Dossier thématique
Éditorial
Mahtab Samimi
L' apprentissage lors des études de médecine laisse peu de place à la cavité buccale, et nos
habitudes d'examen clinique sont généralement limitées dans cette zone. Il est certain que la
somme des connaissances que doivent acquérir les étudiants en médecine est déjà conséquente,
que les domaines thérapeutiques sont en constante évolution et que les apprentissages évoluent
en conséquence. Lors des mises à jour des référentiels destinés aux étudiants de deuxième cycle,
certains signes ou manœuvres cliniques, désignés habituellement par des termes éponymes, sont
éliminés pour cause de désuétude, d'ambiguïté voire d'inexactitude. Supprimer définitivement ces
termes des référentiels est un choix difficile, car cette lexicologie reflète l'Histoire de la Médecine
et les retirer reviendrait à enterrer une part de cette histoire, et peut-être même une part des
hommes qui ont fait cette Histoire. Le fameux « signe de Homans », déjà décrié il y a près de 30 ans
dans les pages du Lancet [1] persiste dans les manuels de référence, avec toutes les précautions
d'usage quant à son inexactitude [2]. À l'heure du tout-technologique, on peut se demander quelle
sera dans notre pratique future la part de l'examen clinique face aux examens complémentaires,
dont la reproductibilité et les performances diagnostiques pallient l'incertitude de l'art clinique [3].
Au-delà de la valeur symbolique de perpétuer cet « art », et de l'importance qu'accordent les
patients à être inspectés, palpés, auscultés (« Docteur, il ne m'a même pas examiné ! »), l'examen
clinique reste un garde-fou à la réalisation d'une batterie « parapluie » d'examens complémen-
taires. Il existe encore des domaines en médecine où seule la clinique est informative : nulle
biologie ou imagerie ne permet de porter un diagnostic de langue géographique – alors qu'un
diagnostic de « coup d'œil » du praticien averti permet d'éviter les prélèvements mycologiques,
sérologies diverses et autres traitements d'épreuve inutiles. Dans la même optique, on ne se lance
dans la course au pathologique qu'après avoir exclu le physiologique ; les variations anatomiques
de la cavité buccale, méconnues bien que fréquentes, peuvent constituer d'authentiques motifs de
consultation. En pratique, connaître ces « variantes » s'avère particulièrement utile face à un
patient anxieux, « cancérophobe », qui peut reporter son angoisse sur des éléments pourtant
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Éditorial
physiologiques de la bouche (papilles foliées, grains de Fordyce, face postérolatérale de langue, inaccessible à notre vue à moins
crêtes palatines. . .). Ce type de demande est fréquente chez les d'aller le débusquer. Pour couronner le tout, les patients les plus
patients ayant des douleurs buccales diffuses « neuro-psycho- à risque ont les bouches les moins « attractives » – tabac, alcool,
gènes » (« burning mouth syndrome » des anglo-saxons). état buccodentaire délabré – mais il ne faut pas hésiter à aller y
Rassurer le patient, nommer les structures, affirmer leur carac- faire un tour (de doigt ganté) pour dépister le cancer localisé
tère bénin, ne pas multiplier les prélèvements et les examens avant que ne survienne l'extension métastatique.
biologiques, font partie intégrante de la prise en charge de ces Le paradoxe de la cavité buccale est d'être au carrefour de
patients. Sans permettre en soi la guérison de leurs douleurs, on plusieurs métiers (médecins, dentistes, orthophonistes. . .) et
invite ainsi le patient à mettre de côté – du moins en partie – de plusieurs spécialités (chirurgie maxillo-faciale, ORL, derma-
certaines obsessions anxieuses (« Arrêtez de regarder votre tologie, gastro-entérologie, neurologues, psychiatres. . .). Nous
langue ! »). avons voulu faire participer dermatologues, stomatologues,
Mais l'excès inverse existe aussi, et on reste parfois étonné du chirurgiens maxillo-faciaux et dentistes à la rédaction de ces
retard diagnostique des carcinomes épidermoïdes buccaux dont dossiers thématiques. Leurs messages sont convergents : regar-
seulement 1/3 peuvent être pris en charge à un stade localisé. dez et palpez la bouche de vos patients !
Un adage en pathologie buccale : le cancer ne fait pas, ou très
peu, mal – du moins dans les stades débutants. Il est souvent Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
vicieusement « caché » : plancher buccal, sillon pelvi-lingual, d'intérêts.
Références
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Dossier thématique
Mise au point
Disponible sur internet le : 1. CHRU de Tours, hôpital Trousseau, service de chirurgie maxillo-faciale et
21 février 2017 stomatologie, 37000 Tours, France
2. Université François-Rabelais, 37000 Tours, France
3. CHRU de Tours, consultation multidisciplinaire de pathologie de la muqueuse
buccale, 37000 Tours, France
Correspondance :
Aline Joly, CHRU de Tours, hôpital Trousseau, service de chirurgie maxillo-faciale et
stomatologie, 37000 Tours, France.
aline.joly@gmail.com
Points essentiels
Examen clinique systématique des structures anatomiques d'avant en arrière, bouche ouverte
puis fermée, inspection et palpation bimanuelle.
Examen de l'ensemble de la face, palpation des aires ganglionnaires, examen de l'ensemble
des téguments (peau et autres muqueuses).
Dépistage précoce des cancers de la cavité buccale.
Connaître les variantes anatomiques permet d'éviter les errances diagnostiques et de diminuer
l'anxiété des patients.
Dans certains cas, le diagnostic est posé « au coup d'œil », il n'est pas nécessaire de réaliser des
examens complémentaires.
Key points
Physical examination of oral cavity and physiological variations
Clinical examination from front to rear of oral cavity, mouth closed then open.
Inspection and bimanuel exam.
Face examination but also cervical lymph nodes, skin and mucous.
Early diagnosis of oral cancer.
To reduce diagnostic wavering and patient's stress, physiological varants are important to know.
In most cases, clinical examination is enough for diagnosis.
Mise au point
généraux. En effet, de nombreuses pathologies générales ont
une symptomatologie buccale à ne pas méconnaître. Le but de
cet article est d'expliquer de manière didactique et systématisée
l'examen de la cavité buccale, et de faire un point sur certaines
variantes physiologiques pouvant être des motifs de nombreu-
ses consultations et d'errances diagnostiques.
Figure 2
Numérotation et morphologie dentaire
correspond au secteur dentaire et le deuxième au type de dent Les papilles filiformes sont les plus nombreuses et sont dissé-
(figure 2). À l'âge adulte, nous possédons par secteur deux minées sur le dos de la langue. Les papilles fongiformes sont
incisives (centrale et latérale), une canine, deux prémolaires moins nombreuses et dispersées entre les papilles filiformes au
et trois molaires. Chaque dent est entourée par la gencive niveau du tiers antérieur, réalisant des petits points rouges. Les
attachée (qui adhère fortement au périoste de l'os alvéolaire papilles caliciformes ou circumvallées sont plus grosses et dis-
sous-jacent) et séparée de sa voisine par une papille posées en V séparant la base de langue de la langue mobile.
interdentaire. Au niveau de la partie postérieure des bords latéraux de la
La zone anatomique postérieure de jonction entre les deux langue existent un quatrième type de papille : les papilles
arcades dentaires se nomme la commissure intermaxillaire. foliées (en avant des amygdales linguales), regroupées en amas
Cet espace se situe en arrière des dernières molaires. Son mamelonné (figure 6).
examen attentif est primordial dans le dépistage des lésions Les bourgeons du goût, organes essentiels de la gustation, sont
néoplasiques. présents dans toutes les papilles, à l'exception des filiformes.
Les joues forment les parois latérales de la cavité buccale. Elles La face ventrale de la langue, dans sa partie médiane (figure 5)
sont tapissées par la muqueuse dite libre (en opposition à la est marquée par l'insertion du frein de langue qui la relie au
muqueuse attachée des gencives ou du palais). L'orifice de
sortie du canal de Sténon, canal excréteur de la glande parotide
se situe en regard de la deuxième molaire supérieure. Il cor-
respond à une excroissance muqueuse, plus ou moins saillante,
et centrée par un orifice par lequel s'écoule la salive (figure 3).
L'évacuation provoquée de salive est effectuée par massage
manuel exobuccal de la glande, sur une ligne allant du tragus
auriculaire en arrière, vers la commissure labiale en avant.
La langue peut se diviser en trois parties : la langue mobile en
avant du V lingual (V formé par les papilles caliciformes), la base
de langue en arrière et les bords latéraux de la langue. La langue
mobile possède deux faces : sa face dorsale (figure 4) ou dos de
langue, qui correspond à la face visible de la langue à l'ouverture
de la bouche et sa face ventrale (figure 5) visible lorsque l'on
demande au patient de toucher son palais avec sa pointe de
langue. Figure 3
La face dorsale de la langue est le siège des papilles linguales Image de la face interne d'une joue avec visualisation de
(figure 4). Ils en existent trois types : les papilles filiformes, l'ostium du canal de Sténon en regard de la deuxième molaire
fongiformes et caliciformes. supérieure (collection A. Joly)
288
Mise au point
Figure 6
Image du bord latérale de la langue avec dans sa partie
postérieure les papilles folliées en amas (collection A. Joly)
Rappels histologiques
La cavité buccale est tapissée intégralement par une muqueuse
constituée d'un épithélium malpighien non kératinisé reposant
sur un chorion plus ou moins épais, richement vascularisé et
refermant notamment les glandes salivaires accessoires [1].
Seul l'épithélium de la portion sèche des lèvres est légèrement
kératinisé. On distingue deux types de muqueuse dans la cavité
Figure 5 buccale : la muqueuse libre et la muqueuse attachée. La
Image de la face ventrale de la langue avec les structures muqueuse attachée est adhérente au périoste et se situe au
anatomiques visualisables (collection A. Joly) niveau des gencives et du palais.
plancher buccal. Latéralement, les veines linguales peuvent être Variantes physiologiques
le siège de varicosités totalement indolores. L'inspection de la cavité buccale peut mettre en évidence dif-
Le plancher buccal s'examine au mieux en soulevant la langue férentes variantes, qui restent toutefois physiologiques. Sou-
vers le palais. L'insertion médiane du frein de langue divise le vent découvertes fortuitement, ces variantes sont des motifs
plancher en deux parties latérales. De part et d'autre du frein se fréquents de consultations, pouvant entraîner une anxiété
trouve les orifices de sortie des canaux de Wharton (canal voire une cancérophobie chez certains patients. Elles sont
289
Figure 8
Frein de lèvre supérieure entraînant un diastème interincisif
Figure 7 (collection A. Joly)
Grains de Fordyce (Collection M. Samimi)
(figure 8). Sa section et plastie peut être proposée, si ce dias-
tème persiste à l'éruption des incisives définitives [7].
fréquemment causes d'errance diagnostique et d'échec théra- L'absence de frein de lèvre inférieure ou de frein de langue doit
peutique en raison de leur caractère physiologique. faire évoquer un syndrome d'Ehlers-Danlos. Cette anomalie est
un signe clinique connu et décrit de la maladie [8].
Variantes physiologiques au niveau des lèvres Fissure médiane de la lèvre inférieure
Grains de Fordyce Une fissure médiane peut se retrouver au niveau de la lèvre
Cliniquement, les grains de Fordyce ressemblent à un semis de inférieure. Elle est la conséquence à minima d'un défaut de
papules jaunâtres que l'on retrouve principalement au niveau fusion des bourgeons mandibulaires lors de la formation de la
des lèvres et de la face interne des joues (figure 7). Mais ils face au premier trimestre de la grossesse. C'est une variante
peuvent se retrouver sur l'ensemble de la muqueuse buccale physiologique rare qui n'a aucune conséquence si la fissure est
libre. Histologiquement, il s'agit de glandes sébacées hétéro- uniquement muqueuse. Elle peut être pathologique et nécessi-
topiques (intra-muqueuses au lieu d'intracutanées). La préva- tant une chirurgie quand le défaut de fusion est également
lence des grains de Fordyce est variable selon les auteurs (1 % musculaire voire osseux (symphyse mandibulaire). On parle
[2], 7,2 % [3], 80 % [1] de la population). alors de fente de Tessier, dont seulement 30 cas ont été décrits
Certains auteurs [2,4] ont émis une corrélation clinique entre la dans la littérature [9].
présence et le nombre de grains de Fordyce chez les patients
à risque de cancers colorectaux héréditaires sans polypose Variantes physiologiques au niveau des gencives et
(HNPCC) mais celle-ci n'est pas retrouvée histologiquement du palais
[5]. Les grains de Fordyce ne sont donc pas à associer à une Perles d'Epstein, Nodules de Bohn et kystes de la lame
pathologie particulière et ne nécessitent aucune biopsie. Le dentaire
diagnostic est clinique. Pour certains patients, ces papules jau- Ces trois entités désignent des lésions kystiques de quelques
nâtres notamment sur les lèvres peuvent être très inesthéti- millimètres présentes au niveau des crêtes alvéolaires et du
ques. Le laser diode à haute puis basse intensité a été utilisé palais des nouveau-nés. Elles sont présentes chez environ 50 à
avec des résultats satisfaisants et stables [6]. 89 % des nouveau-nés [10].
Les perles d'Epstein sont de petits nodules blanc-nacré présents
Freins de lèvre au niveau du raphé médian palatin des nouveau-nés. Elles
Le frein médian de la lèvre supérieure est une bande muco- correspondent à des inclusions de kératine au niveau de la
conjonctive fibreuse qui relie la crête gingivale à la face interne muqueuse suite à un emprisonnement de tissus épithéliaux
de la lèvre supérieure. Son insertion est relativement basse sur lors de la fusion palatine.
la crête gingivale chez tous les nouveau-nés. Avec l'éruption Les nodules de Bohn sont des nodules kystiques disséminés
dentaire et la formation de l'os alvéolaire, ce frein va se retro- latéralement sur le palais et dérivant des structures salivaires.
uver inséré plus haut au niveau de la gencive maxillaire. Dans Les kystes de la lame dentaire se situent au niveau des crêtes
certains cas, son implantation gingivale peut rester large et gingivales et correspondent à des reliquats embryologiques des
basse, responsable d'un diastème (espace) inter-incisif lames dentaires [10,11].
290
Mise au point
Dents vestigiales
Les dents vestigiales sont une troisième série de dent, présentes
dès la naissance, le plus souvent au niveau mandibulaire et
médian (figure 10). Elles sont recouvertes initialement par un
manchon muqueux qui va disparaître après quelques jours et
laisser visualiser ce type de dents. Cliniquement, l'aspect initial
ressemble à deux excroissances muqueuses pédiculées au
niveau des crêtes gingivales, molles et mobiles. Elles peuvent
gêner l'alimentation du nouveau-né et léser les mamelons de la
mère lors de l'allaitement. En dehors de ces deux indications,
une surveillance simple est nécessaire. Elles tomberont spon-
tanément après quelques semaines. Les dents vestigiales sont
rares et peuvent être confondues avec une éruption précoce
néonatale des dents temporaires [14]. Leur extraction n'est donc
pas indiquée de manière systématique.
Figure 9
Variantes physiologiques au niveau de la muqueuse
Tori mandibulaires (collection M. Samimi)
jugale
Ces lésions kystiques du nouveau-né disparaissent au bout de Linea alba
quelques mois de vie et ne sont pas associés à une pathologie La linea alba ou ligne blanche correspond à la zone de morsure
spécifique. Aucun traitement n'est nécessaire. Ces lésions ne de la muqueuse jugale entre les deux arcades dentaires
sont pas douloureuses et ne gênent pas l'alimentation de (figure 11). Il s'agit d'une ligne blanche fine, horizontale, bila-
l'enfant. térale, s'étendant sur la face interne de la joue, d'avant en
arrière, de la commissure labiale à la commissure inter-
maxillaire [15]. Aucun traitement n'est nécessaire. Elle peut
être associée à un tic de mordillement. Dans ce cas, une plage
blanche d'aspect mâchonné, le plus souvent unilatérale et
Torus mandibulaire
située en arrière de la commissure labiale, est observée.
Les tori mandibulaires sont des excroissances osseuses (exos-
tose) bénignes recouvertes par une muqueuse gingivale nor- Diapneusie
male (figure 9). Ils se développent au niveau du versant lingual Une diapneusie (hyperplasie fibro-épithéliale) est une excrois-
de la mandibule entre la canine et la première prémolaire. Ils sance muqueuse bénigne, indolore, située en regard d'un
sont en général bilatéraux, plus ou moins symétriques et indo- espace inter dentaire, et secondaire à un tic d'aspiration de la
lores. Leurs prévalences varient en fonction de l'âge et de muqueuse au travers de cet espace (figure 12). Une prothèse
l'origine ethnique [12]. Leur origine embryonnaire est mal dentaire mal adaptée peut également par effet ventouse entraî-
connue [13]. ner des diapneusies. Les principales localisations sont les faces
Figure 10
Dents vestigiales : a : à quelques jours de vie, dans un manchon muqueux ; b : après quelques semaines. (collection A. Joly)
291
Figure 13
Leucœdème de la face interne de la joue (collection M. Samimi)
Figure 11 souvent chez les sujets de peau noire et les fumeurs (figure 13).
Linea alba (collection A. Joly) Il est secondaire à un œdème intracellulaire au niveau de
l'épithélium. Aucun traitement n'est nécessaire [3,15].
Figure 12
Diapneusie de la face interne de la lèvre inférieure (collection
A. Joly)
Leucœdème
Le leucœdème est une opalescence diffuse de la muqueuse Figure 14
buccale et plus particulièrement jugale qui s'observe le plus Langue scrotale (collection M. Samimi)
292
Mise au point
devient évidente et visible à la puberté. Le principal risque est La langue géographique est souvent confondue avec une can-
l'accumulation de débris alimentaires à l'intérieur des fissures didose buccale aiguë. Ce diagnostic erroné de mycose buccale
entraînant une inflammation locale et une halitose. Il peut être est facilement éliminé par l'interrogatoire, et par un geste
évité par une bonne hygiène buccodentaire et un nettoyage simple : l'enduit blanchâtre mycosique se décolle avec
doux des sillons. Le caractère plicaturé est de nature physiolo- l'abaisse-langue. L'examen clinique recherche également une
gique mais peut s'observer chez les patients ayant une trisomie image mycosique érythémateuse « en miroir » au niveau du
21 [17], un syndrome de Melkersson-Rosenthal (classique palais (ouranite), qui n'existe pas en regard d'une langue
triade : langue plicaturée, macrochéilite, paralysie faciale péri- géographique.
phérique [18]), ou un psoriasis [19]. L'association langue fissuraire et d'une langue géographique est
fréquente. Leurs étiologies et mode de transmission restent
Langue géographique ou glossite exfoliatrice marginée cependant inconnus [24].
La langue géographie est présente dans 1 à 3 % de la population
[20] (figure 15). Elle apparaît en général à l'adolescence et
certains auteurs ont émis l'hypothèse d'une transmission fami- Langue villeuse
liale. Cliniquement, la langue comporte au niveau de ses faces Elle est due à une hypertrophie et une absence de desquama-
dorsales et latérales des plages érythémateuses ovalaires plus tion des papilles filiformes, entraînant un aspect de villosités sur
ou moins confluentes, polycycliques, délimitées par une bordure le dos de la langue (figure 16). La langue villeuse est initiale-
pustuleuse ou blanchâtre, légèrement surélevée. L'aspect éry- ment de couleur blanche mais peut se colorer en marron ou noir
thémateux est simplement dû à l'absence momentanée des à cause de l'alimentation (café. . .) et suite à l'accumulation de
papilles filiformes (histologiquement desquamation syn- macrophages producteurs de porphyrines au sein des villosités.
chrone). Ces plages ont comme principale caractéristique d'être Les facteurs favorisants sont : le tabagisme, la sécheresse buc-
migratrices : elles évoluent dans le temps et ont un aspect et cale, le jeûne prolongé ou l'hygiène buccale insuffisante. Le
une localisation différente à quelques jours d'intervalle. La traitement consiste en un brossage du dos de la langue avec une
langue géographique est souvent asymptomatique et ne néces- brosse à dent autre que celle utilisée pour les dents afin d'éviter
site aucun traitement particulier, excepté une réassurance du les contaminations microbiennes. Des kératolytiques ou des
patient qui consulte. Elle peut parfois être associée à des brû- rétinoïdes topiques peuvent être utilisés en deuxième intention
lures buccales notamment lors des repas, ou à des altérations du avec une efficacité variable. La langue villeuse est présente chez
goût [20]. Elle est décrite comme plus fréquente chez les environ 0,5 à 11 % de la population générale en fonction des
patients atteints d'un psoriasis [21], d'un diabète [22], sans études [16].
que la corrélation soit toujours retrouvée [23].
Figure 15
Langue géographique chez une adolescente (collection Figure 16
G. Lorette) Langue villeuse (collection M. Samimi)
293
Figure 17 Figure 18
Crêtes palatines (collection A. Joly) Torus palatin (collection M. Samimi)
Variantes physiologiques au niveau du palais ne nécessite aucun traitement. Les tori palatins et mandibulaires
Les crêtes palatines apparaissent et grossissent au cours de la vie. Le principal
À la partie antérieure du palais, en arrière des incisives et des diagnostic différentiel est le syndrome de Gardner associant
canines, des crêtes muqueuses sont présentes de part et d'autre des ostéomes multiples le plus souvent mandibulaires et une
de la ligne médiane (figure 17). L'arborisation de ses replis polypose adénomateuse familiale.
muqueux antérieurs représente le rugae palatinae. Ces
empreintes palatines sont uniques et ont été décrites comme Conclusion
un moyen d'identification des individus au même titre que les
L'examen de la cavité buccale est facilement réalisable par tout
empreintes digitales [25].
praticien en consultation. Il doit être systématisé afin de ne pas
Les crêtes palatines sont constituées de crêtes latérales et d'une
méconnaître des lésions. Connaître les variantes physiologiques
papille inter-incisive médiane.
présentes au cours de la vie permet de faire un diagnostic simple
Le torus palatin au « coup d'œil » et de diminuer l'anxiété des patients.
Contrairement aux torus mandibulaires, le torus palatin est
médian (figure 18). Il se trouve le long de la suture interma- Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
xillaire. Sa prévalence est fonction des ethnies et varie entre 1 et liens d'intérêts.
49 % [26]. Le torus palatin est totalement asymptomatique et
Références
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295
Correspondance :
S. Agbo-Godeau, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière–Charles-Foix, service de
stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale, 75013 Paris, France.
scarlette.agbo-godeau@aphp.fr
Points essentiels
La xérostomie ou sécheresse buccale est une plainte buccale fréquente, véritable handicap pour de
nombreux patients.
Les causes sont diverses, mais dominées par les étiologies médicamenteuses.
Les traitements, même s'ils restent actuellement insatisfaisants, visent à améliorer le confort
buccal et la qualité de vie des patients, et à prévenir ou traiter les complications locales secondaires
à cette sécheresse. Les traitements agissent soit en stimulant les glandes s'il persiste du tissu
salivaire fonctionnel, soit en humectant ou lubrifiant les muqueuses buccales avec des salives
artificielles.
Key points
Xerostomia
Xerostomia is a frequent complaint and a real handicap for many patients, often drug-induced.
Treatments, even if they are currently unsatisfactory, are aimed at improved oral comfort and
quality of life for patients, and to prevent or treat local complications. It consists in humecting
buccal mucous membranes with artificial saliva; or in stimulating the glands if functional salivary
tissue still exists.
Mise au point
en charge [1] même si les moyens thérapeutiques restent 300 mL. Lors des repas, il augmente passant à 4 mL/min, soit
encore insuffisants. pour 2 repas (durée totale d'une heure) environ 480 mL. Enfin,
pendant le sommeil ce débit diminue considérablement
Rappel physiologique à 0,1 mL/min soit environ 40 mL pour une nuit de 7 heures.
La sécrétion salivaire
Elle est assurée par trois paires de glandes salivaires principales, Rôles de la salive
symétriques : les glandes parotides, submandibulaires et sub- Son principal rôle est la lubrification grâce aux mucines, réalisant
linguales, ainsi que par des glandes salivaires accessoires, de un film protecteur sur les muqueuses buccales et les tissus
très petite taille, réparties dans la muqueuse buccale et de dentaires.
l'oropharynx à l'exception des gencives et de la partie antérieure Elle intervient dans la déglutition en favorisant la formation du
du palais osseux. Ce sont des glandes acinotubulaires : cellules bol alimentaire, dans la digestion par l'action de l'amylase et de
sécrétoires groupées en acini et canaux qui drainent les produits la lipase qui débutent la dégradation des sucres et des graisses,
de sécrétion dans la cavité buccale. dans la gustation en dissolvant les substances gustatives per-
On distingue deux types histologiques de glandes : séreux pour mettant leur fixation sur les récepteurs des bourgeons du goût.
les parotides, mixtes séro-muqueux pour les glandes accessoi- Elle a un pouvoir tampon (bicarbonates, phosphates et urée)
res, les sublinguales (à prédominance séreuse) et les subman- permettant de neutraliser une acidité locale. La salive a égale-
dibulaires (à prédominance muqueuse). ment un rôle de défense locale grâce au pouvoir bactéricide des
La sécrétion salivaire est un phénomène réflexe sous l'influence thiocyanates, des immunoglobulines et du lysozyme qui pré-
du système autonome parasympathique (sécrétion abondante vient le développement des germes non commensaux.
et fluide) et sympathique (sécrétion peu abondante et vis- La salive permet également l'excrétion de catabolites sanguins
queuse). Les principaux neurotransmetteurs sont l'acétylcholine (urée, acide urique), de substances toxiques (mercure, brome,
pour le système parasympathique (activation de récepteurs alcool), de médicaments (morphine, amphétamines, digitali-
muscariniques) dont l'action est abolie par les atropiniques et ques, barbituriques. . .), d'hormones (cortisol. . .) servant pour
la noradrénaline pour le système sympathique. Un contrôle certaines substances à effectuer des tests salivaires de
hormonal de la sécrétion salivaire (androgènes, œstrogènes, diagnostic.
cortisol et hormones thyroïdiennes) n'a pas été formellement
démontré. Hyposialie et xérostomie
La salive est composée à 99 % d'eau dans laquelle sont dis- La diminution du flux salivaire, ou hyposialie, peut être transi-
soutes des substances organiques essentiellement protéiniques toire ou chronique. Les causes sont diverses : peur, tabac, toutes
(enzymes salivaires, mucines, lactoferrine, immunoglobulines les causes de déshydratation extracellulaire, effets immédiats
sécrétoires) et en plus faible proportion : urée, glucose, créa- des toxiques et des médicaments, états infectieux, (viraux,
tinine, cholestérol et des substances inorganiques (sodium, bactériens. . .), états allergiques.
potassium, calcium, chlore, magnésium, bicarbonates). Le taux La cause de l'hyposialie peut se situer aux trois niveaux de la
de ces différents composants varie en fonction du flux salivaire. production de la salive : déficit en eau ou en métabolites
Le pH salivaire est compris entre 5,5 et 7, reflétant l'état du nécessaires (déshydratation, malnutrition protidique), atteinte
milieu buccal. Il varie selon l'âge, plus acide chez le nourrisson et des glandes salivaires (radiothérapie des voies aérodigestives
le vieillard, mais également au cours du nycthémère, plus acide supérieures, maladie de Gougerot–Sjögren, infection par le VIH,
au repos. peut-être la sénescence), interférences avec la neurotransmis-
La sécrétion salivaire totale est extrêmement variable sur une sion (médicaments, atteinte du système nerveux central).
journée, entre 0,5 et 1,5 litres environ, en moyenne 0,75 L/
24 heures. Le débit salivaire est variable dans le nycthémère et Signes fonctionnels
selon les glandes. Il est sous l'influence de multiples facteurs : La sensation subjective de bouche sèche n'est pas toujours
degré d'hydratation, position du corps, exposition à la lumière, présente et n'est pas ressentie de la même façon selon les
rythmes circadien et la consommation médicamenteuse. Les patients. Elle n'est pas spécifique mais évoque une hyposialie
stimuli mécaniques, olfactifs et gustatifs, l'âge et l'alimentation quand elle survient au cours de l'alimentation. Elle est à diffé-
en modifient également le volume. Soixante-dix pour cent de la rencier des sécheresses buccales au réveil disparaissant dans la
salive provient des glandes principales et trente pour cent des journée, liées à une respiration buccale nocturne.
glandes salivaires accessoires. Les glandes salivaires accessoires Le patient consulte pour une difficulté à parler, mastiquer,
sécrètent de façon continue alors que les glandes principales ne déglutir. Il éprouve le besoin de s'humidifier la bouche fréquem-
sécrètent que sous l'influence de stimuli mécaniques, thermi- ment, de sucer des bonbons, de boire pour avaler des bouchées
ques, olfactifs ou psychiques. Le débit de repos est de 0,3 mL/ d'aliments secs, symptomatologie qu'il différencie nettement
min environ sur 16 heures correspondant à un volume de de la soif.
297
L'interrogatoire doit préciser les antécédents et la notion de hypertrophie des glandes salivaires principales, parotides et/ou
prise médicamenteuse, la durée et les variations de la séche- submandibulaires, peut orienter le diagnostic étiologique de
resse buccale dans le nycthémère, surtout par rapport aux repas même que des antécédents de parotidite récidivante.
et au sommeil, ainsi que son évolution dans le temps depuis le Ces signes sont le plus souvent moins nets et l'humidification de
début des symptômes. la bouche paraît satisfaisante semblant contredire la plainte. Cet
Il est possible d'apprécier le degré de gêne occasionnée par élément subjectif varie selon les patients : certains s'habituent
cette sécheresse sur la mastication, la déglutition et la phona- à la sécheresse avec le temps alors que pour d'autres, au
tion ; de faire préciser l'existence éventuelle de dysgueusies, de contraire, elle devient insupportable.
brûlures, de dysesthésies buccales. Cette gêne, parfois décrite Ce sont parfois les complications, éléments indirects, qui révè-
comme une douleur est à différencier des glossodynies ou lent la sécheresse buccale. Les candidoses récidivantes liées à la
paresthésies buccales psychogènes [2,3], les deux pathologies diminution du flux salivaire, du pH local et des IgA sécrétoires ;
pouvant être intriquées chez des patients, le plus souvent des des polycaries précoces, nombreuses et rapidement évolutives,
femmes, traitées avec des anxiolytiques ou des antidépresseurs. une parodontopathie secondaire à la gingivite tartrique condui-
La tolérance du patient par rapport à ce handicap doit également sant à une édentation précoce et rapide. Une dénutrition peut
être évaluée : restrictions alimentaires (aliments secs : pain, être observée, en particulier chez les personnes âgées (dys-
viandes blanches. . .), méthodes de compensation de cette gueusie, difficultés à supporter les prothèses amovibles. . .). Les
sécheresse, petits moyens utilisés. L'interrogatoire recherche conséquences psychologiques des sécheresses sévères sont
également une sécheresse des muqueuses nasale, oculaires presque constantes entraînant parfois des ruptures sociales avec
(utilisation de larmes artificielles), cutanée, vulvaire (prurit, refus de sortir de chez soi, de parler longtemps, de manger
brûlures, dyspareunies) ainsi que d'éventuels signes systémi- à l'extérieur. . .
ques (polyarthralgies. . .).
Examen de la cavité buccale Diagnostic de la xérostomie
Les tests proposés sont multiples, mais aucun d'entre eux n'est
Une hyposialie majeure est évidente dès l'inspection, la
sensible ou spécifique d'une étiologie. Ils sont fonctionnels ou
muqueuse linguale est sèche et vernissée (figure 1). Les
morphologiques.
muqueuses buccales sont érythémateuses et collent
Le plus simple se pratique au fauteuil, il s'agit du test au sucre,
à l'abaisse-langue. Dans les xérostomies importantes, il persiste
test grossier qui manque de sensibilité, mais qui peut être utile
souvent de la plaque dentaire sur les dents, des débris alimen-
en routine : un morceau de sucre no 4 placé sous la langue
taires restant collés aux muqueuses. La salive est rare, épaisse,
s'effondre normalement en trois minutes.
filante ou quasi inexistante. Elle est parfois mousseuse, car peu
La mesure du pH intrabuccal est rarement effectuée. Une bande
abondante, le patient la conserve dans la cavité buccale et l'aère
de papier pH est appliquée sur la langue, le résultat est lu sur
par des mouvements linguaux. La palpation des glandes sali-
une échelle colorimétrique. Le pH est acide inférieur à 6,5 en cas
vaires principales (parotides surtout) ne fait sourdre que très peu
de sécheresse.
voire aucune salive aux ostiums des canaux. La recherche d'une
La sialométrie ou mesure des flux salivaires serait théorique-
ment idéale. Elle mesure le débit salivaire total au repos et après
stimulation par l'acide citrique. Le test de la pesée d'une
compresse placée dans le plancher buccal antérieur au repos
puis après stimulation salivaire semble donner des résultats
fiables [4]. Une hyposialie est définie par un poids salivaire
non stimulé inférieur ou égal à 0,15 grammes/minute. Cepen-
dant, en l'absence d'échantillon standard du débit salivaire de
repos, il semble difficile à utiliser comme examen de routine. Il
peut avoir un intérêt dans le cadre de protocoles d'études.
D'autres examens complémentaires sont éventuellement pra-
tiqués, essentiellement dans un but étiologique ou pour le
diagnostic des complications de la xérostomie.
La scintigraphie au Technétium 99 (objectivant la valeur fonc-
tionnelle des glandes salivaires) et la sialographie, radiographie
des glandes salivaires principales opacifiées après injection d'un
produit de contraste dans le canal de Sténon ou de Wharton
Figure 1 (objectivant la morphologie de la glande) font partie des critères
Muqueuse linguale sèche diagnostiques du syndrome de Gougerot–Sjögren mais ne sont
298
Mise au point
maladies infectieuses : hépatites C, infection au VIH, nécessitent
une approche diagnostique et une prise en charge thérapeu-
tique spécialisées. Quand aucune étiologie n'est retrouvée,
l'hypothèse de la sénescence est soulevée.
syndrome sec buccal celle d'un syndrome sec ophtalmique (test depuis plus de 3 mois ?
de Schirmer, rupture du film lacrymal, test à la fluorescéine. . .), avez-vous des épisodes récidivants ou permanents de gonflement
critères diagnostiques de la maladie. Elle ne tient pas compte maladie associée, un syndrome de Sjögren primaire peut être
de certains éléments tels que l'atrophie du parenchyme sali- défini par ;
vaire, la modification des canaux (atrophie et/ou ectasie) et la 4 des 6 items définissent un syndrome de Sjögren primitif,
fibrose interstitielle cotées par Chomette et al. en 3 stades qui à condition que l'item 4 (histologie) ou 6 (sérologie) soit positif ;
présence de 3 des 4 critères objectifs (critères 3, 4, 5 et 6) ;
rendent mieux compte du degré d'altération des glandes
l'arbre de classification peut être une alternative valable pour la
salivaires [7].
classification, mais il est plus destiné aux études cliniques et
épidémiologiques.
Autres causes d'hyposialies
Syndrome de Sjögren secondaire :
D'autres maladies atteignant le parenchyme salivaire peuvent chez les patients susceptibles d'avoir une maladie associée (autre
entraîner une hyposialie comme la sarcoïdose et l'amylose dont connectivite) l'item 1 ou 2 plus 2 items parmi les items 3, 4 ou
le diagnostic est fait parfois sur une biopsie des glandes sali- 5 définissent un syndrome de Sjögren secondaire.
vaires accessoires. Les atteintes des glandes salivaires au cours Critères d'exclusion :
de l'infection par les virus de l'hépatite C et le VIH, et au cours de antécédent d'irradiation de la tête et du cou, hépatite C,
la réaction du greffon contre l'hôte (GVH) sont également lymphome préexistant, sida, sarcoïdose, maladie du greffon
responsables de sécheresse buccale, majorée par les nombreux contre l'hôte ;
médicaments susceptibles d'entraîner une sécheresse :
traitements prescrits dans ces pathologies. Une hyposialie peut
également survenir dans les suites du traitement des cancers de antidépresseurs, antihypertenseurs, neuroleptiques,
la thyroïde par Iode radio actif [8]. parasympathicolytiques.
300
Mise au point
Les hyposialies nutritionnelles souvent modérées survien- stabilisé, d'iridocyclite et de glaucome à angle fermé. Le trai-
nent essentiellement chez des femmes, souvent jeunes, tement est débuté à demi dose afin d'en apprécier la tolérance
souffrant de troubles du comportement alimentaire (régime puis augmenté progressivement pour atteindre une dose effi-
amaigrissant, anorexiques), elle peut être associée à une cace de 20 mg/jour. Les effets secondaires sont fréquents, peu
aménorrhée et une hypertrophie des glandes salivaires prin- sévères (hypersudation, nausées, bouffées de chaleur, cépha-
cipales. La disparition des symptômes est obtenue après une lées), mais souvent responsables de l'arrêt précoce du traite-
rééquilibration diététique associée à une prise en charge ment. La Céviméline (Exovac®), dérivé de l'acétylcholine, non
psychique. commercialisée en France, serait mieux supportée [12]. La
La sénescence est un diagnostic d'élimination. Ces déficits teinture mère de Jaborandi® a une teneur variable en pilocar-
salivaires chez les patients âgés sont plus fréquents chez la pine et un fort titre en alcool, qui peuvent rendre son utilisation
femme. L'interrogatoire s'attache à rechercher une respiration risquée. La plante peut être utilisée sous sa forme homéopa-
buccale associée qui accentue l'assèchement des muqueuses thique, moins rapidement active mais bien tolérée, intéressante
buccales. Cette hyposialie est souvent aggravée par une notamment chez les personnes âgées. D'autres traitements
diminution de la ration hydrique par perte de la sensation comme l'éserine oxyde salicylate (Génésérine 3® en granules)
de soif, ou volontairement en raison d'une incontinence ou l'anétholtrithione (Sulfarlem S25®) largement prescrit, n'ont
urinaire handicapante. Dans d'autres cas, la salivation est pas fait la preuve de leur efficacité sur l'augmentation de la
objectivée à l'examen buccal mais le patient ressent une sécrétion salivaire.
hyposialie en raison de mouvements incessants de la langue Les traitements des xérostomies totales ne peut être que
ou d'une déglutition intempestive parfois expliqués par un substitutif : les salives artificielles seraient la solution idéale
facteur irritatif local (prothèse dentaire instable) et souvent si leur adhésivité aux muqueuses buccales pouvait être main-
amplifiée par un contexte anxieux. Cette xérostomie peut tenue plusieurs heures. Les produits commercialisés contien-
être à l'origine d'une gêne importante et permanente, voire nent des mucines ou de la carboxyméthylcellulose qui tentent
de douleurs, entraînant une perturbation de l'alimentation, de les rapprocher de la viscosité salivaire, mais sont encore loin
de la vie affective et sociale [9]. Quant à la biopsie des des résultats escomptés. Ils sont commercialisés sous forme de
glandes salivaires accessoires, inutile, elle montrerait la dégé- sprays (Artisial®, Elgydium clinic®, Aequasyal®) ou de gel
nérescence du tissu salivaire remplacé par un tissu conjonctif (Oralbalance®, GUM hydral®) [13], ils améliorent le confort
et adipeux. buccal mais on un effet transitoire. Des traitements homéo-
pathiques [14] ou oligothérapiques sont parfois utilisés en
Traitements des xérostomies solution alternative avec une action sur la trophicité des
Le traitement étiologique muqueuses plutôt que sur la sécrétion salivaire améliorant
Il est souvent difficile. Dosimétrie et protection des glandes ainsi le confort buccal mais ils n'ont pas encore apporté la
salivaires principales lors de la radiothérapie cervico-faciale, preuve scientifique de leur efficacité. Un espoir thérapeutique
diminution ou suppression des médicaments sialoprives. pourrait venir du développement de l'utilisation de cellules
Les traitements de la sécheresse restent actuellement peu souches salivaires [15].
satisfaisants. Il faut rappeler au patient de s'hydrater suffisam- Le traitement doit prévenir les complications chaque fois que
ment (1,5 litre d'eau/jour). Il existe des « petits moyens » de cela est possible : hygiène buccodentaire rigoureuse avec uti-
stimulation salivaire : gomme à mâcher sans sucre [9], bonbons lisation de pâtes dentifrices fluorées diminuant la fréquence
acidulés ou mentholés sans sucre, eaux gazeuses et/ou citron- des caries, nettoyage soigneux des prothèses mobiles ; régime
nées, noyaux de fruits (stimulation mécanique) ou d'hydratation alimentaire équilibré et non cariogène ; bains de bouche
de la muqueuse : brumisateur d'eau minérale, gorgée d'eau. . . Il bicarbonatés à préférer aux solutions antiseptiques du
est recommandé de ne pas surchauffer les logements l'hiver et commerce, le plus souvent à base d'alcool, irritants et accen-
d'utiliser des saturateurs et des humidificateurs d'atmosphère. tuant la sécheresse. La consommation de tabac, d'alcool, de
café et de thé en grandes quantités est à proscrire car elle
Les traitements de stimulation accentue la sécheresse buccale. Certains aliments épicés ou
Les plus utilisés, lorsqu'il persiste une sécrétion salivaire par- acides sont agressifs et irritants sur des muqueuses sèches et
tielle, sont des sialagogues à base de chlorhydrate de pilocar- fines, et ont souvent été déjà écartés de l'alimentation par les
pine, agoniste muscarinique [10,11] commercialisé sous le nom patients.
de Salagen® (AMM dans les xérostomies post-radiques et le
syndrome de Gougerot–Sjögren) ou en préparation magistrale Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
(gélules à 2,5 mg ou 5 mg) contre indiqués en cas d'asthme non liens d'intérêts.
301
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302
Dossier thématique
Mise au point
Pigmentations de la muqueuse buccale
Disponible sur internet le : 1. CHU de Bordeaux, Inserm U1026, UFR odontologie, consultation de pathologies
12 avril 2017 buccales, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France
2. Institut universitaire du cancer, Toulouse Oncopole 1, oncodermatologie et
consultation pluridisciplinaire de pathologies buccales, avenue Irène-Joliot-Curie,
31100 Toulouse, France
Correspondance :
J.-C. Fricain, CHU de Bordeaux, Inserm U1026, UFR odontologie, consultation de
pathologies buccales, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France.
jean-christophe.fricain@u-bordeaux.fr
Points essentiels
La couleur de la muqueuse buccale est principalement due à la présence d'hémoglobine dans les
vaisseaux et dans une moindre mesure de mélanine dans l'épithélium. Les lésions pigmentées
sont dues à la présence en quantité anormale de pigments mélaniques (hypermélaninose,
hypermélanocytose), hématiques (hémoglobine, hémosidérine, fer), ou d'origine exogène
(figure 1). Les lésions pigmentées de la muqueuse endobuccale peuvent être localisées (lésions
uniques), multifocales (lésions multiples) ou diffuses (plage).
Face à une pigmentation localisée d'allure mélanique, Il faut systématiquement éliminer un
mélanome et une biopsie doit être réalisée au moindre doute. Devant une atteinte plus diffuse, il
faut en priorité rechercher une maladie systémique sous-jacente. Une étiologie médicamenteuse
est également possible mais doit rester un diagnostic d'élimination.
Face à une pigmentation liée à un excès de pigment sanguin, il faut en priorité évoquer une
malformation d'origine vasculaire (pour les lésions planes) ou un processus tumoral (lésions
nodulaires ou tuméfiées). Dans les deux cas, une maladie de Kaposi doit être systématiquement
éliminée.
Les pigmentations situées à proximité des restaurations dentaires (amalgames, couronnes pro-
thétiques) doivent faire évoquer une cause exogène mais une biopsie doit être réalisée en cas de
doute diagnostique avec un mélanome.
Key points
Pigmentations of the oral cavity
Buccal mucosa color is explained by hemoglobin in the vessels and melanin in the epithelium.
Abnormal presence of melanin pigments (hypermelaninosis, hypermelanocytosis), hematic
pigments (hemoglobin, hemosiderin, iron) but also some exogenous circonstancies explain
pigmented lesions (figure 1). These lesions could be localized (single lesions), multifocal (multiple
lesions) or diffused.
303
Macules pigmentées uniques (12 %) et de manière beaucoup plus exceptionnelle d'un méla-
Macules d'origine mélanique noacanthome, d'un mélanome oral, d'une lentigine ou d'éphé-
La survenue sur la muqueuse buccale d'une macule pigmentée lides [1]. La gravité potentielle du mélanome muqueux impose
isolée d'origine mélanocytaire est une situation clinique rare, une grande rigueur dans la démarche diagnostique, basée sur
représentant moins de 1 % des biopsies réalisées en pathologie l'examen clinique complété parfois d'un examen dermatosco-
buccale [1]. Il s'agit dans la majorité des cas d'une macule pique et surtout d'un examen anatomopathologique au moin-
mélanotique (86 %), plus rarement d'un nævus mélanocytaire dre doute [1–6] (figure 1). Les localisations palatines et
Figure 1
Conduite à tenir diagnostique face à une lésion pigmentée de la muqueuse buccale
304
Mise au point
Figure 2
Lentigine : pigmentation brune arrondie de la joue caractérisée par une hypermélanocytose épithéliale et une décharge incontinence
pigmentaire dans le chorion
maxillaires doivent également inciter à une plus grande pru- bord vermillon. Leur nombre augmente et leur couleur fonce en
dence car elles sont les sites privilégiés de développement des été pour parfois disparaître totalement en hiver. Elles sont secon-
nævi et surtout du mélanome. daires à une augmentation de l'activité mélanocytaire [7]. Sur le
Notons enfin que des pathologies associées à des macules plan histologique, elles correspondent à une hypermélaninose
mélanocytaires multiples (voir chapitre correspondant) peuvent basale sans acanthose ou hyperplasie mélanocytaire.
se manifester de façon inaugurale par une lésion unique. Le
Macule mélanotique orale ou labiale
diagnostic est cependant posé en général plus tardivement.
Il s'agit de la lésion mélanocytaire orale de loin la plus fréquente
Lentigine (figure 3). Elle est bénigne. Elle se localise préférentiellement
Il s'agit d'une lésion bénigne, caractérisée par une macule de sur les lèvres (surtout inférieures, sur le vermillon) et les gen-
couleur brune, de taille stable, comprise entre quelques milli- cives avant tout maxillaires (60 % des cas), le palais ou la
mètres et 1 cm, bien limitée (figure 2). Cette lésion siège le plus muqueuse jugale étant moins concernés [1–3]. Elle se présente
souvent sur les lèvres. Le diagnostic repose sur l'examen histo- sous la forme d'une macule arrondie et pigmentée de 2 à
logique qui montre une hyperplasie mélanocytaire, un allonge- 10 mm, de couleur homogène variable (marron à noir) et dont
ment des crêtes épithéliales et une décharge pigmentaire dans les bords sont le plus souvent réguliers [1–5]. Des formes
le chorion superficiel [7]. linéaires ou à bords déchiquetés sont aussi possibles [7]. Il
Éphélides n'y a pas de modification après exposition solaire, contrairement
Il s'agit de « taches de rousseur » qui siègent principalement sur aux éphélides [2,4,5]. Ces macules pigmentées prédominent
la peau mais qui peuvent de localiser sur les lèvres au niveau du chez la femme, d'âge moyen [1–3]. L'analyse histologique
Figure 3
Macule mélanotique de coloration brune caractérisée en histologie par : une hyperpigmentation de la couche basale, la présence de
mélanophages dans le chorion et un aspect papillomateux de l'épithélium
305
Figure 4
Nævus mélanocytaire composé de la muqueuse palatine chez un enfant de 3 ans. Les coupes histologiques de la muqueuse palatine
montrent les cellules næviques présentent dans l'épithélium et le tissu conjonctif, sont organisée en thèques (flèches)
(A : HES 100 ; B : IHC protéine S-100 100)
individualise une acanthose avec hypermélaninose basale et d'un tiers des cas), suivi du vestibule/muqueuse jugale (18 à
mélanophages dans la lamina propria. Le nombre de mélano- 24 %), du vermillon (18 %) et des gencives (12 à 22 %) [1,8,9].
cytes est le plus souvent quantitativement normal, notamment Les nævus du plancher buccal ou sur la langue sont tout à fait
dans les localisations orales [1,2]. L'étiologie de ces lésions n'est inhabituels. Le nævus bleu est surtout situé sur le palais dur
pas déterminée, une origine post-inflammatoire ou réactive a (> 80 % des cas).
été évoquée. Elles peuvent cependant s'inscrire dans des Mélanoacanthome
tableaux plus spécifiques (maladie de Laugier–Hunziker, mala- Il s'agit d'un cadre nosologique récemment individualisé. Son
die VIH. . .), qu'il faut systématiquement évoquer en cas de origine reste controversée mais il est considéré comme une
lésions multiples (voir chapitres correspondants) [1,2,7]. Il n'y lésion réactionnelle par beaucoup d'auteurs [10–12]. Le méla-
a pas de prise en charge thérapeutique spécifique nécessaire. noacanthome buccal a surtout été décrit chez les femmes
Une exérèse peut être proposée en cas de gêne esthétique, jeunes (troisième et quatrième décades), principalement
notamment sur le vermillon.
Nævus
Il s'agit d'une tumeur buccale bénigne rare. On note une légère
prédominance féminine. Il est surtout diagnostiqué entre 30 et
60 ans [1,8,9]. Le nævus buccal correspond le plus souvent à une
lésion papuleuse régulière, infra-centimétrique, avec une pig-
mentation homogène [1,8]. Des formes achromiques sont pos-
sibles [1]. Il n'a pas été mis en évidence d'association
significative avec le mélanome buccal [8]. Les thèques nævi-
ques, liées à la prolifération mélanocytaire, sont le plus souvent
situés dans la lamina propria (nævus intramuqueux ; 60 à 80 %
des cas). Les formes jonctionnelles ou composées sont beau-
coup moins fréquentes (figure 4). Les nævus bleus, constitués
de celles mélanocytaires fusiformes situées profondément dans
le chorion, sont plus fréquents en endobuccal comparativement
aux localisations cutanées (figure 5). Ils représentent 8 à 23 %
des nævus endobuccaux [1,8,9]. Les nævus congénitaux, dys-
plasiques ou de Spitz sont tout à fait exceptionnels dans ce Figure 5
contexte. La localisation préférentielle est le palais dur (plus Nævus bleu palatin
306
Mise au point
d'origine africaine. Il s'agit d'une lésion bénigne rare, qui se
présente sous la forme d'une macule pigmentée régulière, le
plus souvent unique même si des formes multifocales ou dif-
fuses ont été décrites. Elle peut apparaître très pigmentée et
hétérogène, avec une croissance parfois rapide [1,10–13]. Le
mélanoacanthome prédomine sur la muqueuse jugale ; les
lèvres, les gencives ou le palais sont beaucoup moins souvent
atteints. L'examen histologique, indispensable pour éliminer un
mélanome, individualise une prolifération mixte avec présence
de mélanocytes dendritiques répartis dans un épithélium acan-
thosique, avec spongiose fréquente. Les mélanocytes basaux
sont augmentés en nombre, avec incontinence pigmentaire et
infiltrat inflammatoire dermique parfois associés. L'analyse
immunohistochimique met en évidence une positivité diffuse
pour la protéine S-100, Melan-A ou HMB-45 [6,11]. Une régres-
sion – spontanée ou après biopsie – est possible [1,2].
Mélanome
Le mélanome endobuccal représente la seconde localisation Figure 6
ORL, après le mélanome nasosinusien [4,14,15]. Cependant, Lésion multiples de mélanome endobuccal. Présence de macules
il s'agit d'une tumeur rare, représentant moins de 0,5 % des et de nodules
tumeurs malignes endobuccales et moins de 1 % de l'ensemble
des mélanomes. Il est plus fréquent dans certaines ethnies (RCP) spécialisée. En l'absence de métastases ganglionnaires ou
(populations japonaise, hispanique ou africaine) [15,16]. Le viscérales associées, la prise en charge est chirurgicale, avec
mélanome endobuccal a un mauvais pronostic, avec moins exérèse complète initiale de la lésion. Une reprise chirurgicale
de 30 % de survie globale à cinq ans, du fait d'un diagnostic secondaire, avec marges cliniques de sécurité adaptées au
souvent tardif et d'un envahissement osseux ou ganglionnaire niveau d'invasion de la tumeur et de son épaisseur (qui ne
précoce [15–17]. Il n'y a pas de facteurs de risque bien indivi- se mesurent pas avec l'indice de Breslow utilisé pour le méla-
dualisés et il survient principalement de novo [4,14,18]. Il peut nome cutané), est nécessaire [18]. Celle-ci est également
apparaître à tout âge, avec un pic vers 60 ans [15,16]. Le dépendante des contraintes anatomiques loco-régionales.
mélanome oral prédomine sur la muqueuse maxillaire (70 à Selon les équipes et après avis de RCP spécialisée, une pro-
80 % des cas, principalement sur le palais dur et la gencive), les cédure du ganglion sentinelle est parfois réalisée dans le même
autres localisations (gencive mandibulaire, en rétromolaire ou temps. La place de la radiothérapie adjuvante post-opératoire,
sur les muqueuses labiale ou jugale) sont plus rares [1,15,16]. afin d'améliorer le contrôle loco-régional, reste à définir ce
Cliniquement (figure 6), il se présente sous la forme d'une ou d'autant qu'elle peut s'associer à une morbidité non négli-
plusieurs macules pigmentées asymptomatiques souvent hété- geable. Une surveillance clinique et scanographique régulière
rogène en couleur, à bords typiquement asymétriques, et évo- est ensuite nécessaire. La prise en charge de la maladie au stade
lutive [15,16]. Comme pour les mélanomes cutanés, la métastatique dépend avant tout du statut mutationnel de la
croissance est d'abord radiale puis verticale et invasive. Des tumeur. La présence d'une mutation BRAFV600 est beaucoup
formes nodulaires ou ulcérées d'emblée sont parfois notées, moins fréquemment individualisée que dans les localisations
tout comme la présence de lésions satellites [1,15–17]. Des cutanées et la place des inhibiteurs BRAF (vemurafenib, dabra-
présentations beaucoup moins évocatrices et parfois fausse- fenib) est donc plus restreinte [14,15]. À l'inverse, les mutations
ment rassurantes sont aussi possibles, notamment les formes c-KIT sont plus fréquentes mais l'intérêt dans ce contexte des
achromiques (10 à 40 %) [15]. L'examen clinique est idéale- inhibiteurs de kinase ciblant ce récepteur n'est pas encore
ment complété par une analyse par dermatoscopie, lorsque la démontré (imatinib, dasatinib, nilotinib). L'efficacité réelle des
lésion est suffisamment accessible. Une exérèse ou une biopsie nouveaux inhibiteurs de checkpoint immunologiques ciblant
muqueuse doit être nécessairement réalisée pour confirmer CTLA-4 (ipilimumab) ou PD-1 (nivolumab, pembrolizumab) res-
histologiquement le diagnostic. Enfin, la recherche de métas- tent aussi à préciser dans ces formes rares de mélanome.
tases loco-régionales ou à distance doit être systématique. Macules non mélaniques
Le pronostic est directement corrélé à la précocité du diagnostic. Certaines pigmentations endobuccales isolées peuvent être
Dans tous les cas, la prise en charge thérapeutique doit être parfois d'origine non mélanique. Ceci inclut les pigmentations
discutée et validée en réunion de concertation pluridisciplinaire vasculaires (hémoglobine, bilirubine) ou exogènes (matériaux
307
Figure 8
Tatouage gingival traumatique en rapport avec les soins dentaires. Le matériau exogène est retrouvé au niveau du chorion
308
Mise au point
Macules pigmentées multiples peut aussi être atteinte de même que la muqueuse jugale ou
Macules d'origine mélanique palatine. Des atteintes de la muqueuse nasale, oculaire, géni-
tale, de la peau des doigts et des orteils ont été décrites. Les
Maladie de Laugier–Hunziker
lentigines mesurent de 1 à 5 mm de diamètre. Les lésions
Il s'agit d'une maladie assez rare, acquise, qui débute après la
muqueuses semblent plus persistantes que les lésions cutanées
puberté. La femme est plus souvent atteinte que l'homme. La
qui disparaissent avec l'âge [22,23]. L'examen anatomopatho-
maladie de Laugier se caractérise par des macules mélanotiques
logique des lésions cutanées est typique de lentigines : hyper-
plus ou moins confluentes de la muqueuse buccale (figure 9). Au
plasie mélanocytaire au niveau de la couche basale
début il peut s'agir d'une macule unique. L'atteinte des lèvres, la
et allongement des crêtes de l'épiderme. L'examen anatomo-
plus fréquente, respecte le versant cutané. Les muqueuses
pathologique des lésions muqueuses montre une hyperpigmen-
jugales et palatine sont aussi souvent concernées. Une méla-
tation basale sans hyperplasie mélanocytaire et de nombreux
nonychie en bande (melanonychia striata) ou plus diffuse ainsi
mélanophages dans le chorion [22]. Il n'y a pas de traitement
qu'une pigmentation de la muqueuse génitale ou anale peuvent
spécifique des lentigines. Une surveillance médicale est néces-
être associées. L'examen anatomopathologique met en évi-
saire pour prévenir, diagnostiquer ou traiter précocement les
dence une hyperpigmentation mélanocytaire de la couche
cancers associés à la maladie.
basale avec une incontinence pigmentaire et de nombreux
mélanophages dans le chorion [21]. Un traitement par laser Autres
à colorant pulsé peut donner des résultats probants sur les D'autres pathologies, exceptionnelles, peuvent se manifester
atteintes labiales mais le plus souvent aucune prise en charge par des macules multiples principalement cutanés : syndrome
n'est nécessaire. Il n'y a pas d'atteinte digestive associée et un de Carney, syndrome LEOPARD, neurofibromatose, syndrome
bilan gastro-entérologique n'est pas indiqué dans ce contexte. d'Albright, porphyrie, incontinentia pigmenti. Les atteintes de
la muqueuse orale sont possibles mais exceptionnelles.
Syndrome de Peutz–Jeghers
Le syndrome de Peutz–Jeghers (SPJ) est une génodermatose de Macules d'origine non mélanique
transmission autosomique dominante, caractérisée par une Lésions purpuriques : la maladie de Rendu–Osler (ou télangiec-
polypose hamartomateuse du tube digestif associée à des len- tasies héréditaires familiales) est une dysplasie vasculaire cons-
tigines cutanéo-muqueuses labiales. La prévalence est estimée titutionnelle de transmission autosomique dominante. La
à moins de 1/50 000. Le SPJ est aussi considéré comme un prévalence de la maladie en France est de 1/6000 à 1/8500.
facteur de risque de développer une tumeur maligne de l'ovaire, Le diagnostic de maladie de Rendu–Osler doit être suspecté en
du testicule, du col utérin et du pancréas [22,23]. La gravité de la cas d'épistaxis chroniques associés à des télangiectasies cuta-
maladie est liée aux polypes digestifs qui peuvent évoluer vers néo-muqueuses dans un contexte d'hérédité. Les saignements
un cancer. Le plus souvent ils occasionnent douleurs, rectorra- viscéraux dus aux malformations artério-veineuses font la gra-
gies et occlusion. Le bilan digestif est obligatoire devant une vité de la maladie. Au niveau de la muqueuse buccale, la
suspicion de SPJ. Les lentigines siègent le plus souvent sur la maladie se caractérise par de nombreuses télangiectasies des
semi-muqueuse de la lèvre inférieure et sur la face. La gencive lèvres et de la langue associées à une gingivite érythémateuse
Figure 9
Macules mélanotiques orales multiples chez une patiente atteinte de maladie de Laugier
309
Mise au point
Figure 12
Mélanose tabagique : pigmentation diffuse de la muqueuse
labiale Figure 14
Pigmentation linguale secondaire à une maladie d'Addison
les plis et les zones découvertes. Une pigmentation diffuse du cœur, de la peau et des muqueuses. La pigmentation de la
multiple de la muqueuse buccale est fréquemment observée, peau et des muqueuses est l'un des premiers signes de la
qui peut parfois révéler la maladie [26]. Elle a une couleur brune maladie, associé à des arthralgies des petites articulations
ou grisâtre (figure 14). Cette pigmentation diffuse se localise (doigts, poignets). La pigmentation bleu-gris de la muqueuse
souvent sur le palais et la langue. La pigmentation est due à une buccale est diffuse. Elle intéresse en général le palais, la
augmentation de la production d'ACTH (hormone corticotrope) muqueuse libre et la gencive [27]. La pigmentation muqueuse
[26]. D'autres endocrinopathies, associées à une hyperproduction est essentiellement due à une hypermélaninose et non pas au
d'ACTH, peuvent être responsables d'une pigmentation pseudo- dépôt d'hémosidérine, contrairement au tissu salivaire. La colo-
addisonienne : acromégalie, production ectopique d'ACTH, mala- ration de Perls est par conséquent le plus souvent négative.
die de cushing, phéochromocytome, hyperthyroïdie. Aucun trai- Aucun traitement spécifique des pigmentations n'est préconisé.
tement spécifique des pigmentations buccales n'est préconisé. Autres causes rares
Hémochromatose héréditaire Les carences nutritionnelles (Vit B12, B9), des déficits enzyma-
C'est une maladie rare, caractérisée par un excès d'absorption tiques (alcaptonurie) peuvent exceptionnellement entraîner
intestinale du fer. Il en résulte un dépôt de fer au niveau du foie, une pigmentation de la muqueuse buccale.
Figure 13
Lichen plan jugal caractérisé par une kératose en nappe et un aspect opalin rétro-commissural associé à une plage pigmentée
ardoisée. Lichen plan palatin ancien d'aspect hyperkératinisé, verruqueux (hyperplasie verruqueuse) et pigmentation noire séquellaire
de processus inflammatoires chroniques
311
fer/hémosidérine ou mélanine ;
couleur intrinsèque de la molécule (clofazimine) ;
pigmentation post-inflammatoire.
Mise au point
langue peuvent cependant être aussi atteints. Ces lésions peu-
vent faire suite à une mucite mais se développent le plus
souvent de façon spontanée. Du fait de leur caractère asymp-
tomatique, elles sont souvent découvertes de façon fortuite,
parfois longtemps après la fin du traitement. Histologiquement,
on constate une hyperpigmentation basale avec incontinence
pigmentaire et mélanine dans la lamina propria. Le mécanisme
à l'origine de ces lésions est toxique, avec agression des méla-
nocytes par ces agents cytotoxiques. Une pigmentation cutanée
(surtout dans les zones de contact mais parfois plus diffuse) et
des ongles (bandes mélanonychiques) sont également fré-
quemment associées.
Antipaludéens de synthèse [31]
Une pigmentation cutanée bleu-gris est un effet indésirable
classique de la chloroquine administrée de façon chronique,
notamment au niveau de la face antérieure des jambes. Plus
rarement, une pigmentation de même type peut être notée au
niveau muqueux (figure 17), classiquement sur le palais dur. Elle
semble être avant tout secondaire à des dépôts d'hémosidérine
dans la lamina propria (coloration de Perls), même si la présence Figure 18
de mélanine a aussi été rapportée. La mise en évidence de ces Pigmentation palatine sous imatinib
lésions nécessite un contrôle ophtalmologique systématique
à la recherche de dépôts rétiniens, qui peuvent induire une
rétinopathie irréversible. L'hydroxychloroquine ou l'amodia- Zidovudine
quine (non disponible en France) peuvent également s'associer, Une augmentation significative du développement de lésions
plus rarement, à ce type de pigmentation. pigmentées intrabuccales est clairement établie avec cette
Imatinib [32,33] molécule. Une atteinte cutanée ou unguéale simultanée est
Cet inhibiteur de tyrosine kinase ciblant BCR-ABL peut induire là aussi fréquente. Plus globalement, la présence d'hyperpig-
une pigmentation palatine caractéristique, avec un aspect bleu- mentations orales apparaît significativement plus élevée chez
gris très similaire à celui précédemment décrit avec la chloro- les patients VIH+ [7], notamment traités de façon intensive par
quine. Même si le nombre de cas rapportés est faible, il s'agit traitement antirétroviraux (highly active retroviral therapy
d'une situation non exceptionnelle (figure 18). [HAART]).
Interféron alpha [28]
Il s'agit d'une complication classique de cette immunothérapie.
Elle peut concerner près de 10 % des patients traités par PEG
interféron et ribavirine pour une hépatite C. Elle semble liée
à une stimulation de la production de mélanine. Une régression
très progressive à l'arrêt du traitement est classique.
Autres médicaments systémiques [28]
Une hyperpigmentation de la muqueuse orale a été décrite avec
de nombreux autres médicaments, le plus souvent à partir
d'observations isolées ou de courtes séries ; l'imputabilité et
l'incidence n'ont pas toujours été établies avec certitude. On
peut citer le kétoconazole, la phénytoïne, les phénothiazines
(chlorpromazine), la clofazimine (aspect rouge-orangé), l'amio-
darone, certains contraceptifs oraux. Le nouvel anticonvulsivant
retigabine semble également être associé à une pigmentation
cutanée et orale, notamment des lèvres ou du palais (bleu-
violet).
Pigmentations médicamenteuses exogènes [28]
Figure 17 Des médicaments comme le lansoprazole, le fer, la chlorhexi-
Pigmentation due à un traitement au long cours par chloroquine dine ou encore le linezolide peuvent induire une pigmentation
313
Mise au point
Granulome périphérique à cellules géantes (épulis
à myéloplaxes)
De survenue rare, il se présente sous la forme d'une tumeur
gingivale de couleur violine. Le granulome à cellules géantes
peut entraîner fréquemment une résorption osseuse sous-
jacente et un déchaussement dentaire. Sur le plan histologique
il est caractérisé par un contingent important de cellules fibro-
hystiocytaires associées à des cellules géantes multinuclées. Il
est richement vascularisé et présente des dépôts hémosidéri-
nique ce qui lui confère sa coloration violacée typique
(figure 21). La découverte d'un granulome à cellules géantes
doit faire rechercher une hyperparathyroïdie associée (hyper-
calcémie, hypophosphorémie). Le traitement repose sur l'exé-
rèse chirurgicale [38].
Kystes et pseudo-kystes salivaires [39]
Figure 20 Les kystes salivaires vrais sont dits rétentionnels car ils sont
Granulome pyogénique gingival secondaires à l'obstruction du canal salivaire, empêchant l'écou-
lement du mucus. Les pseudo-kystes salivaires, ou mucocèles,
sont dus à une destruction de la glande, qui secrète la salive
s'agir de pseudo-tumeur, de tumeurs bénignes ou malignes et dans le parenchyme environnant. Les mucocèles sont les lésions
de bulles hémorragiques. buccales les plus fréquemment analysées sur le plan anatomo-
Pseudo-tumeurs et tumeurs bénignes non mélaniques pathologique chez l'enfant. La lèvre inférieure est atteinte dans
pigmentées 80 % des cas (figure 22). Les autres localisations sont la face
Granulome pyogénique (épulis inflammatoire ou ventrale de la langue, le plancher buccal et les joues. Les kystes
botriomycome) et pseudo-kystes salivaires sont des nodules violacés ou bleutée
Il s'agit d'une lésion fréquente, localisée principalement sur la de la lèvre inférieure secondaire à un traumatisme. La palpation
gencive, d'origine réactionnelle (figure 20). Elle se présente le montre une lésion molle, fluctuante et indolore. Lorsqu'ils sont
plus souvent sous la forme d'un nodule érythémateux saignant situés au niveau du plancher buccal, les mucocèles portent le
au contact. Le contexte et la présentation clinique sont souvent nom de grenouillette (ranula), par analogie clinique avec le
évocateurs du diagnostic de granulome pyogénique mais une ventre d'une grenouille. Les mucocèles du plancher buccal sont
biopsie muqueuse doit être réalisée au moindre doute. Il cor- en rapport avec une glande salivaire accessoire ou avec la
respond sur le plan histologique à une prolifération vasculaire glande sublinguale. Le traitement est l'exérèse chirurgicale
bénigne dans un contexte granulomateux non spécifique. à la lame ou au laser diode. Les récidives sont rares. Les
Figure 21
Granulome à cellules géantes de couleur violacée typique. L'histologie montre des cellules géantes multinuclées associées à de
nombreux hystiocytes
315
Figure 23
Malformation vasculaire veineuse (a), lymphangiomateuse (b) et artério-veineuse (c)
316
Mise au point
Figure 24 Figure 27
Sarcome de Kaposi secondaire à une infection VIH Bulle hémorragique dans une pemphigoïde des muqueuses
Figure 26
Pigmentation dans une leucémie aiguë (a) et un lymphome foliculaire B (b)
317
Figure 28
Bulle dans une angine bulleuse hémorragique
efficaces. La chirurgie est le traitement de référence. La survie contexte et toujours accompagnées d'ulcérations post bulleuses
à 5 ans est de 10 à 35 %. (figure 27). Le diagnostic repose sur la biopsie avec étude en
Pigmentation gingivale des hémopathies malignes [38] immunofluorescence directe pour individualiser des dépôts
Dans les leucémies aiguës (surtout myéloïdes) et les lympho- d'IgG, IgA, C3 le long de la membrane basale associés à une
mes (surtout folliculaires B), la gencive peut être envahie par bulle supra basale. Une immunofluorescence indirecte et une
des cellules tumorales. Classiquement la gencive devient hyper- analyse par Elisa doivent être réalisés pour compléter le
trophique et parfois pigmentée. L'apparition d'une coloration diagnostic.
violacée, hyperhémiée et d'un accroissement gingival doit faire Angine bulleuse hémorragique
évoquer une hémopathie maligne (figure 26). La biopsie confir- L'angine bulleuse hémorragique est caractérisée par des bulles
mera le diagnostic. hémorragiques récurrentes en l'absence de maladie bulleuse
Bulles hémorragiques auto-immune et de trouble de l'hémostase. La gencive peut être
Des bulles hémorragiques peuvent s'observer dans les derma- atteinte de même que l'ensemble de la muqueuse buccale
toses bulleuses de type pemphigoïde des muqueuses et dans (figure 28). Il n'existe pas de traitement efficace pour prévenir
l'angine bulleuse hémorragique [39]. les bulles. Le plus souvent, les lésions sont indolores.
Pemphigoïde des muqueuses (pemphigoïde cicatricielle)
Il s'agit d'une dermatose bulleuse auto-immune rare, caracté- Déclaration d'intérêts : J.C. Fricain : Sanofi, Amgen, Pierre Fabre,
Strauman.
risée par la production d'anticorps anti-membrane basale (anti- V. Sibaud : Roche, BMS, MSD, GSK, Pierre Fabre, Novartis, Bayer, Pfizer, Boeh-
BP 180 surtout et anti-BP 230) responsable d'une bulle sous- ringer Ingelheim.
épithéliale. Les bulles hémorragiques sont rares dans ce
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319
Dossier thématique
Mise au point
Disponible sur internet le : CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours, service de
21 février 2017 chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la République, 37170
Chambray-lès-Tours, France
Correspondance :
Arnaud Paré, CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours,
service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la
République, 37170 Chambray-lès-Tours, France.
arnaud.pare@univ-tours.fr
Points essentiels
La cavité buccale est la localisation la plus fréquente des cancers des voies aérodigestives
supérieures (VADS). Le carcinome épidermoïde est le sous-type histologique le plus fréquent
et représente plus de 95 % des cancers de la cavité buccale (CCB). Les principaux facteurs de
risques sont l'intoxication alcoolo-tabagique mais également les lésions dites précancéreuses. Ces
lésions précancéreuses sont des maladies chroniques de la muqueuse buccale et sont responsa-
bles de quasiment 20 % des cas de cancer. Le plan traitement des CCB est décidé de façon
collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire après réalisation d'un bilan clinique,
radiologique et endoscopique. Ce bilan permet d'évaluer l'extension locorégionale de la tumeur
ainsi que son statut métastatique. La chirurgie, la radiothérapie ou encore la chimiothérapie font
partie de l'arsenal thérapeutique possible. Cependant, le pronostic dépend principalement de la
résécabilité de la tumeur ainsi que des comorbidités du patient pouvant limiter les possibilités de
traitement. La chirurgie d'exérèse s'associe fréquemment à des techniques de reconstructions qui
ont comme objectif de restituer les fonctions de phonation, de déglutition et de respiration et de
limiter les séquelles esthétiques. Souvent diagnostiqués à un stade tardif, le pronostic de ces
tumeurs reste mauvais malgré les progrès thérapeutiques et les efforts croissants de prévention.
Le profil des patients alcoolo-tabagiques échappant au circuit médical, le taux élevé de récidive
ainsi que la fréquence des secondes localisations expliquent en grande partie l'absence d'amé-
lioration de la survie depuis de nombreuses années.
Key points
Oral cancer: Risk factors and management
Oral cavity is the most frequent anatomical subsite of upper aero-digestive tract malignancies.
Squamous cell carcinoma is the most common histological type and totalizes more than 95% of
320
Mise au point
oral cancer. Main risk factors are tobacco and alcohol exposure and also potentially malignant
lesions. These precancerous lesions are a chronic disease of oral mucosa and are responsible for
about 20% of oral cancer. The treatment of oral cancer depends on clinical, radiological and
endoscopic staging and according to the multidisciplinary tumor board decision. Indeed, tumor
staging gives information about loco-regional and metastatic spread. Treatment can include
surgery, radiation therapy and chemotherapy. However, the prognostic mainly depends on tumor
resectability and patient comorbidities. Tumor removal is often associated with reconstruction
procedures in order to restore phonation, swallowing and breathing functions with acceptable
aesthetic outcomes. The usual delayed diagnosis explains the poor prognostic of oral cancer in
spite of prevention attempt and therapeutic improvement. Indeed, the profile of tobacco and
alcoholic patients outside of medical system, the high rate of recurrence and the frequency of
second primary malignancies explain the stable incidence for years.
Anatomie et sous-localisations des cancers que la pointe. La « zone de jonction » est une zone frontière se
de la cavité buccale situant entre la langue mobile et la base de langue. La base de
La cavité buccale est une dénomination anatomique large langue ne fait pas partie de la cavité buccale au sens strict. Elle
regroupant plusieurs sous-localisations (figure 1). Elle comprend constitue une partie de l'anneau lymphoïde de Waldeyer avec
les régions allant des arcades dentaires jusqu'à la jonction avec les amygdales et appartient à l'oropharynx ;
le plancher buccal est la seconde localisation la plus fréquente
l'oropharynx. Elle inclut également la face interne des joues, les
lèvres muqueuses et le vestibule correspondant à la muqueuse et représente 20 à 30 % des CCB. Il regroupe les régions
située entre les arcades dentaires et la face interne des joues et latérales et une partie antérieure. Il est délimité latéralement
de lèvres. Par conséquent, l'examen clinque de la cavité buccale par le sillon pelvi-gingival et médialement par le sillon pelvi-
nécessite une palpation et une inspection en déplissant la lingual ;
les autres localisations moins fréquentes sont les lèvres
muqueuse de nombreux sillons anatomiques.
Les principales localisations des cancers de la cavité buccale muqueuses avec une nette prédominance de la lèvre infé-
(CCB) sont [1] : rieure, la face interne des joues, la commissure intermaxillaire,
la langue mobile qui totalise 20 à 30 % des cas. Elle comprend les gencives ou le palais dur (figure 2). Le palais dur ou palais
une face dorsale et une face ventrale, les bords latéraux ainsi osseux appartient également à la cavité buccale
Figure 1
Sous-localisations anatomiques de la cavité buccale (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours)
321
Figure 2
Carcinome épidermoïde de la gencive maxillaire (A), de la gencive mandibulaire (B) et du palais dur (C) (Collection Dr A. Paré et Dr
M. Samimi, CHU de Tours)
contrairement au palais mou communément appelé voile du 20 ans. La survie relative à 5 ans et de l'ordre de 35 % chez
palais qui constitue la partie supérieure et antérieure de l'homme et de 50 % chez la femme. Cette stabilité est à mettre
l'oropharynx. en parallèle avec la persistance de l'exposition chronique au
tabac et à l'alcool ainsi que la difficulté de suivi médical régulier
Épidémiologie chez des patients possédant fréquemment des comorbidités [3].
Incidence et survie
À l'échelle mondiale, les dernières données d'incidence et de Histologie
mortalité de l'International Agency for Research on Cancer Les carcinomes épidermoïdes représentent la très grande majo-
(IARC) rapportaient 300 000 nouveaux cas et 145 000 décès rité des CCB et totalisent plus de 95 % des cas [3]. En cas de
par an [2]. dégénérescence maligne, les lésions précancéreuses sont éga-
La dernière étude épidémiologique en France relatée par l'InVS lement responsables de ce même type histologique.
remonte à 2007 [1]. Parmi les autres les tumeurs épithéliales, les carcinomes glan-
Avec environ 7000 nouveaux cas et 1750 décès annuels, les CCB dulaires comme les adénocarcinomes et les carcinomes adé-
sont la première localisation des cancers des VADS (35 %) et noïdes kystiques sont beaucoup plus rares. Développées aux
sont responsables de 1,2 % des décès par cancer. L'âge moyen dépens de glandes salivaires accessoires, l'évolution est en
au diagnostic est 60,3 ans chez les hommes et de 64,1 ans chez générale plus lente et paucisymptomatique. La localisation
les femmes. L'augmentation de l'incidence chez les femmes est palatine est fréquente et explique l'envahissement osseux
une donnée observée depuis plusieurs années avec notamment habituel.
une augmentation du taux d'incidence de 51,7 % entre 1980 à Les tumeurs non épithéliales comme les sarcomes (ostéosar-
2005. A contrario, une diminution chez les hommes de 43,2 % a comes ou rhabdomysarcomes principalement) sont également
été observée durant cette même période. Cette tendance tra- des cancers rares de la cavité buccale et touchent en général des
duit principalement l'augmentation de la consommation taba- patients plus jeunes. D'autres sous-groupes histologiques
gique par les femmes [1,3]. Cependant, le sex-ratio homme/ comme les mélanomes muqueux ou encore les hémopathies
femme de 4,9 montre toujours une nette prédominance sont également décrits mais restent exceptionnels.
masculine.
Les données épidémiologiques montrent également une dis- Facteurs de risques
parité géographique avec un taux d'incidence plus élevé dans Éthylo-tabagisme
les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et du Doubs et plus L'association du tabac et d'alcool est de loin le facteur de risque
particulièrement chez les hommes. Ces données reflètent pro- principal. Pour le tabac, le risque de développement de CCB
bablement le gradient nord-sud classique de l'éthylisme chro- augmente avec la durée d'exposition et plus particulièrement
nique plus important dans la moitié nord de la France. à partir 20 paquets années [3]. Inversement, après 20 ans
Par ailleurs, les efforts de prévention et les progrès techniques d'arrêt, le risque n'est plus significativement différent des per-
dans la prise en charge des CCB (imagerie, techniques de sonnes non fumeuses. Le tabac à chiquer est également un
reconstruction, radiothérapie par modulation d'intensité) ont facteur carcinogène avec notamment l'adjonction de bétel qui
permis d'améliorer les séquelles post-thérapeutiques mais sans donne des localisations préférentiellement au niveau de la face
retentissement sur la survie qui reste stable depuis plus de interne des joues ou des lèvres.
322
Mise au point
L'alcool ne semble pas jouer un rôle carcinogène direct mais La leucoplasie
plutôt celui de potentialisateur du tabac. L'éthanol induisant une La leucoplasie est une plaque blanche de la muqueuse buccale
atrophie de l'épithélium buccal, il favorise la pénétration ainsi indolore, non détachable au grattage correspondant à une
que la solubilisation des métabolites carcinogènes du tabac. hyperkératose. Il existe principalement deux formes cliniques :
L'acétaldéhyde, premier métabolite de l'éthanol, a cependant la forme homogène bien circonscrite et la forme inhomogène
été décrit comme agent cancérigène chez l'animal et souligne plus à risque de transformation maligne (figure 3). La forme
son possible rôle carcinogène [4]. inhomogène peut prendre un aspect nodulaire, érosif voire
verruqueux. L'intoxication tabagique en est la principale cause
Facteurs nutritionnels
et son arrêt peut permettre une régression complète des
Les carences vitaminiques sembleraient être impliquées dans la
lésions. Le traitement repose sur une surveillance annuelle
survenue des cancers des VADS. Souvent retrouvées chez le
ou l'exérèse en cas de modification récente ou d'aspect suspect.
patient éthylique chronique, les carences en vitamine C et A
Le risque de dégénérescence maligne en carcinome épider-
pourraient avoir un rôle dans la survenue de cancer. Le déficit en
moïde est évalué entre 5 à 20 % des cas et se produit après
acide rétinoïque entraînerait une anomalie de maturation du
une évolution sur plusieurs années.
tissu épithélial favorisant ainsi la survenue de cancer. Inverse-
ment, la consommation de fruit et légume a été avancée
Le lichen plan
comme facteur protecteur. Mêmes si elles sont relatives, les
Le lichen plan est une maladie inflammatoire chronique, évo-
actions anti-oxydantes, anti-prolifératives et immunostimulan-
luant par poussée et d'étiologie mal connue (figure 4). La cause
tes pourraient avoir un rôle dans la diminution du risque des CCB
auto-immune à médiation cellulaire est la cause généralement
[3,4].
admise [6]. Cette maladie est marquée par des phases de
Lésions précancéreuses (LPC) poussées inflammatoires et de quiescence. Les lésions de lichen
Les CCB apparaissent le plus souvent suite à l'évolution d'une sont blanches en dehors des poussées et peuvent être limitées
dysplasie causée par l'exposition alcoolo-tabagique. Cependant, en plaque ou plus étendues en nappe. Ces lésions peuvent avoir
on évalue à presque 20 % la proportion de CCB secondaires à des plusieurs aspects dont les plus fréquents sont les formes circi-
lésions dites « précancéreuses » [3,5]. L'OMS a définie les LPC nées, réticulées ou dendritiques. Les formes érythémateuses,
par un « tissu morphologiquement altéré au sein duquel un érosives ou bulleuses traduisent une poussée inflammatoire
cancer apparaît plus souvent que dans le tissus normal auto- alors que les formes atrophiques, hyperkératosiques, pigmen-
logue ». Les LPC sont des maladies chroniques de la muqueuse tées ou hypertrophiques sont observées dans les lichens anciens
buccale pouvant être régressives mais nécessitant une surveil- ou à l'état post-lichénien correspondant à une fibrose irréver-
lance régulière au long cours. Une biopsie initiale est recom- sible de la muqueuse. Le risque de dégénérescence maligne est
mandée pour confirmer le diagnostic. Ce geste est à réitérer en rare et est estimé à environ 5 % [7].
cas de modification récente ou au moindre doute de dégéné- Le traitement du lichen repose sur une corticothérapie locale
rescence maligne. Les lésions entrant dans la classification des voire générale lors des poussées inflammatoires ainsi qu'une
lésions précancéreuses sont [5] les suivantes. surveillance régulière.
Figure 3
Leucoplasie homogène du bord latéral de la langue à droite (A). Leucoplasie inhomogène de la face interne de joue à droite (B)
(Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)
323
Figure 4
Lichen plan étendu de la face interne de joue (A) et du bord latéral de la langue (B) (Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)
La leucoplasie proliférative verruqueuse desquamatif réactionnel évolue ensuite vers une hyperkératose
Anciennement appelée papillomatose orale floride, c'est une fissuraire (figure 6). Principalement localisée au niveau de la
lésion rugueuse mais souple à la palpation qui touche préfé- lèvre inférieure, ce type de lésion apparaît en général après
rentiellement le sujet âgé (figure 5). L'aspect peut aller d'un 45 ans. Le traitement repose sur l'arrêt du tabac et d'une exérèse
simple papillome bénin jusqu'au placard papillomateux étendu. en cas de persistance lésionnelle (vermillonectomie).
Son évolution en carcinome verruqueux voire en carcinome
épidermoïde infiltrant est quasi systématique. Le traitement Human papilloma virus (HPV)
par exérèse itérative est en général nécessaire. La guérison Le rôle carcinogène de l'HPV 16 et 18 dans le développement de
est rare est difficile. certains cancers des VADS est désormais admis [8]. En effet, 15 à
20 % des cancers des VADS touchent des adultes jeunes non
L'érythroplasie
buveurs non fumeurs pouvant être en lien avec une infection par
L'érythroplasie touche en général le sujet âgé et se caractérise
l'HPV. L'incidence des infections HPV dans les cancers des VADS
par une plage veloutée, rouge brillant, uniforme, à limites
est d'ailleurs inversement proportionnelle à la consommation
nettes, souvent très étendue et indolore. Le risque de dégéné-
alcoolo-tabagique [9]. Cependant, le rôle de l'HPV dans les CCB
rescence de ce type de lésion est élevé et implique l'exérèse
ne semble concerner qu'une minorité des cas. L'étude de
quand elle est possible.
l'expression de la protéine P16 ou celle des transcrits des
La kératose actinique labiale oncogènes E6 et E7 sont le gold standard actuels pour détecter
Également appelée chéilite actinique, elle est secondaire à l'ex- l'infection par HPV. Le nombre de CCB lié à l'HPV semble au final
position solaire ainsi qu'au tabagisme. Son aspect initial très restreint et semble ne concerner qu'une très faible
Figure 5
Leucoplasie profilérative verruqueuse du vestibule inférieur gauche (A). Dégénérescence en carcinome verruqueux (B) (Collection Dr
M. Samimi, CHU de Tours)
324
Mise au point
Figure 7
Figure 6 Carcinome épidermoïde de la gencive mandibulaire droite étendu
Kératose actinique labiale inférieure avec un foyer de carcinome à la commisure intermaxillaire (Collection Dr A. Paré, CHU de
épidermoïde in situ paramédian à droite (Collection Dr A. Paré, Tours)
CHU de tours)
Présentation clinique
Dans la majorité des cas, le développement des CCB se fait après
l'évolution d'une dysplasie en carcinome in situ évoluant ensuite
vers un carcinome épidermoïde infiltrant. La présentation habi-
tuelle est celle d'une lésion ulcérée, bourgeonnante, saignant
au contact avec une induration péri-lésionnelle correspondant
à l'infiltration sous-muqueuse de la tumeur (figure 7). L'aspect
peut parfois être trompeur notamment dans les formes nodu-
laires peu ulcérées ou celles principalement sous-muqueuses.
Dans les localisations gingivales ainsi que du palais ou de la
commissure intermaxillaire, l'atteinte osseuse est souvent pré-
coce de par la contiguïté anatomique. En portion dentée,
l'atteinte osseuse peut être responsable de mobilité dentaire
Figure 8
voire de déchaussement.
Niveaux des aires ganglionnaires cervicales (Collection Dr
Un trismus peu parfois être présent. Il traduit l'infiltration des
A. Paré, CHU de Tours)
muscles masticateurs (ptérygoïdiens médiaux) principalement I : sub-mento-mandibulaire ; IA : sub-mental ; IB : sub-mandibulaire ; II : jugulo-
dans les localisations de la commissure intermaxillaire ou du carotidien supérieur ; IIA : sous-digastrique ; IIB : rétro-spinal ; III : jugulo-caratidien
plancher buccal postérieur. moyen ; IV : jugulo-carotidien inférieur ; V : triangle postérieur ; VI : cervical antérieur.
325
carences nutritionnelles ainsi que les pathologies cardiovascu- qu'une éventuelle localisation pulmonaire. L'analyse de l'infil-
laires sont à dépister systématiquement en vue des traitements tration des tissus mous est cependant limitée et moins fine que
potentiels (chirurgies lourdes, radio-chimiothérapie). l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Les artefacts den-
taires (prothèses métalliques) gênent habituellement l'inter-
Bilan préthérapeutique prétation et peuvent parasiter la qualité de l'image ainsi que
L'objectif du bilan pré-thérapeutique est de confirmer le la délimitation de la tumeur.
diagnostic, de déterminer le stade local, l'extension régionale IRM
et à distance et d'évaluer les comorbidités du patient. Ce bilan L'IRM est un examen permettant une analyse plus fine des tissus
permet ensuite d'évaluer de façon collégiale en réunion de concer- mous que le scanner. Cependant, le délai plus long relègue
tation pluridisciplinaire (RCP) les possibilités thérapeutiques. encore l'l'IRM à un examen de seconde intention. Les acquisi-
Une biopsie initiale est indispensable pour confirmer le sous- tions en pondération T1 avec et sans injection de Chélate de
type histologique de la tumeur. Elle peut être réalisée préco- gadolinium et T2 permettent une analyse plus précise de la
cement en cabinet de consultation sous anesthésie locale ou délimitation de la tumeur ainsi que son extension locale. L'IRM
lors de la panendoscopie. La biopsie doit être réalisée préfé- est particulièrement informative sur les tumeurs de la langue ou
rentiellement en périphérie de l'ulcération au niveau de l'indu- du plancher buccal (figure 9). C'est également un examen de
ration. Cela permet d'éviter d'envoyer un tissu nécrotique plus qualité pour rechercher une infiltration de la médullaire osseuse
difficile à analyser pour le médecin anatomo-cytopathologiste. mandibulaire [14]. Cet examen permet aussi d'évaluer l'atteinte
Une fois le diagnostic confirmé, le bilan d'extension comprend ganglionnaire cervicale. L'IRM est par conséquent un excellent
les éléments suivants. examen d'exploration locorégional et permet de compléter le
Une panendoscopie des VADS scanner cervicofacial.
La panendoscopie des VADS est l'examen qui permet d'évaluer PET scan
le stade local de la tumeur. Elles est indiquée pour les carcino- Le PET scan est l'imagerie métabolique utilisée en cas de suspicion
mes épidermoïdes. C'est un examen court, sous anesthésie de maladie métastatique [15]. L'utilisation de 18F-FDG révèle les
générale qui donne des informations parfois difficile à obtenir foyers hyper-métaboliques potentiellement tumoraux. Cet exa-
en cas de douleur ou de trismus lors de l'examen clinique. Cet men ne permet pas une analyse fine de l'infiltration locale de la
examen permet ainsi d'évaluer la topographie précise de la tumeur mais son excellente spécificité classe cet examen devant
lésion, son extension et le degré d'infiltration des tissus voisins. le scanner ou l'IRM pour la recherche de localisations métastati-
La panendoscopie a également comme objectif de dépister des ques [16]. L'intérêt et les indications sont donc multiples. Cet
lésions synchrones des VADS incluant l'oropharynx, l'hypopha- examen permet de dépister les adénopathies cervicales ou les
rynx, le larynx et la partie proximale de l'œsophage. Des biop- métastases à distance (pulmonaire, hépatique) mais également
sies peuvent être réalisées dans le même temps à but une éventuelle seconde localisation synchrone des VADS. Devant
diagnostique ou pour confirmer une éventuelle deuxième loca- le fort potentiel métastatique des CCB, le PET scan est indiqué dans
lisation des VADS. Des photographies ainsi qu'un schéma sont les tumeurs volumineuses ( T3) ou lors de l'atteinte ganglion-
reportés dans le dossier en vue de la RCP. naire multiples ( N2b). Le délai de cet examen étant court, il ne
En cas d'éthylisme chronique, une fibroscopie œso-gastro-duo- retarde en pas en général la prise en charge.
dénale est recommandée. Elle permet une exploration Classification clinico-radiologique
complète de l'œsophage et le dépistage des lésions synchrones Les données cliniques et d'imagerie permettent de donner un
de la partie proximale du tube digestif. La réalisation d'une stade à la maladie selon classification TNM de l'Union for Inter-
fiboscopie bronchique chez les fumeurs peut également être national Cancer Control (UICC) (tableau I). Cette classification
réalisée. Cependant, il n' y a pas clairement de recommandation pronostique reflète notamment la résécabilité de la tumeur
actuelle en France sur l'intérêt de réaliser d'emblée cet examen ainsi que son statut métastatique.
de par la rareté d'une lésion synchrone bronchopulmonaire [12].
Bilan dentaire
Imagerie Un bilan dentaire est réalisé pour éradiquer les foyers infectieux
Le scanner fréquemment retrouvés chez les patients alcoolo-tabagiques. La
Le scanner cervicofacial et thoracique est l'imagerie à réaliser en persistance de délabrement dentaire expose au risque d'ostéo-
première intention [13]. Son délai rapide permet d'évaluer radionécrose (ORN) des mâchoires en cas d'irradiation. Ce bilan
l'envahissement locorégional et à distance. L'injection d'iode permet la réalisation de soins dentaires et la prise d'empreinte
et les coupes millimétriques permettent d'explorer l'extension pour la confection de gouttières fluorée. Ces gouttières fluorées
tumorale au niveau des tissus voisins. Le scanner est l'examen seront appliquées quotidiennement au long court en cas de
de choix pour dépister une lyse osseuse corticale. Cet examen radiothérapie pour limiter le risque de survenue d'ORN des
informe également sur le statut ganglionnaire cervical ainsi mâchoires.
326
Mise au point
Figure 9
Apport de l'IRM dans la délimitation tumorale
Coupe coronales et axiales d'un scanner (A) et d'une IRM (B) pour un carcinome épidermoïde pelvi-glosso-gingival gauche (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours).
SM : sinus maxillaire ; LM : langue mobile ; M : mandibule ; PB : plancher buccal ; CE : carcinome épidermoïde.
TABLEAU I
Classification TNM des cancers de la cavité buccale
T Tumeur primitive
T1 Tumeur 2 cm
T3 Tumeur > 4 cm
T4a Cancer de la cavité orale : envahissement de l'os cortical, des mucles extrinsèques de la language,
du sinus maxillaire ou de la peau du visage
Cancer de la lèvre : envahissement de l'os cortical, du nerf alvéolaire inférieur, du plancher buccal ou de la peau du visage
T4b Tumeur envahissant l'espace masticateur, les apophyses ptérygoïdes, la base du crâne ou englobant l'artère carotide interne
N Ganglions lymphatiques régionaux
ou la respiration. Les conséquences esthétiques peuvent éga- xérostomie, la dysgueusies, les caries dentaires ou encore le
lement être majeures. trismus.
Par conséquent, la chirurgie réparatrice est souvent nécessaire L'indication de radiothérapie postopératoires est systématique-
et associée dans le même temps que l'exérèse. Elle permet de ment discutée en RCP. Elle peut être réalisée sur le site tumoral
restituer au mieux la ou les fonctions altérées liées aux pertes de ainsi que sur les aires ganglionnaires cervicales selon le stade de
substance muqueuses, musculaires ou osseuses. Les techniques la maladie. La radiothérapie est principalement indiquée dans
de reconstruction peuvent aller du simple lambeau local au les tumeurs volumineuses classées histologiquement pT3 ou
transplant libre micro-anastomosé (figure 10). pT4, en cas d'envahissement ganglionnaire, de présence
d'emboles vasculaires et/ou d'engainements périnerveux et
Radiothérapie en cas d'exérèse courte (< 5 mm).
La radiothérapie peut être indiquée pour les patients inopéra- La radio-chimiothérapie concomitante (RCC) postopératoire
bles ou en postopératoire. Les progrès de ces dernières années peut également être réalisée. Le cisplatine (sels de platine)
reposent principalement sur la diminution des séquelles post- reste le traitement systémique standard dans la RCC postopé-
radiques via la radiothérapie conformationnelle ou plus récem- ratoire. La rupture capsulaire ganglionnaire ainsi qu'une résec-
ment la radiothérapie par modulation d'intensité (IMRT). Ces tion tumorale incomplète sont des critères formels de RCC.
techniques permettent une diminution de l'irradiation des D'autres facteurs péjoratifs comme les emboles vasculaires
tissus sains péri-tumoraux ainsi que des séquelles comme ou les engainements périnerveux peuvent également faire
l'ostéoradionécrose maxillo-mandibulaire, les mucites, la discuter une RCC postopératoire.
328
Mise au point
Figure 10
Mandibulectomie interruptrice (A) pour un carcinome épidermoïde gingival mandibulaire (B)
Reconstruction par lambeau libre de fibula (C) (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours).
La radiothérapie exclusive est également utilisée pour les ou de patient fragile, un anticorps monoclonal ciblant le récep-
tumeurs non résécables ou les patients inopérables. Elle peut teur de l'EGF (cétuximab, ERBITUX®) peut également être asso-
être associée à de la chimiothérapie en cas d'atteinte ganglion- cié à la radiothérapie [17].
naire si les comorbidités et l'état général du patient le En cas rechutes inopérables ou métastatiques, la chimiothérapie
permettent. palliative de première ligne associe sels de platine-cétuximab-
La curiethérapie garde quelques indications dans les CCB. Elle 5 FU (protocole EXTREME) [18] ou docétaxel, cétuximab, sels de
peut être proposée en cas de petites tumeurs de la lèvre (T1 et platine (protocole TPEX) [19]. En cas de contre-indications ou de
T2) et montre une efficacité proche de la chirurgie avec une chimiothérapie de deuxième ligne, le méthotrexate ou le pacli-
rançon esthétique de très bonne qualité. La curiethérapie peut taxel (TAXOL®) peuvent être utilisés.
également être une alternative à la chirurgie en cas de petites La chimiothérapie préopératoire dite d'induction n'a pas d'indi-
tumeurs superficielles (T1 et T2) de la face interne de joue ou de cation validée dans les CCB ou avant un traitement par RCC. Elle
la langue mobile. peut être discutée en cas de maladie agressive rapidement
évolutive (T et N). Préférentiellement réalisée chez le sujet
Chimiothérapie est jeune et sans comorbidité, elle repose sur 3 cures de
La chimiothérapie peut être proposée à visée curative en asso- docétaxel, cisplatine, 5 FU (TPF).
ciation à la radiothérapie ou seule à visée palliative.
En cas de chimiothérapie concomitante à une radiothérapie Surveillance et prévention
exclusive, l'association de sels de platine (cisplatine ou carbo- Les CCB nécessitent une surveillance de par le risque important
platine) et de 5 fluoro uracile (5 FU) est recommandée. En cas de de récidive ou de seconde localisation des VADS. En effet, le taux
contre-indication à la chimiothérapie à base de sels de platine de récidive locale à 5 ans est de l'ordre 20 à 30 %, celui de
329
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