éolien. d’analyse des méthodes utilisées pour évaluer les effets d’un
JURISPRUDENCE
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ADMINISTRATIVE

projet éolien sur l’environnement et d’estimation des dé- gularité de l’étude d’impact toute entière, il examine la propor-
penses correspondant aux mesures compensatoires prévues tionnalité de son contenu par rapport au projet, à savoir ses
dans l’affaire Cne de Montbrun-des-Corbières (CAA Marseille, caractéristiques, ainsi que la sensibilité du milieu (CE, 12
27 janvier 2005, Cne de Montbrun-des-Corbières, req. n° novembre 2007, Cne de Folschviller, req. nº 296880), la na-
00MA02734). Au contraire, est suffisante l’étude d’impact, ture et la localisation de l’installation (CJUE, 24 mars 2011,
quand bien même elle n’indiquerait pas les mesures de com- aff. C.-435/09), son importance et ses incidences prévisibles
pensation, si les risques de projection d’éléments de pales sur l’environnement (TA Poitiers, 17 septembre 2009, Mme
sont très faibles, si les habitations sont suffisamment éloi- Walburger, req. nº 0800603).
gnées et s’il n’y a aucune voie de circulation importante à
Une fois qu’une réponse affirmative est donnée à la
proximité du terrain d’assiette (CAA Lyon, 12 avril 2011, Asso-
question d’existence des irrégularités dans l’étude d’impact,
ciation à l’air libre, req. nº 09LY00137).
l’étude n’est pas automatiquement déclarée irrégulière. Plus
Ayant conclu sur les insuffisances qui frappent le con- concrètement, il peut s’arriver que des lacunes soient com-
tenu de l’étude d’impact et qui la rendent défectueuse, le juge blées avec des informations fournies ultérieurement sous
devrait se prononcer ensuite sur les conséquences de cette condition que ces carences n'aient pas eu pour effet de nuire
insuffisance sur la légalité de l’arrêté interpréfectoral attaqué. à l'information complète de la population (CE, 22 septembre
2014, SIETOM de la région de Tournan-en-Brie, req. nº
II. L’INSUFFISANCE DE L’ÉTUDE D’IMPACT,
367889). En l’espèce, le juge a ainsi considéré que l’absence
CAUSE POTENTIELLE D’ILLÉGALITÉ DE
de photomontages dans le dossier soumis à l’enquête pu-
L’AUTORISATION D’EXPLOITER UN PARC ÉO-
blique n’a pas permis au public d’apprécier les effets induits
LIEN
par l’implantation des éoliennes sur certains monuments
Dès lors que le contenu de l’étude d’impact paraît être historiques, les empêchant ainsi de présenter des observa-
entachée de plusieurs inexactitudes, imprécisions et omis- tions sur l’impact de ce projet sur le patrimoine culturel et
sions importantes, l’étude d’impact pourrait être réputée irré- pour cette raison, cette absence n’est pas régularisable. Dans
gulière. En d’autres termes, l’insuffisance du contenu d’une le même ordre d’idées, il a été jugé, dans une autre affaire, à
étude d’impact est susceptible de constituer une forme d’irré- propos des documents non soumis à enquête publique appor-
gularité de l’étude et par la suite, causer l’illégalité de la déci- tant des modifications importantes au dossier et portant sur
sion administrative d’autorisation. des aspects substantiels du projet soumis à examen que
l’avis du public a été recueilli sur le fondement d’éléments de
Tout d’abord, il est important d’avancer que le contrôle
nature à l’induire en erreur et que dès lors le permis de cons-
juridictionnel du contenu des études d’impact, quand bien
truire attaqué est intervenu au terme d’une procédure irrégu-
même ces dernières entretiennent un lien très étroit avec le
lière (TA Amiens, 31 décembre 2007, Cne de Vauxcéré, As-
bien-fondé des décisions administratives, fait partie de l’exa-
soc. Apecame, req. nº 501460 et 500863, JCP A 2008, nº 17,
men de la légalité externe de la décision litigieuse (X. BRAUD,
p. 2105).
Commentaire sous TA Caen, 29 juillet 1997, Association
Manche-Nature, req. nº 97-680, Dr. environnement, 1997, nº En revanche, l’ajout d’un « complément paysager »
54, p. 13). Ainsi, une étude d’impact jugée irrégulière est con- après l’enquête publique est jugé, dans un autre cas, comme
sidérée, sous certaines conditions, comme un vice de forme n’étant pas de nature à entacher l’autorisation d’irrégularité
ou de procédure qui conduira à l’annulation de la décision de (CAA Marseille, 19 juillet 2013, Sté NED, req. nº
l’administration. 11MA00431). De même, il n’est pas nécessaire de procéder
à une nouvelle étude d’impact si les modifications sont ré-
Cette remarque faite, il s’agira ensuite de démontrer
duites, telles que les modifications apportées à la taille, à la
quand l’insuffisance du contenu peut affecter la régularité de
structure et au nombre d’aéorogénérateurs d’un parc éolien
l’étude. De manière générale, afin que le juge administratif
de nature à réduire l’impact des éoliennes sur le paysage
décide si l’insuffisance du contenu a pour conséquence l’irré-
NOVEMBRE 2018 Page 37

avoisinant (CAA Nantes, 1er juillet 2011, req. nº ceptibles d'influencer l'appréciation du dossier par l'autorité
10NT02571). administrative compétente pour refuser ou délivrer l’autorisa-
tion » (L. FONBAUSTIER, note sous CAA Nancy, 10 janvier
En revenant au cas d’espèce, il faudrait se demander
2005, Sté GSM, req. nº 01NC00991, RDI, 2005, p. 263).
maintenant quelles sont les considérations qui amènent le
juge à se prononcer à l’encontre de la légalité de la décision En outre, il y a une jurisprudence constante qui af-
d’autorisation d’implanter un parc éolien après qu’il ait cons- firme ledit principe, selon lequel « les inexactitudes, les omis-
taté des irrégularités non régularisables dans l’étude d’im- sions ou les insuffisances d’une étude d’impact ne sont sus-
pact. Son raisonnement tourne autour deux éléments. ceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité
de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu
En premier lieu, pour que des inexactitudes ou omis-
avoir pour effet de nuire à l’information complète de la popu-
sions de l’étude d’impact entrainent l’illégalité de la décision
lation ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur
prise, il faut qu’elles aient été de nature à nuire à l’informa-
la décision de l’autorité administrative » (v. par ex. CAA Mar-
tion du public. Tel était le cas des insuffisances concernant
seille, 20 octobre 2005, Sté Durance Granulats, req. n°
l’impact du projet sur des monuments historiques et la faune,
03MA01914, JCP A, 2005, n° 50, p. 1380 ; CE, 14 octobre
les impacts environnementaux du raccordement du projet au
2011, Sté Ocréal, req. n° 323257, BJCL, décembre 2011, n°
réseau électrique, ainsi que la description des mesures de
12, p. 824, conclu. M. Guyomar ; CE, 15 mai 2013, Sté ARF,
compensation. À cause des ces insuffisances, la décision
n° 353010, Environnement, juin 2013, n° 6, p. 50, note L.
administrative est ainsi considérée illégale.
Le Core ; CE, 30 janvier 2013, Sté Nord Broyage, n°
En deuxième lieu, et de manière alternative, il faut 347347 ; CAA Bordeaux, 3 décembre 2013, n° 11BX02676 ;
que les insuffisances aient été de nature à influencer le sens CAA Nantes, 29 novembre 2013, n° 12NT01516 ; CAA
de la décision prise par l’administration pour qu’elles causent Bordeaux, 9 juillet 2014, n° 13BX00423, à propos de
l’illégalité de cette dernière. Concernant le jugement sous l'évaluation d’incidences d’un projet d’élevage porcin et bovin
commentaire, l’arrêté interpréfectoral est jugé illégal car les sur une zone Nature 2000).
manquements quant aux impacts du parc éolien projeté sur
Considérant alors que l’étude d’impact n’a pas rempli
le paysage culturel, la faune, la flore, ainsi qu’aux incidences
son rôle d’information complète de la population et que ses
de mesures compensatoires sur l’environnement ont été sus-
insuffisances ont exercé une influence sur la décision de
ceptibles d’influencer le sens de la décision administrative
l’autorité administrative, la Cour d’appel de Bordeaux a con-
attaquée.
clu à l’annulation de l’arrêté des préfets attaqué.
Ainsi, de telles insuffisances affectant la bonne infor-
En conclusion, les exigences imposées par les textes,
mation du public ou la décision de l’administration sont consi-
ainsi que par le juge sur le contenu de l’étude d’impact, per-
dérées comme « substantielles » , bien que dans la présente
mettent d’affirmer qu’elle n’est pas juste une formalité. En-
affaire, ce terme ne soit pas utilisé par la Cour. De manière
core plus, le contentieux éolien en général et la présente af-
générale, la notion de « carences substantielles » apparaît
faire plus concrètement montrent que les considérations
comme l'instrument d'une technique jurisprudentielle assu-
environnementales sont de mieux en mieux intégrées dans la
rant le respect de la « vocation informative » des documents
conception des projets, sous la pression du risque conten-
(V.-D. DEHARBE, Le droit de l’environnement industriel. 10
tieux que fait courir une étude d’impact irrégulière.
ans de jurisprudence, Litec, 2002, p. 39) comme l’étude
d’impact, tout en évitant les excès d'un formalisme paraly-
sant. Comme Laurent Fonbaustier remarque très pertinem-
Evanthia GKOUMA
ment, « l’idée qui surplombe la logique du contrôle juridiction- Doctorante
nel est relativement simple : l'irrégularité de l’étude peut être Institut Léon Duguit - Université de Bordeaux
déterminée soit par l'irrespect du principe d'information du
public, soit par l'omission ou l’insuffisance d'éléments sus-
J URISPRUDENCE
A DMINISTRATIVE
B ORDELAISE

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