Odontologie pédiatrique le fluor en 2010

f o r m at i o n
Le fluor chez l’enfant
en 2010
Alexia Marie-Cousin, Maître de Conférences
des Universités – Praticien Hospitalier,
Adeline Huet, Assistante hospitalo-universitaire
Jean-Louis Sixou, Professeur des Universités –
Praticien Hospitalier
Université de Rennes 1 et Pôle d’Odontologie et
Chirurgie buccale, CHU de Rennes

La carie touche, d’après

l’Organisation Mondiale
de la Santé, environ cinq milliards
d’individus dans le monde [10].
Sa prévalence la classe au
quatrième rang des fléaux
mondiaux. Sa fréquence a baissé
de façon importante en France
durant les dernières années,
mais reste élevée dans une partie
de la population [2, 5].
L’ indice mixte co/CAOD (dents temporai-
res et définitives) chez les enfants de six
ans était, en 2006, de 1,37 et de 1,56 chez
les enfants de douze ans. Le CAOD à douze ans est
ainsi passé de 4,02 en 1987 à 1,37 avec une décrue
régulière, devançant les objectifs de l’OMS : CAOD
= 1,5 en 2015 [3]. Mais 72 % des caries sont concen-
trées chez 20 % des enfants, en particulier au niveau
des premières molaires permanentes (70 % des caries
à douze ans) [3].
La carie dentaire est donc toujours un sujet d’actua-
lité. La connaissance des mécanismes conduisant
à cette pathologie a considérablement progressé
durant les deux dernières décennies. La carie résulte
du déséquilibre dans les phénomènes de déminéra-

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lisation et reminéralisation qui se produisent en
permanence à la surface de la dent, au profit de la
déminéralisation. Dans ce contexte, la prévention
bucco-dentaire se concentrera sur la détection
des patients et des dents à risque et leur prise en
charge, tout en maintenant l’effort sur les popu-
lations à risque moins important. Le fluor est
utilisé depuis longtemps comme moyen de pré-
vention, mais suscite beaucoup de questions et de
controverses : systémique ou topique ? bénéfique
ou toxique (fluorose) ? Ce flou a été entretenu par
l’existence de recommandations allant dans des
directions différentes [5-8] (tableau I).
Deux recommandations récentes ont permis
d’avoir une vision plus homogène. Le but de cet
article est de faire le point sur les recommanda-
tions françaises (AFSSAPS) [2] et européennes
(EAPD) [4] concernant l’utilisation du fluor dans
la prévention bucco-dentaire et d’aider à choisir
quelle attitude adopter.
Le fluor
C’est sous forme de fluorures qu’il est utilisé
pour la prévention bucco-dentaire. Les apports
systémiques se font par les comprimés et gouttes
prescrits, mais aussi par l’alimentation, les sels
supplémentés (fluorures de potassium, à raison
de 250 mg/kg de sel) et les eaux de boisson (eaux
minérales, de source). Les sels fluorés sont dispo-
nibles en France depuis 1987. La teneur maximale
en fluor autorisée dans les eaux de distribu-
tion, fixée par une directive de la Communauté
Européenne, est de 1,5 mg/l, tandis que la fluora-
tion de l’eau de boisson est interdite en France. Le
dentifrice ingéré représente également une voie
d’apport systémique.
Les apports topiques sont divers : dentifrices, bains
de bouche, vernis et gels fluorés, avec des teneurs
en ions fluorures variables selon les produits (<1 500
ppm = produits cosmétiques, > 1 500 ppm = médi-
caments nécessitant une Autorisation de Mise
sur le Marché [AMM] et une prescription par le
praticien). Tout fluor général administré par voie
buccale a également un effet topique lors de son
passage en bouche.
L’incorporation du fluor pendant la for-
mation de l’émail (effet pré-éruptif)
possède un effet protecteur très faible,
voire nul, après l’émergence en bouche, contrai-
rement à ce qui a été pensé dans un premier temps
et qui avait amené à privilégier l’administration
de fluor systémique (comprimés, gouttes) dès la
naissance. De plus, le fluor en excès par voie géné-
rale peut être toxique pour l’os à très forte dose
(fluorose osseuse) et les dents en formation à dose
faible (fluorose dentaire). La fluorose dentaire est
due à un surdosage en fluor (plus de 1 mg/j), pen-
dant plusieurs mois ou années, lors de la période
de minéralisation des dents, soit jusqu’à 5 ans
pour les dents antérieures et jusqu’à 7-8 ans pour
les deuxièmes molaires permanentes. Le taux de
fluorose en France est cependant faible, les formes
avérées (fluoroses légères) ne dépassant pas 3  %
[2].
La protection de surface par l’apport topique de
fluor après l’émergence en bouche (effet post-
éruptif) est primordiale. Le fluor topique rend
l’émail plus résistant en surface à la déminérali-
sation et favorise sa reminéralisation. C’est son
mode d’action principal. Enfin, les fluorures inhi-
bent le métabolisme des bactéries cariogènes. Ces
effets post-éruptifs sont effectifs si les fluorures
sont apportés régulièrement et en faible quantité
[2, 12].

Tableau I - Recommandations françaises et européennes contradictoires entre 2000 et 2004

Fluor systémique Fluor systémique Dentifrice fluoré
= systématique* si risque carieux* avant 3 ans
EAPD (2000) [11] - + +
UFSBD (2000) [6] - + -
AFSSAPS (2002) [1] + - NP
SFOP (2004) [13] - + +
* Selon la teneur en fluorures de l’eau de boisson / biberon
NP : Non Précisé

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 le fluor en 2010

Les recommandations
Une forme de consen-
sus apparaît avec les
recommandations les
plus récentes de l’AFS-
SAPS [2] en France, et de
l’EAPD (European Academy
of Paediatric Dentistry) [4] en
Europe. Plus de deux années
de réunions ont été nécessai-
res à l’AFSSAPS pour rem-
placer les très controversées
recommandations de 2002,
et mettre en place un pre-
mier vrai consensus natio-
nal en novembre 2008. Les
nouvelles recommandations
européennes de l’EAPD
parue en 2009 font suite aux
travaux commencés en 1997
et marquent la poursuite
d’une évolution plus sereine.
Les deux recommanda-
tions insistent sur l’im-
portance de l’apport de
fluor par voie topique,
en particulier sur l’utilisation
de dentifrice fluoré dosé en
fonction de l’âge. L’efficacité
du fluor topique sous ses dif-
férentes formes est résumée
dans le tableau II.
Les deux recommandations
diffèrent cependant en ce qui
concerne la concentration en
fluor du dentifrice en fonc-
tion de l’âge, ainsi que la fré-
quence (tableau III), l’EAPD
préconisant des concentra-
tions plus élevées plus tôt
avec un rythme d’utilisation
plus élevé chez les plus jeu-
nes. Ces différences viennent
d’une plus grande attention
au risque de fluorose den-
taire d’une part (AFSSAPS)
et de la prise en compte du
fait que les dentifrices peu
dosés (moins de 500 ppm)
sont beaucoup moins effica-
ces d’autre part (EAPD).
Les deux recommandations
sont également d’accord
pour considérer que le prin-
cipal intérêt du fluor pris
par voie systémique, voire
son seul intérêt, est lié à son
effet topique lors de son pas-
sage dans la cavité buccale.
L’AFSSAPS met l’accent
sur la présence d’un risque
carieux avéré pour la mise
en place d’une fluoration par
voie systémique à partir de
l’âge de six mois [2]. L’EAPD
le préconise chez tous les
enfants à partir de l’âge de
deux ans, par la consomma-
tion d’eau, de sel fluorés ou
de suppléments fluorés, uni-
quement parce cela permet
de bénéficier de l’effet topi-
que lors du passage en bou-
che [4].

Tableau II - Efficacité des produits fluorés utilisés par voie topique (d’après [4, 7-9])
Produits Effet anti-carie *** Rythme et usage Remarques
fluorés
Dentifrices moins 24 % 2 brossages / jour efficacité liée à la concentration en
DT* et DP** ions fluorures

Vernis moins 33 % DT* 2-4 fois / an peu d’informations sur les effets
moins 46 % DP** DT* et DP** secondaires

Gels moins 21 % 5 minutes / arcade peu d’informations sur les effets
DP**, enfant > 6 ans secondaires, l’efficacité sur DT*

Bains de moins 26 % 30 sec à 2 min / - efficacité liée au nombre total de

bouche rinçage rinçage, mais fréquence pas définie
DP**, enfant > 6 ans - peu d’informations sur les effets
secondaires

* DT : Dents Temporaires.** DP : Dents Permanentes

*** % = % de caries en moins avec l’utilisation de ce topique fluoré

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Tableau III - Recommandations de l’utilisation de Tableau IV - Les 7 points clés de

dentifrice fluoré chez l’enfant, d’après l’AFSSAPS [2] et l’utilisation du fluor, définis selon
l’EAPD [4] l’AFSSAPS [2]
Age Concentration Usage Quantité 7 points clés
en fluor journalier
1. La carie dentaire est une maladie
AFSSAPS 6 mois - ≤ 500 ppm 1 fois petit pois multifactorielle faisant intervenir des
3 ans facteurs liés au sujet, à la flore buccale et à
l’alimentation.
EAPD 6 mois - 500 ppm 2 fois petit pois
2 ans 2. La prévention de la carie dentaire passe
par :
AFSSAPS 3–6 ans 500 ppm 2 fois petit pois - l’éducation à une hygiène bucco-dentaire
à plus* adaptée,
EAPD 2–6 ans 1 000 ppm 2 fois petit pois - l’éducation à une bonne hygiène alimentaire,
à plus* - une bonne utilisation des fluorures
- une consultation précoce et régulière du
AFSSAPS > 6 ans 1 000 -1 500 2 fois NP chirurgien-dentiste.
ppm
3. L’usage des fluorures, topique et/ou
EAPD 1 450 ppm 3 fois 1 – 2 cm systémique, doit être modulé en fonction du
* Augmenter la quantité de dentifrice au fur et à mesure que risque carieux.
l’enfant grandit et sait cracher. NP : Non Précisé 4. Quel que soit le niveau de risque carieux
d’un enfant :
- mesure la plus efficace de prévention :
Que faire ? • brossage au minimum biquotidien des dents,
• avec un dentifrice fluoré (teneur en fluor
Les recommandations récentes sont donc assez
adaptée à l’âge) ;
proches et nous nous baserons sur celles de l’AFS-
- brossage réalisé ou assisté par un adulte
SAPS [2], qui se résument en sept points-clés (enfants pas/peu autonomes).
(tableau IV).
5. Enfants à risque carieux élevé :
Quelques règles générales sont à retenir : - mesures de prévention et prise en charge
- le fluor topique est plus efficace que spécifique,
le fluor systémique, et est donc à privilégier, - supplémentation médicamenteuse par voie
sous forme de dentifrice fluoré (apports faibles et orale conseillée dès l’apparition des premières
réguliers), avec un dosage en fluor et en quantité dents (± 6 mois).
adaptés à l’âge de l’enfant. 6. Toute prescription de fluor médicamenteux
- le fluor systémique garde son intérêt pour les (gouttes/comprimés) doit être précédée d’un
enfants à risque carieux élevé, pour des âges et des bilan personnalisé des apports journaliers en
dents à risque, et après le bilan des apports en fluor.
fluorures (eau, sel, comprimés ou gouttes fluorés,
brossage et dentifrice fluoré ingéré ?) 7. Pour éviter la fluorose dentaire :
- l’évaluation du risque carieux se base sur : les - contrôler l’administration des fluorures
habitudes de l’enfant (hygiènes bucco-dentaire et avant six ans,
alimentaire néfastes, dont l’endormissement au - réaliser un bilan fluoré et restreindre à une
sein ou avec un biberon sucré) ; présence ou anté- seule source de fluor systémique.
cédents de caries chez l’enfant, les parents ou dans
la fratrie ; les facteurs de risque environnementaux
(niveau socio- économique faible, maladie ou han-
dicap de l’enfant (avec des difficultés de brossage,
prise au long cours de médicaments généralement
sucrés), port d’appareils orthodontiques.

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Tableau V - Utilisation des produits fluorés chez l’enfant, d’après l’AFFSAPS [2]
6 mois – 3 ans 3 – 6 ans > 6 ans
6 – 8 mois 24 mois
Quel que soit le Topique : dentifrice Topique : dentifrice Topique : dentifrice Topique : dentifrice
risque carieux de - 250 à 500 ppm de - 250 à 500 ppm - 500 ppm de fluor - 1 000 à 1 500 ppm de
l’enfant fluor de fluor (si enfant sait cracher : fluor
(nul, faible, élevé) - compresse ou brosse - brosse, quantité = 1 000 ppm) - brosse, quantité = adulte
à dents petit pois - brosse, quantité = - brossage par l’enfant
- brossage par adulte - brossage par petit pois - 3 fois/jour
entraîné adulte entraîné - brossage assisté par
- au moins 1 fois/jour - au moins 1 fois/ adulte entraîné
(++ le soir) jour (++ le soir) - au moins 2 fois/jour

Évaluation du risque carieux et bilan des apports fluorés

Enfant à risque Systémique : Systémique : Systémique : Systémique :
carieux élevé - gouttes fluorées - comprimés fluorés - comprimés fluorés à - comprimés fluorés à
à sucer (+ effet sucer (+ effet topique), sucer (+ effet topique),
topique), - et/ou vernis fluorés - et/ou bains de bouches,
- et/ou vernis gels fluorés,
fluorés - et/ou vernis fluorés

Pour les enfants à risque,

Les recommandations sur l’utilisation des pro-
duits fluorés chez l’enfant sont résumées dans le
tableau V. Elles tiennent compte du risque carieux,
des âges à risque et des voies d’apport de fluor.
Pour la femme enceinte, une supplémentation
fluorée par voie systémique n’est pas nécessaire,
le principal étant de protéger les dents de la
future mère par des topiques fluorés, dentifrices,
chewing-gums au xylitol et d’enseigner les règles
d’hygiène bucco-dentaire.
Pour le nouveau-né/nourrisson (< six mois), une
supplémentation fluorée par voie systémique et
topique n’est pas recommandée.
Entre six et quatorze ans, il y aura également plu-
sieurs périodes clés avec des dents permanentes en
éruption, plus susceptibles à la carie car immatu-
res, d’autant si elles font leur éruption dans une
bouche déjà polycariée. Pour les enfants à risque,
il faudra donc utiliser d’autres moyens de fluo-
ration en plus du dentifrice. Un bain de bouche
sera suffisant, durant cette période, chez l’enfant à
faible risque de carie. Avec un risque plus impor-
tant, la pose de vernis fluorés par le praticien est
il faudra donc utiliser d’autres
moyens de fluoration en plus
du dentifrice
recommandée. Elle doit bien sûr s’accompagner
de la pose de scellement de sillons sur les molaires
permanentes et de la mise en place d’une hygiène
alimentaire et bucco-dentaire adaptée, voire de la
prescription de comprimés fluorés à sucer. Pour
que l’apport de fluor soit régulier dans la journée,
il est recommandé que ceux-ci soient espacés.
Deux comprimés de fluor par jour, dosés à 0,5 mg
seront préférables à un seul comprimé par jour
dosé à 1 mg.
Lors d’un traitement ODF, si le risque carieux est
avéré, il est possible d’utiliser un dentifrice plus
fortement dosé en fluor (1 500 ppm voire plus,
donc avec prescription par le praticien), et de
compléter par des comprimés à sucer pour l’effet
topique, voire un bain de bouche fluoré.

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Conclusion
Le rôle du chirurgien-dentiste est primordial et le
but de la prévention s’exerce à plusieurs niveaux :
détecter les facteurs de risque carieux, éviter
l’apparition des caries par des conseils d’hygiène
alimentaire et bucco-dentaire et des mesures pro-
phylactiques, détecter et traiter les lésions préco-
ces, instaurer un suivi régulier. Dans ce cadre, la
prescription raisonnée de fluor est importante.
Quel que soit le niveau de risque carieux de l’en-
fant, le fluor et, en particulier le dentifrice fluoré,
reste la mesure la plus efficace de prévention tout
au long de la vie.
Auteurs
Alexia Marie-Cousin, Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier,
Adeline Huet, Assistante hospitalo-universitaire
Jean-Louis Sixou, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier
UFR d’Odontologie, Université de Rennes 1 et Pôle d’Odontologie et Chirurgie Buccale, CHU de Rennes
adresse de correspondance : UFR d’Odontologie 2, Avenue du Pr Léon Bernard 35043 Rennes Cedex
alexia.marie-cousin@univ-rennes1.fr - Adeline.huet@univ-rennes1.fr -jean-louis.sixou@univ-rennes1.fr
70
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L’INFORMATION DENTAIRE n° 9 - 3 mars 2010