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BUREAU INTERNATIONAL D'ÉDUCATION

Annuaire
international
de l'éducation
VOLUME XLIV - 1994
DÉVELOPPEMENT,
CULTURE ET ÉDUCATION
Préparé pour le
Bureau international d'éducation
par L. F. B. Dubbeldam (dir. publ.)
Centre pour l'étude de l'éducation
dans les pays en développement (CESO)
T. Ohsako
Bureau international d'éducation

Le Thành Khôi
Université Paris-V, France

P. Dasen, P. Furter, G. Rist


Université de Genève, Suisse

P. Batelaan
Association internationale pour
l'éducation interculturelle

S. Churchill
Institut d'études
pédagogiques de l'Ontario

K. P. Epskamp
CESO

F. M. Bustos
Université de Valle, Colombie

i (i i G. R. Teasdale
Université Flinders de
yyLcESO l'Australie du Sud
Volumes parus dans la série Annuaire international de l'éducation et disponibles
également en anglais :

Vol. XXXV - 1983 Tendances du mouvement éducatif, par Brian Holmes


Vol. XXXVI - 1984 L'éducation pour tous, par Wolfgang Mitter
Vol. XXXVII - 1985 Le défi technologie/emploi..., par Edmund King
Vol. XXXVIII - 1986 L'enseignement primaire au seuil du vingt et unième siècle,
par José Luis García Garrido
Vol. XXXIX - 1987 L'enseignement secondaire dans le monde d'aujourd'hui,
par Z. A. Malkova et B. L. Vulfson
Vol. XL - 1988 L'éducation dans le monde, par A. H. Faraj
Vol. XLI - 1989 La diversification de l'enseignement postsecondaire face à la
situation de l'emploi, par Raymond Sayegh
Vol. XLII - 1990 L'alphabétisation et l'analphabétisme dans le monde: situation,
tendances et perspectives, par Sema Tanguiane
Vol. XLIII - 1991 L'alphabétisation: aménager l'avenir, par Daniel Wagner
Vol. XLIV - 1994 Développement, culture et éducation, par L. F. B. Dubbeldam
et coll.

Publié en 1995
par l'Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture
7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France

ISBN: 92-3-203038-1

Imprimé en Suisse par Presses Centrales S.A., Lausanne


© UNESCO 1995
Préface

Cet ouvrage est une publication importante du BIE sur l'éducation et


le développement culturel. Il fait suite à la quarante-troisième session
de la Conférence internationale de l'éducation (CIE) dont le thème traitait
de la «Contribution de l'éducation au développement culturel» (Genève,
14-19 septembre 1992).
À la différence des précédents volumes de VAnnuaire international de
l'éducation, généralement rédigés par un seul auteur, celui-ci a été conçu à
partir des contributions de plusieurs spécialistes venus de différentes
branches de l'éducation et d'origines culturelles diverses. Beaucoup d'entre
eux avaient été invités, avant même la quarante-troisième session, à
soumettre des textes sur divers thèmes prioritaires de la Conférence, qui
devaient servir de documents d'information à distribuer aux participants.
Aussi la substance de certains chapitres de ce livre repose-t-elle principale-
ment sur des versions augmentées de documents présentés alors.
C'est le professeur Dubbeldam, anthropologue, eminent éducateur, direc-
teur d'un centre pour l'étude de l'éducation dans les pays en développe-
ment, le CESO (La Haye, Pays-Bas), qui a bien voulu être le maître
d'oeuvre de ces pages. Il s'agissait de relever le défi que représentent aussi
bien l'approche neuve du matériel que la diversité intellectuelle et culturelle
de ses auteurs. Le BIE se sent très honoré d'avoir pu travailler avec le
professeur Dubbeldam et lui exprime toute sa gratitude pour sa contribution
intellectuelle au volume. Les capacités et les efforts prodigués à la
coordination de tâches incontournables, à celle des points de vue si divers
des auteurs en vue de réaliser l'ouvrage sont très appréciés par le Bureau.
Ce livre s'intéresse au premier chef à l'interaction entre l'éducation et la
culture, et se propose de stimuler les décideurs et les praticiens qui
souhaitent maximaliser l'apport de l'éducation au développement culturel. Il
invite également tous ceux qui travaillent dans des domaines non pédagogi-
ques, tels que la communauté et les médias, à se joindre aux éducateurs pour
rendre le processus éducatif plus dynamique, plus créateur et plus adapté
aux exigences du développement culturel. De même est-il conçu pour

3
stimuler les préoccupations actuelles de l'éducation dans des domaines
comme le pluri- ou multiculturalisme, l'interculturalisme, l'identité et le
changement culturel.
Disons enfin, et surtout, que le BIE ne remerciera jamais assez les auteurs
de cet ouvrage pour leurs contributions à ses divers chapitres, leur étroite
collaboration avec son maître d'œuvre et avec le Bureau pour le mener à fin
et à bien.
Nous tenons cependant à rappeler à nos lecteurs que les idées et les
opinions exprimées dans ces pages sont celles des auteurs et ne reflètent pas
nécessairement les vues de l'UNESCO. Par ailleurs, les appellations qui y
sont employées et la présentation des données qui y figurent n'impliquent,
de la part de l'Organisation, aucune prise de position quant au statut
juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant
à leurs frontières ou limites.

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Table des matières

Chapitre I Comment définir le développement, la culture


et l'éducation? p. 7
Leo F. B. Dubbeldam

Chapitre II Développement, culture et éducation p. 16


Leo F. B. Dubbeldam

Chapitre III Les objectifs politiques de l'éducation culturelle p. 59


Toshio Ohsako

Chapitre IV L'éducation interculturelle p. 86


Le Thành Khôi

Chapitre V Les défis des systèmes éducatifs face


à la dynamique culturelle contemporaine p. 114
P. Dasen, P. Furter et G. Rist

Chapitre VI L'éducation interculturelle au service du développement


culturel: l'apport de la formation des enseignants p. 131
Pieter Batelaan

Chapitre VII Les enseignants, auxiliaires du développement culturel :


nouveaux rôles, nouvelles responsabilités p. 145
Stacy Churchill

Chapitre VIII Le rôle de l'éducation dans le développement artistique


et culturel p. 174
Kees P. Epskamp

Chapitre IX Le développement culturel par l'interaction entre


l'éducation, la communauté et la société p. 190
F. M. Bustos

5
Chapitre X L'éducation et la survie des petites cultures
autochtones p. 215
G. R. Teasdale
Appendice Documentation de la quarante-troisième session de la
Conférence internationale de l'éducation, Genève,
14-19 septembre 1992 p. 246

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CHAPITRE I

Comment définir le développement,


la culture et l'éducation?
Leo F. B. Dubbeldam

COMMENT DÉFINIR L'APPORT


DE L'ÉDUCATION AU DÉVELOPPEMENT CULTUREL?

En 1992, la Conférence internationale de l'éducation à Genève ne s'est pas


demandé si l'éducation contribuait au développement culturel mais plutôt
quelle était la nature de son apport. Elle a retenu deux hypothèses: la
première, c'est que la culture est une réalité et qu'elle se développe; la
seconde, c'est qu'il existe une autre réalité appelée «éducation» qui
contribue au développement de la culture. Ces deux concepts ont donné lieu
à des opinions et à des idées très diverses. Comment définir la culture et
comment définir l'éducation? Toutes deux sont le propre de l'homme, car
les autres êtres vivants n'y ont pas recours pour assurer la survie de
l'espèce. Les saumons pondent et meurent avant même que les œufs ne
soient éclos. C'est dire qu'il n'y a aucune communication entre les deux
générations. Et pourtant, les jeunes ont le même comportement que leurs
aînés. Il faut en déduire que ce sont les mécanismes de la nature qui assurent
la survie de l'espèce. D'autres animaux apprennent à chasser parce que leurs
parents le leur enseignent. Les animaux apprennent aussi par l'expérience.
En fait, il s'agit de savoir dans quelle mesure on peut parler d'un processus
d'enseignement par apprentissage conscient et planifié. Les êtres humains
naissent, mais ils sont incapables de survivre pendant longtemps sans leurs
parents. C'est là qu'intervient l'éducation.
Puis il y a cette autre dimension que l'on appelle «culture», qui permet
aux êtres humains non seulement de survivre mais aussi d'influencer la
nature et d'accroître leurs chances de survie. Avant de donner une réponse à
la question posée par la conférence, il faut comprendre ce que l'on entend
par «culture», par éducation» et par «développement».

7
Annuaire international de Véducation

LE DÉVELOPPEMENT

Au cours des siècles, la vie de la population mondiale a radicalement


changé. Ce changement est venu par vagues ; il a été parfois rapide, parfois
lent, et différent selon les endroits.
Au cours des cinquante dernières années, le tissu politique mondial a
connu trois grands bouleversements. Le premier a été le démantèlement des
empires coloniaux, qui s'est traduit par la création d'un grand nombre de
nouveaux États indépendants. Le second a été l'effondrement du bloc
communiste, qui est aussi à l'origine de l'émergence d'un certain nombre de
nouveaux États indépendants et d'un changement dans les relations entre les
pays du monde. Ainsi, le premier, le second et le tiers monde ont disparu.
Le troisième bouleversement est le produit des deux premiers, c'est-à-dire la
prise de conscience parmi les groupes nationaux et les groupes locaux de
l'avènement de relations interculturelles et d'une identité culturelle.
Pendant longtemps, on a mesuré le développement en termes de revenu
par tête, c'est-à-dire en termes de croissance économique. Dernièrement, les
choses ont évolué et, à présent, le développement se mesure à l'amélioration
de la qualité de la vie. Ainsi, on calcule le degré de développement compte
tenu non seulement du produit national brut par tête mais aussi de l'indice
de développement humain1.
On peut se demander dans quelle mesure le développement a été positif
ou négatif. Le fait est que l'humanité lutte encore contre de nombreux
éléments qui exercent sur lui une influence négative, notamment pour ce qui
est de la qualité de vie des populations.
On trouvera ci-après une liste de ces éléments, qui sont interdépendants
sous de nombreux aspects.

La croissance démographique
Au cours de la seconde moitié de ce siècle, la population mondiale est
passée de 2,5 milliards de personnes en 1950 à environ 6,2 milliards
actuellement, et la majorité d'entre elles vivent dans les pays à bas revenu.
En matière d'éducation, cela signifie que le nombre des apprenants, et
notamment celui des enfants, s'est énormément accru. En Afrique, en Asie
et en Amérique latine, les jeunes de 0 à 14 ans constituent quelque 40% de
la population. En Amérique du Nord et en Europe, ce chiffre est inférieur à
25%. En outre, le mouvement migratoire des zones rurales vers les villes
s'est beaucoup intensifié. En 1950, les deux tiers de la population vivaient
dans des zones rurales tandis que, à présent, c'est la situation inverse qui
prévaut au Brésil, en Colombie et au Mexique. On estime qu'en l'an 2000

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Comment définir le développement, la culture et l'éducation ?

plus de vingt villes, dont la plupart se trouvent dans des pays en


développement, compteront plus de 10 millions d'habitants et certaines
d'entre elles plus de 20 millions (Mexico et Sao Paulo). Dans de nombreu-
ses villes, des milliers d'enfants sans foyer s'efforcent de survivre dans la
rue.
Cette évolution démographique a eu de lourdes conséquences sur la
fourniture des services éducatifs, notamment dans les pays les plus
pauvres.

La stagnation économique
Au cours des années 70 et 80, la stagnation économique a frappé la plupart
des pays, et plus particulièrement — une fois encore — les pays les plus
pauvres. Au cours des quinze dernières années, nombre d'entre eux ont été
écrasés par le fardeau de la dette et les programmes d'ajustement. Il en a
résulté une diminution des budgets de l'éducation et des activités culturel-
les.

Le chômage
Les deux problèmes mentionnés ci-dessus ont eu pour conséquence un
accroissement du nombre des chômeurs. Voilà qui remet en question le
programme d'enseignement de l'éducation formelle: quelles sont les quali-
fications de base dont les jeunes ont besoin pour survivre, pour répondre
aux besoins de la société et pour profiter des chances qu'elle leur offre? La
recherche d'un emploi rémunéré et d'une vie meilleure chasse encore de
nombreuses personnes vers les centres urbains, métropoles dont la popula-
tion se chiffre en millions. Dans ces villes, un grand nombre de personnes
vivent au-dessous du seuil de la pauvreté, et sont privées d'accès aux offres
d'emploi et aux services sociaux, dont le système scolaire officiel.

La croissance des disparités économiques


Au lieu de s'atténuer, les disparités économiques entre les pays et entre les
groupes de population s'accroissent. Certains pays en développement ont
amélioré leur économie, mais d'autres ont sombré dans une pauvreté plus
grande encore. Par ailleurs, les politiques et les pratiques économiques qui
prévalent dans certains pays favorisent la concentration de la richesse et la
multiplication des inégalités sociales.

9
Annuaire international de l'éducation

La violence
Nombre de pays sont victimes de l'occupation et de la guerre civile depuis
des années; ces phénomènes engendrent la mort d'un grand nombre de
personnes, la destruction des bâtiments et des équipements scolaires, et
l'apathie des survivants. Le système d'éducation s'effondre et on peut se
demander quelles perspectives restent encore à ces enfants qui ont tant
souffert sur le plan physique et mental. D'autres pays se plaignent d'une
aggravation de la criminalité et de la violence à l'école. Que peut faire
l'éducation face aux autres puissances, de nature politique ou économique,
qui utilisent la violence à leurs fins propres et aux dépens des autres ?

Les inégalités culturelles


Les chances offertes aux membres des divers groupes sont encore très
inégales en fonction du sexe, de l'ethnie, de la religion, du statut social ou
de la langue. Certains pays voient resurgir avec force un nationalisme
ethnique donnant lieu à des incidents racistes et à l'épuration que connaît à
présent la région européenne. En outre, certaines cultures ou sous-cultures
en dominent d'autres, dont elles menacent la survie.
L'éducation, qui doit favoriser la compréhension mutuelle et la tolérance,
a donc un défi à relever. Quelles mesures, immédiates et à plus long terme,
faut-il prendre à cette fin ?

La migration
Poussés par les disparités économiques et la violence, des migrants et des
réfugiés économiques se déplacent en d'énormes courants d'un endroit à un
autre, souvent sans grand espoir d'avenir. La résistance à rencontre de ce
flux s'accroît dans de nombreux pays, engendrant, entre autres conséquen-
ces, une recrudescence du racisme. Cependant, l'histoire a montré que
nombre de cultures se sont enrichies des compétences et des valeurs des
groupes d'immigrants.

L'environnement
La rapidité de la croissance démographique, l'industrialisation et l'utilisa-
tion de sources d'énergie raréfiées ont soulevé des discussions quant à la
préservation du milieu naturel. Certains programmes éducatifs se sont
emparés de la question et l'ont introduite à l'école, mais il reste beaucoup à
faire pour obtenir des résultats appropriés.

10
Comment définir le développement, la culture et l'éducation?

La santé
Dans de nombreux pays, la santé de la population — notamment celle des
enfants — est menacée par la pauvreté, par la pénurie ou l'inadéquation de
la distribution alimentaire et de la fourniture des services médicaux, et par la
violence. En outre, certaines maladies comme le SIDA se sont propagées
d'une manière inquiétante et menacent des millions de personnes tandis que
d'autres, que l'on croyait maîtrisées, ont réapparu, tel le paludisme, d'une
part à cause de la pauvreté et d'autre part parce que les vecteurs de la
maladie sont immunisés contre les remèdes existants.

Le gouvernement
La démocratie et le respect des droits civils sont une source croissante de
préoccupation. Dans maints endroits, les avantages octroyés par les services
gouvernementaux et la protection du droit sont l'apanage de groupes
restreints et privilégiés.

LE DÉBAT SUR L'ÉDUCATION ET LA CULTURE

C'est dans ce contexte qu'il faut débattre de la relation entre l'éducation et


la culture dans la perspective du développement. Certains des éléments
mentionnés ci-dessus rendent plus aisé le rôle de l'éducation; d'autres
empêchent tout résultat positif. Dans certaines circonstances, on peut se
demander si l'éducation formelle est encore une priorité ou même si elle est
utile.
Pourtant, et en partie à cause des événements et des problèmes mention-
nés plus haut, le débat sur l'éducation et la culture vient d'acquérir une
dimension nouvelle. Au cours des dernières décennies, les moyens de
communication se sont multipliés de façon spectaculaire. Les nouvelles
techniques mettent nombre d'entre eux à la portée d'un nombre croissant de
personnes, sur le plan financier, bien que l'accès aux nouvelles technologies
soit encore très inégal. En outre, en raison des migrations à l'intérieur des
pays et au-delà des frontières, de plus en plus de personnes entrent en
contact étroit avec d'autres cultures. Par le passé, ces phénomènes ne
pouvaient se produire, ou ils se limitaient à certains groupes comme les
marchands, les érudits, les diplomates, etc. À présent, les gens se rencon-
trent dans des circonstances très diverses qui déterminent souvent la qualité
de leurs rapports. Il est difficile de prédire s'ils établiront entre eux des
relations étroites, s'ils apprendront les uns des autres ou encore s'ils
garderont leurs distances ou même s'ils entreront en conflit. Dans tous les

11
Annuaire international de l'éducation

cas, la question qui doit (ou qui devrait) se poser est la suivante : « Comment
se comporter avec les autres?» Pour y répondre, on s'interroge sur les
relations « interculturelles » (interaction entre les cultures de divers pays) et
sur les relations « multiculturelles » (interaction entre les groupes issus de
diverses cultures au sein d'un même pays). On a vu que ce phénomène a des
conséquences très importantes sur les plans culturel, politique, économique,
social et éducatif.
Au cours de la préparation de la quarante-troisième session de la
Conférence internationale de l'éducation de septembre 1992 et des réunions
de travail s'y rapportant, les représentants des États membres de l'UNESCO
ont soulevé certaines questions qui les intéressaient particulièrement au vu
de la situation de leur pays. En outre, des experts revenant de divers pays
ont été invités à présenter un essai sur des questions spécifiques. Certains
d'entre eux ont été priés de participer à la réalisation du présent exemplaire
de l'Annuaire international de l'éducation car leur sujet d'études avait paru
important au cours des débats de la conférence.
Etant donné que les participants à ces débats ont donné des interprétations
très diverses du concept de la culture et de celui de l'éducation, le chapitre
suivant est consacré à ce point particulier. Les auteurs n'étaient pas tenus
d'adopter les définitions données dans ce chapitre, notamment si leurs
interprétations ne sont pas radicalement différentes. L'idée fondamentale est
que l'éducation constitue le véhicule principal du développement culturel.
D'une part, elle préserve la culture, d'autre part, elle favorise l'évolution
culturelle. C'est un processus d'apprentissage total et permanent. L'école
d'aujourd'hui constitue une partie substantielle de l'apport éducatif, bien
que, en termes de développement culturel, elle ne soit pas toujours la plus
importante. Pour que l'éducation soit harmonieuse, ses divers acteurs
doivent agir de concert. Diverses formes et fonctions de l'éducation au
service du développement culturel sont illustrées par des exemples. On se
penche notamment sur le concept du réseau comme instrument d'apprentis-
sage, qui se révèle particulièrement utile en matière d'éducation multicultu-
relle et d'éducation interculturelle: ainsi, le programme des Écoles asso-
ciées de l'UNESCO.
Le chapitre III met en lumière les questions soulevées au cours de la
discussion2 et permet également d'inscrire l'ordre du jour de la réunion
dans le contexte de conférences et de débats antérieurs portant sur le même
sujet ou sur des sujets connexes. Le concept de culture a joué un rôle majeur
aux Nations Unies et notamment à l'UNESCO depuis le tout début de leur
existence, non seulement en termes de préservation du patrimoine culturel,
mais aussi au cœur des débats sur les thèmes essentiels, comme la liberté,
les droits de l'homme, le respect mutuel des systèmes de valeurs et les

12
Comment définir le développement, la culture et l'éducation ?

efforts de compréhension internationale et interculturelle au service de la


coexistence harmonieuse des peuples du monde. À l'origine, on envisageait
surtout la culture dans un contexte national ou local. Cependant de plus en
plus de thèmes tels que l'éducation multiculturelle et l'éducation intercultu-
relle sont inscrits à l'ordre du jour des réunions sur l'éducation. Au cours de
cette Décennie mondiale pour le développement culturel (1988-1997), on
accorde une attention particulière à la culture. Les chapitres IV à X seront
notamment consacrés aux questions relatives à l'éducation multiculturelle et
internationale.
Ils traiteront aussi des thèmes essentiels de l'éducation culturelle. La
langue joue un rôle très important, car non seulement elle reflète la pensée
et les valeurs des populations, mais c'est aussi le premier instrument de la
compréhension mutuelle entre les peuples de cultures différentes. Certes, le
programme d'enseignement des écoles est souvent fondé sur les valeurs, les
normes, la langue et d'autres éléments d'une culture (ou d'une sous-culture)
dominante dont il s'inspire. La culture est l'un des piliers de la démocrati-
sation, mais elle se heurte parfois à des barrières érigées au nom de la
domination et de la centralisation (chapitres III et V).
L'éducation joue un rôle important dans l'épanouissement artistique et
esthétique des personnes. Elle leur permet de se familiariser avec leur
patrimoine culturel et de développer leur créativité (chapitres III et VIII).
Cette nouvelle perception de l'éducation culturelle exerce une influence
sur le contenu du programme d'enseignement, mais plus encore sur le rôle
des enseignants. Par ailleurs, les nouvelles matières, les nouvelles méthodes
d'enseignement, les comportements que doivent acquérir les enseignants et
l'utilisation d'un large éventail de sources d'informations ne manquent pas
d'avoir des incidences sur les exigences auxquelles doivent satisfaire les
enseignants en matière de qualifications. Les chapitres V, VI et VII traitent
spécifiquement de ce thème à partir de divers points de vue, et tous les
chapitres en général font référence aux questions concernant les ensei-
gnants.
Dans les chapitres V, IX et X, la participation communautaire est
considérée comme un élément essentiel de l'éducation culturelle. Dans ce
contexte, il devient évident que l'éducation n'est pas le monopole de
l'école, mais un processus d'apprentissage qui intéresse l'ensemble de la
société, et qui est lié au développement et au changement.
Les nouvelles techniques mettent à disposition des sources d'informations
et des moyens de communication de plus en plus nombreux. Les médias
exercent une forte influence sur l'éducation à la fois dans les écoles et dans
l'ensemble de la société. Outre le recours à de «nouveaux» médias, on
constate une redécouverte des médias «traditionnels» à des fins éducatives

13
Annuaire international de l'éducation

et culturelles, comme les histoires et les contes, le théâtre, la danse et


d'autres formes d'expression (chapitres VIII et IX).
Le débat sur la culture et l'éducation révèle un certain nombre d'ambiguï-
tés. Ainsi, l'engouement pour ce qu'on appelle la «culture mondiale» va à
rencontre de mouvements visant à favoriser et à préserver les «cultures
locales». Les progrès simultanés de ces deux tendances ne sont pas
forcément compatibles. Le programme d'enseignement officiel de l'école ne
correspond pas toujours au programme d'enseignement officieux «caché»,
ni à ce qu'enseigne par exemple le foyer. Quant aux religions, elles
enseignent en principe des valeurs qui devraient permettre aux individus de
vivre ensemble en harmonie, mais il arrive qu'elles soient des instruments
de division et qu'elles fassent obstacle à la compréhension multiculturelle et
interculturelle. En outre, le contraste entre tradition et modernité donne lieu
à un débat (chapitres II et V).
Le dernier chapitre (X) aborde le cas des petites cultures autochtones,
qu'il illustre par des exemples, en Australie et en Nouvelle-Zélande. L'une
des recommandations d'un séminaire financé par l'UNESCO pour la région
de l'Australie et du Pacifique à Rarotonga (1992) stipule: «Les cultures
autochtones doivent dominer tous les aspects de l'éducation de la popula-
tion à laquelle elles appartiennent. » Ce principe, énoncé pour une région
spécifique, a des résonances mondiales. Les solutions imposées par le
sommet de la hiérarchie ne fonctionnent pas. La motivation et la détermina-
tion doivent venir des autochtones eux-mêmes. Leur éducation doit com-
prendre les formes traditionnelles d'enseignement, utiliser leur langue
comme véhicule et compter sur la participation de divers membres de la
communauté. Certaines questions cruciales se posent; ainsi le recours aux
procédés modernes d'enseignement et d'apprentissage dans les écoles
destinées aux enfants aborigènes d'Australie détruira sans aucun doute au
moins certaines des valeurs et croyances traditionnelles. Peut-être pourrait-
on enseigner aux enfants à la fois les valeurs traditionnelles et modernes
(«apprentissage double»).
Divers chapitres mettent en lumière, sous des angles différents, des
problèmes particuliers. Dans tous les cas, ils soulignent la nécessité de
favoriser une éducation culturelle, multiculturelle et interculturelle. Si le
chemin qui mène à la compréhension internationale et interculturelle est
encore long et difficile, le débat ne cesse pour autant de se poursuivre et de
s'intensifier, et il donne lieu à des initiatives et à des résultats promet-
teurs.

14
Comment définir le développement, la culture et l'éducation ?

NOTES
1. Voir World development report, 1992, «Development and the environment» [Rapport sur le
développement mondial 1992, «Développement et environnement»], Washington, D.C.,
Banque mondiale, 1992.
2. Voir aussi le Rapport final de la Conférence internationale sur l'éducation, 43e session,
UNESCO (ED/BIE/CONFINTED 43/6 Prov), Genève, 19 septembre 1992; et le numéro 5,
9e série, novembre 1992 de Communication/Communicación, UNESCO/BIE.

15
CHAPITRE II

Développement, culture
et éducation
Leo F. B. Dubbeldam

LA CULTURE

Le monde d'aujourd'hui compte plus de 5 milliards d'habitants. D'une part,


ils sont tous différents et, d'autre part, ils accusent de nombreuses similari-
tés, non seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan de la pensée
et de l'action. Les êtres humains se comportent conformément aux règles de
la nature, mais aussi selon d'autres règles fondées sur des normes et des
valeurs particulières ; ils sont dotés de la capacité de créer et de penser — ce
qui les différencie des plantes et des animaux. Voilà qui nous amène au
concept de culture.
Et pourtant, il existe plus de cent définitions de la culture. Pour débattre
des conséquences de l'éducation sur le développement culturel, il faut faire
un choix. Le terme est donc souvent utilisé par opposition à celui de
«nature».
Herskovitz (1925, p. 625) définit la culture comme «la partie de
l'environnement élaborée par l'homme; c'est essentiellement un concept
décrivant l'ensemble des croyances, des comportements, des connaissances,
des sanctions, des valeurs et des objectifs qui constitue la manière de vivre
de chaque peuple»1. Dans cette définition, le mot environnement se réfère
aussi bien à l'environnement naturel qu'à l'environnement social. Ainsi, la
culture «embrasse tous les éléments de la maturité que l'homme acquiert au
sein de son groupe par un apprentissage conscient ou, à un autre niveau, par
le biais d'un processus de conditionnement influencé par des techniques de
type divers, les institutions sociales et autres, des croyances, et des modèles
de comportement». Cependant, Herskovitz fait observer quelques «para-
doxes apparents » :
1. Du point de vue de l'expérience humaine, la culture est universelle;
cependant, chaque manifestation locale ou régionale est unique.

16
Développement, culture et éducation

2. La culture est stable; pourtant elle est dynamique et elle évolue


constamment.
3. La culture remplit notre vie et, dans une large mesure, elle en détermine
le cours; pourtant, elle interfère rarement avec la pensée consciente
(ibid., p. 18).
Linton (1964, p. 21) définit la culture comme «la configuration du
comportement appris et de ses résultats, dont les composantes sont parta-
gées et transmises par les membres d'une société donnée». Cette définition
soulève quelques autres questions (Dubbeldam, 1991):
— Les composantes d'une culture sont le lot commun d'un groupe de
personnes, et elles définissent l'identité de ce groupe.
— Les éléments d'une culture se transmettent d'une génération à l'autre.
— La définition de Linton se réfère au comportement appris. Les enfants
doivent apprendre pour survivre et devenir des adultes.
— Les composantes de la culture se présentent en fait comme un enchevê-
trement d'éléments. Autant dire qu'un changement survenu dans l'une
d'entre elles implique, en principe, des changements dans les autres.
Les événements historiques et contemporains montrent que les bouleverse-
ments survenus dans l'environnement naturel tels que les sécheresses, les
inondations, les épidémies (par exemple, le SIDA) et les tremblements de
terre influencent, sans aucun doute, le comportement des êtres humains. Il
est tout aussi vrai que les individus, grâce à leur pensée, à leurs idées et à
leur créativité, peuvent manipuler leur environnement naturel et modifier la
culture. Grâce à la curiosité, à une expérimentation planifiée et à leur
inventivité, ils sont à même de faire évoluer leur vie quotidienne.
Pourtant, ces définitions négligent le fait que, pour les êtres humains, leur
«univers» vaut plus que la vie en ce monde. On oublie la sphère
surnaturelle, et l'environnement spirituel. Or, l'existence des personnes, et
leur raison d'être, est souvent ancrée dans le monde spirituel. Nombre de
règles sociales et de modes de comportement ont été prescrits et consacrés
dans un lointain passé par les ancêtres, les esprits ou les dieux. D'un côté,
l'existence de la personne est protégée par le surnaturel et, de l'autre, le
surnaturel menace la personne qui néglige ses devoirs. Apparemment, il est
plus facile de résister aux règles de ce monde que de désobéir aux
commandements surnaturels. Dans maintes sociétés, cet élément joue un
rôle crucial dans les affaires socio-politiques. Les détenteurs du pouvoir
tentent de renforcer les règles qu'ils établissent en les auréolant d'un mandat
ou de normes fixées par une autorité surnaturelle.

17
Annuaire international de l'éducation

Il ne s'agit pas seulement de la capacité naturelle à survivre et à multiplier


les espèces dont l'humanité a hérité. Il s'agit d'une valeur ajoutée spécifi-
que, à savoir la connaissance, les compétences, les comportements, les
règles, les idées et la créativité, qui détermine les comportements envers les
autres, envers la nature et le surnaturel, et qui favorise le développement
sous la forme d'une amélioration de la vie quotidienne.
Les individus deviennent ce qu'ils sont en partie à cause de facteurs
héréditaires, mais cela ne suffit pas pour survivre. Il est tout aussi important
qu'ils continuent d'apprendre, à travers la transmission des connaissances et
des idées des autres membres de la société, qu'il s'agisse de personnes plus
âgées, de pairs ou de personnes plus jeunes (Dubbeldam, 1990, p. 25).
Pour préparer la conférence, un questionnaire a été envoyé aux États
membres2. Dans le cadre de ce questionnaire, on a adopté le concept suivant
de la culture proposé au cours de la Conférence mondiale sur les politiques
culturelles (Mexique, 1982) :
La conférence estime qu'on peut dire à présent que la culture est, dans son sens le plus large,
l'ensemble complexe de caractéristiques spirituelles, matérielles, intellectuelles et émotionnel-
les d'une société ou d'un groupe social. Cet ensemble comprend non seulement les arts et les
lettres, mais aussi les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de
valeurs, les traditions et les croyances; c'est la culture qui permet à l'homme de réfléchir sur
lui-même. C'est la culture qui fait de nous des êtres humains rationnels, dotés d'un jugement
critique et d'un sens de l'engagement moral. C'est à travers la culture que nous comprenons les
valeurs et que nous faisons des choix. C'est encore à travers elle que l'homme s'exprime, prend
conscience de lui-même, reconnaît ses lacunes, remet en question ses réalisations, cherche sans
cesse de nouvelles idées et crée des rouages qui lui permettent de transcender ses limitations.

Cette définition est plutôt un amalgame des caractéristiques de la culture


qu'une description de l'essentiel. En outre, on peut s'interroger par exemple
sur le jugement critique ou le sens de l'engagement moral de nombreux
êtres humains. Tout le monde n'a pas conscience de soi, ne reconnaît pas
ses lacunes, ne remet pas en question ses réalisations ou ne cherche sans
cesse de nouvelles idées. Il est vrai que certaines cultures encouragent ce
type de comportements, mais ce n'est pas le cas de toutes. Par ailleurs, cette
définition ne fait pas mention du partage et de la transmission.
Or, ces deux éléments sont particulièrement importants s'agissant de
définir la culture par rapport à l'éducation.
Compte tenu des diverses caractéristiques mentionnées dans les défini-
tions énoncées ci-dessus, on a estimé que la définition suivante de la culture
constituerait un instrument utile pour le présent document :
La culture peut être définie comme la configuration des idées et du comportement acquis, ainsi
que de leurs résultats, leurs composantes étant partagées et transmises par les membres d'une
société donnée, dans un processus permanent d'imitation et de transfert intentionnel de
connaissances relatives à la société, à la nature et au surnaturel, ainsi que par des adaptations

18
Développement, culture et éducation

à l'évolution de l'environnement de cette société, par des modifications de cet environnement


et par la créativité de ses membres.

LES SOUS-CULTURES

Même lorsque l'on évoque la culture d'une société donnée, on se rend


compte, à y bien regarder, que ses membres n'en partagent pas tous les
éléments, et cela pose un véritable problème. On parle, par exemple, d'une
culture flamande. Pourtant, les agriculteurs du nord du pays sont très
différents des amateurs de football de La Haye : différents dans leur manière
de se comporter, de s'habiller ou même de s'exprimer. Ils parlent tous
flamand mais ils utilisent une grammaire, des expressions idiomatiques et
des mots différents ; ils n'ont pas les mêmes valeurs sociales. Il faut donc en
déduire qu'il y a, au sein d'une société, diverses sous-cultures. Pour
compliquer encore les choses, certaines personnes appartiennent à diverses
sous-cultures, et elles se regroupent parfois autour d'une profession, d'une
religion, d'un groupe d'âge, de certains intérêts, d'une opinion politique.
Chacun de ces groupes sociaux possède sa propre sous-culture. La raison
d'être de leur existence et leurs objectifs diffèrent, de toute évidence.
Chacun de ces groupes sociaux attend un comportement particulier de ses
membres. On le constate, par exemple, dans la manière dont ils s'habillent,
dans leur comportement les uns à l'égard des autres, et dans la langue qu'ils
utilisent. C'est ainsi qu'une personne se conduit différemment selon qu'elle
assume l'un ou l'autre de ses rôles sociaux: sur son lieu de travail, dans les
réunions religieuses, dans sa famille ou pendant ses loisirs.
Chaque personne appartient à un certain nombre de sous-cultures dont les
valeurs, les règles et les comportements sont parfois très contrastés ou
même conflictuels (Dubbeldam, 1991, p. 3 et 8). Parfois, la personne entre
librement dans un groupe sous-culturel donné, tel un groupe sportif,
politique ou religieux. Par ailleurs, il n'est pas toujours facile d'entrer dans
certains sous-groupes et il est possible que l'on n'y parvienne jamais. Ainsi,
les hommes ont des difficultés pour devenir membre de sociétés féminines
ou même pour agir ou se comporter comme une femme ; par ailleurs, il est
tout à fait impossible de cesser d'appartenir à un groupe d'âge; certaines
sociétés établissent une stricte démarcation entre les groupes sous-culturels
fondés sur des facteurs comme la religion, la caste, la race, le sexe, la
richesse ou la profession. Parfois, ces facteurs se combinent.
Chacune de ces sous-cultures dispose de ses propres moyens pour se
transmettre. Autant dire que, dans une société donnée, il existe une
multitude de circuits d'apprentissage sous-culturels.

19
Annuaire international de Véducation

L'IDENTITÉ CULTURELLE

Toutes les cultures et les sous-cultures sont dotées de concepts, d'idées, de


valeurs, de comportements et d'objectifs essentiels auxquels s'identifient
leurs membres et grâce auxquels ils se distinguent des non-membres.
L'appartenance à un groupe renforce le sentiment de sécurité de ses
membres. Ces caractéristiques essentielles constituent V identité culturelle
d'un groupe social.
L'aspect physique des autres ou leur habitat nous permet de les classer
dans une catégorie différente. Les divergences ou les similarités culturelles
aggravent ou atténuent ces différences. D'une manière générale, on pourrait
dire que l'inconnu est dangereux. Les individus se sentent en sécurité au
sein de leur culture familière car elle leur permet, sur ce plan-là du moins,
de se considérer comme les égaux des autres personnes qu'ils rencontrent.
Les étrangers dont le comportement diffère constituent une menace poten-
tielle aussi longtemps qu'on ne les connaît pas davantage et qu'on ne les
comprend pas.
Tout comme la culture, il est difficile de définir l'identité culturelle. Les
descriptions qui existent servent souvent un objectif spécifique plutôt que
les besoins de définition. Par exemple: «l'identité culturelle d'un peuple ou
d'une nation est le droit fondamental de ce peuple ou de cette nation de
résister ou de s'opposer à toutes les pressions assimilatrices et aux forces de
nivellement du monde contemporain», ou bien «l'identité culturelle est la
plus pure expression de l'égalité fondamentale des peuples et des groupes
qui coexistent au sein d'une même nation», ou encore «l'identité culturelle
reconnaît le droit à la différence, le droit à l'authenticité», ou «l'identité
culturelle est synonyme de liberté et d'égalité» (Kane, 1982).
D'une façon générale, le mot identité est défini comme un état de
ressemblance absolue. L'expression identité personnelle est expliquée
comme étant « le fait de demeurer la même personne du début à la fin de la
vie tandis que la matière du corps, les dispositions, les habitudes, les
pensées, etc., sont en constante évolution». Ce concept reste valable quand
il s'agit de culture. Ainsi, la culture allemande d'aujourd'hui est très
différente de celle des XIVe et XVe siècles. Pourtant, lorsque nous parlons de
culture allemande, nous nous référons aussi bien à son passé qu'à son
présent, et les éléments historiques jouent un rôle très important dans
l'identité culturelle du peuple allemand d'aujourd'hui. Nous savons qu'il y a
des différences entre le présent et le passé, et, pourtant, nous pressentons
assez de similarités pour utiliser le même concept. Il y a une continuité entre
le passé et le présent, tout comme entre les personnes qui ont vécu à

20
Développement, culture et éducation

différentes époques à l'intérieur des mêmes frontières géographiques,


parfois artificielles.
Cette identification avec le passé est plus difficile pour les populations
immigrantes qui ont occupé le territoire d'un autre groupe culturel qu'elles
ont expulsé ou qui s'est éteint. Dans ce cas, les contemporains font
référence à des ancêtres qui ont vécu dans un passé beaucoup plus récent.
Par exemple, il y a une différence à cet égard entre les Etats-Unis
d'Amérique et l'Inde. Cependant, l'identité culturelle peut aussi bien être un
concept. Ainsi, lorsqu'un groupe motivé par une forte idéologie prend le
pouvoir, il modifie parfois les références aux époques précédentes, aux
valeurs communes, aux héros culturels spécifiques afin de mieux servir son
objectif idéologique3.
Lorsqu'une personne traverse un processus d'identification, il arrive
qu'elle assimile un aspect, une propriété ou un attribut appartenant à une
autre personne, qu'elle en fasse son modèle et qu'elle change sa personnali-
té en conséquence4. Cela arrive notamment aux personnes qui se sentent en
état d'infériorité par rapport à d'autres plus puissantes dans la société5. Ce
phénomène, fréquent dans un contexte de domination socio-politique,
apparaît aussi lorsque le parti dominateur copie le comportement du groupe
dominé. L'assimilation des éléments culturels d'autres groupes cache
souvent une raison socio-politique.
L'identité culturelle d'un groupe n'est pas faite uniquement de l'apparte-
nance de ses membres à une culture particulière. Elle est souvent constituée,
du moins en partie, par l'apport des étrangers, sur la base de caractéristiques
visibles du comportement. Les personnes ne sont pas toujours conscientes
des composantes de leur identité. Il arrive qu'elles aient conscience de
certaines d'entre elles, mais qu'elles ignorent les autres que voient, pourtant,
les étrangers. Souvent, les étrangers qui observent une société citent un
ensemble d'éléments différents de ceux que citeraient ses membres pour la
décrire ainsi que pour décrire leur identité culturelle. Par exemple, on
identifie les Hollandais à leurs sabots, leurs moulins à vent, leurs tulipes,
leurs digues et leurs fromages, et même à certains éléments qui sont presque
inusités dans le pays. La plupart des Hollandais n'aiment pas cette image
d'eux-mêmes. Pourtant, lorsque les annonceurs publicitaires des Pays-Bas
veulent promouvoir leurs produits à l'étranger, ils utilisent ces éléments
pour attirer l'attention de leurs clients.
Le concept d'«identité culturelle» a, en fait, une signification à deux
niveaux: celui de l'individu et celui de la société. Ces deux niveaux sont
semblables en nature, différents en matière d'échelle et de fonction, et, en
fin de compte, complémentaires.

21
Annuaire international de l'éducation

Au niveau de l'individu, Y identité culturelle est la reconnaissance


psychologique par l'individu du fait qu'il partage un ensemble d'éléments
fondamentaux du comportement avec un certain nombre d'autres personnes
avec lesquelles ses liens étroits sont avérés, et il confirme par ce partage sa
situation de plein droit dans la société humaine.
De même, dans la société, quel que soit le niveau où l'on se place (micro-
ou macro-société), on constate que Y identité culturelle d'une société donnée
est l'agrégat d'éléments spécifiques du comportement dont on reconnaît
qu'ils représentent les caractéristiques du comportement fondamental des
membres de cette société, et qu'ils confirment donc le droit absolu à
l'existence de cette société et de ses membres.
Le fait que les composantes de l'identité culturelle d'un groupe de
personnes donné présentent une valeur unificatrice appropriée pour les
membres de cette société ou de ce groupe est sans doute positif. Il en va
autrement lorsque ces composantes sont érigées, parfois artificiellement, en
tant que caractéristique distinctive des autres peuples et comme un élément
de supériorité, par rapport aux éléments qui identifient les autres. L'identité
culturelle devient alors, du point de vue figuratif, une entité «je» égocentri-
que, différente et meilleure que les autres. Il y a là un danger potentiel pour
les relations entre les communautés, lorsque certains groupes sont exploités
ou manipulés sur le plan politique par les groupes qui détiennent le pouvoir,
que la nature de ce pouvoir soit idéologique, religieuse ou économique
(Dubbeldam, 1984, p. 16).
Il est intéressant de noter que, lorsqu'un groupe social fait référence à son
identité culturelle, il évoque en général le passé, parfois le présent, mais
rarement l'avenir (même proche). Or, certaines personnes, au moins,
devraient avoir une vision de l'avenir pour leur groupe.

LA COMMUNICATION

L'expression
Les individus expriment leurs sentiments et communiquent les uns avec les
autres de multiples manières. Ils ont mis au point tout un éventail de
moyens de communication qui leur permet d'exprimer leurs idées, leurs
sentiments, leurs normes et leurs valeurs; par exemple, les signes physi-
ques, le son, la langue, les symboles, les écritures et les graphiques. D'où le
mime, la danse, le théâtre, les contes, la littérature, la radio, la télévision et
la communication électronique. Grâce à sa créativité et à ses compétences
particulières, l'individu apprend à maîtriser tous les éléments de la matière,
du silex à l'atome. En travaillant le bois, en peignant, en travaillant le verre,

22
Développement, culture et éducation

la soie, l'or et nombre d'autres matériaux, les artisans expriment leurs


sentiments et créent de nombreux objets utiles ou agréables pour eux-
mêmes ou pour les autres.

Les signes physiques


Les individus sont des êtres sociaux, qui disposent de nombreux moyens de
communiquer entre eux. Les expressions physiques indiquent la joie, la
crainte, l'approbation, font part d'autres sentiments ou font passer d'autres
messages. Nous pouvons exprimer nos sentiments par le mouvement de nos
mains. Pourtant, les gens n'utilisent pas tous leurs mains de la même
manière, par exemple pour se saluer ou pour s'offrir quelque chose. Les
mouvements du corps permettent d'envoyer des messages, ainsi que la
manière de s'habiller, de colorer sa peau ou de se coiffer. La couleur des
vêtements prend des significations particulières : certains vêtements ne sont
appropriés que dans des situations spécifiques. Certaines coupes de cheveux
sont indicatives du statut social de la personne ou de son identification avec
certains groupes sous-culturels. Le vêtement indique le conservatisme ou la
modernité, le statut, la joie ou la peine, le conformisme ou la révolte contre
l'ordre social établi.
L'utilisation du son est plus puissante encore, et notamment le discours.
Dans certaines cultures, le sifflement est un moyen d'attirer l'attention, dans
d'autres, il constitue une insulte.

Le langage
On exprime ses idées et on communique avec les autres membres de sa
communauté par le langage. Ce dernier permet aussi de transmettre les
connaissances, les valeurs et les idées aux autres, et, par là même, de
transmettre la culture.
La langue est le reflet de la culture d'une communauté donnée. Ainsi,
lorsqu'une société dépend très fortement d'une certaine récolte pour se
nourrir, ses membres savent en distinguer les divers aspects et les identifier
avec plusieurs mots, alors que d'autres sociétés n'en emploient qu'un seul
pour ce type de récolte. Ainsi, les Hollandais n'emploient qu'un mot pour
dire «patate douce», tandis que certaines sociétés en emploient plusieurs
douzaines. Le flamand et l'anglais n'ont qu'un mot pour dire «riz», mais
d'autres langues comme le bahasa indonésien ou le souahéli ont un mot
pour désigner le riz dans le champ, un autre pour le riz cru et un autre
encore pour le riz bouilli.
Il existe beaucoup de différences dans la diversité des mots que l'on
emploie pour évoquer les relations familiales, et elles reflètent des compor-

23
Annuaire international de l'éducation

tements différents envers certains parents. Les mots n'ont pas la même
valeur dans diverses langues et cela devient évident lorsqu'on parle de
concept comme «l'autorité», «la démocratie». La valeur d'un mot comme
«enseignant» dans diverses langues varie considérablement en termes de
respect et d'autorité6. Par ailleurs, des mots à consonance technologique et
la terminologie utilisée dans les sciences naturelles (comme «puissance»)
provoquent des malentendus dans les processus d'apprentissage. Au fil de
l'évolution des cultures, la langue s'adapte à la nouvelle situation, de
nouveaux mots sont créés, d'autres sont dépassés et disparaissent. Certains
changements sont rapides mais, dans d'autres cas, l'assimilation de mots et
de concepts linguistiques demande beaucoup de temps et d'efforts.
Tous les individus sont socialisés dans une langue — celle qu'utilisent
leurs parents, leur famille et la communauté. Par l'élargissement des
contacts entre les communautés, les individus en rencontrent d'autres qui
parlent une langue différente. Lorsque l'individu est en présence de cultures
ou de sous-cultures dominantes en termes de nombre ou de puissance, il doit
impérativement apprendre une ou plusieurs autres langues. Il y parvient
parfois par des contacts informels, bien qu'en général les langues étrangères
sont une matière essentielle de l'éducation formelle. L'une des raisons
susceptibles d'empêcher la scolarisation d'un enfant est le fait qu'il ne
comprend pas l'enseignement. En outre, même s'il apprend à parler et à
comprendre la deuxième langue, il n'est pas certain qu'il puisse assimiler
les valeurs qui lui sont inhérentes. Et lorsqu'il y parvient, cela ne
l'oblige-t-il pas, dans une certaine mesure, à trouver un équilibre entre deux
cultures ou à sauter de l'une à l'autre selon les circonstances?
On touche là l'un des graves problèmes de l'éducation interculturelle ou
multiculturelle.

La communication orale
La communication orale est la plus ancienne qui existe entre les êtres
humains. Elle se confond avec la communication quotidienne au sein d'une
communauté. Dans le cadre de l'élargissement des cercles de communica-
tion dans le monde, elle joue un rôle essentiel dans les contacts avec les
étrangers. C'est l'instrument le plus important du processus de socialisation.
Et c'est aussi l'instrument par excellence de la transmission de l'histoire,
des valeurs et des normes. Dans presque toutes les sociétés, on raconte des
histoires. Le conte est un divertissement, une activité sociale. Entre le
conteur et son audience, une affinité se crée. Le conteur assume souvent un
rôle éducatif, puisqu'il informe l'audience de la nature des choses, du passé
mythologique, de la religion, de l'histoire ou de la vie quotidienne. Les

24
Développement, culture et éducation

cultures « orales » sont particulièrement riches en histoires qui sont contées


et racontées sans cesse, mémorisées, tandis que le message qu'elles
véhiculent est assimilé. La morale et la trame de l'histoire sont en général
prédéterminées. Pourtant, dans de nombreux cas, l'improvisation sur des
trames immuables permet de commenter des événements sociaux, comme le
théâtre wayang en Indonésie. Les individus sont attentifs au message dont
ils reconnaissent le cadre et la signification, lorsqu'ils peuvent s'identifier
au problème décrit ou à l'un ou l'autre protagoniste de l'histoire. À moins
que le message ne s'inscrive dans un tissu culturel d'idées et d'expériences
familier à l'auditeur, il ne passera pas. Cependant, le discours a ses limites.
On ne peut communiquer directement qu'avec les personnes qui sont
physiquement présentes. On peut, sans même s'en rendre compte, s'adresser
à des gens à différents endroits ou à des moments divers, mais on dépend
alors de l'exactitude avec laquelle l'histoire est redite par une série
d'intermédiaires.

Les nouveaux moyens de communication


À présent, ce que l'on appelait traditionnellement la culture orale s'est
fondu avec d'autres moyens de communication ou a été remplacé par eux ; il
s'agit notamment du mot écrit, de la radio, de la télévision et de
l'informatique. Un nouvel amalgame de techniques de communications se
développe.
La progression de diverses techniques et de la technologie moderne a aidé
l'individu à multiplier ses capacités de communication avec les autres.
L'essor de l'écriture, la mise au point des matériels qui lui sont nécessaires
comme le papier, les crayons, les machines à écrire et les ordinateurs, ainsi
que les techniques de reproduction, ont constitué une révolution pour
l'humanité. Les instruments apparus plus récemment comme la radio, la
télévision, le téléphone, le télex et le fax ont également élargi l'éventail des
possibilités de communication. Ces nouveaux moyens permettent non
seulement d'envoyer des messages à des personnes éloignées, mais aussi
d'enregistrer des idées et des informations afin de les conserver et de les
transmettre avec exactitude.
Les moyens de communication sont complémentaires et se renforcent
mutuellement. Ainsi, les mouvements donnent davantage de sens aux mots ;
les émissions de radio complètent l'information écrite et l'appuient. Cepen-
dant, ces divers moyens sont également interchangeables. Ainsi, un appel
téléphonique évite d'écrire une lettre. Ceux qui possèdent une radio ou une
télévision peuvent se tenir informés sans avoir à lire les journaux. Les

25
Annuaire international de l'éducation

conférenciers et les enseignants utilisent des informations graphiques pour


transmettre un message à leur audience.
Cela ne manque pas d'avoir des conséquences sur l'utilisation de moyens
de communication particuliers, et sur la question de savoir pour qui et quand
l'alphabétisation devient nécessaire. Un grand nombre de gens satisfont
leurs besoins d'information par la communication orale et les médias
audiovisuels. C'est pourquoi ils sont nombreux à ne pas ressentir la
nécessité de savoir lire, écrire et compter. D'autres gens qui avaient appris à
lire et à écrire perdent ces compétences par manque d'exercice, venant
grossir ainsi le nombre des nouveaux analphabètes. L'alphabétisation
dépend énormément du contexte culturel. À cet égard, quand peut-on dire
que quelqu'un est alphabétisé? Suffit-il de savoir lire un journal? Écrire une
lettre à un ami? Remplir sa feuille d'impôt? Utiliser un ordinateur? Il
semble qu'aujourd'hui les critères soient un peu flous; pour certains, être
alphabétisé signifie savoir lire et écrire, pour d'autres, posséder des
compétences complémentaires permettant de comprendre les styles bureau-
cratiques et les nouvelles techniques. Il semble d'ailleurs que l'attitude et
les capacités lors de l'apprentissage soient différentes selon qu'il s'agit de
personnes alphabétisées dans une langue et essayant d'en apprendre une
autre, ou de personnes qui apprennent à écrire pour la première fois.
En dépit de l'accroissement considérable des potentialités de la communi-
cation, on constate de graves problèmes.
— L'internationalisation de la communication rend indispensable une juste
interprétation de codes, de signes et de mots spécifiques. Ainsi, que l'on
envoie ou que l'on reçoive un message par le biais des nouveaux
moyens de communication, on doit apprendre la signification des
nouveaux codes, signes et mots, du «langage et des symboles de la
communication ».
— La disponibilité des divers moyens de communication varie considéra-
blement dans le monde, et notamment dans les pays en développement.
Dans certains d'entre eux, on vend moins d'un quotidien pour mille
habitants. Le nombre des radios et des télévisions diffère beaucoup d'un
pays à l'autre. Ainsi, la densité des appareils de télévision est très faible
dans certains pays subsahariens et beaucoup plus élevée dans d'autres
de la même région. On peut alors se demander qui possède ces
appareils ? Peut-être seul le pourcentage le plus riche de la population ?
D'une manière générale, on manque de données réalistes sur la
disponibilité et l'utilisation des divers moyens de communication dans
les pays en développement.
— L'accès à l'information par les divers moyens de communication est
également limité car, dans de nombreux cas, son contenu est contrôlé

26
Développement, culture et éducation

par les autorités, pour des raisons politiques, idéologiques ou religieu-


ses7. Un grand nombre d'agences de presse, de chaînes de télévision, de
stations de radio, d'agences de publication et d'autres institutions
fournissant des informations au public sont contrôlées, possédées (ou
manipulées) par les gouvernements ou des organisations politiques,
idéologiques et religieuses. Les agences de presse internationale sont
souvent des entreprises commerciales; mais, s'il faut en croire les
critiques, elles ont aussi une orientation particulière sur le plan politique
et culturel. Enfin, le choix de l'information à diffuser est également
opéré par les rédacteurs en chef qui ont des intérêts et des critères
culturels et personnels à servir. Ces obstacles à la libre circulation de
l'information ne peuvent être levés que lorsque le public et, donc, les
consommateurs peuvent choisir entre diverses sources et comparer les
produits, un peu comme lorsqu'ils font leur marché.
— En outre, les individus attachent une importance particulière à l'infor-
mation qui leur est fournie par des personnes jouissant d'une certaine
autorité. Cela commence par l'information venant des parents et de la
famille au cours du processus de socialisation, et cela continue tout au
long de la vie, avec ce que l'enseignant dit à l'école, ce qui est écrit sur
le journal et ce que disent les dirigeants dans la société. Les individus ne
vérifient pas automatiquement ces informations avec d'autres sources,
même s'ils en ont la possibilité, car la simple tentative de vérifier
l'information est souvent inacceptable sur le plan social ou politique.
Ainsi, dans de nombreuses cultures, il est inconcevable de remettre en
question la parole d'un enseignant, ce qui ne manque pas d'avoir une
influence sur le comportement de la classe et sur les méthodes
d'enseignement. De même, nombre de médecins n'apprécient pas que
leurs patients souhaitent prendre un «second avis». Souvent, on
dissuade les enfants de poser des questions. Ils sont là pour écouter.
Lorsque ce type d'habitudes est assimilé par l'apprenant, il éprouve des
difficultés à trouver en lui la curiosité nécessaire pour se familiariser
avec les techniques de solutions de problèmes et pour apprendre les
sciences naturelles.

LE DÉVELOPPEMENT ET LE CHANGEMENT

Étant donné que la culture se transmet d'une génération à l'autre, et que tous
ses éléments sont liés entre eux, il est aisé d'y voir un processus
conservateur. Et en fait, au moins jusqu'à récemment, le processus de
socialisation et l'éducation qui lui était associée se voulaient conservateurs.

27
Annuaire international de l'éducation

Les parents et les autres membres de la communauté transmettaient aux


jeunes les idées, les normes, les comportements, les attitudes et les
compétences particulières qu'on leur avait enseignés plus tôt. Pourtant,
toutes les cultures évoluent, parfois lentement et progressivement, parfois
violemment et brutalement. L'histoire et l'anthropologie déploient toute une
panoplie de variations entre ces deux extrêmes.
Les cultures changent, ou se développent8, et il y a plusieurs causes à
cela:
— Certaines modifications de l'environnement naturel forcent les gens à
réagir. Adapter certaines formes du comportement à la nouvelle situa-
tion exige parfois un changement culturel plus vaste, car l'univers
culturel doit trouver une nouvelle harmonie. C'est le cas par exemple
lorsque l'environnement naturel a changé au cours d'une période
relativement courte ou lorsque les gens ont dû se déplacer d'un territoire
à l'autre, tels les réfugiés.
— Les cultures changent parfois du fait des innovations engendrées par la
créativité et les idées de certains de ses membres. Ces changements sont
parfois délibérés et rapides, parfois lents et imperceptibles.
— Le changement de la configuration culturelle provient parfois des
contacts avec d'autres groupes culturels. Il est généralement lent ou
plutôt imperceptible. Ainsi, les Kapauku dans les hautes terres centrales
de l'Irian Barat utilisaient les cauris comme monnaie d'échange.
Comme le peuple des hautes terres vivait isolé, l'afflux de nouveaux
coquillages était très sporadique. Or, chaque coquillage était manipulé
et traité si fréquemment qu'il acquérait une forme et une texture
spécifiques. Au cours de la première moitié du siècle, lors de l'arrivée
des expéditions, des quantités relativement importantes de nouveaux
coquillages étaient importées. On a d'abord remarqué la différence entre
les anciens et les nouveaux coquillages, de sorte que les importations
n'ont pas affecté la valeur des «mere», c'est-à-dire les vieux coquilla-
ges. Puis les nouveaux se sont usés et, de toute manière, on a mis au
point des techniques permettant de donner aux nouveaux coquillages
l'apparence des anciens en utilisant des produits chimiques importés.
C'est ainsi que, après quelques décennies à peine, même les experts
dans cette société ne pouvaient distinguer les coquillages nouvellement
importés des anciens. Le coquillage de cauri a donc dévalué et avec lui
le pouvoir des dirigeants de la société (Dubbeldam, 1964). Lorsque, à ce
moment-là, au cours des années 50, on a introduit de nouveaux éléments
impliquant une révolution dans la vie quotidienne tels le remplacement
des haches de pierre par des haches de fer et l'introduction du papier

28
Développement, culture et éducation

monnaie, la culture et la vie sociale ont atteint un point critique et


révolutionnaire.
Il en va tout à fait différemment lorsqu'un peuple est violemment envahi par
un autre, comme cela a été le cas lors de la conquête de l'Amérique et de
l'Australie, ou lors des migrations, des conquêtes et des guerres comme
celles qui ont eu lieu en Afrique, en Asie et en Europe. Le changement n'est
alors ni subtil ni progressif. Il va de soi que, lorsqu'une population est
physiquement exterminée, les chances de survie de sa culture sont très
minces. En revanche, lorsqu'un groupe culturel est dispersé, ses chances de
survie culturelle sont meilleures. La question est de savoir dans quelle
mesure une puissance culturelle étrangère peut modifier la culture de la
population qu'elle assujettit.
Au début des années 60, une équipe de chercheurs de l'Université du
Michigan s'est penchée sur les conséquences de la modernisation en
Ouzbékistan. Une puissance étrangère dotée d'une forte idéologie gouver-
nait un peuple ayant une solide tradition religieuse. C'était un pays dont la
tradition islamique était ancienne et profonde, et dont on pouvait attendre
qu'il résisterait aux politiques de modernisation. Il possédait les concentra-
tions urbaines les plus importantes et les plus stratégiques (sur le plan
politique et économique) de l'Asie centrale islamique, ainsi que la meilleure
configuration en matière de développement économique dans toute la
région, dont un riche delta et une vallée favorisant l'agriculture industrielle.
En 1956, les institutions éducatives de l'Ouzbékistan avaient produit une
élite intellectuelle scientifique et politique numériquement importante com-
parée aux autres pays islamiques. En 1959, on comptait à peine 19%
d'étrangers dans la population (les Russes eux-mêmes ne représentant que
13%). Tous les niveaux de la société pratiquaient une éducation de masse
très semblable à celle qui était dispensée dans les pays européens industria-
lisés. L'identité et la conscience nationales semblaient s'accroître plutôt que
décliner dans la région. On pouvait se demander si cette transformation
rapide à partir de l'ère médiévale était un hasard, ou si elle était le fruit de
politiques délibérément conçues pour engendrer des changements fonda-
mentaux dans la société musulmane (voir Medlin, 1969, p. 120-121).
La prise de décisions était politisée dans tous les domaines de la société.
La politique économique soviétique tentait de résoudre la contradiction qui
régnait entre les modèles de production ruraux et urbains afin de rationaliser
et de moderniser l'économie. Cette politique englobait la spécialisation
régionale et la création de zones de nationalités, mais dans le cadre d'une
économie soviétique centralisée. La conduite de ces politiques économiques
et éducatives sur une grande échelle exigeait la participation massive de la
population autochtone ; elle impliquait également une conscience nationale

29
Annuaire international de l'éducation

de la part des natifs ou des locaux différente de celle des étrangers ou de la


conscience nationale russe. De toute évidence, il existait une identité
culturelle viable, notamment en Ouzbékistan, qui était parallèle à l'élément
russe et liée d'une certaine manière à des institutions politiques typiquement
ouzbeks {op. cit., p. 125).
L'éducation et les organisations de jeunesse ont joué un rôle très
important. Le «fil d'or» qui constituait la trame de tout l'effort soviétique
de reconstruction éducative depuis 1917 voulait faire de l'apprentissage une
valeur pratique et de l'école la porte ouverte sur le monde de la spécialisa-
tion économique et de la production matérielle. On demanda aux ensei-
gnants de lier la scolarité à l'expérience professionnelle. Ils étaient tenus
d'inculquer aux enfants la loyauté idéologique et le patriotisme soviétique.
Les écoles étaient également considérées comme des centres communautai-
res chargés de promouvoir l'alphabétisme des adultes et les programmes
culturels. Elles avaient pour tâche de mettre au point un programme
d'enseignement matérialiste et scientifique dont l'objectif était de fournir
des ressources en main-d'œuvre {op. cit., p. 127-128). Les modernisateurs
soviétiques ont instauré des politiques qui, d'une part, s'appuyaient sur
d'anciennes pratiques et, d'autre part, légitimaient les nouvelles fonctions
de l'école en Ouzbékistan. À l'école soviétique, la fonction des enseignants
restait très semblable à celle qu'ils avaient par le passé, mais le contenu et
les méthodes de l'enseignement avaient été quelque peu modifiés. L'ensei-
gnant et l'élève de la classe soviétique entretenaient la même relation
d'autoritarisme que celle qu'ils avaient dans la maktab {op. cit., p. 131).
L'utilisation de la langue nationale était un élément capital puisqu'elle
permettait aux enseignants de faire des références à des aspects de l'identité
culturelle. Lorsqu'il utilise la langue du pays, un enseignant peut se référer à
des concepts fondamentaux dans un cadre de pensée et de connotations
traditionnel. La recherche a montré que les manuels scolaires utilisés à
l'école contenaient un certain nombre de sujets qui renforçaient l'identité
autochtone, ce que l'enseignant compétent pouvait mettre à profit.
Dans un document fondé sur le rapport de recherche original (voir
Medlin, 1971, p. 230-233), les auteurs se sont essayés à quelques prédic-
tions. L'importance particulière accordée aux possibilités d'éducation pou-
vait engendrer une modification de l'idéologie communiste. On pouvait
s'attendre à ce que la meritocratic fondée sur la performance éducative ne
cesse de croître, ainsi que la manifestation d'une aptitude à la direction chez
les Ouzbeks, et d'une stratification de l'ordre social fondée sur des critères
éducatifs. Peut-être, dans la même ligne de pensée, pouvait-on prévoir une
désaffection croissante à l'égard de la domination russe et l'éclosion de
comportements indépendants. Une société dont certains groupes sociaux

30
Développement, culture et éducation

partagent depuis plusieurs siècles un solide patrimoine culturel ne peut pas


vraiment accepter entièrement de nouvelles politiques imposées par des
envahisseurs sans réagir par des sentiments et des modèles de comporte-
ment qui l'aliènent du nouveau système dominant. Les chercheurs ont fait
d'intéressantes observations sur l'influence des groupes ethniques volontai-
res dans les rues, les restaurants, les lieux de loisir et sur la ségrégation
urbaine en matière de logement. Les manuels scolaires élémentaires, les
programmes de radio étaient en ouzbek et, pour ce qui est des manifesta-
tions culturelles (par exemple, le costume national), elles affichaient un
degré de reconnaissance considérable de nombreuses coutumes traditionnel-
les. Enfin, ces chercheurs ont prédit une expansion de la conscience et de
l'affirmation nationales. Les événements survenus par la suite ont montré
qu'ils avaient tout à fait raison.
Apparemment, aucun effort n'avait été consenti pour construire ce que
nous appelons aujourd'hui une éducation multicultureile, pour accroître la
compréhension mutuelle ; il s'agissait plutôt d'une culture dominante qui, en
s'imposant à une autre et en faisant fi des forces de l'identité culturelle de
cette autre, a perpétué la culture dominée. Il y avait en fait deux systèmes
parallèles dans une seule école.

L'ÉDUCATION

L'éducation est le processus par lequel un nouveau-né devient un membre à


part entière de sa communauté, le principal agent de transmission d'une
culture à travers les générations, la garantie de la survie de la culture. Par
ailleurs, en encourageant l'intellect et la créativité, l'éducation favorise un
développement de la culture qui peut engendrer le changement (Dubbeldam,
1990Ô, p. 106).
C'est par l'éducation que les membres d'une société acquièrent les
connaissances factuelles, celles des systèmes normatifs, et le cadre analyti-
que dont ils ont besoin pour y vivre. La dépendance des êtres humains
vis-à-vis de l'apprentissage n'a cessé de croître. Ils doivent apprendre une
grande diversité d'éléments tels que:
— les réactions adéquates à l'égard de leur environnement naturel afin d'en
maîtriser les aspects, et des compétences leur permettant d'utiliser les
matériaux ;
— se conduire en qualité de membre de leur communauté en diverses
circonstances ;
— les compétences générales et spécifiques sur le plan intellectuel et
physique dont ils ont besoin pour diverses activités ;

31
Annuaire international de l'éducation

— comprendre les phénomènes naturels et surnaturels, les lois et les


puissances fondamentales de l'existence; et, plus récemment,
— comprendre les personnes de cultures différentes et coexister avec
elles.

Puisque la culture est une configuration d'éléments particuliers, l'éducation


considérée comme son principal agent est — du moins en théorie — une
composition et un tout. L'intégration physique, intellectuelle et éthique de
l'individu en un être humain complet constitue la définition la plus large de
l'objectif fondamental de l'éducation (Faure, 1972, p. 156).
C'est ainsi que l'éducation englobe une grande variété de formes, de
contenus et de méthodes. L'éducation informelle permet à l'individu
d'apprendre des autres, par des contacts personnels et ponctuels, un contenu
déterminé par les circonstances. Ce type d'apprentissage est sans fin : il dure
tout au long de la vie et c'est peut-être le plus complet. Sans doute est-ce là
ce qui fait sa force dans l'édification de la personnalité et dans la
transmission de la culture.
À un moment donné, différent selon les sociétés, le besoin d'une
éducation plus organisée et plus spécialisée s'est fait sentir. L'école a fait
son apparition, ainsi que les groupes d'enfants auxquels enseignent désor-
mais des professionnels dont la tâche est d'inculquer des compétences
particulières à leurs élèves. À l'origine, il s'agissait surtout d'éducation
religieuse, philosophique ou professionnelle, mais, progressivement, l'en-
seignement est devenu plus séculaire, fondé sur des compétences de base
comme la lecture, l'écriture, l'arithmétique et d'autres matières académi-
ques. C'est ce que nous appelons à présent Y éducation formelle: des
systèmes nationaux d'institutions pédagogiques dotés d'un programme
d'enseignement fixé à l'avance, d'enseignants professionnels au service des
enfants et des jeunes dans des bâtiments conçus à cet effet. Le programme
d'enseignement est en principe déterminé par une autorité nationale et il est
uniforme dans tout le pays. L'une de ses forces est qu'il offre systématique-
ment aux élèves une diversité de thèmes dans un programme d'enseigne-
ment intégré. Cependant, les réserves sont nombreuses quant à ses objectifs,
sa pertinence, sa qualité et son efficacité.
Des solutions de rechange à ce type d'éducation formelle sont apparues
sous la forme de programmes & éducation non formelle. Il s'agit de formes
d'éducation organisées, dotées d'objectifs spécifiques, mais plus orientées
vers la satisfaction des besoins des apprenants et vers une réponse à leurs
attentes. La matière enseignée concerne parfois des compétences profession-
nelles spécifiques mais aussi d'autres thèmes sociaux, culturels ou récréa-
tifs.

32
Développement, culture et éducation

Ce type de distinction n'est jamais absolu, et la pratique montre que les


chevauchements sont multiples. Ainsi, les enseignants doivent mener à bien
les programmes d'enseignement prescrits par les autorités. Leur liberté
d'enseigner quelque chose d'autre est limité, compte tenu de l'examen final
auquel sont assujettis les élèves. Au terme d'une période déterminée,
l'enseignant doit avoir enseigné un certain nombre de matières. S'il n'atteint
pas cette cible, les résultats négatifs qui s'ensuivront lui seront imputés.
Dans les pays où le diplôme est indispensable à l'obtention d'un emploi
particulier, le climat dans l'école est dominé par ce qu'on appelle le
«syndrome du diplôme». Ce syndrome empêche l'école de traiter des sujets
présentant un intérêt local, que ce soit en classe ou en dehors. Cependant,
même si les enseignants n'ont pas le loisir d'insérer des matières supplé-
mentaires dans le programme, ils ont souvent l'occasion de faire valoir leurs
opinions, de faire connaître leurs valeurs et d'émettre des critiques sur les
événements sociaux et politiques. Ils ont un contact quotidien avec les
élèves. Pendant les cours, ils peuvent communiquer leurs pensées, que ce
soit par des remarques anodines ou par une certaine polarisation. En dehors
de la classe, lorsqu'ils ont des contacts avec les élèves, les occasions sont
multiples d'exprimer leurs idées et de communiquer avec eux. C'est là un
exemple d'éducation informelle au sein du système d'éducation formelle.
L'étude de Medlin que nous avons déjà mentionnée montre que les
enseignants peuvent même tourner le programme d'enseignement officiel à
leur avantage (culturel). D'autre part, la manière dont l'enseignant exerce sa
profession, par exemple, s'il stimule un comportement critique chez les
enfants, constitue un élément important de l'ensemble de l'éducation.
Cependant, il y a des limites à ces initiatives. Lorsque les enfants racontent
à la maison ce que l'enseignant leur a dit à l'école, et que l'enseignement
n'est pas conforme à ce que les parents en attendent en matière de normes,
de croyances et de comportements, il peut y avoir conflit entre les deux
parties, entre l'enseignant et la communauté, ou encore entre l'enseignant et
les autorités.
On a fait couler des fleuves d'encre sur la question de savoir ce qu'une
éducation scolaire doit offrir à l'enfant. Nombreux sont ceux qui estiment
qu'elle devrait construire une personnalité complète. Les responsables
politiques souhaitent que l'enseignement scolaire soit conforme à leur ligne
de pensée et à leur idéologie. Les parents souhaitent que leurs enfants
emmagasinent des connaissances utiles à leur future carrière, deviennent de
bons citoyens ou, tout simplement, qu'ils apprennent à être heureux. La
signification de l'expression «éducation de base» embarrasse autant les
responsables politiques que les responsables de l'éducation.

33
Annuaire international de l'éducation

Actuellement, partout dans le monde, les systèmes scolaires évoluent


conformément à des lignes uniformes. C'est ce que l'on appelle l'éducation
« occidentale »9.
Elle est peut-être «occidentale» en termes de forme ou d'organisation, mais il n'y a pas de
monopole «occidental» en termes d'objectifs, d'idées et de techniques pédagogiques. En outre,
les objectifs, la méthodologie et le contenu de l'éducation ont toujours fait l'objet d'un débat.
Ce dernier devient difficile à maîtriser si l'on se place du point de vue de la religion ou de
l'idéologie. Il porte donc rarement sur les aspects techniques des principes méthodologiques,
idéologiques, religieux ou autres. Ainsi, on lit parfois que le système d'enseignement
occidental considère l'enfant comme «un objet subissant un traitement et non pas comme un
apprenant actif» (voir Altaf Gauhar, p. 75-76).
Nombre de spécialistes de l'éducation s'élèveront vigoureusement contre
cette déclaration car, depuis des décennies, les pédagogues et les éducateurs
sont légion, en «Occident», qui recherchent des méthodologies visant à
stimuler la participation active de l'apprenant. Leurs idées ont d'ailleurs été
appliquées à des degrés divers. Il faut donc voir plutôt dans cette argumen-
tation une attaque contre les procédures d'évaluation et les examens qui ont
favorisé l'émergence d'«une structure de classe rigide qui asservit l'indivi-
du aux nombres». L'auteur s'insurge contre l'importance accordée aux
notes d'examen, au classement des élèves qui en découle et à ses
conséquences sur la poursuite des études ou sur l'emploi, et c'est là, sans
aucun doute, un beau sujet de débat! Mais d'autres questions soulèvent
certains problèmes. Elles sont posées non pas du point de vue de l'éducation
mais d'un point de vue religieux, idéologique et peut-être éthique:
Qu'est-ce que les méthodes d'examen occidentales cherchent exactement
à évaluer? Étant donné que le système n'a aucun objectif clair, on évalue la
capacité d'un élève 1) à observer, 2) à poser des questions, 3) à faire des
recherches, 4) à résoudre des problèmes, 5) à interpréter des conclusions, 6)
à communiquer oralement, 7) à communiquer par écrit, 8) à appliquer ce
qu'il a appris. Toutes ces capacités se voient attribuer des notes chiffrées et
chacune d'entre elles reste bien compartimentée, l'ensemble de la personna-
lité de l'élève étant alors interprété comme l'agrégat de ces notes. Dans le
système, rien ne permet à un enseignant de déceler si un élève qui a obtenu
le total le plus élevé sera honnête ou malhonnête, juste ou injuste, aimable
ou désagréable envers les autres.
En fait, les points mentionnés sont autant d'aspects dont il est tenu compte
au cours des examens. Il en va ainsi parce que ce sont des éléments
essentiels de la pédagogie qui, contrairement à ce qu'écrit l'auteur, visent à
empêcher l'enfant de devenir «un objet subissant un traitement». Par
ailleurs, des valeurs comme la justice et l'injustice, à partir d'un point de
vue particulier, peuvent, si elles sont bien inculquées, être utilisées comme
«des instruments de traitement».

34
Développement, culture et éducation

Si l'on part du principe que l'éducation est un processus d'apprentissage


permanent, et si l'on veut promouvoir l'idée que l'apprenant met à profit les
divers moyens d'éducation qui lui sont proposés comme l'école, les médias,
le contact avec les membres de la communauté, alors les points énumérés
ci-dessus sont des instruments utiles d'apprentissage.
On se demande aussi, et dans quelle mesure, on devrait enseigner d'autres
matières que l'arithmétique, les langues, l'histoire, la géographie, les
sciences, la biologie et les arts, en se fondant sur l'hypothèse que la scolarité
devrait contribuer à la formation d'une personnalité complète. La religion
ou l'idéologie doivent-elles être considérées comme des matières séparées
ou être incluses dans les sciences sociales ou la philosophie ?
La réponse réside en partie dans la conception que l'on a de la
complémentarité de la scolarité et d'autres types d'enseignement, tels que la
socialisation, l'éducation informelle et non formelle, et les médias. Si la
scolarité fait partie intégrante d'une culture donnée, il n'est nul besoin
d'imposer aux programmes d'enseignement scolaire toutes sortes de thèmes
que l'on traiterait beaucoup mieux par n'importe lequel des autres canaux.
Ainsi, l'honnêteté devrait être enseignée aux enfants bien avant qu'ils
n'entrent à l'école et ce sont les membres de la communauté qui, de diverses
manières, l'évalueront. Dans ce cas, l'important est la manière dont les
enseignants et les pairs réagiront envers la malhonnêteté, même si ce n'est
pas une matière du programme d'enseignement. L'honnêteté appartient au
domaine de l'éducation informelle tout en étant un élément inhérent au
système d'éducation formelle.
L'enseignement des valeurs, qu'elles soient religieuses ou idéologiques,
soulève en général une discussion animée. La première question qui se pose
est la suivante: les valeurs de qui? Des autorités, des enseignants, des
apprenants, de leurs parents ou d'autres personnes dans la communauté? Il
faut bien admettre qu'aucun enseignement, aucune situation d'apprentissage
ne sont totalement dénués de valeurs. Si celles-ci ne sont pas dans la
matière, elles sont dans la présentation ou dans le climat informel de
communication qui prévaut entre enseignants et apprenants. Pourtant, les
objectifs diffèrent beaucoup dans cet enseignement ainsi que la manière
dont les valeurs sont intégrées dans le programme.
Le débat porte en grande partie sur l'enseignement religieux. Parfois,
celui-ci devient le fondement d'un programme d'éducation dont tous les
éléments ont un rapport avec la religion; on justifie la méthode en
expliquant que l'éducation est un élément essentiel de la culture et qu'elle
en fait partie intégrante. Son contenu devrait donc faire état des aspects de la
culture les plus précieux. Si ces derniers sont déterminés par la religion, les
valeurs et les comportements sociaux qui en découlent, le phénomène doit

35
Annuaire international de l'éducation

se refléter dans la situation d'enseignement/apprentissage. Il est considéré


comme essentiel pour le développement de la société, la sauvegarde de son
identité, et sa protection contre les idées et les éléments étrangers qui
pourraient l'orienter dans la mauvaise direction.
Les arguments à rencontre de l'éducation religieuse sont les suivants : elle
endoctrine les élèves et nuit à leur épanouissement intellectuel, critique et
social. Par ailleurs, elle encourage la ségrégation sociale puisqu'elle
souligne les valeurs essentielles d'un groupe dominant contre les intérêts de
tous les autres.
En principe, l'éducation religieuse est pratiquée dans les pays dotés d'une
religion dominante. Elle fait souvent partie intégrante du programme
d'enseignement. La plupart des enseignants y adhèrent. Néanmoins, s'il y a
dans le pays des personnes pratiquant d'autres religions, ce fait aura parfois
un impact négatif sur leur accès à la scolarité ; les élèves se verront peut-être
refuser leur inscription à l'école ou seront boycottés par les autres élèves et
les enseignants.
Rares sont les pays où la religion est enseignée en tant que matière
donnant à connaître aux élèves un certain nombre de religions afin qu'ils
apprennent à comprendre les autres dans leur propre pays ou ailleurs dans le
monde. Lors de la conception d'un programme d'enseignement multicultu-
rel, il faut évaluer avec beaucoup de soin la place que l'on consacre à
l'enseignement religieux car c'est un instrument important de transmission
des valeurs aux élèves. Sa raison d'être est-elle de transmettre des valeurs
particulières ou de favoriser la compréhension mutuelle ?
Malheureusement, les personnes dotées d'un solide système de valeurs et
par conséquent d'un sentiment puissant d'identité culturelle, qu'elles appar-
tiennent à une religion, une idéologie ou une communauté ethnique
données, tendent à méconnaître et à rejeter catégoriquement les idées et les
croyances des autres sans faire le moindre effort pour les comprendre. Le
plus souvent, les arguments qu'elles brandissent contre ces autres ou pour
soutenir leur propre groupe s'inspirent de croyances culturelles plutôt qu'ils
n'émanent du raisonnement. La question se complique encore lorsque les
arguments issus de valeurs culturelles fondamentales sont utilisés dans les
discussions économiques.
Les débats sur l'éducation se fondent souvent sur les systèmes de valeurs,
sur les doctrines religieuses ou idéologiques, et trop rarement sur les
connaissances que les apprenants devraient acquérir à présent et dans
l'avenir. Ainsi, dans une discussion sur l'influence de l'éducation sur la
société, Basheer El Tom écrit ceci :
On ne saurait s'étonner que Mannheim refuse les dogmes du christianisme en tant que
fondement idéologique de la réforme de l'Occident; car la voie chrétienne est obscure et

36
Développement, culture et éducation

malsaine. En dépit de nombreuses tentatives de réformes, la religion chrétienne est devenue


quelque peu obscurantiste et ésotérique, et, par là même, incapable de s'imposer à la société en
tant que force éducatrice sociale. Elle est devenue statique, et elle a donc perdu sa pertinence
dans un milieu qui change et qui évolue (1981, p. 31).

Les exemples sont légion de peuples qui ont considéré les autres, dont la foi
était différente de la leur, comme des païens ou des gentils, en ignorant tout
de leur croyance ou en les condamnant. L'histoire nous enseigne que
nombre de gens ont été rejetés sur le plan social et même physiquement
éliminés parce qu'ils avaient des croyances religieuses différentes. En cela,
l'histoire coloniale ne diffère pas beaucoup des journaux d'aujourd'hui.
C'est ainsi qu'on a détruit un nombre incalculable de concepts, d'idées
culturelles et de méthodes pédagogiques très valables, ou du moins on les a
négligés de telle sorte qu'ils n'ont pu contribuer au développement du
peuple concerné ni s'ajouter au patrimoine international des connaissances
et des idées. Une grande partie de l'éducation et de la connaissance
autochtone est par conséquent inconnue de l'ensemble de la communauté.
Ce n'est que récemment que l'on s'est penché sur ce type de connaissances
et de philosophie, et que l'on cherche à en comprendre l'utilité, que ce soit
par respect ou par intérêt scientifique10.
Une meilleure connaissance des systèmes d'apprentissage indigènes dans
les sous-cultures favoriserait certainement la conception de programmes
éducatifs à l'intention de ces populations, ce qui est particulièrement
important si, pour une raison ou une autre, elles n'ont pas accès au système
d'éducation formelle national. Cette étude favorise également la compré-
hension de la manière dont les enfants et les adultes apprennent afin que les
méthodes utilisées ensuite dans les classes puissent en bénéficier. Des
programmes spécifiques favoriseraient l'établissement d'un lien entre la
culture scolaire et la culture populaire, permettant ainsi le développement
culturel de ces populations.
Autre problème de l'éducation: les manquements aux valeurs par les
«autres» sont souvent décrits de façon extensive, que ce soit à l'école ou
dans les conversations quotidiennes, tandis que le même comportement au
sein du groupe est nié ou tout simplement passé sous silence. Témoin, la
discrimination raciale. Presque tous les groupes culturels et sous-culturels
s'insurgent contre la discrimination raciale et pourtant on la trouve presque
partout. Il en va de même pour la discrimination à l'égard de l'un ou l'autre
sexe. Qui veut bien admettre qu'il ou elle pèche par pensée ou par action
contre l'égalité des sexes? Pourtant, la pratique indique que cela arrive
partout dans le monde.
Pour résoudre ce type de problème social, la première mesure à prendre
est de sensibiliser avec autant de délicatesse que possible les personnes à ce

37
Annuaire international de l'éducation

problème ainsi qu'à leurs propres idées et à leur comportement. C'est là un


élément essentiel de l'éducation multiculturelle et de l'éducation intercultu-
relle.

L'ÉDUCATION ET LA CULTURE

Dès les années 60, on se demandait déjà si l'éducation influençait la culture


et dans quelle mesure. Ainsi, des études effectuées à l'Université Harvard
portaient sur la question de savoir si l'éducation rendait les hommes
«modernes» (Inkeles, 1969 et 1975). La réponse à cette question n'a pas été
un «oui» inconditionnel: l'éducation est le facteur le plus puissant de la
modernisation de l'homme, mais l'expérience professionnelle au sein
d'organisations de dimension importante, et notamment l'usine, contribue
beaucoup à conférer aux êtres humains des comportements modernes et à
leur enseigner à vivre en hommes modernes (Inkeles, 1969, p. 208). Il faut
donc en conclure que, si la scolarité favorise une importante évolution dans
les orientations fondamentales de la personne, c'est que l'école enseigne
beaucoup plus que ce qui figure dans son programme de cours en matière
de lecture, d'écriture, d'arithmétique et même de géographie {op. cit.,
p. 213).
Même si l'on peut affirmer que la durée et la qualité de la scolarité sont fondamentales à la
formation de la modernité de l'enfant, il faut bien reconnaître que ces facteurs n'expliquent
qu'en partie la diversité du degré de modernité individuelle chez les jeunes. De toute évidence,
beaucoup dépend des influences auxquelles chaque enfant est soumis et qui sont, dans une
certaine mesure, tout à fait indépendantes des effets de la scolarité. Parmi ces influences,
soulignons notamment la personnalité des parents et des pairs à l'école (Inkeles, 1974, p. 2).
Cette étude a été réalisée à une époque où le développement était considéré
comme un processus de modernisation, une évolution très conforme aux
critères de développement qui prévalaient alors dans le monde capitaliste de
l'Atlantique Nord. En outre, on accordait beaucoup d'attention à l'éducation
formelle et pas assez à la grande diversité des réseaux d'apprentissage non
formels et informels, à la fois internes et externes à l'école.
L'école est toujours implantée dans une société qui se développe, que ce
soit rapidement ou lentement. Les élèves acquièrent, par l'éducation
formelle, de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences qui
peuvent, en partie, être appliquées dans leur vie quotidienne. Sinon, les
occasions d'apprendre dans la communauté autres que l'école sont perdues.
Ces nouvelles compétences qui, tout en ouvrant des portes, causent aussi,
parfois, des déceptions, s'inscrivent dans une évolution générale de la
société et amènent des changements dans la vie quotidienne. En principe,
l'acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences

38
Développement, culture et éducation

permet aux enfants d'accéder à des réseaux de communication élargis. Ces


deux éléments, à savoir les changements dans la vie quotidienne au sein de
la société et l'accès à l'information provenant de réseaux culturels plus
vastes, favorisent l'éclosion d'idées nouvelles, l'adaptation à l'environne-
ment qui évolue, et une créativité génératrice d'autres innovations, qui à
leur tour entraîneront des changements dans les éléments culturels, créant de
nouveaux besoins d'apprentissage dont il faudra tenir compte dans le
programme d'enseignement scolaire. Tout au long de ce processus, enfants
jeunes et adultes prennent part à de nombreuses situations d'apprentissage
informel. Citons notamment le milieu professionnel, mais aussi les groupes
sociaux qui exercent une grande influence sur l'épanouissement personnel.
Le contenu des processus d'apprentissage informel peut renforcer ou bien
affaiblir les connaissances acquises dans le cadre formel de l'école. Il
semble donc que l'apport de l'éducation à la culture sera d'autant plus réel
et efficace que les deux éléments se renforcent mutuellement. Pour atteindre
ces objectifs, il convient d'établir des relations étroites entre l'école et la
communauté, par exemple en orientant une partie du programme d'ensei-
gnement vers la satisfaction des besoins communautaires et en faisant appel
aux membres de la communauté en qualité de conseillers techniques.

LA DÉCENTRALISATION DE L'ÉDUCATION FORMELLE

Tout ce qui a trait aux sous-cultures et à l'identité culturelle, ainsi qu'aux


programmes d'enseignement scolaires, se trouve au cœur du débat sur la
centralisation ou la décentralisation du système d'éducation.
À une certaine époque, les parents se sont découverts incapables de
prendre soin de l'éducation de leurs enfants dans tous les aspects de la vie.
C'est alors qu'ils ont délégué à des enseignants professionnels le soin
d'inculquer à leurs enfants certaines compétences intellectuelles ou manuel-
les. Aussi longtemps que les enseignants ont été nommés et appuyés par la
communauté, cette dernière avait son mot à dire pour ce qui était de
l'organisation de l'école et du programme d'enseignement. En revanche,
dans d'autres cas, le programme était organisé par un parrain ou par une
organisation. Dans tous les cas, le processus enseignement-apprentissage
était à l'origine une question «sous-culturelle». Au fil du temps, néan-
moins, l'éducation a progressivement échappé à l'influence de la commu-
nauté locale et c'est alors qu'est apparue l'éducation formelle.
L'expansion massive de la scolarité date de la fin du XIXe siècle, au
moment où se sont formés les pays européens et américains. L'enseigne-
ment scolaire est devenu l'une des grandes responsabilités de l'État.

39
Annuaire international de Véducation

On est partis de l'hypothèse que chaque État possédait une culture


nationale, même si, en réalité, nombre d'entre eux n'étaient que l'agglomé-
rat de plusieurs entités ethniques dont chacune avait sa culture. Souvent,
d'énormes différences opposaient ces composantes culturelles. Et la plupart

Chinua Achebe (1964, p. 55-56) a fait du grand prêtre d'un village nigérian le
héros de l'un de ses romans. Ce personnage dit à l'un de ses fils, qu'il envoie à
une école du voisinage :
«Je veux que l'un de mes fils se joigne à ces gens et qu'il soit mon œil parmi
eux. S'il n'y a rien de spécial, tu reviendras. S'il y a quelque chose, alors tu
m'en rapporteras ma part à la maison. » Et pour justifier sa décision d'envoyer
l'un de ses fils à l'école, il dit à la mère de l'enfant: «... Ne sais-tu pas que,
dans la maison d'un grand homme, il doit y avoir des gens qui suivent toutes
sortes de pratiques étranges?... Dans une telle maison, quelle que soit la
musique que joue le tambour, il doit y avoir quelqu'un qui sache danser.»

du temps, ces différences ont été officiellement dissimulées. Dans certains


pays, les choses ont évolué, et la différenciation locale y est reconnue et
tolérée. Dans d'autres, elle continue d'être hors la loi, conformément à la
décision du groupe culturel ou sous-culturel dominant.
Lorsque les gouvernements ont pris en main la gestion du système
scolaire, les autorités des capitales ont décidé du programme d'enseigne-
ment. Ce dernier reflète donc la culture du «centre». Son contenu répond
aux besoins des groupes dominants. La langue proclamée langue nationale
est imposée en tant que véhicule de l'instruction. Les communautés locales
n'ont pas grand-chose à dire en ce qui concerne le programme d'enseigne-
ment. Dans certains pays, les organisations religieuses ou philosophiques
ont été autorisées à ouvrir des écoles dans le cadre des règlements émis par
le gouvernement central. L'enseignement est prescrit jour après jour, de
sorte qu'il n'y a plus de temps disponible pour les matières présentant un
intérêt pour la communauté locale. Les enseignants n'ont que très peu de
marge pour faire une adjonction en termes de matières ou d'idées. Un
examen sanctionne la fin du nombre d'années prescrit, et l'élève obtient un
diplôme ou passe un examen d'entrée lui permettant de poursuivre ses
études au niveau supérieur de la scolarité.
Dans nombre d'anciennes colonies, la scolarité a d'abord été introduite
par des organisations privées, étrangères ou religieuses. Ce n'est que plus
tard que les gouvernements coloniaux s'y sont intéressés. Progressivement,
il se sont mis à réglementer les programmes d'enseignement, alors même

40
Développement, culture et éducation

que la gestion quotidienne était encore aux mains des organisations privées.
En principe, la communauté locale n'exerçait aucune influence sur les
affaires scolaires. Le seul choix qui restait encore parfois aux membres de
cette communauté était d'inscrire leurs enfants à l'école ou non. Le système
et le programme d'enseignement étaient la plupart du temps des copies
conformes de ceux qui prévalaient dans la métropole. Certains efforts ont
pourtant été faits pour introduire des matières dont les responsables de
l'éducation estimaient qu'elles étaient plus pertinentes pour les populations
locales. Ces populations s'y sont parfois opposées, notamment les parents,
car elles craignaient que cette adaptation du programme d'enseignement
n'empêche leurs enfants d'accéder à l'école secondaire ou à des niveaux
supérieurs. Beaucoup d'entre eux craignaient que le temps consacré à des
matières supplémentaires comme l'agriculture ou l'artisanat ne prenne sur le
temps nécessaire à l'étude des matières fondamentales, notamment la
lecture, l'écriture, l'arithmétique et la langue «nationale».
Après l'accession à l'indépendance, les systèmes scolaires formels se sont
perpétués, même si certains pays ont fait des efforts pour nationaliser les
écoles et le programme d'enseignement. Les emplois nouvellement créés,
notamment dans l'administration, offraient des salaires permettant à ceux
qui les recevaient de vivre dans ce qui leur semblait être du luxe, et ils
conféraient beaucoup de prestige. La vie dans la capitale semblait très
attrayante. Ainsi, tous les emplois vacants trouvèrent preneur et le problème
de l'abandon scolaire conduisant au chômage devint une préoccupation
croissante pour les autorités. Pourtant, il s'avérait absolument impossible
d'enrayer la migration vers les villes. C'est alors que de nouvelles sous-
cultures urbaines virent le jour et que les systèmes d'éducation reflétèrent
davantage les besoins de la sous-culture urbaine que ceux des populations
des zones rurales. Le but des élèves était donc d'obtenir le diplôme le plus
élevé possible pour avoir accès à un emploi rémunéré et, le cas échéant, à la
poursuite des études dans l'ancienne puissance coloniale. La langue de cette
dernière demeurait d'ailleurs le véhicule de l'instruction et les manuels
scolaires étaient fondés sur une culture étrangère plutôt que sur les cultures
nationales ou locales.
À cause du déclin de l'économie, de la croissance du chômage, de la
qualité défaillante de la scolarité et d'une démographie galopante, de moins
en moins de jeunes furent à même de trouver un emploi bien rémunéré dans
les villes. Les ruraux et les groupes dont la sous-culture était différente de
celle du groupe dominant furent de plus en plus nombreux à remettre en
question l'utilité de la scolarité offerte et, dernièrement, dans certains
endroits, les inscriptions à l'école diminuèrent. De toute évidence, l'école ne
répond pas aux besoins des sous-cultures locales et les élèves qui quittent

41
Annuaire international de l'éducation

l'école ne peuvent trouver leur place dans la sous-culture urbaine «moder-


ne». Cette situation persiste encore dans le monde entier.
Dans nombre de centres urbains, on trouve des gens dont on peut dire
qu'ils appartiennent à la nouvelle culture nationale. Leurs relations avec
leurs groupes ethniques d'origine se sont distendues ou n'existent plus. Ils
s'identifient à cette culture nationale. Ils parlent sa ou ses langues. Souvent,
ils ont fait des études supérieures. On peut se demander, cependant, dans
quelle mesure la scolarité a favorisé leur évolution culturelle. En effet, cette
dernière est parfois due à d'autres facteurs, comme un mariage mixte, un
long séjour à l'étranger, la rupture des relations avec la famille ou encore
certaines caractéristiques individuelles.
Récemment, la discussion sur la décentralisation de l'éducation s'est
intensifiée. En effet, les gouvernements ne sont plus à même d'assurer
l'enseignement obligatoire parce qu'ils manquent de fonds et qu'ils se
heurtent à des difficultés d'organisation. On aurait besoin, à présent, des
ressources des communautés locales qui pourraient faire un apport financier
par le biais du travail volontaire ou en nature, en offrant les compétences
spécifiques de certaines personnes. Les facteurs culturels ne sont pas encore
très prééminents. Mais peut-on trouver des ressources au niveau communau-
taire ? Dans de nombreuses régions, notamment dans celles qui disposent de
peu de matériel et de possibilités d'éducation, ou qui n'en ont pas du tout,
les gens sont trop pauvres pour faire une contribution, qu'elle soit en
espèces ou en nature.

L'éducation et tous les problèmes sociaux, financiers et psychologiques qu'elle


engendre pour les individus sont le sujet de nombre de romans et d'histoires,
notamment en Afrique. Par exemple, voici un extrait de Leopard in a cage [Le
léopard dans la cage] de Jacqueline Pierce (1976, p. 2-3):
«Tes racines sont-elles si mauvaises que tu veuilles y échapper?»
«Je veux simplement émerger de la boue qu'il y a ici.»
«Pourquoi as-tu si mauvaise opinion du progrès, oncle Nsa?» dit Marangu en
se joignant à la conversation. «Elle parle simplement du progrès. Vois Walter
Mtey. Il a été le premier élève de Lomo à étudier à l'université. S'il était
revenu ici pour y vivre et y travailler, les gens auraient été déçus.» [...]
«Les gens d'ici aiment lire la vie de Walter dans les journaux, voir sa photo de
temps en temps. Ils sont alors très contents et se disent: "C'est un des nôtres, il
est de Lomo." Ils se moquent de ses compétences. Ils savent seulement qu'il
est le héros de leur ville».

42
Développement, culture et éducation

«C'est idiot.»
«Pourquoi est-ce idiot? Lorsque j'aurai fini mes études, je ne reviendrai qu'en
visite de temps en temps. Pense à tous tes camarades de classe. Tu es le seul à
avoir eu la chance de pouvoir étudier en Amérique. Pourtant tu es encore le
seul sans voiture, sans maison, même sans emploi. Et pourquoi ? Parce que tu
as voulu revenir à Lomo. »

Avant que l'on ne décide d'un système d'éducation décentralisée et des


ressources qui doivent être mobilisées à cet égard, il faut un minimum de
consensus quant à la nature et au contenu de l'enseignement de base. Les
débats publics et les déclarations en la matière reconnaissent généralement
que les besoins d'apprentissage de base diffèrent d'une société à l'autre. Il
semble donc logique que l'enseignement de base que l'on se propose de
fournir se caractérise par un certain degré de diversité. Mais l'enseignement
scolaire peut-il admettre cette diversité ? L'éducation, on le sait, exerce une
grande influence sur la culture et donc sur tous les aspects de la société, y
compris sur l'exercice du pouvoir; mais c'est un élément extrêmement
délicat sur le plan politique. La plupart des hommes politiques qui
gouvernent estiment qu'elle relève de la responsabilité nationale plutôt que
de la communauté locale. C'est pourquoi l'émergence d'un consensus sur la
nature et le contenu de l'enseignement de base dans un système décentralisé
exige non seulement la reconnaissance et la tolérance d'une diversité
culturelle, mais encore une interprétation particulière du concept de « maîtri-
se du pouvoir»; en effet, il est souvent utilisé à mauvais escient par des
orateurs qui parlent du pouvoir d'un groupe particulier tel que le perçoivent
ceux qui n'en font pas partie, plutôt que de l'autodétermination d'une
communauté qui lutte pour améliorer sa vie quotidienne. Si l'on veut
mobiliser les ressources locales, il faut s'assurer que cette maîtrise du
pouvoir est comprise par les membres de la communauté, et qu'ils sentent
que l'école et les autres formes d'éducation de base dont ils disposent leur
appartiennent11.
Qu'il me soit permis de citer l'exemple d'un effort visant à édifier un
système, que les personnes concernées peuvent considérer comme le leur ; il
s'agit de la mise au point d'un modèle d'éducation destiné à la population
indienne des Territoires nationaux de Colombie. Un projet conjoint des
gouvernements des Pays-Bas et de la Colombie a été lancé en 1978. Sa
philosophie et sa méthodologie donnent la priorité à l'identité culturelle du
groupe ciblé (Oltheten et al, Epskamp, 1984; voir aussi Alfonso, 1988). Le
concept d'identité culturelle constituait la base de la conception d'un
modèle éducatif répondant aux besoins des divers groupes, facilement

43
Annuaire international de Véducation

adaptable à leur réalité socio-économique et culturelle. Premier résultat


positif de cette nouvelle politique éducative: l'éducation est devenue une
valeur sociale et un élément essentiel du bien-être de la population, et elle a
cessé d'être considérée simplement comme un moyen d'atteindre ce
bien-être. Dans le cadre de cette politique sociale, le bien-être de la
population était donc perçu comme une force motrice et non comme le
produit de la croissance économique. L'éducation est reconnue comme un
processus permanent qui ne se limite pas à l'école ou à ce qu'on appelle
l'âge scolaire. Il s'adresse à tous les groupes, et les «étudiants» doivent être
acceptés tels qu'ils sont, sans être contraints de suivre un processus
d'apprentissage uniforme qui ressemble à une école ou qui en fait partie. Il
fallait à tout prix trouver le moyen d'ajuster le système d'éducation au
système social, c'est-à-dire aux véritables besoins de la population, et de
faire participer activement cette dernière à la définition des besoins en
éducation et à la recherche de la réponse idoine.
Les éléments du processus éducatif ont été déterminés par des ateliers
locaux, organisés par la population, avec l'aide du personnel du projet. Ces
ateliers avaient notamment pour objectif l'initiation d'un processus de
recherche exploratoire commune des intéressés concernant leur propre
réalité. Au sein de ce processus, considéré comme une méthode d'apprentis-
sage, la réalité culturelle a pris une place prédominante. Diverses questions
ont été soulevées quant à l'origine, la religion et la parenté, la production et
la signification d'objets particuliers, les principaux événements et l'évolu-
tion historiques, etc. Les membres les plus âgés de la communauté ont été
mis à contribution en tant que conseillers techniques : en effet, ce sont eux
qui possèdent la tradition et la connaissance, la science des herbes
médicinales, et qui sont au fait de l'histoire récente, marquée par les
contacts avec les immigrants. En bref, ce sont eux qui connaissent le mieux
le milieu naturel et social.
Les contenus du modèle portaient donc notamment sur :
— la connaissance et la compréhension du milieu physique et écologi-
que;
— un aperçu de la structure sociale ainsi que du développement social et
culturel ;
— l'acquisition de compétences conceptuelles et techniques, et de la capa-
cité de comprendre et de maîtriser la réalité.
Dans le cadre de sa phase permanente de recherche exploratoire, la
communauté ne devrait pas se contenter de recueillir des informations : elle
devrait aussi les traiter, les analyser et les interpréter. Au cours des phases
consécutives de la prise de décisions, du choix ou du rejet de certaines

44
Développement, culture et éducation

options et de leurs conséquences implicites, la communauté doit indiquer


les priorités et choisir les voies et moyens d'y parvenir.
Cette méthode participative exige la création de matériels d'enseignement
et autres, compte tenu des facteurs relatifs au milieu physique et social liés à
la langue et à la manière de penser du groupe ciblé. Étant donné la situation
isolée d'une partie de la population dans la zone du projet et parce que les
méthodes de communication et l'infrastructure sont inadéquates, l'utilisa-
tion de ce que l'on appelle «les petits médias» est de toute première
importance. Par ailleurs, il est essentiel que les villageois participent
activement à la création de matériel écrit, graphique, plastique et audiovi-
suel. Les élèves d'un centre local de formation des enseignants ont pu suivre
un programme spécial qui leur a permis de participer au projet.
La force de ce projet réside dans le fait qu'il s'est axé sur l'identité
culturelle de la population et sur sa participation continue. En outre, les
matériels et les méthodes utilisées conviennent à divers types d'éducation
de base ; certains programmes sont prévus pour les enfants, d'autres pour les
adultes, et il y a aussi des programmes d'alphabétisation. À l'origine, les
autorités gouvernementales l'ont appuyé. Malheureusement, lorsqu'il est
apparu qu'il renforçait l'identité culturelle et qu'il favorisait la prise de
conscience de la population concernant sa position à l'égard du gouverne-
ment et de l'Église, il s'est heurté à l'opposition politique du gouvernement
de sorte qu'il a fallu mettre un terme au programme12. Cette expérience
visait le développement d'un modèle éducatif parallèle au système national.
Le programme et la méthodologie d'enseignement s'inspiraient de la culture
ou de la sous-culture locales. On espérait que tous les membres de la
population, jeunes et adultes, pourraient acquérir des compétences de base
et l'objectif était de renforcer leur propre culture afin de raffermir leur
position dans le contexte national.
Ailleurs, d'autres expériences ont lieu dans le cadre du système. Elles
visent notamment à mettre à profit la culture ou la sous-culture et les
connaissances locales, qu'elles soient techniques ou sociales, dans la
conception du programme d'enseignement scolaire ou à des fins d'enseigne-
ment et de gestion; ainsi, l'expérience entreprise par SEAMEO dans les
années 70 et 80. Elle a été menée à bien en Indonésie sous l'acronyme
PAMONG et aux Philippines sous celui d'IMPACT13. Il s'agissait de
mettre au point un système efficace et économique permettant de fournir
une éducation primaire de masse. Il s'agissait surtout d'une expérience
pratiquée sur un système de gestion afin de constater si les objectifs de
l'école primaire peuvent être atteints par des méthodes non conventionnelles
en utilisant des formes conventionnelles d'enseignement primaire qui
existent.

45
Annuaire international de l'éducation

Aux niveaux les plus bas, IMPACT utilisait la langue maternelle et, plus
tard seulement, la ou les langues nationales. L'enseignant d'IMPACT
appelé «surveillant de l'instruction» avait pour assistants des enseignants
itinérants, des aides non professionnels accomplissant les activités de
routine de l'école, des tuteurs volontaires (en principe des élèves du lycée),
des enseignants du programme et, enfin et surtout, des parents et des
membres de la communauté faisant office de conseillers techniques. Ce type
de programme permet d'ancrer l'école dans la culture locale grâce à la
contribution des ressources locales. En encourageant la prise de conscience
culturelle, l'école favorise un épanouissement plus harmonieux de la culture
locale.
D'autres expériences s'adressent plus particulièrement à la population
adulte et visent à l'amélioration de ses compétences techniques, académi-
ques ou sociales. La «maîtrise du pouvoir» est un élément essentiel des
objectifs de nombreux programmes. Quant à l'alphabétisation, elle fait
partie d'un grand nombre de programmes conçus pour les adultes, ainsi le
Projet Delsilife14 qui a été lancé alors que le monde prenait de plus en plus
conscience que l'école ne profitait jamais à ceux qui en avaient le plus
besoin, à savoir les populations des zones défavorisées, en grande majorité
dans la plupart des pays d'Asie du Sud-Est. Ce projet était centré sur
l'épanouissement des personnes. Leur participation active à la prise de
décisions, à l'identification des besoins et des problèmes, à la planification,
à la mise en œuvre et à l'évaluation des programmes d'apprentissage faisait
partie intégrante de la méthode. Si le processus éducatif vise à favoriser la
prise de conscience des besoins et des problèmes de la communauté, il a
également pour objectif d'intéresser l'individu à sa qualité de vie et de
chercher à accroître ses capacités intellectuelles et ses compétences pour lui
permettre de modifier son environnement. Enfin, l'éducation lui permet de
faire ses propres choix en matière d'action, et d'améliorer sa qualité de vie
en devenant autonome.
Les projets cités précédemment ont pour objectif non pas l'enseignement
de compétences particulières (professionnelles ou techniques), mais unique-
ment, ou presque, l'amélioration des compétences utiles à la vie quotidien-
ne, des techniques d'apprentissage, de la prise de décisions, de la prise de
conscience et de la confiance en soi de l'individu.
Les débats sur la décentralisation distinguent assez peu les divers
éléments qui doivent être décentralisés. Il en résulte une certaine confusion
parce que le système d'éducation a des aspects très divers. Or, il semble que
ce soit une question subsidiaire. S'agissant de l'éducation des enfants, des
jeunes et des adultes, on peut se demander qui accomplira le mieux une
tâche donnée. En outre, si l'on envisage l'éducation du point de vue du

46
Développement, culture et éducation

développement culturel — et notamment au vu des intérêts d'un développe-


ment multiculturel et interculturel —, des questions se posent en ce qui
concerne les valeurs respectées au niveau national et aux divers niveaux
sous-culturels.
Par exemple, d'un point de vue national, il est très important que chaque
personne s'exprime dans la langue nationale, même si elle connaît des
langues locales ou étrangères. Il est essentiel que les niveaux de performan-
ce dans tous les pays soient comparables afin qu'un élève originaire d'une
région et admis à passer en classe supérieure puisse être choisi sur des
critères objectifs. En principe, c'est le gouvernement central qui négocie les
prêts avec les institutions donatrices. Son devoir consiste donc, compte tenu
des dimensions du pays, à fournir les éléments indispensables tels le
financement, le choix des matières obligatoires du programme d'enseigne-
ment, la formation des enseignants, l'enseignement supérieur, ou à garantir
les valeurs nationales et une éducation multiculturelle et interculturelle.
D'autres tâches seraient mieux accomplies à des niveaux moins élevés du
gouvernement, ou même au niveau communautaire. Ainsi, l'intégration de
la scolarité dans la vie de la communauté locale serait certainement mieux
réussie par la communauté elle-même. Le gouvernement central pourrait
prescrire un programme commun, définissant notamment les compétences
intellectuelles ou manuelles que l'élève doit acquérir, et la communauté
serait chargée de remplir les heures restantes du programme scolaire par des
histoires locales, des études sur l'environnement, l'enseignement de compé-
tences particulières qui lui sont propres, des cours de la langue locale ou
d'autres activités culturelles locales. Si le gouvernement central peut
prescrire un certain nombre d'heures scolaires par an, il pourrait s'en
remettre à la communauté pour la question du calendrier scolaire. La
décentralisation doit distinguer les éléments qui devraient et peuvent être
laissés à la discrétion des autres autorités (y compris les ONG) de ceux qui
incombent à la communauté locale.
Cependant, jusqu'où peut-on aller? Par exemple, si un gouvernement
central prêche en faveur d'un accès à l'éducation égal pour tous, que doit-il
faire lorsqu'une communauté locale estime qu'il n'est nul besoin d'envoyer
les filles à l'école, ou qu'elle exclut les élèves appartenant à un groupe
ethnique, une classe sociale ou une caste donnés ?
Il ne faut pas sous-estimer les problèmes touchant à la décentralisation
tels la définition des compétences, les niveaux de diplôme, le financement et
l'organisation. Pourtant, les problèmes qui se posent en termes d'éducation
culturelle et, notamment, multiculturelle semblent encore plus graves car, si
on ne les résout pas, on ne résoudra pas non plus les problèmes administra-
tifs et pratiques.

47
Annuaire international de l'éducation

LA COOPÉRATION RÉGIONALE ET INTERNATIONALE: LE TRAVAIL DE RÉSEAU

L'apport de l'éducation au développement international multicultural passe


par une approche et des stratégies de coopération globale entre divers
groupes culturels. Les cultures devraient s'intéresser les unes aux autres,
dans le cadre des frontières nationales et au-delà.
S'agissant de la promotion du développement culturel, l'éducation exerce
nombre de fonctions, rôles et responsabilités universelles dont voici la
teneur :
1. L'éducation (formelle, non formelle et informelle) aide l'apprenant à
s'instruire sur sa propre culture, sur les autres cultures et sur les éléments
culturels communs.
2. L'éducation aide l'apprenant à comprendre la nature et la signification de
la culture, la façon dont les diverses cultures agissent les unes par rapport
aux autres, et dont elles évoluent et changent.
3. L'éducation dote l'apprenant de moyens efficaces pour réagir face aux
racines culturelles des problèmes socio-psychologiques qui se manifes-
tent souvent par des malentendus culturels, des préjugés, un certain
ethnocentrisme et du racisme.
4. Par ses dimensions culturelles, et notamment par les programmes d'ap-
prentissage et d'enseignement sur les droits de l'homme, le respect, la
compréhension et la tolérance des différences culturelles, l'éducation
contribue à la «culture de la paix».
5. L'éducation a un grand rôle à jouer pour ce qui est de la réglementation,
de la surveillance et de l'élimination des conflits (ethniques, raciaux,
religieux, etc.), ainsi que de la violence et de la discrimination qui sont le
pain quotidien de nombreuses populations dans le monde.
La quarante-troisième session de la Conférence internationale de l'éducation
(dans sa Recommandation n° 78) lance un appel en faveur de l'accroisse-
ment de la coopération régionale et sous-régionale dans le domaine de la
formation des enseignants et de la recherche pédagogique (en particulier
pour ce qui est des projets pilotes). Elle insiste également sur la coopération
internationale dans le domaine des échanges éducatifs et culturels (en
termes d'information et de personnel) et pour tout ce qui consiste à
recueillir, analyser et échanger des projets et des expériences novateurs, et
des matériels éducatifs internationaux au service de l'éducation intercultu-
relle ou multiculturelle.
Les réseaux sont des moyens très efficaces de partager et d'échanger les
informations dans le domaine de l'éducation et de la culture. Le réseau

48
Développement, culture et éducation

opère au niveau national, régional ou international. Selon McGinn15, le


travail de réseau se fonde sur l'édification d'une réalité commune, d'une
«culture commune», grâce à la définition commune d'objectifs et de
moyens pour les atteindre. Les réseaux ne fonctionnent que si leurs
participants sont convaincus qu'il y a quelque chose à partager, et s'inves-
tissent personnellement. Les réseaux se composent de personnes ou d'insti-
tutions. Ils sont demandeurs d'informations, d'appui et de coopération pour
mieux assumer leurs diverses fonctions, à savoir l'enseignement, la recher-
che ou la consultation. La participation à un réseau confère un sentiment
d'appartenance à un groupe plus vaste sur lequel on peut s'appuyer pour
répondre à des besoins, et ce sur une base en principe réciproque. Les
réseaux sont parfois non formels — souvent, même à l'origine — ou bien
ils sont formels. Dans de nombreux cas, un «point focal» favorise la
participation entre les divers membres16.
Les réseaux peuvent se révéler des instruments complémentaires très
utiles dans l'apprentissage; ils renforcent les programmes d'enseignement
scolaire ou les programmes de formation. Ils favorisent des échanges
d'expérience lorsque la société connaît des bouleversements. Ainsi, au cours
d'une récente conférence sur l'éducation pour tous à Varsovie, les débats
ont porté sur les problèmes des enseignants confrontés à la nouvelle
économie de marché et il a été suggéré de mettre en place des cours de
remise à niveau. Néanmoins, certains participants ont déclaré que, pour
assimiler l'expérience de leurs collègues, ils préféraient le travail de réseau
plutôt que des cours. Le partage des informations et la recherche commune
de solutions aident les enseignants à résoudre leurs problèmes.
Pour promouvoir le travail de réseau, il faut d'abord diffuser l'information
des réseaux existants qui s'attachent à lier l'éducation au développement
culturel. Ceux-ci opèrent dans les domaines de l'éducation internationale, de
l'éducation multiculturelle, de l'enseignement des langues et dans d'autres
encore, liés aux dimensions culturelles de l'éducation. Cette première
initiative permettra aux intéressés de contacter les réseaux pertinents. Elle
favorisera aussi ce que l'on appelle «l'interaction des réseaux», à savoir
l'échange d'informations entre réseaux s'intéressant à des domaines similai-
res ou complémentaires.
Les Écoles associées, instituées par l'UNESCO, sont un exemple de
réseau international d'écoles conçu pour promouvoir la compréhension
internationale par le lancement de programmes scolaires novateurs. Le
renforcement de la diffusion d'informations et d'expériences importantes
grâce à ce réseau se révélera sans doute très utile. Les réseaux sont
composés de participants très divers venant de pays différents ; cependant,
leur perception et leur compréhension d'objectifs communs, leurs modalités

49
Annuaire international de l'éducation

de fonctionnement et l'intensité de leur engagement sont autant de facteurs


essentiels à leur succès.
Pour ce qui est de la recherche en éducation, des réseaux fonctionnent à
présent dans diverses régions du monde. La plupart pratiquent des échanges
d'informations et de documentation, et certains se sont lancés conjointement
dans la recherche. Leurs membres sont en principe des chercheurs indivi-
duels, souvent issus d'institutions, mais aussi des décideurs ou des prati-
ciens. Certains d'entre eux publient des bulletins ou des rapports17.
Le travail de réseau est sans doute l'une des modalités les plus efficaces
de la coopération régionale et internationale. Le Bureau international
d'éducation (BIE) continue d'encourager la création et le renforcement de
réseaux nationaux et régionaux pour le recueil et la gestion de l'information
éducative, y compris l'éducation culturelle et multiculturelle, et l'éducation
pour la compréhension internationale et la paix.
Cependant, tout n'est pas parfait. Les réseaux internationaux diffusent
l'information dans un nombre limité de langues, et il s'agit souvent de la
langue du texte (ou de la source d'information). Il faudrait intensifier la
coopération pour recueillir des données dans un nombre plus restreint de
langues nationales ou locales. À cet égard, il est important de lier les
réseaux internationaux et les réseaux nationaux. Les réseaux nationaux
pourraient fournir des informations traduites à partir d'une langue nationale
vers la ou les langues officielles d'un réseau international. En particulier,
l'information éducative qui traite de la culture exige des sources multiples
de données issues de milieux culturels très divers. Cette coopération
permettrait de fournir une couverture importante en matière d'information
culturelle, et donc d'étendre la participation de tous les groupes de
population à la vie culturelle.
En outre, la couverture des réseaux d'information n'est pas l'unique
facteur de succès ; la possibilité d'utiliser et de mettre à profit l'information
est tout aussi importante. Souvent, les bibliographies fournies par les
réseaux d'information éducative sont d'un usage limité, en partie à cause
des contraintes financières. Les systèmes de données d'information ou les
réseaux devraient être encouragés à produire des bibliographies plus
abstraites et plus annotées afin de fournir aux lecteurs des pays en
développement une information utilisable et pratique (à laquelle ils n'au-
raient pas accès autrement). Dans la même veine, il faut s'efforcer de rendre
la documentation de base accessible aux utilisateurs, à travers les bibliothè-
ques communautaires provinciales ou nationales.
Enfin, la plupart des réseaux ont besoin d'équipements aux fins de la
communication. Si leurs membres ne se trouvent pas dans le même lieu
géographique, ils ont besoin d'un service postal, d'un téléphone, d'un télex,

50
Développement, culture et éducation

d'un telefax, d'un copieur, d'ordinateurs. Ces instruments ne sont pas


toujours disponibles à cause des coûts ou des problèmes de techniques et de
maintenance qu'ils supposent. À cet égard, les réseaux sont vulnérables.
L'interaction des réseaux qui pratiquent des contacts interculturels exige
une approche intersectorielle permettant de traiter avec les milieux de
l'éducation, du commerce, des organisations internationales, des institutions
de recherche, des ONG, des organisations de jeunes. C'est ainsi que des
expériences culturelles intéressantes et stimulantes sur le plan de l'éduca-
tion, des études de cas ou des rapports sur des programmes d'action sont
recueillis, provenant du monde entier, et sont diffusés à tous les intéressés,
personnes et institutions. Les responsables des programmes d'enseignement,
les institutions de formation d'enseignants et les enseignants praticiens
utilisent ces informations recueillies par les réseaux et mettent au point des
matériels d'apprentissage qui répondent à leurs propres besoins.
Le recueil, l'analyse, la production et la diffusion de matériels d'enseigne-
ment et d'apprentissage au service de l'éducation interculturelle, notam-
ment par des organisations internationales (par exemple, l'UNESCO ou
l'UNICEF), par les ONG ou les centres culturels, viennent soutenir les
efforts nationaux dans ce domaine. Ainsi, une ONG dont le siège est en
Suisse et qui s'appelle «L'école, instrument de la paix» produit des
matériels d'enseignement relatifs aux droits de l'homme pour les enfants et
les adolescents, et les distribue à diverses écoles dans d'autres pays. Le
Centre culturel de l'Asie et du Pacifique pour l'UNESCO (Japon) produit
aussi des manuels, des peintures, des matériels musicaux, du folklore, des
affiches, des brochures et du matériel audiovisuel pour les enfants afin de
promouvoir la protection du patrimoine culturel. Certains de ces matériels
ont été traduits dans de nombreuses langues locales de la région.
Selon toute probabilité, il existe mille autres moyens de renforcer la
coopération régionale et internationale afin d'améliorer l'apport de l'éduca-
tion au développement culturel. Les progrès en la matière dépendent en
grande partie de notre volonté et de notre capacité de créer de nouvelles
combinaisons et de nouveaux liens de coopération entre les réseaux, les
organismes et les individus, notamment entre les organismes dont les
intérêts sont traditionnellement opposés. Ils dépendent aussi de notre
capacité à mettre à profit l'information et les connaissances nécessaires pour
mobiliser des compétences et des comportements humains créatifs et
organisationnels par le travail de réseau.

51
Annuaire international de l'éducation

CONCLUSIONS

Dans le monde d'aujourd'hui, qui évolue sans cesse, les populations


prennent de plus en plus conscience de leur culture. Et les aspects culturels
jouent un rôle de plus en plus important dans les bouleversements politiques
récents. Bien que les intérêts économiques pèsent encore très lourd dans
l'équilibre du pouvoir sur le plan international, et que le développement
économique influence le devenir de la culture, des questions comme
l'identité culturelle se posent avec de plus en plus d'acuité. Certaines
valeurs, qu'elles soient d'origine idéologique, religieuse, ou encore d'autres
manières d'envisager l'existence, jouent elles aussi un rôle politique. Dans
ce sens, les événements survenus par exemple en Ouzbékistan semblent
indiquer que, au cours des dernières décennies, l'éducation formelle a
influencé des domaines comme le travail, à travers les compétences
professionnelles, plutôt que la vie sociale et la religion, à travers les valeurs
du «système».
D'une part, ces idées, ces normes et ces valeurs stimulent la confiance que
les gens placent dans leur culture et renforcent leur identité culturelle.
D'autre part, l'humanité se divise de plus en plus en une multitude de
groupes controversés. Ce processus pourrait engendrer des contrastes très
violents et de graves conflits.
Sur ce chapitre, l'enseignement scolaire ne peut jouer qu'un rôle limité. Il
dote les enfants et les jeunes de compétences particulières susceptibles de
les aider à survivre en société et à s'épanouir. On peut se demander si, dans
le passé, on n'a pas trop insisté sur les compétences académiques et
professionnelles tout en négligeant les compétences sociales et l'éducation
des valeurs. En fait, l'enseignement scolaire a permis d'effectuer des
changements en termes de développement individuel et de développement
social et culturel. Souvent, il a permis de modifier plutôt que de développer
les cultures autochtones.
Cependant, la scolarité connaît de plus en plus de problèmes financiers. Si
nous voulons atteindre les cibles de «l'éducation pour tous», il faudra
trouver de nouvelles ressources. Actuellement, on cherche ces ressources au
niveau communautaire, par la décentralisation du système d'éducation.
L'enseignement scolaire reste un instrument utile du processus dans la
mesure où il ne se contente pas d'enseigner des compétences spécifiques,
manuelles et intellectuelles à ses élèves, et où il les sensibilise à leurs
propres valeurs, tout en leur faisant connaître, d'une manière positive et par
la comparaison, les valeurs des autres peuples. Il faut, sans faire perdre leurs
propres valeurs aux enfants, leur apprendre à comprendre celles des autres
et ouvrir ainsi les portes à la compréhension nationale et internationale. Ici

52
Développement, culture et éducation

encore, l'enseignement scolaire ne sera efficace que s'il est appuyé par les
autres moyens d'éducation, à savoir les matériels de lecture, la radio, la
télévision, et par les hommes politiques et les chefs religieux.
Puisque les gouvernements manquent de ressources, les programmes
d'éducation non formelle pourraient constituer une solution de rechange. On
pourrait envisager, par exemple, des cours de formation ou des séminaires
qui doteraient des groupes d'apprenants de compétences spécifiques pour
l'emploi, ou encore des programmes favorisant l'épanouissement de l'indi-
vidu dans le domaine social et dans celui des arts. Cependant, il faut pour
cela pouvoir compter sur des parrains ou sur des participants capables de
contribuer eux-mêmes aux coûts de cet enseignement. Étant donné que les
participants à la plupart de ces programmes veulent acquérir des compéten-
ces applicables dans de nouvelles situations afin de s'adapter au change-
ment, cette éducation formelle exerce une influence plus directe et plus forte
sur le changement culturel.
Il semble bien que ce soit l'éducation informelle qui joue le rôle le plus
important, au moins en termes de coûts. Nombre d'expériences éducatives
recherchent la participation et l'appui de la communauté. L'avantage ne se
mesure pas seulement en termes de dépenses moindres, mais il réside aussi
dans le fait que les apprenants acquièrent des connaissances, des compéten-
ces et des idées plutôt négligées par le système d'éducation formelle qui se
fonde sur les besoins culturels et les intérêts des groupes dominants au
niveau national. De cette manière, la pertinence de l'éducation et du
développement culturel dans un pays donné relève d'un plus large éventail
de sources.
Par ailleurs, il semble que la communication orale et la compréhension
personnelle résistent, même sous des régimes oppressifs. Ce sont là
d'importants canaux d'éducation informelle qui survivent même au système
formel dominant.
D'une part, on découvre un intérêt croissant pour l'éducation informelle
au niveau communautaire et sous-culturel, et, d'autre part, la communica-
tion internationale, sous la forme d'informations qui passent par les médias,
ainsi que la mobilité accrue des individus deviennent d'importants instru-
ments de ce type d'éducation. Les gens se rencontrent, au sein de cercles de
plus en plus larges dans leur propre pays, et ils traversent les frontières
nationales, politiques et culturelles, apprenant ainsi les uns des autres. À cet
égard, on découvre l'utilité du travail de réseau.
L'éducation formelle, c'est-à-dire l'école, peut certainement influencer le
développement culturel. Et elle le fera si les compétences et les comporte-
ments qu'elle enseigne sont applicables dans la partie non traditionnelle de
la vie quotidienne et si, par le truchement d'un apprentissage informel

53
Annuaire international de l'éducation

supplémentaire, ils engendrent un changement de comportement, d'attitudes


et d'idées afin que les gens puissent participer pleinement à la vie de leur
société. Il est essentiel que l'enseignement scolaire soit appuyé par les
circuits d'éducation informelle dans et hors de l'école. Dans le cas contraire,
les valeurs et les compétences officielles enseignées pourraient ne plus
représenter qu'un second choix par rapport à ce que les élèves apprennent
dans les circuits informels.

NOTES
1. Voir Kater (1984, p. 20) et Camilleri (1986, p. 8)
2. Etude en préparation de la quarante-troisième session de la Conférence internationale de
l'éducation sur le thème: «L'apport de l'éducation au développement culturel», Genève,
14-19 septembre 1992, ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91, Genève, 12 juin 1991.
3. Ainsi, pendant la seconde guerre mondiale, lorsque les Pays-Bas étaient occupés par
l'Allemagne, l'envahisseur faisait fréquemment référence à un passé au cours duquel
Hollandais et Allemands avaient des racines germaniques communes, ainsi qu'aux héros de
la grande époque maritime de la Hollande dont beaucoup avaient combattu avec succès
contre les Britanniques (voir, par exemple, les timbres postaux de cette époque).
4. Au niveau sous-culturel, les entreprises commerciales font appel à une identification avec
des héros ou des personnalités issues de sous-cultures particulières pour promouvoir de la
musique, des boissons ou d'autres biens, ou encore elles se réfèrent à certains types de
comportement afin de vendre leurs produits.
5. Voir à cet égard la publication d'une étude de groupe effectuée par le Ministère de
l'éducation en Guinée-Bissau (1982, Educafrica, n° 8).
6. Par exemple, la terminologie utilisée pour signifier des caractéristiques particulières
d'autres cultures est souvent trompeuse. Une étude a été effectuée pour comparer les
cultures thaïlandaise et américaine (Fieg, 1989). Cette étude identifie un certain nombre de
caractéristiques montrant qu'une culture contraste avec l'autre. Elle décrit également des
traits culturels communs. Elle montre en particulier qu'il est très risqué d'étiqueter certains
éléments ou aspects culturels. Par exemple, même si l'on peut dire que ces deux cultures
sont très individualistes, elles le sont d'une manière différente. Ainsi, la culture thaïlandaise
minimise en général l'individualisme au profit de l'harmonie du groupe, y compris des
liens de famille particulièrement intimes ainsi que les bonnes relations interpersonnelles
{op. cit., p. 32-33). Autant dire que le même mot ne se réfère pas aux mêmes phénomènes
dans les deux sociétés.
7. Voir Syed Altaf Gauhar (1981, p. 72): «S'agissant de la reconstruction du système
d'éducation dans le monde musulman, c'est à l'âme musulmane qu'il revient de définir non
seulement ses méthodes d'enseignement et de formation, ses programmes d'études et ses
procédures d'évaluation, mais aussi la politique et le fonctionnement des médias tels les
journaux, les agences de presse, les émissions de radio, les programmes de télévision, les
films et les autres moyens audiovisuels.»
8. Il y a peu de différences entre ces deux termes. Le changement indique une différence entre
deux situations dans un temps relativement court, et peut-être dans le sens d'une
amélioration ou d'une dégradation. Le développement est souvent compris comme un
processus progressif vers une meilleure situation. Nous croyons, quant à nous, que le
développement, lui aussi, peut aller soit dans un sens positif soit dans un sens négatif.

54
Développement, culture et éducation

9. Le terme «occidental» ne peut être employé qu'avec prudence, notamment s'il s'agit
d'éducation. En effet, si l'on étudie les systèmes d'éducation dans les pays «occidentaux»,
c'est-à-dire en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie, on constate des différences
fondamentales. Non pas tant dans la forme que dans les objectifs, les méthodes d'enseigne-
ment, le style, les matières enseignées et les examens. Il est vrai que nombre de spécialistes
de l'éducation et de pédagogues qui ont influencé l'évolution de l'école sur le plan
international au cours du siècle dernier ont vécu dans ces pays ; mais il faut rappeler
également que ces systèmes ont absorbé maints éléments culturels provenant d'autres
sociétés.
10. Voir, par exemple, les publications de Luis Rojes Aspiazu (1980), Gershom N. Amayo
(1984) et A. Kater et al. (1988). Voir aussi le chapitre XI de cet ouvrage.
11. Voir Dubbeldam, Boeren et Hoppers, 1990, p. 4.
12. Voir Oltheten et ai, Epskamp, 1984, et L. Alberto Alfonso, 1988.
13. IMPACT — Instructional Management by Parents, Community and Teachers (Gestion de
l'éducation par les parents, la communauté et les enseignants).
PAMONG — Pendidikan Anak Oleh Masyarakat Orangtua dan Guru, voir Socrates,
1986.
14. Le titre complet du projet est le suivant: «Mise au point d'un système d'intervention
éducative coordonné pour l'amélioration de la qualité de la vie des pauvres des régions
rurales par l'autonomie». Quatre pays, à savoir l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et
la Thaïlande, ont participé à ce projet. Il n'a pas été appliqué en Malaisie (voir Socrates,
1990).
15. Noel McGinn, «Cultures of policy and cultures of networking» [Culture des politiques et
culture des réseaux], NORRAG News, n° 13, décembre 1992, p. 11.
16. Leo F. B. Dubbeldam, «Networking and institutional development» [Réseaux et dévelop-
pement institutionnel], document élaboré pour l'atelier NORRAG sur les politiques et les
cultures du travail de réseau, Oxford, septembre 1993, 8 p.
17. Voici par exemple certains réseaux internationaux : ERNESA — Education Research
Network for Eastern and Southern Africa [Réseau de recherche en éducation pour l'Afrique
de l'Est et du Sud] ; ERNWACA — Educational Research Network for West and Central
Africa [Réseau de recherche en éducation pour l'Afrique de l'Ouest et centrale];
NORRAG — Northern Research Review and Advisory Group [Étude sur la recherche
nordique et Groupe de conseil] ; REDUC — Red de Información y Documentación en
Educación para America Latina y el Caribe [Réseau d'information et de documentation en
éducation pour l'Amérique latine et les Caraïbes]; SEARRAG — South East Asian
Research Review and Advisory Group [Recherche dans le Sud-Est asiatique et Groupe de
conseil] ; SERI — The Southern Educational Research Initiative [Initiative de recherche en
éducation dans le Sud]. Il en existe d'autres, également aux niveaux nationaux.

RÉFÉRENCES

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58
CHAPITRE III

Les objectifs politiques


de l'éducation culturelle
Toshio Ohsako

LA COOPÉRATION CULTURELLE INTERNATIONALE


ET LES NATIONS UNIES

Lorsque la Charte des Nations Unies entre en vigueur, le 26 octobre 1945, la


coopération culturelle acquiert une nouvelle dimension internationale. Les
peuples des Nations Unies sont déterminés à s'en servir pour pacifier le
monde.
Selon la Charte, l'un des objectifs des Nations Unies est de «résoudre,
grâce à la coopération internationale, des problèmes internationaux de
nature culturelle par la promotion du respect des droits de l'homme et des
libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de
langue ou de religion» (art. 1.2 du chap. I).
La constitution de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la
science et la culture (UNESCO), adoptée le 16 novembre 1945, proclame
qu'une large diffusion de la culture, et l'éducation de l'humanité pour la
justice, la liberté et la paix sont indispensables à la dignité de l'homme et
constituent un devoir sacré dont tous les pays doivent s'acquitter dans un
esprit d'assistance mutuelle.
La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par les Nations
Unies en 1948, suivie de beaucoup d'autres, proclame le droit de chacun de
participer librement à la vie culturelle de la communauté, à la vie artistique,
au progrès scientifique et aux avantages qu'il procure (art. 27(1)). Cette
déclaration incite les Nations Unies à adopter un Pacte international sur les
droits économiques, sociaux et culturels (1966) qui affirme le droit de
chacun à prendre part à la vie culturelle (art. 15.1).
Huit ans plus tard, en 1974, la Conférence générale de l'UNESCO adopte
une recommandation concernant l'éducation pour la compréhension interna-
tionale, la coopération et la paix, et l'éducation relative aux droits de
l'homme et aux libertés fondamentales, qui met l'accent sur la connaissance
et le respect des diverses cultures, éléments essentiels de la compréhension
internationale. Son paragraphe 17, concernant les aspects culturels, déclare

59
Annuaire international de l'éducation

que les États membres devraient, dans la mesure de leurs possibilités et


conformément à leur système d'éducation, promouvoir l'étude des cultures,
de leurs influences réciproques, de leurs perspectives et des manières de
vivre qu'elles engendrent, afin de susciter une appréciation mutuelle de
leurs différences. Cette étude devrait accorder à l'enseignement des langues,
des civilisations et du patrimoine culturel étranger l'importance qu'il mérite,
pour favoriser une compréhension internationale et interculturelle.
Cette recommandation lance un appel explicite en faveur de l'étude des
diverses cultures, des influences culturelles, d'une reconnaissance de la
diversité culturelle et des contenus éducatifs spécifiques, qui sont autant
d'instruments de promotion de la compréhension interculturelle.
Au milieu des années 60, lorsque de nombreux États membres de
l'UNES CO ont pris conscience du fait que la culture relevait en partie de la
responsabilité des gouvernements, ils ont créé des ministères et des
départements des affaires culturelles. À partir de 1970, des études effectuées
à des fins critiques ont révélé les lacunes d'un développement fondé
essentiellement sur la croissance quantitative et matérielle. C'est alors que
l'UNESCO a commencé d'organiser des conférences intergouvemementales
sur les politiques culturelles .
L'une de ces conférences intergouvernementales a marqué un tournant
décisif dans les politiques culturelles des Nations Unies; il s'agit de la
Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mexico, 1982). Sa
Recommandation n° 27 souligne que la culture constitue une partie
fondamentale de la vie de la personne et que le développement — dont elle
devrait être l'objectif ultime — doit avoir une dimension culturelle. La
recommandation déclare en outre qu'il faut promouvoir la culture dans une
perspective internationale, pour que la paix engendre un développement
mondial.
Durant la dernière année de la décennie des Nations Unies pour la femme
(1976-1985), s'est tenue, à Nairobi, Kenya, du 12 au 20 juillet, la
Conférence mondiale chargée d'examiner et d'évaluer les résultats de la
Décennie des Nations Unies pour la femme : égalité, développement et paix,
qui a adopté les «Stratégies prospectives d'action de Nairobi pour la
promotion de la femme» destinées à la période allant de 1986 à l'an 2000.
Ce document attirait l'attention sur les conditions culturelles qui contrarient
le progrès des femmes (paragraphe 1) et soulignait le droit des femmes de
développer leur potentiel afin de participer au développement culturel
(paragraphe 11).
En 1986, quatre ans après la Conférence mondiale sur les politiques
culturelles à Mexico, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations
Unies adopte la résolution 41/187 proclamant la Décennie mondiale pour le

60
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle.

développement culturel, 1988-1997, sous les auspices de l'UNESCO. Elle


établit un plan d'action pour la décennie, autour des quatre principaux
objectifs suivants :
1. la reconnaissance de la dimension culturelle du développement ;
2. l'affirmation et l'enrichissement des identités culturelles;
3. l'élargissement de la participation à la vie culturelle;
4. la promotion d'une coopération culturelle internationale.

Le Plan d'action de la décennie, soulignant que l'objectif ultime du


développement est la personne humaine, place la culture au centre du
développement. Ses principes directeurs sont la dimension culturelle du
développement, les identités culturelles et leur enrichissement par la
créativité et l'expression artistique, le libre exercice des droits culturels
(participation) et la culture au service de la paix.
L'UNESCO, institution motrice de la décennie, a harmonisé les objectifs
du Troisième plan à moyen terme (1990-1995), approuvé par sa Conférence
générale en 1989, avec ceux de la décennie, en créant un Grand Programme
Thème III : culture : passé, présent et avenir. La quarante-troisième session
de la Conférence internationale de l'éducation (CIE, 1992), thème principal
du présent document, a extensivement débattu du lien qui existe entre
l'éducation et le développement culturel, et de la contribution que la
première peut faire au second.
La Conférence mondiale sur l'éducation pour tous (Jomtien, Thaïlande) a
eu lieu en mars 1990. Mettant l'accent sur les besoins fondamentaux en
matière d'apprentissage, elle a adopté la «Déclaration mondiale sur l'éduca-
tion pour tous», qui affirme en son article 1 (satisfaction des besoins
d'apprentissage fondamentaux): «La satisfaction de ces besoins permet à
chaque individu dans toute société d'acquérir des compétences et l'investit
de la responsabilité de respecter le patrimoine collectif culturel, linguistique
et spirituel, et de construire à partir de ce patrimoine. »
Quelques mois après la Conférence de Jomtien sur l'éducation pour tous,
la Convention relative aux droits de l'enfant est entrée en vigueur (septem-
bre 1990). L'article 29 de cette convention déclare que le rôle de l'éducation
est de donner une identité culturelle, une langue et des valeurs à l'enfant, et
de lui inculquer le respect de ses antécédents culturels. L'article 29
(c) déclare :

Inciter l'enfant à respecter ses parents, son identité culturelle, sa langue et ses valeurs, les
valeurs nationales du pays où il vit, le pays d'où il vient et les civilisations autres que la
sienne.

61
Annuaire international de l'éducation

L'article 30 met l'accent sur le droit des enfants, des minorités ou des
populations indigènes de vivre conformément à leur propre culture et de
pratiquer leur langue et leur religion :
Dans les États où existent des minorités ethniques religieuses ou linguistiques ou des
indigènes, un enfant appartenant à l'une de ces minorités ou un enfant indigène pourra exercer
le droit, en communauté avec les autres membres de son groupe, de vivre selon sa culture, de
professer et de pratiquer sa religion, et de pratiquer sa langue.
Selon la Déclaration sur l'environnement et le développement adoptée par la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement
(Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992), il existe un lien étroit entre la protection de
l'environnement et un développement durable.
Le principe 4 de la déclaration affirme que : « Pour favoriser un dévelop-
pement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante
du processus de développement et ne doit pas être envisagée séparément. »
Le principe 22 de la même déclaration fait référence à l'importance de la
culture des peuples indigènes et de leur coopération dans la gestion de
l'environnement.
Les populations indigènes et leurs communautés, ainsi que d'autres communautés locales, sont
essentielles dans la gestion et le développement de l'environnement étant donné leurs
connaissances et leurs pratiques traditionnelles. Les États doivent donc tenir compte de leurs
intérêts, de leurs identités et de leurs cultures, et favoriser leur participation effective à
l'avènement d'un développement durable.
Une conférence internationale encourage les échanges et la coopération
internationale. C'est dans cet esprit qu'a été convoquée la quarante-
troisième session de la Conférence internationale de l'éducation (CIE) à
Genève en 1992 sur le thème de la «Contribution de l'éducation au
développement culturel». Cette session de la CIE, centrée sur les relations
entre l'éducation et la culture, a débattu de l'élaboration de politiques
coordonnées au service du développement éducatif et culturel, de la
dimension culturelle que l'éducation devrait prendre en compte, du rôle de
l'éducation dans le développement culturel et artistique, de la coopération
entre divers contributeurs potentiels à l'éducation comme l'école, la com-
munauté et la société, et des nouvelles responsabilités des enseignants à
l'égard des aspects culturels et interculturels de l'éducation.
Ce document met en lumière les discussions de la conférence portant sur
la relation entre l'éducation et la culture, les objectifs culturels de l'éduca-
tion dans les États membres, les politiques coordonnées au service du
développement éducatif et culturel, les innovations dans le domaine de
l'éducation culturelle et multiculturelle, la coopération régionale et interna-
tionale enfin dans ce domaine. Les sources d'information utilisées sont des
documents de conférence (la Recommandation, les documents de travail, les

62
Les objectifs politiques de Véducation culturelle

discours en plénière prononcés par les chefs de délégation, les documents


d'information et de référence) élaborés pour la quarante-troisième session
de la CIE, les rapports nationaux sur le développement de l'éducation
soumis au Bureau international d'éducation (BIE) avant la conférence et les
réponses au questionnaire envoyé par lui sur les thèmes qui allaient y être
débattus. Le cas échéant, certains documents externes pertinents (autres que
les documents de la conférence) sont cités pour compléter les informations
issues d'autres sources.

LES OBJECTIFS POLITIQUES DE L'ÉDUCATION CULTURELLE


ET MULTICULTURELLE

Comment lier éducation et développement culturel


C'est la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mexico, 1982)
qui a mis à jour les limites d'un concept de développement fondé en premier
lieu sur les objectifs quantitatifs et matériels, et qui a déclaré que la culture
constituait un élément essentiel de la vie de chaque individu et de chaque
communauté. Par conséquent, le développement — dont le but ultime est
l'épanouissement de l'être humain — doit avoir une dimension culturelle
(Recommandation n° 27). Cette conférence a proposé deux principes
directeurs importants: mettre la culture au centre du développement (le
développement s'appelle alors développement culturel) et faire des facteurs
humains les facteurs essentiels de la planification et de la définition des
stratégies de ce développement.
Les participants à la quarante-troisième session de la Conférence interna-
tionale sur l'éducation ont vu dans la relation entre l'éducation et la culture
l'exercice d'une influence réciproque et culturelle. Non seulement l'éduca-
tion est un agent de transmission culturelle, mais elle doit encourager,
modifier et stimuler le développement culturel par la formation de la pensée
critique, analytique et créatrice de l'apprenant, par le développement de ses
valeurs morales et de ses talents artistiques. M. Federico Mayor, Directeur
général de l'UNESCO, a souligné dans son discours d'ouverture que
«l'encouragement de la créativité humaine est au cœur de la notion de
développement culturel » et que « la mission du développement culturel sera
favorisée par une éducation qui stimule cette créativité en suscitant de
nouvelles manières de penser sans cesser de transmettre un patrimoine
commun de connaissances, d'expériences et de valeurs».

63
Annuaire international de l'éducation

Les objectifs culturels de l'éducation dans le cadre


du développement national
On se propose d'analyser les réponses au questionnaire élaboré pour la
conférence, relatif aux objectifs culturels et éducatifs inscrits dans les plans
de développement nationaux des États membres, et la partie des rapports
nationaux qui portent sur l'éducation pour le développement culturel.
D'après ces documents, il semble que les États membres aient les priorités
et objectifs culturels suivants :
1. préservation et enrichissement du patrimoine et de l'identité culturelle du
pays;
2. mise à jour des talents créateurs, esthétiques et artistiques des indivi-
dus;
3. participation de tous aux activités culturelles, et protection de la diversité
et des droits culturels ;
4. promotion des droits de l'homme, des valeurs démocratiques, des valeurs
morales et civiles, de la justice, de la paix et de la tolérance ;
5. partenariat et stratégies décentralisées favorisant le développement cultu-
rel;
6. coopération culturelle régionale (par exemple, en Europe).
On a procédé à une autre analyse afin d'identifier les objectifs en éducation
définis par les États membres qui correspondent aux objectifs culturels
mentionnés ci-dessus.
Cette nouvelle analyse a permis de définir les priorités qui suivent de la
dimension culturelle de l'éducation.

L'ÉDUCATION AU SERVICE DU CONTACT INTERCULTUREL

Il faut non seulement que la culture soit enseignée d'une manière cognitive
(information, connaissance), mais encore qu'elle favorise la coexistence
avec diverses autres cultures et populations et, comme le déclarait un
délégué à la conférence: «qu'il soit bien entendu que l'apprentissage d'une
autre culture ne s'arrête pas à la connaissance ou à la tolérance. Cela ne
suffit pas. L'éducation multiculturelle a pour mission d'aider tout un chacun
à apprécier et à connaître d'expérience l'essentiel des autres cultures».
L'éducation ne doit pas se contenter de dispenser des connaissances
livresques à propos de la culture; elle doit s'efforcer de mettre les
apprenants en contact avec d'autres cultures, de favoriser leurs expériences

64
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

et des interactions. Dans les sociétés multi-ethniques, au sein desquelles


cohabitent plusieurs groupes culturels, il est plus facile d'organiser des
programmes éducatifs faisant appel à l'interaction et à la communication
directes de l'apprenant avec divers groupes culturels. Les pays moins riches
sur le plan de la diversité culturelle devront avoir recours à d'autres moyens
pour ce faire, par exemple à une utilisation plus intensive des matériels
d'instruction audio-visuels, décrivant une variété de cultures et de manières
de vivre; pourtant, l'apprentissage culturel fondé sur un contact direct entre
les peuples de diverses cultures ne saurait reposer sur cette seule méthode.
Quoi qu'il en soit, l'éducation conçue pour encourager l'expérience directe
dans l'apprentissage culturel fait de plus en plus d'adeptes dans le monde.

L'ÉDUCATION AU SERVICE DE LA PRÉSERVATION ET DE L'ENRICHISSEMENT


DU PATRIMOINE ET DE L'IDENTITÉ NATIONAUX ET CULTURELS

Il y a deux sortes de patrimoines culturels: le patrimoine physique


(monuments, sites culturels, etc.) et le patrimoine non physique. Ce dernier
embrasse les valeurs culturelles (locales et nationales), les valeurs religieu-
ses, la langue maternelle et les langues nationales, les traditions culturelles
(orales ou non verbales), etc. Le plus souvent, l'éducation traite des aspects
non physiques du patrimoine culturel, mais elle a aussi pour mission
d'enseigner les valeurs et les comportements propres à la préservation des
monuments, des sites et des œuvres d'art culturels.
Nombre de participants à la conférence ont affirmé que le multiculturalis-
me était une affaire de degré, et que « toutes les sociétés sont plus ou moins
multiculturelles, de sorte qu'on parle de patrimoines culturels». Même les
pays se prévalant d'une société «monoculturelle» admettent l'existence de
cultures et de sous-cultures locales. L'idée d'une «culture pure» apparaît
comme une notion un peu irréaliste. On notera aussi que les pays
essentiellement multiculturels (tels le Canada ou l'Australie) utilisent plus
volontiers le pluriel du mot «culture» au lieu de son singulier dans leurs
rapports nationaux.
Le concept de préservation des patrimoines culturels va de pair avec celui
de l'enrichissement de la culture. L'éducation doit donc envisager ces deux
concepts à la fois. Les cultures évoluent, pour le meilleur et pour le pire.
L'éducation joue un rôle essentiel dans l'évolution positive, car elle stimule
la créativité, la pensée critique, la faculté de résoudre les problèmes chez
l'apprenant, et parce qu'elle encourage l'adoption de comportements favori-
sant la coopération, la démocratie et la paix.

65
Annuaire international de l'éducation

Presque à l'unanimité, les rapports nationaux appuient l'aspect dualiste de


la mission éducative: transmission et enrichissement des patrimoines
culturels. Nombre de pays demandent pourquoi l'éducation doit s'adapter
aux exigences de l'évolution actuelle et future du monde. On estime que les
facteurs suivants influent sur l'évolution du rôle éducatif:
1. le volume croissant d'informations et de connaissances de toutes sortes
provenant de toutes les parties du monde ;
2. le développement de la science et de la technologie, qui est l'un des
principaux facteurs du développement économique d'un pays ;
3. le développement de la technologie de l'information, de la communica-
tion et des transports internationaux^quLpermeiJuan très grand nombre
de personnes de communiquer et d'interagir;
4. la prise de conscience accrue des problèmes de l'environnement, la
préoccupation dont ils sont la cause et le désir de protéger l'environne-
ment partout dans le monde ;
5. l'internationalisation croissante des activités commerciales et culturel-
les;
6. l'intérêt croissant manifesté à l'égard des valeurs humanitaires, de leur
développement et de leur enrichissement, y compris les droits de
l'homme, l'éducation morale, l'éducation pour la paix et les priorités dont
elles sont l'objet;
7. la fin de la menace militaire Est-Ouest et la coopération régionale accrue,
dont l'intégration européenne constitue un exemple.
Les implications de l'identité culturelle sur l'éducation exigent une analyse
approfondie du concept, sur le plan social et sur le plan psychologique. Les
rapports nationaux et les réponses au questionnaire montrent bien que
l'identité culturelle des États membres, et notamment leurs valeurs tradi-
tionnelles, doit relever le défi que pose la rapide évolution socio-économi-
que et socioculturelle. Les États membres estiment que leurs valeurs
traditionnelles sont affectées par les facteurs suivants: la science et la
technologie, les médias, les langues étrangères, l'influence du mode de vie
des autres pays, les voyages internationaux, les études à l'étranger, les
produits des industries culturelles (films, magazines, jeux), le développe-
ment des goûts et des modes de vie favorisant la prospérité matérielle.
Nombre de pays soulignent que les jeunes, les groupes minoritaires, les
immigrants et les populations indigènes sont particulièrement vulnérables à
ces influences.

66
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

Dans les pays multiculturais d'Europe et d'Amérique du Nord, l'identité


culturelle prend ses racines dans la reconnaissance de la diversité culturelle
et linguistique. Plusieurs États membres appartenant à la Communauté
européenne, ou qui envisagent actuellement d'en devenir membres, ainsi
que les «nouvelles démocraties» d'Europe orientale font savoir que la
dimension européenne de l'éducation est l'une de leurs principales préoccu-
pations. Témoin de ce phénomène, le document de travail préparé par la
Commission de l'éducation du Conseil de la coopération culturelle pour la
dix-septième session de la Conférence permanente des ministres européens
de l'éducation (Vienne, 16-17 octobre 1991). Ce document insiste sur «la
manière d'éduquer les Européens» et propose, pour concrétiser une «plus
grande unité européenne», de prendre les mesures suivantes:

— établir une paix, une coopération et une entente culturelle durables entre
les peuples d'Europe;
— cultiver le patrimoine européen commun des valeurs politiques, cultu-
relles et morales qui est le fondement de la société civilisée : droits de
l'homme, démocratie pluraliste, tolérance, solidarité et respect de la
loi;
— promouvoir un progrès économique et social durable tout en éliminant
les disparités et en préservant l'environnement;
— doter l'Europe d'une envergure suffisante pour qu'elle assume ses
responsabilités à l'égard du reste du monde .
Dans cette dynamique d'élargissement de la dimension européenne de
l'éducation, plusieurs pays d'Europe orientale ont décrit les efforts qu'ils
consentent actuellement pour favoriser la transition nationale de la politique
culturelle centralisée vers la diversité et le pluralisme culturels.
Nombre de pays africains lient étroitement la question de l'identité
culturelle à celle du développement national. Pour eux, la pertinence
culturelle de l'éducation est essentielle. Le Nigéria s'efforce de promouvoir
un «système d'éducation sain sur le plan académique, et pertinent sur le
plan culturel». Autre illustration de la réalité de la région, la République-
Unie de Tanzanie insiste sur la «promotion du souahéli, qui est la langue
nationale, et sur la mise au point de programmes d'enseignement dont le
contenu et l'organisation sont tanzaniens». Le Burkina Faso, quant à lui, l'a
dit clairement, l'identité culturelle est une question cruciale pour l'Afrique,
non seulement parce que c'est un objectif premier de l'éducation, mais aussi
parce qu'elle est un élément d'unification dans le développement national.
Pourtant, l'apport de l'éducation au développement culturel semble susciter
des sentiments contradictoires dans les pays africains. C'est en tout cas ce

67
Annuaire international de l'éducation

qui émane de la déclaration suivante, qui figure dans le rapport national du


Lesotho :
Traditionnellement, le Lesotho ne faisait pas de différence entre l'éducation et le développe-
ment culturel [...]. Or, l'intrusion de l'éducation occidentale a instauré une dichotomie évidente
entre l'éducation et la culture. En effet, le programme d'éducation est soumis, d'une part, aux
objectifs des missions chrétiennes qui l'ont introduit et, d'autre part, à ceux des administrations
coloniales qui lui ont octroyé sécurité et légitimité.
En outre, ce programme était non seulement indépendant du milieu socioculturel dans lequel
il s'appliquait, mais encore il s'y opposait dans une large mesure. La culture était considérée
comme un symbole de résistance et d'opposition au progrès; et sa pratique se heurtait à toute
une série de punitions et de sanctions directes et indirectes. Ainsi, éducation et culture sont
devenues des antonymes ; et les défenseurs de la culture locale sont devenus les ennemis des
éducateurs. Cette antipathie est très profondément enracinée dans le tissu social de la société du
Lesotho et elle sévit aujourd'hui encore.
À la lumière de ce qui précède, on voit clairement que la relation entre la
culture et l'éducation n'est pas toujours harmonieuse. Ces deux concepts
sont parfois contradictoires dans l'histoire africaine. Dans ce contexte, il est
difficile de décider quels sont les aspects du patrimoine et de l'identité
culturels qu'il faut préserver, notamment à la lumière de la réalité socio-
économique de la région qui connaît un grand nombre de problèmes de
développement.

L'ÉDUCATION AU SERVICE DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE


ET DU PLURALISME

Les États membres qui ont participé à la conférence sont convenus que tous
les pays sont plus ou moins multiculturels et, par conséquent, que le contenu
éducatif de la diversité culturelle et le pluralisme sont pertinents et
respectés, mais il n'en reste pas moins que les priorités politiques soulevées
par cette question dépendent directement de la composition culturelle du
pays.
Pour les sociétés essentiellement multiculturelles comme l'Australie, le
Canada, l'Inde et la Malaisie, la diversité culturelle et le pluralisme sont une
réalité, et les politiques d'éducation multiculturelle y sont orientées vers un
multiculturalisme national. L'éducation des minorités culturelles et linguis-
tiques y est prioritaire, qu'il s'agisse de populations indigènes, de minorités
établies de longue date, d'immigrants, de migrants ou de réfugiés.
Les rapports nationaux donnent des exemples de ces groupes culturels
minoritaires : aborigènes et insulaires de Torres Strait (Australie) ; minorités
frisonnes (Pays-Bas); populations Saami (Norvège); minorités hongroises
et allemandes (Roumanie); minorités d'origines allemande, ukrainienne,
biélorusse (Pologne); minorités non germanophones de travailleurs turcs

68
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

(Autriche); minorité tzigane (Tchécoslovaquie); immigrants (Belgique,


Pays-Bas, Suède); Maoris et insulaires du Pacifique (Nouvelle-Zélande);
peuples natifs des provinces occidentales, les Acadiens dans les Provinces
Maritimes, la communauté noire de Nouvelle-Ecosse (Canada). Pour les
pays qui sont plus homogènes sur le plan culturel et linguistique et qui ne
comptent que quelques minorités linguistiques et culturelles, la diversité
culturelle, même si elle se réfère parfois aux cultures locales et aux
sous-cultures, est plutôt considérée comme la relation entre la culture
nationale et celle des autres pays. Ainsi, la notion de pluralisme culturel y
est souvent associée avec celle de compréhension internationale de la
culture des autres pays. Cependant, même dans ces pays plus homogènes,
on constate une recrudescence croissante de l'importance des cultures
locales et des sous-cultures.
Dans les pays multiculturels, les habitants doivent non seulement appren-
dre ce qu'est la diversité culturelle, mais aussi vivre les réalités du
pluralisme culturel. Quotidiennement, ils sont confrontés à des langues
différentes, des manières de vivre différentes, et à toute une variété de
groupes culturels. Les enfants qui grandissent dans les sociétés multicultu-
relles ont le privilège d'être exposés dès leur plus jeune âge aux différences
et aux similarités culturelles. La sensibilité culturelle et la compréhension de
la diversité culturelle au sein d'un pays leur sont donc plus faciles à
acquérir, ainsi que les compétences nécessaires à la communication en
général et à la communication interpersonnelle dans un pays multiculturel.
Cependant, l'histoire montre aussi que les contacts étroits et directs entre
divers groupes culturels ou ethniques n'engendrent pas automatiquement le
respect, la compréhension et la reconnaissance mutuels; ils sont parfois la
source de conflits entre les groupes, de préjugés et de discrimination.
L'éducation multiculturelle dans ces pays a donc pour mission d'élaborer
des programmes d'enseignement et d'apprentissage de qualité, qui cultivent
la tolérance, la compréhension et la reconnaissance envers les groupes
minoritaires, leur histoire et leurs antécédents culturels, et qui favorisent les
comportements authentiques permettant la communication interculturelle et
les relations interpersonnelles. Ce type de programme existe déjà dans
plusieurs pays multiculturels, et des innovations très importantes sont en
cours dans ce domaine.
Par ailleurs, les pays relativement homogènes consentent des efforts
considérables pour encourager l'apprenant à comprendre et à se familiariser
avec les autres cultures. Cependant, les programmes éducatifs de ces pays
sont essentiellement cognitifs (histoire et géographie du monde, etc.) ; or les
éléments des programmes multiculturels relatifs au comportement exigent
des approches novatrices, car ces pays sont moins en contact avec les

69
Annuaire international de ï éducation

populations multiculturelles que les pays multiculturels dont le cadre de


référence culturelle est plus favorable à la conception de politiques éducati-
ves, de programmes scolaires multiculturels et à la prise de conscience du
public de la nécessité d'instaurer une éducation multiculturelle.

L'ÉDUCATION AU SERVICE DES VALEURS ÉTHIQUES ET CIVIQUES

La formation de la personne sur le plan éthique et moral est une


préoccupation commune aux États membres. À cet égard, la majorité des
pays qui ont répondu au questionnaire du BIE ont fait savoir qu'ils
veillaient à ce que l'éducation ait une dimension éthique et civique.
Cependant, très peu d'entre eux indiquent que l'enseignement de la morale
ou de l'instruction civique constitue une matière séparée. La majorité
d'entre eux expliquent que cet enseignement est intégré dans plusieurs
autres matières comme l'histoire, la géographie, la littérature, les sciences
sociales, l'enseignement de la langue et l'instruction religieuse. Pour les
pays islamiques, enseignement moral et instruction civique sont synonymes
d'éducation islamique. Pour certains autres pays comme le Lesotho, le
Costa Rica, le Panama et l'Autriche, la forme d'éducation morale et
d'instruction civique la plus pratiquée demeure l'instruction religieuse.
L'UNESCO débat rarement des questions d'éducation religieuse, mais
une réunion intéressante a eu lieu, il y a de cela deux ans, dans la région
Asie et Pacifique. Une réunion régionale sur la promotion des valeurs
humanistes, éthiques et culturelles dans l'éducation a été convoquée
conjointement par l'Institut national pour la recherche en éducation (NIER,
Japon), le Ministère de l'éducation, de la science et de la culture et le
Bureau régional principal de l'UNESCO en Asie et dans le Pacifique
(PROAP). Cette réunion a souligné que «la question de l'enseignement
religieux ou de l'enseignement de la religion ou des religions relève
entièrement de la décision de chaque État membre», et elle a fait les
observations suivantes :
1. En Asie, l'enseignement de la religion varie d'un pays à l'autre. Certains
pays n'enseignent que leur religion. D'autres enseignent la religion en
tant que concept, et donc les grandes religions du monde.
2. Certains pays n'offrent pas d'instruction religieuse dans l'instruction
publique. Néanmoins, ils laissent toute latitude aux personnes pratiquant
des religions et accordent un respect égal aux croyants de toutes
confessions.

70
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

3. Toutes les religions ont des valeurs et des pratiques morales en


commun.
En voici quelques exemples particuliers :
— Bouddhisme: «Ne fais pas souffrir les autres de ce qui te fait souffrir
toi-même. »
— Christianisme: «Tout ce que tu aimerais que l'on te fasse à toi-même,
fais-le aux autres, car c'est la loi des prophètes.»
— Confucianisme: «S'il y a une maxime que l'on doit respecter toute sa
vie, c'est celle d'aimer la charité. Ne fais pas aux autres ce que tu
n'aimerais pas qu'ils te fassent.»
— Hindouisme: «Voici ton devoir: ne fais pas aux autres ce qui te ferait
du mal à toi-même. »
— Islam: «Aucun de vous n'est croyant s'il ne veut pas pour son frère ce
qu'il veut pour lui-même. »
— Taoisme : « Considère que la perte de ton voisin est la tienne » .
La Conférence internationale de l'éducation (CIE) a recommandé le respect
des valeurs universelles comme «les droits de l'homme, la tolérance, le
dialogue, la solidarité, le soutien mutuel et l'éducation au service de la mise
en pratique de ces valeurs»; «les enseignants devraient, avec leurs élèves,
faire preuve de solidarité en aidant les malades, les démunis et les
défavorisés sur le plan social, les personnes âgées et les victimes des
catastrophes; par ailleurs, les élèves devraient participer à l'organisation
d'activités éducatives, sportives et autres, destinées aux élèves plus jeunes
et aux enfants qui ne fréquentent pas l'école». Il est également recommandé
que les écoles «offrent aux apprenants l'exemple d'un bon comportement
moral» (Recommandation, par. n° 19) pour illustrer ces valeurs.
La conférence a également insisté sur le rôle que jouent la famille, les
membres de la communauté et les médias pour inculquer aux enfants les
valeurs critiques et morales. L'école a pour mission de susciter une pensée
critique et de dispenser une connaissance organisée de ces valeurs. Les
médias exercent aussi une influence — moins structurée — sur l'apprentis-
sage des valeurs, mais c'est surtout à l'école et dans sa famille que
l'apprenant approfondit sa connaissance des valeurs éthiques et morales. La
conférence, tout en reconnaissant la contribution de la science et de la
technologie au progrès de toutes les sociétés, n'en a pas moins souligné que
« la culture scientifique et technologique » doit être liée aux valeurs éthiques
et humanistes afin de maximiser son apport à l'amélioration des milieux
naturel et social.

71
Annuaire international de l'éducation

L'ÉDUCATION ARTISTIQUE ET ESTHÉTIQUE

Traditionnellement, l'éducation artistique et esthétique dispense des compé-


tences techniques à l'apprenant, pour qu'il construise des formes et des
produits artistiques. La formation des jeunes talents et des professionnels de
l'art suit le même objectif. Ce dernier revêt encore beaucoup d'importance,
et nombre de pays améliorent la qualité de leurs programmes d'enseigne-
ment artistique; cependant on assiste partout dans le monde à l'émergence
d'autres objectifs en matière d'éducation artistique et esthétique.
La diversité de ces objectifs, telle qu'on la découvre dans les rapports
nationaux, peut être résumée ainsi :
1. combinaison des aspects artistiques et esthétiques de l'éducation. En
d'autres termes, on enseigne à la fois la construction des formes d'art et
l'appréciation du produit artistique;
2. l'éducation artistique et esthétique doit promouvoir ou consolider l'iden-
tité nationale et les valeurs culturelles ;
3. l'éducation esthétique et artistique favorise l'épanouissement de la
personnalité de l'individu, son expression créatrice et sa sensibilité,
notamment lorsqu'elle vient compléter les objectifs cognitifs de l'éduca-
tion;
4. l'éducation artistique doit promouvoir la compréhension internationale et
culturelle à travers les arts, considérés comme une culture commune qui
véhicule des messages esthétiques ;
5. l'éducation artistique doit encourager les arts et les traditions populai-
res;
6. elle favorise l'utilisation productive des loisirs, dont l'importance ne
cesse de croître ;
7. elle doit contribuer à la richesse individuelle, à l'économie nationale et
locale, par exemple par le truchement du développement d'industries
artistiques ;
8. l'éducation artistique doit faire appel aux méthodes modernes scientifi-
ques et technologiques.
Un partenariat croissant entre les institutions éducatives et culturelles va de
pair avec l'élargissement des objectifs de l'éducation artistique et esthéti-
que. On assiste à une importante mobilisation des ressources dans le service
public et dans le secteur privé (et notamment des ressources communautai-
res et locales), en termes de compétences humaines et de ressources
matérielles au bénéfice des activités de tous.

72
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

Le partenariat des institutions éducatives et culturelles applique deux


stratégies :

La participation réciproque aux activités et programmes


On organise des visites d'élèves aux musées, aux expositions, aux galeries
d'art, aux centres culturels, aux festivals de théâtres, aux monuments
culturels, etc. C'est là une manière très courante de faire participer les
écoles aux activités artistiques communautaires, que pratiquent d'ailleurs un
grand nombre de pays. En France, les musées sont devenus des lieux
importants d'éducation artistique. Environ 60% des musées français coopè-
rent avec les écoles et un million d'enfants visitent les musées chaque
année. Jusqu'à 30% d'entre eux sont équipés d'ateliers, de matériel
audio-visuel et d'autres services d'information favorisant la compréhension
de l'art. En Arabie Saoudite, le gouvernement encourage les élèves à
s'affilier à des centres culturels, des associations artistiques, et il leur offre
maintes occasions d'apprécier les conférences sur l'art, la poésie, la
musique et les pièces de théâtre.
Les professionnels de l'art et de la culture comme les artistes, les
musiciens, les metteurs en scène, ainsi que les organisations non gouverne-
mentales, les organisations d'enseignants et les organisations de jeunes
participent aux programmes scolaires d'éducation artistique. Le projet
«Artistes à l'école» et le projet «Le théâtre dans l'éducation», mis au point
en Australie, en sont autant d'exemples. En Norvège, les institutions
«Nor-Concert» organisent des concerts scolaires dans le cadre de l'ensei-
gnement de la musique à l'école.

La mise au point de programmes communs


en matière d'éducation artistique
L'activité conjointe rapproche encore institutions éducatives et institutions
culturelles ; elle se caractérise par une planification conjointe, par la création
de commissions mixtes chargées d'élaborer les programmes, qui se compo-
sent d'artistes, d'hommes d'affaires, de fonctionnaires et autres; elle se
traduit aussi par la mise en commun des résultats du projet. La République
de Corée a créé douze « Écoles culturelles » (Écoles culturelles de musique,
de théâtre, de peinture et sculpture) qui exigent la participation active de
communautés artistiques aux stades de la planification et de l'organisation
du projet. En coopération avec les institutions culturelles, la Tunisie
s'efforce à son tour de créer des clubs culturels dans l'école. Le Ministre de
l'éducation du Saskatchewan au Canada a créé une commission consultative
éducative indienne et métisse, dont le mandat est la diffusion d'informations

73
Annuaire international de Véducation

et de stratégies culturelles destinées aux indigènes et aux non-indigènes de


la province. L'Institut Gabriel Dumont concernant les affaires culturelles
métisses et le Département de l'éducation ont produit un nécessaire de
danse métisse.
Les avantages issus du partenariat et de la coopération entre le développe-
ment éducatif et le développement culturel en faveur de l'éducation
artistique et esthétique se résument comme suit :
1. la coopération offre aux élèves un large éventail de possibilités d'appren-
tissage; ainsi le contact avec les institutions artistiques leur permet
d'acquérir des compétences, et de disposer de ressources et d'organisa-
tions d'activités éducatives qui ne sont pas toujours disponibles dans les
écoles ;
2. les institutions culturelles proposent aux jeunes une expérience vécue de
contacts culturels et de traditions (musique, théâtre, danse, etc.), et cet
apprentissage actif avec des artistes professionnels accroît considérable-
ment leur motivation ;
3. les enseignants sont rarement des artistes professionnels et ils ne
disposent que d'un temps et de capacités limités pour organiser des
activités artistiques ; les artistes professionnels viennent donc compléter
leur effort en proposant leurs compétences ;
4. la coopération favorise la mobilisation des ressources disponibles dans les
écoles, dans les institutions artistiques locales et nationales, ce qui permet
de maîtriser les coûts de l'enseignement;
5. les institutions et les événements culturels (concerts, interprétations
théâtrales, expositions artistiques, etc.) permettent à l'apprenant de se
familiariser non seulement avec la culture locale et nationale, mais aussi
avec les cultures d'autres pays, et d'affiner ainsi sa connaissance et sa
compréhension de la diversité culturelle.
Elliot Eisner, professeur d'art et d'éducation à l'Université de Stanford, et
auteur d'un document de référence présenté à la conférence, estime que la
mission première de l'éducation artistique est l'«édification de l'esprit». Il
estime que l'esprit humain est maniable et que sa croissance dépend dans
une grande mesure de la «culture au sens large: sa langue, son art, son
système de symboles, ses formes de représentation, ses valeurs, ses intérêts
spirituels, en fait, le complexe tout entier et ses caractéristiques intellectuel-
les, sociales, religieuses, ethniques, qui constituent une civilisation». Elliot
Eisner recommande que l'UNESCO inscrive à son ordre du jour la
multiplication des possibilités permettant l'édification d'esprits différents.

74
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE

La langue est le reflet de la culture d'un groupe. Et la culture s'exprime par


la langue. L'enseignement de la langue, que ce soit comme matière ou
comme véhicule d'instruction, dépend beaucoup du milieu culturel dans
lequel vit l'apprenant.
La langue d'un pays révèle souvent l'histoire culturelle d'une nation et
l'évolution de sa société. Elle reflète aussi l'histoire des relations entre cette
nation et les autres, ou la structure ethnique de la société dans un pays
donné. Les réponses au questionnaire de la conférence indiquent que
nombre d'États membres ont plus d'une langue officielle (langue prescrite
par la loi): Botswana (anglais et setswana); Burundi (français, kirundi);
Espagne (espagnol, catalan); Inde (anglais, hindi); Israël (hébreu, arabe);
République centrafricaine (français, sango); Sri Lanka (sinhala, tamoul,
anglais); Swaziland (anglais, swazi); Suisse (allemand, français, italien,
romanche), etc.
Les États membres dotés d'une société multilingue demandent souvent
que l'une au moins et, parfois, deux ou trois des langues pratiquées sur leur
territoire soient communes pour faciliter les communications entre les
divers groupes linguistiques, qu'il s'agisse d'une langue maternelle ou
même d'une langue officielle d'origine étrangère. Certains de ces pays
affirment qu'une langue commune renforce la solidarité et l'identité
culturelle d'un pays. D'autres estiment que, d'un point de vue pratique et
économique, elle est indispensable.
Certains pays, notamment ceux qui ont souffert du colonialisme, hésitent
entre l'utilisation de la langue maternelle, pour préserver et enrichir l'idée
d'identité culturelle, et l'utilisation de langues non indigènes (par exemple,
le français et l'anglais) comme véhicules d'instruction. Cette question
soulève des problèmes d'ordre culturel et psychologique. Le problème
culturel s'exprime souvent par la crainte que l'utilisation des langues
maternelles ne devienne de plus en plus impopulaire, causant ainsi la perte
d'une partie de l'identité culturelle. Le problème psychologique vient du fait
que l'apprenant considère que sa langue maternelle est peu utile, sans
prestige et difficile à pratiquer, notamment lorsqu'une langue officielle
étrangère dominante est le tremplin vers les niveaux supérieurs de l'éduca-
tion, en particulier dans les domaines technologiques et scientifiques. La
langue maternelle n'est plus utilisée alors que pour introduire les langues
officielles, notamment s'il s'agit de langues d'origine étrangère. Ces
méthodes transitionnelles de l'enseignement des langues sont très pratiquées
à l'école primaire et dans l'éducation des adultes, notamment à la Barbade,
au Kenya, au Lesotho et en Namibie. Certains pays comme l'Inde, l'Iran, le

75
Annuaire international de l'éducation

Koweït, la République-Unie de Tanzanie et la Turquie utilisent l'anglais ou


d'autres langues étrangères pour enseigner les sciences notamment au
niveau postsecondaire.
En matière d'alphabétisation, le choix de la langue est très important,
qu'il s'agisse d'une langue officielle ou de la langue maternelle. À cet
égard, Lind et Johnston posent des questions essentielles :
— La motivation de l'élève à l'égard de l'alphabétisation dans une
deuxième langue (officielle) justifie-t-elle que l'enseignement commen-
ce directement dans cette langue, plutôt que dans la langue maternelle,
la transition vers la langue officielle se faisant plus tard ?
— Quel est le meilleur moment pour opérer la transition de la langue
maternelle à la deuxième langue ? Combien de temps faut-il ? Quels sont
les facteurs favorables dans l'environnement? Quelles sont les meilleu-
res méthodes?
— Quel est le taux de rétention de l'alphabétisation dans une deuxième
langue ?

La Recommandation n° 78 de la conférence demande aussi qu'une «recher-


che soit entreprise dans le domaine de la pédagogie, de la linguistique, de
l'anthropologie et de l'histoire, et que l'on encourage l'élaboration du
matériel d'enseignement dans la langue maternelle» (par. 14).
La diversité culturelle est une évidence lorsqu'on contemple la situation
complexe qui prévaut dans le monde quant à l'utilisation des langues pour
l'enseignement. La Division des statistiques de l'UNES CO a effectué une
étude indiquant que plus de la moitié des pays (soit cinquante-cinq sur cent
un) font état d'une seule langue officielle dans l'enseignement, trente-quatre
de deux, et douze de trois ou plus. Cette étude indique également qu'un très
petit nombre de langues sont utilisées dans un grand nombre de pays.
L'anglais, le français, l'espagnol et l'arabe sont des langues populaires dans
un tiers des pays du monde et la grande majorité, c'est-à-dire 70% d'entre
eux, utilisent soit l'anglais, soit le français comme véhicule de l'instruc-
tion.
Cependant, dans les pays dotés de minorités linguistiques et culturelles,
l'enseignement des matières dans la langue minoritaire (qu'il s'agisse de
populations indigènes, d'immigrants, de réfugiés ou d'autres) et l'enseigne-
ment des langues minoritaires sont de plus en plus pratiqués aux niveaux
local et national.
Au Canada, la Charte canadienne des droits et des libertés garantit
l'enseignement dans la langue de la minorité aux niveaux élémentaire et
secondaire. Elle garantit l'enseignement en français (dans les régions où

76
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

l'anglais est langue majoritaire) ainsi que l'enseignement en anglais (dans


les régions où le français est langue majoritaire — Québec). Le cas échéant,
l'Australie offre la possibilité d'apprendre vingt-trois langues aborigènes.
Dans ces pays multiculturels, le choix de l'enseignement des langues
étrangères s'élargit. Ainsi, au Canada, l'Ontario propose la poursuite des
études secondaires dans quarante et une langues au moins (Rapport national
canadien, 1992, p. 25). Quant à l'Australie, dès le niveau primaire, elle
propose l'enseignement de trente-six langues étrangères (réponse de l'Aus-
tralie au questionnaire de la conférence, p. 18).
Les politiques relatives aux langues minoritaires et les pratiques des
sociétés multiculturelles sont en harmonie avec la Recommandation de la
conférence (par. 14) qui souligne «le droit des personnes et des groupes
ethniques à préserver leur identité culturelle, dont leur langue est un des
véhicules les plus importants».
Dans les États membres, les politiques linguistiques sont étroitement liées
aux politiques culturelles, à la composition culturelle de la société, à ses
relations historiques avec d'autres pays, à sa capacité socio-économique de
mener à bien et d'améliorer des politiques relatives à la langue, ainsi qu'à la
capacité psychologique de l'individu dans une culture donnée et à sa
disponibilité à l'égard de l'apprentissage des langues. C'est là un domaine
très complexe; la recherche comparée sur les politiques linguistiques et
l'enseignement des langues pourraient jouer un rôle important dans le
recueil de données systématiques et analytiques. Ce type de recherches
exige une stratégie multidisciplinaire car la question de la langue concerne
un large éventail de personnes dans des cadres culturels très divers.

INTERACTION ENTRE L'ÉCOLE,


LA COMMUNAUTÉ LOCALE ET LA SOCIÉTÉ

On attend beaucoup de l'école en fait d'activités relatives au développement


culturel, mais l'éducation ne peut pas tout faire: c'était, en tout cas,
l'opinion de nombreux participants. Ils ont estimé que les autres éléments
de la société partageaient avec l'école la responsabilité du développement
culturel. Cependant, l'école peut sans aucun doute participer à ce dévelop-
pement en faisant prendre conscience du rôle de la personne dans la solution
des problèmes de société, et en mettant au point des programmes d'ensei-
gnement interactif utiles entre elle et d'autres établissements communautai-
res tels les industries, les médias, les musées et les institutions artistiques.
Un grand nombre de pays ont indiqué dans leurs réponses au questionnai-
re de la conférence que les écoles et les centres d'éducation pour les adultes

77
Annuaire international de l'éducation

proposent des activités du programme régulier d'enseignement et des


activités hors programme encourageant la participation des élèves à la vie
culturelle communautaire. La communauté devient source de programmes
pour l'école lors de:
— visites des élèves aux sites culturels, à des monuments, etc ;
— l'assistance des élèves à des événements artistiques locaux (pièces de
théâtre, musées, spectacles de ballet, etc.) ;
— la participation des élèves et des étudiants à des compétitions (sports,
jeux, musique, etc.) ;
— la création de clubs, de groupes amateurs, de groupes artistiques,
d'organisations déjeunes, de camps d'été, de centres culturels;
— la participation des étudiants aux campagnes communautaires de protec-
tion de l'environnement ou aux campagnes d'alphabétisation;
— la participation d'artistes et de responsables de locaux à la vie de
l'école.
L'un des avantages pédagogiques les plus importants de l'interaction
communauté-école, c'est qu'elle permet de lier plus directement l'apprentis-
sage avec la vie quotidienne. La communauté est une culture vivante qui
lance aux apprenants le défi des problèmes sociaux et d'environnement, et
les invite à participer à la solution de ces problèmes. À elle seule, l'école ne
saurait apporter des solutions à tous les problèmes de société. Cependant,
encourager les apprenants à s'instruire par une interaction avec la culture
vivante de la communauté et à recourir à leurs connaissances pour résoudre
les problèmes communautaires constitue un moyen d'accroître la contribu-
tion de l'éducation au développement culturel.
Par ailleurs, la participation des membres de la communauté aux activités
éducatives de l'école influence les comportements vis-à-vis de cette derniè-
re. En forgeant un lien plus étroit entre les contenus du programme
d'enseignement scolaire et la vie communautaire, par exemple en matière de
santé et d'environnement, la communauté acquiert des comportements
positifs envers l'école et reconnaît son influence bénéfique sur l'avenir des
enfants. Par ailleurs, elle se convainc, par sa participation aux activités
scolaires, de l'utilité de leur contribution à l'éducation et à la mise en valeur
des ressources humaines.
Pour que la communauté participe à l'éducation et que son partenariat
avec l'école soit véritable, les deux parties doivent engager un dialogue et se
consulter pour définir clairement leurs domaines respectifs de responsabili-
tés. Des structures et un mécanisme permanent favorisent la discussion et
l'échange d'idées sur les objectifs de la coopération, sur ses priorités et sur
la manière dont les deux parties peuvent mobiliser les ressources disponi-

78
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

bles et mener à bien une évaluation permanente de leur partenariat, dans le


but de le rendre plus efficace à l'avenir.
Les participants à la conférence sont convenus que les médias exercent
une très forte influence sur les processus de l'éducation. L'éducation doit
donc constituer un partenariat avec eux pour renforcer son apport au
développement culturel. En effet, les médias peuvent, d'une part, améliorer
l'accès à l'éducation, par exemple grâce à l'éducation à distance, et, d'autre
part, améliorer la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage.
La plupart des pays qui ont répondu au questionnaire de la conférence
indiquent que «l'enseignement relatif aux médias» n'est pas une matière
indépendante, mais il fait partie intégrante du programme d'enseignement.
Ainsi, la Norvège intègre ce type d'enseignement à des matières comme
l'instruction civique et la littérature. L'Australie fait savoir que les études
relatives aux médias envahissent tous les niveaux de l'éducation et sont
conçues pour susciter un esprit critique chez l'élève et lui donner les notions
indispensables relatives aux médias. La République de Corée offre des
cours au niveau secondaire concernant l'influence des médias sur la
socialisation de l'élève et sur la politique.
Les réponses au questionnaire de la conférence ont également fait mention
de l'émergence d'une coopération entre le secteur de l'éducation et les
médias. Témoins, l'instauration de consultations entre le Ministère de
l'éducation et les principales radios et télévisions nationales (en Autriche,
au Bahrein, en Chine, en Espagne, en Jamaïque, en Jordanie et en Turquie)
concernant la production des programmes éducatifs de radio et de télévi-
sion. Au Bahrein, des commissions conjointes représentant le Ministère de
l'éducation et le Ministère de l'information débattent de questions relatives
à l'éducation et aux médias. Au Qatar, des commissions similaires obser-
vent et évaluent les efforts consentis dans ce domaine. Le Département de
l'instruction publique de certains cantons francophones de Suisse (Genève,
Vaud) nomme et rémunère des enseignants spécialisés qui produisent des
programmes éducatifs de radio et de télévision. Le Ministère de l'éducation
et de la science coopère en Espagne avec Tele Madrid pour l'octroi des
diplômes sanctionnant l'éducation à distance. Un projet novateur, intitulé
«Inter-Action Israël», enseigne comment produire des programmes éduca-
tifs de télévision. Le Portugal met activement à profit les moyens d'infor-
mation tels les journaux et les magazines dans les classes et encourage ses
élèves à écrire un journal de l'école.
La conférence s'est félicitée de l'extraordinaire contribution des médias à
l'éducation, tout en prenant note des préoccupations exprimées par certains
pays qui estiment cette influence négative. À cet égard, elle a proposé deux
stratégies permettant de résoudre le problème. La première consiste à

79
Annuaire international de l'éducation

renforcer l'enseignement relatif aux médias pour faire mieux comprendre à


la personne leur rôle et leur influence, et lui permettre d'acquérir un
jugement critique pour évaluer le message qu'ils transmettent. La seconde
concerne les médias et leur personnel; il s'agit notamment de l'autorégle-
mentation ou de l'autocensure qu'ils doivent appliquer à l'impact négatif
éventuel que pourrait avoir le message qu'ils transmettent sur ceux qui le
reçoivent. Cependant pour conclure, les participants à la conférence ont
réaffirmé leur soutien à la liberté de la presse, qui doit être préservée à tout
prix.

L'ÉDUCATION AU SERVICE DE LA PARTICIPATION DE TOUS


LES GROUPES DE LA POPULATION À LA VIE CULTURELLE

Bien que certains analphabètes participent aux activités culturelles, leur


participation est limitée puisqu'ils n'ont pas accès à la communication écrite
et symbolique. L'alphabétisation et l'éducation de base sont, comme l'a
déclaré la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous (Jomtien, 1990),
un puissant instrument d'enrichissement et d'élargissement de la participa-
tion de l'individu aux activités culturelles. La conférence a affirmé que la
propagation de la culture dépend dans une large mesure de la diffusion de
l'alphabétisation et de l'éducation de base.
Plusieurs orateurs ont souligné que le taux d'analphabétisme dans de
nombreux pays en développement est toujours très élevé parmi les popula-
tions rurales, notamment chez les jeunes filles et les femmes. Selon les
réponses au questionnaire, la plupart des pays garantissent l'égalité des
chances aux deux sexes sur le plan constitutionnel et juridique. Cependant,
ces réponses mentionnent aussi les efforts consentis pour pallier les
inégalités, qui sont réelles. Certains pays ont fait de l'égalité des chances
pour les deux sexes la responsabilité d'un ministère ou d'un département
culturel (par exemple, Ministère des femmes et de la culture, Fidji ; Division
de l'éducation des femmes et des jeunes filles du Ministère de l'éducation,
Autriche; Secrétariat pour l'égalité des chances en éducation, Ministère de
l'éducation, Norvège). Certains pays comme l'Australie, le Canada et les
Pays-Bas encouragent l'inscription féminine aux cours de sciences et de
technologie dans l'enseignement supérieur. D'autres favorisent la création
de clubs, d'associations, de commissions nationales et de programmes
médiatiques pour les femmes. La Suisse offre des services d'information et
d'orientation, et, dans plusieurs cantons, des bureaux d'égalité ou des
bureaux pour les femmes ont été créés pour favoriser l'égalité des chances
en éducation.

80
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

La conférence a également recommandé l'élimination de tous les obsta-


cles qui empêchent divers groupes défavorisés sur le plan culturel (popula-
tions indigènes, migrants, réfugiés, nomades, etc.) et les personnes handica-
pées de participer pleinement aux activités et aux programmes éducatifs.
Plusieurs pays ont fait état de mesures prises à cet égard. Ils font une
priorité de la formation des enseignants visant à satisfaire des besoins
éducatifs et culturels spécifiques des groupes défavorisés. L'enseignement
des langues (langue maternelle et langues étrangères) aux réfugiés, aux
immigrants, aux migrants et aux indigènes constitue également une impor-
tante priorité pédagogique.
Pour que toutes les populations participent à la vie culturelle, il faut
améliorer l'accès à la culture et à l'éducation. Des efforts plus concertés
dans le domaine de l'éducation pour la lier aux besoins et aux aspirations
culturelles uniques des divers groupes permettront d'améliorer la qualité de
cet accès.

LE RÔLE ET LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

La conférence est convenue que la dimension culturelle doit être prise en


compte dans les programmes de formation initiale et de formation sur le tas
destinés aux enseignants ; il faut notamment leur inculquer une connaissance
plus étendue et plus approfondie des cultures nationales et mondiales.
Plus précisément, la conférence a recommandé que le programme de
formation des maîtres prenne en compte l'importance des médias, de la
technologie, de l'environnement, les compétences permettant de développer
des approches novatrices en matière d'éducation interculturelle/multicultu-
relle, de communication interculturelle et aussi certaines notions d'analyse
anthropologique permettant aux enseignants d'exercer leur profession dans
le contexte d'une pluralité de cultures. Le programme de formation destiné à
remplir ces qualifications a besoin d'un large éventail d'objectifs, d'appro-
ches novatrices et aptes à résoudre les problèmes, qui embrasseraient les
cultures nationales, les cultures d'autres nations et le multiculturalisme dans
des contextes culturels nationaux et régionaux.
Ce genre de programme de formation peut aborder le contenu culturel du
programme scolaire et ses objectifs pédagogiques, la gestion de la classe
(communication; rapports interpersonnels, etc.), l'évaluation des résultats
de l'apprentissage en rapport avec la culture, et autres aspects de l'enseigne-
ment scolaire touchant l'organisation.
Les dimensions culturelles du programme de formation doivent être
soutenues par des politiques nationales et locales claires. Formuler des

81
Annuaire international de Véducation

politiques et des objectifs nationaux pour la formation des maîtres conçue


pour promouvoir les aspects culturels de l'enseignement et de l'apprentissa-
ge exige une approche permettant à tous les concernés de collaborer entre
eux (à savoir les apprenants, les enseignants, les administrateurs, la
communauté, les décideurs, les médias). Cette approche par le partenariat
peut plus facilement assurer les besoins nécessaires, en matière de ressour-
ces, de finances et d'administration, à la formation des maîtres dans le
domaine, et alimenter leur sens des responsabilités et leur désir de servir la
cause de l'éducation culturelle et interculturelle.

COORDINATION DES POLITIQUES DE L'ÉDUCATION


ET DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL

L'un des principaux objectifs du Plan d'action de la Décennie mondiale


pour le développement culturel (1988-1997) est l'élargissement de la
participation à la vie culturelle. Pour y parvenir, la lutte contre l'analphabé-
tisme et pour la démocratisation de l'éducation constitue une importante
priorité. L'éducation doit aussi offrir une large contribution à d'autres
domaines du développement culturel — elle ne peut plus agir seule ni
réclamer le monopole de l'instruction pour atteindre cet objectif. Par
ailleurs, les ressources qui lui sont allouées ne sauraient suffire à l'exercice
de ses responsabilités croissantes dans le domaine culturel. Tout en
mobilisant effectivement les ressources disponibles, l'éducation doit pour-
suivre l'exploration de nouvelles ressources humaines et matérielles en
coopération avec d'autres institutions. La conférence recommande que les
politiques éducatives et culturelles soient étroitement coordonnées dans un
esprit de participation et de coopération car l'éducation et la culture ont une
mission à remplir en matière de développement culturel.
La Recommandation n° 78 (par. 9) propose les mesures suivantes pour
stimuler la coordination des politiques éducatives et culturelles :
1. accroître la coopération entre les établissements d'éducation formelle et
non formelle et les institutions culturelles ;
2. accroître la participation du personnel des institutions culturelles au
processus d'éducation;
3. élargir le réseau des institutions culturelles, et améliorer la formation
initiale et la formation sur le tas du personnel de ce réseau ;
4. multiplier les programmes éducatifs diffusés par les médias ;
5. répartir les ressources publiques et privées compte tenu des besoins de
l'éducation et de ceux de la culture.

82
Les objectifs politiques de l'éducation culturelle

Mécanisme de coordination
La création d'un ministère unique chargé à la fois de l'éducation et de la
culture permet de coordonner ces deux secteurs. D'après les réponses au
questionnaire de la conférence, plusieurs pays (Arabie Saoudite, Argentine,
Chili, Finlande, France, Indonésie, Israël, Japon, Kenya, Liban, Lesotho,
Malawi, Namibie, Philippines, République-Unie de Tanzanie, Zambie) ont
confié l'éducation et la culture à un seul ministère. Certains de ces pays font
savoir que cette mesure facilite la coordination entre les programmes
éducatifs et culturels, et qu'elle améliore leur efficacité et leur coût-
efficacité. Ils font part aussi des inconvénients qu'elle présente. Ainsi, les
restrictions budgétaires portent en général sur la culture, et les programmes
éducatifs ont toujours la préséance sur les programmes culturels.
Il y a d'autres moyens d'organiser les secteurs éducatifs et culturels au
niveau ministériel. Ainsi l'Autriche a créé le Ministère fédéral de l'éduca-
tion et des arts, et l'Inde, les Départements de l'éducation et de la culture,
qui font tous deux partie du Ministère de la mise en valeur des ressources
humaines de l'Union gouvernementale.
De nombreux autres pays font état d'une coordination interministérielle
qui passe en principe par la création d'une commission ou de structures
équivalentes. Ainsi le Bénin a créé la Commission nationale des ressources
humaines qui coordonne l'éducation et la culture. Les Émirats arabes unis
convoquent la Commission des politiques éducatives, dont sont membres
les départements chargés de la surveillance des affaires culturelles et de
l'éducation. Le Japon a instauré un conseil consultatif au sein du Ministère
de l'éducation, de la science et de la culture, dont les membres sont des
spécialistes de l'éducation et de la culture. Quant à la Fédération de Russie,
elle coordonne ses politiques éducatives et culturelles grâce aux commis-
sions pertinentes du Conseil suprême. En 1988, la France a créé un Haut
Comité de l'éducation artistique, présidé par le Ministre de l'éducation et de
la culture. La Commission nationale de l'Argentine pour la Décennie
mondiale pour le développement culturel, composée de membres issus de
plusieurs secteurs (sciences, technologie, santé, culture, etc.), coordonne les
activités liées à la culture, à la science, à la technologie et à la communica-
tion. La République de Corée coordonne ses politiques culturelles et
éducatives grâce à son Conseil de planification économique. En Australie,
le Bureau des affaires multiculturelles du département du premier ministre
et du cabinet coordonne les politiques et les stratégies culturelles et
éducatives qui ont trait aux affaires multiculturelles.

83
Annuaire international de Véducation

Partenariat
Les autres ministères ou les autres départements sont des partenaires très
importants. Les ministères chargés de la jeunesse et des sports, de l'environ-
nement, du commerce, de l'économie, des affaires étrangères, de l'informa-
tion et de l'intérieur sont des partenaires essentiels au niveau ministériel.
Les pouvoirs locaux (conseil provincial de l'éducation, gouvernement
local), les universités, le secteur privé (les conseils d'entreprise, les
fédérations économiques), les ONG, les associations (les syndicats d'ensei-
gnants), les groupes communautaires (parents, dirigeants locaux, organisa-
tions artistiques, organisations de jeunes) et les médias sont aussi, selon les
États membres, des partenaires essentiels.

Facteurs influant sur le succès du partenariat


1. L'accès à l'information et à la connaissance sur ce que font les
partenaires potentiels est parfois la phase initiale de la création d'une
entreprise coopérative. Les médias et les réseaux sont des mécanismes
très utiles dans la recherche de cette information.
2. Un partenariat à égalité, dans un esprit de respect mutuel, facilite la
coopération et l'échange.
3. La participation des partenaires au processus tout entier, du stade de la
planification à ceux de l'exécution et de l'évaluation du projet, est
capitale.
4. Autre facteur de succès dans un partenariat : la définition précise des
avantages réciproques et la mise en commun des résultats d'un projet. Un
accord devrait intervenir entre toutes les parties concernées dès la
conception du projet.
5. Les responsabilités, quant à la mission à remplir et au financement,
doivent être clairement définies et acceptées par toutes les parties, ainsi
d'ailleurs que les résultats escomptés et leurs implications.
Apparemment, un grand nombre de partenariats n'ont pas encore été
envisagés, qui rendraient l'éducation plus pertinente et plus dynamique, et
accroîtraient ainsi sa contribution au développement culturel. Il faudra faire
preuve de créativité pour inventer un nouveau type d'organisation et de
relations propres au groupe humain.

84
Les objectifs politiques de Véducation culturelle

NOTES

1. Guide pratique de la Décennie mondiale pour le développement culturel, 1988-1997,


p. 15.
2. Bulletin sur l'éducation, 5/91, Conseil de l'Europe, p. 3.
3. «Rapport final de la réunion régionale de l'UNESCO. Promotion des valeurs humanistes,
éthiques et culturelles en éducation», Tokyo, 1991, p. 45-46.
4. Adult literacy in the Third World: a review of objectives and strategies [L'alphabétisation
des adultes dans le tiers monde: étude des objectifs et des stratégies], A. Lind et
A. Johnston, Swedish International Development Authority, 1990.
5. Document statistique sur Véducation et la culture. Conférence internationale de l'éduca-
tion, 43 e session (ED/BIE/CONFINTED 43/Réf.l), p. 34-35.

85
CHAPITRE IV

L'éducation interculturelle
par Le Thành Khôi

POURQUOI L'ÉDUCATION INTERCULTURELLE?

L'une des caractéristiques majeures de l'époque que nous vivons, c'est la


multiplication des rapports entre peuples et cultures par suite du développe-
ment des moyens de communication. L'avion relie les pays les plus éloignés
sur la carte en une dizaine d'heures. Radio et télévision, téléphone et
ordinateur mettent instantanément les hommes en contact partout sur le
globe. Certes, les migrations internationales et les emprunts interculturels
ont de tout temps existé. Les premières ont revêtu parfois une grande
ampleur, telles celles des nomades à travers le continent euro-asiatique ou,
plus près de nous, celles des Européens vers l'Amérique du Nord au
XIXe siècle. La quasi-totalité des pays du monde sont des pays pluriculturels
dans le sens qu'y coexistent de nombreux groupes ethno-linguistiques,
tantôt depuis des siècles, sinon des millénaires, tantôt depuis une date plus
récente. On peut distinguer les minorités dites «nationales» des minorités
dites «immigrées»: ces dernières ne jouissent pas de l'égalité juridique
avec les nationaux, ce qui aggrave leurs problèmes d'insertion. En fait, il
n'y a que des différences de degré et non de nature entre leurs situations, car
nulle part l'égalité constitutionnelle ne suffit à contrebalancer le poids du
réel dans les familles, à l'école, devant l'emploi, dans la société en général.
Ainsi, aux États-Unis d'Amérique, des études comme celle de J. Coleman
(1966) révèlent que l'école unique, sa démocratisation en termes de taux de
scolarisation, l'existence d'« enseignements de compensation» n'arrivent
pas à effacer les inégalités entre groupes ethniques, particulièrement entre
Blancs et Noirs, à cause de multiples mécanismes de différenciation, tantôt
ouverts, tantôt cachés sous des critères d'apparence technique: la langue
dominante, la localisation et les types d'écoles, les ressources dont elles
disposent en équipements, en enseignants qualifiés, en programmes d'étu-
des, etc.

86
L'éducation interculturelle

De même, dans l'ex-Union soviétique où le socialisme reconnaissait


l'égalité de tous les peuples, de leurs droits culturels et la possibilité pour
eux d'utiliser leurs langues maternelles, beaucoup de langues avaient
disparu (il en existait soixante-dix contre cent trente au début des années 30)
au profit du russe, langue des activités économiques, de la mobilité sociale
et du pouvoir politique. D'un autre côté, ni le progrès du russe ni
l'éducation socialiste n'avaient éteint chez les peuples de l'URSS le
sentiment national ou la religion (en particulier, l'islam dans le Caucase et
l'Asie centrale).
L'Europe occidentale est confrontée davantage au problème des travail-
leurs immigrés. Il en existait avant la seconde guerre mondiale, mais il
s'agissait d'Européens (comme les Polonais et les Italiens en France) qui se
sont fondus peu à peu dans la population. Au cours de la longue période
d'expansion industrielle qui a duré en gros de 1945 à 1970, l'Europe a fait
venir de la main-d'œuvre à bon marché de pays moins développés,
principalement du Maghreb, de l'Afrique noire, de la Turquie. Les non-
Européens représentent aujourd'hui quelque dix millions de personnes, dont
la plupart resteront avec leurs enfants dans les pays d'accueil.
Que les minorités soient nationales ou immigrées, il y a fréquemment
tensions et conflits avec la majorité dominante, pour des raisons économi-
ques (emploi) ou sociales (discriminations, racisme, etc.). Il y a également
tensions et conflits entre les minorités elles-mêmes, souvent pour des
raisons historiques, qui peuvent à un moment exploser en guerres, comme
ce qui se passe dans l'ex-Yougoslavie. Ce cas tragique révèle l'échec du
socialisme à éliminer les différends interethniques au sein d'un État. Le
marxisme avait lié le nationalisme à la bourgeoisie et pensé qu'il disparaî-
trait avec la disparition de cette classe sociale et la collectivisation des
moyens de production. Les événements montrent que le sentiment national
est un phénomène durable et vigoureux, et qu'il se rencontre dans toutes les
classes sociales. En fait, nous assistons partout à une émergence ou une
résurgence des minorités qui affirment leur identité et revendiquent leurs
droits culturels, sociaux, politiques contre la domination de la majorité ou,
si l'on préfère, contre l'État-nation, au Nord comme au Sud.
Toutes ces considérations imposent la nécessité d'une éducation inter-
culturelle en vue de la compréhension mutuelle des peuples et de la paix.
Certes, l'éducation ne peut résoudre tous les problèmes, notamment ceux du
chômage et de l'emploi, de l'opposition des intérêts politiques et économi-
ques entre les classes sociales ou entre les États. Du moins peut-elle atténuer
ou faire disparaître les préjugés en montrant que les hommes et les femmes
de tous les pays partagent les mêmes besoins et les mêmes aspirations, les
mêmes joies et les mêmes peines, que les différences ne s'expliquent point

87
Annuaire international de Véducation

par la couleur de la peau ou des structures congénitales, mais par l'histoire,


la religion ou la philosophie, la différence des problèmes qu'ils ont à
résoudre face à leur environnement, celle des techniques de production et de
communication dont ils disposent, etc. L'éducation interculturelle fait
prendre conscience de la relativité des points de vue. Quand on ne juge pas
les pensées, les sentiments, les actions d'autrui d'après son propre modèle
culturel, celui dans lequel on a grandi et selon lequel on se comporte, mais
qu'on s'efforce de se mettre à sa place, tout s'éclaire et on le comprend
mieux en se débarrassant de l'ethnocentrisme.
Mais l'éducation interculturelle amène aussi à rejeter le relativisme absolu
qui prétend que chaque culture est unique. Chaque culture a certes ses
spécificités, mais elle partage avec les autres un fonds commun parce que
les hommes et les femmes sont partout biologiquement les mêmes, qu'ils
ont les mêmes exigences, les mêmes sentiments, la même rationalité
fondamentable face au problème que représente la survie de l'espèce.
Prenons l'exemple des cultures orales, qui ont été longtemps dévalorisées et
même niées parce qu'elles n'auraient pas d'histoire et n'ont pas accédé à la
science. En fait, toute société a une histoire qui, lorsqu'elle n'est pas écrite,
se transmet par la parole. Celle-ci peut mêler le vrai et le mythe, et
comporter des variantes, mais il y a toujours un noyau de vérité et on peut
appliquer à un texte oral comme à un texte écrit les méthodes de la critique
historique interne et externe, et vérifier ses dires grâce à l'archéologie,
la linguistique historique, l'anthropologie. Quant à la science et à la
technologie, on peut ici aussi affirmer que toute société en possède parce
qu'elle doit tirer de la nature ce qui lui est nécessaire pour subsister et se
perpétuer.
Il est vrai que l'écriture a fait faire un bond qualitatif au progrès des
connaissances. Elle apporte en effet une capacité nouvelle et immense de
stocker le savoir, de l'accroître et de le diffuser, et, surtout, de développer la
pensée scientifique. Elle n'est pas seulement un moyen d'enregistrer la
parole, elle entraîne une autre manière de raisonner et de connaître. «Quand,
écrit J. Goody, un énoncé est mis par écrit, il peut être examiné bien plus en
détail, pris comme un tout ou décomposé en éléments, manipulé en tous
sens, extrait ou non de son contexte» (1978, p. 96-97). Autrement dit, il
peut être soumis à un tout autre type d'analyse et de critique qu'un énoncé
purement verbal. Goody note que la classification en listes (de personnes,
d'animaux, de plantes, de minéraux, de médicaments) et en tableaux, qui
doit beaucoup aux techniques graphiques, marque une étape dans la
constitution de l'information scientifique. La formalisation des propositions
inhérentes à l'écriture implique un effort de rationalisation qui n'est pas
permis à l'oralité. Cela est particulièrement évident en ce qui concerne les

88
L'éducation interculturelle

mathématiques: si l'on peut faire mentalement des opérations simples, il


n'en est plus de même des opérations complexes qui exigent des procédures
très abstraites. Mais cela signifie que le développement des sciences est lié à
l'écriture et non à une quelconque «mentalité primitive» ou «prélogique»,
notions creuses qui n'expliquent rien.
On peut alors se demander pourquoi certaines sociétés n'ont pas créé
d'écriture. Je suis de ceux qui estiment qu'à l'origine «les fonctions de
l'esprit humain sont communes à toute l'humanité» (Boas, 1965, p. 135),
que les processus de raisonnement et de pensée sont fondamentalement les
mêmes et incluent la même logique, que ce qui diffère, ce sont les concepts,
les croyances, les valeurs, parce que chaque peuple vit dans un environne-
ment différent et doit résoudre des problèmes différents. L'écriture est
apparue dans une société urbaine, à Sumer vers -3200, par suite de l'essor
du commerce, de l'artisanat, de l'élevage, de l'agriculture: il fallait un
moyen d'expression pour tenir les comptes, enregistrer les hommes, rédiger
les contrats. De même, en Egypte, l'invention de l'écriture a été liée à la
croissance démographique, à la nécessité d'irriguer le sol et de maîtriser le
Nil, au besoin qu'éprouvait l'administration centrale de tenir une comptabi-
lité précise de ses réserves en vivres pour pouvoir les distribuer au mieux en
cas de famine. Au contraire, les Nubiens, qui possédaient une culture
matérielle égale à celle de la Haute Egypte, n'ont pas ressenti l'exigence
d'une écriture parce qu'ils étaient des nomades dispersés en groupes moins
nombreux et plus mobiles. Au sud du Sahara, les Africains non plus
n'avaient pas fondé de villes importantes parce que l'économie n'y était pas
suffisamment développée, le nombre des hommes ne la favorisant pas. Mon
hypothèse explique l'absence d'écriture par la faible démographie de
l'Afrique et non par une quelconque «infériorité congénitale» (Le Thành
Khôi, 1991, p. 132-133).
Il faut donc donner à la culture non pas sa connotation élitiste d' « aspects
intellectuels d'une civilisation» (ce qui dévalorise les cultures orales), mais
son sens anthropologique. J'ai proposé de la définir comme «l'ensemble des
productions matérielles et non matérielles d'un groupe humain dans ses
relations avec la nature et avec d'autres groupes, créations qui ont pour
lui — ou pour la majorité de ses membres — un sens propre, dérivé de son
histoire passée ou en»train de se faire, sens qui n'est pas partagé par
d'autres groupes» {ibid., p. 31). Cette définition met l'accent sur la
communauté de sens que des hommes et des femmes, opposés par ailleurs,
donnent à leurs pratiques, du fait d'une histoire depuis longtemps vécue
ensemble : le sens d'une institution portant le même nom n'est pas identique
d'une culture à l'autre. La définition souligne d'autre part que la culture
n'est pas seulement un acquis, un héritage, elle se crée à chaque instant par

89
Annuaire international de l'éducation

l'effort conscient et inconscient de tous, sous l'action de sa propre


dynamique ou en réaction à des influences internationales.
L'éducation interculturelle est donc — ou devrait être — partie intégrante
du développement culturel, parce que tout individu participe à la vie de sa
communauté et que celle-ci reçoit de nos jours, à tout instant, des messages
de l'extérieur. Si la culture est vivante, cela implique que l'éducation doit
non seulement transmettre un patrimoine, mais prendre en compte les
changements contemporains touchant les connaissances, les idées et les
valeurs, dont une partie vient du dehors. Dans les deux cas, elle doit être
critique, car la culture, comme n'importe quel phénomène social, comporte
des aspects positifs et des aspects négatifs, la société n'étant pas une entité
homogène, mais comprenant des classes et des groupes aux intérêts tantôt
communs, tantôt contradictoires : ce qui est positif pour certains ne l'est pas
pour d'autres, ce qui est négatif à un moment donné peut devenir positif, ou
inversement.
Il est une autre raison qui plaide en faveur d'une éducation interculturelle :
elle fait contrepoids à l'économisme et au technicisme de l'idéologie
dominante. Pour prendre un exemple, la rationalité économique du système
capitaliste est une rationalité individuelle fondée sur la comparaison du
rapport coûts-bénéfices, qui néglige les coûts collectifs en termes d'exploi-
tation du travail des hommes, des femmes et des enfants (Europe du
XIXe siècle, nombreux pays dits en développement aujourd'hui), en termes
de pollutions de toutes sortes, de destruction de l'environnement. La
poursuite d'une croissance illimitée, mue par le profit, axée sur l'exploita-
tion sans frein des ressources de la planète, corollaire d'une conception de
l'homme «maître et possesseur de la nature», a entraîné des conséquences
catastrophiques: disparition de terres arables, d'espèces animales et végéta-
les, désertification et problèmes de santé. Or, l'éducation formelle et
informelle y a sa part de responsabilité pour peu qu'elle exalte les
puissances de la raison, sans en indiquer les limites, et assimile la société à
une organisation de travail en propageant la religion de la production et de
la consommation comme critères de civilisation et de bien-être. Cette
remarque s'applique au socialisme qui, tel qu'il a été pratiqué en Europe
orientale et ailleurs, n'a été qu'un avatar du capitalisme. En effet, s'il s'est
donné des buts différents (élever le niveau de vie matériel et culturel de la
population au lieu de rechercher le profit), instrumentalement il n'en diffère
pas : il a poursuivi prioritairement le développement des forces productives
avec les mêmes conséquences néfastes pour l'environnement.
D'autres types de société n'ont pas partagé cette philosophie. En Asie,
l'hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme, quelles que
soient par ailleurs leurs divergences, mettent tous l'accent sur l'équilibre et

90
L'éducation interculturelle

l'indépendance de la personne par la maîtrise de ses désirs, l'idée que le


bonheur et la liberté se trouvent en nous-mêmes si nous savons dominer nos
passions, en recherchant l'harmonie avec l'univers. En Afrique, beaucoup
de contes plaident pour le respect de l'environnement: le chasseur qui tue
non pour sa subsistance, mais pour le plaisir, le prestige ou le profit, est
puni par les esprits de la forêt.

INTERCULTURALITÉ ET INTERDISCIPLINARITÉ

Comment doit être conçue l'éducation interculturelle? J'utilise à dessein ce


terme, qui implique échanges, comparaisons, confrontations et coopération,
plutôt que celui d'« éducation multiculturelle», lequel connote de simples
juxtapositions sans mise en relation(s).
Dans beaucoup de pays (en France, par exemple), la pédagogie dite
«interculturelle» s'adresse aux enfants de travailleurs immigrés à l'école
élémentaire. Elle vise de ce fait à les adapter au système scolaire français, à
remédier à leurs difficultés plutôt qu'à une compréhension mutuelle des
cultures. Outre que la culture française n'est pas présentée (n'est-elle pas la
«référence»?), la culture étrangère est réduite à des éléments linguistiques
et folkloriques (cuisine, artisanat, fêtes, etc.) sans être appréhendée de façon
globale, c'est-à-dire sans qu'on intègre ces éléments dans le système dont
ils font partie et qui leur donne sens. Elle n'est pas située non plus dans
l'histoire mondiale, celle du dialogue des civilisations, des emprunts et des
enrichissements réciproques. Enfin, on n'évoque pas les différences de
participation culturelle dues aux différences de classe sociale, d'âge ou de
sexe, d'origine géographique ou ethnique. La culture est «fossilisée». La
démarche reste européocentrique.
La «différence» doit être comprise de façon dialectique, c'est-à-dire
comme un rapport d'interaction entre deux êtres, deux cultures; et dynami-
que, c'est-à-dire sujet au changement. Toute culture évolue en face d'autres
cultures, et l'éducation doit procurer à l'individu les bases et les moyens qui
lui permettent de choisir en connaissance de cause les valeurs qu'il accepte
et celles qu'il refuse. C'est dire qu'une véritable «pédagogie interculturel-
le» doit s'adresser non seulement aux immigrés, mais à l'ensemble de la
population, à l'école et en dehors de l'école, aux enfants et aux adultes. Aux
enfants, parce que c'est l'âge le plus impressionnable, le moment où
s'imprègnent le plus profondément les valeurs, les schémas de pensée, les
habitudes apprises. Aux adultes, parce qu'ils sont parents, citoyens, travail-
leurs, constituent l'opinion publique et les gouvernants, et exercent, à ces
divers titres, une influence profonde sur l'évolution des idées et des

91
Annuaire international de l'éducation

pratiques. Parmi eux, les enseignants et les formateurs d'adultes doivent


avoir une formation appropriée, si l'on veut qu'ils soient à la hauteur de
leurs tâches.
Ainsi, l'interculturel contribuera au développement culturel tout court, qui
doit ou devrait être l'objectif majeur de toute éducation si l'on entend par
développement culturel celui des connaissances, des valeurs et des attitudes
qui permettent l'épanouissement des personnalités et de leurs capacités
créatrices (Le Thành Khôi, 1992, p. 46). L'école actuelle est, dans tous les
pays, à des degrés certes différents et malgré des exceptions, intellectualis-
te: elle accorde la priorité au développement cognitif et emploie des
méthodes autoritaires visant à imposer ses vues, et donc la répétition plutôt
que l'initiative et la critique. Le résultat en est un déséquilibre de la
personnalité de l'enfant au profit du conceptuel, au détriment de l'imaginai-
re et de l'affectif. De plus, l'école tend à valoriser sa propre culture et fait
peu de place à d'autres visions du monde et de la société. L'introduction de
ï'interculturel corrigera ces insuffisances. Notre conception rejoint celle de
tous les éducateurs pour qui le premier but de l'éducation est d'assurer le
plein épanouissement de la personne, aussi bien sur le plan physique que sur
les plans intellectuel, moral et esthétique, sans oublier celui de la créativité.
Quel que soit le rôle des médias audio-visuels, l'école demeure une
instance irremplaçable pour former l'enfant et les jeunes de façon structurée
car elle applique une conception plus ou moins ordonnée de l'homme et de
la société, et elle met en œuvre l'écrit qui, comme je l'ai dit plus haut,
permet bien plus et bien mieux que l'oral l'apprentissage de l'esprit critique,
de la déduction et de l'abstraction. Cet esprit critique s'exerce d'abord à
l'égard des messages audio-visuels, lesquels peuvent être manipulés pour
susciter ou entretenir des antagonismes ou des tensions au profit de certains
intérêts politiques ou économiques. Mais l'écrit, lui aussi, peut être
manipulé. La formation de l'esprit critique se fera en apprenant à l'enfant à
observer, à déduire, à raisonner, à confronter des opinions différentes entre
elles et par rapport à ce que lui a appris sa propre expérience, à distinguer
entre l'affirmation et la démonstration.
Comment pratiquer l'éducation interculturelle à l'école? Faut-il l'y
introduire comme une nouvelle « discipline » ? Ce procédé ne me paraît pas
recommandable, car dans la plupart des pays les programmes sont déjà
surchargés et il n'en résulterait qu'une fatigue supplémentaire pour l'élève,
peu propice à son développement. L'éducation interculturelle ne doit pas
être une discipline distincte des autres, mais les imprégner toutes, ce qui
présente un double avantage pédagogique: susciter l'intérêt de l'enfant en
lui ouvrant des horizons nouveaux, mettre en œuvre cette « interdisciplinari-

92
L'éducation interculturelle

té» dont on parle tant et qui consiste à traiter un problème en l'envisageant


de différents points de vue.
Les programmes devraient être aménagés en partant de l'idée que la
capacité d'attention de l'enfant dépend de son âge et qu'il faut répartir
l'horaire (un maximum devrait être fixé par les médecins) en respectant un
équilibre entre le cognitif, l'affectif et le sensori-moteur. L'éducation
interculturelle couvre ces trois domaines (par exemple, si l'on fait représen-
ter une pièce de théâtre étrangère par les élèves). Un autre critère peut être
adopté pour limiter les programmes et ne pas surcharger l'enfant: privilé-
gier la compréhension du monde dans lequel il devra vivre, c'est-à-dire du
présent, donc refuser l'encyclopédisme et étudier surtout le passé qui
explique le présent. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas étudier le passé
du tout, mais qu'il faut réduire son importance là où il prend trop de place
(lorsque, par exemple, certaines périodes historiques sont étudiées deux ou
même plusieurs fois). Si la connaissance du passé est indispensable pour
que l'individu s'imprègne de ses racines, il faut aussi qu'il soit conscient
des apports que son pays a reçu d'autres cultures. De même, le présent est
complexe et le national interfère constamment avec l'international. L'un et
l'autre doivent être analysés dans toutes leurs dimensions (politique,
économique, social et culturel), toute leur complexité, car il peut y avoir des
contradictions aussi bien entre ces dimensions qu'à l'intérieur de chacune
d'elles. Un effort critique est donc nécessaire. Rappelons que l'éducation
interculturelle consiste à faire comprendre des cultures différentes et les
apports de chacune à la civilisation mondiale, à mieux faire comprendre sa
propre culture, à agir en faveur des droits des hommes et des peuples, à
œuvrer en faveur de la paix.
Nous avons évoqué l'interdisciplinarité. Le concept lui-même n'est pas
clair. À preuve, la multitude de termes utilisés, souvent avec des sens
équivalents : multidisciplinarité, pluridisciplinarité, interdisciplinarité, trans-
disciplinarité... En laissant de côté la question épistémologique, en ne
considérant que l'enseignement, on peut reprendre les définitions proposées
par le Colloque international, réuni par l'UNESCO à Paris du 1er au 5 juillet
1985, sur l'interdisciplinarité dans l'enseignement général:

La multidisciplinarité est la simple juxtaposition de disciplines différentes


sans relations apparentes entre elles.
La pluridisciplinarité est la juxtaposition de disciplines qui sont censées être
mises plus ou moins en relation.
L''interdisciplinarité est une forme de coopération entre disciplines différen-
tes concernant des problèmes dont la complexité est telle qu'ils ne

93
Annuaire international de l'éducation

peuvent être traités que par la convergence et la combinaison de


différents points de vue.
La transdisciplinarité fait référence à un système axiomatique général ou à
une théorie qui permet de rassembler un groupe de disciplines. Elle
suppose une unification ou du moins une harmonisation conceptuelle.
Par exemple, les concepts de totalité, d'interdépendance, de change-
ment, de contradiction sont transdisciplinaires (UNESCO, 1988, p. 7-8)
L'interdisciplinarité implique donc la mise en relation(s) de différentes
disciplines, relations qui ne sont pas unilatérales mais réciproques ou, si
l'ont veut, systémiques, à condition de ne pas oublier qu'elles sont aussi
dialectiques, c'est-à-dire tantôt complémentaires et tantôt contradictoires, ce
que beaucoup d'auteurs «systémistes» ne font pas. La culture est un
système, c'est-à-dire une totalité, mais dont tous les aspects ne convergent
pas: tel élément peut entrer en conflit avec tel autre (par exemple,
l'économique avec le social).
L'interdisciplinarité est nécessaire non seulement parce qu'elle corres-
pond au caractère global ou total du monde, mais aussi parce que celui-ci
change vite et que l'enseignement doit former des esprits qui s'adaptent au
changement. Or, cette adaptabilité est mieux préparée par une formation
générale et interdisciplinaire que par une formation fragmentée en discipli-
nes. De fait, la formation générale contrebalance et complète la tendance à
la spécialisation toujours plus poussée qu'entraîne le développement scienti-
fique et technique.
L'interdisciplinarité ne s'impose pas seulement à l'intérieur du domaine
des sciences exactes et naturelles, mais encore entre celles-ci et les sciences
humaines et sociales. Les grands problèmes mondiaux l'exigent pour leur
étude, leur compréhension et leur solution : ceux de la faim, de la misère, de
l'ignorance, de la maladie, de l'écosystème. La faim, par exemple, n'est pas
due à l'absence de nourriture, mais à la pauvreté, à l'exploitation, à la
recherche du profit (substitution de cultures commerciales d'exportation aux
cultures vivrières), aux calamités naturelles (sécheresse, inondations, etc.).
La solution ne pourra être trouvée sans prendre des mesures économiques et
sociales, et en même temps conduire des recherches scientifiques (biotech-
nologiques notamment). Apparemment, cet exemple n'a rien à voir avec
l'interculturel. Il s'agit en réalité d'un «négatif». Il montre combien est
fausse la thèse de certains auteurs qui attribuent à la culture la responsabilité
du retard économique, que ce soit le «fatalisme à long terme» de Rostow ou
1'«équilibre de la pauvreté» selon Galbraith pour qui les pauvres «s'accom-
modent» de leur pauvreté, car toute innovation technique implique un
risque d'échec qui pourrait signifier la famine, voire la mort. Or, des

94
L'éducation interculturelle

enquêtes menées en Thaïlande et en Inde ont montré que des paysans


illettrés, pauvres, hors caste (en Inde) n'ont pas été les derniers à adopter de
nouvelles pratiques culturales (Lê Thành Khôi, 1967, p. 30). Et des pays
considérés il y a trente ans comme «sous-développés», parce que leurs
religions (hindouisme, bouddhisme, confucianisme) allaient faire «obsta-
cle» à leur croissance économique, se sont, au cours des quinze dernières
années, industrialisés avec des taux supérieurs à ceux des États-Unis
d'Amérique, de la France et même du Japon. La réussite durable de ce
dernier, qui a été le premier pays non européen à s'industrialiser, beaucoup
d'économistes occidentaux en ont cherché la clé dans le zen, cette doctrine
bouddhiste qui préconise la méditation et la concentration pour arriver à
l'éveil (Le Thành Khôi, 1992, p. 152-171).
Inversement, la santé est bien une question culturelle si on ne la définit
pas comme 1'«absence de maladie» mais comme un «fonctionnement
harmonieux de l'organisme humain dans son milieu». C'est pourquoi les
médecines «traditionnelles» d'Afrique et d'Asie n'envisagent pas le malade
indépendamment des déterminants sociaux et culturels de sa condition, et le
traitent non seulement par des médicaments, mais aussi en recourant à des
opérations symboliques destinées à rétablir l'équilibre des forces vitales. La
médecine occidentale, qui a remporté des succès éclatants grâce à l'expéri-
mentation scientifique, n'est arrivée, dans de nombreux cas, ni à guérir ni à
expliquer la guérison. Surtout, l'occidentale est une médecine «individualis-
te » qui écarte a priori les origines économiques, écologiques et culturelles
de la maladie, et assimile les besoins de santé aux demandes de soins,
c'est-à-dire aux dépenses que peut se permettre l'individu selon son
revenu.
À l'école primaire, l'interdisciplinarité est favorisée par le fait qu'il y a un
seul enseignant pour toutes les matières. Il peut donc choisir un problème et
l'examiner sous ses différents aspects. En Afrique, lorsqu'on interroge les
populations rurales sur leurs besoins, trois problèmes ressortent: ceux de
l'eau, de l'alimentation, de la santé. Si le premier se pose moins dans les
régions humides d'Asie, les deux derniers sont communs à tous les paysans
du Sud. Ils ne sont pas seulement techniques, mais aussi sociaux (les droits
d'eau) et culturels, comme on l'a vu plus haut pour la santé. Il en est de
même de l'alimentation: on ne mange pas n'importe quoi ni avec n'importe
qui, le repas s'accompagne souvent de rites, plus ou moins élaborés.
L'enseignant introduira l'interculturel en examinant les mœurs et les
coutumes d'autres peuples, la manière dont ils ont (ou n'ont pas) résolu
leurs problèmes et pourquoi. Ainsi, au Viet Nam, un auteur a décrit comme
suit la lutte difficile des médecins pour répandre l'hygiène dans les
campagnes :

95
Annuaire international de l'éducation

Même quand on est plein de bonne volonté, les choses ne sont pas si simples. On s'aperçoit
que pour pousser des gens à creuser un puits, il faut qu'ils n'aient plus peur du dragon
souterrain; pour les amener à exterminer les moustiques, il faut les convaincre qu'il n'y a
aucune impiété à saupoudrer l'autel des ancêtres de poudre insecticide. Il faut répéter des
millions de fois la phrase: faites bouillir l'eau avant de la boire (Le Thành Khôi, 1992,
p. 145).
À l'école moyenne, certains pays pratiquent déjà l'enseignement intégré des
sciences de la nature (physique, chimie, biologie, technologie) et même des
sciences sociales (histoire, géographie, économie, sociologie), ce qui facilite
l'approche interdisciplinaire. C'est au niveau de l'enseignement secondaire
et supérieur qu'elle est le plus difficile à organiser du fait de sa nouveauté,
des traditions monodisciplinaires, du nombre des enseignants, de la com-
plexité à l'aborder.

LES DISCIPLINES ET L'INTERCULTURALITÉ

Si l'on s'en tient à l'enseignement par disciplines, voyons comment


l'interculturel peut y être introduit.
L'apprentissage de langues étrangères s'accompagne généralement de
l'étude des civilisations dont elles relèvent. Les petits pays ont intérêt à faire
apprendre une ou, mieux, deux langues de grande communication. L'enfant
commence par apprendre dans la langue de son milieu, parce qu'elle fait
partie de son identité, et qu'il apprend mieux et plus rapidement qu'il ne le
ferait dans une autre langue mal connue de lui. Une fois maîtrisés les
mécanismes fondamentaux, il passera à l'apprentissage d'une langue étran-
gère, lequel constitue une excellente gymnastique mentale, surtout lorsque
la structure et la morphologie de la langue étrangère diffèrent de celles de la
langue maternelle (langues à déclinaisons et langues sans déclinaison). En
outre, cet apprentissage permet de mieux connaître sa propre langue. Enfin,
il introduit — de l'intérieur — à la culture dont la langue fait partie, à ses
catégories logiques, à ses valeurs morales; il introduit aussi à la signification
sociale des usages et des variations du langage en général, qui sert non
seulement à la communication, mais encore à la différenciation, à la
hiérarchisation, à la domination.
Prenons, par exemple, le concept de raison. Il vient du latin ratio qui
désigne à l'origine le calcul et a gardé cette connotation dans le langage
courant. La raison est la faculté de penser et d'agir non selon ses sentiments,
mais encore selon ses intérêts. Mais ratio traduit aussi le grec logos qui
désigne le discours cohérent, ordonné selon des principes universels ou
universalisables parce que correspondant à la réalité en soi. En chinois,
raison se dit li. Or, li désigne proprement les veines du jade : le lapidaire

96
L'éducation interculturelle

les recherche pour les faire épouser par le mouvement de son outil, il
en dégagera un carré, un disque ou une pièce en demi-lune selon le sens
des veines et indépendamment d'un modèle préconçu. «Raisonner, c'est
chercher la structure formelle de la réalité pour y adapter l'action»
(L. Vandermeersch). On voit la différence entre cette conception et la
conception européenne. Elle est aussi efficace pour agir sur le monde si l'on
pense à la réussite économique du Japon, et plus récemment de la
République de Corée, de Taiwan, de Hongkong, de Singapour, de la Chine
même, tous pays de civilisation chinoise ou ayant reçu les influences
chinoises (Corée, Japon).
Dans la perspective d'une formation de la personne, Venseignement
littéraire doit moins se concentrer sur l'histoire, la critique et l'esthétique
des genres et des écoles que sur la signification humaine des grandes œuvres
de la littérature nationale et mondiale. C'est en elles que l'adolescent
découvre les multiples aspects de la nature humaine, ses caractéristiques
universelles et ses variations dans l'espace et dans le temps, c'est par un
dialogue constant avec elles qu'il approfondit et affine sa propre personna-
lité. C'est pourquoi l'analyse fouillée de quelques œuvres majeures est de
plus de profit qu'un cours d'histoire littéraire agrémentée de morceaux
choisis, si bien choisis soient-ils. La comparaison de textes nationaux et de
textes étrangers sur des thèmes semblables apporte un enrichissement
supplémentaire : le mot « humanisme » prendra son plein sens lorsque, à côté
de Shakespeare, Molière, Tolstoï, Goethe et Cervantes, seront enseignés les
Jatakas indiens, les Rives du lac de Lo Pen, Y Histoire de Kiêu du Viet Nam
ou les littératures orales de l'Afrique.
L'«enseignement littéraire» s'articulera avec celui de l'histoire, de la
géographie, des institutions économiques, sociales et politiques, qui prépa-
rent l'individu à l'insertion dans son milieu, puis dans la société internatio-
nale. Il importe que l'adolescent connaisse, à sa sortie de l'école, les
mécanismes de fonctionnement de l'État, afin d'exercer pleinement ses
droits et ses devoirs, qu'il ait une notion des grands problèmes mondiaux
dont lui parlent la presse, la radio, la télévision, et à la compréhension
desquels l'auront déjà préparé l'histoire et la géographie. Celles-ci devront
abandonner le point de vue événementiel, nationaliste et même raciste,
qu'on rencontre encore, pour se placer résolument dans une perspective
universelle, seule conception possible à une époque où les progrès de la
science créatrice et destructrice ont rendu solidaires les nations et les
hommes.
La géographie et l'histoire auront à montrer l'étroite interdépendance des
phénomènes physiques et humains, des civilisations et des peuples. Si
l'échantillonnage et l'étude régionale intéressent l'enfant parce qu'ils lui

97
Annuaire international de l'éducation

parlent de faits à portée de sa main (la localité qu'il habite, ses cultures, ses
industries), de telles méthodes, même situées dans le cadre d'un État,
demandent beaucoup de temps et risquent d'exagérer l'attention accordée
aux questions provinciales aux dépens d'un point de vue mondial. C'est
pourquoi il faut mettre l'accent sur la géographie et l'histoire générales, qui
transcendent les frontières politiques — dont elles auront établi le caractère
conventionnel —, examinent à l'échelle du globe les phénomènes de
population, de production et de consommation, ceux de communications, de
transports et d'échanges, étudient les guerres et les paix, les mouvements
religieux et idéologiques, les rencontres de civilisations.
Géographie et histoire se complètent heureusement, car l'une s'efforce
d'appréhender ce qu'il y a de permanent dans les conditions d'adaptation de
l'homme à son milieu (compte tenu des changements techniques), l'autre
raconte et explique son évolution en fonction de ses propres créations et de
l'apport d'autres cultures. L'histoire nationale développe chez l'enfant
l'amour de la patrie et le prépare au rôle futur de citoyen, mais elle doit lui
montrer aussi bien ce que sa patrie a reçu du monde que ce qu'elle lui a
donné. Dans la plupart des manuels, de quelque pays que ce soit, l'orgueil
national l'emporte sur la vérité historique: les contacts entre États s'y
réduisent à la guerre, dont on rejette la responsabilité sur autrui ou qu'on
justifie par quelque «mission civilisatrice», 1'«infériorité» des autres
peuples ou la «défense de la liberté». Il ne s'agit pas de nier les guerres et
les conflits internationaux, il s'agit de les expliquer de la manière la plus
objective possible et, en même temps, d'exposer l'importance beaucoup
plus grande que revêtent, pour la vie et le développement des peuples, les
emprunts culturels qu'ils ne cessent de se faire. Pour que l'enfant prenne
conscience du patrimoine commun de l'humanité, il est bon que l'histoire
lui soit présentée dans son unité, comme un ensemble cohérent, dans un
ordre logique (c'est-à-dire ici chronologique) et non comme une juxtaposi-
tion d'«histoires» particulières ainsi que lui en donne l'impression le
découpage des programmes.
L'histoire mondiale montre qu'aucune culture n'est «pure», que les plus
grandes civilisations se sont construites en empruntant à d'autres civilisa-
tions qui les ont fécondées. En Asie, le Japon a importé de Chine, par le
truchement de la Corée, l'écriture, le bouddhisme, le confucianisme et des
institutions politiques. La Chine a été vivifiée par le bouddhisme indien tout
comme le Viet Nam et les deux autres pays. L'Islam a repris l'héritage grec
et l'a retransmis à l'Europe au Moyen Âge, en y ajoutant ses propres
contributions philosophiques, scientifiques et techniques.
En Europe, les deux supports de toute civilisation avancée, l'écriture et le
papier, sont originaires d'Asie. L'alphabet grec, transmis aux Latins par les

98
L'éducation interculturelle

Étrusques, a été adapté du phénicien, qui est lui-même à l'origine des


écritures européennes. Le papier est venu d'abord du papyrus égyptien, puis
du parchemin fabriqué à Pergame, avant d'être remplacé au XIIe siècle par le
papier de chiffon d'origine chinoise, transmis par les Arabes. En matières
médicale, mathématique et philosophique, la Grèce a emprunté beaucoup
d'éléments à l'Egypte, à la Mésopotamie et à l'Inde.
Ce qui caractérise le monde actuel, c'est le développement incessant des
sciences et des techniques, que symbolisent les médias et particulièrement
l'ordinateur, et qui entraînent de profondes répercussions dans tous les
domaines. Il en résulte deux exigences: une éducation scientifique et
technique pour tous et pas seulement pour une élite, et un développement de
l'esprit critique, car le flux d'informations que véhiculent les médias est tel
que l'individu risque d'en être submergé et de ne pas savoir s'en servir.
L'école doit lui apprendre à être actif et critique afin de pouvoir trier
l'information utile, juger le contenu des messages, distinguer l'objectif du
subjectif: une image qui est montrée sur un écran n'est pas nécessairement
«vraie», parce qu'on aurait pu montrer une image contraire, de même que
deux ou trois passants n'expriment pas l'opinion de «monsieur tout-
le-monde» parce qu'ils ont été «choisis» consciemment ou inconsciemment
par le présentateur.
Beaucoup d'enfants ne bénéficient pas de l'enseignement scientifique et
technique qui, dans de nombreux pays en développement, commence au
niveau moyen ou secondaire — où ils n'accèdent guère (vu l'importance
des déperditions dans le primaire et le caractère très sélectif du passage au
secondaire). Pour y remédier, il convient d'introduire ou de renforcer
l'enseignement scientifique et technique dès l'école primaire.
Cet enseignement sera intégré. L'enseignement scientifique ne consiste
pas en une série de leçons de choses portant sur des animaux, des végétaux,
des minéraux. Il consiste à apprendre à l'enfant à étudier les problèmes qui
se posent en ce monde : pourquoi un arbre donne ou ne donne pas de fruits,
pourquoi la pluie tombe ou ne tombe pas, pourquoi la sécheresse, pourquoi
la pollution, etc. Il s'agit de former l'esprit d'observation, le raisonnement
critique, le sens de la généralisation, en partant de l'étude du milieu. Un
certain nombre de pays ont un programme d'«étude du milieu» à l'école
primaire; malheureusement, celui-ci est axé sur l'histoire et la géographie
plutôt que sur la science et la technologie. La raison en est souvent
l'insuffisance de qualification des enseignants ainsi que de l'équipement
scientifique et technique. Cependant, il serait possible d'élaborer un maté-
riel simple à partir des matériaux locaux. Quelques pays ont créé des centres
de production d'équipements scientifiques (en Afrique, le Kenya, le Nigéria,
le Ghana, la Zambie), initiative qu'il faudrait généraliser.

99
Annuaire international de l'éducation

Un préjugé courant est que les milieux techniquement pauvres ne


possèdent pas les ressources capables de susciter chez l'enfant les capacités
d'observation, de raisonnement et d'invention. Certes, si toutes les cases
sont rondes, si aucun objet n'est carré, l'enfant ne peut concevoir le carré, à
moins que le livre ne le lui apprenne. En réalité, il y a toujours des
ressources, même si elles sont limitées. Je citerai le jeu appelé awélé chez
les Baoulé, mais répandu dans toute l'Afrique et une grande partie de l'Asie,
qui consiste à faire circuler des graines ou des cailloux sur une ou deux
trajectoires cycliques figurées par deux ou quatre rangées de cases creusées
dans un socle de bois ou simplement dans le sol. Il en existe plus d'un
millier de variantes. Dans Y awélé, chaque joueur dépose quatre graines dans
chacune des six cases et joue alternativement. Il prend dans une case toutes
les graines qui y sont contenues et les sème, une par une, dans les cases
suivantes, en allant de droite à gauche. Si la case de l'adversaire où il
dépose sa dernière graine contient, avec celle-ci, deux ou trois graines, il les
prend toutes et les sort du jeu; il prend aussi toutes les graines des cases de
l'adversaire qui la précèdent sans interruption, si elles contiennent deux ou
trois graines. Aussi longtemps qu'il le peut, chaque joueur doit fournir des
graines à l'autre. Celui qui réussit à prendre la moitié des graines du jeu (au
nombre de vingt-quatre) a gagné.
Ce jeu de stratégie, aussi complexe que les échecs ou les dames, favorise
la structuration spatiale, l'analyse logique, le calcul mental, c'est-à-dire le
développement cognitif en général. Avec Y awélé, on peut illustrer l'analyse
combinatoire, la réduction d'un graphe relationnel, la détermination de la
stratégie gagnante par récurrence, le calcul des probabilités (A. Deledico et
A. Traore, 1979, p. 36-42)
Tous les éducateurs sont d'accord sur les avantages éducatifs du jeu: il
contribue non seulement au développement intellectuel, mais aussi à la
socialisation, puisque jouer c'est respecter des règles fixées par le groupe.
L'introduction de jeux tels que Yawélé dans les écoles du «Nord» aura,
outre l'intérêt de la nouveauté, celui de faire disparaître ou d'atténuer les
préjugés à l'égard de l'esprit scientifique et technique du «Sud».
Une préoccupation commune aux pays développés et en voie de dévelop-
pement est celle de l'environnement, ou mieux: de l'écosystème, c'est-
à-dire des relations entre l'homme et son milieu. Si la perception des
nuisances industrielles et urbaines ne date pas d'aujourd'hui, c'est au cours
des années 70 dans les pays industriels et, plus récemment, dans les pays en
développement que s'est fait jour une conscience écologique qui considère
ces nuisances non plus comme des accidents de la croissance, mais comme
ses conséquences inéluctables, pouvant mener à la destruction de la
planète.

100
L'éducation interculturelle

L'éducation écologique s'adresse aux enfants et aux adultes pour leur


faire prendre conscience de cette situation et développer leur sens de la
responsabilité vis-à-vis de la biosphère. La nature fait aussi partie du
patrimoine commun de l'humanité. Mais l'exposé ne peut être seulement
descriptif. L'enseignant doit rechercher les causes de la dégradation de
l'environnement, vérifier de façon critique ce que disent les médias. Est-elle
due au nombre des hommes ou à la croissance des industries? Barry
Commoner a réuni des statistiques significatives (citées dans la revue
Population, mai-juin 1972): au cours de la période 1946-1968, la produc-
tion d'engrais non organiques azotés, d'insecticides, de détergents phospha-
tés, de plomb tétraéthyle et d'oxydes azotés (dans l'automobile), de
bouteilles de bière en plastique, a varié entre 267 et 845%, la croissance
démographique entre 30 et 42% seulement. Et, dans le Nord, les Pays-Bas,
où la densité de la population est de 350 habitants au km2, souffrent moins
de la pollution que les États-Unis d'Amérique où la densité est de 22
habitants au km2.
Enfin, l'éducation doit faire prendre conscience des autres interdépendan-
ces (économique, politique, etc.) à l'échelle de la planète. Avec un
cinquième de la population du monde, les pays riches consomment les deux
tiers de ses ressources, dont ils gaspillent une grande part. Cette consomma-
tion est prélevée non seulement sur leurs propres territoires, mais aussi sur
ceux du Sud. Ainsi, les exportations du soja par le Brésil en direction du
bétail européen, de la viande par le Guatemala, etc., se font au détriment des
terres appartenant aux petits paysans, au profit de la minorité possédante
locale et des riches des pays occidentaux : ils ont partie liée par multinatio-
nales de l'agro-commerce interposées. Ce sont donc les pauvres qui
nourrissent les riches. Une éducation véritablement internationale ou inter-
nationaliste doit faire comprendre à l'opinion publique de l'Occident que
celui-ci ne peut prêcher la diminution de la croissance démographique dans
le Sud sans modifier son propre mode de vie (alimentation, papier, etc.),
dégageant ainsi des ressources pour améliorer la condition des pauvres.
Tout ce qu'on vient de dire suppose une certaine éthique. Celle-ci est
partie intégrante de la culture et on ne peut parler de développement culturel
sans développement éthique. Y a-t-il des valeurs universelles? Toutes les
religions ont édicté des règles, dont certaines sont les mêmes. Dans le
bouddhisme, les laïcs doivent s'abstenir de détruire la vie, de prendre ce qui
n'est pas donné, d'avoir des relations sexuelles illicites, de mentir, d'absor-
ber des boissons enivrantes (les moines sont soumis à cinq interdits
supplémentaires). La Bible, reprise par le Coran, édicté, outre l'adoration du
Dieu unique, le respect des parents, l'interdiction de tuer, de commettre
l'adultère, de voler, de porter un faux témoignage, de convoiter les biens et

101
Annuaire international de Véducation

la femme du prochain. Dans la réalité, ces prescriptions ne sont pas toujours


observées, même par les religieux. Leur non-respect est parfois justifié par
des arguments plus ou moins casuistiques: dans le Japon des samouraïs,
certains textes affirment que si l'ennemi se jette sur vous, c'est le sabre qui
tue et non l'homme qui le tient, d'autres justifient l'acte de tuer lorsqu'il
s'agit d'éviter à autrui de tuer (plutôt pécher que laisser pécher), etc. De
l'autre côté du Pacifique, lors de la conquête de l'Amérique, l'Église
catholique ne considérait pas les Indiens comme des «hommes», ce qui
justifiait leur massacre, leur exploitation, le mépris des traités et de la parole
donnée.
De même, toutes les grandes religions admettent l'égalité de l'homme et
de la femme, ce qui n'a pas empêché que la condition sociale de celle-ci soit
inférieure à celle de l'homme dans la quasi-totalité des sociétés. Tous les
États, ou presque, déclarent vouloir la démocratie et respecter les droits de
l'homme. Mais on peut relever partout, au Nord comme au Sud, des
violations constantes de ces droits. D'ailleurs, les mots ne s'interprètent-ils
pas de bien des façons? Et la démocratie a-t-elle le même sens pour le
dominant et le dominé, l'exploiteur et l'exploité? Pour ne pas être trop
pessimiste, il me semble cependant que l'éducation peut proposer un certain
nombre de valeurs sur lesquelles l'accord est majoritaire, sinon unanime:
valeurs scientifiques comme l'esprit d'observation et de démonstration,
comme le raisonnement critique; valeurs sociales telles que la démocratie, la
justice, l'honnêteté, le respect de l'autre (de sa personne, de sa culture), la
préservation de l'environnement, la lutte pour la compréhension internatio-
nale et pour la paix. Mais ne dissimulons pas les difficultés de l'éducation
morale et civique lorsque la pratique quotidienne est contraire aux normes
prônées : comment former à la démocratie lorsque les lois sont bafouées ? au
socialisme lorsque le vol des biens publics est chose courante? au respect
des droits de l'homme dans une société discriminatoire et raciste? Le
socialisme a cru pouvoir former 1'«homme nouveau» en inculquant son
idéologie aux enfants, aux jeunes, dans les classes, dans les médias et dans
les organisations de jeunesse, mais la pratique a révélé trop d'écarts entre le
discours et la réalité, et la réalité l'a emporté sur le discours. On peut espérer
cependant que, lorsque la violation des lois, la discrimination et le racisme
ne sont le fait que d'une petite minorité de la population, l'éducation pour la
démocratie, les droits de l'homme et la compréhension mutuelle des
cultures portera ses fruits. La différence entre le sociologue et l'éducateur,
c'est que l'éducateur est optimiste...

102
L'éducation interculturelle

SENSIBILITÉ ET CRÉATIVITÉ ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES

La conception intellectualiste de la culture comme héritage a fait de l'école


un lieu consacré à la transmission de connaissances par le maître plutôt que
voué à des activités d'expression et de création personnelles de l'enfant.
«Objet» de l'enseignement, celui-ci en est réduit à recevoir ce que l'adulte
estime nécessaire à sa future existence sociale et professionnelle, alors qu'il
est au premier chef responsable de son devenir et appelé à participer de plus
en plus activement à la construction de son être, au fur et à mesure de son
développement. Or la culture, on l'a dit, n'est pas seulement un acquis, elle
est aussi une dynamique vivante qui absorbe et interprète constamment tous
les objets nouveaux qui surgissent devant elle. De même que l'école doit
s'ouvrir sur l'environnement national et international, de même doit-elle
faire place à l'imagination et à l'affectivité, au développement de la
sensibilité, de la créativité artistique et littéraire. Le maître ne sera plus
seulement un transmetteur de savoirs, mais un médiateur entre l'enfant et le
monde, celui qui l'aide à se découvrir, à épanouir toutes ses facultés, à vivre
dans la beauté, en équilibre avec son moi sans oublier l'extérieur, à réaliser
l'un des besoins essentiels de l'homme: la joie.
De cette joie, l'art au sens le plus large du terme (la littérature en fait
partie) constitue l'une des sources les plus hautes. L'éducation doit former
le goût, le sentiment esthétique, mais aussi la créativité, la capacité
d'imaginer, d'exprimer, de créer. Mais qu'est-ce-que le beau? Il y a
longtemps que nous ne croyons plus au beau absolu. Le beau, nous dit Kant,
est sans concept. On ne peut le définir, le jugement de goût est toujours
singulier. L'émotion queje ressens devant une œuvre d'art, je ne sais si mon
voisin la ressent, elle est purement subjective. Et, pour Valéry, le beau est
«ce qui désespère».
Toutes les civilisations ont essayé de codifier le beau, de lui appliquer des
canons. Elle reste insaisissable. De plus, elle change, parce que le regard
change, grâce à des créateurs qui ont su sortir des sentiers battus. C'est
souvent la rencontre d'un autre art, d'une autre manière de voir le monde et
les hommes, qui favorise l'invention. C'est ainsi que, à la suite de l'avance
d'Alexandre vers l'Inde, l'hellénisme a influencé les arts de l'Asie occiden-
tale et centrale, particulièrement l'urbanisme et la sculpture. Alors que
jusque-là les artistes bouddhistes n'avaient pas osé représenter le Bouddha
en tant qu'être humain, mais indiquaient sa présence par des symboles (la
roue, le lotus, etc.), l'école du Gandhara a été peut-être la première à
modeler son visage d'après les traits de l'Apollon grec, sauf pour le sourire.
Avec l'expansion du bouddhisme, cette image ira influencer la Chine, la
Corée, le Viet Nam, le Japon.

103
Annuaire international de l'éducation

On connaît l'aventure de l'art européen d'aujourd'hui. La découverte de


l'estampe japonaise a été aussi décisive pour la formation de l'impression-
nisme que celle de la sculpture africaine pour le cubisme. Au milieu du
XIXe siècle, les peintres se sont trouvés dans une impasse à cause de
l'irruption de la photographie. Dans l'estampe japonaise, ils trouvèrent des
solutions : abandon du réalisme, couleurs éclatantes sans modelé, perspecti-
ve à deux dimensions, pratique des aplats. «Hiroshige est un merveilleux
impressionniste», écrit Pissarro. Van Gogh cherche dans le midi de la
France l'équivalent du Japon. Il écrit à son frère Théo: «Ici, au bout de
quelque temps, la vue change, on voit avec un œil plus japonais, on sent
autrement la couleur. » Dans une autre lettre, il loue les lignes et le dessin de
Hokusai. Faisant allusion à l'une de ses estampes, il écrit: «Ces vagues sont
des griffes, le vaisseau est pris là-dedans, on le sent. »
Un demi-siècle plus tard, l'art nègre à son tour contribue à renouveler
l'expression plastique. Picasso, Matisse et d'autres sont frappés par son
extrême liberté en vue d'atteindre une vérité essentielle qui n'est pas celle
offerte par la seule vue des choses, mais imaginée ou pensée par l'artiste qui
abstrait les formes afin de mieux rendre l'idée qu'elles expriment. À la
même époque, le jazz naît aux États-Unis d'Amérique du folklore vocal des
Noirs américains qui assimile les chants religieux protestants pour ses
spirituals et des thèmes populaires européens pour ses ballades, puis ses
blues. Il débordera cette société pour conquérir l'Europe, puis le monde.
Toutes ces expériences montrent que la relativité du beau n'est pas totale.
Des hommes de cultures différentes peuvent apprécier les mêmes œuvres
autour desquelles se forme un consensus.
Si, de manière générale, l'éducation artistique et littéraire donne accès à la
riche diversité des cultures et de leurs critères esthétiques, la créativité est
une notion très complexe. Malgré de nombreuses études, on ne s'accorde
pas sur sa nature, ses mécanismes d'apparition et de fonctionnement, les
moyens de la développer. Du moins, la plupart des auteurs la lient-ils à
quatre aptitudes du sujet: la fluidité («produire un grand nombre d'idées»),
Inflexibilité (« donner des réponses très variées se rapportant à des domaines
différents»), Y originalité («produire des idées éloignées de l'évident, du
lieu commun, du banal») et Y élaboration («développer, élargir, embellir
des idées»). Ces différentes caractéristiques se rencontrent dans la créativité
scientifique comme dans la créativité artistique et littéraire, mais elles ne
sont pas toujours associées dans une personnalité unique, et les modes de
fonctionnement de la créativité ne sont pas forcément semblables selon le
moyen d'expression: verbal, plastique, sonore, etc. (Gratiot-Alphandéry,
1983).

104
L'éducation interculturelle

Si l'on ignore encore quelle est la «meilleure» pédagogie pour stimuler la


créativité de l'enfant, du moins des expériences intéressantes, menées dans
un grand nombre de pays, permettent-elles d'en tirer quelques enseigne-
ments.
La poésie étant le pouvoir qu'ont les mots de recréer le monde sensible en
libérant le langage de ses conventions et en réinventant les formes et les
sens, comment expliquer que son enseignement provoque chez l'élève
l'ennui plutôt que la séduction? La responsabilité en incombe aux méthodes
traditionnelles de 1'«explication de texte» et de la «récitation», lorsque la
première se réduit à une analyse grammaticale, sémantique et stylistique, et
la seconde à un exercice formel qui ne requiert que la mémoire. Ce qui est
essentiel, c'est de dégager le sens profond des œuvres, la richesse de leur
substance et de leurs formes, de faire appel à l'imaginaire et à l'affectif, de
susciter chez l'enfant le désir, le besoin de faire lui-même des poésies, de
lire pour le plaisir, non par obligation. C'est en partie à cause du dégoût
qu'ils ont conservé de l'école que les adultes lisent si peu et préfèrent la
télévision. De plus, s'il leur arrive de lire, ils choisissent plutôt les journaux
et les romans policiers. Or, quoi qu'on ait prétendu sur la disparition de la
«galaxie Gutenberg», le texte écrit reste l'instrument fondamental de
culture, car il propage le patrimoine de toute l'humanité et permet la
confrontation, la critique. C'est aussi le rôle de l'école d'enseigner la
lecture, à la fois vivante et critique, de l'écrit comme de la parole.
Le théâtre prolonge et complète cet enseignement. Il est en même temps
représentation du réel et de l'imaginaire. Il met en œuvre le langage, mais
aussi d'autres signifiants: les personnages, le décor, l'éclairage, les mouve-
ments, les couleurs. Tous les sens sont sollicités et le texte dramatique prend
toute sa signification. Dans l'approche traditionnelle, il fait l'objet d'une
analyse et d'une explication par le seul professeur; même s'il pose des
questions à ses élèves, c'est en fonction de sa propre démarche qui vise à
leur faire saisir le message de l'auteur. Mais ils ne participent pas. La
pratique du théâtre leur permet au contraire de s'exprimer réellement. Non
seulement elle rend vivant le texte, mais elle instaure des rapports de
communication très riches entre les élèves, entre ceux-ci et le professeur. Le
résultat en est aussi un plaisir pour tous, que ne peut jamais dispenser la
simple lecture.
La musique ouvre l'esprit de l'enfant et de l'adolescent à d'autres aspects
du monde, celui en particulier des sons et des rythmes. Son enseignement
doit l'encourager à s'exprimer par le chant, le jeu d'instruments, la danse.
Cela implique des méthodes actives et globales (la pratique d'abord,
l'analyse ensuite), et la participation de l'enfant à sa propre formation. La
musique présente l'avantage de transcender les barrières linguistiques et de

105
Annuaire international de l'éducation

parler directement au cœur. Avec la diffusion actuelle du disque et de


I'audio-visuel, l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud se rencontrent et se
métissent: l'enfant prend contact avec toutes sortes de traditions musicales
en dehors de la sienne et entre dans l'universel.
Les arts plastiques sont d'un accès sans doute plus difficile. Certes on
enseigne à l'école le dessin, mais en méconnaissant sa finalité qui est le
développement des facultés d'observation, de goût et d'imagination, tout
comme l'enseignement de la poésie tue la poésie. Ici aussi, il faut faire
confiance à la spontanéité de l'enfant pour qui le dessin représente un
moyen naturel d'exprimer sa vision du monde à chaque stade de son
développement. Ce qui n'exclut pas l'intervention du maître appelé à
critiquer, non pour brimer et freiner, mais pour encourager l'activité
créatrice et faire découvrir la beauté dans la vie quotidienne. On connaît la
remarquable expérience de Ramsés Wissa Wassef (1914-1974), qui fonda
dans un quartier populaire du Caire une école de tapisserie où des métiers à
tisser étaient mis à la disposition d'enfants laissés totalement libres de créer
ce qu'ils voulaient. La vitalité de la tradition artistique parmi ces jeunes
déscolarisés leur fit créer des chefs-d'œuvre, que le monde reconnut comme
tels lorsqu'ils exposèrent leurs tapisseries pour la première fois à Bâle en
1958.
Cette expérience montre aussi que l'éducation culturelle et artistique
dépend moins des moyens matériels que d'une conception pédagogique qui
fait confiance à la créativité de l'enfant et à la foi du maître. Il n'est pas de
milieu, même techniquement pauvre, qui ne recèle des ressources capables
de susciter chez l'enfant les capacités d'observation, de raisonnement et
d'invention. J'ai cité plus haut le jeu de Yawélé. Il en est de même pour les
contes et les proverbes: s'ils sont nécessairement enracinés dans un certain
milieu socioculturel, ils sont, par leur message, universels.
En conclusion, l'école doit abandonner l'orientation trop exclusivement
intellectualiste qui a été jusqu'à présent sa priorité et retrouver sa vocation
fondamentale qui est d'épanouir toutes les facultés de l'enfant en l'enrichis-
sant de tous les apports de la planète. C'est à cette condition qu'elle lui
donnera les moyens de comprendre sa société et son temps, mais aussi de
trouver son équilibre et d'inventer sa propre vie.

PROBLÈMES DE MISE EN ŒUVRE

L'introduction d'une éducation interculturelle telle qu'elle a été présentée


pose des problèmes nombreux et difficiles.

106
L'éducation interculturelle

À l'école, on l'a dit, elle ne doit pas constituer une discipline supplémen-
taire, mais imprégner toutes les autres. Cela signifie que l'horaire ne doit
pas être augmenté, mais aménagé pour que la littérature, l'histoire, la
géographie, les arts, etc., fassent une place à d'autres cultures que la culture
nationale. L'aménagement se ferait selon le critère de compréhension du
présent et du passé qui explique le présent. Dans les classes où sont
représentées plusieurs cultures, c'est à elles que l'enseignant consacrerait le
plus d'attention, en utilisant toute la documentation, écrite et audio-visuelle,
dont il dispose, en faisant parler les enfants et, éventuellement, les parents.
À l'école maternelle et primaire, l'effort serait surtout de sensibilisation. Il
serait prolongé au niveau moyen et secondaire par un approfondissement
des questions.
Trois problèmes se posent: la préparation du matériel didactique, en
particulier des manuels; le rôle des médias; la formation des enseignants.

LE MATÉRIEL DIDACTIQUE

Avec la qualification des enseignants, l'insuffisance du matériel didactique


est le problème le plus grave pour les pays pauvres, surtout au niveau
primaire. D'un autre côté, beaucoup de ces pays, en Afrique notamment,
sont pluriculturels, de sorte qu'on trouve sur les bancs de l'école des
représentants d'un grand nombre d'ethnies. L'enseignant pourra utiliser le
riche trésor de la littérature populaire (contes et fables, dictons et prover-
bes), des objets et des jeux, ainsi que des images de l'art, pour ouvrir l'esprit
de l'enfant à la connaissance de l'autre. Certes la culture négro-africaine
révèle une grande unité, à cause sans doute du mode de production agricole
d'autosubsistance ne disposant que de faibles moyens techniques et du
caractère communautaire de la propriété du sol. D'où une certaine concep-
tion du monde, une certaine manière de vivre, de penser, de sentir,
d'éduquer, qui se retrouve partout. Mais sous cette unité relative, on trouve
une grande diversité de croyances et de pratiques. L'enseignant pourra
comparer, par exemple, les contes de «l'Araignée et du Lièvre» dans
l'Ouest africain, les masques de la savane et de la forêt, pour en dégager
ressemblances et différences.
D'une manière générale, pour étudier une culture donnée, il vaut mieux se
référer à des sources internes plutôt qu'externes. On peut admettre en effet
qu'un auteur qui en est originaire la comprend mieux qu'un étranger, parce
qu'il y a été élevé dans les valeurs et les pratiques dont la communauté lui a
transmis les significations. Mais il y a aussi les inconvénients de la
familiarité: par manque de recul, on ne voit plus les problèmes, on ne se

107
Annuaire international de l'éducation

pose plus de questions sur telle ou telle institution. L'étranger, au contraire,


à condition qu'il se débarrasse de tout ethnocentrisme, peut observer avec
plus de détachement et moins de subjectivité. En outre, deux personnes
appartenant à la même culture peuvent en avoir des appréciations différentes
selon leur classe sociale, leur sexe, leur expérience, leur idéologie. Voici
deux interprétations différentes de la sexualité en Islam, l'une masculine,
l'autre féminine. Pour Abdelwahab Bouhdiba, «le modèle islamique se
présente comme une synthèse harmonieuse et un ajustement permanent de
la jouissance et de la foi [...]. Le social profite tout à la fois de la majesté du
sacré et de la puissance de la libido [...]. L'existence islamique sera faite dès
lors de l'alternance et de la complémentarité de l'invocation du verbe divin
et de l'exercice de l'amour physique» (1982, p. 7-8). Fatna Ait Sabbah est
d'un avis tout à fait contraire. Si la sexualité n'est pas affirmée comme
contraire à l'ordre, «sa composante humaine la plus incontrôlable, la plus
versatile, la plus riche en virtualités, c'est-à-dire le désir, est identifiée en
même temps comme la source et la substance de l'illicite [...], l'incarnation
des forces du désordre» (1982, p. 189-190). Or le désir qui subvertit la
raison, fondement de l'ordre, assise de la religion, c'est la femme. C'est
pourquoi elle est reléguée au foyer où sa beauté s'exprime dans le silence et
l'obéissance. Selon un dicton maghrébin, la femme ne sort de la maison que
deux fois: pour se rendre chez son mari et pour la tombe (Driss, 1979,
vol. I, p. 66).
Une tâche indispensable est de réviser les livres, les manuels, lorsque les
idées et les images qu'ils contiennent portent une atteinte grave à la vérité,
au respect de l'autre. Deux articles publiés dans le Courrier de ¡'UNESCO
de mars 1979 ont examiné le racisme dans les manuels scolaires. «La
colonisation et des formes déguisées d'esclavage, écrit l'Américaine Beryl
Banfield, sont présentées comme autant de bienfaits pour les peuples du
tiers monde, puisqu'elles leur ont apporté la discipline et des bienfaits
techniques dont ils n'avaient pas connaissance.»
En ce qui concerne les Maoris de Nouvelle-Zélande, «rien n'est dit de la
destruction de leur culture, et le recours à la force pour en imposer une autre
se trouve également justifié par la nécessité de maintenir la paix». En
Amérique du Nord, la culture des Indiens des Forêts de l'Est est présentée
comme inférieure à celle des Européens, alors que la « société indienne était
politiquement plus évoluée que l'européenne pour la participation des
femmes aux décisions politiques, et, plus généralement, le rôle dévolu à
chacun dans la vie de la communauté. L'organisation de la Confédération
iroquoise devait d'ailleurs servir de modèle aux colonies américaines quand
elles décidèrent de fonder une nouvelle nation».

108
L'éducation interculturelle

L'ethnocentrisme et le racisme ne sont pas propres à l'Occident. On les


trouve aussi dans le Sud, du moins dans certaines parties du Sud. Dans le
même numéro du Courrier de ¡'UNESCO, l'Argentin Hugo Ortega examine
comment l'histoire de l'Amérique est vue dans des ouvrages récemment
publiés en Argentine. Tout y est présenté du seul point de vue «blanc» et
«occidental». L'Amérique est «découverte», ce qui signifie «que le
continent, ses habitants et ses richesses n'ont acquis de valeur que parce
qu'ils ont été trouvés et reconnus depuis et par le centre du monde,
c'est-à-dire l'Europe. Rien d'étonnant alors à ce que la civilisation (les
vêtements, les grands bateaux, les hommes blancs, la faculté d'imposer des
noms aux lieux et aux gens) soit du côté de l'Amérique [...]. Le plus ancien
habitant du continent américain est dépeint de façon péjorative, à moitié nu,
sauvage, coiffé de plumes, irrationnel et inférieur au Blanc européen [...].
Tout cela représente une négation et une sorte de génocide culturel».
Nulle société, nous l'avons dit, n'est assez pauvre pour ne pas pouvoir
fournir certaines ressources à l'enseignement, y compris l'enseignement
scientifique et technique. Leur insuffisance peut être complétée par coopéra-
tion internationale, par exemple le jumelage d'écoles, les unes offrant des
livres et autre matériel pédagogique, les autres des contes, des poèmes, des
dessins, des produits artisanaux. Les échanges d'enseignants et d'élèves
sont très enrichissants pour tous, mais évidemment difficiles à organiser
pour les pays pauvres. L'UNESCO a créé en 1953 un réseau d'«écoles
associées», dont le but est de contribuer à la compréhension internationale
et à la paix en mettant l'accent sur les problèmes mondiaux et le rôle des
Nations Unies, les droits de l'homme, la connaissance des autres pays et de
leurs cultures, l'homme et son environnement. L'Organisation encourage la
mise au point de nouveaux programmes, matériels et méthodes d'enseigne-
ment sur ces thèmes, la diffusion de l'information, les contacts et échanges
entre les institutions participantes, auxquelles elle fournit une documenta-
tion de base et qu'elle aide à organiser des ateliers et des séminaires. De
trente-trois écoles secondaires dans quinze États en 1953, le réseau est passé
en 1992 à plus de 2800 institutions de tous niveaux dans cent quatorze
pays.

LE RÔLE DES MÉDIAS AUDIO-VISUELS

Les médias audio-visuels, surtout la télévision, occupent une place considé-


rable dans la vie de beaucoup d'enfants et de jeunes, pour le meilleur et
pour le pire. C'est pourquoi, à côté de leur rôle comme moyens d'enseigne-
ment, ils doivent être objet d'enseignement, objet d'étude critique pour que

109
Annuaire international de Véducation

l'individu sache trier l'information, s'en servir pour son dévelopement


personnel et ne pas être manipulé. L'aide des adultes est indispensable pour
un usage profitable des médias, à condition évidemment qu'ils aient
eux-mêmes l'esprit critique.
Cette éducation critique doit commencer dans la famille où les parents
doivent s'imposer à eux-mêmes une certaine discipline dans la «consomma-
tion » de la télévision, ne serait-ce que pour préserver la communication au
sein du foyer. Ils seront relayés par les enseignants qui organiseront des
groupes de discussion à propos d'une émission ou d'un film. Les élèves
apprennent mieux lorsqu'ils jouent un rôle actif: lorsqu'ils ont à préparer la
discussion, à rechercher la documentation nécessaire, à répondre à des
questions. Par exemple, à propos d'un documentaire sur une culture
étrangère, l'enseignant leur posera des questions telles que: Comment a-t-il
été réalisé ? Avec ou sans la participation des nationaux ? Ceux-ci intervien-
nent-ils au cours de l'émission ou du film? Qui sont-ils (hommes, femmes,
jeunes, adultes)? Quelle est leur condition sociale? Leurs opinions sont-
elles convergentes ou contradictoires, sur quels points et pourquoi? etc.
Éventuellement, l'enseignant peut faire venir des personnes ayant voyagé
dans le pays, connaissant la culture en question. L'esprit critique se forme à
partir d'une confrontation de points de vue, en observant des contradictions
éventuelles dans le message, entre celui-ci et d'autres données, en vérifiant
si les affirmations sont démontrées ou non, etc. Le cinéma, la télévision, la
radio peuvent jouer un rôle important pour sensibiliser les esprits à la
découverte de l'autre, pour ouvrir leurs horizons, pour leur faire respecter
les différences, en rendant compte des manifestations culturelles (exposi-
tions d'œuvres d'art, de photos, tournées théâtrales, récitals), en présentant
des documentaires honnêtes, des films, des émissions en provenance
d'autres pays, en organisant des débats sur des thèmes donnés, etc. Ils
devraient éviter de présenter des pays ou des populations en évoquant des
stéréotypes ou des clichés réducteurs et erronés. La déontologie du journa-
liste n'existe pas partout, elle n'est pas toujours respectée lorsqu'elle existe
ou donne lieu à des interprétations divergentes; surtout elle ne parle pas de
ses responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale. Le journalis-
te, lui, peut être manipulé par des États ou des puissances économiques et
financières qui ont intérêt à «désinformer» l'opinion en vue d'un certain
état des choses.

110
L'éducation interculturelle

LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

Tous les développements précédents montrent l'extrême importance de la


formation des enseignants pour la réussite d'une éducation interculturelle
authentique. L'interculturel doit imprégner toutes les disciplines qui leur
sont enseignées dans les écoles normales : histoire, sociologie, psychologie,
etc., alors qu'il fait actuellement défaut la plupart du temps. L'éducation
comparée, en particulier, est enseignée dans très peu de pays, n'étant pas
considérée comme prioritaire.
Celui qui est appelé à enseigner dans des classes multiculturelles devrait
recevoir un minimum d'information sur les cultures qu'il aura devant lui,
afin d'éviter l'incompréhension des valeurs propres à chaque groupe, et des
significations que ce groupe attache à certains signes et symboles. Il faut
qu'il sache, par exemple, que, dans les cultures d'Asie et d'Afrique, on ne
regarde pas le maître dans les yeux. Il s'agit d'une attitude de respect: il est
impoli de regarder dans les yeux de quelqu'un qui est plus âgé que vous, ou
qui est votre supérieur. De même, dans certaines cultures, on dit «oui» non
pas en hochant la tête de haut en bas, mais en la tournant de gauche à
droite.
La connaissance est nécessaire, mais plus encore peut-être la sensibilité,
l'ouverture, la capacité de se mettre à la place de l'autre, qualités qui
s'apprennent aussi. C'est ainsi que dans une banlieue parisienne (Nanterre),
une de ces banlieues devenues le théâtre d'incidents dus au racisme, une
école maternelle, où 45% des 260 enfants sont d'origine étrangère et issus
principalement du Maghreb et d'Afrique noire, a été transformée par sa
directrice qui a fait de cette mosaïque ethnique « une source de richesse, un
ferment positif», selon ses propres expressions. C'est un article de la revue
Sources de l'UNESCO (juin 1991) qui décrit cette expérience, partie des
idées de paix, de respect des droits de l'homme, d'écoute de cultures
différentes. Comme le respect de la vie passe par celui de la nature, les
enfants cultivent un jardin-potager, élèvent des chats, des hamsters, des
tourterelles, des escargots. «D'où, discussions sur le pourquoi des cages, la
vie et la liberté», poursuit la directrice. «Du potager on passe à la cuisine,
de la cuisine aux cultures du monde, mais aussi à l'écriture et [à
l'arithmétique] des recettes.»
Les enfants ne manquent pas une occasion de faire la fête: chaque fête d'un des pays dont ils
sont originaires est l'occasion de cuisine particulière, de discussions, d'examens de la
planisphère du globe, de jeux. Au Nouvel An chinois, on offre du thé au jasmin, à la fin du
Ramadan on se maquille au henné. Musique et danse glissent du jazz aux rythmes africains, et
l'atelier de poésie passe du Français Prévert à la litanie maghrébine. Un cycle baptisé «au fil de
l'eau» a été consacré à la récurrence de ce thème dans la poésie du monde [...]. L'école croit à
la vertu de l'échange de la parole. Aucun sujet n'est tabou et la remarque d'un enfant qui

111
Annuaire international de l'éducation

annonce le décès de sa grand-mère ne se perd jamais dans un silence gêné. Là encore on s'initie
«au respect de l'intime de l'autre»[...]. L'ouverture de l'école, l'apprentissage de la tolérance à
la difficulté de vivre se forment aussi par la présence de quelques enfants handicapés. Enfin
l'école a su s'ouvrir aux parents qui «sont conviés régulièrement à des fêtes, invités à faire
partager leur culture, par des contes ou des plats traditionnels par exemple» (N. Michaux,
1991, p. 14).

C'est par de telles expériences, poursuivies, élargies, approfondies à tous les


niveaux, que l'école donnera aux enfants et aux jeunes la conscience, pour
reprendre une expression confucéenne, que «les hommes des quatre mers
sont frères».

RÉFÉRENCES

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de la Sorbonne. 236 p. (Homme et société, 92), bibl.
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112
L'éducation interculturelle

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(ED-86/WS/78.)

113
CHAPITRE V

Les défis des systèmes éducatifs


face à la dynamique
culturelle contemporaine
P. Dasen, P. Furter et G. Rist

CULTURE SCOLAIRE ET CULTURES CONTEMPORAINES

Ce chapitre est destiné avant tout à susciter un débat sur les rapports entre la
dynamique culturelle contemporaine et les processus de scolarisation. Dans
nos sociétés complexes, on peut observer un certain nombre de domaines où
les tensions sont considérables.

Extensions des systèmes éducatifs


Tout d'abord, l'extension de la couverture scolaire et surtout l'intégration
des institutions scolaires (et extrascolaires) au sein de « systèmes éducatifs »
ont eu pour conséquence le renforcement de la relative autonomie d'une
culture propre à ces «systèmes», que nous appellerons culture scolaire.
Nous entendons parla un système de normes, de valeurs, de règles de
fonctionnement d'institutions qu'un État élabore en fonction de ses structu-
res sociales, de son système socio-politique et socioculturel, et aussi de son
histoire. Cette culture scolaire se traduit par des contenus d'enseignement
(les programmes), des méthodes et des styles d'enseignement (la pédago-
gie), des équipements et des locaux («l'architecture scolaire»), des ensei-
gnants formés selon des méthodes strictes (les écoles «normales») qui
développent des attitudes, des comportements et des pratiques profession-
nelles caractéristiques (Furter, 1986). L'importance de cette culture scolaire
se manifeste dans le fait qu'elle tend de plus en plus à ne refléter qu une
partie de la culture d'érudition, celle qu'elle juge «transmissible», suffi-
samment « exemplaire » pour figurer au programme au risque de devenir un
simple simulacre de la dynamique culturelle.

Culture populaire et culture scolaire


Avec l'importance prise par l'industrialisation et la tertiairisation qui font
émerger une nouvelle structure sociale — la société «programmée» avec sa

114
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

conception de la science-performance —, l'articulation entre la culture


populaire et la culture scolaire change radicalement. Parallèlement à la
concentration urbaine, on voit émerger une centralisation scolaire et une
urbanisation de la culture scolaire qui accompagnent l'évolution d'autres
institutions socioculturelles (les églises, l'éducation et l'animation culturelle
des adultes, la formation professionnelle, les loisirs). Le «système éducatif»
se délocalise, rendant quasiment impossible son appropriation par les
pouvoirs locaux et/ou régionaux. Une telle rupture diminue de plus en plus
la capacité d'une collectivité locale ou régionale à remanier sans cesse son
identité, ses projets et les savoir-faire qui la spécifient (Furter, 1983).

Industrie de la culture
Enfin, l'extraordinaire dynamique culturelle contemporaine a multiplié et
diversifié les institutions et les agents impliqués ; les moyens de communi-
cation amènent des confrontations entre des cultures jusqu'alors restées
distantes; l'ensemble de ces cultures est devenu un produit manufacturé
grâce à 1'«industrie culturelle», ce que d'aucuns identifient parfois à la
«culture de masse», de sorte que le scolaire ne représente plus qu'un
secteur — certes stratégique — au sein de la nouvelle constellation
culturelle contemporaine. La culture ne se fait plus par le biais des seules
institutions faisant partie des «systèmes éducatifs» qui la diffusent de
moins en moins. D'autres institutions (la radio et la télévision, les sectes et
les forces armées, la publicité, les industries du loisir et du tourisme)
«éduquent», «forment» ou «cultivent» de façon plus efficace, plus
constante, plus systématique que la totalité des institutions scolaires — y
compris les «extrascolaires» — avec leurs bataillons d'enseignants complè-
tement dépassés par les crises successives (Coombs, 1965 et 1985). À cette
coupure progressivement instituée, dans tous les pays, entre la culture et
l'ensemble de ce qui forme la «culture contemporaine» s'ajoute, dans les
pays du Sud, l'opposition — construite selon les dichotomies caractéristi-
ques de la pensée occidentale — entre la «tradition» et la «modernité», et
entre la culture1 (anthropologique) et le «développement».

LA CULTURE COMME FACTEUR DE DÉMOCRATISATION

La dynamique culturelle contemporaine a été profondément marquée par les


préoccupations des organisations internationales et des gouvernements des
États membres pour définir des politiques culturelles et contribuer à les
implanter dans la mesure de leurs moyens. Les conceptions de ces
politiques culturelles ont constamment évolué. Tout d'abord, il s'agissait

115
Annuaire international de l'éducation

surtout de démocratisation culturelle, c'est-à-dire de redistribuer les «béné-


fices» d'une culture dominante à de plus vastes publics. Ainsi, on
encouragea la création artistique, la conservation et la diffusion des œuvres
d'art et du patrimoine. Le domaine des politiques culturelles s'étendit
ensuite aux formes scolaires et extrascolaires de l'éducation, à l'industrie
culturelle et de la communication, à la culture et à la vulgarisation
scientifiques. On s'efforça de décentraliser de nouvelles institutions et de
construire de meilleures infrastructures (voir les «maisons de la culture»,
par exemple); on créa de nouvelles professions avec des filières de
formation spécialisée; enfin, on mit plus d'ordre dans les finances et les
budgets culturels. Il n'en reste pas moins que, actuellement, la préoccupa-
tion majeure est d'instaurer une démocratie culturelle, par le truchement de
politiques qui, par-delà la diffusion des biens culturels et la démocratisation
de l'accès aux œuvres, ont pour objectif d'animer et de renforcer les cultures
populaires par l'appropriation collective des institutions, de leurs structures
et de leurs moyens par les «usagers». Dans une société de plus en plus
désorientée par le nombre de ses groupes culturels, il devient capital
d'assurer la participation des populations à la définition des finalités
culturelles du développement. Ainsi pourront-elles se prouver à elles-
mêmes et aux autres qu'elles sont également capables de s'exprimer
(Touraine, 1967). Ce qui implique de donner la priorité à la vie quotidienne
dans la dynamique culturelle, en travaillant à promouvoir des relations
humaines authentiques, une vie affective réussie, une véritable joie de vivre,
à stimuler la créativité (et pas seulement la création), et à soutenir la
communication, la confrontation et la décentralisation (Bassand et Hainard,
1985).
Ce n'est pas seulement au sein des politiques culturelles que le défi d'un
pluralisme (aussi culturel) se manifeste : la connaissance plus respectueuse
et attentive, puis la prise de conscience de l'existence simultanée de
civilisations distinctes — nullement convergentes a priori — mettent en
cause la réduction de cette diversité à «la» culture. La «perte de sens»
qu'éprouvent les sociétés actuelles n'est-elle pas liée à ce formidable
ébranlement des valeurs dites «universelles», telles qu'elles s'expriment
dans le droit international, les droits de l'homme, mais aussi de la culture
«universelle» — ce qui n'empêche pas d'y croire encore —, bref tout ce qui
fonde et contribue à la «compréhension universelle» toujours plus souhai-
tée? Par ailleurs, des événements récents montrent qu'au sein même des
civilisations coexistent des formes culturelles multiples dont la liberté
d'expression conduit à faire éclater des États-nations 2 .
Ces émergences ne remettent pas seulement en cause les structures du
pouvoir, elles révèlent aussi la vitalité de « survivances culturelles » qui se

116
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

transforment en actions culturelles porteuses de nouvelles identités et qui


appellent à de nouvelles unités culturelles. Cela est vrai non seulement au
niveau des États-nations, mais dans leurs interstices puisqu'il existe des
communautés sans territoire ni Etat propre qui revendiquent aujourd'hui
leurs singularités et leurs droits, soit à exister à l'intérieur d'États plus
démocratiques et plus pluralistes, soit à faire sécession. Soulignons cepen-
dant que ces mouvements restent difficiles à interpréter car ce désir de
pluralisme culturel est accompagné et renforcé par les différences de
comportements, d'attitudes et de participation selon les groupes socio-
économiques et socioprofessionnels.

LA DIFFICILE QUESTION LINGUISTIQUE

Le choix des langues véhiculaires de l'enseignement et la place faite aux


différentes langues dans ce qu'on peut considérer comme des «politiques
linguistiques » ont (trop) souvent dans le passé provoqué des conflits parfois
tragiques pour qu'on ne soit pas très attentif à leur généralisation avec
l'émergence des mouvements nationalistes. Ces situations ne sont pas
seulement la conséquence d'aveuglements au sujet du potentiel linguistique
dans un processus identitaire (voir l'appel à la langue «maternelle» !) ; elles
révèlent également les dilemmes auxquels sont acculées les dites politiques
linguistiques: faut-il systématiquement préférer aux langues «parlées», les
langues «écrites», ou aux langues nationales qui disposent de peu de
ressources pour leur diffusion, les langues «transnationales» qui facilitent
non seulement les échanges dans la communication, mais aussi la mobilité
des personnes ? Ces dilemmes résultent de la singularité du facteur linguis-
tique dans la dynamique culturelle, autrement dit sa fonction instrumentale
de communication et d'échanges qui ne cohabite pas facilement avec sa
fonction expressive ou symbolique lui permettant d'être un instrument
particulièrement efficace dans l'attribution d'un statut social comme dans
l'acculturation qui accompagne le processus identitaire. En d'autres termes,
le choix linguistique peut aussi bien faciliter la communication exogène
qu'il peut fermer une communauté sur elle-même. Cela signifie aussi que la
langue n'est qu'un facteur parmi d'autres de la dynamique culturelle. En
revanche, dans la perspective symbolique, la langue est un enjeu exception-
nel et spécifique que rien ne peut remplacer.
Si le bilinguisme, voire le trilinguisme, jouit de plus en plus souvent
d'une reconnaissance légale et pédagogique, il est néanmoins difficile
d'éviter la relative minoration/majoration de certaines langues, c'est-à-dire
l'imposition et la domination d'une langue considérée comme «supérieure»

117
Annuaire international de l'éducation

sur une ou d'autres considérées comme «inférieures» et à long terme


condamnées à être marginalisées (Ninyoles, 1977).
Il n'est pas toujours certain que des mesures légales suffiront à trouver des
solutions (Ninyoles, 1976). Ainsi, la naturalisation des langues selon le
principe territorial permet assurément à chaque territoire de s'unifier
linguistiquement au sein d'un État pluraliste; encore que cette «reconnais-
sance » suppose des moyens considérables, coûteux et dont les effets ne se
feront sentir qu'à long terme. Mais surtout, cette reconnaissance n'apportera
guère de solutions aux problèmes des «migrants» et n'assurera pas pour
autant le droit des personnes. En effet, cet ultime principe garantit aux
individus des services déterminés dans leur langue indépendamment du lieu
où ils se trouvent. Il s'agit là, à l'évidence, de questions essentielles qui ne
peuvent être résolues simplement par les éducateurs, ou à partir de la seule
réforme ou réorganisation des «systèmes éducatifs». Nous sommes, en fait,
devant une question fondamentale de la démocratie culturelle actuelle
(Petrella, 1976).
Il n'en reste pas moins que la question linguistique doit être prise en
considération dans les milieux éducatifs qui, une fois de plus, ont un rôle
stratégique à assumer. En effet, quelles que soient les solutions envisagées,
c'est pendant la scolarisation qu'une majorité ou même la totalité d'une
population renforcera, systématisera, intériorisera ses connaissances, son
acquisition et sa maîtrise du ou des code(s) linguistique(s) comme elle sera
initiée aux valeurs et aux normes transmises par la langue.

SOCIÉTÉS MULTICULTURELLES ET ÉDUCATION INTERCULTURELLE:


DES RÔLES AMBIGUS

Nous ne traiterons pas ici en détail les problématiques éducatives nouvelles


provoquées par la prise en compte du caractère multiculturel de toutes les
sociétés actuelles, ni des tentatives mises en place pour y répondre par une
éducation dite «interculturelle». On consultera à ce propos l'excellente
revue bibliographique préparée pour le BIE par Batelaan et Gundara (1991).
Nous nous contentons ici de relever quelques ambiguïtés importantes :

L'ambiguïté des mots


Il convient d'être attentif aux divergences quant à la définition des termes
utilisés dans ce domaine, en particulier entre les usages anglais et français.
Dans le questionnaire du BIE adressé aux pays membres pour préparer la
quarante-troisième session de la CIE, la définition suivante était proposée :
«Pour les besoins de ce questionnaire, le terme "interculturel" est pris au

118
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

sens d'interaction entre cultures, et le terme "multiculturel" signifie


coexistence et compréhension mutuelle entre diverses cultures dans la
même société» (p. 8). Dans le monde francophone, c'est l'utilisation inverse
de ces deux termes qui est habituelle. On parlera de « sociétés multicultural -
les», en particulier par rapport à la coexistence de plusieurs groupes
d'origines culturelles différentes, mais cela n'implique pas nécessairement
une « compréhension mutuelle ». En fait, la nature des interactions entre les
différents groupes dépend largement des attitudes de la société d'accueil.
Au Canada, l'usage est un peu différent, et on parle effectivement de la
«politique de multiculturalisme» qui vise explicitement à promouvoir la
tolérance entre individus et entre groupes.
Bien entendu, au sens strict, toutes les sociétés sont multiculturelles, et
l'ont toujours été: les migrations et les mélanges, y compris les conflits,
sont la substance même de l'histoire (Camilleri et Cohen-Emerique, 1989).
Tous les pays nés de la colonisation, avec des regroupements ethniques dans
des frontières plus ou moins arbitraires, et les pays de l'Europe de l'Est qui
ont nouvellement retrouvé leur indépendance, sont éminemment multicultu-
rels, et ont donc à résoudre les problèmes liés à la diversité culturelle. La
plupart des États cherchent à promouvoir l'unité en niant les différences
ethniques, et en prônant une politique d'assimilation; c'est l'option choisie,
par exemple, par les États-Unis d'Amérique (le «melting pot»: Epluribus
unum) et par la France (par rapport aux cultures régionales).
D'après les recherches psychosociologiques, on peut faire l'hypothèse
qu'il s'agit là d'un mauvais choix. En effet, même dans les groupes sociaux
homogènes, les individus cherchent à se différencier et à former des
sous-groupes. Il semble que ce soit par l'assurance de posséder une identité
culturelle propre, et à condition d'avoir un accès égalitaire aux ressources,
donc quand il y a possibilité d'intégration plutôt que l'obligation d'assimi-
lation, que les groupes sociaux peuvent agir les uns par rapport aux autres
de façon pacifique à l'intérieur d'une société complexe, en respectant et en
valorisant les différences (Berry, 1991; Tajfel, 1982; Aboud et Skerry,
1984)

L'ambiguïté de la culture d'érudition


La distinction fondamentale entre «culture» — prise dans un sens plutôt
anthropologique — et culture savante est importante parce que le rôle de
cette dernière est ambigu. En général, on la conçoit automatiquement
comme un enrichissement spirituel et intellectuel, donc une amélioration de
la qualité de vie. C'est peut-être souvent le cas, mais l'ambiguïté surgit
quand cette culture savante est importée, imposée, et reflète la domination

119
Annuaire international de Véducation

sociale, effective et symbolique, d'un groupe sur un autre (ou d'une couche
sociale sur une autre). Si les modèles de la culture d'érudition qui ont été
importés sont, en plus, présentés comme supérieurs aux modèles indigènes,
il en résulte une dépréciation de ces derniers. Ainsi, le fait d'être bien
informé sur les cultures étrangères par l'entremise du cinéma, du théâtre ou
de la musique peut être, selon les cas, un enrichissement ou, au contraire,
mener à une déculturation indigène.

L'ambiguïté de l'industrie culturelle


L'extraordinaire expansion de ce qu'on peut appeler l'industrie culturelle,
au moyen surtout des médias (radio, télévision, cinéma) qui envahissent les
domaines des divertissements et des loisirs, mais aussi d'autres formes de
communication comme le tourisme, engendre une sorte de culture « transna-
tionale». On finit, un peu partout, par écouter la même musique, danser sur
les mêmes rythmes, regarder les mêmes séries télévisées, sourire aux mêmes
«cartoons» dans les journaux. Cette culture «transnationale», qui risque de
devenir 1'«héritage culturel mondial», n'est pas l'apanage d'une seule
société mais constitue une sorte de culture métissée, tout comme certaines
langues de communication internationale (comme l'anglais) n'appartiennent
plus à un seul peuple. Cette analogie est significative : tout comme on peut
souhaiter le développement d'une lingua franca commune à l'humanité, on
peut regretter l'homogénéisation qui en découlerait; tout comme on peut
accepter de parler l'anglais, on peut ressentir ce choix comme une
domination externe et une perte d'identité.
Par ailleurs, l'industrie culturelle, toute transnationale qu'elle soit, est
dominée par certains groupes et, en particulier, par certains intérêts
économiques. Elle contribue donc au néocolonialisme et à la domination
culturelle.

Le rôle ambigu de l'éducation


Nous utilisons ici le terme «éducation» dans le sens usuel d'éducation
formelle (ou scolarisation, alphabétisation, etc.). L'éducation véhicule sur-
tout la culture d'érudition, et s'allie souvent à l'industrie culturelle pour
promouvoir une culture transnationale. Le rôle de l'éducation est donc
lui-même ambigu.
Le fonctionnement de l'éducation comme outil d'acculturation a été
maintes fois analysé, mais il s'agit, bien entendu, de contextualiser ce
phénomène. Selon les contextes socio-historiques, les conflits entre le savoir
et les valeurs véhiculés par l'éducation formelle et ceux qui le sont par
l'éducation dite «informelle» (familiale, communautaire, etc.) prennent des

120
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

formes différentes. On peut rattacher également à ce thème l'étude des


effets «secondaires» ou «pervers» de l'éducation qui dépendent fortement,
eux aussi, des contextes : dévalorisation culturelle (par exemple, du monde
rural, des activités agricoles), conflit de générations, exode rural, déstructu-
ration des relations sociales, création de classes dominantes, etc. Ces effets
sont bien connus, mais il semble difficile d'y trouver des parades.

Le rôle ambigu de Véducation interculturelle


On parle beaucoup, depuis quelque temps, de l'éducation dite «intercultu-
relle» (Ouellet, 1991; Rey, 1984), c'est-à-dire celle qui vise à promouvoir
le respect de la diversité culturelle, la compréhension mutuelle et la
formation des enseignants dans cette perspective. Vaste programme qui
n'est pas sans avoir aussi ses contradictions et ses pièges. Ce sera, sans
doute, en grande partie, le débat de la quarante-quatrième session de la CIE.
Pour le moment, nous nous contenterons de soulever quelques aspects
problématiques qui peuvent animer le débat :
I. On confond souvent l'éducation interculturelle avec l'accueil des élèves
migrants: mesures compensatoires, apprentissage linguistique, etc.
Mais ces mesures relèvent souvent d'une politique d'assimilation, alors
que l'éducation interculturelle s'adresse à l'ensemble des élèves, dans
une perspective d'intégration.
II. La pédagogie interculturelle est souvent reléguée dans les activités
scolaires annexes, ou dans les branches dites secondaires (géographie,
histoire, art). Une véritable pédagogie interculturelle ne devrait pas se
limiter à des contenus supplémentaires, mais devrait être un état
d'esprit qui anime l'ensemble des enseignements et toute la structure
scolaire.
III. On constate qu'il y a souvent une incohérence entre l'affirmation d'une
pédagogie interculturelle et le message contraire transmis implicitement
par l'institution qui reste essentiellement monoculturelle.
IV. Il y a aussi souvent incohérence entre le message lénifiant de l'éduca-
tion interculturelle et les attitudes opposées (ethnocentrisme, racisme,
violence, etc.) transmises dans la famille et par les médias. Si l'éduca-
tion peut être un bon vecteur de valeurs ethniques, elle n'en reste pas
moins dépendante des valeurs dominantes dans la société.
V. Une prise de conscience du pluralisme culturel ne conduit pas nécessai-
rement à la coexistence pacifique; les rencontres, les échanges, les

121
Annuaire international de l'éducation

affrontements et même les conflits font intégralement partie de la


dynamique culturelle.

TRADITION OU MODERNITÉ: UNE FAUSSE ALTERNATIVE

On ne saurait donc renoncer, ne fût-ce que pour des raisons heuristiques, à


revenir dans ce contexte sur l'ancienne antinomie de la «tradition» et de la
«modernité». En effet, si tout le monde s'accorde aujourd'hui sur la
nécessité de la surmonter, l'invention de la notion de «développement
culturel» par l'UNESCO pourrait bien s'avérer contre-productive puisque,
en prétendant préserver l'identité culturelle, elle ne fait que réaffirmer la
prépondérance du «développement» considéré non seulement comme iné-
luctable, mais aussi comme nécessaire et bienfaisant.
Il s'agit donc de savoir quel sens on donne au terme «développement».
La tâche est sans doute aussi difficile que celle qui consiste à définir la
«culture», et les cent soixante-quatre définitions de celle-ci recensées par
Kroeber et Kluckhohn3 sont peu de choses par rapport aux innombrables
définitions du «développement» que, jusqu'ici, personne n'a encore
dénombrées!
L'essentiel du problème tient au fait que la plupart de ces définitions sont
normatives (et disent ce que le «développement» doit être). On dira, par
exemple, que le «développement est constitué d'un ensemble de mesures
qui favorisent l'épanouissement de l'homme et permettent aux sociétés de
progresser dans l'harmonie», qu'il vise «non seulement la croissance
économique mais le mieux-être des sociétés», qu'il «permet la satisfaction
des besoins essentiels et renforce l'identité culturelle», qu'il doit être
«humain» ou «durable», etc. Cette manière de présenter le «développe-
ment» a l'immense avantage de fonder immédiatement un très large
consensus autour de sa possibilité et de sa désirabilité, puisqu'il n'est
personne qui puisse s'opposer à la réalisation d'objectifs aussi généreux.
Mais, malheureusement, une telle définition n'est guère opératoire car elle
ne permet pas d'identifier concrètement le phénomène auquel on s'intéresse.
Le procédé revient en effet à définir le socialisme en affirmant qu'il «abolit
l'exploitation de l'homme par l'homme» ou qu'il «construit une société
sans classes» ou encore à caractériser le christianisme comme «la religion
de l'amour du prochain». À s'en tenir à ces formulations — que, par
ailleurs, les adeptes, ou les fidèles, de ces doctrines accepteraient volon-
tiers —, n'importe quel observateur extérieur de la réalité sociale devrait en
conclure que le «développement», le socialisme et le christianisme n'exis-
tent (encore ?) nulle part dans le monde. Et pourtant, on peut voir des églises

122
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

et des prêtres qui se réclament du christianisme, des partis politiques et des


pays qui se disent (ou se disaient) socialistes, des institutions, des ministè-
res, des banques et des plans de «développement»! Le malentendu tient
donc à la manière de définir les concepts, soit à partir des valeurs ou des
intentions qu'on leur prête, soit à partir des faits qui les caractérisent.
Une définition plus sociologique doit donc partir de l'ensemble des
pratiques observables qui prétendent concourir au «développement», sans
privilégier celles dont l'intention (qui peut être présumée, mais ne peut pas
être attestée) consiste à apporter un mieux-être aux populations défavori-
sées. C'est pourquoi, loin de réduire le «développement» aux seules
interventions de la coopération au développement (de même qu'on ne peut
pas réduire la formation au seul système scolaire), il convient d'y inclure les
mesures d'ajustement structurel, la construction d'infrastructures, les systè-
mes juridiques modernes, les moyens de communication, la création de
périmètres irrigués, les cultures de rente, l'exploitation du sous-sol, la
législation sur l'emploi, les échanges commerciaux, etc. A considérer
l'ensemble de ces manifestations, on s'apercevra qu'elles reposent sur une
logique commune, qui conduit les divers acteurs occupant le champ du
«développement» à agir de manières diversifiées — et, parfois, apparem-
ment contradictoires — dans le sens d'une transformation (et donc aussi
d'une destruction) généralisée du milieu naturel et des rapports sociaux en
vue d'une production croissante de marchandises (biens et services) desti-
nées, à travers l'échange, à la demande solvable. En effet, un pays «se
développe» lorsqu'il se donne les moyens (techniques, institutionnels, etc.)
de transformer la terre, l'eau, les hommes, la connaissance des «ressources»
dont la valeur est déterminée par le marché.
Ainsi, le «développement» est d'abord et essentiellement un processus
réel, un système de pratiques inscrites dans une logique spécifique, bien
plus qu'un idéal qui permettrait, comme l'affirme le dernier rapport du
PNUD — dans une perspective qui renvoie aux anciennes justifications de
l'économie libérale —, «d'élargir l'éventail des choix offerts aux indivi-
dus » 4.
Dès lors, comment concevoir le «développement» comme un processus
«culturel», sinon pour constater que la seule culture qu'il véhicule est la
culture occidentale et marchande? Le «développement» — conçu comme
l'extension planétaire d'un mode d'organisation des rapports entre les
hommes et avec la nature — est sans doute transnational ; cela n'implique
pas qu'il soit transculturel. On ne résout donc pas le problème des rapports
entre la culture et le «développement» (ou entre la tradition et la modernité)
en créant ce «monstre sémantique» que constitue le «développement
culturel»5.

123
Annuaire international de l'éducation

Mais alors, si le «développement» est historiquement lié à la culture


occidentale et si d'autres cultures ne peuvent se l'approprier parce qu'il ne
correspond pas aux traditions qui les sous-tendent, faut-il conclure que l'on
se trouve face à deux ensembles de pratiques : la culture, d'une part, et le
«développement», d'autre part? Il s'en faut de beaucoup car, contrairement
à ce que prétend la pensée ordinaire, le «développement» est lui-même le
fruit d'une tradition qu'il contribue à maintenir, et toute culture vivante est
nécessairement inscrite dans la modernité. En effet, c'est l'aveuglement
socio-centrique de l'Occident qui fait passer le «développement» pour la
mise en œuvre d'une sorte de rationalité universelle et qui qualifie les autres
cultures de «traditionnelles» sous prétexte qu'elles s'opposent à la moder-
nité du «développement». «L'étranger a beau avoir de grands yeux, il ne
voit rien», dit un proverbe africain. En l'occurrence, l'Occidental (ou
l'occidentalisé) ne comprend pas que l'essence de la tradition tient à
l'ensemble des pratiques et des valeurs qui, dans une société donnée, vont
sans dire, et que, par conséquent, aucune société — y compris l'occidenta-
le — ne peut se passer de ces croyances partagées qui fondent l'adhésion à
un projet collectif d'autant plus pregnant qu'il est implicite6. Cette mécon-
naissance conduit alors l'Occidental (ou l'occidentalisé) à ne considérer les
traditions que dans leurs aspects exotiques ou folkloriques, simples survi-
vances d'un passé voué à l'oubli qu'entraînerait la «marche de l'histoire».
Alors qu'au contraire, dans toute société, la tradition constitue le mécanis-
me qui autorise et légitime le changement en l'inscrivant dans une histoire.
Sanctionnée par l'autorité de la tradition, la nouveauté passe dans l'ordre
des choses, c'est-à-dire qu'elle rejoint les choses qui vont sans dire puisque
personne ne peut, désormais, songer à les remettre en question. Ce
processus peut concerner aussi bien l'introduction de nouvelles espèces
végétales, de nouvelles techniques ou de nouvelles pratiques sociales. De
même, la «modernité» — et, singulièrement, l'ensemble des pratiques
relevant de la rationalité économique qui constituent le noyau dur du
«développement» — relève également d'une tradition forgée au long de
l'histoire occidentale, et qui considère comme allant de soi l'égalité des
acteurs, la finalité utilitaire des conduites, la responsabilité causale des
sujets et le désenchantement du monde, pour ne citer que certaines de ses
caractéristiques.
En refusant de reconnaître cette imbrication de la tradition et de la
modernité, et en raisonnant de manière dichotomique, on tombe nécessaire-
ment dans le piège de l'idéologie dominante qui contraint toutes les sociétés
à «respecter les impératifs du développement», en concédant néanmoins
que celui-ci devrait être «humain» ou «culturel». C'est ainsi que si
l'occidentalisation du monde n'est, dans les faits, pas aussi complète que ne

124
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

le pensent certains7, elle a néanmoins gagné de nombreux esprits forts tels


P. E. A. Elungu au Zaïre, Daniel Etounga Mangúele en Côte d'Ivoire ou
Axelle Kabou au Cameroun8. Leur popularité, dans les pays du Nord et
parmi certains intellectuels africains, repose sans doute sur leur insistance à
vouloir opposer le «développement» à une tradition africaine jugée rétro-
grade. Chacun à sa manière, ils cherchent à convertir l'Afrique à la
modernité et confirment le jugement de Lévi-Strauss, qui notait voici
longtemps que les représentants des pays «en voie de développement» ne
reprochaient pas tant aux pays du Nord de les avoir occidentalisés que « de
ne pas leur donner assez vite le moyen de s'occidentaliser»9.
Or, cette opposition entre la tradition et la modernité ne peut que mener à
une impasse. Le problème est ailleurs. Il ne s'agit pas de substituer le
«développement» à la culture ou la modernité à la tradition, mais de
comprendre comment se produit, à l'intérieur de l'espace de la modernité, la
rencontre de deux traditions.
Dans les sociétés périphériques contemporaines, ces deux formes de
tradition (celle qui relève de l'héritage culturel d'une société donnée et celle
qui s'est imposée — ou qui a été imposée — au nom du «développement»)
sont également présentes, mais revêtent une importance différente selon les
lieux, les moments et les acteurs concernés. On recourt aussi bien à l'une
qu'à l'autre, simultanément si cela est possible ou alternativement lorsque
les contradictions sont trop fortes, en fonction des intérêts qui déterminent
le comportement des acteurs et des types de réponses que ces diverses
traditions prétendent offrir: en effet, même si certains le déplorent, leur
réconciliation en un ensemble cohérent est loin d'être assurée. Ainsi, les
tactiques de négociation avec l'administration peuvent reposer sur une
interprétation tantôt «moderne» tantôt coutumière du droit; certaines
cérémonies familiales ou sociales peuvent s'inspirer de coutumes anciennes
tout en y incluant des éléments «modernes» (substitution d'argent à des
cadeaux en nature, par exemple); les itinéraires thérapeutiques peuvent
osciller de la médecine hospitalière aux pratiques du féticheur selon le sens
que l'on donne au malheur et le type de diagnostic que l'on attend;
l'éducation scolaire peut s'inscrire dans des stratégies de promotion sociale,
d'accès au pouvoir ou à l'honneur, qui contredisent ou renforcent d'autres
moyens socialement reconnus (appartenance à des réseaux sociaux, des
groupes d'âge, etc.) pour parvenir aux mêmes fins. Car la réaction des
sociétés aux intrusions de l'extérieur n'est pas nécessairement frontale. Elles
sont trop subtiles pour suivre la loi du «tout ou rien», puisqu'elles seraient
perdantes dans l'un et l'autre cas de figure. À l'image du judoka qui
l'emporte en utilisant à son profit la force déployée par son adversaire, elles
rusent et inventent. Le «village global» où tous seraient proches n'est pas

125
Annuaire international de l'éducation

pour demain. Ni la constitution de communautés «ethniquement pures»,


malgré le fanatisme qui se déchaîne actuellement en réaction à des
tentatives d'homogénéisation idéologique, politique ou religieuse. Le plus
souvent, les logiques sociales sont sélectives et reposent sur des combinatoi-
res, à l'image du secteur dit «informel» qui n'existe que grâce à la relation
qu'il entretient — même négativement — avec le secteur qu'on dit
«structuré». Il en va sans doute de même pour l'éducation.
Depuis toujours, les sociétés sont métisses et n'ont survécu qu'à coup
d'emprunts. Mais tandis que, pendant longtemps, l'assimilation d'éléments
exogènes a pu se faire dans la longue durée facilitant les synthèses
culturelles, l'irruption de la colonisation puis l'universalisation de la
« tradition du développement » ont rendu ce métissage problématique, sauf
dans le cas de certaines sociétés qui veillent à n'accepter la «modernité»
qu'à doses homéopathiques10. Ainsi, à cause de la rapidité et de la violence
des processus déclenchés par la modernité, l'inévitable mélange est rare-
ment harmonieux, aussi bien dans le Nord que dans le Sud, et peut
s'accompagner de rejets, lorsqu'il ne conduit pas à privilégier ce qu'il y a de
pire dans les traditions concurrentes.
Toutefois, à considérer le phénomène historique dans sa globalité, on
constate l'émergence, un peu partout, de «cultures communes»11 qui se
manifestent extérieurement par l'emploi — par les mêmes acteurs
sociaux — de langues multiples appropriées à des circonstances différentes.
De manière schématique, la langue vernaculaire domine les relations
courtes, ou intimes; la langue véhiculaire est utilisée dans les échanges
interrégionaux, tandis que la langue de référence (le plus souvent d'origine
européenne) gouverne les relations avec le pouvoir ou l'État. Ce multilin-
guisme — souvent mal maîtrisé, mais nécessaire — est significatif d'une
inscription plurielle dans des univers traditionnels différents qui constitue
néanmoins une culture commune, quoique hétérogène, dans la mesure où
elle appartient à tous, se construit collectivement et ne permet pas de
distinguer certains acteurs par rapport à d'autres. On peut voir, dans cette
imbrication de cercles concentriques, une manière de chercher à maîtriser sa
propre histoire, d'instituer les lieux ou les valeurs que l'on entend préserver,
d'admettre l'existence de concessions nécessaires, de détourner certaines
obligations (notamment face à l'État) pour assurer la vie du groupe, ou de la
famille (lui aussi construit en adaptant les anciennes règles à la situation
nouvelle). Les procédures administratives, les règlements successoraux tout
comme l'usage de la promotion scolaire sont significatifs de ces impostures
collectivement pratiquées.
Cet ensemble de tactiques culturelles permet certes d'intégrer dans la
culture d'origine certaines valeurs et pratiques propres à la «tradition du

126
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

développement». Néanmoins, chaque acteur social est inséré dans un réseau


d'allégeances multiples, et parfois contradictoires, qui le font réagir de
manière souvent imprévisible (pour le planificateur ou le «développeur»)
en fonction de ce qu'il considère, selon les circonstances, comme la
démarche susceptible de promouvoir au mieux ses propres intérêts et ceux
du groupe — ou des réseaux — qui lui procurent la reconnaissance sociale
qu'il espère (et qui peut, elle aussi, se mesurer à l'aune de valeurs
contradictoires)12.
Il y a longtemps que l'on a fait la critique d'un culturalisme pur et dur qui
prétendrait maintenir les cultures dans une « authenticité » originelle. Criti-
que justifiée dans la mesure où elle s'en prenait à l'usage passéiste et
nostalgique de la culture et, surtout, dénonçait la manipulation politique au
service d'une «identité culturelle» légitimant le pouvoir en place à l'exclu-
sion des autres. Les cultures se transforment donc, puisqu'elles ne peuvent
s'abstraire de la modernité.
On s'interroge peu, en revanche, sur la transformation que subit la
«tradition du développement» au contact des autres traditions «exotiques».
Or, si les cultures (et les traditions) se modifient au gré des contacts et des
emprunts mutuels, pourquoi présumer que la «culture du développement»
impose nécessairement sa loi et ses codes sans subir l'influence des autres ?
Certes, il faut compter avec l'asymétrie des pouvoirs. La force économique,
politique et militaire se trouve incontestablement dans le camp du «déve-
loppement». Est-ce suffisant pour l'emporter durablement?
Même — et surtout? — dans une Afrique que l'on dit abandonnée, tantôt
à elle-même, tantôt au libéralisme économique, le « développement » change
de visage. Les réussites que l'on peut y constater ne se conforment pas
nécessairement aux règles du «développement» édictées par la société
occidentale, et les vertus nécessaires pour y accéder n'ont rien à voir avec
l'individualisme ni avec la rationalité économique. Il n'y a donc pas que les
cultures « natives » qui changent. À leur contact, la « tradition du développe-
ment» s'infléchit, les modèles importés sont tournés en dérision, et la
culture scolaire, longtemps considérée comme la «clef du développement»,
est elle-même détournée de cet objectif utilitaire et, paradoxalement, fournit
des armes à ceux qui s'y opposent.
La modernité n'est pas figée pour l'éternité dans le présent, tout comme
l'éternité de la raison. Et si la «tradition du développement» était elle-
même menacée par sa confrontation avec les autres cultures ?

127
Annuaire international de l'éducation

NOTES

1. Nous n'insisterons pas sur la complexité du débat académique autour du concept de


«culture» (Kroeber et Kluckhohn, 1952). En nous appuyant sur la conception proposée par
la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mexico, 1962) et en fonction des
objectifs du débat, nous croyons cependant utile de distinguer:
A. La culture au sens de culture d'érudition telle qu'elle s'exprime par des «œuvres»
scientifiques, littéraires et artistiques qui servent de références «classiques». Cette
conception culturelle est le fait de minorités (les «élites») qui imposent cette culture
dominante. Son accès est réservé et implique une initiation à des codes qui passent
nécessairement par la scolarisation et l'instruction. C'est ainsi que l'école participe au
rôle «civilisateur» de l'Etat moderne.
B. La culture au sens de culture populaire telle qu'elle est vécue linguistiquement, dans le
folklore, l'élaboration d'objets artisanaux et la construction de l'habitat par la majorité
d'une population d'un territoire particulier comme par les peuples nomades (ou «sans
territoire»). Souvent minimisée et marginalisée par la culture officielle, elle se transmet
néanmoins au sein des collectivités locales ou régionales en fonction de leur structuration
sociale.
C. La culture au sens de culture anthropologique qui fonde la socialite et les processus
identitaires. Elle s'élabore à partir d'un héritage socio-économique et linguistique, des
institutions religieuses et politiques, d'un réseau de relations interindividuelles et
d'intergroupes qui se traduisent par des créations spécifiques locales et régionales:
patois, coutumes, paysages, valeurs et représentations spécifiques (Bassand et Hainard,
1985). Le rôle de l'école est ambigu à son égard: d'une part, lorsqu'elle est «au milieu
du village», elle est complémentaire de la culture vécue; d'autre part, quand elle
s'identifie uniquement avec la modernité, elle oriente les jeunes les plus actifs vers les
centres urbains, «écrémant» ainsi les ressources locales.
2. Sans entrer dans l'énorme débat contemporain autour de la notion d'État-nation, dans ce
document nous partons de l'idée que les États-nations modernes ont identifié leur
organisation politique avec l'ensemble des structures socioculturelles qui existent sur un
territoire national. Aujourd'hui, cette identification est souvent remise en question soit
parce que cette identification unitaire n'est qu'apparente (les États-nations sont en fait
composés de plusieurs peuples fédérés, associés, etc.), soit parce que la poussée des
mouvements nationalistes a fait exploser des «empires» et même des États-nations en
plusieurs unités politiques indépendantes.
3. Alfred Kroeber et Clyde Kluckhohn, Culture : a critical review of concepts and definitions
[Examen critique des concepts et des définitions de la culture], Vintage Books, Random
House, New York, 1952, p. 435. En fait, si l'on ajoute les définitions qui figurent dans la
troisième partie de l'ouvrage, on arrive à près de 300 définitions.
4. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris, Económica, 1992, p. 2.
5. Voir Gilbert Rist, «Des sphinx, des licornes et autres chimères...», dans: La culture, otage
du développement?, sous la direction de Gilbert Rist, Paris, L'Harmattan (à paraître).
6. Voir Marie-Dominique Perrot, Gilbert Rist, Fabrizio Sabelli, La mythologie programmée :
l'économie des croyances dans la société moderne, Paris, PUF, 1992, 217 p. (coll.
Économie en liberté).
7. Voir Serge Latouche, L'occidentalisation du monde: essai sur la signification, la portée et
les limites de l'uniformisation planétaire, Paris, La Découverte, 1989, 143 p. (coll.
Agalma) ; et Jean Chesneaux, Modernité-monde, Brave New World, Paris, La Découverte,
1989, 234 p. (coll. Cahiers libres).

128
Les défis des systèmes éducatifs face à la dynamique culturelle contemporaine

8. Voir P. E. A. Elungu, Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L'Harmattan, 1987,


185 p. (coll. Points de vue); Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développement?,
Paris, L'Harmattan, 1991, 208 p. ; Daniel Etounga Mangúele, L'Afrique a-t-elle besoin d'un
ajustement culturel?, Paris, Éd. Nouvelles du Sud, 1991.
9. Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, 1961 (l r e éd., 1952), p. 52 (coll.
Médiations).
10. Voir Carlos Calderón, «Nous sommes tous des errants et. en chemin, nous nous
rencontrerons. Le cas du Conseil régional indigène du Cauca (Colombie)», Ethnies (La
fiction et la feinte), n° 13, printemps 1991, p. 21-27.
11. L'expression est d'Etienne Le Roy; voir «L'élaboration des cultures communes comme
réponse à la crise de l'État», dans: La culture, otage du développement?, op. cit.
12. Sur l'importance des réseaux et des néolignages, voir Emmanuel Seyni Ndione, Dynamique
urbaine d'une société en grappe, un cas: Dakar, Dakar, ENDA, 1987, 179 p. ; et, du même
auteur, Le don et le recours, Ressorts de l'économie urbaine, Dakar, ENDA, 1992,
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129
Annuaire international de l'éducation

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130
CHAPITRE VI

L'éducation interculturelle
au service du développement
culturel: l'apport de la
formation des enseignants
Pieter Batelaan

INTRODUCTION

Le développement culturel est le fruit d'une interaction. Dans ce processus


de communication, les intérêts des divers partenaires sont souvent diffé-
rents: il y a ceux des institutions telles que l'État ou les institutions
religieuses, dont l'objectif est la transmission des valeurs ; et il y a ceux des
individus qui sont notamment l'épanouissement, la libération, l'indépendan-
ce et le changement.
Le développement culturel est un processus dynamique, influencé par les
médias, les arts et les sciences, les activités commerciales et la technologie.
Il n'est pas entièrement autonome, et il subit parfois l'influence de la
politique culturelle. C'est pourquoi les gouvernements nationaux s'en
soucient. Ils sont parfois très engagés à l'égard du développement et de la
promotion de la culture nationale, mais depuis que les sociétés des divers
pays se sont déclarées «multiculturelles» la définition de la «culture
nationale» dans un contexte démocratique n'est plus du tout évidente. Du
fait que le concept de démocratie implique l'idée d'un pluralisme inclusif, le
patrimoine culturel d'un pays devrait comprendre les cultures de tous ses
citoyens.
Le développement culturel se manifeste à travers l'interaction des diverses
sections de la société, des individus, des individus et des institutions, et à
travers les échanges internationaux. Sans interaction, il n'y a pas de
développement. Or l'interaction n'est possible que sur la base de l'égalité.
Aussi longtemps que l'on appellera les cultures minoritaires «cultures
d'origine», ces cultures demeureront étrangères à la «culture d'origine» des
groupes dominants (Batelaan et Gundara, 1992). Jacques Berque (Berque,
1985) propose donc de parler de cultures d'apport.

131
Annuaire international de Véducation

L'un des objectifs de la politique culturelle en démocratie doit être d'offrir


aux individus la possibilité de participer à ce processus d'interaction.
L'éducation est un instrument important qui affecte la politique culturelle.
Elle peut promouvoir les valeurs culturelles de la majorité dominante sans
réflexion critique; elle peut aussi refléter le caractère multiculturel et
international des cultures, et encourager l'interaction. On peut alors y voir
un instrument du développement culturel.
Dans ce chapitre, nous verrons que l'éducation doit jouer un rôle
important dans le développement culturel des personnes, des groupes et des
sociétés, et que, en général, elle n'a pas su jouer ce rôle, en partie à cause de
la formation inappropriée que reçoivent les enseignants.
Traditionnellement, l'éducation joue un rôle très important dans la
transmission de la culture du groupe dominant parce que, en général, le
programme d'enseignement ne reflète ni les connaissances ni la culture des
groupes que l'on appelle «minorités» ou que l'on qualifie d'«autres».
L'apport de l'école au développement culturel devrait dépasser la «trans-
mission» des valeurs que l'on estime immuables. L'école devrait être le lieu
où les élèves apprennent à réfléchir sur les similarités et sur les différences
entre les cultures, où un grand éventail de questions peuvent être étudiées à
partir de diverses perspectives, et où des enfants d'origines différentes
apprennent à communiquer et à coopérer dans un environnement sûr. Le
développement culturel passe par l'interaction et la négociation. C'est
pourquoi la question du développement culturel touche non seulement le
programme d'enseignement mais aussi la gestion du processus d'apprentis-
sage, c'est-à-dire la gestion de l'interaction entre les élèves et l'enseignant,
et entre les élèves eux-mêmes. On dira que, sous certaines conditions, les
méthodes d'apprentissage en coopération constituent un instrument impor-
tant pour les enseignants qui veulent atteindre les objectifs du développe-
ment culturel. L'une de ces conditions est une politique d'égalité des
chances qui implique que l'interaction dans la classe est structurée de telle
manière que tous les enfants peuvent participer, et que les apports de
connaissance de tous seront appréciés.
Ce chapitre ne s'attardera pas sur les questions du développement
linguistique, bien qu'il soit un élément important du développement
culturel. Les compétences linguistiques des enfants devraient être mises à
profit pour faciliter non seulement l'apprentissage de la langue nationale
officielle, mais également celui d'autres langues. Le développement du
multilinguisme en tant que tel est d'une importance vitale pour le dévelop-
pement culturel des personnes et des groupes dans une société mondiale
caractérisée par l'interdépendance. Ce chapitre aborde les questions du
développement culturel principalement dans une perspective européenne.

132
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

Cependant, les opinions y sont fondées sur des principes universels tels
qu'ils sont énoncés dans les traités, déclarations et recommandations
pertinents des Nations Unies et de l'UNESCO, ce qui, nous l'espérons, le
rendra accessible et utile à un public plus vaste.

LA POLITIQUE D'ÉGALITÉ DES CHANCES


ET L'ÉDUCATION INTERCULTURELLE

Tant que les enfants se sentiront aliénés dans les écoles à cause d'une
organisation et d'un enseignement fondés sur la tradition de la culture
académique (qui reflète en fait la culture du ou des groupes dominants de la
société), les taux d'abandon scolaire continueront de s'accroître. L'instaura-
tion d'une politique d'égalité des chances est indispensable si l'on veut que
l'école joue un rôle important dans le développement culturel des person-
nes, des groupes et des sociétés. L'éducation interculturelle doit faire face à
la fois à la diversité et à l'inégalité. Ce sont les deux revers d'une même
médaille. Nombre de programmes dont l'objectif est l'égalité des chances, y
compris certains programmes antiracistes, ne tiennent pas compte de la
diversité culturelle. Par ailleurs, certains programmes multiculturels dont
l'objectif est la compréhension mutuelle entre diverses cultures font fi de
l'inégalité sociale et économique. Pour promouvoir la diversité culturelle, il
faut faire beaucoup plus qu'enseigner d'«autres» cultures. L'égalité des
chances exige elle aussi beaucoup plus que d'offrir à tout un chacun le
même accès à l'éducation. Elle signifie aussi l'égalité d'accès à la participa-
tion au processus d'apprentissage, ainsi que la reconnaissance et la valida-
tion des connaissances et des compétences (y compris la langue) que les
enfants possèdent déjà.
L'éducation interculturelle comprend:
— la promotion de la compréhension interculturelle et internationale ;
— la reconnaissance et le respect des différences culturelles ;
— les questions touchant aux droits de l'homme et à la citoyenneté
(responsabilités humaines) ;
— l'octroi de chances égales (le système d'éducation devrait être sans
exclusif) ;
— des stratégies assurant l'égalité d'accès aux processus d'apprentissage
afin de permettre l'égalité dans les résultats.
En dépit de tous les documents produits par les organisations internationa-
les, dont l'UNESCO, des recommandations adoptées par les gouvernements
nationaux, parfois même en dépit de la législation nationale, l'éducation

133
Annuaire international de l'éducation

interculturelle reste un phénomène marginal des programmes d'enseigne-


ment dans la plupart des écoles des sociétés occidentales.
L'une des conclusions d'un rapport OCDE/CERI en 1989 était que:
Malgré l'importance du débat sur l'éducation multiculturelle, force est de constater que les
initiatives, les expériences et les programmes portant sur ce sujet n'ont qu'une place marginale
dans les programmes et les politiques éducatifs, à l'exception peut-être de quelques pays,
notamment l'Australie et le Canada (CERI, 1989, p. 65).
Pour que l'éducation interculturelle devienne davantage qu'une activité
périphérique, les éducateurs devront prendre une conscience aiguë des
fonctions de l'éducation dans une société diversifiée sur le plan culturel et
social. L'application de l'éducation interculturelle exige une connaissance
approfondie de l'éducation. Comme cela est énoncé dans les conclusions du
rapport CERI/OCDE L'école et les cultures:
Se situant à la croisée de postulats éducatifs contradictoires (l'individualisme ou le collectivis-
me) et de méthodes d'enseignement également opposées (le spontanéisme ou l'artificialisme),
les programmes d'éducation multiculturelle ne pourront pas être introduits avec succès dans les
systèmes d'éducation sans une réflexion approfondie sur la fonction cognitive de l'école et sur
les modèles de pensée impliqués dans la transmission culturelle assurée par celle-ci (CERI,
1989, p. 84).
Où les enseignants peuvent-ils acquérir cette connaissance qui est un
important ingrédient de leur identité professionnelle? On dira que la
position marginale de l'éducation au service du développement, culturel et
interculturel, et de l'égalité des chances en Europe est due en partie au fait
que les instituts de formation des enseignants en général ne dispensent pas à
tous leurs étudiants une formation appropriée à l'enseignement intercultu-
rel.

LES OBJECTIFS DE L'ÉDUCATION

Les hommes politiques, les administrateurs, les groupes d'intérêts et les


groupes d'action qui veulent mettre l'éducation au service de leurs problè-
mes particuliers se préoccupent dans le fond assez peu de ce que le terme
signifie. Pour eux, l'éducation est toujours liée à leurs préoccupations. Il
serait donc préférable de réfléchir sur ses objectifs avant que chacun de ces
groupes ne charge l'école de satisfaire à de nouvelles exigences. Pourquoi
l'éducation devrait-elle empêcher le SIDA, contrecarrer le vandalisme,
inculquer un bon comportement en matière de circulation, promouvoir la
paix, sauver les forêts humides, préparer les enfants à recevoir un enseigne-
ment supérieur ou à évoluer dans le marché social, favoriser le développe-
ment culturel? Que faut-il ou que ne faut-il pas attendre du système

134
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

scolaire? Comment les écoles, c'est-à-dire les enseignants, peuvent-elles


répondre aux exigences d'une société dynamique?
Dans les sociétés démocratiques, les objectifs de l'éducation formelle
peuvent se résumer ainsi : a) objectif économique : les qualifications ; b)
objectif social: l'éducation peut favoriser la démocratisation et l'émancipa-
tion à la fois des personnes et des groupes ; c) objectif culturel : transmission
et négociation des valeurs; d) objectif pédagogique: l'épanouissement
personnel (y compris l'acquisition de compétences favorisant la créativité et
la pensée critique).
Dans les sociétés industrialisées modernes, caractérisées par la division et
la spécialisation de la main-d'œuvre, l'éducation institutionnalisée est une
condition du développement économique de la société.
L'investissement en matière d'éducation contribue autant au progrès économique que l'inves-
tissement en matière de routes, de centrales d'énergie, de canaux d'irrigation ou de tout autre
capital matériel. En fait, les bénéfices économiques de l'investissement à l'éducation, ceux qui
sont mesurés par la productivité et le revenu, sont souvent plus élevés (Constable dans Banque
mondiale, 1990).

Sans éducation, l'accès à de nombreuses professions est impossible. Un


système d'éducation sain est donc essentiel au fonctionnement politique,
économique, social et culturel d'une société industrielle moderne. L'éduca-
tion est une condition de la qualification. Les parents et la société estiment
que la fonction première de l'école est l'enseignement des matières
académiques. Il en résulte que «les mesures normatives que nous utilisons
pour déterminer la qualité des écoles ne portent presque exclusivement que
sur les matières académiques et même sur un nombre relativement restreint
d'entre elles» (Goodlad, 1984, p. 61).
Ce chapitre met l'accent sur la fonction culturelle de l'éducation.
L'importance du développement culturel est impliquée dans l'article 1.3 de
la Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous: «Un autre but, non
moins fondamental, du développement de l'éducation est la transmission et
l'enrichissement des valeurs culturelles et morales communes. C'est en elles
que l'individu et la société trouvent leur identité et leur valeur. »
Cependant, on ne saurait isoler la fonction culturelle des fonctions
économique, sociale et pédagogique. Obtenir des diplômes est important car
c'est là une condition sine qua non de l'emploi et du développement
économique. En l'absence de démocratisation et si les groupes et les
personnes ne s'émancipent pas, la culture est réduite aux intérêts de la
classe supérieure dominante et de la classe moyenne, et elle est définie en
fin de compte en fonction des arts et des sciences traditionnels de
l'Occident.

135
Annuaire international de l'éducation

Celui qui ne peut pas se développer sur le plan personnel est à la merci
des producteurs de la culture populaire de masse. Par ailleurs, on ne saurait
isoler le développement économique du développement culturel; l'émanci-
pation englobe aussi l'épanouissement de l'identité culturelle de chacun.
Le développement culturel à tous les niveaux dépend de l'équilibre des
différents objectifs de l'éducation.

L'ÉDUCATION INTERCULTURELLE: QUE DOIT-ELLE ÊTRE?

D'aucuns considèrent que l'éducation interculturelle est la conséquence, sur


le plan éducatif, des principes démocratiques appliqués dans les sociétés
multiculturelles. L'éducation est interculturelle lorsqu'elle traite à la fois de
la diversité et de l'inégalité (y compris le racisme et la xénophobie). Elle
devrait donc satisfaire aux critères suivants :
1. établir un équilibre entre les divers objectifs de l'éducation: les fonctions
économique, sociale, culturelle et pédagogique ;
2. valoriser les connaissances et les compétences de tous les enfants, y
compris leurs capacités linguistiques, leurs connaissances culturelles et
leurs diverses aptitudes et compétences individuelles (ce qui requiert une
« approche multicapacités ») ;
3. établir un programme d'enseignement très vaste et accessible, qui reflète
la réalité de la société multiculturelle et qui présente la connaissance dans
diverses perspectives ;
4. pour ce qui est de l'organisation de la classe, elle devrait fournir à tous les
élèves des chances égales de participation à l'interaction;
5. pour ce qui est de l'évaluation de la performance des élèves, elle devrait
garantir des examens justes et équilibrés.
Ces critères sont en rapport avec ce qui se passe actuellement dans la classe.
On pourrait en formuler d'autres dans les domaines de la gestion du
personnel, de l'administration, de l'organisation de l'école et du regroupe-
ment, ainsi que de la participation des parents (voir Banks, 1988, pour une
liste récapitulative plus complète).

LE FONDEMENT INTERNATIONAL DE L'ÉDUCATION CULTURELLE

Bien que les conventions, les résolutions et les recommandations internatio-


nales n'énoncent pas explicitement les critères sur lesquels elles se fondent,

136
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

ceux-ci sont tous dérivés des mêmes valeurs, sous-jacentes aux activités de
nombreuses organisations intergouvernementales, dont les Nations Unies,
l'UNICEF, l'UNESCO, la Conférence pour la sécurité et la coopération en
Europe (CSCE) et le Conseil de l'Europe.
Il est toujours surprenant de constater que les responsables du développe-
ment de l'éducation ou de l'élaboration des politiques institutionnelles ne
font presque jamais référence aux conventions et aux résolutions internatio-
nales envers lesquelles les gouvernements se sont engagés. C'est pourquoi
nous tenons à citer ici une partie de cette législation internationale :

LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L'ENFANT

Article 29. Les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à:
a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et
de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des
principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;
c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs
culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays
duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;
d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un
esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre
tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine
autochtone ;
e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.
Article 30. Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou
des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités
ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre
religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.
La Recommandation sur l'éducation pour la compréhension, la coopération
et la paix internationales et l'éducation relative aux droits de l'homme et
aux libertés fondamentales, adoptée par la Conférence générale de l'UNES-
CO à sa dix-huitième session (Paris, 19 novembre 1974), comprend les
aspects culturels :
Article 17. Les États membres devraient promouvoir, aux diverses étapes et dans les divers
types d'éducation, l'étude des différentes cultures, de leurs perspectives et des modes de vie
différents de façon à favoriser l'appréciation mutuelle de leurs particularités respectives, ainsi
que l'étude de leurs influences réciproques. Cette étude devrait attribuer notamment l'impor-
tance voulue à l'enseignement des langues, des civilisations et du patrimoine culturel d'autres
pays afin de promouvoir la compréhension internationale et interculturelle.

137
Annuaire international de l'éducation

La Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, adoptée par la Conférence


générale de l'UNESCO à sa vingtième session (Paris, 27 novembre 1978),
dit ceci :
Article 5.2. L'État, conformément à ses principes et procédures constitutionnels, ainsi que
toutes les autorités compétentes et tout le corps enseignant ont la responsabilité de veiller à ce
que les ressources en matière d'éducation de tous les pays soient mises en œuvre pour
combattre le racisme, notamment en faisant en sorte que les programmes et les manuels fassent
place à des notions scientifiques et éthiques sur l'unité et la diversité humaines, et soient
exempts de distinctions désobligeantes à l'égard d'un peuple; en assurant la formation du
personnel enseignant à ces fins ; en mettant les ressources du système scolaire à la disposition
de tous les groupes de la population sans restriction ni discrimination raciales et en prenant les
mesures propres à remédier aux limitations dont souffrent certains groupes raciaux ou
ethniques quant au niveau d'éducation et au niveau de vie, et à éviter en particulier qu'elles ne
soient transmises aux enfants.
Article 6.2. Dans le cadre de ses compétences et conformément à ses dispositions constitution-
nelles, l'État devrait prendre toutes les mesures appropriées, y compris par voie législative,
notamment dans les domaines de l'éducation, de la culture et de l'information, afin de prévenir,
d'interdire et d'éliminer le racisme, la propagande raciste, la ségrégation raciale et l'apartheid,
et d'encourager la diffusion des connaissances et des résultats des recherches appropriées en
sciences naturelles et sociales sur les causes et la prévention des préjugés raciaux et des
attitudes racistes, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle
des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les ministres de l'éducation qui sont représentés au sein des conférences de


l'UNESCO, et qui discutent et adoptent aussi des résolutions dans d'autres
instances intergouvernementales, devraient s'inquiéter du fait que ces
résolutions et d'autres recommandations ne sont presque jamais appliquées
par les institutions éducatives dans leurs pays. Il faut savoir aussi que
l'application va bien au-delà des activités législatives; c'est un processus
beaucoup plus compliqué. Un rapport d'évaluation sur l'éducation des
enseignants en Suède (Batelaan, dir. publ., 1992), rédigé par une commis-
sion de l'Association internationale pour l'éducation interculturelle, conclut
que, en dépit du soutien que lui apportent la législation et les directives
nationales, la dimension interculturelle de la formation des enseignants en
Suède se limite à des activités marginales. Il en va de même pour de
nombreuses institutions aux Pays-Bas, malgré l'obligation juridique selon
laquelle «l'éducation devrait également se fonder sur le principe que les
enfants grandissent dans une société multiculturelle».
Les gouvernements doivent prendre garde aux directives qui traitent de la
liberté de l'éducation et de 1'«autonomie académique». Par ailleurs, les
institutions éducatives devraient prendre davantage conscience de leurs
responsabilités vis-à-vis de la société; elles dépassent de beaucoup leur
responsabilité relative à la préparation des élèves à l'exercice de professions
et à leur qualification.

138
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

Les gouvernements ne sont pas pour autant dispensés de leur obligation


d'encourager les universités à appliquer les accords internationaux, et de
comparer leurs politiques avec les engagements qu'ils ont pris au niveau
international. L'appel lancé dans divers pays en faveur d'un programme
d'enseignement national mettant l'accent sur les «valeurs nationales» ne
devrait pas être pris à la légère par la communauté internationale. Les
prochaines sessions de la Conférence internationale de l'éducation devraient
inscrire à leur ordre du jour l'évaluation du développement des politiques en
relation avec un développement culturel qui rendrait justice à la diversité, à
la fois aux niveaux national et international.

L'ÉDUCATION INTERCULTURELLE ET L'APPRENTISSAGE INTÉGRÉ

Les difficultés de l'application d'une éducation interculturelle ne sont pas


dues uniquement à la pénurie de politiques gouvernementales et d'institu-
tions. Au niveau individuel, les tenants de l'éducation culturelle manquent
encore d'un fondement théorique solide. Dans de nombreux pays, le
matériel qui est mis au point dans le cadre d'un projet interculturel ou
antiraciste omet souvent de faire référence à des travaux théoriques. L'une
des conclusions de l'analyse de l'OCDE relative aux programmes éducatifs
est que: «La plupart des programmes d'éducation multiculturelle ne sont
pas étayés par une structure théorique claire et solide» (CERI, 1989,
p. 63).
Par ailleurs, l'éducation interculturelle est souvent considérée comme un
élément marginal. Cette marginalité est due au fait que, notamment dans les
sociétés occidentales, elle ne représente qu'un mouvement pédagogique
particulier en concurrence avec d'autres priorités, dont l'éducation pour
l'environnement, l'éducation pour la paix, l'éducation globale, l'éducation
pour le développement; elle n'est pas considérée comme une idéologie qui
traite également des questions de qualification (voir la section précédente).
Batelaan et Gundara (1993) sont en faveur d'une approche intégrée,
fondée sur la reconnaissance que l'éducation non seulement nourrit l'objec-
tif économique de la qualification, mais constitue un instrument de négocia-
tion des valeurs culturelles.
Le développement culturel par l'éducation est davantage un processus
d'apprentissage de négociation et d'interaction que de transmission. L'édu-
cation interculturelle telle qu'elle est définie dans ce chapitre offre un cadre
approprié à l'organisation de cet apprentissage, car elle prend en compte à la
fois le programme d'enseignement et l'organisation de l'apprentissage.
Dans un essai récent destiné à la Convention internationale sur l'apprentis-

139
Annuaire international de l'éducation

sage intégré (Batelaan, 1993), j'ai affirmé que les méthodes d'apprentissage
intégré devraient être utilisées dans le cadre de l'éducation interculturelle ou
que l'apprentissage intégré devrait s'efforcer de répondre aux critères de
l'éducation interculturelle. Le développement de l'éducation interculturelle
exige une approche globale. L'éducation, qu'elle soit interculturelle, multi-
culturelle ou antiraciste, se préoccupe en tout premier lieu du contenu,
c'est-à-dire qu'elle veut répondre à la question de savoir ce qu'il faut
enseigner ou ce que les élèves doivent apprendre.
L'apprentissage intégré consiste d'abord à savoir comment enseigner ou
comment organiser l'apprentissage. «L'apprentissage intégré est une solu-
tion idéale au problème qui consiste à fournir aux élèves provenant de
divers groupes ethniques la possibilité d'interactions non superficielles et
intégrées» (Slavin, 1990, p. 35).
Dans les travaux des spécialistes concernant l'apprentissage intégré, dont
ceux de Slavin et Johnson et Johnson, il n'y a aucune référence explicite aux
conséquences de la diversité au sein de la classe. Les trois auteurs visent de
meilleurs résultats pour les élèves les moins performants dans les situations
traditionnelles d'apprentissage ou d'enseignement, mais leurs travaux ne
font pas allusion à l'essence de l'inégalité qui existe au sein de la classe du
fait des différences qui prévalent entre les élèves sur le plan social,
académique ou du statut. « Si on laisse les caractéristiques du statut opérer
sans contrainte au sein de la classe, l'interaction des enfants ne fera que
renforcer les préjugés avec lesquels ils sont entrés à l'école» (Cohen, 1986,
p. 31). Les travaux de Cohen sont très importants pour l'éducation
multiculturelle et l'éducation interculturelle parce qu'ils traitent explicite-
ment de l'inégalité au niveau de la classe. Ses travaux sont également
importants du point de vue du thème de la présente publication, car leur
objectif est la participation de tous les enfants — indépendamment de leur
milieu socio-économique, culturel, linguistique ou de leur statut en tant
qu'élève — à l'interaction, condition indispensable du développement
culturel.

PRÉOCCUPATIONS RELATIVES À LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

Pour concrétiser les objectifs de l'éducation, et notamment celui du


développement culturel dans diverses sociétés, il faut que certaines condi-
tions soient remplies au niveau national, au niveau institutionnel et au
niveau de la classe. La plus importante de ces conditions est la compétence
et le comportement professionnel de l'enseignant. Ce qui signifie que sa

140
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

formation, qu'elle soit initiale ou sur le tas, constitue l'un des facteurs
essentiels de la qualité de l'enseignement dispensé.
L'évaluation de la formation des enseignants en Suède, effectuée par une
commission de l'IAIE (Batelaan, dir. publ., 1992), que nous avons déjà
mentionnée a permis de conclure que, en dépit d'une politique gouverne-
mentale relativement favorable, l'éducation interculturelle n'y occupe
qu'une position marginale. D'après leur expérience, les membres de la
commission estiment qu'il en va de même dans la plupart des pays
d'Europe. Il n'existe pas de définition claire de l'engagement de l'ensei-
gnant envers la responsabilité qu'il exerce à l'égard de la communauté et de
la société dans son ensemble. Or, en l'absence d'un tel engagement, les
institutions éducatives sont vulnérables aux pressions exercées par le
marché de l'éducation. Ainsi, dans toute l'Europe, l'enseignant du cycle
supérieur subit des pressions pour s'orienter davantage vers le marché. Or
cette tendance n'est pas le résultat d'une discussion de fond sur l'objectif de
l'éducation pour la société, elle découle exclusivement de la pression
économique. Quand on parle de «marché» dans ce contexte, il s'agit de
«clients» qui souhaitent «acheter» des qualifications au bénéfice des
employeurs. De sorte que les institutions doivent à présent devenir attrayan-
tes pour les élèves. Certains «traits» de l'éducation ont un «statut» plus
élevé que d'autres. Le danger de cette orientation étroite vient du fait que les
fonctions culturelles émancipatrices et pédagogiques de l'éducation dans
une société démocratique pourraient disparaître ou être marginalisées, au
profit de la seule fonction économique de l'éducation. Les institutions
d'enseignement supérieur, et notamment les instituts de formation des
enseignants, devront relever ce défi à l'avenir: accorder davantage d'impor-
tance aux besoins de la société, et en particulier au développement culturel.
La marginalisation de l'éducation interculturelle dans la formation des
enseignants pourrait être le fruit de la marginalisation des fonctions
émancipatrices, culturelles et pédagogiques de l'éducation.
Autre facteur important: l'organisation des instituts de formation d'ensei-
gnants. L'éducation interculturelle exige une approche interdisciplinaire.
Les universités et autres institutions d'enseignement supérieur, y compris
celles qui assurent la formation des enseignants, sont organisées en facultés
et en disciplines. Les fonctionnaires en poste dans ces sections doivent leur
position à la discipline dont ils sont spécialistes. Ils n'ont donc aucun intérêt
à favoriser la mise au point de cours « interdisciplinaires » tant que personne
ne se plaint du côté des responsables des ressources financières, et tant que
ceux qui sont chargés du contrôle de la qualité ignorent l'importance de la
diversité sociale et culturelle dans la société.

141
Annuaire international de l'éducation

L'apport de l'éducation au développement culturel tel qu'il est décrit dans


ce chapitre ne peut se faire que par une interaction dans la classe, dont les
enseignants sont responsables. C'est pourquoi la qualité de leur formation
est si importante.
À cet égard, certaines sections du chapitre sur la préparation des
enseignants figurant dans la Recommandation de l'UNES CO de 1974
devraient être portées à l'attention des responsables de la formation des
maîtres; les Etats membres se voient recommander d'«améliorer constam-
ment les moyens de préparer et d'habiliter les éducateurs et les autres
catégories de personnel éducatif à jouer leur rôle dans la poursuite des
objectifs de la présente recommandation et devraient à cette fin : (33 e) faire
acquérir à l'éducateur des aptitudes et des compétences telles que le désir et
la capacité d'innover en matière de pédagogie et de poursuivre sa formation,
la pratique du travail en équipe et de l'étude interdisciplinaire, la connais-
sance de la dynamique des groupes et l'aptitude à créer des occasions
favorables et à en tirer parti ».
Pour améliorer la qualité de la formation des enseignants, qu'il s'agisse de
la formation initiale ou de la formation sur le tas, les conditions suivantes
sont essentielles :
— Les institutions de formation des enseignants devraient adopter une
position explicite à l'égard des engagements internationaux pris par leur
gouvernement, y compris ceux qui ont trait à la Déclaration universelle
des droits de l'homme et à la Convention relative aux droits de l'enfant.
Les gouvernements peuvent demander à ces institutions d'assumer
vis-à-vis de la société la responsabilité de leur autonomie académique.
— La dimension interculturelle de la formation des enseignants devrait être
évaluée lors de toutes les activités de contrôle de qualité. Il faudrait
évaluer aussi les structures d'organisation de cette formation dans divers
pays, sur le plan de l'efficacité économique, et sur celui de la faisabilité
d'une introduction de cours et d'activités interdisciplinaires.
— Il faudrait mettre au point un programme d'enseignement interculturel
et organiser l'apprentissage de manière à assurer la participation de tous
les enfants.
— Il conviendrait de créer des réseaux internationaux d'institutions et
d'écoles de formation des enseignants. Ces réseaux favoriseraient les
échanges d'information, de matériel ou de méthodes, et aussi de
personnel enseignant. Les programmes d'échanges financés par la
communauté internationale devraient encourager la formation de per-
sonnel.

142
L'éducation interculturelle au service du développement culturel

Enfin, il faudrait lancer une campagne d'information concernant la forma-


tion des enseignants. Sans doute faut-il vaincre à cet effet la structure
bureaucratique de la communication entre les institutions internationales
telles que l'UNESCO et les institutions bureaucratiques nationales telles
que les gouvernements, et entre ces bureaucraties nationales et la bureaucra-
tie institutionnelle des universités et des collèges de formation des ensei-
gnants. Souvent, les professionnels chargés d'appliquer en classe les
décisions prises dans les conférences par les bureaucrates qui y participent
ne sont pas toujours informés comme il se doit.
Les recommandations rédigées par l'UNESCO et d'autres organisations
internationales relatives à la mise au point et à l'application d'une éducation
interculturelle sont légion. Il s'agit à présent de savoir comment les mettre
en œuvre dans les écoles et comment assurer que les gouvernements qui y
ont souscrit favorisent l'avènement des conditions de leur mise en œuvre, et
notamment l'engagement des responsables envers la formation des ensei-
gnants.

RÉFÉRENCES
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Annuaire international de l'éducation

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dividendes de l'apprentissage: le soutien de la Banque mondiale à l'éducation].
Washington, D. C, The World Bank.

144
CHAPITRE VII

Les enseignants, auxiliaires


du développement culturel :
nouveaux rôles, nouvelles
responsabilités
Stacy Churchill

INTRODUCTION

Les enseignants sont au cœur de la transmission et du développement de la


culture par le truchement du système éducatif. Leurs activités quotidiennes
façonnent l'environnement dans lequel se fait l'apprentissage, et agissent
sur l'impact de l'éducation sur l'apprenant et sur son environnement social
hors de l'école. Cet essai part du principe que les enseignants eux-mêmes
constituent le point de départ de toute analyse traitant de leurs rôles et
responsabilités, dans la mesure où, en fin de compte, ce sont leurs points de
vue et leurs interrogations qui définissent leur rôle comme artisans de
moyens propres à faciliter le développement culturel.
Dans d'autres parties de cet ouvrage, on trouvera une vue d'ensemble des
définitions multiples et variées de termes tels qu'éducation, culture et
développement. Cela étant posé, nous limiterons essentiellement notre
étude, dans le texte suivant, à celle du rôle des enseignants en service dans
ce que l'on pourrait appeler le secteur public, au niveau de l'enseignement
primaire et secondaire, y compris l'enseignement pratique ou la formation
professionnelle. Les enseignants peuvent remplir leur rôle dans un cadre
scolaire formel aussi bien qu'informel et leurs élèves peuvent être des
enfants ou des adultes. Cependant, ils se distinguent en ceci que leurs
activités relèvent du domaine public, ce qui explique que leur enseignement
soit contrôlé ou du moins réglementé par l'État1. Si ce débat éclipse certains
des aspects importants de l'enseignement, il tente tout au moins de
s'adresser à l'ensemble des enseignants qui travaillent dans des systèmes
éducatifs qui absorbent, peu s'en faut, 100% des budgets réservés par les
gouvernements du monde entier à l'enseignement primaire et secondaire.

145
Annuaire international de l'éducation

Avant d'entamer une étude sur la culture, l'auteur du présent article se


doit d'informer son lecteur sur son propre héritage culturel, afin de l'aider à
mieux comprendre sa pensée. Professeur d'université dans un pays indus-
trialisé en plein essor et bien qu'ayant suivi la majeure partie de sa
formation universitaire dans des pays industriels d'Europe de l'Ouest
(France, Finlande, Royaume-Uni), son point de vue a été fortement
influencé par les deux premières années du premier cycle universitaire qu'il
a passées dans un pays du tiers monde (Chili) lorsqu'il était étudiant. Cet
article reflète son expérience en tant que chercheur et conseil en matière de
politique de l'éducation ayant eu la possibilité de visiter des écoles, de
discuter de politique, et de travailler en collaboration avec des enseignants
et des responsables de l'éducation dans des douzaines de pays des
principales régions du monde. Depuis une vingtaine d'années, il participe
périodiquement au projet des Écoles associées de l'UNESCO qui a été la
première à développer des méthodes d'enseignement encourageant une
meilleure compréhension entre les peuples et les cultures.

PREMIÈRES RÉACTIONS DES ENSEIGNANTS


FACE À LEURS NOUVELLES RESPONSABILITÉS

La plupart des enseignants en exercice que l'auteur a rencontrés se


poseraient certainement des questions sur le titre de ce chapitre. Pourquoi le
développement culturel devrait-il impliquer de nouvelles responsabilités
pour les enseignants? Le rôle premier de l'école n'est-il pas la transmission
et le développement de la culture prise dans son sens le plus large? N'est-ce
pas ce que les enseignants ont toujours perçu comme étant l'objectif de
leurs activités et, plus encore, leur justification ?
Une seconde réaction serait de se demander si le terme «nouvelles»
suggère qu'il y ait un point faible dans les activités actuelles des
enseignants. Cela suggère-t-il que l'on va, une fois encore, tenter de faire
reposer sur leurs épaules la responsabilité de répondre aux questions
auxquelles le reste de la société, bien que les considérant comme importan-
tes, ne semble pas vouloir accorder d'attention pour autant? La «culture»
revêt-elle un caractère nouveau qui devrait s'imposer dans le cadre de
programmes d'études déjà trop chargés? En clair, les enseignants souhaite-
raient que soient reconnues : a) leur contribution actuelle au développement
culturel; et b) les exigences considérables des programmes d'études.
Bien entendu, ces réactions ne sont que des hypothèses. Cependant, elles
sont représentatives de celles des enseignants face aux propositions de
réformes qui suggèrent que leurs élèves ou eux-mêmes puissent soudaine-

146
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

ment faire l'objet d'un nouvel ensemble de responsabilités s'ajoutant à


celles qu'ils essaient déjà d'assumer. D'autre part, les enseignants sont
extrêmement sensibles au poids de leurs responsabilités, conscients des
limites de ce qu'ils peuvent accomplir aussi bien en matière de développe-
ment culturel que dans n'importe lequel des autres domaines de l'enseigne-
ment. En fait, /7s sont certainement prêts à revoir leurs méthodes d'ensei-
gnement et à étudier les propositions d'adaptation dans la mesure où ces
propositions remplissent un minimum de critères de faisabilité. En d'autres
termes, ils doivent assumer avec réalisme les contraintes qui leur sont
assignées dans le cadre des programmes, celles des systèmes d'examens et
de sélection, des délais et des ressources matérielles limités, et, en
particulier, celles relatives aux besoins et aux attentes des élèves et des
communautés au service desquels ils sont. De plus, dans plusieurs régions
du monde, les enseignants doivent faire face à une augmentation rapide du
nombre d'élèves ainsi qu'à des changements dans la composition de la
population scolaire.
Cependant, malgré ces contraintes, les enseignants bénéficient d'une
liberté considérable en matière d'innovation, pour ce qui est du choix dans
la manière d'aborder les sujets à enseigner ainsi que les moyens de motiver
leurs élèves. Une approche de ce type est primordiale pour l'étude d'un
sujet tel que celui du développement culturel. Le développement culturel,
pour utiliser un terme banal, se réalise avec et à travers les apprenants, pris
individuellement et en groupes, et peut être défini comme l'intégration de
l'expérience scolaire dans un tout cohérent qui permet aux apprenants de
participer à plusieurs communautés culturelles. Chaque apprenant peut être
perçu comme un membre d'une communauté culturelle scolaire composée
d'enseignants et d'autres élèves qui partagent un environnement d'appren-
tissage commun. Cependant, l'apprenant prend part à d'autres types de
partage culturel avec d'autres groupes de personnes: sa propre famille, les
membres de son environnement géographique qui comprend parfois des
groupes ethnoraciaux, culturels, religieux et linguistiques divers, et une
culture nationale ou régionale plus vaste selon le pays dans lequel la
scolarité s'effectue2. Lorsqu'on l'analyse avec du recul, on peut affirmer
que le développement culturel de la société est la somme des développe-
ments culturels des communautés, chacune d'entre elles étant composée de
plusieurs individus.
L'intégration de l'expérience scolaire des élèves dans leur propre environ-
nement culturel dépasse la formation traditionnelle pour ce qui est du
programme d'une matière donnée, tel que la maîtrise des concepts princi-
paux d'un manuel scientifique, par exemple, et elle nécessite que les
connaissances soient en corrélation avec les autres structures culturelles qui

147
Annuaire international de l'éducation

influencent la vie de l'apprenant. Les enseignants comprennent intuitive-


ment que cette seconde étape, qui consiste à intégrer l'apprentissage dans
la structure culturelle, est influencée par leur attitude et le modèle qu'ils
présentent aussi bien que par les étapes de l'enseignement formel.
Par conséquent, ils demeurent conscients du fait que nombre des change-
ments touchant les méthodes d'enseignement requises pour faciliter le
développement culturel dépendent en grande partie d'eux, dans la mesure
où ces changements répondent à leurs propres critères de faisabilité. Cette
prise de conscience peut donner aux enseignants un sentiment de pouvoir,
même dans certaines situations difficiles. D'autre part, les résultats scolaires
des élèves peuvent varier considérablement lorsqu'il s'agit d'évaluer leur
maîtrise d'un sujet donné, mais il est néanmoins possible de les aider, qu'ils
soient forts ou faibles, à utiliser ce qu'ils apprennent de façon telle que, sur
le plan culturel, cela prenne un sens dans leur vie quotidienne. Pour
l'enseignant, le fait de comprendre que son exemple personnel et l'attitude
qu'il a devant sa classe peuvent influencer de manière significative cet
aspect de la vie de chaque étudiant lui donne un sentiment de pouvoir.
Les débats théoriques sur le thème de l'école et de la culture tendent à
mettre l'accent sur deux points de vue divergents: a) la culture en tant
qu'élément transmis d'une génération à une autre au titre d'un héritage
culturel ; et b) la culture en tant qu'expérience commune aux membres d'un
groupe social, son symbolisme et le contexte dans lequel elle se développe 3 .
Le premier point de vue tend à favoriser les débats sur ce qui devrait être
enseigné à l'école et à essayer de modifier les programmes d'études. Le
second point de vue vient étayer les analyses sur la façon dont l'enseigne-
ment agit réciproquement sur la ou les culture(s) des apprenants et sur la
société en général, et il tend à se faire la critique des résultats obtenus dans
le cadre scolaire. Une large part de la théorie contemporaine sur la scolarité
repose essentiellement sur le rapprochement entre : a) le rôle de l'école dans
la transmission et le développement de la culture ; et b) les interactions et les
contradictions qui surviennent lorsque ce programme d'étude se développe
dans une situation d'apprentissage difficile dans laquelle les apprenants, les
enseignants et l'objectif premier de l'école en tant qu'institution sociale sont
tous perçus comme étant imbriqués dans des structures culturelles différen-
tes qui empiètent les unes sur les autres.
Face à pareilles divergences, les enseignants savent qu'ils ne peuvent pas
adopter un point de vue au détriment de l'autre. Au contraire, ils doivent
accepter à la fois le canevas de ce qui doit être enseigné, à savoir le
programme d'études ou «programme d'enseignement projeté», tel que
défini officiellement, et le fait que les résultats scolaires dépendent de la
corrélation entre l'école, la culture des apprenants et la société environnante.

148
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

Parallèlement, au cours des dernières décennies, l'augmentation du nombre


de critiques faites sur les résultats scolaires a progressivement permis à un
plus grand nombre d'enseignants de prendre conscience de l'importance que
revêt leur propre rôle culturel, favorisant en cela le développement d'une
meilleure écoute des besoins culturels des apprenants.
Un changement important dans la prise de conscience des enseignants a
été la reconnaissance croissante de la diversité culturelle, même si elle se
limite à une prise de conscience propre à chaque enseignant et qu'elle ne se
reflète pas explicitement dans le programme d'enseignement projeté. Cette
prise de conscience de la diversité des environnements culturels permet une
adaptation de l'enseignement dans de nombreux domaines. À titre d'exem-
ple, reconnaître que les cultures actuelles des différentes classes sociales
sont très divergentes et reconnaître que souvent le programme d'enseigne-
ment projeté ne reflète que l'une d'entre elles peut aider les enseignants à
répondre aux besoins des différents groupes d'apprenants. Les mêmes
réflexions s'appliquent à la reconnaissance des besoins des élèves d'hori-
zons ethnoracial, linguistique, religieux et culturel divers. Enfin de compte,
le corps enseignant transforme petit à petit sa conception et se rend compte
que le rôle de l'école, en matière de transmission et de développement
culturels, est extrêmement interculturel: chaque culture étant définie par
rapport à ce qui la rapproche et à ce qui la distingue des autres cultures. Si
le professeur enseigne «une» culture donnée, l'apprenant l'assimile en la
faisant entrer dans son propre environnement culturel. Cette intégration
modifie la culture d'origine et développe chez l'apprenant une «nouvelle
culture». Le message de l'enseignant passe d'une connaissance extérieure
«objectivée» à une composante vivante de la propre identité de l'appre-
nant.
Dans de nombreux pays, le type d'adaptation culturelle le plus évident
s'est sans doute caractérisé par un changement de la part des enseignants et
des autorités au profit d'une plus grande valorisation de ce que l'on peut
appeler les caractéristiques multiculturelles des populations et de leur pays
d'origine (y compris les immigrants et les travailleurs étrangers résidant sur
le territoire). Selon le pays et la région, les différents types d'adaptations
sont qualifiés d'«éducation multiculturelle», d'«éducation interculturelle»
et d'«éducation antiraciste», et peuvent aller de la simple reconnaissance de
la différence culturelle dans le programme d'enseignement projeté à la prise
de mesures d'instruction concrètes pour promouvoir la compréhension et les
changements sociaux qui favorisent le développement de diverses commu-
nautés culturelles 4 . Par ailleurs, même dans les écoles et les pays où l'accent
est essentiellement mis sur l'éducation interculturelle, de nombreux ensei-
gnants: a) ressentent la nécessité de sa mise en place en tant que

149
Annuaire international de l'éducation

caractéristique nouvelle du programme d'études ; b) se font les critiques de


leurs propres efforts dans ce domaine; c) sont soucieux de recevoir un
soutien pour améliorer les résultats de l'éducation interculturelle; et d)
disent leur inquiétude d'être limités par le programme officiel.
Il est bon de garder en mémoire ces réactions significatives si l'on veut
analyser ce thème des nouvelles responsabilités des enseignants. À chaque
étape, ils doivent se faire les médiateurs entre ce qui doit être enseigné et les
exigences pédagogiques dues au fait d'enseigner à des élèves issus de
milieux culturels différents. Même si les objectifs officiels de l'enseigne-
ment et les contenus des programmes d'études dans différentes matières
sont établis en fonction d'objectifs nationaux, laissant ainsi peu de place à la
flexibilité, la pédagogie impose de prendre en considération les différences
des élèves face à leurs capacités d'apprentissage qui dépendent essentielle-
ment de leur acquis culturel.

RÔLES DES ENSEIGNANTS FACE AU CHANGEMENT DE PROGRAMME

Les points de départ du travail de l'enseignant sont le programme d'étude


projeté ou prescrit et les sujets d'étude officiellement établis qu'il est appelé
à enseigner. Toute tentative de modification des responsabilités des ensei-
gnants doit se faire premièrement dans ce cadre, qui définit leurs activités.
Cependant, l'action ne peut se limiter au seul programme d'enseignement,
ni à l'établissement d'objectifs dans un cadre général, sans prendre les
mesures qui vont de pair. En matière de responsabilités des enseignants,
pour qu'un véritable changement se fasse, d'autres mesures de soutien
doivent être prises.
L'étude préliminaire menée par le BIE sur les pays participants à la
Conférence internationale de l'éducation de 1992 comprenait une partie (8c)
qui s'interrogeait sur la question de savoir si les autorités éducatives locales,
les administrateurs d'écoles et les enseignants avaient autorité pour modifier
le programme fondamental d'études afin qu'il traduise la culture locale. Les
réponses ont confirmé que la plupart des pays ont tendance à percevoir le
programme d'études comme étant figé et difficile à changer. Comme nous
l'avons fait remarquer, la marge de liberté accordée aux enseignants en
matière d'innovation personnelle se limite généralement à l'adaptation de
leurs méthodes d'enseignement et au choix du matériel didactique qu'ils
utilisent en classe ; même le choix des manuels scolaires ne leur revient que
rarement. En conséquence, en ce qui concerne les responsabilités des
enseignants face aux aspects culturel et interculturel du programme, les
modifications fondamentales requises doivent être effectuées par des instan-
ces supérieures. Et, à cause du poids des responsabilités auxquelles ils

150
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

doivent déjà faire face, ces modifications sont tenues de prendre en compte
l'aspect pratique de la question. Inversement, les enseignants qui sont
conscients de leur rôle culturel peuvent prendre et prennent effectivement
des mesures concrètes dans leur travail quotidien afin d'adapter les
programmes d'études aux besoins des apprenants ayant des acquis culturels
différents, même lorsque cela n'est pas officiellement favorisé (et parfois en
dépit de la désapprobation des autorités).
Lorsqu'une décision prise par une instance supérieure a pour objet de
mettre l'accent sur les aspects culturel et interculturel de l'éducation, les
enseignants doivent également faire face à des changements superficiels tels
que l'ajout d'une unité ou deux à un cours ou à un programme. Lors de
discussions antérieures menées dans le cadre de mes recherches — à titre
d'exemple, celles qui étaient en relation avec le projet des Écoles associées
de l'UNESCO —, les enseignants et les éducateurs ont mis l'accent sur la
nécessité d'examiner le sens opérationnel de la culture tel que défini dans le
programme d'enseignement prescrit plutôt que par rapport à un cours ou à
une unité d'étude, exclusivement. Selon les situations, ils ont soulevé des
questions différentes :
a) Objectifs nationaux en matière d'instruction. Dans le programme d'ensei-
gnement, la définition de la culture s'appuie souvent sur le fait que
l'école est au service de la nation et devrait, à ce titre, promouvoir une
seule culture ou un point de vue culturel unique. Parfois, ce point de vue
est exprimé sur le plan de la promotion du développement économique
national, et l'ensemble de l'enseignement est perçu par rapport aux
résultats que les diplômés auront obtenus. Les réponses apportées par
certains pays à l'étude du BIE mentionnée ci-dessus ont clairement
montré que l'objectif culturel de l'instruction était d'encourager le
développement d'un héritage national culturel (unique) ou d'un héritage
culturel d'obédience islamique. Par opposition, dans les réponses fournies
par certains pays occidentaux, l'assertion selon laquelle le contenu du
programme serait essentiellement centré sur l'Europe est parfois considé-
rée comme acquise, donc ni remise en question ni explicitée. Seule une
infime partie des administrations a mentionné de façon explicite les
tentatives menées pour diminuer les tendances eurocentriques du pro-
gramme.
b) Contenu du terme « culture » dans le programme officiel. Dans certains
contextes de l'éducation, le programme assimile la culture à l'enseigne-
ment de la musique, des beaux-arts et de certains domaines des sciences
de l'homme, en particulier la vraie ou la bonne littérature. Bien qu'ils
reconnaissent la valeur de ces domaines, les enseignants montrent que
cette définition de la culture est loin d'être moderne.

151
Annuaire international de l'éducation

c) Contrastes avec la culture traditionnelle. Dans de nombreuses régions du


monde, l'école est un élément de modernité qui offre un contraste très net
avec la société traditionnelle environnante, souvent rurale ou indigène. Le
contenu du programme peut alors représenter un défi direct ou indirect
aux cultures traditionnelles des populations concernées,
d)Équilibre de l'enseignement devant la diversité culturelle. L'enseignant
qui se trouve face à des groupes d'élèves d'origines culturelles, efhnora-
ciales, religieuses ou linguistiques diverses cherche en permanence à
établir un juste équilibre entre les besoins variables des élèves et la
nécessité d'enseigner par rapport à un programme d'études dont les
objectifs principaux peuvent être de vouloir développer une seule culture
ou un point de vue culturel national unique. Ce besoin d'arriver à un
équilibre pratique de l'enseignement quotidien demeure toujours dans des
situations où le programme officiel approuve l'éducation multiculturelle/
interculturelle. La légitimation d'une approche multiculturelle/intercultu-
relle a tendance à valoriser les efforts d'adaptation des enseignants et, par
conséquent, à accroître leur responsabilité dans la recherche d'une
approche équilibrée qui convienne aux élèves ayant des formations très
diversifiées.
Comme le montrent ces exemples, le «sens opérationnel» de la culture fait
référence à un ensemble d'éléments que le concept de culture admet en
fonction des différentes définitions du programme d'enseignement. En
termes plus simples, le «sens opérationnel» fait référence au sens tel que
perçu par rapport à son impact sur les participants lors de leur expérience
scolaire. Par exemple, si dans un pays le programme d'études omet de
mentionner la culture d'une minorité ethnique donnée, niant ainsi son
existence, son sens opérationnel peut être considéré comme double. Pour les
membres de la majorité dont la culture est mentionnée dans le programme,
cela implique que la culture de cette minorité n'est pas importante ou
qu'elle ne vaut pas la peine d'être mentionnée au programme national; par
conséquent, elle ne nécessite pas qu'ils s'y attardent. Pour la minorité
impliquée, la négligence de sa culture peut avoir un impact considérable sur
sa perméabilité à l'instruction, sur sa capacité à lier contact avec les
membres de la communauté nationale, et on peut se demander, en effet,
quels sont les bénéfices qu'elle tire de sa scolarité. Naturellement, il peut
s'agir d'une majorité comptant plus d'une culture ou de plusieurs minori-
tés.
D'une façon caractéristique, les groupes dont les cultures sont ignorées
dans les programmes officiels nationaux sont souvent ceux qui souffrent des
préjudices les plus graves, lorsqu'on tient compte des indicateurs de réussite
et de taux de rétention ou d'abandon en cours d'études. La prise de

152
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

conscience de la différence d'impact, selon le sens opérationnel de la


culture, a conduit de nombreux pays à réviser leurs programmes afin de
garantir que les diverses traditions culturelles soient représentées et d'élimi-
ner les stéréotypes envers les groupes ethnoculturels ou nationaux diffé-
rents. Une telle acceptation sert à légitimer et à renforcer les efforts
d'adaptation des enseignants aux besoins des élèves issus de milieux
différents. (Par ailleurs, dans la mesure où les différences observées dans les
résultats obtenus sont souvent provoquées par de multiples facteurs sociaux,
les changements effectués uniquement dans le domaine scolaire sont peu
susceptibles de remédier aux causes majeures de désavantage de certains
groupes culturels.)
Aucun observateur ne pourrait manquer de remarquer que la structure de
base du programme appliqué dans la plupart des pays du monde repose en
grande partie sur des modèles de l'enseignement publique issus des sphères
culturelles européennes du XIXe siècle. Plusieurs des bases de ce système
scolaire sont inchangées, malgré les adaptations aux différences nationales
qui ont été effectuées. La définition traditionnelle de la culture qui se
rattache au programme d'enseignement traduit un point de vue sur les
valeurs qui étaient importantes pour la classe moyenne et la haute bourgeoi-
sie européennes et nord-américaines de l'époque. La culture, telle que
définie implicitement (et parfois explicitement) dans de nombreux docu-
ments relatifs aux programmes, a souvent été une chose que le commun des
mortels devait acquérir. À titre d'exemple, les arts étaient définis selon des
termes qui convenaient au musée du XIXe siècle; autrement dit, ils
admettaient les produits fabriqués principalement par les hommes oisifs, tels
que la peinture à l'huile, mais ils excluaient les produits fabriqués par
d'autres groupes, tels que les tapis orientaux, le tissage, la dentelle et le
crochet, la sculpture du bois, et que l'on appelait «folklore» ou «art et
culture populaires». Les fabuleuses créations artistiques issues du travail
des femmes qui servaient souvent dans la vie de tous les jours ont été
qualifiées d'artisanat5 à peu près dans le monde entier. Les manuels
scolaires contiennent souvent des reproductions ou des photographies d'art,
mais il est rare d'y trouver, à l'adresse des enfants, des créations artistiques
de peuples indigènes, de femmes de la période précontemporaine ou
d'hommes que l'on estimait être des hommes de métier ou des artisans.
De nombreux pays ont tenté de repenser les programmes afin d'élargir les
définitions étroites et classiques de la culture. Dans les pays nouvellement
indépendants, la plupart de ces changements ont impliqué l'introduction
d'éléments de l'héritage culturel national, régional ou parfois religieux afin
de réduire le contenu trop centré sur l'Europe de certains sujets d'étude.
Dans certains cas, les autres adaptations ont été essentiellement technologi-

153
Annuaire international de l'éducation

ques, afin de moderniser les programmes et de les adapter aux progrès de la


science et de la technologie ou pour justifier l'étude des films et métiers
télévisuels. Cependant, dans les programmes, les définitions classiques de la
culture sont largement acceptées dans les pays qui les appliquent, et elles
restent dans la ligne de pensée des éducateurs. Ces définitions, qui sont
admises presque inconsciemment, orientent par exemple le choix des
auteurs étudiés dans les cours de littérature. En effet, dans la plupart des
langues, il existe de nos jours un terme pour désigner la littérature (souvent
écrite avec une majuscule dans certaines langues) qui se distingue des autres
types d'écriture par son contenu culturel. Les modifications des objectifs
des programmes et de leur contenu les plus lourdes de conséquences, en
matière d'acceptation de définitions plus populaires de la culture, font partie
des efforts effectués pour atteindre des groupes qui jusque-là sont demeurés
en marge du système publique d'enseignement, tout comme ils l'ont été des
nombreux efforts accomplis dans le domaine de l'éducation populaire
semblables à ceux de Paulo Freire6. Il est cependant rare de trouver des cas
dans lesquels pareilles définitions ont changé de manière radicale la
structure du système éducatif au-delà des premières années d'éducation.
Dans le programme d'études officiel, le débat sur des hypothèses
sous-jacentes marque l'accent sur la responsabilité fondamentale des
autorités éducatives nationales1. Dans la mesure où leurs décisions posent
le cadre et constituent des contraintes aux activités des enseignants en
facilitant le développement culturel, il est important que les autorités
nationales structurent de façon volontaire leurs programmes (y compris le
choix des manuels scolaires et du matériel didactique à utiliser) de manière
à compléter les rôles et responsabilités des enseignants en matière de
développement culturel. Dans la discussion qui suit, de nombreuses référen-
ces seront faites à des domaines dans lesquels le programme d'études
officiel d'une administration particulière peut constituer une contrainte ou
limiter les enseignants en tant qu'artisans de moyens propres à faciliter le
développement culturel. Ces références sont délibérées et se proposent de
fournir un ensemble d'indicateurs dans des domaines pour lesquels les
responsables de l'éducation peuvent réviser la cohérence de leurs décisions
destinées à promouvoir le développement culturel.
Cette brève étude a également permis d'illustrer le fait que les aspects
culturels et interculturels de l'éducation comprennent un nombre important
de sujets dont les contenus se superposent et parfois se contredisent, comme
cela se traduit dans les programmes d'études de différentes nations. Il serait
futile, dans cet article, de s'attarder sur la multitude de définitions accor-
dées, à notre époque, à la culture. Une discussion aussi abstraite ne

154
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

supprimera pas le fait que, dans leur travail quotidien, la plupart des
enseignants doivent faire face à la culture sous toutes ses facettes.
Pour mieux expliquer ce qui suit, nous tenterons de nous en tenir le plus
fidèlement possible au «sens opérationnel» de la culture touchant les
enseignants, et nous distinguerons leurs rôles de leurs responsabilités dans :
a) le développement d'un héritage culturel national et le fait de le faire
découvrir, cela étant en général un objectif clé du programme officiel ; b) le
développement des capacités artistiques et esthétiques des élèves, souvent
dans le cadre de l'enseignement des beaux-arts et des disciplines littéraires;
c) la coordination et le développement de la culture actuelle d'un pays, en
particulier le développement culturel des communautés dont les membres
sont directement servis par l'école individuelle; d) l'apport d'une éducation
qui encourage la sensibilisation à l'interculturalité; et e) l'adaptation de
l'éducation aux besoins des groupes dont les cultures ou modes de vie sont
différents de ceux du groupe culturel majoritaire ou dominant du pays.
Les rôles des enseignants tendent à varier de façon significative selon le
sujet qu'ils enseignent. Par ailleurs, il est important d'exploiter les éventuel-
les convergences entre les différentes matières afin de garantir une certaine
harmonie de ce développement. Dans l'enseignement primaire, où le maître
est responsable de l'enseignement d'un ensemble de disciplines ou de sujets
d'étude, il est souvent possible d'utiliser l'enseignement d'une matière pour
renforcer les connaissances acquises dans une autre. Dans l'enseignement
supérieur, la spécialisation des enseignants ne facilite pas une telle coordi-
nation. Cependant, ce genre de consolidation entre les différents domaines
du programme peut avoir un effet considérable.

RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS


FACE À L'HÉRITAGE NATIONAL CULTUREL

Dans presque tous les pays, on attribue aux enseignants un rôle de tout
premier plan pour ce qui est de garantir que les citoyens connaissent les
grandes lignes de l'héritage culturel national et les domaines principaux de
la culture estimés nécessaires à tout citoyen. Une telle culture comprend
normalement la connaissance d'une ou de plusieurs langues officielles, la
sensibilisation aux structures sociales et aux traditions contemporaines
nationales, des connaissances de base dans des disciplines académiques
estimées nécessaires pour une participation effective à la vie communautai-
re. Généralement parlant, cette culture constitue ce que l'on appelle
officiellement la «culture nationale», celle qui représente la composante

155
Annuaire international de Véducation

principale du travail des enseignants de tous les pays. À ce niveau, elle ne


constitue donc pas une «nouvelle responsabilité».
Les «nouvelles» responsabilités des enseignants par rapport à cette
définition plus étroite des aspects culturels de l'éducation peuvent se
présenter sous diverses formes. La responsabilité première semble être de
laisser la classe en constante relation avec l'évolution rapide de la société. Il
existe peu de sociétés, pour autant qu'il en existe, qui ne soient pas touchées
par de rapides changements sociaux. Même dans le cadre d'un programme
d'études établi et rigide, un tel changement représente un grand défi pour les
enseignants à plusieurs niveaux, à savoir pour ce qui est de garantir une
connaissance des développements et changements récents, de voir dans
quelle mesure ils doivent adapter ces changements au contenu de leur
enseignement, et de contrôler l'impact du changement sur les enfants et les
jeunes auxquels ils enseignent. En ce qui concerne la pertinence avec la
réalité environnante, un aspect primordial est le développement chez les
enseignants d'une sensibilisation au rôle des médias, c'est-à-dire le rôle des
moyens de diffusion de l'information sur cet héritage culturel dans la réalité
quotidienne. Cette sensibilisation doit se traduire dans des faits quotidiens
afin d'en comprendre l'impact sur les enfants et sur les jeunes; de même,
elle doit se refléter dans les cours du programme officiel dont le but est de
garantir, chez les apprenants, une compréhension minimale du rôle des
médias et de développer des réactions critiques intelligentes vis-à-vis des
images culturelles transmises". Tandis que ce que l'on appelle 1'«alphabéti-
sation relative aux médias» a été le principal centre d'intérêt des ensei-
gnants dans les pays industrialisés, son besoin se fait ressentir dans des
environnements où les moyens de diffusion de l'information à grande
échelle sont relativement récents; c'est dans de tels environnements que les
jeunes gens et les populations rurales en particulier ont besoin de dévelop-
per un sens critique face aux implications culturelles des messages que
diffusent les médias.
Certaines nations structurent leur programme d'études de sorte qu'elles
admettent que plusieurs langues et cultures fassent partie du principal
héritage national transmis par l'école. Dans la pratique actuelle, cela fait
intervenir l'enseignant puisqu'il délivre un message interculturel à travers
son enseignement, par exemple en prônant une meilleure compréhension
entre les différentes langues et cultures. Mention sera faite, ultérieurement,
de cet aspect.

156
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS


FACE À L' ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE ET ESTHÉTIQUE

Jusqu'à présent, l'auteur n'a pu rencontrer un seul éducateur qui ait exprimé
sa satisfaction face à la qualité de l'enseignement artistique et esthétique
offert aux élèves moyens dans le système public éducatif de leur pays. Par
ailleurs, presque tous les programmes éducatifs nationaux accordent peu
d'attention à l'objectif qui est d'offrir aux élèves l'occasion de développer
leurs propres talents artistiques et d'apprécier les créations artistiques des
autres. Lorsqu'ils se trouvent en face de choix difficiles, certains pays
traitent l'art et l'enseignement esthétique de la même façon que, il y a peu,
on gérait l'accès à l'enseignement, en ne le rendant accessible qu'à très peu
d'élèves, sélectionnés, lorsque cela était possible, sur la base de leurs
exceptionnelles aptitudes et de leur intérêt. Nul doute que, pour ce qui est de
l'enseignement formel et considérant le manque de ressources, cette
situation est susceptible de demeurer constante dans de nombreux pays,
s'agissant de diverses disciplines liées à l'appréciation de l'art et de
l'esthétique.
Par ailleurs, il est évident que les enseignants peuvent jouer, et souvent
exprimer une certaine bonne volonté à jouer, un rôle plus dynamique pour
promouvoir l'enseignement artistique et esthétique. Des entretiens révèlent
qu'ils regrettent souvent leur propre manque de préparation, sujet d'interro-
gation lié à la formation des enseignants. De plus, ils font remarquer trois de
leurs contraintes principales : a) des emplois du temps officiels qui laissent
peu de temps pour l'enseignement de matières autres que les disciplines
académiques de base ; b) les préoccupations des élèves et des parents en ce
qui concerne les examens dans les matières académiques ne comportant pas
de questions artistiques et esthétiques; et c) le manque de ressources
matérielles. Malgré les contraintes graves auxquelles elles doivent faire
face, les écoles sont parfois capables d'obtenir des résultats remarquables en
développant un enseignement artistique et esthétique, en grande partie en
créant des liens entre l'école et la communauté. Pour qu'une telle stratégie
soit efficace, les objectifs de l'enseignement doivent être adaptés à la
capacité de mobilisation des ressources communautaires. Ainsi, lorsque
l'enseignement artistique est exclusivement pratiqué par rapport à la
conception étroite des beaux-arts, il peut exclure la participation de la
communauté environnante qui a encore une tradition artistique vivace;
cependant, l'acceptation de cette compréhension artistique, qui peut être
développée à travers d'autres formes d'expression, laisse la porte ouverte au
recours à des individus talentueux, habiles en artisanat et dans d'autres
domaines de la culture populaire.

157
Annuaire international de l'éducation

L'opposition selon laquelle l'expression artistique populaire fait partie de


la catégorie du folklore ou de l'artisanat, plutôt que de l'art, tend à détruire
les liens avec les communautés, qu'il s'agisse des sociétés traditionnelles ou
des sociétés industrialisées. Dans combien de pays trouve-t-on un program-
me d'études artistiques qui comprenne l'étude des arts et des décorations
créés par les artisans locaux? Avec quelle fréquence trouve-t-on un
programme d'études littéraires d'écoles secondaires qui reconnaisse les
traditions orales du pays dans lequel il est enseigné ? Combien d'écoles sont
disposées à reconnaître ou à étudier le vaste intérêt pour ce que l'on appelle
la musique populaire à laquelle les jeunes d'aujourd'hui consacrent une
grande partie de leur temps? Lorsque les peintres célèbres, les auteurs
renommés et les grandes symphonies sont au cœur de la définition de la
culture dans le programme d'études, ce dernier exclut la créativité de
l'artisan local, la profonde sagesse du conteur populaire, et le génie
mélodique du musicien autodidacte qui se sert d'instruments traditionnels
pour reproduire une musique qui peut être vieille de plus de mille ans. On se
souvient que, dans le cadre du projet des Écoles associées de l'UNESCO,
mené en Bulgarie, des élèves furent envoyés dans des régions rurales
reculées où ils recueillirent non seulement de nombreux éléments du
folklore local, mais également ceux d'un manuscrit de chansons anciennes
jusque-là inconnues. Combien d'autres trésors culturels de considérable
valeur pédagogique, et parfois historique, n'ont jamais été exploités et
attendent de l'être par de jeunes esprits curieux?

RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS


FACE AU DÉVELOPPEMENT CULTUREL COMMUNAUTAIRE
De nombreux systèmes éducatifs nationaux encouragent les efforts entrepris
pour que l'enseignement pratique favorise le développement culturel des
communautés locales, définies soit géographiquement comme un ensemble
d'individus qui vivent dans une région, soit socialement comme une ou
plusieurs communautés culturelles (ou ethnoculturelles) au service desquel-
les se trouve une école donnée. De façon plus générale, le développement
des possibilités d'éducation au sein d'une communauté constitue un moyen
de la développer culturellement. Cependant, une définition aussi large est
plus ou moins vide de sens. Le débat ici porte sur la relation entre ce que
l'école fait, ou peut faire, et ce qu'il y a de plus précieux, de plus profond
dans les communautés humaines. Est-ce que l'une contribue au développe-
ment de l'autre? Comment améliorer cette contribution?
La relation entre l'école et la communauté dépend en grande partie des
objectifs de l'école et de l'héritage culturel de la communauté. En tant que

158
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

Canadien, l'auteur connaît bien cette situation extrême et négative où, dans
plusieurs cas, le développement de l'enseignement formel des populations
indigènes a souvent eu, dans nos pays, un effet opposé. Plutôt que de
contribuer au développement de leurs communautés, l'enseignement a eu
pour effet de favoriser la désintégration des piliers sociaux et culturels
traditionnels de la communauté, sans proposer de substitut adéquat.
L'exemple le plus significatif est celui de l'instruction qui se développe
dans les régions rurales du monde entier. Le développement rapide de
l'alphabétisation va rarement de pair avec la réalisation d'efforts pour
préserver les traditions culturelles et littéraires orales qui peuvent s'éteindre
sans laisser de trace en une ou deux générations à peine. Ainsi, on ne peut
s'empêcher de s'interroger sur certains articles de journaux apparus à
l'occasion, qui décrivent comment, dans un coin perdu du globe, des
linguistes enregistrent les paroles de l'un des derniers utilisateurs d'une
langue qui n'existera plus après sa mort.
Malheureusement, malgré l'attention occasionnelle que les médias ou les
politiciens leur accordent, la plupart des cultures indigènes du monde sont
étouffées par l'envahissante culture des sociétés modernes, souvent aidées
en cela par l'enseignement formel. Les observateurs contemporains analy-
sent fréquemment cette substitution culturelle comme étant le prix à payer
pour le progrès et le développement. La diffusion de l'enseignement
publique universel comme pilier du développement est devenu un dogme
reconnu par tous pour tout effort de développement. Il existe pourtant une
contradiction logique dans le fait d'accepter que le développement d'un
peuple implique 1'eradication de sa culture. En fait, de nombreux pays ont
connu l'échec et subi des frustrations parce que le développement de
l'instruction n'avait pas stimulé le développement économique ni même agi
efficacement dans la promotion de l'alphabétisation des populations indigè-
nes et des communautés dont la culture diverge très largement de celle de la
norme nationale. Il est possible que l'enseignement public, y compris
certains programmes d'alphabétisation, soit inefficace pour promouvoir le
développement national s'il est imposé comme culture unique dont le rôle
est d'éradiquer ou de remplacer les cultures communautaires déjà existan-
tes9. Inversement, une attention plus particulière devrait être accordée à la
nécessité de mettre en place une école nationale qui se base sur l'adaptation
des cultures communautaires à une relation de dualité culturelle, c'est-à-dire
en acceptant le fait que les apprenants aient tous une culture que l'éducation
doit respecter.
Les exemples que nous venons de citer ne remettent pas en question la
valeur de l'éducation moderne mais attirent l'attention sur la nécessité de
créer une relation pertinente entre les activités culturelles menées à l'école

159
Annuaire international de l'éducation

et l'environnement social dont sont issues les personnes concernées. Si tous


les pays industrialisés peuvent se féliciter de la contribution du développe-
ment de l'enseignement public à leur développement culturel actuel, la
plupart d'entre eux doivent cependant relever de nouveaux défis engendrés
par les relations école-communauté, telles que celles qui existent dans les
grandes villes et les environnements industriels au sein desquels les jeunes
peuvent rejeter l'école avec véhémence. De nombreux pays ont expérimenté
des projets visant à créer une meilleure corrélation entre les processus
éducatifs et les problèmes des jeunes dans les villes, projets parfois basés
sur la reconnaissance d'une « culture jeune » comme condition sine qua non
de la compréhension des aspirations des apprenants et qui utilisent cette
culture pour motiver les étudiants. Les nombreux succès partiels de telles
expériences mettent en évidence la nécessité de les étendre et de les
poursuivre, mais les difficultés rencontrées dans le cadre de tous ces projets
mettent également en évidence la nécessité parallèle d'élargir les responsa-
bilités en matière de soutien apporté à l'enseignement afin que ce soutien ne
se limite pas aux enseignants et aux écoles, mais implique également la
création de liens étroits avec le lieu de travail et s'étende à d'autres étapes
ultérieures de la vie. La façon de réaliser une telle transformation dans la
culture du lieu de travail demeure le thème de nombreux débats soutenus et
d'une portée considérable. Le lieu de travail constitue également une
communauté qui a besoin de se développer culturellement.
Chaque cadre culturel national, qu'il soit dans un pays industrialisé ou
non, doit relever ses propres défis. Adapter la conception que l'école a de la
culture de façon à lui permettre de contribuer au renforcement général de la
cohésion sociale dans la communauté environnante représente un défi
constant pour les enseignants à chaque niveau du système éducatif qui
soutient leurs efforts. Cependant, cet aspect de l'éducation fait souvent
l'objet de peu ou d'aucune attention, dans la formation des enseignants, et il
est souvent très peu évoqué dans les directives des programmes scolaires
formels et dans les règlements nationaux. Dans une large mesure, chaque
situation pédagogique est unique, et la nécessité d'adopter son contenu aux
besoins locaux repose sur les épaules des enseignants, pris individuellement,
et aussi sur celles de l'administration scolaire qui doit souvent travailler
avec des ressources matérielles très limitées.

160
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS


FACE À L'ÉDUCATION INTERCULTURELLE

D'une façon générale, l'éducation interculturelle fait référence aux expé-


riences pédagogiques qui favorisent une meilleure compréhension des
différences culturelles. Hormis quelques pays dont les populations sont
culturellement et ethniquement très homogènes, une éducation de ce type
revêt deux aspects différents, un «étranger» et un «national». Dans un cas,
on demande aux élèves de faire preuve de compréhension pour les cultures
des autres pays, dans l'autre, l'idée est de favoriser la compréhension entre
des groupes culturels ou ethnoculturels différents appartenant au même
pays. Il n'est pas étonnant qu'il soit plus facile d'adopter des attitudes
positives lorsqu'il s'agit de cultures de pays éloignés que de cultures
proches, en particulier si les différences culturelles impliquent également
des divisions ethnoraciales, linguistiques, religieuses ou sociales.
Les moyens dont disposent les enseignants pour développer l'éducation
interculturelle sont déterminés, dans une large mesure, par les conditions
sociales et les limites des programmes éducatifs sur lesquelles ils ont un
contrôle assez restreint. En matière d'éducation interculturelle, la diversité
des programmes scolaires officiels est très variable. À la limite, l'enseignant
pourrait subir les contraintes d'un programme scolaire à forte orientation
nationaliste dans un contexte où l'opinion publique est mobilisée et appelée
à porter ses efforts sur les objectifs nationaux, comme dans le cas d'un pays
militairement impliqué avec une puissance ennemie ou dans un environne-
ment où les rivalités ethnoculturelles sont perçues comme une menace
immédiate à l'existence de la nation ou de l'ordre social en vigueur.
Heureusement, la majeure partie de l'éducation s'effectue dans une atmo-
sphère beaucoup moins polarisée, et les règlements ou directives qui
régissent les programmes scolaires de nombreux pays apportent leur soutien
au respect de cultures et de systèmes de valeur différents. Par conséquent,
dans la plupart des pays du monde, l'éducation interculturelle est chose
possible, même si elle n'est pas toujours stimulée. Dans certains pays, une
éducation de ce type est fortement encouragée au niveau officiel afin de
développer plus particulièrement la meilleure intégration possible des
minorités linguistiques dans le courant dominant de la société, à travers un
enseignement plus pratique. Nous reviendrons sur cette question sous peu,
ainsi que sur l'évolution des définitions de l'éducation interculturelle dans
les politiques de l'éducation.
Dans la plupart des systèmes éducatifs, il existe une tension relative au
problème de la responsabilité de l'enseignant. Les programmes scolaires
officiels et l'opinion dominante tendent tous deux à mettre l'accent sur ce

161
Annuaire international de l'éducation

que l'on a appelé un héritage culturel national, souvent défini par rapport à
un point de vue culturel dominant unique. Les enseignants eux-mêmes
partagent fréquemment une grande part de l'opinion courante, et s'ils
veulent promouvoir la compréhension culturelle, ils doivent chercher à
surmonter les limites de leurs propres perspectives et maîtriser leur rôle de
stimulant des esprits jeunes pour que ces derniers abordent le monde de
façon saine. Parallèlement, les matériels pédagogiques tels que les manuels
scolaires évoluent très lentement, ce qui a pour résultat qu'un grand nombre
de ressources disponibles peuvent présenter des stéréotypes négatifs des
cultures différentes et des groupes culturels.
L'un des supports les plus efficaces du travail des enseignants dans le
domaine de l'éducation interculturelle est de créer une atmosphère de
coopération à l'école au sein de laquelle les objectifs de l'éducation
interculturelle deviennent un problème commun à plusieurs enseignants.
L'auteur a personnellement observé cela dans plusieurs des Écoles associées
de l'UNESCO, implantées dans différents pays, où l'initiative interne avait
favorisé une atmosphère de coopération en matière d'éducation intercultu-
relle. Lorsque ces écoles bénéficient du soutien des autorités nationales,
elles peuvent devenir des centres modèles concrets, au cœur d'un réseau de
communication qui favorise la diffusion de meilleures méthodes d'ensei-
gnement aux maîtres d'autres écoles. Les Écoles associées de l'UNESCO
prouvent que, avec un soutien minimal, l'objectif d'une meilleure compré-
hension interculturelle aux niveaux national et international sert de motiva-
tion pour que les enseignants mettent en place des activités complémentai-
res, et permet d'expérimenter de meilleures méthodes d'enseignement dans
leurs propres classesl0.
Actuellement, seuls quelques pays se sont préparés à intégrer complète-
ment l'éducation interculturelle dans la formation préalable des maîtres. A
l'avenir, le développement des compétences des enseignants dans ce
domaine dépendra du système de formation en service et du type d'aide
mutuelle relatif aux méthodologies d'innovation utilisées dans les écoles
telles que les Écoles associées. Parallèlement, des efforts acharnés doivent
être consentis pour développer ces concepts dans les centres de formation et
les facultés d'éducation qui préparent de nouvelles générations d'ensei-
gnants.

162
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS


FACE À L'ENSEIGNEMENT DES POPULATIONS SPÉCIALES

Dans tous les pays du monde, il existe des citoyens qui présentent certains
types de différences culturelles par rapport au courant culturel dominant de
l'instruction, ce qui les met dans une position désavantageuse lorsqu'on
analyse leurs résultats dans le système d'enseignement public. Nous
qualifierons ces groupes de «populations spéciales» afin d'éviter l'emploi
d'une terminologie qui pourrait suggérer qu'ils sont responsables des
difficultés qu'ils rencontrent en matière d'éducation11. Dans un passé assez
récent, la plupart des pays géraient les populations spéciales en utilisant des
mécanismes de sélection tels que les examens, afin de les écarter le plus tôt
possible des écoles les plus prestigieuses et du système scolaire en
général12. Cette tendance demeure largement répandue, en partie à cause du
rôle capital que les examens et les tests jouent dans le processus d'enseigne-
ment et d'apprentissage. Néanmoins, des tendances contraires d'une certai-
ne importance ont été mises en évidence dans un passé récent, chacune étant
liée à un concept différent de développement culturel.
Étant donné que le nombre potentiel de populations spéciales est presque
infini, nous limiterons ici nos remarques à l'examen de deux types de
besoins culturels reconnus qui se sont développés petit à petit. Le premier se
rapporte aux personnes considérées comme des handicapées sur un plan
physique ou intellectuel non lié à des antécédents ethnoculturels : infirmité
physique, handicap visible, dysfonctionnement intellectuel et problèmes
relatifs à ce dysfonctionnement. Le second se rapporte aux différences
ethnoculturelles.
Parce que le handicap est rarement considéré comme un problème culturel
et que cette question n'a fait l'objet de l'attention générale que tout
récemment, nous soulignerons uniquement les données du problème culturel
tel qu'il se présente actuellement. Grâce à la création d'institutions spéciali-
sées, de nombreux systèmes éducatifs ont été mis au service des personnes
considérées comme gravement handicapées, celles qui souffrent d'un
handicap moindre étant généralement intégrées dans le système scolaire
public à travers un type d'éducation spéciale qui implique, la plupart du
temps, de séparer ces élèves de ceux qui ne souffrent pas de ce handicap
pendant une grande partie de la journée ou même toute la journée. Pour un
certain nombre de raisons, plusieurs des pays les plus industrialisés ont
commencé à rejeter les procédures qui tendent à séparer l'éducation des
populations spéciales et tentent de les intégrer dans le système classique (ce
processus est appelé, dans certains pays anglophones, intégration d'enfants
retardés ou surdoués dans la vie scolaire normale)B.

163
Annuaire international de l'éducation

Les implications culturelles de tels changements résident essentiellement


dans le fait qu'elles coïncident avec une reconnaissance par étapes de la
valeur des individus, indépendamment de leur handicap. Des personnes qui
doivent vivre leur vie entière dans un fauteuil roulant à cause de difficultés
motrices peuvent souvent bénéficier de la même éducation que leurs pairs
qui, eux, ont des difficultés classiques, à condition qu'elles reçoivent une
aide appropriée. Cependant, lorsqu'on se projette dans leur vie future, elles
représentent un groupe d'individus dont les besoins et les perspectives
d'avenir ne sont pratiquement pas mentionnés dans les programmes scolai-
res contemporains, même dans des domaines tels que les sciences sociales.
On a noté que les enseignants qui travaillent avec ces personnes, dites
handicapées, en viennent rapidement à admettre que l'enseignement doit
être adapté aux espoirs qu'ils fondent pour leur avenir. Bien qu'elles fassent
l'objet d'une attention minimale dans le courant de la vie sociale, il est
important de noter que ces personnes ont commencé à s'organiser et à faire
entendre leurs besoins culturels spécifiques, en grande partie grâce aux
organisations volontaires. À ce titre, dans certains pays, les malentendants
ont obtenu la reconnaissance de ce que l'on pourrait appeler la «culture des
malentendants » et ont fait des demandes précises pour que leur programme
d'enseignement soit modifié14.
La plupart des pays du monde comptent des minorités qui se distinguent
par des traits linguistiques, culturels, religieux et ethnoraciaux différents de
ceux de la majorité ou des groupes nationaux dominants. Dans la plupart de
ces pays, y compris dans plusieurs de ceux qui prennent actuellement des
dispositions en matière d'éducation pour les minorités linguistiques et
culturelles, le mode d'enseignement public dominant était généralement,
dans les premières étapes de son développement, basé sur le modèle d'une
culture nationale unique, transmise par le truchement d'une langue d'ensei-
gnement unique. Dans le monde entier, le traitement accordé aux minorités
dans le système éducatif va de la reconnaissance totale de leur langue et de
leur culture à l'ignorance complète des différences linguistiques et culturel-
les de la population. Il existe cependant une tendance à long terme,
apparemment répandue dans le monde entier, visant à apporter des services
éducatifs adaptés aux besoins des populations spéciales.
Il existe peu d'études qui aient fait autorité sur le problème lié à la façon
dont le système éducatif considère les cultures des groupes ethnoculturels
du pays lui-même. L'auteur a pris part à une étude portant sur plus de vingt
pays industrialisés, étude qui servira de point de départ au débat qui suit.
L'une des découvertes de cette étude a été que, ces dernières années,
presque tous les pays étudiés ont entrepris, dans le cadre de leur système
éducatif public, des démarches pour améliorer les chances d'éducation des

164
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

minorités linguistiques et culturelles. Presque tous ont développé des


politiques qui vont bien au-delà de l'apport d'une simple aide aux élèves de
différents groupes pour leur permettre d'apprendre la langue principale
d'enseignement et de s'adapter au programme d'études actuel. Au lieu de
cela, ils ont presque tous adopté au moins une forme de ce que l'on pourrait
appeler l'éducation interculturelle ou multiculturelle (la terminologie varie
même lorsqu'il s'agit de pratiques pédagogiques similaires). L'élément clé
dans la définition opérationnelle de cette éducation pour une société
multiculturelle a été la décision des dirigeants d'admettre que les minorités
linguistiques et culturelles rencontrent souvent des problèmes éducatifs liés
à la différence entre les programmes d'études et leurs culture et langue
d'origine. En réponse à ce problème, les programmes d'études ont été
modifiés pour enseigner les éléments de la culture des minorités. En outre,
de nombreuses juridictions ont apporté leur soutien à la langue maternelle
des minorités, par exemple dans le cadre de cours de soutien. Certaines
juridictions sont allées dans le sens d'une reconnaissance plus complète de
la contribution de la culture des groupes minoritaires à l'ensemble culturel
national, et cela à travers l'enseignement de leurs langues comme discipline
officiellement reconnue ou à travers l'utilisation des langues des minorités
comme moyen d'enseignement des divers aspects des programmes scolai-
res. Cette reconnaissance a toujours été de pair avec la réalisation d'efforts
pour garantir que les groupes majoritaires aient une chance de s'instruire sur
les cultures minoritaires de façon à élargir leurs chances d'apprentissage et
de favoriser une meilleure compréhension. La forme la plus élaborée de
reconnaissance s'est développée dans des pays où les minorités bénéfi-
ciaient d'un statut égal à celui de la majorité, en ayant le contrôle de leur
propre système éducatif. Il est évident que cette reconnaissance a souvent
été liée à la durée d'établissement de la minorité en question, les niveaux de
reconnaissance les plus élevés étant accordés à celles qui étaient installées
depuis longtemps dans un pays donné15.
Les responsabilités des enseignants, lorsqu'il s'agit de travailler avec des
populations d'origines ethnoculturelles diverses, varient en fonction du type
de politique éducative nationale. La première étape du développement de
telles politiques nécessite généralement d'accorder une place à la culture
minoritaire dans les programmes scolaires et d'éliminer les stéréotypes
contenus dans le matériel pédagogique; cette étape peut représenter une
révolution psychologique pour les enseignants qui n'ont pas été formés à
l'adaptation culturelle. Rapports et études sur ce thème mettent l'accent sur
la nécessité de continuer le dialogue non seulement avec les enseignants,
mais également avec toutes les communautés concernées, y compris avec la
communauté majoritaire.

165
Annuaire international de Véducation

L'une des conclusions les plus intéressantes de cette étude a été de


découvrir que, tandis que les politiques d'éducation évoluent vers une plus
grande reconnaissance de la culture (et de la langue) des minorités,
l'importance accordée à l'héritage culturel a tendance à se modifier.
Lorsque de telles différences culturelles ne sont pas reconnues par l'école,
on estime que les problèmes éducatifs rencontrés par les enfants des
minorités sont liés à une déficience; on considère qu'il leur manque un
bagage culturel approprié (celui de la majorité ou du courant dominant), et
leurs propres origines demeurent, en quelque sorte, un obstacle à écarter.
Mais, lorsque les différences culturelles, plutôt que les déficits, sont perçues
comme étant à l'origine des difficultés scolaires, un changement s'opère.
Une partie du problème réside dans une déficience du programme scolaire
lui-même, une inadéquation culturelle entre l'enseignement et l'élève. Un
tel changement débouche souvent non seulement sur la reconnaissance de la
culture minoritaire dans le programme, mais également dans une volonté de
traiter l'héritage culturel de façon neutre plutôt que selon une optique
négative. Lorsque les politiques d'éducation en viennent à percevoir la
langue maternelle de l'enfant comme un facteur positif, comme la base du
développement psychologique et personnel de l'enfant, l'objectif est généra-
lement double: 1) garantir un développement cognitif ultérieur dans la
langue maternelle grâce à des mesures de soutien; et 2) garantir que la
culture familiale soit valorisée dans le programme scolaire. Dans certains
pays, d'autres étapes peuvent être envisagées qui vont jusqu'à la reconnais-
sance totale d'une culture minoritaire comme valeur de l'héritage national, à
part égale avec la culture majoritaire. L'utilisation de plus d'une langue
comme moyen d'instruction se répand de plus en plus et doit être reconnue
de son propre droit comme un aspect important de la prise de décisions sur
le programme d'études.
La diversité des degrés de reconnaissance des groupes minoritaires dans
les différentes politiques d'éducation soulève des questions importantes
quant aux responsabilités des enseignants. Les différences culturelles des
minorités dans les classes des communautés majoritaires, ou bien à l'école,
peuvent être reconnues par des enseignants qui appartiennent au groupe
culturel majoritaire, du moins dans certaines limites. Par ailleurs, la plupart
des pays qui adoptent ce type de politique semblent accorder la priorité au
fait de garantir le recrutement des membres des groupes minoritaires comme
enseignants ou assistants. Il est évident que l'utilisation de la langue
maternelle des enfants des minorités dans un but pédagogique nécessite,
dans la plupart des cas, l'assistance d'une personne dont c'est la langue
d'origine.

166
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

L'étendue des différences culturelles des minorités dont il faut tenir


compte dépend des populations impliquées dans une situation donnée, y
compris d'une évaluation de leur stabilité et de leur nombre relatif. Il y a
une grande différence entre le fait d'adapter un enfant réfugié à une classe
d'un pays industrialisé et le fait de s'occuper de dizaines de milliers de
réfugiés mêlés à la population locale d'une ville africaine, ou à une
concentration de réfugiés qui constituent plus de 50% des élèves dans
certaines classes des principaux centres d'immigration16. À partir de telles
expériences dans différentes parties du monde, l'auteur serait porté à
résumer la situation de la façon suivante: il est dans l'intérêt des autorités
éducatives de réviser régulièrement leur propre situation nationale afin de
déterminer dans quelle mesure les besoins en éducation de leurs propres
minorités sont correctement satisfaits par les dispositions actuelles. La
reconnaissance officielle des besoins en éducation non satisfaits d'une
minorité est la première étape menant à la définition d'une politique dans ce
domaine. Dans ce processus, le corps enseignant doit jouer un rôle
primordial en apportant des informations sur les besoins en éducation et en
demandant à être consulté sur les réponses appropriées, y compris sur les
moyens d'établir ses responsabilités d'une façon qui contribue efficacement
à adapter l'éducation à des besoins culturels variés.

MESURES DE SOUTIEN AUX RESPONSABILITÉS DES ENSEIGNANTS

Le débat sur les responsabilités des enseignants face à certains aspects de


l'éducation culturelle et interculturelle soulève le problème des mesures de
soutien apportées à leur travail. Comme nous l'avons fait remarquer
précédemment, le rôle et les activités de l'enseignant en classe, en tant
qu'artisan du développement culturel, revêtent deux aspects qui sont liés : a)
les programmes scolaires et le cadre administratif dans lequel ils exercent
leurs activités; et b) les efforts qu'ils entreprennent sur le plan individuel
pour adapter leur enseignement à un groupe d'enfants issus de milieux
culturels très variés ayant des niveaux d'aptitudes académiques divers. Dans
le débat qui suit, nous traiterons brièvement des mesures qui peuvent être
prises par les autorités nationales17 pour faciliter le rôle des enseignants en
tant qu'artisans du développement culturel.
Étant donné que l'exemple et le comportement de l'enseignant dans sa vie
quotidienne jouent un rôle important dans la détermination des conditions
de mise en place de l'apprentissage culturel, les démarches entreprises pour
renforcer leur efficacité demandent, de toute évidence : premièrement, une
approche basée sur la coopération, qui reconnaisse le rôle premier de

167
Annuaire international de l'éducation

l'enseignant dans la promotion d'une meilleure éducation et, deuxième-


ment, le développement de mesures de soutien concrètes aux responsabilités
nouvelles et définies de façon plus générale des enseignants.
Comme signalé plus haut, les problèmes que les autorités doivent gérer
dans le cadre de la promotion de l'éducation culturelle et interculturelle ne
peuvent pas se limiter uniquement aux programmes scolaires ni à des
déclarations qui servent à légitimer les actions entreprises par des ensei-
gnants à titre individuel pour promouvoir les objectifs ou pour lutter contre
les préjugés culturels. À titre d'exemple, un dirigeant national peut saisir
l'occasion appropriée pour se prononcer avec fermeté en faveur de la
tolérance entre les peuples, action qui prend toute sa valeur symbolique
dans la détermination de la manière dont les individus agissent entre eux.
Cependant, dans le domaine de l'éducation, des changements efficaces à
grande échelle nécessitent que soit adoptée une approche coordonnée, liée à
l'apport de ressources et d'une orientation qui soutiennent les responsabili-
tés de chaque enseignant pris individuellement. À titre d'exemple, dans le
cadre des objectifs généraux de l'école, accorder plus d'importance au
développement culturel ne représente rien si cela ne va pas de pair avec la
prise de mesures liées au programme scolaire mis en place ou au matériel
pédagogique approprié. La définition de rôles nouveaux et étendus pour les
enseignants, dans le cadre du développement culturel et de l'éducation
interculturelle, nécessite que des décisions spécifiques soient prises pour
mettre en place une action coordonnée à tous les niveaux du système
éducatif.
Les décisions les plus importantes dans le domaine du développement
culturel supposent: a) la modification du programme d'études, y compris
celle du matériel pédagogique; et b) qu'on aide les enseignants dans leur
tâche et qu'on leur facilite la mise en place de changements concrets des
programmes scolaires.
Les aspects les plus importants des modifications du programme scolaire
sont faciles à énumérer. Cependant, les modifications elles-mêmes sont des
activités complexes qui nécessitent des ressources importantes et une
attention particulière de la part des instances supérieures. Les principaux
aspects à étudier requièrent des changements relatifs :

1. Aux objectifs de l'enseignement et au contenu des programmes scolaires


officiellement approuvés pour des matières spécifiques, afin de garantir
qu'une importance suffisante soit accordée aux aspects culturels de
l'enseignement, à la fois pour ce qui est de couvrir des sujets qui sont
estimés culturellement pertinents et permettre l'adaptation du professeur
aux différents besoins et capacités d'apprentissage des élèves.

168
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

1. Aux manuels scolaires officiellement approuvés ou sanctionnés, de façon


à y inclure, en particulier, les matières prévues dans le programme
scolaire mais également pour supprimer les éléments qui vont à rencon-
tre des objectifs culturels ; par exemple, en promouvant la compréhension
entre les groupes et en combattant le racisme, il serait important de se
débarrasser des stéréotypes négatifs basés sur la race, la religion, la
langue et l'origine ethnique.
3. Aux systèmes d'examens pour garantir que leur mise en place ne va pas
à l'encontre des objectifs établis pour le développement culturel;
par exemple, dans de nombreux environnements, l'omission, dans les
sujets d'examens, des questions liées à la culture peut les dévaluer à un
point tel que parents et élèves les considèrent peu pertinentes sur le plan
pratique.
4. Aux instructions données aux administrateurs d'établissements qui
encouragent les initiatives en faveur du rôle du professeur en tant
qu'artisan du développement culturel. Elles peuvent consister à favoriser
le développement de liens entre l'école et les communautés environnan-
tes, à utiliser les ressources communautaires dans le cadre de l'enseigne-
ment et à impliquer les parents et les familles des élèves dans les activités
scolaires (en particulier ceux des groupes défavorisés).
5. Aux critères fixés pour l'inspection académique et l'évaluation des
enseignants qui donnent tout leur poids aux objectifs culturels.

Tandis que la plupart des responsables de l'éducation ont une grande


expérience des modifications des programmes scolaires en ce qui concerne
les matières classiques à enseigner, la promotion du développement culturel
peut être efficacement secondée par d'autres institutions qui sortent du cadre
normal de la bureaucratie traditionnelle de l'éducation. Les institutions
spécialisées peuvent apporter une aide considérable à la mise en place de
changements pertinents. Voici quelques exemples typiques des rôles institu-
tionnels qui peuvent être développés :

1. Exploitation d'institutions de recherches et d'universités dans le proces-


sus de collecte des informations sur les besoins en éducation des
populations spéciales.
2. Création de relations culturelles avec les organisations non gouvernemen-
tales telles que celles qui œuvrent dans le domaine des arts du spectacle,
des beaux-arts, de la littérature, des arts populaires et de l'artisanat afin de
soutenir et d'étendre les ressources toujours limitées dont dispose le
système éducatif.

169
Annuaire international de l'éducation

3. Recours à des mécanismes de révision indépendants du matériel pédago-


gique et autres ressources afin d'identifier et de déterminer les préjugés
culturels et les stéréotypes négatifs des groupes culturels et nationaux.
4. Développement de liens entre les écoles, semblables à ceux qui ont été
développés dans le cadre du projet des Écoles associées de l'UNESCO,
afin de garantir que de meilleures méthodes de gestion des aspects
culturels et interculturels de l'éducation soient mises en place à titre
d'essai et, de ce fait, développées à grande échelle18.
5. Identification de stratégies pertinentes et adaptées aux situations de
chaque pays pour renforcer les liens entre les écoles et les communautés
environnantes.
Tous ces changements de programmes scolaires nécessitent que les objectifs
du développement culturel soient admis dans le cadre de la formation des
enseignants. Cela implique, par conséquent, que deux lignes d'action
parallèles soient menées :
1. Les programmes de base de la formation préalable doivent être révisés, en
particulier afin d'y inclure les questions relatives aux procédures de
certification des enseignants qui donneront tout son poids au développe-
ment culturel.
2. Les programmes d'études de formation des maîtres en exercice doivent
être conçus pour favoriser les changements des pratiques d'enseignement
de ceux qui sont déjà dans le métier.
Parce que les maîtres en exercice sont le point de départ de l'adaptation des
nouveaux enseignants à leur métier, il est important de mettre tout
particulièrement l'accent sur les programmes pédagogiques qui impliquent
que les éducateurs révisent leurs propres méthodes. Les changements
superficiels de la pratique éducative peuvent découler de mesures adminis-
tratives, mais les changements d'attitudes en profondeur sont rarement mis
en place sauf lorsqu'ils sont la conséquence de mesures volontaires prises
par des groupes d'éducateurs qui collaborent au développement de la prise
de conscience et de la sensibilisation aux problèmes culturels.

CONCLUSIONS

Dans notre étude sur le rôle des enseignants comme artisans de moyens
propres à faciliter le développement culturel, nous avons essentiellement
mis en exergue les aspects pour lesquels le corps enseignant et les
programmes officiellement prescrits pour les études exercent une action

170
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

réciproque, y compris en ce qui concerne les ressources utiles à l'instruc-


tion, c'est-à-dire les domaines dans lesquels une collaboration fructueuse
entre les responsables nationaux et le corps enseignant peut conduire à des
changements positifs. Notre analyse a été guidée en premier lieu par le point
de vue des enseignants sur leur travail, point de vue qui part du principe
qu'ils pourront mieux exercer leurs rôles et leurs responsabilités pour
faciliter le développement culturel s'ils travaillent dans un environnement
qui accorde, à long terme, l'attention qu'il convient aux besoins liés à leurs
difficultés. Le développement du rôle de ceux qui enseignent relève de la
responsabilité conjointe du corps enseignant et des responsables de l'éduca-
tion.

NOTES

1. Les écoles qui bénéficient d'un financement privé mais dont les orientations pédagogiques
sont formellement réglementées par l'État sont, par conséquent, incluses; cependant,
l'éducation postsecondaire et informelle, et l'éducation non réglementée sont exclues. Les
rôles éducatifs des familles, médias et institutions parapubliques et privées ne sont, par
conséquent, pas au centre de cet article. Toutefois, le lecteur devra noter que, dans la
plupart des analyses qui vont suivre, l'auteur utilise le terme «école» dans son sens abstrait
pour faire référence aux contextes de l'enseignement et de l'apprentissage. Les remarques
effectuées s'appliquent donc dans le contexte de l'éducation informelle (par exemple, en
dehors des établissements scolaires) pourvu qu'ils répondent à la condition d'être
réglementés par l'État, comme les campagnes d'alphabétisation menées dans les zones
rurales.
2. Il est courant de parler de « sous-cultures » en utilisant des termes tels que sous-culture des
pauvres, sous-culture des jeunes, sous-culture de la classe ouvrière, etc., pour faire
référence à la variété de groupes culturels que l'on peut trouver dans les États ou localités,
comme si chacun d'entre eux dérivait d'une culture unique qui chapeaute les autres. Je
préfère percevoir chaque individu comme étant un participant à un ensemble de commu-
nautés ayant à des degrés divers des caractéristiques (culturelles) communes. Par exemple,
l'identité familiale est généralement à l'origine des centres d'intérêt culturels individuels, et
la famille représente, à ce titre, une communauté culturelle. Il est également possible de
parler de culture scolaire pour faire référence soit à l'atmosphère particulière d'une école,
soit, collectivement, au type de structure culturelle mise en place par des écoles
spécifiques: la culture scolaire d'une école professionnelle peut être différente de celle
d'une école secondaire réservée à l'élite.
3. La littérature sociologique «occidentale» s'est essentiellement appuyée sur l'analyse de la
culture dans la relation entre l'instruction et le processus scolaire. Il existe peu de synthèses
ayant fait autorité en ce qui concerne les nombreuses et diverses écoles de pensée qui sont
apparues ces trois dernières décennies (voir Jean-Claude Forquin, École et culture : le point
de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, de Boeck, 1989), synthèses qui, même si
elles ne se concentrent que sur un pays, apportent des idées sur les développements
théoriques largement partagées par d'autres pays.
4. Dans cette discussion, nous qualifierons toutes ces formes d'adaptation de l'enseignement
d'«interculturelles», et nous utiliserons l'adjectif «multiculturelle» comme un terme

171
Annuaire international de Véducation

descriptif neutre faisant référence à un pays ou à une situation/une école, au sein desquels
de nombreuses cultures sont présentes.
5. Les artistes étaient très souvent des travailleurs acharnés. Cependant, dans une société
européenne au sein de laquelle la vaste majorité de la population était constituée de
fermiers ou de paysans, et les petites populations urbaines, d'individus des classes
ouvrières et de prestataires de services qui faisaient les travaux manuels ou les travaux de
l'artisanat, les «beaux-arts» constituaient un centre d'intérêt réservé à l'aristocratie, du
moins dans la mesure où ses membres étaient les consommateurs des produits finis. Bien
que de nombreuses femmes se soient adonnées à la pratique des beaux-arts, leurs travaux
étaient rarement considérés comme dignes d'être appréciés comme de l'art par le public. La
fabrication des vêtements était rarement considérée comme tel, sauf dans le cas des
tapisseries sorties d'ateliers comme les Gobelins, en France, dont la création entière était le
fait d'un petit nombre d'hommes; la réalisation du motif et le choix minutieux des
couleurs, sur lesquelles reposait l'effet que l'artiste voulait rendre, étaient confiés à d'autres
personnes dont on estimait le travail de moins bonne qualité et que l'on reléguait, par
conséquent, au rang d'artisanat.
6. Voir les premiers travaux de Paulo Freire, Pedagogy of the oppressed, New York, Seabury
Press, 1968. (Traduction française: Pédagogie des opprimés, suivi de Conscientisation et
révolution, Paris, F. Maspero, 1974.)
7. Selon l'usage à l'UNESCO et dans les autres organisations internationales, on attribue à
tous les responsables de l'éducation d'un État donné le qualificatif d'autorités nationales.
Dans de nombreux États membres, la prise de décisions en matière d'éducation peut être
partagée entre des instances qui vont, à travers divers niveaux intermédiaires de l'adminis-
tration, du ministère national et des responsables élus au bas de l'échelle, à l'école et aux
enseignants à titre individuel. La référence faite ici aux «autorités éducatives nationales»
s'applique à tous ces responsables, qui prennent des décisions sur ce qui devrait être
enseigné et la façon de l'enseigner, établissant de ce fait les lignes directrices des activités
des enseignants.
8. Dans la plupart des pays, les tentatives d'utilisation de tels médias comme vecteurs
importants de l'enseignement des matières ordinaires sont généralement limitées aux
faibles populations bénéficiant d'un certain type d'éducation à distance; l'utilisation très
répandue d'un tel moyen durant une partie importante de la journée dans les classes
«moyennes» demeure une proposition utopique dans la plupart des pays; cependant, sa
mise en place impliquerait non pas une nouvelle approche de ce que l'on appelle
«éducation relative aux médias», mais une restructuration fondamentale de l'instruction
telle qu'elle se présente aujourd'hui, y compris dans tous les aspects se rapportant au rôle
de l'éducation.
9. Les programmes d'alphabétisation sont rarement perçus comme des programmes de
remplacement. Cependant, lorsqu'ils sont combinés avec d'autres forces de travail de la
société, ils peuvent servir de moyen par le biais duquel une tension complémentaire est
créée en ce qui concerne les cultures et styles de vie traditionnels. Il n'en demeure pas
moins que les programmes d'alphabétisation sont souvent mis en place pour développer
l'alphabétisation dans les langues que les apprenants concernés ne possèdent pas comme
une langue maternelle et sont susceptibles de comprendre peu ou pas du tout.
10. Un inventaire de modèles types d'utilisation du développement du programme d'études
scolaire comme facteur stimulant l'adoption de nouvelles approches de l'éducation
interculturelle est fourni dans: S. Churchill, «Teaching about world issues in UNESCO
Associated Schools», dans: Robert Harris (dir. publ.), The teaching of contemporary world
issues, Paris, UNESCO, 1986. Le lecteur notera que ces approches peuvent être facilement
adaptées dans les écoles qui ne sont pas membres du réseau des Écoles associées.

172
Les enseignants, auxiliaires du développement culturel

11. La terminologie a été empruntée à une étude de l'OCDE intitulée «The finance,
organization and governance of education for special populations». Voir The education of
minority groups. An enquiry into problems and practices offifteeen countries, Centre for
Educational Research and Innovation, Organisation de coopération et de développement
économiques. Aldershot, Royaume-Uni, Gower, 1983.
12. Melvyn I. Semmel, Jay Gottlieb et Nancy M. Robinson, «Mainstreaming: perspectives on
educating handicapped children in the public school», dans: David C. Berliner (dir. publ.),
Review of educational research (American Educational Research Association) (Washing-
ton, D.C.), 1979, n° 7 p. 223-279.
13. Ibid.
14. Au Canada, par exemple, les organisations des malentendants ont mené des campagnes de
grande envergure pour la reconnaissance de leurs besoins linguistiques, campagnes qui ont
donné lieu à des changements dans le langage des signes qui est enseigné dans certaines
institutions.
15. Je résume très brièvement une situation des plus complexes. Voir: Stacy Churchill, The
education of linguistic and cultural minorities in the OECD countries, Clevedon,
Royaume-Uni, Multilingual Matters, 1986.
16. Pour les questions liées à l'éducation, voir: Isabel Kaprielian-Churchill et Stacy Churchill,
The pulse of the world: refugees in our schools, a guide for educators, Toronto, Oise Press,
1994.
17. Il est rappelé au lecteur que le terme «autorités nationales» fait ici référence à toutes les
instances responsables depuis le principal, ou le directeur d'école, jusqu'aux instances
nationales.
18. Voir, ci-dessus, la remarque de la note 14.

173
CHAPITRE VIII

Le rôle de l'éducation
dans le développement
artistique et culturel
Kees P. Epskamp

D'une façon générale, il y a deux façons d'organiser notre environnement


social et physique, et de donner un sens à cet agencement personnel. C'est
ainsi, par exemple, que nous créons notre propre réalité physique et
culturelle, une réalité qui, en fin de compte, n'est autre qu'une construction
sociale. La première façon d'organiser le monde constitue l'approche
logique et causale. La seconde est plutôt d'ordre associatif.
Les inventaires, listes, séparations, classifications et modèles basés sur
une méthode logique/causale d'organisation de notre monde s'appuient sur
une relation de cause à effet — A implique B — dans laquelle le facteur
temps joue un rôle important. Il y a tout d'abord une cause et, par la suite,
un effet; la notion d'«avant» et d'«après» est toujours présente. En se
servant de cette forme de classification, on cherche à créer des distinctions
absolues et mutuelles entre les différentes catégories dont on se sert. C'est la
raison pour laquelle les gens utilisent des termes et des concepts qui
s'opposent les uns aux autres par leur sens et par leur portée. En fait, il
s'agit d'un système d'oppositions à caractère binaire.
Dans le cas de l'approche associative, la situation est tout à fait différente.
Lorsque nous nous servons de cette approche pour organiser notre monde,
nous faisons des distinctions à l'aide des similarités et des différences entre
les objets, les plantes, les animaux, les gens, et ainsi de suite. Jusqu'à ce
jour, les méthodes associatives de classification de l'environnement jouent
un rôle important dans notre société, et cela non pas parce que, empirique-
ment, elles auraient prouvé leur infaillibilité, mais parce que la communauté
ou l'individu qui y a recours les considère comme valables. Il s'agit là d'un
domaine où la vérité et les croyances sont très proches les unes des
autres.
La méthode associative qui permet d'analyser et de donner un sens au
monde regroupe les objets et les idées d'après la façon dont 1'«explorateur»

174
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

considère qu'ils devraient être regroupés, et ceci même si une approche plus
logique suggère qu'ils n'ont absolument rien de commun, et qu'ils n'appar-
tiennent ni au même contexte ni à la même époque. Au début du siècle,
certains anthropologues occidentaux considéraient l'approche associative
d'organisation et d'analyse de notre monde comme significative d'une
«mentalité primitive», caractéristique de personnes originaires d'Afrique,
d'Asie ou d'Amérique latine, c'est-à-dire de personnes incapables de penser
de façon logique/causale, comme tout Occidental a appris à le faire.
Les théories sur la «mentalité primitive» ont aujourd'hui perdu leur sens.
La notion de «façon de penser primitive» a été utilisée par Lévi-Strauss
dans l'élaboration de ses notions concernant l'«esprit du sauvage». D'après
Lévi-Strauss (1978, p. 13), il faut faire une distinction entre la façon de
penser scientifique et la «logique du concret», entre ceux qui préfèrent
communiquer surtout à l'aide d'images et de symboles et ceux qui prennent
en considération et se servent des informations que leur fournissent leurs
sens.
Cependant, toutes les expressions telles que «mentalité primitive» ou
«esprit sauvage» défendent la notion que le noble sauvage vit dans son
propre monde et regarde ce qui l'entoure avec la naïveté d'un enfant. Ces
images vont encore plus loin puisqu'elles nous amènent à associer ces
cultures exotiques avec un mode de vie pur et intact, très proche de la nature
et en harmonie avec celle-ci.
Cette façon naïve de percevoir le monde n'est pas uniquement associée à
un environnement primitif ou «enfantin», mais il est aussi typique du
monde que les artistes se créent au sein de la société. En fait, en se servant
du potentiel que leur offre la méthode associative, les artistes sont censés
projeter 1'«image» de leur propre monde dans l'esprit du public. L'artiste
transforme un morceau de bois ou de pierre, une toile vierge ou encore une
scène de théâtre en une œuvre d'art.
L'approche associative de perception et d'analyse du monde a été
longtemps associée à la façon de penser des femmes, parce que, par leur
«nature», les femmes étaient censées percevoir leur environnement de
façon plus émotionnelle que les hommes.
C'est pour cette raison que l'on s'attend à ce que, d'une façon générale,
les femmes, les enfants, les artistes et les peuples primitifs voient le monde
d'une manière différente de celle adoptée par un homme occidental adulte
dont la façon caractéristique de voir le monde est logique et causale. C'est
cette méthode de pensée, d'analyse et d'organisation qui a permis l'élabora-
tion de la technologie moderne, sans laquelle la plupart des pays de
l'hémisphère Nord seraient encore des nations agricoles pauvres.

175
Annuaire international de Véducation

L'ÉDUCATION ARTISTIQUE ET LA FORMATION DES ARTISTES

La plupart des formes d'enseignement sont hiérarchiques. C'est un proces-


sus qui se développe étape par étape. Un certain nombre de choses doivent
être accomplies avec succès avant que d'autres puissent être apprises. Ce
processus commence avec l'enseignement de base et se termine avec
l'assimilation de sujets extrêmement complexes. Il y a différentes manières
de différencier cette façon d'enseigner étape par étape. Les enfants appren-
nent tout d'abord à reconnaître des signaux et à y réagir. Puis ils apprennent
à connaître le lien existant entre un stimulus et la réaction provoquée. Puis
ils apprennent à percevoir le lien entre plusieurs relations de cause à effet.
Ensuite, les enfants apprennent à assembler plusieurs relations pour créer un
«champ». Ensuite vient l'apprentissage de toutes sortes de critères visuels
et oraux à la suite de quoi viennent les associations verbales. Les enfants
apprennent progressivement le sens des règles et, en dernier lieu, comment
résoudre des problèmes.
Cela démontre clairement que le processus d'enseignement commence de
façon simple et devient de plus en plus complexe. Il en va de même dans le
cas de la taxonomie de Schramm (1977, p. 72): attitudes, facultés motrices,
information verbale, stratégies cognitives et capacités intellectuelles. Dans
ce contexte, les stratégies cognitives constituent nos compétences de
gestion, apprises dans le but de gérer plus efficacement nos expériences et
notre bagage intellectuel. Nous retrouvons aussi une certaine hiérarchie en
ce qui concerne les buts que cherche à atteindre l'enseignement. Dans ces
deux taxonomies, le développement des facultés intellectuelles constitue la
dernière étape d'une éducation menée à bien. La plupart des systèmes
éducatifs commencent à l'école primaire, où l'on cherche à développer les
facultés motrices et intellectuelles élémentaires, et se terminent à l'universi-
té, où se fait l'acquisition de capacités mentales de très haut niveau.
L'éducation artistique et la formation des artistes se font plus ou moins de la
même façon '.
La formation des artistes n'est pourtant pas synonyme d'éducation
artistique. Elle est liée au développement d'une science du «concret»
appliquée aux matériaux dont l'artiste se sert. Elle concerne aussi le
développement des facultés motrices nécessaires à l'utilisation des moyens
techniques qui permettent de travailler et de retravailler les matières
premières. En tout premier lieu, le futur artiste doit apprendre les « ficelles
du métier». On le forme aussi afin qu'il sache se servir de ses sens pour
percevoir et analyser les matériaux avec lesquels il travaille.
L'éducation artistique est un exercice plus intellectuel qui fait partie des
programmes scolaires de tout système éducatif formel. D'après Goblot

176
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

(1973, p. 434), l'éducation artistique telle qu'elle existe aujourd'hui dans le


secondaire fut mise en place au début du siècle dernier. Son but premier
était d'éduquer les enfants des classes moyennes sur l'héritage culturel en
général. L'un des objectifs de l'éducation artistique est de faire des enfants
des êtres cultivés et de leur donner une pratique élémentaire des arts et cela,
d'après Tohmé (1992, p. 21), dans les domaines de la musique, du théâtre,
de la danse, de l'expression littéraire et de l'art en général.
Selon Bourdieu, les amateurs d'art de l'époque manquaient d'érudition et
même de «connaissance artistique». Toute personne se trouvant devant une
œuvre d'art éprouve quelque chose de direct, mais pas nécessairement parce
que l'œuvre lui plaît. D'après Crego (et Groot, 1985, p. 224), on perçoit une
œuvre d'art tout d'abord comme un puzzle, auquel on cherche à donner un
sens en le comparant à d'autres œuvres d'art que l'on connaît ou encore à
des choses de la vie de tous les jours liées à cette même œuvre d'art.
Le fait d'apprécier l'art apporte la connaissance et les capacités requises
pour la juger. Une première méthode consiste à trouver des indications sur
la date de création de l'œuvre. Une autre consiste à se renseigner sur
l'«école» ou le mouvement artistique auquel l'artiste appartenait ou
n'appartenait pas. Il est aussi possible de comparer l'œuvre à celles d'autres
artistes de la même époque et de chercher des similarités de style ou de
sujet. Une telle formation permet, par la suite, de juger un genre dans son
ensemble.
L'école, la formation (artistique) et, dans son environnement personnel,
une attitude positive envers l'art contribuent toutes trois à rendre une
personne critique, d'un point de vue artistique. Ceux pour qui l'art n'est pas
un domaine familier, par exemple une personne qui se rendrait rarement
dans un musée ou au théâtre, reconnaissent et interprètent les œuvres d'art
en faisant référence à leur vie de tous les jours. Pour eux, le fait de
reconnaître ce qu'ils voient ainsi que le réalisme de l'œuvre sont des critères
importants.
De ces constatations, il découle que les différences d'appréciation artisti-
que sont directement liées aux différences sociales. En bref, nous dirons que
la connaissance culturelle et artistique est liée non seulement à l'environne-
ment social, mais aussi à la classe sociale. Le fait de pouvoir parler
d'œuvres d'art devient en soi-même une marque de distinction. C'est là un
des buts de l'éducation artistique: la formation d'une nouvelle «aristocra-
tie» d'amateurs d'art cultivés ayant un penchant pour ce qui est distingué.
Il y a un autre aspect de l'éducation artistique qui, lui, est d'ordre
pratique. Certaines techniques, telles que le dessin, la peinture, la sculpture,
la musique, l'art dramatique et la danse, font partie du programme
d'éducation artistique des écoles primaires et secondaires. Cette formation

177
Annuaire international de l'éducation

pratique ne cherche pas à faire des élèves des artistes mais à les sensibiliser
aux techniques artistiques, et cela, d'après Bateson (1973, p. 439), à
plusieurs niveaux — conscient, inconscient et externe — pour ensuite les
apprécier dans leur ensemble.
Dans le système éducatif hollandais, l'éducation artistique se subdivise en
trois parties: les arts visuels, le théâtre et la musique. D'après Demirbas et
Rabbae (1990, p. 13), l'éducation artistique qu'offre le système éducatif
officiel a pour objet de développer chez l'élève une personnalité plus forte,
une plus grande créativité et de transmettre le savoir pour qu'il/elle participe
pleinement à la vie sociale et culturelle. Cela correspond exactement aux
trois objectifs principaux du système éducatif hollandais : épanouissement
personnel, intégration à la société et à la culture, orientation et préparation
au marché du travail, y compris dans le domaine des arts.

FORMATION TECHNIQUE ET APPRENTISSAGE DE L'ARTISANAT

Certains considèrent qu'il y a une différence entre les arts et l'artisanat.


D'après Wollheim, lorsque l'on parle d'artisanat, on parle d'efficacité: il
s'agit d'entamer un projet et de parvenir à un résultat final. Lorsque l'on
parle d'artisanat, on faire une distinction entre la préparation et l'exécution.
La préparation requiert une connaissance préalable du but à atteindre et une
notion approximative de la façon dont ce but sera atteint. La plupart du
temps, on associe les arts au produit fini, et l'artisanat au processus de
création, à la fabrication d'un objet d'art. Cela signifie que, au cours de sa
formation, l'artiste se familiarise avec divers métiers dont il aura besoin par
la suite dans son travail de création artistique. Certaines personnes peuvent
évidemment se servir de techniques telles que la sculpture, par exemple à
des fins non artistiques. Les artisans, par exemple, s'en servent pour
fabriquer des outils utiles dans la vie de tous les jours.
Bien qu'aujoud'hui la formation artistique fasse partie du système
éducatif formel, il n'en fut pas toujours ainsi et, dans le passé, cet
apprentissage était de nature bien plus informelle. Dans certaines sociétés,
les enfants étaient en contact avec les arts de façon permanente dans leur vie
de tous les jours ; les arts étaient présents partout et les enfants apprenaient
de façon ludique les techniques qui leur sont associées. Si un enfant
s'avérait être particulièrement doué, il recevait d'un artiste expérimenté une
formation supplémentaire et personnelle, que ce soit un percussionniste, un
danseur, un sculpteur ou un marionnettiste.
Cependant, dans les sociétés dotées d'une organisation sociale plus
élaborée et d'environnements ruraux et urbains distincts, cette formation

178
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

personnalisée et ce tutorat furent progressivement intégrés dans le processus


de formation. Les artisans organisèrent des guildes et des associations, et
prirent également en charge la formation. Les garçons et les filles particuliè-
rement doués devenaient les apprentis d'un «maître». Ces guildes et
associations avaient le monopole de la production de leurs œuvres d'art et
tenaient une place à part dans la société; dans certaines, elles devinrent
même des castes à part entière.
Dans les sociétés où l'aristocratie était bien implantée, il existait un
système de mécénat royal. Si les nobles n'étaient pas uniquement les
principaux mécènes de l'art, ils furent néanmoins les premiers fondateurs
d'écoles ou d'académies des arts. Dans la société féodale de l'Europe du
Moyen Âge, tout comme dans d'autres sociétés ayant une forte infrastructu-
re monastique, telles que les sociétés bouddhistes de l'Asie du sud-est, le
«temple» était aussi un lieu de promotion des arts.
D'après Williams (1981, p. 60), deux événements historiques marquèrent
l'émergence des écoles d'art officielles : d'une part, l'importance de l'Église
qui allait en déclinant et le fait que les membres de la Cour devinrent les
principaux mécènes des arts et, de l'autre, le fosssé qui se creusait entre art
et artisanat. La relation de maître à apprenti se transforma en une relation de
professeur à élève. Bien que l'accent portât toujours sur la relation de
personne à personne entre le professeur et l'élève, un nombre grandissant
d'élèves reçut sa formation dans une salle de classe.
Évidemment, il existait encore des académies non officielles que l'on
associait à tel ou tel artiste, peintre ou sculpteur, et certaines d'entre elles, à
Florence, furent visitées par Michel-Ange, à la fin du XVe siècle. Cependant,
ces «écoles» recevaient encore l'appui financier d'un duc ou d'un autre
noble. Rapidement, elles acquirent leur indépendance, en particulier à partir
du moment où la haute bourgeoisie commença à s'intéresser à l'acquisition
d'objets d'art en tant que moyen d'accéder au prestige.
Les académies organisaient des expositions, et avec elles apparut un
nouveau type de revendeur, d'intermédiaire: le «courtier» en art, connu
aujourd'hui sous le nom de marchand d'art. Les artistes commencèrent alors
à organiser des sociétés professionnelles plutôt que des guildes. Des
universitaires, tels que les historiens, par exemple, se mirent à s'intéresser
aux arts qui devinrent alors des thèmes de recherche universitaire. Ce qui
n'était auparavant qu'un conglomérat d'artistes recevant une formation dans
une académie donnée se transforma en «école» ou «mouvement». Chez les
artistes et les historiens, le terme «école» prit donc un double sens. D'après
Williams (1981, p. 63), le terme «école» désignait, dans le sens moderne du
terme, une institution réunissant un professeur et des élèves, dont les œuvres
étaient reconnaissables d'après des caractéristiques qui leur étaient propres.

179
Annuaire international de l'éducation

Cependant, certains historiens spécialisés dans l'art associaient aussi le


terme «école» à un maître sans être directement relié — de façon
institutionnelle — au travail des élèves de celui-ci.
Au début de ce siècle, les artistes et les historiens spécialisés dans l'art
commencèrent à classer leur art en « mouvements » issus de divers courants
artistiques s'opposant les uns aux autres, ou s'influençant mutuellement.
Ces courants ou tendances furent catalogués à travers une série de termes en
«isme», tels qu' «impressionnisme» ou «expressionnisme».

RETOUR AU DÉBUT

D'après Nketia (1975, p. 59-60), rien jusqu'à présent ne suggère que, dans
l'Afrique subsaharienne de l'époque précoloniale, l'art ait été organisé de
façon formelle et systématique, ni sur une base institutionnelle. L'apprentis-
sage des enfants se faisait dans un contexte social où ils étaient en contact
permanent avec la musique, la danse, les mascarades, etc. L'apprentissage
organisé n'était pas très développé. Il arrivait parfois qu'un percussionniste
ou un chanteur soit envoyé chez un maître, mais, en premier lieu, les enfants
apprenaient les techniques artistiques de base par l'observation et l'imita-
tion.
Dans la vie de tous les jours, un enfant africain était rarement privé de ce
type d'expérience. Dès le berceau, il s'accoutumait aux chants et aux danses
de sa mère. Puis, la musique, la danse et les représentations venaient
prendre une part importante dans l'éducation informelle des enfants à
mesure qu'ils passaient par des groupes d'âge et qu'ils traversaient l'adoles-
cence. Étant donné que chaque famille ou « maison » tendait à se spécialiser
dans la maîtrise d'un instrument, les enfants étaient amenés à apprendre ces
techniques dès leur plus jeune âge.
Les « devoirs » des enfants étaient souvent corrigés de façon pratique. Le
maître de percussion chez les Akan du Ghana, par exemple, scandait sur son
instrument les rythmes que l'enfant apprenait en mettant ses mains sur les
omoplates de celui-ci pour acquérir les facultés motrices nécessaires à
l'utilisation d'un tambour parlant (Nketia, 1975, p. 61).
Cette méthode physique d'enseignement existe aussi à Bali, en Indonésie,
et sert à la formation des danseurs. D'après Bateson (1973, p. 87), ce type
d'enseignement par mémorisation musculaire qui permet à l'enfant de
réaliser les mouvements appropriés est particulièrement fréquent lors des
cours de danse. Schechner (1985, p. 213-214) décrit ainsi la façon dont un
professeur « manipule » son élève :

180
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

J'ai eu l'occasion d'observer Kabul, le gourou de Batuan, à Bali, tandis qu'il se tenait derrière
une petite fille de huit ans environ, et qu'il lui manipulait les poignets, les mains et les épaules
à l'aide de ses propres mains, le torse à l'aide de son corps et les jambes à l'aide de ses genoux
et de ses pieds. Il se servait d'elle comme d'une marionnette et lui transmettait directement sa
propre façon de danser [...]. Cette méthode d'« acquisition directe» par manipulation, imitation
et répétition est paradoxale dans la mesure où la «créativité» de l'artiste ne se développe
qu'une fois que celui-ci a assimilé les mouvements par cœur.
Il en résulte que la créativité artistique, forme d'expression personnelle, ne
peut se développer qu'après l'apprentissage des techniques. Dans ce
contexte, la connaissance d'un métier n'est autre que la capacité à se servir
d'instruments, tandis que l'expression est la capacité à communiquer, à
«dire» quelque chose au public ou à une communauté plus vaste. L'appren-
tissage de ces techniques ne se fait pas uniquement grâce à des techniques
de manipulation, mais également en développant une meilleure compréhen-
sion entre professeurs et élèves et en leur apprenant à observer attentive-
ment la technique d'artistes adultes. C'est de cette façon qu'ils acquièrent
un meilleur contrôle de leur art, ce qui, d'après Grallert (1991, p. 262), est
l'élément essentiel de tout programme de formation des enfants, programme
dans lequel le fait de réaliser un produit fini, raffiné, est considéré comme le
résultat majeur.
Cela se révèle particulièrement vrai dans un contexte où le processus
d'apprentissage est de plus en plus formel, avec ses exercices à faire de
façon régulière et sa «logique» basée sur la pratique. À la suite de cela,
l'élève découvre de lui-même ce qu'il est en train d'apprendre, tandis que
les expériences artistiques nouvelles sont réservées à ceux qui possèdent
l'expérience ainsi qu'aux maîtres, sages et avisés. Ils sont les seuls à
pouvoir modifier l'héritage culturel transmis de génération en génération.
Cela est en opposition complète avec la tradition euro-américaine contem-
poraine, qui cherche à développer le plus possible l'originalité et la
créativité chez les jeunes artistes. Comme le dit Schechner (1985, p. 229),
les critiques occidentaux ont un goût prononcé pour les interprétations
nouvelles de textes anciens. Donc, d'après lui (ibid), «une interprétation
nouvelle est une façon de mettre en avant les tendances progressives d'un
texte apparemment ancien, dans le sens de démodé ou obsolète».
Cette phrase reflète bien les différentes attitudes existant entre chaque
culture «vivante» quant au rôle du professeur. D'après Schechner, de
nombreux acteur de théâtre, en Asie, subviennent à leurs besoins en
enseignant, et cela dans trois buts différents: a) assurer le développement
personnel de l'artiste en tant qu'homme de spectacle; b) transmettre la
connaissance de l'art de représentation; et c) «éduquer» le public. La
différence majeure entre les traditions occidentales et orientales réside dans
le fait que les premières n'accordent pas beaucoup de valeur à l'enseigne-

181
Annuaire international de Véducation

ment des traditions passées : « Ceux qui ne peuvent pas donner de représen-
tation enseignent», tandis que, dans la plupart des sociétés orientales,
l'enseignement constitue le couronnement d'une carrière artistique (Schech-
ner, 1985, p. 225).
Il y a là une différence évidente entre la façon dont chaque société marque
du respect pour les maîtres es arts. Dans les sociétés orientales, les élèves ne
sont pas censés poser des questions, et le fait d'émettre des doutes quant à
un art est considéré comme un manque de respect. En Occident, en
revanche, les élèves qui souhaitent devenir des artistes sont appelés à
s'exprimer sur ce qu'ils attendent de leurs professeurs. D'après Barthes
(1977, p. 197), un élève occidental attend d'un professeur: a) qu'il l'aide à
mener à bien sa formation professionnelle; b) qu'il remplisse son rôle
d'autorité scientifique, instruite et qualifiée; c) qu'il révèle les techniques et
les secrets qui feront de l'élève un maître, en l'aidant à passer avec succès
les étapes finales de son initiation (des examens, par exemple); d) qu'il ait
un rôle de maître (ou gourou) incitant à la réflexion; e) qu'il soit le
représentant d'un «courant d'idées», d'une «école», d'un héritage intellec-
tuel; f) qu'il initie l'élève à la complexité du langage et de la terminologie
propres à cette profession; g) qu'il fasse comprendre les règles inhérentes
aux étapes finales de la formation; et h) qu'il l'aide à remplir des lettres
d'inscription, des demandes de bourse, ou encore qu'il écrive des lettres de
recommandation destinées à un futur employeur.

RENFORCER L'IDENTITÉ CULTURELLE

«La culture constitue l'âme de notre peuple. Sans âme et sans art, notre
peuple ne peut survivre.» Ainsi s'exprimait Proeung Chhieng, directeur de
la faculté de danse de l'École des Beaux-Arts de Phnom Penh (Cambodge),
lors d'un entretien avec Van Vegchel (1990, p. 10). Bien que le peuple
cambodgien n'ait pas connu la paix depuis plus de vingt ans, ce conserva-
toire situé dans la capitale reçoit environ six cents étudiants en danse,
musique et arts visuels.
Dans le passé, c'est l'aristocratie, les moines et les grands propriétaires
terriens qui se chargeaient de se faire les mécènes des artistes cambodgiens.
Cependant, avec la prise de pouvoir de Pol Pot, la majorité de la noblesse
cambodgienne fut massacrée, ainsi que leurs fonctionnaires et leurs proté-
gés, dont les artistes faisaient partie. Des milliers d'artistes furent arrêtés,
incarcérés dans des camps, torturés et tués. Les costumes et les instruments
furent détruits, ainsi que des manuscrits, des livres et des partitions. C'est

182
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

pour cette raison que le conservatoire de Phnom Penh tente de «restaurer»


d'anciennes danses et des morceaux de musique. Peu nombreux furent ceux
qui survécurent à la violence des Khmers rouges, et en l'absence de
références écrites ou de documentation visuelle, ils tentent de se remémorer
ces partitions et de les transmettre aux jeunes artistes du spectacle.
Pourtant, la plupart des danses ont disparu à jamais. Comme l'explique
Proeung Chhieng, les femmes n'ont pu reconstituer que trois des vingt
danses du répertoire, et une heure ou deux de ballets en cinq actes qui, à
l'époque, commençaient à sept heures du soir pour finir au petit jour
(Blaustein, 1989, p. 44).
L'élimination d'un peuple à travers la destruction de son héritage culturel
est une méthode qui s'utilisait systématiquement à l'époque coloniale, et
constitue encore un problème de taille là où régnent l'oppression et les
conflits ethniques, une situation que vivent de nombreux peuples indigènes.
C'est pour cette raison qu'un nombre grandissant de groupes ethniques
prend l'initiative d'organiser des instituts de formation artistique.
Un projet de création d'une école de théâtre indigène a pris naissance
parmi de nombreux groupes d'Indiens du Canada, et cela avec le concours
de l'Association pour le développement autochtone des arts du théâtre et des
arts plastiques (ANDVPA), une organisation à but non lucratif qui cherche à
promouvoir les arts en tant que moyen de préserver les traditions des
peuples autochtones en faisant de ces traditions des formes d'art contempo-
rain, et en faisant prendre conscience aux autochtones, comme aux autres,
de l'héritage culturel indien et des problèmes que pose un monde en
constante mutation.
Les organisations non gouvernementales ne sont pas les seules à mettre
sur pied des instituts de formation artistique puisque, à ce jour, certains
gouvernements en place en font de même. C'est le cas, par exemple, de la
Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au début des années 80, ce pays avait une
politique ouverte envers la culture, et cela se reflétait dans le budget de
l'État. Dans un entretien avec Berman (1984, p. 26-27), l'ancien Premier
Ministre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Michael Somare, avait exprimé
un point de vue tranché sur le sujet. Pour lui, la politique culturelle d'un
pays constitué de plus de sept cent dix-sept groupes ethniques devrait faire
partie de l'identité nationale. Dans un pays où les œuvres d'art traditionnel-
les et l'art contemporain peuvent tous deux être réalisés par un seul et même
sculpteur sur bois, la seule façon de défendre l'identité nationale consiste à
élaborer un système national d'éducation artistique qui soit conséquent.
Le programme scolaire d'expresión artistique mis en place en Papouasie-
Nouvelle-Guinée se base sur la culture du pays. Ce programme d'enseigne-
ment artistique est constitué de plusieurs matières qui, dans d'autres pays,

183
Annuaire international de Véducation

seraient sans doute enseignées séparément, telles que, par exemple, le dessin
et la peinture, les travaux manuels et la musique. Ce programme a été
réalisé par le Conseil national pour l'éducation afin d'aborder les arts avec
une méthode pédagogique plus flexible. Cette initiative se base sur le fait
que, dans la société traditionnelle mélanésienne, il n'existe pas de sépara-
tion entre celui qui construit un tambour et le percussionniste, entre celui
qui sculpte un masque et celui qui le porte, entre le costumier et le danseur,
entre le compositeur et le chanteur, et ainsi de suite.
Pour pouvoir former des professeurs qualifiés dans ce domaine, il fallait
définir une éducation artistique au niveau tertiaire. L'École nationale des
arts vit le jour à Port Moresby, en 1975. Dans tout le Pacifique, ce fut le
premier centre de formation artistique mis en place au niveau de l'enseigne-
ment supérieur. D'après Thompson (1989, p. 48-49), une grande partie du
travail qui y est effectué est originale, bien que la formation que l'on y
reçoit soit de plus en plus formelle. La plupart des personnes qui y suivent
une formation sont à cheval entre le passé et le futur, et c'est pour cette
raison que l'«art contemporain» produit par cet institut est synonyme de
continuité, et que l'évolution artistique y suit son cours.
À l'inverse de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la plupart des pays en
développement n'ont pas adopté un programme de formation artistique
conventionnel; leur programme est une copie du système mis en place
autrefois par les colons. C'est le cas de la plupart des systèmes d'enseigne-
ment des pays d'Afrique du Nord, tels que la Tunisie, l'Algérie et le Maroc.
Au Maroc, les écoles de musique sont sous la juridiction du Ministère de la
culture, et le programme d'enseignement, tout comme les méthodes pédago-
giques, ressemble fortement à celui des pays européens.
Il existe cependant un établissement, l'Ecole de musique de la médina de
Fez qui a une méthode d'enseignement différente, et privilégie encore la
méthode traditionnelle. Cette école est publique, n'a pas d'affiliations
religieuses, et la plupart des professeurs enseignent comme il leur fut un
jour enseigné, c'est-à-dire à travers la tradition orale, et en s'appuyant sur la
mémoire et les moyens mnémotechniques pour assimiler les rythmes.
D'après Loopuyt (1990, p. 6), les élèves se réunissent trois fois par semaine
pour des séances d'entraînement de deux heures. Lors de la première
séance, ils sont censés connaître les vers d'un poème du XVIIIe siècle par
cœur, et les récitations collectives servent d'«échauffement» pour la voix et
l'esprit. Cela est réalisé de façon efficace, lors de Yiqa qui associe
battements de mains et récitation. Le programme de formation se poursuit
donc de façon progressive.
Après avoir assimilé Yiqa, les élèves apprennent à se servir du petit
tambour d'accompagnement. Au bout de deux ans, ils peuvent enfin étudier

184
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

les techniques propres aux instruments mélodiques. Cependant, pendant


toute la durée de ce programme de formation, c'est la voix qui domine et,
bien que tous les élèves connaissent bien les mélodies entendues au cours de
leur enfance, ils savent qu'il ne leur sera pas permis de chanter tant qu'ils
n'auront pas terminé leur formation.

LA FORMATION MUSICALE DANS UNE SOCIÉTÉ MULTIETHNIQUE

À la fin des années 60, un grand nombre de personnes originaires du Maroc


et de la Turquie émigrèrent en Hollande pour travailler dans l'industrie, la
plupart d'entre elles vivant dans les grandes villes néerlandaises. Les
deuxième et troisième générations des enfants de ceux qui s'y installèrent
définitivement fréquentèrent les écoles primaires du pays ; ils devaient donc
y apprendre le hollandais comme deuxième langue et se trouvèrent confron-
tés aux expressions, valeurs et attitudes hollandaises. Dans les domaines des
arts visuels et de représentation, du dessin, de la musique, et du théâtre,
c'est la conception propre aux Hollandais de concepts tels que la «beauté»
ou «la perfection» qui était mise en avant.
Dans le même temps, on a vu se développer une tendance grandissante à
acquérir une éducation interculturelle. En effet, bien que la population
vivant en Hollande soit multiethnique, le peuple hollandais est encore très
peu enclin à accepter cette communauté et à participer à sa vie culturelle
(Dors, 1990, p. 28). Pour que cela change, il faudrait, entre autres,
sensibiliser les enfants aux différences de culture et créer une compréhen-
sion mutuelle. Il ne s'agit pas uniquement de reconnaître ces différences au
sein de la classe, mais aussi de prêter attention aux expériences qu'ont les
élèves avec l'esthétisme.
C'est pour cette raison que le système éducatif hollandais se tourne de
plus en plus vers une forme d'éducation interculturelle, et cela à tous les
niveaux. Dans l'enseignement élémentaire appliquée aux arts — à la
musique en particulier2 —, on cherche à rendre les élèves plus conscients
des expériences de chacun et des formes artistiques propres à chaque ethnie.
Dans l'enseignement supérieur, la formation — y compris la formation
théâtrale — porte essentiellement sur l'éducation interculturelle. Les pro-
grammes éducatifs des écoles de musique permettent maintenant aux
enfants déjouer d'instruments autres que les instruments européens les plus
connus.
Comme nous l'avons vu précédemment, la musique est partie intégrante
de l'éducation de nombreux enfants, et en particulier de ceux dont la culture
se sert de la musique pour marquer les événements, journaliers ou

185
Annuaire international de l'éducation

saisonniers, de la vie de tous les jours. En Occident, l'utilisation de la


musique en de telles occasions a été réduite à sa plus simple expression, et
l'on fait encore appel à des fanfares lors de manifestations publiques
importantes telles que compétitions sportives, foires agricoles, événements
royaux et autres. Les cloches des églises nous donnent encore l'heure ou
nous rappellent que nous avons des obligations religieuses. Il y a de la
« musique au mètre » dans les supermarchés et les ascenseurs. Cependant, en
Occident, ce sont maintenant l'âge, les goûts et l'appartenance ethnique qui
déterminent quel type de musique est écouté. De plus, à l'inverse de ce qui
se fait dans les pays subsahariens, les Ocidentaux ont commencé à écouter
de la musique de façon solitaire et individuelle à la radio, sur des chaînes
stéréo ou dans des baladeurs. Les seuls événements musicaux publics qui
existent encore sont les concerts.
Le rythme joue un rôle important dans le développement de la perception
musicale. Il sert de support et d'influx à la mémoire musicale de l'enfant et
constitue une base solide bien avant que celui-ci soit conscient de la
mélodie. L'enfant réagit avec justesse aux rythmes qu'il entend, mais il
n'est pas conscient de ce qu'est un rythme tant qu'il n'a pas conscience non
plus de ce qu'est une mélodie. En d'autres termes, l'enfant n'est pas capable
de distinguer entre le rythme et les accompagnements. Il ne devient capable
de le faire qu'à l'âge de six ou sept ans, et cela dépend non pas de sa
perception musicale, mais de son éveil intellectuel (Suliteanu, 1979,
p. 210).
Pour que les enfants aient un minimum de culture en ce qui concerne leur
propre tradition musicale, il est indispensable que la musique fasse partie
des programmes scolaires au niveau de l'enseignement élémentaire. Mais le
choix du type de musique à enseigner est rendu difficile par le fait que la
plupart des écoles primaires des grandes villes de Hollande sont multiethni-
ques. C'est la raison pour laquelle, dans les années 80, les professeurs ainsi
que ceux qui établissent les programmes éducatifs se sont engagés dans une
polémique qui a donné lieu aux premières tentatives de formation musicale
interculturelle au niveau de l'enseignement élémentaire.

CONCLUSIONS

L'éducation artistique occupe une place grandissante dans les programmes


scolaires de base de nombreux pays. Il existe pour cela deux raisons: a)
apporter aux enfants des connaissances générales de base et une compréhen-
sion de l'art en général — et cela de façon théorique et pratique à la fois ; et
b) donner aux enfants l'occasion de découvrir leurs préférences et leurs

186
Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

talents artistiques, et de préparer certains d'entre eux à une éducation


artistique acquise dans le cadre des études supérieures. Envisagée sous cet
angle, l'éducation artistique, comme élément des programmes scolaires, est
une forme d'«apprentissage par la découverte». Elle permet aux enfants de
découvrir progressivement différentes façons de penser et donc de se
familiariser avec une méthode plus associative d'organisation de l'environ-
nement physique et social.
Intégrer les arts visuels et les arts de représentation aux programmes
scolaires de base pourrait avoir l'effet indésirable de renforcer l'identité
culturelle (ethnique) ou nationale. Dans les pays qui ont fait des efforts
considérables en faveur de la consolidation d'une identité nationale, comme
la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l'éducation artistique porte essentiellement
sur les traditions artistiques de plus de sept cents groupes ethniques. En
Occident, où l'on prend de plus en plus conscience du caractère multicultu-
rel de notre société, l'effort consiste à développer chez l'enfant une plus
grande tolérance envers différentes formes artistiques.
Dans ce contexte, la musique semble être une discipline qui attire
beaucoup les enfants. Elle fait partie de leur culture et leur devient familière
dès le plus jeune âge; les rythmes font partie des premières choses
auxquelles ils sont sensibles. Ce n'est que plus tard dans leur développe-
ment qu'ils apprennent à différencier les mélodies, vers six ou sept ans,
l'âge auquel ils entrent dans le système éducatif de base. C'est à cet âge que
l'enfant est le plus à même de distinguer les différences rythmiques et
mélodiques existant entre diverses cultures, et de les apprécier, surtout
lorsqu'elles sont associées au chant ou à la danse.
Il est évident que chaque société est dotée d'autres institutions contribuant
à développer chez l'enfant une attitude plus positive envers des formes
d'expression artistique et culturelle qui ne lui sont pas familières3. Plusieurs
musées d'ethnologie ont mis en place un département pédagogique doté
d'une zone d'exposition conçue pour les enfants. Le Royal Tropical
Museum d'Amsterdam a créé un musée spécialement pour eux dans lequel
on leur présente, de façon active et vivante, d'autres modes de vie. Ils
peuvent déambuler dans les rues d'un village de Bali, et, avec l'aide d'un
professionnel, toucher les objets mis à leur disposition et jouer avec eux afin
qu'ils se fassent leur propre idée de la vie à Bali. Ils peuvent, par exemple,
jouer avec les instruments et faire leurs premiers pas de danse.

187
Annuaire international de l'éducation

NOTES

1. Voir l'article de V. S. Sobkin et V. A. Levin intitulé «Artistic education and aesthetic


upbringing» [Education artistique et esthétique], dans Soviet education (aujourd'hui
Russian education and society) (Armonk, New York), 1991, vol. 33, n° 4, p. 67-82, en ce
qui concerne la situation dans l'ex-Union soviétique. Voir aussi l'article de Seyyed Hossein
Nasr, «The teaching of art in the Islamic world» [L'enseignement artistique dans le monde
islamique], publié dans Muslim education quarterly (Cambridge, Royaume-Uni), 1989,
vol. 6, n° 2, p. 4-24.
2. Voir l'article de D. J. Elliot intitulé «Muziek als cultuur/naar een multi-cultureel concept
van kunstzinnige vorming (1)» [La muusique en tant que culture: concept multiculturel de
la formation artistique], publié dans Künsten & Educatie : tijdschrift voor theorievortning
(Utrecht), décembre 1990, vol. 3, n° 3, p. 33-39.
3. Voir l'article de H. Kakebeeke et J. Letschert intitulé «Het god'lijk licht en een blik toffees ;
gesprek over kunst, educatie en der role van musea» [La lumière divine et une boîte de
bonbons: débat sur l'art, l'éducation et le rôle du musée], publié dans Onderwijs en
Opvoeding (Baarn, Pays-Bas), 1985, vol. 37, n° 3.

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Le rôle de l'éducation dans le développement artistique et culturel

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189
CHAPITRE IX

Le développement culturel
par l'interaction entre l'éducation,
la communauté et la société
F. M. Bustos

CONSIDÉRATIONS PRÉALABLES

Ce chapitre se propose d'étudier le potentiel et les possibilités dont dispose


l'école pour promouvoir le développement culturel au profit, premièrement,
des communautés locales et, deuxièmement, de l'ensemble de la société.
Comme le dit clairement le titre, certains types d'interaction en faveur du
développement culturel fonctionnent dans les deux directions : de l'école
vers la communauté et la société, et de la communauté et la société vers
l'école.
Quelles sont ces interactions et comment pourrait-on les multiplier?
Quelle est leur nature et quels sont les facteurs qui les favorisent ou qui les
limitent ? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles nous essaierons
de répondre dans les pages qui suivent.
Les relations entre l'éducation et la culture, entre le développement de
l'éducation et celui de la culture, entre les institutions culturelles et les
institutions éducatives, et entre les activités culturelles et les activités
pédagogiques, constituent un thème dont l'intérêt et l'importance n'ont
cessé de croître au cours des dernières années. Ainsi, la quarante-troisième
session de la Conférence internationale de l'éducation (CIE, Genève,
septembre 1992) était consacrée à l'analyse de ce sujet, et elle s'est efforcée
de proposer des actions à l'échelle mondiale.
Plusieurs facteurs sous-tendent ou même déterminent dans une mesure
plus ou moins grande une nouvelle approche à l'interaction, en matière de
développement culturel, entre les institutions éducatives et les communau-
tés, notamment au niveau local. En voici quelques-uns :
Tout d'abord, le phénomène le plus évident et peut-être le plus détermi-
nant est le bouleversement profond qu'a connu la société sur le plan
démographique, mais aussi économique, politique et social, dans une
période relativement courte ; il est dû sans doute aux progrès extrêmement

190
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

rapides de la science et à leurs applications technologiques. Ces change-


ments et la vitesse à laquelle ils se sont produits ont modifié la scène
mondiale, nos relations sociales, nos organisations — dont l'État —, et
même les valeurs et les comportements des groupes et des individus (King
et Schneider, 1991).
Autre facteur important à considérer découlant des progrès rapides de la
technologie : la croissance, la diversification et la propagation des médias,
qui ont eu des répercussions évidentes à la fois négatives et positives sur le
développement culturel. Nous aborderons la question en détail un peu plus
loin dans ce chapitre.
Sur le plan économique, il est important de réaliser que la culture a
désormais acquis la dimension d'un produit que l'on peut acheter, vendre,
utiliser pour réaliser des bénéfices et pour créer des emplois. En fait, les
«travailleurs» culturels constituent une catégorie professionnelle.
D'un point de vue sociopolitique, il est intéressant de constater les progrès
accomplis : la reconnaissance de certains droits universels de l'homme, le
recul de divers types de discrimination, la reconnaissance des libertés
sociales et individuelles, l'acceptation de la démocratie comme forme
d'organisation politique. Tous ces phénomènes ont eu des effets positifs
dans le domaine culturel tels la reconnaissance du multiculturalisme, le
respect accordé aux cultures des minorités ethniques — notamment celles
des peuples autochtones — et la reconnaissance de la culture en tant que
bien social et en tant que droit des peuples et des personnes.
Ces changements ou ces transformations que connaît à présent la société
présentent un certain nombre de caractéristiques.

L'ACCÉLÉRATION

Le progrès s'est accéléré en termes quantitatifs et qualitatifs. Son assimila-


tion pose donc de graves problèmes. L'un des effets négatifs de cette
accélération est notamment le fossé technico-scientifique qui se creuse sans
cesse entre les pays industrialisés et les pays en développement. Sur le plan
de l'éducation, elle se traduit par un manque de synchronisation entre la
rapidité des changements qui s'opèrent dans la société — dont certains,
culturels — et la capacité des systèmes d'éducation à s'y adapter (Gozzer,
1990). Et ce sont les groupes sociaux et les pays les plus pauvres qui ont
souffert le plus directement de ces effets négatifs.
Ces changements rapides survenant dans les divers secteurs de la société
ont favorisé le progrès dans certains aspects de la culture. Ainsi l'opinion
publique exerce à présent une plus grande influence sur l'élaboration des

191
Annuaire international de l'éducation

politiques culturelles et sur la répartition des ressources nationales ; elle est


plus largement diffusée par les médias, et elle s'est aussi accrue du fait de la
participation des entreprises, des organisations non gouvernementales et
même des personnes. En général, le champ d'action de la culture s'est
beaucoup élargi. Le progrès technologique en matière de production de
matériel et d'équipement a permis d'améliorer la qualité — de l'image et du
son, par exemple —, et il a également fourni à des secteurs culturels
naguère silencieux de meilleures chances de s'exprimer.

LE VILLAGE PLANÉTAIRE

La nature interdépendante et mondiale de ces changements est une autre de


leurs caractéristiques évidentes. Il n'y a pas que les problèmes qui tendent à
devenir planétaires, c'est le cas aussi de leurs solutions.
Sur le plan culturel, cette mondialisation de la société a des effets positifs
et négatifs. Parmi les premiers, citons un accès plus facile aux expériences
des autres cultures et la rapidité de l'intercommunication qui favorise la
connaissance et l'appréciation des cultures fermées et peu connues. Parmi
les seconds, relevons le risque de standardisation à l'échelle mondiale et
celui de l'imposition de certains schémas, valeurs et comportements
culturels typiques de ceux que l'on appelle les pays «centraux», et qui
menacent l'identité des cultures dites «périphériques». Ajoutons à cela le
risque déjà manifeste de la «banalisation» de la culture et de la production
de «stéréotypes». Le plus grand défi que doivent relever les systèmes
éducatifs et culturels dans tous les pays consiste à trouver le moyen de
participer et de réagir aux mouvements culturels mondiaux tout en préser-
vant leur identité culturelle.

LES DROITS DES FEMMES

Les progrès continus des femmes, s'agissant de faire respecter leurs droits et
leur participation à la plupart des activités humaines, constituent un autre
changement dans la société. Leur présence et leur participation active sont
tout à fait remarquables dans les domaines de l'éducation et de la culture.
Cependant, dans certains pays, il y a encore beaucoup à faire, notamment
dans les zones rurales.

192
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

LES CHANGEMENTS MACROSOCIAUX

Typiques de ces changements sont les différences significatives quant à leur


rythme, à leur profondeur et à leur expansion d'un contexte à l'autre. Ils
sont plutôt homogènes dans les pays industrialisés, mais dans les pays en
développement ils sont plus lents, plus marginaux et moins efficaces. À cet
égard, certains phénomènes étaient inimaginables il y a quelques décennies,
tels que l'Union européenne ou l'émergence économique inattendue de
certains pays d'Asie du Sud-Est, et ils ont été accompagnés de certains
facteurs culturels implicites que l'on n'a pas encore bien explorés ni
analysés.
Parallèlement à ces changements macrosociaux, d'autres phénomènes,
dont certains sont circonstanciels et d'autres de nature structurelle, sont
apparus qui, sans aucun doute, exerceront une influence sur le développe-
ment futur de la société, et auront un impact direct ou indirect sur son
développement culturel et éducatif. Les changements récents considérés
comme ayant le plus d'impact sont les suivants:
— L'effondrement du bloc communiste et de l'économie planifiée des pays
de l'Est européen, ce qui a eu des implications évidentes pour l'avenir
de ces pays et celui de l'Europe tout entière ;
— La résurgence d'un nationalisme de type ethnique, en particulier dans
les vieux pays d'Europe de l'Est, et l'apparition du racisme parmi les
jeunes de certains pays d'Europe occidentale;
— La destruction de la nature et la détérioration de plus en plus marquée
de l'environnement par suite de l'exploitation des ressources naturelles
et d'une industrialisation non maîtrisée;
— La rareté probable, à moyen et à long terme, de ressources énergétiques
liées à l'industrialisation à l'échelle mondiale;
— Le poids de la dette extérieure (en particulier en Amérique latine) qui a
eu un impact direct sur le développement économique et la fourniture de
services sociaux;
— L'apparition de nouvelles maladies telles que le SIDA, l'aggravation
d'autres comme les affections cardio-vasculaires et l'apparition, dans
les pays pauvres, de maladies qu'on avait cru quasiment éliminées, tel le
choléra ;
— L'augmentation des flux migratoires des pays pauvres vers les pays
riches à la recherche d'emplois et d'une vie meilleure, ce qui a contribué
à l'apparition de nouvelles explosions de racisme et de conflits ethno-
culturels ;

193
Annuaire international de Véducation

— L'affermissement et le monopole quasi total du néo-libéralisme écono-


mique et du conservatisme politique, qui pourraient conduire à une plus
grande concentration de la richesse, à de plus grandes inégalités sociales
et, en fin de compte, à un affaiblissement du rôle de l'Etat.
À ces changements sociaux qui ont mis en lumière la valeur de développe-
ment culturel et le rôle joué par l'éducation, on peut ajouter certains autres
facteurs positifs, notamment :
— La création d'un organisme spécialisé des Nations Unies — l'UNES-
CO — dont la mission est d'accroître les dimensions du développement.
Grâce à la présence et à l'influence de cette organisation, certains
progrès ont été possibles dans les domaines de la théorie, des politiques
et des réalisations au cours de la seconde moitié de ce siècle.
— L'institutionnalisation, dans presque tous les pays, de ministères de la
culture ou d'autres organismes de haut niveau chargés d'orienter et
d'élaborer les politiques culturelles, et de stimuler l'avènement de plans,
de programmes et de projets dans ce domaine. Dans une mesure plus ou
moins grande, on a doté les activités culturelles d'une base institution-
nelle, articulé des politiques et alloué des ressources. Selon les condi-
tions socio-économiques et politiques qui prévalent dans chaque pays,
ce progrès institutionnel a permis d'améliorer l'action culturelle à la
base et au niveau des combinaisons, de mobiliser et de coordonner
certaines ressources, de sauvegarder et de renforcer les expressions du
multiculturalisme.
— La convocation de diverses réunions internationales — de niveaux
mondial et régional — au sein desquelles les pays participants ont défini
et recommandé certains principes, certaines politiques, et approuvé des
programmes de coopération multilatérale et bilatérale.
Deux événements ont eu lieu dont les résultats pourraient constituer le cadre
du développement culturel et éducatif au niveau international.
La Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mexico, 1982),
dont la Déclaration finale contenait les principales approches de presque
tous les pays du monde et déclarait que « la culture constitue une dimension
fondamentale du processus de développement et permet de renforcer
l'indépendance, la souveraineté et l'identité des nations» (par. 10). Cette
conférence a été précédée et suivie par des conférences et des réunions
régionales.
La Conférence mondiale sur l'éducation pour tous : répondre aux besoins
éducatifs fondamentaux (Jomtien, Thaïlande, 1990), dont la Déclaration
mondiale prenait en compte les progrès accomplis, l'expérience acquise, les

194
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

besoins qu'il reste à satisfaire, et énonçait un ensemble de principes,


d'objectifs et de directives pour faire du droit à l'éducation pour
tous — hommes et femmes de tous âges dans le monde — une réalité.
La décision prise par la quarante-troisième Assemblée générale des
Nations Unies de proclamer la période 1988-1997 Décennie mondiale du
développement culturel a marqué une autre étape. Cette décennie, dont
l'objectif est de «promouvoir une prise de conscience de l'importance
fondamentale de la culture dans la vie des êtres humains et de la société,
ainsi que des interactions fructueuses qui lient culture et développement»,
est structurée autour de quatre objectifs principaux engendrant un Program-
me d'action conduit sous la supervision de l'UNESCO.
De même, la décision de débattre de «la contribution de l'éducation au
développement culturel», à la quarante-troisième session de la Conférence
internationale de l'éducation, a constitué un pas dans la bonne direction. La
recommandation de cette réunion contient certaines directives visant à
renforcer le développement de l'éducation et de la culture dans le cadre des
nouvelles sociétés qui émergent.

L'ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES JEUNES EN FAVEUR


D'UNE PARTICIPATION ACTIVE À LA VIE CULTURELLE

Nous l'avons dit dans les paragraphes précédents et la Déclaration de


Mexico le confirme : « Le monde a connu des bouleversements profonds au
cours des dernières années. Le progrès de la science et de la technologie a
modifié la place de l'homme dans le monde ainsi que la nature de ses
relations sociales. » Ces transformations rapides ont été ressenties comme
des tendances susceptibles d'engendrer des crises dans la société, dans les
sous-systèmes qui la composent, dans les institutions qui les favorisent et
dans la croissance humaine qui les rend nécessaires (Mesarovic et Pestel,
1974).
Aujourd'hui, les enfants et les adolescents naissent, grandissent, vivent et
sont élevés dans des milieux nouveaux, avec des valeurs nouvelles et dans
le cadre de nouveaux paradigmes. Tout en faisant l'expérience des consé-
quences du changement survenu dans la société, notamment en termes de
valeurs et de comportements (famille, nationalité, travail, sexe, art), ils sont
restés prisonniers de systèmes d'éducation rigides et immuables, en désac-
cord profond avec les bouleversements qui survenaient dans le reste de la
société.

195
Annuaire international de l'éducation

Dans les pays industrialisés — ceux d'Europe occidentale, d'Amérique du


Nord, le Japon ainsi que l'Australie —, les besoins essentiels de la plus
grande partie de la population des jeunes, c'est-à-dire ceux qui sont liés à la
santé, à l'alimentation, à l'éducation familiale et aux loisirs, semblent être
satisfaits. Cependant, certaines parties de la population dans ces pays, telles
que les minorités ethniques et les enfants des travailleurs immigrants
(comme on l'a vu au cours du mouvement des lycées français en 1990), ont
parfois le sentiment que ces besoins n'ont pas été véritablement satisfaits.
Par ailleurs, on enregistre des événements, très préoccupants dans un grand
nombre de pays développés, telles la persistance du taux élevé du chômage
et l'utilisation sans cesse croissante de la drogue.
En revanche, dans le tiers monde, au-delà des tendances universelles qui
l'affectent directement ou indirectement, chaque pays ou groupe social est
doté de conditions de vie particulières. Ces conditions comprennent, entre
autres, un niveau de vie peu élevé pour de nombreuses familles qui ont la
charge d'enfants et de bébés, l'absence de tout espoir dans l'avenir pour
nombre de groupes marginaux, l'assimilation sauvage et inconsciente des
valeurs et des comportements venus des pays industrialisés et transmis par
les médias, une participation politique faible ou nulle, des formes extrêmes
de violence, le trafic de drogue et l'émigration des talents vers les pays
développés. Il faut encore ajouter à tous ces facteurs l'étroitesse des
infrastructures administratives, économiques et pédagogiques qui prévalent
dans le système d'éducation, ce qui renforce les inégalités sociales et
l'isolement des jeunes par rapport aux transformations scientifiques et
sociales qui ont lieu ailleurs.
Compte tenu de ces facteurs internes et externes, nous tenterons de définir
le champ des actions menées par les institutions éducatives pour aider
enfants et adolescents à jouer un rôle actif dans le développement culturel
de leur communauté immédiate en particulier, et de la société en général.
Comme l'a fait remarquer l'équipe qui préparait le thème de la quarante-
troisième session de la CIE: «C'est la mission de l'école que de développer
des fonctions diverses et multiples pour promouvoir le développement
culturel, notamment au niveau régional» (Bureau international d'éducation,
1992). Cela n'exclut pas l'impact que peut avoir l'école sur le développe-
ment culturel de la société, et réciproquement. En fait, on peut supposer que
l'école exerce ou pourrait exercer une influence culturelle directe et
immédiate sur la communauté dans laquelle elle opère, et même une
influence à long terme sur la société en général. Dans une certaine mesure,
ce critère exprime la préoccupation de la CIE, qui souhaite que l'on ne
charge pas l'école des responsabilités qui relèvent en fait d'autres secteurs
de la société.

196
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

Dans un souci descriptif et analytique, nous tenterons de distinguer les


divers types d'interaction en faveur du développement culturel entre l'école
et la communauté.

ACTIVITÉS DE FORMATION INHÉRENTES


AU PROGRAMME D'ENSEIGNEMENT OFFICIEL

Il s'agit des disciplines du programme d'enseignement officiel qui ont un


caractère général, et dont l'objectif est le développement des compétences
analytiques de l'élève, de sa compréhension du monde, l'édification de sa
pensée critique constructive, l'observation des phénomènes et l'acquisition
de valeurs morales et spirituelles. L'étude menée par le BIE avant la
Conférence internationale de l'éducation et les discussions qui ont eu lieu
lors de cette session ont permis d'établir une liste de ces matières qui ont
une influence particulière sur la participation au développement culturel.
Les langues, notamment la langue maternelle. La langue d'un pays ou d'un
groupe est un élément essentiel de son identité culturelle. C'est aussi un
instrument de diffusion et de socialisation, d'acquisition de connaissances et
d'appréciation d'autres cultures.
Dans les pays où une seule langue prédomine, comme c'est le cas dans
presque tous les pays industrialisés et en Amérique latine, son rôle
d'articulation entre l'éducation et la culture est moins complexe et parfois
moins onéreux. La prédominance d'une langue officielle dans les pays où il
existe des minorités pratiquant leurs propres langues (Espagne, Canada,
pays d'Amérique latine où les groupes autochtones sont relativement
influents) n'exclut pas l'utilisation totale ou partielle d'une seconde langue
à l'école. La situation à cet égard dépend en fait de la politique de chaque
pays et du cadre de sa souveraineté nationale.
Dans les pays qui disposent de deux langues officielles ou davantage, il
est plus difficile d'en choisir une à des fins éducatives et culturelles. La
situation est particulièrement complexe pour ce qui est de l'éducation des
adultes et de l'éducation de base des enfants.
Par ailleurs, la construction grammaticale de nombre de ces langues n'a
pas encore été codifiée, et les chercheurs en linguistique, en anthropologie
culturelle et en pédagogie devront faire de grands efforts avant que du
matériel d'enseignement puisse y être conçu et produit.
Voilà qui implique des coûts élevés que les pays pauvres ne peuvent
assumer, notamment lorsque le problème touche des petits groupes isolés et
nomades ou des populations flottantes dont l'existence est directement liée à

197
Annuaire international de l'éducation

certaines périodes où le travail abonde comme l'époque des moissons. Dans


ces cas-là, les options sont très limitées et, lorsqu'il y en a, elles ne résolvent
pas les problèmes fondamentaux. L'une d'elles consiste à mener à bien
certaines activités scolaires — principalement les activités hors program-
me — pour tenter de diffuser l'expression culturelle de ces minorités par la
danse, la musique, le théâtre, des expositions d'artisanat et d'art, le sport,
etc.
Notre société éprouve un autre besoin, qui l'amène à relever un autre défi :
l'apprentissage d'une deuxième langue de nature universelle, comme
l'anglais ou le français, qui faciliterait les échanges sur les plans économi-
que et culturel. Il faut bien reconnaître que, si la prédominance de quelques
langues monopolise la science et la culture, elle permet cependant d'étudier
et d'acquérir des connaissances dans d'autres cultures.
L'apprentissage de l'histoire est considéré comme l'un des principaux
moyens, pour l'individu, d'apprendre, de comprendre et d'apprécier sa
propre culture. C'est aussi la manière la plus rapide de se familiariser avec
d'autres cultures et d'autres tendances universelles de la pensée et de
l'esprit humains, et de les apprécier. Aujourd'hui, on comprend mieux la
pertinence de l'enseignement de l'histoire, parce que la carte du monde
évolue sans cesse, et aussi parce que les conflits localisés menacent l'avenir
de la société. Bien sûr, il faut donner une rigueur scientifique à cet
enseignement et tenter de circonscrire les conflits belliqueux, le nationalis-
me exagéré et le patriotisme découlant de circonstances particulières dans
lesquelles vivent certains peuples.
Les enseignants doivent donc recevoir une formation solide et garder
l'esprit ouvert à l'égard de certains phénomènes liés à la société actuelle en
général et aux communautés locales en particulier. On pourrait prendre en
compte la recommandation de la CIE concernant la célébration dans les
écoles de certains événements historiques — par exemple, le cinquième
centenaire de la Rencontre de deux mondes, en 1992 — à laquelle ont
participé plusieurs cultures. Par ailleurs, certains actes ont été le produit des
efforts conjoints de plusieurs peuples qui souhaitaient promouvoir et
garantir la tolérance et la compréhension internationales, comme la Déclara-
tion universelle des droits de l'homme.
La philosophie, la morale et la religion figurent parmi les autres matières au
service du développement culturel qui sont le plus fréquemment mention-
nées. L'importance de leur apport à l'éducation des enfants et des adoles-
cents, ainsi qu'au développement de leurs connaissances, de leurs comporte-
ments et à leur acquisition des valeurs, est évidente. Elles favorisent
l'avènement d'attitudes et de dispositions constructives sur le plan moral et

198
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

spirituel, telles que le respect des droits de l'homme et la solidarité entre les
pays, les groupes et les individus. L'internationalisation de la société, la
disparition progressive des frontières nationales par suite de la création de
grands blocs économiques et de l'invasion des médias, ainsi que la maîtrise
du temps et de la distance, devraient élargir le regard de l'individu sur le
monde, et ces disciplines devraient l'inspirer dans ce sens.
L'enseignement esthétique et artistique ne se limite pas à ces matières ou à
ces activités du programme d'enseignement officiel, dont l'objectif est
l'acquisition par l'élève d'un certain sens esthétique et artistique. La
formation en matière d'art et de créativité a aussi d'importants effets
éducatifs et formatifs. Elle crée chez l'élève un équilibre entre les processus
cognitifs du raisonnement et les processus créateurs de l'imagination et de
l'épanouissement de l'esprit.
Comme l'affirme l'un des paragraphes de la Recommandation de la CIE:
«L'éducation artistique doit favoriser l'accès à différentes manifestations
culturelles, qu'elles soient de caractère local, national, régional ou universel,
de manière à faire apprécier la diversité des valeurs et des significations
qu'elle véhicule. Elle pourrait constituer une étape de la formation ultérieure
aux professions artistiques» (par. 18).
L'intégration de ces activités dans le programme d'enseignement — chose
courante dans les pays industrialisés et les classes aisées des pays
pauvres — suscite des difficultés dans les pays en développement à cause de
la pénurie d'enseignants qualifiés et de matériel didactique, à l'exception
peut-être des activités de type local et folklorique. Dans ces conditions, leur
valeur pédagogique est limitée.
La participation d'artistes professionnels de la région aux activités
artistiques de l'école est un choix que l'on mentionne fréquemment, mais
dont l'application est très difficile (sauf dans certains pays). On peut aussi
utiliser, à des fins éducatives, les locaux, le personnel, le matériel et
l'équipement appartenant à des organisations ou à des groupes locaux.
Les activités culturelles complémentaires ou de soutien sont conçues pour
renforcer le travail formateur effectué en classe dont l'objectif est d'aider les
élèves à comprendre et à apprécier leur patrimoine culturel. Parmi les plus
enrichissantes, citons les visites aux musées et sur les lieux historiques,
culturels ou scientifiques, guidées par les enseignants de ces disciplines au
programme. Ces activités, qui mettent l'élève en contact avec la réalité des
faits, ont une grande valeur pédagogique.
Elles sont pourtant confrontées à des limitations et à des difficultés qui
tiennent à leur organisation, au transport de groupes importants d'élè-
ves — notamment lorsqu'il s'agit d'écoles isolées et pauvres — sans parler

199
Annuaire international de l'éducation

de la capacité et de la disponibilité des institutions culturelles, lorsqu'il


s'agit de recevoir des groupes importants.

ACTIVITÉS HORS PROGRAMME

Il faut distinguer les activités, les programmes culturels menés au sein ou en


dehors de l'école et les activités du programme officiel mentionnées dans
les paragraphes précédents.
— Elles ne font pas partie du programme d'enseignement officiel, par
conséquent elles ne sont ni programmées, ni exécutées, ni évaluées dans
le cadre des activités officielles de l'école.
— Leur objectif n'est pas strictement éducatif, mais il complète ou
prolonge les activités de l'école formelle.
— Bien que la plupart de ces activités puissent être menées à bien dans
l'école, la plupart d'entre elles ont lieu à l'extérieur.
— Certaines d'entre elles ne requièrent que la participation de l'école et de
ses élèves, mais elles sont nombreuses à faire appel à la communauté
locale et aux parents.
— Dans ce cadre, la communauté joue non seulement le rôle d'une
audience, mais aussi celui d'un pourvoyeur de ressources ou de
participants.
— Ces activités ne suivent pas toujours un calendrier régulier; certaines
d'entre elles sont occasionnelles ou ponctuelles.
— En général, elles ne sont obligatoires ni pour les élèves ni pour les
enseignants; l'initiative en revient souvent à des groupes volontaires.
La principale caractéristique de ces activités est leur diversité, selon les
ressources disponibles et l'importance de leur relation avec l'institution
éducative. Les plus fréquentes sont:
— l'éducation des adultes: outre sa valeur éducative — souvent remise en
question —, elle exerce un impact social important non seulement sur
les animateurs, mais aussi sur les élèves, puisqu'elle renforce leur sens
de la solidarité et de la responsabilité sociales ;
— l'éducation de base destinée aux enfants des zones déshéritées : c'est là
une activité moins courante, dont les résultats seraient plus efficaces si
elle était plus systématique et mieux organisée, et si l'enseignement
était dispensé par les étudiants de l'enseignement supérieur;
— activités artistiques/musicales : celles que permettent orchestres, fanfa-
res, chœurs, groupes de danse et de ballet (la musique les animant peut
provenir de la région, du pays, ou même de partout ailleurs dans le
monde) ;

200
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

— activités artistiques/esthétiques : peinture, sculpture, céramique, artisa-


nat, de la forme la plus simple aux formes les plus complexes, et des
thèmes les plus locaux aux thèmes les plus universels ;
— activités littéraires: concours littéraires et poétiques, clubs littéraires et
historiques, récitals, groupes de théâtres, périodiques, magazines, bulle-
tins scolaires;
— activités scientifiques : conférences, concours, expositions, semaines
scientifiques et technologiques (activités qui n'ont pas seulement une
grande valeur éducative quant à la communication des connaissances
scientifiques, mais constituent en outre un moyen de vulgariser la
science) ;
— activités sportives/récréatives: clubs de sport, championnats de jeux
scolaires, excursions scientifiques et voyages scolaires à caractère
récréatif et éducatif.

La liste est loin d'être complète, et sa longueur dépend, en fait, de la


motivation, de la créativité et de la capacité d'organisation de l'école et de
la communauté. Les formes diverses que prennent ces activités, le degré de
participation qu'elles exigent, leur continuité et leur portée dépendent de
l'organisation et des ressources de l'institution, du niveau d'interaction avec
la communauté, et du soutien réel et potentiel que peuvent offrir les
écoles.
Dans le monde d'aujourd'hui, en particulier dans les zones rurales, le
développement de ces activités est favorisé notamment par la disponibilité
d'équipement moderne et de matériels sophistiqués, le soutien fourni par les
médias et les exigences de la population en matière de loisirs.
Compte tenu de leur diversité, de leur flexibilité, de leur accessibilité et
même de leur impact immédiat, ces activités permettent une interaction plus
directe et élargie entre l'école et les communautés locales, qui sert les
intérêts du développement culturel. Elles ont souvent des effets directs et
collatéraux, tels le renforcement, l'appréciation et la sauvegarde du patri-
moine culturel communautaire, ainsi que des expériences et des innovations
qui permettent de l'accroître. Elles favorisent l'école, non pas seulement
parce qu'elles incitent la société à mieux l'apprécier et à prendre conscience
de son utilité, mais aussi parce qu'elles stimulent les processus éducatifs en
mettant les enfants en contact avec la réalité qui les environne. Elles
deviennent le point de convergence d'une action commune entre les écoles
et les communautés locales. Elles renforcent la participation sociale, la
coopération et la solidarité, qui sont aujourd'hui des valeurs très appréciées.
Elles permettent en outre aux écoles de tirer profit de leur potentiel éducatif
et d'optimiser l'utilisation judicieuse des ressources non conventionnelles.

201
Annuaire international de l'éducation

Dans les pays pauvres, les régions isolées, les zones rurales défavorisées
et les zones urbaines marginales, ce type d'activité constitue probablement
le principal mécanisme d'interaction culturelle entre l'école et la commu-
nauté.
Une mise en œuvre appropriée de ces activités et de ces programmes offre
aux institutions éducatives et culturelles, ainsi qu'aux communautés, la
possibilité de relever un défi, celui d'agir. De notre point de vue, en voici
les principaux effets bénéfiques :
— La perspective interdisciplinaire que ces activités confèrent au program-
me d'enseignement officiel est un élément important de la participation
active de l'éducation au développement culturel de la communauté, et
elle remplace avantageusement la fragmentation et le manque d'articu-
lation des dimensions culturelles acquises à partir de quelques matières.
Pourquoi ajouter de nouvelles matières au programme d'enseignement?
Il suffit de revoir l'approche et le contenu des matières actuelles, et de
les doter d'objectifs culturels. Outre ces aspects éducatifs — harmonisa-
tion et articulation d'éléments confluents —, cette vision interdiscipli-
naire favorise la rationalisation des ressources et du temps.
— L'intégration de la composante culturelle au processus éducatif formel
(préscolaire, élémentaire, secondaire et supérieur). À chaque niveau, la
composante a des objectifs et des connotations spécifiques, et elle peut
s'exprimer par divers actions et programmes. En fait, au fur et à mesure
que l'on atteint les niveaux supérieurs, les activités culturelles de l'école
s'élargissent, deviennent plus complexes et plus diversifiées.
— L'harmonie et la complémentarité entre les activités éducatives du
programme d'enseignement officiel et les activités hors programme,
puisqu'elles sont à l'origine d'expériences mutuellement enrichissantes.
L'une sans l'autre, elles sont toutes deux incomplètes.
— La participation effective des populations à ces activités, qu'il s'agisse
des animateurs ou des participants, ou encore de personnes affligées de
limitations diverses tels les handicapés, les analphabètes, les immigrants
et les réfugiés.
— La participation active et croissante des femmes comme utilisatrices et
agents, non seulement pour des raisons d'équité sociale mais aussi parce
que leur position stratégique est unique, s'agissant d'inculquer et de
transmettre des valeurs à leurs enfants.
— Compte tenu de la tendance actuelle à la destruction de la nature et à la
dégradation de l'environnement, il est bon de donner à certaines de ces
activités culturelles une perspective écologique à moyen et à long terme
afin de rendre la vie sur terre plus saine et plus agréable.

202
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

Disons, pour conclure, que l'école est non seulement responsable de la


promotion, du renforcement et de l'enrichissement du développement
culturel de son voisinage immédiat et de la société en général, mais encore
qu'elle dispose de mille moyens pour assumer cette responsabilité. De toute
évidence, les conditions varient selon le contexte géographique, économi-
que et politique, et il est donc difficile de proposer des stratégies et des
variations communes; il faut s'en tenir aux tendances et aux pratiques
générales.

L'ÉCOLE, CENTRE CULTUREL DE LA COMMUNAUTÉ LOCALE

Traditionnellement, on décrit l'école comme une institution très fermée, très


rigide, et elle a souvent été critiquée à cet égard. Le mouvement antiscolaire
la voyait comme «une institution où les élèves d'un âge donné reçoivent
régulièrement et pendant un certain nombre d'années une instruction
dispensée en classe, dont la responsabilité incombe à un enseignant, et sont
tenus d'ingurgiter un programme d'enseignement assorti d'un système de
notations qui les oblige à gravir des degrés inférieurs avant d'atteindre des
niveaux supérieurs» (Illich, 1971). Cette critique appliquée à l'école
traditionnelle n'a pas engendré de grands changements, mais elle a donné
lieu à des théories soucieuses de programmes d'enseignement plus souples,
d'une reconnaissance plus étendue de l'éducation informelle et extérieure à
l'école, de la mise au point de méthodes actives centrées sur l'élève et le
processus d'apprentissage, et d'approches qui lient l'école plus étroitement
aux besoins de la vie communautaire et aux problèmes de l'environne-
ment.
Apparemment, la stratégie la plus efficace est celle qui consiste à faire de
l'école le centre culturel et d'activités de la communauté. Ces activités
prennent des formes diverses selon les contextes géographique, démogra-
phique et social. Dans les milieux isolés et pauvres, comme les communau-
tés rurales de la majorité des pays en développement, l'école — notamment
l'école primaire — demeure un lieu de rencontre pour la communauté, et
l'instituteur, malgré la détérioration qu'a subie son image sociale, reste un
personnage important. Plus encore que les activités purement éducatives, ce
sont les activités culturelles qui fournissent un centre d'attraction, un lieu de
réunion et un lien culturel entre l'enseignant, les adultes et les enfants.

La situation dans les pays en développement


Jusqu'à présent, les activités culturelles de l'école, qu'elles soient formelles
ou hors programme, sont restées simples et limitées. Étant donné le bagage

203
Annuaire international de l'éducation

éducatif et socio-économique des enseignants, ceux-ci se contentent de


dispenser quelques rares cours de lecture et d'écriture, généralement
inspirés des pratiques de l'école primaire. L'enseignant estime que toute
activité qui ne suit pas le schéma officiel de l'enseignement ne relève pas de
sa responsabilité et n'a aucune valeur éducative.
Le problème est plus aigu encore lorsque l'enseignant ne vit pas au sein
de la communauté et que, de ce fait, il s'identifie très peu à elle. À quoi il
faut ajouter le manque d'espace et de meubles dans les écoles, la rareté ou
même la pénurie totale de matériel didactique, les longues distances que
doivent parcourir les élèves pour atteindre une école souvent mal située, la
passivité des enfants et la pauvreté des populations marginales rurales.
On comprendra, dans ces circonstances, le peu d'intensité de l'interaction
culturelle entre l'école et la communauté. Dans certains pays, on s'efforce
d'assouplir le programme d'enseignement et de l'adapter en fonction des
préoccupations et des problèmes de la communauté locale.
Cette stratégie exige des enseignants un comportement ouvert et la
capacité d'arriver à un équilibre entre les concepts théoriques et les réalités
qu'ils observent. Elle exige aussi le dépassement du modèle pédagogique
fragmenté des matières isolées au profit d'un modèle interdisciplinaire.
On tente parfois d'intéresser les parents au processus éducatif. Dans
certaines zones et certains pays pauvres, la participation des mères est
encouragée au cours de la période préscolaire et élémentaire.
Dans les zones rurales où la densité de la population est plus forte et où
l'économie et la production sont plus modernes, il est souvent plus aisé de
mener à bien des activités culturelles dans les écoles avec le soutien de la
communauté, et ce pour plusieurs raisons : les enseignants compétents sont
plus nombreux, l'équipement et le matériel sont de meilleure qualité, et le
statut socio-économique de la population est plus élevé. Les activités
culturelles des écoles et leur interaction avec la communauté sont donc plus
fluides, plus diverses, plus dynamiques.
Elles couvrent notamment l'expression artistique, le sport, et sont parfois
liées au programme d'enseignement formel. De même, la participation de
ces communautés plus denses est plus aisée que celle des populations
rurales, clairsemées ou isolées. En fait, dans ces milieux, l'éducation est une
valeur sociale et économique plus importante, et elle est parfois considérée
comme le passeport vers les zones urbaines.
La situation des écoles et leur rôle culturel dans les régions peuplées
d'autochtones de la plupart des pays en développement sont encore plus
complexes. Dans ces communautés, les conditions socio-économiques sont
souvent mauvaises, pour ce qui est de la production, du revenu familial, de
la santé, du logement, de la nutrition, de la fourniture et de la consommation

204
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

d'eau, des services sanitaires et des écoles. Parfois, ces populations sont très
largement dispersées dans des zones isolées de la jungle, ne disposent
d'aucuns moyens de transport ou de communication, comme en Amazonie.
Dans d'autres cas, elles vivent au sein d'un groupe ethnique dominant, mais
sont souvent en proie à la discrimination et à la subordination, et elles ne
disposent que de terres à faible capacité productive.
Leurs écoles, si elles en possèdent, sont inadéquates et fréquemment
inspirées des modèles urbains. Par ailleurs, les limitations de la langue
maternelle de ces populations, comme le fait qu'elle n'a aucune structure
grammaticale écrite, leur rendent plus difficile encore la satisfaction de leurs
propres besoins et le respect de leur modèle culturel. Ajoutons qu'elles
manquent d'équipements, d'enseignants dûment formés et de matériel
didactique.
Pourtant, ces communautés disposent de certaines ressources : leur sens
communautaire, d'abord, leur sens de l'unité culturelle, de l'interdépendan-
ce individuelle et collective, et leur conscience d'avoir hérité d'organisa-
tions et de services qui appartiennent à la structure communautaire. Grâce à
ces éléments, les relations entre l'école et la communauté, la culture et
l'éducation sont souvent solides, claires et précises.
Néanmoins, ces populations demeurent vulnérables à la domination
culturelle, et notamment à l'invasion des médias, que beaucoup ont déjà
subie, ainsi qu'à 1'affluence des styles de vie introduits par les nouveaux
venus et par les voisins des villes alentour.
Très souvent, les cultures les plus avancées ou les plus urbanisées
trouvent un certain exotisme ou un folklore suranné à l'expression culturelle
de ces groupes. Il n'empêche, les mouvements autochtones dont l'objectif
est de sauvegarder et de renforcer leur culture grâce à l'école commencent à
faire entendre leur voix dans diverses parties du monde. Ils sont notamment
motivés par la sauvegarde de leur langue et de leurs coutumes, et par la
création d'écoles capables de satisfaire leurs besoins.
Dans ces jeunes pays en développement, situés notamment en Amérique
latine et en Afrique, et peut-être aussi en Asie, les situations économiques,
sociales, éducatives et même culturelles des zones rurales et des zones
urbaines sont très différentes; au sein de ces régions, les différences sont
visibles et elles ont des implications évidentes sur d'éventuelles articula-
tions entre l'école et la communauté à des fins culturelles. On pourrait
décrire ainsi la situation :
Dans les banlieues ou zones des pays en développement où vivent des
groupes à haut revenu, les conditions de vie, les comportements et même les
valeurs ne diffèrent pas beaucoup de ceux des populations plus riches des
pays industrialisés. Les enfants fréquentent des écoles privées de choix, bien

205
Annuaire international de l'éducation

pourvues en équipement, en enseignants et en matériel didactique adaptés.


Fréquemment, l'enseignement est dispensé dans la langue d'un pays
industrialisé, comme l'anglais ou le français. Les activités culturelles
locales, qu'elles soient formelles ou non formelles, sont très limitées;
qu'elles s'inscrivent dans le cadre des programmes d'enseignement formels
ou qu'elles soient hors programme, elles sont le plus souvent inspirées des
modèles culturels étrangers.
Les zones où vivent les classes moyennes connaissent une deuxième
catégorie de services éducatifs urbains. Cette population est composée de
techniciens et de professionnels indépendants, de propriétaires de boutiques
et de petites affaires, de fonctionnaires travaillant dans les entreprises et les
organismes d'État, voire, parfois, d'artistes qui ont réussi.
Dans ce milieu, l'interaction entre l'école et la communauté en faveur du
développement culturel a tendance à être plus régulière et plus fréquente,
grâce à des activités formelles et non formelles. Les services éducatifs y
sont fournis en partie par l'État et en partie par le secteur privé.
Une troisième catégorie de services éducatifs dans les zones urbaines
s'adresse à des familles à bas revenu — ouvriers, petits tenanciers, salariés
qualifiés et semi-qualifiés —, dont les conditions de vie se rapprochent
souvent de celles qui marquent le seuil de la pauvreté. Les institutions
scolaires sont en majorité des institutions d'État, et leur équipement
pédagogique et physique est souvent insuffisant.
Dans ces zones, l'interaction culturelle entre l'école et la communauté n'a
pas de caractéristiques bien définies bien qu'elle se traduise surtout par des
activités hors programme. La participation communautaire y est malaisée :
dans certains cas, il y a pénurie de temps et de ressources ; dans d'autres, la
culture est mal appréciée; dans d'autres encore, les enseignants ne sont ni
motivés, ni bien dirigés, ni très dévoués.
Quatrième catégorie de services éducatifs des zones : ceux des quartiers
considérés comme marginaux, où le logement, le revenu, le service public,
les services de santé, la nutrition et l'infrastructure tout entière sont
inadaptés. Ces quartiers sont habités surtout par des gens qui émigrent des
zones rurales pauvres. Dans certaines grandes villes, ils constituent jusqu'à
un tiers de la population. Les services éducatifs et culturels y sont rares et
insuffisants. Les activités culturelles y sont bien sûr limitées, pour des
raisons économiques et des questions de survie. Les activités hors program-
me comme les sports et la récréation y constituent la seule interaction
culturelle possible et réaliste entre l'école et la communauté.
Dans les petites villes du tiers monde, les conditions socio-économiques
et culturelles sont plus homogènes. L'interaction entre l'école et la commu-
nauté est plus fréquente et plus directe, notamment grâce aux activités qui se

206
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

déroulent en dehors de l'école, bien que la tendance consiste à harmoniser


les processus scolaires formels avec la réalité et le caractère culturel du
milieu.

La situation dans les pays industrialisés


Dans les pays industrialisés, l'interaction entre l'école et la communauté à
des fins culturelles est très différente de celle qui prévaut dans les pays en
développement. Dans les premiers, et à quelques exceptions près, la
croissance est en général un processus graduel tandis que, dans les seconds,
l'expansion a été vertigineuse à cause de la croissance démographique
naturelle, mais surtout à cause de l'exode rural. À cet égard, même les plus
petites villes des pays industrialisés retiennent un certain degré d'harmonie
sociale, économique, architecturale et culturelle. L'interaction entre les
institutions éducatives et la communauté y est plus homogène et plus
institutionnalisée, compte tenu du fait que leurs systèmes d'éducation sont
plus cohérents, relèvent d'une plus ancienne tradition et s'articulent autour
du développement culturel de leur population. La culture et ses manifesta-
tions diverses sont passées par des stages évolutifs plus lents, ont été plus
délibérément étudiées, organisées et institutionnalisées, et ont bénéficié du
soutien de l'État en termes de politique et de ressources.
L'école y est donc un produit de l'évolution culturelle communautaire, et,
en même temps, l'un des piliers de sa sauvegarde, de son développement et
de son enrichissement grâce au programme d'enseignement formel et, dans
une moindre mesure, aux activités périscolaires. Par ailleurs, elle n'a pas
subi les pressions qu'a connues celle des pays en développement.
Certaines cultures d'Asie — la Chine, le Japon et l'Inde — ont connu une
évolution semblable pour ce qui est du rôle culturel de l'école.
Aujourd'hui, les grandes villes des pays industrialisés sont aux prises avec
l'un des problèmes les plus difficiles à résoudre, en matière de relations
éducatives et culturelles, avec la communauté et avec la société; il s'agit de
la présence à l'école d'un grand nombre d'enfants immigrants venus des
pays en développement. C'est là un défi que les écoles ont du mal à
relever.
Il faut insérer ces enfants et ces jeunes dans la nouvelle culture sans qu'ils
perdent leurs racines et leur lien avec leur culture d'origine. Le racisme qui
se manifeste aujourd'hui parmi les jeunes de certains pays complique encore
la situation. Deux tendances se font jour : d'une part, l'intégration des
groupes de jeunes immigrants dans les écoles traditionnelles, d'autre part,
la création d'écoles bilingues conçues pour les insérer progressivement
dans la nouvelle culture. C'est ce dernier choix qui a prévalu aux États-Unis

207
Annuaire international de l'éducation

d'Amérique, notamment dans les États qui accueillent une très forte
migration hispanique.

STRATÉGIES

À l'intérieur de ce cadre fragmenté de «zones», qui, d'un point de vue


démographique, culturel et administratif, contient les «communautés loca-
les», quelles sont les stratégies qui pourraient promouvoir et renforcer le
développement culturel par une interaction entre les institutions éducatives
et les communautés ? Nous pourrions en décrire quelques-unes qui ont déjà
été mises à l'essai et qui ont été mentionnées au cours de la CIE. Il ne s'agit
pas, bien sûr, de formules ou de recettes nouvelles ou uniques, non plus
qu'il ne s'agit d'en faire des règles. Ce sont plutôt des «méthodes» que l'on
peut au fur et à mesure essayer, affiner ou consolider.

La participation sociale des agents de l'éducation


Ces agents sont les directeurs d'école, les enseignants, les élèves et le
personnel administratif. L'intensité, la forme et le degré de participation de
chacun d'entre eux dépendent de facteurs tels que le type d'activités
à réaliser, la disponibilité, la compétence et la motivation de chaque per-
sonne.
Certes, la motivation et l'intérêt jouent des rôles importants. Il est
également vrai que les activités culturelles constituent l'un des points de
convergence sur lesquels les activités et les motivations de la communauté
scolaire se concentrent le plus rapidement. En outre, cette participation
renforce le sens de l'expression «développement institutionnel», et donc la
concrétisation des objectifs de l'éducation.
La participation de la «communauté locale» émane des organisations
communautaires constituées officiellement (associations ou conseils de
parents/enseignants, syndicats, organisations professionnelles et civiques,
organisations non gouvernementales, entreprises privées, institutions et/ou
entreprises d'État, clubs sportifs, clubs artistiques et scientifiques, etc.).
Cette participation est souvent suscitée par un intérêt ou une initiative
personnelle (artistes, scientifiques, techniciens, etc.).
Voici les formes qu'elle prend généralement :
— aide matérielle et économique (argent, locaux, équipements et maté-
riels) ;
— apport technique et professionnel (artistes, scientifiques, techniciens et
autres spécialistes) ;

208
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

— soutien logistique (équipement et aide technique) ;


— soutien institutionnel (musées, centres culturels, théâtres et exposi-
tions).

Coordination intersectorielle et interinstitutionnelle


L'une des manifestations de la participation officielle et institutionnelle est
la coordination des institutions autour des activités culturelles. Cette
coordination entre les institutions d'un secteur, par exemple un regroupe-
ment d'écoles, ou de divers secteurs tels des institutions éducatives et des
institutions culturelles, constitue l'une des conditions premières de l'élargis-
sement, du renforcement et de l'approfondissement des activités de dévelop-
pement culturel communautaire. Elle sous-entend la capacité d'organiser, de
négocier et de concrétiser des accords, la capacité personnelle et institution-
nelle de diriger, une certaine clarté dans les objectifs, et les moyens pour les
atteindre — en bref, une vision élargie de ce qu'est le développement
communautaire.
Cette coordination engendre la création de «réseaux» reliant programmes
et institutions, au sein desquels ces dernières, par la conduite de leurs
propres activités, contribuent au développement des autres secteurs et
soutiennent l'ensemble de l'infrastructure. Cette synergie de forces humai-
nes et matérielles accroît le potentiel créateur et productif des institutions.

Projets
La planification et la gestion des activités culturelles entre les écoles et les
communautés peuvent se traduire par un lancement de projets. De telles
initiatives impliquent la fixation d'objectifs précis, l'identification des
ressources et le partage des responsabilités. Ce qui permet, en outre, de
surveiller et d'évaluer les mécanismes qui doivent être créés.

La capacité de diriger des institutions


Le développement culturel dynamique et continu entre les écoles et les
communautés présuppose une grande faculté de diriger au niveau institu-
tionnel. Cette faculté permet de susciter les motivations, d'orienter les
intérêts, d'identifier les capacités des individus et des groupes, et de trouver
des ressources. Elle peut aussi avoir un effet bénéfique et stimuler les
institutions moins dynamiques.
Les considérations qui précèdent n'entendent pas exagérer le rôle et les
responsabilités de l'école dans le développement culturel d'une communau-
té ou d'une société. En d'autres termes, l'école n'est pas tenue d'assumer

209
Annuaire international de l'éducation

toutes les responsabilités, car certaines d'entre elles relèvent assurément


d'autres secteurs de la société, notamment de la famille et de l'État. Nous
voulons simplement mettre en lumière le rôle de l'école et son potentiel
en matière de développement culturel, et montrer comment ils pour-
raient s'harmoniser avec la communauté environnante. Ce besoin est plus
prenant dans les sociétés qui sont encore en formation et dans celles où
les autres institutions de développement communautaire sont rares ou non
existantes.
En résumé, les diverses manières dont l'école et la communauté peuvent
interagir au profit du développement culturel peuvent produire des effets
positifs et multiplicateurs dans deux directions: au sein de l'école, en
enrichissant les processus enseignement/apprentissage, en mettant l'accent
sur les objectifs les plus élevés de l'épanouissement individuel et de la
conscience sociale, et, au sein de la communauté, en enrichissant le
patrimoine culturel, en renforçant la solidarité humaine et la cohésion
sociale.

LES MÉDIAS ET LE DÉVELOPPEMENT CULTUREL DE LA COMMUNAUTÉ

L'impact des médias sur la société est l'un des événements les plus
importants de l'histoire moderne. Pourtant, leur impact sur l'enfance et sur
l'adolescence, leurs effets psychoéducatifs et leur potentiel éducatif sont des
questions controversées. On a beaucoup étudié et débattu du phénomène
dans les pays industrialisés, et les conclusions sont parfois conflictuelles.
Compte tenu du fait que les médias sont un élément de la culture et un
véhicule extrêmement efficace de diffusion des informations et des valeurs
culturelles, ils exercent forcément une influence sur les jeunes, non pas
seulement d'un strict point de vue culturel, mais aussi d'un point de vue
éthique, social, scientifique et humaniste.
De toute évidence, ils constituent un instrument que l'on peut utiliser à
bon ou à mauvais escient, selon les objectifs que l'on se fixe.

Les avantages
Voici les avantages le plus fréquemment mentionnés :
— La rapidité et l'opportunité avec lesquelles l'information scientifique ou
culturelle est communiquée contrastent avec la lenteur de la mise à jour
du contenu des programmes d'enseignements scolaires. Le phénomène
est particulièrement évident dans les zones urbaines ou rurales margina-
les des pays en développement. Le déséquilibre qui sévit entre la

210
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

rapidité des changements et le moment où la société réagit — notam-


ment dans les domaines scientifique et technique — a creusé plus
encore le fossé qui sépare les pays riches et les pays pauvres, et les
groupes sociaux riches et pauvres d'un pays donné.
— Chaque jour, les progrès technologiques en télécommunication raccour-
cissent la distance et le temps requis pour avoir accès à l'information
qui provient des centres de recherche et des réseaux.
— La diversité et la qualité des images, des couleurs et des sons utilisés,
pour faire connaître les faits, les phénomènes et les découvertes d'une
manière attrayante et facilement compréhensible.
— La couverture. Les médias atteignent facilement de vastes groupes
humains vivant dans des lieux éloignés et isolés, des populations
dispersées et des personnes appartenant au même groupe situées dans
des lieux différents. Ce phénomène est crucial, s'agissant d'éducation et
de culture.
— La diversité des moyens, des programmes et des activités permet à
l'individu des utilisations et un accès multiples non pas seulement à sa
propre culture, mais aussi à celle des autres.
— La diversité des grands médias. Ils se présentent dans un très vaste
éventail de dimensions, de techniques, de niveaux de sophistication, de
couverture, de types de services et de programmes. On peut donc les
utiliser à de multiples fins éducatives et culturelles. Certains d'entre eux
représentent des entreprises multinationales dont la couverture s'étend
au monde entier: les stations d'émissions radio et télévisées ; les réseaux
de données et les réseaux scientifiques ; les journaux et les magazines
(presse en général et presse spécialisée). En un sens, les médias sont
l'expression de la domination scientifique et culturelle des pays indus-
trialisés, puisque le seul rôle que peuvent jouer en la matière les pays en
développement est celui d'utilisateur passif.
Certains de ces grands médias sont disponibles dans les écoles et sont mis à
profit par certaines institutions éducatives, notamment les universités et les
centres de recherche. Cependant, les écoles pauvres et isolées des pays en
développement sont loin de pouvoir y accéder et les exploiter efficacement.
On a donc essayé d'utiliser la radio et la télévision à des fins culturelles et
éducatives comme nous le verrons plus loin.

Les inconvénients
L'utilisation des médias à des fins éducatives et culturelles présente aussi
des inconvénients tels que :

211
Annuaire international de l'éducation

— Les coûts élevés de l'acquisition et de l'entretien.


— Les problèmes dus à la pénurie ou à l'inadéquation des infrastructures
en matière de fonctionnement ou d'entretien (par exemple, les fournitu-
res d'électricité et la compétence technique nécessaires pour opérer des
ajustements).
— Le manque de disponibilité de pièces détachées et de fournitures
nécessaires au fonctionnement.
— La difficulté d'assurer que les enseignants disposent de la capacité
technique et de la motivation nécessaires pour bien les utiliser en classe,
ce qui invite à plus de formation pédagogique et technique à leur
utilisation.
— Compte tenu de la relative complexité des médias, on peut se demander
dans quelle mesure leur usage est possible à bas coût dans les zones
pauvres.
En fait, même les pays les plus pauvres ont fait l'expérience des médias
dans les domaines éducatifs et culturels, notamment de la radio, de la
télévision, du cinéma et de l'imprimerie. Ils ont été utilisés à tous les
niveaux de l'éducation, y compris l'éducation des adultes, dans des
situations exclusivement pédagogiques et exclusivement culturelles. Les
résultats sont inégaux.
— Dans certains cas, une étude du rapport coût-bénéfice a mis en lumière
le coût élevé de leur installation, des matériels et des programmes.
— Dans d'autres cas, l'impact des programmes qui reproduisent les
méthodes et les pratiques des écoles traditionnelles a été minime.
— Enfin, et surtout, les conséquences de ces technologies sur le comporte-
ment des enfants et des adolescents ont soulevé des questions graves.
Dans tous les cas, les médias ont une influence déterminante et croissante
sur la transmission de la connaissance, de l'information, des valeurs
culturelles et des comportements. Certains d'entre eux, les télécommunica-
tions, par exemple, ont donné naissance à de nouvelles formes d'éducation
plus étendues, telle l'éducation à distance qui offre une véritable solution de
remplacement face à l'éducation traditionnelle. Leurs applications influen-
cent davantage l'enseignement supérieur, non seulement pour des raisons de
couverture, mais aussi à cause de l'efficacité des étudiants en matière
d'apprentissage. À cet égard, on a fait des progrès remarquables sur les
plans théorique, méthodologique et instrumental au cours des dernières
années. Tout laisse supposer que le progrès dans ce domaine va s'accélérer,
que ce soit en termes de concept ou d'application.

212
Le développement culturel par l'interaction entre l'éducation, la communauté et la société

Les écoles et les communautés pauvres et isolées pourraient sans doute


utiliser des médias plus simples, plus faciles, meilleur marché et plus
accessibles, bien que cela représente pour elles un défi. Certains médias sont
destinés à une utilisation plus locale et plus restreinte. Une coopération
étroite permettrait de tirer un meilleur profit des médias imprimés (jour-
naux, magazines, bulletins), des stations de radio locales, des vidéo-clips
scientifiques et culturels, et des films en général. Leur utilisation se
propage, même dans les lieux isolés.
Les institutions éducatives devraient aussi étudier de plus près les
avantages et les possibilités qu'offrent les médias, non seulement à cause de
leur valeur intrinsèque — technologique, éducative et culturelle —, mais
aussi parce que, inévitablement, ils sont présents dans la vie sociale,
familiale et individuelle.
On ne saurait cependant ignorer leurs limitations et les risques qu'ils
présentent. Voici les plus fréquemment mentionnés :
— ils ont le pouvoir de diffuser des connaissances et des informations en
les filtrant et, quelquefois, en les faussant;
— ils accordent la priorité aux critères commerciaux au détriment du bien
commun ;
— ils introduisent sans discrimination les valeurs culturelles et les compor-
tement étrangers dans la culture nationale ;
— ils renforcent les attitudes passives et réceptives de l'utilisateur, et
exercent un effet négatif sur son développement intellectuel et sur sa
capacité de raisonnement ;
— ils font courir à l'individu le risque de perdre son identité culturelle;
— les propriétaires des médias ont la possibilité de manipuler idéologique-
ment et politiquement les foules ;
— les messages et l'information destinés au public sont superficiels et
portent préjudice à une vision scientifique, acquise par l'étude et la
recherche.
L'impact négatif des médias et la question de savoir comment limiter leurs
effets pourrait fournir le thème d'une conférence internationale. En fait,
c'est là l'un des principaux soucis des dirigeants internationaux, des parents,
des enseignants et des travailleurs communautaires. Les études abondent sur
la question dans les pays industrialiséls, mais, dans les pays en développe-
ment, elles sont rares, ce qui empêche une estimation plus précise des
avantages et des inconvénients.
Afin de tirer meilleur parti du potentiel des médias et de réduire leurs
effets négatifs, on a souligné, au cours des dernières années, la nécessité de

213
Annuaire international de Véducation

faire figurer au programme d'enseignement officiel des cours qui appren-


nent aux élèves à analyser l'impact et les limites des médias, et à réfléchir
sur leur nature. On espère que les enfants et les adolescents acquerront une
vision plus claire de la valeur réelle de ces médias dans leur vie individuelle
et sociale.
Cela ne s'applique pas qu'aux élèves. Enseignants et parents ont égale-
ment le devoir de se former eux-mêmes à cet égard, dans une perspective
éthique, sociale, pédagogique et culturelle. Pour les parents, il s'agit d'une
nouvelle dimension de leur responsabilité sociale envers leurs enfants.
Cependant, l'État doit, lui aussi, établir des politiques et des normes
précises sur la question. Ceux qui sont propriétaires des médias et ceux qui
conçoivent et élaborent les programmes ne sauraient échapper aux responsa-
bilités qui sont les leurs. Aujourd'hui, les médias sont des agents de
l'éducation et de la culture, et ils le seront plus encore à l'avenir. C'est aux
institutions éducatives et culturelles et à la communauté qu'il revient d'en
tirer profit et de veiller à ce qu'ils soient utilisés à bon escient.

RÉFÉRENCES

Coombs, Philip H. 1985. The world crisis in education: the view from the eighties [La crise
mondiale de l'éducation: vue des années 80]. New York, Oxford University Press.
353 p.
Gozzer, Giovanni. 1990. «School curricula and social problems» [Programmes scolaires et
problèmes de société]. Dans: Prospects (Paris, UNESCO), vol. XX, n° 1 (73).
lllich, Iván. 1971. Mensaje [Message], Santiago du Chili.
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Council of the Club of Rome [Questions de survie : la révolution mondiale a
commencé]. New York, Pantheon Books. 259 p.
Mesarovic, Mihajlo; Pestel, Eduard C. 1974. Stratégie pour demain: deuxième rapport au
Club de Rome. Paris, Le Seuil. 232 p.
Bureau international d'éducation. 1992. Communication. Conférence internationale de
l'éducadion, 43 e session, n° 5, Genève.
. 1992. Document statistique sur l'éducation et la cutlure. Genève, septembre
(ED/BIE/CONFINTED 43/Ref.l).
. 1992. Principal document de travail: la contribution del'éducation au développe-
ment culturel. Genève, septembre (ED/BIE/CONFINTED 43/3).

214
CHAPITRE X

L'éducation et la survie des


petites cultures autochtones
par G. R. Teasdale

INTRODUCTION

Ce chapitre s'adresse aux responsables de politiques et aux administrateurs


de l'éducation de pays où il existe encore de petites cultures autochtones.
Dans toutes les régions du monde, les petites cultures indigènes sont
menacées, usées par l'avance incessante des sociétés modernes industriali-
sées où prédominent l'individualisme, la concurrence, la consommation et
le changement technologique. Pour quelques-unes de ces petites cultures il
est déjà trop tard. Le dommage causé à leurs valeurs, à leurs symboles — le
noyau dont elles dépendent aussi bien pour leur développement interne que
pour leurs rapports avec le reste de la société — a été irréversible. Les
conséquences, comme l'a fait remarquer León-Portilla (1990, p. vii-viii), en
sont «divers types de traumatisme, la marginalisation et la dissolution de
l'essence même de la culture». Ailleurs, il est vrai, des groupes culturels
résistent à l'érosion en luttant pour le droit à l'autodétermination et à la
survie. L'éducation peut jouer un rôle décisif dans ce processus.
Ce chapitre est écrit par un non-indigène pour un public qui ne l'est pas
moins. Il ne prétend pas apprendre aux peuples autochtones à gérer leurs
affaires: trop d'étrangers aux petites cultures ont tenté de leur imposer leurs
«solutions» avec des résultats catastrophiques. L'auteur de ces lignes
suggère plutôt comment ceux qui gèrent les systèmes d'éducation pourraient
soutenir les membres des petites cultures autochtones qui tentent de
développer leur propre stratégie de survie. Exemples, études de cas sont ici
tirés d'Australie, de Nouvelle-Zélande et du Pacifique. Ils sont révélateurs
du champ d'expérience de l'auteur. Les questions soulevées dans ce
chapitre ont toutefois une pertinence générale et devraient être considérées
avec soin par tous ceux qui servent l'éducation là où se touchent les sociétés
industrialisées et les sociétés indigènes.
Les peuples autochtones tiennent leur nom du fait qu'ils ont été les
premiers occupants d'une terre ou d'un territoire donné. L'idée de «peti-

215
Annuaire international de Véducation

tesse» intervient ici pour distinguer deux catégories, abordées l'une et


l'autre dans ce chapitre:
a) Les groupes minoritaires autochtones recouvrant aujourd'hui un secteur
non dominant d'une société plus vaste; Cobo (1987, p. 29) définit ces
groupes comme possédant «une continuité historique avec les sociétés
précoloniales ou avec les sociétés d'avant la conquête qui se sont
développées sur leurs territoires [et qui] se considèrent comme distinctes
d'autres secteurs des sociétés qui prédominent sur ces territoires ou qui en
font partie». Les peuples polynésiens d'Hawaii et de Nouvelle-Zélande,
les aborigènes d'Australie en sont des exemples.
b) Les communautés ou nations autochtones, peu peuplées si l'on en juge à
l'échelle mondiale, qui ont subi des bouleversements culturels considéra-
bles de par le colonialisme et qui continuent d'être agressées par les
puissantes forces d'uniformisation culturelle que représentent les sociétés
industrielles dominantes; la plupart des nations insulaires du Pacifique
Sud tombent dans cette catégorie. Même lorsque les peuples indigènes
sont dominants numériquement et politiquement, leurs valeurs et leurs
traditions culturelles sont menacées, et les signes d'absence d'organisa-
tion naturelle ou légale (leur anomie) se multiplient, en particulier chez
les jeunes.
Lorsque l'on parle de la survie des petites cultures autochtones, il est
important d'insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une vision statique de la
culture, comme on s'en forme dans un musée, mais, au contraire, on y voit
une entité dynamique, pleine de vie et de transformation. Le dilemme des
petites cultures ne vient pas de ce qu'elles changent, mais du rythme de leur
changement et de l'extraordinaire intensité des facteurs d'uniformisation.

ALTRUISME OU MUTUALISME?

Pourquoi nous soucier de la survie des petites cultures? L'altruisme n'est


pas une bonne raison. Il conduit trop souvent à perpétuer les rapports
d'inégalité. Si nous devons épauler les peuples autochtones, il nous faut
reconnaître que nos besoins sont au moins aussi importants que les leurs. La
survie des petites cultures compte autant pour les sociétés industrielles
modernes que pour les peuples indigènes eux-mêmes.
L'ironie veut que, au moment où les savants rappellent à l'humanité les
explications métaphysiques et même mystiques de notre existence (Haw-
king, 1988; Reanney, 1991 ; Davies, 1992), beaucoup de sociétés industriel-
les dominantes sont aux prises avec une crise de décadence spirituelle et

216
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

morale. Elles semblent s'être engagées si loin dans la voie du capitalisme,


avec sa prédilection pour la concurrence, la consommation de biens et de
services, et l'exploitation des ressources non renouvelables de la planète,
qu'elles sont en train de perdre leurs racines les plus profondes. Comme je
l'ai fait observer ailleurs:
Les symptômes de ce phénomène se manifestent dans la dégradation des rapports familiaux,
dans la perte du sens communautaire, et dans l'égoïsme et la rapacité si manifestes dans les
relations des uns avec les autres. Fondamentalement, le problème a pour origine la dégradation
des grandes valeurs sociales, spirituelles et morales qui ont par le passé étayé nos sociétés.
Nombre des petites cultures autochtones du monde, avec leurs systèmes de valeurs essentielle-
ment spirituelles, ont gardé des mœurs reposant sur l'interdépendance, sur l'harmonie et la
solidarité de la famille avec le milieu naturel. Le monde occidental a plus que jamais besoin de
ces petites cultures. Il en a besoin pour lui montrer le chemin qui conduit à une façon de vivre
plus humaine, plus attentionnée, plus harmonieuse. Le monde ne peut se payer le luxe de les
perdre (Voices in a seashell, 1992, p. 1).

Le défi que nous devons relever est donc de travailler avec les groupes
indigènes dans un climat d'égalité et de respect mutuel, étant donné que
notre survie à long terme pourrait bien dépendre de notre capacité à profiter
de leur sagesse. Les difficultés d'ordre général créées par les sociétés
modernes ont peu de chance d'être résolues par un surcroît d'information et
une plus grande capacité technologique, mais plutôt, comme le plaide
l'écologiste Paul Ehrlich de l'Université de Stanford, par des solutions
«quasi religieuses». Ehrlich pense que les problèmes de l'Occident se
retrouvent dans la manière dont nous percevons nos rapports avec le reste de
la nature et dans la façon dont nous appréhendons « notre rôle dans le grand
dessein des choses» (cité par Knudtson et Suzuki, 1992, p. xxiv). Les
peuples autochtones, forts de leurs vues globales et spirituelles du monde,
ont beaucoup à nous apprendre à cet égard. Partant d'une perspective
environnementaliste, c'est aussi le point de vue de David Suzuki: «Mon
expérience auprès des peuples autochtones m'a convaincu [...] de la force et
de la pertinence de leurs connaissances et de leur façon de considérer le
monde à une époque où une ecocatastrophe mondiale est imminente»
(Suzuki, 1992, p. xxxv). On pourrait soutenir le même argument d'un point
de vue social, politique et même économique. Mais, si nous voulons
apprendre quelque chose des cultures autochtones, nous devons assurer leur
survie avant qu'il ne soit trop tard.

PAR OÙ COMMENCER?

Comment l'éducation peut-elle contribuer à la survie des petites cultures


indigènes? En 1992, un séminaire au bénéfice de la région Australie-

217
Annuaire international de l'éducation

Pacifique, parrainé par l'UNESCO, s'est tenu à Rarotonga dans les îles
Cook. Il réunissait des représentants de groupes autochtones d'Australie, de
Nouvelle-Zélande et des pays insulaires du Pacifique Sud afin d'examiner le
rôle de l'éducation dans le développement des petites cultures. Un thème
extraordinairement puissant émergea, qui fut clairement exprimé dans le
préambule des recommandations du séminaire: «Si "l'éducation pour le
développement culturel" doit avoir un sens, la question de savoir qui a la
haute main sur le système éducatif, qui en est le propriétaire est cruciale
[...]. Les cultures autochtones doivent être maîtresses de tous les aspects de
l'éducation de leur peuple» {Voices in a seashell, 1992, p. 6).
Pour les peuples non indigènes, il s'agit d'une leçon difficile à apprendre.
Les cultures dominantes, tant à l'échelon national qu'international, ont
quelque difficulté à relâcher leur emprise. Pendant trop longtemps, ils ont
considéré, à tort, comme supérieurs leurs propres systèmes, leurs propres
méthodes. Pourtant, si l'on veut que les peuples autochtones soient
véritablement libres de revivifier, de maintenir et de développer leur culture,
il leur faut disposer d'une entière et véritable maîtrise de tous les aspects de
leur vie et de la vie de leurs enfants. Effectivement, cela nécessite la
reconnaissance de leurs droits antérieurs — en tant que tout premiers
occupants — de propriété et d'autorité sur leurs terres et sur leurs territoires,
car l'autodétermination dans le domaine éducatif est liée à des questions
plus vastes d'autorité politique, de droit foncier et d'autonomie financière.
Ce qui s'est traduit dans les recommandations du séminaire de Rarotonga
qui évoquent le partage par tous des «droits, des responsabilités et des
ressources de la nation d'une manière juste et mutuellement bénéfique» et,
ailleurs, de la nécessité pour les cultures autochtones d'avoir la «garantie
absolue qu'aucun veto ne puisse être exercé par aucun autre groupe
culturel» {Voices in a seashell, 1992, p. 6-8). Pour commencer, donc, la
survie des petites cultures dépend du fait que leurs membres aient pleine
propriété et autorité, non pas seulement sur l'éducation, mais sur tout autre
processus social, politique et économique qui influence directement leur
vie.

L'IMPORTANCE DE LA LANGUE

La langue et la culture sont interdépendantes et vivent quasiment en rapport


de symbiose. L'effritement de l'une affaiblit inévitablement l'autre. Cela est
particulièrement vrai pour les petites cultures autochtones qui n'ont pas la
tradition d'une langue écrite et qui s'appuient exclusivement, de ce fait, sur
la langue orale pour la transmission de la connaissance culturelle. Harris
(1990) observe qu'en de telles circonstances la mort d'une langue peut

218
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

survenir trois générations seulement après qu'elle est entrée en contact


significatif avec une culture dominante, c'est-à-dire, grosso modo, entre
soixante et quatre-vingt-dix ans. «Ce qui, suggère-t-il, est d'une soudaineté
alarmante. » Et il ajoute : « Le point crucial en matière de survie linguistique
repose sur la question de savoir si les enfants tout à la fois apprennent la
langue et la parlent entre eux» (Harris, 1990, p. 72).
Que peuvent faire les chargés de politiques et les administrateurs de
l'éducation pour assurer le maintien des langues indigènes? Voilà une
question complexe et fort débattue. L'expérience australienne et néo-
zélandaise révèle toutefois que les solutions « de haut en bas » ne marchent
pas. L'élément moteur et la volonté doivent venir des peuples autochtones
eux-mêmes. Même alors, l'école ne peut jouer qu'un rôle secondaire. C'est
aux familles et aux communautés qu'incombe avant tout la responsabilité
d'encourager l'usage spontané, quotidien de la langue vernaculaire à la
maison et au village. Fishman (1985) a fait observer que nulle part dans le
monde il n'y a eu de programme réussi pour le maintien, la reprise, la
revitalisation d'une langue si l'on a surtout insisté sur l'école plutôt que sur
d'autres facteurs sociaux plus primaires. Il poursuit:
L'école aura son rôle à jouer dans le dessein général de maintien de la langue, mais elle le fera
en servant une communauté vibrante et sachant ce qu'elle veut - une communauté disposant en
propre d'un minimum de pouvoir économique, politique et religieux - plutôt qu'en étant
appelée à accomplir l'impossible: sauver la communauté d'elle-même (Fishman, 1985,
p. 374).
Un exemple saisissant du pouvoir de l'action communautaire est venu des
participants maoris au séminaire de Rarotonga. Ils ont évoqué avec une
grande ferveur le mouvement Kohango Reo qui s'est répandu en Nouvelle-
Zélande au cours de ces dix dernières années. Mot à mot, te kohango reo
signifie «le nid de la langue». Et c'est précisément ce que les Maoris ont
créé: des «nids» où l'enfant qui grandit est nourri de la langue et de la
culture maories. L'idée fondamentale est l'immersion des enfants pendant
leurs cinq premières années dans des programmes d'éducation basés
exclusivement sur la langue maorie. En 1982, cinq centres pilotes ont été
établis. Parents, grands-parents et enfants se réunissaient, généralement sur
la marae (la place des rencontres, ou le centre social et spirituel de la
communauté), dans un processus partagé de renouveau culturel.
Iritana Tawhiwhirangi, que beaucoup considèrent en Nouvelle-Zélande
comme la «mère de te kohang reo», a décrit ainsi la naissance du
mouvement aux participants du séminaire :
Ces dix dernières années, les Maoris ont pris eux-mêmes la responsabilité d'affermir leur
langue, leur culture et leurs traditions. Nous n'avons pas voulu dépendre du gouvernement
parce que nous nous sommes rendus compte en 1982 que pour bouger culturellement, comme

219
Annuaire international de l'éducation
nous le voulions, nous devions rassembler les nôtres et assumer une responsabilité collective.
C'est ainsi que nous avons entrepris cinq projets pilotes qui ont, dès leur naissance, plongé les
enfants dans la langue maorie pendant huit heures par jour. Pourquoi avons-nous réussi ? Parce
que les Maoris étaient maîtres du programme et ont eux-mêmes pris toutes les décisions
concernant son fonctionnement. Il reposait sur le principe de la propriété, sur le fait que les
Maoris sont capables de conduire leur propre barque (Tawhiwhirangi, 1992, p. 1).
Le mouvement a célébré son dixième anniversaire durant le dernier
trimestre de 1992. À cette époque, il entretenait pas moins de six cent
quatre-vingts centres à travers la Nouvelle-Zélande, et poursuivait sa
croissance. La responsabilité collective a restitué le pouvoir aux parents, aux
familles, aux communautés.
Le Kohanga Reo de Green Bay, dans la banlieue d'Auckland, est repré-
sentatif de la plupart des centres. La description qui suit donne une brève
idée de ses traits distinctifs.

LE KOHANGA REO DE GREEN BAY, AUCKLAND


Alors que nous nous approchions de la marae, les jeunes enfants arrivaient
encore en compagnie de leurs parents ou de leurs grands-parents. Nous avons
attendu d'être invité formellement à l'intérieur de la grande salle, chaude et
recouverte de moquette, utilisée pour le Kohanga Reo. Alors que nous ôtions nos
chaussures, nous avons été invités selon la tradition par le maître et quelques-uns
des enfants plus âgés. La première activité du matin était «l'heure de la
bienvenue» et nous avons observé la scène pendant que le jeune maître saluait
chaque enfant en l'appelant par son nom. Le salut était à la fois verbal et
physique. L'enfant et le maître se parlaient doucement en maori, se frottaient le
nez et s'embrassaient. En tant que visiteur, nous étions traités de la même
manière inclusive. Après les salutations, les enfants et le maître nous ont chanté
un chant de bienvenue puis nous ont gratifiés de divers chants d'action.
Le «nid» était meublé simplement et parcimonieusement au-dedans comme
au-dehors. L'absence de désordre ne passait pas inaperçue. Le lieu comptait
relativement peu de livres et de jouets, l'équipement de l'aire de jeu était
minimal et fonctionnel, et il n'y avait presque pas de cette atmosphère animée et
bondée, typique du préscolaire occidental. Nous avions au contraire conscience
des gens. La communauté n'avait pas été avertie de notre visite. C'était un jour
tout à fait comme les autres. Pourtant, autour de la table étaient assis des
grands-parents, des aînés, des mères (quelques-unes donnant le sein), des pères,
des amis, et quelques adolescentes qui n'allaient plus à l'école et avaient apporté
leur aide. Tous se parlaient et prenaient part en maori, aussi bien entre eux
qu'avec les enfants, créant ainsi un chaleureux entourage linguistique pour tous
ceux qui étaient là.
Les enfants vivaient une socialisation constante, facilitée par le rapport en
nombre élevé entre adultes et enfants. On percevait clairement la formation sans

220
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

heurt et sans bruit du comportement des enfants pendant que se déroulait leur
assimilation aux mœurs de la société maorie. Un enseignement culturel direct se
mettait aussi en place. Contes et chants d'action absorbaient complètement les
enfants, même parmi les plus jeunes. La joie et le plaisir qu'ils éprouvaient
crevaient les yeux. Des garçonnets imitaient le maître pendant qu'il les entraînait
dans une danse qui s'accompagnait d'expression faciale, de mouvements de la
main, de rythme corporel. C'était là un exemple évident de techniques tradition-
nelles, acquises par observation et par imitation.
L'anglais est banni dans le Kohanga Reo. Bien que certains enfants soient
exposés à peu de langue maorie, chez eux le niveau de chaleur et de bienvenue au
sein du «nid» leur permet de s'adapter et d'apprendre rapidement. On espère
que, en accordant à ces jeunes enfants un début aussi solide et aussi positif, ils
seront fortement empreints de langue et de culture maories tout au long de leur
vie. On espère aussi que la participation des parents et des membres de la
communauté au Kohanga Reo renforcera leur connaissance du maori, et encoura-
gera son utilisation plus étendue dans les activités domestiques et de proximité.
Comme nous quittions le Kohanga Reo et alors que nous avions remis nos
chaussures et longions le jardin de plantes alimentaires, nous sommes restés avec
la forte impression que nous avions là un centre vibrant qui apportait une
contribution significative, en particulier en insistant sur l'emploi de la langue
indigène, à l'identité culturelle d'une nouvelle génération d'enfants maoris.
(Adapté de Teasdale, 1993, p. 8.)

Les accomplissements du mouvement Kohanga Reo sont impressionnants.


Essentiellement, il est en train de démontrer l'efficacité des programmes
linguistiques lancés par la communauté pour promouvoir l'identité culturel-
le des peuples autochtones. Il a montré que les minorités indigènes peuvent
elles-mêmes prendre en main et développer des programmes autonomes qui
affirment la valeur et le sens de leur propre langue, de leur culture propre.
Le mouvement a acquis une telle puissance, un tel succès, qu'il a été le
catalyseur des principales réformes gouvernementales apportées à l'ensei-
gnement primaire et secondaire en Nouvelle-Zélande, une insistance parti-
culière étant accordée à l'enseignement de la langue maorie. C'est tout à son
honneur si le gouvernement néo-zélandais a été disposé à affirmer l'autono-
mie du peuple maori et à lui permettre de prendre ses propres décisions
concernant les programmes linguistiques. Le gouvernement s'est montré
également prêt à répondre (encore que trop lentement peut-être aux yeux de
quelques-uns) aux demandes de soutien financier des programmes linguisti-
ques proposés par la communauté, donnant ainsi une expression pratique à
sa philosophie selon laquelle :

221
Annuaire international de l'éducation

Toi te kupu Plus forte est la langue


Toi te maria Plus forte est la mana (la puissance ou le prestige de la
culture)
Toi de whenua Plus forte est la nation (Tihe Mauri Ora!, 1990, p. 10).

RECONCEPTUALISER L'ÉDUCATION

L'idée de l'école est une invention occidentale qui remonte à l'Europe des
Lumières, à l'avènement de la science moderne et à la révolution industriel-
le. C'est une idée qui a fait son chemin dans la plupart des autres cultures du
monde avec une remarquable force de pénétration. Pourtant, l'école n'offre
pas nécessairement la façon la plus efficace de transmettre la connaissance
scientifique contemporaine, et encore moins la connaissance et les valeurs
des petites cultures indigènes. Il importe donc que ceux qui arrêtent les
politiques de l'éducation permettent aux groupes autochtones de repenser
l'école dans le cadre de leurs propres paramètres culturels. C'est donc faire
fausse route que de suggérer que la conformité à l'idée européenne de
l'école est une condition préalable pour s'instruire efficacement dans la
culture dominante comme dans la culture autochtone. Divers groupes
aborigènes d'Australie se sont forgés depuis quelques années d'autres
modèles d'éducation, non sans avoir connu au début une importante
opposition de la part du gouvernement. Nous pouvons beaucoup profiter de
leurs expériences.

L'ÉCOLE YIPIRINYA

Au centre aride de l'Australie se trouve la ville d'Alice Springs. Mécontents


du manque de soutien culturel dans les écoles du courant dominant, les
parents aborigènes de la ville ont créé leur propre école primaire (élémentai-
re) en 1978. Malgré le refus du gouvernement du Territoire du Nord de
reconnaître et de financer l'école, malgré la menace d'une décision de la
Cour suprême qui aurait pu fermer ses portes, les parents se sont entêtés,
devenant même plus fermes et plus déterminés dans leur lutte (Teasdale et
Teasdale, 1986). En 1983, l'intervention et le concours financier du
gouvernement fédéral assurèrent sa survie à long terme. Depuis, Yipirinya a
fortement évolué vers la situation d'une école appartenant en propre aux
aborigènes et parfaitement maîtrisée par eux. Son type de croissance l'a fait
évoluer vers ce qu'on pourrait le mieux décrire comme un centre pédagogi-
que communautaire ouvert à tous les âges, et où les aborigènes participent à
tous les niveaux de la relation enseignement-apprentissage. Elle intègre la

222
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

garde d'enfants et les équipements préscolaires pour ceux de 0 à 5 ans. Aux


niveaux primaire et secondaire, quatre groupes linguistiques occupent
chacun une aire d'enseignement destinée aux études d'ordre linguistique et
culturelle, et se rassemblent durant une partie de la journée pour un
programme à base de connaissances et de compétences occidentales. Il
existe un programme de formation des maîtres où les aborigènes peuvent
acquérir une qualification pédagogique officielle. Des programmes postsco-
laires et destinés à l'éducation des adultes fonctionnent à la demande. Une
unité d'impression assure un flot constant de matériels d'alphabétisation, à
la fois attrayants et culturellement pertinents, dans chacune des quatre
langues d'enseignement. Ce qui a démarré comme une école primaire est
devenu un centre, unique en son genre, où tous les membres de la
communauté aborigène locale peuvent communier, aussi bien comme
enseignants que comme enseignés, dans un environnement qui affirme leur
langue et leur culture. L'encadré qui suit offre quelques aperçus de leur
vibrante institution.

L'ÉCOLE YIPIRINYA À ALICE SPRINGS


Nous sommes au pays des rêves à chenille. Ce n'est qu'au moment où le visiteur
survole et surplombe la vieille terre usée par les intempéries et située au centre du
continent qu'il prend conscience des formations géantes qui constituent la chaîne
Macdonnell et qui, telle une chenille, s'étendent le long du paysage aride.
Pourtant, aux yeux des aborigènes de la région, elles ont un sens spirituel profond
depuis des millénaires et Yipirinya elle-même doit son nom à ce rêve-là.
Il a fallu une très grande détermination pour créer l'école en dépit de
l'opposition gouvernementale, mais, pour finir, après un changement de directeur
au plan national, Yipirinya a été formellement accréditée et a acquis le droit de
recevoir des fonds de l'État. Aujourd'hui, grâce à un don de plus de trois millions
de dollars du gouvernement australien, une école conçue avec beaucoup de
finesse a été installée au creux d'une rude colline aux alentours d'Alice Springs,
et elle s'insère remarquablement bien dans le paysage. La culture aborigène tient
son sens de son union spirituelle avec la terre. Yipirinya, par sa forme, sa couleur
et sa location, donne le sentiment d'être sortie de la terre sur laquelle elle repose,
ce qui donne aux bâtiments eux-mêmes une qualité quasi spirituelle.
Mais pourquoi avoir pris l'initiative de Yipirinya? Anciens et parents de
l'Australie centrale voyaient leurs enfants perdre leur nature aborigène — le sens
de leur identité et leur amour-propre — alors que la loi leur imposait de les
mettre dans des écoles publiques monoculturelles dont les concessions faites aux
langues et aux cultures de leurs élèves indigènes restaient minimales. Dans ces
écoles, peu d'entre eux pouvaient s'en tirer, et encore moins réussir. Socialement
et culturellement, ils étaient mal à l'aise, et l'échec était pour eux la norme avec

223
Annuaire international de l'éducation

un programme entièrement focalisé sur la connaissance et ses modes de


transmission occidentaux. C'est ainsi que la plupart des enfants aborigènes
fréquentaient irrégulièrement l'école et l'abandonnaient aussi vite que possible à
l'adolescence. Le reniflement d'essence, les actes de vandalisme, de violence, et
autres problèmes sociaux, étaient monnaie courante. Tout cela a servi de
catalyseur au développement de Yipirinya.
Visitez cette école aujourd'hui et vous découvrirez sans tarder qu'il s'agit de
beaucoup plus qu'une école ordinaire. La meilleure façon de la décrire est de la
considérer comme un centre d'apprentissage sans limite d'âge; mais ce sont là
des mots sans force qui ne rendent pas la vibrance du lieu où les bébés et les
petits qui commencent tout juste à marcher apprennent côte à côte avec les
grands-parents aux cheveux gris. Cette école affirme et affermit l'usage des
langues autochtones au point qu'elle offre des classes en quatre langues — le
walpiri, l'arrente central, F arrente occidental et le luritja —, et son unité de
publication sort du matériel de lecture pour soutenir l'alphabétisation aborigène
dans les quatre langues. À l'intérieur de l'école, un processus dit d'«apprentissa-
ge à deux voies » est central. L'objectif en est d'offrir la connaissance occidentale
de telle façon que les petits aborigènes peuvent entrer dans la culture dominante
sans perdre pour autant les racines de leur propre culture.
Dans les classes du primaire et du secondaire, une part importante de chaque
journée est réservée à l'enseignement des langues et des cultures autochtones.
Les voyages dans l'intérieur se font régulièrement et sont conduits par des
anciens qui utilisent la région entourant Alice Springs comme une énorme classe
en plein air où ils partagent la connaissance spirituelle, sociale, légale, écologi-
que, nutritionnelle et autres richesses culturelles avec les enfants. L'unité de
publication est à l'origine de nombre de livres nouveaux et novateurs, et de
ressources pédagogiques basés sur les langues et les cultures aborigènes de la
région. Les auteurs et autres gardiens de la culture apportent de l'information qui
est transcrite et illustrée selon une formule culturelle appropriée. Certains livres
ont bénéficié d'une reconnaissance nationale en recevant des prix significatifs, et
le matériel d'enseignement est recherché par les communautés aborigènes
dans toute la région désertique centrale. Certains éducateurs non aborigènes com-
mencent à utiliser de façon importante des ressources produites par Yipirinya
dans des programmes d'enseignement transculturels adoptés dans des écoles
ordinaires.
Les aborigènes d'Alice Springs ont bien évidemment le sentiment d'avoir droit
à une grande délégation de pouvoir en raison de tout ce qu'ils ont accompli à
Yipirinya. Ils peuvent surtout constater que leurs enfants et leurs jeunes gens
retrouvent lentement mais sûrement la fierté d'être aborigènes. Le degré auquel
Yipirinya a rehaussé le sens d'identité culturelle chez les enfants et les adultes est
inestimable. Yipirinya permet aussi aux non-aborigène s de découvrir un peu de la
richesse qu'apporte la culture autochtone et son importance pour l'Australie tout
entière. (Adapté de Teasdale, 1993, p. 31-32.)

224
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

LA SCOLARITÉ DANS LES CENTRES SITUÉS EN «TERRE D'ORIGINE»

Dans toute l'Australie centrale et septentrionale et au cours de ces vingt


dernières années, les aborigènes se sont déplacés par petits groupes de
famille étendue afin de réoccuper les terres traditionnelles. Cette dispersion
à partir des grandes communautés est maintenant désignée sous le nom de
mouvement des «postes retirés» ou mouvement des «centres en terre
d'origine». En même temps qu'il réaffirmait ses attaches spirituelles à la
terre, le mouvement a permis un retour à des modes de vie plus traditionnels
(Downing, 1988). Il a aussi débouché sur des modèles moins formels de
scolarisation.
Un des tout premiers exemples vient de Hermannsburg, en Australie
centrale. Les parents ont exigé que les enseignants non aborigènes, basés
dans la communauté principale, visitent les postes retirés deux heures par
jour, leur programme se limitant à l'enseignement de la langue anglaise, de
la lecture et de l'arithmétique. L'enseignement avait lieu à ciel ouvert ou
dans quelque abri provisoire. Toutes les autres formes d'éducation étaient
dispensées par les membres des familles dans le contexte informel du camp.
Ailleurs, des groupes familiaux ont pris l'entière responsabilité de
l'éducation de leurs enfants, ne bénéficiant, en matière de ressources et de
soutien du programme, que de la visite hebdomadaire, semi-mensuelle ou
encore moins fréquente de professeurs ambulants. Dans l'ensemble, de
grands écarts existent dans la façon dont les groupes de parents s'arrangent
pour élever leurs jeunes, mais, dans presque tous les cas, il est clair que
l'éducation dispensée dans les centres situés en terre d'origine joue un rôle
important dans le maintien et le renouvellement de l'identité culturelle. Pour
donner une idée claire de ce qu'est une école située dans un poste retiré
nous proposons l'encadré qui suit. Si le nom et le lieu de la communauté ne
sont pas révélés, c'est pour préserver l'anonymat du groupe familial en
question.
Dans les deux exemples présentés ci-après, les groupes aborigènes
d'Australie ont repensé le processus de scolarisation de manière très
significative, en réussissant une synthèse entre leur modèle d'éducation
traditionnelle, diffuse, et les approches structurées, plus formelles des
sociétés industrielles. Ces dernières années, le gouvernement australien a
soutenu de plus en plus de telles initiatives, accordant aux groupes
aborigènes des fonds pour développer capital et ressources de façon à
affirmer leur liberté de choisir des modèles de scolarisation qui favorisent le
développement culturel et linguistique.
Repenser la scolarisation est relativement simple dans des contextes où
tous les élèves ont des fonds culturels semblables. Mais que dire des

225
Annuaire international de Véducation

ÉCOLE D'UN POSTE RETIRÉ, TERRITOIRE DU NORD

Tandis que nous nous approchons de la piste d'atterrissage grossièrement tracée


dans la forêt dispersée d'eucalyptus, nous prenons conscience de l'isolement que
connaît cette petite communauté logée au bord d'un ruisseau et presque cachée
par les arbres. Elle nous aide à apprécier la force des liens spirituels qui unissent
les aborigènes à leur pays. Pour quelle autre raison un groupe de gens
choisiraient-ils de venir vivre en un lieu aussi reculé et inaccessible? Pourtant,
ici, apparemment au milieu de nulle part, une famille étendue aborigène, sous la
conduite patriarcale du plus âgé de ses membres, a reconstitué ses racines dans sa
propre terre ancestrale.
Dès l'instant que notre petit avion de location a atterri, plusieurs personnes
sont venues à notre rencontre pour nous amener à l'école. Notre arrivée est en
vérité surprenante puisque aucun bimoteur n'a encore atterri sur la piste.
Nous ressentons immédiatement le plaisir qu'éprouve cette communauté à
l'égard de son école et celui qu'elle consent à nous la faire visiter. Le bâtiment a
été construit récemment, grâce à une subvention du gouvernement. Il comprend
une salle de classe et une petite pièce où la maîtresse, venue de l'école centrale,
peut passer la nuit lors de ses passages, deux ou trois fois par trimestre.
Assurément, l'installation qui a été très fortement réclamée est bien acceptée et
fait l'objet d'un succès considérable. Grâce à l'école, la communauté sent
maintenant qu'elle tient les rênes de l'éducation que reçoivent ses enfants, les
parents assurant la responsabilité directe de l'enseignement de tous les jours.
Douze élèves du primaire et sept du secondaire accomplissent leur scolarité
dans cette école minuscule. C'est certainement un progrès par rapport aux abris
en tôle et en branches utilisés auparavant. Les enfants se plaisent sous la véranda
ombragée, aiment les grands tableaux noirs, les douches et les toilettes qui ont si
bien contribué à améliorer la santé, celle des enfants et de la communauté. Le
chef traditionnel, un homme calme et habité d'un sens rare de la dignité et de la
certitude, nous assure que l'assiduité à l'école, l'apprentissage et le sentiment de
bien-être des élèves se sont améliorés grâce à la nouvelle école. La communauté
se sert aussi du bâtiment pour les réunions, les visites sanitaires, les soirées
vidéo, et comme un lieu agréable où l'on vient lire des livres et des revues. Au
dehors, un trampoline et un filet de volley-ball bien usés suggèrent que l'activité
physique ne manque pas. Une petite plantation bien entretenue d'arbres fruitiers
tropicaux révèle pas loin de là une autre dimension du programme de l'école.
Dans la salle de classe, les enfants nous montrent leurs devoirs. Ils semblent d'un
niveau comparable à celui des enfants de l'école centrale.
Tandis que nous regagnons la piste d'atterrissage, nous prolongeons la
conversation avec les parents et les enfants, et nous avons une fois de plus
l'impression d'une communauté unie, et munie d'un sens aigu de son identité.
Les paroles d'un des parents pourraient résumer leurs sentiments: «Nous
pouvons vivre maintenant sur notre terre traditionnelle. Nous avons une école,
l'eau courante, des douches, des latrines. Nous vivons loin des problèmes de la
grande communauté. Plus d'alcool, plus de violence.»
(Adapté de Teasdale, 1993, p. 30-31.)

226
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

contextes où les élèves sont issus de deux ou de plusieurs cultures ? Ici les
choses se compliquent. Et pourtant on peut y arriver, comme en témoignent
les changements très remarquables qui se produisent dans de nombreuses
écoles de Nouvelle-Zélande.
En 1988 a eu lieu une transformation de tout premier ordre du système
d'enseignement néo-zélandais à l'initiative du Ministre de l'éducation
(Lange, 1988). Au centre des réformes, il convient de placer le transfert des
responsabilités pédagogiques aux communautés locales. La nature bicultu-
relle de la société néo-zélandaise a été soulignée dans les documents de
réforme qui prônaient la sensibilité culturelle dans le cadre d'une «Associa-
tion entre égaux » :
Le partenariat implique l'incorporation des styles et des procédures d'organisation d'autres
cultures dans le travail quotidien de l'institution [...]. Les conséquences d'un manque de
sensibilité culturelle peuvent être considérables. Les institutions consacrées à l'étude ont été
très peu hospitalières envers les valeurs culturelles échappant au courant principal - et sans un
sentiment de sécurité concernant la valeur de leur culture, les individus peuvent subir un
déséquilibre personnel et social qui rend l'apprentissage difficile, sinon impossible {Adminis-
tering for excellence, 1988, p. 4-5).

En plus d'insister sur l'autonomie locale, la responsabilité collective et la


compréhension interculturelle, les documents de la réforme ont aussi
reconnu aux parents maoris le droit d'avoir leurs enfants instruits dans la
langue maorie au sein de l'école publique. Ce qui a conduit au développe-
ment d'un programme d'études maories ayant le double rôle de soutenir
l'entretien et le développement de la langue et de la culture maories parmi
les enfants de Nouvelle-Zélande appartenant à ce groupe, tout en inculquant
aux enfants pakehas (européens) une connaissance plus profonde et le
respect de la langue et de la culture maories {Tihe Mauri Ora !, 1990). Il est
significatif que le nouveau programme insiste sur le fait que la culture et la
langue maories ne constituent pas un sujet d'enseignement comme les
autres, tels les mathématiques, la géographie ou l'art, mais une façon de
vivre à partager et à connaître. En d'autres termes, le programme d'études
maories est enseigné comme un processus, non comme un simple contenu.
Le programme se réfère à taha Maori comme la philosophie qui sous-tend
le programme de l'école. Le terme implique que tous les aspects de la vie de
l'école traduiront une dimension ou une perspective maorie. Un enseignant
l'explique ainsi:
L'esprit de l'école devrait reposer sur de bonnes relations et sur une communication ouverte.
Les bonnes relations entre maître et maître, entre maître et enfant, entre enfant et enfant
réduiront les tensions, et diminueront la violence. Cela est essentiel à taha Maori. Par le passé,
nos écoles ont été conçues sur le modèle britannique. Elles ont été gérées sur une base «de haut
en bas». Elles sont sur le point de devenir des institutions indigènes de Nouvelle-Zélande.

227
Annuaire international de l'éducation

Nous avons adapté notre processus d'enseignement et d'apprentissage pour prendre en compte
le génie multiculturel de ce pays (cité par Teasdale, 1993, p. 17).
Le programme met un grand accent sur taha Maori, notant qu'il devrait
infiltrer tous les aspects de la vie scolaire : « Les valeurs maories telles que
aroha [l'amour, le souci d'autrui], manaakitanga [l'hospitalité], prendre des
décisions par accord général, reconnaître le droit à chaque personne
d'exprimer une opinion, et respecter la contribution de chacun sont
soulignés» (Tihe Mauri Ora !, 1990, p. 12). Il procède ensuite à décrire
comment cela peut s'accomplir dans la pratique:
Architecture. On suggère que taha Maori peut être traduit dans l'architectu-
re et l'environnement de l'école ; par exemple, en utilisant des panneaux
tissés ou des sculptures sur bois, en plantant les terrains d'arbres et
d'arbustes, ou en développant un marae en lieu de cérémonie et
d'accueil.
Portes ouvertes. L'organisation de l'école et sa direction doivent accorder
soutien, encouragement et hospitalité à tous les nouveaux venus et
visiteurs. Cela devrait aller de la salle des professeurs jusqu'aux salles
de classe. Ces dispositions devraient aussi inclure une politique d'ou-
verture entre l'école et sa communauté.
Emploi du temps. L'emploi que l'école fait du temps, si l'on veut qu'il
reflète taha Maori, doit être flexible, et cela aura des conséquences pour
établir les horaires. On peut lire dans le document du programme
l'importante déclaration qui suit:
Pour les Maoris, le temps n'a ni commencement ni fin. À la différence d'autres
perceptions du temps, il n'est pas linéaire: il se déplace en cercle. Le présent et le passé
sont tantôt proches, tantôt éloignés. Ce qui implique que les cours doivent être considérés
comme cycliques, et que les professeurs devraient revisiter ce qui a déjà eu lieu, puis se
diriger vers quelque aspect encore inexploré jusqu'à ce qu'enfin l'ensemble soit au
complet (Tihe Mauri Ora .', 1990, p. 12).
Étude en collaboration. Cela devrait être un trait partagé par toutes les
écoles qui adoptent taha Maori. Des dispositions doivent être prises
pour que les élèves puissent travailler en collaboration, par groupes de
diverses tailles. Les professeurs doivent reconnaître et récompenser les
succès du groupe plutôt que les succès individuels dans un esprit de
non-concurrence. Tous les individus formant un groupe doivent voir
leur apport reconnu, estimé.
Apprentissage global. L'approche maorie de l'étude est globale. Le nouveau
programme a par conséquent des implications pour la globalité de ce qui
est appris dans chaque classe puisque la langue et la culture maories
doivent s'insérer parmi tous les autres sujets. Le document sur le

228
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

programme d'enseignement souligne toutefois le fait que cette intégra-


tion doit se passer naturellement et de façon appropriée au fur et à
mesure que les occasions se présentent.
Changement des attitudes. Pour son application effective, les écoles doivent
à la longue être imprégnées de taha Maori. Les pratiques de gestion et
l'organisation au jour le jour doivent s'annexer les philosophies qui
sous-tendent taha Maori. Aussi les élèves vivront-ils la culture maorie
comme une chose vivante, développant ainsi des attitudes plus positi-
ves, lesquelles à leur tour conduiront à une compréhension plus
profonde.
Ces déclarations audacieuses et novatrices semblent impressionnantes, mais
le vrai test concerne leur application effective. Assurément cette application
exigerait une forte dose de patience, de compréhension entre cultures et
d'engagement, mais, à supposer que ce soit le cas, une école peut-elle
atteindre ce genre de profond biculturalisme ? Un exemple réussi est
l'établissement Tikipunga à Whangarei, dans l'île septentrionale de la
Nouvelle-Zélande. Cette grande école secondaire, où sont inscrits environ
mille élèves dont presque la moitié sont maoris et l'autre pakehas, a été
complètement restructurée pour devenir une institution démocratique, sans
hiérarchie, où chaque élève a l'entière responsabilité de ses propres études.
L'encadré qui suit nous fournit la preuve que taha Maori peut être atteint
dans la pratique.

L'ÉCOLE SECONDAIRE TIKIPUNGA À WHANGAREI


Nous nous sommes joints très tôt lundi matin au personnel pour leur régulière
mais brève période d'échange d'information. Les professeurs communiquèrent
rapidement et brièvement leurs vues, leurs soucis, leurs recommandations à la
petite assemblée. Le climat était ouvert, positif, parsemé de plaisanteries et de
bonne humeur. En quinze minutes, la réunion s'était achevée et les professeurs
avaient rejoint leurs classes. Une nouvelle semaine venait de commencer.
Un parent et quelques étudiants maoris nous ont été présentés et sont devenus
nos «anges gardiens» et nos «interprètes» pour la spectaculaire cérémonie
maorie de bienvenue que nous étions sur le point de vivre. Au dehors, un vent
d'hiver nous faisait frissonner de froid, mais point de tremblement parmi les
douzaines de jeunes élèves maoris et pakehas en costume maori traditionnel qui
attendaient notre arrivée dans le marae atea (l'espace ouvert près de l'auditorium
de l'école). Avec une incroyable précision de mouvement et d'expression faciale,
un jeune «guerrier» maori s'avança vers nous en brandissant une lance. Pas loin

229
Annuaire international de l'éducation

de nous, il lança un défi en forme de brin de feuilles d'un arbre particulier. Nous
avons été défiés en trois fois. Nous ne pouvions procéder qu'après avoir
correctement accepté le défi. Nous nous sommes avancés lentement les yeux
baissés. En approchant du marae, nous nous sommes arrêtés pour penser aux
morts, à ceux qui ont foulé la terre avant nous. Puis nous voilà sur nos sièges
d'honneur, et l'art oratoire de se manifester par des discours en langue maorie,
pleins de force, de poésie, de puissance d'évocation. Parmi les orateurs, il y avait
des anciens et des parents maoris, des élèves, des maîtres, des visiteurs aussi bien
maoris que pakehas. Tous s'étaient rassemblés pour cet effort commun de
bienvenue où se brassaient discours, chants, danses, rires et camaraderie. Nous
eûmes à ce stade un sentiment d'«appartenance», puisque nous étions acceptés
par la communauté scolaire en son sein.
Avant tout et en premier lieu, cette école n'a qu'une règle, celle de la
non-violence. Cela signifie qu'aucun membre de la communauté scolaire,
personnel ou étudiant, ne commettra un acte de violence physique ou verbale
contre une autre personne ou contre les biens de l'école. Tout conflit entre
membres de la communauté est traité avec le secours de petits comités de
médiateurs. Quand ces conflits ont lieu entre le personnel et les élèves ou entre
élèves et élèves, le comité médiateur compte toujours des élèves parmi ses
membres. L'intention est d'instaurer à Tikipunga une philosophie de paix et de
compréhension interculturelle qui touche tous les contextes et tous les types de
rapport, indépendamment de l'âge, du sexe, de la culture, de la classe sociale, de
la condition physique ou de la capacité intellectuelle des individus concernés.
L'école insiste peu, relativement parlant, sur le développement de supports
pédagogiques, de matériel d'enseignement et de ressources bibliothécaires. Elle
s'emploie plutôt à l'intériorisation d'idées, de valeurs, de comportements et à la
capacité de les vivre.
Pour les élèves maoris, la participation de la whanau [la famille étendue], des
kaumatua [les anciens] et d'autres membres de la communauté maorie aux
activités scolaires de tous les jours a été essentielle à leur pleine participation à la
vie de l'école secondaire Tikipunga. L'absentéisme, le vandalisme, les bagarres,
l'échec scolaire, la résistance à l'étude diminuent à vue d'œil. Le personnel tout
entier et les élèves sont encouragés à soigner, à partager leur expérience scolaire
et à en jouir. La plupart y arrivent. Le moral du personnel est exceptionnellement
élevé ; celui des élèves le suit de près.
Le développement le plus novateur de Tikipunga a été, probablement, sa
manière radicale d'appliquer le programme d'enseignement. Le programme
hiérarchisé et compartimenté des écoles secondaires de Nouvelle-Zélande sem-
blait tout à fait inadéquat aux besoins, aux aspirations, aux attentes de la plupart
des élèves et de leurs familles. Il y avait un important décalage entre le
programme national, à caractère formel, orienté vers les examens et conditionné
par les sujets, et les besoins des jeunes en fin de scolarité dans la communauté
bilingue et biculturelle de Whangarei.

230
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

C'est pourquoi le personnel enseignant a développé une structure de program-


me complètement neuve basée sur une approche modulaire. Il s'agissait de
développer un système bien adapté aux besoins des élèves, qui respecterait leur
autonomie personnelle en tant qu'apprenants, offrirait une approche plus globale
et plus pertinente à l'apprentissage scolaire, et traduirait les objectifs biculturels
de taha Maori. Tout l'enseignement et tout l'apprentissage de l'école sont pour
l'essentiel groupés en modules, blocs de six semaines à raison de quatre heures
par semaine. Les élèves s'inscrivent dans six modules à la fois. Chaque module a
des conséquences précises pour l'étude, et l'évaluation repose sur des critères. Le
rapport de fin d'année de l'école Tikipunga pour 1991 expose en détail les
raisons qui ont conduit à passer au système modulaire :
1. Permettre aux élèves de travailler à leur niveau d'apprentissage plutôt qu'à
leur niveau chronologique. (Le système est composé à la fois de plusieurs
niveaux et de plusieurs classes.)
2. Offrir des chances d'apprentissage intégré et complet aux élèves à besoins
spéciaux tels que ceux qui ont des dons particuliers ou ceux qui ont besoin de
cours de rattrapage.
3. Tenter de combler le fossé d'apprentissage entre les élèves de classe moyenne
et ceux dont l'étude est affectée par des facteurs de classe, de race, de sexe.
4. Offrir un éventail plus large de domaines d'études tout en continuant d'offrir
aux élèves le libre choix des modules.
5. Permettre à l'école de réagir rapidement et de façon appropriée aux besoins et
aux intérêts de la communauté.
Le système modulaire est secondé par une approche à l'orientation des élèves
soigneusement planifiée, coordonnée par des membres du personnel enseignant
qui sont nommés doyens des élèves pour chaque grade. Tous les ans, les élèves
reçoivent un livre contenant une description claire de chaque module offert. Une
base de données informatisées aide le personnel à suivre de près les progrès de
chaque élève et à tenir un contrôle de son programme.
Une description aussi brève que la présente ne peut pas rendre pleine justice à
un établissement aussi riche et aussi complexe que l'école secondaire Tikipunga.
Tout un réseau de facteurs qui s'interpénétrent ont contribué au succès avec
lequel s'est faite l'adoption des philosophies de taha Maori, et dans la réalisation
du genre de profond biculturalisme évoqué plus haut. À n'en pas douter, la
directrice elle-même y a remarquablement contribué en inspirant le personnel et
en apportant une direction efficace «de bas en haut» plutôt que «de haut en
bas», pour reprendre son expression. Parmi d'autres éléments clés il faut
compter :
1. L'importance constante attachée à l'affirmation et à l'habilitation de tous les
membres de la communauté scolaire dans un environnement d'où la compéti-
tion est bannie. Cela se retrouve dans l'usage fréquent de la célébration et de
la cérémonie pour reconnaître et pour entretenir les talents et les accomplisse-
ments individuels de tout le personnel enseignant ainsi que des élèves. (À la

231
Annuaire international de l'éducation

fin de chaque année, par exemple, l'école organise une distribution des éloges,
plutôt qu'une distribution des prix, qui récompense les réussites, quelle qu'en
soit l'importance ou l'apparente insignifiance — pour les activités scolaires,
extrascolaires et communautaires.)
2. Le fait que l'école opère sur la base d'une philosophie qui veut que chaque
groupe culturel fonctionne efficacement dans la culture de l'autre; que cette
solution des conflits soit la responsabilité de tous les membres de la
communauté scolaire; et que cette non-violence soit soulignée à tout
moment.
3. L'insistance sur le respect de l'individu; sur la forte participation des parents
et de la communauté; et sur les relations humaines positives au sein des
groupes et entre les groupes — enfants, enseignants, personnel des services
auxiliaires, parents, chefs de la communauté, anciens.
4. L'efficacité avec laquelle l'école aborde l'application du programme qui
privilégie l'autonomie individuelle et la responsabilité de l'apprenant; la
nature globale de la connaissance; et la nécessité pour l'apprentissage d'être
utile et en accord avec la vie des élèves. Ainsi, on attend des élèves qu'ils
aient de l'autodiscipline et qu'ils surveillent leurs propres études. L'emploi de
l'évaluation basée sur le niveau est également important ici. Son objectif est
non pas de découvrir ce que l'élève ne sait pas, mais de repérer et de
documenter les résultats des études de manière constructive et affirmative.
5. La structure de gestion non hiérarchisée et démocratique de l'école, fondée sur
la philosophie de taha Maori, et qui souligne la prise de décision consensuelle,
la négociation, la coopération et le respect de la contribution de chacun.
(Adapté de Teasdale, 1993, p. 18-22.)

L'exemple de l'école secondaire Tikipunga démontre que la reconceptuali-


sation peut être efficace dans un contexte biculturel. Elle nécessite un
dialogue ouvert et efficace entre les deux groupes culturels, ainsi que la
volonté d'arriver à des compromis pour obtenir des résultats culturellement
acceptables pour les deux côtés. Cependant, la leçon la plus importante,
peut-être, de Tikipunga est que la culture maorie puisse d'une école imbiber
la structure et l'esprit tout entier, jusqu'à devenir effectivement une
« manière de vivre » pour Maoris et Pakehas, pour le personnel et les élèves,
les parents et les enfants. Elle est non seulement en train d'avoir un grand
impact sur le développement culturel de la communauté maorie locale, mais
aussi d'ajouter des dimensions importantes d'intégration et d'interdépen-
dance à l'éducation des Pakehas.

232
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

LA QUESTION DU PROCESSUS

À supposer que les membres d'une petite culture autochtone soient devenus
maîtres de leur éducation, qu'ils aient réussi à développer des programmes
qui se réfèrent à leur propre communauté et à reconceptualiser l'éducation
en termes de leurs propres paramètres culturels, ils se trouveront encore
devant l'une des questions les plus intimidantes qui soient, celle du
processus. En fait, certains observateurs soutiennent que les différences
entre les processus indigène et moderne d'acquisition de la connaissance
sont si importantes qu'ils en paraissent incompatibles. La plupart des petites
cultures autochtones s'appuient sur des processus informels, l'apprentissage
se déroulant dans le contexte des activités quotidiennes. Il s'agit, pour une
grande part, d'un processus inconscient d'observation, d'imitation et de jeu
de rôles, par opposition à l'instruction verbale et formelle des sociétés
modernes industrialisées. Traditionnellement, les enfants de la plupart des
cultures autochtones apprennent au gré des situations concrètes de la vie
réelle, à travers des approximations, par la persévérance et par la répétition.
Ce qui marque un contraste avec l'apprentissage moderne qui a lieu dans le
contexte peu naturel de l'école, implique la pratique d'activités structurées
artificiellement en vue d'un objectif futur, insiste assez fortement sur la
mise en séquence des capacités, sur l'usage d'éléments individuels, et exige
qu'on privilégie l'analyse et l'efficacité (Harris, 1984, 1990; Teasdale et
Teasdale, 1992).
En Australie, on a prêté une attention considérable à la question du
processus. Les cultures des Australiens aborigènes traditionnels et celles des
sociétés industrielles sont vraisemblablement aussi dissemblables que possi-
ble. L'idée que l'aborigène se fait du monde est que la terre, les gens, la
nature et le temps forment un tout cohérent. La signification repose sur la
totalité et la relativité. La dimension spirituelle sert de force d'intégration et
s'insinue dans tous les aspects de la vie. Comme l'écrit Christie (1985,
p. 11) : «Toutes les notions occidentales de quantité — de plus ou de moins,
des nombres, de la pensée mathématique et positiviste — non seulement
sont sans rapport avec le monde des aborigènes, mais lui sont contraires
[...]. Une conception du monde où la terre, les esprits, les gens et les arbres
ne se prêtent pas, d'une certaine manière, à l'analyse scientifique. » Dans ce
genre de système, toutes les questions concernant la vérité ou la croyance
ont déjà trouvé leur réponse dans les lois et dans le rêve. Ce qui a des
implications profondes sur les processus d'apprentissage:
On n'attend pas d'un apprenant aborigène qu'il analyse ou interroge le fondement des
croyances, même quand il y a dissonance. Leur système est un système «clos» où les relations
de cause à effet ont une explication religieuse plutôt que «rationnelle». Cela est en contraste

233
Annuaire international de Véducation

avec le caractère ouvert de la pensée occidentale qui encourage l'approche scientifique et


analytique afin de résoudre les dissonances qui résultent de systèmes de pensée en conflit. Là
où les occidentaux cherchent à expliquer la réalité par l'harmonie de la logique, les aborigènes
tolèrent l'ambiguïté; ce qu'ils croient importe plus que ce qu'ils comprennent. La connaissan-
ce, par conséquent, n'est pas mise en doute ou défiée, en particulier par les jeunes, et dès le
plus jeune âge la curiosité est délibérément découragée chez l'enfant (Teasdale et Teasdale,
1992, p. 445).
À la lumière de ce qui précède, il paraît à peu près certain que l'utilisation
des processus modernes d'enseignement et d'apprentissage dans les écoles
destinées aux enfants aborigènes d'Australie détruira au moins quelques
valeurs et croyances traditionnelles. La culture aborigène est, à l'évidence,
vulnérable quand elle doit faire face à l'idée que les sociétés industrielles
modernes se font du monde et qui insiste sur la quantification, l'individua-
lisme, le positivisme et la pensée scientifique. Le même problème s'appli-
que plus ou moins à d'autres petites cultures autochtones qui sont obligées
de coexister auprès de sociétés industrielles dominantes. Il est peut-être utile
par conséquent d'examiner les tentatives actuellement en cours en Australie
pour résoudre le dilemme que posent les incompatibilités entre les deux
systèmes d'apprentissage.
On reconnaît de plus en plus que les seules solutions efficaces seront
celles qui auront été développées de l'intérieur par les communautés
aborigènes d'Australie, et non celles qui auront été imposées de l'extérieur.
Il n'empêche, ceux qui proposent des programmes et gèrent les systèmes
d'éducation peuvent faciliter la recherche de solutions. Leur première tâche
devrait être d'examiner leurs propres préjugés, leurs propres prétentions, en
particulier par rapport à la connaissance scientifique moderne.
Enfouie dans le programme caché de la plupart des écoles est la
supposition que ce type de connaissance est indispensable au progrès de la
race humaine, que d'une certaine manière il est supérieur, plus puissant et
plus valable que toute autre forme de connaissance. S'adressant aux
enseignants non aborigènes qui exercent dans les écoles aborigènes, Harris
leur conseille de :
[...] se garder de ces aspects du programme caché qui projettent les valeurs occidentales. Ce
que vous feriez principalement en rendant explicite le programme caché, en soulignant que les
techniques occidentales s'apprennent pour permettre aux aborigènes de fonctionner avec
efficacité dans le domaine occidental — ils n'apprennent pas ces techniques parce que ces
façons de faire sont meilleures. Ainsi le contenu et les techniques occidentales [...] seraient une
sorte de gigantesque jeu de rôles — à apprendre à jouer, mais pas à être cru comme
représentant nécessairement la meilleure façon de vivre [...]. Lorsqu'un petit aborigène apprend
consciemment à adopter et à écarter les rôles occidentaux, ces rôles peuvent être plus
facilement maintenus comme extérieurs à leur identité aborigène la plus personnelle. Les
enseignants [...] ont la responsabilité de dire aux enfants que c'est ainsi que les Occidentaux
font les choses, et qu'ils ne sont pas obligés d'en être d'accord ou d'y croire (Harris, 1990,
p. 16 et 64).

234
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

LE SENS NÉGOCIÉ

Enseignants, conseillers et gestionnaires devraient reconnaître que leur rôle


dans les sociétés autochtones est non pas de dispenser la connaissance, mais
de la partager. Ils doivent être des coapprenants. Il faut que leur esprit soit
ouvert à l'enseignement que peut leur offrir une autre culture au moins
autant, sinon plus, qu'à l'enseignement qu'ils apportent eux-mêmes de leur
propre culture. Une des façons de partager est de recourir à une approche
qui consiste à «négocier du sens», et dans laquelle les incompatibilités entre
les deux systèmes d'apprentissage sont repérées et analysées. Crawford
(1986), par exemple, a développé un processus de sens négocié, dans le
domaine des mathématiques, avec des adultes aborigènes inscrits à un
programme de formation des maîtres sur le terrain dans les communautés de
Pitjantjatjara, en Australie centrale. Elle s'est engagée dans un processus
complexe d'échange de sens mathématiques qui permettait aux participants
d'acquérir une plus grande compréhension des systèmes modernes, cepen-
dant qu'ils réaffirmaient leurs propres connaissance et identité culturelles.
Crawford raconte que ce processus d'analyse comparée et de négociation
avait été long et épuisant, mais, à terme, très enrichissant aussi bien pour
elle-même que pour les participants, ces derniers déclarant aussi qu'ils se
sentaient plus d'assurance à interpréter et à expliquer les concepts mathéma-
tiques contemporains aux enfants de leurs écoles. L'idée de sens négocié a
aussi été développée à l'école Yirrkala, Wunungmurra (1988) la comparant
à celle de la traditionnelle négociation de sens qui a lieu entre deux
subdivisions tribales dans certaines cultures aborigènes. Il souligne que la
négociation doit avoir lieu sous l'influence de Rom (la loi) et respecter le
rôle des anciens.

LA SCOLARISATION À DEUX VOIES

Pour l'aborigène, la recherche de solutions au problème de processus tourne


autour de l'idée de l'éducation «à deux voies» ou «aux deux voies», et
celle de l'apprentissage «à deux voies». Ce dernier a évolué dans les écoles
catholiques de la région de Kimberley, en Australie occidentale, et sous-
tend maintenant toute leur planification et tout le développement des
programmes. Il insiste sur la nécessité pour les enfants d'apprendre «les
deux manières de vivre» — l'aborigène et l'australienne d'au-
jourd'hui — par «le partage et par l'échange entre les deux côtés»
{Two-way learning, 1988, p. 5-6). Cela est accompli grâce à la prise de
décisions aborigènes, à l'étroite association entre l'école et la communauté,

235
Annuaire international de l'éducation

au renforcement des rapports enseignement-apprentissage entre membres


jeunes et moins jeunes de la communauté, et au développement de
structures scolaires flexibles. Par exemple, à Warrmarn (Turkey Creek), la
plupart des membres de la génération des grands-parents passent la première
heure de chaque jour de classe avec les enfants, leur enseignant la langue et
la culture des Kijas, et beaucoup restent ensuite à l'école pour participer à
diverses activités d'apprentissage. En somme, ils tiennent l'école et jouent
un rôle important et actif dans son processus d'apprentissage à deux
voies.
L'idée de l'école «à deux voies» ou «aux deux voies» s'est développée
principalement en terre d'Arnhem. Harris (1990, p. 12) cite Yunupingu, le
principal de l'école d'Yirrkala, qui écrivait en 1987: «[Nous] avons
commencé à travailler en direction d'un programme aux deux voies l'année
passée. Si vous maîtrisez les deux langues vous doublez votre pouvoir. On
devrait insister sur la langue et la culture des Yolngus [des aborigènes] pour
qu'elles puissent être respectées au même titre [que l'anglais].» Un autre
professeur de Yirrkala, Wunungmurra (1988, p. 69), a écrit: «C'est à
travers un échange de sens que nous pouvons produire un programme "à
deux voies " qui donnera à nos enfants la flexibilité permettant de vivre à la
fois dans les mondes yolngu et balanda [européen]. Pour vivre dans l'un et
l'autre monde, nous devons atteindre un niveau élevé d'éducation [euro-
péenne], mais conserver notre identité.» Wunungmurra (1988, p. 69-71) se
mit alors à décrire les principales caractéristiques d'une école à deux
voies :
— On y reconnaît que le programme scolaire est l'affaire des aborigènes.
— Les membres de la communauté y prennent l'initiative d'organiser, de
développer et d'appliquer le programme.
— Les anciens du clan viennent à l'école pour enseigner, réaffirmant ainsi
les relations entre les niveaux de génération (jeune et moins jeune).
— Pour l'instruction, les enfants sont groupés selon le clan (ou la parenté),
et non d'après l'âge; les filles et les garçons reçoivent leur enseigne-
ment séparément.
— La flexibilité des structures et des occupations journalières permet le
respect des obligations traditionnelles concernant le rituel, en particulier
durant l'initiation.
— Un respect égal y accueille la connaissance occidentale et aborigène;
l'échange de connaissances est encouragé.
Elizabeth Milmilany, professeur et linguiste aborigène en formation à
Milingimbi, au nord-est de la terre d'Arnhem, expose lors du séminaire de

236
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

Rarotonga, d'une manière particulièrement claire et impressionnante, com-


ment fonctionne dans la pratique une école à deux voies. Son compte rendu,
présenté ci-dessous, fournit quelques exemples clairs des caractéristiques
relevées par Wunungmurra.

LE DHANARANALA MURRURINYDJI GAYWANANALA (DMG),


PROGRAMME DE MILINGIMBI

HISTORIQUE
Milingimbi est une petite île aux larges des côtes de la terre d'Arnhem, en
Australie du Nord, à trois cents miles de Darwin. Elle compte mille habitants.
Jadis les aborigènes parlaient leurs propres langues tribales. Il y a environ
dix-huit langues différentes en usage à Milingimbi, mais, bien qu'elles soient des
dialectes, nous nous comprenons. Peu de langues traditionnelles sont pratiquées
aujourd'hui. Celles qu'on entend à Milingimbi sont divisées en deux principaux
groupes d'égale importance: le groupe dhuwa et le groupe yirritja.
À Milingimbi, l'école suit le programme et la politique du Département de
l'éducation du Territoire du Nord. Le département attend de chaque maître, qu'il
soit yolngu (aborigène) ou balanda (européen), qu'il applique les politiques de
toutes les écoles, aborigènes ou européennes.
En 1973, le Gouvernement australien a permis officiellement l'enseignement
bilingue. Milingimbi étant une école à deux langues, la plupart des membres du
personnel enseignant s'y allient pour développer dans l'école leur propre
programme et leurs propres politiques. La politique de développement des
programmes est élaborée par des commissions des programmes qui combinent du
personnel balanda et yolngu. Leur travail consiste aussi à aider les autres
enseignants de l'école à voir à quel niveau se trouvent les enfants et quels genres
de techniques d'apprentissage ils ont pratiquées auparavant. La raison principale
qui nous porte à élaborer le document sur le programme est de considérer les
ressources scolaires pour choisir ce qu'il faut réaliser de meilleur pour notre
école. Ce que propose l'enseignement dans cette école, c'est d'avoir des objectifs
adéquats et de prendre en considération ce que la communauté trouve important
pour les enfants d'apprendre à ce moment-là. La plupart des domaines concer-
nant les disciplines ont un programme scolaire qui couvre le tronc commun du
programme retenu par le Territoire du Nord.
Le programme bilingue de Milingimbi a commencé en 1973 ; il constituait, à
l'époque, l'une des quatre écoles pilotes du Territoire du Nord. La communauté
décida que le gupapuynu serait la langue adoptée par l'école pour le programme
naissant. L'école de Milingimbi bénéficia d'une accréditation provisoire au cours
de 1985, puis, en 1988, le Programme bilingue de Milingimbi fut pleinement
accrédité.

237
Annuaire international de l'éducation

LES RAISONS DU DÉMARRAGE DE DMG

Des politiques et un programme d'enseignement bilingue à base scolaire ont été


développés parce que Milingimbi est une école pour Yolngus. Ceux-ci veulent
être maîtres des décisions et être capables de développer des programmes
pertinents fondés sur l'éducation «à deux voies». Nous avons décidé de
structurer à notre façon notre projet de programme afin d'aider les maîtres
yolngus et balandas à planifier ensemble à la manière d'une équipe et non sur une
base individuelle.
Les maîtres yolngus connaissent leurs antécédents, et possèdent un grand
éventail de connaissances sur leur environnement. Ils sont déjà au fait de la
manière de recueillir de la nourriture et savent à quelles saisons correspondent
certains aliments: tortues, poissons, crustacés, crabes, vers de palétuvier et
nourritures de brousse. Ils comprennent l'environnement de la terre d'Arnhem et
les changements saisonniers.
Les maîtres yolngus connaissent également les attitudes des enfants et leurs
antécédents, savent qui sont leurs parents et comment ils sont. Le système de
parenté est aussi fondamental pour les enfants de la classe, le fait de savoir qui
éviter et à qui parler. Les Yolngus connaissent les propriétaires fonciers
traditionnels et leurs attitudes envers certains domaines significatifs, de même
que les aspects religieux et spirituels de certaines cérémonies, et le moment où
elles ont lieu. Ils savent quand les garçons sont parfois obligés d'assister à des
cérémonies, comme l'exigent les anciens pour leur connaissance culturelle.
Nous avons donc décidé que cette connaissance constituerait une bonne base
pour un programme en yolngu. Toute cette connaissance peut être utilisée pour
créer de nouveaux textes linguistiques avec les enfants. Dans le programme
DMG, nous continuons de rassembler d'autres histoires, pièces d'art, artisanat et
diverses langues traditionnelles pour divers groupes claniques, et les connaissan-
ces qui nous sont disponibles afin de permettre aux professeurs de prévoir
ensemble des activités concernant la lecture, l'enregistrement, l'écoute et l'ex-
pression orale pour le développement des capacités linguistiques de nos
enfants.
Si nous avons créé des programmes dans les domaines de l'art, des sciences
sociales et des langues, beaucoup des leçons au programme sont les mêmes.
Nous appelons notre programme DMG «Dhanaranala Murrurinydji Gaywanana-
la» du nom du centre Dhalinybuy en «terre d'origine». Il est en rapport avec
l'autorité centrale qui rassemble les gens, et veille à la conduite de toute
cérémonie et autres circonstances traditionnelles. C'est l'un des chefs de clan des
Wangurris qui nous a suggéré ce nom et donné la permission de l'utiliser pour ce
programme linguistique. Nous avons pensé que c'était un nom heureux puisque
ce programme est basé sur notre style de vie traditionnel.

238
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

ENSEIGNANTS, STRATÉGIES ET BUTS

Les objectifs à long terme concernant les contenus du programme DMG sont
généralement déterminés par le coordinateur responsable pour que les maîtres
puissent appliquer les stratégies d'enseignement dans le contexte de la salle de
classe. Les enseignants ont un rôle important à jouer dans l'épanouissement des
connaissances de l'enfant.
Pour élaborer les programmes au bénéfice des aborigènes, ceux qui comptent
le plus sont les enseignants autochtones. Ils bénéficient de l'aide de leurs
homologues balandas pour la préparation et la mise en forme du matériel
d'enseignement. Les stratégies importantes concernant le programme apparais-
sent au moment où l'on songe à élaborer des programmes d'enseignement qui
pourraient «marcher» dans le contexte de la salle de classe. Le programme en
question permettra aussi aux élèves de se lancer, en dehors de la classe, dans une
expérience pratique embrassant diverses techniques d'alphabétisation.
On pousse dès le début les parents à participer. Les élèves seront encouragés
puisqu'ils devront participer à une approche nouvelle et créatrice du programme.
Ce qui leur donnera le sens des responsabilités leur permettant de diriger leur
propre vie afin d'être en mesure de participer activement à la création d'un avenir
positif et productif.
Le programme est dirigé par le personnel yolngu, lui-même coordonné par
l'instituteur-linguiste et F instituteur-linguiste en formation. L'équipe yolngu est
responsable d'une planification de dix semaines et de l'enseignement du
programme avec l'aide des membres de la communauté. Les Yolngus et la
communauté ont décidé que 50% du programme serait yolngu et 50% balanda.
Le premier se déroule tous les jours de 10 h 00 à 12 h 30. Les enfants sont
groupés, selon les besoins des sujets enseignés, par appartenance tribale, par sexe
ou par groupe d'âge.
De la même façon, les leçons ont lieu selon les sujets enseignés. Par exemple,
pour les leçons de langue, les enfants restent dans les classes où ils reçoivent
l'enseignement de membres de la communauté; parfois on les emmène en
excursion pour qu'ils pratiquent l'observation et l'expérience directes.
L'objectif du programme est d'enseigner aux enfants à lire et à écrire dans leur
propre langue, et d'apprendre les aspects culturels de la langue des Yolngus. Une
des stratégies adoptées pour enseigner la lecture et l'écriture aux enfants est
d'entourer la salle de classe de matériel écrit, d'affiches, de gros livres, de
matériels audio-visuels, etc.
Les sujets enseignés le sont toujours à partir d'une perspective culturelle, et les
enfants apprennent en regardant, en écoutant, en notant. Ils apprennent à écrire en
observant et en imitant les modèles. Ils assimilent de nombreux aspects de la
connaissance culturelle, étudient leur propre langue et, avant tout, ont l'occasion
de comprendre la culture des Balandas à travers leur propre héritage culturel.

239
Annuaire international de l'éducation

RÉACTION ET PARTICIPATION DE LA COMMUNAUTÉ


Aux yeux de la communauté de Milingimbi, il est important pour les jeunes
yolngus d'être alphabétisés dans leur propre langue et d'être capables de
maintenir, de développer et d'apprécier le sens de leur culture particulière,
laquelle constitue une partie importante et riche de l'héritage vivant du pays.
Aujourd'hui, cette nouvelle initiative est entreprise par le personnel yolngu,
aidé de quelques maîtres balandas, pour s'assurer que les enfants n'apprennent
pas trop de technologie moderne et pour les préparer à leur éducation tradition-
nelle.
Le programme DMG se déroule au sein de l'école et traite d'aspects des
connaissances traditionnelles, et il n'est pas seulement intégré dans le programme
pratiqué à l'école, mais, et c'est très important, il est en liaison avec le Conseil
comme avec les membres de la communauté. Les parents et les gens bien
informés sont sollicités pour donner des conseils et pour collaborer à tous les
stades du programme, de sa mise en place à son application. Le Conseil aimerait
et est impatient de voir le programme à l'œuvre. Après plusieurs réunions avec
les membres du Conseil, ceux-ci se sont rendu compte de l'importance d'un
programme d'enseignement yolngu, et ils ont soutenu et encouragé ce program-
me.
(Ce compte rendu a été préparé par Elizabeth Milmilany, professeur-linguiste
en formation à Milingimbi.)

LE PROGRAMME SCOLAIRE GANMA


Certains groupes aborigènes ont communément recours à la métaphore pour
faciliter la compréhension. À Yirrkala, communauté côtière, les gens ont
étendu la notion de scolarisation à deux voies en employant une métaphore
basée sur le processus ganma. Dans leur langue (le gumatj), ganma dénote
la situation où l'eau douce des ruisseaux ou des rivières rencontre l'eau
saumâtre de la mer, et les deux s'accompagnent et s'emmêlent: «En se
joignant les cours d'eau se mélangent sur toute l'interface des deux courants
et l'écume naît à la surface, de sorte que l'avènement de ganma se signale
par des lignes d'écume le long de l'interface des deux courants» (Yirrkala
Community School Action Group, 1989, p. 7-10). La théorie du programme
ganma se réfère aux processus qui contribuent à réunir les deux sources de
la connaissance — l'aborigène et la moderne — et à reconnaître qu'elles
peuvent s'enrichir par leur interaction, tout en restant distinctes. Le
programme d'enseignement ganma se déroule en toute connaissance de
cause aborigène — inventant des procédures sous l'autorité des anciens du
clan et orienté vers la parfaite maîtrise par les autochtones de toute décision

240
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

concernant le programme scolaire. Il est donc devenu un puissant instru-


ment pour en définir le contenu et l'application aussi bien dans les écoles du
centre que dans celles des zones réservées à Yirrkala.

TERRE, IDENTITÉ ET ÉDUCATION

Les Pintupis de Walungurru, qui forment une communauté retirée du Désert


occidental, à cinq cent vingt kilomètres à l'ouest d'Alice Springs, ont
comparé avec réalisme les contradictions entre, d'une part, leurs propres
connaissances et leur mode de transmission et, d'autre part, le contenu et
l'application de l'éducation que leur impose la société dominante. On
trouve, au cœur de la philosophie de l'éducation qu'ils ont élaborée, le
concept de Nganampa manta lingkitu ngaluntjaku. La principale conséquen-
ce consiste ici à s'emparer de sa terre, à la conserver avec énergie et à s'en
occuper. Comme le fait cependant observer Keeffe (1992, p. 21), l'idée de
tenir avec force la terre a pour but «de faire passer un message plus
important concernant le maintien, en particulier à travers l'éducation, de ce
qui vient de la terre. D'un point de vue aborigène, cela comprend le droit, la
langue et la culture».
En dépit de son statut d'institution gouvernementale, l'école de Walun-
gurru connaît une direction ferme de la part de la communauté locale, et les
visiteurs se rendent vite compte de la force sous-jacente dont témoignent la
langue et la culture des Pintupis. En 1989, le personnel aborigène de l'école
a visualisé la philosophie de l'école dans une grande toile à l'acrylique
exposée dans le Désert occidental. Ils ont présenté la toile et ses concepts
sous-jacents à une conférence nationale sur le programme d'enseignement, à
Canberra, où ils ont expliqué qu'ils avaient commencé à formuler des
contenus et des processus d'enseignement qui tournaient autour d'une
conscience de soi qui fût pintupie, et de valeurs essentielles telles que le
rapport à la terre, les relations au sein de la famille étendue et de la
communauté, et la connaissance spirituelle qui venait du rêve. Keefee
(1992, p. 29) relève toutefois que les Pintupis Walungurru ne prétendent pas
avoir atteint l'équilibre qu'ils souhaiteraient entre la connaissance yanangu
[aborigène], héritée de leurs parents et de leurs grands-parents, et la
connaissance, le pouvoir walypala [du «bonhomme blanc»]. Il poursuit:
Ils envisagent leur façon de faire dans la perspective de leur histoire et jusqu'à un moment de
l'avenir où ils seront en mesure d'obtenir un équilibre entre, d'une part, le processus de
récupération et de restauration culturelles et, d'autre part, les nombreuses exigences (en
particulier les exigences économiques, celles de l'emploi) de leur présence actuelle au sein
d'un État-nation moderne et développé. Atteindre ce moment représente une tâche difficile et
conceptuellement inextricable (Keeffe, 1992, p. 29).

241
Annuaire international de l'éducation

EN RÉSUMÉ

Il est clair que la question du processus est, pour les peuples indigènes, une
affaire complexe. Les aborigènes d'Australie, entre toutes les autres petites
cultures autochtones, sont ceux qui s'y sont le plus impliqués aussi bien
dans le domaine théorique que dans le domaine pratique. Les écrits des
Yirrkalas et les représentations visuelles des Walungurrus, par exemple,
représentent des tentatives particulièrement bien nourries et raffinées de
théorisation des deux systèmes de connaissance, et de leurs modes de
transmission. Ce qui n'empêche pas la plupart des éducateurs aborigènes de
reconnaître qu'ils ont encore beaucoup de chemin à faire pour élaborer des
contenus et des processus d'enseignement qui atteignent un équilibre
efficace entre l'acquisition des connaissances modernes fonctionnelles et la
conservation et le développement des langues et des cultures aborigènes.

CONCLUSIONS

La survie des petites cultures autochtones a son importance non pas


seulement pour le bien-être et le sens d'identité de ses propres membres,
mais parce que, incrustés dans leurs connaissances, les systèmes de valeurs
et de croyances représentent des solutions sociales, politiques, environne-
mentales, voire spirituelles, à nombre des crises auxquelles doivent faire
face les sociétés industrielles contemporaines. La survie des petites cultures
est précieuse pour toute l'humanité. L'éducation peut jouer un rôle impor-
tant dans cette survie, en particulier dans les contextes où les petites cultures
coexistent auprès de sociétés industrielles dominantes. Les non-indigènes
ont assurément un rôle à jouer, non pas en offrant des solutions mais en
changeant eux-mêmes d'attitudes et de rôles. Le défi qui se pose à eux est
de travailler à côté des peuples autochtones en entretenant avec eux des
rapports d'égalité et de respect mutuel.
Déjà des solutions commencent à émerger de certaines cultures autochto-
nes. Les conditions socioculturelles varient énormément et des approches
qui «marchent» dans tel contexte peuvent ne pas convenir dans tel autre.
Toutefois, les tendances qui suivent sont certainement importantes :
1. Il est indispensable que les peuples autochtones aient vraiment la liberté
de prendre leurs propres décisions concernant l'éducation. Ils ont parfai-
tement le droit d'avoir pleine et entière propriété, autorité, non pas
seulement sur l'éducation, mais sur toutes autres institutions, sociales,
politiques, économiques, qui influencent directement leurs vies.

242
L'éducation et la survie des petites cultures autochtones

2. La langue est cruciale pour la survie culturelle et les peuples autochtones


devraient bénéficier du soutien le plus entier pour faire revivre, pour
maintenir ou pour développer leurs langues, en particulier lorsque de
telles initiatives sont nourries par la famille étendue et par la communau-
té, et pas seulement par l'école.
3. Les groupes autochtones devraient obtenir la liberté de repenser l'école
en fonction de leurs propres paramètres culturels. Ils devraient disposer
de ressources qui leur assurent la possibilité de choisir des modèles de
scolarisation favorisant le développement linguistique et culturel.
4. La meilleure façon de transmettre les systèmes de connaissance des
sociétés modernes industrialisées serait d'en faire une sorte d'« énorme
jeu de rôles» à étudier, mais pas nécessairement à croire ou à être en
accord avec.
5. L'approche du «sens négocié» peut s'avérer utile pour le partage des
connaissances et pour le traitement de certaines des incompatibilités entre
les processus d'apprentissage moderne et indigène.
6. L'idée de la scolarisation «à deux voies» ou «aux deux voies», élaborée
par les communautés australienne et aborigène, offre une solution
potentiellement forte de traiter le dilemme que posent les différences
fondamentales opposant les processus d'enseignement-apprentissage
typiques des cultures moderne et autochtone.
Pour finir, ceux qui appartiennent à des cultures autochtones devraient se
sentir encouragés par l'apparition croissante d'une solidarité universelle
envers leurs difficultés — les activités et l'intérêt soulevé en 1993 par
l'Année internationale des peuples autochtones n'en fournissent que quel-
ques exemples —, et par l'émergence d'un sens nouveau de leur particula-
rité culturelle et de leur autonomie dans les petites sociétés. Sahlins (1953,
p. 1) tient, par exemple, que «la timidité culturelle qui s'installe parmi les
anciennes victimes du colonialisme» constitue l'un des phénomènes les
plus remarquables de l'histoire mondiale en cette fin du XXe siècle. Il
considère l'émergence actuelle du «culturalisme» comme un mouvement
planétaire de défi culturel dont les pleines significations et les pleins effets
sont encore à déterminer. L'analyse de Sahlins laisse espérer que les petites
cultures autochtones ont effectivement la force et la capacité d'adaptation
qui permettent la survie, et que l'éducation peut jouer un rôle significatif
dans le renouvellement de leurs valeurs et de leurs symboles les plus
profonds.

243
Annuaire international de l'éducation

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programme ganma dans les écoles yolngus]. Yirrkala, Territoire du Nord, Austra-
lie.

245
APPENDICE

Documents de la quarante-troisième
session de la Conférence internationale
de l'éducation,
Genève, 14-19 septembre 1992
Le thème de cet Annuaire est tiré Les lecteurs qui désirent en
de la quarante-troisième session de prendre connaissance peuvent les
la Conférence internationale de obtenir auprès de :
l'éducation (CIE), et nombre des
textes reproduits ici on été fournis Unité de documentation
sous leur forme originale à la et d'information
conférence. Les pages qui suivent Bureau international d'éducation
livrent d'ailleurs la liste de toute Case postale 199
la documentation qui y a été 1211 Genève 20, Suisse
présentée: réponses au
questionnaire, documents de Ces documents sont au prix de
travail, documents d'information, 2 francs suisses la microfiche pour
rapports nationaux des États les collections complètes (par
membres de l'UNESCO. conférence) et de 3 francs suisses
Le Bureau international la microfiche pour les documents
d'éducation veille, depuis 1973, à isolés (certains documents
ce que les documents de la CIE occupant plus d'une microfiche),
soient disponibles en microfiches plus le port et l'emballage. Pour
dans sa Série internationale de des renseignements plus détaillés
rapports sur l'éducation (SIRE). se référer à l'adresse ci-dessus.

246
REPONSES AU Jamahiriya; Oman; Qatar; Saudi
Arabia; Sudan; Syrian AR; Tunisia;
QUESTIONNAIRE United Arab Emirates; Yemen - moral
education; civic education
Microfiche: SIRE/02595 (5MF)
[SURVEY ON THE CONTRIBUTION
OF EDUCATION TO CULTURAL [SURVEY ON THE CONTRIBUTION
DEVELOPMENT: REPLIES FROM OF EDUCATION TO CULTURAL
MEMBER STATES OF THE AFRICA DEVELOPMENT: REPLIES FROM
REGION] MEMBER STATES OF THE ASIA
Geneva, UNESCO :IBE, 1993. 24 AND THE PACIFIC REGION]
documents. Replies to questionnaire Geneva, UNESCO :IBE, 1993. 16
ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91. (various documents. Replies to questionnaire
texts in eng, fre, spa) ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91. (various
DESCRIPTEURS: cultural development; texts in eng, fre)
education and development; cultural DESCRIPTEURS: cultural development;
policies; cultural background; education and development; cultural
intercultural programmes; multicultural policies; cultural background;
education; modern language instruction; intercultural programmes; multicultural
aesthetic education; art education; education; modern language instruction;
cultural interrelationships; teacher aesthetic education; art education;
education; literacy programmes; basic cultural interrelationships; teacher
education; Angola; Benin; Botswana; education; literacy programmes; basic
Burkina Faso; Burundi; Central African education; Australia; China; Cook
Republic; Côte d'Ivoire; Equatorial Islands; Democratic People's Rep. of
Guinea; Ethiopia; Ghana; Guinea; Korea; Fiji; India; Indonesia; Iran
Kenya; Lesotho; Malawi; Mali; (Islamic Republic); Japan; Malaysia;
Mauritania; Namibia; Nigeria; Senegal; Pakistan; Papua New Guinea;
Swaziland; Uganda; United Republic of Philippines; Republic of Korea; Sri
Tanzania; Zambia; Zimbabwe - moral Lanka; Thailand - moral education;
education; civic education civic education
Microfiche: SIRE/02594 (7MF) Microfiche: SIRE/02596 (6MF)

[SURVEY ON THE CONTRIBUTION [SURVEY ON THE CONTRIBUTION


OF EDUCATION TO CULTURAL OF EDUCATION TO CULTURAL
DEVELOPMENT: REPLIES FROM DEVELOPMENT: REPLIES FROM
MEMBER STATES OF THE ARAB MEMBER STATES OF THE EUROPE
STATES REGION] REGION]
Geneva, UNESCO:IBE, 1993. 14 Geneva, UNESCO :IBE, 1993. 24
documents. Replies to questionnaire documents. Replies to questionnaire
ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91. (various ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91. (various
texts in eng, fre) texts in eng, fre, spa)
DESCRIPTEURS: cultural development; DESCRIPTEURS: cultural development;
education and development; cultural education and development; cultural
policies; cultural background; policies; cultural background;
intercultural programmes; multicultural intercultural programmes; multicultural
education; modern language instruction; education; modern language instruction;
aesthetic education; art education; aesthetic education; art education;
cultural interrelationships; teacher cultural interrelationships; teacher
education; literacy programmes; basic education; literacy programmes; basic
education; Bahrain; Egypt; Jordan; education; Austria; Belgium; Bulgaria;
Kuwait; Lebanon; Libyan Arab Czechoslovakia; Finland; France;

247
Germany; Israel; Italy; Luxembourg;
Malta; Netherlands; Norway; Poland;
Portugal; Romania; Russian Federation;
San Marino; Spain; Sweden;
Switzerland; Turkey; Ukraine;
Yugoslavia - moral education; civic
education
Microfiche: SIRE/02597 (9MF)

[SURVEY ON THE CONTRIBUTION


OF EDUCATION TO CULTURAL
DEVELOPMENT: REPLIES FROM
MEMBER STATES OF THE LATIN
AMERICA AND THE CARIBBEAN
REGION]
Geneva, UNESCO:IBE, 1993. 14
documents. Replies to questionnaire
ED/BIE/CONFINTED/43/Q/91. (various
texts in eng, fre, spa)
DESCRIPTEURS: cultural development;
education and development; cultural
policies; cultural background;
intercultural programmes; multicultural
education; modern language instruction;
aesthetic education; art education;
cultural interrelationships; teacher
education; literacy programmes; basic
education; Barbados; Brazil; Chile;
Colombia; Costa Rica; Cuba; El
Salvador; Haiti; Honduras; Jamaica;
Mexico; Panama; Peru; Venezuela -
moral education; civic education
Microfiche: SIRE/02598 (5MF)

248
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1 v. (various pagings). (eng; also in ara,
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Preliminary report on the


implementation of Recommendation no.
77 adopted by the 42nd session of the
International Conference on Education
and concerning operational policies,
strategies and programmes in the areas
of literacy and basic education for the
1990s. Geneva, IBE, 7 July 1992. 16 p.,
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