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La sagesse du Caméléon

Si j’ai un conseil à vous donner, je vous dirai : « Ouvrez votre coeur et


surtout, allez à l’école du caméléon. C’est un très grand professeur ».
Si vous l’observez vous verrez ce qu’est le caméléon.
D’abord, quand il prend une direction, le caméléon ne détourne jamais sa
tête ; ayez donc un objectif précis dans votre vie, et que rien ne vous détourne de
cet objectif.
Et que fait le caméléon ? Il ne tourne pas la tête c’est son oeil qu’il tourne.
Du jour où vous verrez un caméléon, regardez et vous verrez, c’est l’oeil qu’il
tourne : il regarde en haut, il regarde en bas... Cela veut dire : « Informez-vous, ne
croyez pas que vous êtes le seul existant de la terre : il y a également toute
l’ambiance autour de vous ».
Et le caméléon, quand il arrive dans un endroit, prend la couleur du lieu.
Ce n’est pas de l’hypocrisie, c’est d’abord la tolérance, et puis le savoir-vivre. Se
heurter les uns aux autres n’arrange rien, jamais on n’a construit dans la bagarre.
La bagarre détruit, la mutuelle compréhension est donc un grand devoir il faudrait
toujours chercher à comprendre notre prochain. Et si nous existons, il faut
admettre que lui aussi existe.
Et que fait le caméléon ? Quand il lève le pied, il balance. Il faut savoir
que le deux pieds posés ne s’enfoncent pas ; c’est ensuite qu’il va déposer les
deux autres. Puis il lève et balance encore : cela s’appelle de la prudence dans la
marche.
Et sa queue est préhensile, il l’accroche. Il ne se déplace pas comme ça, il
l’accroche pour que si jamais le devant s’enfonce, il puisse demeurer suspendu.
Cela s’appelle assurer ses arrières : ne soyez pas imprudent.
Et que fait le caméléon quand il voit une proie ? Il ne se précipite pas mais
il envoie sa langue ; c’est sa langue qui va chercher la proie. Car ce n’est pas la
petitesse d’une proie qui vous dit que celle-ci ne peut pas vous faire mourir alors
donc il envoie sa langue si celle-ci peut lui ramener la proie, il la ramène,
tranquillement... sinon, il a toujours la ressource de reprendre sa langue et d’éviter
le mal.
Allez donc doucement dans tout ce que vous faites ; si vous voulez faire
une oeuvre durable, soyez patient, soyez bon, soyez vivable, soyez humain.
Et voilà, ce que le caméléon — ne ce serait que lui — voilà ce qu’il vous
enseigne.
Si vous traversiez la brousse africaine et que vous demandiez à l’initié,
voilà, il vous dira le « paragraphe » du caméléon.

Les trois vérités


« Tierno, est-ce que je peux discuter de questions religieuses avec des gens
qui ne sont pas musulmans ?
- Oui, me répondit-il, si tu peux les respecter. Il faut toujours respecter les
croyances des autres… Si tu commences par repousser quelqu’un, il te repoussera,
c’est une réaction naturelle. Cela se voit dans les mains de l’homme : si tu mimes
l’action de frapper, l’autre automatiquement, lèvera sa main contre toi.
Il ne nous incitait pas seulement à la tolérance, mais à une écoute réelle,
attentive de l’autre.
« Si tu n’es pas compris, au lieu de t’exciter et de trouver que ton
interlocuteur est un imbécile, ou qu’il a la compréhension dure, il faut, toi,
l’écouter et essayer de le comprendre. Quand tu le comprendras, tu sauras
pourquoi il ne t’a pas compris : tu pourras alors ajuster tes propos de manière à
être compris de lui. Peut-être as-tu parlé d’une manière trop élevée, ou
incompréhensible pour son entendement ou sa vision des choses. C’est pourquoi il
faut savoir écouter. Il faut cesser d’être ce que tu es et oublier ce que tu sais. Si tu
restes tout plein de toi-même et imbu de ton savoir, ton prochain ne trouvera
aucune ouverture pour entrer en toi. Il restera lui, et tu resteras toi…
Il y a trois vérités ma vérité, ta vérité et la vérité. La vérité n’appartient à
personne, elle est au centre et elle n’appartient qu’à Dieu. Elle représente la
lumière totale, et c’est pourquoi elle est symbolisée par la pleine lune. Avez-vous
remarqué que, pendant les trois jours de la pleine lune (les treizième, quatorzième
et quinzième jours de chaque mois lunaire) il n’y a pas d’obscurité sur la terre ?
Le soleil ne se couche pas avant de voir apparaître le disque lunaire à l’opposé du
ciel, et la lune ne disparaît pas avant d’avoir vu le soleil se lever. C’est un
spectacle de toute beauté.
…Ma vérité, comme ta vérité, ne sont que des fractions de la Vérité. Ce
sont des croissants de lune situés de part et d’autre du cercle parfait de la pleine
lune. La plupart du temps, quand nous discutons, et que nous n’écoutons que
nous-mêmes, nos croissants de lune se tournent le dos ; et plus nous discutons,
plus ils s’éloignent de la pleine lune, autrement dit le la vérité. Il nous faut d’abord
nous retourner l’un vers l’autre, prendre conscience que l’autre existe, et
commencer à l’écouter. Alors nos croissants de lune vont se faire face, se
rapprocher peu à peu et peut-être, finalement, se rencontrer dans le grand cercle de
la Vérité. C’est là, et là seulement, que peut s’opérer la conjonction…
… Il n-y a qu’un seul Dieu, de même il ne peut y avoir qu’une seule voie
pour mener à lui, une religion dont les diverses manifestations dans le temps sont
comparables aux branches déployées d’un arbre unique. Cette religion ne peut
s’appeler que Vérité. Ses dogmes ne peuvent être que trois : Amour, Charité,
Fraternité.
A propos des Traditions Orales Tierno disait : « Elles constituent l’héritage
spirituel de ceux qui nous ont précédés et qui n’ont pas encore rompu avec Dieu ».
A propos des contes il disait : « Chaque conte, chaque devinette, est
comme une galerie dont l’ensemble forme une mine de renseignements que les
anciens nous ont légués par région, race, famille, et souvent d’individu à
individu ».
« Tierno, dans la poursuite de mes recherches, si un jour je suis invité par
un milieu initiatique traditionnel, puis-je accepter de le visiter ? Puis-je, par
exemple aller voir le Komo des Bambaras pour mieux le connaître ?
« Avant de te répondre par oui ou par non, je voudrais être certain que tu
réunis plusieurs conditions. Avant tout démarche de ce genre, il faut en effet que
tu sois sûr d’une chose : c’est Dieu qui est, et qu’il est unique. Mais il est libre de
se manifester comme Il le veut, sinon nous l’enfermerions dans une loi. Or Dieu
est au dessus de toute loi ; c’est nous qui sommes soumis à une loi. Tu peux donc
aller visiter les autres initiations à condition d’être solidement enraciné dans ta
propre foi et ta propre identité (ton « toi-même »), et que rien ne puisse te troubler
ni te perturber. Dans le cas contraire, ce serait dangereux. Ce n’est pas à conseiller
à ceux qui manquent de maturité spirituelle.
L’autre condition est que tu devras être capable de respecter les croyances
et les initiations de tous ceux que tu visiteras, et de ne point les offenser. Critiquer,
offenser, insulter, ne sert à rien. Personne n-y gagne quoi que ce soit.
Enfin, garde-toi toujours d’émettre un jugement, ou une opinion, sur une
chose que tu n’auras pas connue par toi-même, en te fiant à de simples « on dit ».

L’amplitude de la miséricorde de Dieu


Amadou, tu sais que dans cette vie d’ici-bas que tu en prennes un petit peu,
tu lâcheras ! Que tu en prennes plein les mains, tu lâcheras ! Cette vie s’appelle
« lâcher ». Alors il ne faudrait pas attendre le jour où la vieillesse arrive, quand le
pied ne peut plus se lever, que l’œil ne voit plus clair et que la bouche n’a plus de
dents, pour revenir à Dieu. Dieu Lui aussi aime les belles fleurs. Si l’on attend
d’avoir dépassé l’âge mûr pour revenir à Lui, ce n’est pas un homme qui revient,
mais un impuissant. Bien souvent, d’ailleurs, on ne le fait que par crainte de la
mort et de l’enfer ; mais il ne faut pas adorer Dieu par peur de l’enfer ou désir du
paradis, il faut l’adorer pour lui-même…
… Sache que tu viens d’inhumer l’enfant que tu étais et d’exhumer
l’homme que tu vas devenir ? Désormais tu es responsable de tes actes et des tes
paroles. Surveille-toi comme un avare veille sur sa fortune. Ton cœur, ta langue et
ton sexe, sont les trois organes à surveiller.
Le meilleur de cœurs est celui qui conserve le mieux en lui-même la
reconnaissance. Mais celui qui rapproche le plus l’âme des vertus essentielles que
sont m’amour et la charité, c’est le cœur sir lequel l’égoïsme, le mensonge,
l’envie, l’orgueil et l’intolérance n’ont pas de prise.
…Pour maintenir ardent en nous le feu de la foi il faut accomplir chaque
jour tes prières… elles sont comme autant d’entraves pour juguler la fougue de la
langue, et l’empêcher de nous jeter dans le péché par la parole.
Quant à ton organe sexuel n’en fais pas un instrument de jouissance
dépravée. Garde-toi des relations hors mariage, et méfie-toi des femmes de mœurs
faciles qui se vendent par cupidité ou se donnent à tout venant…
Sache que Dieu est miséricordieux et que l’amplitude de Sa miséricorde
est plus vaste que celle de nos péchés. Quand on se convertit à Lui ou que l’on
revient sincèrement vers Lui, Il pardonne tous les péchés antérieurs. Inutile, donc,
de ressasser tes fautes passées. Veille seulement à ne plus les commettre.

Le poussin d’hirondelle
Un jour de l’année 1933 j’écoutais, avec un groupe de grands élèves, la
leçon qui nous donnait Tierno. Ce jour-là la leçon portait sur les différentes
interprétations exotériques de l’hexagramme. Nous buvions ses paroles.
A l’extérieur le vent soufflait très fort. Sous le choc d’une bourrasque plus
violente que les autres, un nid d’hirondelle, accroché sous l’avancée du toit,
s’ouvrit en deux. Un petit poussin d’hirondelle, déséquilibré, tomba sur le sol,
piaillant désespérément : tyou, tyou, tyou ! Fascinés par la leçon, aucun de nous
ne s’intéressa à l’oisillon. Le maître déposa le chapelet qu’il tenait à la main,
ferma lentement son livre et nous regarda longuement, sans rien dire. Puis il
regarda l’oisillon et ramena les yeux vers nous.
- Maître, qu’y a-t-il ? demanda un élève.
- Donnez-moi ce fils d’autrui, que vous abandonnez derrière vous là-bas.
Quelqu’un lui apporta le poussin d’hirondelle. Il l’examina attentivement,
vit qu’il n’était pas blessé et en rendit louange à Dieu. Il déposa alors l’oisillon,
puis alla dans sa chambre dont il revint avec une longue aiguille et du fil. Il
demanda à un élève de renverser un gros mortier sur le sol juste sous le nid, et
monta dessus. Je revois encore sa silhouette blanche dressée vers le rebord du toit.
Là, de ses longs doigts fins de brodeur, il raccommoda si délicatement et si
soigneusement le nid que celui-ci ne devint sans doute plus solide qu’il n’avait
jamais été. A sa demande quelqu’un lui tendit l’oisillon. Il le replaça doucement
dans son nid, puis il revint s’asseoir. Comme il ne rouvrait pas son livre,
quelqu’un lui demanda :
- Maître, nous continuons la leçon ?
- Non, c’est inutile, répondit Tierno. Il est nécessaire que je vous parle
encore de la charité, car je suis peiné de voir qu’aucun de vous n’a suffisamment
cette vraie bonté du cœur. Si vous aviez un cœur charitable, il vous eût impossible
d’écouter une leçon, portât-elle sur Dieu lui-même, quand un petit être misérable
vous appelait au secours. S’il s’était agi du fils de votre mère, vous vous seriez
précipités pour l’aider ! Mais celui-là ne parle pas ; il ne sait que crier, il ouvre
son bec pour crier au secours. Vous n’avez pas été émus par ce désespoir, votre
cœur n’a pas entendu cet appel !
Eh bien mes amis, sachez que même si vous apprenez toutes les sciences et
toutes les théologies de toutes les religions du monde, si vous n’avez pas de
charité dans le cœur, cela ne vous servira absolument à rien ! Celui qui est sans
charité, il pourra considérer ses connaissances comme un bagage sans valeur. Nul
ne jouira de la rencontre divine s’il n’a pas de charité dans le cœur. Sans elle, ses
cinq prières ne seraient que des gesticulations sans importance, son pèlerinage
sera une villégiature sans profit.

Hamadou Hampâté Bâ, Oui mon commandant ! Récit. J’ai Lu, Actes Sud
1994, 447-448.

Conseils de Kadidjia au fils Amadou Hampatéh Bah


• N’ouvre jamais ta malle en présence de qui que ce soit. La force d’un homme vient de
sa réserve. Il ne faut pas étaler ni sa misère ni sa fortune. Fortune exhibée appelle
jaloux, quémandeurs et voleurs.
• N’envie jamais rien ni personne. Accepte ton sort avec fermeté, sois patient dans
l’adversité et mesuré dans le bonheur. Ne te juge pas par rapport à ceux qui sont
au-dessus de toi, mais par rapport à ceux qui sont moins favorisés que toi.
• Ne sois pas avare. Fais l’aumône autant que tu le pourras, mais fais-la aux malheureux
plutôt qu’aux petits marabouts ambulants.
• Rends le plus de services que tu pourras et demandes-en le moins possible. Fais-le
sans orgueil et ne sois jamais ingrat ni envers Dieu ni envers les hommes.
• Sois fidèle dans les amitiés et fais tout pour ne pas blesser tes amis.
• Ne te bats jamais avec un homme plus jeune ou plus faible que toi.
• Si tu partages un plat avec des amis ou des inconnus, ne prends jamais un gros
morceau, ne remplis pas trop ta bouche d’aliments, et surtout ne regarde pas les gens
pendant que vous mangez, car rien n’est plus vilain que la mastication. Et ne sois
jamais le dernier à te lever ; s’attarder autour d’un plat est le propre des gourmands, et
la gourmandise est honteuse.
• Respecte les personnes âgées. Chaque fois que tu rencontreras un vieillard, aborde-le
avec respect et fais-lui un cadeau, si minime soit-il. Demande-lui des conseils et
questionne-le avec discrétion.
• Méfie-toi des flatteurs, des femmes de mauvaise vie, des jeux de hasard et de l’alcool.
• Respecte tes chefs, mais ne les mets pas à la place de Dieu.
• Fais régulièrement tes prières. Confie ton sort à Dieu chaque matin au lever, et
remercie-Le chaque soir avant de te coucher.

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