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“Le 1er Novembre, c’est moi”, s’est écriée une haute personnalité nationale peu avant sa mort
(Allah Yerhmou). “Dans la nuit du 1er novembre, les hommes de Ben Boulaïd portaient à leur
poitrine un écusson à l’effigie de Messali.” “Krim Belkacem a fait le 1er Novembre au nom de
Messali”, jurait une escouade de nostalgiques en quête de réhabilitation.
Lire et entendre pareils mensonges n’a pas dérangé la conscience des nombreuses instances et organisations
en charge de l’Histoire et de la mémoire. Elles n’ont pas daigné intervenir, comme elles en ont le devoir, pour
balayer ces balivernes, dénoncer les impostures et rétablir les faits afin d’éviter à des générations de jeunes de
douter, de se poser la question légitime : “Qui croire et que croire ?” Les acteurs de la guerre de libération
encore en vie, n’ont pas, eux aussi, réagi, vraisemblablement par pudeur, mais aussi par lassitude, face à tant
de tricheurs et de faussaires.
L’immense Didouche Mourad, l’un des artisans, l’un des précurseurs du 1er Novembre, mort à moins de 28 ans,
le 16 janvier 1955, moins de trois mois après le déclenchement de la guerre, avait exprimé un seul et unique
souhait : “Si nous devons mourir, défendez nos mémoires.” C’est ce devoir de témoignage et l’immense respect
que je voue à mes aînés, ceux qui ont ouvert et indiqué la voie à suivre pour libérer notre pays, qui m’ont incité
à produire le présent écrit.
A l’occasion du 60e anniversaire du 1er Novembre, célébré en 2014, j’ai eu l’honneur de relater, lors d’une
conférence dédiée à cet évènement, les préparatifs du 1er Novembre 1954 et de citer les vrais noms de ses
auteurs et acteurs. Depuis, d’autres lectures, d’autres témoignages rapportés par de vieux militants sont venus
compléter mes connaissances sur la question. Je me garde d’affirmer que tout y est et que tout est dit. Au
contraire, mon souhait est que des historiens, de jeunes chercheurs s’intéressent davantage à cet évènement
grandiose afin d’enrichir, par leurs analyses et les fruits de leurs recherches, nos connaissances sur cet
évènement majeur. Que la vraie Histoire, la grande Histoire de notre Révolution, soit connue et rapportée, avant
tout, par les Algériens, sans falsification des faits et sans usurpation des rôles.
De gauche à droite, Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf.
©D. R.
La naissance du CRUA
C’est dans cette situation que naquit la nouvelle organisation : le CRUA (Comité révolutionnaire pour l’unité et
l’action). Il fut l’œuvre de Boudiaf accompagné de Ben Boulaïd. Le CRUA fut créé le 23 mars 1954, à la médersa
El-Rachad, à la Casbah (Djamaâ El Yhoud). Firent aussi partie du CRUA deux membres du comité central du
parti, Dekhli Mohamed (Bachir), responsable de l’organisation, et Bouchebouba Ramdane, alias Si Moussa,
contrôleur général du parti, pour que le CRUA puisse bénéficier des moyens matériels du parti, des finances et
fichiers des militants, notamment les coordonnées des activistes. La réunion du 23 mars fut précédée par une
rencontre au domicile de Hocine Lahouel, réunion qui regroupa Lahouel, Sid Ali Abdelhamid, tous deux du
comité central, Boudiaf et Ben Boulaïd. Lahouel encouragea l’initiative des deux activistes, et c’est sûrement lui
aussi qui suggéra l’inclusion au sein du comité de Dekhli et Bouchebouba. Ces deux membres quittèrent le
CRUA peu de temps après. L’objectif du CRUA fut d’amener les deux clans du parti à dépasser leurs différends,
de retrouver l’unité pour passer à l’action. Fin mai-début juin, Mustapha Ben Boulaïd accompagné de Didouche
Mourad et de Hachemi Hammoud se rendirent chez Messali. Ils l’informèrent de leur intention de préparer le
déclenchement de l’action armée, précisant que leur mouvement se compose de jeunes. Ils suggérèrent à
Messali de mettre de l’ordre dans le parti (il était question, en effet, de tenir le congrès en juillet 1954). Ils lui
proposèrent, avec insistance, d’être le leader de leur action. Messali affirma son intention d’épurer le parti, sans
attendre, mais rejeta toute idée de passer à l’action armée : “Je n’ai encore rien décidé, ce n’est pas des jeunots
qui vont m’indiquer ce que je dois faire…” Le “zaïm” fut irrité que des jeunes aient osé décider de lancer la lutte
armée, à son insu, alors qu’une telle décision ne pouvait être prise que par lui. Il les a éconduits en les traitant
d’aventuriers. À l’issue de l’entrevue, ils retournèrent au café Lutèce (boulevard Saint Michel, à Paris) où les
attendait Omar Bendaoud, membre de l’OS et futur chef de la Fédération de France du FLN. Hachemi Hammoud
était en colère : “Boulahya ne veut pas entendre raison. Je ne vois pas de solution, Omar. Je retourne au bled, je
vends mes vaches, mes chèvres et je prends la route du Cham ou du Caire.” Didouche le reprit et lâcha : “Tu
n’iras nulle part. Nous rentrons à Alger. Nous allumerons la mèche. Ils seront tous emmenés en prison.”
À Alger, les responsables du CRUA conclurent que les deux camps ne pouvaient pas se réconcilier. Que chacun
d’eux se préparait à organiser son Congrès, séparément. Ils décidèrent donc de convoquer une réunion des
anciens membres de l’OS.
La réunion des “22”
La réunion eut lieu le 23 juin 1954, à Alger, dans la villa de Lyes Derriche, au quartier de Clos Salembier
(actuellement El-Madania). C’est Zoubir Bouadjadj, à la demande de Didouche Mourad, qui proposa la demeure
du militant Lyes Derriche. Les participants, dont certains arrivèrent la veille, furent effectivement au nombre de
“22”, y compris Derriche qui faisait le guet. C’est la réunion du groupe des “22”. Mustapha Ben Boulaïd présida
la réunion. Il avait à ses côtés quatre autres responsables du CRUA (groupe des 5, devenu en septembre groupe
des 6 avec l’intégration de Krim) : Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche, Bitat, Larbi Ben M’hidi. Boudiaf intervient en
premier. Il présenta le rapport, élaboré au cours des réunions préparatoires par tout le groupe, relayé de temps
à autre par Ben M’hidi et Didouche. Boudiaf fit l’historique des évènements depuis l’OS, décrivit la situation du
mouvement national, la position de la direction du parti, celle du CRUA et, notamment, ses rapports avec les
centralistes. Il regretta l’absence des “frères de Kabylie encore sous obédience Messaliste et des camarades qui
végètent en prison” et il posa, en conclusion, à ces anciens de l’OS, la question principale : faut-il décider le
principe de déclenchement de la lutte armée au plus tôt ou attendre que les conditions et les moyens de
l’action soient mieux réunis ? Il y eut un intense débat, où deux points de vue s’affrontèrent : les uns
proposèrent le passage immédiat à l’action, d’autres suggérèrent que le moment était prématuré, sans
toutefois rejeter l’option de la lutte armée. La discussion dura tout l’après-midi. Les débats furent vifs.
L’intervention émouvante de Souidani Boudjemâa, les larmes aux yeux, en faveur d’un déclenchement
immédiat de la lutte armée, fut décisive. Il déclara : “Oui ou non sommes-nous des révolutionnaires ? Alors
qu’attendons-nous pour faire cette révolution si nous sommes sincères avec nous-mêmes ?”
La motion adoptée par les “22” décida “le déclenchement de l’insurrection armée, seul moyen pour dépasser
les luttes intestines et libérer l’Algérie”. Mais d’autres évènements ont sûrement pesé dans la décision des “22”
de passer immédiatement à la lutte armée avec les moyens de bord. Dans les pays voisins, les nationalistes
tunisiens avaient pris le maquis en janvier 1952, et au Maroc, les nationalistes, notamment à Casablanca,
avaient entrepris la lutte dès la déposition du Sultan en août 1953. Un autre évènement eut un impact
important, c’est le changement de régime en Égypte avec l’arrivée au pouvoir, en juillet 1952, des Officiers
Libres et de Jamal Abdel Nasser. Nasser avait affiché son soutien au combat anti-impérialiste et son
panarabisme.
Enfin, le gros évènement qui produisit un effet considérable fut, sans conteste, la défaite de l’armée française à
Diên Biên Phu, au Vietnam, un mois auparavant, le 8 mai 1954, jour anniversaire des massacres de Sétif et de
Guelma.
Les “22” décidèrent aussi de désigner un coordonnateur du Groupe. Le vote à bulletin secret fut décidé et
nécessita deux tours de scrutin. Le nom du coordonnateur ne devait pas être divulgué à l’assemblée. Il devait
rester secret. C’est le lendemain matin que Ben Boulaïd révéla à Boudiaf que c’est lui qui fut élu.
Rompus aux exigences de la clandestinité et ne voulant prendre aucun risque, les “22” décidèrent aussi de ne
désigner que le responsable de l’organisation, lequel choisira par la suite ses proches collaborateurs qui
constitueront l’État-major et qui seront connus de lui seul. Les adjoints seraient ainsi protégés. Le lendemain,
Boudiaf choisit ses quatre compagnons qui avaient préparé la réunion avec lui : Ben Boulaïd, Didouche, Ben
M’Hidi et Bitat pour former le Comité des Cinq et pour diriger, respectivement, les zones des Aurès-Nememchas,
le Constantinois, l’Oranie et l’Algérois. La zone de Kabylie n’est pas concernée pour le moment. Elle le fut par la
suite. Le groupe des Cinq est né. Le compte à rebours du processus de déclenchement de la lutte armée fut
enclenché.
Dès le 28 juin 1954, Boudiaf et Ben Boulaïd invitèrent leurs autres compagnons à une réunion qui s’est tenue au
6, rue Barberousse, Alger, chez Kechida Aïssa, pour la mise œuvre des recommandations de la réunion des
“22”.
O. R.
Membre de l’ALN
(à suivre)