Vincent Jean-Christophe. Poséidon, le dieu père et le dieu roi : Charles Doyen, Poséidon souverain, contribution à
l’histoire religieuse de la Grèce mycénienne et archaïque, « Mémoires de la classe des Lettres » 55, 2011. In: Dialogues
d'histoire ancienne, vol. 41, n°1, 2015. pp. 371-375;
https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2015_num_41_1_4154_t26_0371_0000_1
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Le livre de Charles Doyen est le fruit d’ une longue recherche dans une perspective
historique de la religion grecque comme phénomène social et familial. L’ ambitieux projet
initial (voir l’ introduction p. 17 sq.) s’ est, comme le souligne l’ auteur, peu à peu réduit et
focalisé sur Poséidon, en privilégiant deux facettes du dieu : le dieu père et le dieu roi.
Pour développer son idée, l’ auteur a choisi de remonter le temps en trois sauts
qui posent d’ emblée le problème des sources. Si la littérature archaïque offre un corpus
cohérent (mais difficile à interpréter) et permet de fonder une interprétation raisonnable,
il en va tout autrement des tablettes de Linéaire B sur lesquelles l’ auteur veut, avec raison,
s’ appuyer. Enfin, l’ auteur ne craint pas de passer en Orient et tire des récits mythologiques
des tablettes hittites ou de celles d’ Ougarit des informations qu’ il réinterprète selon les
théories développées dans les deux premières parties.
Le premier chapitre (p. 33-75) relève d’ une étude classique, essentiellement
philologique, de la poésie archaïque. L’ auteur prend d’ abord comme exemple l’ acropole
d’ Athènes et son histoire mythique, rivalité entre Poséidon et Athéna, cultes d’ Érechthée
et d’ Aglauros, épisode d’ Athéna et d’ Héphaïstos. Si la place du cheval est bien mise en
valeur en Attique et en Grèce, avec le schéma Poséidon+divinité chthonienne donnant
naissance à un cheval1, la réinterprétation de l’ histoire mythique de l’ Acropole reste sujette
à caution tant les hypothèses sont audacieuses. L’ auteur veut démontrer qu’ Érichthonios
n’ est autre que le cheval (toujours appelé « enfant-cheval », ce qui est déjà une entorse
1
Déméter, mais aussi Méduse qui peut être, selon l’ auteur, représentée sous la forme d’ un être hybride femme à tête de
cheval. On aurait aimé une discussion sur cette interprétation, car elle est généralement comprise comme le cheval Arion
bondissant du corps de Méduse décapitée.
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au mythe) offert aux Athéniens par Poséidon et « transformé » en serpent, avec l’ idée
d’ effacer le rôle de Poséidon, un dieu père déchu de son autorité paternel. Héphaïstos et
surtout Cécrops au corps serpentin assumeront le rôle de père et Athéna celui de mère.
Une sorte de famille recomposée s’ organise aux origines d’ Athènes. Certes les récits
sont complexes et contradictoires, et l’ auteur cherche à mettre un peu d’ ordre dans cet
enchevêtrement, mais pourquoi de telles hypothèses qui ne pourront que difficilement
convaincre ? Il souligne en tout cas la symétrie qui s’ installe sur l’ Acropole, Athéna et
Érichthonios face à Poséidon-Érechtheus en insistant sur la permanence d’ un enfant
divin (p. 75) devenu le trait d’ union entre les deux divinités antagonistes.
Dans le deuxième chapitre (p. 77-117), l’ auteur change complètement d’ analyse
et se penche sur la place de Zeus dans la poésie archaïque. Zeus apparaît comme le maître
absolu (roi des dieux) et Poséidon, tout en rechignant, est contraint de se soumettre.
L’ étude, bien qu’ un peu longue (p. 77-101) de la puissance de Zeus, sa prudence, son
intelligence et sa ruse (un thème commun aux héros comme Ulysse) trace en filigrane
celle de Poséidon, un dieu fondamentalement marqué par la violence et la démesure.
Poséidon se trouve du côté des puissances ennemies de Zeus, des puissances chthoniennes
dont le châtiment est terrible. Poséidon ne franchira cependant jamais la ligne qui sépare
les dieux des Titans. Pour l’ auteur Poséidon est ainsi inclus dans la société des dieux,
malgré la tension entre hybris et thémis (p. 117) parce qu’ il canalise les forces violentes de
la nature. Avec peut-être un peu trop d’ empressement, l’ auteur voit dans les mythes une
infériorité de Poséidon et de son monde (appelé « famille de Poséidon ») par rapport à
la « famille de Zeus ». Il reste à en comprendre la raison.
Le troisième chapitre – le plus intéressant – transporte le lecteur au IIe millénaire
av. J.-C., à l’ époque des royaumes mycéniens (p. 121-263). Les tablettes mycéniennes,
présentées d’ ailleurs sous une forme peu conventionnelle (les traits du scribe sont
inutilement reproduits), sont d’ abord transcrites en partie en alphabet grec (sans que
cela ne soit finalement nécessaire) puis traduites en français. L’ auteur reprend dans un
premier temps tout le dossier du cadastre de Pylos (PY Eb/Eo et Ep, En, Ea, Er/Es), car
Poséidon (écrit po-se-da-o) semble le maître absolu de la terre2 cadastrée et cultivée par
le palais. Ce choix pose évidemment la question de la place réelle de Poséidon dans le
panthéon pylien, et mycénien plus généralement. Si l’ on peut suivre l’ auteur sur certaines
de ses analyses (dossier sa-ra-pe-da par ex.), il sera beaucoup plus difficile de croire à la
nécessité d’ introduire des mots là où ils ne sont pas écrits (ainsi en Er 312 où l’ auteur
2
Il aurait été intéressant de développer à cet endroit une réflexion sur l’ étymologie du dieu (*potei dās= maître/époux de
la terre, représentée dans les tablettes par po-ti-ni-ja) au lieu de la cantonner dans une note infrapaginale.
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se demande s’ il ne faut pas ajouter te-me-no aux lignes 5 et 7, malgré la nette séparation
entre les deux premières entrées concernant le wa-na-ka et le ra-wa-ke-ta). Le mot te-me-
no est d’ ailleurs considéré dans cet ouvrage comme un emprunt au sumérien, ce qui est
loin d’ être démontré3.
Au chapitre suivant intitulé « fêtes et sanctuaires au royaume de Pylos » (p. 203-
260), l’ auteur s’ attarde sur l’ organisation religieuse du royaume de Pylos, et commente
la série Fr (distribution d’ huile) et la tablette bien connue Tn 316. Dans l’ ensemble,
l’ auteur donne des interprétations prudentes et mesurées, qui me semblent pertinentes.
Par exemple, pour les mots (apparaissant dans la série Fr 1222, 1228, 1235 etc.) nom
wa-na-so-i/adj. wa-na-se-wi-ja (p. 211-225), après avoir démontré l’ impossibilité des
autres traductions proposées, l’ auteur arrive aux deux seules traductions possibles par
la combinaison interne : faire de wa-na-so-i soit une fête (une cérémonie particulière
comme une initiation) en l’ honneur du wa-na-ka, soit un lieu « sanctuaire ou palais
(mais l’ on ne peut écarter l’ hypothèse des membres du palais eux-mêmes) du wa-na-ka ».
Wa-na-se-wi-ja étant interprété (dans les deux hypothèses) comme un adjectif qualifiant
l’ huile parfumée offerte. L’ auteur choisit, après discussion, de traduire wa-na-so-i « aux
Wanassa : fêtes du wa-na-ka » (wanasewija : huile pour la fête), ce qui peut paraître
une bonne solution, mais que faire alors des formes (non citées !) te-o-i « aux dieux »
(Fr 1226/1235) et a-pi-qo-ro-i « aux desservants » (Fr 1205) de la série ? Quoi qu’ il en
soit, Charles Doyen interprète donc di-pi-so-i par « aux Dipsia : fêtes des morts ? » (avec
l’ adjectif dérivé di-pi-se-wi-ja), pa-ki-ja-ni-jo-i par « aux *Pa-ki-ni-ja : fête des divinités
honorées à Pa-ki-ni-ja ? » (pas de dérivé attesté), et peut-être « (l’ huile destinée) aux
*Xenia » (d’ après ke-se-ni-wi-jo[-i ?]) D’ autre part, il faudrait, toujours selon l’ auteur,
plutôt comprendre to-no-e-ke-te-ri-jo et re-ke-(e)-to-ro-te-ri-jo comme des cérémonies,
et non des fêtes (p. 209). Notons que ces fêtes et ces cérémonies témoignent de
l’ importance non seulement de Poséidon et de Potnia, mais aussi des autres divinités, du
palais, des morts (« les assoiffés » ?), de pa-ka-ni-ja (district religieux) et peut-être des
étrangers (xenos), bref elles sont totalisantes.
Suit une étude serrée sur la fameuse tablette pylienne Tn 316 (p. 226-252), où la
ville (wa-tu) de pu-ro (Pylos) mène (pour le sacrifice ?) les *po-re-na et porte des vases
(de différentes sortes) en l’ honneur des dieux, des déesses et des héros. C’ est évidemment
la tablette la plus importante sur le plan religieux, mais Poséidon brille par son absence,
bien que son sanctuaire soit mentionné. Toutefois l’ auteur le retrouve indirectement en
3
Voir sa note page 161. Rien n’ empêche d’ en faire un dérivé de temnô « couper », voir le DELG s.v.
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On se reportera pour la tablette PY Tn 316 en dernière analyse à ce que L. Godart écrit dans le XIIIe colloque
mycénien, Pierre Carlier et al. (éds), Études mycéniennes 2010. Actes du XIIIe colloque international sur les textes égéens,
Sèvres, Paris, Nanterre, 20-23 septembre 2010, Pise-Rome, Biblioteca di Pasiphae 10, 2013, p. 79-106, avec cette lecture
mais aussi deux informations importantes, deux scribes (44a et 44b) ont rédigé cette tablette, et un nouveau logogramme
y est présent, celui de l’ argent (provisoirement *141bis, différent de *141= or).
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Jean-Christophe Vincent
Université de Franche-Comté – ISTA (EA 4011)
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