Vous êtes sur la page 1sur 274

Annales littéraires de l'Université

de Besançon

Pénélope. Légende et mythe


Marie-Madeleine Mactoux

Citer ce document / Cite this document :

Mactoux Marie-Madeleine. Pénélope. Légende et mythe. Besançon : Université de Franche-Comté, 1975. pp. 1-285. (Annales
littéraires de l'Université de Besançon, 175);

doi : 10.3406/ista.1975.1784

http://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1975_mon_175_1

Document généré le 04/10/2016


CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE ANCIENNE
Volume 16

Ρ Ε Ν Ε L OPE

LÉGENDE et MYTHE

par Marie-Madeleine MACTOUX

Maître-assistant à l'Université de Besançon

ANNALES LITTÉRAIRES DE L'UNIVERSITÉ DE BESANCON, 175


LES BELLES LETTRES 95, BOULEVARD RASPAIL - PARIS Vie

1975
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à M. le
Doyen Lévêque sans qui ce travail n'aurait pu
voir le jour. Il doit beaucoup à sa profonde
connaissance de la religion grecque, à ses remarques
toujours enrichissantes, et à son activité
stimulante. Je remercie également M. le Doyen Lerat
qui m'a utilement conseillée, avec beaucoup de
bienveillance, dans un domaine où j'étais novice.
Je suis particulièrement reconnaissante à
M.E. Bernand et à Me Ile F. Dunand, Professeurs
à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
de Besançon, dont les judicieuses observations
ont permis l'amélioration de mon manuscrit.
Le Signe - Cergy Village - Val d'Oise - Dépôt légal : 4è trimestre 1975.
INTRODUCTION

Depuis longtemps notre curiosité avait été éveillée par deux passages de
Pausanias (1) qui, à propos de Sparte, raconte le mariage de Pénélope et
d'Ulysse en des termes inconnus de YOdyssée, et selon un schéma qui évoque
un modèle mythique largement répandu dans la mythologie grecque. Ces
textes paraissant isolés, nous avons éprouvé le besoin de les confronter avec
le développement littéraire et artistique de la légende dans l'antiquité gréco-
romaine.
Très vite un double paradoxe est apparu. D'une part, la légende n'a fait
l'objet d'aucune étude systématique (2). D'autre part, quand on l'envisage,
c'est dans des ouvrages sur YOdyssée ou l'Ulysse homérique (3) comme si
Homère avait épuisé la substance d'une légende qui paraît très simple si on la
schématise. Non seulement une relecture d'Homère s'imposait, mais encore
une étude aussi précise que possible de la Pénélope post-homérique dans les
textes littéraires et les documents figurés.
Ces derniers sont peu nombreux comparés à ceux que les aventures
d'Ulysse ont fait naître. Mais si l'histoire de Pénélope n'a pas été à toutes les
époques un thème de prédilection, les artistes grecs et romains s'en sont
suffisamment inspirés pour que leurs œuvres soient significatives. Dans cette
perpective la rareté des représentations à certaines époques prend valeur de
signe. Ce travail paraissait d'autant plus nécessaire que l'intérêt pour Pénélope
dans l'art n'a pas été plus grand que celui pour Pénélope dans la littérature
post -homérique. Les recueils systématiques des illustrations de YOdyssée
étaient fort anciens, et les publications d' œuvres choisies attribuent toujours à
Ulysse la meilleure place (4).
Rien, ou presque rien, n'a permis d'éclairer directement le texte de
Pausanias. Cependant grande a été notre surprise de nous apercevoir que,
probablement sous l'influence d'une littérature postérieure, on avait fini par
donner à l'héroïne, chez Homère, un visage qui n'était pas le sien. Sans les élégia-
ques latins le personnage de YOdyssée ne serait pas devenu cette femme fidèle
à la conduite proverbiale.
Restaient ces écrits tardifs (5) dont les auteurs se sont montrés
accueillants à l'égard de croyances et de rites dont l'ancienneté ne peut être mise en
doute. Le fait qu'ils n'ont pas eu d'écho dans la littérature et l'art nous a paru
être la preuve qu'ils devaient être considérés comme des vestiges d'une époque
où Pénélope n'était pas encore la reine d'Ithaque. L'ambiguïté de la légende
chez Homère rendait plausible cette hypothèse que nous examinerons dans
une deuxième partie.
Notes de l'introduction
(1) Description de la Grèce, III -1, 2, 4 et 20, 10-11 : «Quand vous quittez l'agora
par la route appelée aphetaïda, vous allez vers le Booneta. Mais je dois expliquer
pourquoi cette route porte ce nom. Icare, dit-on, proposa une course à pied aux
prétendants de Pénélope ; qu'Ulysse gagna est évident mais on raconte que les
concurrents coururent le long de la route appelée aphetaïda. A mon avis, Icare, en
organisant cette course, a imité Danaos ... De l'autre côté du bureau de ceux qui
achètent les bœufs est le sanctuaire d'Athéna. Ulysse, dit-on, a dressé la statue et
l'a nommée Keleutheia quand il eut battu les prétendants de Pénélope à la course.
D'Athéna Keleutheia il a érigé des sanctuaires au nombre de trois, à quelque
distance l'un de l'autre». «La Statue d'Aidôs se voit à environ trente stades de la
ville, dédiée, dit-on, par Icare pour les raisons suivantes. Lorsqu'Icare donna
Pénélope en mariage a Ulysse, il essaya de le décider à s'établir a Lacédémone,
mais n'ayant pas réussi il eut recours à sa fille elle-même la suppliant de rester
avec lui. Quand elle partit pour Ithaque il poursuivit son char en continuant de la
solliciter. Ulysse, qui avait patienté jusque là, finit par lui dire de l'accompagner
de bon cœur ou, si elle préférait son père, de retourner avec lui à Lacédémone. On
dit qu'elle ne répondit rien mais qu'elle se couvrit le visage. Icare, comprenant
qu'elle voulait suivre Ulysse, la laissa partir et érigea une statue à Aidas à l'endroit
de la route où Pénélope s'était voilée».
(2) Nous n'avons trouvé mention que d'un seul ouvrage, travail universitaire que nous
n'avons pu consulter : M. Th. Suttor, La légende de Pénélope, thèse de licence de
l'Université de Liège, 1942-1943.
(3) Ainsi W. Stanford, The Ulysses thème, Oxford, 1963, chap. IV, Personal relation-
ships, passim.
(4) Le dernier en date et le plus complet était celui de F. Muller, Die antiken Odyssée
- Illustrationen in ihrer kunsthistorischen Entwicklung, Berlin, 1913, jusqu'à la
parution récente d'une thèse d'O. Touchefeu-Meynier, Thèmes odysséens dans
l'art antique, Paris, 1968. Cet ouvrage a permis une ultime confrontation avec le
résultat de nos recherches mais, classant les œuvres par thèmes centrés sur Ulysse,
il s'attache peu à la légende de Pénélope dans son développement historique.
(5) Les plus importants sont les textes déjà cités de Pausanias dans sa Description de
la Grèce, mine inépuisable de documents pour les historiens des religions, et ceux
du pseudo-Apollodore dans sa Bibliothèque, (III, 10, 6, 9) qui se présente comme
un riche recueil de mythes.
LA LEGENDE
CHAPITRE PREMIER

L'AMBIGUÏTÉ DE LA LÉGENDE HOMÉRIQUE


PREMIERE PARTIE

UNE FIDÉLITÉ ÉQUIVOQUE

La fidélité est présentée par la plupart des commentateurs modernes


d'Homère comme le trait distinctif de la personnalité de Pénélope (1).
Ainsi F. Robert, brossant à grands traits le caractère des deux époux,
parle, à propos de la reine, d'une fidélité qui s'apparente aussi à la ténacité
et à l'endurance et y voit une qualité imposée à Homère par une longue
tradition (2). Quant à R. Carpenter, s'il peut déceler damV Odyssée le souci du
poète de créer des couples antithétiques d'hommes et de femmes fidèles et
infidèles, c'est d'abord parce que cette vertu lui a paru essentielle.
Comme Eumée, le porcher fidèle, s'oppose à Mélanthios, le berger
infidèle, Pénélope, l'épouse fidèle est une version antithétique de Clytemnestre,
l'épouse infidèle, et le personnage de Pénélope est, à ses yeux, simplement le
produit de la fiction poétique (3). Ils sont les héritiers d'une longue
tradition universitaire qui traite la Pénélope homérique comme «un modèle de
fidélité conjugale» (4), «le type accompli de l'amour dans la mariage» (5),
tradition qui trouve son aboutissement dans la pensée des moralistes (6).
Si l'on prend Γ Odyssée sous la forme où nous la connaissons, il est
incontestable que cette qualité semble fondamentale. Lors de sa première
apparition (7) Pénélope est l'épouse inconsolable qui ne peut oublier le héros
disparu et ne supporte même pas que l'aède Phémios évoque les douloureux
souvenirs de l'aventure troyenne. Et à la fin du livre XXIV Agamemnon tire
une leçon qui semble évidente :«Quelle honnêteté parfaite dans l'esprit de la
fille d'Icare, en cette Pénélope qui n'oublia jamais l'époux de sa jeunesse !
son renom de vertu ne périra jamais et les dieux immortels dicteront à la terre
de beaux chants pour vanter la sage Pénélope» (8). Cette fidélité est d'autant
plus sublime qu'on se rappelle alors les infidélités d'Ulysse qui s'est laissé
facilement séduire par Circé ou Calypso au point de connaître la tentation
d'abandonner l'idée de revoir les siens.
Elle apparaît ainsi comme un des ressorts dramatiques du poème. Sans
la souffrance de l'épouse d'Ulysse qui a attendu pendant vingt ans le retour
d'un mari, seul parmi tous les Achéens à ne pas avoir rejoint son foyer, ni la
quête désespérée de leur fils Télémaque, ni le récit d'Ulysse chez Alkinoos, ni
la lente reconnaissance des époux ne suffiraient à émouvoir.
Seule dans un monde hostile, celui des prétendants qui l'assaillent,
Pénélope n'a aucun soutien. Son père et ses frères habitent au loin (9) ; la
mère d'Ulysse est morte de chagrin (10) ; le père d'Ulysse vit aux champs
sans jamais quitter sa retraite (1 1) ; Télémaque, jusqu'au moment où s'ouvre
le poème, est encore bien jeune pour apporter à Pénélope une aide efficace.
Quand il le fera ce sera sans son accord et il accroîtra le désespoir maternel.
Une fidélité doublée d'une solitude totale, dans une Ithaque entre deux mers
qui apparaît très isolée dans le monde achéen^ devient une vertu héroïque.
On est bien tenté d'y voir l'équivalent féminin du courage d'Achille qui
M. -M. MACTOUX

sacrifie sa vie à la conquête de la gloire. De même qu'Achille sait qu'il


acquerra grand renom parmi les hommes en combattant sous les murs de
Troie (12), de même Pénélope sera louée par les générations à venir d'avoir
courageusement attendu à Ithaque le retour de l'époux.
Cette analyse est bien celle à laquelle se réfèrent, explicitement ou
implicitement, tous les homérisants qui, depuis l'Antiquité, se sont penchés sur
la conduite de la femme d'Ulysse. Soit ils louent explicitement sa volonté
d'attendre le retour d'un mari absent ;soit ils essaient de justifier ce qui, dans
son comportement, peut paraître inconvenant, si l'on s'en tient à l'image
d'une fidélité sans compromission, considérée comme l'essence même du
poème. Car tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il y a dans Y Odyssée
des décisions curieuses pour une femme qui n'aurait jamais songé à prêter
attention à ceux qui la courtisaient et qui n'aurait jamais été effleurée par
l'idée d'un remariage. Pour justifier ces scènes on a eu recours à plusieurs
modes d'explication.
Le premier relève d'une méthode psychologique conforme à la
démarche de la critique la plus traditionnelle (13). On cherche dans le texte les
raisons qui ont pu motiver telle ou telle attitude jugée peu conforme à la nature
d'une femme fidèle. Ainsi Pénélope apparaît quatre fois (14) devant les
prétendants échauffés par le vin en train de festoyer dans la grande salle. Il est
vrai que dans YOdyssée les femmes jouissent d'estime et de considération
et, apparemment, Pénélope ne se conduit pas autrement qu'Hélène (15) ou
Arété (16) qui, le soir, rejoignent les hommes en train de boire après le
repas et s'assoient parmi eux dans le mégaron. Mais les conditions sont très
différentes et le poète entoure ces apparitions d'un cérémonial qui montre bien
que la présence de la reine d'Ithaque dans la salle commune n'est pas aussi
naturelle que celle des femmes de Ménélas ou d'Alkinoos. Les deux
chambrières dont elle se fait toujours accompagner sont là pour atténuer sa honte
(aidôs) d'aller seule parmi les hommes (17) ; sa démarche lui paraît
susceptible d'encourir le blâme et, en arrivant devant les prétendants, elle ramène
sur ses joues, dans un geste ostensiblement pudique, ses voiles éclatants.
Les trois dernières apparitions trouvent facilement leur justification
dans le contexte. En XVI, 409 sq., Pénélope a appris du héraut Médon que la
vie de son fils était menacée, et c'est pour le défendre qu'elle sort de sa
retraite ; en XVIII, 158 sq., c'est Athéna qui fait naître dans son esprit le désir
d'apparaître à leurs yeux «pour attiser leurs cœurs et redoubler l'estime
que lui vouaient déjà son mari et son fils». (18). Lorsqu'au cours de cette
scène, elle réclame aux prétendants des cadeaux comme c'est l'usage «pour
plaire à fille noble et de riche maison» (19) elle a, dit le texte, des «desseins
cachés>(20). On peut comprendre qu'elle veut gagner du temps, se rendre plus
persuasive, comme lorsqu'en XXI, 63 sq., elle se présente devant les
prétendants pour leur proposer l'épreuve de l'arc. Cet arc a une histoire que
Pénélope connaît et dont Antinoos se fait l'écho. «Non ! ce n'est pas ici
parmi tous ces convives qu'Ulysse a son rival» (21). Ce concours peut
apparaître comme une manœuvre dilatoire de la part d'une femme qui sait que
seul Ulysse pouvait le tendre.
Reste la première apparition (22) qui est apparemment plus gratuite,
bien que le texte puisse fournir une explication à ce geste. N'est-il pas la
marque de l'exaspération de la reine, exaspération née d'une souffrance
trop vive qui l'empêche de supporter toute évocation de ce qui est la cause
de ses malheurs ? C'est bien de cette façon que les scholies(23) à ce passage
LA LEGENDE

procédaient pour essayer de laver Pénélope de la condamnation dont elle


était déjà l'objet dans l'Antiquité (24). Un certain nombre d'érudits modernes
n'agissent pas autrement (25).
Lorsque, malgré tout, les raisons psychologiques leur paraissent
insuffisantes, ils les complètent par un autre mode d'explication et condamnent le
passage au nom d'un calcul «d'économie», essayant de trouver dans la
structure même de V Odyssée ce qui a pu motiver l'insertion du passage
considéré comme une interpolation. Mais s'ils condamnent le fragment
incriminé, c'est d'abord parce qu'ils ont condamné la démarche de la reine.
Ainsi Wilamowitz, à propos de la première apparition de Pénélope,
considère comme une absurdité le fait que la reine se mêle aux prétendants
lascifs au lieu de se retirer dans une chambre où le chant ne pourrait
l'atteindre, et traite ce passage comme l'œuvre d'un interpolateur sans goût (26).
De son côté V. Bérard admet mal le calcul auquel se livrerait Pénélope lorsqu'
elle apparaît pour la troisième fois devant les prétendants, calcul nettement
indiqué dans Γ Odyssée même. Ulysse se réjouit de voir sa femme soutirer
des cadeaux aux prétendants : «il avait bien compris, le héros d'endurance,
qu'elle flattait leurs cœurs par de douces paroles, pour avoir leurs cadeaux
et cacher ses desseins» (27). V. Bérard ajoute alors : «Le mari vaut la femme :
est-ce bien le couple princier que nous décrit le poème authentique ? Et ne
pouvons-nous pas, ici encore, découvrir, tout au fond de cet épisode une
raison décisive de l'écarter ?» (28).
En dehors de ce type d'explication psychologique plus ou moins
amendée, on a fait appel à une méthode historique. Elle s'appuie sur le fait
incontestable que Γ Odyssée, même dans ses parties les plus anciennes, porte les
traces de légendes variées se rapportant à un même personnage. Les
exemples de conduite équivoque peuvent ainsi s'expliquer par la présence, au sein
du récit, de variantes mal amalgamées (29).
D. Page se sert de cette méthode pour justifier la décision de Pénélope,
au livre XIX (30), d'organiser l'épreuve de l'arc qui doit mettre fin à son
veuvage (31 ). On a toujours souligné l'absurdité psychologique de cette tentative
faite au moment où convergent toute une série de signes nouveaux et
réconfortants. Télémaque de retour de Sparte a rapporté à sa mère ce que lui avait
appris Ménélas. Ulysse est vivant mais, retenu par Calypso, il ne peut rentrer
au pays de ses pères (32). Théoclymène est encore plus encourageant et
annonce à la reine qu'Ulysse est déjà revenu (33). Eumée lui parle du
mendiant comme d'un homme exceptionnel et lui résume ses propos annonçant le
retour imminent du maître (34). Ulysse déguisé lui-même, en présence de la
reine, confirme ce récit, et Pénélope, de son côté, a fait un rêve significatif qui
contient son interprétation (35). L'aigle qui a brisé le cou aux oies est Ulysse
qui va donner aux prétendants une mort misérable (36). Le mendiant auquel
elle s'adresse approuve cette explication. D. Page qui reprend l'analyse de ce
passage voit dans cette faute de construction une seule raison plausible : le
poète connaît une version dans laquelle Pénélope a déjà reconnu Ulysse et
organisé avec lui le massacre des prétendants (37). Mais cela suppose une
croyance implicite au fait que Pénélope n'a jamais désiré se remarier.
Or, cette idée de remariage est présente à de multiples reprises dans
VOdyssée. Antinoos, Athéna-Mentès, Télémaque l'évoquent dès le début du
poème, non pas comme une possibilité qui mettrait fin à une situation
désastreuse, mais comme un désir réel de Pénélope dont elle différerait seulement
la réalisation. Etce délai qu'elle impose n'est pas expliqué par les protagonistes
10 M.-M.MACTOUX

en ternies de fidélité, mais en termes de déraison.


Lorsque, au chant II, Télémaque, devant l'assemblée d'Ithaque qu'il a
convoquée, accuse publiquement les prétendants de dilapider ses biens d'une
manière éhontée, on comprend la réaction d'Antinoos. En traitant Pénélope
de fourbe (38), il cherche à se défendre et à défendre ses compagnons en
rejetant la faute sur la reine. Mais le linceul de Laërte qu'elle détisse en secret la
nuit n'est pas le seul en cause. «Voilà déjà trois ans, en voici bientôt quatre,
qu'elle va se jouant du cœur des Achéens, donnant à tous l'espoir, envoyant
à chacun promesses et messages (39) et elle traîne ainsi les fils des Achéens.
se fiant «aux dons qu'Athéna lui prodigue» (40). Manœuvre subtile d'une
femme qui n'a pas d'autres armes pour se défendre ? C'est ce qu'on pourrait
croire, mais sa conduite dépasse à ce point les limites de ce qui est
convenable. qu'Antinoos est obligé, pour expliquer cette attitude, de faire appel aux
dieux qui auraient mis ces pensées dans son cœur (41). C'est là un moyen
habituel chez Homère, et en particulier dansl' Odyssée, pour traduire les
sentiments d'une conduite anormale, sentiment qui peut être perçu par le sujet
lui-même ou par autrui (42). Antinoos n'aurait pu s'exprimer ainsi si Pénélope
avait paru à tous une femme résolument opposée à toute idée de remariage.
Il ne met d'ailleurs pas en doute l'existence de cette possibilité, puisqu'il dit
à Télémaque : «Renvoie d'ici ta mère et dis lui d'épouser qui lui plaira et que
voudra son père» (43). Donner ce conseil à Télémaque, en présence de
l'assemblée et en quêtant même son accord (44). c'est admettre que ce conseil
ne paraîtra pas insensé et répond à une intention que Pénélope a réellement
manifestée.
D'ailleurs ce remariage a été envisagé par Athéna-Mentès au chant 1 (45)
Après avoir encouragé raisonnablement Télémaque à chercher comment
renvoyer les prétendants, elle ajoute : «Ta mère, si son cœur la pousse au mariage
s'en ira chez son père»(46). Les paroles de la déesse ont paru à ce point
surprenantes depuis A. Kirchhoff (47) dans son commentaire de \" Odyssée,
qu'on a vu là une des raisons de penser que ce passage avait subi un
remaniement ultérieur (48). La conclusion commune est que le discours d'Athéna est
précisément calqué sur celui d'Antinoos qui aurait servi de modèle. Qu'il y ait
des incohérences dans les conseils de la déesse est incontestable. La plus
flagrante est en 293 sq., lorsqu'Athéna dit à Télémaque de donner sa mère à un
époux et ensuite de tuer les prétendants dans sa maison. Le mariage avec l'un
d'entre eux devrait évidemment aboutir à un départ de tous les autres. Mais la
condamnation à l'égard des vers 275-276 n'est pas de ce type. Si Pénélope est
totalement fidèle, c'est un fait que ne peuvent ignorer ni Athéna, ni
l'auditoire, et l'éventualité d'un remariage serait absurde.
Seul un prétendant peut tenir de semblables propos affirme D. Page
(49). Mais supposer que le modèle du passage d'Athéna est le discours
d'Antinoos au chant II c'est reconnaître qu'une telle possibilité existe dans
^Odyssée. D'ailleurs G. S. Kirk (50), à la différence de D. Page, émet
l'hypothèse que les paroles d'Athéna ont pu être remaniées pour une raison qui
aurait un rapport avec le comportement de Pénélope à l'égard des
prétendants.
Tout se passe donc comme s'il y avait dans V Odyssée les traces d'une
version dans laquelle Pénélope aurait accepté d'être courtisée et aurait
répondu sincèrement aux avances, savourant cette situation à la façon d'une femme
coquette flattée par la rivalité dont elle est l'objet (5 1 ). Télémaque lui-même
ne présente pas sa mère autrement. Elle n'est pas, pour le fils, l'épouse incon-
LA LÉGENDE 1 1

solable à l'égard de laquelle il n'aurait qu'admiration et respect. Lorsqu'Athéna


lui demande de qui il est le fils, Télémaque met en doute sa naissance : «Que je
sois bien son fils (d'Ulysse)... ma mère me le dit mais je n'en sais pas plus» (52).
Il s'agit peut-être d'une formule conventionnelle qu'on retrouve effectivement
en IV, 387 (53) lorsqu'Idothée parle de sort père Protée, mais elle s'applique
mieux au Vieux de la mer qui prend toutes les formes et sait se dérober aux
regards, qu'à une mère de la part d'un fils aimant. Ce n'est pas l'habitude des
personnages d'Homère de mettre en doute leur lignage.

Quand il s'agit d'expliquer la situation à Ithaque, Télémaque rend, d'une


certaine manière, sa mère responsable en disant à Athéna : «Tous les chefs ...
tous courtisent ma mère et mangent ma maison. Elle, sans repousser un hymen
qu'elle abhorre, n'ose pas en finir» (54). Le fils rejoint les prétendants pour
s'accorder à penser que, par son attitude ambiguë, Pénélope accroît le mal et la
confusion ; il faut peut-être voir là l'explication de l'irritation contenue de
Télémaque dont on a souvent noté le manque de mesure (55). L'exemple le
plus frappant se trouve au chant I lorsque Télémaque reproche vertement à sa
mère de ne pas supporter les chants de Phémios : «Prends donc sur tes pensées
et ton cœur de l'entendre» (56), et sa violence est encore plus manifeste si l'on
ne supprime pas les vers 356-359 comme le font certains Modernes (57) à la
suite des scholies qui les condamnaient sans donner de raisons, sans doute
parce qu'ils paraissaient inconvenants : «Va ! rentre à la maison et reprends tes
travaux, ta toile et ta quenouille, ordonne à tes servantes de se remettre à
l'œuvre ; le discours, c'est à nous, les hommes qu'il revient, mais à moi tout
d'abord, qui suis maître céans». La scène rend tous les lecteurs d'Homère mal
à l'aise et la réaction de Télémaque a été sentie à ce point inopportune qu'on a
pu l'analyser comme intention délibérée du poète pour créer une petite rupture
entre la mère et le fils, servant à justifier le fait que, pendant quatre jours,
Pénélope ne se préoccupe pas de Télémaque parti pour Pylos et Sparte (58).
Toutes les explications psychologiques sont possibles, mais il est certain que
Télémaque ne voit dans la conduite de sa mère rien d'admirable. Lorsqu'il
parlera à Nestor de la vie à Ithaque, il n'aura pas un mot pour elle et ne fera
qu'évoquer «ces prétendants sans frein qui conspirent à sa perte» (59), s'unis-
sant dans le malheur à son père et non à sa mère. A Ménélas il dépeindra la
situation un peu plus longuement mais en termes presque identiques (60). S'il ne
met pas directement Pénélope en cause mais Vhybris de ceux qui la courtisent,
il ne fait jamais aucune allusion à elle, à sa souffrance et à ses tourments.
Les propos d'Athéna venue décider Télémaque qui s'éternise à Sparte de
reprendre la route sont conformes à ceux qu'elle tenait au chant 1(61), et aux
sentiments exprimés par Télémaque. Rentre au plus vite si tu veux retrouver au
foyer ta mère qui est sur le point de céder à son père et à ses frères qui la
poussent d'épouser Eurymaque, lui dit la déesse (62). Décision curieuse pour une
femme qui aurait toujours affirmé hautement sa volonté de rester fidèle.
Quatre jours sans son fils suffiraient à la faire changer d'avis. D'ailleurs Télémaque
précisera sa pensée quand il parlera de sa mère à l'hôte inconnu qu'a accueilli
Eumée et qui n'est autre qu'Ulysse : «Ma mère ? ... deux désirs se partagent
son cœur : rester auprès de moi, veiller sur ma maison, en gardant le respect des
droits de son époux et l'estime du peuple, ou suivre pour finir FAchéen de son
choix» (63). Ses rêves prémonitoires (64) qui annoncent d'une manière
transparente le retour d'Ulysse et le massacre des prétendants trahissent ses désirs
ambivalents (65). Quand elle se réveille, elle ne montre aucune joie mais mani-
12 M.-MMACTOUX

feste plutôt un sentiment de délivrance en constatant que ses oies sont bien
en vie (66).
C'est dans cette perspective qu'il faut se placer pour comprendre ces
apparitions répétées devant les prétendants, aussi bien que cette décision
d'instaurer l'épreuve de l'arc (67). Pénélope a réellement eu l'intention de se
remarier. Si dans V Odyssée que nous lisons, son désir a été quelque peu
oblitéré, il est encore suffisamment net pour qu'on en tienne compte. Cette
épreuve organisée par Pénélope est un exemple bien connu des concours par
lesquels on gagne à la fois la main de la princesse et la royauté (68). Or, si on
trouve dans VOdyssée des traces de l'autre système successoral qui fait du fils
l'héritier du père (69), ailleurs cette succession est présentée comme le
résultat d'un mariage avec la veuve du prédécesseur et, comme de nombreuses
légendes le rapportent, après avoir fait preuve de sa valeur physique (70). La
participation de Télémaque qui, le premier, s'élance pour bander l'arc, prouve
que le concours doit être envisagé sérieusement. En réussissant Télémaque
deviendrait qualifié pour prétendre, en gardant sa mère à ses côtés, succéder à
son père.
Lorsque D. Page explique cette scène en invoquant un récit dans lequel
Ulysse et Pénélope sont de connivence (7 1 ), il reste marqué par cette idée que
Pénélope devait être dès l'origine une femme fidèle. Au contraire il semble
que non seulement sa conduite, mais tous les jugements portés sur sa conduite
vont en sens inverse, et, en particulier, la dureté avec laquelle elle est traitée
dans la dernière partie du poème par Télémaque, Ulysse et Euryclée. Lors de
la reconnaissance des deux époux, les paroles de Télémaque à son égard sont
très dures. «Ton cœur est trop cruel, mère ! Ο méchante mère !»... «fut-il
jamais un cœur de femme aussi fermé?» (72) et cette dureté est partagé par
Ulysse. «Laisse donc, Télémaque ... Je suis sale, tu vois, couvert de haillons ;
son mépris la retient de voir Ulysse en moi !» (73). Ces paroles sont proférées
par un mari qui, depuis son retour à Ithaque, n'a manifesté à sa femme
aucun signe de tendresse (74). Il a révélé son identité a son fils (75), à sa
vieille nourrice (76), à son porcher et a son bouvier (77) et a attendu le
dernier moment, après le massacre des prétendants, pour laisser Euryclée
l'annoncer à sa maîtresse.
Les propos du père et du fils font écho à ceux tenus par Euryclée
quelques minutes auparavant. La nourrice s'était emportée contre la méfiance
de Pénélope qui ne croyait pas à la présence au logis de l'époux qui venait
d'exterminer les prétendants, et elle l'a qualifiée de «cœur toujours
incrédule» (78). Sans doute peut-on facilement expliquer cette ultime répugnance
à, accepter qu'Ulysse soit réellement revenu par le fait qu'un cœur longtemps
transi doit être long à s'enflammer (79) ; mais il est curieux de constater que
le terme appliqué par Euryclée à Pénélope est exactement le contraire de
pistos, fidèle : cœur «apistos» dit la nourrice. Si un cœur incrédule n'est pas
nécessairement le contraire d'un cœur fidèle, on remarquera que Pénélope
n'est jamais qualifiée par le poète de pistos. Le terme et la notion sont
pourtant parfaitement connus à cette époque.
L'Iliade utilise à plusieurs reprises (80) cet adjectif pour qualifier l'ami,
le compagnon. Bien que généralement rien dans le contexte ne permette de
préciser la nature de cette fidélité, elle est bien évidemment une vertu qui
appartient au monde des guerriers, celle que Patrocle apprécie chez Automédon,
«l'homme le plus sûr (pistos) lorsqu'il s'agit .d'attendre son appel dans le
combat» (81). L'exemple le plus fameux de cette fidélité est celui d'Achille
LA LEGENDE 13

et Patrocle, et, pour caractériser leur amitié, Homère utilise bien l'adjectif
pistos. Achille verse des larmes brûlantes sur le corps de son fidèle (pistos)
compagnon (82) et, lorsque Thétis va, pleurante, supplier Héphaistos de
forger de nouvelles armes pour son fils, elle met au courant le dieu de la raison
de leur perte. Le bouclier, le casque, les bonnes jambières, la cuirasse avaient
été prêtés par Achille à Patrocle et «tout cela, son loyal (pistos) ami le lui a
perdu quand il a été abattu par les Troyens» (83). Pour venger un ami fidèle
nul guerrier achéen ou troyen n'hésite à revêtir les armes. C'est ce que fera
Achille, et c'est sur ce sentiment que s'appuie Apollon lorsqu'il veut stimuler
l'ardeur d'Hector. Ménélas, lui dit-il, vient de tuer ton fidèle compagnon,
Podès(84).
Dans VOdyssée, au contraire, l'adjectif pistos n'est jamais, sauf une
exception, attribué aux personnes. Seul Télémaque l'emploie à l'égard de
Piraeos, son fidèle compagnon (85), dans un passage jugé interpolé depuis
l'Antiquité (86), et dans lequel Télémaque, de retour à Ithaque avec le devin
Théoclymène qu'il a ramené sur son bateau, veut confier ce dernier au fidèle
Piraeos. Au contraire apistos est employé trois fois : une fois par Euryclée à
l'égard de sa maîtresse et deux fois par Ulysse mendiant dans la cabane
d'Eumée (87). Comme Euryclée à Pénélope, Ulysse reproche au berger sa
méfiance, lorsqu'il annonce le prochain retour du maître parti à Dodone pour
consulter l'oracle sur le moyen à employer pour réussir (88).
S'il est un monde de la fidélité, c'est celui de Ylliade et non celui de
VOdyssée. VOdyssée est un poème de la ruse (89) qui est le contraire de la
confiance accordée aux événements et aux autres. Pénélope appartient
primitivement à ce monde. Et si le poète de Y Odyssée a transformé les données
primitives, ce n'est que faiblement ; même dans VOdyssée que nous lisons,
Pénélope n'est en rien le type de la femme fidèle. Le portrait que fait d'elle
Agamemnon dans la seconde Nekyia et qui est celui auquel se réfèrent
inconsciemment les érudits modernes n'est pas celui que VOdyssée trace d'elle. Il
paraît nécessaire de le redonner en entier. «Heureux fils de Laërte, Ulysse
aux mille ruses ! c'est ta grande valeur qui te rendit ta femme, mais quelle
honnêteté parfaite dans l'esprit de la fille d'Icare, en cette Pénélope qui jamais
n'oublia l'époux de sa jeunesse ! Son renom de vertu ne périra jamais, et les
dieux immortels dicteront à la terre de beaux chants pour vanter la sage
Pénélope ... Ο forfaits que trama la fille de Tyndare pour livrer à la mort
l'époux de sa jeunesse ; quels poèmes d'horreur les hommes en feront ! et le
triste renom qu'en aura toute femme, même la plus honnête !» (90).
Les propos d'Agamemnon permettent de faire deux remarques.
VOdyssée est présentée d'abord comme le récit des aventures d'Ulysse qui,
grâce à sa ténacité doublée d'une intelligence qui sait s'adapter à toutes les
circonstances, a enfin réussi à aborder à Ithaque. Agamemnon est en accord
ici avec l'intention du poète, telle qu'elle est exprimée dans l'invocation :
«C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire» (91). Ensuite et,
seulement ensuite, Agamemnon voit dans VOdyssée une œuvre écrite à la
gloire de Pénélope. A la gloire du héros troyen se substitue celle de sa femme.
L'auteur de ces lignes fait alors de Pénélope l'antithèse de Clytemnestre,
comme la vertu s'oppose au vice.
A leur tour les critiques modernes ont souvent dit que la noble figure de
Pénélope s'opposait dans VOdyssée à celle de Clytemnestre, l'épouse odieuse.
Nous avons déjà cité les propos de R. Carpenter (92) qui, poussant
l'hypothèse jusqu'au bout, affirmait que le poète avait inventé le personnage de
14 M.-M.MACTOUX

Pénélope pour faire une antithèse avec celui de la fourbe épouse


d'Agatnemnon. Certes Clytemnestre est évoquée à plusieurs reprises. Dès le
début de l'épopée, par Zeus lui-même (93), puis par Athénu(94), par Nestor,
lorsque, à la demande de Télémaque, il fait le récit de la mort d'Agamemnon
(95), par Ménélas qui apprendra le meurtre de la bouche de Protée (96), et
enfin par Agamemnon lors de la première et seconde descente aux Enfers
(97). Mais ces récits recouvrent en fait deux versions différentes : celle de
Zeus, d'Athéna, de Nestor et de Ménélas. et celle d'Agamemnon.
Zeus rejette la faute sur Egisthe qui. repoussant l'avertissement des
dieux, continuera son œuvre de clémence, courtisant la femme d'Agamemnon
et tuant le chef des Achécns à son retour. A ce héros de démesure. Athéna
oppose Ulysse, ce sage, injustement balloté sur les mers loin des siens. De
même Nestor et Protée attribuent à Egisthe tout le mal en transformant en
Lorsqu"
meurtrière une femme qui n'avait au cœur qu'honnêtes sentiments.
Athéna au cours de la scène chez Nestor évoque le drame, elle associe
.

Clytemnestre à l'œuvre infâme (98) mais elle n'est que la complice d'Egisthe.
Les deux évocations d'Agamemnon se présentent tout autrement. C'est
l'âme d'Agamemnon qui fait à Ulysse descendu aux Enfers le récit de son
retour, et il oppose sa maudite femmc(99) à la vertueuse fille d'lcare( 100). De
même nous avons vu que lors de la seconde descente aux Enfers, (101) en
contraste avec la fille d'Icare qui jamais n'oublia l'époux de sa jeunesse, il
dépeint la fille de Tyndare qui livra à la mort le sien. La plupart des critiques
modernes s'accordent déjà à voir dans le premier récit une interpolation.
A. Severyns ( 102) pense même pouvoir trouver l'origine de ce passage dans le
poème cyclique des Nostoi attribué à Agias de Trézène. Il n'est pas certain
qu'Agias en soit l'inventeur ; mais il est cependant remarquable que la version
de la mort d'Agamemnon qui attribue à Clytemnestre le premier rôle dans le
meurtre se trouve dans deux passages condamnés aussi bien par les Anciens
que par les Modernes. Aristophane et Aristarque arrêtaient Y Odyssée au vers
296 du chant XXIII. Tous les scholiastes sont formels sur ce point (103) et
les commentateurs modernes ne récusent pas ce jugement. D. Page ( 104) à la
suite de V. Bérard (105), affirme sans réserve que YOdyssée originelle
finissait bien en XXIII, 296, et que la seconde visite chez Hadès au cours de la
quelle Ulysse rencontre Agamemnon ne fait pas partie du dessein initial.
Ainsi, ce n'est que dans des parties récentes du poème que ce diptyque de la
vertueuse Pénélope et de l'infâme Clytemnestre a été créé. Cette version sera
suivie par Eschyle qui présentera Clytemnestre frappant elle-même
Agamemnon (106). La version homérique est sans discussion possible celle
qui n'attribue à Clytemnestre qu'un rôle de comparse subjuguée et
irresponsable. Le fait qu'on ait récemment interprété un sceau crétois datant de la fin
du Ville siècle ou du début du Vile siècle comme une représentation de
Clytemnestre tuant seule Agamemnon assis sur un trône (107) n'infirme en
rien ce qui précède. Il existait, peut-être déjà à l'époque d'Homère, une
version primitive dans laquelle Clytemnestre tenait le rôle principal dans le
meurtre ( 108). En admettant qu'Homère en ait eu connaissance, son choix est net.
Il a minimisé le rôle de Clytemnestre pour charger Egisthe. Mais, si l'on peut
admettre avec M. I. Daviest 109) que le dramatique retour d'Agamemnon
tombant sous les coups du prétendant de sa femme sert de paradigme au retour
glorieux d'Ulysse dardant ses flèches contre les prétendants de la sienne, le
choix d'Homère ne contribue pas à grandir Pénélope, comme il l'affirme
aussi. La femme d'Ulysse ne gagne rien à une version légendaire dans laquelle
LA LEGENDE 15

Clytemnestre a tendance à être excusée.


Quand Agamemnon tire cette leçon, il l'extrait, non de Y Odyssée
prise globalement, mais du récit que l'ombre d'Amphimédon qu'il vient de
rencontrer lui a fait. Ici le rôle de Pénélope est parfaitement conforme au
type de la femme fidèle. Aucune allusion à des promesses et à des messages
envoyés aux prétendants comme le lui reprochait Antinoos. Si Pénélope
n'osait pas en finir, elle «rêvait, dit-il, notre mort sous l'ombre de la Parque»
(110) et c'est en accord avec Ulysse qu'elle organisa l'épreuve de l'arc : «le
traître alors nous fit présenter par sa femme l'arc et les fers brillants,
instruments de la joute, mais aussi de la mort pour nous infortunés» (lll)-Ce que
dit Amphimédon est en parfait accord avec le jugement d' Agamemnon. Elle
est bien alors l'épouse fidèle, aidée par le providentiel retour de l'époux le
jour où elle finissait le linceul de Laërte (1 12), contrainte par les prétendants à
achever sa tâche.
Il n'est pas douteux qu'Homère a utilisé un thème bien connu du
folklore : celui de la femme qui, perdue, doit être retrouvée. L'histoire de le
reconquête d'Hélène par Ménélas obéit au même schéma. Si Hélène n'est pas
dans Y Odyssée la femme entièrement coupable, puisqu'une grande partie de la
faute est rejetée sur Aphrodite (113), elle ne peut passer pour le type de la
femme fidèle. Il nous semble que la légende de Pénélope devait être
primitivement du même type. Ce n'est que peu à peu qu'on a interprété son histoire
de manière à y voir celle d'une femme fidèle. Elle ne l'est pas dans Y Odyssée
d'Homère. M. Croiset (114) avait bien noté ce que le caractère de Pénélope
n'opposant jamais aux prétendants un refus absolu avait d'ambigu, et il lui
paraissait probable que, dans une légende antérieure à Y Odyssée, Pénélope
devait être partagée entre le désir de contracter, dans le cas où Ulysse serait
mort, une nouvelle alliance, et l'espérance de voir reparaître encore son
époux. Il faut aller plus loin. Dans YOdyssée (115) Pénélope a le désir de se
remarier, et il est probable qu'antérieurement elle se remariait réellement, ou
était sur le point de le faire lorsqu' Ulysse abordait à Ithaque. N'est-ce pas
Athéna qui dit dans une formule générale, mais à propos de Pénélope : «Tu
sais le cœur des femmes : c'est toujours la maison de leur nouveau mari
qu'elles veulent servir ; leur fils d'un premier lit, l'époux de leur jeunesse
ne comptent plus pour elles ; il est mort ! c'est l'oubli !» (1 16)
16 M.-M.MACTOUX

Notes du CHAPITRE PREMIER (Première partie)


(1) Nous verrons par la suite que les auteurs grecs ont été relativement peu sensibles
à cet aspect. Il faut attendre les poètes élégiaques du temps d'Auguste pour que
cette vertu suffise à définir le personnage.
(2) Homère, Paris, 1950, P- 263.
(3) Folk-tale, fiction and saga in the Homeric epics, Berkeley - Los Angeles, 1946,
ρ 165467. Il nuancera, cependant, ce jugement porté sur le personnage de
Pénélope dans sa postface, p. 193.
(4) F. R. Cambouliu, Etude sur les femmes d'Homère, Toulouse, 1854, p. 123.
(5) A. Ed. Chaignet, Les héros et héroïnes d'Homère, Paris, 1894, p. 259. Cf.
récemment, L. Pearson, Popular ethics in Ancient Greece, Stanford, 1962, P· 34.
(6) Lorsque dans son Traité des vertus, Paris, 1949, W. Jankélévitch médite sur la
fidélité, il en revient encore à Pénélope insensible aux propositions des
prétendants (p. 215).
(7) I, 337 sq. Sauf indication contraire la traduction est celle de V. Bérard,
l'Odyssée 3t , Paris, 1962-1963.
(8) XXIV, 194-198.
(9) En fait VOdyssée ne donne aucune précision à leur sujet, mais les relations
qu'ils entretiennent avec Pénélope sont très vagues.
(10) XV, 358-359.
(11) L 189-190
(12) fi, IX, 410-429.
(13) Cf. récemment J.M. Campbell qui, appliquant cette méthode, cherche à montrer
que malgré les apparences, la chasteté est une valeur reconnue par l'ensemble des
héros homériques («Homer and chastity», Ph Q, XXVIII, 1949, 3, p. 333-359).
(14) I, 330 sq. ; XVI, 409 sq. ; XVIII, 158 sq. ; XXI, 63 sq.
(15) IV, 121 sq.
(16) VI, 304 sq.
(17) XVIII, 184. Pour la signification de VAidôs dans la psychologie des héros
homériques, voir infra,p .217, n. 91.
(18) XVIII, 160-162.
(19) XVIII, 276.
(20) XVIII, 283.
(21) XXI, 93-94.
(22) I, 329 sq.
(23) Schol. ad. Od.l,332
(24) Dicéarque, in
(25) Encore G. Bona, Studi sull'Odissea , Torino, 1 966.
(26) Die Heimkehr des Odysseus. Neue homerische Untersuchungen, Berlin, 1927,
P- 123-124.
(27) XVIII, 282-283.
(28) Introduction à l'Odyssée, I, Paris, 1924, p. 315 (passage souligné par nous). La
raison est, pour V. Bérard, la prédiction faite par Tirésias a Ulysse dans la
Nekyia (XI, 117) suivant laquelle il réussira à rentrer à Ithaque, mais retrouvera
sa femme assaillie de prétendants qui font leurs présents.
(29) A cette méthode se rattache la démarche de ceux qui voient dans la conduite de
Pénélope les suivivances d'un système matriarcal. Cf. récemment l'ouvrage de
K. Hirvonen, Matriarchal survivais and certain trends in Homer's female clia-
racters, Helsinki, 1968.
(30) XIX, 571 sq.
(31) The Homeric Odyssey, Oxford, 1 95 3, p. 1 22 sq.
(32) XVII, 138 sq.
(33) XX, 351 sq.
(34) XVII, 522-527.
(35) XIX, 535 sq.
(36) XIX, 555-558.
(37) Op. cit., p. 124. La même conclusion avait déjà été entrevue par P. W. Harsh
«Pénélope and Ulysse in Odyssey XlXyAJP, 1950, p. I - 21, mais il ne sortait
pas des limites de la méthode psychologique. Ne dépassant pas le cadre du texte,
il y cherchait les preuves q^ue celui qui avait écrit cette scène pensait que
Pénélope avait intrigué délibérément avec Ulysse pour se venger des prétendants
en instituant le concours de l'arc.
LA LEGENDE 17

(38) 11,88.
(39) II, 89-92.
(40) 11,115-116.
(41) II, 124-125.
(42) Ε. R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, Paris, 1965, p. 22 sq.
(43) II, 113-114.
(44) 11,112.
(45) I, 253 sq.
(46) I, 275-276.
(47) Die homerische Odyssée und ihre Entstehung, Berlin, 2e éd., 1879.
(48) Voir en particulier récemment D. Page, op. cit., p. 53 sq et G. S. Kirk, The songs
ofHomer, Cambridge, 1962,P·, 230.
(49) Op. cit., p. 58.
(50) Op. cit., p. 238.
(51) On a rarement présenté Pénélope comme une femme coquette puisque, là où
des signes de coquetterie apparaissent, on les a considérés comme une manœuvre
dilatoire. Cependant récemment L. A. Mackay, «The Person of Pénélope»,
G & R, 1958, p. 123 sq., la dépeint comme appartenant presque au type de la
«baby-doll» (p. 127).
(52) I, 215-216.
(53) Le rapprochement est fait par W. Stanford, The Odyssey of Honter, Londres,
1961, commentaire au vers 215.
(54) I, 245 et 248 sq.
(55) Ainsi F. Robert, op cit., p. 268 sq.
(56) I, 353.
(57) En particulier V. Bérard dans son édition de l'Odyssée.
(58) E. Delebecque, Télémaque et la structure de l'Odyssée , Gap, 1958, p. 54-55.
(59) III, 206.
(60) IV, 316-321.
(61) 1, 269-292.
(62) XV, 14-18.
(63) XVI, 73-76.
(64) XIX, 535 sq. ; XX,87 sq.
(65) Cf. A Vannan Rankin, «Penelope's dreams in book XIX and XX of the Odyssey»,
Helikon, 1962, p. 617-624 et G. Méautis, «Pénélope hésitante», Paideia,XV,
1960, p. 81-86.
(66) XIX, 552-553.
(67) Naturellement cette décision a, elle aussi, suscité^ des explications psychologi-
aues variées dans la perspective d'une Pénélope fidèle. Cf. récemment A. Amory,
«The reunion of Odysseus and Pénélope», Essays on the Odyssey, éd. Ch. H.
Taylor, Bloomington, 1963, p. 100-121, qui pense que Pénélope, ayant reconnu
inconsciemment Ulysse, cherche dans cette épreuve un présage.
(68) En particulier, on sait d'après Pausanias {Description de la Grèce, III, 12, 1)
qu'il existait une version de la légende dans laquelle Pénélope elle-même avait été
gagnée par Ulysse au terme d'une course à pied organisée par son père Icare.
Voir infra,p. 212-21 3pour l'analyse de ce thème.
(69) I, 386-387. Antinoos dit à Télémaque : «que le fils de Cronos t'épargne ce
pouvoir que s'est transmis ta race».
(70) XV, 521-522. Télémaque parle en ces termes d'Eurymaque : «il est si désireux de
devenir l'époux de ma mère et d'avoir la royauté d'Ulysse». Que ce passage soit
une interpolation n'implique pas que les idées contenues soient contemporaines
de l'interpolation. L'histoire de Pénélope n'est pas isolée. Sur les accointances de
la femme avec le pouvoir du mari et le privilège qu'elle a, par son statut conjugal,
de transmettre la souveraineté, cf. J.P. Vernant, «Lemariage en Grèce archaïque»,
Ρ Ρ, 1 973 CXLVIII - CIL, p. 70 - 74.
(71) II pense qu'il existait une forme ancienne de la légende dans laquelle Théoclymène
était Ulysse déguisé (op. cit. p. 86-88).
(72) XXIII, 97 et 100.
(73) XXIII, 113 et 115-116.
(74) Ulysse est pourtant capable d'une délicate tendresse; celle-ci est sensible dans
ses rapports avec Calypso (V, 15 sq.) et Nausicaa (VI, 149 sq).
18 M.-M.MACTOUX

(75) XVI, 188.


(76) XVI, 474.
(77) XXI, 207.
(78) ΧΧΙΠ, 72.
(79) W. Stanford, The Odyssey ofHomer, Introduction, p. XIII.
(80) XV, 331, 437 ; XVI, 147 ; XVII, 500, 557 ; XVII, 589 ; XVIII, 235,460 (cf.
G. Prendergast, A complète concordance to the Ilia d of Homer, n.elle édi.,
Hildesheim 1962).
(81) XVI, 147 ;trad. P. Mazon, Paris, 1961.
(82) XVIII, 235.
(83) XVIII, 460-461.
(84) XVII, 585.
(85) XV, 539.
(86) V. Bérard, Odyssée, II, Paris, 1963, note aux vers 539-546.
(87) XXIII, 72 ; XIV, 150 ; XIV, 391.
(88) XIV, 391-393.
(89) Voir la seconde partie de ce chapitre.
(90) Od., XXIV, 192-202.
(91) 1,1.
(92) Voir supra, p. 7-8.
(93) I, 35 sq.
(94) III, 232.
(95) III, 265 sq.
(96) IV, 510 sq.
(97) XI, 405 sc^, XXIV, 194 sq.
(98) III, 232.
(99) XI, 410.
(100) XI, 445.
(101) XXIV, 194 sq.
(102) Le cycle épique dans l'œuvre d'Aristarque, Paris, 1928, p. 403.
(103) Schol. ad Od., XXIII, 296.
(104) D. L. Page, op. cit., p. 129.
(105) Introduction à l'Odyssée, III, Paris, 1925, p. 167 sq.
,(106) Agamemnon, v. 1384-1387.
(107) M. I. Davies, p. 224 sq., in «Thoughts on the Oresteia before Aischylos», BCH,
XCIII, 1969, p. 214-260 Contra, Richter, Catalogue of engraved gems,Greek,
Etruscan and Roman in the Metropolitan Muséum of art, New-York - Rome,
1956, pLI,3», qui y voit la scène du bain de pieds d'Ulysse par Euryclée.
(108) M. I. Davies, loc. cit., p. 239, qui s'appuie aussi sur une autre œuvre Cretoise du
second quart du Vile siècle découverte en 1954 sur l'acropole deGortyne,
généralement interprétée comme une scène du meurtre d'Agamemnon dans laquelle
Clytemnestre manie la dague.
(109) Loc. cit., p. 238.
(110) XXIV, 127.
(111) XXIV, 167-169. Naturellement il est possible d'expliquer psychologiquement
cette «erreur» d'Amphimédon (cf. encore récemment A. Thornton. People and
thèmes in Homer's Odyssey, Londres, 1970, p. 106-108). Mais nous avons dit
combien cette méthode, appliquée à YÛdyssée, paraissait inadéquate
(112) XXIV, 149-150.
(113) IV, 260 sq. Si dans l'ensemble chez Homère «l'héroïne passe au nombre des êtres
que conduit une force surnaturelle» (L.B. Ghali-Kahil, Les enlèvements et le
retour d'Hélène dans les textes et les monuments figurés, Paris, 1955, p. 21, le
départ d'Hélène est concurremment présenté comme librement consenti. Elle a été
séduite par la beauté de Paris (//. III, 143-144).
(114) Histoire de la littérature grecque, I,Paris, 1887, p. 377-378.
(115) Nous entendons par là l'œuvre telle que nous la lisons à l'exception des passages
nettement plus récents, comme la fin du livre XXIII à partir du vers 297 et le
livre XXIV reconnus par la quasi-totalité des critiques anciens et modernes comme
surajoutés au poème initial.
(116) Od. XV, 20-23 ; M. I. Finley, {Le monde d'Ulysse, trad. frsce, Paris 1969, p. 133-
LA LEGENDE 19

134), après avoir remarqué que le personnage de Pénélope n'est pas entièrement
libre de tout soupçon, a raison de souligner que «ni Athéna ni le poète n'ont
poussé plus loin l'explication de la conduite de Pénélope».
DEUXIEME PARTIE

UNE SAGESSE STERILE

Contrairement à ce qui se passe pour la fidélité puisque, dans Y Odyssée,


Pénélope n'est jamais qualifiée de pistos, fidèle, Homère nous invite à nous
interroger sur le contenu de sa sagesse.
La première fois où la fille d'Icare apparaît, elle est qualifiée de péri-
phrôn (1), et sur les 86 fois où son nom est cité, 50 fois il est accompagné de
cet adjectif dont elle a le quasi-monopole. Certes M. Parry (2) a pu montrer
que c'était là une formule choisie non pas en fonction de sa signification mais
de sa valeur métrique. L'expression peut ne pas s'adapter d'une manière
parfaite à la personne, mais fait partie d'un vocabulaire que, dans une tradition
orale, le poète trouve dans sa mémoire pour rendre une certaine conception
de la sagesse. Mais les trois autres emplois dans YOdyssée permettent de
préciser cette notion.
Euryclée est appelée deux fois périphrôn (3) au moment de recevoir un
ordre ; la première fois par Pénélope qui lui ordonne de laver les pieds du
mendiant (4), et la deuxième fois par Eumée (5) qui lui transmet l'injonction
de Télémaque, juste avant le massacre, de fermer les portes des chambres qui
donnent sur le mégaron. La sagesse pour Euryclée, dans ces moments là, c'est
de se conformer à la volonté d'un autre, d'accueillir un ordre dont elle ne
connaît pas la signification.
Dans un troisième cas l'adjectif est employé par le vieil Echénéos
parlant d'Arété, la femme d'Alkinoos. Ulysse vient de faire le récit de quelques
unes de ses aventures, et Arété, impressionnée par les qualités physiques et
morales de son hôte, demande aux Phéaciens de ne pas encore le congédier,
mais de satisfaire tous ses besoins. Echénéos prend alors le parti de la reine
et s'écrie : «Mes amis, écoutons la plus sage (périphrôn) des reines ! car selon
notre attente, elle va droit au but» (6). La sagesse d'Arété consiste à se
conduire conformément à ce qu'on attend d'elle, et ses conseils sont acceptés
parce qu'ils reflètent les désirs de tous. Etre sage dans ces trois cas, ce n'est
pas innover, avoir prise sur le futur ; c'est accueillir une vérité immédiate, se
conformer au présent.
Or, s'il est un trait qui caractérise Pénélope dans YOdyssée, c'est bien
cette attitude passive à l'égard des événements qu'elle subit sans jamais les
dominer ; elle ne prend que très rarement une décision, n'a jamais rien
entrepris pour avoir des nouvelles de son mari absent et est tenue par Télémaque
à l'écart de ses projets. Il interdit même à Euryclée de lui souffler mot de
son départ (7). Quand elle apprendra son voyage, elle se lamentera au lieu de
s'en réjouir.
Sa seule activité est d'accueillir tous les étrangers de passage à Ithaque ;
«Dès qu'un vagabond arrive en notre Ithaque, il court chez ma maîtresse et
lui conte une histoire. Elle, de l'accueillir et de le bien traiter, et de
l'interroger ! ... et voilà les sanglots ! ... et les yeux pleins de larmes » (8). Certes
M.- M. MACTOUX

on pleure beaucoup dans Y Odyssée. Hélène, Télémaque. Pisistrate. Ménélas


lui-même ne peuvent retenir leurs larmes a révocation de la mort d'Ulysse
(9). Niais les pleurs et les sanglots sont pour Pénélope une manière d'être
habituelle. Anticleia. qu'Ulysse rencontre chez Hadès. ne la dépeint pas
autrement : «Sans trêve ses jours et ses nuits lamentables se consument en larmes»
dit-elle à son fils (10) et ses gémissements qui résonnent dans tout le poème
sont la traduction littéraire, non du désespoir, mais de la vanité de ce
désespoir. Ils remplacent pour elle l'action qu'elle laisse accomplir aux autres.
Lorsqu'au chant IV elle vient d'apprendre le complot que trament les
prétendants contre Télémaque. elle veut avertir Laërtc pour qu'il trouve un moyen
de le faire échouer, au risque, comme le lui fait remarquer Euryclée. de
redoubler les tourments du vieillard (11).
Les interventions des dieux confirment ce trait. Lorsqu'Athéna veut
aider Pénélope, son rôle consiste le plus souvent à lui envoyer le sommeil,
jamais le courage et l'audace, et Pénélope elle-même n'est tentée par le
recours au surnaturel que dans la mesure où il lui évite de prendre une décision.
Ainsi au chant IV. elle demande au fantôme de sa sœur de la renseigner sur le
sort d'Ulysse, et elle s'attire cette réponse quelque peu irritée des dieux :
«Pourquoi parler à vide ?» (12). Athéna d'ailleurs ne cache pas ses intentions;
elle a envoyé le fantôme d'Iphtimé «pour calmer les soupirs, les sanglots et
les pleurs de la triste et gémissante Pénélope» (13). Le fait qu'Athéna. la
protectrice attitrée d'Ulysse et de Télémaque. ne protège pas de façon
particulière Pénélope dans Y Odyssée est grave. Au début du poème elle s'inquiète
pour Ulysse, pour Télémaque dont les prétendants dévorent les biens ( 14).
mais jamais pour Pénélope. Or. dans Y Odyssée, la présence des dieux aux
côtés d'un mortel peut suffire à manifester aux yeux de tous sa valeur (15).
Cet éternel chagrin qui cache son inertie est mal jugé par les serviteurs
eux-mêmes qui la côtoient. Eumée, qui ne peut être soupçonné d'animosité
à l'égard de l'épouse du maître, trace d'elle au mendiant un portrait peu
flatteur. Quelle différence avec Anticleia qui, malgré son chagrin, savait
l'ac ueil ir et le réconforter ! Avec sa mort, il a tout perdu. «Que pourrait me conter
la dame d'aujourd'hui qu'il me fût doux d'apprendre ? ... ni parole, ni fait»
( 16) et. lorsqu'elle annonce à Eurynomé son désir de paraître devant les
prétendants, cette dernière lui conseille de ne pas descendre les traits bouffis de
larmes. «Cet éternel chagrin n'est pas de la sagesse» (17), lui dit la servante.
Il n'est pas étonnant qu'un certain nombre de critiques modernes (18) se
soient trouvés en accord avec les serviteurs pour souligner cette passivité qui
contraste aussi bien avec l'activité fougueuse de Télémaque que l'activité
réfléchie d'Ulysse qui n'espère le salut que de lui. «tant que mes bras
tiendront, unis par les chevilles, je vais rester dessus, endurer et souffrir ; mais,
sitôt que la mer brisera le plancher, je me mets à la nage, il ne me restera
rien de mieux comme espoir». Le langage d'Ulysse est aux antipodes de celui
de Pénélope. Comme elle le remarque elle-même. (19) elle ne possède plus
cette aréîé qui est l'apanage du héros homérique ( 20). La manifestation de
son chagrin est une preuve de la perte de cette aréîé. Le langage d' Eurynomé
est clair à ce sujet. Elle emploie le comparatif de kakos, le terme précisément
qui est toujours utilisé pour marquer une action qui n'est pas conforme à
Yarété(2\).
Pour l'homme de ce temps, posséder Yarété c'est en temps de guerre,
posséder l'habileté au combat, l'ardeur qui donne la victoire ; en temps de
paix, l'adresse qui permet de faire prospérer sa maison et de la défendre, de
LA LEGENDE 23

protéger tous ceux qui, à quelque titre, dépendent de lui. C'est le plus
souvent dans ce sens là que le terme est employé dans YOdyssée. Ulysse
invoquant le danger couru dans l'antre de Polyphème ajoute : «Pourtant,
même de là n'est-ce pas ma valeur {arété), mes conseils (boulé), mon esprit
(noos), qui nous ont délivrés ?» (22).
Varété n'est pas propre aux hommes. Elle peut aussi appartenir aux
femmes. Il est question quatre fois de Yarété de Pénélope dans YOdyssée :
deux fois ce sont des tiers qui en parlent, les prétendants (23) et le fantôme
d'Agamemnon dans la seconde des descentes aux Enfers (24), et deux fois,
elle-même S' appuyant
(25), ensur
termes
les propos
identiques.
d'Agamemnon, on a souvent écrit (26) que
Yarété des femmes dans Homère comprenait la chasteté, la fidélité
auxquelles s'ajoutaient des vertus proprement féminimes, la beauté, l'habileté
à tisser et à conduire une maison comme on les note chez les autres femmes
de YOdyssée, Hélène, ou la femme d'Alkinoos qui s'appelle précisément
Arété. On néglige trop, semble-t-il, les passages où Pénélope tient à
Eurymaque, puis à Ulysse les propos suivants : «Mon arété, ma beauté, mes
grands airs, Eurymaque, les dieux m'ont tout ravi lorsque vers Ilion les
Achéens partirent, emmenant avec eux Ulysse, mon époux (27)». Le contenu
du terme ne peut être celui qu'Agamemnon avait dans l'esprit. Ce ne peut
être non plus la beauté, que Pénélope distingue de Yarété dans ce passage. Et
il est évident qu'il ne s'agit pas non plus de la force guerrière ; mais cette
arété que Pénélope a perdue avec le départ d'Ulysse, ne pourrait-elle être
l'ardeur à être, à réaliser sa nature, celle même qui donnait à Ulysse la
vaillance susceptible de le sauver, lui avec ses compagnons, de l'antre de
Polyphème (28). Il faut comprendre de la même façon l'opposition qu'
Alkinoos établit entre Yarété d'Ulysse et celle des Phéaciens (29). A Ulysse,
la vaillance {arété) dans l'arène, vaillance de l'athlète qui est le combattant en
temps de paix ; aux Phéaciens, l'adresse {arété) dans les travaux de la mer
où ils excellent (30). La nature des uns et des autres est diverse, mais ce qu'ils
ont de commun c'est le désir de se réaliser, de se projeter dans le futur (31).
De cela Pénélope prétend qu'elle n'est plus capable.
Ainsi cette soumission au destin, ou à la volonté des autres en tant
qu'ils sont instruments du destin qui nous semble impliquée par l'emploi du
terme périphrôn est presque devenue, dans le contexte odysséen, une valeur
négative (32). Si Pénélope est sage, sa sagesse est ailleurs.
En dehors de l'adjectif périphrôn, Homère qualifie également Pénélope
à'échéphrôn. Si le terme est employé moins souvent, il l'est dans les passages
où il joue beaucoup moins nettement que le précédent le rôle d'épithète
traditionnelle (33) et, surtout, contrairement à périphrôn, il sert dans un cas
pour Ulysse, dans un des passages les plus importants de YOdyssée. Ulysse
vient enfin d'aborder à Ithaque et rencontre Athéna sous les traits d'un jeune
berger. L'homme aux mille ruses, éternel méfiant, peu soucieux de se faire
reconnaître, invente une histoire qui fait sourire la déesse. Elle ne peut manquer
d'admirer sa ruse et de louer son esprit. «C'est donc toujours le même esprit
en ta poitrine) (34), et elle le qualifie alors d'échéphrôn, l'adjectif signifiant
«qui contrôle sa pensée».
Cette vertu est celle qu'Eurymaque attribue à Pénélope, lorsqu'il loue
son esprit pondéré. Il emploie une expression qui veut dire être maître de
soi (35). Il semble qu'il faille entendre par là, non comme le pense W. B.
Stanford (36) que Pénélope ne permet pas à ses implusions et à ses pensées de
24 M.-M.MACTOUX

la conduire à des actions répréhensibles. mais qu'elle est parfaitement capable


de faire comme Ulysse, c'est-à-dire de dissimuler quand elle le juge
nécessaire, de dominer l'instant en refusant de se laisser asservir par ses impulsions
du moment. Ulysse est dans l'Odyssée le type de l'homme rusé capable
d'inventer des tours pour sortir des situations embarrassantes. N'est-il pas le
petit-fils par sa mère de cet Autolykos qui devait ses dons de tromperie et de
parjure à Hermès ? (37). Sa ruse est une ruse héréditaire et elle est bien le
trait essentiel de la figure homérique. A nul moment elle n'éclate davantage
que dans cette scène à Ithaque où le héros feint devant Athéna de ne pas
savoir où il se trouve ; et la déesse ne s'y méprend pas. Et Pénélope est la digne
émule d'Ulysse dans ce pouvoir de dissimulation.
Homère a placé auprès d'elle un serviteur qui joue apparemment un rôle
secondaire, mais dont le nom est transparent, Dolios, le rusé (38). Il
apparaît deux fois dans YOdyssée. Au livre IV, lorsque la reine apprend de Médon
l'embûche que les prétendants préparent pour son fils, elle veut charger
Dolios d'aller avertir Laërte (39). Vaine démarche, mais il est curieux que,
dans le moment le plus dramatique du poème, elle fasse appel à un serviteur
dont le nom n'a jamais été prononcé, et qui disparaîtra ensuite jusqu'à la fin
de YOdyssée où, dans ce livre XXIV étranger à l'œuvre homérique, il aura une
autre fonction. Mais déjà dans le livre IV, Dolios n'est pas un serviteur
quelconque. Il est un serviteur personnel de la reine, donné par son père, un
serviteur donc qui renvoie à ses origines, et qui a dû jouer un rôle plus
important dans une forme de la légende que l'auteur du livre XXIV devait
connaître (40). Si Dolios est passé au service de Laérte, il reste le seul dans cette
fin de YOdyssée d'où Pénélope est absente et où Laérte ne prononce même
pas son nom, à s'inquiéter à son sujet. Après avoir souhaité la bienvenue au
maître, il ajoute aussitôt : «Mais sans feinte réponds ; j'ai besoin de savoir :
la sage Pénélope sait-elle ton retour et ta présence ici ? ou faut-il l'avertir ?»
(41). Le même Dolios a pour fille une suivante de Pénélope, Melantho,
servante qui «avait eu les soins maternels de la reine, qui l'avait élevée et gâtée
de cadeaux», et qui aime Eurymaque, l'un des prétendants (42).
Du caractère rusé de Pénélope, YOdyssée offre de nombreux exemples
bien connus, mais toujours interprétés en fonction de ce que l'on considère
comme le but ultime de Pénélope : repousser les prétendants. Cette intention
nous a paru beaucoup moins évidente qu'on ne le dit généralement. Reste
cette ruse sur laquelle Homère met l'accent et qui est le trait permanent du
comportement de la reine, affirmé dès le début du poème. Elle est pour
Antinoos celle qui ourdit des ruses (43), (kerdea et dolos), et qui l'emporte
sur tous par sa fourberie, «sa fourbe dont rien n'a jamais approché dans nos
récits d'antan d'Achéennes bouclées, ces Alcmène, Tyro, Mycènes
couronnées» (44), et c'est là un don d'Athéna (45). Ce trait se manifeste non
seulement à l'égard des prétendants mais aussi à l'égard d'Ulysse. A la ruse (dolos)
de la toile (46), répond celle du lit avec laquelle elle veut éprouver une
dernière fois l'époux revenu (47). Elle cherche à se disculper de cet ultime
subterfuge en dénonçant les mauvaises ruses des méchants et elle emploie, pour
ce faire, le même terme (48) qu'Antinoos avait utilisé pour la qualifier.
Mais c'est bien dans l'essence même du personnage qu'il faut chercher
l'explication de cette scène. Elle est semblable à Ulysse dont Athéna. dans le
passage déjà cité, loue, en employant le même terme (49), l'aptitude à la ruse,
cette capacité de dominer l'instant que la déesse lui fait l'honneur de
partager avec lui (50). Elle est douée de cette métis qu'Ulysse, polymètis, possède
LA LEGENDE 25

au plus haut degré. C'est ainsi qu'elle se présente elle-même au mendiant,


l'emportant en prudence, en métis, sur toutes les autres femmes (51) comme
Ulysse l'emporte en métis sur tous les autres hommes (52). Nestor qui vante
la métis d'Ulysse à Télémaque sait de quoi il parle. Il est dans Y Odyssée,
avec Ulysse et Pénélope, un de ceux qui sont doués de cette intelligence
qui permet d'être efficace dans l'action et qui utilise, le cas échéant, la feinte
et la ruse. Ce n'est pas un hasard si, dans le texte homérique, le terme de
métis est souvent associé à ceux de dolos et de kerdea (53), ladolos n'étant
qu'une des formes qu'elle revêt pour aboutir au succès. Un des traits
qu'Homère prête à la métis, c'est d'être une «puissance de ruse et de
tromperie» (54). Pénélope la rusée est semblable à Ulysse et à Athéna. Par le terme
d'échéphrôn, Homère veut désigner cette forme de sagesse qui permet de
l'emporter en puissance sur tous les autres, même les plus forts. Etre
échéphrôn, c'est posséder la métis. Dans plusieurs manuscrits de YOdyssée
l'adjectif sert précisément à Pénélope pour qualifier la métis qu'elle se vante
de posséder (55). C'est là qu'est la vraie sagesse de Pénélope, et non dans
cette soumission passive à l'instant, telle que l'exprime le terme périphrôn.
A la fois périphrôn et échéphrôn,, ballotée par les événements et liée à
l'instant, ou habile à dissimuler et, par là même, détachée de l'instant, tournée
vers le futur, Pénélope fait preuve dans YOdyssée d'une sagesse ambiguë.
Certes, l'œuvre elle-même contient une explication psychologique.
Pénélope ne dit-elle pas qu'avec le départ d'Ulysse elle a perdu son arété
(56), c'est à dire l'habileté qui donne la victoire, la métis qui appelle le
succès ? Mais nous avons soulevé les difficultés de ce type d'explication qui ne
peut rendre compte de la totale gratuité de cette sagesse rusée qui caractérise
la femme d'Ulysse dans le poème. Alors que les ruses d'Ulysse sont toujours
efficaces, celles de Pénélope ne le sont jamais. La ruse de la toile ne sert à
rien ; le stratagème découvert, les prétendants continuent à courtiser la reine
en acceptant qu'elle diffère son remariage. L'épreuve du lit, à laquelle elle
soumet Ulysse, est inutile, non seulement parce qu'elle dispose d'un ensemble
de preuves objectives suffisantes, mais parce que, comme le faisait déjà
remarquer Eustathe (57), le problème est insoluble. Si l'étranger est, comme
elle le craint, un dieu, rien ne l'empêche de connaître le secret de son lit. La
ruse est dans les deux cas entièrement gratuite. Que YOdyssée ait maintenu
aussi fortement ce trait chez Pénélope au point que ce soit seulement là qu'on
puisse y voir sa sagesse, alors qu'en même temps cette sagesse apparaît comme
frappée de stérilité, permet de faire une supposition. Ce caractère rusé
n'aurait-il pas été imposé par la tradition et ne se serait-il pas manifesté plus
efficacement dans une autre forme de la légende ? Le texte odysséen apporte
au moins la preuve qu'il existait une version différente concernant l'histoire
de la toile dans laquelle Ulysse survenait juste au moment où elle était
entièrement tissée et prête à l'usage (58).
Ainsi, derrière le portrait d'une femme gémissante et passive se profile
celui d'une femme rusée et efficace, sans qu'il soit nécessaire que la ruse et
l'efficacité soient mises au service d'une fidélité qui nous a semblé de création
tardive. Elle serait sous cette forme la réplique féminine d'Ulysse, le héros de
la métis, qui se soucie finalement fort peu d'être fidèle, pas plus qu'il ne loue
Pénélope de sa fidélité. Il est possible, comme on l'a suggéré d'une manière
plus générale pour l'ensemble du caractère de l'héroïne (59), qu'Homère,
désirant faire de YOdyssée le poème d'Ulysse, ait été obligé de masquer ce
trait chez Pénélope pour le mettre en relief chez le héros.
26 M.-M. MACTOUX

Notes du CHAPITRE PREMIER (Deuxième partie)


(1) Chez les auteurs archaïques jusqu'à Pindare et Eschyle les mots composés avec
phrôn se réfèrent à l'aspect moral de la personnalité, tandis que, plus tard, ils se
rapportent surtout à l'aspect cognitif.
(2) L'épithète traditionnelle dans Homère, Paris, 1928, passim et p. 120.
(3) XIX, 357 et XXI, 381. Dans deux autres cas (XIX, 491 et XX, 134) la leçon des
manuscrits n'est pas claire et il faut probablement lire philètrophos.
(4) XIX, 357.
(5) XXI, 381.
(6) XI, 344-345.
(7) II, 373.
(8) XIV, 125 sq.
(9) IV, 184.
(10) XI, 182-183.
(11) IV, 752.
(12) IV, 837.
(13) IV, 800-801.
(14) 1, 91-92.
(15) Par exemple Nestor dit à Télémaque, après avoir vu disparaître Athéna changée en
orfraie : «J'ai confiance, ami : tu seras brave et fort, puisque si jeune encore les
dieux à tes côtés viennent pour te conduire» (III, 375 sq). Les efforts d'Ulysse et
de Télémaque n'aboutiraient pas sans l'aide d' Athéna qui transforme en bien leurs
défaillances, par ses avertissements, ses conseils, ses interventions. Or les rapports
de Pénélope et d'Athéna ne sont pas du même ordre. Lorsqu'elle prie la déesse,
elle le fait selon la forme rituelle que revêt la prière chez Homère et qui se
décompose en trois parties : invocation du dieu, raisons d'être exaucé, énoncé de la
demande (cf. E. des Places, La religion grecque, Paris, 1969, p. 177). Généralement
les raisons d'être exaucé sont un rappel de la propre piété du suppliant. A cette
piété Pénélope a tendance à substituer celle d'Ulysse (IV, 763-765).
(16) XV, 374-375.
(17) XVIII, 174.
(18) Ainsi W. B. Stanford, The Odyssey οf Ho mer, commentaire au vers 1, 346. Il cite
également à ce propos F. M. Stawell, Homer and the Iliad, Londres, 1909, p.
127 sq., «Just the kind of woman who cries herself to sleep in difficulties, and
wakes up looking wonderfully plump and fresh». Ou encore R. Carpenter,
op. cit., p. 166 : «Save that she mourns for her absent lord and résistes the
pressure to rewed, she has no active part in the plot and displays few interesting qua-
lities».
(19) XVIII, 251-253.
(20) Cf P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, I, Paris, 1970,
s.v. W. Jaeger, Paideia, la formation de l'homme grec, Paris, 1964, p. 32 sq.
(21) A. W. H. Adkins, Merit and responsbility. A study in Greek values, Oxford,
1960, p. 30.
(22) XII, 211-212.
(23) II, 206.
( 24) XXIV, 197.
(25) XVIII, 251 sq. et XIX, 124 sq. Agamemnon loue en effet Pénélope «qui jamais
n'oublia l'époux de sa jeunesse ! Son renon de vertu (prêté) ne périra jamais».
(26) A. W. H. Adkins, op. cit., p. 36.
(27) XVIII, 251-253 ;XIX, 124 sq.
(28) XII, 211-212.
(29) VIII, 236 sq.
(30) Nausicaa dira à Ulysse : «Ne parle aux Phéaciens ni de carquois, ni d'arc, mais de
mâts, d'avirons et de ces fins navires qui les portent, joyeux, sur la mer
(VI, 270-272).
(31) Si l'on fait venir le plus souvent arété de «àpeOKUlplaire, donner satisfaction à»
(cf. F. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1923,
s. v.), on reconnaît que la formation n'est pas claire (cf. H. Frisk, Griechisches
Etymologisches Wôrterbuch, I, Heidelberg, 1960, s. v.), et cette étymologie qui
donne au mot le sens de reconnaissance sociale ne rend compte que d'une faible
partie de son acception. Les deux traductions de V. Bérard, valeur et renom de
vertu (XXIV, 193 et 197), montrent bien la difficulté de rendre cette nature qui
représente pourtant la «quintessence même de l'éducation aristocratique dans la
LA LEGENDE 27

Grèce archaïque (W. Jaeger, op. cit., p. 31).


(32) L'adjectif acquerra très vite un sens péjoratif. Ainsi dans Eschyle, Suppliantes,
157, il signifie arrogant.
(33) IV, 111 ; XIII, 406 ; XVI, 130 et 458 ; XVII, 390 ;XXIV, 198 et 294. Cet
adjectif n'entre pas dans les formules nom-éphithète étudiées par M. Parry, op. cit.
(34) XVIII, 249.
(35) XVIII, 249.
(36) The Ulysses thème, p. 33.
(37) XIX, 395-396. Cf. W. B. Stanford, op. cit., chap. II, The grandson of Autolykos.
(38) Si l'adjectif dolios n'est jamais employé dans l'Odyssée à propos des personnes,
mais seulement des choses, le substantif dolos est suffisamment représenté pour
qu'il n'y ait pas de doute à ce sujet.
(39) IV, 735 sq.
(40) Voir supra, p. 14 sq.
(41) XXIV, 404-405.
(42) XVIII, 322-325.
(43) II, 88 et 93.
(44) 11,118-120.
(45) II, 116-118.
(46) II, 93 - Le156,
XIX,136- motif
XXIV>128-146).
de la toile revient,
Même sionl'on
le élimine
sait, à trois
le dernier
reprises
épisode
(II, 93-110
figurant;
dans ce livre XXIV qui ne fait pas partie du texte initial, les homerisants ne
s'entendent pas pour savoir si c'est au chant II ou au chant XIX que le morceau est
original. Un certain accord se dessine cependant en faveur du chant II (cf. V. Bé-
rard, Introduction à l'Odyssée, I, 1924, p. 304 ; E. Bethe, p. 90 sq. «Odyssee-
Problem», Hermès, 1928, p. 81-93 ; D. Page, op. cit., p. 152, n. 25 ; L. Allione,
p. 33, Telemaco e Pénélope nell'Odissea, Publ. délia fac. di Lett., XIV, 3, Univ.
di Torino, 1963). Même s'il y a répétition au chant XIX, personne n'a mis en
doute l'existence de ce motif dans VOdyssée. Si les rhapsodes ont obéi, comme le
pense V. Bérard, aux exigences du public, heureux de réentendre une histoire
connue, ils ont pu aussi traduire le sentiment que cet épisode caractérisait
parfaitement le personnage de Pénélope.
(47) XXIII, 177 sq.
(48) Kerdea en XXIII, 217.
(49) En XIII, 291, Athéna dit d'Ulysse qu'il est kerdalios.
(50) XIII, 296-297. La traduction de V. Bérard «nous sommes deux au jeu» édulcore
les paroles d'Athéna affirmant qu'Ulysse partage avec elle ce pouvoir de ruser.
(51) XIX, 325-326.
(52) III, 121.
(53) III, 119-121 ; on trouve en I, 300 ; III, 198, 250, 308 ; IV, 525, le terme
dolomètis appliqué à Egisthe. Dolos est associé à kerdealos en XIII, 291-292, et
métis à kerdea dans ce même passage au vers 299.
(54) J. P. Vernant et M. Détienne p. 81, «La métis d'Antiloque», REG, 1967,
p. 68-83.
(55) XIX. 326- A échéphrôn, V. Bérard a préféré l'autre leçon des manuscrits,
épiphrôn ·
(56) XVIII, 251-253.
(57) Commentaire ad Od., XXIII, 1 10 sq.
(58) XXIV, 146-149.
(59) W. J. Woodhouse, The composition of Homer's Odyssey, Oxford, 1969, p. 203.
CHAPITRE II

L'APPAUVRISSEMENT DE LA LÉGENDE

A L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE
A l'époque archaïque le développement de la légende de Pénélope
marque un temps d'arrêt. D'Homère à la fin du Vile siècle, la poésie cyclique est
muette à son sujet et, si on peut relever quelques allusions dans la littérature
du Vie siècle, la poésie lyrique est plus sensible à la passion amoureuse
d'Hélène qu'à celle de Pénélope. Il est probable cependant que les premières
épopées cycliques ne l'ont pas laissée complètement dans l'ombre. Mais
Pénélope n'est vue que comme la compagne d'Ulysse, le héros omniprésent,
protagoniste indispensable de toute action épique. Si l'état fragmentaire des
œuvres ne permet pas de l'affirmer avec certitude, les résumés qu'a laissés
Proclos dans sa Chrestomathie (1) sont symptomatiques. Alors qu'Ulysse a
gardé suffisamment de relief pour mériter une mention dans chacun des
résumés, Pénélope n'est citée que dans celui de la Télégonie, l'épopée la plus
tardive du Cycle puisqu'elle date du Vie siècle.
Les Retours comme les Chants Cypriens ont pu l'évoquer, mais ce n'est
que d'une manière accessoire et aucun auteur ancien ne s'en est fait l'écho.
On pourrait penser qu'Agias de Trézène qui, dans les Retours, se proposait de
compléter V Odyssée en reconduisant chez eux tous les chefs achéens ignorait
volontairement Ulysse. Mais la séduction qu'il exerce est telle qu'Agias
éprouve le besoin de raconter une rencontre du héros avec Néoptolème à
Maronée (2). C'est peut-être là qu'il faut situer foNekyia dont parle Pausanias
(3). Cette descente aux Enfers pourrait correspondre à un récit d'Ulysse,
élargissement de celui de ΓOdyssée (4). Si on peut envisager sans invraisemblance
une évocation de Pénélope, rien n'en a survécu. Les fragments des Chants
Cypriens ne sont pas plus explicites sur ce point. L'épopée, qui remonte au
moins à la première moitié du Vile siècle, puisqu'un peigne en ivoire du
temple d'Artémis Orthia représentant le jugement des déesses et daté du milieu
du siècle s'en inspire (5), renferme une scène curieuse. D'après le résumé de
Proclos (6) le sens général en est clair. Ulysse ne voulant pas aller à la guerre
simule la folie devant Ménélas, Nestor et Palamède venus quêter son concours.
Grâce aux conseils de Palamède sa ruse fut découverte. Ils le confondirent en
dérobant son fils Télémaque comme pour le tuer. On peut penser que
Pénélope assistait à la scène sil'on en croit Apollodore qui complète souvent
le témoignage de Proclos (7) : «Palamède découvre à tous la ruse d'Ulysse en
arrachant Télémaque du sein de Pénélope et en le menaçant de son glaive
comme s'il voulait le tuer. Ulysse alors avoue sa supercherie^ 8). La scène est
inconnue de YOdyssée ; on peut voir une allusion au manque d'enthousiasme
d'Ulysse pour prendre part à l'expédition troyenne dans la seconde descente
aux Enfers, lorsqu'Agamemnon tient à l'ombre d'Amphimédon ces propos :
«Là-bas, en compagnie du divin Ménélas, j'étais allé chez toi, quand nous
pressions Ulysse de nous suivre vers Troie sur ses vaisseaux à rames» (9). Mais
il est impossible de savoir si ce fragment suppose une légende préhomérique
(10) qu'Homère connaissait et a volontairement négligée, ou si ces vers du
livre XXIV, considéré généralement de date très tardive, s'inspirent des
Retours. Dans les deux cas cependant, cette manœuvre d'Ulysse est étrangère à
l'esprit odysséen. Lorsqu'elle apparaît dans les Chants Cypriens, l'état du
texte permet difficilement de connaître le motif invoqué pour la justifier.
Est-ce réellement, comme le pense W. Stanford (11) l'amour conjugal
et paternel qui expliquait cet ultime subterfuge, le désir très humain d'éviter
cette longue et douloureuse séparation qu'Halithersès dans YOdyssée lui
avait annoncée ? Ses références à des auteurs modernes qui ont interprété la
légende d'Ulysse et ont ainsi compris le geste du héros restent peu convain-
32 M.-M.MACTOUX

cantes. Il est beaucoup plus probable que l'auteur des Chants Cypriens
faisait de cette ruse un signe de lâcheté si l'on en croit l'indignation d'Aristarque
et d'Eustathe qui essaient de laver Ulysse de ce reproche, à propos
précisément de l'allusion d'Agamemnon dans YOdyssée. Ainsi le scholiaste écrit : «Si
Ulysse voulait se cacher, pour ne pas prendre part à la guerre, ce n'était point
par lâcheté. C'était uniquement par intelligence, car il se rendait compte de la
durée possible du conflit» (12) et, de même, Eustathe s'indigne : «Si même
les poètes post-homériques ont accusé de lâcheté le héros, s'ils ont dit et redit
la folie simulée, et s'ils ont ajouté encore l'histoire de l'attelage hybride qu'il
attacha à sa charrue pour labourer ; s'ils racontent comment Palamede le
confondit au moyen du bébé Télémaque ; s'ils racontent qu'Ulysse vint contre
son Eustathe
qu' gré à Troie,
désigne
c'est ailleurs
leur affaire».
comme(13)
les Au
neôteroi,
rang des
il faut
poètes
sans
post-homériques
doute mettre
Sophocle dont Y Ulysse fou est bien connu, mais aussi les auteurs du Cycle
(14) et en particulier Stasinos à qui on attribue les Chants Cypriens dont
Sophocle s'est précisément inspiré. Eustathe ne fait d'ailleurs ici que
reprendre la pensée d'Aristarque. On comprend que pour un héros homérique
qui n'existe que par la gloire obtenue au terme d'exploits guerriers, repousser
le départ à la guerre, pour quelque raison que ce soit, soit la négation de sa
propre valeur. Le poème de Stasinos aurait rabaissé le héros exalté par
Homère et la scène de la ruse en serait un témoignage (15). Stasinos donne
une autre preuve de cette intention en racontant la mort de Palamede lapidé
sur les conseils d'Ulysse (16). Pénélope n'a dû jouer qu'un rôle très limité
dans le récit. Certes la scène au cours de laquelle Palamede s'emparait de
Télémaque a pu donner lieu à l'expression de sentiments maternels. Le mot
employé par Proclos indique qu'il y a eu une scène violente entre Palamede et
la personne qui tenait Télémaque, sans doute Pénélope (17). Mais la femme
d'Ulysse n'était pas présentée comme celle pour qui on sacrifie tout, même la
gloire. Si la chronologie relative du Cycle épique troyen et ses dates par
rapport à Ylliade et à YOdyssée continuent à faire l'objet de discussions érudites
la plupart (18) s'accordent à penser que les Retours et les Chants Cypriens
sont postérieurs à YOdyssée (19). Pourtant rien ne permet de penser que le
personnage central du poème homérique ait été senti comme tel.
Ainsi la poésie cyclique des premiers siècles semble ignorer Pénélope. Si
des épopées du Vie siècle, comme YAlcméonide et la Télégonie lui réservent
une place, le changement est peu significatif. Au cours du siècle fut rédigée la
dernière des épopées thébaines, YAlcméonide, qui racontait la seconde
expédition contre Thèbes menée par Alcméon, fils d'Amphiaros (20), l'un des sept
chefs qui participèrent à la première. Strabon (21) fait allusion à un passage
de l'épopée ayant trait à la famille de Pénélope, à son père, Icare, et à ses
deux frères, Âlyzéos et Leucadios. Ephore, dont Strabon s'inspire ouverte
ment dans ce passage, avait repris le fait. Pourquoi YAlcméonide s'intéres-
se-t-elle à Icare et à ses enfants ? On sait seulement qu'une partie du poème
suivait Alcméon dans ses errements, en particulier en Etolie et en Acarnanie.
C'est à propos de l'Acarnanie, où il s'était établi (22), qu'Icare était évoqué.
L'auteur de YAlcméonide, comme celui de la Télégonie, a pu utiliser l'histoire
d'Icare, pour établir des liens mythiques ; mais avec qui ? Il n'est guère
possible de le dire. Implanter la famille de Pénélope en Acarnanie, c'était
rapprocher Pénélope d'Ulysse, la lier plus étroitement au roi d'Ithaque dont l'île
était toute proche. Il n'est guère permis de penser qu'une modification dans la
légende s'ensuivait.
LA LEGENDE 33

II n'en est pas de même dans la Télégonie d'Eugammon de Cyrène, la


dernière venue du Cycle, datée elle aussi du Vie siècle. Pour la première fois
dans une œuvre du Cycle, Pénélope apparaît nominalement dans le résumé
que nous possédons. Le sujet l'imposait. L'auteur de la Télégonie se devait
de régler son sort puisqu'il se proposait de raconter les ultimes aventures
d'Ulysse qui, rentré à Ithaque, repart aussitôt pour d'autres voyages,
abandonnant sa femme, cette fois sans raison. Sans doute Eugammon avait trouvé
dans les prédictions odysséennes de Tirésias des raisons de poursuivre le récit.
Mais cet abandon gratuit d'Ithaque pour les pays des Thesprotes, ce mariage
d'Ulysse avec la reine du pays, Callidicé, alors que Pénélope est encore en vie
et l'attend à Ithaque, non seulement dénotent un art bien déchu (23) mais
rabaissent l'héroïne au rang d'une vulgaire amante qu'on rejoint et abandonne
au gré de son humeur, victime pitoyable de l'inconstance conjugale. Ce n'est
pas la fin romanesque de la Télégonie qui rehaussera le personnage. Télégonos
le fils qu'Ulysse eut de Circé, venu à Ithaque chercher son père, le tue par
méprise. Alors «Télégonos découvre son erreur. Il transporte le corps de son père
avec Télémaque et Pénélope, chez sa mère Circé qui les rend immortels. Et
Télégonos devient le mari de Pénélope, et Télémaque celui de Circé» (24).
Pénélope épousant Télégonos, à la fois fils adultère et meurtrier de son mari,
comme Télémaque épousant la maîtresse de son père, deviennent des
personnages heroï-comiques. Si les qualités de Pénélope ne sont pas directement
remises en cause, et si toute la faute est rejetée sur Ulysse, elle perd, avec cet
épilogue, une grande partie de sa dignité. Déjà Photius qui résumait la
Télégonie, l'arrêtait à la mort d'Ulysse, ne daignant pas résumer ce
dénouement à la fois «ridicule et romanesque» (25).
C'est par erreur qu'Eustathe attribue ce double mariage aux Retours
(26) faisant simplement preuve, lorsqu'il a recopié les scholies, d'un manque
d'attention et de discernement (27). Ces inventions remontent bien à
Eugammon qui modifie les données homériques en les complétant. Son
intention véritable n'est pas facile à discerner. Il n'en est pas de même lorsqu'il
affirme dans cette même Télégonie que Pénélope aurait eu un autre fils
d'Ulysse, Arcésilas (28). Là son but est manifeste. Vivant à la cour de Cyrène
vers 565, sous le successeur d'Arcésilas, lui-même fils de Battos, fondateur de
la colonie, il voulait flatter ses puissants protecteurs en faisant descendre
directement la dynastie des Battiades des héros achéens. Si le témoignage
d'Eugammon est le plus ancien, on a d'autres exemples de cet effort pour
rattacher la colonisation grecque de cette région au cycle héroïque (29).
Si le dernier poème cyclique en prend à son aise avec Pénélope et
travestit le personnage, on remarque cependant que la poésie cyclique dans
son ensemble ne fait jamais allusion à aucune forme d'infidélité comme elle
apparaîtra plus tard. Il est possible (30) pourtant que les Chants Cypriens
aient déjà rapporté une des versions de la vengeance de Nauplios. Nauplios,
n'ayant pu obtenir justice pour la mort de son fils Palamède, tué par Ulysse et
Diomède, parcourt la Grèce, poussant les femmes des chefs grecs à tromper
leur époux : Clytemnestre avec Egisthe, Aegialée, présentée dans Ylliade
comme la chaste fille d'Adraste (31), avec Comètes, Méda, femme
d'Idoménée, avec Leucos (32). Si Pénélope a été rattachée à la vengeance de
Nauplios, ce n'est pas de cette façon. On est sûr, au contraire, par un
fragment de Mimnerme (33), que la légende d'Aegialée avait été modifiée dès le
Vile siècle. De chaste, elle était devenue impudique, partageant tous les
plaisirs de la jeunesse argienne et tombant amoureuse de Comètes que
34 M.-M. MACTOUX

Diomède avait laissé pour garder son royaume en son absence (34). La raison
cependant n'en était pas la même. Chez Mimnerme la faute en revient à
Aphrodite qui, blessée par Diomède, vit là un moyen de se venger. Mais si les
poètes cycliques ne répugnent pas devant des modifications aussi radicales,
Pénélope échappe totalement à ce traitement (35). Même dans la Télégonie
elle ne joue qu'un rôle de comparse. Sa présence n'est que le corollaire de
celle d'Ulysse (36).
Elle devait être nommée dans le Catalogue des femmes du
pseudoHésiode dont la composition s'est étendue sur un siècle et demi, depuis le
milieu du Vile siècle jusqu'à la fin du Vie siècle (37). Dans les listes
généalogiques qui le composaient, la lignée des Tyndarides, à laquelle se rattache
Pénélope par son père Icare, occupait une place importante (38). On possède
un fragment où il était question du mariage de Télémaque avec Polycaste, la
fille de Nestor (39). Mais Pénélope avait-elle droit à autre chose qu'une
citation ? Les parties narratives étaient rares, et il ne semble pas que la succession
généalogique de ce passage ait présenté des anomalies remarquables. Eustathe,
(40) qui le cite, rappelle auparavant la généalogie d'Ulysse telle qu'elle est
donnée dans Y Odyssée.
Tout se passe comme si les poètes de ce temps n'avaient trouvé dans sa
personnalité aucun trait capable de les séduire, eux et leurs lecteurs. Ce
manque d'intérêt n'aurait guère de signification s'il ne se manifestait que dans des
œuvres qui, marquées par l'épopée homérique, continuaient à exalter les
vertus guerrières, ou celles des pionniers de la colonisation. Mais la même
tendance se décèle dans la poésie lyrique qui privilégie l'individu, se nourrit de ses
espoirs et de ses peines.
Jusqu'à la publication récente (41) d'un papyrus attribué dès l'origine
à Stésichore par l'éditeur et par tous les commentateurs (42), la légende
d'Ulysse et de Pénélope semblait être restée complètement étrangère à la
poésie lyrique dans son ensemble. Or, ce passage, dans lequel D. L. Page (43)
voit un fragment d'un hymne de Stésichore, Les Retours, dont on ne
connaissait que le titre (44) suit d'assez près la scène de YOdyssée (45) au cours de
laquelle Télémaque prend congé de Ménélas et d'Hélène, tandis que l'appaii-
tion d'un aigle tenant en ses serres une oie est interprétée par Hélène comme
un heureux présage. Les différences finalement sont mineures et les
personnages demeurent très proches par leur comportement de ceux de YOdyssée.
L'allusion probable à Pénélope (mot en partie reconstitué : Υ\αν\έΙόπα ) reste
très vague, le dernier vers de cette colonne I étant très mutilé. Mais cette
allusion à la mère de Télémaque, présenté lui-même comme le fils chéri d'un père
aimé fait qu'il se dégage de la scène cette même impression d'harmonie
qu'Athéna cherche à recréer dans YOdyssée. A Télémaque qui, dans le palais
de Sparte, aurait tendance à oublier sa mission, la déesse conseille de rentrer
au plus vite à Ithaque et de charger le porcher d'aller avertir la sage Pénélope
de son retour (46).
Cependant, dans l'état actuel des découvertes, rien ne permet de dire
que Pénélope ait eu droit à autre chose dans l'œuvre de Stésichore. Le poète
d'Himère a pourtant cherché avec les vieux thèmes de l'épopée à donner un
passé à sa patrie, pays neuf sans mythes héroïques (47), et il a traité
amplement, ailleurs, de certaines légendes homériques comme dans YOrestie, les
développant bien plus qu'elles ne l'étaient chez Homère (48). Mais aucun de
ses grands hymnes qui s'attachent aux aventures des héros et dont les sujets
viennent de tous les horizons du monde mythique ne traite de l'histoire de
LA LEGENDE 35

Pénélope, alors qu'Hélène dans les deux Palinodies (49) a été pour lui un sujet
de prédilection. Si ce fragment des Retours suppose une connaissance
précise, sinon de Y Odyssée telle que nous la possédons, du moins d'une version
très proche, (50) on ne peut savoir s'il a voulu transposer sur un mode lyrique
le récit odysséen, ou si ce fragment demeure isolé. Le thème même choisi par
Stésichore (51) imposait d'ailleurs cette allusion qui ne repose pas sur un
choix délibéré. L'absence de Pénélope chez les autres poètes lyriques est
beaucoup plus significative.
Alcée comme Sappho restent muets. Au contraire Hélène la
passionnée est évoquée à plusieurs reprises, soit qu'on la condamne, soit qu'on la
loue. Si pour Alcée (52) elle est seule responsable des malheurs de Troie,
pour Sappho, la blonde Hélène est l'exemple de la femme qui aime et qui,
entraînée par Kypris (53), a suivi son amant sans se soucier ni de son enfant
ni de ses parents chéris (54). Ds n'ont pas été les seuls à être séduits par la
force de sa passion ; elle trouve un écho dans la sensibilité d'un Ibycos (55),
d'un Alcman (56), d'un Simonide (57) ou dans celle de poètes lyriques
inconnus (58). Ainsi cette poésie où triomphent les passions, les passions
politiques comme les passions amoureuses, qui essaie pour la première fois
d'analyser les plus subtils mouvements d'âmes meurtries par les bouleversements
d'une époque troublée, ne trouve dans l'histoire de Pénélope aucun écho aux
histoires individuelles qui s'expriment par ces vers.
Seul peut-être Anacreon, dans la seconde moitié du Vie siècle, fera de
l'amour de Pénélope pour Ulysse le sujet de l'une de ses chansons. Le souvenir
en a été conservé par une scholie à Horace : «Quelques-uns disent qu'il écrivit
l'histoire de Circé et de Pénélope aimant le même homme» (59). La valeur de
la scholie a été mise en doute par D. L. Page (60) qui refuse d'attribuer ce
récit à Anacreon. Pourtant Horace lui-même, dans une de ses odes, s'
adressant à une jeune fille qu'il convie à un banquet dans sa campagne de la
Sabine lui propose de chanter sur la lyre de Téos les tourments pour le même
homme de Pénélope et de Circé (61). Téos est la patrie d' Anacreon, et le
rapprochement ne peut être fortuit. Le poète latin connaît bien Anacreon
dont il s'inspire littéralement dans deux odes qui commencent par un de ses
vers (62). Mais, même si Anacreon a choisi ce thème, il ne semble pas qu'il
ait pu le colorer tragiquement. Pour ce poète de cour, ami du plaisir, qui
honore dans Eros le maître dés dieux, l'amour peut être passion ; il n'est
jamais désespoir. L'affrontement entre l'épouse et l'amante ensorceleuse
pouvait même être décrit sur le mode satirique, comme le laisserait supposer la
première partie de la scholie rappelant qu' Anacreon est l'auteur d'une satire.
S'il est douteux que cet Anacreon soit celui de Téos (63), notre poète est
capable de faire preuve d'esprit satirique (64).
Ainsi Anacréon serait le seul poète lyrique (65) à s'être inspiré de la
légende de Pénélope. C'est peu, même si l'on tient compte de l'état
fragmentaire dans lequel nous est parvenue la poésie de ce temps. Les raisons
susceptibles d'expliquer cette absence ne peuvent tenir cette fois à la nature de la
légende qui offrait, au contraire, des éléments capables d'enrichir une poésie,
qui, pour être personnelle, ne s'est jamais coupée du fonds des légendes pan-
helléniques. C'est peut-être à ce rôle de comparse dans lequel la poésie
cyclique l'avait figée que Pénélope doit sa mise à l'écart. Nous en verrions
volontiers la preuve dans la façon dont Pythagore et Théognis citent Pénélope.
C'est d'abord Ulysse qu'ils admirent.
D n'est pas certain qu'on puisse attribuer à Pythagore les propos que
36 M.-M. MACTOUX

Jamblique lui prête (66). L'auteur de la Vie de Pythagore reporte facilement


au temps de Pythagore ce qu'il a pu voir dans des cercles pythagoriciens du
Ille siècle de notre ère (67). Cependant ceux du Ve et du IVe siècles
possédaient déjà des recueils de morceaux choisis d'Homère destinés à favoriser
la vie morale des adeptes (68), et Porphyre attribue aussi cette pratique au
fondateur (69). Jamblique racontait donc comment le maître s'étant arrêté
dans la campagne environnant Crotone pour féliciter un paysan renommé
pour sa fidélité conjugale, avait rappelé le Scjnt exemple d'Ulysse qui avait
préféré, à l'immortalité offerte par Calypso, la vie avec sa femme. Le type de
l'interlocuteur, comme le ton de la conversation, laissent supposer que
Pythagore se borne à évoquer un exemple bien connu de la sagesse
populaire.
L'image du couple odysséen est finalement la même que celle qui se
dégage de ce fragment attribué à Théognis et qui n'est probablement pas de
lui, mais reste très proche de sa pensée. «J'ai subi le même sort qu'Ulysse qui,
sauvé de la mer, partit pour la grande demeure d'Hadès ; il avait sans pitié
fait périr, en homme sage, les prétendants de sa raisonnable épouse Pénélope,
si longtemps restée à l'attendre auprès de son enfant, jusqu'au jour où il
regagna son sol et que ... sa redoutable demeure (70) ... ». C'est un mort qui
parle, et ce poème est certainement un fragment d'épitaphe (71) dans lequel
le mort s'identifie, non pas au voyageur impénitent du cycle épique, mais à
celui de Y Odyssée qui a su, grâce à sa juste vengeance, reprendre sa place au
milieu de ceux qui lui sont restés fidèles, les bons. Le ton est celui de ces
aristocrates, dont fait partie Théognis, qui dénoncent les entreprises
politiques du démos qui bouleversent une société dont ils se sont exclus, comme
les prétendants mettaient à sac la demeure d'Ulysse, le laissaient à la porte
et le traitaient en mendiant. Lui qui appelle de tous ses vœux la fidélité, ne
relève pas ce trait chez Pénélope. Il la qualifie d'un terme plus vague alors
que l'adjectif «pistos», fidèle, revient si souvent dans ses propos. (72).
Lorsque certains excès sont commis, lorsque les «méchants consacrent le droit de
l'injustice afin d'en tirer profit et puissance pour eux-mêmes» (73), la
vengeance est juste parce qu'elle ne fait que rétablir un ordre juste. Si la sagesse
de Pénélope a rendu possible et nécessaire un châtiment exemplaire, c'est
bien Ulysse qu'il admire d'avoir su châtier «sans évoquer aucun prétexte»
(74). Tandis que Pythagore louait la fidélité conjugale d'Ulysse, Théognis
loue la force qui lui permet de rester fidèle à son passé. Une fois encore
Pénélope n'existe qu'en fonction de lui. Comme dans la poésie cyclique, elle
ne fait que graviter dans l'orbite d'Ulysse sans réussir à acquérir son
autonomie .
Toute la littérature de ce temps (75) s'accorde à la traiter en
personnage retouié au second rang par un époux envahissant (76). C'est
probablement à cette époque qu'a été rédigé par un auteur inconnu ce passage du
livre XXIV de Y Odyssée, la seconde Nekyia (77). Là le fantôme d'Agamem-
non chante les louanges de la reine avec une insistance manifeste :«Son renom
de vertu ne périra jamais, et les dieux immortels dicteront à la terre de beaux
chants pour vanter la sage Pénélope» (78). Nous avons vu que tout se
passait comme si l'on cherchait alors à tirer une leçon qui n'était pas évidente
(79). L Odyssée écrite à la gloire d'Ulysse devient une Odyssée écrite à la
gloire de Pénélope. Mais ce n'était pas l'intention d'Homère et l'époque
archaïque dans son ensemble n'a pas cherché à modifier les rapports.
Pénélope reste inséparable de l'image du couple qu'elle forme avec Ulysse
LA LEGENDE 37

et c'est seulement à travers lui, ses aventures odysséennes ou extra-


odysséennes, qu'elle est appréhendée par un société qui privilégie l'action.
L'absence de Pénélope dans l'art archaïque confirme ce trait.
38 M.-M. MACTOUX

Notes du CHAPITRE II
(1 ) A. Severyns, Recherches sur la chrestomathie de Proclos,lW, La vita Ho mer i et
les sommaires du cycle, 1963, p. 77 sq.
(2) 296,297,298, op. cit., p. 95.
( 3) Description de la Grèce, X, 28, 7.
(4) A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Arislarque, Paris, 1928, p. 385-386.
(5) R. Hampe, «Das Parisurteil auf dem Elfenbeinkamm ans Sparta», Festchrift
Schweitzer, Stuttgart, 1954, p. 77-86.
(6) Op. cit., 118-121.
(7) A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Aristarque, p. 284.
(8) Epitomé, III, 7 ; trad. A. Severyns, op. cit., p. 284.
(9) Od., XXIV. 115-117.
(10) M. Untersteiner, La fisiologia del mito, Milano, 1946, p. 160, considère l'attitude
d'Ulysse comme un trait caractéristique du héros méditerranéen qui aime la
vendetta ou la razzia et non la guerre.
(11) Op. cit., p. 82-83.
(12) Schol. V ad. Od.. XXIV, 118 ;trad. A. Severyns, op. cit., p. 284.
( 1 3) Eustathe, Commentaire à l'Odyssée, XXIV. 1 1 8, trad. ibid.
(14) A. Severyns, p. 417 sq., in «Eustathe et le cycle épique», RB Ph, 1928,
p. 401-467.
(15) C'est l'avis d'un grand nombre d'auteurs, en particulier F. G. Welcker. Der
epische Kyklus, 1, 2e éd., Bonn, 1865, p. 148 ; D.B. Monro, JHS, 1884, p. 9.
(16) Fr. XXI, T. W.Allen.
(17) A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Aristarque, p. 284.
(18) C'était déjà l'avis de E. Bethe, Homer, III, Die Sage vom troischen Kriege,
Leipzig-Berlin, 1927, p. 377-380. Réunissant les résultats dans Euripide et les
légendes des chants cypriens, Paris, 1966, p. 27. n. 3, F. Jouan propose l'ordre
chronologique suivant : Iliade, Ethiopide, Prise d'Ilion, Odyssée, Petite Iliade,
Chants cypriens, Retours, Catalogue hésiodique, Alcméonide, Télégonie. De
même A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Aristarque, p. 285-291, fait
des Chants Cypriens une œuvre postérieure à la Petite Iliade, elle-même plus
récente que Γ 'Ethiopide et la Prise d'Ilion dont elle s'inspire directement.
(19) Ce qui n'exclut pas évidemment l'existence d'une légende préhomérique.
(20) L. Legras, Les légendes théhaines dans l'épopée et la tragédie grecques. Paris,
1905, p. 108-109.
(21) Strabon, Géographie, X, 2. 9 (fr. 5. G. Kmkc\, EGF)
(22) Cf Strabon. op. cit., X, 2, 24.
(23) A. et M. Croiset, Histoire de la littérature grecque, I, p. 445.
(24) Chrestomathie de Proclos, 327-340 ;trad. A. Severyns. op. cit., p. 95.
(25) A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos. Première partie : le
code 239 de Photius, II, texte, traduction, commentaire, Paris, 1928. p. 90.
(26) 1796, 45 (fr. IX, T. W. Allen).
(27) A. Severyns, «Eustathe et le cycle épique», RB Ph, 1928, p. 458-459.
(28) 1796, 38 (fr. ,1,T.W. Allen).
(29) F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris, 1953, p. 70 sq.
(30) A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Aristarque, p. 371-376.
(31) II., V, 410-415.
(32) Apollodore, Epitomé, VI, 8-9.
(33) Fr. 22, Bergk, Poetae lyrici graeci.
(34) Schol. Dad II. V, 412.
(35) G. Fougères, Mantinéc et l'Arcadie orientale, Paris, 1898, p. 251, affirme que, du
Vie siècle, daterait la légende mantinéenne suivant laquelle une Pénélope
infidèle ayant été chassée par Ulysse, aurait fini ses jours à Mantinée. Mais il est tout
à fait gratuit de dire que c'est sous l'influence des continuateurs d'Homère «que
la chaste Pénélope s'est transformée en une Clytemnestre encore plus chontée».
(36) Dans une épopée d'auteur et de date inconnus, la Thesprotis, citée par Pausanias
(Description de la Grèce. VIII, 1 2. 5 ) Pénélope aurait vécu avec Ulysse après son
retour et aurait eu de lui un fils Ptoliporthès. S'agit-il d'une confusion avec la
Télégonie, où, d'après le résumé de Proclos, op. cit., 321-323, Ulysse eut avec la
reine des Thesprotes, Callidicé, un fils Polypoétès qui succède à sa mère comme
roi des Thesprotes, ou l'épopée a-t-elle réellement existé sous cette forme ?
Apollodore (Epitomé, VII. 38 sq.), après avoir résumé la version de la Télégonie.
en rappelle une autre qui n'a laissé aucune trace littéraire : Pénélope séduite par
LA LEGENDE 39

Amphinomos aurait été tuée par Ulysse, qui, accusé de ce meurtre, dut
se soumettre au jugement de Néoptolème. Le fils d'Achille le condamna à l'exil,
pensant, par là, rentrer en possession de Céphallénie qui appartenait à Ulysse.
Faut-il faire remonter cette légende à l'époque archaïque ? En tout cas la
Thesprotis qui devait, à la manière de la Télégonie, compléter YOdyssée en
racontant peut-être le premier séjour d'Ulysse chez le roi des Thesprotes (Od. XIV,
315 sq.) ne semble pas tracer de Pénélope ce portrait de femme dévergondée.
(37) J.Schwaitz,Pseudo-Hesiodeia, 1960, troisième partie.
(38) J. Schwartz, op. cit., p. 404 sq.
(39) Fr. 221, R. Merkelbach et M. L. West, Fragmenta Hésiodea, Oxford, 1967.
(40) Commentaire ad Od, 1796,38.
(41) N. 2360, The Oxyrhynchus Papyri, part XXIII, éd. E. Lobel, Londres, 1956.
(42) H. Lloyd-Jones, p. 17, in «Review of the Oxyrhynchus papyri», Ci?, 1958, p· 16
sq. C. M. Bowra, Greek lyric poetry from Alcman to Simonides, Oxford, 1961,
p. 77.
(43) Fr. 32, D. L. Page, Poetae melici graeci, Oxford, 1962.
(44) Pausanias, X, 26, 1.
(45) XV, 43-181.
(46) Od., XV, 40-42.
(47) G. Vallet, Rhégion et Zancle , Paris, 1958, p. 263.
(48) C. M. Bowra, op. cit., p. 1 12 sq.
(49) D'après un commentaire sur un fragment de Stésichore récemment découvert sur
papyrus et analysé par C. M. Bowra, «The two Palinodes of Stesichorus», CR,
1963, p. 245 sq.: 193/16, D. L. Page.
(50) C. M. Bowra, op. cit., p. 79.
(51) H. Lloyd-Jones, loc. cit., p. 17.
(52) Fr. 82, Th Reinach, Paris, 1960.
(53) I, fr. 35 (7), ibid.
(54) I, fr. 27 (9, 10, 11), ibid.
(55) Fr. 292 (a) 5, D. L. Page.
(56) Fr. 7 (10) et 21, ibid.
(57) Fr. 561, ibid.
(58) Fragments incertains, 989, 1011 (a), 1014, ibid.
(59) Schol ad Od. IV, 9, 9.
(60) 505/e, Poetae melici graeci Bergk (fr. 133) avait accepté la scholie. De même
J. M. Edmonds, Anacréon, 148, LG II, Cambridge, 1952.
(61) Ode I, 17, 19-20 ;cf. J. M. Edmonds, LG, II, p. 211, n. 3.
(62) Odes, I, 23 et I, 27. Cf. E. Frànkel, Horace, Oxford, 1954, p. 179 sq.
(63) Le scholiaste parle d'un Anacréon, ami de Lysandre.
(64) C. M. Bowra, op. cit., p. 297 sq.
(65) II est possible que la poétesse Corinne, qui vivait sans doute à la fin du Vie
siècle (A. Lesky, A history οf Greek literature, 1966, p. 175, se range à cet avis
tout en envisageant la possibilité d'une date beaucoup plus basse, vers 200 avant
J.C. ; un accord, cependant, semble se dessiner si on adopte les conclusions de
A. Allen et J. Frel, «A date for Corinna», C J, 1972, 68, 1, p. 26 - 30, pour faire
de Corinne une contemporaine de Pindare, probablement plus âgée) ait évoqué
sa légende. Elle était d'origine béotienne, et les bribes de sa poésie qui ont
survécu ont été conservés le plus souvent par des grammairiens curieux de formes
dialectales. Apollonios Dyscole, grammairien du Ile siècle après J. C. a gardé dans
son Traité du pronom (fr. 145, 37, J. M. Edmonds, L G, III, p. 39) un certain
nombre de formes béotiennes qu'il attribue à Corinne. Parfois il ne cite pas sa
source, comme c'est le cas pour une forme béotienne du nom de Pénélope que
certains font remonter à Corinne (G. Gronert, «Corinnae quae supersunt»,
RhM, 1908, p. 188). J. M. Edmonds, loc. cit., considère ce point de vue comme
possible. Les mythes devaient occuper une très grande place dans son œuvre
puisque, selon Plutarque (Glor. Ath., 4, 347 f, L G, n. III, p. 7), elle a appris à Pindare
les lois du mythe ; mais elle s'inspire surtout des légendes thébaines.
(66) Vie de Pythagore, 57 .
(67) R. P. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, II, Paris, 1949, p. 35 sq.
(68) A. Delatte, Etudes sur la littérature pythagoricienne, Paris, 1915, p. 110.
(69) Porphyre, Vie de Pythagore, p. 32.
(70) 1123-1128 ; trad. J. Carrière, Théognis, Poèmes élégiaques, Paris, 1962, modifiée
en ce qui concerne le qualificatif de Pénélope traduit par fidèle.
(71) J. Carrière, Commentaire, ibid., p. 129.
40 M.-M.MACTOUX

(72) Ainsi ν. 74, 88. 209, 392, 416. . .


(73) 45-46 ;ttad. ibid.
(74) 364 ;trad. ibid.
(75) Le poète comique Epicharme qui avait consacré, dans la seconde moitié du Vie
siècle, plusieurs pièces à Ulysse, a pu mettre en scène Pénélope dans une œuvre
parvenue sans titre. Les deux seuls fragments connus rapportent des propos tenus
sans doute par Ulysse à Eumée. Le lieu de la scène devait donc être Ithaque, mais
de Pénélope il n'est pas question (fr. 172-173, G. Kaibel, Comicorum Graecorum
fragmenta, I, 1899, reimp. Berlin. 1958)
(76) Ainsi l'auteur de l'hérôogonie qui termine la Théogonie d'Hésiode parle de
l'amour d'Ulysse pour Circé et Calypso sans souffler mot de Pénélope (Th. 101 1-
1018).
(77) D. Page, op. cit., p. 1 29.
(78) Od., XXIV, 197-198.
(79) Voir supra, p. 14 sq.
CHAPITRE III

PÉNÉLOPE ET L'ART ARCHAÏQUE


Tous les efforts déployés pour retrouver dans les œuvres mycéniennes,
sceaux et bagues (1), vases (2), sarcophages (3), des allusions à des scènes
mythiques ou épiques ont donné de médiocres résultats. On peut l'expliquer,
non par l'absence de ces mythes et épopées qui se développent au contraire
à cette époque, mais par le fait qu'en pleine gestation ils prenaient plus
volontiers la forme du chant que de la représentation figurée (4). D'autre part il est
possible que l'art mycénien, art de cour, n'ait pas voulu intégrer des légendes
remplies de monstres et de magiciens qui avaient une origine populaire (5).
D'ailleurs la peinturemycénienne estsurtout ornementale et rares sont les
représentations figurées. L'opinion générale est celle qu'exprime A. Furumark
(6) à propos de l'art égéen dans son ensemble. Il y a peu ou rien, qui puisse se
réclamer de l'individuel, de l'historique et du mythologique.
Des quelques tentatives (7) nous retiendrons un exemple qui, plus que
tout autre, incite à la prudence. Sur une des faces d'un cratère provenant
d'Enkomi (8) deux personnages, debout devant un char, tiennent entre eux
un enfant. C'est apparemment une scène de départ, thème fréquent dans l'art
mycénien où il apparaît pour la première fois (9). Cette scène a été
rapprochée des adieux d'Hector à Andromaque dans YHiade où Hector soulève dans
ses bras Astyanax (10), de ceux Eriphyle et d'Amphiaros en présence d'Alc-
méon, et de la scène des Chants Cypriens où Ulysse simule la folie pour ne pas
prendre part à l'expédition troyenne, et où l'un des chefs troyens se saisit de
Télémaque à l'instigation de Palamède (11). Cette dernière interprétation
a été suggérée à l'auteur par le fait que les deux personnages semblent des
hommes, si l'on en juge par leur chevelure ; mais il peut aussi s'agir d'un
homme et d'une femme comme on l'a aussi supposé, l'art mycénien ne s'atta-
chant guère à différencier les sexes. On pourrait donc penser à une
représentation d'Ulysse, de Télémaque et de Pénélope puisque cette dernière
assistait à la scène d'après Apollodore (12). Cette interprétation n'a ni plus ni
moins de vraisemblance que les interprétations précédentes et, dans ce cas
précis, elle montre que, dans l'état actuel des découvertes, tout essai pour
déceler des traces de la légende d'Ulysse dans l'art mycénien est voué à l'échec.
Ulysse n'apparaît sûrement qu'à l'époque archaïque. Une des premières
allusions à ses aventures (13) serait celle d'une fibule de bronze de Thèbes
datant de la seconde moitié du Ville siècle (14) et représentant la lutte
d'Héraklès et de l'hydre, avec, à droite, le cheval de Troie. De même, cette
scène peinte sur le col d'une oenochoë trouvée à Ithaque (15) où figurent,
côte à côte, un homme tenant dans sa main gauche une petite branche
feuillue qu'il a l'air de tendre, et une femme dont le geste de la main droite
manifeste la surprise ou le recul. On a pu se demander si ce couple ne serait pas
Ulysse et Circé (16).
Mais, à cette époque, on ne relève curieusement aucune trace certaine
(17) de Pénélope dans l'art. Cette absence ne peut être correctement
interprétée que si l'on remarque parallèlement que YOdyssée dans son ensemble a
joué un rôle relativement faible dans l'art pré-classique. Alors que les motifs
tirés de Y Iliade sont très nombreux (1 8), la rareté relative des illustrations
empruntées à YOdyssée continue à surprendre (19). Et, d'une manière générale,
les œuvres d'Homère sont éclipsées par des sujets qui appartiennent plus
proprement au Cycle (20). Lorsque les artistes puisent des thèmes dans YOdyssée
c'est uniquement dans les récits chez Alkinoos. Déjà au Ville siècle, bien
qu'aucune des scènes représentées ne puisse être sûrement identifiée, c'est
avec l'Ulysse des aventures merveilleuses que certains rapprochements ont pu
44 M.-M. MACTOUX

être opérés.
Cette tendance s'affirme dans les œuvres du Vile et Vie siècles,
désormais interprétables avec certitude. C'est d'abord l'aventure la plus
sanglante et la plus monstrueuse, l'aveuglement de Polyphème par Ulysse qui
apparaît sur les vases dans le second quart du Vile siècle(21). Puis Ulysse vole
au secours de ses compagnons métamorphosés par Circé sur une cylix attique
à figures noires de la première moitié du Vie siècle, (22) et, à la même
époque il subit les aussauts perfides des Sirènes sur un vase peint en provenance
de Naucratis dont il ne subsiste plus qu'un fragment (23). Loin d'être isolées
ces représentations vont se multiplier à la fin de la période. Ainsi la fuite
d'Ulysse hors de la grotte du Cyclope deviendra un leit-motiv dans la
décoration des vases attiques à figures noires. J.D, Beazley a répertorié 1 8 vases sur
ce thème (24).
C'est encore à cette partie de Y Odyssée que se rapporte l'illustration
d'une amphore du Vie siècle provenant de Mélos (25) où Hermès le messager
vient, de la part des dieux, demander à Calypso de libérer Ulysse. Mais à la
différence des œuvres précédentes l'accueil empreint de tristesse de la nymphe
bouclée n'évoque plus l'aventurier tueur de monstres mais l'homme au destin
douloureux et au cœur aimant.
De même dans la sculpture ; on peut reconnaître Ulysse sur la métope
de la frise dorique du petit temple archaïque découvert à l'embouchure du
Sélé sur laquelle un héros chevauche une tortue marine : Ulysse s' efforçant
d'éviter la terrible Charybde (36).
Ce rapide survol des représentations d'Ulysse dans l'art archaïque a paru
nécessaire pour montrer que l'Ulysse d'alors n'est pas le mari de Pénélope. Il
est le héros légendaire en lutte continuelle contre des monstres qui se
nomment Polyphème, les Sirènes ou l'enchanteresse Circé, monstres doués de
pouvoirs magiques. Il les vaincra grâce à sa ruse, mais surtout grâce à l'aide divine
et, par cette lutte, il ressemble à ces héros fort prisés de l'art archaïque du
Vile siècle, Persée et Bellérophon (37). La vision légendaire de l'art, comme la
vision épique de la littérature, ne laisse aucune place à Pénélope. Cette société
en pleine mutation et à la recherche d'un équilibre s'intéresse plus à l'action
sous la forme de luttes et de victoires qu'à la victime qui subit sans révolte.
Nous avons vu que le trait le plus marqué chez la Pénélope d'Homère était sa
passivité, sa révolte stérile. Sa «sagesse» aurait pu être comprise comme une
acceptation de l'injustice divine et humaine dont les hommes de ce temps ne
veulent plus ; que l'on songe à Hésiode, aux législateurs, aux poètes lyriques.

Appendice
Cratère à colonnettes. Musée du Louvre, collection Campana, 11.260.
CVA, France, fascicule 19, pi. 166, fig. 7. PI. 1 . 1 .
On a émis récemment ]' hypothèse que c'est Pénélope que l'artiste
aurait voulu peindre sur la face Β d'un cratère attique à figures noires datant
des environs de 540. Sur un char conduit par un homme barbu se dresse une
femme dont le visage est entièrement voilé. Marchant à côté, mais se
retournant vers le couple, Hermès, reconnaissable à son manteau court, son pétase
et ses chaussures à ailerons. Le quadrige est lui-même encadré par deux
personnages féminins. A gauche, Athéna, avec l'égide d'où jaillissent des serpents,
LA LEGENDE 45

soulève le bras gauche dans un geste de protection, et, à droite, devant les
chevaux, une autre femme lui fait face.
F. Villard qui décrit le vase (28) intitule la scène «divinités en char».
Il s'agit apparemment d'une scène d'enlèvement et Y. Béquignon (29) évoque
le rapt d'Hélène par Thésée mais suggère également une autre interprétation.
Ce cratère illustrerait le récit au cours duquel Pausanias raconte comment
Ulysse, après avoir obtenu d'Icare la main de sa fille, l'emmène de Sparte
l'enlève en quelque sorte sous les yeux de son père qui la suppliait de rester.
Devant le refus de sa fille, Icare finit par se résigner et élève à l'endroit où le
char a disparu une statue à Aidôs(30). Certes, l'hypothèse est séduisante. La
présence d'Athéna qui a toujours été la protectrice vénérée d'Ulysse dans
Y Odyssée, et celle d'Hermès, dieu des voyages, mais ancêtre d'Ulysse dans
certaines formes de la légende, ne seraient pas déplacées ! La réprésentation, à
l'époque archaïque, d'une femme entièrement voilée est rare. On n'en connaît
guère qu'une autre sur un vase daté d'environ 500. N'aurait-on pas ici
Pénélope qui, d'après le récit de Pausanias, se voile, mettant fin aux
supplications de son père, tandis que la femme à l'extrême droite rappelerait Aidôs ?
(31).
Si cette analyse est exacte, trois remarques s'imposent. Alors qu'à
l'époque archaïque on ne connaît aucune autre œuvre d'art pouvant
représenter Pénélope, la seule possibilité ne s'inspire pas de la légende odysséenne ; ce
choix attesterait l'ancienneté de ce que nous appellerons le mythe de
Pénélope (32). De l'ensemble des faits, ce qui a été retenu, c'est
«l'enlèvement», qui rappelle d'autres «enlèvements» plus célèbres. Mais cet
enlèvement a eu lieu avec le consentement de l'héroïne qui, par sa prompte
détermination, a coupé court aux revendications paternelles. L'accent est mis ici
sur l'action, le refus de se soumettre. Si c'est le départ de Lacédémone que le
peintre a voulu évoquer il a choisi de traiter un aspect de l'histoire qui était
en accord avec le sentiment collectif de l'époque.
46 M.-M. MACTOUX

Notes du CHAPITRE III


(1 ) L. Banti, «Mylh in pre-classical art», AJA, 1954. p. 307-310.
(2) V. Karageorghis, «Mytli and cpic in Mycenacan vase-painting» AJA, 1958.
p. 383-387.
(3) H. T. Vermeille. «Painted Mycenaean lamakes». JUS, 1965, p. 123-148.
(4) L. Banti, loc. cit., p. 310.
(5) E. T. Vermeule, «Mythology in Mycenaean art». CJ, 1958, p. 104.
(6) The Mycenaean pottery, analysis, and classification, Stockholm. 1941. p. 430.
(7) V. Karageorghis, loc. cit.
(8) British Muséum. C 342, public par F. Stubbings, Mycenaean pottery from the
Levant, Cambridge. 195 1. pi, VII. 5.
(9) Cf. en particulier S. A, Immerwahr. «Two Mycenaean vases from Cyprus in the
Metropolitan Muséum of Art», AJA, 1945, p. 545 et pi. 11-12.
(10) VI. 474 sq.
(11) V. Karageorghis. loc. cit., p. 385. n. 35.
(12) Epitomc, III, 7. Cf. A. Severyns. Le cycle épique dans l'école d'Aristarque,
p. 284.
(13) Od., VIII. 492 sq.
(14) Londres. British Muséum. 3205, reproduit dans K. Schefold, Myth and legend in
early Greek art, London. 1966. pi. 6 a : E. Kunze, Archaische Schildbander,
Berlin. 1950, p. 102.
(15) T. J. Dunbabin. The Greeks and their Eastern neighbours, JHS, Sup. VIII.Londres
1957. pi. 78, I ; K. Schefold. op. cit., fig. 3 qui donne cette interprétation avec les
réserves d'usage. Ce vase n'est pas cité par O. Touchefeu-Meynier, Τ O, Paris,
1968.
(16) C. Weickert, «Eine geometrische Dartellung aus der Odyssée?», MDAI (R).
LX/LXI 1953-54, p. 56-61.
(17) Voir infra, p. 44.
(18) K. Friis Johansen. The Iliad in early Greek art, Copenhague. 1 967 , p. 38.
(19) K. Schefold. op. cit., p. 57.
(20) K. Iriis Johansen, op. cit., p. 39.
(21) Cratère d'Argos, C 149, étudié dans BCH, 195 3, p. 265, fig. 5 8 ; Amphore
d'F.leusis, pi. 12-13 in P. Arias et M. Hirmer. A. History of Greek vase painting,
Londres, 1962.
(22) Boston, 99. 519, (J. D. Beazley, Attic black-figure vase-painters. Oxford. 1956.
p. 69. 1. et O. Touchefeu-Meynier. op. cit., pi. XIV, I)
(23) Londres, British Muséum, B. 103/19.
(24) Op. cit., passim.
(25) Athènes. Musée National, 354 ; pi. 28. fig. 5. AJA, 1957. G. M. A. Hanfmannqui
l'analyse dans son article «Narration in Greek art», AJA, 1957, p. 71-78, souligne
la force avec laquelle l'artiste a su rendre l'importance du message, mais ne parle
pas de Calypso (p. 73).
(26) P. Zancani-Montuoro, «Odisseo a Cariddi», PP, XIV, 1959, p. 221-229.
(27) K. Schefold. op. cit., p. 34.
(28) Planche 166. CVA. France, fascicule 19, Paris. 1958.
(29) «Analyse du Corpus vasorum antiqiiorum, fascicule 19», JS, 1960. p. 92 sq.
(30) Op. cit., III, 20. 10-11.
(31) E. Langlotz, Griechische Vasen. Munich. 1932, p. 90. n. 315.
\ 32» Voir deuxième partie.
CHAPITRE IV

LA DRAMATISATIONDE LA LÉGENDE

A L'ÉPOQUE CLASSIQUE
LA LEGENDE 49

Avec le Ve siècle, l'attitude à l'égard de Pénélope se transforme. Le


personnage se dramatise et, à travers cette dramatisation, il acquiert cette
individualité que l'épopée archaïque lui avait refusée. Pénélope devient un
prénom qu'on aime donner, comme en témoigne cette stèle de Béotie qui
porte, selon l'usage dans cette région de la Grèce, à l'époque archaïque et
classique, le seul prénom de la ϊηοΐίε,ϊ]αν)έλαπ&().)Ρο\ΐΐ la première et unique
fois dans l'histoire de la littérature antique (2), deux grands dramaturges,
Eschyle et son neveu Philoclès l'Ancien, écrivent l'un et l'autre une pièce
intitulée Pénélope. Sophocle, de son côté, a dû faire d'elle le personnage
principal d'une de ses tragédies et, à la fin du siècle, la comédie de
Théopompe apporte un ultime témoignage de la place tenue par l'héroïne
dans la conscience de l'époque.
Certes Eschyle est attiré par la geste troyenne ; plus du quart de ses
pièces s'en inspire, mais ce sont surtout des épisodes secondaires dans la
tradition homérique qu'il porte sur scène. Une seule trilogie, les Myrmidons, les
Néréides et la Rançon d'Hector, relève directement du thème principal de
Ylliade, et sur les soixante dix neuf pièces connues, cinq seulement sont
tirées de YOdyssée : Circé, Protée, Psychagôgoi, Ostologoi et Pénélope. C'est
assez dire l'importance qu'il convient d'attacher à son choix.
De la pièce Pénélope il ne reste malheureusement qu'un très court
fragment (3). On admet en général qu'elle faisait partie d'une trilogie dont
les deux autres titres étaient Psychagôgoi (4) (ceux qui évoquent les ombres),
et Ostologoi (5) (ceux qui rassemblent les os), complétée par le drame
satyrique Grcé (6). Les Psychagôgoi dériveraient de la Nekyia dans laquelle
Tirésias prédisait son destin à Ulysse ; Pénélope aurait eu pour sujet la
reconnaissance des deux époux et le meurtre des prétendants, tandis que les
Ostologoi auraient évoqué les funérailles des prétendants, les problèmes
posés par leur mort à Ulysse, et ses démêlés avec leurs parents (7). La
composition de la trilogie correspondrait donc au schéma général de YOdyssée.
L'hypothèse paraît d'autant plus vraisemblable qu'Eschyle avait traité avec
les Myrmidons, les Néréides et les Phrygiens ou La rançon d'Hector, le thème
même de YUiade (8). Mais dans le détail l'accord est loin d'être fait. Pour
certains les Ostologoi sont le drame satyrique qui complète la trilogie dont fait
partie Pénélope (9), et enfin pour G. Murray (10), Pénélope n'est pas une
tragédie mais une pièce satyrique. On sait que les personnages des pièces
satyriques appartiennent au monde héroïque, mais qu'ils ont toujours
quelque chose qui les apparente à la comédie.
D est déjà difficile de se prononcer sur la place occupée par la pièce
dans la trilogie. Le seul fragment qui ait survécu (11) ne nous éclaire pas
davantage. C'est apparemment une parole prononcée par Ulysse disant qu'il
est un étranger de Crète, évoquant le passage de YOdyssée où Ulysse mendiant
se donne une généalogie Cretoise (12). Rechercher ainsi la vision eschy-
léenne de Pénélope est hypothétique, mais deux observations peuvent nous
aider. Eschyle a mis incontestablement Ulysse dans des situations grotesques.
Un des deux fragments des Ostologoi (13) que nous possédons le montre
recevant un pot de chambre sur la tête, et, dans le fragment conservé des
Psychagôgoi (14), il doit la mort à une infection provoquée par les
excréments d'un héron en vol reçus sur la tête. Situations dans l'un et l'autre cas
50 M.-M. MACTOUX

fort peu dignes d'un héros et on peut penser, avec W. Stanford (15), que ce
n'est pas là un signe d'admiration. Dans ces conditions Pénélope ne pouvait
être que l'antithèse de ce personnage sans grandeur tragique. Incarnait-elle
à ses yeux la vraie sagesse s'opposant à la rouerie d'Ulysse, qui pour la
première fois, dans un des fragments du Jugement des armes (16), est présenté
comme le fils de Sisyphe ? On sait combien Eschyle fait de la sophrosyné la
vertu par excellence, celle qu'a atteint Zeus lui-même après avoir dépassé le
stade de la violence du vainqueur de Cronos. Mais on aimerait croire qu'il a
vu en elle l'exemple priviligié d'une victime souffrante, semblable à l'Atossa
des Perses, et à l'Electre des Choéphores. Pénélope n'a-t-elle pas connu les
craintes maternelles de la reine, et l'angoisse de celle qui attend un vengeur ?
J. de Romilly a bien montré que «dans le monde tragique d'Eschyle, la
crainte est le sentiment humain dont la présence est le plus sensible (17)»,
et que cette crainte, liée à toute souffrance, se transforme le plus souvent en
angoisse et en épouvante. On aimerait penser que c'est là que résidait la
puissance dramatique de la Pénélope d'Eschyle. Les représentations de Pénélope
dans l'art figuré de la première moitié du Ve siècle invitent à le croire.
L. Séchan a suffisamment établi l'action souveraine exercée par la tragédie
grecque, non seulement sur la céramique contemporaine, mais sur toutes
les autres formes d'art (18). La réalisation des reliefs méliens et celle de
Pénélope sont probablement contemporaines (19). Et la Pénélope des reliefs
méliens n'est-elle pas la sœur d'Electre, assise dans la même attitude pensive
sur la tombe d'Agamemnon non seulement sur des reliefs d'argile, mais sur
une série de vases peints au IVe siècle, qui ont manifestement subi l'influence
d'Eschyle ? (20). Si, dans ce cas, l'attitude désolée d'Electre s'explique mal
par la scène du tombeau au début des Choéphores (21) où Electre,
découvrant la boucle de cheveux déposée par Oreste, se prend à espérer,
l'abattement de Pénélope ne pourrait-il être le reflet de l'œuvre d'Eschyle ? Alors que
VOrestie avait déjà trouvé un grand poète en Stésichore, Pénélope a dû
trouver le sien avec Eschyle.
En dehors de cette pièce, Pénélope a pu apparaître épisodiquement
dans les Psychagôgoi, les Ostologoi et dans Circé, dont il ne reste que deux
mots (22). Malgré toute notre ignorance, il est essentiel de remarquer
qu'Eschyle a vu dans l'histoire de Pénélope une situation suffisamment
dramatique pour écrire une tragédie. En la privilégiant, il la fait sortir de ce rôle
de comparse, la fait accéder au monde d'Oreste et de Prométhée où l'homme
cherche à dominer le destin, ne serait-ce que par la souffrance. Il ouvre la voie
à son neveu Philoclès dont la Souda vantait l'éloquence (23). Il fut aussi
attiré par le drame de la reine d'Ithaque et donna son nom à une de ses
tragédies CM). Que Philoclès soit revenu sur ce sujet montre qu'il avait des vertus
tragiques capables de plaire à un public athénien qui était devenu, au cours du
siècle, de plus en plus difficile à toucher.
Bien qu'aucun des titres conservés ne suggère un épisode précis de la
légende de Pénélope, il est certain que Sophocle a dû la faire figurer, à côté
d'Ulysse, dans des pièces dont les titres font appel le plus souvent à la légende
post-homérique : Ulysse acanthoplex, Niptra, Ulysse mainomenos, Euryale
et éventuellement Nauplios Katapleôn. De ces pièces il ne reste que des
fragments, et on est réduit, plus que jamais, à des conjectures.
L Ulysse acanthoplex (25) empruntait, on l'a vu, son sujet à la Télé-
gonie , ce qui ne veut pas dire nécessairement que Sophocle en conservait
l'esprit. Proclos dit qu'Ulysse fut tué par son fils Télégonos venu à Ithaque
LA LÉGENDE 51

à sa recherche ; (26) Apollodore, qui complète ce résumé, précise que sa


blessure mortelle fut faite par une lance ayant comme pointe un dard de pas-
tenague (27). La tragédie, dont on a une idée par celle de son auteur latin
Pacuvius cité par Cicéron (28), se serait terminée par la mort d'Ulysse, blessé
par Télégonos au cours d'une rixe qui aurait éclaté alors que le fus de Circé
et d'Ulysse essayait de pénétrer dans le palais d'Ithaque. Pénélope ne pouvait
assister indifférente à la scène.
Cette pièce a généralement été identifiée avec une autre pièce de
Sophocle, Niptra ou le Lavement des pieds. Cette identité s'appuie
précisément sur la pièce de Pacuvius qui portait ce titre de Niptra et dans laquelle,
suivant Cicéron, Ulysse était blessé et supportait sa blessure plus stoïquement
que dans celle de Sophocle. D paraît cependant extrêmement probable que
Sophocle a écrit deux pièces, l'une s'appuyant sur la Télégonie (29), et
l'autre sur YOdyssée. Depuis F. G. Welker, (30) le titre Niptra a été interprété
unanimement comme une allusion à la scène odysséenne au cours de laquelle
Euryclée reconnaît son maître. Une seule exception, celle de J. S. Svoronos
(31) qui a repensé le problème à propos d'une urne funéraire du musée de
Volterra, représentant Philoctète assis devant sa grotte, le pied nu et soulevé
pour être lavé dans un bassin (niptra). Comme rien dans la légende de
Philoctète ne rappelle cette scène, J. Svoronos suppose que le sculpteur aura
confondu deux scènes de Sophocle, l'une issue du Philoctète et l'autre de Niptra.
Le dernier titre proviendrait de ce que Télégonos, après avoir reconnu qu'il
avait blessé son propre père le soigne lui-même sur la scène, lavant la blessure.
Que Sophocle, cependant, ait détourné ce terme qui figure dans YOdyssée
pour lui donner une autre signification paraît peu vraisemblable. Lorsqu'il
fait appel ailleurs à la légende post-homérique, il choisit des titres sans
ambiguïté. Sans doute ne peut-on guère accorder une confiance totale à ce que dit
l'auteur de la Vie anonyme de Sophocle qui affirme que ses intrigues se
situent dans les traces d'Homère (32). On a bien établi que, jusqu'aux Péripaté-
ticiens, aucune distinction n'était faite par les Grecs entre Homère et les
auteurs du Cycle (33). Cependant ce même auteur affirme que, dans beaucoup
de pièces, il copia exactement YOdyssée. Si plus du tiers des pièces
appartenaient au cycle troyen, deux titres seulement relèvent directement de
YOdyssée : Nausicaa et les Phéaciens. Il y aurait place pour une troisième
pièce faisant revivre d'une manière plus nette encore, avec le retour d'Ulysse,
le thème central de l'œuvre homérique.
Cette hypothèse qui consistait à faire de Niptra une pièce odysséenne
avait été envisagé par A. C. Pearson (34) qui n'en tenait finalement pas
compte. Elle a été reprise et défendue par L. Séchan (35) à l'aide d'arguments
nouveaux. Il souligne d'une part l'impossibilité psychologique de transposer
cette scène lors d'un second retour d'Ulysse. En effet, conformément à la
Télégonie, Ulysse une fois rentré à Ithaque, serait reparti chez les Thesprotes
et, après avoir eu Télégonos de la reine du pays, Callidicé, aurait regagné sa
patrie. C'est là seulement que le bain de pieds aurait pu avoir lieu. D'autre
part, il rapproche de cette pièce le skyphos de Chiusi illustré précisément sur
une face par une scène de lavement de pieds et, représentant sur l'autre, un
entretien de Pénélope avec Télémaque. Le nom donné à la nourrice,
Antiphata, exclut la possibilité qu'il s'agisse là d'une simple illustration de
l'œuvre homérique (36). Si le vase s'inspire de Niptra, on voit mal comment
l'entretien de la mère et du fils se situerait ailleurs que dans un contexte odys-
séen. La répétition de cette scène célèbre est peu vraisemblable. Cette inter-
52 M. -M. MACTOUX

prétation a été défendue récemment par P. Venini (37) dans un article sur
Pacuvius. Il conclut à son tour que l'auteur latin a dû fondre en une seule
œuvre les deux pièces du tragique grec. L'erreur serait due à un défaut de
mémoire fort plausible de la part de Cicéron. Sophocle aurait donc, comme
Eschyle, accordé à la femme d'Ulysse une place de choix dans son univers
tragique.
Que Pénélope ait pu attirer un dramaturge qui voulait être un guide et
représenter des êtres idéaux (38), n'a rien de surprenant. Malheureusement
aucun texte ne permet d'apporter des précisions. On sait seulement que
Sophocle n'aimait pas Ulysse. Sa personnalité est ambiguë dans Ajax où de
héros rusé comparé par Athéna à une chienne de Laconie (39), il devient un
sage loué par le chœur (40). Mais dans l'ensemble de son œuvre Ulysse est un
héros détestable. Dans Philoctète il est lâche, sans scrupule, corrompu, et il
se présente encore ainsi dans un des fragments de la pièce, Le rassemblement
des Achéens (41). Cicéron comparant la pièce de Sophocle avec celle de
Pacuvius n'avait guère d'estime pour le héros larmoyant de l'auteur grec. La
lâcheté d'Ulysse devait être au centre de son Ulysse mainomenos (42), Ulysse
fou, qui empruntait, on l'a vu, son thème aux Chants Cypriens. Cette folie
était celle qu'il avait simulée pour tenter d'échapper à l'invitation de Ménélas
et d'Agamemnon de se joindre à eux pour aller guerroyer contre Troie.
C'était la lâcheté qui justifiait aux yeux de Sophocle la ruse, lâcheté dénoncée
par Aristarque et Eustathe comme inventée par les auteurs post-homériques
(43). Qu'Ulysse soit capable d'un tel sentiment, Sophocle l'a montré au début
â'Ajax et dans Philoctète, où, au nom de l'obéissance sacrée du soldat, il
exige de Néoptolème qu'il entre dans le jeu de ses combinaisons perfides.
Dans le Philoctète d'Eschyle il avait au moins la dignité de ne pas se décharger
sur un autre de sa mission. V Ulysse mainomenos se déroulait à Ithaque et on
voit mal comment, dans une même tragédie, Pénélope aurait pu être complice
d'une telle lâcheté. Ainsi, face à l'avilissement d'Ulysse, la dignité d'une
Pénélope est très probable. Le Skyphos de Chiusi à lui seul n'apporte pas
de preuve décisive (44). Il date du milieu du Ve siècle et la carrière théâtrale
de Sophocle a été très longue. On ne peut manquer cependant d'être frappé
par cette impression d'écrasement qui se dégage de toutes les
représentations figurées au Ve siècle. Le skyphos en est l'exemple le plus fameux, mais
des œuvres plus modestes comme des plaques de terre cuite ne la démentent
pas. Pénélope est toujours seule face à un destin qui la dépasse, destin qui
chez Sophocle pouvait bien prendre la forme de la lâcheté d'Ulysse. Sophocle
a peint des caractères féminins pleins de force et de fermeté dans Electre,
dans Ajax avec Tecmessa, dans Antigone et Oedipe à Colonne avec Ismène
(4ς) Pour la Déjanire des Trachiniennes qui est tout amour et conserve sa
dignité au milieu des épreuves, on a voulu voir dans la Pénélope d'Homère
un modèle évident (46).
Pénélope devait, de même, jouer un rôle important dans la pièce
intitulée Euryah (47). Le contenu est connu par le conte de Parthénios, Au sujet
d'Evippé. Si l'on en croit Parthénios (48) Ulysse, après avoir tué les
prétendants, alla en Epire, et là il abusa d'Evippé, la fille du roi Tyrimmas et eut
d'elle un fils, Euryale. Envoyé par sa mère à Ithaque à la recherche de son
père, il fut reconnu par Pénélope. Ulysse étant absent, Pénélope le persuada à
son retour de tuer l'étranger en l'accusant d'avoir voulu lui faire quelque mé-
chanteté. Ulysse devint ainsi le meurtrier d'un de ses fils (49). Parthénios
termine son résumé en disant qu'Ulysse, peu de temps après avoir commis ce
LA LÉGENDE 53

crime, fut blessé par un de ses fils avec l'épine d'une raie de mer et qu'il
mourut. On reconnaît le sujet de Y Ulysse acanthoplex . C'est peut-être pour
expliquer cette mort que Sophocle a inventé l'histoire d'Euryale. Ulysse
infanticide involontaire subira le même sort ; de même qu'il a tué son fils Euryale, il
sera tué lui aussi par un autre de ses enfants. La vengeance de Pénélope a
paru même comme un thème essentiel de la pièce (50) puisqu'on a pu s'en
servir comme argument pour préférer la version de Parthénios dans laquelle
Ulysse tue Euryale : la vengeance de Pénélope aurait été incomplètement
exécutée si le père n'était pas devenu le meurtrier de son fils. La vengeance est
bien un ressort tragique chez Sophocle. L'exemple le plus connu est celui
d'Electre, et on peut imaginer sans mal Pénélope, nouvelle Electre, de qui
l'art figuré l'a si souvent rapprochée.
Pénélope pu aussi figurer dans la pièce Nauplios katapleôn, (Nauplios
débarquant), si elle n'est pas la même que Nauplios pyrhaeos (Nauplios
allumant le feu) avec laquelle on l'a si souvent identifiée (51). Ce dernier titre
fait évidemment allusion à la vengeance de Nauplios qui, rentré de Troie sans
avoir pu obtenir justice pour la mort de son fils Palamède, alluma des signaux
lumineux sur les rochers de l'Eubée contre lesquels les bateaux grecs vinrent
se fracasser (52). Mais Sophocle aurait pu choisir une des autres formes qu'a
revêtues la vengeance. Pour les uns, Nauplios engloba dans sa haine
vindicative un certain nombre de chefs grecs dont il poussa les femmes à l'adultère
(53) ; pour d'autres, il poursuivit le seul Ulysse, principal responsable de la
mort de Palamède. C'est ainsi qu'il jeta Pénélope dans la mer (54) et causa le
suicide d'Anticleia, la mère d'Ulysse, en lui annonçant la mort de son fils
(55). Mais ce ne peut être là que simple hypothèse. Cependant, même en
excluant cette dernière pièce, il est certain que Sophocle a accordé une place à
Pénélope dans ses tragédies et que, de la lâcheté d'Ulysse, devait naître sa
grandeur.
Si Euripide lui porte un intérêt moins grand qu'Eschyle, et même que
Sophocle, il ne déformera pas cette vision qui avait fini par s'imposer au cours
du siècle. Euripide s'intéresse peu à YOdyssée. Il en tire seulement un sujet
avec le Cyclope. Mais Ulysse figure dans ses pièces troyennes comme un
ambitieux démagogue (56), soucieux de manier les foules. Dans ces mêmes pièces,
au contraire, il garde son estime à Pénélope. On connaît pourtant ses
tendances misogynes (57) déjà dénoncées par ses contemporains. Les
Athéniennes des Thesmophories lui reprochaient de trouver plaisir «à des sujets
où il y avait une femme mauvaise, représentant des Mélanippes et des Phèdres,
jamais Pénélope parce qu'elle passait pour vertueuse»(58). Si Pénélope est
absente de ses tragédies en tant que protagoniste, il fait allusion à elle à deux
reprises, à chaque fois pour louer sa vertu. Lorsqu'Oreste, dans la pièce de
même nom, essaie de se justifier auprès de Tyndare, venu lui demander des
comptes sur le meurtre de sa fille Clytemnestre, il évoque Pénélope selon le
procédé classique de la sophistique qui consiste à argumenter par l'exemple.
C'est sa vie que joue Oreste, et on peut penser que l'exemple a été choisi en
fonction de cet impératif. Pour Tyndare, l'oncle de Pénélope, comme pour
les Athéniens qui écoutaient en 408 le drame d'Euripide, l'exemple doit être
probant. Pour Oreste (59) l'adultère de Clytemnestre est aussi grave que le
meurtre d'Agamemnon engendré par la faute initiale. Pénélope fidèle n'a pas
encouru la haine de son fils : «Tu le vois : l'épouse d'Ulysse n'a pas été mise
à mort par Télémaque ; c'est qu'au lieu de prendre un second époux, elle
garde au foyer sa couche intacte» (60). Si lui-même a enfreint la loi, comme
54 M. -M. MACTOUX

le lui dit Tyndare, en tuant sa mère, c'est que Clytemnestre elle-même


Pavait enfreinte, entraînant de sa part une haine légitime (61), c'est à dire
conforme à la diké. La fidélité de Pénélope est élevée au rang de vertu sociale;
avec des femmes comme elle, la loi de la cité serait respectée. Avec des
femmes mauvaises, comme Clytemnestre, mais aussi comme Hélène (62) qui,
sans avoir tué Ménélas, est pourtant coupable d'injustice, l'ordre social ne
peut qu'être troublé. En proclamant que son matricide est un service rendu à
la Grèce entière (63), Oreste se présente par là même comme un champion de
l'ordre auquel appartenait Pénélope. Ainsi sa fidélité déborde le champ étroit
de la morale conjugale.
Sa vertu, d'ailleurs, va bien au-delà. Lorsque dans les Troyennes,
Talthybios, héraut de l'armée achéenne, vient annoncer à Hécube son sort de
captive, il prononce quelques mots susceptibles, peut-être, d'adoucir la peine
de la vieille reine. «Toi quand le fils de Laërte demandera qu'on t'amène, il
faudra marcher. Tu seras la domestique d'une honnête femme au dire des
guerriers venus à Ilion» (64). Les paroles d'apaisement du héraut sont
d'autant plus surprenantes qu'il ne répond pas directement à Hécube. La reine a
laissé éclater son désespoir quand elle a su qu'elle a liait devenir l'esclave du
roi d'Ithaque «être abominable et perfide» (65). Ce n'est pas Ulysse que
Talthybios défend, mais c'est à sa femme qu'il pense.
Les titres des deux autres pièces perdues de la trilogie, Palamède et
Sisyphe, suggèrent la même antipathie d'Euripide à l'égard du héros (66)
mais laissent peu de place à Pénélope. Palamède, probablement
traîtreusement assassiné par Ulysse dans la version d'Euripide, devait être un héros
pacifiste. Il est possible que la scène de la folie simulée d'Ulysse, dénoncée par
Palamède et généralement considérée comme expliquant la haine d'Ulysse,
ait figuré dans la pièce. Si Pénélope y paraissait, ce ne pouvait être que d'une
manière allusive.
Ainsi l'attitude d'Euripide à l'égard de Pénélope est en accord avec
l'esprit du temps. Pour la première fois depuis Homère, Pénélope est devenue
un personnage dont on parle autrement que comme la femme d'un héros
qu'on admire. Elle devient elle-même objet d'admiration et cette admiration a
été rendue sensible par l'usage que les grands tragiques font de la légende
(67).
Lorsque le mythographe Phérécyde écrit à Athènes (68), au milieu du
Ve siècle (69), ses Généalogies, il ne cherche pas à faire œuvre originale. La
vision qu'il a de Pénélope est celle que les auteurs tragiques du temps avaient
imposée. Si Laërte. dit Phérécyde, a choisi Pénélope pour Ulysse, c'est parce
qu'elle l'emportait pas sa beauté et sa sagesse sur toutes les autres femmes, y
compris sur Hélène qui était fille de Zeus (70). La sécheresse de la remarque
est significative. En présentant le fait comme évident, Phérécyde traduit le
sentiment général et. lorsqu'on connaît la part prise par la tragédie dans la vie
spirituelle d'Athènes au Ve siècle, on peut être certain qu'elle a contribué
pour la plus grande part à le créer.
Il est non moins remarquable qu'à cette époque apparaisse une image
qui connaîtra une longue histoire. On l'attribue à peu près dans les mêmes
termes au sophiste Gorgias, et à Aristippe, le fondateur de l'école cyrénaïque,
qui vinrent l'un et l'autre à Athènes dans le dernier quart du siècle. Gorgias
(71) comparait ceux qui délaissaient la philosophie pour l'étude des sciences
aux prétendants de Pénélope, qui, désirant la maîtresse, se contentaient des
servantes. De même, d'après Diogène Laërce. (72) Aristippe disait que «les
LA LÉGENDE 55

gens instruits dans les arts libéraux, mais ignorant la philosophie étaient
comme les prétendants de Pénélope : ceux-ci ont à leur gré Mélantho, Poly-
dora et les autres servantes, mais ils ne peuvent pas épouser la maîtresse».
Aristippe employait le mot plus vague d'études là où Gorgias disait sciences
(mathemata) mais la signification est identique ; l'un et l'autre opposent à la
philosophie toutes les autres formes de connaissance. Il n'est pas certain qu'ils
poussaient la comparaison au point de voir dans Pénélope la sagesse elle-mêmepeut-*
comme le fera plus tard la philosophie néoplatonicienne. Mais ce sont
être les premiers balbutiements d'une allégorie qui est plus ancienne qu'on a
pu le penser (73). En tout cas le proche passé de Pénélope a dû contribuer à
la création d'une comparaison où elle cesse d'être objet de désir pour devenir
sujet désirable. Pythagore louait Ulysse d'avoir préféré Pénélope à Calypso.
Gorgias et Aristippe louent Pénélope de ne pas se donner à ceux qui ne font
pas l'effort de la mériter.
Pénélope a été pendant très longtemps exclue des sujets comiques ;
aucune mention d'elle chez les auteurs de la comédie ancienne. Cratinos
serait le seul à avoir pu la faire paraître dans une pièce intitulée Les Ulysses
(74) pièce très tardive (75) généralement considérée comme appartenant à la
comédie moyenne. Dans les fragments qui nous sont parvenus (76), il est
question d'Ulysse et de Polyphème. La pièce se bornait-elle à traiter d'Ulysse
chez le Cyclope ? Il ne le semble pas. Platonios dans son traité Sur les
comédies (77) disait que LesUlysses de Cratinos ne comprenaient aucune attaque
précise et faisaient une satire de l'Odyssée. J.M. Edmonds a proposé
d'attribuer à Pénélope et à Ulysse le court dialogue au cours duquel quelqu'un
demande à son interlocuteur où il a rencontré le fils de Laè'rte (78). Le terme
employé est «andra» qui peut vouloir dire «mari». Il s'agirait de Pénélope
demandant à Ulysse déguisé où il avait vu son mari. Le faux mendiant, alors,
répondait qu'il l'avait aperçu à Paros, au marché, en train de choisir un
concombre. Au style épique de Pénélope répond le langage familier d'Ulysse.
Mais ces paroles ont été généralement mises dans la bouche de Polyphème
(79).
Faut-il penser que son caractère se prêtait infiniment moins que celui
d'Ulysse, l'homme aux mille ruses, à un traitement comique ? En tout cas
Aristophane (80) donnait l'exemple en parlant sérieusement de Pénélope,
la vertueuse, qu'il opposait à Phèdre la dévoyée. Ces paroles sont mises dans
la bouche d'une Athénienne des Thesmophories pour qui Pénélope est
l'exemple indiscutable d'une femme tempérante. Son choix revêt d'autant plus de
signification qu'il s'agissait pour elle de récuser un défenseur d'Euripide,
essayant de laver son parent de l'accusation de calomnier les femmes et de les
traîner dans la boue. Il fallait choisir une héroïne invulnérable même pour les
plus ardents détracteurs des femmes. D'ailleurs, quand le parent d'Euripide
lui répond, il ne le fait pas en attaquant Pénélope, mais en disant que si
Euripide n'a pas mis en scène Pénélope, c'est faute d'en trouver des exemples
à l'époque contemporaine. Il n'y a plus parmi les femmes une seule Pénélope
mais seulement des Phèdres (81). La vertu de Pénélope est donc acceptée
sans discussion par l'un et l'autre camp, y compris par Aristophane qui dans
ces mêmes Thesmophories se fait l'écho de violentes accusations portées à
l'égard des femmes (82).
Il faut attendre l'extrême fin du siècle pour que Pénélope devienne le
sujet d'une comédie de Théopompe. Elle devait figurer également dans une
autre de ses pièces, Ulysse, qui se déroulait à Ithaque si l'on peut en juger
d'après un fragment (83) où Ulysse parlait d'une tunique qu'on lui avait
donnée pous s'habiller. Or de la comédie intitulée Pénélope (84) qu'on a proposé
56 M-M.MACTOUX

de dater de 408-407 (85). au moment du retour d'Aleibiade, trois fragments


ont été conservés. Ils ne nous apprennent rien sur Pénélope. Dans Γιιη, il est
probablement question des prétendants qui faisaient abattre le porc sacré ;
dans l'autre on se propose d'honorer quelqu'un à la nouvelle lune en lui
offrant des présents et du laurier. S'agit-il de Pénélope comme le suggère A.
Meineke (86) ou d'une divinité (87) qui pourrait être alors Apollon ou
Athéna, la protectrice d'Ulysse et d'Athènes ? (88). On se souvient que dans
V Odyssée (89), le jeu de l'arc a lieu un jour de fête d'Apollon, Dans une pièce
ainsi titrée la grossièreté des prétendants se moquant d'Ulysse déguisé pouvait
offrir un matériau comique, mais ne peut-on penser aussi au caractère rusé de
Pénélope ? (90) Ce qui est fort probable, c'est que Théopompe a cherché à
parodier une tragédie, et s'il paraît difficile de songer à Eschyle, la pièce de
Philoclès semble toute désignée. La majorité des comédies mythologiques de
cette période renvoie à des tragédies (91) et ce même Théopompe a exploité
cette veine avec Thésée et Althaia. Les histoires héroïques sont ainsi
transposées dans la vie de tous les jours, mais, ce faisant, les auteurs comiques
traduisent l'intérêt d'une époque pour telle ou telle légende. On ne parodie que
ce qui touche.
Ainsi il semble que la légende de Pénélope ait connu au Ve siècle un
grand développement, même si l'état fragmentaire des œuvres qui nous
intéressent ne permet pas d'en mesurer la portée exacte. A aucun moment la lité-
rature ne s'est fait l'écho de cette autre forme de la légende pourtant bien
connue à cette époque dans laquelle Pénélope est. avec Hermès, la mère de
Pan. Si les affirmations d'Hérodote et de Pindare dans la première moitié du
siècle sont sans équivoque à ce sujet, elles n'ont pas été exploitées par la
littérature classique.
Hérodote examinant l'origine d'un certain nombre de dieux grecs parmi
lesquels Pan. écrit : «de Pan, fils de Pénélope (car c'est d'elle et d'Hermès
qu'il naquit à ce que disent les Grecs) il y a (jusqu'à nos jours) moins
d'années que depuis la guerre de Troie, environ huit cents ans». (92) L'étonne-
ment d'Hérodote ne porte pas sur i'identité des parents du dieu Pan, mais sur
le fait surprenant que les Grecs attribuent à Pan une naissance aussi proche. Il
cherche en effet, par cet exemple, à justifier son hypothèse (93) suivant
laquelle les Grecs ont emprunté aux Egyptiens une partie de leurs dieux et,
pour expliquer leur entrée tardive dans le monde divin, leur assignent une
naissance terrestre. La naissance de Pan, fils de Pénélope, comme celle de
Dionysos, issu de Sémélé. correspond au moment de l'emprunt. Ce passage
ne peut être compris que par référence au précédent (94) et il est probable
qu'Hérodote n'a pas exhumé ici une légende rare, mais qu'il réfléchit, comme
le ηΙπς souvent, sur les croyances les plus répandues de ses contemporains
(95). Quant à Pindare, un fragment de lui donne a Pan la même filiation
(96). On remarque cependant que le nom de Pénélope n'est pas prononcé
dans les Odes, alors que la conception qu'il se fait de la femme
correspondrait assez bien à un des aspects de la légende homérique. Dans ses hymnes,
Pindare trace le portrait d'une femme qui règne sur une famille unie à qui elle
apporte paix et sécurité, et dans la IXe Pythique il dit que le crime de Clytem-
nestre est «le plus affreux pour de jeunes épouses» (97). Il est un peu
aventureux d'affirmer que Pindare pense alors à Pénélope sans la nommer (98).
Si l'art dramatique semble avoir épuisé la légende (99). il ne faut pas
oublier ce qu'est la tragédie à Athènes au Ve siècle. Elle n'a rien d'un jeu
esthétique qui consisterait à adapter scéniquement les légendes épiques. Les
LA LÉGENDE 57

plus grands poètes furent à la fois les représentants de l'esprit national et les
guides spirituels des Athéniens (100). Qu'Eschyle et Sophocle aient choisi de
faire revivre l'existence tourmentée d'une modeste reine prouve que sa
passion était vécue, alors, comme un élément essentiel de toute destinée
humaine.
Mais l'exaltation qu'a connu le personnage dans la tragédie s'apaise
brusquement au IVe siècle. Les dramaturges n'en font plus de cas, et les
grands philosophes de ce temps le négligent. La tragédie pourtant n'est pas
morte ; les auteurs tragiques de cette période continuent à être fort
nombreux, et les vieux thèmes mythiques dont le succès est assuré sont
indéfiniment repris. Mais, parmi eux, celui de Pénélope a été manifestement
abandonné. Peut-être un Chérémon la met-il encore sur scène dans un drame
intitulé Ulysse dont parle Athénée (101). Mais on ne dispose d'aucune indication
pour savoir à quel aspect de la légende d'Ulysse il se réfère. La Souda faisait
également de Chérémon l'auteur d'une autre pièce, Traumatias, l'homme
blessé, dont le titre évoque le thème de l'Ulysse blessé par son fils Télégonos
dont parle Aristote (102), sans nom d'auteur. Mais ce second drame est
rejeté par la critique moderne (103). Le point de départ de cette attribution
était le fragment d'Athénée (104) auquel La Souda renvoie ; on s'accorde à
penser que le passage cité n'est pas de Chérémon, mais d'Alexis, le poète
comique. Quant à Aristote, il songe bien évidemment à la pièce de Sophocle.
Si Pénélope a dû maintenir à côté d'Ulysse dans les pièces de la comédie
moyenne, ce n'est plus elle qui attire, mais Ulysse. Déjà au Ve siècle, nous
avons vu que Cratinos avait intitulé une de ses comédies Les Ulysses ; mais
lorsque Théopompe, décidément passionné par le couple d'Ithaque, écrit
son Ulysse aux environs de 393 (105), il ouvre la voie à tous ceux qui, après
lui, font du héros la cible de leurs railleries comiques. Sans parler de la pièce
de Théopompe, on relève, au cours du siècle, cinq titres où figure le nom
d'Ulysse, en négligeant les pièces où il a pu faire une apparition épisodique.
L'Antiquité a gardé le souvenir d'un Ulysse d'Anaxandride (106), d'un
d'Euboulos(107), d'un autre d'Amphis (108), et de deux pièces d'Alexis (109),
le Lavement de pieds d'Ulysse, et Ulysse au métier (1 10). Les dates probables
(111) montrent une persistance du thème tout au long du siècle, porté sur
scène par des auteurs qui viennent de tous les horizons du monde grec.
Anaxandride est rhodien (111) ; Euboulos et Amphis, athéniens (111) ;
Alexis, de Thurium (111), mais tous se retrouvent à Athènes où ont dû être
jouées leurs pièces. Une inscription ( 1 1 2) nous apprend même qu'Alexandride
reçut un prix aux Dionysies pour son Ulysse.
Sauf dans le cas d'Alexis dont les titres éclairent quelque peu le contenu
les fragments ne permettent pas de se faire une opinion sur les sources. Dans
le Lavement de pieds d'Ulysse et Ulysse tissant, Alexis s'est attaché à parodier
YOdyssée. Ulysse travaillant au métier à la place de Pénélope était une
situation cocasse. Mais si Alexis s'inspire de Y Odyssée, en est-il de même des
autres ? On sait, par exemple, que les pièces d'Euripide où Ulysse apparaît
sont, soit des pièces troyennes comme Hécube, Les Troyennes, Iphigénie à
Aulis, soit des pièces se rattachant aux récits chez Alkinoos, comme le
Cyclope. Si Pénélope donnait la réplique à Ulysse, il est très difficile de se
prononcer sur la part qu'on lui réservait. Le même Euboulos qui a écrit un
Ulysse, évoque Pénélope (113) dans une autre pièce, Chrysilla, sans doute
du nom d'une courtisane. Comme chez Aristophane, il y loue sa grande valeur
et, selon le schéma classique, il l'oppose à Médée, la femme mauvaise, comme
58 M.-M.MACTOUX

Clytemnestrc est l'antithèse d'Alceste. Les termes changent, mais la


signification est la même.
La tendance relevée au Ve siècle se confirme. Le personnage de
Pénélope se prétait peu à un traitement comique. Ulysse au contraire, le
voyageur infatigable, sillonnant les mers et côtoyant les peuples les plus divers,
l'aventurier intelligent et rusé, possédait déjà chez Homère une essence
comique. La comédie de Théopompe reste une exception remarquable si l'on en
juge d'après le sort réservé à Ulysse. Négligée désormais par la tragédie comme
par la comédie, Pénélope ne séduit pas davantage les philosophes (1 14). Une
seule exception, à la fin du Ve siècle, avec Antisthène, le fondateur de l'école
cynique. Mais il ouvre la voie à une certaine forme de dénigrement qui
s'épanouira à l'époque hellénistique.
Pour Antisthène, Ulysse est, avec Héraklès, le héros cynique par
excellence. Le plus grand c'est Héraklès, le type même de la perfection, mais
Ulysse qui lutte seul et repousse toutes les tentations est aussi un modèle
d'endurance. Il séduisait tout particulièrement un philosophe qui mettait au
premier rang la volonté, l'empire sur soi, l'énergie qui surmonte toutes les
résistances, qui admirait le caractère d'un Socrate et sa grande force d'âme.
(115). Et Antisthène cherche à laver Ulysse d'un certain nombre de reproches
lancés par les sophistes, en particulier celui de ne pas avoir accepté
l'immortalité offerte par Calypso. Une schoiie (1 16) a laissé le souvenir de son
argumentation :«Sage comme il est, dit Anthisthène en parlant d'Ulysse, il sait que les
amants disent des mensonges et promettent l'impossible» (117). La suite de la
schoiie affirmait qu'Ulysse avait donné une preuve éclatante de sa sagesse en
laissant entendre qu'il voulait retrouver sa femme parce qu'elle était sage. 11
ne se serait pas soucié d'elle si elle n'avait possédé que charme et beauté
physiques. Mais ces explications ne sont pas attribuées à Antisthène et si le thème
est le même, rien ne permet de penser que la schoiie continue à rapporter la
pensée du Cynique (118). Pourtant Pénélope a attiré Antisthène et elle est
dans sa pensée un sujet important de réflexion.
Des dix livres dont la tradition a conservé le souvenir ( 1 19) le neuvième
empruntait ses thèmes à ÏOdyssée, et comprenait un parallèle entre Hélène
et Pénélope, tandis qu'un autre chapitre avait pour titre .Au sujet d'Ulysse et
de Pénélope et au sujet du chien (120). C'est beaucoup accorder à Pénélope
si on remarque qu'Ulysse et Héraklès ne reviennent que trois fois dans ses
titres. Il est probable que le chapitre ayant trait à Hélène et à Pénélope ne
contenait pas une exaltation de l'amour libre, thème fréquent des Cyniques
après Antisthène (121), mais rien ne prouve non plus que Pénélope
l'emportait au terme de cette confrontation. On peut simplement remarquer qu'
Hélcr.e est citée la première. Dans la comparaison entre Ulysse et Pénélope,
c'est Ulysse, le type du sage pour Antisthène, qui est placé en tête, et c'est par
rapport à lui que Pénélope devait être jugée. On ne peut que conjecturer le
sens de l'ouvrage. La supposition faite par A. Millier ( 1 22) reste toujours très
vraisemblable. Argos, le chien d'Ulysse, devinant son maître sous les haillons,
l'emportait sur la «sage» Pénélope, hésitante et circonspecte. Si une telle
démarche peut sembler hasardeuse, on a cependant l'impression que la pensée
cynique n'a jamais porté à Pénélope toute l'admiration réservée à Ulysse. Et
si Antisthène et ses disciples tirèrent du gymnase du Cynosarge où ils
enseignait leur surnom de cynique, le chien devint très vite le symbole du sage.
Diogène s'enorgueillissait d'être appelé par tous le chien, et les cyniques ont
toujours considéré les animaux comme des modèles à imiter. Le fait est
LA LÉGENDE 59

patent dans la littérature cynique postérieure. Lorsqu'au 1er siècle de notre


ère, Dion Chrysostome pour qui Diogène, le disciple d'Antisthène, est un
modèle, et dont la morale est un écho fidèle de l'ancien cynisme (123) parle de
Pénélope, ce n'est pas avec une intention laudative. Il ne la condamne pas
non plus systématiquement, mais il dénonce en elle une conduite ambiguë, un
opportunisme immoral, bref, un manque de droiture. Si Pénélope pouvait,
par rapport à certains, passer pour sage, elle n'était certainement pas, dans
l'œuvre d'Antisthène, l'égale de son époux en sagesse. Peut-être son violent
désir de sauver Ulysse l'a-t-il entraîné dans cette entreprise de dénigrement.
Après lui Platon et Aristote auront une attitude réservée. Platon ne lui
accorde guère plus qu'une allusion métaphorique et l'impression qui se dégage
de l'œuvre d' Aristote est encore plus négative.
Platon qui connaissait si bien l'épopée homérique (124) et se préoccupait
tant du problème de la vertu ne fait directement (125) allusion à Pénélope
que dans un court passage du Phédon (126) où sa personnalité est escamotée
au profit de l'histoire de la toile. Dans le même domaine métaphorique, on
est loin d'Aristippe qui, du moins, suggérait une certaine image de la reine
assaillie par les prétendants. Pour Platon, seule compte l'histoire de la toile
tissée le jour et défaite de nuit. Dans le Phédon, Socrate s' entretenant une
dernière fois avant sa mort avec ses disciples, s'efforce de préciser la fonction
de la philosophie . L'âme philosophique qui se détache du corps, c'est à dire
des plaisirs et des peines qui l'enchaînent «ne peut accomplir le labeur sans
fin d'une Pénélope qui sur sa trame travaillerait au rebours de l'autre» (127)
Le passage est peu clair mais il semble qu'il faille entendre que «l'âme ne peut
retisser dans la nuit de la vie sensible ce qu'a détissé la philosophie dans la
lumière de la pensée» (128). D'après cette interprétation, si elle est juste,
Platon se contente d'utiliser une image qui deviendra un lieu commun (129).
Il n'est pas impossible, cependant, qu'il fasse allusion à l'activité créatrice de
Pénélope qui, en détissant, accomplissait le vrai travail lui permettant de
rester momentanément maîtresse de sa destinée. Quoi qu'il en soit,
l'interprétation d'Homère reste littérale.
A lire Vie et poésie d'Homère du pseudo-Plutarque (130) on pourrait
croire que toute l'œuvre morale d'Aristote est une méditation sur les
exemples homériques. L'éthique aristotélicienne rejoindrait la morale homérique
sur les trois fondements de tout système moral : la conception de la vertu,
celle du bonheur, le rôle attribué à l'action, et Pénélope aurait pu être chez le
moraliste, un exemple priviligié. En fait il y a dans l'œuvre d'Aristote très peu
d'allusions à Y Odyssée (131) et encore moins à Pénélope. Les deux passages
où il en est question relèvent de la critique littéraire. Dans la Rhétorique
(132) à propos de la nature de la narration il parle du «récit à Alkinoos où
Ulysse raconte ses aventures en soixante vers» et dans la Poétique il nous dit
qu'Ulysse prit femme chez les Céphalléniens et non à Sparte (133). On a
même l'impression qu'il est loin de considérer Pénélope comme un
personnage central de Y Odyssée. Ce qu'il écrit dans la Poétique suggère que la
reconnaissance d'Ulysse et de Pénélope lui apparaît comme un épisode parmi
d'autres, accessoire par rapport au sujet qu'il résume ainsi : «Un homme au
loin de son pays pendant de nombreuses années, étroitement surveillé par
Poséidon et isolé. De plus les choses se passent dans sa maison de telle sorte
que sa fortune est dilapidée par les prétendants, et son fils livré à leurs
embûches. Il arrive lui, en proie à la détresse et s'étant fait lui-même reconnaître
de quelques uns, il attaque et est sauvé tandis que ses ennemis périssent
60 M.-M.MACTOUX

(134). Lorsqu'ailleurs il parlera précisément du problème de la


reconnaissance, (135) tout en affirmant que YOdyssée est un poème implexe
(car elle est reconnaissance d'un bout à l'autre) (136), il ne songera pas à
citer la reconnaissance des deux époux. Celle d'Ulysse par la nourrice et les
porchers lui paraîtra plus remarquable (137). Il est possible que l'école
péripatéticienne ait cherché à mettre en accord la pensée du maître avec celle
d'Homère, (138), et que ce soit dans ces matériaux que l'auteur de Vie et
poésie d'Homère ait puisé. Mais ce n'est là que supposition. L'influence
d'Homère a été si grande qu'aucun auteur, un jour ou l'autre, n'a échappé à
ces rapprochements rétrospectifs. Ce qui frappe, au contraire, à la lecture
d'Aristote, c'est l'absence de l'héroïne homérique dont Yarété aurait pu lui
paraître significative. Les philosophes de l'époque classique n'ont tiré aucun
parti de la légende qui, peu à peu, au cours du IVe siècle, a cessé d'intéresser.
Face à l'exubérance artistique du Ve siècle, la rareté relative des documents
au IVe siècle confirme ce trait.
LA LÉGENDE 61

Notes du CHAPITRE IV
(1) A. Plassart, «Inscriptions du Thespies», BCH, 1958, p. 117, n. 63 (SEG, XIX
(1963) n. 355). Les caractères permettent de dater l'inscription de la fin de
l'époque archaïque ou des débuts de l'âge classique (A. Plassart, loc. cit.).
(2) Le meurtre d'Agamemnon, thème de VOrestie, est mentionné trois fois dans
VOdyssée, mais ce sont surtout les Retours qui ont inspiré la trilogie.
(3) A. Nauck, Tragicorum graecorum fragmenta, Leipzig, 1856 (réimpression
Hildesheim, 1964), fr. 187.
(4) Ibid., fr. 275.
(5) Ibid. fr. 179 et 180.
(6) Ibid. fr. 114 et 115.
(7) L. Séchan, Etude sur la tragédie grecque dans ses rapports avec la céramique,
Paris, 1926, p. 180, n. 3.
(8) G. Murray, Aeschylus, the creator oftragedy. Oxford, 1962, p. 164.
(9) A. Nauck, op. cit., p. 58.
(10) G. Murray, op. cit., p. 167.
(11) Fr. 187, A. Nauck.
(12) Od. XIX, 180 sq.
(13) Fr. 180, A. Nauck.
(14) Fr. 275, A. Nauck.
(15) The Ulysses thème, p. 104.
(16) Fr. 175, A. Nauck.
(17) La crainte et l'angoisse dans le théâtre d'Eschyle, Paris, 1958, p. 1 1.
(18) L. Séchan, op. cit., en particulier chapitre III, Influence de la poésie sur l'art.
(19) Les reliefs méliens datent du second quart du Ve siècle (voir infra, p. 69 ).
D'autre part, il existe manifestement un lien entre les pièces de la tétralogie dont
fait partie Pénélope. Si l'on admet que ce n'est qu'assez tardivement que l'unité
s'imposa - elle n'existe pas dans la trilogie dont font partie les Perses de 472 - ne
pourrait-on dater Pénélope du second quart du Ve siècle ? En tous cas, il semble
possible que les reliefs méliens ne soient pas antérieurs à la pièce.
(20) L. Séchan, op. cit., p. 88-93.
(21) 164 sq.
(22) Fr. 114 et 115.
(23) S. v.
(24) Ibid.
(25) Fr. 453-461, A. C. Pearson.
(26) Télégonie, in A. Severyns, op. cit., 324-326.
(27) Epitomé, VII, 36. Les scholies ad Od. XI, 134, indiquent l'origine de cette mort
en disant que pour le terme exalos employé par Homère il y a deux lectures. En
un seul mot il signifie «loin de la mer» ; en deux mots, les termes qualifieraient
une mort qui «vient de la mer». Chez Homère, Ulysse a envie d'une mort paisible
sur la terre ferme. Cf. A. Severyns, Le cycle épique dans l'école d'Aristarque,
p. 413. Contra, V. Bérard qui traduit le vers dans VOdyssée, (XI, 134) par : «et
la mer t'enverrait la plus douce des morts»,
(28) Tusculanes, II, 21,49.
(29) L'Ulysse traumatias, l'Ulysse blessé, cité par Aristote {Poétique, XIX, 1453 b,
29) sans nom d'auteur, est certainement la même pièce qu'Ulysse acanthoplex.
(30) Die griechischen Tragoedien, Ι,Βοηη, 1839, p. 242.
(31) «Ulysse chez les Arcadiens», Gazette archéologique, 1888, p. 262 sq.
(32) Vie anonyme de Sophocle, 20, in Sophocle I, texte établi par A. Dain et traduit
par P. Mazon, Paris, 1962.
(33) Cf. A. C. Pearson, The fragments of Sophocle, 1ère éd. 1917 ;réimp. Amsterdam,
1963, General introduction, p. XXIV.
(34) A. C. Pearson, op. cit., II, p. 105, n. 1.
(35) L. Séchan, op. cit., p. 178-180.
(36) La modification de noms homériques n'est pas exceptionnelle. Ainsi la mère
d'Oedipe, Epicaste chez Homère (Od. XI, 271) est devenue Jocaste chez les
Tragiques.
(37) «Sui Niptra di Pacuvio», RIL, 1954, p. 175. Cf. L'analyse de H. P. Johansen,
Lustrum, 1962, Sophocle (1939-1959). p. 284, n. 824.
(38) Aristote, Poétique, 1460 b.
(39) 8.
62 M.-M.MACTOUX

(40) 1374-1375.
(41) 142. A.C. Pcarson.
(42) Ir. 462 à 465. A. ('. Pearson.
(43) Voir supra, p. 32
(44) Voir infra, p. 73 sq.
(45) T. B. L. Webster, /1/î introduction ta Sophocles, Londres. 1969. Chap. 111, Charac-
ters. passim.
(46) Cedric H. VVliitman. Sophocles, A study oj heroic humanisai. Cambriduc, 1951,
p. 113.

'
(47) La pièce est citée par Lustathe. 1796. 5 2 ; cï Λ. C. Pearson, op. cit.. I. p. 145.
(48) Erotica. 3.
(49) Si Wilamouilz. Honicrischc Uutersuchuugen. Berlin. 1884. n'est pas une source
entièrement digne île loi pour la reconstruction de la pièce de Sophocle, la plupart
des critiques, cependant, lui accordent leur faveur. Ceci est important parce qif
Lustathe fait tuer F.uryale par Télémaque, tandis que Parthemos fait d'Ulysse le
meurtrier. Le rôle de Pénélope s'en trouve considérablement modifié.
(.50) .1. Vurtheim. «De Lugainmonis Λ elegonia». Mnemosyne. XXIX, 1901, p. 23-58.
(51) Fr. 425-438, A. C Pearson. Voir le résumé des diverses hypothèses dans A. C.
Pearson. op. cit.. 11, p. 80-83.
(5 2) Schol. ad Or est.. 432.
(53) Lycophron, Alexandra. 1093-1096
(54) Lustathe. 1422. 8.
(.55) Schol ad Od.. XL 202.
(56) Ln particulier dans Hécube. 131 sq., et les Troycnnes. 280 sq.
(57) Cf. la virulente tirade d'Hippolytc dans Hippolyte. 616 sq.. oii il dénonce la
perversité féminine.
(58) 546-548 ; trad. H. Van Duc-le m Aristophane. IV. Pans. 1962.
(59) Oreste. 572 sq.
(60) 590 : trad. L. Mendier, m Euripide. VI. 1 , Paris. 1 959.
(61) 572.
(62) 649-650.
(63) 565.
(64) 42 1-423 ; trad II. Grégoire, in Euripide. IV. Paris. 1964
(65) Troycnnes, 282.
(66) W. B. Stanford. The Ulysses thème, p. 114 et n. 26.
(67) D'autres pièces consacrées au cours du Ve siècle à la légende d'Ulysse ont pu
évoquer les rapports d'Ulysse et de Pénélope. Mais ce sont que des titres dont la
signification même n'est pas évidente. A la fui du siècle Achéos d'Lrétrie avait écrit un
drame satyrique Aithon. Athénée. (Banquet des Sophistes. VI, 270 bc ; IX, 368 a,
IX. 376 a - fr. 6.7.8, A. Nauck) en parle, citant quelques extraits qui n'éclairent
guère le contenu de la pièce. Aithon, ayant pour aïeul Minos, le roi de Crète,
est le nom qu'Ulysse se donne (Od. XIX. 183) lorsque Pénélope interroge le
mendiant sur son identité, et le seul fragment conservé de la pièce d'i schyle, Pénélope
sont les paroles prononcées par quelqu'un, probablement Ulysse, qui se dit erétois
d'une race très ancienne. On citera à peine Timésithéos et Apollodore de Tarse
connus seulement par la Souda s. v. comme auteurs tragiques, mais d'époque
indéterminée. Parmi les titres rapportés à Timésithéos figure une pièce. Les
prétendants. Il s'agit peut-être de ceux d'Hélène qu'il avait prise comme sujet
d'un autre draine (L. Diehl, P. W., s. ν. Timésithéos). A Apollodore de Tarse,
la Soudais, v.. attribue deux pièces qui pouvaient s'inspirer de la légende d'Ulysse
Acanthoplex dont le titre rappelle VUlysse acanthoplex de Sophocle, et une autre,
:

L 'infanticide qui évoquait peut-être le meurtre de Télégonos par Ulysse. Ces deux
pièces pourraient n'en faire qu'une.
(68) la Souda , s. v. distingue trois auteurs du nom tic «Phérécyde» : Phérécyde de
Syros, Phérécyde l'Athénien, et Phérécyde de Leros. On a de bonnes raisons de
croire que les deux derniers n'en font qu'un (c\. K. Millier, /·'//(/, 1. Paris, 1853,
p. XXXV).
(69) Phérécyde l'Athénien est généralement situé au Ve siècle, (cf. A. et M. Croiset,
Histoire de la littérature. Il, p. 548), bien que les auteurs anciens le donnent,
tantôt comme plus âgé. tantôt comme plus jeune que Phérécyde de Syros qui
écrivit certainement au milieu du Vie siècle. (Cf R. Tozzi. «Ferecidc di Siro», RAL,
1967. p. 206-235).
(70) Fr. 128. EGH, 1 {Schol ad Od. XV, 16).
(71 ) 82, B 29, H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 1959.
LA LÉGENDE 63

(72) Vie des philosophes illustres, II, 79 ; trad. R. Genaihe, Diogène Laërce, I, Paris
1965 cfr. 23, E. Mannebach, Arisîippi et Cyrenaicorum fragmenta, Leidèn, 1961.
(73) F. Buffière, Les mythes d Homère et la pensée grecque, Paris, 1956, p. 391,
affirme que l'allégorie ne s'est développée qu'après Aristote. Il ne cite d'ailleurs
ni la comparaison de Gorgias ni celle d'Aristippe. Elle fut également parfois
attribué à Aristote (Apophtegmata, 26, A. Heitz, Fragmenta Aristotelis, Paris, Didot,
1886).
(74) La Souda, s. v.
(75) J.M. Edmonds, AC, I, Leiden, 1957, n.b,P· 70-71.Bien qu'il propose deux dates
assez éloignées, 451 et 439 - 7, J.M. Edmonds penche pour la date la plus basse et
voit dans la pièce une allusion à l'exil de Phidias.
(76) Fr. 1 35-150, J.M. Edmonds.
(77) 1, 12, G. Kaibel, Comicorum graecorum fragmenta, I, Berlin, 1958.
(78) Fr. 149, J.M. Edmonds, commentaire, p. 70-71, n.b.
(79) Cf E.D. Philipps, p. 64, in «The comic Odysseus», G & R, 1959, p. 58 sq.
(80) Thesmophories, 547-548.
(81) /Ζ?κ?ν549-550.
(82) Ailleurs, comme dans Lysistrata, il prendra au contraire la défense des femmes.
(83) Fr. 33, J.M. Edmonds.
(84) Fr. 47-49.
(85) J.M. Edmonds, op. cit., I, p. 866, n. a.
(86) Poetarum comicorum graecorum fragmenta, II, 2, Berlin, 1890, p. 810, fr. I.
(87) J.M. Edmonds, op. cit., ibid.
(88) E.D. Phillips, loc. cit., p. 65.
(89) Od, XX, 276-278.
(90) Pour l'importance de ce trait dans l'Odyssée voir notre chapitre I, deuxième
partie.
(91) T.B.L. Webster, Studies in later Greek comedy, Manchester, 1953, p. 17.
(92) H, 145 ; trad. Ph. E. Legrand, Hérodote, Histoires, II, Paris, 1963.
(93) II, 43^5.
(94) W.W. How et J. Wells, A commentary on Herodotus, I, Oxford, 1928, p. 128.
(95) Ph. E. Legrand, op. cit., I A, Introduction, p. 84. Certes Hérodote prend aussi
comme exemple Héraklès, qu'il fait naître d'Alcmène et d'Amphitryon, sans
parler de Zeus, alors que déjà dans le bouclier du pseudo-Hésiode, (v. 1 sq.), qui date
du Vie siècle avant J.C. et dans un passage récent de VOdyssée (XI, 266-268),
mais qui ne doit pas être postérieur, Héraklès était fils de Zeus. Cependant
Hérodote ne fait que choisir un des aspects d'une légende parfaitement connue
sous ses deux formes.
(96) Frl00,Br. SnelL
(97) 26-27.
(98) J. H. Finley, Pindar and Aeschylus, Harvard - Cambridge, 1955, p. 163.
(99) A la fin du siècle, Timéthéos de Milet qui renouvela le dithyrambe écrivit un
Ulysse en quatre livres {Etymologicum Magnum, s. v«). D'après les fragments
conservés, il est naturel de penser que les quatre dithyrambes suivaient le schéma
de VOdyssée. L'un des fragments parle de Laërte, et le poème devait évoquer le
retour d'Ulysse auprès des siens. Mais il n'a pas laissé d'autres échos»
(100) W. Jaeger, op. cit., p. 292.
(101) La Souda. s. v.: f Athénée, XIII, 608 e.
(102) Poétique, 1453 b, 29.
(103) A. Nauck, TF, p. 781 sq.
(104) Athénée, XIII, 562 f.
(105) J.M. Edmonds, ^C, I, fr. 33-35.
(106) Idjbid., II, fr. 33-34.
(107) Ibid, fr. 71.
(108) Ibid, fr. 27.
(109) Ibid, fr. 154 et 155- 156.
(110) Athénée, XIV, 650 e, cite une pièce d'Alexis, Les prétendants. Il ne semble pas
légitime d'en faire comme J. M. Edmonds, op. cit., p. 446, une pièce différente de
l'autre pièce d'Alexis, Les prétendants d'Hélène. C'était l'avis de A. Meineke,
Fragmenta comicorum graecorum, III, Berlin, 1839-1857, p. 412, 3. De même
il faut éliminer une pièce, Le fou ou La folie, dont le nom a été seulement à
moitié conservé sur une inscription (J.M. Edmonds, op. cit., p. 45) et qui aurait pu
faire penser à un Ulysse fou.
64 M.-M.MACTOUX

(1 11) La Souda, s. v. Les dates proposées par J. M. Edmonds sont respectivement : 393 ;
358 (?) ; 355 ; 338-326 pour la pièce d'Alexis, Ulysse au métier.
(112) J. M. Edmonds, op. cit., II, p. 45.
(113) Fr. 116, J. M. Edmonds.
(114) II a existé, au temps de Socrate et tout au long du IV e siècle, une série de rhéteurs
qui s'efforçaient de découvrir le sens caché d'Homère et l'enseignaient à la
jeunesse à la manière des sophistes. Le rôle de ces professeurs d'allégories a dû être
important si l'on en juge d'après ce que dit Xcnophon (Banquet, III, 6). Mais il
ne reste, ou presque, que des noms. Xénophon cite «Stésimbrotc de Thasos,
Anaximandre et bien d'autres», et Platon ajoute à cette liste Métrodore de Lamp-
saque et Glaucon (Ion, 5 30 c sq.). Il est possible que certaines actions de Pénélope
aient reçu une interprétation allégorique. Mais il s'agissait surtout d'une exégèse
physique inaugurée par Théagènc de Rhégion dans la deuxième moitié du Vie
siècle. Ils voyaient dans les mythes homériques la transposition de phénomènes
cosmogo niques et cherchaient surtout à retrouver dans les dieux, leurs luttes et
leurs rapports, les luttes et les rapports des éléments entre eux (K Buffière, op,,
cit., p. 123-136). Pénélope n'a pu tenir dans ces systèmes allégoriques une très
grande place.
(115) G. Rodier, «Conjecture sur le sens de la morale d'Antisthène», p. 25 sq., in
Etudes de philosophie grecque, Paris, 1957.
(116) Schol. Ε ad Od. V, 211 ν 52 A, F. Decleva-Caizzi, Antisthcnis fragmenta, Venise
Milan, 1966.
(117) Trad. F. Buffière, op. cit., p. 371.
(118) F. Buffière, op. cit., p. 372, tout en remarquant que cette partie de la scholie
n'est pas attribuée à Antisthène, suggère, en s'appuyant sur l'identité du thème,
qu'il pourrait bien s'agir encore là du point de vue du philosophe.
(119) Diogene Laè'rce, VI, 15, 18 in Diogenis Laertii Vitae philosophorum, II, éd. H. S.
Long, Oxford, 1964.
(120) VI, 17-18. Les éditeurs successifs proposent pour ce passage deux lectures
différentes. Pour les uns, on a deux titres : «Au sujet d'Ulysse et de Pénélope» et «Du
chien»- Pour les autres, les deux titres n'en font qu'un, «Au sujet d'Ulysse et de
Pénélope et au sujet du chien». Nous adopterons cette dernière version proposée
par C. G. Cobet, De clarorum philosophorum vitis, Paris, 1850, et suivie par H.S.
Long, Diogenis Laertii Vitae philosophorum, II, Oxford, 1964. F. Dccleva Caizzi,
dans son édition des fragments d'Antisthène, envisage la possibilité de deux titres
mais ses remarques dubitatives indiquent qu'il penche pour un titre unique.
(121) F. Decleva-Caizzi, op. cit., n. p. 84.
(122) De Antisthenis vita et scriptis, Dissertatio Maiburg, 1860, p. 53.,
(123) L. François, Essai sur Dion Chrysostome, Paris, 1921 , p. 120-140.
(124) J. Labarbe, VHomère de Platon, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et
Lettres de l'Université de Liège, 1949, p. 395 sq.
(125) Pour le Socrate de YAlcibiode (112c) Γ Iliade et l'Odyssée sont des «poèmes qui
ont pour sujet des dissentiments sur le juste et l'injuste». C'est ainsi qu'il faut
comprendre la cause de l'affrontement des «prétendants de Pénélope et d'Ulusse»
Formule lapidaire par laquelle il résume l'épopée (trad. M. Croiset).
(126) 84.
(127) Trad. L. Robin, in Platon,\N, Paris, 1926.
(128) L. Robin, op. cit., p. 46, n. 1.
(129) Elle ressurgit dans la litérature occidentale, sous forme de métaphores ou de
paraboles, à toutes les époques. Cf. encore récemment, A.J. Toynbee, A study of
history, Londres, 1960, p. 555-556.
(130) De vita et poesi Homeri.135, Plutarchi Moralia, II. éd. G.N Bernadakis, Leipzig,
1896.
(131) A l'exclusion, évidemment, des Difficultés homériques, commentaire à des
passages difficiles des œuvres d'Homère (cf. P. Moraux, Les listes anciennes des
ouvrages d'Aristote, Louvain, 1951, p. 114-115) et connues seulement par des
fragments (fr. 142-179, V. Rosé, Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta,
Leipzig, 1886). Pénélope est citée dans le fragment 176 dans lequel Aristote
commente le fait qu'Ulysse préféra ne pas se faire reconnaître de sa femme.
(132) III, 16,7,1417 a.
(133) 1461b.
(134) Ibid., 1455 b, 16 ;trad. J. Hardy, Paris,1965.
(135) Ibid., 1454 b.
LA LÉGENDE 65

(136) Ibid, 1459 b, 13.


(137) Ibid, 1454 b, 25.
(138) F. Buffière, op. cit., p. 313. A cette tendance peut se rattacher la vertu exemplaire
que l'auteur de l'Economique attribue à Pénélope. Dans le livre III de cette œuvre,
probablement écrite par un péripatéticien de la génération immédiatement
postérieure à celle d'Aristote (cf. F. Susemihl, Geschichte der griechischen Liberatur in
der Alexandrinerzeit, Leipzig, 1891, I p. 158-159 et M. Defourny, Aristote,
Etudes sur la Politique», Paris. 1932 p. 43 n. 3) et dont on ne connaît qu'une
traduction latine, Pénélope est l'épouse qui a su montrer au sein de l'épreuve, fidélité et
loyauté à son mari, assumant ainsi la plénitude de la condition féminine telle qu'
elle est analysée dans ce livre (1); inversement Ulysse n'a commis à l'égard de
Pénélope aucune faute, assurant par la réciprocité de ses sentiments, la force
harmonieuse du couple (3).
CHAPITRE V

PENELOPE DANS L'ART CLASSIQUE


PREMIERE PARTIE

LE Ve SIECLE

L'art évolue d'une manière parallèle. Pénélope, inconnue de l'art


archaïque, prend soudain dans l'iconographie du Ve siècle une place
considérable. Nous avons déjà eu l'occasion de rapprocher certaines œuvres
dramatiques des représentations figurées. Il est certain que le rôle de la tragédie a
été prédominant pour susciter l'apparition, de ce thème dans l'art, (1) thème
qui sera largement exploité tout au long du Ve siècle.
Deux grandes tendances se dégagent de ces documents figurés, sensibles
l'une et l'autre pendant toute la période. Mais tandis que dans la première
moitié du siècle domine nettement l'image d'une héroïne souffrante, dans la
seconde moitié s'impose l'image d'une héroïne majestueuse et sereine.

/ - UNE SOUFFRANCE SOLITAIRE

PLA Q UES DE TERRE CUITE dites RELIEFS MELIENS.


Ce sont de modestes œuvres d'artisans qui offrent pour la première fois,
au Vème siècle, des représentations sûres de Pénélope. On en connaît
plusieurs exemplaires qui tournent autour de deux thèmes odysséens : l'entretien
de Pénélope et d'Ulysse, alors que celui-ci, déguisé en mendiant, pénètre après
une longue absence dans son palais d'Ithaque, et le lavement de pieds d'Ulysse
par Euryclée, scène au cours de laquelle la servante reconnaîtra le maître.
Pénélope, comme dans Y Odyssée assiste à la scène.
Il n'est pas possible d'établir d'ordre chronologique entre ces deux
thèmes. Les deux plaques que possède le Metropolitan Muséum de New-York
(2) qui représentent, l'une le retour d'Ulysse, et l'autre le lavement de pieds,
ont été analysées par G.M.A. Richter et datées de la première moitié du Ve
siècle (3). Si le relief du lavement de pieds semble un peu antérieur au retour
d'Ulysse daté plus précisément de 460, la différence ne peut avoir ici de
signification. Les deux thèmes sont contemporains et apparaissent dans le
deuxième quart du Ve siècle.
Les premières plaques de terre cuite fabriquées à partir de moules ont
été étudiées avec soin et ont reçu le nom de reliefs méliens, parce qu'un
certain nombre d'exemplaires proviennent de Mélos et présentent, comme l'a
montré P. Jacob sthal (4), des affinités stylistiques avec les monnaies mélien-
nes. Percées de trous dissymétriques (5), elle étaient destinées, non pas à être
suspendues, mais à être fixées sur des parois, et la quasi-totalité a été
retrouvée dans des tombes.
Les sujets, généralement mythologiques, sont d'une grande variété, mais
comme la majorité des terres cuites du Ve siècle, (6) leur caractère semble
profondément religieux et traduit la foi populaire. Ce n'est pas un hasard si
les dieux olympiens qui abondent sur les vases attiques contemporains, sont
presque absents, à l'exception de déesses telles Artémis, Aphrodite, Athéna,
et si les thèmes mythologiques qu'on retrouve sur ses plaques, geste de
Thésée, Bellérophon, Persée et Méduse, sont jugés archaïques (7). Le
caractère conservateur de la religion populaire est bien connu.
70 M.-M. MACTOUX

1 - Plaque de terre cuite. New- York, The Metropolitan Muséum of Art. 25.
78. 26. Première moitié du Ve siècle.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 95. pi. 54.
- G. M. A. Richter. «New accessions in 1 lie classical département».
BMM, 1926. p. 80 sq.. fig. 1.
- IVî.R. Schercr, The legends of Troy in art and H fera turc, pi. 146.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 457.
La scène se passe à l'intérieur du palais comme l'indiquent les quatre
colonnes doriques qui soutiennent le toit. Luryelée, agenouillée devant Ulysse, lui
lave les pieds. Sa tète manque, mais on peut la voir sur un autre relief sorti du
même moule (8). Elle regarde simplement la cicatrice. A l'arrière-plan, Télé-
maque et Pénélope, debout, assistent à la scène sans y participer. Comme le
regard de Télémaque, celui de Pénélope se porte au delà d'Ulysse assis sur un
tabouret. Sa présence, uniquement physique, respecte l'esprit de la scène
odysséenne. On se souvient qu'Athéna détournait alors son attention pour
qu'elle ne pût reconnaître la cicatrice révélatrice.

2 - Plaque de terre cuite, provenant de Corinthe. Athènes, Musée National.


9753. Première moitié du Ve siècle.
- C. Robert, «Die Fusswaschung des Odysseus auf zwei Reliefs des
funften Jahrunderts»,M)/4/( A), XXV. 1910, pi. 14.
- F. Millier, 0/. p. 81.
- P. Jacobsthal, Die Melischen Reliefs, n. 96. pi. 55.
- H. Lechat. «Le bain de pieds d'Ulysse». REG , 1901. p. 439-442.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 458.
Le morceau qui reste de ce relief montre qu'il est à ce point semblable au
précédent qu'il doit être sorti du même moule. Pénélope figurait certainement
dans la partie manquante et on ne peut suivre H. Lechat (9) qui, d'après les
dimensions, pensait qu'il ne pouvait y avoir eu de place pour Pénélope.

3 - Plaque de terre cuite, provenant de Rhodes. Berlin, Antiquarium. 8757.


Deuxième quart du Ve siècle.
- F. Muller, 0/, p. 83. n. 1.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 87, pi. 48-49.
- EAA, s.v. melici, fig. 1 179.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 424.
Sur ce relief de Rhodes Pénélope est assise sur un tabouret d'apparence
rustique sous lequel a été glissée la corbeille à ouvrage, le kalathos. Sa tète
penchée s'appuie sur sa main gauche et, perdue dans une triste rêverie, elle semble
ignorer Ulysse, debout à sa droite, le corps nu et décharné, qui la regarde
intensément. D'un geste énergique, il l'a saisie de son bras droit comme s'il
voulait la tirer de sa torpeur. L'opposition entre les deux attitudes a été rendue
sensible par l'apparence donnée aux deux personnages. A une femme
complètement drapée, mais dont la silhouette jeune se dessine sous les vêtements,
fait face un homme barbu dont la nudité est à peine dissimulée par une échar-
pe jetée sur le bras et qui tombe à mi-corps. 11 est même probable que sa main
gauche s'appuyait sur un bâton (10), accentuant encore le durcissement
physique du personnage. A l'isolement moral de la reine répond cette volonté
d'Ulysse mendiant d'apporter une aide qui n'est pas comprise.

4 - Plaque de terre cuite. New- York, The Metropolitan Muséum, 30.11.9.


LA LÉGENDE 71

Deuxième quart du Ve siècle. PI. II


-F. Miller 01, p. 83, fig. 7.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 88, pi. 50.
G.M.A. Richter, «Récent accessions in the classical department», BMM
p. 279 sq. et fig. I.
- MR. Sche rer, The legends of Troy in art and literature, New- York-
Londres, 1963, pi. 147.
- O. Touchefeu-Meynier,r6£n. 425.
Ce relief date de la même période que le précédent (1 1) et le couple Pénélope
Ulysse est en tout identique à celui de la plaque de Berlin, ce qui montre qu'
ils sont sortis du même moule. L'adjonction de trois autres personnages :
deux vieillards et un jeune homme, que, depuis Buschor, (12) on considère
comme Laè'rte appuyé sur un bâton, Eumée assis par terre à la manière des
gens du peuple, et Télémaque, ne modifie guère l'impression générale. Ils
regardent tous les trois intensément Ulysse qui les ignore, tout préoccupé qu'il
est de Pénélope qui tourne le dos à ses trois compagnons.
En réunissant dans un même scène la plupart des témoins du drame
vécu par la reine, on n' a fait qu'accentuer son isolement. Pas davantage qu'au
cours des années écoulées elle ne cherche appui auprès de ceux qui lui sont
restés fidèles.

5 -Plaque de terre cuite. Munich, Antiquarium.


- AA (supplément à JDAI) 1910, I, col. 53-54, fig. 7.
-F. Millier, 0/, p. 83. η. ι.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 428.
Sur un relief assez estompé on voit Pénélope assise, la tête appuyée sur la
main, détournant ses yeux d'Ulysse qui lui fait face avec les insignes du
mendiant, bâton et besace.

6 - Plaque de terre cuite. Genève, coll. Hirsch.


- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 92.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 429.
Il ne subsiste de ce fragment que le pied droit et un morceau de la jambe de
Pénélope.

7 - Plaque de terre cuite. Paris, Louvre, C. 105 ; CA 860. Première moitié du


Ve siècle.
- G. Perrot et C. Chippiez, Histoire de l'art dans l'Antiquité, VIII,
Paris, 1903, fig. 96.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 89. pi. 51 .
- B.B. Shefton, «Odysseusand Bellorophon-reliefs», BCH, 1958, pi. 1.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 426 et pi. XXXIII, I.
Cette plaque de terre cuite datant probablement de la première moitié du Ve
siècle (13) représente Ulysse et Pénélope.
Pénélope est assise à gauche, les jambes croisées, la tête de face appuyée
sur la main gauche, tandis que sa main droite repose sur le bord du tabouret à
quatre pieds sous lequel est rangée la corbeille de travail. Elle est vêtue d'un
chiton et a les hanches et les cuisses drapées dans un himation. Perdue dans sa
rêverie, elle semble ignorer Ulysse qui se tient debout, à droite, et la regarde
intensément, la bouche entr'ouverte comme s'il parlait. Le bras droit d'Ulysse
a disparu mais la main, encore visible, saisissait le bras gauche de Pénélope
72 M.-M.MACTOUX

comme pour la faire sortir de sa léthargie.


Le réalisme de l'ensemble est surprenant. En particulier les caractères
de mendiant d'Ulysse sont plus accentués que dans n'importe quelle œuvre
s'inspirant du même thème. Ulysse est entièrement nu, courbé par l'âge, les
cheveux longs tombant dans le cou, et porte sur son dos les marques de son
état : besace, court manteau, gourde et autres ustensiles attachés à la hampe
de son bâton sur lequel il s'appuie. Malgré tout c'est d'Ulysse que semblent
venir vigueur et vie. Rien ne parait pouvoir mettre fin à l'abattement
désespéré de la reine.

8 - Plaque de terre cuite, provenant du Pirée Berlin, Antiquarium, 8415.


- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 90, pi. 52.
- B.B. Shefton,«Odysseusand Bellorophon-relicfs». BCH, 1958, pi. 11,1.
0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 427.
Une femme seule dans une attitude très proche de la Pénélope du Louvre.
Cette plaque est à mettre en relation avec une autre plaque provenant du
Pirée, aujourd'hui dans une collection particulière inconnue. Elle représente
un homme nu, chiton et manteau jeté sur les épaules, qui tient, suspendus à
une courroie, un gobelet, une outre et des restes d'un grand sac.
Considérée par P. Jacobsthal ( 14) comme un faux, elle est jugée
authentique par B.B. Shefton (15) qui la rapproche du relief de Berlin. Pour lui il
s'agirait du même relief remodelé qu'il date de la dernière période des reliefs
méliens, c'est à dire des environs de 430 ( 1 5). Ces deux fragments réunis
formeraient donc un autre exemplaire de la rencontre d'Ulysse et de Pénélope
(16).
Tous ces reliefs ont en commun de n'emprunter à {"Odyssée que les
détails susceptibles d'accroître le sentiment de solitude éprouvé par la reine.
Ainsi dans les scènes du bain de pieds, Pénélope est là avec ce même regard
absent qu'elle a lorsqu'au chant XIX, Euryclée, voulant annoncer le retour de
l'époux, tourne les yeux vers clic : «Pénélope ne peut rencontrer ce regard.
Athéna détournait son esprit et ses yeux» (17). Elle n'écoute pas Ulysse
comme elle le fera sur les plaques romaines où elle paraît absorbée par le récit
du voyageur
Sur ces reliefs où elle est en tète à tête avec Ulysse aucun détail ne
permet un rapprochement étroit avec l'œuvre d'Homère. Dans VOdyssée les deux
époux sont assis ; Pénélope a pris un siège digne d'une reine, tandis qu'Ulvsse
doit se contenter d'un tabouret (diphros) (18). Ici, seule Pénélope est assise
sur un siège bas et dur. Elle est écrasée par la présence du mendiant, debout et
nu, qui quête en vain son attention. L'artiste lui a donné le type bien connu
dans l'art, celui de la femme assise soutenant la tête de sa main, tei qu'il est
illustré par les statues du Vatican (19). Mais une rapide comparaison permet
de voir que les caractères de désolation sont poussés à l'extrême. La femme
des statues du Vatican est rêveuse et son visage reste empreint d'une certaine
énergie. La Pénélope des reliefs méliens est abîmée dans sa douleur et
l'expression de son visage est proche de la prostation. Ce n'est plus la mélancolie,
mais le désespoir qui se peint sur ses traits.

BOBINE EN TERRE CUITE avec de chaque côté une plaquette en or


repoussé, provenant de Crimée. Collection Feuardent frères. Travail attique du
milieu du Ve siècle.
-J. Six. «L'ouvrage de Pénélope», RA, cinquième série, XV. 1922, p.
LA LÉGENDE 73

319-323, pi. IL
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, p. 294, n. 20.
A gauche un homme vêtu d'une ample exomide coiffé d'un pilos, est assis
sur un tabouret. Il est en train de tailler avec un couteau un bâton en forme
de crosse. Un vieux chien amaigri relève la tête vers lui. A droite, une femme
également assise sur un tabouret, vêtue d'un chiton et d'un manteau qui
enveloppe ses jambes est occupée à faire un filet sans nœud. Devant elle, un
kalathos rempli de pelotes de laine et un fuseau.
J . Six a vu sur ces plaques Ulysse et Pénélope, en remarquant cependant
que ce n'est pas au métier à tisser traditionnel que travaille Pénélope; elle
est en train de faire un ouvrage plus rare qui consiste non seulement à
entrecroiser les fils de la trame, mais à en introduire un autre qui se déroule d'un
peloton, comme on le fait pour un tissu broché. Pour que le travail se défasse,
il lui aurait suffi, lorsqu'elle s'arrêtait, de ne pas prendre les précautions
voulues pour maintenir le fil. L'authencité de cet objet n'est pas prouvé, mais
l'esprit semble assez proche de celui des reliefs méliens. Entre le mendiant
occupé à un travail stérile et une femme qui accomplit une œuvre non moins
stérile, aucune communication n'est possible.

VASES
On possède seulement deux vases du Ve siècle (20) représentant
Pénélope. C'est évidemment peu si l'on remarque, par exemple, que pour la même
période on en connaît trois, un canthare (21), une amphore (22) et une
pyris (23) unanimement interprétés comme la rencontre d'Ulysse et de
Nausicaa. Mais ils sont d'autant plus significatifs qu'illustrant deux épisodes
différents de l'histoire homérique de Pénélope, ils donnent d'elle cette double
image qui la caractérise dans l'art classique.
Skyphos. Chiusi, Musée National Etrusque, 1831. Du peintre de Pénélope
(440-435).
- F. Muller, 01, p. 84.
- R. Engelmann, L'œuvre d'Homère illustrée par l'art des Anciens,
Paris, 1891, pi. III, 2.
- E. Michon, «La suppliante Barberini au Musée du Louvre», MMAI,
XXXV, 1935-36, p. 115.
- J. D. Beazley , Attic red*figure vase-painters, II, p. 1300, n. 2.
- J. Charbonneaux, R. Martin, F. Villard, Grèce classique, fig. 289.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 373 et pi. XXXIII, 2.
Sur ce skyphos si célèbre qu'il a servi à désigner l'artiste du nom de peintre
de Pénélope, Pénélope est individualisée par un grand métier à tisser, tendu à
l'arrière plan comme une toile de fond. Elle est assise sur un tabouret, la tête
appuyée sur la main droite. A sa gauche, un jeune homme debout presse éner-
giquement sa lance sur le sol : c'est Télémaque qui regarde intensément sa
mère perdue dans ses tristes pensées. On a souvent noté la grandeur
dramatique qui se dégage de la scène. Le choix de Télémaque confronté avec sa
mère éplorée ne limite pas la signification de cette rencontre. Cest aussi
l'épouse tourmentée que l'artiste a voulu suggérer, celle dont le tourment
s'accroît par les initiatives soudaines et cachées de son fils. Alors que sur les
reliefs méliens la présence d'Ulysse annonçait le dénouement, ici le désespoir
de Pénélope est total. Si l'influence de la grande peinture est sensible dans la
réalisation : pose de Pénélope, représentation en perspective du tabouret,nota-
tion d'une ombre portée du visage de Télémaque qui se détache sur le métier
74 M. -M. MACTOUX

à tisser, (24) elle apparaît aussi dans l'émotion qui se dégage des attitudes. Ce
n'est pas un hasard si on a pu parler à propos de ce vase de l'influence de la
peinture de Polygnote (25).
A quel moment de la légende faut-il situer cet entretien de la mère et du
fils ? S'agit-il d'une illustration du prologue de la pièce de Sophocle, Niptra,
dans lequel Pénélope aurait envoyé Télémaque à le recherche de son père
reparti pour faire à Poséidon l'offrande prescrite par Tirésias ? (26) Ou aurait-
on l'entretien qui suivit le retour de Télémaque, conformément au chant
XVII de V Odyssée repris par Sophocle dans sa pièce, hypothèse seulement
acceptable si Niptra provenant de YOdyssée constituait une pièce différente
de Y Ulysse acantoplex ? (27). Mais qu'il s'agisse du départ ou du retour de
fils, Pénélope ne manifeste aucun autre sentiment qu'un immense chagrin.
Dans son attitude, ni volonté de savoir, ni joie pour les dangers écartés, ni
même signes d'étonnement. Dans YOdyssée cependant le départ de
Télémaque avait suscité dans le cœur de Pénélope colère et chagrin. Tout se passe
comme si l'artiste qui a peint sur un autre skyphos le massacre des
prétendants (28) mais dont aucune autre œuvre connue ne représente l'épouse
d'Ulysse, avait épuisé la nature profonde du personnage telle qu'elle était
sentie au milieu du Ve siècle.
Tandis que dans l'œuvre d'Homère Pénélope ne se sépare jamais de ses
deux chambrières, ici sa solitude renforce ce sentiment d'abandon que
l'artiste a voulu suggérer. Pourtant la reine vit un moment décisif ; l'entreprise
de Télémaque est pleine de promesses. Mais, aveuglée par le désespoir, elle se
montre incapable d'envisager les changements susceptibles de modifier son
destin douloureux.

STATUES
d' œuvres
II paraît
qui, pour
difficile
avoirdeéténediversement
pas compléter
interprétées,
cette analyse
n'en montrent
par le rappel
que
mieux la vision que le classicisme grec à ses débuts a eue de Pénélope. Du Ve
siècle date une série de statues et d'anneaux représentant une femme seule
dans l'attitude de l'affligée et à propos desquels on a souvent prononcé le
nom de Pénélope (29).

1 - Statue de Persépolis. Musée de Téhéran. Milieu de Ve siècle. PL III.


-CM. Olmstead, «AGreek ladyfrom Persépolis», AJA, 1950, p. 10-18,
pi. 8-12.
-G.M.A. Richter,/!/, p.48sq., fig. 161.
- E. Langlotz, «Die Larisa des Telephanes»,M//, VIII, 1951, p. 157-170.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn», p. 433-448, pi. 1 - 7.
- Γ. Eckstein, «Aidôs»,/ZM/, 1959, p. 137-157, fig. 1 et 2.
- E. Langlotz, «Zur Deutung der «Pénélope», JDAI, 1961, p. 72-99,
fig. 1 et 2.
- G. Neumann, «Der Torso der sogenanten trauernden Pénélope aus
Persépolis», AA, 1962, p. 852-856.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO n. 374.
C'est une statue en marbre sans tête, ni bras, ni pieds. Elle représente une
jeune femme assise, au dos arrondi, vêtue d'un chïton à larges manches
boutonnées sur les épaules et d'un hunation couvrant le dos et voilant la tête. La
poitrine, la taille, et les jambes sont nettement dessinées sous la draperie aux
plis nombreux, différenciés et complexes. C'est sans discussion possible un
LA LÉGENDE 75

un original grec de l'époque classique, le palais ayant été détruit par


Alexandre en 331.
Un demi-siècle sépare les deux datations extrêmes, milieu (30) et fin du
Ve siècle (31), mais la tendance générale est d'y voir une œuvre du milieu du
siècle. Dès les premières analyses (32) la statue a été rapprochée des statues
du Vatican auxquelles elle ressemble (33). Puis des interprétations plus
précises ont été proposées. Cette statue serait une déesse, laLarissade Téléphanès
mentionnée par Pline (34), une représentation d'Aphrodite (35) très vénérée
au Proche-Orient et dont la présence dans le palais du Grand Roi n'aurait rien
d'insolite, ou Pénélope- Aidôs (36), l'héroïne laconienne, cadeau de Sparte au
Grand Roi. Une telle diversité invite à la prudence.

2 - Statue dite Pénélope, copie romaine d'une statue grecque du milieu du Ve


siècle. Vatican, Galerie des statues, 754.
- W. Helbig, Fùrher, 4e éd.,I, n. 123.
- M. Collignon, Les statues funéraires dans l'art grec p. 117, fig. 60.

,
- Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, II, La sculpture.au Ve siècle
I, p. 52.
- G.M.A. Richter, p. 48 et fig. 1 58.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn, fig. 10, 13,14.
- F. Eckstein, loc. cit., fig. 9 p. 147.
- F. Langlotz, «Zur Deutung der Pénélope», JDAI , 1961, p. 72 et fig. 4,
11 et 12.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 376.
- H. Hiller, «Pénélope und Eurykleia ?Vorbemerkungen zur Rekons-
truction einer Statuengruppe», AA 1972, p. 47-67.
Cette statue en ronde bosse, copie romaine d'uns statue grecque, représente
une femme assise, vêtue d'un chiton et d'un himation aux plis marqués d'une
certaine raideur archaïque, dont un pan relevé couvre le dos et la tête et
enveloppe le bas des jambes. Perdue dans de tristes pensées, elle incline la tête vers
la main droite dans une attitude de rêverie mélancolique.
Cette statue a été abondamment restaurée. En particulier la tête, bien
qu'antique, est une tête d'éphèbe, et le rocher qui sert de siège est moderne.
Tout le monde s'accorde à penser qu'à la place de ce rocher se trouvait un
siège avec un tabouret, comme sur le relief suivant (37).
On a avancé pour l'original le nom du sculpteur Calamis. Mais si
l'attribution précise reste douteuse, elle semble une production de l'école attique
entre 460 et 450 (38), à laquelle on a depuis longtemps donné le nom de
Pénélope (39).

3 - Haut relief de marbre. Vatican, Musée Chiaramonti, 1558. Copie romaine


d'une œuvre attique du milieu du Ve siècle. (Pour certains cependant, comme
W. Helbig, il s'agirait là de l'œuvre originale).
- W. Helbig, Fùrher 4e éd..I, n. 341 .
- S. Reinach, Répertoire des reliefs III, p. 408, n. 3.
- M. Collignon, Les statues, funéraires dans l'art grec , p. 120, fig. 61.
- Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, II, La sculpture au Ve
siècle I, p. 52, fig. 25.
- G.M.A. Richter, AI, p. 48, fig. 1 59.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn», fig. 9 et 12.
-0. Touchefeu-Meynier, TO n.377.
76 M.-M. MACTOUX

Sur cette statue, qui représente, comme celle de la Galerie des statues du
Vatican, une femme assise vêtue d'un chiton et d'un himation abondamment
drapé, la tète manque. Comme siège, un tabouret, sous lequel est placée une
corbeille en osier destinée à recevoir la laine : le kalathos. Des traces de doigts
sur le côté droit indiquent que la tête inclinée s'appuyait sur la main. On a
proposé de suppléer à la tête manquante par des têtes originales conservées
soit au Musée de Berlin, soit au Musée des Thermes (cf. les numéros 6 et 7).

4 - Statue. Rome, Musée des Conservateurs, 983.


- W. Helbig, Fûhrer 4e éd., II, n. 1502.
-G.M.A. Richter,/4/, fig. 160.
- O. Touchefeu-Meynier, ΤΟ,η. 375.
Cette statue, qui est très proche de la précédente, pourrait être un original
grec d'après G.M.A. Richter, op. cit., p. 49. Elle représente une femme
assise avec son kalathos \\ lui manque la tête et les bras.

5 - Statuette de terre cuite. Francfort s/ Main, Liebighaus, 468. 450-440 avant


J.C.P1. IV
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, fig. 72.
- O. Touchefeu-Meynier, TQ n. 380.
Cette statuette de terre cuite contemporaine des œuvres précédentes
représente une femme assise sur un siège dans la même attitude caractéristique.

6 - Tête dite de Pénélope. Berlin, K. 165.


- M. Collignon. Les statues funéraires dans l'art grec, fig. 63 et 64.
- Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque II, La sculpture au Ve
siècle 1, p. 51, fig. 24.
- F. Eckstein, «Aidôs», JDAI, 1959, fig. 13.
- E. Langlotz, «Zur Deutung der Pénélope», JDAI, 1961, fig. 27.
- O. Touchefeu-Meynier, ΤΟ,η. 278.

7 - Tête dite de Pénélope. Rome, Musée National (Musée des Thermes).


480-470 avant J.C.
- M. Collignon, Les statues funéraires dans l'art grec, fig. 62.
-W. Helbig, Fùhrer, 3e éd., n. 1378.
- E. Paribeni, Museo Nazionale Romano, n. 78, pi. 78.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 379.
Ces têtes qui sont des originaux grecs ont été souvent utilisées pour
compléter les statues mutilées du Vatican.

Il est probable que le type de femme représentée par les statues du


Vatican a d'abord été créé par la plastique funéraire. Il prolonge celui de la
femme drapée debout, dont on a un exemplaire certain du début du Ve
siècle avec une statue de terre cuite du musée de Catane (40) et renvoie aussi
aux korai funéraires de l'époque archaïque. Ce type de femme assise
pourrait dériver d'un prototype dont un relief de terre cuite de Mélos, un peu plus
ancien que les œuvres précédentes, donne un exemple. Là, Electre, ayant à
ses côtés Oreste et Pylade, est assise au pied de la stèle d'Agamemnon dans
cette même attitude de profonde mélancolie. Pour M. Collignon (41) la figure
principale d'Electre aurait pu passer dans les stèles sculptées pour figurer
le type général de la défunte (42).
LA LÉGENDE 77

Si on a pu donner à cette série de statues le nom de Pénélope, (43)


c'est que les représentations certaines de Pénélope à l'âge classique attribuent
à la reine d'Ithaque la même attitude. Non seulement le skyphos de Chiusi,
plus récent, avec lequel W. Helbig (44) établissait déjà le rapprochement, mais
surtout les reliefs méliens (45) datant exactement de la même époque.
Il semble cependant qu'il est abusif de parler à propos de ces statues de
Pénélope (46). Elle est loin d'avoir eu au Ve siècle l'exclusivité de cette
attitude (47). Electre, dans le relief cité, en est un des exemples les plus
célèbres (48). Mais on connaît bien d'autres représentations de ce type dans des
scènes très variées (49) où il ne s'agit assurément pas de Pénélope, mais de
déesses comme la Perséphone du fameux triptyque de Boston (50), ou la
Niké qui apparaît sur les monnaies d'Elis vers 450 (51), ou encore de simples
mortelles comme celles du triptyque Ludovisi, ou du lécythe attique
découvert dans une tombe de Camarina (52).
Cette conclusion s'applique aussi à la dame de Persépolis qui entre dans
cette série. L'appeler Pénélope, et précisément Pénélope-Aidôs comme le fait
F. Eckstein (53) est très aventureux. Dire que Sparte à l'occasion d'un traité
ou de l'envoi d'un ambassadeur a pu faire cadeau de cette statue représentant
Pénélope, héroïne laconienne dont le petit fils s'appelait Persépolis, est une
hypothèse ingénieuse. Mais elle n'a pu être formulée que parce qu'au départ
on avait remarqué la ressemblance avec les statues du Vatican considérées
comme des représentations de Pénélope. Or, rien ne permet de l'affirmer avec
certitude. Cette statue n'est pas non plus le prototype d'où les autres
dériveraient. Il faudrait envisager, ce qui est invraisemblable, que la statue ait été
copiée avant son transport en Perse, le palais détruit par Alexandre n'ayant
pas été réoccupé par les Romains. La statue de Persépolis est un autre
exemple de ce motif de la femme assise avec une tête voilée, une main soutenant la
tête, motif choisi à l'époque classique comme expression de la tristesse ou de
la méditation (54). Sculptée dans un marbre à gros grains comme on en
trouve entre Smyrne et Ephèse, la statue a été réalisée en Ionie et elle apporte
un nouveau témoignage de l'extension géographique de ce motif.
Toutes ces statues avec leurs différences ne sont pas des copies
diversement adaptées d'un même original. Dès l'époque classique divers artistes ont
dû réaliser des répliques quasi-contemporaines de l'original (55). La
découverte de la statue de Persépolis, qui n'a pu servir directement de modèle,
suppose l'exécution immédiate d'une première copie dans l'atelier même du
maître (56).
Ce type funéraire se perpétuera. Du milieu du IVe siècle datent deux
statues trouvées près d'Athènes (57). Ces femmes en deuil dont la douleur
profonde s'exprime par la position de la tête sur la main, sont des servantes,
reconnaissables à leur costume, et décoraient le tombeau d'une riche famille.

ANNEAUX
Ce motif d'un personnage assis, homme ou femme, avec la tête appuyée
sur une des mains orne également une série d'anneaux réalisés tout au long du
Ve siècle. Ce fait n'a rien d'étonnant puisqu'on sait qu'à partir de cette
époque les intailles seront souvent les copies d'oeuvres de peintres ou de
sculpteurs en renom (58). Au Ve siècle on ne retrouve ce sujet que sur des anneaux
d'or, à l'exception d'un seul en bronze, et non sur des gemmes comme à
l'époque hellénistique.
78 M.-M.MACTOUX

1 - Anneau d'or avec dessin gravé sur un château ovale. British Muséum, 67.
5. 8402 ; coll. Blacas. Milieu du Ve siècle.
- A. Furtwangler, Die antiken Gemmcn, pi. IX, 35.
-F. H. Marshall, FR, pi. 11,48.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, n. 67.
- G.M.A. Richter, Engraved gems of the Greeks and the Etruscans,
n. 271.
- J. Boardmann, Greek gems and finger rings, pi. 664.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 381.
Une femme assise sur un diphros appuie sa tête sur sa main gauche. Elle est
vêtue d'un chiton à manches et d'un himation qui s'enroule autour du bas du
corps. Tandis que la tête est dessinée de trois quarts, la partie supérieure du
corps est presque frontale, et les bras et les jambes sont de profil. Sur cet
anneau une inscription, phil(o)kao, qui est peut-être de nature amoureuse
(59) à moins qu'il ne s'agisse d'un nom de femme (60).

2 -Anneau d'or provenant de Syrie. Paris, cabinet des Médailles, Collection de


Luynes, 515, 3e quart (G.M.A. Richter) ou dernier quart du Ve siècle
(J. Boardman).
- A. Furtwangler, Die antiken Gemmen, pi. X, 34.
- E. Babelon, Le Cabinet des Antiques, pi. 47, 7.
- P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, fig. 66.
- G.M.A. Richter, Engraved gems of the Greeks and the Etruscans,
n. 273.
- J. Bordmann. Greek and finger rings, Londres, 1970, p. 220, pi. 687.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 385 et pi. XL, 8.
La figure gravée sur le chaton représente une femme assise qui porte la main
gauche à la tête et tient le siège de sa main droite. Elle est vêtue d'un chiton
à manches, d'un himation dont un pan relevé sur la tête se présente comme
un long voile qui se déploie sur le dos. Elle est parée d'un diadème, d'un
collier, de bracelets et de boucles d'oreille.

3 - Un anneau d'or provenant de Kertch. Musée de l'Ermitage, 239 F.


- A. Furtwangler, Die an tiken Gemmen, pi. X, 20.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 384.
Une femme assise appuyant sa tête inclinée sur sa main est ciselée en relief.

4 - Un anneau d'or provenant de Kertch. Musée de l'Ermitage, 252 C.


Réplique du précédent.
- A. Furtwangler, Die antiken Gemmen, II, p. 51, n. 20.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 382.

5 - Un anneau d'or provenant de Kertch. Musée de l'Ermitage, 239.


- S. Reinach, Antiquités du Bosphore cimmérien, Paris, 1892, pi.
XVIII, 9 et p. 50.
- A. Furtwangler, Die antiken Gemmen, II, p. 5 1 , n. 20.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 383.
Alors que les deux premiers anneaux présentent un motif identique, sur le
troisième a été ciselé un arc à côté de la femme assise. S. Reinach, op. cit.,
p. 61, avait pensé à une amazone, mais aussi à Pénélope.
LA LÉGENDE 79

6 - Un anneau d'or. Berlin, 293.


- A. Furtwângler, Beschreibung der geschnitteten Steine in Antiquarium,
Berlin, 1896, n. 293.
- J. Boardman, Greek gems and finger rings, p. 428, relief rings, type I.
Femme assise dans una attitude d'affligée, ciselée en relief sur un chaton
ovale.

7 - Un anneau de bronze provenant d'Athènes. Munich, A 2565. Début de la


période classique.
- J. Boardman, Greek gems and finger rings, p. 231, et catalogue n. 894.
Le fait qu'on retrouve sur un anneau de bronze le motif précédent n'est pas
une exception. Les anneaux de bronze de cette période reproduisent souvent
les thèmes utilisés pour des bagues d'or ou d'argent (61).

Ces bagues qu'on voit apparaître dans la première moitié du Ve siècle


et dont la production se poursuit jusqu'à la fin du siècle s'inspirent du même
motif que les statues. Il n'est donc pas surprenant qu'on ait parlé à leur
propos de Pénélope. Mais elles doivent être traitées avec la même circonspection.
L'anneau du Cabinet des Médailles, par exemple, a été découvert en
Syrie, non loin des ruines d'Area Caesara, en même temps qu'une statuette
de femme assise en affligée soutenant sa tête de la main gauche passée sous
son voile (62). Dans cette région le culte d'Adonis et d'Aphrodite était
particulièrement vivace, et on a probablement là une représentation d'Aphrodite
pleurant sur la mort de son amant Adonis ; la signification du chaton doit
être la même que celle de la statue (63). Comme pour les statues, le motif est
largement répandu. Ainsi cette cornaline du musée de Berlin qui reproduit le
Philoctète blessé du sculpteur Pythagoras (64).
L'usage de ces anneaux est très varié. Le motif pourrait laisser supposer
qu'il s'agit d'anneaux funéraires (65). J.Boardman, après avoir envisagé cette
hypothèse, la repousse (66) en disant que la douleur de Pénélope n'a été que
passagère puisqu'elle s'est terminée avec le retour d'Ulysse. Mais rien ne
prouve qu'on a là Pénélope (67) et même si c'est elle, aucun signe sur ces anneaux
n'annonce un dénouement heureux. Il n'en sera pas de même sur un anneau
d'or de New-York (68) où sa présence est attestée par une inscription.

//- UNE MAJESTÉ SEREINE

ANNEAU
- Anneau d'or. New- York, coll. Vellay. Peut-être d'origine Spartiate.
Deuxième quart du Ve siècle. PI. I, 2.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn», p. 430 et p. 444 sq., fig. 17.
- J. Boardman, Greek gems and finger rings, Londres, 1970, p. 215 et
pi. 656.
A la différence des anneaux étudiées précédemment, on a la certitude qu'il
s'agit bien là de Pénélope. Son nom est inscrit sur le chaton sous la forme
dorique Panelopa. Si Pénélope est assise, pensive, sa tête est droite et ne s'appuie
pas sur la main comme sur les autres anneaux. Elle n'a pas une attitude
affligée, mais plutôt méditative. L'arc qui est devant elle peut non seulement
faire penser à la fin heureuse de YOdyssée, comme le souligne J. Bordman,
mais, combiné à l'attitude décidée de la reine, il accentue l'assurance qui se
80 M.-M. MACTOUX

dégage du personnage. Contrairement aux autres anneaux décorés du motif de


l'affligée, il s'agissait peut-être d'un anneau donné en témoignage d'un retour
heureux après une longue séparation ou lors du départ avec une signification
magique. Aristophane parle d'anneaux à valeur magique (Ploutos, v. 884-5).

VASES
Cratère à colonnes, provenant des environs de Comiso. Syracuse, 2408.
-F. Muller, 0/, p. 93, fig. 8.
- P. E. Arias, «Sicilia, Comiso», Notizie degli scavi di Antichità, 1937,
p. 470 sq. et pi. XVII, 2.
- J.D. Beazley, Attic red-figured vase-painters, I, p. 537, n.6.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 418 et pi. XXXII, 3.
Ce cratère à figures rouges a été attribué par J.D. Beazley au peintre du
cratère de Borée. De style encore sévère, il date du début de la période classique
et est le contemporain des reliefs méliens.
Une femme assise devant une majestueuse colonne dorique, tend les
mains vers quatre personnages, deux imberbes et deux barbus, qui, dans des
poses différentes, s'apprêtent à lui offrir leurs dons. Personne depuis F.
Miiller (69) qui voyait dans ces quatre jeunes gens les prétendants Antinoos,
Eurymaque, Eurydamas et Pisandros apportant leurs cadeaux à l'épouse
d'Ulysse, n'a mis en doute la signification de cette scène. Le premier tient un
coffre à bijoux, le second, un vêtement, le troisième, une coupe, le quatrième,
un miroir comme dans [Odyssée (70) où ils rivalisent de générosité. Sans
doute la scène est curieuse et unique dans l'art grec (71 ). Mais la reine
d'Ithaque reste parfaitement digne dans ce rôle. Ce ne sont pas les serviteurs des
prétendants qui viennent lui apporter les cadeaux comme dans YOdyssée,
mais les prétendants eux-mêmes qui se dirigent vers cette femme dont on s'est
plu à souligner l'expression spirituelle qui n'est pas sans rapport avec celle qui
se dégage de certaines représentations de Circé (72). Son comportement est
encore plus frappant, si on compare ce cratère avec les reliefs des urnes
étrusques (73). Sur ces reliefs, elle assiste au festin et tous les regards sont tournés
vers elle au moment où elle ouvre le coffret. Ici elle n'a pas encore reçu les
cadeaux ; une certaine gêne se marque dans l'attitude des prétendants qui se
retournent les uns vers les autres comme s'ils hésitaient à l'aborder. Aucune
compromission de la part de la reine, pas même ces mains tendues qui restent
vides, comme si l'artiste avait voulu marquer la tentative dérisoire de ceux qui
la courtisent.

PEINTURES MURALES
En dehors des vases, les seules sources de la peinture grecque classique
sont littéraires. A la fin du Ve siècle Zeuxis a peint une Pénélope, mais déjà
Polygnote, dans la première moitié du siècle, avait dû la représenter comme
l'alliée d'Ulysse dans un combat mené avec l'aide divine contre des ennemis
communs.

1 - Polygnote, pronaos du temple d'Athéna Areia à Platées, représentant


Ulysse après le meurtre des prétendants (Pausanias, IX, 4, 2).
Ce tableau, depuis Benndorf, a été souvent rapproché du massacre des
prétendants de Yhéroon de Gjôlbaschi-Trysa de la fin du Ve siècle et on s'est
servi de cette frise pour le reconstituer (74). Au-dessus d'Ulysse tirant l'arc
avec Télémaque aurait pu se trouver Pénélope telle que la montre la frise de
LA LÉGENDE 81

Trysa avec, plus loin, à droite, Euryclée et les servantes (75). Sans doute le
moment n'est pas le même. Ulysse, à Platées, a accompli sa vengeance et la
présence de Pénélope qui assistera dans la frise au massacre lui-même,
contrairement à YOdyssée, semble davantage s'imposer ici. Pénélope ne figure sur
aucune des œuvres de Polygnote dont l'Antiquité a laissé la description, mais
tout ce que nous savons de lui nous le montre susceptible de s'intéresser au
drame de la reine. Dans la Lesché des Cnidiens à Delphes (76) il est le peintre
de la tristesse et du désespoir des captives troyennes de la Prise de Troie ou
des morts qu'Ulysse rencontre aux Enfers dans la Nékyia. Hector (77) assis
dans une attitude douloureuse, enserrant dans ses mains son genou gauche,
comme Anticleia, (78) Ariane, (79) ou Maera (80) assises sur des rochers dans
l'abattement le plus profond, rappellent certains reliefs méliens. Mais il est
peu probable que Polygnote ait donné à Platées cette image de la reine.
Ulysse vient d'accomplir sa vengeance et Pénélope ne peut, cette fois, rester
à l'écart dans une indifférence coupable. Polygnote savait peindre le moment
pathétique du triomphe, pas seulement celui qui s'obtient par les armes, mais
celui qui résulte de l'espoir. Si l'un des thèmes principaux de la prise de Troie
de la Lesché semble être le triomphe d'Hélène trônant au milieu de ses
servantes qui la parent, le véritable vainqueur n'est-il pas à ses yeux Anténor ?
(81). Seul Troyen gracié il a été représenté à l'extrême droite, le côté
favorable pour les Grecs, quittant sa patrie, accompagné de sa femme et de ses
deux jeunes enfants qui vont perpétuer la race. Plus que le triomphe illusoire
d'Hélène ayant auprès d'elle Hélénos, écrasé de remords parce qu'il a trahi
pour elle, son humble victoire n'est-elle pas sensible dans cette expression
morale qu'Aristote vantait dans la peinture de Polygnote ? «La plupart des
tragédies des modernes sont amorales, il en va de même de la majorité des
poètes. C'est par là que, parmi les peintres, Zeuxis est inférieur à Polygnote ;
car Polygnote représente bien l'expression morale tandis que la peinture de
Zeuxis n'en a cure» (82). Dans le temple édifié à Platées après 470, Polygnote
a voulu célébrer la victoire des Grecs sur les Perses (83), et il a choisi comme
symbole l'Ulysse d'après le massacre, sorti vainqueur, à l'aide d'Athéna, d'un
combat inhumain. Mais comme pour Anténor la victoire d'Ulysse n'était pas
possible sans l'aide des dieux et sans la présence de sa femme et des siens.
Pénélope retrouvant son bonheur et son vrai foyer n'est-elle pas aussi l'image
de l'Attique tout entière, de la déesse elle-même regagnant l'Acropole ? (84).
L'œuvre de Polygnote a pu inspirer la peinture décrite par Pausanias
(85) dans le péribole d'Apollon à Corinthe. Pausanias a vu un monument du
1er siècle après J.C. Mais les archéologues ont découvert au milieu du côté
ouest du péribole les fondations d'un petit temple grec du Vie siècle avec
naos et pronaos, sans doute consacré à Apollon, le temple A (86). La peinture
du 1er siècle n'était peut-être que l'héritière d'une longue tradition.

2 -Pénélope, Tableau de Zeuxis.


■ Pline, Histoire Naturelle, XXXV, 63.
Zeuxis est le seul peintre qui ait laissé le souvenir d'un tableau représentant
Pénélope. Pline n'en mentionne ni le style, ni la destination. Il ajoute
cependant que, dans cette Pénélope, Zeuxis semble avoir peint la vertu elle-même.
Certains (87) ont proposé d'identifier l'œuvre de Zeuxis avec ce tableau dont
parlera Philostrate (88) au Hle siècle de notre ère : Pénélope à son métier.
Mais il n'est pas certain que Philostrate ait réellement admiré un tableau de ce
genre. Faudrait-il alors penser à une Pénélope sévèrement drapée, proche de
82 M. -M. MACTOUX

l'attitude qu'elle avait sur le skyphos de Chiusi ? (89). Zeuxis est l'auteur d'un
Pan, d'un Marsyas enchaîné, d'une famille de Centaures, et il s'était senti
attiré par des êtres de caractère étrange, en qui le mélange d'humanité et de
bestialité entraînait dans un monde supranaturel et mystérieux (90). Auteur
également d'un Eros couronné de rosés (91) et d'une Hélène célèbre, peinte à la
demande des Crotoniates pour leur temple d'Héra Lakinia, dans laquelle il
avait voulu réaliser l'idéal de la beauté féminine (92), il semble peu prédisposé
à analyser l'affliction et la tristesse.
Si Aristote, le comparant à Polygnote, dit que Zeuxis ne se souciait
guère de l'expression morale (93), il affirme aussi qu'il peint les hommes en
mieux, c'est à dire insuffle plus de grandeur à ses personnages que les
hommes n'en ont dans la réalité (94). En découvrant ou en améliorant certaines
techniques, Zeuxis, dit aussi Quintilien (95), visait à conférer plus de
grandeur et plus de majesté. C'est là qu'il faut probablement chercher la
caractéristique essentielle de sa Pénélope.
Ne pourrait-on pas penser que le peintre reçut peut-être commande de
ce tableau à Ephèse où il alla mourir ? Né à Hérakleia (96), sans doute Hérak-
leia de Lucanie en Grande Grèce (97), il a été lié, selon Pline, à Parrhasios
d'Ephèse, et une certaine tradition (98) le rattache à Ephèse même où se
trouvait un tableau de lui : Ménélas versant des libations à son frère (99).
Nous verrons que là, précisément, dans le temple d'Artémis, un sculpteur du
IVe siècle, Thrason, a laissé une statue de Pénélope (100).

FRISE SCULPTÉE
Relief du mur sud de Yhérôon de Gjôlbaschi-Trysa en Lycie. Vienne,
Kunsthistorisches Muséum.
- S. Reinach, Répertoire de reliefs, I, p. 445, n. 1.
- Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, La sculpture, II, Période
classique, 2, p. 880 sq. et fig. 357 et 359.
- F. Eichler, Die Reliefs des Heroon von Gjôlbaschi-Trysa, Vienne,
1950, pi. 6 Al.
- K. Schefold, La Grèce classique, Paris,1967, p. 176 sq. et pi. 4L
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 481.
Dans la seconde moitié du Ve siècle apparaît, sur des vases, le massacre des
prétendants (101), mais il faut attendre l'extrême fin du siècle (102) pour
qu'on accorde à Pénélope un rôle qui ne sera plus jamais le sien, et marque,
dans une certaine mesure, la quintessence de l'art classique dans ses rapports
avec l'héroïne (103). L'œuvre est originale par sa destination et son
emplacement. Ce monument funéraire, construit en Lycie, à Gjôlbaschi-Trysa, pour
un chef lycien, consistait en un téménos fermé de hauts murs. Sur ces
dernier?, à l'extérieur et à l'intérieur, des frises sculptées dont beaucoup
s'inspirent du cycle de Troie, signe peut-être que nous ne sommes plus sur une
terre toute grecque (104).
A l'intérieur, à droite, sur le mur sud près de la porte, c'est à dire à la
place d'honneur, le massacre des prétendants par Ulysse. La force dramatique
de l'ensemble, la violente détermination d'Ulysse et de Télémaque qui
s'avancent vers le premier des prétendants (105) allongé sur un des lits du banquet,
l'épouvante des autres, un groupe de quatorze dirigé par Eurymaque, qui
s'efforcent de se protéger avec des lits et des chaises, évoquent l'horreur odys-
séenne (106).
Mais l'artiste ionien qui a réalisé cette œuvre a placé en tête de la frise
LA LÉGENDE 83

Pénélope avec un groupe de servantes. Sans doute l'unité du relief laisse à


désirer et on est tenté de voir une série de scènes successives : le groupe
Pénélope-les servantes, Eumée, Ulysse et Télémaque s'élançant sur le premier
des prétendants, et le groupe des autres prétendants. Mais ce n'est que
maladresse. Pénélope n'ignore rien de ce qui se passe. Dans V Odyssée, au contraire,
après avoir fait apporter l'arc, elle a regagné son étage sur l'ordre de son fils
(107) tandis que les portes en bois plein qui donnent sur le mégaron ont été
fermées. Eumée a été placé dans le premier groupe : glaive et torche en mains
il va rejoindre ses maîtres après avoir averti la reine. Les servantes sont
agitées et effrayées; une jeune esclave est blottie de peur derrière une porte
entrebaillée ; une autre servante se croise les bras d'un geste de soumission, mais
toutes se tournent vers la reine, debout, dans une pose majestueuse (108).
Tout se passe comme si l'artiste avait voulu, en elle, figurer à la fois celle qui a
souffert et dont la présence stimule, et celle qui, seul personnage serein dans
un monde déchaîné, protège les combattants qui risquent leur vie pour son
salut.
Le rapprochement que l'on a pu faire (109) avec la Creuse des adieux
d'Enée sur une métope nord du Parthénon, ou l'Eurydice des adieux
d'Orphée sur une sculpture du musée de Naples montre bien que la reine n'est pas
uniquement l'épouse triomphante. Mais elle n'est plus la victime du destin et
participe aux côtés d'Ulysse à la lutte contre le désordre incarné par les
prétendants. Sur la frise, elle se présente comme le pendant figuratif du héros
bientôt victorieux ; à la grandeur et à la beauté de Pénélope répondent la
grandeur et les gestes vengeurs d'Ulysse (110). Elle s'oppose d'une manière
frappante à cette figure de la frise intérieure du mur-ouest, Hélène au milieu
des défenseurs de Troie, debout sur les remparts de la ville, qui se fait abriter
sous un parasol par une servante indifférente et lascive. Face à cette femme-
jouet, la noble majesté de la reine d'Ithaque éclate avec d'autant plus de
force.
Sans doute faut-il renoncer à expliquer dans le détail le choix des sujets,
et les artistes, en empruntant ces divers épisodes aux légendes grecques, ont-ils
peut-être voulu, tout simplement, rendre hommage à un homme lettré qui se
serait plu aux récits des aèdes (111). Mais ce n'est pas un hasard si un grand
nombre de scènes, chasse du sanglier de Calydon placée précisément au-
dessous du massacre des prétendants, combats entre des Amazones et des
Centaures qui ornent le même côté sud du mur sur sa face extérieure et sont
reproduites ailleurs, rappelant ces Amazonomachies et Centauromachies bien
connues de la Grèce classique, évoquent la victoire des Grecs sur la barbarie,
de la raison sur l'anarchie sensuelle. De cette entreprise, pour la première fois,
Pénélope n'est pas exclue. A nouveau cette frise nous ramène en Asie (112),
ou, au siècle suivant, Thrason réalisera la seule statue connue de Pénélope.
Ainsi, au Ve siècle, Pénélope n'a paru indigne d'aucune forme d'art,
depuis les modestes reliefs de terre cuite jusqu'à la grande peinture. En dehors
de l'influence directe des œuvres littéraires, l'esprit nouveau de l'art classique
qui s'intéresse à l'état plus qu'à l'action (1 13) a dû favoriser l'éclosion d'œu-
vres d'art consacrées à la légende. D semble qu'on ait, tout à tour, mis
l'accent sur deux aspects d'une même grandeur. Elle est, au début du siècle,
celle qui souffre, victime abandonnée de tous, même des dieux. Ses
bourreaux ne sont pas seulement les prétendants mais, à l'intérieur de sa propre
maison, Télémaque ou Ulysse travesti. Elle n'est même pas assistée de
servantes comme on les rencontrera sur les plaques de terre cuite romaines. Aucune
84 M. -M. MACTOUX

protection divine ne se manifeste, et lorsqu'Athéna intervient, comme sur la


scène de lavement de pieds des reliefs méliens, c'est pour détourner son regard
et accroître sa déréliction. De cette souffrance solitaire naît une première
forme de grandeur. Eschyle n'élevait-il pas la souffrance au rang de vertu
lorsqu'il disait dans Agamemnon : «Zeus a ouvert aux hommes la voie de la
prudence en leur donnant pour loi : «souffrir pour comprendre», (114) et
dans les Euménides : «II est bon d'apprendre à être sage à l'école de la
douleur» (115).
.

Puis, peu à peu, mais déjà à partir du deuxième quart du Ve siècle avec
l'anneau d'or de New-York, le cratère de Syracuse, et sans doute la fresque de
Polygnote, s'impose l'image d'une femme qui a réussi à mener à bien sa tâche,
non par des actions éclatantes mais grâce à une ferme détermination qui se
traduit dans les œuvres d'art par une majesté sereine. Tout se passe comme si
cette exaltation de l'héroïne avait commencé du jour où la puissance et la
noblesse d'Ulysse étaient mises en cause. On se souvient que les tragiques ne
le tenaient pas en grande estime. Le même phénomène est sensible à travers
l'art. Lorsqu'Ulysse massacre les prétendants, il remporte le plus souvent une
victoire facile sur des ennemis désarmés. (1 16).

APPENDICE
Nous citerons pour mémoire quelques œuvres sur lesquelles on a parfois
proposé de voir Pénélope ; mais ces interprétations sont aujourd'hui
abandonnées.

1 - Skyphos trouvé en Etrurie, du peintre Polygnote II, datant du milieu du


Ve siècle.
- C. V.A., TheRobinson Collection, fascicule 2, pi. KLI, I b.
- S.E. Freemann et D. M. Robinson, «The Lewis Painter : Polygnotos
II»,A£4, 1936, p. 215-227, fig. 2.
- Ch. Dugas, «A propos de Polygnotos II», REA, 1938, p. 43-46, pi. I.
- J. D. Beazley, Attic red-fîgure vase-painters, p. 974, n. 26.
- L. B. Ghali-Kahil, Les enlèvements et le retour d'Hélène dans les textes
et les documents figurés, analyse p. 84-85 et pi. II, 2 et 3.
Sur la face A, un jeune homme armé d'une épée poursuit une jeune femme.
Sur la face B, deux femmes. A gauche, une femme d'âge moyen, vêtue d'un
riche chiton à ourlet brodé et d'un himation relevé sur la tête, suit
précipitamment une jeune femme sui soulève son chiton de la main gauche pour aller
plus vite, et pointe du doigt la direction dans laquelle elle entraîne sa
compagne.
Pour Ch. Dugas (117), la face A représente Télémaque traquant les
servantes infidèles, tandis qu'il reconnaît sur la face B, Pénélope suivant Eury-
clée venue la chercher dans son appartement à la demande d'Ulysse, après le
meurtre des servantes. Cette scène serait postérieure dans le temps à la scène
précédente.
Il ne semble pas qu'on puisse retenir cette interprétation,
l'argumentation de Ch. Dugas ne reposant sur aucun rapprochement probant. Déjà
S.E. Freemann et D.M. Robinson avaient pensé à une illustration de la
légende de Paris et d'Hélène (1 18) et avaient identifié Hélène dans cette femme
voilée, tandis que la jeune femme sur la face A, aurait été une des servantes
(1 19). Cette hypothèse a été reprise par L. B. Ghali-Kahil, qui songe à Méné-
las cherchant à emmener Hélène.
LA LÉGENDE 85

2 - On a cru reconnaître (120) Pénélope sur une série de vases à figures rouges
(121) représentant une femme tantôt debout, tantôt assise, mais dont la
caractéristique commune est d'avoir auprès d'elle ou dans ses bras, un volatile
appelé tantôt canard, tantôt oie. Après avoir fait une série de rapprochements
avec d'autres héroïnes dans la légende desquelles l'oie joue un rôle - ainsi
Hercyna, fille de Trophonios (122) - l'auteur conclut que «tout porte à
penser que nous avons sous les yeux Pénélope, dont le nom, déjà dans
l'Antiquité avait été rapproché de la Pénélope ou canard sauvage». L'argumentation
semble faible. Pourquoi précisément Pénélope et non pas une autre de ces
héroïnes ? En dehors de scholies anonymes et d'un court passage de Didyme
vivant au 1er siècle avant J.C. (123), aucun texte littéraire grec ou latin n'a
exploité ce thème, également absent de tous les documents figurés antiques.
Les boules avec lesquelles joue la jeune femme sur la planche I décrites
comme des pelotes de laine teintes en pourpre, la corbeille de laine de la
planche Κ ou les deux fuseaux de celle publiée par Th. Panofka, ne peuvent
permettre d'identifier Pénélope. Sur cette dernière amphore, même l'oie a
disparu et seul l'éphèbe drapé qui fait face à la femme, très proche de celui de la
planche I, a amené nos auteurs à cette conclusion (124). Mais l'éphèbe qui
figure effectivement sur les trois amphores, soit en face de la jeune femme
(125), soit au revers (126) n'est doté d'aucun signe distinctif. On a parlé à
son propos de Télémaque ou de l'un des prétendants.
En l'absence d'arguments convaincants nous ne tiendrons pas compte
de cette série de vases. L'art, pas plus que la littérature, n'a enrichi ce
rapprochement étymologique, de même qu'aucun document iconographique ne
s'inspire du mythe, pourtant bien attesté dès le Ve siècle, d'une Pénélope
mère de Pan (127).
86 M.-M. MACTOUX

Notes du CHAPITRE V (Première partie)


(1) E. Pottier, Catalogue des vases antiques de terre cuite,3ème partie, L 'école attique
2, Paris, 1929, p. 1053-1062 a bien montré l'influence du théâtre sur la céramique
attique du Ve siècle. Mais à cette époque les interrelations sont multiples, et
l'influence du théâtre ne s'exerce pas seulement sur les peintres de vases. L.
Séchan, op. cit., p. 172, explique de même l'apparition dans l'art du motif de
Nausicaa jamais représentée avant Polygnote. Polygnote a dû subir l'influence
de la pièce de Sophocle, Nausicaa ou les Lavandières.
(2) 30.11.9 et 25.78.26.
(3) BMM, 1926, p. 80, et 1930, p. 280.
(4) P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, Berlin, 1931.
(5) G.M.A. Richter, «Récent accessions in the classical department», BMM, 1930,
p. 280.
(6) S. Mollard-Besques, Les terres cuites grecques, Paris, 1963, p. 32.
(7) EAA, s. v., melici
(8) Voir relief - n. 2.
(9) H. Lechat, «Le bain de pieds d'Ulysse» p. 439-442, in Bulletin archéologique,
REG, 1901, p. 409 sq.
(10) Voir en particulier relief - n. 4.
(11) G.M.A. Richter, loc. cit., p. 280, le date de 460.
(12) Cité par P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, p. 68.
(13) E. Pottier «Nouvelles acquisitions du Louvre» RA, 3e série, XXXIV, 1899,
p. 13-14, qualifie son style d'archaïque et la fait remonter à la première moitié du
Ve siècle. P.Jacobsthal, op. cit., n. 89, la date de 450-440, tandis que S.
Mollard-Besques, Catalogue raisonné des figurines et reliefs en terre cuite, C. 105,
propose la décennie antérieure.B.B. Shefton, «Odysseus and Bellorophon-reliefs»,
BCH, 1958, p. 34, justifie par les proportions et la frontalité la date de 445. Il
semble donc qu'un accord se dessine pour la dater du milieu du siècle.
(14) Op. cit., p. 94.
(15) Loc. cit., p. 33, pL Π, 2.
(15) Loc. cit., p. 34.
(16) Un autre exemplaire conservé au British Musuem, B. 372, est considéré comme un
faux par B.B. Shefton, loc. cit., p. 28. Il est cité par F. Miiller, OI, p. 83, n. 1.
(17) 476 sq.
(18) XIX, 55 et XIX, 101.
(19) Voir infra, p. 75 sc^.
(20) Voir pour le deuxième vase infra p, 80,
(21) J.D. Beazley, op. cit., p. 1281.
(22) 7Z)«i, p- 1107.
(23) Λ/ϋ,ρ. 1177.
(24) F. Villard, in J. Charbonneaux, R, Martin, F. Villard, Grèce classique, p. 255.
(25) L. Stella, Mitologia greca, Turin, 1956, p. 773.
(26) C. Robert cité par L. Séchan, Etudes sur la tragédie grecque dans ses rapports
avec la céramique, p. 179, n. 2.
(27) L.Séchan, op. cit., p. 179, n. 3.
(28) Berlin, 2588, J.D. Beazley, A ttic red-figure vase-painters, p. 1 300.
(29) Déjà en 1937, E. Wust, P. W., s. v. Pénélope, coL 487, invitait à la prudence.
(30) CM. Olmstead, «A greek lady from Persepolis», AJA, 1950, p. 10. F. Eckstein,
«Attàs», JDAI, 1959, p, 140.
(31) E. Langlotz, «Zur Deutung der Pénélope», JDAI, 1961, p. 78.
(32) C. M. Olmstead, loc cit., p. 15-16
(33) Voir statues n. 2 et 3.
(34) Hist. Nat., XXXTV, 68 ; cf. E.Langlotz «Die Larisa des Telephanes», MH, 1951,
p. 157-170.
(35) E. Langlotz, loc. cit., JDAI, 1961, p. 72-99.
(36) F. Eckstein, «Aidôs», JDAI, 1959, p. 137-157.
(37) M. Collignon, Les statues funéraires dans l'art grec, p. 118.
(38) Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, Π, La sculpture au Ve siècle, I, p. 52.
(39) W. Helbig, Fùhrer, 3e éd., I, n. 1 89.
(40) M, Collignon, Les statues funéraires dam l'art grec, p. 123.
(41) Ibid., p. 118.
(42) Ibid., p. 122.
LA LÉGENDE 87

(43) On a d'ailleurs, mais plus rarement, proposé le nom d'Electre. Voir E.Babelon,
Le Cabinet des antiques de la Bibliotèque Nationale, 3ème série, 1888, p. 164, n.5
(44) W. Helbig, Fùhrer. 3e éd. I, n. 89 et fig. 8.
(45) Voir supra, p. 69 sq.
(46) Récemment H. Hiller, «Pénélope und Eurykleia ? Vorbemerkungen zur Rekons-
truction einer Statuengruppe», AA, 1972, p. 47-67, suggère que la statue du
Vatican (n. 2) représenterait Pénélope et aurait pu faire partie d'un groupe de statues
avec Euryclée, interprétant dans ce sens une statue de vieille femme du Musée
de Bâle (pL 2, 7 et 8). Il ne s'agit, cependant, que d'une hypothèse s'appuyant sur
le texte de Strabon qui avait vu dans FArtémision d'Ephese une œuvre du
sculpteur Thrason figurant Pénélope avec Euryclée sous la forme d'une vieille femme.
Cf. infra p. 89.
(47) P. Jacobsthal, Die melischen Reliefs, p. 192-198, avait déjà dénombré dix huit
représentations de ce type dans l'art du Ve siècle.
(48) Von supra, n. 41.
(49) G.M.A. Richter, AI, p. 45.
(50) E. A. Gardner, «The Boston counterpart of the Ludovisi thronef JHS, 1913,
p. 81.
(51) Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, II, La sculpture au Ve siècle, 2, p. 591,
n. 2.
(52) D. Ohly, «Dia Gunaikôn», fig. 15.
(53) F. Eckstein, loc. cit.
(54) G.M.A. Richter, AI, p. 45 .
(55) G.M.A. Richter, op. cit., p. 49. E. Paribeni, EAA, XI, s. v. reproduzioni, p. 559.
(56) D. Ohly, «Dia Gunaikôn», p. 436^37.
(57) A. Furtwângler , La collection Sabouroff, monuments de l'art grec, I, Berlin, 1883,
pi. XV à XVII.
(58) G.M.A. Richter, Engraved gems of the Greeks and the Etruscans, Londres, 1968,
p. 74.
(59) J. Boardman, op. cit., p. 216.
(60) D. Ohly, p. 439, «Dia Gunaikôn», R. Boehringer, eine freundesgabe, Tubingen,
1957, p. 433 sq.
(61) J. Boardman, op. cit., p. 230-231.
(62) E. Babelon, Le cabinet des Antiques, pL X.
(63) E. Babelon, op. cit., 3e série, p. 164. A la fin de sa description de l'intaille,
G.M.A. Richter, op. cit., n. 273, reprend cette hypothèse après avoir désigné la
femme du nom général de pleureuse,
(64) G.M.A, Richter, Engraved gems ofthe Greeks and the Etruscans. Londres, 1968,
n. 263.
(65) Ainsi l'anneau d'or, Ermitage 239, a été trouvé au doigt d'un squelette de femme
dans un tombeau des environs de Kertch. Cf. S. Reinach, Antiquités du Bosphore
cimmérien, Paris, 1892, commentaire à la pL XVIII, 9 et p. 50.
(66) J. Boardman, op. cit., p. 233.
(67) L'existence dans un cas d'un arc à côté de la femme assise (Ermitage, 239)
pourrait apporter un argument en faveur de Pénélope, puisque sur l'anneau de New-
York (voir supra, p. 79 ) qui la représente sûrement, elle a un arc à ses côtés. Mais
elle n'a plus alors l'attitude de l'affligée.
(68) Voir supra, p. 79.
(69) Op. cit., p. 93.
(70) XVIII, 276-301.
(71) Seul l'art étrusque reprendra cette scène. Voir infra, p. 1 1 9-1 20.
(72) E. Paribeni, EAA, s. v. Pénélope.
(73) Voir infra, p. 119-120.
(74) A. de Ridder, «Le temple d'Athéna Areia à Platées», BCH, 1920, p. 160-169.
(75) A. de Ridder, op. cit., p. 165.
(76) Pausanias, Description de la Grèce, X, 25-31.
(77) Id.,ibid.,X,31,5.
(78) Id., ibid., X, 29, 8.
(79) Id., ibid., X, 29, 3.
(80) Id., ibid., X, 30, 5.
(81) G. Méautis, Les chefs d'œuvre de la peinture grecque, Paris, 1939, p. 19.
(82) Poétique, 1450 a ; trad. A. Reinach, Textes grecs et latins relatifs à l'histoire de
la peinture ancienne, Paris, 1921, n. 133.
(83) D'après Pausanias, loc. cit., le temple avait été construit sur la part du butin que
88 M. -M. MACTOUX

les Athéniens adjugèrent à leurs alliés après Marathon.


(84) O. Touchefeu-Meynier, TO, p. 268.
(85) Pausanias, II, 3, 3.
(86) H.N. Fowler, Corinth, voL 1, part 1, Introduction, Topography, Architecture,
American schoÙ of classical studies at Âthens, Cambridge, 1932, p. 135.
(87) Cf. É .Paribeni, EAA , s. v. Pénélope.
(88) Eikones, II, 28.
(89) O. Touchefeu-Meynier, op. cit., n. 430.
(90) G. Méautis, Les chefs d'oeuvre de la peinture grecque, Paris, 1939, p. 45 sq.
(91) Aristophane, Acharnaniens, 989 sq.
(92) Cicéron, De Invent., Π, Π, Ι - 3,
(93) Aiistote, Poétique, 1450 a.
(94) Id., ibid., 1461 b.
(95) Inst. orat., XII, 10, 4.
(96) Pline, Hist. Nat.j XXXV, 61.
(97) Cf. A Reinach, op. cit., p. 188, n. 3.
(98) Hist. Nat., XXXV, 64.
(99) Tzetzes, CM, VIII, 388, 95 : A. Reinach, n. 233.
(100) Strabon, Géographie, XIV, I, 23.
(101) Skyphos du peintre de Pénélope, Berlin, 2588; J.D. Beazley, Attic red-fïgure
vase-painters, p. 1300 * Oenoché du peintre de Disney, New- York, 26. 97. 24;
J.D. Beazley, op. cit., p. 42.
(102) On ne tient pas compte naturellement de la fresque de Polygnote à Platées qui ne
reproduit pas le même moment de l'action.
(103) Pour la présence de Pénélope sur les urnes étrusques représentant le massacre des
prétendants, voir infra, p. 120.
(104) Ch. Picard, op. cit., p. 877.
(105) Antinoos dans VOd., XXI, 381 - 382 ; XXII, 8 .
(106) Ch. Picard, op. cit., p» 880.
(107) XXI, 354.
(108) Ch. Picard, op. cit., p* 880.
(109) Id., ibid., p. 880, n. 5.
(110) K. Schefold, La Grèce classique, Paris, 1967, p. 178.
(111) J. Charbonneaux, La sculpture grecque classique, II, Paris, 1946, p. 49. Depuis la
seconde moitié du Vie siècle la Lycie vit sous domination perse. Paradoxalement
la conquête perse a ouvert le pays aux influences grecques comme le confirment
amplement les fouilles de Xanthos (cf. EL Metzger, Archeologia Mundi, Anatolie
II, Genève, 1969, p. 63).
(112) Voir supra, p. 153.
(113) M. Robertson, La peinture grecque, Genève, 1959, p. 130.
(114) 176-178 ; trad. P. Mazon, Eschyle, Π, Paris, 1961.
(115) 519-520 ;trad.#>tf.
(116) O. Touchefeu-Meynier, op. cit., p. 267.
(117) Loc cit., p. 43.
(118) Op. cit., p. 43.
(119) Op. cit.,
(120) J. de Write, «Lettre à M. Le Professeur Th. Panofka sur une amphore de Nola
représentant Pénélope, Annali dell'Instituto di corrispondenza archeologica, 1841,
p. 261 sq. S.Reinach dans son Répertoire des vases peints grecs et étrusques, p.
264, signale l'amphore b.
(121) - a) Amphore de Nola, catalogue de la Collection Durand, 419, puis British
Muséum. Annali dell'Instituto di corrispondenza archeologica, 1841, pL 1.
- b) Amphore de Nola, vue chez un marchand d'antiquités a Naples par J. de
Witte, loc. cit., pi K.
- c) Amphore de Nola publiée par Th. Panofka, Verlegne Mythen, pL IV, 3.
- d) Oenochoé du Musée de Berlin avec Hermès et, en face de lui, une femme,
vue à mi-corps, avec en dessous un canard. Cette figure est appelée Pénélope par
J. de Witte, loc. cit., p. 262.
(122) Pausanias, Description de la Grèce, IX, 39, 2.
(123) Voirin/hz,p.234.
(124) Th Panofka cité par J. de Witte, et J. de Witte lui-même, loc. cit., p. 265.
(125) Amphore a et c.
(126) Amphore b.
(127) Voir infra. p. 222 sq.
DEUXIEME PARTIE

LE IVe SIECLE

II a paru nécessaire d'isoler le IVe siècle du précédent pour mieux faire


sentir cette disparition progressive de Pénélope dans l'art figuré, semblable à
celle qui nous ayons notée dans la littérature. Sans doute, comme les autres
poèmes du cycle épique à l'exception des Chants Cypriens, les épopées
homériques n'inspirent plus guère. Le phénomène est particulièrement net chez les
céramistes attiques qui s'intéressent moins au conflit troyen lui-même qu'aux
origines du conflit, en particulier au jugement de Paris et à la geste d'Hélène
(1). Si l'on préfère désormais les représentations qui ont une valeur de
symbole aux sujets qui n'ont d'intérêt que par leur contenu poétique, il en va
autrement pour notre héroïne. Au Ve siècle les représentations de Pénélope
avaient déjà une valeur symbolique. Le seul fait de lui donner souvent
l'attitude de l'affligée paraît caractéristique de cette volonté de faire d'elle le
symbole de l'être écrasé par le destin. Au IVe siècle ce type disparaît
complètement et, à l'exception de la statue d'Ephèse, le sujet est partout le même :
Pénélope assiste au lavement de pieds d'Ulysse par Euryclée (2).

STATUE et BAS-RELIEF
1 - Statue de l'Artémision d'Ephèse, œuvre du sculpteur Thrason. Deuxième
moitié du IVe siècle. Strabon, Géographie, XIV, 1, 23.
- H. Hiller, «Pénélope und Eurykleia ? Vorbemerkungen zur Rekons-
truction einer Statuengruppe»,^, 1972, p. 47-67.
Strabon a admiré dans l'Artémision d'Ephèse une œuvre de Thrason
représentant Pénélope avec Euryclée sous la forme d'une vieille femme. S'agit-
il d'un groupe en cire comme le suggère un des manuscrits de Strabon (3) qui
contient la formule kêrinê Pénélope. Certains éditeurs se sont engagés sur
cette voie (4). Ch. Picard pense que le mot kêrinê, emprunté à un manuscrit
unique, est archéologiquement insoutenable (5) et lui préfère le mot krênê, la
source, proposé par les autres manuscrits de Strabon. On a d'autres exemples
de la corruption de ce terme, la confusion entre le i et le ê étant fréquente
(6). Mais le texte peut alors avoir deux sens. Soit Strabon aurait vu «Là où est
l'Hécatésion et la source »(7), les statues de Pénélope et d'Euryclée, soit, en
modifiant la ponctuation, il aurait vu une source jaillissant dans une fontaine
décorée par un groupe d'acrotères représentant Pénélope et Euryclée. La
première interprétation est la plus probable.
Ce Thrason est mal connu. Pline cite un bronzier de ce nom (8). Il a dû
travailler dans le troisième quart du IVe siècle à la restauration de
l'Artémision, le temple Ε de l'époque hellénistique reconstruit après l'incendie de 356.
Pour l'ornement du temple on avait fait appel à des artistes célèbres. Praxitèle
avait participé à la décoration du grand autel (9). Dans un temple auquel les
Ephésiens attachèrent tant d'importance, l'œuvre de Thrason ne pouvait que
s'inscrire dans un ensemble qui visait à restituer, même dans la décoration,
l'aspect du temple archaïque (10). Quoi qu'il en soit, la statue qui a retenu
l'attention de Strabon devait être remarquable.
Thrason est aussi l'auteur dans le temple d'Ephèse d'un Hécatésion
90 M.-M.MACTOUX

(1 1), c'est à dire d'une statue d'Hécate. On sait que les rapports entre Artémis
et Hécate sont fort étroits. Confier à Thrason la réalisation d'une statue
d'Hécate montre l'estime qu'on lui accordait. 11 existait dans l'Artémision une
autre statue d'Hécate due à un contemporain de Thrason, Ménestratos. Les
gardiens du temple recommandaient aux curieux, dit Pline (12), de prendre
garde à leurs yeux en la regardant, tant était grand le rayonnement du
marbre. Il est probable, comme l'a montré S.Reinach (13) que ce
rayonnement doit être compris dans un sens symbolique. La vivante statue de
Ménestratos évoquait à ce point la déesse, que lever les yeux sur elle était accomplir
un acte sacrilège comme le font les hommes qui regardent directement les
divinités lors des théophanies. L'œuvre de Thrason entrant en compétition
avec celle de Ménestratos ne pouvait qu'être digne d'admiration.
Strabon ne voit dans le couple Pénélope-Euryclée rien d'insolite. Ulysse
avait été peint à la même époque à Ephèse dans deux œuvres (14) qui
s'inspirent de la légende cyclique telle qu'elle apparaît dans les Chants Cypriens.
Mais la présence d'Euryclée associée à Pénélope exclut toute transformation.
C'est bien l'héroïne homérique que Thrason avait voulu représenter et
probablement une héroïne dont la dignité majestueuse avait frappé Strabon (15).
N'était-elle pas la sœur de celle qu'un artiste d'Ionie avait sculptée sur la frise
de Gjôlbaschi-Trysa et peut-être encore de la Pénélope de Zeuxis, qui était la
vertu même (16) ?

2 - Bas-Relief provenant des environs de Gomphoi en Thessalie. Athènes,


Musée National, 1914, IVe siècle, PI. VI.
- C. Robert, «Die Fusswaschung des Odysseus auf zwei Reliefs des fù'nf-
ten Jahrhunderts», MDAI (A), XXV, 1900, p. 325-338, et pi. XIV.
- S. Reinachjïépertoire des reliefs, II, p. 361, n. 1 .
- H. Lechat, «Le bain de pieds d'Ulysse», REG, 1901, p. 439-442.
- S. Papaspiridi, Guide du Musée National d'Athènes, n. 1914.
- H. Môbius, «Diotima»,m4/, 1934, p. 45-60.
- H. Biezantz, Die thessalischen Grabreliefs, p. 32, n. 57 et pi. 80.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 459 et pi. XXXV, 1 .
Sur ce bas-relief de marbre très endommagé, se distingue, à gauche, le couple
formé par Ulysse et Euryclée. Un troisième personnage au visage mutilé a
toujours été pris pour Pénélope. Vêtue d'un péplos à plis raides, elle est debout
devant son grand métier à tisser et tourne le dos à la scène. Alors que sur le
relief mélien (17) l'artiste avait rendu simplement par le regard absent le fait
qu'Athéna détourne alors son esprit, le sculpteur a éprouvé le besoin de
justifier humainement ce manque d'attention en l'occupant à son métier . De
même, sur le relief mélien, Euryclée regardait (18) simplement la cicatrice ;
sur le relief de Gomphoi, elle est à demi-relevée et s'apprête à crier de
surprise.
Ce relief, daté par C. Robert de la seconde moitié du Ve siècle, est
considéré aujourd'hui comme un peu plus récent et apparaît plutôt comme une
œuvre du IVe siècle (19). C'est un travail thessalien apparenté par le style à
d'autres œuvres thessaliennes de la même époque (20). Le thème étant unique
dans les reliefs votifs grecs, faut-il l'expliquer par le choix personnel d'un
artiste local ? Tous ces produits artisanaux répondant à la demande d'une
clientèle peu exigeante reprenaient les formules traditionnelles (21) et l'époque
n'était pas si lointaine où les plaques de terre cuite avaient répandu le sujet.
LA LÉGENDE 91

VASES
1 - Amphore provenant de la tombe XLIV de la nécropole de Gênes. IVe
siècle.
- R. Paribeni, «Necropoli arcaica rinvenuta nella citta di Genova»,
Ausonia, 1910, p. 25-26, et fig. 3.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 456.
Cette grande amphore provient d'une tombe d'une nécropole de Gênes qui
date probablement du IVe siècle (22). Le vase, qui pourrait être évidemment
plus ancien, semble appartenir à la même époque.
Sur la partie principale de la panse figure une scène très mutilée de
YOdyssée dont le sujet est désormais classique dans l'art puisqu'on le
rencontre dès la première moitié du Ve siècle sur le skyphos de Chiusi : le lavement
de pieds d'Ulysse par Euryclée agenouillée. Sur le skyphos, la nourrice, qui
avait reçu le nom d'Antiphata, contenait son émotion et se contentait
d'échanger un regard avec le maître. Ce qui subsiste d'Euryclée sur l'amphore
la tête et le bras gauche, traduit son agitation. Le corps est complètement
redressé et le bras touche celui du maître. Ulysse lui-même, le bras droit
tendu, veut prévenir son cri. La femme qui se trouve derrière Ulysse, sans doute
Pénélope, (23) allonge également le bras dans un geste de surprise ou d'intérêt
difficile à interpréter. En tout cas, elle n'a plus cet air absent qu'on trouve sur
les reliefs méliens. D'une façon ou d'une autre, elle participe à la scène, même
si elle n'en comprend pas toute la signification.
R. Paribeni (24), pour des raisons de style, pense qu'il s'agit d'un vase
fabriqué dans les colonies grecques du sud de l'Italie (25).

2 -Péliké à figures rouges. Musée de Rhodes, 14-174. PI VI


- G. Jacopi, Clara Rhodos, VI-VII, 1932-33, p. 53 sq., fig. 13-17.
- H. Metzger, Les représentations dans l'art attique du IVe siècle, Paris,
1951, n. 46, p. 294-295.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 460.
Ulysse, qui occupe le centre de la composition, porte le pilos du voyageur
mais n'a plus les habits du mendiantEuryclée, qui a reconnu son maître, jette
sur lui un regard interrogateur, mais il lui impose silence de la main droite. En
dehors d'un personnage barbu, sans doute le porcher Eumée, se dressent les
silhouettes de trois femmes dont l'une semble être Pénélope. Avec les autres,
elle prête une attention soutenue aux récits d'Ulysse, comme sur l'amphore
de Gênes. Par rapport aux représentations de cette scène dans l'art du Ve
siècle, on est frappé de la cohésion interne qui se dégage et fait sortir
Pénélope de son isolement symbolique (26).
Sauf la péliké, toutes ces œuvres ont été réalisées en milieu grec, mais
hors d'Athènes et du Péloponnèse, dans deux régions qui, sans doute,
conservaient vivace le répertoire du siècle précédent. C'est particulièrement sensible
pour le bas-relief de Thessalie et l'amphore de Gênes. Si l'on met à part la
statue d'Ephèse qui, par sa destination, devait perpétuer la grandeur de
l'héroïne, toutes ces réalisations mineures accordent à Pénélope une attitude
nouvelle. La péliké n'échappe pas à cette transformation. Soit qu'on justifie
psychologiquement son inattention comme sur le relief de Thessalie, soit que
Pénélope se montre captivée par le récit du mendiant, comme sur le vase de
Rhodes, elle n'est plus le témoin absent, simple instrument dans les mains
d'Athéna. Elle sort du monde du symbole pour redescendre dans l'univers
quotidien. Elle est traitée sur le ton de l'anecdote en devenant une femme qui
92 M.-M.MACTOUX

détourne volontairement son esprit de l'essentiel en s'intéressant à son


ouvrage ou à des aventures merveilleuses. On ne peut manquer de rapprocher
cette vision de celle qui, a la même époque, commence à apparaître dans la
littérature qui, s'interrogeant sur la conduite de l'épouse d'Ulysse (27) opère
la même transmutation. Comme elle cesse d'être l'héroïne irréprochable, elle
perd son caractère surhumain en se montrant sujette à une inattention
coupable.
LA LÉGENDE 93

Notes du CHAPITRE V (Deuxième partie)


(1) H. Metzger, Les représentations dans la céramique attique du IVe siècle, Paris,
1951, p. 267.
(2) Au Vie siècle des sarcophages sont illustrés du massacre des prétendants. Aucune
femme n'y figure. (Cf. C.Robert, Die antiken Sarkophag - reliefs, II, Berlin, 1890,
n. 151,152, 153).
(3) Manuscrit F.
(4) A. Meineke in Strabonis geographica, ΠΙ, p. 895, Leipzig, 1898, et récemment
encore T.E. Page, The Geography ofStrabo, VI, Londres, 1950, p. 228.
(5) Manuel d'archéologie grecque, La sculpture grecque, IVe siècle, p. 928, n. 4O
(6) M. Robertson, «Conjectures in Polygnotus Troy», ABSA, 1967, p. 5-6, pense qu'il
faut corriger de la même façon un passage de Pausanias décrivant la prise de Troie
de Polygnote. Le terme kliné, couche, se serait substitué au terme krênê, source.
(Cf.p·. 6,n.7.)
(7) Version suivie par C. Millier et F. Dubner, Strabonis geographica, Paris, 1853,
p. 542.
(8) Hist. Natur., XXXIV, 9 1 .
(9) Ch. Picard, Ephèse et Claros, Paris, 1922, p. 38.
(10) Ch. Picard, op. cit., p. 39.
(11) Strabon, XIV, 1, 23.
(12) Hist. Nat., XXXVI, 32.
(13) Cultes, mythes et religions, II, Paris, 1928, p. 311-318.
(14) On ne connaît ces deux œuvres que par des allusions littéraires. Les deux
traitaient du même sujet et étaient des tableaux réalisés par des peintres célèbres de la
première moitié du IVe siècle. L'un, d'Euphranor de Corinthe, était ainsi décrit
par Pline {Hist. nat., XXXV, 129) : «A Ephèse se trouve son fameux tableau
d'Ulysse simulant la folie, accouplant un bœuf avec un cheval, tandis que des
hommes enveloppés d'un manteau réfléchissent et que leur chef cache son glaive»
(Traduction A. Reinach, op. cit., n. 351). Il n'est pas question de Télémaque. Mais
on peut s'en faire une idée plus précise d'après le tableau décrit par Lucien {De
Oeco, 30» Le rapprochement est fait par A. Reinach, op. cit., p. 285, n. 357).
«Plus loin Ulysse contrefait manifestement l'insensé pour ne pas suivre les Atrides
dans leur expédition. Voici déjà les envoyés qui l'invitent à partir. On voit les
preuves de cette folie simulée, la charrue, la bizarrerie de l'attelage, l'inconscience
de la réalité. Son amour paternel va le trahir. Palamède, en effet, le fils de Nau-
plios a tout compris : il a saisi Télémaque et menace, tenant son glaive à la
poignée, de l'égorger, opposant une fureur feinte à une folie non moins feinte.
Ulysse alors, saisi d'effroi, rentre dans son bon sens, redevient père et renonce à sa
comédie». On se souvient que, d'après Apollodore, Télémaque était dans les bras
de Pénélope {Epitomé, III, 7). L'autre est attribué par Plutarque, De aud poet, 3
à Parrhasios, et peignait également la folie simulée d'Ulysse. On a parfois cru à
une erreur de Plutarque. Il est cependant possible que les deux artistes aient
concouru à Ephèse pour Ulysse, comme à Athènes pour le Thésée. (Cf A. Reinach,
op. cit., p. 229, n. 2).
(15) Pour une tentative de reconstruction de ce groupe cf. H. Hiller, loc. cit., qui pense
à la statue de femme affligée du Vatican. Cf. p. 75 et p. 89.
(16) Pline, Hist nat., XXXIV, 63.
(17) New-York, The Metropolitan Muséum, 25. 78. 26. Voir supra, p. 70.
(18) C. Robert, toc. cit.
(19) S. Papaspiridi, op. cit., sous n. 1914.
(20) H. Biesantz, op. cit., p. 148.
(21) F. Chamoux, dans l'analyse de l'ouvrage de H. Biesantz, Die thessalischen Grabre-
liefs, RBPH, 1968, fasc. 3, p. 998.
(22) R. Paribeni, loc. cit., p. 50-51.
(23) R. Paribeni, loc. cit., p. 26, parle à propos de la silhouette féminine d'une servante
et non de Pénélope.
(24) Loc. cit., p. 47.
(25) Les thèmes odysséens sont cependant rares sur les vases à figures rouges de l'Italie
du Sud et de là Sicile du Ve et IVe siècles. A.D. Trendall, The red-figured vases of
Lucania, Campania and Sicily, 2 volumes, Oxford, 1967, a dénombré seulement
cinq vases se rapportant à la geste d'Ulysse. Aucun d'eux n'évoque le retour à
Ithaque : Ulysse dressant avec Diomède une embuscade à Dolon (Lucanie, n. 533)
94 M.-M MACTOUX

l'aveuglement de Polyphème (Lucanie, n. 185) Ulysse consultant l'ombre de


Tirésias (Lucanie, n. 532), une scène sur un cratère phîyaque avec peut-être Ulysse
Arété et Alkinoos (Campanic, n. 13) et une hydrie de Lucanie (n. 568) avec sur
l'épaule, deux scènes juxtaposées ; ce dernier vase se trouve au musée de Naples
(n. 2899). A droite d'une jeune fille debout regardant un miroir, une femme assise
sur un monticule, le menton légèrement appuyé sur sa main gauche tandis qu'elle
tient de l'autre main une hydrie qui repose sur ses genoux. A ses pieds une stèle
funéraire et, derrière, un jeune homme, un rameau à la main, s'appuie sur sa lance.
De l'autre côté de la panse une scène symétrique avec une femme debout tendant
un coffret à un homme assis sur un rocher dans une attitude tristement
méditative. Cette dernière scène a toujours été interprétée comme une illustration du
passage de VOdyssée où Calypso vient trouver Ulysse qui, assis au bord de la mer,
songe douloureusement à Ithaque. La scène de gauche a donné lieu à plusieurs
interprétations. Ainsi F. Millier, op. cit., p. 133, y voit le mariage de Nausicaa ;
la Jeune fille serait Nausicaa pleurant sur la tombe d'Ulysse, qu'elle a aimé avant
d'épouser Télémaque. O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 339, propose une scène de
l'Orestie : Oreste rencontrant Electre près du tombeau d'Agamemnon. Elle ne
tient pas compte des inscriptions, peut-être aujourd'hui effacées, que signale A.D.
Trendall. Auprès de l'homme assis figurait le nom d'Ulysse et auprès du jeune
homme debout, Kale Têlemachos. Pourquoi n'aurait-on pas ici Pénélope et
Télémaque pleurant Ulysse qu'ils croient mort, tandis qu'il est retenu par Calypso ?
A.D. Trendall décrivant le vase ne se prononce pas sur la signification des deux
scènes. Même si cette interprétation est plausible, ce vase resterait exceptionneL
D'après son style A.D. Trendall l'attribue au peintre dit de Brooklyn-Budapest
qui aurait travaillé dans la première décennie du IVe siècle. (Pour la reproduction
de ce vase, voir O. Touchefeu-Meynier, op. cit., pi. XXX, 2 et EAA, II, s. v.
Calypso, fig. 414).
(26) II ne semble guère possible de retenir un vase phîyaque où l'on a parfois voulu
voir une conversation entre Ulysse mendiant et Pénélope évoquant sa longue
attente (Cf. O. Touchefeu-Meynier, op. cit., n. 20 et pL XXXVI). Pour cette
oenoché (Tarente, 54. 724) trouvée dans une tombe et datée du deuxième quart
du IVe siècle, voir F.G. Lo Porto, «Nuovi vasi fliacici apuli del Museo Nazionale di
Tarante», BA, 49, 1964, p. 17-18, fig. 7 ; A.D. Trendall, Phlyax Vases, 2e éd.,
Bulletin of the Institue of classical Studies, University of London, 1967, n. 121 ;
EAA, H, s. v. Calypso, fig. 414 ;O. Touchefeu-Meynier, op. cit., p. 234, n. 20, et
pi. XXXVI. Un homme en costume comique, coiffé d'un pilos et appuyé sur un
bâton, converse avec une femme vêtue d'un ample chiton et d'un himation qui
lui couvre les bras et les mains. Elle agite nerveusement le pan de son vêtement et
tout dans son attitude traduit sa surexcitation. A.D. Trendall, loc. cit., suggérait
qu'il pouvait s'agir d'Ulysse et de Calypso, ou d'Ulysse et de Pénélope. O.
Touchefeu-Meynier, loc cit., accepte cette dernière hypothèse. Nous nous rangerons
plutôt à l'avis de F.G. Lo Porto, loc. cit., qui considère cette scène comme une
parodie de la scène homérique au cours de laquelle Calypso va trouver Ulysse après
avoir reçu d'Hermès l'ordre de laisser partir son amant. Ces vases phlyaques
datent surtout du IVe siècle et témoignent de la popularité des comédies parodiant
les œuvres tragiques. Le plus grand nombre provient de l'Italie du sud et de la
Sicile, bien qu'on ait quelques exemplaires attiques et corinthiens de la fin du Ve
siècle et du début du IVe siècle pouvant être considérés comme les prototypes des
précédents. A.D. Trendall, Phlyax Vases, 1ère éd., Bulletin of the Institue of
classical Studies, Supplément n. 8, 1959, p. 9-10, a pu, d'une manière plus précise,
établir un parallèle entre les sujets de certains vases attiques et de vases de l'Italie
du Sud, renvoyant les uns et les autres à des scènes de la comédie attique. On peut
penser que cette oenoché illustre une comédie, Calypso, œuvre d'un auteur de la
comédie moyenne, Anaxilas, dont le souvenir a été conservé par Athénée,
Banquet des Sophistes, 3, 95 : Anaxilas, 10-11, J. M. Edmonds, The fragments of
Attic comedy, II.
(27) Nous avons vu que ce courant, qui s'épanouira à l'époque hellénistique,
commence à se faire sentir dans la seconde moitié du IVe siècle (Cf. supra, p. 5 8-
59).
CHAPITRE VI

LE DUALISME DE LA LÉGENDE A L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE ET AU

DÉBUT DE L'ÉPOQUE ROMAINE


L'époque hellénistique est marquée par le dédoublement de la légende
qui prend des formes antinomiques. D'une part la légende scandaleuse d'une
Pénélope éhontée ; d'autre part la légende édifiante d'une Pénélope vertueuse,
fruit d'une littérature mineure en grande partie expression spontanée d'un
sentiment populaire.
Dans le domaine littéraire l'époque hellénistique perpétue la tendance
qui s'était dessinée au cours du IVe siècle et avait trouvé son aboutissement
dans le mépris des philosophes de l'époque classique. Du monde comique
Pénélope est cette fois définitivement exclue (1). Si la comédie nouvelle se
caractérise par l'abandon des sujets mythologiques au profit de la peinture des
caractères, toute parodie des mythes n'a pas disparu, comme le prouvent des
œuvres de Philémon et de Diphilos. Ulysse n'est plus mentionné dans les titres
mais certains de ses exploits troyens continuent à séduire tel l'épisode de
Palamède, sujet d'une comédie de Philémon.
De Pénélope, seuls les poètes ressuscitent la légende mais sans jamais la
privilégier. La part que lui réserve Lycophron dans YAlexandra est finalement
minime. Ailleurs, elle n'est évoquée qu'incidemment, par Hermésianax dans
ses Elégies, ou dans des œuvres secondaires, comme la. Syrinx de Théocrite, ou
Y Autel de Dosiadas. La transformation que connaît le personnage, aussi
tapageuse soit-elle, ne doit pas faire oublier que les poètes alexandrins s'engagent
sur une voie ouverte à la fin du IVe siècle par Théopompe, Dicéarque, Douris
qui, soit mettent en doute la conduite de Pénélope pendant l'absence d'Ulysse,
soit proclament ouvertement son impudicité.
Si l'on en croit les scholies à Lycophron, Théopompe de Chios (2),
l'historien disciple d'Isocrate, suggérait déjà que le comportement de
Pénélope à Ithaque n'avait pas été irréprochable. Parlant d'Ulysse revenant de
Troie, il ajoutait qu'Ulysse ayant appris des choses au sujet de Pénélope s'était
éloigné vers l'Etrurie et fixé à Gortyne. Une certaine tradition attribuait à
Isocrate un éloge de Pénélope, discours d'apparat, à la manière de YEloge
d'Hélène que nous possédons. Il se serait agi de l'un des sept discours
d'apparat considérés comme apocryphes par Fauteur de la Vie anonyme d'Isocrate
(3). Il n'est pas impossible, cependant, que la naissance d'une telle tradition
ait eu son origine dans un certain nombre d'idées agitées dans l'école
d'Isocrate dont a fait précisément partie Théopompe. On sait, en effet, que ce type
de discours visait à défendre paradoxalement un personnage ou une
institution décriée. C'est l'objet de YEloge d'Hélène dans lequel l'orateur essaie de
prouver qu'Hélène, bien qu'elle soit allée à Troie, s'est toujours conduite
comme il convenait. Un éloge de Clytemnestre est également rejeté par
l'auteur de la Vie anonyme. Que Pénélope soit nommée avec Clytemnestre laisse
peut-être supposer une mise en question dont le fragment de Théopompe
serait l'écho.
Dicéarque va plus loin encore. Il reproche à Pénélope, à propos de sa
première apparition devant les prétendants, son manque de décence en
paraissant ainsi devant les jeunes gens ivres, et la coquetterie dont elle fait preuve en
voilant une partie de son vi sage et en se faisant accompagner de ses deux
servantes (4). Élève d'Aristote (5), Dicéarque traduit-il un sentiment partagé par
les moralistes de l'Ecole ? La tendance à critiquer Homère est ancienne, mais
c'est la première fois, dans un texte que nous possédons, que Pénélope est
98 M.-M.MACTOUX

directement attaquée par un homme dont Cicéron, dans le De finibus qui


posait le problème moral du souverain bien, recommandait la lecture (6).
Douris de Samos, un peu plus jeune que Dicéarquc, mais néammoins son
contemporain, affirme encore plus nettement l'impudicité de Pénélope. 11 a été
à Athènes l'élève de Théophraste (7), disciple d'Aristote qui dirigea l'école
après la mort du maître et nous avons vu que le silence d'Aristote au sujet de
l'héroïne homérique traduisait au moins un certain mépris. Ce que Dicéarque
ne faisait que suggérer, Douris le proclame : «Et Douris dit dans son livre au
sujet d'Agathocle que Pénélope est impudique et qu'ayant eu commerce avec
tous les prétendants elle a engendré Pan aux pieds de bouc qu'on range parmi
les dieux»(8). Il est le premier à présenter Pan comme le fils adultère de
Pénélope et de tous les prétendants. Dire qu'il y a là un jeu de mots facile sur le
nom de Pan, en grec «tout», n'explique pas pourquoi ce jeu de mots a pris
naissance à cette époque. Il a fallu, pour cela, un climat favorable et Douris
n'a fait qu'établir un lien avec ce que disait Pindare et le scepticisme régnant.
On a souvent dit qu'à l'époque hellénistique la mythologie avait
succombé à l'érotomanie et que toutes les héroi nés étaient devenues volages. La
généralisation est hâtive. Certains, comme Callimaque, maudissent l'adultère
et font de l'amour conjugal le thème d'élégies (9). Hélène, par exemple, a
tendance à redevenir le personnage divin qu'elle était chez Homère (10). Au
contraire le manque de sérieux avec lequel Hermésianax traite Pénélope dans le
troisième livre de ses Elégies (11) s'inscrit dans ce courant de dénigrement
dont nous venons de relever les premières traces. Hermésianax, dans ce livre
qui porte le nom d'une femme, Léontion, peut-être sa maîtresse, a entrepris
de défendre l'amour. Personne n'échappe à ses cruautés et encore moins les
poètes. A l'appui de cette thèse il cite un certain nombre d'écrivains parmi
lesquels Hésiode et Homère, dont il rappelle l'amour pour Pénélope. Aucune
sincérité dans ce procédé d'artiste plus soucieux de forme que de vérité.
Pénélope est victime, comme bien d'autres, de ce jeu d'esprit qui fait de
l'invraisemblable un principe. Hermésianax avait peut-être une intention
parodique. On a pensé (12) que ies archaïsmes contenus dans ces vers et ceux qui
précèdent, où Hésiode est amoureux de la jeune Ehée, visaient cet effet. Il
met en parallèle Pénélope qui a eu une réelle existence poétique, avec Ehée,
personnage qui n'a jamais eu de réalité dans l'imagination hésiodique, et feint
plaisamment d'ignorer que le terme grec qui commençait chacune des
histoires contenues dans le Catalogue des femmes n'était pas un nom. Aucune
sensibilité dans cette énumération qui s'inspire dans doute du procédé même
du Catalogue des femmes du pseudo-Hésiode (13). Les femmes aimées sont
traitées en objet de passion et l'indifférence de Pénélope ne fait qu'accroître
les souffrances du malheureux Homère (14). Hermésianax fut le disciple de
Philétas qui se rendit à Alexandrie comme précepteur du fils de Ptolémée
Soter (15). C'est à la même cour d'Alexandrie que se retrouvèrent au début
du Ille siècle Lycophron, Théocrite et peut-être son contemporain Dosiadas.
Il y avait là une sorte de cénacle littéraire comme en témoigne un skyphos
du début de la seconde moitié du Ille siècle représentant avec Aratos et Méné-
démos, Lycophron, et sans doute Théocrite (16). Lorsque Lycophron dans
XAlexandra trace de Pénélope un portrait déshonorant il ne fait que pousser
au paroxysme une attitude déjà sensible chez Hermésianax et qui se maintient
chez Théocrite et Dosiadas.
Certes, Lycophron parera Pénélope de tous les vices. Il n'épargne pas
non plus Ulysse, ce rusé renard (17), ce voleur du Palladion (18), dont il
LA LÉGENDE 99

raconte longuement les épreuves (19). Mû, semble-t-il, par le désir d'exalter
le pouvoir grandissant de Rome en reprenant la version troyenne de ses
origines (20) Lycophron a choisi de noircir les Grecs en général et Ulysse en
particulier. Non seulement Ulysse est l'un des artisans de la défaite de Troie, mais
il est aussi, dans une forme très ancienne de la légende, le père de Latinos
qu'il eut avec Circé (21). Ce Latinos était pour certains mythologues l'ancêtre
des Latins. Au contraire pour Alexandra-Cassandre, c'est grâce à Enée, un de
ses parents, que sa race connaîtra la gloire. Si Ulysse est calomnié, il l'est
comparativement moins que Pénélope sur laquelle le poète s'acharne à deux
reprises. Elle n'est pas la seule femme de héros achéen à être ainsi traitée. La
chaste Agialée de Ylliade (22), la femme de Diomède, deviendra sous sa plume
«une audacieuse et lascive épouse (qui) souillera sa couche» (23) mais la vraie
responsable est Aphrodite, comme chez Mimnerme (24). Au contraire,
Lycophron ne cherche à Pénélope aucune excuse. Dans le passage qu'il
consacre au retour d'Ulysse à Ithaque (25), elle est ravalée au rang de prostituée
qui profite ouvertement de la situation, et dilapide les biens de son mari en
compagnie de ses amants. Par rapport à Douris c'est un pas de plus dans la
déchéance. Pour Douris, de ses relations avec les prétendants était né Pan qui
reste, malgré tout, un dieu. Pour Lycophron l'avilissement est total. La reine
d'Ithaque assiste aux orgies des prétendants et jouit du spectacle d'un homme
humilié, menacé par les esclaves, battu par les convives qui jettent sur lui les
déchets du festin. Aucun terme n'est assez fort pour qualifier sa conduite, à
tel point qu'Ulysse lui-même, dont il dénonce la duplicité, finit par être
présenté comme une victime de la veulerie de sa femme : «Son épouse prostituée
pudibonde, videra les celliers, prodiguant en festins les richesses de
l'infortuné» (26). Lycophron reviendra plus loin sur la même idée en la qualifiant
debacchantelacédémonienne (27).
En même temps il fait un choix dans la légende d'Ulysse en accordant la
plus grande place à ses relations avec Circé. Ulysse meurt des mains de Télé-
gonos, le fus qu'il a eu avec la magicienne, d'une mort stupide, dans
YAlexandra même (28), et il est probable que ce thème a été au centre de sa
pièce intitulée Télégonos dont la Souda n'a conservé que le titre (29). Cette
volonté systématique de rattacher Ulysse à un autre cycle légendaire a pour
effet de reléguer Pénélope au second plan. Lycophron n'est pas le seul à avoir
donné de Pénélope une image nouvelle. D'autres poètes vont à leur tour
s'attacher à mettre l'accent sur l'aspect non homérique de la légende. Pour
Théocrite dans la Syrinx, comme pour Dosiadas dans YAutel, l'épouse
d'Ulysse est avant tout la mère de Pan.
Après bien des hésitations, il ne semble pas qu'aujourd'hui on puisse
mettre en doute l'attribution de la Syrinx à Théocrite (30). Tous les
manuscrits sont en accord sur ce point. Si la pièce est médiocre, l'auteur de la
Syrinx n'en demeure pas moins le même que celui des Idylles. La Syrinx
appartient au type des poèmes figurés alors à la mode, et ses vingt vers de
longueur inégale dessinaient une syrinx dédiée à Pan. Dès le premier vers, Pan est
présenté comme le fils de Pénélope désignée par deux périphrases : «L'épouse
de Personne» et la «mère de combat au loin» (31); les deux sont interprétées
d'une manière unanime par les scholies, gloses et commentaires. La première
est une réminiscence du passage de YOdyssée où Ulysse répond à Polyphème
qui veut savoir son nom qu'il se nomme Personne (32). L'autre, empruntée
aussi à Homère, précise la première. «L'épouse de Personne» est en même
temps «la mère de combat au loin», suivant l'étymologie du nom de Télé-
100 M.-M. MACTOUX

maque. Aucun doute n'est possible sur l'identité de cette Pénélope qui
enfanta Pan, l'amoureux de la nymphe Echo.
Toujours dans cette même Syrinx la biographie de Pénélope est
complétée par deux termes qui qualifient Pan de «fils d'un père furtif» et de «fils
sans père» (33). Us ont été expliqués d'une manière identique par les scholies
et les commentaires (34) à ce vers. Klôpopator renvoie à Hermès, dieu des
voleurs, de qui donc Pénélope aurait eu Pan, et apatôr est donné par tous
comme l'équivalent de polypatôr, fils de beaucoup de pères, c'est-à-dire fils
de tous les prétendants. Ainsi Théocrite se ferait l'écho d'une double légende :
celle qui fait de Pan le fils de Pénélope et d'Hermès, et celle qui le fait naître
de Pénélope et de tous les prétendants. U ne se contente pas de présenter
Pénélope comme l'amante d'un dieu, mais aussi comme une femme volage
profitant au mieux de l'absence de son mari en partageant simultanément la
couche de tous ceux qui la courtisent. Les scholies (35) expliquent que c'est
parce que Pan est le fils de tous les prétendants qu'il a reçu ce nom qui
signifie «tout».
Il faut remarquer, cependant, qu'on a proposé pour l'expression «fils
sans père» une autre explication (36) suggérée par les scholies elles-mêmes
Ulysse est donné, parmi d'autres, comme père de Pan (37). Or dans la Syrinx
même, Ulysse est appelé Personne, et «fils sans père» pourrait bien vouloir
dire ici fils de Personne. Théocrite aurait donc simplement voulu dire que
Pénélope a enfanté Pan, selon les uns avec Hermès, selon les autres avec
Ulysse, et les relations avec un dieu n'ayant rien de blâmable, Pénélope
resterait une épouse, sinon chaste, du moins sans tache aux yeux des mortels. On
pourrait encore aller plus loin sur cette voie en remarquant qu'Ulysse lui-
même est traité de voleur (38) dans un autre poème figuré, XAutel de Dosias-
das, dont les liens étroits avec la Syrinx ont été montrés depuis longtemps
(39). On se souvient de la périphrase «fils de voleur» qui qualifiait Pan dans la
Syrinx. De même le terme «double» (40), s'il a été interprété différemment
par les scholies (41) est appliqué à Ulysse par Dosiadas (42), à Pan par
Théocrite (43). Ces réserves, cependant, ne modifient pas fondamentalement le
sort réservé à Pénélope dans la poésie de Théocrite. Sujet secondaire d'un
poème mineur, le personnage n'a aucun relief et ce traitement traduit le
mépris d'une époque qui trouvera son aboutissement dans la violence verbale
d'un Lycophron.
Dans YAutel également, Dosiadas désignera Pénélope comme la mère de
Pan. Du poète on ne sait rien sinon qu'il était probablement un contemporain
de Théocrite. En tout cas les deux pièces se répondent ; la construction
générale, la composition en formes de griphes, le nombre de personnages tels que
Pan, Ulysse et Pénélope et certains jeux de mots sont identiques. La pièce
cette fois n'est pas consacrée à Pan, mais à Jason, et c'est au cours du poème
qu'est employée la périphrase désignant Ulysse comme «l'époux de la mère de
Pan» (44). Qui des deux s'est inspiré de l'autre ? Les avis sont très divergents
(45). On aimerait pourtant le savoir, d'autant plus que Dosiadas a sûrement
emprunté à YAlexandra (46).
Parallèlement se maintient dans une littérature mineure dont le
caractère populaire est très marqué, une vision de Pénélope où sa vertu est
unanimement reconnue et affirmée. Comparaisons devenues clichés, épigrammes
votives et funéraires célèbrent une vertu qu'on ne prend plus la peine de
particulariser tant elle est évidente.
Plutarque attribue au philosophe Bion (47) cette comparaison dont
LA LÉGENDE 101

nous avons décelé les premières traces au Ve siècle chez Gorgias et Aristippe
et selon laquelle ceux qui étaient incapables d'atteindre à la philosophie
étaient comme les prétendants de Pénélope qui, ne pouvant obtenir ses
faveurs, s'en consolaient dans les bras de ses suivantes. Et c'est à l'épouse chaste
que songe Démétrios Poliorcète dans une réflexion rapportée en termes
presque identiques par Plutarque (48) et Athénée (49). Son ennemi Lysimaque
avait dit, pour se moquer du roi passionnément amoureux de la joueuse de
flûte Lamia, qu'il n'avait jamais vu avant elle courtisane paraître sur une
scène tragique. Démétrios, à qui on rapportait le mot, répondit alors, selon
Plutarque, que sa courtisane était plus sérieuse que Pénélope, ou, selon
Athénée, que n'importe quelle prostituée vivait plus chastement à sa cour que
n'importe queÛe Pénélope à la sienne. Les propos sont d'autant plus
savoureux que Démétrios avait épousé une femme dont tout le monde louait la
parfaite dignité (50). Lorsqu'il perdit la Macédoine, elle s'empoisonna,
«renonçant, dit Plutarque à toute espérance et maudissant la fortune de son
mari, dont la constance s'affirmait plus dans le mal que dans le bien» (51).
Lorsque Plaute à l'extrême fin du Hle siècle met dans la bouche de
Panégyris, une des héroïnes de sa pièce Stichus une évocation du sort de
Pénélope, l'allusion n'est que banalité. «Je crois, ma sœur, que Pénélope eut l'âme
bien en peine du veuvage qui la priva si longtemps de son mari» (52) ; c'est
par cette constatation que débute la comédie et elle est faite par celle des
deux sœurs qui, séparée de son époux, accepterait assez facilement de refaire
sa vie. Loin de vouloir se confiner dans un veuvage jugé stérile, elle va essayer
d'entraîner sa sœur Pamphila, dont l'époux aussi est absent, à l'imiter. Ce
n'est donc pas à proprement parler comme exemple moral qu'est citée
Pénélope mais comme prélude à l'expression d'une situation identique. Pénélope
n'est qu'un prête-nom qui sert au dramaturge à commencer la scène
d'exposition. Ses personnages n'ont ni la culture ni le raffinement nécessaires pour
que ce rappel ne soit autre que conventionnel . D'une manière générale, les
comiques et les tragiques du Hème siècle, qui fut pourtant l'âge d'or du
théâtre latin, ont boudé le cycle odysséen. Ennius, qui avait écrit une vingtaine
de tragédies, s'inspire uniquement de Ylliade pour laquelle il montre une
prédilection particulière. UOdyssée était pourtant parfaitement connue puisqu'
elle avait été traduite au siècle précédent par Livius Andronicus (53) et, au
Ilème siècle, Lucilius parodie les incidents de Y Odyssée dans un livre de ses
Satires (54). Seul Pacuvius fait exception avec sa tragédie Niptra (55).
C'est dans une perspective identique qu'il faut se plicer pour
comprendre les propos prêtés à Philostéphanos (56),mythographe deCyrène qui vivait
sous Ptolémée Evergète, et à Ariston de Chios. Le scholiaste à YOdyssée (57)
attribue à Philostéphanos les mêmes remarques qu'à Phérécyde. La beauté et
la sagesse de Pénélope étaient telles qu'elle l'emportait sur les autres femmes,
en particulier sur Hélène, pourtant fille de Zeus. Sa renommée poussa Laërte
à la choisir comme femme d'Ulysse. Cette compilation de la part d'un disciple
de Callimaque qui devait bien connaître la poésie alexandrine traduit peut-
être le refus de souscrire à une vision dont les excès choquaient. De même
Stobée a pu mettre sous le nom d'Ariston de Chios (58), disciple de Zenon,
pour qui seule la morale comptait, une comparaison qui n'est probablement
pas de lui (59), mais qui traduit bien cet esprit. Les gens instruits dans les arts
libéraux mais qui ne sont pas capables d'atteindre la philosophie sont comme
les prétendants de Pénélope qui se rabattent sur les servantes, ayant espéré
épouser la maîtresse. La source de l'erreur doit être trouvée chez Diogène
102 M.-M MACTOUX

Laèrce qui, après avoir imputé cette comparaison à Aristippe (60), ajoute
qu'on rapporte le même mot d'Ariston, mais sous une forme différente (61).
Ulysse descendu aux Enfers avait bien parlé à tous les morts, mais n'avait pas
vu leur reine. Si la reine d'Ithaque a pu se substituer à la reine des Enfers,
ce n'est pas seulement à cause d'une identité de fonction, mais parce qu'elle
était devenue l'exemple priviligié de la sagesse populaire. Des épigrammes
votives et funéraires en font foi.
Dans une épigramme votive de Léonidas de Tarente (62), datée de la
première moitié du Ille siècle (63), son nom est associé à la chasteté. Trois
Cretoises, trois sœurs, abandonnant leurs activités, offrent à Athéna leurs
instruments de travail : fuseau, corbeille à laine, navette. Alors que les deux
premiers instruments sont décrits par rapport aux jeunes filles, la navette
«qui fut la gardienne du lit de Pénélope» voit sa fonction élargie par cette
allusion (64). Le ton de l'épigramme suggère que la formule est aussi banale
dans son contenu que les expressions précédentes : «Le fuseau qui tournait
sans relâche avec ses doigts» ou «la corbeille à laine qui veillait la nuit avec
elle» (65). Léonidas qui a écrit par ailleurs un certain nombre de dédicaces à
Pan lycéen, dieu d'Arcadie, ne l'a jamais associé à Pénélope.
Pénélope va figurer également dans les épigrammes funéraires. A partir
de la période hellénistique elles se multiplient, non plus réservées aux
personnages célèbres mais rédigées pour tous, hommes et femmes, riches et pauvres,
ultime témoignage de la place occupée par l'individu. La vertu de Pénélope
à laquelle on compare celle de la défunte revient à plusieurs reprises dans des
épitaphes dont la diversité géographique montre bien le caractère populaire
de la légende. Dans le Péloponnèse, à Cléonae, au Ile ou 1er siècle avant J.C.,
(66) comme à Panticapée de la même époque (67), l'héroïne du Péloponnèse
sert de la même façon à célébrer la morte. Aucun effort d'ailleurs pour
particulariser cette vertu désignée sous le terme général d'arété. Il est probable que
Yarété englobait non seulement la fidélité mais toutes les formes de vertu
visant à la conservation du foyer. Ainsi, à Didyme, la fidélité, les talents
domestiques et l'intelligence font de Gorgô, morte brutalement alors qu'elle était
dans les bras de son mari, la Pénélope des Ioniennes de Milet (68). Que la
légende soit devenue un système de référence compris de tous prouve qu'elle
possède, plus que jamais, cette valeur sociale acquise au Ve siècle grâce aux
Tragiques.
Légende scandaleuse ou légende édifiante ? Une étude de la littérature
ne permet guère de savoir si l'une ou l'autre l'emportait. On pourrait croire
que la vision des poètes alexandrins était restée étrangère à un sentiment
différent et plus profond dont on vient de relever les signes. Mais une étude de
l'art montre qu'à cette époque les deux courants ont dû se maintenir
parallèlement, non parce que les documents figurés les illustrent tour à tour, mais
parce qu'ils traduisent la méfiance d'une époque qui n'a pas voulu choisir.
LA LÉGENDE 103

Notes du CHAPITRE VI
(1) Cf. J.M.Edmonds,.4C, 3Aet3B.
(2) Scholad Lycoph. A lexand., 806 sir. 296, K. Millier, FHG, I.
(3) P. XXXVII dans Isocrate, Discours, I, Paris, 1963.
(4) Fr. 33 a, K. Mûller, FHG, II î fr. 92, F. Wehrli
(5) La Souda, s. v.
(6) IV, 28, 79.
(7) A. Lesky, A history of Greek literature, p. 765.
(8) Tzetzès, Ad Lycoph. Alex., 77 2 rfr. 2 1 , FGH.
(9) Dans la «Chevelure de Bérénice» traduite par Catulle, élégie LXVI.
(10) L.B. Ghali-KahiL Les enlèvements et le retour d'Hélène, p. 328; cf. en particulier
Théocrite, VEpithalame d'Hélène.
(11) Fr. 2, 27-34, E. D iehl, Anthologia Lyrica, Leipzig, 1925 (Athénée, ΧΠΙ, 597e)
(12) E. Curtius, P. W., art. Elégie, coL 2281.
(13) A. Couat, La poésie alexandrine sous les trois premiers Prolémées, Paris, 1882.
(14) «C'est en se rappelant ses propres épreuves qu'il pleurait sur la fille d'Icarios et le
peuple d'Amyclos et la ville de Sparte», trad. A. Couat, op. cit., p. 87.
(15) La Souda, s. v. Philétas .
(16) Ch. Picard, «Un cénacle littéraire hellénistique sur deux vases d'argent du Trésor
de Bernouville - Bernay »,MMAI, 1950, p. 53 sq.
(17) Alexandra, 344.
(18) Op. cit., 658.
(19) Pendant près de 200 vers (648-819).
(20) Cf. P. Levêque, «Lycophronica», REA, LVII, p. 55 et «Les poètes alexandrins
et Rome», IH, 1960, p. 47 sq.
(21) Hésiode, Théogonie, 1011-1016.
(22) V, 410^15.
(23) Op. cit., 612-613 ;trad. ibid.
(24) Voir supra, p. 33.
(25) 766 sq.
(26) 771-773 ; trad. ibid.
(27) 792. Le terme de bassara employé au vers 771 a d'abord désigné une bacchante de
Thrace et, sous une forme dérivée, est une épithète de Dionysos (Cornutus,
Theologia graeca, 30).
(28) 795-798.
(29) s. v. Lycophron
(30) Ph. E. Legrand, Etude sur Théocrite, Paris, 1898, p. 20-22.
(31) Trad. Ph. E. Legrand, Bucoliques grecs, I, Paris, 1960.
(32) IX, 366.
(33) 15 , klôpopatôr et apatôr ; trad. ibid.
(34) Commentaires de Manuel Holobolos et Johannes Pediasimos sur la Syrinx in
Scholia in Theocriti Idyllia, éd. Fr. Diibner, Paris, 1849.
(35) Ad. Idyl., I, 3 et VII, 109.
(36) Cf. A. S. F. Gow, Theocritus, II, Commentary, appendix, indexes and plates,
Cambridge, 1952, commentaire au vers 15, p. 557.
(37) Schol. ad Syr 1/2 a et Scholad Idyl., 1, 121 .
(38) 16.
(39) C. Haberlin,Z)e carminibus figuratis, Dissertât», Hanovre, 1886.
(40) Dizôs.
(41) Pour Ulysse remonté vivant des enfers, le terme signifierait qu'il retourne deux
fois à la vie. Quant à Pan, il est un être double, moitié homme, moitié bouc.
(42) Autel, 17 et scholies.
(43) Syrinx, 5 et scholies.
(44) 16.
(45) Ph.

p. 221,
ilE.pensait
Legrand
le jugement
quea lamodifié
Syrinx
qu'il avait
dans
était porté
son édition
postérieure
dans son
àdes
VAutel
Etude
Bucoliques
sur Théocrite,
Grecs, H,op.Paris,
cit., p.
1925,
22,
(46) C. Hâberlin, op. cit., p. 58-59, cité par Ph. E. Legrand, Bucoliques grecs, II, p. 221
n. 2.
(47) De liberis educandis, 7 D. Β ion se rattache à l'école cyrénaïque fondée par Aris-
tippe.
(48) Vie de Démétrios, 25 .
(49) Banquet des Sophistes, XIV, 615 a.
104 M.-M MACTOUX

(50) Plutaxque, Vie de Démétrios, 37 .


(51) Id., ibid., 45 ; trad. B. Latzarus, Plutaxque, Vies parallèles, IV, Paris, 1950.
(52) 2; trad. A. Ernout, Plaute, Comédies, VI, Paris, 1938.
(53) Cf. £r. 9, 40, 45, E.H. Warmington, ROL, II, Londres, 1957.
(54) XVII, I, fr. 565-6, E.H. Warmington, ROL, III, Londres, 1957.
(55) Fr. 266-295, E.H. Warmington, ROL, II, 1957. On se souvient que Cicéron
{Tusculanes, II, 21, 49) louait Pacuvius d'avoir été supérieur à Sophocle en faisant
supporter à Ulysse, le plus sage des Grecs, sa blessure avec une plus grande dignité.
Si, comme il est probable (cf. P. Venini, «Sui Niptra di Pacuvio», RIL, 1954,
p. 175 sq.) Pacuvius avait fondu en une seule les deux pièces de Sophocle, Niptra
et Ulysse acanthoplex, ce qui expliquerait à la fois le titre et la blessure dont parle
Cicéron, blessure due à Telégonos, Pénélope devait nécessairement figurer à côté
d'Ulysse. Mais il est difficile de connaître son rôle.
(5 6) Fr. 38, K. Millier, FHG, III.
(57) ScholadOd; XV, 16.
(5 8) Stobée, Eclogues, III, 4, 109.
(59) O. Hense,Ioannis Stobaei Anthologium, III, Berlin, 1958. p. 246, n. 1.
(60) Vie des philosophes illustres, 11,79.
(61) Π, 80. Ainsi la comparaison, neuve chez Aristippe, est devenue un lieu commun
de la pensée philosophique.
(62) Anthologie palatine, VI, 289 , Anthologie grecque, III, Paris, 1960.
(63) A.S.F. Gow et D.L. Page, Hellenistic epigrams, I, Cambridge, 1965, p. 308.
(64) Trad. P. Waltz,,^ nthologie grecque, III, p. 1 44.
(65) Trad. ibid.
(66) 1 7 35 , 2 , Griechische Vers- Inschriften, éd. W. Peek.
(67) 848, 2, ibid W.Peek, op. cit.. et G. Kaibcl, Epigrammata graeca, Berlin, 1878,
(réimp. Hildesheim, 1965), n. 250, la datent du 1er siècle avant J.C. Si la stèle
provient de Panticapée la défunte était apparemment bithynienne. Elle est
qualifiée de Pénélope bithynienne si on lit le texte comme le font G. Kaibel et les
éditeurs du Corpus Inscriptionum Bosporqni, n. 124 (Moscou, 1965, en russe).
W. Peek propose, à la place de β/ ίθυναν, [υμ]νουν αν
(68) Cette pierre tombale du Ile siècle avant J.C. avait été réutilisée pour une presse à
huile. Très abîmée elle avait été condidérée comme illisible par A. Rehm qui
l'avait publiée pour la première fois dans l'ouvrage de T. Wiegand, Didyma, II,
sous le n. 532. L'inscription a été reconstituée d'une manière plus précise par
W. Peek qui y a retrouve un certain nombre de formules consacrées de la langue
funéraire ( «Die Pénélope der Ionerinnen», MIDA, Athenische Abteilung, 80,
1965, p. 160-169.
CHAPITRE VII

PÉNÉLOPE DANS L'ART DE L'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE ET

DU DÉBUT DE L'ÉPOQUE ROMAINE


Les représentations de Pénélope dans l'art hellénistique se raréfient et
changent de sens. Le seul exemple certain est un bol à reliefs qui provient
d'une région, la Béotie, dont l'esprit conservateur bien connu se manifeste
dans l'ornementation par l'emprunt aux sujets traditionnels, légendes troyen-
nes, homériques ou cycliques (1). Comme pour les gemmes dont nous
parlerons il s'agit là d'un art mineur ; cette céramique à reliefs obtenue par
moulage ne peut avoir la même signification que la céramique peinte de l'époque
précédente. En admettant même, comme c'est probable, qu'il ait existé un
grand nombre de vases sur ce thème, cette multiplication d'exemplaires
n'aurait d'autre sens que celui d'une production en série obéissant à la mode.
Il en est de même pour les gemmes connues en de multiples exemplaires. Au
Ve siècle la reprise du thème dans des œuvres artistiques de nature variée et
réalisées dans des lieux différents témoigne d'un intérêt collectif puissant à
l'égard de la réalité humaine du personnage. A l'époque hellénistique, la
reproduction du thème n'est qu'un exemple d'une série d'oeuvres qui rappellent
des situations épiques ou dramatiques et qui traduisent le goût érudit de
l'époque pour un certain type d'oeuvres littéraires.

VASE
Vase à reliefs provenant de Thèbes en Phtiotide.
- F. Courby, Les vases grecs à reliefs, p. 283 sq., fig. 51.
- H. Hausmann, Hellenistiche Reliefbecher, première partie.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 344.
On a retrouvé tout une série de bols à reliefs d'inspiration homérique,
illustrant surtout Ylliade et quelquefois YOdyssée (3). C'est principalement la
geste d'Ulysse qui a été choisie avec quelques unes de ses aventures les plus
célèbres, mais l'accent est mis sur son retour à Ithaque, illustré par divers
épisodes de sa vengeance (4). Sur l'un des six fragments (5) de vases conservés
provenant de Thèbes en Phtiotide, l'artiste s'est efforcé de résumer l'oeuvre
homérique en deux scènes réparties en deux registres. Sur la première, Ulysse
construit son radeau en présence de deux femmes dont on n'aperçoit que la
partie inférieure. L'une d'elle est sans doute Calypso (6). Sur la deuxième, qui
nous intéresse plus précisément, Ulysse reçoit de sa nourrice un objet
indéterminé tandis que les prétendants festoient en présence de Pénélope assise
sur un trône. Pénélope a complètement disparu ; il ne subsiste plus de son
siège que les deux pieds de devant mais une inscription permet de l'identifier
avec certitude.
On n'a pas ici, comme c'est souvent le cas sur ces vases, une illustration
exacte de YOdyssée. Dans l'oeuvre homérique Pénélope ne se mêle jamais au
festin des prétendants. Si l'on excepte le vase de Syracuse où elle reçoit les
cadeaux des prétendants conformément à YOdyssée, cette scène est unique
dans l'art grec. L'épouse d'Ulysse semble participer volontairement aux
beuveries de ceux qui la courtisent, car c'est bien un de leurs festins coutumiers
qui est représenté ici. Le premier des prétendants, en face de la reine, boit
dans un grand canthare tandis que deux serviteurs continuent à apporter des
mets. Ainsi à l'époque où Dicéarque, Douris et les poètes alexandrins
vilipendaient Pénélope, des artistes mettaient en doute sa conduite en la rendant
complice du pillage des prétendants. Si, comme il semble probable, il faut
108 M.-M MACTOUX

chercher les originaux de ces vases dans des vases en métal d'Alexandrie (6)
nous aurions là un témoignage, le seul d'ailleurs, de l'influence de la poésie
alexandrine sur des documents figurés traitant de la légende de Pénélope.

GEMMES
Ces gemmes représentent Ulysse assis et une femme debout souvent
interprétée comme Pénélope (7). Tandis qu'Ulysse est dans une attitude
quasi-identique, la tête tournée vers la gauche, au point qu'on peut supposer
que l'original ne contenait que le personnage d'Ulysse, la femme qui l'accoste
a été placée tantôt à gauche, tantôt à droite. Le sujet s'est maintenu pendant
plusieurs siècles jusqu'au temps d'Auguste.

1 - Pâte de verre ■ Collection Robinson. Illème - Ilème siècle avant J.C.


- A. Furtwàngler, Die antiken Gemmen, I, pi. XXV, 36.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 438.
Sur cette pâte de verre imitant une intaille sur nicolo, Ulysse, coiffé du pilos,
vêtu d'un chiton et d'un manteau en drap épais jeté sur les épaules (8) est
assis sur un fût de colonne renversé (9). Sa silhouette est massive et son regard
se porte à gauche, c'est à dire du côté opposé à celui où se tient une femme
debout qui le regarde avec attention. Elle lève la main gauche vers le visage et
saisit, de la main droite, le pan de son manteau qui lui recouvre la tête.
L'attitude d'Ulysse traduit une certaine assurance dont le personnage féminin
qui s'approche avec réserve est dépourvu. Cette œuvre romaine du Même ou
Ilème siècle est d'inspiration hellénistique (10).
Les trois autres exemplaires offrent une scène identique (11).

2 - Pâte de verre - Berlin, Antiquarium, 1382. Même - Ilème siècle avant J.C.
- P. Hermann, Denkmaler, fig. 17.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 435.

3 - Cornaline - Collection Mertens - Schaffausen à Bonn.


- J. Overbek, Bildwerke, p. 809 et pi. XXXIII, 14.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 437.

4 - Pâte de verre - Genève, Musée d'Art et d'Histoire, collection Fol, 2750.


Epoque d'Auguste · PI. V, 2.
- W. Fol, Le musée Fol, catalogue descriptif, III, pi. LXXIII, 10.
Genève, 1878.
- M. L. Voile nweider, Die Steinschneiderkunst und ihre Kùnstler in
spàtrepublikanischer und Augusteischer Zeit, pi. 66, 6.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 436.
Sur cette pâte de verre rubannée de couleur verte, blanche et bleue, Ulysse,
coiffé du pilos est assis sur un très haut siège à dossier. Une femme, mince
silhouette drapée, à l'air interrogateur et inquiet, esquisse un geste du bras
gauche et semble s'apprêter à toucher l'épaule d'Ulysse dont le regard se
perd dans le vide.
Faut-il voir Ulysse et Pénélope dans cet homme assis, soit sur un fût de
colonne renversé, soit sur un siège si haut qu'il lui permet de dominer la
femme qui est à ses côtés et qui, d'un geste de la main, essaie d'attirer son
attention ? Cette interprétation a été sérieusement mise en doute par H.
Lucas (12) qui suggère une conversation entre Ulysse et Calypso. Son argumen-
LA LÉGENDE 109

tation s'appuie avant tout sur la ressemblance de la jeune femme avec une
peinture murale de Kertch (13) qu'une inscription nomme Calypso. Certes,
on peut objecter (14) qu'il est difficile de varier à l'infini les attitudes des
femmes éplorées et qu'on pourrait opérer ainsi des rapprochements avec toute
une série d'œuvres d'art représentant diverses héroïnes sûrement identifiées et
dans des attitudes semblables. Mais ce n'est pas d'un rapprochement avec les
reliefs méliens de l'époque classique qu'on peut tirer argument (15). Bien au
contraire, lorsque sur les reliefs Pénélope est seule avec Ulysse, c'est elle qui
est assise, indifférente au mendiant qui pose sur elle un regard compatissant
ou tend vers elle une main miséricordieuse. Ici, Ulysse, soit qu'il tourne le dos,
soit qu'il détourne le regard, ne répond pas à l'attente anxieuse de celle qui
cherche à poser la main sur son dos ou lui parle en ponctuant de gestes ses
paroles.
Nous préférons reconnaître la nymphe bouclée qui n'arrive pas à retenir
son amant et à détourner ses pensées et son cœur d'Ithaque et de sa femme.
Sur toutes ces gemmes, Ulysse, vêtu d'un manteau court qui est celui du
mendiant, mais aussi celui du voyageur, n'a ni bâton noueux ni besace. Si l'on
compare ces œuvres avec d'autres intailles de la même époque (16) sur
lesquelles a été gravé un homme, nu tête ou coiffé d'un pilos, la tête appuyée le
plus souvent sur la main, il est difficile d'en tirer des arguments décisifs. Bien
qu'on ait pris l'habitude de les interpréter comme des représentations
d'Ulysse, l'identification reste douteuse. Ainsi, toujours sur une gemme
hellénistique (17) un homme coiffé d'un bonnet phrygien semblable en tout sens
au pilos, et assis sur une colonne, est appelé Priam et est décrit : «assis sur
colonne renversée figurant les ruines de Troie» (18).
D'autre part même si c'est Ulysse, on a toujours pensé à Ulysse à
Ogygie comme pour la sardoine de Berlin où il est assis sur un rocher, vêtu
d'un chiton et d'une chlamyde (19). Le thème pourrait avoir été familier à
cet époque. C'est cette interprétation qu' E. Albertini a proposée pour une
statuette de bronze trouvée à Minorque (20). Un personnage barbu qui
semble en costume de marin est assis, soutenant sa tête de la main droite. Après
l'avoir rapprochée de la sardoine de Berlin, l'auteur conclut que c'est au
même moment du poème que se rapporte la statuette de Minorque (21).
Ainsi, si l'homme assis est Ulysse, la femme debout n'est pas
nécessairement Pénélope. Si c'est elle, le personnage a reçu une toute autre
interprétation. Elle n'est plus une victime enfermée dans sa souffrance et sa solitude ;
l'abattement d'Ulysse pourrait exprimer un certain mécontement. Le refus du
dialogue ne viendrait pas cette fois de Pénélope comme sur les reliefs méliens,
mais bien d'Ulysse qui ignore volontairement la femme qui s'avance sur lui.
Ce n'est pas par hasard si on a pu parler à son sujet de Calypso qui essaie
vainement de convaincre son amant de ne pas l'abandonner (22).

Manche de miroir en bronze provenant de Vizzini en Sicile,


- P. Orsi, «Sicilia», Notizia degli Scavi di Antichita, 1902, p. 215 sq.,
fig. 1.
- S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, III, p. 202.
Dans un cadre délimité par deux branches d'arbre une femme est assise,
méditant, enroulée dans un vaste himation qui recouvre ses pieds. On peut en
fixer l'époque entre la fin du IVe siècle et celle du Ille siècle. P. Orsi (23) qui
rapproche ce motif de la Pénélope du Vatican pense que le sujet, plus
conforme à un objet funèbre qu'à un objet de toilette, a dû perdre sa signification
110 M.-M MACTOUX

originelle. Il s'agit bien, en effet, d'un manche de miroir et non pas d'une stèle
comme le prétendait S. Reinach (24). Qu'on ait pu ainsi détourner le sens de
cette représentation si souvent utilisée dans l'art classique pour des femmes
éplorées prouve que le motif ne répondait certainement plus dans l'esprit de
l'artiste à un sujet précis (25).
Sans doute la rareté du thème (26) peut-elle s'expliquer par
l'évolution du goût. Mais ce déclin s'accompagne d'une modification caractéristique
qu'il faut mettre en rapport avec la forme que la légende revêt chez les poètes
alexandrins. En insistant sur la double vie de la reine d'Ithaque ils ont traduit
un courant défavorable. Ce qu'une simple étude de la littérature ne pouvait
montrer, l'art le révèle. Ce qu'on aurait pu croire limité à un cercle restreint
de poètes érudits trouve son aboutissement dans un art populaire qui exprime
sa réticence à l'égard de l'héroïne homérique. Inversement, les documents
figurés ne fournissent aucun élément pour juger de la part réservée à cette
légende édifiante dont nous avons relevé des traces incontestables à la même
époque (27).
LA LÉGENDE 111

Notes du CHAPITRE VII


(1) F. Courby, Les vases grecs à reliefs, Paris, 1922, p. 325.
(2) T.B.L. Webster, Hellenistic poetry and art, Londres 1964, p. 152-153.
(3) F. Courby, op. cit., p. 321, situe la production de cette céramique entre le dernier
quart du IVe et le premier quart du Ille siècle. H. Hausmann, Hellenistische
Reliefbecher aus attischen und boôtischen WerkstâttenStuttgaxt, 1959, considère
ces bols plus récents et les date de 170-130.
(4) F. Courby, op. cit., p. 283 sq.
(5) F. Courby, op cit., fig. 51.
(6) F. Courby, op. cit., p. 288.
(7) F. Miiller, 01, p. 90 A. Furtwângler, Die antiken Gemmen, II, p. 127 · MX.
Vollenweider. Die Steinschneiderkunst und ibre Kùnster in spatrepublikanischer
und Augusteischer Zeit, Baden-Baden, 1966, pi. 66, 6.
(8) Décrit par A. Furtwângler, op. cit., II, p. 127, comme le manteau de mendiant de
VOdyssée.
(9) On a proposé de voir là un rouleau compresseur servant à aménager les jardins,
(Cf. Spinazzola, Pompei, p. 289 sq.) Ce qui est peut-être vrai pour les fresques de
Pompéi ne l'est pas nécessairement pour les gemmes de l'époque de la République.
(10) A. Furtwângler, op. cit., III, p. 283.
(11) Nous les décrivons d'après le moulage de la pâte de verre de la collection Fol.
(12) H. Lucas,«Die Kalypso des Nikias», WJ, XXXII, 1940, p. 54-59.
(13) H. Lucas, lac. cit., p. 56, fig. 36.
(14) O. Touchefeu-Meynier, op. cit., p. 238.
(15) O. Touchefeu-Meynier, op. cit., p. 239.
(16) Sardoine, Berlin, n. 1378 (A. Furtwângler, Die antiken Gemmen, pi. XVII, n. 49);
cornaline, Hanovre, Collection Kestnerl A. Furtwângler, op. cit., pi. XVII, n. 51) >
Genève, Catalogue du Musée Fol, n. 2745 et 2746 (W. Fol, Le Musée Fol, III,
pi. 73, 6 et 7).
(17) W. Fol, Le Musée de Fol, III, pi. LXVIII, 4.
(18) W. Fol, op. cit., p. 315.
(19) A. Furtwângler, op. cit., pi. XXVII, n. 49, voit dans ce personnage d'Ulysse en
pays étranger. J.Overbeck, Bildwerke, pi. XXI, 7 et p. 753, le décrit comme Ulysse
assis sur les rochers de Qgygie. De même M. Détienne, p. 272-273, in «Ulysse sur
le stuc central de la basilique de la Porta Maggiore», Latomus, 1958, p. 270 sq.,
pense qu'il s'agit bien là d'Ulysse à Ogygie, auprès de Calypso, rêvant de
retourner à Ithaque.
(20) E. Albertini, «Statuette de bronze trouvée à Minorque, collection Juan Pons y
Soler», MEFR, 1905, pi. VII a, b, c, et p. 342 sq.
(21) E. Albertini, loc. cit., p. 345. O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 340 n'accepte cette
interprétation qu'avec réserve.
(22) O. Touchefeu-Meynier, TO, p. 240, après avoir examiné l'hypothèse de H. Lucas,
revient à l'interprétation traditionnelle.
(23) Loc cit., p. 216.
(24) Op. cit., p. 202.
(25) II est à peine nécessaire de citer un miroir corinthien d'époque hellénistique sur
lequel un être de forme humaine, mais à pieds de bouc, porte sur le dos une
femme voilée qui lui a passé ses deux bras autour de la tête. Un personnage ailé,
une torche à la main, vole au-devant du couple. Dilthey, Arch. Zeitung, 1873,
p. 73 et pi. VII, I, cité par J. Schmidt, in Roscher, Lexicon, col. 1920, sub fine,
avait pensé à Pénélope. Mais cette hypothèse est à rejeter. J. de Witte in «De
quelques antiquités rapportées de Grèce par M. F. Lenormant», Gazette des Beaux-
Arts, août 1866, p. 122, et fig. p.l21,avait suggéré Silène ivre, couronné par une
Ménade, précédé d'un Éros ailé. Il s'agirait plutôt de Séléné enlevée par Pan
(Cf. A. Legrand, Det S, s. v. luna, p. 1389-1390). Même si l'époque hellénistique
a mis l'accent sur les liens de Pénélope et de Pan aucune légende ne s'est
développée autour du couple. Le seul enlèvement connu dans la légende de Pénélope est
celui qui fut fait par Ulysse d'après Pausanias. L'enlèvement de la mère par le fils
ne repose sur aucune donnée légendaire, même tardive.
(26) II est possible naturellement que certaines œuvres disparues aient illustré
VOdyssée. Ainsi G.A. Mansuelli, Ricerche su lia pittura ellinistica, Bologne, 1950,
p. 72, suggère l'existence à Pergame, au Ile siècle, d'un cycle relatif à l'Odyssée.
Il s'agit surtout dans son esprit d'un cycle illustrant les récits chez Alkinoos. Mais
112 M-MMACTOUX

la disparition des œuvres n'étant pas propre à une époque on est obligé, sauf
exception, de considérer les œuvres survivantes comme représentatives.
(27) On a parfois proposé (Cf L. Séchan, Etudes sur la tragédie antique, p. 143, n. 2)
de reconnaître Pénélope et Télémaque dans un groupe du musée de Naples,
œuvre de Stéphanos, réalisée vers le milieu du 1er siècle. Ce groupe se compose
d'un jeune homme, exacte réplique de l'athlète de la Villa Albani à Rome du
même artiste, et d'une femme qui s'appuie sur lui, le bras passé autour de son
cou (fig. 784-785 in M. Bieber, The sculpture of the Hellenistic âge, 2c éd.,
New-York, 1967). D'autres interprétations ont été avancées et on s'accorde
plutôt à voir dans ce couple Oreste et Electre (M. Bieber, op. cit., p. 181). Rien dans
la tradition iconographique ne permet de reconnaître Pénélope dans cette femme
tristement songeuse qui cherche visiblement un soutien de la part de ce jeune
homme à l'attitude virile. Si l'on ne tient pas compte de l'hypothèse émise à
propos de l'hydrie de Naples, 2899 (voir supra, p. 94, n. 25) ou la communion des
deux personnages supposerait la croyance en la mort d'Ulysse, le seul document
sur lequel la mère et le fils sont figurés seuls est le skyphos de Chiusi du Ve
siècle. L'artiste avait mis l'accent, sinon sur l'incompréhension mutuelle, du moins
sur l'impossible communication. En dehors de VOdyssée où règne un certain
désaccord entre Télémaque et Pénélope sur la conduite à tenir en l'absence d'Ulysse,
la litérature n'a jamais analysé leurs rapports d'une manière suivie ; c'est à peine
s'ils sont évoqués. Il est d'ailleurs extrêmement difficile de savoir à qui Stéphanos
a pu penser en associant deux statues qui sont, séparément, des copies d'oeuvres
grecques du second quart du Ve siècle dont on possède d'autres répliques (G.M.A.
Richter, AI, p. 115-116 et fig. 304) et qui n'ont jamais eu la signification que
l'artiste a pu vouloir leur donner initialement.
C HA Ρ Ι Τ R Ε VIII

PÉNÉLOPE DANS L'ART ÉTRUSQUE


Les rapports commerciaux et culturels de l'Etrurie et de la Grèce furent
très importants dès le Vile siècle (1), et même si on a abandonné la thèse d'un
art étrusque exclusivement tributaire de l'art grec, la mythologie grecque a été
pour les artistes étrusques une source permanente d'inspiration tout au long
de leur histoire. Dès le Vile siècle des thèmes narratifs grecs se répandent sur
des vases de bucchero, céramique nationale étrusque (2). S'agit-il d' œuvres
uniquement réalisées par des artistes locaux ou décorées sous l'influence
directe d'artistes venus de Grèce dont la présence à Tarquinia à cette époque
est attestée par la tradition (3) ? En tout cas, au cours des siècles suivants, la
peinture des vases, les fresques dans les tombes, la décoration des trépieds de
bronze, les miroirs, les sarcophages sculptés ou peints, les cistes et les urnes
funéraires témoignent de l'emprise de l'iconographie grecque sur la vie
quotidienne des Etrusques. Face à ce foisonnement d'exemples, force est de
constater que la légende de Pénélope n'est pas de celles qui reviennent le plus
fréquemment.

VASE
Dans les collections étudiées par J.D. Beazley (4) ne figure qu'un seul
vase où Pénélope pourrait être représentée avec Ulysse.

Stamnos à figures rouges provenant de Vulci. Musée de Parme. Attribué au


peintre de Settecamini. (6). Milieu du Ve siècle. PI. VII.
- S. Reinach, Répertoire des vases peints grecs et étrusques, I, p. 142,
n. 2 et 3.
-F. Muller, 01, p. 88.
- C. Albizzatti, «Una fabrica vulcente di vasi a figure rosse» (5), MEFR,
XXXVII, 1918-19, p. 136-139 et fig. 6.
- V. Roscher, Lexicon, s. v. Kirke, p. 1195, fig. 2.
- J.D. Beazley, Etruscan vase painting, p. 54, 3.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 449.
Ce vase à figures rouges date du milieu du Ve siècle, époque où les Etrusques
commencèrent à utiliser cette technique. Il s'agit d'un stamnos à anses
horizontales provenant de Vulci et conservé à Parme, œuvre d'assez mauvaise
qualité d'un peintre dont on connaît de meilleures réalisations. Sur la face A tout
le monde s'accorde à reconnaître Ulysse, Circé, et un compagnon d'Ulysse
transformé en porc par la magicienne : allusion évidente à l'épisode de
YOdyssée dans lequel Ulysse armé de son glaive la menace. Sur l'autre face,
une scène dont la composition correspond à la précédente. A gauche, un
personnage barbu en tenue ae voyage, tunique courte et manteau agraté
ramené sur le bras gauche, tient de sa main droite une lance appuyée sur le sol. De
sa main gauche il fait un geste qui semble répondre à celui de sa partenaire
qui lui sourit, vêtue d'une longue tunique serrée à la taille. A côté de la
femme, un très gros chien lève vers le visiteur son museau dans un mouvement de
surprise et d'attention. S. Reinach (7) décrit la scène comme l'entretien d'un
compagnon d'Ulysse avec Circé accompagné d'un chien, et, se référant à
YOdyssée, il pense que cette scène est chronologiquement la première. Le plus
grand nombre y reconnaît le retour d'Ulysse à Ithaque (8). Mais alors que
pour C. Albizzatti la femme serait Euryclée, pour J. D. Beazley, comme pour
1 16 M.-M MACTOUX

F. Millier, elle serait Pénélope, bien que la coiffure, identique à celle de la


fileuse peinte sur un autre stamnos du même peintre (9) dénote une condition
modeste. S'il s'agit de la rencontre d'Ulysse et de Pénélope l'artiste ne s'est
appuyé sur aucun passage précis de YOdyssée ; on y voit réunis Pénélope et
le chien Argos, et Ulysse est en tenue de voyage et armé. Dans YOdyssée
Argos meurt dès l'arrivée d'Ulysse au palais après avoir reconnu son maître
(10) et Ulysse ne se présente jamais à Pénélope dans cet accoutrement. Si on
admet cette interprétation probable on a une scène qui, à force de
schématisation, tombe dans la banalité. Aucun attribut, aucun geste, ne permettent de
dire qu'il s'agit de Pénélope.

GEMME
Gemme. Sardoine. British Muséum, 657.
- A. Furtwângler,Z)/e antiken Gemmen, pi. XVIII, 25.
- H. B. Walters, Catalogue of the engraved gems in the British Muséum,
Londres, 1926, n. 657 et pi. 11.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn», p. 430, et fig. 16.
Une femme, assise, appuyant sa main droite sur le tabouret et soutenant, de
sa main gauche, une tête très inclinée, avec un arc à côté d'elle. Sur cette
intaille la femme porte des ailes. Il peut s'agir de Pénélope. Sur l'intaille
grecque de New-York, Pénélope avait également un arc à côté d'elle. La figure
est inversée par rapport à l'anneau précédent. La femme tient le tabouret de
la main droite et incline la tête de la main gauche. La tête est, contrairement,
à celle de la Pénélope de New-York, extrêmement penchée. Il ne semble pas
qu'il faille attacher beaucoup d'importance à cette position apparemment due
à une maladresse de l'artiste.

MIROIRS
Quelques miroirs ont été décorés de scènes qu'on a le plus souvent
considérées comme représentant, soit Pénélope repoussant un prétendant, soit
Ulysse retrouvant Pénélope. Aucune inscription, comme on en lit parfois sur
les miroirs, ne permet une identification certaine.
Le thème cependant n'a pas lieu de surprendre. Si, comme on peut s'y
attendre, beaucoup de miroirs sont ornés de scènes de toilette et de scènes
amoureuses, nombreuses sont les scènes héroïques, empruntées le plus souvent
à la mythologie grecque (1 1), et qui n'ont rien à voir avec la toilette. Pendant
toute la période du miroir étrusque qui s'étend sur trois siècles, du Vie au Ile
siècle (12), le cycle troyen l'emporte sur les autres grands cycles légendaires
(13). Cependant la légende odysséenne a apparemment peu attiré. Un simple
coup d'œil jeté sur l'énorme ouvrage de E. Gerhard (14), vieux mais
irremplacé, révèle que si Ulysse figure dans quelques scènes, l'importance qu'on lui
acccorde n'a rien de comparable à celle prise par des personnages tels
qu'Hercule, Ménélas ou Paris. Quand il est représenté, c'est l'Ulysse de la guerre de
Troie, avec Clytemnestre à Aulis, ou avec Ménélas, Hélène et Thétis (1 5), ou
encore l'Ulysse des récits chez Alkinoos menaçant Circé d'un poignard (16).
L'Ulysse du retour à Ithaque n'est nullement privilégié (17).
Quant à Pénélope elle figure encore moins et son rôle est infime par
rapport à celui tenu par Hélène, la grande amoureuse, qui a été un sujet de
prédilection. Sans doute la destination des miroirs pourrait expliquer ce choix
mais le recours à Hélène est également plus fréquent sur les vases (18).
LA LÉGENDE 117

1 - Miroir de provenance inconnue. Musée du Collège Romain. Attribué au


maître de Pénélope. IVe siècle (19).
- E. Gerhard, Etruskische Spiegel, IV, pi. 405.
- G.A. Mansuelli, «Gli specchi figurati etruschi», SE, XIX, 1946-47,
p. 57.
Une femme assise sur une sorte de trône soutenu par des colonnes exprime
nettement, par un geste de la main droite, un refus. Elle est entourée de deux
personnages, une femme à droite ornée de boucles d'oreilles, et un jeune
homme à gauche qui s'approche d'elle au point de lui toucher le bras. E.
Gerhard (20) comme G.A. Mansuelli (21) ont vu là Pénélope repoussant un
prétendant. Cette interprétation a été remise en question mais sans argument
décisif (22). La jeune femme parée ne pourrait-elle figurer une Lasa, ce génie
étrusque si souvent associé sur les miroirs à Vénus ou à Hélène, accentuant le
caractère amoureux de la scène (23), caractère difficilement discutable ? On
sait que d'une manière générale les artistes étrusques procédaient à l'égard des
mythes à des inventions ne s'appuyant sur aucune tradition littéraire ou
figurative. A partir d'exemples on a pu montrer qu'ils combinaient en une seule
scène des mythes variés ou divers épisodes d'un même mythe (24).

2 - Cinq miroirs illustrés d'une scène identique.

a) Miroir provenant de Tarquinia. Rome, Musée de la Villa Giulia, 17.028.


IVe siècle. PI. VIII.
- W. Helbig, Fùhrer, 4 éd.,n. 2680.

b) Miroir provenant de Tarquinia· Rome, Musée de la Villa Giulia, 51.309,


IVe siècle.
- W. Helbig, Fùhrer, 4 éd., n. 2680.
Ce miroir, plus petit que le précédent, est mieux conservé. La qualité du
travail permet de le dater de la deuxième moitié du IVe siècle.

c) Miroir provenant de Caeré. Ancienne collection Castellani. Londres,


British Muséum, 731.
- W. Helbig, Fùhrer, 3 éd., n. 1777 a.
Monumenti inediti publicati dall'Instituto di corrispondenza archeo-
logica, VIII, 1864-1868, pi. 47, 1.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 452.

d) Miroir provenant de Corneto. Ancienne collection Abbati.


- W. Helbig, Fùhrer, 3 éd. n. 1 777 a.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 453.

e) Miroir provenant de Chiusi. Ancienne collection Mazetti.


- W. Helbig, Fùhrer, 3e éd. n. 1 777 a.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 454.
Un homme barbu, en habits de mendiant, coiffé du pilos, a posé le pied
gauche sur un rocher et appuie le bras sur sa cuisse. Il s'adresse à une femme qui,
debout, un fuseau a la main, écoute rêveusement le récit. A leurs pieds, un
chien relève la tête et touche la jambe du mendiant de la patte droite.
Entre eux le miroir est orné d'un bucrane et d'un masque de Gorgone. On a
généralement reconnu sur ce miroir Ulysse, Pénélope et Argos (25).
18 M.-M MACTOUX

Cette interprétation a été mise en doute par O. Touchefeu-Meynier qui


souligne un certain nombre de détails insolites (26). L'homme porte, en effet,
un bandage à la cheville et des rochers servent de décor à cette rencontre. 11
ne semble pas, compte tenu de la façon dont Part étrusque utilise les mythes
grecs, qu'on puise s'en étonner. N'aurait-on pas ici une scène combinant
plusieurs éléments de la légende d'Ulysse (27). Le bandage ne pourrait-il pas
évoquer la blessure ancienne dont il lui reste une cicatrice et, les rochers, suggérer
l'exil à Ogygie ? Il n'est pas plus vraisemblable, comme le fait l'auteur, de
penser à Paris s'entretenant avec Aphrodite. Cette scène avec deux
personnages, un homme, une femme, et un chien, ressemble à la peinture du
stamnos (28) qui appartient sûrement au cycle odysséen. Même si sur le vase
la femme peut ne pas être Pénélope, l'homme a toujours été pris pour Ulysse.
Sur ces miroirs, qui serait cette femme, sinon Pénélope ?
3 - Miroir. Ancienne collection Barberini, Musée de Préneste, 1512. (Autrefois
Rome, Musée de la Villa Giulia).
- W. Helbig, Fuhrer, 3ê éd., n. 1 770 v.
- E. Gerhard, op. cit., IV, pi. 406.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 498.
Un homme assis, le torse nu, tenant à la main gauche sa lance, a déposé à côté
de lui son bouclier et son casque à cimier. A ses côtés est assise une femme, le
fuseau à la main gauche ; elle pose sa main droite sur la cuisse de l'homme.
On peut supposer que l'artiste a voulu reproduire la scène de la
reconnaissance d'Ulysse et de Pénélope, et qu'il a saisi le moment où Pénélope, par un
geste de confiance, réaffirme sa foi en Ulysse enfin reconnu (29). Mais,
comme pour le stamnos, aucun détail ne permet d'établir un rapprochement
précis avec un fragment de VOdyssée.
Les miroirs ne peuvent être datés avec exactitude. Le premier de la série
est pour G.A. Mansuelli un miroir du IVe siècle (30) et les compositions
équilibrées des autres qui ne comportent que deux personnages liés par le geste et
le regard font également pencher pour des œuvres du IVe siècle, période
classique du miroir étrusque (31). Le manque d'individuation est évident. En
particulier les miroirs où figure le chien refondent en une seule scène divers
épisodes de YOdyssée. Ce trait est caractéristique de l'art étrusque traitant des
mythes grecs. Mais contrairement à ce qui peut se passer pour d'autres thèmes
on n'a pas ici de modification de la légende pour l'essentiel. Pénélope est
appréhendée dans son rôle d'épouse : l'épouse courroucée repoussant
dignement un prétendant, l'épouse meurtrie accueillant les récits des visiteurs,
l'épouse comblée qui a enfin retrouvé son époux. La signification des scènes
traitées sur les miroirs est la même que celle peinte sur le stamnos. Pénélope
n'est jamais l'amoureuse ou même simplement ia femme qui cherche à
séduire. Elle n'existe que par Ulysse dont la présence ou l'absence détermine sa
conduite.

URNES
On possède un certain nombre d'urnes qui ont été rattachées au cycle
odysséen et sur lesquelles Pénélope est sans doute représentée. Elles peuvent
être classées en trois groupes : le festin des prétendants, le massacre des
prétendants, et une scène de toilette à laquelle assiste un homme qui ressemble à
l'Ulysse du festin. En admettant même que Pénélope figure sur toutes ces
urnes, ce qui est très incertain, leur nombre reste très inférieur à celui des
urnes illustrées par le seul épisode des Sirènes. On en compte 19 sur ce
dernier thème (32).

I - Le premier groupe est constitué de quatre urnes inégalement conservées.


LA LÉGENDE 119

1 - Urne provenant de Volterra - Leyde, H. III. Ile siècle avant J.C.


- R. Engelmann, L'œuvre d'Homère illustrée par l'art des anciens, pi.
XV, 96.
-F. Millier, <9/, p. 93.
-H.Brunn,/?C/,I,pl.95,2.
- S. Reinach, Répertoire des reliefs grecs et romains, II, p. 432, 2.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 420.
Pénélope, assise sur un trône, participe au festin des prétendants. Ils sont
quatre, allongés sur un lit, et ils ont été saisis au moment où ils lèvent leurs
coupes de formes diverses en son honneur. C'est vers elle, en effet, que se
dirigent tous les regards. Elle est manifestement la reine du festin, celle vers qui
vont tous les hommages. A la main gauche elle tient un fuseau, mais, de la
droite, elle s'apprête à saisir un coffret à bijoux que lui tend un serviteur.
Rien dans son attitude ne permet de déceler une contrainte quelconque et elle
satisfait sa curiosité avec une certaine complaisance.
C'est une allusion évidente à la scène de YOdyssée (33) au cours de
laquelle Pénélope sollicite les cadeaux des prétendants et les reçoit en présence
d'Ulysse qui vient de se battre avec Iros. Ulysse est présent à l'extrême gauche
le visage empreint de gravité, nu, avec simplement un manteau jeté sur les
épaules et un bâton à la main. A côté de lui une furie étrusque sous la forme
d'un génie ailé manifeste la protection divine en préfigurant peut-être la
vengeance (34).

2 - Urne provenant de la tombe Inghirami . Florence, Musée Archéologique


(Autrefois Volterra, Musée Etrusque).
- H. Brunn, RU, I, pi. 95, 1.
- F. Muller, 01, p. 94.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 423.
Thème identique à celui de l'urne précédente. La plupart des visages ont
disparu. Cette fois Pénélope est debout, comme Ulysse qui lui fait pendant à
l'extrême gauche, s'appuyant sur un bâton. Son visage, seul conservé, est
empreint de la même gravité que sur l'urne précédente.

Les deux urnes suivantes n'ont pas été datées avec précision mais sont
toujours d'époque tardive, probablement contemporaines des précédentes
(35). Elles proviennent d'une même tombe de la nécropole de Portone.

3 - Urne. Volterra, Musée Etrusque, 514. PI. IX.


■ H. Βτυηη, RU, III, p. 238, 2 a.
- E. Fiumi, «Contributo alla datazione del materiali volterrano», SE,
1957, p. 395, n. 2, fig. 27.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 421.
Même scène mais mieux conservée. Pénélope est assise sur un trône très haut
et domine les prétendants tandis qu'Ulysse lui fait pendant à l'extrême
gauche assis sur un siège bas.

4- Urne. Volterra, Musée Etrusque, 554.


- E. Fiumi, loc. cit., p. 395, n. 3.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 422.
De cette urne d'albâtre ne subsiste qu'un fragment de la partie droite avec
trois personnages. Pénélope, dont la tête manque, est assise entourée de deux
120 M.-MMACTOUX

servantes dans la même position que sur l'urne précédente.


Ces urnes reprennent le thème du banquet fréquent dans Part funéraire.
Cependant. faire participer Pénélope au festin des prétendants modifie
considérablement l'interprétation la plus courante de la légende. Elle apparaît
comme une femme séduisante à qui on rend hommage en présence d'un mari
relégué à l'arrière-plan qui assiste, impuissant, à une scène de séduction.

II - La présence de Pénélope sur les urnes du second groupe paraît beaucoup


plus discutable.
Le massacre des prétendants fait partie des sujets héroïques fréquents
sur les urnes et les sarcophages étrusques, en fonction, peut-être, du caractère
tragique de la scène (36). Sur toutes ces urnes une femme manifeste sa
frayeur en cherchant refuge auprès d'un laraire ou d'une statue. C'est cette
femme qui a parfois reçu le nom de Pénélope. Mais cette identification semble
peu probable, non parce que Pénélope n'assistait pas à la scène de VOdyssée -
on a déjà vu que les artistes étrusques interprétaient la mythologie grecque
très librement - mais parce que ce geste convenant tout aussi bien à une
servante, n'est pas significatif. Nousn'en choisirons qu'un exemple.

Orne. Chiusi, Musée Etrusque, 529.


-H.Brunn,/?t/, I, pl.98, 7.
-F. Muller, 0/, p. 99.
- W. Roscher, Lexicon, s. v. Telemachos, fig. 5.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 495.
Ulysse avec son arc tire sur les prétendants affolés qui, debout ou déjà à terre,
essaient de se protéger. A droite une femme fuit vers une statuette et, s'accro-
chant à elle, implore par ce geste la divinité (37).

III - Le troisième groupe, composé de deux urnes, semble aussi douteux


quand il s'agit d'affirmer que l'une des figures féminines est bien Pénélope.

Urne funéraire provenant de Pérouse. Pérouse, Musée Archéologique, 403.


- H. Brunn, RU, I, pi. 99, 2.
-F. Muller, 0/, p. 95.
- H. Lucas, «Die Kalypso des Nikias», WJ, 1940, p. 54-59.
- Ch. Picard, «La grande peinture de l'hypogée funéraire dit du Viale
Manzoni à Rome et les tentations d'Ulysse», CRAI. 1945, p. 45-46.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 450 et pi. XXXV, 2.
Un homme barbu, vêtu d'un manteau et coiffé d'un pilas, le pied gauche sur
uii rocher, appuie sa tête sur sa main, l! regarde, avec une attention dépourvue
d'aménité, un groupe formé de deux femmes. L'une, assise sur une sorte de
lit, se contemple dans un miroir tenu par une servante debout, occupant le
milieu du relief.
Pour H. Brunn (38), cette femme est Pénélope à sa toilette, lorsqu'
Athéna lui eut insufflé le désir de paraître devant les prétendants. Plus que le
personnage féminin c'est évidemment la présence de cet homme barbu,
modestement vêtu, qui a fait penser à la scène homérique. Si Ulysse n'a pas le
monopole de cette tenue il ressemble étrangement au mendiant qui assiste au
festin des prétendants. De ce mendiant, l'identité n'a jamais été mise en
doute. F. Muller adopte également cette interprétation (39).
Mais si on s'accorde toujours à voir Ulysse dans le personnage masculin,
LA LÉGENDE 121

H. Lucas (40) nomme la femme Calypso, cette Calypso dont le prototype


serait dû à Nicias. Ch. Picard (41), quant à lui, se demande si on n'a pas là
une cérémonie de mantique, le miroir n'étant pas un accessoire de toilette
mais un instrument de cataptromancie et admet également que la femme
assise est Calypso. Il est tentant de se ranger à ce point de vue, bien que rien ne
permette de trancher en faveur de l'une ou de l'autre.

Urne funéraire. Pérouse, Musée Archéologique, 404.


-H. Brunn,/?£/, I,pl.99,l.
-F. Muller, 01, p. 99.
- S. Reinach, Répertoire des reliefs grecs et romains, III, p. 104, n. 2.
- H. Lucas, «Die Calypso des Nikias», WJ, 1940, p. 54-59.
- Ch. Picard, «La Grande Peinture de l'hypogée funéraire dit du Viale
Manzoni à Rome et les tentations d'Ulysse», CRAI, 1945, p. 45-46.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 451 et pi. XXXIV, 2.
La scène est délimitée par deux colonnes. Un homme en tenue de voyage,
coiffé d'un pilos, vêtu d'un chiton et d'un exomis se retourne avec beaucoup
d'intérêt vers une femme assise qui semble l'ignorer. Comme sur les miroirs
sa jambe gauche porte un bandage. La femme est nue, avec seulement un
manteau qui couvre ses jambes et s'apprête à saisir de sa main gauche une
sorte de vase que lui tend une servante accroupie. De la main droite elle
soulève ses cheveux dans un geste gracieux. A l'extrême droite, une autre
servante tient des deux mains un objet, une cassette pour H. Brunn, mais qui
pourrait être un miroir d'une forme particulière.
On retrouve, pour cette urne, les mêmes types d'interprétation que
pour l'urne précédente. Pour H. Brunn et F. Muller, c'est Ulysse et Pénélope ;
pour H. Lucas et Ch. Picard, Ulysse et Calypso. H.Lucas fait reposer une
partie de sa démonstration comme dans le cas précédent, sur le fait que ce
personnage est trop peu royal pour représenter Pénélope. Nous avons déjà
souligné la faiblesse de cet argument, d'autant plus que la participation
complaisante de Pénélope au festin des prétendants prouve que certains artistes
étrusques ont eu de Pénélope une toute autre conception que celle qu'on leur
impose a priori. Cependant, comme dans le cas précédent, nous pencherions
pour Calypso. La présence d'un bandage autour de la jambe du personnage
masculin, pour la même raison que pour les miroirs (42), semble militer en
faveur d'Ulysse. Que ce soit Héphaistos, le dieu boiteux, est peu
probable (43).
Tout en tenant compte des réserves faites à propos de l'interprétation
des deux derniers groupes d'urnes, deux périodes se dégagent nettement.
Au Ve et au IVe siècles, sur le vase et les miroirs, apparaît une Pénélope
digne, proche parente de celle que l'art classique grec avait priviligiée. Ce n'est
pas l'héroïne souffrante que les Etrusques ont choisie, mais celle qui, dans
toutes les circonstances, a su se garder des compromissions et se révéler, par
sa valeur morale, l'égale du héros aux actions glorieuses. Elle perd cependant
sur ces objets familiers que sont les miroirs (44), la majesté spirituelle qui la
caractérisait dans la peinture de Zeuxis ou la frise sculptée de Vhéroôn de
Gjolbasi-Trysa ; elle devient à la fois plus proche d'Ulysse et plus proche de
tous. Elle est celle qui exprime sa joie par un geste familier en mettant la
main sur la cuisse du héros, comme c'est, coiffée d'une manière modeste, qu'
elle accueille Ulysse sur le stamnos de Vulci. Elle n'a plus jamais cet air
souverain qui exprimait, sur les documents figurés, le sentiment que son destin
122 M.-MMACTOUX

avait été hors du commun. Dans Part étrusque de cette période Pénélope est
une femme parmi d'autres, ayant connu, comme beaucoup, une séparation
qui, pour être douloureuse, n'était pas moins habituelle.
Puis, au Ile siècle, avec les urnes, l'esprit change. En se mêlant aux
beuveries de ceux qui la courtisent, elle n'est plus seulement l'épouse du héros
lointain mais une femme séduisante et qui exploite sa séduction. Nous
n'oublierons pas le rôle de la femme dans la civilisation étrusque où sa
participation à la vie publique, aux banquets, était chose normale (45) ; mais en
choisissant de placer Pénélope dans cette situation les Etrusques travestissaient
la légende grecque classique qui avait préféré une pureté sans équivoque. Ce
trait se dégagerait encore plus nettement s'il était certain que, sur le dernier
groupe d'urnes décrites, Ulysse assiste à la toilette de sa femme.
Avec ce deuxième groupe est posé le problème de savoir si les Etrusques
ont eu une connaissance littéraire des mythes grecs ou s'ils n'en ont eu qu'une
connaissance superficielle, limitée aux documents figurés, surtout aux vases
arrivant en Etrurie. La participation de Pénélope au festin des prétendants a
fait l'objet de deux illustrations dans l'art grec : le vase de Syracuse du Ve
siècle (46), et le bol à reliefs sur lequel le nom seul de la reine a été conservé.
(47) Le thème, exceptionnel dans l'art grec, devient plus fréquent dans l'art
étrusque. Ensuite, si l'on compare les urnes avec le vase de Syracuse, la
différence éclate. Sur ce vase les prétendants offrent des cadeaux à une souveraine
majestueuse qui, sans les repousser, ne se départit pas d'une réserve empreinte
de dignité. Le don oblige ceux qui le font, et non celle qui veut bien le
recevoir. Sur les urnes, le rapport est inversé. La complaisance avec laquelle
Pénélope admire le contenu du coffret la met à la merci des donateurs. Alors que
la scène grecque va dans le sens de la grandeur , la scène étrusque va dans celui
de la petitesse. Si Pénélope n'est pas une courtisane, elle n'est plus une femme
qui fonde sa noblesse sur la retenue.
Faut-il expliquer cette évolution par l'influence de la légende
hellénistique, ou peut-on penser qu'à cette période encore, comme à l'époque
archaïque (48), les maîtres étrusques reproduisaient librement les scènes de produits
helléniques sans connaître la signification du mythe ? La tendance à
transformer l'exceptionnel en banal, sensible à la fois sur les miroirs et les urnes,
semble une constance de l'art étrusque. Mais la nette différence qui existe entre
la Pénélope étrusque du IVet Vesiècleset la Pénélope du Ile siècle ne pourrait-
elle s'expliquer par la connaissance de la poésie alexandrine qui aurait trouvé
un écho chez un peuple qui a ressenti comme conforme à sa propre sensibilité
l'esprit hellénistique ? (49) En tout cas, sur ces urnes, pour la plupart produits
artisanaux traduisant une vision populaire, Pénélope n'intervient en rien pour
orienter la signification de scènes uniquement priviligiées pour leur caractère
global. Le festin est un banquet ;le massacre, une action tragique, et banquet
et action tragique appartiennent au symbolisme funéraire étrusque. Pénélope
n'est jamais un modèle douloureux ou réconfortant dans lequel des Etrusques
auraient cherché à projeter leurs craintes et leurs espoirs.
LA LÉGENDE 123

Notes du CHAPITRE VIII


(1) R. Bloch, «L'art étrusque et l'arrière plan historique», Historia, 1957, p. 53-62.
(2) G.A. Mansuelli, Les Etrusques et les commencements de Rome, Paris, 1965,
p. 61-62.
(3) G.A. Mansuelli, op. cit., p. 64.
(4) Etruscan vase painting, Oxford, 1957.
(5) J.D. Beazley, op. cit. Pour C. Albizzatti, loc. cit., peintre du vase Gollini.
(6) X, 321 sq.
(7) Op. cit., p. 142, note 2. De même Seeliger in Roscher, Lexicon s, v. Kirke
(8) F. Millier, OI, p. 88. C. Albizzatti, loc. cit., p. 158, n. 1 ; J.D. Beazley, op. cit.,
p. 54.
(9) Episode d'Hercule.
(10) XVII, 290 sq.
(11) G.A. Mansuelli, «La mitologia figurata negli specchi etruschi», SE, XX, p. 59 sq.
(12) J.D. Beazley, «The world of the Etruscan mirror», JHS, 1949, p. 1-17.
(13) G.A Mansuelli, loc. cit., p. 81.
(14) Etruskische Spiegel, 5 tomes, Berlin, 1843-1857.
(15) E. Gerhard, op. cit., index.
(16) On connaît trois miroirs presque semblables sur ce thème. E. Gerhard, loc. cit.,
pi. 403, 1 et 2, et G.M.A. Richter, Handbook of the Etruscan collection, New-
York, 1940, p. 46.
(17) C'est vrai d'ailleurs d'une manière générale pour la légende d'Ulysse. A. Mansuelli,
«Studi suggli specchi etruschi», IV, «La mitologia figurata negli specchi etruschi»,
SE, XX, 1948-1949, étudiant le cycle troyen, p. 81 sq., ne la retient pas dans sa
classification des thèmes.
(18) J.D. Beazley, Etruscan vase painting, Oxford, 1957, passim.
(19) G. Mansuelli, loc. cit.
(20) Op. cit.
(21) Loc. cit.
(22) O. Touchefeu-Meynier, op. cit., p. 232, n. 18, pense qu'il n'est pas nécessaire de
retenir cette représentation. Dans l'hypothèse où il s'agirait de Pénélope, elle
préférerait voir dans le jeune homme Télémaque qui prend congé de sa mère. Le geste
de la reine est cependant sans équivoque et manifeste une désapprobation teintée
de courroux.
(23) J. Martha, D et S, s. v. Lasa. R. Enking, «Lasa», MDAI (R), LVII, 1942, p. 1-15,
voit dans la Lasa une grande divinité et lui attribue, comme fonction
fondamentale, d'être la protectrice de l'amour conjugal.
(24) G. Camporeale, «Banalizzazioni etrusche di miti greci» II, SE, XXXVI, 1968,
p. 21-35.
(25) Cf. W. Helbig, Fùhrer, 3e éd., II, n. 1 777 a.
(26) Op. cit., p. 246-247.
(27) Le passage de YOdyssée où Homère raconte comment Ulysse se fit la blessure
dont il lui restait la cicatrice dit : «Aussitôt pour soigner cet Ulysse divin, les fils
d'Autolykos se mettent à l'ouvrage ; ils bandent avec art la jambe du héros» (XIX,
459-461).
(28) Voir supra, p. 115.
(29) W. Helbig, op. cit., 3e éd., n. 1770 v.
(30) «Gli specchi figurati etruschi» SE, XIX, p. 57.
(31) J.D. Beazley, «The world of the Etruscan mirror», JHS, 1949, p. 4.
(32) Cf O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 318 à 336.
(33) XVIII, 276 sq.
(34) H. Bruun, op. cit., I, p. 125.
(35) E. Fiumi, «Contributo alla datazione del matériau" volterrano», SE, 1957, p. 395,
propose comme date 250-50 avant J.C.
(36) J. Martha, L'art étrusque, Paris, 1889, p. 362, n. 1.
(37) O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 489 à 495, en a dénombré sept sur ce thème. On a
parfois voulu voir Pénélope sur une urne dont la scène est difficile à interpréter
(H. Brunn, RU, pi. 98, 8). A droite un homme nu et d'un certain âge tire de l'arc
tandis qu'à l'extrême gauche un jeune homme, également muni d'un arc,
transperce un adversaire qui s'est réfugié près d'une femme qui s'accroche à son cou.
Cette femme est au centre du relief, les seins nus, avec une hache dans la main
gauche. H. Brunn {op. cit., I, p. 129) repousse l'hypothèse qui consiste à y recon-
124 M.-M MACTOUX

naître Euryclée ou Pénélope, et se demande s'il s'agit vraiment d'une scène


représentant le massacre des prétendants. Il est peu probable, en tout cas, qu'il
s'agisse de Pénélope.
(38) Op. cit.
(39) Op. cit.
(40) Loc. cit. Voir supra, p. 108.
(41 Loc. cit., p. 45.
(42) Voir supra, p. 118.
(43) Hypothèse envisagée par O. Touchefeu-Meynier, TO, p. 247.
(44) On observera que, pas plus à cette période qu'à la suivante, la légende de
Pénélope n'est traitée par la peinture ou la sculpture. Elle reste liée au monde familier
de la vie quotidienne et les Romains hériteront de cette conception.
(45) J. Heurgon, «Valeurs féminines et masculines dans la civilisation étrusque»,
MEFR, LXXIII, 1961, p. 139-160.
(46) Voir supra, p. 80.
(47 ) Vo ir supra, p. 107.
(48) G. Camporeale, «Banalizzazioni etrusche di miti greci», II, SE, XXXVI, 1968,
p. 21-35 et III, XXXVII, 1969, p. 59-76. Contra, R. Hampe et E. Simon, Grie-
chische Sagen in der frùhen etruskischen Kunst, Mayence, 1964, qui, d'ailleurs,
n'étudient pas le cycle d'Ulysse.
(49) A. Mansuelli, Les Etrusques et les commencements de Rome, p. 175.
CHAPITRE IX

L'HÉROISATION DE PÉNÉLOPE A LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE

ET AU DÉBUT DE L'ÉPOQUE IMPÉRIALE


Le renouvellement que connaît chez les Romains la légende de
Pénélope est étroitement lié à une époque et à un genre. Alors que la poésie
latine est nourrie depuis ses origines de mythologie, que l'épopée et la
tragédie y trouvent une source inépuisable de sujets, ce sont les poètes élégiaques
qui se serviront de Pénélope pour exprimer leur sensibilité à la fois dans ce
qu'elle a de plus personnel et de plus conforme à celle de leur temps.
Parmi les prosateurs Cicéron est le seul chez qui on relève quelques
allusions, mais elles restent extérieures à sa pensée ; ni l'orateur, ni le philosophe
n'en font un thème de réflexion. Lorsque dans les Académiques il a recours à
l'image de la toile (1), il ne voit dans le travail que «l'acte de faire et de
défaire». Par rapport à Platon, la comparaison s'est appauvrie (2). Chez le
philosophe grec, Pénélope était plus ou moins assimilée à l'âme philosophique.
Chez le philosophe latin elle renvoie à la logique (dialectica) que Cicéron
condamne. Dans la seconde partie de son traité où il réfute la position
précédemment soutenue par Lucullus, Cicéron entreprend de montrer que la
certitude n'existe pas, qu'il s'agisse du témoignage des sens ou de la raison.
Pourtant la logique, qui est l'application de la raison, a pour but de distinguer le
vrai d'avec le faux. Mais le logicien incapable de juger du vrai et du faux, en
géométrie, en littérature, en musique, qu'il ne connaît pas, finit par ne plus
s'occuper que de sa propre science ; la dialectique devient logique formelle.
C'est par sa démarche que la logique ressemble à Pénélope qui, avec sa toile,
défaisait ce qu'elle avait tissé. La logique consiste à établir ce qui est vrai et ce
qui est faux, mais elle finit par aboutir à des propositions au sujet desquelles
elle suspend le jugement en les disant inexplicables. La logique détruit par son
propre développement sa raison d'être. L'absurdité de la démarche rapproche
le logicien et Pénélope. Par cette interprétation littérale Cicéron renonce à
accorder au geste de Pénélope une quelconque finalité.
Il minimise d'ailleurs son rôle au point de transformer V Odyssée d'une
manière significative. Au début du deuxième livre des Lois (3) Cicéron et
Atticus, qui séjournent à Arpinum, goûtent les charmes du lieu. L'auteur
avoue un intense attachement à Arpinum, sa vraie patrie et, pour excuser ce
sentiment, il cite Ulysse qui, pour revoir Ithaque, a refusé l'immortalité. On
se souvient qu'au livre V de YOdyssée c'était aussi pour revoir Pénélope
qu'Ulysse repoussait l'immortalité que Calypso lui offrait. Il ne s'agit pas
dans le texte cicéronien d'attachement conjugal mais bien de cet attachement
à la patrie comme le chantera l'exilé Du Bellay dans le sonnet bien connu.
Cicéron n'invoque pas davantage la fidélité d'Ulysse (4). Comme pour l'image
de la toile il n'est sensible qu'au caractère extérieur de la légende. Lorsque
dans le De natura deorum (5) Pan devient le fils d'Hermès et de Pénélope, il
ne fait aucune remarque permettant de déceler un intérêt pour cette version
apparemment aberrante.
Seuls les poètes seront capables de sentir que l'histoire de Pénélope est
devenue un élément important de la sensibilité collective ; mais, s'ils peuvent
magnifier l'héroïne, c'est aussi parce qu'elle occupe déjà cette place priviligiée
(6). Le caractère populaire de la légende qui s'était nettement affirmé à
l'époque hellénistique reste toujours vivant, comme en témoignent deux lettres
attribuées à Cratès de Thèbes (7), le philosophe cynique disciple de Diogène.
Cratès vivait dans le seconde moitié du IVe siècle, et Diogène Laërce a gardé
le souvenir de lettres qu'il aurait écrites (8). Mais celles que nous possédons ne
128 M.-M MACTOUX

sont pas de lui, pas plus que celles qui sont attribuées à Diogène. Ces lettres
sont généralement datées de l'époque de Philodémos, c'est-à-dire à la
première moitié du premier siècle avant J.C. (9).
La comparaison utilisée dans la lettre XXIII est ambiguë. Le pseudo-
Cratès veut inciter son correspondant à adopter l'idéal cynique, symbolisé par
le manteau, la besace et la bâton. Mais tant qu'il refusera d'abandonner la
pourpre et la mollesse, il continuera d'attirer les amoureux comme Pénélope
les prétendants. Le texte est apparemment centré sur les prétendants qui, par
leur nombre, leurs vices, leur acharnement, sont comparés aux amoureux
enchaînés au luxe. Pénélope est-elle rendue responsable ? Ce n'est guère
probable si l'auteur est le même que celui de la lettre IX. Là Pénélope, comme
Alceste, est louée pour sa décence ; maintenant encore, dit l'auteur, elle
continue à être honorée pour cette vertu. En choisissant son exemple le pseudo-
Cratès se réfère manifestement à un trait universellement reconnu. Il n'est
même plus nécessaire de le souligner tant l'admiration est générale. L'Odyssée
est devenue une histoire d'amour exemplaire qui sert de trame au plus ancien
roman grec connu.
Lorsque Chariton d'Aphrodisias, un Grec d'Asie, écrit, probablement au
1er siècle après J.C. (10) Chéréas et Callirhoé, l'Odyssée lui sert de modèle.
Chéréas le Syracusain qui a arraché enfin, à la fin du roman, Callirhoé aux
mains du Grand Roi de Babylone commence le récit de sa dramatique
recherche. Eux qui ont célébré à tour de rôle les funérailles l'un de l'autre se
redécouvrent enfin selon le schéma tout odysséen du livre XXIII. Pour le souligner
Chariton cite textuellement Homère : «Lorsqu'ils eurent assez de larmes et de
récits, ils s'enlacèrent l'un l'autre et dans le bonheur renouvelèrent le pacte de
leur lit d'autrefois» (11). Callirhoé qui, esclave, a accepté de se donner à
Dionysios de Milet, le satrape, dans la seule intention de sauver l'enfant qu'
elle portait, a bien mérité l'amour du jaloux Chéréas.
Avec Catulle commence la série des poètes qui vont donner à la légende
de Pénélope ses lettres de noblesse. Pourtant, à première vue, le bilan est
maigre. Une seule allusion dans un épithalame qu'on ne considère généralement
pas comme l'un de ses grands poèmes, et l'emploi qu'il en fait reste
apparemment en marge de la signification que revêt chez lui l'usage de la mythologie.
Lui qui «use des mythes grecs comme un grec n'en aurait pas usé» ( 12), s'en
servant comme d'un miroir pour y projeter son âme, néglige dans l'ensemble
de sa poésie la légende odysséenne. Catulle qui a connu dans sa courte
existence la solitude, la mort d'un frère aimé (13), la passion obsessionnelle pour
une Lesbie devenue vite infidèle (14), préfère, à Pénélope, Ariane abandonnée
y\3) uu Laodamie «brûlant d'amour pour son époux» Protésilas ( 16).
Pourtant son évocation de la mère de Télémaque est étroitement liée a ses
aspirations profondes et à celles de son temps.
Elle apparaît à titre de comparaison dans un chant d'hyménée, imité de
Sappho, et écrit en l'honneur de L. Manlius Torquatus. Après avoir suivi la
mariée depuis la demeure de ses parents jusqu'à la nuit nuptiale, le poète
évoque les fils à venir et il souhaite que le petit Torquatus «se glorifie de la vertu
de sa mère garante de la pureté de sa race comme Télémaque qui dut son
renom unique, impérissable, à l'insigne vertu de Pénélope»(17). C'est la
première fois dans l'histoire de la littérature que Pénélope est présentée comme
une femme digne d'enfanter, parce qu'elle est pure. Comme la femme de
Manlius, par sa vertu, elle détient le pouvoir de faire du fils l'image du père
LA LÉGENDE 129

(18), de perpétuer la race et, grâce à sa pureté, d'assurer sa grandeur. On ne


peut douter que cette pièce de commande ne traduise les sentiments profonds
de Catulle (19). Sa poésie est remplie d'une dévotion particulière à ladomus
(20), aux Dioscures (21), divinités protectrices du foyer. Et c'est à un foyer
semblable à celui fondé par l'heureux Manlius Torquatus avec la chaste Julia
que rêve le poète. Pénélope n'est liée dans sa poésie ni au désespoir, ni à la
passion, mais à la vision tranquille d'une famille digne. Ce rêve n'est pas
celui d'un poète singulier, mais d'un poète sensible aux sentiments d'une société
qui, commence, précisément à cette époque, à aimer l'enfant pour lui-même
(22) et à considérer la femme comme jouant un rôle au sein de cette société
jusque là uniquement patriarcale (23).
A partir du 1er siècle (24) avant J.C. des épitaphes funéraires sont
consacrées aux femmes, et les épithètes de casta, pudica, fida,vera, reviennent
sans cesse en même temps qu'on loue le mérite de l'épouse d'avoir donné une
descendance. Les Romains prennent alors conscience qu'elle contribue à la
grandeur de la famille, et par là, à celle de la race. Le ton de ces épitaphes est
le même que celui de l'ode (25) où Horace appelle de ses vœux le retour
d'Auguste parti guerroyer en Germanie. Désigné dès les premiers vers le
«gardien excellent de la race de Romulus», il est loué comme le restaurateur de la
chasteté au sein du foyer. Grâce à lui «la coutume et la loi (26) ont eu raison
des souillures criminelles ; on loue les accouchées d'avoir des enfants
ressemblant à leurs pères» (27). Mais Horace met sa plume au service d'Auguste qui
entend repeupler, et, quoique sincère, cette ode n'en demeure pas moins une
pièce officielle. Un demi-siècle avant, Catulle exprime ce sentiment dans une
poésie qui, par sa nature, reste très proche de la poésie populaire dont elle est
issue (28). Ce ton, simple et familier, Catulle a su le conserver. Aucun étalage
d'érudition, mais une grande sobriété, et son évocation de Pénélope, seule
figure mythologique, ou presque, dans le chant, exprime ce sentiment puissant
où la sensibilité du poète rejoint celle d'une époque.
Pénélope, plus nettement encore devient une des images-clefs de la
poésie de Properce. Elle n'est pas citée dans ses élégies beaucoup plus souvent
que d'autres - la légende d'Hélène est plus largement utilisée (29) - mais elle se
trouve exclusivement liée aux thèmes majeurs de sa sensibilité, la fidélité, et la
forme que revêt chez lui le sens patriotique.
Elle partage d'abord avec les autres héroïnes homériques qui font
cortège au nom de Cynthie la même fonction poétique qui vise à idéaliser l'aimée
(30). La multiplication de ces noms enchante l'imagination de Properce qui
montre aux Enfers un chœur qui pourrait l'accueillir (31). Mais la mythologie
est chez lui beaucoup plus qu'un simple outil poétique, moyen d'embellir, ou
même cadre de référence. Elle est système d'expression et langage (32), et
lorsque Properce cite Pénélope, elle acquiert, comme les autres héroïnes, une
réalité autonome.
Mais elle les distance par la fonction que Properce lui confère. Alors
qu'il cherche manifestement la variété, qu'Hélène, par exemple, symbolise
tour à tour l'infidélité, la beauté, la célébrité qu'une œuvre littéraire donne à
une femme (33), Pénélope est toujours associée à la fidélité. Elle est l'épicen-
tre de son univers amoureux, celle dont la silhouette surgit lorsqu'il se plaint
de l'inconstance de Cynthie, elle-même signe d'un univers déchiré.
S'il est un des grands thèmes de Properce, c'est la fidélité (34) qui doit
lier les amants et jour un rôle psychologique et moral dans les rapports
amoureux. Cette fidélité est à ce point essentielle que c'est en fonction d'elle qu'il
130 M.-MMACTOUX

réinterprète certains thèmes élégiaques, comme le voyage ou le départ à la


guerre. Rien n'est plus significatif que l'élégie 12 du livre III, construite à la
manière d'un éloge, et qui repose tout entière sur une comparaison entre le
couple romain et le couple odysséen. Il reproche à Postumus d'avoir pris les
armes, laissant au foyer Aelia Gallia. Mais elle est fidèle, et comme Ulysse, il
rejoindra après un long voyage sa femme restée chaste : «il n'avait pas perdu
sa peine, puisque son épouse était demeurée au foyer, chaste» (35). Ni une
longue absence, ni les aventures tragiques ou amoureuses n'ont détourné
Ulysse de son foyer où il a retrouvé à la fois paix et récompense (36). Comme
Postumus le connaîtra, Ulysse a connu le plus grand bonheur fait d'un amour
unique où mari et femme restent fidèles l'un à l'autre.
Pénélope est pour le poète l'image du bonheur, bonheur qu'elle procure
mais aussi bonheur qu'elle possède parce qu'il est fait d'un amour dans lequel
mari et foyer sont confondus. «Heureuse l'épouse d'Admète et la couche
d'Ulysse ! Heureuse la femme qui aime son mari et sa maison»(37). Si
Pénélope est capable par sa vertu de créer le bonheur, c'est que cette vertu va au-
delà de la seule fidélité à l'époux qui peut aboutir, comme dans l'Orient, à
un débordement de passion chez ces femmes qui «appliquent leurs lèvres
dévorées par le feu sur le corps de leur mari» (38). Ce n'est pas par hasard qu'il
oppose dans cette élégie du livre III la fidélité d'Evadné qui, à la mort de son
mari, se jeta dans le bûcher, à la piété de Pénélope. «Nous ne connaissons ni
la fidélité d'Evadné, ni la piété de Pénélope». (39). Pas de passion violente,
pas de vertu laborieuse, mais une vertu sereine qui se confond avec la piété ;
Pénélope devient le symbole d'un âge d'or où la femme pouvait se garder
deux fois dix ans (40), où, éternelle amante, elle restait pure sans espoir,
acceptant même de vieillir seule, de perdre cette beauté à laquelle Properce
attache tant de prix chez Cynthie. Aujourd'hui c'est l'âge de fer où l'aimée ne
peut se passer d'amant une nuit (41), où il existe même des entremetteuses
qui arrivent à jeter dans n'importe quels bras les plus vertueuses, telle
«Pénélope aux bras lascifs d'Antinous (42)», où l'Orient déverse ses trésors et ses
parfums qui troublent les plus sages. «Voilà de quoi venir à bout de tes
dédains, ô fille d'Icarios» (43). Dans ce monde corrompu Pénélope revient à
nouveau pour montrer combien l'ordre est bouleversé et Properce ne trouve
pas d'exemple plus significatif pour clamer le scandale. L'intention initiale
demeure. Pénélope est dans l'univers de Properce l'image d'un monde sans
déchirure où les amants vivent à l'unisson même s'ils sont séparés, où la gloire et
l'amour, désormais désunis, peuvent se réconcilier. La gloire par les armes
n'est rien à côté du bonheur de posséder une femme aimante. «Ah ! si mon
vœu n'est pas impie puissiez-vous tous périr, avares que vous êtes et périsse
^"•conque préfère les armes à une couche fidèle !» (44). Cette fidélité
transmue l'absurdité de la guerre. Postumus peut se faire soldat. «Aelia Gallia est
encore plus fidèle que Pénélope» (45). Grâce à cette piété, le refus de la
guerre, qui est pourtant, pour Properce, un acte pieux, perd son sens. Le
service des armes redevient possible (46).
Horace se fait apparemment plus discret. Mais la fonction jouée par
Pénélope dans un de ses poèmes les plus personnels n'est guère différente.
Lorsque dans une épitre adressée à Lollius Maximus (47), il invite son jeune
ami à se convertir à la philosophie, une méditation sur VOdysséc qui montre
«ce que pouvait la vertu et la sagesse» (48), servira de point de départ à son
exhortation. Ce n'est pas à Pénélope qu'il pense, mais à Ulysse, digne
d'admiration pour avoir su venir à bout de toutes les épreuves. Sans doute à la
LA LÉGENDE 131

sagesse d'Ulysse répond celle de Pénélope et, dans cette même épitre, il
dénonce le grand nombre dont il fait partie et qui, à l'instar des prétendants
de Pénélope, se livrent à la vanité des plaisirs (49). Si la comparaison est
appelée par l'évocation d'Ulysse, le juste, qui, en massacrant les prétendants,
rétablira le règne de la vertu, la silhouette de Pénélope se profile comme l'alliée
d'Ulysse dans le combat. Mais la vision reste abstraite et fugitive. Dans cette
épitre d'inspiration stoïcienne, où Horace donne le premier exemple de cette
détermination dont il vient de faire part à Mécène d'abandonner la poésie
(50) pour s'interroger sur le vrai et le bien, seul Ulysse lui paraît capable de
fournir le modèle dont il a besoin.
La vertu de Pénélope est une donnée qu'il ne faut pas remettre en
question et, lorsqu'il le fera dans une de ses satires (51), c'est avec beaucoup de
prudence et de retenue. Son propos est de dénoncer, en la ridiculisant, la
pratique fort courante à Rome de la captation des testaments. Ulysse consulte
Tirésias aux Enfers pour savoir comment réparer le perte de ses biens. Le
devin lui répond en énumérant les divers façons de conquérir les héritages, et
Ulysse le vertueux accepte vite cette méthode sordide. Il se récrie, cependant,
lorsque Tirésias lui conseille de livrer Pénélope à un coureur de femmes, elle
«si sage et si pudique» (52). Qu'Ulysse ne s'inquiète pas ; Pénélope à son tour
se laissera prendre au jeu : «Elle sera comme le chien que rien ne peut
arracher à un morceau de cuir trempé d'huile» (53). Mais ne nous y trompons
pas ; on a ici une caricature qui tire précisément son sel et son cynisme de la
peinture qu'Horace fait ailleurs du couple odysséen. Aucune référence à
Tépouse éhontée de l'époque hellénistique. Il ridiculise, en gardant un schéma
universellement connu auquel il souscrit. Le procédé est le même que lorsque
Properce dépeint une Pénélope capable de succomber à la magie diabolique
d'une entremetteuse (54). Horace n'échappe pas à toute convention. C'est à
l'épouse chaste qu'il compare Lycée qui, en faisant attendre son amoureux
devant une porte, joue à ce qu'elle n'est pas. «Ce n'est pas une Pénélope
rebelle aux prétendants qu'a fait naître en toi un père tyrrhénien»(55). La
plainte devant une porte fermée est un thème consacré de la poésie
amoureuse ; l'image ne vaut que par l'originalité du rapprochement entre l'héroïne
mythologique et la descendante d'Etrusques connus pour leurs penchants aux
plaisirs amoureux, entre une donnée relevant de la littérature et une autre de
l'étude des mœurs.
Mais dans un cas, cependant, Horace rejoint Properce dans la force de
l'évocation. C'est paradoxalement dans une ode où Pénélope n'est ni chaste,
ni fidèle, ni amoureuse. Cette ode (56) a souvent surpris par sa composition
complexe. Lorsqu'Horace invite Tyndaris, cette maîtresse réelle ou
imaginaire à chanter «les tourments pour le même homme de Pénélope et de la
cristalline Circé» (57), le cheminement de l'imagination du poète est peu
clair. Tandis que la première partie est un hymne à Pan, évoquant la théopha-
nie du dieu dans la Sabine d'Horace, la deuxième est une invitation à
Tyndaris à venir assister à un banquet à l'abri de la canicule, dans ces lieux
où coulent l'abondance et la paix. C'est là qu'elle chantera Pénélope, à
l'exemple de Pan qui fait, de sa Syrinx, retentir les coteaux avoisinants (58).
On a vu (59) l'unité de l'ode dans cette protection divine dont jouit le poète
et dont il veut faire profiter tous les siens, en particulier la jeune femme qui
trouvera auprès de lui refuge contre la brutalité de Cyrus. Horace reçoit ce
bienfait des dieux parce qu'il est poète (60), et Tyndaris devra, à son tour,
entreprendre des œuvres poétiques. Tyndaris, harcelée par deux amants,
132 M.-MMACTOUX

ressemble à Ulysse poursuivi par deux amoureuses, la femme et Pâmante.


Mais si le choix du thème a pu s'imposer à Horace comme expression d'une
situation identique, on ne peut qu'être frappé de l'introduction de Pénélope
dans un univers où tout n'est qu'harmonie et sérénité. Horace l'a dit ailleurs.
L'amour suffit à faire fuir le loup (6 1 ) et à attirer sur celui qui aime et dit son
amour, la paix des dieux. Pénélope est à nouveau liée, d'une manière moins
apparente mais non moins réelle, à un monde idéal où l'homme qui aime
«irréprochable en sa vie et pur de crime n'a pas besoin . . . des javelots maures
ni de l'arc, ni du carquois lourd de flèches empoisonnées» (62). Dans cette
ode à Tyndaris, ce monde impossible dont Horace a la nostalgie a été recréé
par l'alchimie d'un art qui a su retrouver dans l'inconscient de la création des
thèmes intemporels (63). L'inspiration d'Horace est ici très proche de celle de
Properce.
Nul parmi les poètes latins n'a plus cité Pénélope qu'Ovide. Elle
intervient dans sa senbilité à deux niveaux ; elle est, pour le poète de l'amour, le
type sublime de la grande amoureuse et, pour le poète de l'exil, le type
sublime de la fidélité. Très tôt, elle hantera sa poésie. Les Héroïdes, dont la
première partie a dû être écrite par le poète encore adolescent (64), s'ouvre
sur une lettre de Pénélope à Ulysse absent, et lorsque, dans les Amours,
auxquels il travaillait parallèlement, il s'explique sur le sens de sa mission
poétique, il cite à nouveau Pénélope comme sujet digne de ses vers. Tout
éloigne Ovide de l'épopée guerrière : «Mon effort vers les grands sujets est
brisé par le tendre amour» (65), et écrire la lettre de Pénélope qui sera remise
à Ulysse lui paraît un thème poétique propre à justifier cette ambition (66).
Cette ambition, d'ailleurs, pour personnelle qu'elle soit, trouve un écho facile
comme en témoigne le succès des Héroïdes. Lorsqu'après plusieurs années
d'exil Ovide n'a plus que les lettres pour le relier à sa lointaine patrie, il
rappelle le temps où il vivait célèbre. Il était alors entouré d'auteurs qui
avaient su acquérir la renommée en reprenant des thèmes identiques, en
particulier Sabinus qui, en réponse aux Héroïdes, rédigea des lettres adressées
à Pénélope par Ulysse (67).
Pénélope est pour Ovide une femme tout désir «Pénélope éprouvait au
moyen d'un arc la vigueur de ses prétendants ; c'est pour déceler la force de
leurs reins qu'elle avait cet arc de corne» (68) et ce désir lui arrache dans les
Héroïdes ce cri de femme amoureuse : «Vainqueur tu es absent et il ne m'est
pas permis, cruel, d'apprendre ce qui cause ton retard et dans quelle contrée
tu te caches» (69). En l'absence d'Ulysse son désir devient tourment (70).
Lorsque dans le livre II des Tristes il essaie de se justifier d'avoir écrit YArt
d'Aimer, YOdysséc lui apparaît comme une histoire d'amour, celle d'une
fcmrnc que de nombreux hommes épris désirent en l'absence du mari (71), ce
qui n'empêche pas Pénélope de lui rester fidèle (72) ; mais ce n'est
manifestement pas cette fidélité qui touche alors Ovide. Elle n'intervient que comme
exemple obligé dans un texte qui sent encore la rhétorique et ces leçons de
maîtres célèbres qu'Ovide a suivies dans sa jeunesse (73).
Ce n'est pas dans les Métamorphoses qu'il faut chercher le vrai visage de
Pénélope pour Ovide mais dans sa poésie d'exil, les Tristes ou les Pontiques.
Dans les Métamorphoses (74) elle est la tendre épouse d'Ulysse, celle dont
Hécube deviendra l'esclave (75), celle encore qui était assaillie par les
prétendants (76). Mais il n'y a là rien d'autre que des réminiscences homériques, et
lui qui a souvent accommodé les fables anciennes ne modifie en rien celle de
Pénélope .11 connaît pourtant la légende cyclique d'Ulysse et fait allusion
LA LÉGENDE 133

ailleurs à son meurtre par Télégonos (77) mais sans jamais en tirer parti.
A partir du moment où, relégué loin de Rome, il est séparé de tous les
siens, sa poésie d'exilé prend une autre signification. Son histoire personnelle
lui permet de revivre le drame odysséen ; les errances d'Ulysse deviennent le
symbole de son propre destin et Pénélope s'identifie avec sa propre femme,
elle-même symbole de la fidélité des quelques amis qui ne l'oublient pas. En
quittant Rome pour la Scythie il célèbre ces cœurs qui lui étaient unis par la
fidélité de Thésée (78). Il laissait alors à Rome une femme qu'il venait
d'épouser et les six lettres qu'il lui adresse dans les Tristes (79) sur les
cinquante que comporte le recueil traduisent, non l'attachement passionné de
l'amant, mais l'attachement de l'exilé à celle qui, avec de trop rares amis,
s'efforce de préserver ses biens et de le défendre contre tous ceux qui ont
pris le parti d'Auguste contre lui. Il loue en elle son dévouement et son
courage qui ont su empêcher qu'on se partage ses dépouilles ; c'est en cela qu'elle
ressemble à Pénélope (80). Ce sont encore ces mêmes vertus, la pudeur,
l'honneur, la fidélité qui sont au centre de cette lettre d'anniversaire (81), vertus
qui assurent l'éternité quand il est un poète pour la chanter : «Vois-tu comme
la fidélité de Pénélope louée au long des temps garde son nom impérissable»
(82). Par l'intermédiaire de sa femme, Pénélope s'identifie ainsi dans l'esprit
d'Ovide à la fides qui prend tout son prix pour un exilé obligé de vivre au
milieu d'un peuple dont il ne connaît pas la langue, et dans une société à
demi-barbare. Au fur et à mesure que les années passent sur cette terre qui ne
voit jamais le printemps couronné de fleurs, il n'y a plus que sa femme qui
puisse le sauver en intercédant pour lui auprès de l'épouse de César. C'est ce
qu'exige l'amour conjugal, un amour fondé sur lefoedus, la fidélité des deux
parties qui se sont librement engagées (83). A nouveau revient l'exemple de
Pénélope qui a su, comme Admète et Laodamie, mais d'une autre façon,
remplir son contrat. S'il avait fallu tromper les prétendants trop empressés, elle
aurait imaginé un artifice comme Pénélope (84) mais, pour tenir son
engagement, il suffirait que sa voix implore pour qu'on permette à son mari d'aller
dans une contrée moins cruelle.
Ainsi Ovide, placé dans des conditions dramatiques, a spontanément
retrouvé pour parler de Pénélope les mêmes accents qu'un Properce ou qu'un
Horace. Si, pour dépeindre sa propre histoire, il a choisi ce symbole, c'est
bien parce que Pénélope occupait dans la sensibilité romaine de l'époque
d'Auguste une place exceptionnelle. Près d'un siècle plus tard, Stace qui, de
plus en plus, vit en exilé son séjour romain, exhortera, de la même façon, sa
femme Claudia à le suivre jusqu'à Naples-Parthénopè, sa patrie grecque et ses
«baies désirables» (85). Plus activement fidèle que Pénélope (86) Claudia ne
peut se montrer inférieure à elle. Si Ulysse l'avait permis, Pénélope «eût pris
le chemin des demeures troyennes» (87). La fidélité conjugale et l'amour de
la patrie sont ressenties par Stace comme les vraies valeurs qu'il redécouvre
dans un monde où la participation aux fêtes prodiguées par Jupiter-Domitien
pour quérir l'adulation du riche et du pauvre (88) risque d'avilir (89). Ce n'est
pas simple imitation d'Ovide (90). Dans une situation analogue la sensibilité
de Stace ressuscite une comparaison renouvelée par la profondeur du
sentiment. De la signification symbolique de cette comparaison nous voyons une
dernière preuve dans une œuvre, le Culex, dont le ton n'est plus celui de
l'élégie, mais qui exploite à fond ce symbolisme en procédant à une héroïsation
de la femme d'Ulysse.
Le Culex, parfois rattaché à Virgile mais qui est en fait une œuvre
134 M.-M MACTOUX

apocryphe, a dû écrit après la mort du poète mais à un moment où il


continuait à être vénéré et auréolé de gloire (91). Un moucheron, culex, raconte à
un chevrier endormi qui vient de le tuer son voyage dans l'au-delà. Quand
l'âme du culex se présente aux frontières de l'Elysée, elle est accueillie par
Perséphonc entourée d'un cortège de trois héroïnes, Alceste, Pénélope et
Eurydice (92). L'auteur les présente comme des femmes divinisées après
leur mort (93), qui doivent cette distinction à leur amour conjugal. Euripide
avait déjà fait d'Alceste, qui accepte de mourir à la place de son mari, le
modèle de tendresse conjugale qu'elle restera à l'époque hellénistique. Properce,
lui aussi, associe Alceste et Pénélope dans une élégie (94), mais ici le
rapprochement va bien au-delà. Comme pour le thème Orphée-Eurydice qui ne se
rencontre pas dans la sculpture avant la seconde moitié du Ve siècle (95),
l'imagination s'en empare à son tour.
A l'alexandrinisme et à l'orphisme (96) le Culex emprunte les modèles
d'Alceste, d'Eurydice et de Perséphone même, la reine des Enfers des
tablettes orphiques, et celle qui, dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes,
permet à quelques privilégiéscomme Sthénolos de sortir du tombeau pour
revoir un instant ses compagnons (97). Mais ce n'est pas dans la poésie alexan-
drine que l'auteur a puisé le modèle de Pénélope. Peut-être dans VOdyssce
(98) puisqu'il est bien évident que le Culex, qui propose une Nekyia, doit
beaucoup à Homère, mais une Odyssée remodelée par les élégiaques de son
temps. Si Pénélope peut, avec Alceste et Eurydice, manifester à h psyché du
moucheron l'ordre de Perséphone de ne pas pénétrer aux Champs Elysées
parce qu'il ne remplit pas les conditions requises, si clic peut brandir les
torches des divinités chthoniennes protectrices des morts, c'est parce que les
Romains étaient déjà prêts à accueillir cette vision. On a bien montré que
l'auteur du Culex ne faisait pas preuve dans sa mythologie et ses idées morales
d'une grande originalité (99). Si Pénélope a pu accéder à la demeure des justes
(sede prionmi) ( 100), insigne honneur qu'elle partage avec deux femmes et un
certain nombre de héros grecs et romains, ne le doit-elle pas à ce titre de pia
que Properce aussi lui décernait ?
Cette héroïsation qui ne repose sur aucune tradition religieuse a été
préparée par l'héroïsation poétique en même temps qu'elle en est
l'accomplissement. L'esprit du Culex caractérise bien davantage l'époque que celui des
Allégories homériques du Pseudo-Heraclite. Dans les Allégories, Pénélope est
citée comme une des preuves de la noble vertu des héros d'Homère (101).
Cette vue abstraite d'un rhéteur pillant la littérature allégorique qui, depuis le
Vie siècle, cherche à assurer le triomphe d'Homère (102), est intemporelle.
La place occupée par Pénélope dans le Culex traduit, au contraire,
l'enracinement de la légende dans la conscience du temps.
Encore, par cet esprit, l'œuvre de Sénèque reste marquée. C'est dans les
moments les plus tragiques des Troyennes qu'Andromaque évoque la vertu de
Pénélope. Les Grecs retenus en Troade par des vents contraires après la chute
de la ville, apprennent de Calchas qu'il faut non seulement immoler Polyxène
à l'âme d'Achille, mais précipiter du sommet d'une tour le fils d'Hector.
Andromaque, qui a caché Astyanax dans le tombeau de son père, essaie de
faire croire au subtil Ulysse qu'il est mort. Ulysse perce le stratagème en
menaçant de détruire le tombeau d'Hector et de disperser ses cendres dans l'eau.
C'est alors qu'Andromaque se découvre (103). Son premier mouvement est de
s'humilier et de demander à Ulysse la pitié. Puis elle esquisse un raisonnement
en disant à Ulysse que «c'est au malheureux que l'on donne tout ce qu'on
LA LÉGENDE 135

donne à sa propre fortune» (104), c'est-à-dire que tout bienfait rejaillissant


sur le bienfaiteur, s'il épargne Astyanax, il connaîtra le bonheur du retour.
«Ainsi puisses-tu revoir la couche de ta chaste épouse, puisse Laërte prolonger
ses années jusqu'à ton retour ; puisse ton jeune fils d'accueillir et dépassant
vos vœux par son heureuse nature, surpasser son aïeul en âge et son père en
sagesse» (105). Le vœu qu'elle formule pour Ulysse, ce n'est pas que son
épouse soit restée vertueuse, mais qu'il retrouve la couche de sa chaste
épouse. Ce vœu n'est pas simple lieu commun dans la bouche de la veuve d'Hector,
elle qui a tout perdu et qui, précisément dans le théâtre de Sénèque, fait
preuve avec Mégare, la femme d'Hercule, d'une héroïque fidélité conjugale
(106).
Le tableau d'un bonheur familial avec ses trois composantes, amour
conjugal, filial et paternel, n'est pas unique dans l'œuvre de Sénèque ; le sage,
même solitaire et pauvre, se caractérise par l'attachement à sa famille. Dans
une lettre à Lucilius il range parmi les enseignements qui relèvent de la sagesse
l'amour de sa patrie, de sa femme, de son père (107). Sénèque lui-même, dans
les années les plus dramatiques de son existence, lorsqu'exilé en Corse il
adresse une consolation à sa mère, parle des vivants, de ceux qui peuvent le
consoler, ses frères, sa tante, ses neveux, et affirme sa volonté de rester
solidaire de sa famille. La chasteté est la clef de voûte de cet édifice. Il le redit
longuement à Helvia qu'il loue de ne s'être jamais rangée parmi les
innombrables victimes de l'impudicité (108). S'il y a chez Sénèque une certaine
complicité à l'égard de l'adultère (109) - le sage par excellence, Hercule, est un héros
volage - l'adultère féminin est plus énergiquement proscrit, et la chasteté
devient une vertu digne de la méditation du philosophe. Il l'écrira à Lucilius :
«enseigne moi ce que c'est la chasteté et tout le prix de cette vertu, si elle
tient au corps ou à l'âme (110). L'héroïne par excellence dans ce domaine est
bien, pour lui, Pénélope, puisqu'il rappelle juste auparavant, pour les flétrir,
les exercices de rhétorique vains et stériles qui consistent précisément à se
demander si Pénélope n'aurait pas été impudique et si elle n'aurait pas
mystifié son siècle (111). La chasteté féminine, si elle n'est pas toute la sagesse, est
bien une composante de la sagesse. Il attache d'autant plus d'importance à
son existence qu'il souligne l'inconstance comme un trait propre à la femme
(112). Dans un de ses ouvrages philosophiques il console un interlocuteur
imaginaire de la mort de sa femme en lui disant que rien ne lui permet d'être
sûr que sa femme qu'il a connue chaste et fidèle, le serait resté (1 13).
L'adhésion à la chasteté dépasse le niveau de la morale personnelle. Dans les
Troyennes Pénélope est appelée sancta (114). Sancta est sans aucun doute
l'équivalent de casta (115). Deux épisodes, rapportés en particulier par
Cicéron (116) et Valère-Maxime (117), montrent bien que la chasteté
apparaissait depuis longtemps aux Romains comme une valeur sociale
fondamentale. Quand, un peu avant 204 avant J.C., le Sénat voulut ériger une statue à
Vénus Verticordia il confia la réalisation de la dédicace à Sulpicia, fille de
Servius Paterculus et femme de Q. Fulvius Flaccus parce qu'elle était
sanctissima ; et lorsqu'en 204, dans les dernières années de la guerre contre
Hannibal, sur les conseils des Livres Sibyllins, le Sénat décida de ramener de
Pessinonte à Rome la pierre noire figurant Cybèle, il choisit pour
l'ac ueil ir Q. Claudia parce qu'elle était castissima. Dans ces entreprises pour lutter
contre la démoralisation de la société romaine ces femmes avaient été
désignées parce qu'elles possédaient au plus haut degré la vertu que la divinité
devait faire naître dans les cœurs. En mettant en évidence la chasteté de l'hé-
136 M.-M MACTOUX

roïne, Sénèque ne se contente pas d'admirer une vertu ; il attribue à la


conduite de Pénélope une signification sociale.
Les Romains ont réalisé ce que les Grecs n'avaient pas fait. Depuis
Catulle jusqu'à la fin du 1er siècle après J.C., Pénélope a rempli une fonction à
la fois sociale et religieuse dont la littérature unanime s'est fait l'écho (118).
Le temps est loin où Lycophron, cherchant à donner à Rome une origine tro-
yenne, avilissait le couple odysséen. Le fabuliste Hygin dans la deuxième
moitié du siècle (119) rattache au contraire les héros éponymes, Latinus et Italus,
à Télémaque et à Pénélope. Après la mort d'Ulysse tué par Télégonos, ce
dernier emmène, sur l'ordre de Minerve, Télémaque et Pénélope dans l'île de
Circé. Sur le conseil de la déesse Télémaque épouse Circé et ils ont Latinus.
Pénélope épouse Télégonos et, d'eux, naît Italus, qui donna son nom à l'Italie
(120). Le mariage de Pénélope et de Télégonos remonte au moins à Eugam-
mon de Cyrène. Mais le résumé de la Télégonie ne donne au couple aucun des-
sendant. D'où Hygin tire-t-elle cette légende ? Au moins, sur un point, il
abandonne la plus ancienne tradition qui fait de Latinus le fils de Circé et d'Ulysse
et non de Circé et de Télémaque. En tout cas, qu'il modifie ou rappelle une
légende connue, faire descendre Italus de Pénélope atteste la part qu'elle a
prise dans la sensibilité de l'époque (121).
Ainsi à partir de Cicéron et jusqu'à Sénèque, Pénélope apparaît liée à
ce que les Romains estimaient être le fondement du droit et de la morale, la
fides, le respect du lien de l'homme avec l'homme. Les Romains en faisaient
remonter le culte au début de leur histoire, au roi Numa qui fut le premier,
disait-on, à élever un temple à Fides (122). Au temps de la République la
fides était devenue un élément essentiel de la vie publique et privée (123).
Mais, très tôt aussi, cette fides s'était transformée en un bon génie
symbolisant l'âge d'or ou le bon vieux temps (124). Sous Auguste et ses successeurs la
fides qui, avec la corruption des mœurs, est devenue de plus en plus rare
(125), continuera à apparaître plus que jamais comme une divinité disparue
que tous appellent de leurs vœux. Pendant toute cette époque l'identification
de Pénélope avec cette fides qui s'est enfuie est totale. Les Romains
ressentent ce départ à la manière d'Hésiode qui, dans le mythe des races, évoquait le
départ, à l'âge de fer, d'Aidôs et de Némésis, «quittant pour l'Olympe la terre
aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs» (126).
Lorsque Pausanias parle d'une statue élevée par Icare à Aidas (127) pour
commémorer le départ de Pénélope quittant Sparte pour suivre Ulysse, ne
pense-t-il pas à cette signification que les Romains, dès la fin de la
République, avaient donné à la légende ? (128)
LA LÉGENDE 137

Notes du CHAPITRE IX
(1) Académiques, II, 29, 95.
(2) Yok supra, p. S9.
(3) De legibus, II, I, 3.
(4) J. Caicopino, De Pythagore aux apôtres, Paris, 1956, p. 210, citant ce passage, dit
pourtant que Cicéron «n'avait pu s'empêcher de souligner ce qu'avait
d'extraordinaire un pareil sacrifice à l'attachement conjugal».
(5) De natura deorum, ΠΙ, 22.
(6) Les récits des mythographes du 1er siècle avant J.C., Parthénios de Nicée ou
Didyme, n'ont eu aucune influence sur les grandes œuvres de l'époque. Parthénios,
dans les Souffrances d'amour (Mythographi graeci, Π, 1, supp. Parthenius, éd. E.
Martini, Leipzig, 1902) a le goût des légendes rares. Son ouvrages dédié à
Cornélius Gallus qui ouvrit la voie à l'élégie romaine, visait peut-être à lui fournir une
femme trom-
bienveillance
par le roi d'Epire Tyrimnas, trahit cette hospitalité en abusant de sa fille Evippé
dont il eut Euryale. A la trahison d'Ulysse répond la vengeance de Pénélope qui
permit le meurtre du fils par le père. Parthénios ne laisse aucun doute à ce sujet ;
c'est bien elle qui, ayant reconnu Euryale dont on lui avait parlé, persuade Ulysse
de le tuer en l'accusant bassement d'avoir voulu lui faire du mal (ΙΠ, 2). Quant à
Didyme, (d'après schol ad Od., 1, 797) qui vivait, selon la Souda, à l'époque de
Cicéron, il est le premier à raconter que Pénélope, qui s'appelait Ameiraké ou
Arnakia avait été jetée à la mer par Nauplios qui cherchait à se venger de la mort
de son fils Palamëde. Sauvée par des oiseaux aquatiques, des pénélopes, sorte de
canards sauvages, elle reçut d'eux son nom. Cette histoire, qui semble inventée
pour expliquer le nom de la reine, n'a pas trouvé d'écho dans la littérature (pour
la signification de l'histoire de Didyme, voir infra, p.234 ).
(7) Lettre IX et ΧΧΠΙ, R. Hercher, EG.
(8) Diogène Laërce, VI, 98.
(9) F. Sayre, Diogene of Sinope.A study of Greek cynicism, Baltimore, 1938, p. 60.
(10) A. Lesky,yl history of Greek literature, p. 857. R.Merkelbach, Roman und Myste-
rium in der Antike, Berlin, 1962, p. 339, n. 4, pense cependant qu'il a dû écrire
vers la fin du 2eme siècle après J.C.
(11) Cf. Odyssée, ΧΧΠΙ, 295 ; trad. P. Grimai, Romans grecs et latins, Paris, 1958,
p. 495.
(12) P. Boyancé, Discussion à J.Bayet, Catulle, la Grèce et Rome, va L'influence
grecque sur la poésie latine de Catulle à Ovide, Entretiens sur l'Antiquité classique, II,
Vandœuvres-Genève, 1956, p. 53.
(13) 68.
(14) 38.
(15) 64.
(16) 68 b, 73 ; trad. GXafaye, Catulle, Poésies, Paris, 1922.
(17) 61, 226-230 ; trad. ibid. Chez Horace, par exemple, Télémaque est donné comme
«descendant du patient Ulysse» (Epitres, 1, 7, 40).
(18) 61,221.
(19) J. Granaloro, L'œuvre de Catulle, Paris, 1961, p. 199.
(20) J. Granaloro, op. cit., p. 58-59.
(21) Id^Ibid, p. 70-75.
(22) E. Galletier, Etude sur la poésie funéraire romaine, Paris, 1921, p. 132 cite, entre
autres, ce passage de Catulle et un passage de Lucrèce, De natura rerum, V,
222 sq.
(23) Id.Jbid., p. 117-118.
(24) La plus ancienne épitaphe connue, consacrée à une femme est celle de Claudia
datent de l'époque des Gracques (52, F.Bucheler, Carmina latina epigraphica, I,
Leipzig, 1895).
(25) Odes, W, 5.
(26) Leges Juliae de adulteriis et de pudicitia de 18 avant J.C.
(27) IV, 22 à 25 ; trad. F. Villeneuve, in Horace, Odes et Epodes, Paris, 1964.
(28) G. Lafaye, Catulle et ses modèles, Paris, 1894, p. 63 sq.
(29) Sept fois, et celle de Pénélope, cinq fois.
(30) P. Boyancé, Properce, in L'influence grecque sur la poésie latine de Catulle à
138 M.-M MACTOUX

Ovide, Entretiens sur l'Antiquité classique, II, Vandœuvres. Genève, 1956, p.


175 sq.
(31) I, 19, 13, trad. D.Paganelli, Elégies, Paris, 1961.
(32) J.P. Boucher, Etudes sur Properce, Paris, 1965, p. 240 sq.
(33) II, 1,50 ; II, 3,32 ; II, 34,88.
(34) J.P. Boucher, op. cit., chap. IV.
(35) IU, 12, 37 ; trad. D.Paganelli.
(36) Le souvenir de VOdyssée avec le meurtre des prétendants et la réunion finale des
deux époux après l'ultime ruse de Pénélope est sensible dans une autre des élégies,
(IV, 8) comme le montre S. Evans, «Odyssean echoes in Propertius IV, 8»,
G & R, XVIII, 1, 1971, p. 51-53.
(37) Π, 6, 23 ; trad. D. PaganellL
(38) III, 13,22 ; trad. ibid.
(39) ΠΙ, 13,24 ; trad. ibid.
(40) Π, 9, 3.
(41) Π, 9, 19.
(42) IV, 5, 7 ;trad. ibid.
(43) ΠΙ, 13, 10 ;trad. ibid.
(44) ΙΠ, 12,5-6 ; trad. ibid.
(45) ΠΙ, 12, 38 ; trad. ibid.
(46) ΠΙ, 5.
(47) 1, 2.
(48) I, 2, 17 ; trad. F. Villeneuve, Paris, 1964.
(49) I, 2, 27-28.
(50) 1, 1, 11.
(51) 11,5 ; trad. ibid.
(52) 78 ;txad. ibid.
(53) 83 ;trad. ibid.
(54) Elégies, ÏW, 5,1 -S.
(55) Odes, Ul, 10, 11-12 ;trad. ibid.
(56) 1, 17.
(57) 19-20.
(58) 10-12.
(59) E. Fraenkel, Horace, Oxford, 1954, p. 207.
(60) 14.
(61) Odes, Ι, ΧΧΠ.
(62) I, XXII, 1-3 ; trad. ibid.
(63) S. Commager, The odes of Horace A criticai study, New-Haven-Londres, 1963,
p. 352.
(64) M. Prévost, Héroides, Paris, 1961, Introduction, p. VII.
(65) Amours, II, 18, 4 ;trad. H. Bornecque, Paris, 1961.
(66) Amours, Π, 18, 21-22.
(67) Portiques, IV, 16, 13-14.
(68) Amours, I, 46-47 ;trad. ibid.
(69) I, 57-58 ; trad. M. Prévost, op. cit.
(70) Art d'aimer, II, 355.
(71) Π, 375-376.
(72) Art d'Aimer, ΠΙ, 15-16.
(73) Tristes, IV, 10-16.
(74) ΧΙΠ, 301.
(75) ΧΠΙ, 511-514.
(76) XIV, 671.
(77) Tristes, 1, 1, 115.
(78) Tristes, I, 3, 66.
(79) 1,6 ;UI, 3 ;IV, 3 ;V, 2 ;V, 11 ;V, 14.
(80) I, 6, 21-22.
(81) V, 5, 4345.
(82) V, 14, 35-36 ; trad. J. André, Paris, 1968.
(83) Portiques, III, 73-74.
(84) Portiques, ΠΙ, 1, 107-108.
(85) Sylves, III, V, 42-43 ; trad. H.J. Isaac, Stace, Sylves, I, Paris, 1944.
(86) Ibid., 6 - 10.
(87) Ibid, 46-47.
LA LÉGENDE 139

(88) Sylves, I, 6, 49-50.


(89) Sylves, ΠΙ, V, 1-18.
(90) Si, dans les Sylves, Virgile et Horace furent surtout les modèles de Stace (cf. J.
Danglard, De Stace et surtout de ses Sylves, Clermont-Ferrand, 1864, p. 1 10-1 1 6),
dans la Thébaïde, Ovide a été assez souvent mis à contribution (cf. L.Legras, Les
légendes thébaines à Grèce et à Rome. Etude sur la Thébaïde de Stace, Paris,
1905, p. 306-307). Dans cette pièce des Sylves l'imitation d'Ovide est fort
probable.
(91) Ch. Plésent, Le Culex. Etude sur l'alexandrinisme latin, Paris, 1910, p. 34-35.
(92) 265-266.
(93) Comités heroidas, v. 261.
(94) Π, VI, 23.
(95) Pas avant, semble-t-il, l'époque de ÏAlceste d'Euripide, jouée en 438. Cf. Ch.
Picard, La sculpture grecque. Période classique, II, p. 827.
(96) Ch. Plésent, op. cit., p. 169 sq.
(97) Argonautiques, II, 916 sq.
(98) Ch. Plésent, op. cit., p. 174, pense que la présence des prétendants percés de
flèches, signalée par le poète au vers 267, se tenant à distance de Pénélope, mais
séjournant curieusement aux Champs Elysées, souligne la physionomie purement
homérique de la légende.
(99) Ch. Plésent, op. cit., p. 258-259.
(100) 295 ; il faut comprendre : «dans le séjour des justes», c'est-à-dire dans l'Elysée,
mais du côté opposé à celui où se trouvent les héros, (cf. Ch. Plésent, Le Culex,
édition critique et explicative, Paris, 1910, p. 213.)
(101) 78, 3.
(102) F. Buffière, op. cit., p. 69-70.
(103) 686 sq.
(104) 697 ; trad. L. Herrmann, Sénèque, Tragédies, I, Paris, 1968.
(105) 698-702 ; trad. ibid.
(106) Les Troyennes, 642-662.
(107) Lettres à Lucilius, 88, 7.
(108) Consolation à Helvia, 16, 3.
(109) L. Herrmann, Lethéâtre de Sénèque, Paris, 1924, p. 504-505.
(110) Lettre à Lucilius, 88, 8 ; trad. H. Noblot, Sénèque, Lettres à Lucilius, III, Paris,
1965.
(111) 88,8.
(112) Ch. Favez, «Les opinions de sénèque sur la femme, REL,» 1938, p. 337.
(113) De remediis fortuitorum, 16, 3, 5, in L. Annaei Senecae opéra, III, éd. F. Haase,
Leipzig, 1871.
(114) 698.
(115) Cf. H. Fugier, Recherches sur l'expression du sacré dans la langue latine, Paris,
1963, p. 253-259.
(116) Sur la réponse des haruspices, XIII, 27.
(117) Valère-Maxime, VIII, XV, 12. Ce passage établit une équivalence entre sancta et
casta.
(118) Les œuvres mineures n'échappent pas à cette tendance. Un papyrus littéraire du
temps d'Auguste renfermant^ les restes d'un poème épique livre des bribes d'une
comparaison entre Paris, Hélène et Pénélope. (8, W. Schubart, Griechische litera-
rische Papyri, Berlin, 1950). Il est question non seulement du travail de Pénélope
(v. 5), mais aussi de son attitude à l'égard des prétendants. Bien que le texte ne
soit pas clair, il semble qu'on puisse comprendre que Pénélope sut repousser la
centaine des prétendants qui l'assaillaient.W.Schubart, op. cit., p. 24, préfère cette
interprétation à celle qui consisterait à comprendre qu'elle ne réussit pas à les
tromper. De même Antiphilos de Byzance, qui vécut sous le règne d'Auguste et
de Tibère, dans une épigramme, au reste, médiocre, fait l'éloge de VOdyssée qui
raconte «les tribulations d'Ulysse et devant sa couche solitaire les larmes de la
vertueuse Pénélope» (Anthologie palatine, IX, 192 ; trad. G. Soury, Anth.
grecque, VII, Paris, 1957).
(119) H.J. Rosé, Hygini fabuke, Leiden, 1963, Introduction, p. VII-VIII.
(120) Fab. 127, 3.
(121) Au reste, en ce qui concerne Pénélope, les fables d'Hygin reprennent, tour à tour,
tous les aspects de la légende. Les fables 125 et 126 s'en tiennent à VOdyssée.
Dans la fable 125, Ulysse, après une absence de vingt ans, retrouve sa femme
140 M. -M MACTOUX

assaillie par les prétendants qui la demandent en mariage et pénètre dans son
palais en se faisant passer pour un hôte (v. 19). La fable 126 conte le retour
d'Ulysse et le massacre des prétendants. La fable 127, on l'a vu, s'inspire de la
Télégonie. La fable 224 intitulée Les immortels nés de mortels cite le cas de Pan,
fils de Mercure et de Pénélope (v. 5), tandis que la fable 256, évoquant les femmes
qui furent très chastes, commence par Pénélope, fille d'Icare et femme d'Ulysse.
Ces dernières fables se réduisent à une sèche énumération où héros et héroïnes ne
sont caractérisés que par le nom de leurs parents ou de leur mari Dans la fable
256, à la suite de Pénélope, Hygin nomme les Grecques qui reviennent le plus
fréquemment à ce sujet (cf. Properce, II, 6, 23; ΙΠ, 13, 24) : Evadné, Laodamie
Alceste, Hécube. Seul l'exemple de Théonoé est curieux. Peu connue, elle est le
sujet d'une autre fable d'Hygin (190) dans laquelle il célèbre, non son amour
conjugal, mais son amour filial.
(122) Plutarque, Vie de Numa, 16, I. En fait le temple fut élevé en 258 par le consul A.
Atilius Calatinus.
(123) J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957,
p. 142.
(124) Cicéron (De officiis, ΠΙ, 29, 104) cite un vers d'Ennius évoquant la bonne foi
bienfaisante, munie d'ailes.
(125) Horace, Odes, I, 35, 21 parle de la rarafides.
(126) Les travaux et les jours, 197-198 ; trad. P. Mazon, Paris, 1964.
(127) Description de la Grèce, III, 20, 11.
(128) Pour la nature à'Aidôs, voir infra, p. 21 1-212.
CHAPITRE X

PÉNÉLOPE DANS L'ART ROMAIN, DE L'ÉPOQUE D'AUGUSTE

A LA FIN DU 1er SIECLE


De l'époque d'Auguste à la fin du 1er siècle après J.C., Pénélope
réapparaît soudain dans l'iconographie. Au premier abord, les témoignages
indubitables peuvent sembler maigres : quelques plaques à reliefs en terre
cuite, trois fresques de Pompéi, une table odysséenne, dont la seule partie
susceptible de nous intéresser manque. Mais ces œuvres ne sont que les restes
d'une production beaucoup plus considérable. Les plaques dont on a une
douzaine d'exemplaires, mais qui, fabriquées à partir de moules, se comptaient
par centaines, les fresques de Pompéi qui ont dû leur survivance à un accident
la table odysséenne qui ne pouvait être unique (1), manifestent un goût
certain pour décorer les demeures à l'aide des scènes illustrant le retour à
Ithaque et la réunion d'Ulysse et de Pénélope.
Sans doute bien des traits de la civilisation romaine de la fin de la
République ont pu contribuer à cette réapparation. L'art est marqué par un néo-
atticisme qui exerce sur les esprits un charme considérable (2). Les Romains
du 1er siècle avant J.C. empruntaient à Athènes l'admiration pour l'époque
classique et l'on sait la place tenue par Pénélope dans l'art du Ve siècle.
D'autre part, les femmes, depuis le Hème siècle, commencent à jouer un rôle de
plus en plus grand dans la Rome républicaine, et Pénélope a pu profiter de
l'importance que certaines avaient réussi à acquérir (3).
Mais nous ne pouvons manquer de rapprocher cet attrait du rôle qu'elle
assume dans la littérature contemporaine. Les limites chronologiques de cette
résurrection dans l'art, brève mais puissante, coïncident avec la période où les
poètes élégiaques ont retrouvé dans Pénélope le sens de la romanité. Nous en
verrons une preuve dans le fait que les artistes romains, loin d'imiter,
apportent dans l'interprétation de la légende une note originale qui n'appartient
qu'à ce temps.

PLAQUES EN TERRE CUITE


On connaît, de l'époque d'Auguste, douze plaques à reliefs en terre
cuite (4) dans un état fragmentaire mais qui sont apparemment toutes sorties
du même moule. Chaque plaque se compose de deux parties.
A droite, Ulysse, assis sur un tabouret rustique, est en train de se faire
laver les pieds par Euryclée. Sous le tabouret est couché le chien Argos. La
scène est traitée d'une manière très dramatique ; la servante vient de
reconnaître le maître ; dans un geste d'affolement joyeux elle a renversé le bassin
et s'apprête à se redresser en criant. En même temps qu'il lui met la main sur
la bouche, Ulysse se retourne, à la fois surpris et inquiet, vers un personnage
vêtu d'une peau de chèvre qui lui tend une coupe, et dans lequel on s'accorde
à voir Eumée.
A gauche, se juxtapose une autre scène dont le centre est occupé par
Pénélope. Assise sur un tabouret sous lequel est rangé le kalathos, elle appuie
mélancoliquement sa tête sur la main droite et tourne le dos à Ulysse et à
Euryclée. A l'extrême gauche, deux servantes bavardent tandis qu'une autre
se dirige vers Pénélope comme si elle venait d'être témoin de la scène
précédente.

1 - Plaque. Rome, Musée National (Musée des Thermes), 62750-62751 ;


(autrefois Musée Kircher). PI. X.
- W. Helbig, Fuhrer, 4 éd., 2164 d.
144 M. -M MACTOUX

- J. Overbeck, Bildwerke, p. 805.


- H Rohden, Architektonische rômische Tonreliefs der Kaiserzeit, IV,
p. 110 et pi. XXVIII.
- S. Reinach, Répertoire des reliefs grecs et romains, III, p. 268, 1 et 2.
- D. Ohly, «Dia Gunaikôn», p. 442-443, et fig. 24.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 465.

2 - Plaque de la bibliotèque Barberini.


-F.Thiersch,^, pi. 2.
- J. Overbeck, Bildwerke, p. 805.
- H. Rohden, op. cit., IV, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 466.

3 - Plaque autrefois dans la collection du Marquis de Rockinghem, venant de


la collection du Dr. Mead.
- J. Overbeck, Bildwerke, p. 805.
- H. Rohden, op. cit., II, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 467.

4 -Plaque venant de la collection Campana. Paris, Louvres, 237-238.


- G. P. Campana, Antiche opère in plastica, 2e partie, Rome, 1851,
pi. 71-72.
- A. Bausmeister, Denkmdler des klassischen Altertums, II, Munich -
Leipzig, 1887, p. 1043 et fig. 1257.
- H. Rohden, op. cit., II, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 469.

5 - Plaque venant de la collection Townley. Londres, British Muséum, D 609.


- J . Overbeck, Bildwerke, p. 805 .
- H. Rohden, op. cit., IV, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 470.
On voit seulement Pénélope.

6 -Plaque. Hanovre, Kestner Muséum.


- H. Rohden, op. cit., IV, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 471.
On voit seulement Pénélope.

7 -Plaque. Copenhague, Thorwaldsen Muséum, 104.


- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 472.
Seulement les servantes.

8 -Plaque. Rome, Palais des Conservateurs.


- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 473.
Seulement les servantes.

9 - Plaque venant du Musée du Palatin. Rome, Musée National (Musée des


Thermes), 765.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 474.
Seulement les servantes.
LA LÉGENDE 145

10 -Plaque. Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Médailles.


- A Millin, Monuments antiques inédits ou nouvellement expliqués, II,
Paris, 1806, pi. C L XXIV.
- J. Overbeck, Bildwerke, p. 805, et pi. XXXIII.
- H. Rohden, op. cit., IV, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Mey nier, TO, n. 468.

1 1- Plaque, autrefois dans la collection Dressel à Dresde.


- H. Rohden, op. cit., IV, p. 1 10.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 475.

12 - Plaque de la collection Campana vendue à Lausanne en 1962.


- «Ars Antiqua», vente 4, VII, XII, 1962.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 476.
Pénélope.
L'autre plaque vendue avec celle-ci représentait Ulysse, Eumée et Euryclée.

On a depuis longtemps rapproché ces plaques des statues du Ve siècle


(5) ou des reliefs méliens pour noter en Pénélope une attitude similaire.
Cependant une différence essentielle s'impose. Alors que sur les reliefs méliens
rien ne semblait pouvoir sortir Pénélope de son désespoir, ici une servante
s'avance précipitamment vers elle, sans aucun doute pour lui annoncer le
retour de l'époux. Après une douloureuse attente, sa fidélité est sur le point
d'être récompensée. Le moment est proche où va éclater la joie de la reine. Le
fait même que Pénélope n'assiste pas au lavement de pieds, figée dans une
morne indifférence, rend possible cette signification. Tout se passe comme si
l'artiste, voulant réunir sur une même plaque les thèmes les plus fréquents de
l'art grec, n'avait découvert que ce moyen pour transformer la scène. Sur les
reliefs grecs Pénélope était désespérément seule ; sur les reliefs romains elle
est entourée de servantes fidèles, et l'une d'entre elles s'apprête,
manifestement, à lui parler.
Ces bas-reliefs ne sont que quelques spécimens de tout un ensemble de
plaques murales à la mode au dernier siècle de la République, et sous
l'Empire jusqu'au début du Ile siècle, destinées à décorer les maisons, soit à
l'extérieur, soit à l'intérieur (6). L'usage n'est plus funéraire comme c'était le cas
pour les reliefs méliens qui avaient tous été découverts dans des tombeaux.

PEINTURES
A Pompéi ont été exhumées trois fresques très proches par la
composition, la signification et la date. Elles sont presque contemporaines puisque
deux appartiennent au troisième style (7), c'est à dire au milieu du 1er siècle
et l'autre au 4e style, caractéristique de la décennie suivante, 65-70 (8).

1 - Fresque de Pompéi, maison des cinq squelettes. Naples, Musée National,


9107.
- W. Helbig, Wandgemalde der vom Vesuv verschùtteten Stàdte Campa-
niens, Leipzig, 1868, n. 1331.
- P. Hermann, Denkmaler, I, p. 70-71, pi. 55.
- S. Reinach, Répertoire de peintures grecques et romaines, p. 175, n. 2.
- O. Elia, Pitture murali et mosaici nel Museo Nazionale di Napoli,
Rome, 1932, n. 32.
146 M.-M MACTOUX

- L. Curtius, /)/e Wandmalerei Pompejis, Leipzig, 1929, fig. 136.


- A. de Franciscis, Guide du Musée archéologique national de Naples,
Salerne, 1965, n. 9107.
- 0. Touchefeu-Meynier, TO, n. 43 1 .
Le cadre est celui d'une grande salle entourée de colonnes. Ulysse, pensif,
portant la main droite à la bouche, est assis sur un fût de colonne ; il est dominé
par la haute stature de Pénélope, vêtue d'un chiton à bandes violettes et d'un
manteau violet, peinte dans une attitude expectative (9).
D'âge moyen comme on pouvait se l'imaginer au retour d'Ulysse,
sobrement vêtue, sans bijou, elle a l'aspect sévère de la matrone romaine, et de celle
aussi qui a dû supporter seule la charge d'une importante demeure.
L'adjonction de personnages secondaires à l'extrême gauche (un homme, devant lui,
trois femmes, et, à droite, accompagnant Pénélope, une autre servante), le
fait que l'une des femmes a l'air de participer à la rencontre donnent à la
scène un caractère moins intime qu'à celle du Macellum.

2 - Fresque de Pompéi, maison de L. Caecilius Jucundus, aujourd'hui disparue


- Bulletino delVinstituto di correspondenza archeologica , 1876, p. 143.
- A. Sogliano, Le pitture murali campane, n. 582.
- P. Hermann, Denkmdler, I, p. 70.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 433.
Cette peinture du 3e style ornait le mur d'entrée de l'atrium d'une très
importante demeure pompéienne. D'après la description de A. Sogliano (10) Ulysse,
vêtu d'un manteau sombre avec pilos et bâton, était assis au milieu. Sa main
droite soutenait son visage et il tournait son regard vers Pénélope qui se tenait
à droite comme sur les deux autres fresques connues de Pompéi. Elle était
vêtue d'un chiton violet et d'un manteau vert. A gauche, Euryclée, habillée
d'un chiton et d'un manteau jaune, appuyait le genou droit sur un pilastre, la
tête reposant sur sa main. Aucune interprétation psychologique n'est donnée
de la scène.

3 - Fresque de Pompéi. Macellum. PI XVI.


- W. Helbig, Wandgemàkie der vom Vesuv vcrscJiùtteten Stàdte Campa-
niens, n. 1332.
- R. Engelmann, L 'œuvre d'Homère illustrée par l'art des Anciens, Paris,
1891, pi. XVI, 99.
- A. Sogliano, Monumenta Pompeiana, Naples, 1902-1905, pi. CXXI.
- P. Hermann, Denkmàler der Malerei des Altertums, 1, p. 60-70, pi. 54.
- S. Reinach, Répertoire de peintures grecques et romaines, p. 1 75, n. 3.
- C. Pfuhl, Malerei and Zeicluiung der Grieclien, II, Munich, 1923, p.
866.
- K. Schefold, Pompejanisch Malerei, Bâle, 1952, pi. 35.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 432, et pi. XXXIV, 1 .
Ulysse, caractérisé par le pilos, vêtu d'un chiton et d'une chlamyde, tenant un
bâton à la main droite est assis sur fût de colonne. Un visage barbu aux traits
grossiers, au nez large, à la bouche charnue, indique qu'il s'agit là du
mendiant de Y Odyssée. Pénélope, le menton légèrement appuyé sur la main droite
tenant de la main gauche un fuseau, le regarde intensément. Elle est debout
mais a le pied légèrement avancé comme si, en la saisissant dans sa marche,
l'artiste avait voulu suggérer la surprise et la perplexité. Le bleu de son chiton
qui dépasse sous un manteau blanc abondamment drapé, la lumière qui
LA LÉGENDE 147

l'éclairé violemment attirent l'attention sur sa silhouette élancée qui contraste


avec celle plus massive d'Ulysse. Entre cette jeune femme parée, séduisante, et
Ulysse qui la regarde avec une certaine assurance, aucune gêne n'est sensible.
En haut et à gauche, mais très à l'écart, apparaît le buste d'une vieille femme
le plus souvent considérée comme Euryclée (11). Il est probable que la scène
ne se situe pas à l'intérieur d'un appartement, mais dans une salle qui s'ouvre
sur une cour entourée de colonnes (12). En plaçant le couple dans un lieu
neutre, l'artiste a voulu peindre, non la reconnaissance, mais les prémisses de
ce moment où la certitude remplacera l'étonnement.
Selon l'opinion la plus commune ces fresques illustrent la rencontre
d'Ulysse et de Pénélope sans qu'il soit nécessaire de chercher, comme l'ont
fait certains (13), une correspondance avec un passage précis de YOdyssée.
Cependant ces peintures ont reçu une autre interprétation. Les rapprochant,
à la suite de tous les auteurs, des scènes gravées sur les gemmes de l'époque
hellénistique, H. Lucas propose de voir également (14) sur les fresques de
Pompéi non pas Ulysse et Pénélope, mais Ulysse et Calypso, et établit un
rapport entre les peintures de Pompéi et un tableau de Nicias représentant
Calypso, connu seulement par Pline (15).
Mais l'attitude du couple sur ces deux séries d'oeuvres n'est que très
grossièrement identique. Alors que sur les intailles Ulysse refusait très
manifestement d'ouvrir un dialogue avec celle qui s'efforçait, par tous les moyens, de
capter son attention, ici, il règne entre les deux personnages sinon une entente
du moins un accord subtil. Aucun des deux ne cherche à ignorer l'autre.
Pénélope et Ulysse sont graves, mais ne manifestent d'aucune manière ce
désespoir si sensible dans la Pénélope des bas-reliefs méliens, ou dans l'Ulysse
des intailles. H.Lucas avait bien remarqué la différence, mais il en concluait
que ce personnage ne pouvait être «la chaste épouse d'Ulysse», refusant ainsi
aux artistes romains le droit d'avoir leur propre vision de l'épouse d'Ulysse.
Nous avons, pour la première fois dans l'art, des regards qui se cherchent avec
retenue, mais aussi avec une insistance prometteuse. En mettant l'accent sur
ce moment riche de promesses les artistes ont voulu suggérer, comme le disait
déjà Properce, que la fidélité d'une femme aimante peut réaliser l'impossible.
Il n'y a sans doute pas lieu de s'attarder sur deux autres fresques à
propos desquelles Pénélope a été citée. On l'a parfois reconnue sur une peinture
de Stables (16), gracieuse figure de femme tenant un arc et une flèche, se
détachant sur un fond bleu. On ne connaît aucune autre représentation dans
l'art romain de Pénélope avec un arc, le seul exemple certain étant l'anneau
grec du Ve siècle. En dehors de l'arc qui ne lui appartient pas en propre,
aucun détail ne permet l'identification. Le nom de Diane, également proposé,
paraît plus probable (17).
De même, cette peinture trouvée près de Stables (18) avec une femme
assise sur un escabeau finement sculpté et, en face, un homme serrant un
carquois sous le bras et un arc de la main gauche ; il tend le bras vers elle comme
s'il sollicitait une réponse tandis qu'elle-même exprime, d'un geste de la main
gauche, l'étonnement et l'incrédulité. Plusieurs couples ont été proposés :
Paris et Oenone, Paris et Hélène, Anchise et Aphrodite. L.Barré affirme que
c'est Ulysse et Pénélope, l'arc caractérisant Ulysse (19). L'argument ne nous
semble pas décisif ; le costume oriental du personnage à l'arc suggère bien
davantage Paris ou Anchise.

4 - Peinture dans le péribole d'Apollon à Corinthe représentant le massacre


148 M.-M MACTOIJX

des prétendants.
- Pausanias, II, 3, 3 (20).
Le péribole d'Apollon visité par Pausanias avait été construit près de la
fontaine Pirène à la fin du 1er siècle, après le tremblement de terre de 77.
Une dédicace en latin retrouvée sur un entablement de marbre mentionne un
portique et une exèdre. Le portique désigne le péristyle et l'exèdre, la salle
semi-circulaire au sud du péribole. C'est sans doute là qu'avaient été placées
la statue d'Apollon et la peinture du meurtre des prétendants (21). C'était lui
accorder, on n'en peut douter, une place exceptionnelle. Apollon était depuis
fort longtemps le grand dieu officiel de Corinthe et possédait déjà, au moins à
partir de la seconde moitié du Vie siècle (22), un temple non loin de là, au
nord -ouest de l'agora, la péribole étant au nord-est (23).
Il est fort probable que le temple dorique avait été construit à Corinthe
après la chute des tyrans, au moment de la constitution post-tyrannique (24).
Cet Apollon est celui qui instaura, Eunomia, Diké et Eiréné, filles de la sage
Thémis (25), et c'est pour cela que les Ambraciotes (26) l'invoquaient dans
leurs fêtes et leurs festins sous les noms de Sauveur Pythien (27). Cette longue
tradition d'un dieu épris d'ordre et de justice ne pourrait -elle expliquer la
signification de cette victoire d'Ulysse sur les prétendants, du juste qui, en se
vengeant, rétablit l'ordre ? (28). Certes, il n'est pas certain que Pénélope ait
figuré sur cette œuvre (29), mais les prétendants restent ceux de Pénélope et,
dans l'esprit de l'artiste, elle ne pouvait qu'être associée à cette entreprise de
salut. Ulysse, d'ailleurs, n'était pas un étranger à Corinthe. Déjà, dans
YOdyssée, on raconte comment il se rendit à Ephryra (30) qui est, sinon
Corinthe, du moins un site de Corinthie (31) et, Sisyphe, de qui Ulysse
descend dans certaines généalogies, avait reçu Corinthe des mains de Médée (32)
et s'était installé sur l'Acrocorinthe où il possédait encore à l'époque romaine
un sanctuaire (33). Cette peinture n'a pu qu'être contemporaine de la
construction du temple.

STATUES
C'est également au 1er siècle après J.C. que les sculpteurs romains ont
repris le thème de l'affligée. Nous avons étudié, à propos du Ve siècle (34),
ces statues dont il ne subsiste précisément, que des copies du temps d'Auguste
ou de ses successeurs immédiats. Les deux statues du Vatican sont
généralement considérées comme des copies du 1er siècle de notre ère. Rien ne
permet de savoir si les artistes romains ont vu là autre chose qu'un moyen de
satisfaire le goût de l'époque pour le Ve siècle grec. Il est bien connu que les
Romains, tout en copiant avec la plus grande exactitude les chefs-d' œuvres
grecs, n'hésitent pas à en modifier la signification. Un exemple fameux est le
Doryphore de Polyclète reproduit pour la palestre de Pompéi et qui fut
appelé Achille (35). On peut simplement remarquer que là où Pénélope figure
avec certitude, elle n'est plus jamais celle qui souffre sans espoir.
Il n'y a pas davantage de raison de parler de Pénélope, on l'a fait
parfois, pour une statue de Madrid (36). Cette statue plus grande que nature
représente une femme debout, vêtue d'une stola et d'une palla, et tenant une
navette de la main gauche. Il est impossible d'identifier le personnage, et
seule la navette, qui est un attribut moderne, avait fait penser à Pénélope. Il
s'agit sûrement d'un portrait de dame romaine (37).

TABLES ODYSSEENNES
LA LÉGENDE 149

Table odysséenne, dite table Tomassetti. Bibliothèque du Vatican,


Musée sacré, 0066.
- A. Sadurska, Les tables iliaques, p. 72 sq.
- K. Weitzmann, «A tabula Odysseaca», AJA, 1941, p. 166 sq.
Au premier siècle de notre ère certaines tables de la série dite des «tables
iliaques» ont dû reprendre des scènes de YOdyssée. Mais elles furent beaucoup
plus rares que les tables relatives à Vlliade ou au Cycle.
Sur 19 tables actuellement dénombrées (38) deux seulement illustrent
VOdyssée (39). Une seule, la table Tomassetti, a pu représenter des scènes
avec Pénélope, mais la partie droite ayant trait aux chants XX à XXIV
manque. Si Pénélope, comme c'est probable, s'y trouvait, elle n'était nullement
priviligiée dans cette série des 24 scènes qui illustraient les 24 chants de
VOdyssée.
De même il ne reste plus rien d'une tablette dont on n'a que le dessin
par Sarti (40). Elle comportait une inscription disant que la table contenait
des scènes de Ylliade, de Yllioupersis et de Y Odyssée. Il est possible que le bas
(41) ait été occupé par des scènes illustrant les livres I à XXIV de Y Odyssée,
et Pénélope pouvait y figurer.
Ces tables devaient être destinées à orner des riches demeures.
Ainsi, à l'exception des statues et de la peinture du péribole d'Apollon
pour lesquelles le doute persiste, toutes les œuvres d'art de cette époque
représentant Pénélope étaient destinées à s'intégrer dans le décor quotidien.
Elle devient la compagne des riches Pompéiens ou de ceux, sans doute moins
fortunés, qui ornaient leurs demeures avec les plaques en terre cuite et les
tables sculptées. Curieusement, cependant, elle n'apparaît jamais sur les
gemmes de l'époque impériale où l'utilisation d'anneaux donnés à la future
épouse comme symbole de fidélité était fréquent (42) et sur lesquelles,
pourtant, les légendes grecques occupaient une place importante (43). Ces gemmes
appartenaient, on le sait, à des individus, et le choix des sujets devait, dans
une certaine mesure, dépendre de la vie personnelle de chacun. Or de ces
sujets Pénélope est exclue. Tout se passe comme si toute tentative
d'appropriation personnelle avait paru superflue au moment où elle était devenue la
chose de tous.
Ni mère de Télémaque, ni reine d'Ithaque, elle est uniquement l'épouse
d'Ulysse, mais plus jamais l'épouse écrasée par une épreuve surhumaine. Elle
est celle dont le triomphe a été rendu possible par une inaltérable fidélité à
la parole donnée. La servante qui vient lui annoncer l'arrivée du maître, ou
les regards échangés sur les fresques de Pompéi, font sentir que rien n'est
impossible à qui sait respecter l'ordre établi par hfides. Ce que la littérature
avait exprimé, l'art, par sa forme et son contenu, le rend présent dans la vie
quotidienne des Romains du premier siècle de notre ère (44).
150 M.-M MACTOUX

Notes du CHAPITRE X
(1) Le nombre des seènes odysséennes figurées pourrait être beaucoup plus grand
encore si l'on accepte la thèse défendue par K. Weitzmann, Ancient book
illumination, Cambridge, 1959. La conception des tables odysséennes, qui, respectant
les divisions par chapitres, se présentent comme l'illustration d'un texte littéraire,
renverrait à des rouleaux de papyrus contenant des poèmes épiques illustrés qui
en seraient les prototypes. A.Sadurska, Les tables iliaques, Varsovie, 1964, p. 17,
rejette cette hypothèse et pense que le prototype est d'ordre monumental. Quoi
qu'il en soit, ces reliefs modestes étaient de nature à se multiplier.
(2) R. Bianchi Bandinclli, Rome, Le centre du pouvoir- L'art romain des origines à la
fin du Ile siècle, Paris, 1969, p. 171-179.
(3) Cf, par exemple, la figure exemplaire de Cornélia, «mère des Gracques».
(4) H. Rohden et H. Winnefcld, Architektonische romische Tonreliefs der Kaiserzeit,
tome IV, 2 de Die antiken Terrakoten, R. Kekule von Stradonitz, Berlin, 1880-
1911.
(5) Déjà W. Helbig, Guide dans les Musées d'archéologie classique de Rome, II, trad.
frsc J.Toutain, Leipzig, 1893, Musée Kirker, n. 229.
(6) R. Cagnat et V. Chapot, Manuel d'archéologie romaine, I, Paris, 1920, p. 107.
(7) Fresques de la maison dite des cinq squelettes et de la maison de L. Caecilius
Jucundus.
(8) Fresque du Macellum.
(9) Le geste de la main droite levée vers le menton se retrouve sur un relief de la
même période, le relief de Marbury Hall, dit vase Jenkins, pour Hélène. L.Ghali-
Kahil, Les enlèvements et le retour d'Hélène, Paris, 1955, p. 228-229, l'interprète
comme un mouvement de perplexité.
(10) A. Sogliano, op. cit., p. 116.
(11) P. Hermann, op. cit., Pour d'autres comme L. Barré, Herculanum et Pompéi, III,
Paris, 1870, p. 16, c'est Eurynomé.
(12) P. Hermann, op. cit., I, p. 70, n. 1.
(13) J. Ovcrbcck, Bildwcrke, p. 808, voulait voir dans la fresque de Macellum une
illustration du passage de YOdyssée, XIX, 51 sq. rapportant la première rencontre
d'Ulysse et de Pénélope, et dans celle de la maison des cinq squelettes la deuxième
rencontre. Inversement R. Engclmann, L'œuvre d'Homère illustrée par l'Art des
Anciens, II, Odyssée, commentaire à la planche XVI, 99, p. 12, interprétait la
fresque du Macellum comme un second rendez-vous devenu nécessaire par la mort
des prétendants. Et encore O. Touchefeu-Mcynicr, TO, p. 238, considère la
peinture de la maison des cinq squelettes comme une illustration du début du
chant XIV où Pénélope vient réprimander violemment les servantes d'avoir injurié
et maltraité le mendiant.
( 1 4) Loc. cit., voir supra, p. 1 08-1 09.
(15) Hist.Natur., XXXV, 32.
(16) J. Schmidt in Roschcr, Lexikon, s. v. Pénélope, fig. 5. F. Millier, OI, p. 105.
(17) G. Zahn, commentaire à la pi. 46, in Les plus beaux ornements et les tableaux les
plus remarquables de Pompéi, Herculanum et de Stables d'après les dessins
originaux exécutés sur les lieux, deuxième série, III, Berlin, 1852. S.Reinach,
Répertoire des peintures grecques et romaines, p. 52, n. 1. Plus récemment, c'est aussi
une Diane chasseresse qu'A Maiuri voit sans hésiter dans ce tableau, (cf. Là
Peinture romaine, Skira 195 3, p. 82)-
(18) H. Roux Aîné, Herculanum et Pompéi, Recueil général des peintures, bronzes,
mosaïques etc ... gravés au trait sur cuivre par //. Roux Aîné ; texte de L. Barre,
II, Paris, 1870, pi. 21
(19) Op. cit. p. 87. S.Reinach, Répertoire des peintures grecques et romaines, p. 165,
n. 2, propose, mais d'une manière dubitative, Paris et Hélène, ou Ulysse et
Pénélope.
(20) G. Roux, Pausanias en Corinthie, Pans, 1958.
(21) Id., ibid., p. 1 17-118. D'après la description de Pausanias, cependant, il semblerait
que la statue dont il parle soit extérieure au péribole, la seule chose qu'il y décrive
étant précisément la neinture représentant le massacre des prétendants. «Au
voisinage immédiat de Pirene, Apollon possède une statue et un enclos sacré dans
lequel une peinture figure l'audacieux exploit d'Ulysse contre les prétendants».
(trad.G.Roux).
(22) Date du temple dorique dont nous possédons les ruines ; cf. SS. Weinberg, «On
LA LÉGENDE 15 1

the date of the temple of Apollon at Corinth», Hesperia, 1939, p. 191-199.


(23) Cf. plan de la partie centrale de Corinthe, plan O, in Corinth, I, 3, éd. R.L. Scran-
ton, Monuments in the lower agora and north of the archaic temple, The
American School of classical studies at Athens, Princeton, 1951.
(24) E. Will, Korinthiaka, Paris, 1955, p. 410-412.
(25) Cf. Pindare, Olympiques, XIII, 6-10, et passim.
(26) Colons de Corinthe en Epire.
(27) Antoninus Liberalis, 4.
(28) Ulysse est pour certains une divinité appollinienne ; cf. Rorscher, Lexicon, s. v.
(29) On l'a souvent rapprochée de la fresque de Polygnote dans le temple d'Athéna
Areia à Platées, mais le rapprochement reste hypothétique. Cf. A. de Ridder,
«Le temple d'Athéna Areia à Platées», BCH, 1920, p. 166.
(30) 1,259-262.
(31) E. Will, op. cit., p. 39.
(32) Eumélos, d'après Pausanias, II, 3, 1 1.
(33) Strabon, VIII, 37,9.
(34) Voir supra, p. 74 sq.
(35) Pline, Hist. Nat., XXXIV, 18.
(36) S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, I, p. 505, pL 834 A,
Musée Royal de Madrid, aujourd'hui Musée du Prado.
(37) R. Ricard, Marbres antiques du Musée du Prado, Paris, 1923, n. 67 et p. 70.
(38) A. Sadurska, Les tables iliaques, Varsovie, 1964.
(39) Table Tomassetti et table Rondanini, Musée National de Varsovie, n. 147, 975,
MN, avec trois scènes empruntées au chant X : Hermès et Ulysse, Ulysse et Circé,
Circé, Ulysse et ses compagnons.
(40) Table Sarti dans O. Jahn, Griechische Bilderchroniken, Bonn, 1873, η. Β, cité par
K. Weitzmann, loc. cit., p. 168.
(41) K. Weitzmann, loc. cit., p. 168.
(42) Juvénal, VI. 25. Cf. E. Le Blant, «750 inscriptions de pierres gravées inédites ou
peu connues», Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 36,
1898, en particulier, p. 65-75.
(43) G.M.A. Richter, «The subjects on Roman engraved gems, their dérivation, style
and meaning», RA, 1968, p. 279 sq. Cf. la pâte de verre analysée p. 196, datée par
M.L. Vollenweider, op. cit., p. 63, n. 85, de l'époque d'Auguste et interprétée
par elle comme représentant Ulysse et Pénélope. Par son sujet, cependant, elle
reproduit des œuvres plus anciennes sur lesquelles la présence de Pénélope ne nous
semble pas démontrée.
(44) Nous rappellerons seulement l'existence d'un bas-relief analysé par R. Rochette
dans son recueil, Monuments inédits d'antiquité figurée grecque, étrusque et
romaine, 1ère partie, Cycle héroïque, Paris, 1833, p. 420, pi. 71, 1. Sur cette
apothéose d'Homère, figure, en face du poète assis sur une base de colonne, une
femme enveloppée d'un long péplos qui a pris place sur un siège sous lequel a été
glissé le kalathos. Sa ressemblance avec la Pénélope des fresques de Pompéi et la
présence d'un enfant endormi, la tête appuyée sur la main gauche, font dire à
R. Rochette que c'est la mère de Télémaque personnifiant YOdyssée «dans l'un de
ses motifs les plus touchants». En fait nous avons vu que Télémaque ne jouait
aucun rôle dans l'évolution littéraire de la légende et l'interprétation de ce bas-
relief, sans doute romain, mais donné sans date, reste très douteuse. VOdyssée est
plus souvent symbolisée par le pilos dans les représentations allégoriques
d'Homère. Ainsi dans une œuvre citée par A. L. Millin, Galerie mythologique, II, Paris,
1851, p. 67, et pi. 149, une femme, coiffée du pilos et tendant une rame, fait
face à une femme casquée qui symbolise Ylliade. Le personnage féminin n'a
qu'une valeur symbolique.
C HA Ρ Ι Τ R Ε XI

UNE TENTATIVE DE DÉMYSTIFICATION


A partir de la fin du 1er siècle et jusqu'au Ille siècle, Pénélope est tenue
en suspicion par toute une littérature d'inspiration cynique que l'attitude de
la seconde sophistique ne fait que renforcer. D'une manière subtile les auteurs
de ce temps démystifient le personnage en renonçant à le proposer
systématiquement comme un modèle. Vertueuse, certes, Pénélope l'est encore parfois
mais cette vertu n'a plus rien de sublime. Le phénomène peut être mis en
relation avec le discrédit jeté sur Homère ; d'autres héros, comme Ulysse dont le
caractère polymorphe rendait facile cette transformation, partagent le même
sort (1). Mais tout se passe comme si avec une prudente fermeté les moralistes
unanimes cherchaient à détruire une idole qui avait accédé à l'époque
précédente à l'héroïsation. Les auteurs narratifs et épiques la traitent plus
brutalement encore en l'ignorant totalement.
Déjà, dans la deuxième moitié du 1er siècle, des pièces satiriques
donnent le ton. Une comparaison dans l'œuvre de Juvénal non dans la satire VI, la
plus longue de ses sept pièces où il s'en prend à la femme mariée, ivre de
toutes les débauches, dans un monde d'où la Pudeur a fui, mais dans la satire II
où il s'attaque, au contraire, à l'immoralité masculine. Il se sert d'une femme
dévergondée, Laronia, pour dire leur fait à ces faux stoïciens qui ne sont que
des êtres efféminés : «Vous, vous filez la laine, vous rapportez dans des
corbeilles la tâche achevée ; vous, pour tourner le fuseau chargé d'un fil ténu,
vous êtes plus habile que Pénélope» (2). Pénélope fileuse, incarnant la vertu
domestique la plus typiquement féminine, sert à Juvénal à aiguiser son trait ;
elle est la femme dans son activité la plus spécifique et en même temps la
moins digne de l'homme, puisque se conduire comme Pénélope est la marque
ultime de la déchéance. On est loin des textes où imiter Pénélope était, au
contraire, retrouver le génie propre de la race, s'élever au-dessus de toutes les
turpitudes. En réduisant Pénélope à ce simple rôle, elle qui pouvait être,
comme elle l'avait été dans une poésie encore proche, l'incarnation de la
Pudeur, nous apporte le premier témoignage de cet esprit nouveau avec lequel
Pénélope va être traitée. La vie conjugale du temps était-elle si éloignée dans
sa perversion de celle de Pénélope, que toute comparaison aurait paru hors de
propos ? Si Juvénal s'acharne contre les éléments les plus pourris de la société
romaine (3), la correspondance de Pline le Jeune rend un tout autre son.
Juvénal pourtant n'ignore ni Homère, ni Ulysse, mais il semble avoir traité
l'homme d'Ithaque, provoquant par ses récits le rire chez Alkinoos, avec
quelque ironie (4). De son côté, Martial, contemporain et ami de Juvénal, joue
avec la chasteté de Pénélope (5) dans ses Epigrammes où il se complaît à
décrire la dégradation des mœurs romaines. Et l'auteur de la Priapée LXVIII en
faisant une satire obscène des thèmes héroïques de YHiade et de YOdyssée
introduit Pénélope dans cet univers anti-héroïque (6). En soumettant les
prétendants à l'épreuve de l'arc Pénélope cherche à mesurer leur virilité (7). La
satire exprime avec violence cette attitude nouvelle qui, dans les siècles
suivants va se perpétuer sous des formes plus subtiles.
Dion Chrysostome annonce Plutarque en faisant rentrer l'héroïne dans
le lot commun. Dion Chrysostome, qui partagea un moment l'idéal des
sophistes, se fiant à l'éloquence pour assurer la valeur d'un homme, devint,
mûri par son exil sous Domitien, un moraliste soucieux de conversion. Ses
discours témoignent de l'importance de cette prédication qui vise à agir sur les
156 M.-M MACTOUX

foules, tour à tour, par des exhortations ou des reproches (8). D'où cet
incessant recours à Homère, à l'extrême popularité duquel il est sensible,
pour rendre sa morale séduisante. Dans cet usage, Homère est le «maître de
Socrate», se servant comme lui de mythes pour instruire les hommes (9), et
non l'Homère sophiste du Discours troyen qui est, pour Dion, un menteur. Il
entreprend dans ce discours de montrer que les Grecs ont été battus. Parmi
les arguments (10) avancés à l'appui de cette thèse figure le nombre des
désastres domestiques qui attendaient les chefs achéens à leur retour. Ce n'est
pas la règle, dit-il, d'attaquer des hommes victorieux. Ulysse est cité au même
titre qu'Agamemnon et Diomède. Il s'attarda volontairement, en partie parce
qu'il était honteux, en partie parce qu'il suspectait la situation. La vertu de
Pénélope n'est pas directement mise en question, mais il suggère habilement,
en évoquant la jeunesse de Céphallénie qui la courtisait et s'était saisi des
biens du héros (11).
Même Dion le moraliste n'a pas l'air de considérer Pénélope comme un
être exceptionnel. Alors qu'il cherche chez Homère des personnages vertueux
avec l'intention de renforcer ses propres peintures (12), Pénélope est traitée
avec beaucoup de suspicion. Dans le Discours XV (13), il interprète
malicieusement les paroles prononcées par Télémaque dans YOdyssée à propos de sa
naissance (14). Deux hommes sont en train de discuter du statut d'esclave et
de celui d'homme libre, statut dû à la naissance. Comment savoir avec
certitude, dit l'un, par qui on a été engendré ? On ne peut se fier à ce que dit une
femme sur le père de son enfant. Télémaque ne mettait-il pas lui-même en
doute sa filiation, alors que Pénélope était pourtant considérée comme
chaste ? S'il ne va pas pourtant jusqu'à parler d'adultère, comme il le fait plus loin
pour Clytemnestre ou Aéropé (15), il sème le doute à son égard à l'image du
Discours troyen. 11 la ramène dans le lot commun et voit en elle une femme
comme les autres, capable d'infidélité, acceptant d'être courtisée par un
homme dissolu comme Antinoos qui séduisait en même temps les servantes
(16), se comportant avec les pauvres, elle qui était riche et comblée, avec fort
peu de délicatesse et de bonté. Elle promet seulement à Ulysse en haillons,
manteau et chaussures, si ses prédictions concernant le retour du maître se
réalisent (17), et lui répond avec beaucoup de morgue lorsqu'il demande de
s'essayer à son tour au jeu de l'arc (18). Elle accepte sa tentative en lui
précisant bien qu'elle l'exclut de sa promesse de mariage, et, en échange de cette
action périlleuse qui met sa vie en danger, elle lui fait miroiter des vêtements.
S'il ne réussit pas, il repartira en haillons. Elle qui avait la réputation d'être
sage, ne se conduit pas mieux, dit Dion, que les prétendants dont la
dépravation était connue. Seul Eumée, esclave et pauvre, fait preuve à l'égard
d'Ulysse de vraie générosité (19). Avec subtilité il détruit cette autre image de
la reine que l'on donne sans preuve comme chaste (20), sage et bonne (21). 11
renverse une idole populaire, non pas en racontant à son propos des histoires
invraisemblables, mais en se livrant à l'égard de l'héroïne d'Homère à une
analyse pénétrante. Cette destruction de l'opinion reçue, acceptée par la foule,
est un trait proprement cynique que Dion loue chez Diogène, l'un de ses
maîtres à penser (22). Pénélope n'échappe pas à cette mise en question insidieuse.
Comme Dion, Plutarque traite Pénélope avec une prudente réserve.
Sans doute, au hasard de ses traités, elle apparaît comme la femme sérieuse
et modeste qui s'oppose à la maîtresse encombrante et coûteuse (23). Dans
ses Conjugalia praecepta, l'exemple du couple odysséen est évoqué dans un
passage où Plutarque énonce un des principes sur lequel repose l'harmonie
LA LÉGENDE 157

du couple. La communauté des biens doit s'accompagner d'une communauté


des sentiments, et l'union conjugale se fortifie par une sympathie absolue. La
femme doit ressentir tout ce que ressent le mari, et réciproquement (24).
Tandis que le couple Hélène-Paris, où l'un aimait la richesse et l'autre le pla-
sir, engendra toute une série de malheurs pour les Grecs et les Barbares, le
couple Ulysse-Pénélope fut un couple heureux et enviable (25). A la prudence
d'Ulysse répondait la sagesse de Pénélope. Mais ce n'est là que formule
stéréotypée ou exemple obligé. La légende Pénélope n'intervient jamais d'une
manière importante au terme d'une méthode qui amène souvent le moraliste à
chercher chez l'auteur ancien un cadre de références. Dans le De garrulitate
où il dénonce le bavardage comme une tendance mauvaise de l'âme, la
discrétion de Pénélope est restée un exemple, avec celle d'Ulysse, de Télémaque et
d'Euryclée (26). Mais Plutarque donne l'impression de céder à la routine,
parce qu'aussitôt, il suggère combien Ulysse l'emportait sur Pénélope
demeurant, devant les sanglots de sa femme, maître de lui au point de maîtriser
même ses mouvements instinctifs (27).
On serait tenté de ne pas prendre au sérieux son dialogue Bruta animalia
ratione uti, appelé encore le Gryllos du nom d'un des interlocuteurs, un
pourceau, qui converse avec Ulysse et Circé. C'est un travail de jeunesse où le
jeune Béotien a traité d'une manière humoristique le thème de VOdyssée (28).
Mais dans De sollertia animalium, Plutarque a repris le même thème. Contre
les thèses stoïciennes, il s'efforce de montrer que les animaux qui vivent sur
terre, dans l'eau et dans les airs, sont intelligents. Dans le Gryllos la thèse est
poussée jusqu'au paradoxe : pour le pourceau, les animaux ne sont pas
seulement égaux, mais supérieurs aux hommes. Sous cette forme, il ne peut s'agir
que d'un amusement d'école et cette conclusion excessive et systématique ne
peut être celle de Plutarque (29). Mais ce n'est pas un hasard si le courage et
la chasteté de Pénélope sont tour à tour mises en question par Gryllos.
Pendant l'absence d'Ulysse elle est restée tranquillement assise chez elle, sans oser
comme le font même les hirondelles, résister aux prétendants qui voulaient
s'emparer de sa personne et de son logis (30). Quant à sa chasteté, elle est
dérisoire comparée à celle des corneilles qui, lorsqu'elles ont perdu leur mari,
se condamnent au veuvage durant neuf générations d'hommes (31). «Ta belle
Pénélope est donc dépassée neuf fois en sagesse par la première corneille que
tu voudras» (32). Tout en faisant la part de l'exagération on retrouve ici un
thème cynique très ancien dans la littérature grecque où le sage s'identifiait au
chien (33). On se souvient du traité d'Antisthène, Au sujet de Pénélope,
d'Ulysse et du chien et, à l'époque même de Plutarque, Dion, rappelant les
propos de Diogène, conseillait aux hommes d'imiter les animaux. En vivant
comme eux, ils vivraient comme des dieux et retrouveraient l'âge d'or que
Prométhée, en dotant les hommes du feu, a tué (34). Même si la sagesse de
Pénélope a existé au regard des hommes, si elle a été un modèle de chasteté,
(35) elle n'est rien, comparée aux animaux qui sont les vrais sages. Cette
conclusion à laquelle aboutit Plutarque n'est-elle pas préparée par l'ambiguïté
même du texte homérique ? Dans le traité où il donne des conseils sur la
façon de lire Homère, il cite, entre autres, le passage de YOdyssée où Pénélope
flatte les prétendants pour obtenir d'eux des cadeaux (36). La joie d'Ulysse
ne peut s'expliquer par le profit qu'il compte en retirer, mais parce qu'il y
voit un moyen de mieux les tenir en son pouvoir. Son admiration pour les
poètes de la Grèce n'empêche pas Plutarque de sentir ce qui peut blesser le
sens moral au nom d'une éthique plus exigeante. Nous ajouterons que, dans
158 M.-MMACTOUX

cet exemple, c'est Ulysse qui est lavé de tout reproche ; Plutarque ne dit rien
du comportement de Pénélope dans cette scène, qui avait été, depuis
longtemps, fort mal jugé (37).
Cette suspicion trouve son aboutissement dans une lettre attribuée à
Heraclite et dont on ne connaissait jusque là que la première partie (38). Un
papyrus récemment analysé (39) a révélé la continuation de cette lettre
apocryphe, genre très répandu du 1er et Ille siècle de notre ère. L'auteur y
condamne Homère d'avoir montré les principaux héros asservis aux passions
amoureuses, tel Achille qui n'a pas honte d'invoquer la vierge Athéna en
faveur d'une courtisane. Le trait est cynique - non pas la condamnation
d'Homère tenu en grande estime par les Cyniques - mais celle de la passion
mauvaise parce qu'elle asservit. Tous paient de leur vie cet esclavage. Ajax est tué
à cause d'une femme, comme Agamemnon à cause de Cassandre, les jeunes
gens d'Ithaque à cause de Pénélope, ceux d'Ilion à cause d'Hélène. La
condamnation de Pénélope se fait encore plus violente dans la suite de la lettre.
Comme Xlliadc est l'histoire d'une femme qui avait été ravie, X Odyssée est
l'histoire d'une autre femme qui désirait l'être (40). Les hésitations de
Pénélope sont aussi condamnables que la fuite d'Hélène. «Celui qui ne veut pas
une chose cesse rapidement. L'atermoiement est une confusion de jugement»
(41). L'indécision est coupable pour une morale qui met au premier rang
l'exercice de la volonté, et la conduite de Pénélope est «l'antithèse de l'idéal
cynique d'une volonté qui sait ce qu'elle veut» (42). Déjà Antisthène devait
avoir dit la même chose dans son traité Au sujet de Pénélope, d'Ulysse et du
chien. Mais la critique de Pénélope se fait plus incisive encore, et elle devient
le type de l'immortalité. «S'il (Ulysse) n'avait pas été sur le chemin du retour,
elle se serait promise en mariage tous les dix ans» (43). Rompant avec la
tradition cynique la plus assurée, l'auteur s'en prend à Ulysse lui-même ; son
retour est présenté comme une occasion de courtiser les femmes. «Ensuite, par
satiété, il désirait Pénélope» (44). La condamnation de Pénélope se fait ici
d'une manière beaucoup plus totale. Chez les premiers Cyniques, elle était
encore celle dont la sagesse, pour être inférieure à celle d'Ulysse, surpassait
celle des amants qui promettent l'impossible. Ulysse avait raison de préférer
son épouse. Maintenant son retour n'a rien de noble. Elle n'est qu'une femme
parmi d'autres, qu'on recherche quand on est repu des autres. Cette évolution
à l'intérieur même de la pensée cynique rejoint l'attitude de Dion et de
Plutarque, moins catégorique mais tout aussi significative.
L'incohérence avec laquelle Lucien parle de Pénélope relève de la même
tendance. L'utilisation rhétorique de la légende montre qu'elle a perdu son
statut privilégié- Les contradictions n'ont aucune valeur dans leur contenu.
L"éïuge de la vertu et de la tempérance de Pénélope (45) a, de ce point de
vue, la même signification que le portrait criminel de l'épouse d'Ulysse,
dessinée par Achille Tatius dans Les aventures de Leueippé et de Clitophon (46)
à la fin du Ile siècle. Les Portraits de Lucien sont, par leur objet et leurs
procédés, caractéristiques du genre épidictique particulièrement cher à la
sophistique du deuxième siècle. Lorsque Lycinos essaie d'évoquer pour son ami
Polystrate l'émerveillement ressenti à l'égard d'une femme qu'il a rencontrée,
et qui l'a beaucoup impressionné, il puise dans la galerie des femmes
connues, personnages historiques ou héroïnes mythiques, des types qui lui
serviront de comparaison. D'Aspasie elle a la finesse, de Théano, la femme de
Pythagore, l'élévation même, de Sappho, l'élégance du génie, de Diotimc,
l'esprit et la prudence. Pénélope lui fournira le modèle de la vertu et de la
LA LÉGENDE 159

tempérance. Comme les éloges qui précèdent, celui de Pénélope est un


procédé que Lucien utilise ici systématiquement. Il consiste à insérer dans
l'éloge principal - celui de Panthéia, maîtresse de Lucius Verus - des éloges
annexes, morceaux de rhétorique qui obéissent à des règles bien définies
(47).
Lucien n'est pas dupe, lui qui fait dire à cette même Panthéia dans la
Défense des portraits (48) qu'elle ne veut ni être assimilée à des déesses
comme Héra ou Aphrodite, ni être comparée à des héroïnes telles que
Pénélope, Arété, et Théano, dont les qualités sont pourtant loin d'être comparables
à celles des déesses précédentes. Le refus du procédé est lui aussi un procédé,
et Lucien en profite pour compléter son éloge lorsque, dans les Fugitifs (49),
il dépeint la philosophie des faux disciples, se défaisant sous la risée des
ignorants, comme la toile de Pénélope ; le rapprochement ne va pas au delà de la
figure de style. La comparaison est, au même titre que les citations, les
proverbes, les métaphores, un ornement purement formel (50). Si ailleurs Lucien
a pu se montrer original et créateur, ce n'est pas ici. L'image n'est pas neuve.
Platon, déjà, rapprochait l'âme dans son activité philosophique et la toile, et
si la métaphore se présente différemment, la signification est la même. La
toile sans cesse défaite est, dans les deux cas, le symbole de ce qui ne doit pas
être la vraie pensée philosophique. L'activité de Pénélope est appréhendée
sous son aspect le plus extérieur, et la personnalité de la reine d'Ithaque
n'explique pas le rapprochement.
Dans un des Dialogues des courtisanes (51), la courtisane Ioessa se
plaint à son amant Lysias qu'il la délaisse pour d'autres et elle accompagne
son reproche des preuves de son amour désintéressé. La plus décisive, celle
qu'elle place à la fin de son énumération, c'est sa tempérance qu'elle compare
à celle de Pénélope. Que la chasteté de Pénélope soit spontanément citée en
exemple montre bien que, pour Lucien, cette chasteté, à l'instar de sa toile,
n'a plus qu'une valeur proverbiale.
Deux autres textes de lui, YHistoire vraie et le Dialogue des dieux, ne
laissent aucun doute. UHistoire vraie est le récit d'aventures imaginaires
décrites par l'auteur à la première personne. Lorsqu'au cours de son périple
Lucien arrive à l'Ile des Bienheureux il y rencontre Homère lui-même et ses
héros, parmi lesquels Ulysse et Pénélope. Ulysse s'ennuie et remet au
voyageur «à l'insu de Pénélope» (52) une lettre adressée à Calypso. Son ancien
amant raconte brièvement à la déesse les dernières péripéties de son voyage
avant son retour à Ithaque et lui fait part de ses regrets de l'avoir quittée
(53). Calypso, dans l'île d'Ogygie, recevra des mains de Lucien, cette missive,
et la nymphe, heureuse de recevoir des nouvelles, interrogera son messager sur
la beauté et la sagesse de Pénélope tant vantées par Ulysse (54). Le ton est
celui de la comédie bourgeoise à trois personnages où, tour à tour, l'épouse et la
maîtresse laissent éclater leur jalousie. Derrière Ulysse remettant son message
en se cachant, se profile une épouse qui surveille étroitement un mari dont
elle connaît le caractère infidèle. Elle est peu différente de Calypso qui
s'informe avec beaucoup d'aigreur des qualités de sa rivale pour mieux découvrir
ses défauts. Pas un mot n'évoque la tendresse des époux. Les questions
pressantes que Calypso pose au messager relèvent-du même sentiment. En faisant
dire à Calypso qu'Ulysse a loué les qualités de sa femme, Lucien dénature le
récit odysséen (55) où Ulysse, avec beaucoup de délicatesse et de noblesse,
avait reconnu l'infériorité de sa femme par rapport à la déesse, tout en
affirmant sa préférence pour elle.
160 M.-M MACTOUX

On a vu dans l'invention de la lettre «moins le souci de rabaisser le


héros au rang d'un don Juan d'intrigue que le désir de tirer de certaines
indications de l'épopée un chapitre supplémentaire» (56). 11 semble pourtant que
l'intention de Lucien soit manifeste : en faisant d'Ulysse et de Pénélope un
couple banal, il veut présenter le monde héroïque sous une forme parodique.
Mais sa critique est moins critique des mythes traditionnels que critique de
certaines formes littéraires (57). Il s'en prend aux romans fantaisistes de
Ctésias, de Jamboulos, d'Antonius Diogène (58). Sa parodie, de ce fait,
acquiert une signification nouvelle. Elle n'est pas un acte isolé et personnel,
mais porte témoignage sur l'esprit d'une époque. Elle offre une preuve que ne
pouvaient fournir ses ouvrages plus proprement sophistiques. Si Lucien peut
rabaisser Pénélope au rang d'une femme qui surveille jalousement son mari
dont l'inconduite est connue, c'est que l'épouse d'Ulysse aurait pu avoir, dans
d'autres romans d'aventures, les traits qu'il lui prête.
C'est dans le même esprit railleur qu'il a rédigé les Dialogues des dieux
dans lesquels éclate la puérilité des mythes. Son but n'est pas de scandaliser
en choisissant des mythes rares, ou des aspects inconnus de grands mythes. Il
cherche simplement à railler, dans des dialogues où les dieux eux-mêmes
ironisent sur leur propre histoire. Lorsque Pan rappelle à Hermès, qui feint de ne
pas s'en souvenir, qu'il est le fruit de ses amours avec Pénélope (59), il fait
appel à une réalité mythique bien connue de tous. Si l'ironie peut devenir
satire, il est fort improbable que le public, habitué par la comédie moyenne à
des scènes de ce genre, n'ait pas senti ce dialogue comme satire (60). Pénélope
n'est pas particulièrement visée, ni par Lucien, ni par la critique religieuse de
l'époque. Mais le portrait qu'on trace d'elle correspond à l'esprit sceptique et
libertin du siècle. Ses relations avec Ulysse comme ses relations avec Hermès
rentrent dans la banalité (6 1 ).
Cette désaffection est particulièrement sensible dans les romans grecs
dont un grand nombre date de cette époque. A la fin du Ile siècle (62) dans
les Aventures de Leucippé et de Clitophon d'Achille Tatius, Pénélope est mise
au rang des grandes criminelles avec Hélène et Clytemnestre.
Au début du roman, Clinias, l'amoureux de Chariclès, apprenant de la
bouche même de son ami l'annonce de son mariage, entreprend une diatribe
contre les femmes. Il rappelle, en termes hésiodiques, que Zeus a créé la
première femme pour le malheur des hommes (63). Comme Hélène l'amoureuse
provoqua la mort de beaucoup d'Achéens, Pénélope, la chaste épouse
provoqua celle de beaucoup de prétendants (64). Sans doute, prendre des
personnages célèbres, historiques ou légendaires, leur faire prononcer des paroles ou
accomplir des actes qui n'ont aucun rapport avec ce qu'on peut savoir des per-
suimdgeb eux-mêmes est un procédé rhétorique. L'introduction du récit, la
composition de certains dialogues, les formules employées dans les A voitures
de Leucippé et de Clitophon ont conduit à voir dans ce roman l'exemple type
du roman sophistique (65).
Mais l'intention d'Achille Tatius est manifestement de faire une
apologie de la chasteté. Or, il n'y a dans le roman aucune référence à Pénélope. On
se souvient pourtant que lorsque Chariton d'Aphrodisias, au 1er siècle après
J.C., écrivait Chéréas et Callirhoé, YOdyssée lui avait servi implicitement de
modèle. Aux romans de cette époque, dans lesquels, avec les aventures,
l'amour continue à être un thème favori, non pas un amour coupable, mais un
amour passion, grand et pur, qui par delà les obstacles se fixe comme but la
réunion de deux êtres ayant besoin l'un de l'autre pour exister (66), le couple
LA LÉGENDE 161

odysséen ne sert plus de modèle.


Si dans une de ses Histoires variées (67), Elien range Pénélope avec
Alceste et Laodamie parmi les femmes dignes d'être louées, son choix
s'explique uniquement par le genre littéraire auquel appartiennent les Histoires
variées. Comme Les Histoires d'animaux, ce sont des mélanges d'exemples ou
de paroles mémorables qui viennent de tous les horizons. Il n'y a aucun effort
pour fondre le tout, le seul but étant d'intéresser par la diversité.
Cette mise en question est sensible dans la place réservée à Pénélope
dans certains textes qui reprennent l'histoire de la guerre de Troie présentée
comme plus authentique que le récit homérique. A la fin du premier siècle
l'auteur inconnu qui rédige en grec un Journal de la guerre de Troie attribué
à Dictys de Crète (68), compagnon légendaire d'Idoménée au siège de Troie,
ou, au début du Ille siècle, Philostrate l'Ancien dans YHéroïque, histoire des
héros troyens révélée à un vigneron par la fantôme de Protésilas illustrent
cette tendance.
Au cours du même siècle, le Journal de Dictys fut traduit en latin par
un certain Septimius. Le Journal, après avoir complété dans les cinq premiers
livres le récit homérique de la campagne de Troie, décrit, au livre VI, le retour
des principaux héros. Si pour Ulysse le récit s'éloigne considérablement de
YOdyssée, traçant du héros un portrait peu flatteur, Pénélope intervient
cependant, mais d'une manière tout à fait accessoire. Lorsqu'après diverses
aventures Ulysse arrive chez les Phéaciens, il apprend que sa femme était
courtisée par trente jeunes gens de Zacynthe, des Echinades, de Leucate et
d'Ithaque. Il persuade Alkinoos de l'accompagner pour l'aider à se venger. Avec son
aide et le concours de Télémaque, Ulysse tue les courtisans. De la réunion
d'Ulysse et de Pénélope, l'auteur n'a cure. Il raconte comment Ulysse, se
renseignant sur ceux qui lui sont demeurés fidèles et ceux qui l'ont trahi,
apprend par l'opinion publique que la chasteté de sa femme était restée sans
tache (69). L'auteur l'abandonne aussitôt pour parler du mariage de
Télémaque avec Nausicaa, et de la naissance de leur fils auquel Ulysse donne le
nom de Ptoliporthès.
Pénélope n'apparaît même plus dans YHéroïque de Philostrate l'Ancien
(70). Pourtant Ulysse tient une place importante dans les propos de ce
vigneron qui a entrepris de raconter la véritable histoire des héros troyens telle qu'
elle lui a été révélée par le fantôme de Protésilas enterré non loin de là. La
vérité sur Ulysse n'est pas celle d'Homère. Homère le loue parce qu'avant de
composer son poème il est allé à Ithaque consulter son fantôme qui n'a
accepté de lui répondre qu'en échange de sa promesse de vanter dans son
œuvre sa sagesse et son courage (71). Ulysse est donc mort à Ithaque, mais de
Pénélope, il n'est nullement question. Philostrate parlera d'elle ailleurs, dans
les Eikones, recueil de soixante quatre descriptions d' œuvres que l'auteur
prétend avoir vues à Naples dans un portique attenant à une villa. L'une de ces
descriptions commence par l'évocation de Pénélope assise, en train de défaire
une toile peinte avec minutie (72). Il ne semble pas qu'il y ait là autre chose
qu'un procédé rhétorique destiné à rehausser le tableau réellement décrit
(73), représentant probablement la cour d'une maison en ruines ayant pour
seuls hôtes ces araignées. Elles tissent, elles aussi, une toile rendue avec une
précision dont Philostrate loue l'artiste.
Au Ille siècle renaît le goût de l'épopée mythologique et si le plus
grand nombre préfère ressusciter les légendes du Cycle, certains n'hésitent
pas à se mesurer à Homère. Nestor de Laranda refait une Iliade et Quintus de
162 M.-M MACTOUX

Smyrne écrit la Suite d'Homère (74) avec l'intention avouée de narrer les
événements qui se sont déroulées entre la mort d'Hector, à la fin de Yfliade,
et les aventures odysséennes. Ulysse est longuement évoqué par Quintus. Au
livre V qui retrace la dispute des armes d'Achille par Ajax et Ulysse, Ajax
commence son discours en rappelant au héros son passé, sa mère qui n'a
«enfanté qu'un lâche et qu'un couard» (75), et sa dérobade au moment du
départ lorsque les Atrides sont venus le chercher. Pénélope est absente de
cette évocation. La seule allusion se trouve dans un papyrus anonyme (76)
d'Oxyrhynchos qui date probablement du même siècle. Il traite d'un thème
directement emprunté à YOdyssée. Ulysse revenu à Ithaque raconte ses
aventures à un de ses fidèles et si par quelques détails l'auteur s'éloigne de
son modèle, ce modèle reste très proche. Ulysse parle des épreuves de
Pénélope usant d'un terme épique et rappelle les mauvais moments que tous ont
connus, ses amis comme Télémaque et la sage (77) Pénélope.
Ainsi Pénélope ne trouve grâce, ni dans la littérature morale ou
sophistique, ni dans la littérature narrative ou mythologique. La démystification,
après avoir pris la forme d'une mise en doute du caractère sublime de sa vertu,
se manifeste par un oubli significatif. Même les œuvres des mythographes du
temps sont révélatrices. Lorsque le pseudo-Apollodore, qui écrivit
probablement au Ile siècle sa Bibliothèque et son Epitomé, raconte la légende (78),
il s'efforce de réunir toutes les versions connues. Après avoir, dans YEpitomé,
rappelé la version homérique (79) et cyclique (80), il reprend celle qui avait
atteint le paroxysme à l'époque hellénistique. Les prétendants qui ont séduit
Pénélope sont nommés et l'histoire, par là même, devient plus vraisemblable.
Pour les uns Pénélope a été séduite par Antinoos, et Ulysse l'aurait renvoyée à
son père (81) ; pour les autres, elle aurait eu des relations avec Amphinomos
dont Ulysse se vengea en le tuant (82). On ne trouve, avant cette date, aucune
trace de ce meurtre. Jusque là, c'était Pénélope qui s'était vengée des
infidélités d'Ulysse (83). Maintenant c'est Ulysse qui se venge des infidélités de
Pénélope.
LA LÉGENDE 163

Notes du CHAPITRE XI
(1) W. Stanford, The Ulysses thème, p. 146-158.
(2) 54-56 ; trad. P. de Labrio Ile et F. Villeneuve Juvénal, Satires, Paris, 1964.
(3) P. de Labriolle, Les Satires de Juvénal, Paris, 1932, p. 199.
(4) Satire XV, 13-26.
(5) Epigrammes, I, 62, 6 ; XI, 7, 5 ; XI, 104, 16 ; trad. HJ. Izaac, Martial, Epi-
grammes, 3 voL, Paris, 2eme éd., 1961.
(6) Le Corpus Priapeorum considéré par les philologues comme un corpus d'origine
diverse présente cependant une grande unité et pourrait être l'œuvre d'un auteur
unique qui s'inspirerait étroitement de Martial (cf. V. Buchheit, Studien zum
Corpus Priapeorum, Munich, 1962) à moins que l'auteur ne soit Martial lui-même
(cf. L. Herrmann, «Martial et les Priapées», Latomus, XXII, 1963, p. 31-55).
L'épjgramme LXVIII offre de nombreuses correspondances avec les epigrammes
de Martial (cf. L. Herrmann, loc. cit., p. 50).
(7) LXVIII, 27-38, F. Bucheler, Petronii satirae et liber Priapeorum, Berlin, 1895 ;
jeu de mots sur l'expression nervum intendere qui signifie tirer la corde d'un arc
et accomplir l'acte sexuel.
(8) Discours LXVII et LXVIII, 38, in D» Chrysostom, Discourses, 5 voL text and
translation by J.W. Cohoon et H. Lamar Crosby, Londres, 1961-1964.
(9) Discours LV, Au sujet d'Homère et de Socrate, ibki.
(10) Discours XI, en général daté d'avant l'exil de Dion, de la période où il était
sophiste.
(11) XI, 134.
(12) C. Affholder« L'exégèse morale d'Homère chez Dion de Pruse», BFS, novembre
1966, p. 287-293.
(13) XV, 4.
(14) Od., I, 215 sq.
(15) XV, 6.
(16) LV, 20.
(17) VII, 84.
(18) VII, 85-86.
(19) VD,83.
(20) XV, 4.
(21) VU, 86.
(22) L. François, Essai sur Dion Chrysostome, Paris, 1921, p. 133-135.
(23) Quaestiones convivales, VII, 706 D.
(24) Conjugalia praecepta, 140 D.
(25) Ibid, 140F-141.
(26) De garrulitate, 506.
(27) Od., XIX, 210-212, vers cités par Plutarque.
(28) H. Cherniss et W.C. Helmbold, Plutarch's Moralia, XII, Londres, 1957, p. 489.
(29) O. Gréard, De la morale de Plutarque, Paris, 1866, p. 1 27.
(30) 988 B.
(31) 989.
(32) 989 B. trad. V. Bétolaud Plutarque, Oeuvres morales et œuvres diverses, IV,
Paris, 1870.
(33) Voir supra, p. 58 sq.
(34) Dion, Discours, VI, 27-35 .
(35) Bruta animalia ratione uti, 989.
(36) Quomodo adolescens poetas audire debeat, 27 B.C.
(37) En particulier par Dicéarque (cf. supra, p. 97 sq.)
(38) Heraclite, lettre Vu, R. Hercher, EG, p. 283.
(39) V. Martin, «Un recueil de diatribes cyniques», MH , 1959 ρ 79 Sq
(40) Col. XIV, 35-37.
(41) Col. XIV, 41 ; trad. V. Martin, loc. cit., p. 82.
(42) P. Photiadès, p. 139, in «Les diatribes cyniques du papyrus de Genève, 271,
leurs traductions et élaborations successives», MH, 1959, p. 116-139.
(43) Col. XIV, 38-40 ; trad. ibid.
(44) CoL XIV, 48 ; trad. ibid.
(45) Lucien, Portraits, 20.
(46) 1, 8.
(47) J. Bompaire, Lucien écrivain . Imitation et création, Paris, 1958, p. 275-278.
164 M.-M MACTOUX

(48) 7.
(49) 21.
(50) J. Bompairc, op. cit., p. 379 sq.
(51) 12,1.
(52) 11,20.
(53) II, 35.
(54) II, 36.
(55) V,215sq.
(56) J. Bompairc, op. cit., p. 71.
(57) M. Caster, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris, 1938, p. 295.
(58) Histoire vraie, I, début.
(59) Dialogue XXII.
(60) Beda Hopkan, Lukians, Dialogue uber die Gôtterwelt, Diss. Solothurn, 1904,
p. 16-17 cité par M. Caster, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris,
1937, p. 194, n. 23. L.Bompaire, op. cit., p. 578, partage ce point de vue.
(61) C'est à ce même niveau que se situe l'image conventionnelle de Pénélope qu'offre
Athénée dans le Banquet des Sophistes. Qu'il cite Homère (I, 14, bc), le comique
Euboulos dans Chrysilla (XIII, 559 c), ou les jeux de mots de Démétrios
Poliorcète (XIV, 615 a), le rôle de Pénélope est confiné à celui de la chaste épouse,
assiégée par les prétendants sous les yeux de l'aède Phémios. Moraliste de ce
temps, l'aède exprimait sa haine et son dégoût à leur égard ; quant à la citation
d'Euboulos, elle est faite par l'un des convives à l'appui de sa thèse sur l'influence
pernicieuse des femmes. On sait comment Euboulos (voir supra, p. 57 )
cependant, ne les condamne pas toutes, et présente Pénélope comme une exception. En
réponse à cette diatribe, le grammairien Myrtilos se met à les défendre en citant
le passage où Hermésianax de Colophon énumérait les femmes qui ont vécu dans
l'ombre de tous les grands hommes, en particulier des poètes qui les appréciaient.
Hésiode, amoureux d'une jeune fille d'Ascra, et Homère, amoureux de Pénélope,
sont choisis à titre d'exemples (ΧΠΙ, 597 e). C'est simple fantaisie de la part de
l'auteur, de même lorsqu'il rappelle le bon mot de Démétrios Poliorcète disant
que «n'importe quelle prostituée à sa cour vivait plus chastement que n'importe
quelle Pénélope à la sienne» (XIV, 615 a).
(62) J. Schwartz, «Quelques observations sur des romans grecs», A C, 1967, p. 536-552.
(63) Cf, Les travaux et les jours, 42 sq.
(64) I, 8, 6.
(65) B. F. Perry, The ancient romances. A literary historical account of their origins,
Berkeley - Los Angeles, p. 109.
(66) A. Lcsky./4 historv of Greek literature, p. 850.
(67) XIV, 45".
(68) Dictyis Cretensis ephemeridos belli Trojani libri, éd. W. Eisenhut, Leipzig, 1958,
préface, p. VIII.
(69) VI, 6.
(70) Flavii Philostrati opéra, II, éd. CL. Kayser, (Leipzig, 1870) réimp. Hildesheim,
1964, p. 128 sq.
(71) Op. cit., XVIII, 3.
(72) Eikones, II, 28.
(73) Cf. A. Fairbanks, Philostratus, Imagines, Londres, 1960, p. 248, n. 3.
(74) Pour la date de Quintus, cf. F. Vian, Quintus de Smyrne, La Suite d'Homère,
3 tomes, Paris, 1963, introduction au tome I.
57 S) V 1 86 : trad. F. Vian, op. cit.
(76) Fr. 137, D.L. Page, Select papyri, III, Literary papyri, I, Poetry, Londres, 1950.
(77) Le terme grec est effacé. D.L. Page propose un terme homérique qualifiant
souvent Pénélope dans YOdyssée.
(78) A. Lesky , A history of Greek literature, p. 85 6-85 7 .
(79) VII, 26-33.
(80) VII, 35-37.
(81) VII, 38.
(82) VII, 39^0.
(83) Dès le Ve siècle avant J.C. dans Euryalc de Sophocle.
CHAPITRE XII

L'INTERPRÉTATION MYSTIQUE DE LA LÉGENDE


Il serait faux, cependant, de penser que cette tentative de
démystification a modifié définitivement la vision de Pénélope. Non
seulement le peuple continue à voir en elle le modèle de la fidélité conjugale, avec
une continuité qui caractérise le plus souvent la vie populaire d'une légende,
mais, en même temps, l'accent est mis sur une forme supérieure de cette
sagesse. Ce trait, sensible dans les épitaphes, sera amplifié et systématisé par
une littérature philosophique ou d'inspiration philosophique, qui dégagera, à
l'usage des classes intellectuelles, un besoin ressenti par tous.
Comme à l'époque hellénistique, mais d'une manière plus fréquente,
Pénélope est choisie comme élément de comparaison dans des épitaphes ou
des inscriptions honorifiques qui se multiplient au Ile et Ille siècles. Ainsi,
sur ce sarcophage romain du Ile siècle, la morte est qualifiée d'auguste, à
l'instar de Pénélope (1). Sur une autre, de date incertaine, mais de basse
époque d'après les caractères, découverte cette fois en Grèce insulaire, à
Amorgos, la sagesse de la défunte est comparée à celle d'Alceste et de
Pénélope (2). De même sur ces stèles de Naxos du Ile ou Ille siècle (3), Pénélope
continue à être pour les petites gens l'incarnation des vertus familiales,
fidélité, honnêteté, amour conjugal, pour lesquelles les femmes, aussi bien les
Grecques que les Romaines sont louées (4). On retrouve des formules de ce
type jusqu'en Bithynie et en Syrie (5). A Nicée, dans la première moitié du
Ilème siècle, sur le tombeau - pyramide d'un prêtre du Soleil enterré avec sa
femme Severa ont été gravées une série d'inscriptions conservées par Y
Anthologie palatine. L'une d'elle, après avoir loué l'amour des deux époux que la
tombe ne sépara point, se termine par ces vers : «Et pour moi, Sévéra, mon
époux et mon fils, mes mœurs et ma beauté me vaudront plus de gloire que
n'en connaît l'antique Pénélope» (6). De même dans une épigramme funéraire
de Rhosos (7) datant de l'époque impériale, peut-être du Ille siècle (8), une
femme est comparée à Pénélope. Les caractères sont difficilement lisibles, et
les reconstitutions divergentes dans le détail (9). Mais dans les vers, 4, 5 , 6, le
thème général est clair. C'est à cause de sa chasteté, de sa prudente sagesse et
de ses vertus domestiques, que la digne Bérous est comparée à l'épouse
d'Ulysse. Cette inscription syrienne n'est pas la seule. Une autre, de la même
époque, dit que la morte l'emportait sur Pénélope par ses actions, et sur
Laodomie par sa beauté (10). Ce n'est pas seulement pour sa fidélité que la
morte est comparée à Pénélope mais aussi pour la sagesse de sa conduite.
Ce procédé, qui consiste à comparer un contemporain à un personnage
de l'ancien temps pour le mettre à égalité, se rencontre également dans des
inscriptions honorifiques. Ainsi, cette inscription trouvée à Sparte dans le
temple d'Athéna, et concernant une femme à laquelle la ville de Sparte a
élevé une statue ; elle est qualifiée de «nouvelle Pénélope» (11). Même
appellation sur un hermès de marbre dans une église près de Sparte (12),
daté de la fin du Ile siècle ou du début du Ille siècle après J.C. (13). Ce
sont des expressions consacrées, à l'époque impériale, utilisées également
dans des inscriptions relatives à des hommes sous la forme de «nouvel Epami-
nondas», de «nouvel Homère», «nouvel Atlas» (14). La formule, ici, se suffit
à elle-même, et les raisons qui ont, permis le rapprochement ne sont pas
précisées.
Il n'en est pas de même pour deux inscriptions sur des bases de marbre
168 M.-M MACTOUX

qui supportaient des statues érigées successivement par la ville de Sparte à


Aurélia Oppia (15) et à sa fille Hérakleia (16), datant du Ile ou Ille siècle.
Bien que la statue d'Hérakleia ait été dressée dans le temple d'Artémis Orthia
et que sa fille ait été louée pour sa piété, il est peu probable que les deux
femmes aient exercé des fonctions religieuses (17). Il s'agit plus sûrement de
statues honorifiques, placées, comme il était normal, dans un sanctuaire,
statues fréquentes à l'époque impériale, dédiées à des parents d'un bienfaiteur
de la villa (18). La première est qualifiée de «nouvelle Pénélope» (19), la
seconde, «d'autre Pénélope» (20). Mais les épigrammes nous apprennent
pourquoi les deux femmes sont comparées à Pénélope : pour leur très grande
sagesse (21). C'est la première fois qu'un terme de cette nature intervient dans
des inscriptions qui se contentaient, jusque là, d'employer le terme plus
général d'arété. Par rapport aux épigrammes de l'époque hellénistique et du début
de Tépoque romaine, le ton a changé. Pénélope n'est plus seulement un
modèle de fidélité mais elle devient, sinon, le symbole de la sagesse, du moins
l'incarnation de toutes les vertus qui permettent de qualifier une vie
d'édifiante. Il est intéressant de noter que. précisément à la même époque, la
philosophie néopythagoricienne et néoplatonicienne systématise cette vision
populaire et que, pour la première fois, la sagesse de Pénélope devient objet de
réflexion philosophique.
L'exégèse néoplatonicienne qui s'épanouit dans les derniers siècles de
l'hellénisme et atteint son point culminant chez Porphyre enrichit
considérablement le symbolisme qui s'attache à Pénélope. D'une part, Pénélope n'est
plus seulement le symbole de la sagesse mais de la vraie sagesse, c'est-à-dire
d'une forme supérieure de philosophie seule capable de libérer l'âme. D'autre
part, elle n'est pas loin de symboliser la patrie céleste qu'Ulysse retrouve au
terme d'un exil, l'exil de l'âme qui s'est incarnée mais qui aspire à regagner les
cieux d'où elle est descendue. Sans doute la sagesse de Pénélope et non plus
seulement telle ou telle de ses vertus, avait-elle déjà été mise en lumière, à
l'intérieur du courant allégorique, par des auteurs comme le Pseudo-Heraclite
qui écrivit au premier siècle ses Allégories homériques (22) ou le Pseudo-
Plutarque avec sa Vie et poésie d'Homère. En conclusion des Allégories
homériques, la sagesse de Pénélope est avancée comme preuve de la noble
vertu qui caractérise tous les héros d'Homère (23). Une lacune dans la
deuxième partie de l'ouvrage nous prive des commentaires sur les chants XI à
XIV de VOdyssée, qui pouvaient contenir une caractérisation plus précise de
cette sagesse. Mais lorsqu'Héraclite parle ailleurs de Pénélope, il se contente
de la présenter comme l'épouse qu'on veut retrouver au terme d'une longue
errance (24), et elle a la même fonction qu'Hélène pour qui les Grecs se sont
inia en campagne. C'est surtout Homère qui est loué d'avoir su, dans ses deux
poèmes, illustrer la sainteté du lien conjugal alors que Platon, qui prônait la
communauté des femmes et des enfants, est blâmé et jugé par Heraclite
comme le principal ennemi d'Homère. Finalement dans cette exégèse, Ulysse
reçoit la meilleure part. Un chapitre complet lui est consacré (25) et Heraclite,
en terminant, s'efforce une dernière fois de purifier Homère des attaques
d'Epicure, autre grand coupable à ses yeux. Oeuvre contemporaine, Vie et
poésie d'Homère donne la même impression. Ce texte, souvent attribué à
Plutarque (26) mais sans aucune certitude, est en tout cas antérieur à
l'exégèse néopythagoricienne de Numénius dans la deuxième moitié du Ile siècle
(27). L'auteur qui fait également d'Homère une exégèse morale ne parle qu'en
passant de Pénélope. Homère, dit-il, offre en elle l'exemple d'une femme
LA LÉGENDE 169

vertueuse et attachée à son époux (28) ; mais c'est encore Ulysse qui est, pour
lui, le modèle du courage de l'âme. Quand il résume V Odyssée, il ne souffle
mot de Pénélope. « \J Odyssée est l'histoire du retour d'Ulysse dans sa patrie
après le siège, des maux qu'il éprouva dans les différentes contrées où il erra
et de la manière dont il se vengea de ceux qui cherchaient à s'emparer de son
bien. On voit par là que le grand poète a voulu nous présenter dans YOdyssée
un modèle du courage de l'âme» (29). Ailleurs il loue la modération d'Ulysse
qui, face aux pleurs de sa femme, sait contenir son regard (30) et oppose à la
démesure des prétendants la sagesse du héros, négligeant celle de sa femme.
Bien fade exégèse par rapport au courant allégorique qui s'épanouit au Ille
siècle.
C'est probablement le néopythagoricien Numénius d'Apamée qui, dans
la seconde moitié du Ile siècle, renouant avec une tradition pythagoricienne,
va contribuer à faire de Pénélope le symbole de la philosophie et de la vraie
sagesse. Ce philosophe était lu et commenté dans l'école de Plotin, et
Porphyre dans L'antre des nymphes rappelle que «Numénius et son école
pensaient qu'Ulysse dans l'idée d'Homère, offrait l'image, tout au long de
YOdyssée, de l'homme qui traverse les successives épreuves de la génération»
(31). Numénius s'intéressait donc particulièrement à l'épisode d'Ulysse retenu
par Calypso et s'efforçant de rejoindre Pénélope. Or, Eustathe a gardé le
souvenir d'une exégèse de ce type. Ulysse abandonne Calypso la fille d'Atlas,
l'axe du monde, pour Pénélope, la philosophie méthodique et la vraie sagesse
(32). C'est parce que Pénélope tisse et détisse la toile qu'elle peut être
assimilée à la philosophie (33). La comparaison du travail de la pensée avec celui du
métier est une métaphore déjà présente chez Homère (34) ; Eustathe
l'explicite quand il dit que, de même que l'on obtient l'étoffe en combinant la
trame avec la chaîne, on créé aussi le discours en composant des mots (35). Mais
l'analogie est encore plus précise et se poursuit avec l'emploi du verve analuô
qui veut dire résoudre les syllogismes en leurs diverses propositions pour
étudier la rigueur de leur enchaînement. Lorsque, dans YOdyssée, Homère décrit
la ruse de Pénélope, c'est ce verbe qu'il emploie (36). En détissant, Pénélope
se livre donc au vrai travail de l'intelligence, inaccessible aux prétendants stu-
pides, et ce travail, elle ne peut l'accomplir que sous l'inspiration divine (37).
La servante complice de la reine devient la méthode analytique elle-même
(38). Ainsi s'accomplira pour celui qui prendra Ulysse en exemple cette
conversion à laquelle appelle Eustathe : «Lorsqu'on t'aura inscrit parmi les
prétendants de la sage Pénélope, toi aussi tu travailleras à la toile, et Pénélope, la
philosophie, allumera pour toi, en secret et en silence, les flambeaux de la
connaissance et te fera voir comment on défait cette toile ; alors tu pourras te
rendre compte que nous avons bien tissé, avec elle, les fils de cette
élévation» (39).
Cette allégorie a dû trouver sa forme complète dans l'entourage de
Plotin et de Porphyre (40). Plotin ne cite pas Pénélope dans les Ennéades mais,
lorsqu'il invite l'homme à retrouver la vraie patrie, il donne en exemple
Ulysse qui «échappa, dit-on, à Circé la magicienne et à Calypso, c'est-à-dire
qui ne consentit pas à rester près d'elle, malgré les plaisirs des yeux et toutes
les beautés sensibles qu'il y trouvait» (41). Et Porphyre pense qu'Ulysse, en
renonçant à la toute sage Pénélope, eût abjuré la vertu et perdu avec elle la
force pour son âme de remonter auprès de la divinité (42). Il est probable,
cependant, qu'ils sont l'un et l'autre les héritiers des Pythagoriciens qui ont
souvent cherché à tirer de l'étymologie des conclusions au point de vue religieux
170 M.-M MACTOUX

et moral (43).
C'est à cette sagesse que songe Julien au IVe siècle, lorsque, dans
L'éloge de l'impératrice Eusébie, il se sert de l'exemple de Pénélope pour
louer sa protectrice. On pourrait être tenté de ne voir là que procédé rendu
obligatoire par les lois du genre héritées d'une longue tradition littéraire.
Précisément, peu de temps auparavant, l'orateur grec Ménandre l'avait
systématisée dans ses traités (44). Mais si l'usage contraint dans la forme, la
possibilité de choix demeure dans le contenu. Un coup d'oeil jeté sur les
panégyriques prononcés au IVe siècle par des orateurs gaulois (45) devant les
empereurs, montre que leur air de famille tient non seulement aux règles suivies
mais à l'utilisation d'exemples caractéristiques de l'époque. A des
comparaisons avec Ulysse qui, en d'autres temps, se seraient imposées, se substituent
des comparaisons avec Hercule. Certes, Dioclétien en prenant le nom de
Jovius et en imposant à Maximien celui d'Herculius, a voulu préciser les
fondements religieux du pouvoir impérial, assurant l'indépendance des
empereurs à l'égard des hommes et des dieux (46), mais le choix d'Hercule reste,
dans une certaine mesure, contingent, et lié à la culture d'une époque.
Il ne semble pas, d'ailleurs, que les rhéteurs grecs contemporains se
soient particulièrement attachés à Pénélope. Libanios, dans ses exercices
d'école, prend à de nombreuses reprises des épisodes de l'histoire d'Ulysse
comme thème et les emprunte tour à tour à Ylliade et à YOdyssée.
L'ambassade d'Ulysse et la réponse d'Achille à Ulysse venu sous sa tente essayer de le
convaincre de renoncer à sa colère sont les sujets des Déclamations IVet V.
D'autre part, dans les Ethopées, discours de personnages dans certaines
situations dramatiques, Ulysse revient trois fois, avec deux discours prononcés
dans la grotte du Cyclope (47), et un autre après le meurtre des prétendants
(48). Là, Pénélope est citée, mais qu'incidemment, et peu par rapport au
sujet. Lorsqu' Ulysse, soulagé par sa vengeance, prend la parole, ce sont ses
propres exploits qu'il loue, tous ceux qu'il a accomplis à Troie et pendant le
voyage du retour. D'elle, il dit simplement qu'elle échappe à Yhybris (49)
qu'Homère dénonce chez les prétendants. Mais, si la confrontation d'Ulysse et
de Pénélope n'intéresse pas Libanios, il n'est pas douteux que la réunion du
couple ait eu pour lui une valeur exemplaire. Libanios, nourri d'Homère
compare souvent sa situation à celle des héros homériques. C'est ainsi que
lorsqu'au début du Discours sur sa propre fortune il raconte combien fut
violent son désir d'aller étudier à Athènes il s'identifie à Ulysse. «Et je crois que,
semblable à Ulysse, en vue de la fumée d'Athènes, j'aurais repoussé l'hymen
d'une immortelle» (50). Pénélope est citée longuement par Achille qui répond
à Ulysse venu le voir sous sa tente (51), et par d'autres héros grecs dans le
même sens. Encore Achille, après l'enlèvement de Briséis, suggère
l'attachement d'Ulysse pour Pénélope en disant combien la réconciliation immédiate
d'Ulysse avec un homme qui a désiré sa femme est impossible à envisager
(52). Lorsqu'Oreste, dans sa défense, songe au retour d'Ulysse, c'est pour
l'envier d'avoir retrouvé une femme sage infiniment supérieure (53) aux
prétendants pillant sa demeure. Dans son Discours sur Art émis il n'hésite pas à
rappeler que le très sage Homère se sert de comparaison avec la déesse pour
honorer la fille d'Alkinoos et la fille d'Icare qui égalent, l'une et l'autre,
Artémis pour la beauté (54). Pénélope est aussi digne d'admiration.
Nous n'avons pas l'impression, cependant, que la pensée de Libanios
aille bien au-delà de l'évocation qu'on peut attendre de la part d'un homme
qui a lu et relu auteurs grecs, et lutte de toutes ses forces contre la décadence
LA LÉGENDE 171

de l'hellénisme. Libanios connaissait Ylliade et VOdyssée par cœur (55), et


insiste sur l'importance d'Homère dans une de ses lettres (56). Il condamne
la poésie contemporaine et seulement une épopée sur un thème homérique
reçoit sa recommendation (57). Or, dans l'énorme correspondance qui nous
est parvenue et où, d'une manière beaucoup plus personnelle, il répond à des
personnages de toute sorte sur les sujets les plus variés, Pénélope n'est guère
évoquée autrement que dans des expressions proverbiales. On retrouve
l'opposition traditionnelle d'Hélène et de Pénélope dans une formule probablement
de ce type, suivant laquelle on ne peut louer Hélène à la place de Pénélope
(58). Dans une seule lettre adressée à Celsus, le consulaire de Cilicie, Antio-
chéen, ami de Libanios (59), il associe Pénélope à Ulysse comme exemple à
imiter. Ils ont su l'un et l'autre, Pénélope avec sa toile, et Ulysse avec Cha-
rybde et Scylla, découvrir une solution aux difficultés qui les harcelaient et
Libanios invite Celsus à imiter ensemble, Pénélope et le mari de Pénélope
(60).
Au contraire, lorsque Julien, disciple de Libanios, utilise l'histoire de
Pénélope dans L'éloge de l'impératrice Eusébie, il échappe à un simple usage
rhétorique. On a souvent noté le caractère spontané et naturel de cet éloge,
composé avec celui de Constance pendant l'hiver 356/357, alors que Julien
vient de mener une campagne difficile en Gaule contre les Barbares. L'éloge
n'est pas uniquement un morceau de circonstance. Dans son exil forcé Julien
prend plaisir à se souvenir de celle qui lui a montré tant de sollicitude et dont
il a pu apprécier, peu avant son départ pour la Gaule, la bienveillante sagesse.
«Dès que je fus en sa présence je crus voir dressée, ainsi que dans un temple,
la statue de la Modestie (sophrosyné)» (61). L'héroïne d'Homère revient à
plusieurs reprises, non pas au hasard, mais dans chacune des parties, scandant,
pour ainsi dire, un discours dont le plan a été suggéré à Julien par l'éloge
d'Arété dans Y Odyssée (62) dont il résume fidèlement le passage (63). Dans
son introduction, en rappelant comment Homère ne rougissait pas de louer
Pénélope (64), il justifie son entreprise présente qui est de célébrer une
femme vertueuse. Voulant prouver la noblesse de la reine, il évoque celle de sa
Lorsqu'et ensuite
mère, Pénélopeil parle
intervient
de sonà union
nouveau
aveccomme
Constance,
termesoucieux
de comparaison
de ménager
(65).
la
jalousie de l'empereur, il note, parmi les cent mérites de Pénélope, celui qu'il
admire le plus ; elle a conquis l'amour et la tendresse d'un époux, «à ce point
qu'il dédaigna, dit-on, pour elle, des mariages divins et rejeta également une
alliance avec le roi des Phéaciens» (66). Pénélope sait, à cette tendresse,
joindre la sagesse qui lui permit de guider Ulysse, de l'aider à «trouver ce qu'il
devait faire» (67). Eusébie fit de même avec Constance. Enfin, en conclusion,
il oppose la grandeur de Pénélope, faite de vertu et de modestie, {are té et
sophrosyné) à la grandeur de ces héroïnes aux exploits illustres, qu'Homère
a négligées, parce que «la vertu et la modestie de l'une donnent des exemples
profitables aux individus comme à la chose publique, tandis que l'ambition
des autres, loin d'être avantageuse à personne, entraîne d'irréparables cala-
mités»(68). L'éloge d'Eusébie se transforme en un éloge de Pénélope, et on a
ici la plus belle œuvre écrite depuis Homère à la gloire de la femme d'Ulysse.
Certes, il note l'ambiguïté de cette sagesse, lorsqu'au milieu du même
discours, il dit que la mère d'Eusébie ne se montra pas «accessible comme
Pénélope le fut pendant l'absence de son mari errant, pour les jeunes
prétendants d'Ithaque, de Samos et de Doulichium» (69). Sa réserve se traduit
plus nettement encore dans une lettre écrite à une prétesse de Déméter restée
172 M.-M MACTOUX

attachée, malgré les persécutions, au culte de la Mère des dieux (70). L'amour
conjugal, aussi grand soit-il, n'est rien à côté de l'amour des dieux. Mais ce
sont plus les limites d'Homère qu'il dénonce que celles de Pénélope. De la
même époque date le Misopogon rédigé par l'empereur à l'intention du
peuple d'Antioche chez qui il vient de séjourner, et qui a fort mal accueilli ses
efforts ostentatoires pour restaurer les cultes païens. Conscient de son échec
Julien essaie de l'expliquer aux autres, et surtout à lui-même. Il dénonce
l'influence de son précepteur Mardonios qui, remplaçant sa mère morte, lui a
présenté un reflet idéalisé de la vie en l'invitant sans arrêt à chercher la
perfection dans Homère (71). Vue très partielle et dans une certaine mesure
appauvrie ; il s'en rend compte maintenant en affrontant un peuple dont il
n'arrive pas à se faire comprendre. En dénonçant l'infériorité de Pénélope
qui se contente d'attendre vingt ans le retour d'Ulysse, tandis que Callixéna
a résisté pendant quarante ans aux persécutions (72), il veut marquer sa
désapprobation à l'égard d'une éducation livresque qui l'a peu préparé à
saisir la richesse de la réalité.
Mesurer les limites de la Pénélope homérique n'a pas d'autre
signification pour lui que de mesurer les limites de l'œuvre littéraire qui ne peut
présenter qu'un aspect des choses. Comme il le rappelle dans l'éloge d'Eusébie,
la vertu ne prend pas une forme unique. Homère a préféré célébrer Pénélope
plutôt que des guerrières illustres par leurs exploits, parce que dans les
conditions où elle se trouvait, sa conduite était parfaite, comme sont parfaites, dans
des circonstances analogues, celles d'Eusébie ou de Callixéna. Dire que
Callixéna est supérieure à Pénélope, c'est dire que l'amour des dieux est supérieur
à l'amour humain, mais rapprocher ces deux femmes n'est-ce pas voir, à la
manière de Plotin, une préfiguration de l'une dans l'autre ? On ne peut douter
que ce ne soit la pensée profonde de Julien, gagné au paganisme par une visite
aux maîtres de l'école néoplatonicienne de Pergame et d'Ephèse. Julien est ici
le disciple de Porphyre et, par l'usage qu'il fait de la légende, il montre que
cette interprétation mystique, loin d'être uniquement le fruit d'une pensée
philosophique, est en harmonie avec la sensibilité exacerbée d'une époque
troublée.
LA LÉGENDE 173

Notes du CHAPITRE XII


(1) 1736, I, W. Peek, Griechischen Vers-Inschriften, I, Grab-Epigramme. Pénélope est
qualifiée de οβμνήΑβ terme est d'une extrême fréquence dans les épitaphes; cf . L.
Robert, Hellenica, XIII, Paris, 1965, p. 35.
(2) 1115, 4, ibid. La pierre est très lacunaire et les épithètes d'Alceste et de Pénélope
ont été restituées par G. Kaibel qui propose, pour Pénélope, hpuJniEpigrammata
graeca, 277, 4).
(3) / G, XII, 5, 65 ; W. Peek, op. ciL.693 et / G ΧΠ 5, 66 ; W. Peek, op. cit., 2031.
(4) R. Lattimore, Thèmes in Greek and Latin epitaphs, Urbana, 1962, p. 293.
(5) En revanche, rien de tel dans les inscriptions l'Egypte gréco-romaine. Cf. E. Ber-
nand, Inscriptions métriques de l'Egypte gréco-romaine, Recherches sur la poésie
épigrammatique des Grecs en Egypte, Annales Littéraires de l'Université de
Besançon, voL 98, Paris, 1969. Comme ailleurs, les éloges que l'on fait aux
femmes s'adressent à leurs qualités morales, et le thème le plus fréquemment abordé
est celui de l'amour conjugal. Cependant, si les comparaisons avec des héros
connus de l'Antiquité sont excessivement rares, l'emploi de certains termes
suggère un rapprochement implicite. Ainsi, l'adjectif ΜΛ)Τψ\μϊ figure, dans Fépitaphe
d'Ailoura est appliqué par Homère à Pénélope «l'épouse par excellence» (E. Ber-
nand, op. cit., p. 233). Je remercie M. Bernand d'avoir attiré mon attention sur
ce point.
(6) XV, 8;trad. F. Buffière, Anthologie grecque, XII, Paris, 1970.
(7) L. Jalabertet R. Mouterde, Inscriptions grecques et latines de la Syrie, III, I, 721
(SEG, XVIL 1960, 753 ; W. Peek, Griechische Vers-Inschriften, I,
Grab-Epigramme, 1737).
(8) L. Jalabert et R. Mouterde, op. cit., pi 412.
(9) J. et L. Robert, Bull épigr., 1951, n. 227 et Bull épigr., 1959, n. 458.
(10) W. Peek, op. cit., 727, 4.
(11) IG, V, 1,607,23-24.
(12) Eglise de Mystra ; G. Kaibel, Epigrammata graeca, 917, 2, (IG V, I, 540).
(1 3) Par G. Kolbe, IG, loc. cit.; G. Kaibel, op. cit., la date du IVème siècle.
(14) L. Robert, p. 261, n. 6, in «Epigrammes satiriques de Lucillius», p. 181 sq.,
L 'épigramme grecque, Entretiens sur l'Antiquité classique, XIV, Vandœuvres-
Genève, 1967.
(15) / G, V, 1,598.
(16) 874, G. Kaibel (JG, V, 1,599).
(17) Cf. J. Martha, «Inscriptions du Péloponnèse»£C#, 1879, p. 196-197.
(18) L. Robert, Etudes anatoliennes, Paris, 1937, p. 299.
(19) 9
(20) 15.
(21) La mère et la fille sont dites philo sophotate.
(22) F. Buffière, p. IX-X de l'introduction à Heraclite, Allégories d'Homère, Paris,
1962.
(23) 78, 3.
(24) 76,13.
(25) 70.
(26) En particulier par G.N. Bernardakis, Plutarchi Moralia, VII, Leipzig, 1896, p.
IX sq.
(27) F. Buffière, Les mythes d'Homère et la pensée grecque , p. 77.
(28) 185.
(29) Trad. V. Bétolaud, Plutarque, Oeuvres morales et œuvres diverses, V, Paris, 1870.
(30) 135.
(31) Antre des nymphes, 34 ; trad. F. Buffière, L'antre des nymphes, appendice aux
Mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris, 1956.
(32) Eustathe, 1390, 2 sq.
(33) Id., 1437, 19 sq.
(34) Ho mère, Iliade, III, 2 1 2.
(35) Eustathe, 1437, 19 sq.
(36) Od., Π, 109 ; XIX, 150 ; XXIV, 145.
(37) Eustathe, 1437, 23 sq. De même dans VOdyssée, XIX, 138.
(38) Eustathe, 1437, 26 sq.
(39) Eustathe, 1437, 30 sq.; trad. F. Buffière, Les mythes d'Homère et la pensée
grecque, p. 391, n. 107.
174 M.-M MACTOUX

(40) F. Buffière, op. cit., p. 391.


(41) Plotin, Ennéades, I, 6, 8 ; trad. E. Bréhier, Plotin, Ennéades, I, Paris, 1960.
(42) Porphyre, ad. Od., VII, v. 258, in Phorphyri Quaestionum homericarum ad
Odysseam pertinentium, éd. H. Schrader, Leipzig, 1890.
(43) M. Détienne, «Ulysse sur le stuc central de la Basilique de la Porta-Maggiore»,
Latomus, 1958, p. 282.
(44) Rhetores graeci, III, Leipzig, 2 éd. .1893, p. 325 sq.
(45) Panégyriques ktins, 3 tomes, éd. Ed. Galletier, Paris, 1949-1955.
(46) Cf. W. Seston, Dioctétien et la tétrarchie, Paris, 1946, p. 21 1-230.
(47) Ethopées, 23 et 24, in Libanius, Opéra, 12 voL. éd. R. Forster, Leipzig, 1903-
1927 (vol. VIII).
(48) Ethopées, 25.
(49) 25, 1.
(50) 12 ; trad. L. Petit, Essai sur la vie et la correspondance du sophiste Libanius,
Paris, 1866, p. 176.
(51) Déclamation V, 61-62, (vol. V)
(52) 15, 1.
(5 3) Déclamation VI, 59 (voL V).
(54) Artémis, 8, (vol. I).
(55) A.F. Norman, p. 161, in «The library of Libanius», RBM, 1964, p. 158-175.
(56) Lettre 1036 (vol X).
(57) Lettre 990 (voL X).
(58) Lettre 495 (voL X).
(59) P. Petit, Libanius et la vie municipale ; Antioche au IVe siècle après J.C, Paris,
1955, p. 36.
(60) Lettre 746 (voL X).
(61) Eloge de l'impératrice Eusébie, 123 a ; trad. J. Bidez, L'empereur Julien, I,
1ère partie, Paris, 1932.
(62) VII, v. 53-77.
(63) 105-106 b.
(64) 104 c.
(65) 110 c.
(66) 112 d ; trad. ibid.
(67) 114b ;id.,ibid.
(68) 128 b ;id.,ibid.
(69) 110 c.
(70) Lettre 81.
(71) Misopogon, 351 d.
(72) Lettre 81.
CHAPITRE XIII

PÉNÉLOPE DANS L'ART ROMAIN TARDIF

ET L'ART BYZANTIN
I -ART ROMAIN TARDIF

De l'art des derniers siècles de l'empire romain, Pénélope disparaît


presque totalement. Pourtant certains aspects de la légende auraient pu
séduire ces hommes qui vivaient une grave crise, économique, institutionnelle et
spirituelle et traduisaient dans l'art cette douleur de vivre (1). Au IHe siècle,
par exemple, on aime représenter la souffrance des Barbares enchaînés, et
cette angoisse se lit aussi sur les visages aux yeux agrandis des portraits civils
et funéraires. Sur les sarcophages, les silhouettes de femmes, le visage appuyé
sur la main, expriment la plus profonde désolation (2).
Mais alors que Pénélope, telle qu'elle avait été représentée dans l'art
grec du Ve siècle, aurait pu servir d'expression à ce sentiment unanime, elle
reçoit une fonction opposée. Elle est celle dont la sagesse surnaturelle
symbolise ce désir de fuite hors d'un monde devenu insupportable, comme, à la
même époque, l'exprime la philosophie de Plotin. On comprend que, dans ce
rôle, elle soit devenue beaucoup plus inaccessible. Cette appropriation par des
courants philosophiques qui s'adressaient surtout aux classes sociales les plus
élevées a pu tarir les représentations qui, dans la période précédente, avaient
été si parfaitement en accord avec le sentiment populaire magnifié par la
littérature élégiaque. L'interprétation mystique de la légende, tout en dépassant
le cadre étroit de groupe d'initiés, ne peut toucher toutes les consciences,
surtout ivres de souffrance.
En dehors de la Littérature, un seul document figuré illustre cette
fonction nouvelle (3).

Fresque d'un hypogée funéraire du viale Manzoni à Rome. îère moitié du IHe
siècle après J.C. PI. XII
- G. Bendinelli, «II monumento sepolcrale degli Aureli», Monumenti
Antichi, XXVIII, 1922-1923, p. 290-514 et pi. XIII.
- S. Reinach, Répertoire de peintures grecques et romaines, p. 217, n. 1.
- Ch. Picard, «La grande peinture de l'hypogée funéraire dite du Viale
Manzoni à Rome et les tentations d'Ulysse», CRAI, 1945, p. 26-56,
fig.l·
- J. Carcopino, De Pythagore aux apôtres, Paris, 1956, p. 85-221 et
pi. XIV, 2.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 448.
Cette peinture, qui ornait un des murs d'une chambre (4) de l'hypogée, est
une vaste fresque qui s'étend sur deux registres. Sur le registre supérieur, un
certain nombre d'édifices évoquent une cité avec, au premier plan, un
troupeau composé d'animaux se dirigeant vers l'un des bâtiments ; dans un coin,
seul être humain, une femme à une fontaine. Sur le registre inférieur, trois
personnages nus, et un groupe composé d'un homme assis, misérablement
accoutré, qui parle en étendant la main, et d'une femme, debout près d'un
métier à tisser qu'elle a abandonné pour écouter son interlocuteur avec
attention.
Dès la première publication complète de la fresque et son analyse, G.
Bendinelli (5) a proposé de reconnaître là Ulysse et Pénélope, tandis que les
trois jeunes gens seraient les prétendants. Cette interprétation a été reprise
178 M.-MMACTOUX

dans le même sens et précisée par J. Carcopino, (6) en particulier en ce qui


concerne la présence des prétendants que G. Bendinelli avait du mal à
justifier.
La cité, à l'arrière plan, serait Ithaque où Ulysse vient enfin d'aborder
en habits de mendiant. Pénélope, qui a la même attitude méditative que sur
les fresques de Pompéi, a quitté son métier dont l'utilisation est désormais
superflue, et accorde toute son attention à l'étranger. La destination de cet
hypogée construit pour des gnostiques chrétiens donne à cette fresque une
signification symbolique. Le retour d'Ulysse à Ithaque, au foyer de sa fidèle
épouse, après des épreuves sans nombre, préfigure le retour des élus à leur
patrie céleste. La nudité des prétendants est la nudité même des morts
ressuscites qui redécouvrent enfin leur vrai monde, après avoir abandonné leur
demeure d'ici-bas qui n'est que terre étrangère. On ne peut manquer de
rappeler à ce propos la présence des prétendants aux Champs-Elysées, dans le
Culcx du pseudo-Virgile (7), texte où l'influence de l'orphisme était très
nette.
Avec cette interprétation, cependant, Ch. Picard n'est pas d'accord. Il
retrouve bien la Ulysse, mais la femme debout ne serait pas Pénélope mais
Circé, l'éternelle séductrice, à la tentation de laquelle Ulysse, le sage, a su
résister. Ulysse chercherait alors à récupérer trois de ses compagnons qui
viennent d'être rendus à la forme humaine. Circé continuerait à jouer ici le même
rôle qu'elle avait déjà dans des mystères païens comme ceux du Cabirion thé-
bain. Sur un skyphos datant du Ve siècle et trouvé au Cabirion, Ulysse, cari-
turé, bossu, difforme, s'empare avidemment du breuvage que lui tend Circé
(8) : avertissement donné aux initiés qui devaient se méfier de la perfidie de
la magicienne (9). Par cette fresque, les croyants qui doivent se détourner de
toutes les embûches qui menacent l'âme, recevaient la même leçon.
Malgré ces divergences (10), la valeur symbolique de la fresque demeure
la même. Simplement, on ne se situerait pas au même moment du voyage des
âmes vers leur patrie céleste. Si Ulysse a pu goûter les joies du foyer retrouvé,
c'est parce qu'il a su écarter de sa route les tentations de Circé. En admettant
que cette femme au métier soit Circé - ce que nous ne croyons pas - les
auteurs de la fresque ne pouvaient manquer de penser à Pénélope comme à son
antithèse. Il ne fait pas de doute que certaines sectes gnostiques, comme les
Naasséniens, se sont servis d'Homère et en particulier de VOdyssée pour faire
comprendre à leurs disciples les Saintes Ecritures (11), et qu'ils n'ont fait,
pour cela, que reprendre un certain nombre d'exégèses néopythagoriciennes
et néoplatoniciennes dans lesquelles la sagesse de Pénélope avait reçu une
valeur symbolique.

II- ART BYZANTIN

Dans l'art de l'empire byzantin à ses débuts subsistent des éléments


iconographiques de l'art gréco-romain. Mais des œuvres homériques, c'est
surtout Ylliade qui se maintient. Libanios, décrivant des peintures du IVe siècle,
cite des illustrations précises de Ylliade (12), comme, encore au Vie siècle.
Procopc de Gaza (13). K.Weitzmann (14) étudiant les miniatures ornant des
commentaires du pseudo-Nonnos sur des manuscrits du Xle siècle pense que
certaines renvoient à des œuvres plus anciennes. Il suggère que le modèle
pourrait bien être une Bibliothèque d'Apollodorc illustrée, exploitée par le
premier illustrateur du pseudo-Nonnos (15). Quoi qu'il en soit de cette
LA LÉGENDE 179

hypothèse, on se rappelle que ce commentateur des Homélies de saint


Grégoire avait évoqué la figure de Pénélope. Or, parmi les miniatures
conservées, certaines empruntent des scènes à l'Iliade, mais aucune ne se rapporte au
cycle odysséen.
Ainsi, Pénélope n'échappe pas à cette tendance générale renforcée par
le rôle de second plan qu'elle joue dans la littérature à partir du Ve siècle. Il
faut désormais chercher son histoire dans le commentaire érudit. Les
documents iconographiques ne sont pas plus prolixes. Une seule œuvre dont la
trace a été conservée par une épigramme de YAnthologie palatine.

Un Plat d'Euboulos
- Anthologie palatine, IX, 816.
- O. Touchefeu-Meynier, TO, n. 478.
«En face de Télémaque et près de Pénélope, pourquoi, héros si sage et si avisé
étends-tu une main qui témoigne de tes craintes ? Ta nourrice ne dira jamais
aux prétendants qui tu es» (16). Le plat représentait donc la scène du bain de
pieds, et Ulysse cherchait à faire taire Euryclée, comme sur les plaques de
terre cuite de l'époque d'Auguste. Suivant l'habitude de ces épigrammes
descriptives aucune précision plastique n'est donnée. D'Euboulos, on ne sait
rien. On s'accorde seulement à considérer cette épigramme comme la
description d'un objet de l'époque byzantine (17).
180 M.-MMACTOUX

Notes du CHAPITRE XIII


(1) R. Bianchi-Biandinelli, Rome, la fin de l'art antique, Paris, 1970, p. 109.
(2) Rome, Musée Torlonia, fig. 12, in R. Bianchi-Biandinelli, op. cit.
(3) II n'y a pas lieu de retenir la description d'une Pénélope au métier faite par
Philostratc dans ses Eikones (II, 28). Le rapprochement du tableau réellement
décrit avec cette scène relève d'un procédé rhétorique. Cf. supra, p. 161.
(4) Mur est de la chambre C.
(5) G. Bendinelli, op. cit., p. 290. La fresque est étudiée p. 445 sq.
(6) J. Carcopino, op. cit.. p. 177 sq.
(7) 267.
(8) O. Touchcfcu-Mcynicr, TO, n. 192 et pi. XVIII, 1.
(9) E. Lapalus, «Sur le sens des parodies de thèmes héroïques dans la peinture des
vases du Cabirion thébain», Λ/4, XXXII, 1930, p. 65-88.
(10) On a proposé encore d'autres interprétations qui n'ont guère eu d'écho. Mgr
Wilpcrt, «Le pitture deU'ipogeo ...presso il viale Manzoni in Roma», Memoric-
Académie pontificale d'Archéologie, 1924, I, 2e partie, p. 1 - 42, a voulu y voir
une illustration du sermon sur la montagne. H. Achelis, «Die gnostische Kata-
kombe am viale Manzoni in Rom», Kunsi und Kirchc, 1926, p. 65-71, propose
une expérience de métempsy chose.
(11) Hippolyte de Rome, Refutatio ommium haeresium, Migne, Patrologiae cursus,
séries graecae, XVI, 3, V, 150-151 et J. Carcopino, op. cit., p. 189 sq.
(12) Ed. Foerster, VIII, p. 465-470.
(13) Cité par R. Bianchi-Bandinelli, op. cit., p. 366.
(14) K. Weitzmann, Greek mythology in Byzantine art, Princeton, 1951.
(15) Op. cit., p. 81.
(16) Trad. F. Dchèquc, Anthologie grecque, I, Paris, 1863.
(17) F. Diibner, commentaire au n. 816, in Epigrammatum anthologia palatina, II,
Paris, 1872. p. 248, et P. Waltz, Anthologie grecque, VII, Paris, 1957, p. LXIII,
n. l.
CHAPITRE XIV

LE CRÉPUSCULE DE LA LÉGENDE
A partir du Ve siècle la légende n'inspire plus aucune œuvre littéraire.
Le dernier témoignage important est L'éloge de Sérène de Claudien. Mais
cette œuvre, rédigée probablement à l'extrême début du Ve siècle, peu de
temps avant la mort de l'auteur, puisqu'il semble qu'on puisse seulement
expliquer par elle son inachèvement, marque déjà le recul de la légende.
Comme dans tous ses panégyriques, Claudien suit d'une manière très
précise le plan et les procédés fixés par les rhéteurs (1). Les parallèles avec les
héros des légendes grecques ou les dieux de l'Olympe en font partie.
Simplement, au lieu de finir par là comme c'était l'usage, Claudien exploite le
procédé dans le préambule. Sérène, la femme de Stilichon est au-dessus de toutes
les femmes de l'Antiquité, de la Grèce comme de Rome. La femme d'Admète
côtoie Tanaquil, Clélia et Claudia, mais c'est à Pénélope, cependant, que
revient la meilleure part.
A l'évocation de sa gloire, qui n'est rien à côté de celle de Sérène,
Claudien consacre treize vers (2). Toute YOdyssée est un immense poème
écrit par Homère pour célébrer l'épouse d'Ulysse. Les aventures de son mari
sont d'autant d'épreuves qui rendent plus éclatante la chasteté de Pénélope à
qui il reste fidèle. Mais c'est surtout par l'intermédiaire d'Ulysse qu'est louée
Pénélope, cette femme pour qui un héros tel que lui connut tant de maux.
Elle ne reviendra d'ailleurs plus dans l'éloge. Lorsque Claudien chantera les
vertus de Sérène à la place consacrée, il redira qu'elles sont dignes des temps
antiques, et Nausicaa lui paraîtra être l'incarnation de ces vertus (3). Pour
louer son esprit vertueux qui se complaît dans la lecture et la méditation des
exemples de chasteté, ce sont ceux de Laodamie, d'Evadné, de Lucrèce qui
seront cités (4). Rien de comparable ici à L'Éloge d'Eusébie . Claudien sacrifie
manifestement à une mode littéraire, et par son formalisme, il annonce le
temps où Pénélope va être réduite à nourrir exclusivement l'imagination
populaire, surtout dans des régions où l'hellénisme n'a jamais cessé d'exercer son
attrait.
L'Egypte nous fournit plusieurs exemples intéressants. Un papyrus
magique de la première moitié du IVe siècle (5) contient une formule qui devait
être prononcée par des amants ou des maris jaloux pour que la femme aimée
ne s'unît à personne d'autre. Après la préparation d'une potion destinée à
enduire les parties sexuelles, le suppliant devait dire entre autres, ces mots :
«Que Ν Ν m'aime pendant tout le temps comme Isis aimait Osiris et qu'elle
reste chaste comme Pénélope à Ulysse» (6). Que Pénélope apparaisse dans
cette incantation au même titre qu'Isis, qui était pour les Egyptiens non
seulement la plus sage mais aussi la plus amoureuse des femmes, montre combien
elle était devenue populaire, même chez les illettrées.. Sans doute les
utilisateurs ne pénétraient-ils pas nécessairement le sens des formules qui relevaient
souvent d'une magie savante. Mais la conduite de Pénélope, assimilée à celle
d'Isis, est réduite à un schéma compréhensible, même si le reste de la légende
demeurait obscure.
Un autre exemple est apporté par un fragment anonyme du Ve siècle
(7) dans lequel un habitant de Thèbes en Egypte fait, en hexamètres, le
panégyrique d'un général romain. La pièce a un but très précis : exhorter le héros
absent à revenir défendre sa patrie soumise à des incursions ennemies.
L'auteur, qui n'est guère lettré (8), lance un vigoureux appel pour que le
184 M.-MMACTOUX

soldat regagne Thèbes, imitant Persée revenant chez lui, Achille retrouvant
Déidamie et Ulysse.... Le papyrus s'interrompt ici, mais la supplique devait
finir sur une évocation du retour d'Ulysse à Ithaque auprès de Pénélope. Le
rappel de Déidamie, la femme d'Achille, deux vers auparavant, implique
certainement celui de Pénélope. Cette survivance du thème est sensible encore
dans une épigramme funéraire de Cyros le poète qui connut une grande
fortune politique sous Théodose à Constantinople dans le second quart du Vème
siècle mais était né à Panopolis. Une femme est louée d'avoir pris modèle sur
tous les travaux de Pénélope (9). Lettré, certes Cyros l'était, mais l'allusion
appartient à un genre vulgarisateur qui perpétue le goût populaire pour la
légende.
Les seules évocations relèvent désormais de lettres fictives, qui sont
encore un genre populaire, de commentaires mythologiques et d'épigrammes de
grammairiens, de lexiques qui, pour être destinés à des érudits, ne retiennent
que l'anecdote à la manière populaire. On intègre tous les éléments
antithétiques sans chercher à les concilier, mais sans jamais mettre en doute l'identité
du personnage. Si la femme d'Ulysse a tendance à sortir purifiée de toute
compromission, on peut parfois déceler des tentatives timides pour la justifier
contre des accusations implicites.
Lorsqu'au Vie siècle Aristénète écrit ses Lettres d'amour, ou, qu'au
Vile siècle, Théophylactos publie un Recueil de lettres morales, de lettres de
paysans et de courtisans, ils ne font rien d'autre que satisfaire au goût du
temps. Un art épistolaire étroitement subordonné à la rhétorique connaît à
cette époque une vague nouvelle, et la multiplication des allusions
mythologiques n'a qu'une signification littéraire. Des poncifs comme la toile de
Pénélope reviennent fréquemment. Ainsi, chez Aristénète, c'est un amant qui se
plaint à un ami rival des caprices de sa maîtresse qui, tantôt lui donne des
preuves de son amour, tantôt le repousse. «Elle fait subir à mon âme, par
suite de ses brusques caprices, les alternatives de la toile de Pénélope» (10).
Théophylactos Simocatès emploie la même comparaison mais en lui
donnant une signification plus profonde. Dans une lettre de caractère éthique
il s'en sert pour introduire une fable destinée à mieux faire pénétrer dans
l'âme les préceptes moraux. Il se présente comme celui qui tisse, à l'aide de
ses conseils, une toile semblable à celle de Pénélope (1 1). Il est probable qu'il
se souvient ici du symbolisme de la toile assimilée à la sagesse comme le
prouve une autre lettre où il fait une exégèse morale de l'épisode des Sirènes
dans VOdyssée. Il faut, dans cette vie, imiter Ulysse qui a su résister aux sens
mélodieux des Sirènes, et Ulysse est, d'une manière très révélatrice, désigné
comme le mari de Pénélope (12). Puisque la vie est à l'image des errances
J'Ulysse, Théophylactos invite Alcibiade à échapper à ces désirs infâmes
que sont les Sirènes, en se servant de la philosophie comme de liens qui
empêchent de succomber à leur charme. C'est ainsi qu'Ulysse, pieds et mains
liés, a pu écouter leur chant tandis qu'il avait bouché de cire les oreilles des
compagnons ignorants.
Ni cette interprétation de l'épisode des Sirènes, ni la désignation
d'Ulysse comme le mari de Pénélope ne sont originales. Le Pythagore de
Porphyre (13) connaît ce symbolisme des Sirènes et ce mari de Pénélope qui
figure la philosophie ne peut être que le mari de la philosophie elle-même.
Théophylactos emprunte ici manifestement à l'école néopythagoricienne et
néoplatonicienne, mais vulgarise le symbole.
La double légende Pénélope revit à cette époque dans les œuvres des
LA LÉGENDE 185

grammairiens. A la fin du IVe siècle, le grammairien Servius commentant les


poèmes de Virgile à la jeunesse romaine, retient surtout l'aspect non
homérique de la légende. Dans un commentaire d'un vers de Y Enéide, citant Ulysse,
(14), il rappelle rapidement qu'il est le mari de Pénélope dont il eut Téléma-
que mais s'attache beaucoup plus longuement à l'évocation de Télégonos, fils
d'Ulysse et de Circé. Selon certains, Ulysse, dit-il, trouva à son retour à
Ithaque, Pan, né de Pénélope et de tous les prétendants. Pour d'autres, c'est
Hermès transformé en bouc qui serait le père de Pan. Après la découverte de cet
enfant difforme, Ulysse aurait fui Ithaque et recommencé ses voyages. C'est à
cette seconde version de la naissance de Pan qu'il revient dans un
commentaire au nom du dieu où il est plus précis (15) ; il s'abrite derrière l'autorité
de Pindare pour affirmer que Pan est le fils de Pénélope et de Mercure,
expliquant par là que le mot «patrium» utilisé par Virgile pour désigner l'Arcadie
doit être compris comme «paternum», l'Arcadie n'étant pas la patrie de Pan,
né à Ithaque, mais celle de Mercure. Servius qui, pourtant, connaît bien
Homère puisque son nom est un de ceux qui reviennent le plus souvent dans
son œuvre (16), s'attache à la fin du IVe siècle à montrer dans Pénélope le
personnage ambigu de la légende.
Le grammairien Philargyrius, contemporain de Servius ou légèrement
postérieur (17), fait de même dans son commentaire des Bucoliques (18).
Après avoir rappelé que Pan veut dire Tout, parce que, par sa forme, il est à
l'image de la nature tout entière, il évoque la naissance de Pan, fils de Mercure
transformé en bélier, et de Pénélope. Si Palladas d'Alexandrie, né à Chalcis,
mais qui exerça la profession de grammairien à Alexandrie au début du Vème
siècle reste en apparence plus proche de la tradition homérique, il n'hésite pas
à la dénaturer. Dans une de ses épigrammes il se sert de Pénélope pour
illustrer le thème banal, qu'il développe ailleurs (19), de la femme source de tous
les maux : «C'est l'adultère d'Hélène qui a fait massacrer tant d'hommes, et
c'est parce que Pénélope fut chaste que d'autres sont morts» (20). Dans ses
rapports avec Ulysse, Pénélope n'est pas mieux considérée : «Lorsqu' Ulysse
a dit que rien n'est plus doux que la patrie, certainement il n'avait pas, chez
Circé, mangé de gâteau. S'il avait seulement senti la vapeur qui en sort, il eût
volontiers laissé gémir de son absence dix Pénélopes» (21).
On a parfois supposé que lorsque Nonnos de Panopolis dans les
Dionysiaques évoque Pan, fils d'Hermès et de Pénélope, il distingue cette Pénélope
de la femme d'Ulysse. En fait, il joue sur sa double identité. Lors du
dénombrement des soldats qui accompagnèrent Dionysos dans son expédition
contre les Indiens, il distingue deux Pan qu'Hermès eut avec deux nymphes
différentes : Pan Agrios, fils d'Hermès et de la nymphe Sosi, Pan Nomios, fils
d'Hermès et de Pénélope, qu'il qualifie seulement de nymphe campagnarde
(22). Pan Nomios est le fils chéri d'Hermès. Au plus fort de la bataille,
lorsque chaque dieu s'efforce de sauver un de ses enfants, c'est du fils de
Pénélope que s'occupe Hermès. On sait que Nonnos connaît très bien Homère,
qu'il l'imite souvent, le plagie même, et l'appelle à son secours pour qu'il
étende sur lui sa protection (23). L'œuvre des Dionysiaques formée de 48
livres se présente comme une Iliade flanquée de deux tronqons de X Odyssée,
les pérégrinations de Dionysos enfant, et son retour d'Asie (24). Son silence
quant à la personnalité de cette nymphe qu'il ne cherche pas à distinguer de
l'héroïne homérique peut être interprété, soit comme une absence totale de
lien entre les deux, soit, plutôt, comme acceptation d'une identité bien
établie.
186 M.-MMACTOUX

Si néammoins, le texte des Dionysiaques permet le doute, il n'en est pas


de même du commentaire de Nonnos Abbas, dit encore pseudo-Nonnos pour
le distinguer de l'auteur des Dionysiaques, d'après le nom qui apparaît pour
la première fois dans un manuscrit de Londres de 972. Il s'agit d'un
commentaire mythologique de quatre homélies de saint Grégoire qui daterait du Vie
siècle (25). Dans son commentaire des deux invectives de saint Grégoire
contre Julien (26), le scholiaste rappelle à propos de Pan la double histoire de sa
naissance. A deux reprises, il le fait naître de Pénélope, la femme d'Ulysse et
de tous les prétendants, et il fait état de l'autre version selon laquelle Hermès,
transformé en bouc, fut le père (27). A chaque fois, cependant, Pénélope est
présentée comme une victime : victime des prétendants qui, lassés de leur
attente, la séduisirent par la force ; victime d'Hermès qui, enflammé par sa
grande beauté et sa chasteté, provoqua en elle un état de folie pour qu'elle
tombe amoureuse du bouc qu'il était devenu. Ce commentaire a dû être très
populaire puisqu'il a été repris ultérieurement par des commentateurs de saint
Grégoire (28).
Le même souci de blanchir Pénélope de toute accusation d'adultère est
sensible chez un mythographe anonyme du Ville ou IXe siècle (29). Dans une
fable concernant sa naissance, Pan est donné comme fils de Pénélope et de
Mercure, mais c'est après la mort d'Ulysse qu'elle eut l'enfant dont elle
accoucha près de l'oppidum de Tégée, d'où le nom de Tégéen donné à Pan (30). De
même, un mythographe approximativement de la même date, du IXe ou Xe
siècle (31), interprète l'histoire de Circé et d'Ulysse en disant que si Ulysse
échappa à Circé, c'est que la sagesse méprise la luxure et qu'il avait une
femme chaste, parce que la sagesse s'unit à la chasteté (32).
Les dictionnaires du Xe ou Xle siècles, qui procèdent d'ouvrages perdus
du Ve ou Vie siècles, confirment cette décadence progressive. Ni la Souda
(33), qui doit dater de la seconde moitié du Xe siècle mais se rattache
directement au lexique d'Hésychios de Milet écrit au Vie siècle (34), ni le
dictionnaire historico-mythologique d'Eudocie, Violarium (35), formé en partie
d'extraits de la Souda ne lui consacrent un article. Elle n'est citée
qu'accidentellement, mais à chaque fois cependant dans un sens favorable. Une
impression identique se dégage d'une citation que l'on peut recueillir dans YEtymo-
logicum Magnum, composé vers le Xe siècle, mais qui procède du lexique
étymologique d'Orion rédigé au Ve siècle (36). L'esprit sensé et honnête de
la reine y est évoqué sous une forme homérique (37).
Dans son dictionnaire qui date du milieu de Xle siècle (38) Eudocie,
la femme de l'empereur Constantin Dukas ne se montre guère attirée par
Pénélope. Aucun paragraphe ne la prend directement pour sujet alors que l'un
d'eux est consacré à Ulysse, (39) et un autre à Eumée (40). De la légende
d'Ulysse sont évoqués des aspects non homériques, et il n'est pas question de
Pénélope. Elle est nommée dans un passage sur Icare, son père, article
uniquement biographique, et dans un autre sur Amphinomos, l'un des prétendants.
D'Icare (41), Eudocie rappelle son exil en Acarnanie, et son union avec Poly-
caste, d'où naîtra Pénélope que son père donnera en mariage à Ulysse.
L'article sur Amphinomos (42) est plus intéressant dans la mesure où le personnage
est caractérisé par rapport à Pénélope. Il lui plaisait, dit-elle, parce qu'il avait
l'esprit sensé et honnête et que, possédant elle-même ces qualités, elle se
réjouissait de trouver son semblable. L'expression qui qualifie Amphinomos
est la même que celle qui est attribuée à Pénélope par YEtymologicum
Magnum et par Homère. Mais Eudocie précise bien que l'attrait exercé par
LA LÉGENDE 187

Amphinomos sur Pénélope n'existait que par rapport aux autres prétendants,
qui auraient été donc très inférieurs à lui. L'ensemble n'est pas très cohérent
lorsqu'on rapproche ce passage de celui consacré à Antinoos (43) loué pour sa
vertu qui surpassait celle de tous les autres et on est en droit d'y voir un effort
pour justifier la reine. Cette justification s'appuie, d'ailleurs, sur un passage de
l'Odyssée, passage interpolé où il est dit, dans les mêmes termes, que les
discours d'Amphinomos plaisaient à Pénélope «car il n'avait au cœur
qu'honnêtes sentiments» (44).
Réduite à des éléments hétérogènes, réfugiée dans des textes où elle
n'est que survivance, ignorée par des ouvrages de nature érudite dans
lesquels on aurait pu s'attendre à la trouver exposée, la légende connaît dans les
derniers siècles de l'Antiquité gréco-romaine un déclin total, sensible dans la
littérature comme dans l'art. La sublimation néoplatonicienne de l'époque
précédente semble avoir tari la richesse d'un personnage qui avait si souvent
fécondé la conscience collective.
188 M.-MMACTOUX

Notes du CHAPITRE XIV


(1) P. Fargucs, Claudien, Etudes sur la poésie et son temps, Paris, 1933, chap. VI, Les
thèmes traditionnels des éloges.
(2) 20-32 {Laus Serenae M. Platnauer, Claudian, II, Londres, 1956).
(3) 141-145.
(4) 146-159.
(5) S. Eitrem, Papyri Osloenses, I, Oslo, 1925, p. 31. Cf. K. Preidensanz, Papy ri
graecae magicae. Die griechischenZauberpapyri II, Berlin, 1931, p. 172-173).
(6) CoL XII, 286-289.
(7) Fr. 143, Select papyri, III, Literary papyri, Poetry, éd. D.L. Page, 1950.
(8) D.L. Page, Londres, commentaire au fr. 143.
(9) Anthologie palatine, VII, 557.
(10) Aristénète, livre I, lettre 28 ;trad. J. Brenous, Paris, 1938, p. 54.
(11) Lettre 41.
(12) Lettre 82.
(13) Porphyre, Vie de Pythagore, 39.
(14) Enéide II, 44 in Servit grammat ici qui fer un tur in Vergilii carmina commentarii,
I, éd. G. Thilo et H. Hagen, 1881 (réimp. Hildesheim, 1961).
(15) Comment, ad Georg. I, 16, op. cit., III.
(16) E. Thomas, Essai sur Servius et son commentaire sur Virgile d'après les manuscrits
de Paris et les publications les plus récentes, Paris, 1879, p. 185.
(17) E. Thomas, op. cit., p. 284, n. 2.
(18) Bucoliques, II, 32. Explanatio in Bucolica Vergilii in Appendix Servania, éd. H.
Hagen, in Servit Vergilii carmina commentarii, III, éd. Thilo et H. Hagen, 1887
(réimp. Hildesheim, 1961).
(19) Anthologie palatine, IX, 165.
(20) Ibid, IX, 166.
(21) Ibid, IX, 395, La même AnthologieiVi, 314) nous a transmis un distique d'un
certain Nicodémos d'Héracléc où il est question d'un manteau et d'une pèlerine
rapportes par Ulysse à Pénélope. De Nicodémos on ignore tout. Cette épigramme, et
les épigrammes 315 et 317 attribuées au même auteur, ont pu faire penser, par
leur contenu, à des épigrammes votives et ont été placées par inadvertance au
milieu des épigrammes votives du livre VI (P. Waltz, Anthologie grecque, III, Paris,
1931, notice p. 4.) Il s'agit en fait d'exercices d'école qui consistaient à écrire des
vers anacycliques, et seul un hasard linguistique explique l'exploitation de ce
thème par ce poète ou grammairien qui ne restait qu'au niveau des mots.
(22) XIV, 93.
(23) XIII, 49-51.
(24) P. Collart, Nonnos de Panopolis Etudes sur la composition et le texte des
Dionysiaques, Le Caire, 1930, p. 272.
(25) Cf. E. Patzig, De Nonnianis in IV orationes Gregorii Nazianzeni commentariis,
Jahresbericht der Thomasschule in Leipzig, Leipzig, 1890, et K. Weitzmann,
Greek mythology in Byzantine art, Princeton, 1951, p. 6.
(26) Ad. s. Gregorii orat. I contra Julianum, Mignc, Putrologiae cursus séries graecae,
XXXVI, col. 1008, 40 ; ad. s. Gregorii orat. II contra Julianum, ibid., col. 1052-
1053, 34 ; trad. anglaise et apparat critique, S. Brock, The Syriac version of the
Pseudo-Nonnos mythoiogical scholia, Cambridge, 1971, scholia to «invective I»,
40 et scholia to «invective II», 29.
(27) Ad. s. Gregorii orat. contra Julianum, ibid. Cette vcision, cependant, ne figure pas
dans tous les manuscrits grecs ni dans la traduction syriaque, réalisée peu de temps
après la composition des scholies, probablement dans le courant du VIcme siècle.
On pourrait avoir ici une interpolation ultérieure, mais elle a été faite dans le
même esprit (pour les diverses versions cf..S. Brock, op. cit, p. 101, 40, n. 6, et
pour le contenu de la traduction syriaque, ibid,, p. 25-27 .
(28) K. Weitzmann, op. cit., p. 6 ; pour la traduction syriaque, cf. S. Brock, op. cil.
(29) R. Schulz, De mythographi vaticani primi jontibus, Dissertatio Haile, 1905, p. 74.
(30) Mythographus Primus, I, 89, in Très mythographi, III, classicorum auctorum e
vaticanis codicibus editorum curante Angelo Maio, Rome, 1831.
(31) F. Keseling, De mythographi vaticani secundi Jontibus, Dissertatio Halle, 1908,
p. 146.
(32) Mythographus Secundus, II, 212, in Très mythographi...
(33) Suidae lexicaon, éd. F, Bekker, Berlin, 1854.
LA LÉGENDE 189

(34) La Souda, s. v. Hésychios de Milet.


(35) Eudociae augustae vivarium, éd. J. Flach, Leipzig, 1880.
(36) A. et M. Croiset, Histoire de la littérature grecque, V, p. 574. Le même esprit a
animé l'auteur anonyme de l'épigramme conservée par l'Anthologie de Planude
{Anthologie grecque, XVI, 300) dans laquelle Homère est célébré comme l'auteur
de Vlliade, des Retours et de l'Odyssée, histoire du «sage Ulysse errant sur les
mers, Ulysse que Pénélope fut si heureuse de recevoir dans ses bras».
(37) Etymologicum Magnum, éd. Th. Gaisford, 1848, sv. ôs, p. 824, 22.
(38) L'attribution à Eudocie a été mise en doute. Il pourrait s'agir d'une œuvre
beaucoup plus récente. Cf. S. E. Sandys, A history of classical schoiarship, Cambridge,
1903, p. 399.
(39) 727.
(40) 358.
(41) 484.
(42) 63.
(43) 62.
(44) Od., XVI, 398-399.
CONCLUSION

Ce travail avait été primitivement conçu comme une introduction


nécessaire à l'étude du mythe. Or, à première vue, les résultats sont
décevants. C'est à peine si quelques auteurs mentionnent une Pénélope amante
d'Apollon ou d'Hermès, et mère de Pan, et ces allusions restent isolées,
n'ayant donné naissance à aucune création littéraire de quelque importance.
Le plus long texte grec connu, la Syrinx de Théocrite, est finalement assez
proche par le ton du vingt deuxième Dialogue des dieux de Lucien où Hermès
répugne à accepter cette paternité qui fait de lui le père d'un être dont
l'apparente animalité est repoussante. La personnalité de Pénélope n'est jamais
appréhendée dans une perspective divine et ces textes n'apportent finalement
rien de plus que les fragments d'Hécatée et de Pindare dans leur sécheresse
mythographique. Il ne paraît guère possible que la tragédie d'Eschyle,
aujourd'hui disparue, ait pu considérablement modifier cette impression. Malgré
les efforts des érudits, aucun document figuré n'a pu être sérieusement
rattaché à l'évocation d'une personnalité divine (1). Même à l'époque hellénistique
l'art ne se fait pas l'écho de cette rupture dans l'interprétation de la légende
qui aurait pu permettre l'expression iconographique de situations nouvelles.
La rareté des représentations traduit plutôt la désaffection d'une époque
troublée par l'éclatement d'une légende tiraillée en tous sens.
Aucun changement à l'époque romaine qui continuera à voir dans
Pénélope l'épouse d'Ulysse et magnifiera cette fonction au point de procéder à
une héroïsation sous une double forme. La Pénélope du siècle d'Auguste,
compagne de la reine des Enfers, comme la Pénélope du siècle de Plotin,
symbole de la patrie céleste à laquelle aspire l'âme d'Ulysse, ne doivent leur
fonction qu'à la sublimation d'une fidélité et d'une sagesse qui prennent leur
source dans une situation toute humaine. Pas plus que l'art grec, l'art romain
ne porte trace d'un statut divin.
L'intérêt de cette étude s'est révélé être ailleurs, dans la place occupée
par la légende dans la sensibilité grecque et romaine qui, à toutes les époques,
s'est projetée dans l'histoire banale du couple odysséen. Cette projection se
manifeste par les éclairages variés que reçoit la légende, parallèlement dans les
textes et les documents figurés. Aucune mutation brusque mais de subtiles
transformations qui portent moins sur le contenu du récit que sur la
psychologie du personnage.
Le caractère équivoque de la reine d'Ithaque dans YOdyssée, qui
d'infidèle tend à devenir fidèle, de rusée, capable de dominer l'instant, tend à
devenir passive, ballotée par les événements, a gêné l'époque archaïque qui ne s'est
pas reconnue dans une héroïne aussi inefficace. Au contraire le Ve siècle,
considérant Pénélope comme une victime souffrante et solitaire, en fait le
paradigme de toute aventure humaine qui se déroule sous la menace d'un destin
aveugle. La conquête de la sérénité, surtout perceptible dans l'art avec le
tableau de Zeuxis, la frise de Gjôlbaschi-Trysa et probablement, au siècle
suivant, la statue de Thrason, n'est que la manifestation de la volonté des Grecs
de l'époque classique de se détourner de ce qui aurait pu être considéré
comme soumission ou lâcheté.
Les remous de l'époque hellénistique avec l'ébranlement des valeurs tra-
192 M. -M MACTOUX

ditionnelles accentueront une tendance déjà sensible au IVe siècle. La légende


de Pénélope devient confuse et l'intrigue prend une importance plus grande.
L'héroïne est, tout à tour, l'amante de tous les prétendants, celle d'Hermès,
et ses relations avec Ulysse passent au second plan. Mais il s'agit moins d'un
choix conscient que du refus d'un modèle dans un temps où les hommes sont
à la recherche de nouvelles valeurs. La disparition de Pénélope dans l'art
montre qu'il n'y a pas désir d'exploiter le scandale mais simple goût pour le
nouveau se traduisant par une certaine incohérence dans le récit de la légende
qui devient multiple.
L'évolution du personnage dans l'art étrusque reflète ces incertitudes.
La dignité de Pénélope sur le stamnos de Vulci et les miroirs du IVe siècle
cède la place à la familiarité désinvolte des urnes du Ile siècle. Tout se passe
comme si l'art étrusque offrait un raccourci de l'histoire grecque de la légende
à l'époque classique et hellénistique. Mais, en même temps, l'utilisation de
Pénélope pour l'ornementation d'objets usuels préfigure le rôle qu'elle jouera
à l'époque romaine où elle pénètre dans l'univers quotidien.
Au siècle d'Auguste et au début de l'époque impériale le personnage
retrouvera cette unité perdue. Il deviendra chez les élégiaques le symbole
d'une fides vénérée par les Romains comme le fondement de la cohésion
sociale. De Catulle à Sénèque l'histoire de la femme d'Ulysse servira
d'expression à des situations variées mais dans lesquelles les protagonistes ont en
commun une aspiration identique : la recherche de la paix et du bonheur dans un
monde ordonné. Le héros éponyme Italus est chez Hygin le fils de Pénélope.
Finalement ce sont des Romains que nous sommes les héritiers. En
procédant à l'héroïsation de Pénélope, dont la fidélité leur a paru sublime, ils ont
définitivement attaché à son nom cette vertu appréhendée sous sa fonction
sociale.
Ensuite, jusqu'au Ille siècle, les moralistes, comme Dion Chrysostome
et Plutarque, ne traiteront pas l'héroïne avec plus de sérieux que Lucien.
Cette tentative de démystification apparaît comme une réaction contre cette
identification totale opérée précédemment entre l'histoire de la femme
d'Ulysse et l'idéal romain. Cette réaction, cependant, n'est que superficielle
et exprime plutôt le désir de cette époque de mettre en question les valeurs
établies. Aux Ille et IVe siècles la légende se régénère grâce à une pensée
philosophique qui fait de la reine d'Ithaque le symbole de la vraie sagesse à
laquelle aspire l'âme exilée ici-bas. La rareté des documents iconographiques
- puisqu'en dehors de la fresque de l'hypogée du viale Manzoni aucune
représentation de Pénélope n'est connue - semblerait indiquer que la légende a
cessé de trouver un écho dans la sensibilité populaire. Il n'en est rien. Les épi-
taphes où la sagesse de la morte est comparée à celle de Pénélope montrent
que l'allégorie ne prend pas uniquement sa source dans une abstraction
désincarnée. A partir de Claudien la légende se réfugie dans les textes érudits. Pour
la première fois depuis Eschyle elle cesse de servir de moyen d'expression à
une conscience collective qui a réussi à toutes les époques, à modeler, grâce à
ses idéaux, une légende dont Homère n'avait fait que dessiner les contours.
La présence continuelle de Pénélope dans les épigrammes funéraires, à
partir du moment où elles furent devenues d'usage constant, souligne le rôle
joué par le personnage dans l'imagination populaire. C'est peut-être dans ce
désir d'identification qu'il faut voir le principal obstacle à l'exploitation du
mythe par les hommes de lettres et les artistes qui n'ont jamais voulu imposer
une image trop différente pour être acceptée.
LA LÉGENDE 193

Note de la CONCLUSION
(1) Ces hypothèses auxquelles se sont plu les amateurs d'antiques du XIXe siècle sont
aujourd'hui abandonnées, (cf. supra, p. 85 sq). Ainsi J. de Witte dans une lettre
au professeur Panofka, Annali dell'Instituto di Corrispondenza archeotogica, 1841
p. 262, approuvait son analyse d'une oenoche de No la, collection des vases de
Berlin n. 910. Sur ce vase, Hermès, très reconnaissable à ses chaussures ailées, son
pétasse rejeté sur les épaules et son caducée dans la main gauche, se dirige vers la
droite en direction d'une femme tenant un collier, dont on n'aperçoit que le
haut du corps comme si elle regardait par une fenêtre. En bas est peint un grand
oiseau. Th. Panofka, Uber Verlegene Mythen, Ab. Akad. Berlin, 1839, p. 35,
interprétait cette scène comme Hermès passant devant la fenêtre de Pénélope.
Egalement J. de Witte, Description des vases peints de Mr de Magnoncourt, n. 42,
voyait Pénélope dans une jeune femme d'une péliké de Berlin. Sur une face, elle
est assise sur un trône, enveloppée dans un peplos, et caresse un bouc qui se tient
devant elle ; sur l'autre, elle tend une fleur a un animal. Lucien, Dialogue des
Dieux, ΧΧΠ, est le premier à avoir affirmé qu'Hermès s'unit à Pénélope sous la
forme d'un bouc.
II - LE MYTHE
INTRODUCTION

Cette étude qui nous a permis de suivre l'évolution de la légende dans la


littérature nous laisse cependant insatisfaite. Nous avons vu surgir, peu à peu,
dans des œuvres importantes, l'image d'une femme fidèle qui, en même temps
qu'elle était magnifiée par de grands auteurs, s'imposait jusque dans la
conscience populaire. D'autre part, certains faisaient allusion à une Pénélope,
mère de Pan, toujours demeurée à l'arrière plan sans jamais enrichir la pensée
des dramaturges et des poètes qui semblent avoir eu à son égard une attitude
réticente. Ce personnage est si éloigné du précédent qu'il était tentant
d'accepter la conclusion encore récemment émise par HJ. Rosé (1) : la femme
d'Ulysse et la mère de Pan sont probablement deux personnages distincts et
seule l'identité de nom a provoqué des réconciliations entre la légende
homérique et un mythe ayant trait à une déesse locale.
Mais l'ambiguïté de la légende homérique entraîne plusieurs remarques.
Homère n'a pu être le créateur d'une héroïne aussi complexe alors que la
poésie épique, par nature, peint des caractères simples. Il l'a trouvée dans une
tradition antérieure, chargée d'un passé si lourd qu'il n'a pu complètement
l'éliminer (2). La genèse de Y Odyssée a été extrêmement longue et il est
incontestable que s'y mêlent des traditions folkloriques (3) dont la diversité
peut expliquer certaines incohérences. Le thème même de l'histoire de
Pénélope envisagée comme la saga du mari absent constitue la trame de contes
dont l'universalité est telle qu'on ne peut douter de leur appartenance au
fonds populaire le plus ancien (4). Nombreux sont les épisodes identiques.
Les conditions de la séparation, le voyage aux Enfers, les fausses nouvelles, la
reconnaissance qui se fait grâce à un secret connu seulement des deux époux,
le retour quasi magique du mari qui rentre juste avant le remariage de sa
femme sont autant de motifs qui forment l'ossature de ces légendes (5).
Même la fin violente est commune à YOdyssée et à certains contes qui,
pourtant, la plupart du temps, se terminent bien (6).
Mais il est un aspect très important de l'œuvre homérique que ces
rapprochements n'expliquent pas ; c'est le plaisir que Pénélope prend à se laisser
courtiser, sa conduite équivoque dénoncée par son fils et ses serviteurs, par
Ulysse lui-même qui manifeste sa méfiance. Certes, comme dans tous ces
contes, Pénélope avait reçu de son mari le droit de se remarier, si, passé un
certain délai, il n'était pas de retour (7). Mais ce fait n'est qu'incidemment
révélé et ne joue aucun rôle dans le récit. Sa fidélité nous a paru au contraire
un trait surajouté à l'œuvre homérique comme si on avait voulu faire entrer
l'histoire de la reine d'Ithaque dans un schéma connu (8). G. Germain, qui a
analysé les grands thèmes légendaires sous-jacents à l'œuvre homérique, a
fait fausse route en identifiant l'histoire de Pénélope au thème de l'épouse
fidèle (9).
Homère n'a pas emprunté non plus son modèle aux mythes des autres
régions du monde antique. Depuis que des études mythologiques
comparatives ont été justement senties comme nécessaires, le bilan en ce qui concerne
les rapports d'Ulysse et de Pénélope n'est guère positif. Ou bien il n'existe
aucun rapprochement possible avec des mythologies dont on ne possède que
de rares textes, comme la mythologie hittite (10), ou bien ce sont les aven-
198 M. -M MACTOUX

tures d'Ulysse ou son arrivée chez les Phéaciens qui permettent les
comparaisons les plus suggestives. Ainsi V. Vikentiev (1 1) fait un parallèle entre Ulysse
et l'Enkidu du poème de Gilgamesh d'une part, et d'autre part avec Osiris
dans la version du De Iside conservée par Plutarque, et Sinouhé dont les,
Aventures ont été contées par un auteur égyptien du Moyen-Empire. Dans la
tradition babylonienne comme dans la tradition égyptienne il a relevé de
nombreux points communs avec le retour d'Ulysse, mais il s'agit du retour du
voyageur dans l'île d'Alkinoos, ou des préparatifs de son départ pour Ithaque.
Le parallélisme ne va pas au-delà. L'accent est mis sur les relations d'Ulysse et
de Nausicaa, et non sur celles d'Ulysse et de Pénélope. Une comparaison avec
le Conte du Naufragé, conte égyptien du Moyen-Empire, aboutit aux mêmes
conclusions. Le Naufragé, jeté dans l'île au Serpent, est accueilli par le
maître des lieux qui le réconforte et lui promet qu'il regagnera son pays, reverra
ses enfants, sa femme et sa maison. Mais de cette femme et de ces enfants le
conte ne dit mot (12).
Rien non plus ne peut être tiré d'un rapprochement entre les mythes
indiens de Mâtariçvan-Agni et ceux d'Ulysse en Grèce du point de vue qui
nous occupe (13). Si Ulysse ressemble par bien des aspects à Agni, le dieu
indien du feu, A. Carnoy reconnaît lui-même que la «personnalité et les faits
et gestes de Pénélope ont été évidemment altérés du façon à correspondre à la
donnée du «retour d'Ulysse» (14). Cette altération est telle que plus rien ne
subsiste (15) et, même s'il est possible de voir dans Ulysse errant un ancien
«dieu du feu», rien ne permet de penser que Pénélope était originairement
sa compagne .
Puisqu'Homère n'a pas inventé le personnage et que ni le folklore
universel, (16), ni les mythologies antérieures ne peuvent en rendre totalement
compte, il faut envisager l'hypothèse d'une Pénélope née en Grèce dans le
monde mycénien ou antérieurement à lui, et dont la légende s'est peu à peu
modifiée au fur et à mesure du développement des récits des aèdes. Peut-être
Homère, ou plus certainement l'un de ses prédécesseurs (17), a-t-il eu l'idée
de la rattacher à Ulysse qui, pour être un personnage très anciennement
connu, n'est devenu que peu à peu le voyageur rusé et le héros souffrant de
l'Odyssée (18). Les traditions religieuses doivent être aussi importantes que
les traditions folkloriques dans une œuvre qui garde le souvenir d'un temps
fort antérieur à la gloire des héros achéens. Avant de devenir de simples
personnages de contes qui s'empruntent ou se transmettent, bien des héros
furent intégrés à des mythes, c'est-à-dire à des complexes religieux. Bien
connu est le cas d'Hélène dont personne ne conteste sa qualité d'ancienne
déesse de la végétation (19).
Cette Pénélope qui accueille les prétendants comme autant d'amants
possibles, aussi rusée qu'Ulysse (20) au point que sa ruse touche à
l'invraisemblance, n'évoque-t-elle pas à son tour une de ces anciennes déesses de la
fécondité adorées dans le Péloponnèse, auquel précisément la fille d'Icare reste
attachée dans le texte homérique lui-même ? L'hypothèse a été défendue en
particulier par G. Fougères (21) et F. Robert (22) qui s'appuient surtout sur
la légende d'une Pénélope, mère de Pan, celle dont les Mantinéens montraient
le tombeau (23). Mais tout autant quà FArcadie, Pénélope est liée à Lacédé-
mone. Homère qui faisait d'elle la fille d'Icare le savait peut-être, et nombreux
sont les mythographes qui réaffirment cette origine. Le silence du poète n'est
pas surprenant. L'épopée était une poésie de cour, s'adressant à un auditoire
noble qui s'intéressait peu aux cultes populaires (24), de la même façon que
l'art mycénien, art de cour, n'a pas intégré de scènes d'origine populaire (25).
LE MYTHE 199

Notes de l'introduction
(1) In The Oxford classical dictionary, 2ème éd., Oxford, 1970, s. v. Pénélope.
(2) Ulysse aussi est certainement plus ancien que les poèmes homériques. Cf. L. Sé-
chan, D et S, s. v. Ulysses, p. 575, et W. Stanford, The Ulysses thème, Oxford,
1963, p. 8-9.
(3) Une des premières études a été celle de W. Crooke, «Some notes on Homeric
folklore», Folklore, XIX, p. 52 sq. et 153 sq.
(4) Pour ne donner que quelques exemples, la saga du mari absent se retrouve aussi
bien dans le folklore de la Chine, (cf N.B. Dennys, The folk-lore of China and Us
afflnitees with that of the Aryan and Semitic races, Londres, 1876, p. 141-143)
que dans celui des pays Scandinaves où l'histoire d'Henri de Brunswick est l'une
des plus connues, mais n'est pas la seule (CF. F. J. Child, ed-of The English and
Scottish ballads, I, Cambridge, 1882, p. 194-197). Un récit très voisin, où il ne
s'agit plus cette fois du mari, mais du fiancé, fait l'objet d'une ballade écossaise,
Hind Horn (cf. F. J. Child, op. cit., n. 17, p. 187 sq.) Pour d'autres exemples,
voir J.Tolstoi, «Einige Màrehenparallelen zur Heimkehr des Odysseus», Philologus,
LXXXIX, 1934, p. 261-274. Cf. encore récemment la tentative de V. Zhirmun-
sky qui pense découvrir en Asie Mineure l'origine du conte ( «The epic of
Alpamysh and the return of Odysseus», PBA, LU, 1966, p. 267-286).
(5) J. Tolstoï, loc. cit., p. 266 sq.
(6) Ibidy p. 271-272.
(7) Pénélope rapporte au mendiant les propos tenus par Ulysse avant son départ :
«Plus tard, quand tu verras de la barbe a ton fils, épouse qui te plaît et quitte la
maison»(XVIII, 269-270>
(8) Voir chap. I., première partie.
(9) Op. cit., p. 468 sq.
(10) A. Lesky, «Hethitische Texte und griechischer Mythos», AAWW, 1950, p. 137-
160, établit surtout des rapprochements avec la Théogonie d'Hésiode où les
générations de dieux se succèdent également par la violence.
(11) «Le retour d'Ulysse du point de vue égyptologique et folklorique», ΒΙΕ, XXIX,
1946-1947, p. 183-241.
(1 2) Pour le texte du conte cf. G. Maspéro, Les contes populaires de l'Egypte ancienne,
3ème éd.,Paris, 1905, p. 84-92. G. Germain qui l'étudié {op. cit. p. 299-319) le
met au point de départ de la genèse de l'épisode des Phéaciens dans YOdyssée.
(13) A. Carnoy, «Les mythes indiens de MStariçvan-Agni et ceux d'Ulysse en Grèce»
Muséon, XLIV, 1931, p. 319-324.
(14) Loc. cit., p. 327.
(15) Le seul élément de l'histoire de Pénélope qui permet à A. Carnoy de considérer la
reine d'Ithaque comme la compagne d'un dieu du feu est l'épisode de la toile qui
lui paraît pouvoir être rapproché de la toison d'or. Le fait est assez douteux,
d'autant plus qu'il s'appuie sur une étymologie du nom de Pénélope, la «gratteuse
de tissu» qu'il abandonnera ultérieurement. Voir infra, p. 235.
(16) II est vrai qu'on pourrait également expliquer par des éléments folkloriques la
présence des prétendants, «faux fiancés que la poésie épique du monde entier
connaît bien» (V. Propp, Morphologie du conte, trad. frse, Paris, 1970, p. 182). Mais
nous pensons que s'applique, précisément ici, le principe affirmé par V. Propp lui-
même : «Si nous trouvons la même forme dans un document religieux et dans un
conte, la forme religieuse est primaire, la forme du conte secondaire» (pp. cit.,
p. 176). Nous montrerons que la structure de la légende conservée par Pausanias
(ΠΙ, 12, 1-2, 4 et ΠΙ, 20, 10-11 ; Cf. supra, p.3 ) et qui reste perceptible chez
Homère sous une forme édulcorée, renvoie à des représentations religieuses de la
Grèce.
(17) Si Pénélope n'est pas nommée dans Ylliade, Ulysse se désigne deux fois dans ce
poème comme le père de Télémaque (II, 260 et IV, 354), ce qui semble
impliquer l'existence du couple Ulysse -Pénélope.
(18) M. Croiset, «Observations sur la légende primitive d'Ulysse», MAI, XXXVIII, 2,
1911, p. 203-207, pense que le développement du caractère rusé d'Ulysse est
postérieur à Vlliade parce que rien dans ce poème ne justifie cette réputation. Mais ce
trait a pu être passé sous silence parce qu'il convenait mal au prestige d'un
personnage épique, alors que le genre de YOdyssée en permettait l'épanouissement.
Cet aspect du caractère d'Ulysse paraît beaucoup plus ancien.
(19) Voit infra, p. 210.
200 M. -M MACTOUX

(20) Le goût et l'amour de la ruse peuvent passer pour un caractère chthonien. Cf. P.
Philippson, «Die Vorhomerische und die homerische Gelstalt des Odysseus»,
MH, IV, 1949, p. 8-22.
(21) Mantinéc et l'Arcadie orientale, Paris, 1898, p. 247-251.
(22) Homère, Paris, 1950, p. 162-170. Encore Ch. Picard, Les religions préhelléniques,
Paris, 1948, p. 187, dit que Pénélope évoque les avatars d'une vieille Déesse-Mère
arcadienne.
(23) Pausanias, VIII. 12, 5-6.
(24) Cf. W. Crooke, p. 59, in «Some notes on Homeric folklore», Folklore, XIX, 1908,
p. 52-77. Déméter, par exemple, que VOdyssée, présente comme une Terre-Mère
accomplissant une hiérogamie (V, 125 sq.), ne joue aucun rôle dans le poème.
(25) Voir supra, p. 43.
CHAPITRE I

LA COUSINE D'HÉLÈNE
Homère reste très discret sur la famille de Pénélope (1). Mais la reine
d'Ithaque est désignée sans ambiguïté tout au long du poème comme la fille
d'Icare. Si l'expression employée dès la première apparition de la reine (2)
se présente comme une formule stéréotypée, Icare est bien vivant dans
l'esprit du poète. Tour à tour Antinoos (3) et Eurymaque (4) demandent à
Télémaque de renvoyer sa mère chez Icare pour qu'elle puisse choisir un
nouvel époux. La généalogie de Pénélope a dû être fixée très tôt. Dans un poème
généalogique dont le sujet est mal déterminé, Asios de Samos (5), qui devait
vivre au Vile siècle, réaffirme la paternité d'Icare à qui il donne une autre
fille, Médée. Tous les auteurs antiques sont unanimes. Pénélope est la fille
d'Icare chez Andron d'Halicarnasse (6), Strabon (7), Apollodore (8), Pausa-
nias (9). Une seule voix discordante, celle d' Aristote, qui affirme que le père
de Pénélope ne se nommait pas Icare (Icarios) mais Icadios (10). Le
changement de nom est minime ; on pourrait ne pas en tenir compte,s'il ne renvoyait
à un problème plus important aux yeux d' Aristote : l'origine géographique de
la famille paternelle de Pénélope.
Sur cette origine Homère est muet. Pourtant, là encore, la tradition est
quasi unanime : Icare est d'origine Spartiate. C'est ce qu'affirment Strabon
(1 1), Apollodore qui lie étroitement Icare à Sparte en le faisant descendre de
Lacédémon qui épousa Sparte, fille d'Eurotas (12), et Pausanias qui donne
une généalogie très proche, au début de son livre sur la Laconie (13). Seul
donc Aristote dans ce passage de la Poétique (14) propose un nom différent
dans Tintention évidente de donner au père de Pénélope une autre patrie. Il
fustige les critiques littéraires qui jugent au nom d'idées préconçues. Ils ont
tort, dit-il, de trouver absurde que Télémaque n'ait pas rencontré son grand-
père lors de son voyage à Sparte. En fait il n'y était pas et il ajoute : «Ils
disent (les Céphalléniens), en effet, que c'est chez eux qu'Ulysse prit femme».
Aristote, cherchant à accréditer une autre version nous révèle en même temps
que celle qui était la plus connue à son époque faisait d'Icare un Lacédémo-
nien. Strabon, préoccupé par le même problème, reste plus nuancé (15). Il
fait s'installer Icare non loin de Céphallénie, sur le continent, en Acarnanie,
avec une colonie de Lacédémone, car, dit-il, il est improbable qu'Icare et ses
fils eussent vécu à Lacédémone, parce que, dans ce cas, Télémaque n'aurait
pas habité la maison de Ménélas quand il alla à Lacédémone et que nous
n'avons pas de tradition qu'ils eussent vécu ailleurs. Strabon, conscient
pourtant d'une autre tradition, réaffirme l'origine lacédémonienne d'Icare (16).
Ainsi la tradition la plus solide faisait d'Icare un Lacédémonien, frère
de Tyndare. Elle remonte au moins à l'époque archaïque où elle était
largement répandue puisqu'Apollodore, à propos précisément de Périérès, père
d'Icare, cite Stésichore (17) qui vivait à Himère à la fin du Vile et au début
du Vie siècles. Il semble même qu'on puisse déceler à cette époque d'autres
traces de cette volonté de rattacher Icare à Lacédémone et à la famille des
Tyndarides. Nous avons vu (18) qu'au Vie siècle, Eugammon, dans la Télé-
gonie, donnait à Ulysse et à Pénélope un second fils, Arcésilas, aïeul de la
dynastie des Battiades de Cyrène. Sans doute est-ce pour Eugammon un moyen
de rattacher la fondation de Cyrène au cycle héroïque. Mais son choix est
significatif. Ce n'est pas de n'importe quel héros que descendent les rois de
Cyrène. Hérodote, qui offre le témoignage le plus sûr concernant la fondation
Tableau I

Généalogie d'après ApoUodore (III, 10, 1-4)

Atlas -f Pléione
sept Pléiades dont
Zeus Ύ Taygète

Lacédémon

Amyklas -+■ Diomède

Persée Cynortas Hyakinthos

Gorgophoné + Périérès

Tyndare Icare Apharée Leucippe Oebal

Zeus -h Léda Tyndare

Pollux Hélène Castor Timandre Clytemnestre Philonoé Thoas Damasippos


Tableau II

Généalogie d'après Pausanias (III, 1 sq.)

Lelex

Γ Ί
Myles Polykaon

Zeus + Taygète Euro tas

Lacédémon + Sparte

Amyklas

Aéole Persée Argalos (1) Çynortas (2) Hyakinthos


Périérès Gorgophoné -t- Oebalos

III Γ I
Apharée Leucippe Tyndare (1) Hippokoon (2) Icare

Hélène Ménélas Périlaos D'autres filles (VIH,34,4)


dont PÉNÉLOPE

Hermione Oreste

— Rois de Laconie

1,2: ordre du règne


206 M.-M MACTOUX

de Cyrène (19), raconte que l'île de Théra, antérieurement nommée Callisté,


d'où Battos partira en Libye pour fonder Cyrène dans la deuxième moitié du
Vile siècle, avait été peuplée par des émigrants Spartiates et minyens sous la
conduite de Théras, oncle des deux rois régnant à Sparte (20). Sans doute
Battos lui-même était d'origine minyenne, mais c'était des Minyens qui
étaient passés par la Laconie ; lorsqu'ils arrivèrent en Laconie, dit Hérodote,
ils rentraient au pays de leurs pères (21).
De même figure dans le Catalogue des Femmes du Pseudo-Hésiode un
fragment où il est question de Télémaque (22). Tyndare étant bien attesté
dans les papyrus pseudo-hésiodiques, et Icare ayant eu un fils Thoas qui est
peut-être celui dont parle un autre fragment (23), il est probable que
Télémaque était rattaché au stemma des Tyndarides (24). Le fils de Pénélope, dont
l'histoire dans YOdyssée est surtout écrite en fonction de celle de son père,
est présenté ici comme le petit-fils d'Icare et le neveu de Tyndare. Une phrase
dans V Odyssée n'a pas suffisamment retenu l'attention. Homère dit: «Si tous
les Achéens à travers le Péloponnèse pouvaient voir Pénélope, elle aurait
encore davantage de prétendants» (25). Rien dans le contexte n'oblige
Homère à se limiter à l'Iasion d'Argos qui désigne dans la langue homérique
le Péloponnèse (26). Ne pourrait-on voir ici le souvenir d'une Pénélope,
héroïne du Péloponnèse ?
Ainsi rien ne permet de conclure, comme on l'a fait récemment, que la
tradition qui fait d'Icare un roi de Sparte n'ayant aucun support dans
YOdyssée, le personnage de Pénélope pourrait bien être «issu d'une source
étrangère» (27). La personnalité d'Icare nous paraît au contraire trop bien affirmée
dès l'époque archaïque pour qu'on puisse rattacher Pénélope à un autre
cycle légendaire. Icare est pour nous beaucoup plus qu'un nom. S'il n'a jamais
régné, il est étroitement uni à la famille régnante. Soit, d'après Apollodore
(28), chassé de Sparte avec son frère Tyndare par leur frère Hippokoon, il
regagne sa patrie avec Tyndare une fois qu'Hippokoon eut été détrôné par
Héraklès, soit, d'après Pausanias (29), il aide Hippokoon à récupérer son
trône usurpé par Tyndare et qu'il revendiquait au nom du droit d'aînesse.
Allié ou ennemi de Tyndare, Icare a donc pour frère ce Lacédémonien dont la
fille est Hélène, et Pénélope est bien à l'origine une Lacédémonienne comme
la qualifie Lycophron dans YAlexandra (30).
La tradition est beaucoup moins nette en ce qui concerne la mère de
Pénélope (31). Homère est muet à son sujet (32) comme il est muet sur la
patrie d'Icare et sur le nom de ses fils (33). Il traite en fait Pénélope comme il
traite Hélène. Hélène est dans YOdyssée uniquement la fille de Zeus (34),
alors que Léda figure dans la Nekyia comme la femme de Tyndare et la mère
des Dioscures (35). Or, dans Yïïiade, Hélène est déjà appelée la sœur des
Uioscures (36). Sans doute gênés par ce silence, les mythographes grecs ont
donné à la femme d'Icare plusieurs noms. Mais cette incohérence n'est qu'
apparente et recouvre en fait une volonté identique, celle de lier étroitement
l'héroïne à Icare, par le biais de son histoire individuelle ou familiale.
Dans le cas de Strabon, le procédé est évident. Il se fait l'écho d'une
tradition très ancienne selon laquelle Icare, qui s'était rendu en Acarnanie, avait
épousé Polycaste, fille de Lygaios, roi du pays (37). Pénélope naît en
Acarnanie ainsi que ses deux frères, Alyzéos et Leucadios qui régnèrent avec leur
père (38) sur le pays. Leucadios devient le héros éponyme de Leucade qui
était autrefois une péninsule d'Arcananie. Strabon se réfère explicitement, à
propos des frères de Pénélope, à l'auteur de YAlcméonide, épopée rédigée au
cours du Vie siècle. Selon cette version, Icare prit donc femme dans la même
Tableau III
Les mères de Pénélope
Poséidon ·+· Célaeno Hélios
Phérécyde Eurypyle "+" Stéropé
(Fr. Wè,FGH, 1) Astérodeia "t* Icare
1 < 1
Pénélope Médée Amasichos Phaléré
ou Hyposipyle
ou Laodamie
Lygaios
Strabon (d'après l'Alcméonide) Poly :aste -f Icare
Géographie
Péné lope Alyzéos Leucad
(X, 2, 18.X, 2, 24)
Périboé 4· Icare
Apollodore (nymphe Naïde)
{Bibl 111,10,6) Pénélope Thoas Damasippos Imeu
A1F>hée
Mythographes anonymes Or; iloque
(schol.ad Od. XV, 16) Do odoché -f Icare
1
Pénélope
208 M.-M MACTOUX

région que son frère Tyndare qui épousa Léda, fille de Thestios, chef des
Pleuroniens chez qui les deux exilés s'étaient réfugiés et qu'ils avaient aidé
dans ses conquêtes (39).
Apollodore de son côté fait de Périboé la mère de Pénélope (40). C'est
la seule mention connue de cette Périboé, simplement désignée par
Apollodore comme une nymphe naïade (41). Mais le nom n'est pas inconnu
d'Homère. Il l'attribue dans Wdyssée à la grand'mère d'Alkinoos, roi des
Phéaciens (42). Un certain nombre de remarques ont permis de rapprocher ce
passage du livre VII de YOdyssée avec YAspis du pseudo-Hésiode qui fait
partie du Catalogue des Femmes, rédigé dans une région de langue éolienne,
soit la Thessalie, soit la Boétie. En particulier l'adjectif «fier, magnanime»
(43) qui sert à caractériser cette Périboé, et qu'on retrouve seulement dans six
vers homériques, est employé pour la sœur de Pénélope, Iphtimé, «fille du
magnanime Icare» (44). Or cette Iphtimé est donnée dans YOdyssée comme la
femme d'Eumélos, roi de Phères en Thessalie (45). Mais peut-on conclure
comme le fait J. Schwartz (46) que la mère d'Iphtimé et de Pénélope d'après
Apollodore, et cette grand'mère d'Alkinoos, amante de Poséidon, n'en font
qu'une ? On remarquera seulement que l'autre Périboé dont parle Homère,
cette fois dans YHiade, est donnée comme l'épouse de l'Axios, fleuve de
Péonie (47). Les deux Périboé homériques renvoient à des légendes de la
Grèce du nord et, comme Strabon, Apollodore fait de Pénélope la fille d'un
Lacédémonien et d'une héroïne de la Grèce septentrionale, à l'instar
d'Hélène.
On se souvient (48) d'autre part que ce même Apollodore mentionnait
une légende dans laquelle le père d'Icare, Périèrès, était fils d'Aeole (49). Or
Aeole avait eu droit à la Thessalie lors du partage de la Grèce par son père
Hellen (50). D'ailleurs les liens de Sparte avec la Thessalie sont bien établis
par les auteurs antiques (51). Pindare dans la Xe Pythique (52) englobe dans
la même louange Sparte et la Thessalie gouvernée, dit-il, par la même race
issue du même père, Héraklès. De son côté Hérodote fait venir les Lacédémo-
niens de Thessalie (53). Sans doute les Doriens en présentant l'arrivée des fils
d'Héraklès dans le Péloponnèse, arrivée qui correspond historiquement aux
migrations doriennes, comme le retour des Héraclides au pays de leur père,
essayaient-ils de justifier leur possession d'une région regardée comme
originellement non dorienne (54). Précisément, dans le mythe, Héraklès avait aidé
Tyndare à se réinstaller sur le trône, et ses fils revendiquaient ce royaume
donné en récompense à leur père, fils de Zeus comme les Dioscures (55). Ne
pourrait-on voir dans ce mariage d'Icare avec Périboé, héroïne thessalienne,
un effort supplémentaire pour unir les deux peuples ? Pénélope, issue du
couple se trouverait intimement unie à l'histoire de Lacédémone et de Tyndare.
La même tendance éclate au grand jour chez les mythographes qui font
directement de la mère de Pénélope une héroïne du Péloponnèse appartenant
à la famille d'Icare. La version la plus fréquemment suivie par les scholies à
YOdyssée, et attribuée à Phérécyde, lui donne comme nom Astérodeia (56),
fille d'Eurypyle, lui-même fils de felestor. Cet Eurypyle était roi de Libye,
fils de Poséidon et de Celeano suivant Acésandre (57) et le scholiaste d'Apol-
lonios (58). Celeano est une des sept Pléiades, mère de Taygète, fille d'Atlas
et de Pléione à l'origine de la famille d'Icare dans toutes les généalogies (59).
Cette Astérodeia comme mère de Pénélope est citée à de multiples reprises
par les scholiastes de YOdyssée (60). Une scholie (61) précise même qu'Asté-
rodeia eut deux filles et cinq fils (62) qui ne sont pour nous que des noms, à
LE MYTHE 209

l'exception de Périlaos cité comme fils d'Icare par Apollodore qui donnait
aussi à Périboé cinq fils également inconnus des mythographes. Mais le rôle
joué par ce Périlaos n'est pas indifférent. Il renvoie une fois encore à Tyndare.
Après le crime d'Oreste, Périlaos devient l'héritier moral de Tyndare mort, en
réclamant vengeance, devant l'Aréopage, pour le meurtre de Clytemnestre,
l'infortunée sœur d'Hélène. Pausanias qui rapporte le fait justifie ce droit en
rappelant qu'il s'agit bien du fils d'Icare (63).
Une scholie (64) nous apprend enfin que, selon d'autres, la mère de
Pénélope serait Dorodoché, fille d'Ortiloque ou Orsiloque. Cet Orsiloque est
le fils d'Alphée et le père de Dioclês, le roi de Phères, chez qui Télémaque
coucha à l'aller et au retour en se rendant à Sparte (65). Les érudits ne sont
pas d'accord pour savoir où se situait cette Phères. Mais il s'agit bien
évidemment d'une Phères du Péloponnèse, PAliphéra arcadienne, pour V. Bérard
(66), mais plus certainement la Phères de Messénie (67)· Périérès, fils d'Aeole
était venu, d'après Apollodore (68), s'installer en Messénie où il aurait eu ses
quatre fils parmi lesquels Icare.
Ainsi Pénélope, fille d'une nymphe peu connue, liée géographiquement
ou généalogiquement à Icare le Lacédémonien, donné dans la totalité des
légendes comme le frère de Tyndare, est proche parente d'Hélène, l'autre
héroïne homérique. Elle est personnellement fortement implantée à Sparte,
comme le prouve un fait rapporté par Plutarque (69). Les rois de Sparte
désirant conserver le Palladion qui se trouvait chez eux consultèrent l'oracle
de Delphes. Ils reçurent l'ordre des dieux de choisir l'un de ceux qui l'avaient
dérobé pour faire de lui son gardien. Leur choix se porta sur Ulysse parce
qu'à cause de son mariage avec Pénélope, ils reconnaissaient que ce héros
avait des relations étroites avec leur cité ; ils construisirent alors à Ulysse un
hérôon .
Le structure de la légende de Pénélope dans YOdyssée nous avait déjà
suggéré un rapprochement avec celle d'Hélène. Comme elle, Pénélope est une
femme qui se laisse courtiser et qui est reconquise violemment par son mari.
Ces liens familiaux que les mythographes ont si subtilement tissés ne
traduisent-ils pas une relation d'une autre nature ?
Cette hypothèse s'appuie en premier lieu sur une légende conservée par
Apollodore, mais qui remonte sûrement à l'époque archaïque et était peut-
être connue d'Homère qui la négligea. Lorsqu'Hélène, célèbre par sa beauté,
fut ravie par Thésée, les Dioscures, ses frères, réussirent à l'enlever et la
ramenèrent à Sparte. Les souverains de Grèce s'y rendirent pour disputer sa main,
et, au premier rang des prétendants, figure Ulysse. Tyndare, craignant que le
choix de l'élu ne déchaînât la vengeance des autres, accepta le marché
proposé par Ulysse. En échange de son conseil, le fils de Laèrte lui demandait
d'intervenir auprès d'Icare pour qu'il lui donnât Pénélope en mariage. Ulysse
lui proposa de faire prêter à tous les prétendants le serment de défendre celui
qui serait choisi contre tous ceux qui l'offenseraient au sujet de son mariage
avec Hélène (70). Tout se passe donc comme si, pour Ulysse, Pénélope se
présentait comme le substitut d'Hélène. Apollodore se contente de
transmettre le récit le plus complet d'une légende parfaitement connue à l'époque
archaïque, mais dans laquelle on n'attribue pas toujours à Ulysse la paternité
du serment.
Le catalogue des femmes, qui donne une liste des prétendants d'Hélène,
cite Ulysse (71) et se termine sur le récit du serment (72). Un personnage
210 M.-MMACTOUX

difficile à identifier, sans doute Tyndare, engage les prétendants à prêter le


serment solennel de châtier celui qui voudrait user de violence à l'égard de
l'élu. Stésichore (73), encore, rapporte la décision de Tyndare sans
mentionner Ulysse. Cependant les Chants Cypriens (74), qui sont antérieurs,
racontent comment Ulysse simula la folie pour essayer de ne pas prendre part à
l'expédition troyenne. Il est probable que Ménélas était venu lui rappeler le
serment qu'il avait prêté avec tous les autres, et que l'auteur des Chants
Cypriens connaissait la variante d'Apollodore (75). Dans V Odyssée même, la
scène esquissée au Uvre IV (76) ne pourrait-elle laisser supposer qu'Homère
connaissait la légende suivant laquelle Ulysse avait été un des prétendants
d'Hélène ? (77). Là, en effet, Hélène raconte comment à Troie elle protégea
Ulysse qui avait pénétré dans la villa en espion. Le serment dont il est
question dans YHiade (78) comme l'engagement pris par les alliés de s'associer
jusqu'au bout à la guerre, peut apparaître comme un souvenir des serments
prêtés à Tyndare (79). Ainsi, très anciennement, probablement dans une
légende préhomérique, Pénélope se présente comme une autre Hélène sans
qu'on ne nous dise jamais pourquoi. Si Ulysse venu à Sparte pour épouser la
fille de Tyndare est ravi d'épouser sa cousine sans avoir enregistré aucun échec
n'est-ce pas parce qu'à ses yeux Pénélope la remplace très exactement ?
Pausanias apporte d'autres éléments permettant de préciser la nature de
cette ressemblance. U fait du mariage de Pénélope un récit qui évoque un
enlèvement (80). Quand Icare eut donné Pénélope en mariage à Ulysse, il
essaya de faire établir Ulysse à Lacédémone. Mais, échouant, il supplia sa
fille de rester et, quand elle partit pour Ithaque, il accompagna le char,
l'implorant de ne pas quitter Lacédémone. Ce départ précipité ressemble fort à
un enlèvement. Une telle promenade en char existe dans les fêtes de l'époque
historique comme les Petites Dédalies célébrées par les Platéens (81) et ce rite
suggère un «mariage de mai», hiérogamie de printemps destinée à rendre la
terre féconde (82). Si mariage et conquête sont rapprochés dans les légendes,
n'est-ce pas parce que, dans la royauté primitive, le roi transmettait à la terre
la fécondité dont il était le dépositaire ? G. Dumézil a bien montré que
«Souveraineté et fécondité sont des puissances solidaires et comme deux aspects de
la Puissance» (83). Dans YOdyssée, apparaissent encore des traces de cette
action bienfaisante du roi sur la nature ; Pénélope, décrivant à Ulysse le
mariage d'héroïnes, l'appelle thaleros gamos (84). Lié à l'exercice de la
souveraineté qui inclut la fidélité dans sa nature, l'enlèvement comme rite de
fécondité n'est qu'une transposition coutumière de la mort et de la résurrection de
la végétation.
Hélène, ancienne déesse de la végétation dont le culte primitif prenait la
forme d'un culte de l'arbre (85) est une récidiviste des enlèvements. Si
Homère a immortalisé le rapt de Paris, il est fort probable qu'il connaissait celui
de Thésée. Parmi les servantes d'Hélène figure Aithra, fille de Pitthéos, et
donc mère de Thésée (86). Sans doute le vers est condamné par Aristarque
pour qui le thème de Ylliade présuppose qu'Hélène n'a pas eu auparavant
d'aventure amoureuse. Mais l'ancienneté des documents figurés représentant
Hélène avec ses ravisseurs, Thésée et Pirithous, montre celle de la légende (87)
Comme Hélène a été ravie en présence de son père Tyndare (88),
Pénélope a été enlevée en présence de son père Icare, dans cette même région du
Péloponnèse (89) d'où les deux frères, Icare et Tyndare, étaient issus. Ulysse
le ravisseur, a failli être celui d'Hélène dont il a été le prétendant et n'est
devenu celui de Pénélope que sur l'intervention directe de Tyndare. Icare, dont
l'aide apportée à Tyndare dans sa reconquête du royaume de Sparte a été
LE MYTHE 211

souvent soulignée, n'est-il pas aussi directement touché par l'enlèvement de sa


nièce Hélène, assistant au rapt, et exprimant son indignation avec le même
geste que son frère sur cette coupe de Berlin déjà signalée ? L'histoire de
Pénélope et d'Hélène suit exactement le même schéma : enlèvement aux yeux
de pères indignés dont le rôle est non seulement interchangeable mais s'exerce
d'une manière identique dans le mariage de leur nièce respective. De cette
analogie ne peut-on induire que Pénélope fut, comme Hélène, une ancienne
déesse de la végétation ? La fin du récit de Pausanias concernant le mariage
de Pénélope apporte un élément nouveau qui, sans être une preuve, renforce
considérablement cette présomption.
Ulysse, s 'impatientant devant les supplications d'Icare, demanda à
Pénélope de manifester son choix. Alors celle-ci se voila et Icare, comprenant
son refus, éleva une statue à Aidôs à l'endroit même où Pénélope s'était
voilée. On a l'impression que Pausanias comprend mal le récit qu'il transcrit. Au
moment où il écrit il y a longtemps que les Romains honoraient la Pudicitia
(90), l'équivalent de ce qu'était devenue YAidôs grecque (91). Les Athéniens
eux-mêmes avaient élevé un autel à VAidôs, la Pudeur, sur l'Acropole (92). La
Pudicitia qui apparaît fréquemment sur les monnaies à partir de Trajan est
figurée debout ou assise s'enveloppant d'un voile. Les poètes latins, nous 1/avons
vu (93), avaient imposé l'image d'une Pénélope fidèle et, pour Pausanias,
Icare élevant une statue à Aidôs à l'endroit même où sa fille s'était voilée
rendait hommage à la déesse qu'honorait sa fille. Mais rien dans la conduite
de Pénélope à ce moment ne justifie cette dévotion. Ce qu'on peut retenir de
son récit, c'est qu'il y avait près de Sparte une statue, peut-être celle d'une
femme voilée, étroitement liée à Pénélope, représentant peut-être Pénélope
elle-même. Ce que dit Pausanias a l'allure d'une légende étiologique servant à
expliquer la présence d'une statue dont la signification avait été oubliée.
L'utilisation d'un voile dans l'épopée homérique est fréquente et
répond au désir de rester inconnu ou de se retrancher par le deuil du monde
extérieur (94). Pénélope elle-même se voile lors de ses apparitions devant les
prétendants. Mais Pénélope quittant Sparte volontairement pour suivre
Ulysse ne peut être mue par aucune de ces motivations (95). Il existe dans
X Odyssée d'autres voiles dont la possession a une signification plus
intéressante : le voile qu'Ino-Leucothéa prête à Ulysse pour lui permettre d'aborder
sans danger (96), ou celui qu'Hélène remet à Télémaque en cadeau lorsqu'il
est sur le point de quitter Sparte. Ce sont des voiles qui ont une vertu
magique, apportant le succès fécond à ceux qui les possèdent. Grâce au don d'Ino-
Leucothéa, Ulysse résistera aux assauts des vagues qui l'ont jeté sur la grève,
et, lorsqu'Hélène offre le grand voile à son hôte, eue accompagnera le geste
de ces mots : «Quand le jour de l'hymen viendra combler tes vœux, que ta
femme le porte» (97). Les rites relatifs au culte d'Ino-Leucothéa ont mis en
valeur son caractère chthonien comme déesse de la végétation (98), et tout se
passe comme si Hélène, se souvenant soudain qu'elle avait été une ancienne
déesse-mère, voulait assurer la fécondité du mariage de Télémaque en
partageant avec lui un de ses attributs. Ch. Picard a bien montré qu'il y avait deux
types primitifs et parallèles de la fécondité divine : la déesse nue et la déesse
voilée (99). Ce n'est peut-être pas un hasard si le terme homérique (100), rare
dans l'épopée, désignant le voile utilisée par Pénélope lors de ses apparitions
devant les prétendants est le même que celui qui sert pour Ino-Leucothéa
(101). L'usage du voile par les femmes lorsqu'elles sortent ou se présentent
devant des étrangers est tardif et apparemment inconnu à l'époque d'Homère
212 M.-MMACTOUX

(102). Ainsi cette Aidôs pourrait bien n'avoir existé que dans l'imagination de
Pausanias ou dans celle d'érudits locaux incapables d'expliquer la signification
de cette statue autrement qu'en fonction de la culture dans laquelle ils
vivaient.
Cependant la langue épique connaît un terme, proche d'Aidôs, et
désignant Hadès (103). L'hypothèse avait été envisagée par S. Wide qui trouvait,
sans préciser pourquoi, que le motif de Pénélope se voilant conviendrait très
bien à cette statue (104). Or il est une déesse qui a été désignée par le terme
d'Aidôs, c'est Artémis sur un vase à figures rouges (105). La signification de
la scène ne fait pas de doute puisque l'artiste a inscrit le nom des
protagonistes -Le géant Tityos enlève dans ses bras Léto en présence de deux
personnages : Apollon, et une divinité nommée Aidôs, qui ne peut être que sa sœur
Artémis. La déesse dont la chasteté est devenue un attribut essentiel
protégerait ici l'honneur de sa mère, partageant le même sentiment que le dieu qui,
d'une main, a saisi le bras de Léto, et, de l'autre, arrête Tityos. Mais on a,
comme dans le cas d'Ulysse emmenant Pénélope, une scène d'enlèvement. Et
cette Artémis-Aidôs ne pourrait-elle pas être ici l'héritière d'une antique
divinité chthonienne auquel le nom d'Aidôs, si proche d'Hadès, peut faire
penser ? (106). Pénélope à son tour, pourrait avoir été une hypostase
d'Aidôs-Hadès (107) à qui les anciennes déesses de la végétation sont
intimement unies. Il est à peine besoin de signaler le rapt de Perséphone par Hadès
(108). Dionysos sous l'empire duquel passe Ariane est considéré parfois
comme un doublet du dieu des morts (109). Thésée lui-même, ravisseur
d'Ariane (110) mais aussi très anciennement celui d'Hélène (111) et qui a
tenté d'enlever Koré-Perséphone (112), pourrait bien avoir eu une nature
infernale (113).
Dans un autre passage Pausanias raconte les circonstances de ce mariage
(114). S'il connaît l'histoire du serment que Tyndare fit prêter aux
prétendants de sa fille (115) il s'en tient une autre version. Ce n'était plus grâce à
Tyndare qu'Ulysse avait pu épouser Pénélope, mais il avait été le prétendant
heureux qui avait gagne sa fiancée au terme d'une course à pied. On
reconnaît ici une antique coutume selon laquelle la main d'une princesse et le droit
au trône étaient parfois l'enjeu d'une joute athlétique (116). Pausanias, dans
le même passage, rapproche la course instituée par Icare et celle qui fut
imposée par Danaos aux prétendants de ses filles. Le tir à l'arc dans Y Odyssée
destiné à faire du vainqueur le mari de la reine appartient au même type de con-
ccurs destiné à désigner à la fois le fiancé et le successeur du roi. G. Germain,
qui analyse cet épisode dans le premier chapitre (117) de son ouvrage, La
genèse de l'Odyssée, s'appuyant sur la nature de l'arme, en conclut que
l'origine du thème doit être cherché en Inde où une épreuve d'arc a réellement
figuré dans le cérémonial de l'accession au trône (118). Mais le fonds légendaire
grec fournit d'autres exemples de ces concours dont la forme a varié, mais qui
ont toujours le même but (119).
Ce qui paraît plus intéressant dans le texte de Pausanias c'est la nature
de l'épreuve à laquelle sont soumis les prétendants de Pénélope. La course à
pied a un caractère d'épreuve pré-nuptiale bien établi. Elle figure dans un
certain nombre de fêtes célébrées par des femmes : aux Apatouries athéniennes
où se déroulait une course aux flambeaux (120), aux Anthestériades rho-
diennes (121), à Sparte même, aux Dionysiades (122). Mais il semble qu'on
peut tenir pour certain que la course à pied a été la première épreuve d'Olym-
pie, comme l'admettait déjà Pausanias (123) sur la foi des érudits locaux. Le
LE MYTHE 213

vainqueur de cette course instituée par les Dactyles de l'Ida ou Courètes


recevait une branche d'olivier sauvage, branche de l'arbre sacré. Il est
probable que l'enjeu de la compétition était la désignation du chef de la procession
comme «roi de mai» qui incarnait momentanément une divinité de la
végétation (124), l'olivier appartenant à la Terre. Les Dactyles, génies de la
végétation dormaient sur des tas de feuilles fraîches toujours vertes pour pouvoir
être inspirés par sa sagesse oraculaire. Cette épreuve dut être instituée à
l'origine en l'honneur de Déméter Chamyné qui apparaît comme le substitut
d'une Déesse-Terre avant l'avènement de Zeus à Olympie (125). Puis, plus
tard, le rite prit la forme d'un mariage sacré symbolisé par celui de Pélops et
d'Hippodamie. L'une des servantes de Pénélope dans VOdyssée ne porte-t-elle
pas précisément le nom d'Hippodamie (126) comme la fille d'Oenomaos
conquise par Pélops au terme d'une course de chars qui remplacera plus tard
la course à pieds ? Pélops ne doit d'ailleurs son succès qu'à la trahison de
Myrtilos, conducteur du char d'Oenomaos, car le père d'Hippodamie
s'opposait farouchement au mariage de sa fille. Quand un prétendant arrivait pour la
courtiser, juché sur son char conduit par Myrtilos, il le faisait tomber quand il
passait près de lui (127). Icare poursuivant sa fille enlevée par Ulysse ne
ressemble-t-il pas à Oenomaos mettant à mort les prétendants de la sienne ?
Hippodamie n'est d'ailleurs pas la seule servante de Pénélope évoquant
une divinité de la végétation. Le supplice auquel Télémaque condamne les
servantes infidèles d'Ulysse en les faisant pendre autour de la tholos d'Ithaque
pourrait bien n'être qu'une invention pour expliquer un mythe de pendaison
fréquent dans les légendes antiques. On appelait la protection de la déesse en
suspendant son effigie, comme on suspendait des oscilla aux arbres pour
assurer de bonnes récoltes ; primitivement le rite était un rite de fécondité et de
fertilité, et les servantes de YOdyssée pendues à un monument du culte des
morts pourraient bien avoir été à l'origine des déesses de la fertilité,
protectrices des défunts (128). Lorsque Pénélope paraît dans YOdyssée, toujours
accompagnée de deux chambrières, servantes anonymes, ou portant le nom
d'Hippodamie et d'Autonoé (129), elle évoque le type de la Déesse-Mère
préhellénique entre deux suivantes qui a précédé celui de la Déesse-Mère entre
deux assesseurs masculins (130). Hélène entre les Dioscures dérive de ce type
(131). On a trouvé, à Sparte même, un document où deux assistantes-femmes
entourent une potnia ptérophore encadrée de lions (132). Pénélope entre ses
deux servantes, appuyée probablement à la colonne qui soutient le foyer dans
le mégaron (133), a la raideur d'un personnage d'intaille ou d'un bas-relief
archaïque.
Ainsi les légendes liées à Pénélope, fille d'Icare, évoquent
manifestement des mythes propres à une divinité de la végétation semblable à Hélène
dont le culte est bien attesté en Laconie. Pausanias signale un hiéron d'Hélène
à Sparte (134) près de la tombe d'Alcman, le poète lyrique, mais il est
probable qu'elle a été plus anciennement honorée à Thérapné où Ménélas avait un
temple et dans lequel le mari et la femme avaient été enterrés (135). Hérodote
mentionne à Thérapné l'existence d'un sanctuaire d'Hélène contenant la
statue de la déesse (136).
De Pénélope on n'a aucune trace de culte. Seul un tombeau dont
Pausanias a conservé le souvenir et sur lequel nous allons revenir. Mais il
semble précisément que ce récit provenant d'un texte du Ile siècle de notre ère et
qui n'a aucun fondement, ni dans l'épopée homérique, ni dans la littérature
ultérieure, transcrit par un auteur qui ne le comprend pas, peut être considéré
214 M.-M MACTOUX

comme la survivance d'un mythe très ancien qu'il nous a conservé par hasard
comme il l'a fait pour beaucoup d'autres. Pénélope pourrait bien être une
ancienne divinité locale, moins heureuse qu'Hélène dans sa survie mythique et
légendaire. Les mythographes en insistant sur sa parenté avec la fille de Tyn-
dare ne font que traduire le sentiment confus que Pénélope, la Lacédémo-
nienne, n'est qu'un doublet d'Hélène. Les récits conservés par Apollodore ou
Pausanias ont beaucoup plus un caractère mythique que légendaire.
LE MYTHE 215

Notes du CHAPITRE I
(1) Homère parle de ses frères sans les nommer, (XV, 16) et d'une sœur, Ipthimé,
femme d'Eumélos de Phères en Thessalie, qui apparaît à Pénélope en rêve (IV,
797), et dont il ne sera plus jamais question. Le mot est primitivement une épi-
thète, et Aristarque (Schol ad Od., IV, 797) se demande s'il s'agit bien d'un nom
propre.
(2) Od., I, 329.
(3) Od.,U, 113-114.
(4) Od., II, 194.
(5) Fr. 10, Kinkel (Scholad Od, IV, 797).
(6) Fr. 7, K. Mtiller, FHG, II. Andron appelle la sœur de Pénélope, nommée Médée
par Asios, Hypsipyle.
(7) Géographie, X, 2, 24.
(8) Bibliothèque, ΙΠ, 10, 6.
(9) Description de la Grèce, III, 20, 10-11.
(10) Poétique, 1461 b.
(11) Strabon, X, 2, 24.
(12) Bibliothèque, III, 10, 3 et 4. (Voir tableau I). Apollodore évoque une variante
(III, 10, 4) dans laquelle Icare n'est pas le fils mais le petit -iils de Périérès, mais ce
Périérès est toujours le fils de Cynortas. Au livre I, 9, 5, il parle d'une tradition qui
fait de Périérès le fils d'Aeole qui eut de son père Hellen, la Thessalie et les pays
voisins ; mais il ajoute : «beaucoup d'écrivains disent que Périérès n'était pas fils
d'Aeole mais de Cynortas, fils d'Amyclas, c'est pourquoi je parlerai de sa postérité
à l'article des Atlantiades». Apollodore opte donc pour la version lacédémonienne
qui lui semble la plus répandue.
(13) III, 1,4. Pausanias qui mélange les deux généalogies données par Apollodore (voir
tableau II) fait d'Oebalos, père d'Icare, le fils de Cynortas. Icare se trouve toujours
rattaché à la même famille.
(14) 1461 b.
(15) X, 2, 24.
(16) Toujours poussé car le même souci d'expliquer pourquoi Télémaque descendit à
Sparte chez Ménelas, un des scholiastes à YOdyssée dira qu'Icare n'était pas de
Sparte mais d'Ithaque, tout en maintenant d'ailleurs qu'il était frère de Tyndare
(Schol. H ad Od. XV, 16).
(17) Bibliothèque, ΠΙ, 10, 3.
(18) Voir supra, p. 33.
(19) F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris, 1952, p. 91.
(20) IV, 145 sq.
(21) IV, 145.
(22) Fr. 221,MerkeIbach.
(23) Fr. 236, Merkelbach.
(24) J. Schwartz, Pseudo-Hesiodeia, Université de Paris, 1960.
(25) Od., XVIII, 235.
(26) Strabon, VIII, 6, 5.
(27) G. Germain, op. cit., p. 471.
(28) Bibliothèque, III, 10,5.
(29) ΠΙ, 1,4.
(30) V, 792. Les scholiastes à ce vers expliquent tout naturellement l'adjectif en
rappelant qu'Icare était frère de Tyndare.
(31) Voir tableau ΠΙ.
(32) On a récemment émis l'hypothèse (E. A. S. Butterworth, Some traces of the
pre-olympian worid in Greek literature andmyth, Berlin, 1966, p. 106 sq) que la
mère de Pénélope serait Euryclée et son père, Laèrte. L'effort du poète pour le
cacher s'expliquerait par son désir de dissimuler toute trace de succession
matrilinéaire. En fait, les personnages de YOdyssée se réfèrent tour à tour aux deux
systèmes : la royauté se transmettant héréditairement au fils du roi (I, 384 sq.) ou
à l'époux de la veuve du prédécesseur (XV, 521 sq.). Par l'épreuve de l'arc, Ulysse
reconquerra à la fois femme et royaume.
(33) II parle des frères de Pénélope dans YOd. (XV, 16 sq.) sans les nommer.
(34) Od., IV, 184 ; 219 ; 227 ; 569.
(35) Od., XI, 298 sq.
(36) //.,111,237-238.
(37) X, 2, 24. Polycaste est aussi le nom d'une fille de Nestor dans YOdyssée, mais il
216 M.-M MACTOUX

n'y a apparemment aucun lien entre les deux héroïnes.


(38) X, 2, 14.
(39) D'après Apollodore, BibL, ΠΙ, 10, 5.
(40) Op. cit., m, 10,6.
(41) Elle est seulement nommée par les scholiastes (SchoL ad Lyc. Alex., 792).
(42) Od.,VU,5T.
(43) J. Schwartz, op. cit., p. 524.
(44) Megaletôr, employé dans des vers qui offrent le même bâti.
(45) IV, 797-798.
(46) Op. cit., p. 511.
(47) //., XXI, 141-3.
(48) Voir supra, p. 215, n.12.
(49) Bibl.,1,9,5.
(50) Id., I, 7, 3.
(51) Cf. E. N. Tigerstedt, The legend of Sparta in cîassical /l/iiiîMif^^tockhlom,
Goteborg-Upsala, 1965, p. 28.
(52) lsq.
(53) 1, 56.
(54) EJSI. Tigerstedt, op. cit., p. 36.
(55) Isociate, Archidamos, 17-18.
(56) Fr. 128, FGH, 1 (schol-ad Od., XV, 16).
(57) D'après Schol-ad Pind. Pyth., IV, 57 .
(58) Scholad Apollon. Argonaut., IV, 1561.
(59) Le fragment de Phérécyde est d'ailleurs extrait du livre concernant les Atlantides.
Cf. K. Miiller, op. cit.
(60) Ainsi Scholad Od. I, 275, 277 ; IV, 797 .
(61) Ad Od., IV, 297. Les frères de Pénélope se nomment Amasichos, Phaléréos,
Thoon, Phéremmélias, Périlaos et la sœur de Pénélope, Médée ou Hypsipyle ou
Laodamie. Les scholies au vers 16 du livre XV donnent, d'autre part, deux autres
frères à Pénélope, Sémos et Aulétès, sans préciser cette fois le nom de leur mère.
(62) Thoas, Damasippos, Imeusimos, Alétès et Périléos.
(63) Vm, 34, 4.
(64) Ad Od. XV, 16.
(65) ΠΙ, 488489 ;XV, 186-187.
(66) Pour V. Bérard, éd. de VOdyssée, ΠΙ, n. au vers 488.
(67) A. Wace et F.H. Stubbings, A companion to Homer, Londres, 1962, p. 291.
(68) BibL, 1,9,5.
(69) Questiones Graecae, n. 48.
(70) B&L, ΠΙ, 10, 8-9. Pausanias (ΠΙ, 20, 9) fait allusion au serment que Tyndare fit
prêter aux prétendants d'Hélène, mais n'y rattache pas le mariage d'Ulysse et de
Pénélope.
(71) Fr. 198, Merkelbach.
(72) Fr. 204, Merkelbach.
(73) Fr. 13, Page.
(74) Cf. le résumé laissé par Proclos, in A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie
de Proclos, 118-121.
(75) L. B. Ghali-Kahil, op. cit., p. 29 ; A. Severyns, analyse de l'ouvrage de W. Kull-
mann, Die Quellen der Ilias, AC, XXX, 1961, p. 543, et F. Jouan, op. cit.,
p. 159-160.
fj fi) Od., IV, 242 sq.
(77) W. Stanford, The Ulysses thème, Oxford, 1963, p. 65.
(78) Π, 286-288; 339-341.
(79) L'hypothèse, récemment reprise par W. Kullmann, Die Quellen der Ilias, Wies-
baden, 1960, p. 137-139, n'est pas repoussée par F. Jouan, op. cit., p. 157, n. 2.
Déjà E. Bethe, Homer, Dichtung und Sage, II, Odyssée, Kyklos, Leipzig, 1922,
p. 229-234, pensait que Vlliade, toc. cit., faisait allusion au serment. Cependant
A. Severyns dans son analyse de l'ouvrage W. Kullmann, op. cit., AC, XXX, 1961,
p. 543, qualifie cette thèse de fragile.
(80) ΠΙ, 20, 10-11.
(81) Pausanias, IX,3, 3.
(82) J.G. Frazer, Les origines magiques de la royauté, Paris, 1920, p. 194 sq.
(83) Ouranos-Varuna, Paris, 1934, p. 31.
(84) Od., XX, 74. De même Od., XIX, 109-114 : «L'on parle de toi comme d'un roi
LE MYTHE 217

parfait, qui, redoutant les dieux, vit selon la justice. Pour lui, les noirs sillons
portent le blé et l'orge ; l'arbre est chargé de fruits ; le troupeau croît sans cesse ;
le mer pacifiée apporte ses poissons, et les peuples prospèrent».
(85) Encore à l'époque hellénistique, Théocrite, dans une de ses Idylles (XVIII, 45-48),
raconte que les jeunes filles Spartiates louaient l'arbre d'Hélène, Yhélénéion ou
platane, dans leurs chants nuptiaux en l'honneur de Ménélas et de son épouse.
(86) //. ΠΙ, 144.
(87) Au Vile siècle, Faryballe protocorinthien du Louvre (inv. CA 617) représente
Hélène avec ses ravisseurs, Thésée et Pirithoiis. L'un la tient par le poignet au
moment où arrivent les Dioscures. Si rien ne permet de trancher définitivement en
faveur de la priorité de l'un ou l'autre enlèvement, on est loin de pouvoir rejeter
délibérément le rapt d'Hélène par Thésée après celui par Paris. Cf. L. B. Ghali-
Kahil, Les enlèvements et le retour d'Hélène, p. 305-306 et 309 sq.
(88) Très tôt, sur les documents figurés, Tyndare assiste à l'enlèvement d'Hélène par
Paris-Alexandre. Ainsi, au début du Ve siècle, sur la coupe du Musée de Berlin,
F. 2291. (Cf. L. B. Ghali-KahiL op. cit., n. 12).
(89) VIliade mentionne Argos (VII, 363) mais aussi Lacédémone (III, 443) comme
heu d'enlèvement d'Hélène. Cf. L.B. Ghalt-Kahil, op. cit., p. 309.
(90) D. et S., s. v. pudicitia.
(91) Aidôs a d'abord eu un sens plus large. C'était le sentiment de respect devant un
dieu ou un supérieur, ou pour sa propre conscience, qui interdit à l'homme la
lâcheté. Dans ce sens, VAidôsjoue un rôle important dans la psychologie homérique
(cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s. v. aidomai).
Hésiode l'a personnifiée dans Les travaux et les jours, v. 200, mais il s'agit d'une
personnification poétique.
(92) Hésychios, s. v. Aidous bômos. Pausanias cite, parmi des autels consacrés par les
Athéniens sur Vagora à des vertus personnifiées comme la Pitié ou la Renommée,
un autel à VAidôs (I, 17, 1). O.Gjgon, Lexicon die ait en Welt, Zurich und
Stuttgart, 1965, s. v. aidos, pense que l'autel a pu être édifié à l'époque classique mais
n'avance aucune oreuve.
(93) Voir supra, p. 128 sq.
(94) W. Helbig, L 'épopée homérique, trad. frse, Paris, 1894,
(95) On rappellera seulement l'interprétation psychanalytique de ce geste qui serait
un geste de soumission à l'égard du mari échappant par là à la fixation du père
(Cf. F.L. Lucas, Literature and psychology, Londres, 1951, p. 63, rappelé par
W. Stanford, op. cit., chap. VI, n. 4).
(96) Od., V, 346-347.
(97) Od., XV, 126-127.
(98) L. R. Farnell, «Jno-Leucothea»,JHS, 1916, p. 36-44. Lorsque Lycophron, dans
YAlexandra, fait le récit de l'enlèvement d'Hélène par Paris, il respecte l'esprit de
la légende primitive en la montrant emmenée de force, alors qu'elle est en train de
faire un sacrifice à Ino-Leucothéa (v. 107, où elle est désignée sous le nom de
Bunè).
(99) Ch. Picard, Les religions préhelléniques, p. 76.
(100) κρήδεμνον
(101) L'affirmation de K. Hirvonen, Matriarchal survivais, p. 147-149, que, dans ce cas,
la conduite de Pénélope est survivance d'un système matriarcal n'infirme en rien
notre analyse. L'auteur, en effet, englobe dans ce système, le culte d'une Grande
Mère (cf. p. 9) et en retrouve des traces dans le comportement des déesses tel qu'il
est dépeint par les poèmes homériques.
(102) Pour CM. Galt, «Veiled ladies», A£4, 1931, p. 373-393, cet usage se serait
répandu à partir de la deuxième moitié du Vlème siècle en même temps que la mode
ionienne qui pénétra en Grèce à cette époque.
(103) P. Chantraine, op. cit., s. v. Aidés.
(104) S. Wide, Lakonische Kulte, Leipzig, 1893, p. 270.
(105) PI. LVI et description p. 166 sq, in Ch. Lenormant et J. de Witte, Elite des
monuments céramographiques, matériaux pour l'histoire des religions et des mœurs de
VAntiquitérassemblés et commentés, II, Paris, 1857.
(106) Aidôs est une servante d'Artémis dans Euripide, Hippolyte, 78, avec évidemment
le sens de Pudeur comme il convient à la suivante d'une déesse protectrice de la
chasteté. Mais ce caractère virginal n'est pas primitif (Cf. L.R. Farnell, The cuits
ofthe Greek States, II, Oxferd, 1896, p. 442-446).
218 M.-M MACTOUX

(107) S'il était certain que le cratère du Vie siècle illustre le départ de Pénélope de
Sparte (voir supra, p. 44-45), nous aurions la preuve, non de l'ancienneté du
récit, qui est évidente, mais de l'importance qu'on accordait à cette scène dont le
souvenir a été conservé par le seul Pausanias.
(108) Hymne homérique à Déméter, 2-3.
(109) Heraclite d'Ephese, fr. 18, Y. Battestini, Trois contemporains. Heraclite, Parmé-
nide, Empédode, Paris, 1955.
(110) Od., XI, 322-323.
(111) Pour l'examen des témoignages les plus anciens, voir L.B. Ghali-Kahil, op. cit.,
p. 306-307.
(112) Plutarque, Thésée, 31, 4-5. Dans le récit de Plutarque, la tentative d'enlèvement a
lieu au profit de son mari Pirithous. Mais c'est parce que le tirage au sort lui a
donné Hélène, au rapt duquel Pirithous l'avait aidé, que Thésée organisa
l'enlèvement de Perséphone. Il y a certainement eu contamination.
(113) Cf. A. Krappe, Mythologie universelle, Paris, 1930, p. 296.
(114) ΠΙ, 12, 1-2.
(115) 111,20,9.
(116) J. Frazer, Les origines magiques de la royauté, p. 291. L'auteur cite d'ailleurs,
dans ce passage, l'exemple d'Icare (p. 292).
(117) Un rituel royal des steppes, p. 11-54.
(1 18) P. 43. Un certain nombre d'épopées, comme la Mahabharata qui offre le récit le
plus cohérent, témoignent de cet usage.
(119) Pindare (Pyth., IX, 182 sq.) attribue la même initiative au roi libyen Antée pour le
mariage de sa fille, mais l'exemple le plus célèbre est la course de char instituée à
Olympie par Oenomaos pour les prétendants de sa fille Hippodamie (Pindare, Ol
I, 67-90).
(120) SchohArist'Pac. 901. Sur le rôle des femmes dans la célébration des Apatouries,
voir J. E. Harrison, Themis, Cambridge, 1927, p. 498-501.
(121) Hésychios, s. v.
(122) Ibidys. v.
(123) V,7,6.
(124) E.M. Cornford «The origin of the Olympie games», p. 233, in J.E. Harrison,
Themis, chap. VII.
(125) R. Valîois, «Les origines des jeux olympiques» I, «la course des Dactyles et
Déméter Chamyné» REA, XXVIII, 1926, p. 305-322.
(126) Od., XVIII, 182-183.
(127) Pausanias, VIII, 14, 10-11.
(128) F. Robert, «Le supplice d'Antjgone et celui des servantes d'Ulysse», BCH, LXX,
1946, p. 501-505.
(129) XVIII, 182-183. Pour Autonoé, voir infra, p. 224, nv 52.
(130) Ch. Picard, «Πότνια «ανδρών redeZwTe ». Note sur le type de la Déesse-Mère
entre deux assesseurs antropomorphes, RHR, 98, 1928, p. 60-77.
(131) passim.
Contra,
mais affirme
IlF.pense
Chapouthier,
queque
son laorigine
triade
Les«ne
des
Dioscures
doit
Dioscuies
pas être
auet cherchée
service d'une
d'Hélène doit venir
dans déesse,
la légende,
d'Asie
Paris,
mais
Mineure,
1935,
dans
le culte d'Hélène». Les génies, devenus plus tard les Dioscures, étaient
ordinairement invoqués dans des rites agraires comme d'indispensables agents de la fertilité.
(132) Ch. Picard, loc. cit., p. 65, n. 4.
(1 31) c'est ainsi que V. Berard comprend la position de Pénélope lorsqu'elle se présente
devant les prétendants (I, 331 sq ; XVI, 413 sq ; XVIII, 208 sq. : XXI, 63 sq).
(134) 111,15,9.
(135) ΠΙ, 19,9.
(136) VI, 61.
CHAPITRE II

LA MERE DE PAN
Une tradition déjà bien établie à l'époque classique fait de Pénélope la
mère de Pan. Elle sera reprise par un certain nombre d'auteurs grecs et latins
(1) qui ne cherchent jamais à la justifier, l'adoptant comme une légende
communément acceptée. Personne n'a jamais mis en doute dans l'Antiquité
l'identité de l'épouse d'Ulysse et de la mère de Pan. Tout au plus, et encore
rarement, on ne précise pas qui est cette Pénélope, mère du dieu aux pieds
de bouc (2). Notre source la plus ancienne remonte au Vie siècle avec Héca-
tée de Muet (3) à qui un scholiaste prête les mêmes propos qu'à Pindare dans
un fragment des Parthénées (4). Hérodote (5) la reprendra dans des termes
qui ne permettent pas de douter de la banalité de la légende au Ve siècle,
renvoyant manifestement à une donnée largement répandue. Faire de
Pénélope la mère du dieu Pan apparaît à ce point surprenant qu'on pense aussitôt
à un jeu de mots sur le nom dorien de Pénélope, Pânelôpa, où l'on retrouve
celui de Pan. Mais si le nom de notre héroïne a pu la prédisposer à cette
maternité, les remarques faites dans le chapitre précédent laissent supposer qu'
elle avait une nature proche de celle du dieu arcadien. Cette antique déesse de
la fertilité a pu sans difficulté enfanter Pan, le dieu pastoral qui garde les
troupeaux, richesse de l'Arcadie.
Pénélope n'est pas la seule mère de Pan. Dans l'hymne homérique à
Pan, le dieu a pour mère la fille de Dryops (6). Pour d'autres, il est le fils de
Callisto (7), d'Oinoé, (8) ou de Thymbris (9). Or, la fille de Dryops, Callisto,
Oinoé et probablement Thymbris, ont en commun d'être des nymphes arca-
diennes. La fille de Dryops, la nymphe aux belles boucles (10), descend par
son père, petit-fils de Lycaon, des premiers rois d'Arcadie (11). Callisto,
fille de Lycaon, est une arcadienne, ancienne divinité locale dépossédée par
Artémis qui portait parfois l'épiclèse de Kallisté (12). Oinoé, qui eut, d'après
Ariaithos de Tégée, Pan avec Aither, est probablement la même que la
nymphe courotrophe représentée sur un autel de Tégée portant Zeus enfant
conjointement avec Rhéa (13). Quant à Thymbris, mère de Pan d'après Apol-
lodore, elle est une nymphe des eaux, mais probablement pas celle du
Thymbris, fleuve de Troade (14). Les Grecs désignaient aussi le Tibre, du nom de
Thymbris, d'après Etienne de Byzance (15). Lorsqu'Enée voudra s'implanter
dans le Latium sur les conseils du dieu Tibre, il s'adressera au roi arcadien
Evandre établi à Pallantée (16), le futur site de Rome. Ces Arcadiens
n'auraient-ils pas donné au fleuve le nom de leur nymphe des eaux ? Les
nymphes sont souvent des manifestations de la grande déesse (17) dont Pénélope,
elle-même fille d'une nymphe, nous a paru être une hypostase sous la forme
d'une déesse de la végétation. N'aurait-on pas dans cette maternité, même
tardive, une nouvelle preuve de sa nature divine ?
Les amants qu'on prête à la mère de Pan permettent de préciser ce
nouvel aspect. Leur nom a varié mais pas suffisamment pour que ce choix
apparaisse totalement anarchique. Apollon, Hermès, les prétendants d'Ithaque et
Ulysse (18) sont proposés tour à tour comme père de Pan.
Ceux qui apparaissent le plus tardivement, les prétendants et Ulysse,
n'offrent guère d'intérêt. Faire naître Pan de tous les prétendants, amants de
Pénélope, correspond à cette évolution de la légende dont on a pu déceler
les premiers signes à la fin de l'époque classique. L'une des significations du
mot Pan, tout, a facilité cette paternité. Douris (19), le premier à signaler le
TABLEAU IV
Pénélope, mère de Pan.

Pan, fils de Pénélope Pan, fils de Pénélope et d'Hermès- Pan, fils de Pénélope et
et d'Apollon Mercure. tous les prétendants.

Hécatée (1), fr. 371, FGH Hérodote, II, 145. Douris, fr. 21, FGH.
Théocrite, Syrinx, 1 et 15. Théocrite, Syrinx, v. 15.
Pindare, fr. 100, Br. Snell. Cicéron, De natura deorum, III, 22, 56. Nonnus Abbas, Ad s. Grego
Plutarque,De defectu oraculorum, 419 D rii orat. I contra Julianum
Hygin,FûZ>.,224,5. (de venerande Pane),
Scholiastes (2) Lucien, DiaL deor., XXII. col. 1008, 40.
Apollodore, Epitomé, VII, 39. Tzetzès,>lii Lycophron. Al
Servius,>l<2 Verg. Aen., II, 44 et 772.
Euripide, Rhésos, 36. Georg.,1, 16.
Théocrite, Syrinx, 1/2 a Philargyrius, Ad Verg. Ecbg., II, 32. Scholiastes.
?iobm,Ad Verg. Bue, II, 58.
Nonnus Abbas,,4<2 s. Gregorii orat . I Oppien, Halieutica, III, 15.
contra Julianum (de venerande Pane), Théocrite, Id., I, 3 et VII,
col. 1008, 40. 109.
Scholiastes et mythographes anonymes.
Lycophron,.4/ejc., 772.
Mythographus Primus, I, 89.
Oppien, Halieutica, III, 15 et 16
Théocrite, Id., I, 121 et VII, 109.
Virgile, Brevis expositio Vergilii
Georg.,1, 17.
SchoL Bernensia ad Verg. Georg.,
1,18.
1) par ordre chronologique.
2) par ordre alphabétique.
LE MYTHE 223

commerce de Pénélope avec les prétendants et la naissance de Pan, ne souligne


pas dans le fragment que nous possédons la relation entre tous les prétendants
et le nom du dieu, mais elle est implicite. Les scholiastes reviendront sans
arrêt sur ce point, redisant en termes presque identiques : «On dit que Pan est
né de Pénélope qui l'a conçu de tous les prétendants ; c'est pourquoi il est
appelé Pan parce qu'il est conçu de tous» (20). Quant à Ulysse son nom est
manifestement prononcé pour accorder le mythe et la légende homérique. Il
est peut-être déjà cité par Théocrite (21), mais les autres mentions sont
l'œuvre des scholiastes (22). De la même façon, certains mythographes tardifs
marqués par l'image d'une Pénélope pudique font naître Pan de Mercure,
après la mort d'Ulysse (23).
Restent Apollon et Hermès, deux grands dieux du panthéon hellénique
qui ont en commun de nombreux traits. Ils sont en particulier l'un et l'autre
des dieux pasteurs, protecteurs des troupeaux, et doivent à cette fonction un
grand nombre de leurs attributions secondaires (24). Le dieu le plus souvent
cité comme amant de Pénélope est Hermès. Son nom apparaît pour la
première fois sûrement chez Hérodote (25) et se maintiendra à l'époque romaine
aussi bien chez les philosophes que chez les mythographes et les scholiastes,
qui, non seulement le mentionnent le plus fréquemment, mais rejettent les
autres allégations comme des propositions mensongères. Ainsi, lorsque les
philologues grecs de l'entourage de Tibère s'interrogèrent sur l'identité de ce
Grand Pan dont une voix avait annoncé la mort, «ils portèrent leurs
conjectures sur le fils d'Hermès et de Pénélope» (26). De même le scholiaste de
Lycophron (27), après avoir rappelé la version de naissance de Pan issu de
Pénélope et de tous les prétendants, ajoutera : «mais l'on dit des bêtises au
sujet de Pan ; il est fils d'Hermès et de Pénélope».
Mais le plus ancien est Apollon. C'est ce qu'affirment Hécatée (28) et
Pindare (29), car rien n'autorise la correction du fragment de Pindare comme
le font certains éditeurs sans en mentionner la raison (29). Le fragment a été
conservé par des scholiastes anonymes (30) qui lui font tous dire que Pan est
né d'Apollon et de Pénélope. La persistance du nom d'Apollon à une époque
aussi tardive, alors que le plus grand nombre s'accordait à faire de Pan le fils
d'Hermès, laisse supposer qu'Apollon a bien été dans une forme du mythe,
l'amant de Pénélope. Mais cette substitution a dû s'imposer très tôt pour
accorder la légende avec la version la plus répandue concernant le père de Pan
(31). Apollon cependant, dieu-pasteur, n'était pas déplacé auprès de Pénélope
mère d'un dieu protecteur des troupeaux. Lorsque dans XOdyssée la femme
d'Ulysse institue l'épreuve de l'arc, elle le fait un jour de fête d'Apollon (32).
Mais une autre raison a pu favoriser le changement : Hermès (33), né
des amours de Zeus et de Maïa dans un antre du Cyllène, est, comme Pan, fils
de Pénélope, né sur le Mont Lycée ou le Ménale (34), un dieu
particulièrement honoré en Arcadie (35). Or, d'après Pausanias, Pénélope est étroitement
liée à cette région ; elle avait son tombeau à Mantinée (36). Apollodore (37)
réaffirmant ce lien de Pénélope avec Mantinée y fera même naître Pan, à l'en-
contre de la tradition la plus courante qui cite le mont Lycée (38).
L'existence d'un tombeau n'implique évidemment pas pour son
possesseur un passé cultuel. Pausanias, dans sa Description de la Grèce, signale les
tombeaux de maints héros connus ou inconnus (39). Mais on sait aussi que
nombre de divinités locales, anciennes divinités chthoniennes avaient leur
tombeau (40). Les notions de divinité et d'immortalité n'ont jamais été
liées dans la religion grecque à ses débuts. De la signification cultuelle de
224 M.-M MACTOUX

cette butte élevée qui se trouvait, à droite, sur une des routes conduisant de
Mantinée à Orchomène (41) nous verrions volontiers une preuve dans
l'impossibilité où étaient les Mantinéens d'inventer une légende étiologique
satisfaisante. Ils affirment, dit Pausanias, qu'Ulysse ayant convaincu sa femme
d'avoir attiré des amants dans sa maison, elle se retira d'abord à Lacédémone
et ensuite à Mantinée où elle termina ses jours. Les Mantinéens ne sont pas les
seuls, on s'en souvient, à faire état du caractère volage de Pénélope. Mais ils
ne disent pas pourquoi Pénélope finit ses jours à Mantinée, alors qu'elle s'était
réfugiée à Lacédémone. L'imagination leur fait défaut, quand il s'agit
d'expliquer une présence sentie comme naturelle parce qu'elle faisait partie depuis
longtemps d'un passé cultuel qui leur était devenu étranger.
Ce tertre aux contours réguliers qu'on a pu identifier avec la butte de
Gourtzouli (42) occupe dans le paysage une place remarquable. Il s'élève
entre une autre éminence du nom de Ptolis où l'on voyait, encore au temps de
Pausanias, les ruines de l'ancienne Mantinée, et le site de la nouvelle Mantinée
édifiée dans la plaine qui s'étalait au pied. En faisant de cette butte, la plus
proche et la seule directement visible de l'ancienne ou de la nouvelle ville,
son tombeau, les Mantinéens avaient marqué le rôle de Pénélope comme
divinité tutélaire.
Au temps où Pausanias visitait leur cité, on y honorait des divinités
pastorales et chthoniennes : Poséidon Hippios, le plus grand des dieux indigènes,
la Déméter de Nestané et de l'Alésion dont le culte est attesté sinon dans la
ville, du moins dans les dèmes avoisinantes faisant partie du territoire manti-
néen, et surtour Koré, dont Pausanias nous dit simplement qu'elle partageait
un sanctuaire avec Déméter (43). Mais Koré faisait l'objet d'un important
culte officiel, comme le révèle une stèle du premier siècle avant J. C. (44) qui
décrit le déroulement de la fête. Les diverses phases, en particulier la
disparition de la statue, emmenée dans une maison particulière, et sa réapparition,
témoignent d'un culte célébré en l'honneur d'une déesse de la végétation
(45). Depuis l'origine Mantinée (46) s'était placée sous la protection des
divinités chthoniennes (47). Au pied même du taphos de Pénélope coulait un
cours d'eau l'Ophis, serpent, (48) entourant la ville avant que des remparts ne
fussent bâtis au Ve siècle. Il avait reçu son nom du serpent qui avait indiqué
(49) à Antinoé, la fille de Céphée, l'emplacement de la nouvelle Mantinée, et
ce serpent était symbolisé par les chaussures à bout recourbé portées par le
danseur qui figure sur certaines monnaies de Mantinée (50). Dans YOdyssée
(51) une des servantes de Pénélope ne porte-t-elle pas le nom d'Autonoé (52)
comme la fondatrice de la ville ? La religion mantinéenne a dû connaître une
ancienne divinité chthonienne du nom de Pénélope, celle qui non seulement
devient la mère de Pan, mais, à qui certaines légendes donnaient le nom
d'Arnaïa ou Arnéa, proche semble-t-il, d'arné, agneau (53). Pausanias (54)
situe près de Mantinée le lieu de la sépulture de Rhéa. Cette dernière, voulant
éviter que son nouveau-né, Poséidon, ne fût dévoré par Cronos, le plaça dans
une bergerie pour qu'il y fût élevé au milieu des agneaux, et l'on donna le
nom d'Arné à cette fontaine parce que les agneaux (arnes) venaient paître
autour.
Il n'est pas nécessaire de chercher à établir à Mantinée le couple Ulysse-
Pénélope (55) pour croire que Pénélope y était installée depuis fort longtemps
sous une forme inconnue de l'épopée. L'Hermès du Cyllène (56) est un dieu
cher aux Arcadiens et probablement honoré depuis très longtemps ; par bien
des aspects il évoque une divinité préhéllénique (57) et son nom pourrait être
LE MYTHE 225

d'origine égéenne (58). Son union avec Pénélope comme celle avec la fille de
Dryops, petite-fille de Lycaon qui régna le premier sur l'Arcadie (59), est sans
doute la traduction mythique d'une réalité très ancienne. Lucien ironise sur
l'aspect qu'Hermès revêtit pour faire violence à la fille d'Icare (60). Cette
métamorphose en bouc a une couleur archaïque (61). Les cultes arcadiens ont
d'ailleurs gardé beaucoup de souvenirs de ce thériomorphisme des dieux (62)
qui caractérise en particulier des divinités chthoniennes telles que Poséidon et
Déméter vénérés à Mantinée. Cette union prend la forme typique d'une union
entre deux divinités chthoniennes, déesse pastorale avec dieu pastoral (63),
dans cette région de l'Arcadie orientale où se situe Mantinée, et ou Hermès
est particulièrement bien implanté. Les gens de Phénéos, au nord de Mantinée
adorent surtout Hermès, dit Pausanias, en l'honneur duquel ils célèbrent des
jeux, les Hermaïa (64). L'union d'Hermès avec Pénélope et sa paternité
apparaissent comme des formes équivalentes d'une fonction identique remplie par
les deux amants et leur fils.
S'il n'existe dans Y Odyssée aucun lien entre Hermès et Pénélope, on
remarque qu'Ulysse entretient des relations étroites avec le dieu à qui son
grand-père, Autolykos, doit ses dons de tromperie et de parjure (65). D'une
autre manière qu'Athéna, mais d'une façon tout aussi efficace, dans les
moments précisément où la déesse est absente (66), il joue à l'égard d'Ulysse un
rôle de protecteur. C'est lui qui va notifier à Calypso le décret de Zeus de
laisser partir l'exilé (67). C'est encore lui qui lui donne l'herbe de vie capable de
conjurer le sort jeté par Circé (68) ; c'est lui «le divin messager dont tout
travail humain reçoit grâce et renom» (69) qu'Ulysse invoque chez Eumée, au
moment où il s'apprête à pénétrer dans son palais d'Ithaque. Sans aller
jusqu'à l'identification (70), il présente bien des traits communs avec Hermès. Sa
richesse, il la tire des troupeaux, comme le dit Eumée au mendiant qu'i
accueille (71). La façon dont Ulysse est entré en possession de son arc au
cours d'un voyage en Messénie où il cherchait à obtenir réparation d'une
razzia de moutons et tout l'amour avec lequel il s'assure de la solidité de
l'arme évoquent un roi-pasteur (72). L'épithète polytropos dont Ulysse a
l'apanage dans VOdyssée est attribuée à Hermès dans l'hymne homérique qui
lui est consacré (73). Pénélope dont le caractère rusé est si nettement marqué
(74) dans VOdyssée, devenue la femme d'Ulysse, le roi-pasteur, l'homme aux
mille ruses pouvait être sans mal l'amante du rusé Hermès (75), le dieu-
pasteur. Sa nature la prédisposait à ce qui est moins une transformation que
l'expression mythique d'une réalité estompée chez Homère, mais que le texte
homérique de dément pas. Ces multiples liens familiaux traduisent une
parenté mythique plus ancienne. L'antériorité, dans les récits des mythographes,
d'Apollon comme amant de Pénélope n'est pas nécessairement le signe d'une
antériorité réelle (76). La double union de Pénélope avec deux divinités qui,
par certains aspects, avaient une fonction interchangeable, ne fait que
confirmer sa nature pastorale et chthonienne qui apparaît nettement dans l'épisode
arcadien.
Pénélope comme divinité du monde animal fait penser à une déesse
tout spécialement vénérée par les Arcadiens (77) et qui a souvent revêtu la
forme d'une déesse du monde animal, Artémis Heurippa, celle qui fit
découvrir à Ulysse le troupeau de juments qu'il avait perdu, et à qui il éleva un
temple en Arcadie même, à Phénéos (78). Ce sont les légendes d'Arcadie et
d'Attique, dit L. Farnell, qui révèlent le mieux le lien qui existait entre
Artémis et le monde animal (79). Et Artémis, en Arcadie, a succédé à des déesses
226 M.-M MACTOUX

locales présentant des visages très divers (80) parmi lesquelles un grand
nombre de déesses protectrices des troupeaux, telles Artémis Héméra à
Lousoi (81), ou Artémis Agrôtera à Mégalopolis. Pénélope ne pourrait -elle
avoir été l'une d'elles ? Nous avons déjà vu qu'en Laconie Artémis-Aidôs
avait dû prendre le relais d'une Pénélope-Aidôs. G. Fougères avait justement
remarqué qu'à Mantinée comme à Sparte (82) les lieux où s'était localisée
la légende de Pénélope étaient ceux aussi où s'étaient établis Artémis et le
coureur Ladas, qui lui paraissait être un héros artémisien (83). En face du
tombeau de Pénélope à Mantinée, à gauche de la route, se trouvaient le stade
du coureur où celui-ci s'entraînait et un temple d' Artémis (84). En Laconie,
près de la statue d'Aidôs, s'élevait un temple dédié à Artémis (85), tandis
qu'à vingt stades de là était la tombe de Ladas (86).
On rappellera à ce propos deux œuvres où Pénélope est représentée avec
certitude : la statue de Thrason réalisée pour l'Artémision d'Ephèse (87) et
l'anneau d'or de New- York (88), peut-être d'origine Spartiate. Sur ce dernier
Pénélope figure avec un arc, comme Artémis, la déesse à l'arc, (89), dans une
attitude majestueuse qui pourrait tout aussi bien être celle d'une divinité. La
statue placée dans l'Artémision sans raison apparente, et Pénélope à l'arc,
échapperaient-elles à notre conclusion suivant laquelle les représentations de
Pénélope s'inspiraient très étroitement de la légende et de ses manifestations
littéraires ?
Comme mère de Pan, amante d'Apollon ou d'Hermès, possédant un
tombeau à Mantinée, dans le voisinage d'un temple d'Artémis, Pénélope
apparaît comme une divinité pastorale particulièrement honorée en Arcadie.Mais
ce n'est là qu'un accident mythique, donnée venant se greffer sur un mythe
structurellement différent dont la similitude avec le mythe d'Hélène établie
dans le chapitre précédent reste essentielle. L'étymologie de son nom
confirme ce point.
LE MYTHE 227

Notes du CHAPITRE Π
(1) Voir tableau IV.
(2) Ainsi Nonnos de Panopolis dans les Dionysiaques (XIV, 93) qualifie Pénélope de
«nymphe campagnarde». Voir supra, p.l&5.
(3) Fr. 371, FGH, I, (Scholia in Lucani Bellum civile, ΠΙ, 402, éd. H. Usener, 1869).
J. Jacoby, op. cit., n. 33, considère ce fragment douteux, mais il est admis comme
authentique par l'éditeur des scholies de Lucien.
(4) Fr. 100, Br. SnelL
(5) Π, 145, Voir supra,p. 56.
(6) 33-37.
(7) Epiménide, fr. 12, Kinkel (SchoLad Theoc. Id., I, 3).
(8) Ariaithos de Tégée in Schol-ad Ewip.Rhe&, 36, et Aristippe, in Scholad Theocld.
1,3.
(9) Apollodore, Bibl. I, 4, 1.
(10) Hymne homérique à Pan, 34.
(11) Pausanias, VIII, 1,2.
(12) Pausanias, VIII, 35, 8. Cf. P. Levêque «Sur quelques cultes d'Arcadie, princesse-
ourse, hommes-loups et dieux-chevaux», IH, 1961, p. 94-98.
(13) Pausanias, Vin, 47, 3.
(14) P. W.,s. v. Thymbris. C'est un fleuve de Troade pour Hésychios, s. v. Thymbra.
(15) Ethnica, éd. A. Meineke, 1849, (réimp. Graz, 1958), s. v. Thymbris.
(1 6) Virgile, Enéide, VIII, 49 sq.
(17) J. Przyluski, La grande déesse, Paris, 1950, p. 26-27. Il met également au rang des
nymphes les Danaïdes qui personnifient le flux incessant des sources venues du
monde souterrain. On se souvient que Pausanias, racontant comment Icare avait
institué une course à pied pour les prétendants de Pénélope, le comparait à
Danaos qui avait agi de même pour ses filles (ΠΙ, 12, 1).
(18) Voir tableau IV.
(19) Fr. 21, FGH, II A.
(20) Schol ad Théoc. Id., VII, 109.
(21) Théocrite, Syrinx, 15 ; voir supra, p. 100.
(22) Schobad Theocld, 1, 121, et ad Syr. 1/2 a.
(23) SchoUBernensia ad Verg. G*org. I, 18, et Myth primus, I, 89. Ces mythographes
font partie de ce courant dont on a noté l'importance après le Ve siècle de notre
ère. (Voir supra, p.186 ).
(24) J. Duchemin, La houlette la lyre. Recherches sur les origines pastorales de la
poésie, I, Hermès et Apollon, Paris, 1960, passim.
(25) II, 145
(26) Plutarque, Sur la disparition des oracles, 419 D, trad. R. Flacelière, Paris, 1947.
Sans doute, comme le fait remarquer S. Reinach, Cultes, mythes et religions,
ΙΠ, Paris, 1908, p. 9, ces érudits cherchaient-ils à rassurer l'empereur en lui disant
que ce mort n'était que le fils d'une mortelle et non le grand dieu ; mais
l'unanimité montre néanmoins la véracité de l'explication.
(27) Ad Alex., 772.
(28) Fr . 37 1 , FGH, I, (Scholin Lucani Bellum civile, III, 402).
(29) Ainsi Br. Snell, fr. 100, in Pindari carmina cum fragmentis, Leipzig, 1955, fait de
Pan le fils de Pénélope et d'Apollon. Dans le 3e édition de son ouvrage paru en
1959-1964, tome Π, fr. 100, Apollon a été remplacé par Hermès, les sources
citées dans les deux cas demeurant les mêmes.
(30) Schol Theoc. Syr 1/2 a in Scholia vetera in Theocritum, éd. C. Wendel, Leipzig,
1914 SchoLad Georg, 1, 17 in Scholia Bernensia ad Vergilii Bucolica et Georgica,
éd. H. Hagen, Jahrbûcher fur classische Philologie, fasc. 40, Leipzig, 1861-1867.
Schol. Lucan ΠΙ, 402 in Scholia in Lucani Bellum civile, éd. H. Usener, Leipzig,
1869. Encore Servais dans son Commentaire aux Géorgiques, I, 16,citantPin-
dare, devait dire le même chose. Mais le nom du dieu manquant, son éditeur, H.
Hagen, a proposé Mercure. Dans faBrevis exposith Vergilii G eorgicorum, I, 17, in
Appendix Serviana, éd. H. Hagen, postérieure au commentaire de Servius et s'en
inspirant directement (Cf. E. Thomas, Essai sur Servius et son commentaire sur
Virgile, p. 276-277), Pan est donné comme fils d'Apollon et de Pénélope.
(31) Hymne homérique à Pan.
(32) Od., XX, 276-278. Il est naturel que Pénélope se mette sous la protect jo du dieu
de l'arc, mais il a dû exister primitivement un lien entre Apollon a l'arc et Apollon
228 M.-M MACTOUX

berger. L'arc servait sans doute aux bergers à défendre leurs troupeaux (Cf. J.
Duchemin, op. cit., en particulier le chapitre, Les pouvoirs du berger).
(33) Hymne homérique à Hermès, 2.
(34) Le Mont Lycée est le plus fréquemment cité comme lieu de naissance de Pan, fils
de Pénélope (Pindare, fr. 100). Mais on trouve aussi le Ménale qui domine Tégée.
C'est apparemment pour justifier l'épithète de tégéen que reçoit Pan dans certains
textes que les schoÛastes ont localisé ultérieurement sa naissance sur le Ménale.
(Cf. Schol'Bernensia ad Vergilii Georg., I, 18). Apollodore (Ep. VII, 38), quant
à lui, fait naître Pan à Mantinée. Voir supra, p. 223.
(35) Cf. pour Hermès, L. Séchan et P. Lévêque, Les grandes divinités de la Grèce,
Paris, 1966, p. 278. Pan, d'autre part, est par excellence un dieu arcadien. Les
sanctuaires qui lui sont dédiés foisonnent sur cette terre riche en troupeaux, et
les Arcadiens le rangèrent même au rang des grands dieux en lui consacrant tous
les hauts lieux de leur pays. Le Ménale, (Pausanias, VHI, 26, 2) le Mont Lampeia,
(id., VIII, 36, 8) le Mont Nomia, (id., VIII, 38,ll)le Mont Lycée (VIII, 38, 5) le
Parthénon(tf.,VIII,54,5).
(36) Pausanias, VIII, 12, 5-6.
(37) Epitomé, VII, 38.
(38) Pénélope est, dans une forme de la légende, la petite fille d'Alphée par sa mère
Dorodoché (Schol. ad Od., IV, 797). Or l'Alphée prend sa source en Arcadie
(Pausanias, V, 7, 1). On ne méconnaît pas, évidemment, la possibilité d'une
légende récente comme ce fut probablement le cas pour Anchise qui avait, lui
aussi, son tombeau près de Mantinée sur la route qui conduit à Orchomène. Pour
J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome, PariSj 1942, p. 52, la
présence d'Anchise correspondrait au désir des Achéens du Ile siècle après J. C. de
courtiser les Romains. Mais rien dans l'histoire de Mantinée ne peut expliquer cet
attrait pour Pénélope.
(39) Pausanias désigne du même mot de taphos la tombe de Néoptolème, fils d'Achille
à Delphes, à qui les habitants sacrifiaient et qui ne présentait pas sous la forme
d'un tumulus (X, 24, 6).
(40) En Arcadie même, Callisto, parfois donnée, on l'a vu, comme mère de Pan,
possédait un tombeau qui était, comme celui de Pénélope, un haut monticule de terre
(Pausanias, VHI, 35, 8). Hyacinthe, dieu minoen de la végétation, était enterré
à Amydées (Pausanias, ΠΙ, 19, 3).
(41) Pausanias, VIII, 12, 5-6.
(42) G. Fougères, op. cit., p. 117 et W.Loring, p. 84, in «Some ancient routes in the
Péloponnèse», JHS, 1895, p. 25 sq. PL XIII.
(43) VIII, 9, 2.
(44) IG V/2, n. 265.
(45) R. Stiglitz, Die grossen Gô'ttinen Arkadiens, Sonderschriften herausgegeben vom
Osterreichen Archaologischen Institut in Wien; XV, 1967, p. 78.
(46) Le nom même de la ville signifie «l'endroit ou l'on interprète les oracles», (Cf. G.
Fougères, op. cit., p. 350). Les oracles ont toujours été liés aux divinités chtho-
niennes.
(47) G. Fougères, op. cit., chap. VI, la religion mantinéenne.
(48) Le serpent a toujours été un attribut des déesses-mères. Il est familier des déesses
minoennes et la présence du serpent semble bien faire allusion à ses pouvoirs
souterrains et agraires (Cf. Ch. Picard, Les religions préhelléniques, p. 79). Une
divinité féminine du nom d'Ophis a peut-être existé si l'on adopte l'interprétation
de Palmer qui lit ophis dans un o-pi des tablettes de Cnossos (L 5646 et Me 1508
ν ; cf L. Palmer, The Interprétation of Mycenaen Greek Texts, Oxford, 1963, ρ
438).
(49) G. Fougères, op. cit., pL VIII.
(50) Cf. L. Lacroix, p. 310, in «Les monnaies de Mantinée et les traditions arca-
diennes», BAB, LUI, 1967, p. 303-311.
(51) Od., XVIII, 182.
(52) Le texte de Pausanias portait Autonoé en VIII, 9, 5. Il a été corrigé en Antinoé
d'après le nom que Pausanias lui donne lorsqu'il parle, en VIII, 8, 4, de la
fondation de la ville. G. Fougères, op. cit., p. 316, pense que la leçon la plus ancienne
est Autonoé. Pour la rédaction de l'autre passage, Pausanias se serait servi de
sources plus récentes dans lesquelles les Mantinéens avaient corrigé le nom de leur
fondatrice dans l'intention de flatter les Romains qui développèrent sous l'Empire
le culte d'Antinous.
LE MYTHE 229

(53) Le nom d'Arnaia, ou même Arnéa dans certains manuscrits, (B, C, E, schol ad
Pind. 01. IX. 79 d) est le premier nom de la fuie d'Icare disent certains scholiastes
(schol-ad Pind., loc cit. et ad Lycoph. Alex, 792), soucieux d'expliquer pourquoi
Pénélope portait le même nom qu'un canard sauvage. Elle se serait appelée ainsi
avant d'avoir été jetée à la mer par ses parents et sauvée par des pénélopes d'où
elle aurait tiré son nouveau nom. Didyme (schoUad Od. IV, 797), qui racontait
l'histoire sous une autre forme, le nommait Ameiraké ou Arnakia.
(54) Vin, 10,1.
(55) G. Fougères, op. cit., p. 242-247, avait cru pouvoir établir la présence d'Ulysse
d'après les conclusions de J.N. Svoronos, «Ulysse chez les Arcadiens et la Télé-
gonie d'Eugammon» Gezeffe archéologique, 1888, p. 33 sq. Analysant un type de
monnaie de Mantinée, J. Svoronos y avait reconnu Ulysse. Il semble plutôt que le
personnage représenté soit un berger dansant la pyrrhique (Cf. L. Lacroix, loc. ci$
(56) Cette appellation qui figure dans VOdyssée (XXTV, v. I) est postérieure à
YOdyssée homérique. On la rencontre surtout à partir du Vie siècle (Alcée, fr.
308 ; Hymne à Hermès, 2) et Aristarque, qui en avait noté le caractère récent, se
servit de cet argument pour condamner le passage.
(57) J. Chittinden, «The master of animais», XVI, 1947, p. 89-114. Cf. L. Séchan et
P. Lévêque, op. cit., p. 278.
(58) Cette hypothèse est envisagée par P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la
langue grecque, 1970, s. ν. 'Ερμης . Contra, R. Herbig,. Pan. Der griechische
Bocksgott, Francfort, 1949, qui fait de Pan un dieu des peuples nomades, par
conséquent une divinité des envahisseurs indo-européens. Il ne semble pas qu'on
puisse le suivre dans ses conclusions. Cf. J. Fontenrose, revue du livre de R. Herbig
op. cit., AJA, 1951, p. 274.
(59) Pausanias, VIII, I, 2.
(60) DiaL deor., ΧΧΠ ; de même schol<id Theocld., VII, 109.
(61) P. Raingeard, Hermès psychagogue, Paris, 1934, p. 358-359. Dès l'époque
classique, comme en témoigne un stamnos du Louvre (G 185 B) de la première moitié
du Vème siècle (CV Louvre, 2, III, I c, pi. 20, 5), l'animal d'Hermès est le bélier,
et le bouc, celui de Dionysos. La métamorphose d'Hermès en bouc renverrait
donc à une époque plus ancienne.
(62) P. Lévêque, «Sur quelques cultes d'Arcadie, princesse-ourse, hommes-loups, et
dieux-chevaux», IH, 1961, passim. La vénération des animaux à l'époque
mycénienne est bien attestée (Cf. A. B. Cook, «Animal worhip in the Mycenaen Age»,
JHS, 1894, p. 81 sq.) mais cette métamorphose évoque également ces mythes
dans lesquels les déesses^nères changeaient leurs amants en animaux. L'épisode
de Circé qui transforma les compagnons d'Ulysse en pourceaux se rattache
probablement à ce modèle mythique (J. Przyluski, op. cit, p. 92).
(63) Dans VOdyssée Hermès est particulièrement vénéré par le berger Eumée qui lui
fait des offrandes en même temps qu'aux nymphes (XTV, 435). La conjonction
d'Hermès et des nymphes est intéressante dans la mesure où Pénélope est elle-
même fille d'une nymphe (cf. supra, p. 208).
(64) Vin, 14, 10.
(65) XIX, 395 sq. Dans la tradition post-homérique, Hermès deviendra le père d'Auto-
lykos.
(66) P. Philippson, loc. cit.
(67) V, 28-29 ; 85-87.
(68) X, 277-307.
(69) XV, 319-320.
(70) K. W. Osterwald, Hermes-Odysseus, Halle, 1 85 3.
(71) Od. XIV, 96 sq.
(72) J. Duchemin, op. cit.,p.l 34-1 35 .
(73) Hymne homérique à Hermès, 1 3.
(74) Voir chap. I, deuxième partie.
(75) Hermès est souvent qualifié de dolios (Sophocle, Phïloctète, 133 ; Aristophane,
Ploutos, 1157).
(76) Sur l'origine d'Apollon dans la personnalité duquel se reconnaissent des éléments
indo-européens mais aussi préhelléniques et orientaux, cf. L. Séchan et P. Lévêque
Les grandes divinités de la Grèce, p. 213-216.
(77) Pausanias, VIII, 5.
(78) Id.,vm, 14.
(79) The Cuits of the Greek States, II, p, 435 .
230 M .-M MACTOUX

(80) R. Stiglitz, op. cit., passim.


(81) Id., ibid., p. 58-109.
(82) Op. cit., p. 249.
(83) Op. cit., p. 249, n. 3.
(84) Pausanias, VIII, 12,5.
(85) Id., III, 20.
(86) id., ibid.
(87) Voir supra, p. 89-90.
(88) Voir supra,p. 79-80.
(89) Od. VI, 102. D. Ohly, «Dia Gunaikôn», sub fine, avait attiré l'attention sur cet
arc dans lequel on a voulu voir uniquement un attribut tiré de la légende d'Ulysse
Une analyse du passage de VOdyssée (XXI, 67 sq.) lui permet de montrer que
l'arc est lié^ à des images de mort et de survie, et il pense que l'artiste l'a utilisé
d'une manière symbolique sur un anneau à contenu funéraire.
CHAPITRE III

L'HÉRITIÈRE DE LA SARCELLE
L'accord est loin d'être fait sur l'étymologie du nom. Les divergences
étaient déjà grandes chez les Grecs et les philologues modernes n'ont fait que
reprendre tour à tour leurs hypothèses. Certains même, mais ils sont rares, ont
renoncé au nom de Pénélope une étymologie quelconque (1). On peut
regrouper ces tentatives autour de trois thèmes.
Un premier type d'interprétation, auquel peu de philologues modernes
se sont arrêtés, consiste à rattacher pânelôpa au nom du dieu Pan donné pour
fils de Pénélope (2). Mais l'étymologie est impossible, et la deuxième partie
du nom reste inexpliquée (3). On a vu que, s'il existe un lien, il est en sens
inverse. Si Pénélope a pu devenir aussi facilement la mère de Pan, c'est peut-être
aussi parce que son nom la prédisposait à cette maternité.
Un deuxième type d'étymologie vise à relier Pénélope à l'action de
tisser. Ainsi Didyme (4) et Eustathe (5) expliquent le nom de l'héroïne par le
fait qu'elle exécutait un habit : τό néveodax το λώπος dit Didyme ; ro
πένεοθαι -nepi λόπος , dit Eustathe. Certains philologues modernes,
tels G. Curtius, (6) J. Schmidt (7), E. Wust (8) pensent qu'il est plus
vraisemblable de retrouver dans la première partie du nom τπ\ντ\ ou πηρών
fil, par extension, trame, toile. Mais la deuxième partie est dans ce cas très
difficile à expliquer. G. Curtius (9) essaie de la faire en se référant au latin
opus. Pénélope serait à nouveau, et d'une manière plus précise que dans
l'explication proposée par Didyme ou Eustathe, celle qui fabrique une toile. Mais
op. est étranger au grec et P. Kretschmer (10) pense qu'il faut chercher dans
la deuxième partie du nom λεττω ou ολόπτω / verbes signifiant enlever
l'écorce, peler. Pénélope serait alors celle qui défait la toile. Cette hypothèse
a été encore récemment reprise par A. Lesky (11). Quoiqu'opposées dans le
résultat final, ces deux étymologies se réfèrent bien évidemment à l'histoire
du linceul de Laèrte rapportée trois fois dans YOdyssée. Ainsi pour P.
Kretschmer (12) l'héroïne aurait été appelée Pénélope par l'auteur du conte d'après
la ruse célèbre. Cette appellation «celle qui défait la toile» serait à
proprement parler non pas un nom, mais une dénomination technique destinée à la
distinguer des autres personnages. Homère l'aurait alors utilisée comme un
nom de personne, parce qu'il n'en comprenait plus la signification.
Il est vrai que YOdyssée, qui propose une étymologie pour le nom
d'Ulysse (13), ne dit rien au sujet de Pénélope. Certes on peut soutenir,
comme dans le cas de Pan, que c'est par un jeu de mot facile comme les Grecs
ont l'habitude d'en faire, que le motif de la toile est apparu (14). Mais il nous
a semblé que cette histoire, à cause de sa gratuité dans YOdyssée que nous
possédons, n'avait pu être inventée par Homère et représentait un élément
significatif de la personnalité rusée de la reine. L'hypothèse de P. Kretschmer
pourrait donc paraître satisfaisante. Mais d'une part, les noms de type
descriptif, si fréquente dans les contes populaires, sont rares dans la mythologie
grecque, du moins quand il ne s'agit pas de personnages secondaires inventés par
le poète (15). Et, d'autre part, il existe dans la langue grecque un nom
commun identique porté par un oiseau, la pénélope sorte de canard sauvage
(16). Il paraît impossible que ce doublet soit fortuit.
Les Grecs s'étaient déjà engagés sur cette voie et avaient inventé une
histoire pour justifier ce rapprochement qu'ils ne comprenaient pas. Cette
démarche n'est pas isolée. Une légende du même genre est attachée au poète
234 M. -M MACTOUX

Ibycos dont le nom avait dû être rapproché de Γ 'φυξ , sorte d'oiseau criard
(17). Les scholies à Pindare (18) et à Lycophron (19) racontaient de façon
identique que la fille d'Icare avait été jetée à la mer par ses parents. Des péné-
lopes l'ayant sauvée et la leur ayant ramenée, ils l'auraient alors élevée. C'est
de là, disent ces scholiastes, que vient son nom. La gratuité de ce récit avait
été sentie par les Grecs eux-mêmes. D'autres expliquaient différemment le
rapprochement entre la femme d'Ulysse et le canard sauvage. Pour Didyme,
Pénélope aurait été jetée à la mer par Nauplios désireux de tirer vengeance de
la mort de son fils Palamède (20). Il fait un effort pour intégrer le récit dans
la légende troyenne. C'est en effet pendant la guerre de Troie qu'Ulysse eut
l'occasion de se venger du fils de Nauplios. Palamède avait déjoué la ruse
d'Ulysse qui, pressé par les anciens prétendants d'Hélène de se joindre à eux
pour aller la reconquérir à Troie, avait cherché à se dérober en simulant la
folie. Même si l'histoire n'a pas été inventée par Didyme, elle est tardive. Dans
les Chants Cypriens la vengeance de Naupb'os avait revêtu une autre forme
(21). Et il semble bien que l'explication du grammairien du premier siècle
avant J.C., auteur d'un traité de philosophie pythagoricienne ait son origine
dans les efforts déployés par les Pythagoriciens pour concilier le culte qu'ils
rendaient à Ulysse et celui qu'ils avaient voué à Palamède (22). Grâce à
Pénélope, qui avait subi l'ordalie du plongeon et avait été miraculeusement
sauvée, Ulysse avait expié sa faute. Mais l'invention de Didyme n'a pu avoir lieu
que parce que les Grecs avaient depuis longtemps fait le rapprochement entre
l'héroïne homérique et la sarcelle.
Les philologues modernes ont de plus en plus tendance à penser que
c'est de ce côté qu'il faut chercher l'étymologie du nom de la femme d'Ulysse
Ainsi F. Boisacq (23), H. Frisk, (24), J.B. Hofmann (25), A. Carnoy (26)
font dériver l'homérique Penelopeia et le post-homérique Pénélope du mot
pénélops, sarcelle. Et les historiens, à leur tour, essaient d'expliquer cette
étymologie en se demandant s'il n'y a pas dans la nature du canard sauvage un
élément commun avec celle de la femme d'Ulysse. Dans certaines parties du
monde le canard mandarin est connu comme symbole de la fidélité conjugale.
Mâle et femelle vont toujours deux par deux et forment un couple qu'on ne
peut dissocier. De très vieux chants antérieurs à Confucius y font allusion
(27) et le symbole a été assez fort pour se maintenir intact dans la tradition
chinoise. Au XIXe siècle encore, offrir un canard à son épouse était pour le
jeune marié une obligation rituelle (28). Faut-il en conclure, comme le
suggère G. Germain, que le type de l'épouse fidèle est probablement importé et
que son origine est à chercher du côté du nord, dans la zone hyperboréenne
qui a connu de façon certaine ce symbolisme animal ? (29) La dispersion des
thèmes folkloriques qu'on retrouve identiques dans des pays très éloignés doit
rendre prudent quand on parle d'emprunts et l'universalité de ce thème est
telle qu'il ne peut être raisonnablement localisé.
Sans doute les Grecs avaient-ils conscience que la patrie de ces canards
était fort éloignée. Alcée ne dit-il pas en parlant des pénélopes : «Que sont ces
oiseaux ? Ils sont venus de l'Océan et des limites de la terre» (30). Mais,
plutôt que d'envisager l'emprunt du thème, on pourrait penser que les Grecs ont
constaté eux-mêmes les mœurs de cet oiseau qui, très tôt, a pu émigrer de la
lointaine Asie jusqu'à la mer Egée. Les allusions anciennes sont trop
nombreuses pour que la Grèce ne soit pas devenue une seconde patrie. De Lesbos
(31) à Himère (32), dès l'époque archaïque, les poètes évoquent la pénélope.
Elle est suffisamment connue pour faire partie du groupe des oiseaux dans la
LE MYTHE 235

comédie d'Aristophane (33) et symbolise la gent ailée au même titre que


l'hirondelle ou la colombe. Au début de la pièce, lorsque la huppe convoque
tous les oiseaux, ceux qui fréquentent les champs comme ceux qui nichent
dans la plaine humide de Marathon, la pénélope figure parmi les premiers
oiseaux accourus (34). Aiistote, dans sonHistoire des animaux, la range
parmi les oiseaux aquatiques à pieds palmés pouvant passer la plus grande partie
de leur vie dans l'eau (35). Or, les Grecs qui connaissent si bien cet oiseau
n'ont fait jamais aucune allusion à son caractère fidèle. La seule
caractéristique mentionnée est celle qu'on trouve dans le fragment d'Alcée dont on a
cité le début. Il parle des pénélopes au «cou multicolore et aux larges ailes».
Pour E. Boisacq, l'étymologie de la pénélope est inconnu (36) mais A.
Carnoy (37) propose de la faire dériver du mot indo-européen pan «marais,
boue» présent dans Pénélos, nom de rivières de Thessalie et d'Elide. Panel
serait formé comme νεφέλη à côté de νέφος «nuée», etôpê, ops, serait le
suffixe bien connu qu'on retrouverait dans des noms tels que μέροπες,
Κασσιόπη ' Retenant de l'oiseau les brillantes couleurs signalées par
Alcée, il est frappé par la similitude qui existe avec l'appellation que reçoit
Agni, dieu indien du feu dans les antiques Védas, et propose une autre
explication. Le dieu du feu indo-européen était comparé à un cygne parce qu'il
naissait dans la mer supérieure formée par les nuages, et était pour cela traité
de «fils des eaux». Pénélope liée à Ulysse, lui-même dieu du feu (38), serait
une forme du dieu de feu indo-européen. Aussi séduisante soit-elle cette
explication laisse sceptique. Elle est d'ailleurs le résultat d'une évolution. C'est
manifestement l'analyse du nom d'Ulysse qui a mené A. Carnoy à chercher
dans la mythologie védique l'image du cygne. Dans un article antérieur (39),
s'interrogeant sur le rapport entre Pénélope et la pénélope, il écrivait que le
nom pouvait être difficilement séparé de pênos, «tissu». Nous pensons au
contraire que la conjonction d'Ulysse et de Pénélope n'est pas primitive.
D'autre part, il n'y a aucune trace dans YOdyssée d'une mythologie du
feu. Le feu est appréhendé dans sa fonction utilitaire ; c'est le feu domestiqué,
celui qui éclaire ou celui qui sert à chauffer l'eau, à rôtir les viandes, ou à
faire les sacrifices. Il est qualifié une seule fois par l'épithète thespiadaes
qu'on peut traduire «qui brûle de par les dieux» (40), mais son emploi
formulaire, beaucoup plus fréquent dans Ylîiade, a montré que le sens littéral s'est
estompé et que seule demeure sa valeur expressive. Dans YOdyssée, comme
d'ailleurs dans YHiade, le feu est toujours d'une nature profane (41). Agni au
contraire, même sous la forme du feu terrestre, du feu du foyer, est toujours
divinisé et l'attribution du caractère divin repose sur la croyance à l'identité
de ce feu avec les feux célestes du soleil et de l'éclair (42). Cette conception
est totalement étrangère à l'épopée homérique, c'est à dire au texte grec
littéraire le plus ancien.
L'origine indo-européenne du nom (43) n'impliquerait nullement qu'on
ait une divinité indo-européenne. Une divinité pré-hellénique peut très bien
avoir pris un nom grec parce qu'on a renoncé à épeler des syllabes
inintelligibles, et qu'on a préféré la désigner d'une façon qui exprime clairement sa
fonction. De ce fait Pénélope peut avoir existé antérieurement au nom qui
la désigne et avoir pris un nom grec mettant l'accent sur sa qualité
essentielle. Or, cette qualité ne nous paraît pas être la fidélité. La fidélité ne
caractérise pas plus l'héroïne homérique qu'elle ne caractérise la pénélope aux
yeux des Grecs. D'autre part il faudrait qu'on ait privilégié une notion morale
et voulu élever une abstraction au rang de divinité. Le procécé est tardif.
236 M.-M MACTOUX

Très tôt dans la religion grecque primitive, l'oiseau a été lié à la divinité
Ces oiseaux, animaux célestes aux apparitions subites, sont-ils simplement,
comme le suppose MJP. Nilsson (44), le symbole des apparitions divines ?
D'une manière plus précise l'oiseau accompagne souvent la Déesse-Mère cré-
toise et mycénienne. La plus grande idole de la chapelle des doubles-haches à
Cnossos porte un oiseau sur la tête (45) et d'une tombe à fosse de Mycènes,
on a exhumé une femme, nue, en or, dont la tête est également surmontée
d'un oiseau (46). Mais bien d'autres animaux, en dehors même du serpent
dont le caractère chthonien est évident, figurent auprès de ces déesses sur des
objets cultuels et il est probable qu'on a là des traces d'une zoôlatrie
primitive (47). On a déjà vu qu'un grand nombre de mythes arcadiens, où
abondent les transformations en animaux, suggéraient un thériomorphisme des
dieux ; les oiseaux y figurent en bonne place (48). Le mythe de Pénélope,
amante d'Hermès transformé en bouc, appartient à ce type. Le nom de
Pénélope serait-il une nouvelle preuve de cet état où Pénélope, déesse-mère, aurait
été adorée sous la forme d'un oiseau ?
D'autres divinités secondaires dont le caractère de Grande-Mère est bien
établi, portent des noms d'oiseaux. Ainsi Circé, la magicienne de YOdyssée,
dont la divinité primitive ne fait aucun doute, a un nom tiré de kirkos, faucon
(49), ou Pélargé, fondatrice avec Déméter des mystères du Cabirion thébain,
déesse elle-même à qui, d'après un oracle de Dodo ne, on sacrifiait des porcs
comme aux Eleusiniennes, et dont le nom signifie «cigogne» (50). Si le nom
d'Artémis n'évoque en rien celui d'un oiseau, la caille a dû lui être consacrée
(51) : l'épithète d'Ortygia qu'elle reçoit dans Sophocle devait être cultuelle
(52). Pénélope-sarcelle, Circé-faucon, Pélargé-cigogne, Artémis-caille, cette
série d'identités indique au moins qu'on a affaire à des potniai étendant leur
pouvoir fécondant au monde animal et qui ont sans doute été très
anciennement adorées sous la forme d'un oiseau. Mais ne peut-on, dans le cas de
Pénélope, essayer d'apporter une précision supplémentaire ?
Les auteurs grecs attribuent eux-mêmes à la sarcelle deux
caractéristiques ; c'est d'une part un oiseau aquatique, et d'autre part un oiseau aux
brillantes couleurs. L'un des plus anciens cultes de Sparte était celui d'Orthia,
déesse locale qui succomba à Artémis, adorée dans le fameux sanctuaire sous
le nom d'Artémis-Orthia. Les fouilles menées par l'école anglaise
parallèlement dans le temple et le Ménélaion (53), tombeau d'Hélène et de Ménélas à
Thérapné (54) ont montré une évolution parallèle dans les ex-voto cultuels
que l'on trouve identiques dans les deux sanctuaires à chaque période (55).
D ne fait aucun doute qu'Hélène et Orthia appartenaient au même type de
déesse localeji'une et l'autre adorées comme potnia (56). L'animal qui
accompagne le plus souvent Orthia, lorsqu'elle est représentée sous cette forme, est
l'oiseau. Sur des fibules d'ivoire, dont les plus anciennes remontent à la
première moitié du Ville siècle, la déesse est figurée sous une forme ailée, et,
dans chaque main, elle serre le cou d'un oiseau (57) ; ou encore sur cette
fibule antérieure au milieu du Ville siècle a été gravée une Orthia, ailée,
debout (58). Un serpent, dressé à ses côtés, s'accroche par la gueule à son
poignet ; mais elle tient également un oiseau de ia main droite. R.M. Dawkins,
qui décrit ces objets, ne précise pas l'espèce de l'oiseau, sans doute parce qu'
on a affaire à une représentation trop stylisée. Mais des oiseaux nettement
aquatiques apparaissent sur les vases de la deuxième moitié du Ville siècle
découverts dans le Ménélaion (59). Ils peuvent n'avoir sur cette poterie
géométrique qu'une signification ornementale, mais on possède toute une série
LE MYTHE 237

de plaques d'or découvertes dans le dernier temple d'Artémis-Orthia figurant


des oiseaux aquatiques (60). On ne connaît pas la destination de ces plaques
fabriquées pendant une longue période, du début du Vie siècle jusqu'au Hle
siècle avant J. C, mais leur grand nombre (61) témoigne de leur importance.
Cette potnia semble bien avoir pris à Sparte la forme d'une divinité des eaux.
Son sanctuaire avait été construit dans un lieu appelé marécage (limnaion).
(62), non loin des bords de l'Eurotas qui l'a immergé à plusieurs reprises. Il
est probable que le temple le plus ancien avait déjà détruit par une inondation
(63). Le choix de ce site, dont les inconvénients étaient évidents, a dû être en
rapport avec la divinité adorée en ce lieu. A Sparte encore, Artémis, héritière
d'Orthia, avait reçu le surnom de Limnaia (64), et cette épithète lui est
fréquemment donnée dans le Péloponnèse (65). L'implantation des déesses-
mères égéennes dans des plaines marécageuses est bien attestée (66). C'est le
cas à Délos où les sanctuaires des divinités chthoniennes étaient groupées dans
la région du lac au pied du mont Cynthe même si la tradition littéraire associe
le Cynthe à la genèse divine (67). A Ephèse, où le premier culte s'est adressé à
une Terre-Mère (68) le téménos s'est établi dès l'origine dans une plaine
alluviale (69) transformée en marais à la saison des pluies. Le cas de Sparte n'est
pas isolé (70).
Ainsi le lien d'Orthia avec des oiseaux aquatiques est nettement attesté
par les fouilles, et il en fut sans doute de même d'Hélène, proche parente
d'Orthia. Hélène est très anciennement honorée comme la fille d'un cygne,
oiseau aquatique. Dans les Chants Cypriens (71), Zeus, métamorphosé en
cygne, s'unit à Némésis qui avait pris la forme d'une oie. Chez Euripide l'œuf
deviendra, pour la première fois, l'œuf de Léda (72) auquel Zeus s'était
également uni sous l'apparence d'un cygne. Il n'y a pas lieu de s'attarder ici sur ce
changement de mère. Il paraît certain que déjà dans les Chants Cypriens
Hélène était la fille d'un cygne. Quant à Euripide, il reviendra à plusieurs
reprises sur cette naissance prodigieuse (73), et l'œuf est un élément si
important dans le mythe qu'encore à l'époque de Pausanias on disait qu'il était
conservé à Sparte, pendu au toit de Yhiéron d'Hilaira et de Phoibé auquel il était
attaché par des rubans (74). Pénélope qui porte le nom d'un oiseau aquatique
apparaît à nouveau semblable à cette Hélène très anciennement donnée
comme fille d'un cygne.
L'autre trait caractéristique de la pénélope, ce sont ces couleurs
chatoyantes qui avaient séduit Alcée et retenu son attention. La diversité dans la
coloration du plumage d'oiseaux tels que la colombe, le canard, l'oie et le
cygne a toujours entraîné, dans les mythologies variées, des fonctions mythiques
différentes (75). La pénélope, sorte de canard sauvage, n'a pas dû échapper à
cette règle. Ne pourrait-on pas voir dans ce trait, comme le fait A. Carnoy,
mais différemment, un autre élément qui aurait facilité le rapprochement
entre la divinité laconienne et mantinéenne et la sarcelle ? Cet oiseau
brillamment coloré n'a-t-il pu apparaître comme une épiphanie astrale ?
Dans un fragment peu connu (76) Mnaseas de Patras, probablement le
disciple d'Eratosthène (77), parle d'une ville d'Afrique nommée Sicyone près
de laquelle il situe un lac fréquenté par des méléagrides et des pénélopes. C'est
là qu'il fait naître Vélektron, ou ambre jaune, sous l'action du soleil qui
échauffe les eaux et transforme le limon en ambre qui surnage. Que les
méléagrides soient particulièrement liées à l'ambre, on en a la preuve dans ce même
passage où Pline, qui a conservé les propos de Mnaseas (78), énumère les
diverses façons dont les Grecs ont envisagé la fabrication de l'ambre. Il cite,
238 M. -M MACTOUX

pour s'en étonner, la version de Sophocle qui, dit-il, affirmait que Yélektron
était produit au-delà de l'Inde par les larmes des oiseaux méléagrides, pleurant
Méléagre (79). Or, ces méléagrides, sorte de pintades (80), ont en commun
avec les pénélopes d'avoir un plumage bigarré (81). Comme les méléagrides,
les pénélopes semblent donc avoir été dans certaines légendes liées à l'ambre.
Et l'ambre lui-même est en relation étroite avec le soleil. L'appellation
grecque pour ambre, élektron, signifie en fait «substance du soleil» (82), et dans
les croyances grecques sur l'origine de l'ambre, telles que Pline les rapporte
dans le passage cité, la création de l'ambre est souvent le résultat de l'action
des rayons du soleil qui assèchent les lacs et transforment le limon en ambre.
Ou encore il proviendrait des larmes des sœurs de Phaéton, métamorphosées
en peuplier après la mort de leur frère frappé par l'éclair solaire (83).
La civilisation qui utilisa l'ambre fut d'abord celle des tribus
indoeuropéennes (84) qui connaissaient la pénélope. Mais l'ambre qui, on le sait,
provient des rives de la Baltique, a pénétré très tôt en Grèce continentale
comme en témoignent les bijoux d'ambre recueillis dans les tombes
mycéniennes (85). Parmi les cadeaux qu'offrent les prétendants à Pénélope figure
un collier d'ambre (86).
Cette convergence d'indices conduit à penser que Pénélope a pu être
elle-même liée au soleil (87). Certes le culte du soleil n'a pas connu en Grèce
une extension comparable à celle qu'il a eue chez d'autres peuples comme les
Egyptiens ou les Sémites. Mais le soleil apparaît sur des scènes religieuses mi-
noennes (88) et mycéniennes (89), et ces représentations dénotent
certainement l'existence d'un culte (90). Des traces de ce culte apparaissent dans le
Péloponnèse. Sur le Taygète on sacrifiait des chevaux à Hélios (91) sur la
route qui va de Sparte en Arcadie, non loin de la statue d'Aidôs élevée par
Icare, et à côté de la tombe où Tyndare avait enterré les restes du cheval sur
lequel il avait fait prêter aux prétendants d'Hélène le serment de défendre sa
fille et celui qu'elle épouserait, se dressaient sept piliers représentant les sept
planètes (92).
Pan lui-même a un caractère à la fois pastoral et solaire, et, à Mantinée
Hélios était honoré dans des conditions qui laissent supposer l'ancienneté du
culte, même si Hélios n'a été introduit que tardivement. Pausanias raconte
que les Mantinéens avaient reçu l'ordre d'un oracle de Delphes de transporter
du Ménale chez eux les os d'Arcas, le héros éponyme de leur race. Ils
montraient son tombeau qui s'appelait aussi, dit-il, les Autels d'Hélios. Arcas fut
de bonne heure associé à Pan dont il était parfois le frère jumeau (93) et il est
probable, comme le pense G. Fougères (94), qu'il a dû emprunter son
caractère primitif de dieu solaire. Le lien familial que les mythographes ont établi
entre Pénélope et Pan pourrait avoir été plus étroit encore, si l'antique déesse
portait dans son nom la marque de ses rapports avec un culte solaire (95).
Les divinités de la végétation ont souvent des attributs solaires (96) et
tout un jeu d'épithètes révèlent les liens organiques d'Hélios avec le monde
végétal (97). On a récemment émis l'hypothèse (98) que le nom d'Orthia qui
a donné Heu à de multiples interprétations, anciennes et modernes (99), serait
en fait Orthria conservé par Alcman dans un de ses chants (100). Il faudrait
voir dans Orthria la personnification du soleil levant, et les couronnes trouvées
par milliers dans le temple d'Artémis-Orthia (101) et dans le Ménélaion
seraient les représentations de ce disque .
A nouveau un rapprochement avec Hélène, fille d'un cygne, s'impose.
Dans de très nombreuses mythologies le cygne, comme le canard avec lequel
LE MYTHE 239

il est interchangeable, figure le soleil (102). Et si la dérivation habituelle


d'Héléné-Séléné n'a jamais pu être établie avec certitude par les philologues,
et résulte sans doute d'un jeu de mots étymologique, exploité par les
Pythagoriciens qui feront de la lune la patrie d'Hélène (103), son nom reste proche
de selas, éclat, lueur brillante, d'où dérive Séléné (104). Le mythe et le culte
d'Hélène gardent des traces de ses relations avec cet astre (105). Sans doute
il n'y a jamais eu d'identification (106), mais F. Chapoutier remarquait déjà
(107) que, selon les Tragiques, (108), la fille du Soleil, était la Lune, à
laquelle Hélène a été assimilée au point d'être représentée par un croissant
lunaire (109). Elle avait un sanctuaire à Rhodes (110) qui était un des hauts
lieux du monde égéen et de la Grèce où était adoré Hélios, le Soleil (111).
Pindare n'appelle-t-il pas Rhodes la fille d'Aphrodite et d'Hélios (112) ? On
connaît d'autre part le lien qui unit Aphrodite au soleil. Et Pausanias nous dit
que, lorsque Thésée prit Hélène pour femme, il fonda un temple d'Aphrodite
Nymphia(113).
Avec Hélène «la brillante», fille d'un cygne, et Pénélope qui porte le
nom d'un canard aux brillantes couleurs nous atteignons une nouvelle forme
de cette identité mythique qui ne peut être fortuite.
240 M. -M MACTOUX

Notes du CHAPITRE III


(1) Ainsi G. Fougères, op. cit., p. 322.
(2) Quelques auteurs anciens s'en sont fait l'écho (Schol. ad IL, XXIII, 762 ; Eus-
tathe,flc?6W.,II, 84 rl435.
(3) P. Kretschmer, p. 81, in «Pénélope», AAWW, 1945, p. 80-93.
(4) InscholrtOd.,\Y,m.
(5) Ad Od., I, 344. ι 1421 , 62.
(6) Grundzùge der griechischen Etymologie, Leipzig, 1873, s. v. pênos, p. 276.
(7) In W. Roscher, Lexikon, s. v. Pénélope, col. 191 3.
(8) P. W. , s. v. Pénélope.
(9) Op. cit., p. 276.
(10) Loc. cit., p. 82.
(11) A history of Greek literature, p. 41 .
(12) Loc. cit., p. 88 . W. Whallon, «The name of Penelope^G&SS, HI, 1960, p. 57-64
revient à nouveau sur cette association de ττήντ], la trame du tissu et du linceul
de Laërte qui serait à identifier avec la robe d'Ulysse dans l'action de l'Odyssée.
(13) XIX, 406409.
(14) Cf. R. Carpenter, op. cit., p. 166.
(15) P. Nilsson, The Mycenaen origin of Greek mythology, Berkeley, 1932, p. 190.
(16) D'Arcy Wentworth Thompson, A glossary of Greek birds, Oxford, 1895, s. v.
penelops.
(17) Ce récit n'apparaît que fort tard chez Antipater de Sidon (Anth. Palat., VII, 745).
Antipater racontait qu'Ibycos, attaqué et tué par des voleurs alors que des grues
passaient dans le ciel, se serait écrié : «Ces gens me vengeront». L'un des voleurs
voyant quelque temps après passer un vol de grues aurait dit aux autres : «Voilà
les vengeurs d'Ibycos». Ces propos auraient fait découvrir leur forfait.
(18) Ad Ol. IX, 79 d, in Scholia vetera in Pindari carmina, éd. A. B. Drachmann,
2 vol., Leipzç, 1903-1910.
(19) Ad Alex., 792.
(20) In Scholad Od. IV, 797 .
(21) Voir supra, p. 32.
(22) J. Carcopino,Z)e Pythagore. aux apôtres, Paris, 1956, p. 79-80.
(23) F. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1923, s. v.
penelops.
(24) Griechisches etymologische Wôrterbuch, I, Heidelberg, 1970, s. v. penelopeia.
(25) J. B. Hofmann Etymologische Wôrterbuch des Griechischen, Munich, 1949, s.
v. penelops.
(26) A. Carnoy, Dictionnaire étymologique de la mythologie gréco-romaine, Louvain,
s. d., s. v. pênelopê.
(27) Cf. P. Kretschmer, loc. cit., p. 85-86.
(28) P. Hue, Souvenirs d'un voyage..., t. IV de la réédition d'Ardenne de Tizac, p. 143,
cité par G. Germain, Genèse de l'Odyssée, p. 469-471.
(29) Op. cit., p. 468-471.
(30) Fr. 1 19 ; trad. Th. Reinach.
(31) Patrie d'Alcée.
(32) Stésichore, fr. 85 , D.L. Page.
(33) Oiseaux, 298 et 1 302.
(34) Oiseaux, 298.
f35) VIU, 3,593 b.
(36)
(37) Op.Carnoy,
A. cit., s. v.op.penelops.
cit., s. v. Pénélope.__
(38) A. Carnoy, «Les noms des dieux et des héros d'Homère», LEC, 1954, p. 346
arrive à cette conclusion par l'analyse du nom d'Ulysse dont le prototype serait
ολϋ — KL — €VÇ . On y retrouverait la racine luk, présente aussi dans le
nom de son grand-père Autolukos. La racine luk désigne le dieu du feu chez les
Celtes (Lug) et chez les Germains (Loki). Il voit dans le comportement d'Ulysse
des points communs avec celui de Loki, comme lui héros rusé aux aventures
extraordinaires. Le caractère rusé de Loki, grand menteur et parjure est évident, mais
l'identification de Loki à Logi, flamme, présente des difficultés. Loki qui semble
avoir été un diminutif de UXlur a toujours c;c un dieu de la fertilité. (Cf. Ε. Ο. G.
Turville-Petre, Myth and Religion of the Ncrth, Londres-Worcester, 1964, chap.
V, Loki et, en particulier, p. 143-144).
LE MYTHE 241

(39) «Les mythes indiens de Mâtariçvan-Agni et ceux d'Ulysse en Grèce», Muséon,


XLIV, 1931, p. 327, n. 2.
(40) IV, 418.
(41) L. Graz, Le feu dans l'Iliade et l'Odyssée, Paris, 1 965 , p. 349.
(42) A. Bergaigne, La religion védique d'après les hymnes du Rig-Véda, I, Paris, 1878,
p. 11 sq.
(43) Cette origine ne repose d'ailleurs que sur une reconstitution hypothétique. D'arcy
Wentworth Thompson, op. cit., s. v. penehps, rapprochait ce nom de chénélops,
forme que prend souvent le nom de l'oie égyptienne, chénalopex (en particulier
dans certains manuscrits de Pline, Hist. Nat. X, 22, 29) citée par Hérodote comme
animal sacré du Nil (Π, 72). Il lui paraissait probable que les deux noms étaient
identiques et provenaient des transformations d'un mot égyptien corrompu par
une fausse étymologie.
(44) The Minoan-Mycenaean religion and its survival in Greek religion, Lund, 1927,
p. 285-295.
(45) Ch. Picard, Les religions préhelléniques, p. 64-65 et p. 112.
(46) M.P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religk>n,l, 2'è éd. Munich, 1941, pi. 23,
34.
(47) Ch. Picard, op. cit., p. 113 ; T.B.L. Webster, La Grèce de My cènes à Homère,
tr. frse, Paris, 1962, p. 48-49, pense que les Mycéniens se trouvaient encore à un
stade religieux où ils adoraient comme divinités les oiseaux.
(48) Cf. P. Lévêque, «Sur quelques cultes d'Arcadie : princesse-ourse, hommes-loups et
dieux-chevaux», IH, 1961, p. 94.
(49) P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque,s. v. kirkos.
(50) Ch. Picard, analyse de l'ouvrage de K. Kerényi, Die Geburt der Helena sammt
humanistichen Schriften aus dem Jahren, 1943-1945, RA, XXXVII, 1951, p. 82.
(51) L. R. Farnell, The cuit of the Greek states, H, Oxford, 1896, p. 433. Ortygie
est l'ancien nom de Délos (Od., V, 124) où Artémis est née de Léto, appelée par
Aristophane (Oiseaux, 872) la mère de la caille.
(52) Trachiniennes, 213. Le rapport avec l'oiseau peut prendre la forme mythique
d'une métamorphose comme dans le cas des filles d'Anios, qui symbolisaient les
puissantes fécondantes du sol et furent transformées en colombes (cf. H. Gallet
de Santerre, Délos primitive et archaïque, Paris, 1958, p. 174-175).
(53) The sanctuary of Artemis Orthia at Sparta, éd. R.M. Dawkins, Londres, 1929.
(54) Pausanias, III, 19,9.
(55) A. J. B. Wace, in The sanctuary of Artemis Orthia, p. 283.
(56) M. P. Nilsson, The Minoan-Mycenaean religion and its survival in Greek religion,
1ère éd., Lund, 1926, p. 456. Pour Orthia en potnia thérôn, cf. H. J. Rosé, The
sanctuary of Artemis Orthia, p. 401.
(57) Op. cit., pL XCI, 1 et 2 et p. 205. Pour d'autres représentations de ce type, voir
pL XCVni, 1, 2, 3. Sur les plaques XCVIH, 1 et 2, non seulement la déesse tient
un oiseau dans chaque main, mais deux autres sont figurés près de ses épaules ou
sur ses épaules. On possède aussi des fibules avec un personnage masculin, peut-
être le parèdre de la déesse, aggrippant dans chaque main les pattes ou le cou d'un
oiseau (pi. XCIX, 1 et 2)
(58) Op. cit., p. 207 et pi. XCUI, 2.
(59) Op. cit., p. 7 3 et f ig. 46, a, f .
(60) Op. cit.; p. 216, et pL CXIII.
(61) On en a dénombré 21 exemplaires (op. cit., p. 216).
(62) Pausanias, III, 16, 7.
(63) The sanctuary οf Artemis Orthia, p. 1 6.
(64) Pausanias, ΠΙ, 14, 2.
(65) Cf.
d'Artémis
nomsL. de
161-172).
H. quelques
Farnell,
comme déesse
op.
figures
cit.,des
p. eaux
divines
558. ou
On
fécondantes
a récemment
mythiques(A.grecques»,
J.
proposé
va.n Windekens,
d'expliquer
BN IX 1958«Sur
le nom
les
ρ

(66) H. Gallet de Santerre, op. cit., p. 125, et chap. IX, 1.


(67) Hymne homérique à Apollon, 17-18.
(68) Ch. Picard, Ephèse et Clams, Paris, 1922, p. 452 sq.
(69) Id., ibid., p. 1-6. Si l'emplacement du hiéron clarienoù, avant Apollon, fut
également adorée une déesse-mère est moins marécageux, on a aussi un sanctuaire de
plaine humide (Cf. Ch. Picard, op. cit., p. 9).
(70) J. G. Frazer a souvent rapproché les rites antiques de coutumes contemporaines,
242 M.-M MACTOUX

en particulier dans le domaine des cultes agraires. Dans le Rameau d'or, il note
que dans certains villages de Basse-Bavière le roi de Mai, qui incarne l'esprit de la
végétation est remplacé par un énorme oiseau en paille, muni d'un long cou et
d'un bec en bois, appelé Voiseau d'eau (Le Rameau d'or, III, trad. frse, Paris,
1911, p. 81, n. 1).
(71) Athénée (VIII, 334 B.D), qui a conservé douze vers du poème, dit que Némésis
prit diverses formes pour se dérober à Zeus, sans préciser ces formes, ni celle
adoptée par son divin amant. Mais A.Severyns, Le cycle épique dans l'école
d'Aristarque, Paris, 1928, p. 268-270, pense que certains auteurs disant que Zeus
s'était uni à Némésis sous la forme d'un cygne, s'inspirent directement des Chants
Cypriens (cf. en particulier, Apollodore, Bibl., III, 10,7). Philodèmos attribue
précisément à l'auteur des Chants Cypriens la métamorphose de Némésis en oie, et
probablement celle de Zeus en cygne (fr. 8, 1, E. Bethe, Homer, Dichtung und
Sage, II, Leipzig, Berlin, 1922).
(72) Hélène, 256-259.
(73) Autres allusions dans Hélène, 17-21 ; 214-216 ; 1145-1146 ; Oreste, 1387 ;
Iphigénie à Aulis. 793-797.
(74) ΠΙ, 16, 1.
(75) A. de Gubernatis, Zoological mythology, II, Londres, 1872, p. 295.
(76) Fr. 41 , K. Millier, FHG, III.
(77) La Souda, s. v. Eratosthène.
(78) Pline, Hist. Nat., XXXVII, 1 1 , 38.
(79) Pline, op. cit., XXXVII, 11, 4041.
(80) E. de Saint-Denis, éd. de Pline, Histoire Naturelle, X, Paris, 1961, n. au φ 74, 3.
(81) Pline, Hist. Nat., X, 26, 38.
(82) Le mot électôr, d'où dérive électron, est employé avec ce sens dans ÎMade, VI,
5 1 3. Cf. Pline, op. cit., XXXVII, 11,31.
(83) Pline, op. cit., loccit.
(84) A. Spekke, The ancient amber routes and the geographical discovery of the Eas-
tern Baltic, Stockholm, 1957, p. 6.
(85) L.W. Taylour, The Mycenaeans, Londres, 1964, p. 166.
(86) Od., XVIII, 295-296 : «Aussitôt le héraut d^urymaque apporte un collier d'or
ouvré, enfilé de gros ambres, un rayon de soleil !».
(87) Ce qui ne veut pas dire que Pénélope est une déesse solaire mais qu'il y a pu y
avoir dans son culte un aspect solaire.
(88) Tablette de bronze de Psychro (MJP. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion
I, Munich, 1941, pi. 7,2).
(89) Bague provenant de Sestos (M.P. Nilsson, op. cit., pL 13, 2) représentant une
femme se prosternant devant un dieu, debout à côte d'un arbre, au milieu d'un
enclos sacré, avec, entre eux, le disque du soleil. Le soleil figure également sur une
bague de Tirynthe sur laquelle une procession de démons s'avance vers une déesse
assise à laquelle ils apportent des offrandes (MJ*. Nilsson, op. cit., pL 16, 4).
(90) Cf. Ch. Picard, op. cit., p. 197.
(91) Pausanias, ΠΙ, 20,4.
(92) Pausanias, III, 22, 9.
(93) Pan et zSchol.
Kinkel Arcas étaient
ad Theoc.
donnés
Id., 1,alors
3). comme fils de Callisto (Epiménide, fr. 12,
(94) Op. cit., p. 317.
(95) La version la plus fréquemment suivie par les scholies à YOdyssée fait de Pénélope
la fille d'Asterodeia et, par là, l'arrière petite-fille d'Hélios. En effet la femme
d'Eurypyle, père d'Asterodeia est, d'après Acésandre (in SchoL Ad. Pind. Pyth.
IV, 57), Stéropé, fille d'Hélios. D'autre part, ce n^est peut-être pas un hasard si le
seul amant donné à Pénélope en dehors d'Hermès est Apollon. Apollon n'a été
assimilé à Hélios que tardivement et son aspect de dieu de la lumière n'a rien de
primitif (cf. L. Sechan et P. Lévêque, op. cit., p. 210). Mais il est déjà qualifié
chez Homère de Phoibos et lorsqu'une relation a pu s'établir entre lui et
Pénélope, Apollon possédait déjà cette fonction. T.B.L. Webster, op. cit., p. 51-52,
voit dans un petit personnage tenant un arc et figuré dans le ciel sur deux bagues
mycéniennes (M.P. Nilsson, op. cit., pi. 13, 4 et pi. 16, 5) un dieu mâle substitut
du soleil. L'arc d'Apollon qui remplit à l'époque classique la triple fonction de
dieu-soleil, dieu - pastoral et dieu-guérisseur pourrait avoir une triple signification
et être à la fois l'arc du dieu-soleil, l'arc du maître des animaux et l'arc du dieu-
guérisseur. Sur l'un des plus anciens documents figurés de New-York,
représentant Pénélope, l'anneau d'or du deuxième quart du Ve siècle (voir supra, p. 79 -
80).
LE MYTHE 243

un arc à ses côtés.


(96) M. Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1964, p. 118.
(97) M. Eliade, op. cit., p. 129.
(98) D.D. Lipourlis «Artemis Orthria», EEthess, X, 1968, p. 365-403.
(99) Poux un résumé de ces interprétations du nom d'Orthia, la Droite, voit H. J. Rosé,
The sanctuary of Artemis Orthia at Sparta, p. 403-404. On a envisagé la
possibilité d'une signification sexuelle (cf. L. Séchan et P. Lévêque, Les grandes divinités
de la Grèce, p. 355).
(100) Alcman, fr. 1 , 61, D. L. Page.
(101) The sanctuary οf Artemis Orthia, General index, s. v. wreaths. Elles apparaissent
dès le début du Ville siècle (cf. PL CLXXX, 1) et se maintiennent à toutes les
époques sous des formes très variées.
(102) Dans les hymnes du Rjg-Véda, hamsa, qui désigne l'oiseau-soleil, est un oiseau
aquatique, traduit tantôt par canard, tantôt par cygne (cf. A. Bergajgne, op. cit.,
Π, p. 16-17) A. Carnoy, «Les noms des dieux et des héros d'Homère», LEC, 1954,
p. 345 sq., avait bien noté qu'Agni, comparé à un hamsa, était aussi appelée Apâm
Napât, «fils des eaux». Mais il n'avait vu dans Agni qu'un dieu du feu, alors qu'il
est aussi identifié au soleil, comme Soma et Savitri qui entretiennent un rapport
étroit avec les phénomènes solaires et sont appelés aussi Apâm Napât (cf. A. Ber-
gaigne, op. cit., p. 306-319).
(103) M. Détienne, «La légende pythagoricienne d'Hélène», RHR, 152, 1957, p. 129
152.
(104) Cf. L. B. Ghali-fCahil, op. cit., p. 323, n. 2.
(105) E. A. Butterworth, op. cit., appendix l,Helen,p. 180 sq.
(106) Un premier obstacle est le genre du mot, soleil étant masculin en grec.
(107) Op. cit., p. 339, note 2.
(108) Euripide, Phéniciennes, 174.
(109) F. Chapouthier, op. cit., p. 138-143. Dans un fragment de Ptolémée Héphestion
conservé par Photius, Bibl., cod. 190, 149 a, Hélène est fille du Soleil et de Léda.
(110) Pausanias, ΠΙ, 19, 9.
(111) L. Gernet-Boulanger, Le génie grec dans la religion, Paris, 1970, p. 212.
(112) Ol., VII, 25-26.
(113) II, 32,7.
CONCLUSION

Pénélope pourrait être simplement une héroïne de conte populaire


devenue la femme d'un héros achéen grâce au miracle poétique d'un aède.
Rien dans Homère ne permet d'affirmer son origine divine (1), et la
métamorphose n'est pas son œuvre. Lorsque Pénélope devient la reine d'Ithaque, elle
avait tout, ou presque tout perdu de son passé mythique. Seule la complexité
de sa personnalité, mise en relation avec des récits dont le contenu mythique
est indiscutable, invite à dépasser le texte odysséen dont l'ambiguïté nous a
paru être le signe d'une autre réalité. La préhistoire de la légende doit être
cherchée dans le domaine du sacré.
La structure de la légende et du mythe de Pénélope et celle des rapports
de la légende et du mythe ressemblent étonnamment à celles de l'autre grande
héroïne homérique que fut Hélène (2). Une femme infidèle (3) reconquise par
un mari valeureux au terme de combats mettant sa vie en danger ; Ulysse de
retour à Ithaque luttant contre les prétendants aux portes de l'étage où s'est
enfermée sa femme avec autant de violence que Ménélas sous les remparts de
Troie qui l'isolent d'Hélène, c'est YOdyssée comme réplique à Ylliade réduite
à l'histoire d'un couple, par delà l'affrontement de deux peuples. Mais le
parallélisme se poursuit quand on compare, non plus seulement la traduction
littéraire du mythe, mais le mythe élaboré par les mythographes grecs.
Par son origine péloponnésienne, par son père Icare allié de son frère
Tyndare dans sa lutte pour la royauté, par son mariage et les circonstances de
ce mariage qui se présente sous la forme d'un enlèvement, Pénélope est la
réplique d'Hélène, au point même qu'Ulysse épouse la fille d'Icare alors qu'il
est venu à Sparte pour épouser celle de Tyndare.
A un niveau plus profond encore, que l'analyse étymologique permet
d'atteindre, Pénélope et Hélène sont liées à des oiseaux, la sarcelle et le cygne,
qui ont en commun d'être des oiseaux aquatiques et sont, dans de
nombreuses mythologies, interchangeables pour signifier le soleil.
Or, sur cela, Homère reste muet, parce qu'il n'est que l'héritier de récits
élaborés bien des siècles avant lui et qui ont désacralisé l'héroïne de YOdyssée
comme ils l'avaient fait pour l'héroïne de Ylliade. A quel moment, dans quel
milieu, sous l'influence de quelle civilisation s'est opérée cette
transmutation ? Il est possible qu'à la limite, ces questions, posées sous cette forme,
n'aient pas de sens. Chercher à dater le passage du mythe-récit à ce que nous
appelons légende ou conte est faire preuve d'un intellectualisme hors de
propos, dénoncé par les travaux récents des historiens des religions qui voient
déjà dans le mythe-récit une «forme tardive et dégénérée» (4) du mythe
comme expérience vécue. La fonction mythique comme création de récit
mythique est déjà fonction mythopoétique qui se manifeste identique chez les
aèdes anonymes, et les écrivains et les artistes ultérieurs. Le moment à saisir
serait plutôt celui où la conscience mythique, se dégageant d'une expérience
religieuse vécue, a cessé d'adhérer au monde et a utilisé la parole pour le
représenter. Mais ceci renvoie à une époque très ancienne dans cette région de
la méditerrannée occidentale où les dieux ont eu très tôt leur histoire.
Supposer que Pénélope a été dans un passé très éloigné une hypostase
d'une Grande-Mère du Péloponnèse sous un triple aspect végétal, pastoral et
246 M. M MACTOUX

solaire, avant de devenir une héroïne légendaire, ne veut pas dire qu'il y a eu à
un moment donné humanisation. Simplement, dans Homère, nous lisons la
phase ultime d'une évolution identique à partir de la vision mythique
commune d'un monde où les forces de fécondité et de fertilité étaient senties
comme dominantes. Pénélope et Hélène en sont des manifestations
équivalentes.
TABLEAU V
Pénélope et Hélène

«'S infidélité
-μ Ο Pénélope ~ Hélène
SK
C ω
ΟΛ
reconquête (mari valeureux
Tradu n (lutte sanglante
du

origine géographique Pénélope ~ Hélène


(Sparte)

Périèrés ou Oebalos
famille
conquête de la I are ~ Tync are
royauté
χ>ο
ω
mariage
S (Ulysse prétendant) Pénélope ~ Hélène

enlèvement Pénélope ~ Hélène


enlevée par enlevée par
Ulysse Thésée-Pâris

Hélios
1
.taω
|
Ι (Icare) +■ Astérodeia
piythe Hélios
Pénélope -1 sarcelle ~ Hélène, «la brillante»
S (oiseau aquatique aux fille d'un cygne
brillantes couleurs)

= équivalence
248 M.-M MACTOUX

Notes de la Conclusion
(1) On ne peut tirer argument comme U. Pestalozza, Pagine di religione médit erranea,
I, Milan-Messine, 1942, p. 290, ni de l'épithète de divine que reçoit Pénélope dans
VOdyssée (par ex. XVI, 414) ni du fait qu'elle est comparée à Artémis et
Aphrodite (XVII, 37 ; XIX, 54). D'autres personnages sont qualifiés de divin ; Homère
parle souvent du divin Ulysse, (XVIII, 90, XIX, 51) et non seulement Hélène
(IV, 122) mais Nausicaa elle-même sont comparées à Artémis (VI, 102 sq).
(2) Nous ne rappellerons pas les querelles qui divisent les historiens sur la localisation
d'Ithaque et suivons les traditionnalistes dont le chef de file est V» Bérard qui
pense qu'Ithaque doit êtrelocalisée dans la moderne Thiaki. L. Moulinier,
Quelques hypothèses relatives à la géographie d'Homère dans l'Odyssée, Publication
des Annales de la Faculté des Lettres d'Aix en Provence, 1958, propose une
solution plus nuancée, mais les rapports d'Ulysse avec Ithaque réapparaissent sous une
autre forme. Ulysse, roi des Céphalléniens, aurait régné sur la Céphalonie. Puis,
l'un des roitelets d'Ithaque - Thiaki, ayant aboli la suprématie de l'ancienne
capitale d'Ulysse, se serait approprié la légende du héros. Désormais Ulysse aurait
régné sur Ithaque. Si, en fonction de cette hypothèse, il faut chercher du côté de
Céphalonie pour avoir des renseignements sur l'état premier de la légende, les
cultes d'Ithaque, empruntés ou contaminés, devraient être pris en considération. Les
fouilles menées par l'école anglaise à Ithaque, en particulier sur le site d'Aetos, au
sud-ouest de la moderne Thiaki, ont livré très peu de traces du souvenir laissé par
le couple odysséen. (Cf. H. L. Lorimer et W.A. Heurtley, «Excavations in Ithaca»,
ABSA, XXXIII, 1935, p. 22 sq ; W. A. Heurtley et M. Robertson, «Excavations in
Ithaca, V, The géométrie and later finds from Aetos», ABSA, XLIII, 1948,
p. 1-124 ; S. Benton, «Further excavations at Aetos», ABSA, XLIII, 1953, p.
255-368). Cependant le site a été occupé à l'époque mycénienne comme en
témoignent des tessons de vases de H R III, et les archéologues s'accordent à dater
du milieu du IXe siècle l'arrivée des Corinthiens qui ont laissé une poterie
abondante hors de proportion avec la taille de l'île. La présence d'un sanctuaire
important est indiscutable, mais on ne sait à qui il était consacré (S. Benton, loc.
cit., p. 259). Une scène gravée sur un récipient en calcaire de l'époque archaïque,
antérieur au début du Vue siècle, (M. Robertson, loc. cit. p. 114), représente un
personnage nu, ithy phallique, en présence d'une femme (ABSA, XLIII,
description p. 114, et çl. 46, Β I). M. Robertson, loc. cit., p. 114, parle d'une scène
d'amour, et suggère, avec des réserves, Zeus et Héra. S.Benton, qui cite cette
trouvaille, (ABSA, XL VIII, 1953, p. 259) y voit une scène de mariage sacré, et
prononce le nom d'Héra ou de Pénélope. Mais ce n'est qu'une hypothèse hâtive ;
sinon on aurait eu la preuve du rôle joué par Pénélope dans un sanctuaire dédié à
des divinités chthoniennes, comme le prouve la présence de sceaux d'ivoire en
rapport avec un culte de la fertilité ou d'un certain type de vase à usage rituel. Ces
vases creux, appelés chandeliers par M. Robertson (loc. cit., p. 88), sont
considérés plutôt comme des porte-torches ou rhytons par S. Benton. Sous cette forme ils
ont pu, pense-t-elle, servir à accomplir des rites chthoniens (loc. cit., p. 328). Le
seul autre endroit où des vases de ce type ont été trouvés est précisément l'Art é-
mision de Délos (cf. Exploration archéologique de Délos, fasc. VXII, Les vases
orientalisants de style non mélien, par Ch. Dugas, Paris, 1935, pL X, 4 et 7, et
description p. 17). Ch. Dugas les avait décrits comme des «cheminées mobiles» mais
Ch. Picardy«Les prétendus «diables» ou «cheminées mobiles de Délos», RA, XX,
1942-43, p. 88-90, a bien montre que ces entonnoirs renversés étaient des
conduites d'argile pour des profusiones funéraires.
(2) Voir tableau V.
(3) Bien d'autres héroïnes grecques sont infidèles. Mais ici, bien évidemment, Finfidé-
lité est la traduction poétique de la surabondante fécondité d'une déesse de la
végétation. Ariane qui, selon toute apparence appartient à ce type (cf. H. Jean-
maire, Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, 1951, p. 223) fut d'abord
infidèle avant d'être délaissée. Elle fut primitivement l'amante de Dionysos, qu'
elle abandonna, avant de devenir celle de Thésée. La modification dans la
chronologie se fit tardivement dans un sens favorable à Ariane qui se lia alors à Dionysos
après avoir été elle-même abandonnée par Thésée (Cf. L. Séchan et P. Lévêque,
op. cit. p. 287).
(4) G. Gusdorf , Mythe et métaphysique, Paris, p. 15.
PLANCHE I

Illustration non autorisée à la diffusion

1. Divinités en char. Enlèvement de Pénélope. Musée du Louvre.

2. Pénélope sur un anneau d'or.


New- York, collection Vellav.
Illustration non autorisée à la diffusion
Le retour d'Ulysse et sa rencontre avec Pénélope. Relief mélien.
New-York, The Metropolitan Muséum of Art. Fletcher Fund. 1 930.
PLANCHE III

Femme assise. Statue de Persépolis. Musée de Téhéran.


'■Λ >Α

PLANCHE IV

Femme affligée. Statuette de terre cuite. Francfort-s/Main, Liebighaus.


PLANCHE V

Le lavement de pieds d'Ulysse. Athènes, Musée National.

Ulysse et Pénélope. Pâte de verre. Genève, Musée d'Art et d'Histoire^


PLANCHE VI

Le lavement de pieds d'Ulysse. Péliké. Musée de Rhodes.


PLANCHE VII

Ulysse et Pénélope. Stamnos. Musée de Parme.


PLANCHE VIII

λ/- ^* %*^
·

*. ί* fi

Ulysse et Pénélope. Miroir. Rome, Musée de la Villa Giulia.


PLANCHE IX

Pénélope assistant au festin des prétendants. Urne étrusque. Musée de Volterra.


Pénélope et les servantes. Le lavement de pieds d'Ulysse. Plaque de terre cuite
Rome. Musée National.
PLANCHE XI

Le retour d'Ulysse, Pompéi, Macellum.


Ulysse, Pénélope et trois prétendants à Ithaque. Fresque du viale Manzoni à Rom
PLANCHE XIII

Tombeau de Pénélope vu du site de Mantinée


ABREVIATIONS
Pour les revues, les sjgles sont ceux de l'Année philologique ; les ouvrages mentionnés en
abrégé doivent être complétés de la façon suivante :
H. Beckby, AG : Anthologia graeca, 4 voL, Munich, 1957.
H. Brunn, RU : I rilievi délie urne etrusche, I, Cyclo troico, Rome, 1890.
Ch. Burton Gillick, D : The Deipnosophists, 7 vol., text and translation, Londres 1955-
1961.
J. Charbonneaux, R. Martin, F. Villard, La Grèce classique, Paris, 1969.
M. Collignon, Les statues funéraires dans l'art grec, Paris, 1911.
D et S : Ch. Darembert et F. Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, 6 t.
en 10 vol., Paris, 1877-1919.
Ε A A : Enciclopedia dell'arte antica, Rome, 1958-1966.
J. M. Edmonds,/4C: The fragments of attic comedy, 4 vol., Leiden, 1957-1961.
LG : Lyra graeca, 3 vo^Londres, 1952.
A. Furtwângler, Die antiken Gemmen, 3 vol. Leipzig-Berlin, 1900 ; réimp. Amsterdam-
Osnabruck, 1964-1965.
W. Helbjg, Fùhrer : Fùhrer durch die ôffentlichen Sammlungen klassischer altertùmer in
Rom, 2 t., 3ème édvLeipzig, 1912-1913 ; 3 t., 4ème éd., Tubingen, 1963-1969.
R. Hercher,£"G : Epistolographi graeci, Paris, 1873.
P. Hermann, Denkmaler : Denkmaler der Malerei des Altertums, 1ère série, Munich,
1906.
IG : Inscriptiones graecae, V, I, Inscriptiones Laconiae et Messeniae, éd. G. Kolbe,
Berlin, 1913.
F. Jacoby, FGH : Die Fragmente der griechischen Historiker, Berlin - Leiden, 1923.».
P. JacobsthaLD/e melischen Reliefs, Berlin, 1931.
G. Kinkel, EGF : Epicorum graecorum fragmenta, I, Leipzig, 1877.
F. H. Marshall, FR : Catalogue of the finger rings Greek, Etruscan and Roman in the
department of Antiquities, British Muséum, 1907 ; réimp. Oxford, 1968.
F. Mùller, OI : Die antiken Odyssee-Illustrationen in ihrer kunsthistorischen Entwick-
lung, Berlin, 1913.
K. Millier, FGH : Fragmenta historicorum graecorum, 5 vol., Paris, 1853-1870.
A. Nauck, TF : Tragicorum graecorum fragmenta, 1856 ; réimp. supplementum,Bi.
Snell, Hisdesheim, 1964.
D. Ohly, «Dia Gunaikôn»; R. Boehringer, eine Freundesgabe, Tubingen, 1957, p. 433 sq.
J. Overbeck, Bildwerke : Die Bildwerke zum thebischen und troischen Heldenkreis, mit
33 Uthographirten Tafeln, Stuttgart, 1857.
E. Paribeni, Museo Nazionale Romano, Sculture greche del V secolo originale ereplichi,
Rome, 1853.
Ρ
24 Wt. en: A.
30 Pauly
vol., Stuttgart,
et G. Wissowa,
1894-1964.
Real Encyclopàdie der classischen Altertumswissenchaft,
Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque, H, La sculpture, Période classique, 1 et 2, Paris
1939.
GMA Richter, AI : Ancient Italy. A study of the interrelations of its people as shown
in their arts, Ann arbor, 1955.
S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, 6 t., Paris, 1897-1930.
Répertoire des vases peints grecs et étrusques, 2 t., Paris, 1899-1900.
Répertoire de reliefs grecs et romains, 3 t., Paris, 1909-1912.
Répertoire des peintures grecques et romaines, Paris, 1922.
W. Roscher, Lexikon : Lexikon der griechischen und rômischen Mythologie, 7 t.,Leipzig,
1884-1935.
SE G : Supplementum epigraphicum greecum, 25 vol., Leiden, 1923-1971.
A. Sogliano, La pitture murali campane scoverte negli anni 1867-79, supplemento ail'
opéra ûte/Z'Helbig, Wandgemalde der vom Vesuv vershùtteten Stàdte campaniens, Naples,
1880.
F. Thiersch, EK : Ueber die Epochen der Bildenden Kunst unter den Griechen, 2ème éd.,
Munich, 1829.
O. Touchefeu-Meynier, TO : Thèmes odysséens dans l'art antique, Paris, 1968.
E. H. Warmington, ROL : Remains of old Latin, text and translation, 4 tomes, Londres,
1956-1959.
BIBLIOGRAPHIE
Ι - LA LÉGENDE DANS LA LITTERATURE (1)
(A) Ouvrages
A. W. H. Adkins, Merit and responsability. A Study in Greek values, Oxford, 1960 (en
particulier chap. I - IV).
L. Allione, Telemaco e Pénélope neU'Odissea, PubL Délie Fac. di Lett., XIV, 3, Turin,
1963.
V. Bérard, Introduction à l'Odyssée, 3 t., Paris, 1924-1925.
F. Buffière, Les mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris, 1956.
C. Bona, Studi sull'Odissea, Turin, 1966.
F. R. Cambouliu, Etude sur les femmes d'Homère, Toulouse, 1854.
A. Ed. Chajgnet, Les héros et les héroïnes d'Homère, Paris, 1894.
E. Delebecque, Télémaque et la structure de l'Odyssée, Gap, 1958.
E. R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, Paris, 1965, chap. I.
M. I. Finley, Le monde d 'Ulysse, trad. frse, Paris, 1969.
K. Hirvonen, Matriarchal survivais and certains trends in Homer's female characters,
Helsinski, 1968.
W. Jaeger, Paideia. La formation de l'homme grec, Paris, 1964 (chap. I - III).
C.S. Kirk, The songs ofHomer, Cambridge, 1962.
DX. Page, The Homeric Odyssey, Oxford, 195 3.
L. Veaison, Popular ethics inAncient Greece, Stanford, 1962.
F. Robert, Homère, Paris, 1950.
Ch. Seltmann, La femme dans l'Antiquité, Paris, 1956.
W. Stanford, The Ulysses thème, Oxford, 1963.
L. A. Stella, Π poema d'Ulisse, Florence, 1955, p. 377-388.
M. Th. Suttor, La légende de Pénélope, thèse de l'université de Liège, 1942-1943 (non
consulté).
Ch. Villay, Les légendes du cycle troyen, Monaco, 1957.
A. Thornton, People and thèmes in Homer's Odyssey, Londres, 1970, chap. X.
W. J. Woodhouse, The composition of Homer's Odyssey, Oxford, 1969.
(B) Articles
A. Amory, «The reunion of Odysseus and Pénélope», Essays on the Odyssey, éd. Ch. H.
Taylor, Bloomington, 1963.
«The gâtes of nom and ivory», Homeric studies, éd. G.S. Kirk et A. Parry,
New-Haven - Londres, 1966.
C. J. Bill, « ΓΓεριφρων ΙΙηνβλάηεια », CJ, XXVIII, 1932, p. 207-209.
W. Buechner, «Die Penelopeszenen in der OdysseepHermes, 1940, p. 129-167.
P. Bussolino, «Figure femminili in Omero, V, Pénélope», RSC, X, 1962, p. 5-15.
J.M. Campbell, «Homer and chastity»,iVj Q, XXVIII, 1949, 3, p. 333-359.
J. Courtois, «L'Odyssée, poème de fidélité», LEC, XXV, 1957, p. 65-73.
G. Devereux et D. Kouretas, « Ο γαρακτήρ
p. 250-255. A h in τηςι UweXÏwrnç ι »,Platon,X, 1958,
H. Haakh, «Der Schleier der Pénélope», Gymnasium, LXVI, 1959, p. 374-380.
P.W. Harsh, «Pénélope and Ulysse in Odyssey XIX», A/P, 1950, p. I - 21.
W. K. Lacey, «Homeric hedna and Penelope's kurios», JHS, 1966, p. 55-66.
L. A. Mackay, «The person of Pénélope», G & R, 1958, p. 123-127.
G. Méautis, «Pénélope hésitante», Paideia, XV, 1960, p. 81-86.
W. Peek, «Die Pénélope der Ionerinnen», MDAI, Athenische Abteilung, 80, 1965, p.
160-169.
ED. Phillips, «The comic Odysseus», G&R, 1959, p. 58-67.
H. J. Rosé, The Oxford classical dictionary, 2ème éd., Oxford, 1970, s. v. Pénélope.
L. Séchan, D et S, IV, 2, Paris, 1909, s. v. Ulysses.
J. Schmidt, W. Roscher, Z-exzcon, 3, 2, s. v. Pénélope.
A. Vannan Rankin, «Penelope's dreams in book XIX and XX of Odyssey», Helikon,
1962, p. 617-624.
P. Walcot, «The thème of unhappy love in the Odyssey», Euphrosyne, II, 1959, p.
173-179.
F. Wehrli, «Pénélope und Telemachos»M#, XVI, 1959, p. 228-237.
E. Wust,i> W, XIX, 1937, s. v. Pénélope.
252 BIBLIOGRAPHIE

II - LA LÉGENDE DANS LES DOCUMENTS FIGURES (2)


J. Overbeck, Die Bildwerke zum thebischen und troischen Heldenkreis, mit 33 lithogra-
phirten Tafeln, Stuttgart, 1857.
J.E. Harrison, Myths of the Odyssey in art and literature, Londres, 1882.
A. Baumeister, Denkmàler des Klassischen Altertums, II, Munich-Leipzig, 1887, Odys-
seus und Odysseia, p. 1035-1046.
*R. Engelmann, Bilder-Atlas zum Homer, Leipzig, 1889 ; trad. frsce L. Benioew,
L'œuvre d'Homère illustrée par l'art des Anciens, Paris, 1891.
J. Schmidt, in W. Roscher, Lexicon, 3, 2, 1902-1909, s. v. Pénélope, coL 1914-1920.
*F. Miiller.O/, 1913.
E. Wust,P W, XIX, 1937, s. v. Pénélope, col. 487-493.
M.R. Scherer, The legends of Troy in art and literature, New-York - Londres, 1963.
E. Paribeni,£/L4, VI, 1965, s. v. Pénélope.
* O. Touchefeu-Meynier, TO, 1968.
H. Hiller, «Pénélope und Eurykleia ? Vorbemerkungen zur Rekonstruction einer Sta-
tuengruppe»,/4A 1972, p. 47-67.
BIBLIOGRAPHIE 253

ΠΙ - ETUDE DU MYTHE
(A) Le thème folklorique et mythologique
Ouvrages
R. Carpenter, Folk-Taie, fiction and saga in the Homeric epics, Berkeley-Los Angeles,
1946.
F. J. Child, The English and Scottish popular ballads, I, Cambridge, 1882.
N.B. Dennys, Thefolk-lore οf China and its affinities with that of the Aryan and Semitic
rades, Londres, 1876.
G. Germain, Essai sur les origines de certains thèmes odysséens et sur la genèse de
l'Odyssée, Paris, 1954.
S. N. Kramer (éa.\Mythologies of the Ancient World, Chicago, 1960.
V. Propp, Morphologie du conte, trad. frse, Paris, 1970.
L. A. Stella, II poema d'Ulisse, Florence, 1955, chap. II et bibliographie.
S. Thompson, Motif-index of folk-literature, 5 t. et un index, Copenhague, 1955-1958.
E.O.G. Turville-Petre, Myth and religion of the North, Londres-Worcester, 1964.
Articles
A. Carnoy, «Les mythes indiens de Mâtariçvan-Agni et ceux d'Ulysse en Grèce», Muséon,
XLIV, 1931, p. 319-324.
M. Croiset, «Observations sur la légende primitive d'Ulysse», MAI, XXXVIII, 2, 1911,
p. 171-214.
W. Crooke, «The wooing of Pénélope», Folklore, 1898, p. 121-133.
«Somes notes on Homeric Folklore», Folklore, XIX, 1908, p. 52-77 et
153-189.
A. Lesky, «Hethistische Texte und griechischer Mythos», AAWW, 1950, p. 137-160,
E.S. Me Cartney, «Undoing by night work donc by day. A folklore motif » , Studies
presented to D. M. Robinson, II, Saint-Louis, 1953, p. 1249-1253.
K. Marôt, «Zur Entstehungsgeschichte der Odyssée», AC, XXVII, 1958, p. 328-336.
H. Muchau, p. 251-264, in Bericht ûber die homerischen Realien, 1902-1920, JAW,
CLXXXII, 1920, p. 165-318.
J. Tolstoi, «Einige Màrchenparallelen zur Heimkehr des Odysseus», Philologus, LXXXIX,
1934, p. 261-274.
V. Vikentiev, «Le retour d'Ulysse au point de vue égyptologique et folklorique», ΒΙΕ,
XXIX, 1946-1947, p. 123-241.
V. Zhirmunsky, «The epic of Alpamysh and the return of Odysseus», PBA, LII, 1966,
p. 267-286.
(B) L'Etymologie
D'Arcy Wentworth Thompson, A Glossary of Greek birds, Oxford, 1895, s. v. penelops.
F. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1923, s. v. penelops
A. Carnoy, Dictionnaire étymologique de la mythologie gréco-romaine, Louvain, s. d,
s. v. Pénélope.
«Les noms des dieux et des héros d'Homère», LEC, XXII, 1954, p. 337-350.
G. Curtius, Grundziige der griechischen Etymologie, Leipzig, 1873, s. v. pênos.
H. Frisk, Griechisches etymologische Wôrterbuch, I, Heildelberg, 1970, s. v. Penelopeia.
J.B. Hofmann, Etymologische Wôrterbuch des Griechischen, Munich, 1949, & v.
Penelops.
G. Germain, Essai sur les origines de certeins thèmes odvsséens et sur k genèse de
l'Odyssée, Paris, 1954, p. 468-469.
P. Kretschmer, «Pénélope», AAWW, 1945, p. 80-93.
V. Pisani, «Pénélope», Paideia, 1, 1946, p. 339-340.
W. Whallon, «The name of Pénélope», GRBS, III, I960, p. 57-64.

(C) Pénélope et Ithaque


Ouvrages
L. Moulinier, Quelques hypothèses relatives à la géographie d'Homère dans l'Odyssée,
Publication des Annales de la Faculté des Lettres d'Aix en Provence, 1958.
254 BIBLIOGRAPHIE

Articles
S. Benton, «Further excavations at Aetos», ABSA, XLVIH, 195 3, p. 255-368.
W.A. Heurtley et M. Robertson, «Excavations in Ithaca, V : the géométrie and later finds
from Aetos», ABSA, XLIII, 1948, p. 1-124.
W. A. Heurtley (voir H.L. Lorimer)
H. L. Lorimer et W. A. Heurtley, «Excavations in Ithaca», ABSA, XXXIII, 1935, ρ
22-65.
(D) Pénélope, Hermès, Pan et l'Arcadie
Ouvrages
V. Bérard, De l'origine des cultes arcadiem, Paris, 1894.
J. Duchemin, La houlette et la lyre. Recherches sur les origines pastorales de la poésie, I,
Hermès et Apollon, Paris, 1960.
G. Fougères, Mantinée et l'Arcadie orientale, Paris, 1898.
R. Herbig, PanDer griechische Bocks-gott, Francfort, 1949.
P. Lévêque et L. Séchan, Les grandes divinités de la Grèce, Paris, 1966.
K.W. Osterwald, Hermes-Odysseus, Halle, 1853.
J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome, 281-31, Paris, 1942.
P. Raingeard, Hermès psychagogue. Essai sur les origines du culte d'Hermès, Paris, 1934.
A. Stiglitz, Die Grossen Gôttinnen Arkadiens, Sonderschriften herausgegeben vom Oster-
reichen Archalogischcn Institut in Wien, Band XV, 1967.
Articles
J. Chittinden, «The master of animais», Hesperia, XVI, 1947, p. 89-114.
A.B. Cook, «Animal worship in the Mycenaean âge», JHS, XIV, 1894, p. 81 sq.
P. Lévêque «Sur quelques cultes d'Arcadie : princesse-ourse, hommes-loups et dieux-
chevaux?///, 1961, p. 93-108.
W. Loring, «Some ancient routes in the Péloponnèse», ///S, 1895, p. 25 sq.
A. Shewan, «The waterfowl goddess Pénélope and her son Pan», CR, 1915, p. 37-40.
J.N. Svoronos, «Ulysse chez les Arcadiens et la Télégonie d'Eugammnon^Gezeiie
archéologique, 1888, p. 33 sq.
J.P. Vernant, «Hermès-Hestia ; sur l'expression religieuse de l'espace et du mouvement
chez les Grecs», Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1965, p. 97-143.
(E) Pénélope, Hélène et Lacédémone
Ouvrages
E.A.S. Butterworth, Some traces of the pre-Olympian world in Greek literature and
myth, appendix I, Helen, Berlin, 1966.
F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, Paris, 1934.
R.M. Dawkins, The sanctuary of Artemis Orthiaat Sparta, Londres, 1929.
M. Delcourt, Pyrrhos et Pyrrha ; recherches sur les valeurs du feu dans les légendes
helléniques, Paris, 1924.
G. Dumézil, Ouranos-Varuna. Etude de mythologie comparée indo-européenne, Paris,
1924.
M. Eliade, Traité d'Histoire des religions, Paris, 1964.
L.R. Farnell, The cuits of the Greek States, II, Oxford, 1896.
J.G. Frazer, Les origines magiques de la royauté, Paris, 1920.
Le Rameau d'or, III, trad. frse, Paris, 1911.
L.B. Ghali-Kahil, Les enlèvements et le retour d'Hélène dans les textes et les monuments
figurés, Paris, 1955.
R. Graves, Les mythes grecs, trad. frse, Paris, 1967, p. 88-89.
L. Graz, Le feu dans l'Iliade et l'Odyssée, Paris, 1965.
A. de Gubernatis, Zoological mythology, Π, 1872.
H. Jeanmaire, Couroi et courètes. Essai sur l'éducation Spartiate et sur les rites
d'adolescence dans l'antiquité hellénique, Lille, 1935.
Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, 1951 (Ariane).
A.H. Krappc, Mythologie universelle, Paris, 1930.
La genèse des mythes, Paris, 1 95 2.
M.P. Nilsson, The Minoan-Mycenean religion and Us survival in Greek religion, 1ère éd.,
Lund, 1927 ; 2ème éd.,Lund, 1950.
Geschichte der griechischen Religion, I, Munich, 1941.
BIBLIOGRAPHIE 255

Les croyances religieuses de la Grèce antique, trad. frse, Paris, 1955.


U. Pestalozza, Pagine direligione mediterranea, I, Milan, 1942.
Ch. Picard, Ephèse et Claros Paris, 1922.
Les religions préhelléniques, Paris, 1948.
E. des Places, La religion grecque, Paris, 1969.
J. Przyluski, La grande déesse, Paris, 1 950.
A. Spekke, The Ancient atnber routes and the geographical discovery of the Eastern
Baltic, Stockholm, 1957.
L. A. Stella, Mitologia greca, Turin, 1956.
W. Taylour, The Mycenaeans, Londres, 1964.
E.N. Tigerstedt, The legend of Sparta in classical Antiquity ; Stockholm-Goteborg-Upsala,
1965.
M. Untersteiner, La fisiologia del mito, Milan, 1946.
T.B.L. Webster, La Grèce de Mycènes à Homère, trad. frse, Paris, 1962.
S. Wide, Lakonische Kulte, Leipzig, 1893.
Articles
F .M. Cornford, «The origin of the Olympic games», p. 212-259, in J.E. Harrisson,
Themis, 2ème édvCambridge, 1927, chap. VII.
L. Deroy, «Le culte du foyer dans la Grèce mycénienne», RHR, 1950, CXXXVII, p.
2643.
M. Détienne, «La légende pythagoricienne d'Hélène», RHR, 152, 1957, p. 129-152.
L.R. Farnell, «Ino-Leukothea»,///5, 1916, p. 36-44.
G.M. Galt, «Veiled ladies»,y4X4, 1931, p. 373-393.
R. Joly, «Deux larnakes trouvés à Mallia», BCH, 52, 1928, p. 148-157.
D.D. LipourUs, «Artemis Orthria», EEthess, X, 1968, p. 365-403.
Ch. Picard, « γ[ότννα « ανδρών Te θεών Te» Notesurle type de la Déesse-Mère entre
deux assesseurs anthropomorphes», RHR, 98, 1928, p. 60-77.
«Les prétendus diables ou cheminées mobiles de Délos», RA, XX, 1942-
1943, p. 88-90.
«Analyse de l'ouvrage de K. Kérény-i, Die Geburt der Helena sammt humanis-
tichen Schriften aus den Jahren 1943-1945», RA, XXXVII, 1951, p. 70-83.
256 BIBLIOGRAPHIE

Notes
(1) La brièveté de cette bibliographie, qui peut surprendre, doit se comprendre en
fonction des remarques suivantes :
- 1) Toutes les études sur VOdyssée comportent évidemment des analyses sur la
Pénélope homérique. Mais seules sont citées celles qui nous ont semblé les plus
caractéristiques, soit par le mode traditionnel d'analyse, soit par l'éclairage
nouveau qu'elles apportent. Ces ouvrages fournissent cependant l'essentiel de cette
bibliographie puisque, comme nous le notions dans l'introduction, seule la
Pénélope homérique a retenu l'attention.
- 2) Les études concernant les textes littéraires post-homériques qui nous ont
permis de préciser le sens des passages où il est question de Pénélope ont été citées
dans les notes et ne sont pas reprises dans cette bibliographie.
- 3) Parmi les ouvrages généraux seuls ont été retenus ceux qui ont été
directement utiles à notre sujet.
(2) Comme dans le cas de la littérature, c'est VOdyssée qui a toujours servi de point
de départ pour l'étude de la légende dans les documents fçurés. Cette
bibliographie ne peut que récapituler les principaux ouvrages portant sur l'illustration de
VOdyssée dans son ensemble ; le classement adopté est chronologique. Les études
les plus complètes concernant Pénélope ont été marquées d'un astérisque. Il nous
a paru inutile de rappeler la bibliographie propre à chacun de ces documents. Elle
se trouve nettement indiquée à propos de chacun d'eux.
Ι
INDEX DES AUTEURS ET ANONYMES AYANT PARLÉ DE PÉNÉLOPE (1)
I - Auteurs
Achéos d'Erétrie (A. Nauck, TF)
Aithon, 62 n. 67.
Achille Tatius (S. Gaselee, Achille Tatius, Londres, 1917 ;trad. P. Grimai, Romans grecs
et latins, Paris, 1958).
Les aventures de Leucippé et de Clitophon, 1,8,6, 160.
Agias de Trézène (A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, IV, Paris,
1963)
Les retours, 296-298, 31 - 33.
Alcméonide (G. Kinkel, Ε G F)
Fr. 5, 52,206.
Alexis (J.M. Edmonds, /4C, II)
Le lavement de pieds d'Ulysse, 57.
Ulysse au métier, 57.
Amphis (J.M. Edmonds, AC, II)
Ulysse, 57.
Anacréon (J.M. Edmonds, LG, II)
Fr. 148, 35.
Anaxandride (J.M. Edmonds, AC, II)
Ulysse, h. 33-34,57.
Anaximandre (F. Ollier, Xénophon, Oeuvres, IV, Paris, 1961)
in Xénophon, Banquet, III, 6, 64, n. 114.
Andron d'Halicarnasse (K. Miiller, FHG, II)
Fr. 7,, 205.
Antiphilos de Byzance (H. Beckby, AG, III).
Anthologie palatine, IX, 192, 139 n. 118.
Antisthène (H.S. Long, Diogenis Laerti Vitae philo sophorum, II, Oxford, 1964)
Au sujet de Pénélope, d'Ulysse et du chien, 58, 92, 157, 158.
Hélène et Pénélope, 58, 92.
Apollodore (Pseudo) (J.G. Frazer, The Library, 2 tomes, Londres, 1921 ;Epitomé dans
le tome II)
Bibliothèque, III, 10, 6, 9,162, 205, 208, 209, tabl. I, III.
Epitomé, III, 7, 31, 43, 93 n. 14.
VII, 26-40, 38 n. 36, 51,162, 223, tabL IV.
Auollodore de Tarse (F. Bekker, Suklae lexicon, Berlin, 1854, s. v. Apollodore de Tarse)
Acanthoplex, 62 n. 67.
Aristénète (J. Brenous, Aristénète, Lettres, Paris, 1938)
Lettre I, 28, 184.
Aristippe de Cyrène (E. Mannebach, Aristippi et Cyrenaicorum fragmenta, Leiden, 1961)
.Fr. 23,54-55,59, 101,102.
Ariston de Chios (C. Wachsmuth et O. Hense, Ioannis Stobaei anthologium, III, Berlin,
1958)
in Stobée,£Wog. III, 4, 109, 101-102.
Aristophane (V. Coulon et H. Van Daele, Aristophane, Thesmophories, Paris, 1963)
Thesmophories, 547-548, 53, 55.
Aristote (J. Hardy, Poétique, Paris, 1965 ; M. Dufour, Rhétorique, III, Paris, 1960)
Poétique, 1461 b. 59, 205.
Rhétorique, ΙΠ, 16, 7, 1417 a, 59.
(V. Rosé, Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta, Leipzig, 1896)
Fr. 176, 64 n. 131.
(A. Heitz, Fragmenta Aristotelis, Paris, Didot, 1886)
Apopthegmata , 26, 63 n. 73.
Aristote (pseudo) (B.A. Groningen et A. Wartelle, Economique, Paris, 1968)
Economique, III, I, 3, 65 n. 138.
As» s de Samos (G. Kinkel, Ε G F)
Fr. 10,205.
258 INDEX

Athénée (Ch. Burton Gillick, D)


Le Banquet des Sophistes, I, 14 bc ; V, 190 d ; VIII, 351 c ; XIII, 559 c, 597 c ;
XIV, 615 a, 101, 164 n. 61.
Bion (F. Cole Babbitt, Plutarch's Moralia, I Londres, 1960)
in Plutarque, De liberis educantis, 7 D, 100 - 101.
Catulle (G. Lafaye, Catulle, Poésies, Paris, 1922)
61,226-230, 128- 129.
Chariton d'Aphrodisias (A. Hirschig, Erotici scriptores, Paris, Didot, 1856, trad. P.
Grimai, Romans grecs et latins, Paris, 1958)
Chéréas et Callirhoé, 128, 160.
Chérémon (A. Nauck, TF)
Ulysse, 57.
Ciréron (M. Buch, Cicéron, Academica, Paris, 1970)
Academica, II, 29, 95, 127.
(G. Plinval Cicéron, Traité des lois, Paris, 1959)
Delegibus, 11,1, 3,727.
(A.S. Pease, Cicéron, De natura deorum, II, Cambridge, 1958)
De natura deorum, III, 22, 127, tabl. IV.
Claudien (M. Platnauer, Claudien, II, Londres, 1956)
Eloge de Sérène, 20 -32, 183.
Corinne (J.M. Edmond s, LG, III)
Fr. 145, 11,39 n. 65.
Cratès (pseudo) (R. Hercher./iG)
Lettres IX et XXIII, 127-128.
Cratinos (J.M. Edmonds, AC, I)
Les Ulysses, fr. 149, 55, 57.
Cyros de Pano polis (H. Beckby,yl G, II)
Anthologie palatine, VII, 557, 184.
Démétrios Poliorcète (Ch. Burton Gillick, D, VI)
in Athénée, Le Banquet des Sophistes, XIV, 615 a, 101, 164 n. 61.
Dicéarque (K. Millier, FHG, II)
Fr. 33 a, 9 n. 24, 97, 158 n. 37.
Dictys (W. Eisenhut, Dictyis Cretensis ephemeridos belli Trojani libri, Leipzig, 1958)
Journal de la guerre de Troie, VI, 1 61.
Didyme (G. Dindon, Scholia graeca in Homeri Odysseam, I, Oxford, 1855)
Schol. ad Od., IV, 797 (Eustath, Corn, ad Od., I, 344 (1422), ad Od., 85, 137
n. 6, 229 n.53, 233,234.
Dion Chrysostome (J. W. Cohoon, et H. Lamar Crosby, Dion Chrysostom, Discourses, 5
vol., Londres, 1961-1964)
Discours, VII, 84-86 ; XI, 134 ;XV, 4 ;LII, 13 ; LV, 20, 59, 155-156.
Diosadas (Ph. E. Legrand, Les bucoliques grecs, II, Paris, 1960)
Autel, 16, 97, 100, tabl. IV.
Douris (F. Jacoby, FGH, II A)
Fr. 21,98,222-223, tabl. IV.
Elien (R. Hercher, Variae historiae, in Aeliani, Porphyri philosophi, Philonis byzanti
opéra, Paris, 1858)
Histoires variées, XIV, 45, 161.
Epicharme (G. Kaibcl, Comicorum graecorum fragmenta, I, 1899 ;réimp. Berlin, 1958),
40 n. 75.
Fsrhyle (A. Nauck. TF)
Pénélope, fr. 187, 49, 50, 57, 62 n. 67, 191.
Etymologicum Magnum (Th. Gaisford, Etymologicum Magnum, Oxford, 1848)
s. v. ôs, 186.
Euboulos (J. M. Edmonds, AC, II)
Chrysilla, fr. 116, 57, 164 n. 61.
Ulysse, 5 7.
Eudocie (J. Fhch, Eudociae Auguste Violarum, Leipzig, 1880)
Violarum, 63, 484, 756.
Eugammon (A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, IV, Paris, 1963)
Télégonie, 327-340, 31, 32, 33, 38 n. 36,50,51, 136, 205.
(T.W. Allen, Cycli fragmenta, Homeri opéra et reliquiae, V, Oxford, s.d)
Télégonie, fr. 1 , 33.
Euphorion (G. Thilo et H. Hagen, Servit grammatici qui feruntur in Vergilii carmina
commentarii, III, 1, 1887 ;réimp. Hildesheim, 1961)
in Servius, Ad Verg. Georg., I, 16.
INDEX 259

Euripide (F. Chapouthier et L. Méridier, Euripide, Oreste, Paris, 1959)


Oreste, 588-590, 53.
(L. Parmentier et H. Grégoire, Euripide, Les Troyennes, Paris, 1964)
Les Troyennes, 422-423, 54, 57.
Eustathe {Eustathii Commentarii ad Homeri Odysseam, 1825 ;réimp. Hildesheim, 1960)
Co mmentarii ad Od., 1390,2 sq. 169.
1421, 62, 53 n. 54, 233.
1435, 240 n. 2.
1437, 19-30, 169.
1796, 38-45, 33.
1956,52,52.
Glaucon (L. Méridiei, Platon, Ion, Paris, 1964) in Platon, Ion, 5 30 sq., 64 n. 114.
Gorgias (H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, II, Berlin, 1959) Β 29,
54-55, 101.
Hécatée de Milet (F. Jacoby, FGH, I)
Fr. 371, 191, 222, 223, tabl. IV.
Heraclite (pseudo) (F. Buffière, Allégories d'Homère, Paris, 1962)
Allégories homériques, 76, 13 ; 78, 3, 134, 168.
Heraclite (pseudo) (R. Hercher, Ε G ; V. Martin, «Un recueil de diatribes cyniques, pap.
Genev. Inv. 271», M H, 1959, p. 83-111 ; trad. col. XII-XV, p. 82-83), 158.
Hérodote (Ph. E. Legrand, Hérodote, Histoires, II, Paris, 1963)
Histoires, II, 145, 56, 222, 223, tabl. IV.
Hermésianax (E. Oiehl, Anthologica lyrica, Leipzig, 1925)
Elégies, III, Fr. 2, 27-34, 97, 98, 164 n. 61.
Hésiode (pseudo) (R. Merkelbach et M.L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford, 1967)
Catalogue des femmes, fr. 221, 34, 206.
Hésychios (M. Schmidt, Hesychios, Lexicon, III, Iéna, 1861)
s. v. Pénélope, 186.
Homère (V. Bérard, Homère, Odyssée, 3 t., Paris, 1962-63)
Odyssée
1,13,
1,19,
1,49,
1,215-216,11,
I,1,245-250,11.
223,
1,269-279,10,11.
I, 292,
I, 329-366, 7, 8, 11, 26 n. 18, 205.
1,415-416,
II, 52-54,
II, 88-137, 10, (6), 24 (4), 27 n. 46, 205 (2).
11,195-207,25.
II, 223,
II, 249-250,
11,274-275,17
11,336-337,21.
H, 373-376,
11,411,
111,212-213,
IV, 110-113,23.
IV, 316-321,11.
IV, 675-767, 22, 39.
IV, 787-S41, 22 (2), 26 n. 15, 215 n. 1.
V, 37,
V, 113,
V, 209-218,
VI, 182-185,
VIII.
Vin, 411.
242,
XI, 344-345, 21.
XI, 444-450, 14.
XIII, 333-338,
260 INDEX

XIII, 406, 23.


XIV, 9,
XIV, 123-137,27.
XIV, 164,
XIV, 172,
XIV, 373,
XV, 14-26, 11,15,215 η. 1.
XV, 40-42, 34.
XV, 313-314,
XV, 374-378, 22.
XV, 515-522, 12.
XVI, 33-38,
XVI, 73-77,11.
XVI, 130-132,23,
XVI, 151-153,
XVI, 301-303,
XVI, 328-341,
XVI, 385-386, 187.
XVI, 395-400,
XVI, 409-451,5.
XVI, 458-459, 23.
XVI, 469,
XVII, 6-9,
XVII, 36-61,74.
XVII, 99-166, 9.
XVII, 390-391,23.
XVII, 492-588, 9.
XVIII, 143,
XVIII, 158-301,5, 9, 17, 22,25 (3), 25, 197 η. 7,206, 213.
XVIII, 313-315,
XVIII, 322-325,
XIX, 51-604, 9, 11,12,21 (2), 23 (3), 25 (2), 27 η. 46, 157 η. 27.
XX, 57-94, 11,210.
XX, 131-143,
XX, 289-290,
XX, 327-344,
XX, 387-389,
XXI, 1-12,
XXI, 43-82,5, 230 η. 89.
XXI, 86-88,
XXI, 101-111,
XXI, 114-117,
XXI, 157-162,
XXIII, 297-309,
XXIII, 350-365,
XXIV, 126-150, 15 (2), 25, 27 η. 46.
XXIV, 167-169,
XXIV, 192-202, 7, 13 ,14, 23 (2), 26 η. 31,27 η. 46, 36.
XXIV, 294-296, 23.
XXIV, 404405,24.
XXIV, 407,
XXI, 311-342,
XXI, 349-358,
XXII, 38,
XXII, 324,
XXII, 424429,
XXII, 462464,
XXII, 482483,
XXII, 1-116,12(2), 13.
XXIII, 149-151,
XXIII, 166-296, 24 (2), 128 η. 1 1.
INDEX 261

Horace (F. Villeneuve, Horace, Epitres, Odes et Epodes, Satires, Paris, 1962-1964)
Epitres, I, 2, 28, 130.
Satires, H, 5, 15-83,131.
Odes, I, 17, 20, 131.
III, 10,11-12, 131.
Hygin (H.J. Rosé, Hygini fabulae, Leiden, 1963)
Fables 125, 19, 139 n. 121.
126,3-5,7,9,139 ru 121.
121,2-3,136, 139 n. 121,192.
224,5, 139 ru 121, tabl. IV.
256, 1, 139 ru 121.
Isocrate (G. Mathieu et F. Brémond, Isocrate, Discours, I, Paris, 1963)
Vie anonyme, p. XXXVII, 97.
Julien (J. Bidez, Julien, I, 1, Discours, Paris, 1932)
Éloge de l'impératrice Eusébie, 104 c ;110 c ; 112 c ;113d ;114;114b;127
en! ; 128 ; 128 b, 170, 171 -172, 183.
(J. Bidez, Julien, I, 2, Lettres et fragments, 2ème éd., Paris, 1960)
Lettre 81, 171, 172.
Juvénal (P. de Labriolle et F. Villeneuve, Juvénal, Satires, Paris, 1964)
Satires, II, 54-56, 155.
Léonidas de Tarente (P. Waltz, Anthologie grecque, III, Paris, 2ème éd. 1960)
Anthologie palatine, VI, 289, 102.
Libanios (E. Foerster, Libanios, Opéra, 12 vol., Leipzig, 1903-1927)
Art émis, S, 170.
Disc, 64-73.
Decl.,V, 61-62,170.
Decl., NI, 59, 170.
Ethop., 15,1,170.
25,1,6,170.
Lettre, 495,12,171.
746,6-8,777.
Livius Andronicus (E.H. Warmington, ROL, H)
Fr. 9,40,45,707.
Lucien (A. M. Harmon, Lucian, 8 vol., Londres, 1959-61)
Défense des portraits, 7, 159.
Dialogue des courtisanes, 12, 1, 159.
Dialogue des dieux, XXII, 2, 760, 191, 193 n. 1, 225, tabl. IV.
Histoire vraie, H, 29, 36, 159.
Les fugitifs, 21,159.
Portraits, 20, 158.
Lucilius (E.H. Warmington, ROL, III)
XVII, I,fr. 565-6,101.
Lycophron (E. Scheer, Lycophronis Alexandra, I, 1881 ;réimp. Berlin, 1958)
Alexandra, 771-773, 97, 98-99.
791-792, 97, 98-99, 206.
Télégonos, 99.
Martial (H.J. Izaac, Martial, Epigrammes, 3 vol., Paris, 2ème éd., 1961)
Epigrammes, I, 62, 6, 755.
XI, 7,5,755.
XI, 104, 16,755.
Métrodore de Lampsaque (L. Mendier, Platon, Ion, Paris, 1964)
in Platon, Ion, 530 sq., 64 n. 114.
Mythographus primus {Très Mythographi, III, Classicorum auctorum e vaticanis codi-
cibus editorum curante Angelo Maio, Rome, 1831)
I, 89,756, 223 n. 23, tabl. IV.
Mythographus secundus (ibid.)
11,212,186.
Nicodémos d'Héraclée (P. Waltz, Anthologie grecque, III, Paris, 1931)
Anth. Pal. VI, 314, p. 188 n. 21.
Nonnos de Panopolis (R. Keydell, Nonni Panopolitani Dionysiaca, I, Berlin, 1959)
Dionysiaques, XIV, 93, 185, 227 n. 2.
Nonnos (pseudo) (A. Migne, Patrologie cursus completus, séries graecae , XXXVI,
Petit -Montrouge, 1858)
262 INDEX

Ad s. Gregoriiorat I contra Jul, col. 1008, 40, 178-179, 756, tabL IV.
Ad s. Gregoriiorat II contra Jul, col. 1052-1053, 34, 178-179, 186.
Numénius d'Apamée (F. Buffière, Porphyre, L'antre des Nymphes, appendice aux
Mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris, 1956)
in Porphyre, A titre des nymphes, 34, 169.
Ovide (H. Bornecque, Ovide, Amours, Paris, 1961 ,Art d'aimer, Paris, 1965 ;Héroïdes,
Paris, 1965 ; G. Lafaye, Métamorphoses, 2 et 3, Paris, 1928-30 : R. Ehwald,P. Ovidius
Naso, III, Leipzig, 1904 ; J. André, Tristes, Paris, 1968)
Amours, I, 8, 4647, 132.
11,18,21,29,
111,4,23,
Art d'aimer, 1,475,
11,355,752.
III, 15-16, 132.
Héroïdes,\, 57 -58, 132.
Métamorphoses, VIII, 315,
XIII, 301,752.
XIII, 511-514,752.
XIV, 671,752.
Pontiques, III, 1, 107 et 113, 755.
IV, 16, 13,752.
Tristes, 1,6,22,755.
V, 5,4,4344,55,755.
V, 14, 35-36,755.
Pacuvius (E.H. Warmington,7?6>/,, II)
Niptra, 51-52, 101.
Palladas d'Alexandrie (H. Beckby, AG, III)
Anthologie palatine, IX, 166, 395, 755.
Parthénios (E. Martini, Mythographi graeci, II, 1, suppl Parthenius, Leipzig, 1902)
Erotica, 111,2,52,1 37 n. 6.
Pausanias (W.H.S. Jones, Pausanias, Description of Greece, II, III, IV, Londres, 1960-
1964)
Description de la Grèce, III, 12, 1, 4, 4, 272, 227 n. 17.
IU, 13, 6,
IU, 20,10,11,45, 136,205,270-277.
VIII, 12, 5-6, 38 n. 36, 198 n. 23, 223-224, 226.
IX, 41,5,
Phérécyde Fr. 128,54,
(F. Jacoby,
101,FGH,
208, I)tabl.
X, 30,1,
III.
Philargyrius (Explanatio in Bucolica Vergilii, in H. Hagen, Appendix Serviana, Servit
grammatici qui feruntur in Vergilii carmina commentarii, III, 2, 1887 ; réimp. Hildes-
heim, 1961)
Ad. Verg. Bue, II, 32, 755, tabl. IV.
Philo clés (Souda, s. v. Philo dès)
Pénélope, 49.
Philosthéphanos (K. Millier, FHG, III)
Fr. 38,707.
Philostrate l'Ancien (CL. Kayser, Imagines, Londres, 1960)
Eikones, II, 28, 81,767, 180.
Pindare (Br. Snell, Pindari carmina cum fragmenta, I vol. Leipzig, 1955 ; 2ème édition, 2
vol., Leipzig, 1959-1964)
Fr. 100,56, 191, 222, 223, tabl. IV.
Platon (M. Croiset, Platon, Oeuvres complètes, I, Paris, 1920) ; L. Robin, Oeuvres
complètes, IV, Paris, 1926)
Albiciade, 112 c, 64 n. 125.
Phédon, 84, 59.
Plaute (A. Ernout, Plaute, Comédies, VI, Paris, 1938)
Stichus, 2,101.
Plotin (E. Bréhier, Plotin, Ennéades, I, Paris, 1960)
Ennéades, 1,6,8,769.
Plutarque (F. Cole Babbitt,P/«ta/r/z'.s Moralia 14 vol. Londres, 1956-1969)
Bruta anim. rat. uti, 985 f ; 989, 757.
988 B, 989 B, 757.
Conj. praecepta, 140 F-141, 757.
De def. orac. 419 D, 225 n. 26, tabl. IV.
INDEX 263

De garrulitate, 506, 157.


De liberis educ, 7 D, 100.
Quaestiones convivales, VII, 706 D, 156.
Quaestiones graecae, n. 48, 209.
Quomodo adoL poet. aud. deb., 27 B-C, 157.
(B. Perrin, Plutarch's Lives, IX, Londres, 1959)
Vie de Démétrios, 25 , 1 01.
Plutarque (pseudo) (G.N. Bernadakis, Plutarchi Moralia, VII, Leipzig, 1896)
Vie et poésie d'Homère, 84, 168-169.
135,59,168-169.
185,168-169.
215, 168-169.
Porphyre (H. Schrader, Porphyri quaestionium homericarum ad Odysseam pertinentium,
Leipzig, 1890).
Quaest. ho m ad Od. pert.
1,262 ;IV, 1,
VII, 158, 169.
PriapéesG (F.7, 1,755.
Bucheler, Petronii satirae et liber Priapeorum, Berlin, 1895)
G 8, 27-38, 755.
Probus (H. Hagen, Appendix Serviana, Servit grammatici qui feruntur in Vergilii car mina
commentarii, III, 2, 1887 ;réimp. Hildesheim, 1961)
Ad Verg. Bue. II, 58, tabl. IV.
Properce (D. Paganelli, Pro perce, Elégies, Paris, 1961)
Elégies, II, 6, 23, 130, 140 n. 121.
II, 9, 3-8, 130.
III, 12, 23-38, 130, 140 n. 121.
111,13,10,24,750.
IV, 5, 7-8, 130.
IV, 138 n. 36
Pythagore (A. Westermann, Iamblichi et Porphyrii vitae Pythagore, Paris, 1850)
Jamblique, Vie de Pythagore, 57,36, 55.
Sénèque (L. Herrmann, Senèque, Les Troyennes, Paris, 1968 ; F. Prichac et H. Noblot,
Lettres à Lucilius, III, 1965)
Les Troyennes, 698-702, 134-135.
Lettre à Lucilius, 88, 8, 755.
Servius (G. Thilo et H. Hagen, Servit grammatici qui feruntur in Vergilii carmina
commentarii, I et III, 1881-1887 ;réimp. Hildesheim, 1961)
Comment, ad A en., II, 44, 755, tabl. IV.
Comment, ad Georg. I, 16, 755, 227 n. 30, tabl. IV.
Sophocle (A.C. Pearson, The fragments of Sophocle, 1917 ; réimp. Amsterdam, 1963)
Ulysse acanthoplex, Niptra, Ulysse mainomenos, Euryle, 38, 50-53, 57, 74, 187
n. 61, 164 n. 83.
La Souda (E. Bekker, Suidae lexicon, Berlin, 1854)
s. v. Penelopeia, 186.
Stace (M. Frère et H. J. Izaac, Stace, Sylves, I, Paris, 1944)
Sylves, ΠΙ, V, 6-10, 47, 755.
Stasinos (A. Severyns, Recherches sur la chrestomathie de Proclos, IV, Paris, 1963)
Les Chants Cypriens, 31, 32-33, 210, 234.
Stésichore (D.L. Fage, Poetae melici graeci, Oxford, 1962)
Fr. 32, 34, 35.
Stésimbrote de Thasos (F. Ollier, Xénophon, Oeuvres, IV, Paris, 1961)
Banquet, III, 6, 64 n. 114.
Strabon (H.L. Jones, Strabon, Geography, 8 vol., Londres, 1949-1959)
Géographie, VIII, 6, 5,
X, 2, 9, 32.
X, 2, 24, 32,205,206, tabl. III.
XIV, 1,23,89.
Théocrite (PH. E. Legrand, Les bucoliques grecs, I, Paris, 1960)
Syrinx, I, 97, 99, 122, 191, tabl. IV.
15, 97, 100, 191, 223, tabl. IV.
Théognis (J. Carrière, Théognis, Poèmes élégiaques, Paris, 1962)
Fr. 1123-1128,56.
264 INDEX

Théophylactos Simocatès (R. Hercher, EG)


Lettre 41, 184.
Lettre 82, 184.
Théopompe (J.M. Edmonds, AC, I)
Ulysse, fr. 33,55,57.
Pénélope, fr. 47-49, 55-56, 58.
Théo pompe de Chios (K. Millier, FHG, I)
Fr. 296,97.
Thesprotis (G. Kinkel, EGF)
Fr I (Pausanias, VIII, 12, 5) 38 n. 36.
Timésithéos (Souda, s. v. Timésithéos)
Les Prétendants, 62 n. 67.
Timéthéos (Etymologicum Magnum, s. v. Timéthéos)
Ulysse, n. 63 n. 99.
Tzetzès (Ed. Scheer, Lycophronis Alexandra, II, 1908 ;réimp. Berlin, 1958)
Ad Lyc. Alexandra, 772, 98 n. 8, tabl IV.
Virgile (pseudo) (Ch. Plésent, pseudo-Virgile, Culex, Paris, 1910)
Culex, 265-266, 133-134, 178.
INDEX 265

Π - Anonymes
1) Epigrammes
874. 1, G. Kaibel (Epigrammata graeca, 1878 ;réimp. Hildesheim, 1965) 168.
917.2, ibid., 167.
727, 4, W. Peek (Griechische Vers-Inschriften, I, Grab-Epigramme, Berlin, 1955), 167.
848, 2, ibid., 102.
1115,4, ibid., 167.
1735,2, ibid., 102.
1736,1, ibid., 167.
721, 4 L. Jalabert et R. Mouterde (Inscriptions grecques et latines de la Syrie, III, I,
Paris, 1950), 767.
532, 4, A. Rehm (Didyma II, Berlin, 1958), 102.
IG, V, 1,598, 9, 168.
IG, V, 1,607, 23-24, 167.
IG, XII, 5, 65, 3, 167.
IG, XII, 5, 66, 9, 167.
Anthologie palatine, IX, 816 (H. BeckbyMG, III), 179.
Anthologie palatine, XV, 8 (H. Beckby,ylG, IV), 767.
Anthologie grecque, XVI, 300, (ibid.), 189 p. 36.
2) Papyrus
Fr. 137, D.L. Page (Select papyri, III, Literary papyri, I, Poetry, Londres, 1950) 762.
Fr. 143 (ibid.) 183.
Papyrus d'Oslo, col. XII, 289 (S. Eitrem, Papyri Osloenses, I, Oslo, 1925) 183.
8, (W. Schubert, Griechische lit erarische Papyri, Berlin, 1950), 139 n. 118.
3) Scholies
Apollonios (H. Keil, Argonautica, Scholia vetera, Leipzig, 1854)
Argonaut. IV, 1561.
Euripide (Ed. Schwartz, Scholia in Euripidem, II, Berlin, 1891)
Rhésos, 36, tabl. IV.
Homère (G. Dindorf, Scholia graeca in Homeri Iliadem, 2 voL, Oxford, 1875 ; G. Din-
dorf, Scholia graeca in Homeri Odysseam, 2 vol. Oxford, 1855)
Iliade, XXIII, 162,240 n. 2.
Odyssée (1), 1,275,
1,277,
1,332,9.
IV, 297,228 n. 38.
IV, 797,15 n. 1, 229 n. 53, 240 n. 4.
XIV, 68,
XV, 16, 62 n. 70, 101 n. 57, 215 n. 16, 208 n. 56, 209, tabl. III.
XXIV, 118, 32,52.
Horace (F. Hanthal, Acronis et Porphyrionis commentarii in Q Horatium Flaccum, I
Berlin, 1864)
Od. IV, 9,9, 35.
Lucain (C. Wendel, Scholia in Lucani Bellum civile, Leipzig, 1914)
Bellum civile, ΠΙ, 402, 223 n. 30, 227 n. 3.
Lycophron (Ed. S cheer , Lyco ρ hron A lexandra, II, 1908 ;réimp. Berlin, 1958)
Alex. 112,223, tabl. IV.
792,206, 229 n. 53, 234 n. 19.
Oppien (U. Cats Bussemaker, Paris, 1849), Scholia et paraphrases in Nicandrum et
Oppianum,
Halieutica, III, 15, 16, tabl. IV.
Pindare (A.B. Drachmann, Scholia vetera in Pindari car mina, 2 vol., Leipzig, 1903-1910)
01. IX, 79 d, 229 n. 53, 234 n. 18.
Pyth. IV, 57.
Théocrite (Fr. Diibner, Scholia in Theocriti Idyllia, Paris, 1849 ; C. Wendel, Scholia
vetera in Theocritum, Leipzig, 1914).
Id., 1,3, 100 n. 35, tabl. IV.
Id., 1, 121, 100 n. 37, 223 n. 22, tabl. IV.
Id., VII, 109, 100 n. 35, 223 n. 20, tabl. IV.
Syrinx, 1/2 a, 100 n. 37, 223 n. 22, n. 30, tabl. IV.
266 INDEX

Virgile (H. Hagen, Scholia Bernensia ad Vergilii Bucolica et Georgica, Jahrbùcher fur
classische Philologie, fasc. 40, Leipzig, 1861-1867).
Eclog., II, 32,
Georg.,1, 17, 223 n. 30.
I, 18, 223 n. 23,tabl. IV.
(H. Hagen, Appendix Serviana)
Brevis exposito Verg. Georg., I, 17, 227 n. 30, tabl. IV.

(1) Pour les scholies à YOdyssée seules ont été retenues les principales références.
π
INDEX DES OEUVRES D'ART.
I - Représentations certaines (1)
Anneaux
Art Grec
Anneau d'or, New-York, collection Vellay, 79-80, 84, 116, 226, 242 n. 95.
Miroirs
Art étrusque
Miroirs, 7/6,118,121,192.
Miroir, Londres, British Muséum, 731, 117.
Miroir, Préneste, Musée, 1512, 118.
Miroir, Rome, Musée du Collège Romain, 117.
Miroir, Rome, Musée de la Villa Giulia, 17.028, 11 7.
Miroir, Rome, Musée de la Villa Giulia, 51.309, 117.
Miroir, ancienne collection Abbati, 777.
Miroir, ancienne collection Mazetti, 77 7.
Peintures
Art Grec
Tableau de Zeuxis, 81-82, 90, 121, 191.
Art romain
Fresques, 145.
Fresque de Pompéi, Naples, Musée National, 9107, 145.
Fresque de Pompéi, maison de L. Caecilius Jucundus, aujourd'hui disparue,
146.
Fresque de Pompéi, Macellum, 146.
Fresque, Rome, hypogée du viale Manzoni, 177-178, 192.
Plaques de terre cuite
Art grec
Reliefs méliens 69-72, 73, 77, 84, 109, 145, 147.
Plaque de terre cuite, Athènes, Musée National, 975 3, 70.
Plaque de terre cuite, Berlin, Antiquarium, 8757, 70.
Plaque de terre cuite, Berlin, Antiquarium, 8415, 72.
Plaque de terre cuite, Genève, Coll. Hirsch, 77.
Plaque de terre cuite, Munich, Antiquarium, 77.
Plaque de terre cuite, Paris, Louvre, C. 105 ; CA 860, 77-72.
Plaque de terre cuite, New-York, Metropolitan Muséum of Art, 25. 78. 26,
69, 70, 90.
Plaque de terre cuite, New-York, Metropolitan Muséum of Art, 30.11.9,
69, 70.
Art romain
Plaques de terre cuite, 83, 143-145, 179.
Plaque de terre cuite, Copenhague, Thorwaldsen Muséum 104, 144.
Plaque de terre cuite, Hanovre, Kestner Muséum, 144.
Plaque de terre cuite, Londres, British Muséum, D 609, 144.
Plaque de terre cuite, Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Médailles,
Plaque de terre cuite, Paris, Louvre, 237 - 238, 256.
Plaque de terre cuite, Rome, Bibliothèque Barberini, 144.
Plaque de terre cuite, Rome, Musée National, 765, 144.
Plaque de terre cuite, Rome, Musée National, 62.750-62.751, 143.
Plaque de terre cuite, Rome, Palais des Conservateurs, 144.
Plaque de terre cuite, anciennement collection Campana, 145.
Plaque de terre cuite, anciennement collection Dressel à Dresde, 145.
268 INDEX

Plaque de terre cuite, anciennement collection du Marquis de Rockingham,


144.
Statues et bas-reliefs
Art grec
Bas-relief, Athènes, Musée National, 1914, 90, 91.
Frise de l'hérôon de Golbaschi Trysa, Vienne, Kunshistorisches Muséum, 82 ·
«,90,121,191.
Statue deThrason, 82, 87 n. 46, 89 - 90, 91, 191, 226.
Art romain
Table odysséenne, dite table Tomasetti, 149.
Urnes
Art étrusque
Urnes, 118-122,192.
Urne, Leyde H. III 119.
Urne, Florence, Musée Archéologique, 119.
Urne, Volt erra, Musée Etrusque, 514, 80, 119.
Urne, Volterra, Musée Etrusque, 554, 80, 119.
Vases
Art byzantin
Plat d'Euboulos, 179.
Art étrusque
Stamnos, Musée de Parme, 115-116, 121, 192.
Art grec
Skyphos, Chiusi, Musée National Etrusque, 1831, 51, 52, ?.?. 82, 91, 112
n. 27.
Amphore, Gênes, 91.
Péliké, Rhodes, Musée, 14-174, 91.
Cratère à colonnes, Syracuse, Musée, 2408, 80, 84, 107, 122.
Vase à reliefs provenant de Thèbes, 707, 122.

II - Représentations probables
Bas-relief
Art romain
Table Sarti, 149.
Gemme
Art étrusque
Gemme, Londres, British Muséum, 657, 116.
Peintures
Art grec
Peinture de Polygnote, Platées, temple d'Athéna Areia, 80-81, 84, 88
n. 102, 151 n. 29.
Art romain
Peinture, Corinthe, peribole du temple d'Apollon, 147 - 148.
Terre cuite
Art grec
Bobine, Collection Feuardent frères, 72.
Vases
Art grec
Cratère, Musée du Louvre, Campana, 11.260, 44 - 45, 218 n. 107.
INDEX 269

III - Représentations douteuses ou à rejeter


Anneaux
Art grec
Anneau d'or, Berlin, 293, 79.
Anneau d'or, Leningrad, Musée de l'Ermitage, 239, 78.
Anneau d'or, Leningrad, Musée de l'Ermitage, 239 F, 78.
Anneau d'or, Leningrad, Musée de l'Ermitage, 252 C, 78.
Anneau d'or, Londres, British Muséum, 67.5. 8402, 78.
Anneau de bronze, Munich, A 2565, 79.
Anneau d'or, Paris, Cabinet des Médailles, collection de Luynes, 515, 78, 79.
Art grec et italique
Cornaline, Bonn, Collection Mertens - Schaffausen, 108, 147.
Pâte de verre, Berlin, Antiquarium, 1 382, 108, 147.
Chalcédoine, Genève, 2750, 108, 147.
Pâte de verre, Collection Robinson, 108, 147.
Miroirs
Art grec
Miroir corinthien, 11 1 n. 25.
Manche de miroir provenant de Vizzini, 109 - 110.
Peintures
, Art romain
Fresque de Pompéi, 747.
Fresque de Stables, 147.
Statues
Art grec
Tête, Berlin, K. 165, 76.
Statuette de terre cuite, Francfort s/Main, Liebig Ha us, 468, 76, 77, 148.
Statue, Rome, Vatican, Galerie des statues, 754, 75, 77, 145, 148.
Haut-relief, Rome, Vatican, Musée Chiaramonti, 1558, 75-76, 77, 145, 148.
Statue, Rome, Musée des Conservateurs, 983, 76, 77, 145, 148.
Tête, Rome, Musée National, 76, 77, 148.
Statue de Persépolis, Musée de Téhéran, 74-75, 77, 148.
Art romain
Statue, Madrid, Musée du Prado, 148.
Groupe de Stéphanos, Naples, Musée National, 112n.27
Copies romaines des statues grecques du Ve siècle avant J.C., 148-149.
Apothéose d'Homère,
Urnes
Art étrusque
Urne, Chiusi, 529, 120.
Urne, Pérouse, Musée archéologique, 403, 120-121.
Urne, Pérouse, Musée archéologique, 404, 121.
Vases
Art grec
Skyphos, Baltimore, collection Robinson, 84.
Oenochoé, Berlin, Musée n. 910, 193 n. 1.
Hydrie, Naples, Musée National, 2899, 93 n. 25.
Oenoché, Tarente, Musée, 54.724, 94 n. 26.
Amphores de Nola aujourd'hui disparues, 85.
Péliké, Vases peints de Mr de Magnoncourt n. 42, par J. de Witte, 193 n. 1.
151 n. 44.

(1) A l'intérieur de trois grands groupes, représentations certaines, probables et


douteuses, les différentes catégories d'oeuvres ont été classées par ordre alphabétique.
Dans chaque catégorie, le même ordre a été suivi pour les lieux de conservation
quand ils étaient connus.
III
INDEX des noms de dieux et de héros de légende (1)
. Achille, 7, 8, 12, 13, 38 n. 36, 134, 148, 158, 170, 184, 228 n. 39.
.Admète, 130,133,183.
. Adraste, 33.
. Adonis, 79.
. Aégialée, 33, 99.
. Aéole, 208, 209, 215 n. 12, tabL II.
. Aéropé, 156.
. Agamemnon, 13, 14, 15, 18 n. 108, 23, 26 n. 25, 31, 32, 36, 52, 61 n. 2, 76, 84,
156,158.
.Agni, 198,235,243 η. 102.
. Aidôs, 45, 75, 77, 86 n. 30, 136, 210, 212, 217 n. 92, 226, 238.
. Aither, 229.
. Aithon, 62 n. 67.
. Aithra, 210.
. Ajax, 52, 158.
. Alceste, 58, 134, 139 n. 95, n. 121 ; 161, 167.
.Alcmène, 24, 63 n. 95.
. Alcméon, 32, 43.
. Alétès, 216 n. 62, tabL I, III.
. Alexandra-Cassandre, 99, 158.
. Alkinoos, 7, 8, 21, 23, 43, 57, 93 n. 25, 111 n. 26, 116, 155, 161, 170, 198, 208.
. Alphée, 209, 228 n. 38, tabl. III.
. Alyzéos, 32, 206, tabL III.
. Amasichos, 216 n. 61.
. Ameiraké, 1 37 n. 6 , 229 n. 5 3.
. Amphiaros, 32, 43.
. Amphimédon, 15, 31.
. Amphinomos, 38 n. 36, 162, 186, 187.
. Amphitryon, 63 n. 95.
272 INDEX

. Amyclas, 215 η. 12, tabl. Ι, Π.


. Anchise, 147, 228 η. 38.
. Andxomaque, 43,134.
. Anios, 241 n. 52.
.Antée, 218 n. 119.
. Anténor, 81.
.Anticleia, 7,22,53,81.
. Antigone, 52.
. Antinoé (servante de Pénélope) , 213.
. Antinoé-Autonoé (fille de Céphée) , 224, 228 n. 5 2.
. Antinoos, 8, 9, 10, 15, 17 n. 69, 24, 80, 88 n, 105, 130, 156, 162, 187, 207.
. Antinous, 228.
.Antiphata, 51,91.
. Apharée, tabl. I, II.
. Aphrodite-Vénus, 15, 33, 35, 69, 75, 79, 99, 117, 118, 147, 159, 239, 248 n. 1.
. ApoUon, 13, 55, 81, 147, 148, 150 n. 21, 191, 212, 222, 223, 226, 227 n. 29, 30, 32,
76 ; 241 n. 69, tabl. IV.
(Phoikos), 242 n. 95.
.Arcas, 238,242 η. 93.
.Arcésilas, 33,205.
. Argalos, tabl. II.
.Arété, 8, 21, 23, 93 n. 25, 159, 171.
.Ariane, 81, 128, 212, 248 n. 3.
. Arnaia-Arnéa, 224, 229 n. 53.
.Arnakia, 137 n. 6, 229 n. 53.
. Artémis-Diane, 69, 82, 147, 150 n. 17, 170, 212, 226, 237, 238, 248 n. 1.
(Agrôtera) 226.
(Héméra) 226.
(Heurippa) 225.
(Kallisté) 222.
(Limnaia) 237.
(Orthia) 31,168,236,237,238.
(Ortygia) 236.
(Verticordia) 135.
. Astérodéia, 208, 242 n. 95 , tabl. III, V.
.Astyanax, 43,134,135.
. Athéna-Minerve, 8, 9, 10, 11, 14, 15, 22, 24, 25, 26 n. 15, 34,44,56,69,70,72,81,
84,91,102,136,151 n. 29,158, 167,225.
INDEX 273

.Atlas, 167,169,208,tabl. I.
. Aulétès, 216 n. 61.
. Autolykos, 24, 123 n. 27, 225, 240 n. 38.
.Automedon, 12.
. Bâtie, tabl. I.
. Bellerophon, 44, 69.
.Briséis, 170.
.Callidicé, 33, 38 n. 36, 51.
. Callisto, 222, 228 n. 40.
. Calypso, 7, 9, 17 n. 74, 40 n. 76, 44, 46 n. 25, 55, 58, 93 n. 25, 94 n. 26, 108, 109,
111 n. 19, 121, 127, 147, 159, 169, 225.
. Castor, tabl. I.
.Céléano, 208, tabl. III.
.Charybde, 44,171.
. Circé, 7, 33, 35, 40 n. 76, 43, 44, 49, 51, 80, 99, 115, 116, 131, 135, 151 n. 51, 157,
185,186,225,229 η. 62,236.
. Clytemnestre, 7, 13, 14, 18 n. 108, 33, 38 n. 35, 53, 54, 56, 58, 97, 116, 156, 160,
209, tabl. I.
. Comètes, 33.
.Creuse, 83.
.Cronos, 50,224.
.Cybèle, 135.
. Cynortas, 215 n. 12, tabl. I, II.
.Dactyles, 184,213.
. Damasippos, 216 n. 62, tabl. I, III.
. Danaïdes, 227 n. 17.
.Danaos, 212,227 η. 17.
. Déidamie, 184.
. Déjanire, 52.
.Déméter, 200 n. 24, 224, 225, 236.
(Chamyné), 213.
. Dioclès, 209.
. Diomède, 33, 34, 93 n. 25, 99, 156, tabl. I.
. Dionysos, 56, 103 n. 27, 185, 212, 229 n. 61, 248 n. 3.
274 INDEX

.Dioscures, 129,206,208,209,213,217 η. 87, 218 η. 131.


. Dolios, 24.
.Dolon, 93 η. 25.
. Dorodoché, 209, 228 η. 38, tabl. III.
. Dryops (fille de), 222, 225.
. Échénéos, 21.
.Écho, 100.
.Egisthe, 14,27 n. 53, 33.
. Electre, 50, 53, 76, 77, 87 n. 43, 112 n. 27.
. Enée, 99, 222.
. Enkidu, 198.
. Epicaste, 61 n. 36.
. Eriphyle, 43.
.Eros, 35, 82.
. Eumée, 9, 11, 13, 21, 22, 40 n. 75, 71, 83, 156, 186, 225, 229 n. 63.
.Eumétos, 208, 215 n. 1.
.Eurotas, 205, tabl. II.
.Euryale, 52, 53, 62 n. 49.
. Euryclée, 12, 13, 21, 22, 51, 69, 70, 72, 84, 87 n. 46, 89, 90, 91, 107, 115, 123
n. 37, 143, 146, 147, 157, 179, 215 n. 32.
. Eurydamas, 80.
.Eurydice, 83,134.
. Eurymaque, 11, 17 n. 70, 23, 24, 80, 82, 207, 242 n. 86.
.Eurypyle, 208, tabl. III.
. Eurynomé, 22, 150 n. 11.
.Evadné, 130, 139 n. 121, 183.
. Evandre, 222.
.Evippé, 52, 137 n. 6.
. Gorgophone, tabl. I, II.
.Hadès, 14,22,36,212.
. Hécate, 90.
.Hector, 13,43,49,81,134.
.Hécube, 54, 132, 139 n. 121.
INDEX 275

. Hélène, 8, 15, 18 η. 113, 22, 23, 31, 34, 35, 45, 54, 58, 62 η. 67, 81, 82, 83, 84, 97,
98, 101, 116, 117, 129, 139 η. 118, 147, 150 η. 19, 157, 158, 160, 168,
185, 198, 206, 209, 210, 211, 213, 214, 217 η. 85, 87, 88, 89, 98 ; 218 η.
112, 131 ; 234, 236, 237, 238, 239, 243 η. 109, 245, 246, 248 η. 1, tabL Ι,
Π, V.
.Hélénos, 81,171.
. Hélios, 238, 239, 242 η. 95, 243 η. 109, tabL III, V.
. Hellen, 208.
.Hephaistos, 13,121.
.Héra, 159,248 η. 2.
(Lakinia), 82.
. Héraclès-Hercule, 43, 58, 63 η. 95, 116, 135, 170, 206.
. Hercyna, 83.
. Hermès-Mercuie, 24, 44, 45, 56, 88 n. 121, 94 n. 26, 100, 127, 139 n. 121, 151 n.39,
160, 185, 186, 191, 192, 193 n. 1, 208, 222, 223, 224, 225, 226,
229 n. 58, 63, 75 ; 236, 242 n. 95, tabl. IV.
. Hermione, tabl. II.
. Hilaira, 237.
.Hippodamie, 213, 218 n. 119.
. Hippodamie (servante de Pénélope) , 21 3.
. Hippokoon, 206, tabl. I, IL
. Hyacinthe, 228 n. 40.
. Hyakinthos, tabl. I, IL
. Hypsipyle (sœur de Pénélope), 215 n. 6, 216 n. 61, tabl. III.
. Icare, 14, 21, 32, 34, 45, 130, 136, 139 n. 121, 170, 186, 198, 205, 206, 208, 209,
210,211,213, 215 n. 12, 16, 30 ; 218 n. 116, 225, 234, 238, 245, tabl. I, II,
III, V.
. Idoménée, 33.
.Idothée, 11.
. Ino-Leucothéa, 211,217 η. 98.
. Imeusimos, 216 n. 62, tabl. I, III.
.Iphtimé, 22, 208, 215 n. 1.
.Iros, 115.
. Isis, 183,198.
. Ismène, 52.
.Italus, 136,192.
. Jason, 100.
276 INDEX

. Jocaste, 61 η. 36.
. Koré-Perséphone, 77, 134, 212, 212 η. 112, 224.
. Lacédémon, 226.
. Ladas, 226.
. Laërte, 7, 10, 15, 22, 24, 54, 63 n. 99, 71, 101, 135, 209, 215 n. 32, 233, 240 n. 12.
. Laodamie, 128, 133, 139 n. 121, 161, 183.
. Laodamie (sœur de Pénélope), tabl. III.
. Latinos-Latinus, 99,136.
. Lçda, 206,237,243 η. 109, tabl. I.
. Léda (fille de Thestios) , 208.
. Lélex, tabl. II.
.Léto, 212,241η. 51.
. Leucadios, 32, 206, tabl. III.
. Leucippe, tabl. I, II.
. Leucos, 33.
. Loki, 240 n.^8.
. Lucrèce, 183.
. Lycaon, 222, 225.
.Lygaios, 206, tabl. ΙΠ.
.Maéra, 81.
.Maïa, 223.
. Marsyas, 82. * - -
.Méda, 33.
.Médée, 57,148.
. Médée (sœur de Pénélope), 215 n. 6, 216 n. 61, tabl. III.
. Médon, 8, 24.
. Méduse, 69.
. Mélanippe, 53.
. Mélanthios, 7.
.Mêlant ho, 24,55.
.Mégare, 135.
. Méléagre, 238.
INDEX 277

. Ménélas, 8, 9, 11, 13, 14, 15, 22, 31, 34, 52, 54, 82, 84, 196, 205, 210, 213, 215
η. 16,217 η. 85,245,tabl. Π.
. Minos, 62 η. 67.
. Mycène, 24.
. Myles, tabl. II.
.Myrtilos, 213.
. Nauplios, 33, 50, 53, 93 n. 14, 137 n. 6, 234.
. Nausicaa, 17 n. 74, 26 n. 30, 51, 73, 86 n. 1, 93 n. 25, 161, 183, 198, 248 n. 1.
.Némésis, 136, 237, 242 n. 71.
. Néoptolème, 38 n. 36, 52, 228 n. 39.
.Nestor, 11, 14, 25, 26 n. 15, 31, 34.
.Niké, 77.
. Oebalos, 215 n. 1 3, tabl. I, II, V.
.Oedipe, 52.
.Oenomaos, 213, 218 n. 119.
. Oenone, 147.
. Oinoé, 222.
. Ophis, 224, 228 n. 48.
. Oreste, 50, 53, 54, 76, 112 n. 27, 170, 209, tabl. II.
.Orphée, 83,134.
. Orthia-Orthria, 236, 237, 238, 243 n. 102.
. Ortitoque-Orsiloque, 209, tabl. III.
.Osiris, 183,198.
. Palamède, 31, 32, 33, 53, 54, 93 n. 14, 97, 137 n. 6, 234.
. Pan, 56, 82, 98, 99, 100, 102, 103 n. 41, 111 n. 25, 127, 131, 139 n. 121, 160, 185,
186, 191 , 197, 198, 222, 223, 227 n. 29, 30 ; 228 n. 34, 35 ; 233, 238, tabl. IV.
. Paris, 18 n. 113, 84, 116, 118, 139 n. 118, 147, 150 n. 19, 157, 210, 217 n. 88, 98,
tabl. V.
.Patrocle, 12,13.
.Pélargé, 236.
.Pélops, 213.
.Périboé, 208, 209, tabl. I, III.
. Périérès, 205, 208, 215 n. 12, tabl. I, H, V.
.PériJaos, 209, 216 n. 61, 216 n. 62, tabl. I, II, III.
278 INDEX

. Périthoiis, 217 η. 87, 218 η. 112.


.Persée, 44, 69, 184, tabl. Ι, Π.
. Perséphone, 77, 134.
. Phaéton, 238.
. Phaléréo s, 2 1 6 n. 6 1 , tabl. III.
.Phèdre, 53,55.
. Phémios, 11.
. Phérémmélias, 216 n. 61, tabl. III.
.Philoctète, 51,52,79.
. Philonoé, tabl. I.
. Phoibé, 237.
. Pirithous, 210.
. Pisandros, 80.
. Pisistrate, 22.
. Pitthéos, 21.
. Pléione, 208, tabl. I.
. Polipoétès, 38 n. 36.
, Pollux, tabl. I.
. Polycaste, 186, 206, tabl. III.
. Polycaste, (fille de Nestor), 215 n. 37. 34, 215 n. 37.
. Polydora, 55.
. Polykaon, tabl. II.
.Polyphème, 23,44, 55, 93 n. 25, 99.
. Polyxène, 1 34.
. Poséidon, 59, 74, 208, 224, 225 tabl. III.
(Hippios), 224.
. Priam, 109.
. Prométhée, 50.
.Prothée, 11,14,49.
. Protésilas, 128,161.
. Ptoliporthès, 38 n. 36, 161.
.Pylade, 75.
. Rhéa, 222, 224.
INDEX 279

. Romulus, 129.
. Scylla, 171.
.Séléné, 111 n. 25,239.
. Sémélé, 56.
. Sémos, 216 n. 61.
.Silène, 111 n. 25.
. Sinouhé, 198.
.Sirènes, 44,118,184.
.Sisyphe, 50,54,148.
. Sparte, 205, tabl. II.
. Stéropé, 242 n. 95 , tabl. III.
. Taygète, 208, tabl. I, II.
. Tecmessa, 52.
. Télégonos, 33, 50,51, 57, 62 n. 67, 99, 104 n. 55, 133, 136, 185.
. Télémaque, 7, 9, 10, 11, 12, 13,14, 17 n. 69,70 ; 21, 22, 25, 26 n. 15, 31,32, 33,
34, 43, 51, 62 n. 49, 70, 71, 73, 74, 80, 82, 83, 84, 85, 93 n. 14, 112
27, 123 n. 22, 128, 136, 137 n. 17, 149, 151 n. 44, 156, 157, 161, 162,
179, 185, 199 n. 17, 205, 206, 209, 211, 213, 215 n. 16.
.Théano, 159.
.Thémis, 148.
. Theoclymene, 9 , 1 3, 1 7 n. 7 1 .
.Théonoé, 139 n. 121.
. Thésée, 45,56, 93 n. 93, 133, 209, 210, 212, 217 n. 87, 218 η. 112,239,248 η. 3,
tabl. V.
. Thestios, 208.
. Thestor, 208.
.Thétis, 13,106.
. Thoas, 206, 216 n. 62, tabl. I, III.
.Thoon, 216 n. 61, tabl. III.
. Thymbris, 222.
. Timandre, tabl. I.
.Tirésias, 49, 74, 94 n. 25, 131.
.Tityos, 212.
. Trophonios, 85.
280 INDEX

Tyndare, 14, 53, 54, 205, 206, 208, 209, 210, 212, 214,215 η. 16, 30 ;216n. 70,
88 ;238,245,tabLI, II, V.
Tyrimas, 52,137.
Tyro, 24.
Zeus-Jupiter, 14, 50, 54, 63 n. 95, 84, 101, 206, 208, 213, 222, 223, 225, 237, 242
n. 71,248 n. 2, tabl. I, II.

(1) Sont exclus de cet index les noms de Pénélope et d'Ulysse qui reviennent à chaque
page.
TABLE DES PLANCHES
Planches
I (1) Divinités en char. Enlèvement de Pénélope? Musée du Louvre, Campana
11.260. (Phot. Chuzeville).
(2) Pénélope sur un anneau d'or. New-York, collection Vellay. (Phot. R.L.
Wilkins, aimablement communiquée par J. Boardman, qui l'a publiée dans Greek gems
and finger rings, pi. 656).
II Le retour d'Ulysse et sa rencontre avec Pénélope. New-York, The Metropolitan
Muséum of Art, 30.11.9. Fletcher Fund, 1930. (Phot Musée).
ΠΙ Femme assise. Statue de Persépolis. Musée archéologique de Téhéran. (Phot. CL
Gaspari, aimablement communiquée par la fondation Maeght, St Paul de Vence,
Exposition A. Malraux, 1973).
IV Femme affligée. Statuette de terre cuite. Francfort s/Main, Liebjghaus, 468
(Phot. Musée).
V (1) Le lavement de pieds d'Ulysse. Bas-Relief de Gomphoi. Athènes, Musée
National, 1914. (D'après H. Biesantz, Die thessalischen Grabreliefs, pL 80).
(2) Ulysse et Pénélope (?). Pâte de verre. Genève, Musée d'Art et d'Histoire,
Collection Fol, 2750. (Phot. d'après moulage pour lequel nous remercions MX. Vollen-
weider, Conservateur).
VI Le lavement de pieds d'Ulysse. Péliké. Musée de Rhodes, 14-174. (Phot. Musée
pour laquelle nous remercions Gr. Konstantinopoulos, conservateur du Musée de
Rhodes).
VII Ulysse et Pénélope. Stamnos. Musée de Parme, C 61. (Phot. Tossi).
VIII Ulysse et Pénélope. Miroir étrusque. Rome, Musée de la Villa Giulia, 17.028.
(Phot. Soprintendenza aÛe Antichità dell'Ètruria Méridionale).
DC Pénélope assistant au festin des prétendants. Volterra, Musée Etrusque, 514.
(Phot. Dainelli).
X Pénélope et les servantes. Le lavement de pieds d'Ulysse. Plaque de terre cuite.
Rome, Musée National, 62750. 62751. (Phot. Soprintendenza aile Antichità di Roma).
XI Le retour d'Ulysse, Pompéi, Macellum. (Cl. auteur).
XII Ulysse, Pénélope et trois prétendants à Ithaque. Fresque du viale Manzoni à
Rome. (D'après G. Bendinelli, «II monumento sepolcrale degli Aureli», Monumenti
Antichi, XXVIII, 1922-1923, pL XIII ; phot. Bibl. Nat).
XIII Tombeau de Pénélope vu du site de Mantinée» (Cl. auteur).
TABLE DES TABLEAUX

Tableaux

I. - Généalogie de Pénélope d'après Apollodore 204

Π. - Généalogie de Pénélope d'après Pausanias, 205

III. - Les mères de Pénélope, „ 207

IV. - Pénélope, mère de Pan, 222

V. - Pénélope et Hélène, 247


TABLE DES ΜΑΉΕΚΕΞ

Avant propos
Introduction » 3

I - LA LÉGENDE.

Chapitre premier - L'ambiguïté de la légende homérique 5


Première partie - Une fidélité équivoque 7
Deuxième partie - Une sagesse stérile 21

Chapitre II - L'appauvrissement de la légende à l'époque archaïque 29

Chapitre III - Pénélope et l'art archaïque 41


Appendice <44

Chapitre IV - La dramatisation delà légende à l'époque classique. . „ 47

Chapitre V - Pénélope dans l'art classique 67


Première partie - Le Ve siècle 69
I - Une souffrance solitaire 69
II - Une majesté sereine . 79
Appendice 84
Deuxième partie - Le IVe siècle „ 89

Chapitre VI - Le dualisme de la légende à l'époque hellénistique et au début de


l'époque romaine 95

Chapitre VII - Pénélope dans l'art de l'époque hellénistique et du début de l'époque


romaine 105

Chapitre VIII - Pénélope dans l'art étrusque „ 113

Chapitre DC - L'héroïsation de Pénélope à la fin de la République et au début de


l'époque impériale 125
284 M.-M MACTOUX

Chapitre X - Pénélope dans l'art romain de l'époque d'Auguste à la fin du 1er

siècle 141
Chapitre XI - Une tentative de démystification 15 3

Chapitre XII - L'interprétation mystique de la légende 165

Chapitre XIII - Pénélope dans l'art romain tardif et l'art byzantin 175

Chapitre XIV - Le crépuscule de la légende 181

Conclusion 191

II - LE MYTHE.

Introduction 197

Chapitre I - La cousine d'Hélène 201

Chapitre II - La mère de Pan 219

Chapitre III - L'héritière de la sarcelle 231

Conclusion 245

Planches - Hors texte - après 248

Abréviations 249

Bibliographie
- 1 - La légende dans la littérature 251
- II - La légende dans les documents figurés 252
- III - Étude du mythe 253

Index
-I - Index des auteurs et anonymes ayant parlé de Pénélope. . . . 257
- II - Index des œuvres d'art 267
- III - Index des noms de dieux et de héros de légende 271

Table des planches 281

Table des tableaux 282

Table des matières 283


ANNALES LITTÉRAIRES DE L'UNIVERSITÉ DE BESANCON

CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE ANCIENNE

1. R. Lonis. Les usages de la guerre entre Grecs et Barbares des guerres médiques au
milieu du IVe avant J.-C, 1969 (volume 104).
2. M. Clavel. Beziers et son territoire dans l'Antiquité, 1970 (volume 112).
3. D. Roussel. Les Siciliens entre les Romains et les Carthaginois à l'époque de la
première guerre punique. Essai sur l'histoire de la Sicile de 276 à 241, 1970
(volume 114).
4. Actes du colloque d'histoire sociale 1970, 1972 (volume 128).
5. J.-B. Colbert de Beaulieu. Traité de numismatique celtique, I, 1973 (volume
135).
6. Actes du colloque 1971 sur l'esclavage, 1973 (volume 140).
7. P. Lévêque et P. Vidal-Naquet, Clisthène l'Athénien, 2e éd., 1973 (volume 65).
8. J. Annequin. Recherches sur l'action magique et ses représentations, 1973
(volume 146).
9. G. Boulvert. Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain, 1974
(volume 151).
10. P. Briant. Antigone le Borgne, 1973 (volume 152).
11. Actes du colloque 1972 sur l'esclavage, 1974 (volume 163).
12. Dialogues d'histoire ancienne. 1, 1974 (volume 166).
13. A. Wasovicz. Olbia pontique et son territoire, 1975 (volume 168).
14. J.-G. Texier. Nabis, 1975 (volume 169).
15. M. Gitton. L'épouse du Dieu Ahmes Néfertary, 1975 (volume 172).

Vous aimerez peut-être aussi