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Reçu le 10 octobre 2002 ; reçu en forme révisée le 12 janvier 2003 ; accepté le 15 janvier 2003
Résumé
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : Joao.ferrao@ics.ul.pt (J. Ferrão).
Abstract
Improving entrepreneurship is a decisive factor in the development of rural areas. This statement
is particularly important for those who recognize the limitations of both the productivist and the
consumerist-heritage approaches to achieve sustainable development in rural areas. This article looks
at entrepreneurial capability on 2 complementary levels. Having defined a typology of Portuguese
rural areas, which is used to establish current patterns of entrepreneurial initiative, it then puts
forward and interprets the results of field work on the practices and representations relating to
business activity as it is carried on in 2 contrasting rural areas: Bombarral/Cadaval (a rural area close
to urban areas) and the Left Bank of the Guadiana river (a marginal rural area). Our results lead us to
question the suitability, for less-developed rural areas, of policies based on a range of analytical
frameworks which have had a significant impact on territorial studies over the last twenty years
(territorialized clusters, regional innovation systems, innovative milieus, etc.). This in turn suggests a
need to move the central focus, particularly in this type of rural area, onto the question of how
personal, social and institutional capabilities are developed, to the processes of collective learning
and to the reflexive practices of local communities.
© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Apprentissage collectif ; Zones rurales ; Capacité entrepreneuriale ; Capital social ; Développement
durable ; Réflexivité ; Portugal
Keywords: Collective learning; Rural areas; Entrepreneurship; Social capital; Sustainable development; Reflexi-
vity; Portugal
1. Introduction
Le monde rural subit aujourd’hui, au Portugal comme dans n’importe quel autre pays
européen, des transformations profondes. Le sens global de ces transformations est connu.
Et si le Portugal présente quelque originalité dans le contexte des pays les plus développés,
elle tient fondamentalement à 2 aspects : d’une part, le maintien de l’importance sociale du
monde rural, contrastant avec son rôle démographique et économique décroissant ; d’autre
part, la forme vivante dont des modèles traditionnels, modernes et post-modernes, coexis-
tent dans les champs, parfois d’une manière conflictuelle, mais d’autres fois en donnant lieu
à des recombinaisons jusqu’à il y a peu difficilement prévisibles.
Les dynamiques qui animent (ou paralysent...) les zones rurales portugaises sont relati-
vement connues et les diagnostics sur leur passé récent sont assez consensuels (voir, par
exemple, Baptista, 1999 ; Ferrão, 2000 ; Lopes, 2001 ; MADRP–GPAA, 1999 ; MEPAT–
SEDR, 1999 ; MP, 2000). En revanche, une lecture stratégique des priorités de développe-
ment parvient rarement à l’unanimité. Elle permet, davantage, de mettre en question
certaines contributions théoriques et orientations politiques, présentes ces dernières années
sur le plan international.
Tous ces aspects justifient l’importance accordée dans ce texte aux processus d’affirma-
tion de la capacité entrepreneuriale dans le milieu rural. Il s’agit, avant tout, d’un thème peu
étudié au Portugal, ce qui signifie qu’il n’a guère constitué jusqu’à présent une priorité des
agendas scientifique et politique. Les connaissances sont donc très réduites dans ce
domaine particulièrement vulnérable aux intuitions de ceux qui se trouvent sur le terrain,
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aux croyances de ceux qui traitent des phénomènes plus généraux de l’entrepreneuriat, aux
volontarismes de ceux qui sont théoriquement et empiriquement bien renseignés sur ce qui
se passe dans des pays plus développés.
L’intervention dans le monde rural est surtout passée, ces dernières décennies, d’une
vision moderne productiviste à une vision post-moderne de consommation : le paysage et
les richesses du monde rural sont devenus un patrimoine à conserver au nom de la valeur
environnementale et culturelle. Le caractère et l’authenticité des différents mondes ruraux
ont justifié un ensemble diversifié d’instruments nationaux et supranationaux qui essayent
de gérer ce bien commun d’une manière durable.
Le besoin impérieux d’une gestion prudente du monde rural n’est pas mis en cause. Mais
la critique, juste, des effets pervers du modèle productiviste moderne a, en quelque sorte,
éloigné la question de la production du débat sur l’avenir du monde rural (Ferrão, 2000 ;
Hadjimichalis, 2001). Or, les zones rurales ne se développeront de façon durable que si
elles créent de l’emploi, de la richesse, des opportunités de réalisation personnelle. La
diversification et l’affirmation externe du monde rural, dans le respect de sa spécificité et de
son autonomie relatives, présupposent la construction de capacités d’initiative ainsi que des
entreprises plus robustes et plus qualifiées.
En général, les zones rurales présentent des aspects internes communs face aux réalités
urbaines et surtout métropolitaines, même en sachant qu’il y a de moins en moins de sens à
tracer des frontières rigides entre ces différentes réalités. Par ailleurs, on sait que le monde
rural est internement diversifié. Ce texte essaye de concilier une vision globale des espaces
ruraux dans le contexte national avec une approche plus fine, davantage centrée sur
certaines dynamiques observées dans des zones spécifiques du pays. C’est ainsi que la
première partie analyse la spécificité des espaces ruraux, en les mettant en relation avec les
grands contrastes régionaux qui ont structuré le Portugal et définit une typologie de ces
espaces à la lumière de laquelle sont analysées des dynamiques démographiques et
entrepreneuriales récentes. La partie suivante (partie 2) présente les traits essentiels de
l’initiative entrepreneuriale dans deux zones rurales formant contraste : les communes de
Bombarral et Cadaval, proches de la limite nord de la zone métropolitaine de Lisbonne et
exemple d’un territoire rural de proximité urbaine et les communes de la rive gauche du
fleuve Guadiana, situées près de la frontière avec l’Espagne et illustrant la situation qui
prédomine dans les espaces ruraux marginaux. Enfin, la dernière partie (partie 3) tire
quelques déductions à partir des résultats commentés précédemment, pour tenter d’ébau-
cher des instruments d’appui au développement de la capacité entrepreneuriale, qui épou-
sent le mieux les caractéristiques des zones rurales, notamment les moins développées.
ruralité sont encore très présentes dans le paysage. En effet et même dans un sens plus
restreint de « rural »1, les espaces de ce type occupaient en 2001 près de 3/4 de la surface du
pays, bien que n’accueillant que 14 % de la population (INE, 2001). Dans une vision plus
ample de « rural »2, ces espaces s’étendent à 97 % de la surface du pays, où résident 49 %
de la population. Autrement dit et conformément à ce dernier critère, plus de la moitié de la
population se concentre dans des espaces aux caractéristiques nettement urbaines qui
n’occupent que 3 % de la surface du pays.
En somme, du point de vue démographique et économique, le Portugal est un pays en
processus accéléré d’urbanisation, même si la ruralité prédomine largement en terme de
paysage.
Dans les espaces ruraux, l’agriculture continue d’être l’activité dominante, bien qu’elle
ne constitue pas la principale occupation de la population qui y réside. D’autre part,
l’agriculture plus compétitive ne se situe pas toujours dans les espaces les plus typiquement
ruraux. La convergence de ces 2 facteurs se traduit par des disparités territoriales qui
dépassent la dichotomie urbanorurale : alors que la région métropolitaine de Lisbonne, qui
englobe des zones interstitielles de nature rurale, présente des niveaux de développement
supérieurs à ceux de la moyenne de l’UE, les NUT III du Portugal majoritairement rurales
figurent parmi les 20 plus pauvres de l’UE en termes de PIB par habitant.
Comme nous le révèle le paragraphe précédent, la plupart des asymétries socio-
économiques existantes au Portugal présentent une claire expression territoriale. De ce
point de vue, le pays obéit à un modèle global d’asymétries régionales qui est perceptible à
partir de 2 oppositions principales : l’opposition littoral–intérieur et l’opposition nord–sud.
1
Communes avec une densité de population inférieure à 100 habitants/km2.
2
Quand la paroisse est utilisée comme unité d’analyse et si on considère comme ruraux les espaces
semi-urbains, soit avec une densité de population supérieure à 100 hab./km2 mais sans dimension urbaine. Quand
l’apurement est fait par commune — comme pour les données inclues dans le Tableau 1 — les résultats sont
légèrement différents.
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tairement, une possibilité d’emploi dans le bâtiment dans les centres urbains de la région ou
sur le littoral, entraînant des déplacements temporaires entre le lieu de résidence et le lieu
de travail. Le tissu entrepreneurial de ces espaces présente une dimension et une capacité de
gestion qui en sont à leurs débuts. C’est là aussi que se vérifient les plus bas niveaux de
qualification des ressources humaines.
En termes d’intégration suprarégionale, ces espaces révèlent en général une faible
accessibilité aux principaux centres urbains du pays et une quasi-absence d’internationali-
sation. Même d’un point de vue régional, la tendance va dans le sens d’une désintégration
économique et fonctionnelle des dynamiques urbaines de proximité. Ce type d’espaces
ruraux se situe principalement sur la façade frontalière du nord et l’ensemble de l’arrière-
pays.
En prenant comme référence la période de 1995 à 1998 et la typologie des zones rurales
présentée ci-dessus, les principales caractéristiques de la dynamique d’initiative entrepre-
neuriale au Portugal peuvent se résumer comme suit.
Près du tiers des emplois créés dans la période est le fait de nouveaux établissements.
L’emploi créé par ces nouvelles initiatives entrepreneuriales équivaut à plus du triple de la
variation nette de l’emploi dans la période, ce qui correspond à 16 % du stock des emplois
salariés dans le secteur privé existant en 1998. La création de nouveaux établissements
constitue donc une source très importante de création d’emplois.
D’autre part, presque la moitié (47 %) des nouvelles initiatives entrepreneuriales se
situent dans des espaces aux caractéristiques nettement urbaines (55 % de l’emploi créé).
Les espaces ruraux marginaux et de proximité urbaine n’ont accueilli que 29 % de ces
initiatives, soit 23 % de l’emploi créé. La distance aux principaux centres urbains semble,
donc, être fortement liée à des taux plus faibles de création d’entreprises et à des établis-
sements de moindre dimension. Comme nous le montre le Tableau 1 suivant, tant la
dimension moyenne des nouveaux établissements que les différents indicateurs d’intensité
de la dynamique d’initiative entrepreneuriale (nombre de nouveaux établissements par
habitant, emplois créés par km2 et par habitant) révèlent une progression croissante au fur
et à mesure que l’on passe des espaces ruraux marginaux aux espaces urbains.
Du point de vue de la structure sectorielle de l’emploi créé, 75 % des nouveaux emplois
correspondent au secteur des services, dont le commerce, les restaurants et la réparation
automobile (37 %). Curieusement, ces segments d’activité sont équivalents dans tous les
types d’espaces retenus. Ce qui n’est pas le cas des autres activités, qui différencient le
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Tableau 1
Principaux indicateurs par type d’espaces au Portugal (*)
Indicateurs Type d’espaces
Ruraux Ruraux de proximité Urbano- Urbains Total
marginaux urbaine ruraux
Surface
km2 63 380 13 530 9005 2591 88 506
% 71,6 15,3 10,2 2,9 100,0
Population résidente, 1991
No 1 764 367 1 377 610 2 183 123 3 824 132 9 149 232
% 19,3 15,1 23,9 41,8 100,0
Population résidente, 2001
No 1 690 143 1 443 378 2 408 643 4 051 900 9 594 064
% 17,6 15,0 25,1 42,2 100,0
Variation population 2001/1991 –4,2 4,8 10,3 6,0 4,9
Densité population 27 107 267 1564 108
Nombre nouveaux établissements, 1995–1998
No 9904 9011 15 522 30 464 64 901
% 15,3 13,9 23,9 46,9 100,0
Total emploi créé 1995–1998 (nouveaux établissements)
Nombre 45 633 45 655 84 105 216 024 391 417
% 11,7 11,7 21,5 55,2 100,0
Taille moyenne de l’établissement 4,6 5,1 5,4 7,1 6,0
Emplois/10 km2 7,2 33,7 93,4 833,7 44,2
Emplois/1000 habitants 27,0 31,6 34,9 53,3 40,8
Établissements/1000 habitants 5,9 6,2 6,4 7,5 6,8
urbaine enregistrent un profil intermédiaire entre les espaces ruraux marginaux et les
espaces urbanoruraux.
Quant à l’intensité de l’initiative entrepreneuriale dans la période 1995–1998, 5 %
seulement des communes révèlent une forte capacité d’initiative, alors que 70 % présentent
une faible initiative entrepreneuriale. Toutefois, si nous prenons comme variable de réfé-
rence la population qui réside dans ces communes en 2001, l’image qui en résulte est
différente : dans 70 % des communes à faible capacité d’initiative ne réside que 30 % de la
population et le taux des nouveaux emplois est de 18 %. Contrastant avec ces résultats, 5 %
des communes à forte initiative entrepreneuriale concentrent 26 % de la population et
correspondent à 42 % des nouveaux emplois. Des indicateurs qui montrent bien la façon
dont la capacité d’initiative entrepreneuriale peut engendrer des asymétries régionales de
développement.
Il y a lieu de souligner, à ce propos, que la dynamique d’initiative entrepreneuriale est
très liée à la dynamique démographique des années 1990. La plupart des espaces qui
affichent des dynamiques régressives de la population, voire ceux qui enregistrent d’impor-
tantes dynamiques de construction de logements, font preuve d’une faible capacité d’ini-
tiative entrepreneuriale. En revanche, 60 % des espaces dont la dynamique démographique
est significative révèlent une capacité d’initiative entrepreneuriale forte ou moyenne.
La Fig. 2 essaye de représenter, d’une manière très schématique, l’essentiel des trajec-
toires d’évolution récente de différents types de zones rurales pour permettre, sur cette
base, de préfigurer d’éventuelles évolutions futures. Dans le diagramme proposé, on
accepte que la typologie des zones rurales fondée sur la trilogie3 zones marginales/zones de
proximité urbaine/zones urbanorurales constitue, pour ce faire, un point de départ perti-
nent, mais insuffisant à lui seul. En fait, la localisation des zones rurales par rapport aux
principaux marchés et aux principaux axes d’accessibilité nationale et internationale, est un
facteur qui conditionne en grande mesure leur évolution. Mais l’effet de localisation doit
aussi être pondéré par d’autres facteurs, notamment l’histoire et le profil économique de
chaque région, c’est-à-dire sa trajectoire de développement.
Quatre situations-types de base sont considérées : zones rurales dotées de mauvaises
conditions physiques et d’accessibilité ; zones rurales disposant d’une base économique
spécialisée ; zones rurales disposant d’une base économique diversifiée ; zones rurales
proches d’agglomérations urbaines de dimension importante.
Le schéma de la Fig. 2 permet d’identifier l’essentiel des dilemmes d’évolution affrontés
par chaque type de zone rurale : continuité (très probablement avec des résultats désas-
treux) ; restructuration dans le sens d’activités économiquement et environnementalement
plus durables (avec d’éventuels coûts sociaux non négligeables) et émergence de nouveaux
clusters.
Naturellement que l’évolution qui se produira dépend en grande partie de la façon dont
les différents acteurs réagiront aux menaces et opportunités existantes. La capacité entre-
preneuriale installée dans chaque région, ou susceptible d’y être attirée, constitue l’un des
éléments clés de cette évolution. Cet entendement conceptuel de la ruralité nous permet de
soutenir une vision évolutive de la ruralité en général (facteurs d’unité) et de chaque type de
zone rurale en particulier (facteurs de différenciation), pour une meilleure adéquation entre
le type de trajectoire de développement à stimuler et le type de politiques à adopter dans
chaque cas, sans toutefois perdre de vue la nature particulière de l’ensemble du monde
rural. Cependant et pour que les situations types suggérées aient une valeur non seulement
d’analyse, mais aussi de proposition, il faut absolument savoir jusqu’à quel point chacune
d’elles s’associe d’une manière privilégiée à des ensembles particuliers d’acteurs et de
stratégies entrepreneuriales.
Dans le cadre du projet FERP (The Future of Europe’s Rural Periphery: the role of
entrepreneurship in responding to employment problems and social marginalisation)4,
dont les objectifs principaux sont d’appréhender les effets du processus de la restructura-
tion économique des espaces ruraux périphériques associée à la mondialisation, ainsi
3
On n’a pas considéré les espaces ruraux de type central. Sa très petite dimension et sa nature interstitielle par
rapport au tissu urbain ne permettent pas la définition de trajectoires de développement autonomes.
4
Projet financé par le 5e programme cadre de la Commission européenne (HPSE-CT-1999-00013) et
développé par un réseau européen de 6 universités : Macédoine/Grèce, ICS/université de Lisbonne/Portugal,
Luton et Middlesex/Royaume-Uni, Hohenheim/Allemagne, Lodz/Pologne. La coordination générale du projet
incombe à Lois Labrianidis, de l’université de Macédoine; voir le site Internet <http://www.uom.gr/ferp/
main.htm>.
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Tableau 2
Enquêtés présentant un statut d’entrepreneur
Critères de définition des personnes présentant un statut Bombarral/Cadaval Rive gauche
d’entrepreneur (Ouest) (Bas Alentejo)
Nbre (%) Nbre (%)
A. Propriétaire/ actionnaire A.1 Non impliqué dans des 22 3,4 6 0,9
ou travailleur indépendant activités de gestion
A.2 Impliqué dans des 105 16,1 91 14,0
activités de gestion
B. N’est ni propriétaire/actionnaire ni travailleur 14 2,2 14 2,2
indépendant, mais contrôle ou influence les décisions
stratégiques de l’entreprise/organisation
C. Actuellement engagé dans la création d’une nouvelle 20 3,1 21 3,2
entreprise/ organisation
Total de personnes présentant un statut de chef d’entreprise 123 18,9 111 17,0
(au moins l’un des critères suivants : A .2, B et C)
Source : enquêtes directes auprès de la population.
Il faut mentionner que la seule différence significative qui existe entre les deux zones
d’étude concerne le poids relatif des propriétaires « capitalistes » (critère A.1). Cette
différence semble indiquer la présence d’un tissu entrepreneurial un peu plus complexe
dans les communes de la région Ouest, tout au moins en ce qui concerne la structure du
capital social des entreprises.
Tableau 3
Personnes avec et sans statut d’entrepreneur : principaux aspects distinctifs
Bombarral et Cadaval Rive gauche
(Ouest) (Bas Alentejo)
Personnes Personnes Personnes Personnes
sans statut avec statut sans statut avec statut
d’entrepreneur d’entrepreneur d’entrepreneur d’entrepreneur
Parents avaient une Non Oui Non Oui
entreprise / organisation économique (2,93) (2,90) (4,09) (4,13)
A tenté de créer une entreprise/ Non Oui Non Oui
organisation économique dans le passé (7,20) (6,99) (6,47) (6,29)
Connaît personnellement des Oui, Oui, – –
propriétaires ou des personnes qui sont en 1–2 personnes > 5 personnes
train de créer une nouvelle (2,12) (3,19)
entreprise/organisation économique
Aimerait créer futurement une – Oui, – –
entreprise/organisation économique (2,28)
Âge (ans) > 50 35–50 > 50 (3,86) 35–50
(4,49) (4,86) < 25 (2,28) (5,17)
Degré d’instruction Instruction de Instruction de – –
base, <7 ans base, 7–9 ans
(2,75) (2,52)
Activité antérieure – Étudiant Ouvrier –
(2,92) (3,57)
Sexe – – Féminin Masculin
(2,58) (2,61)
Note : entre parenthèses, la valeur-test5 de chaque modalité de réponse. Seules les variables dont la valeur-test
est supérieure à 2,00 ont été retenues.
5
La valeur-test est un critère statistique (test d’hypothèse nulle) qui mesure la surreprésentation de la modalité
dans la classe face à l’ensemble des personnes étudiées. Elle traduit la probabilité (l’écart entre la proportion dans
la classe et la proportion générale et en nombre d’écarts-type d’une loi normale centrée réduite) pour la modalité
d’être représentative de la classe. Une valeur-test supérieure à 2 signifie qu’il existe plus de 95 % de probabilité
(seuil généralement utilisé) de rejet de l’hypothèse nulle. Voir : Lebart, Morineau, Piron, Statistique exploratoire
multidimensionnelle, Dunod, Paris, 1997 (pp. 181–185).
Source : enquêtes directes auprès de la population.
• l’activité antérieure d’ouvrier ne favorise guère l’accès ultérieur à des situations
d’entrepreneuriat.
Le vécu d’entreprises antérieures tant des parents que des personnes enquêtées, ainsi que
la tranche d’âge, sont donc les facteurs décisifs pour l’obtention et le maintien du statut
d’entrepreneur dans les deux zones étudiées.
Il est à noter, d’autre part, que sous divers aspects les différences entre les deux
sous-populations de personnes ayant statut d’entrepreneur sont inférieures à celles qui se
vérifient entre les personnes qui n’ont pas ce statut. Cette plus grande similitude est
particulièrement évidente en ce qui concerne l’origine socioprofessionnelle. Bien que la
structure sociale des deux régions soit assez diversifiée (poids de la famille paysanne à
Bombarral/Cadaval, prédominance de la grande propriété agricole et importance du travail
saisonnier et irrégulier — agriculture, bâtiment — dans la Rive gauche), le profil des
groupes de recrutement de personnes ayant un statut d’entrepreneur est relativement
identique. Ce qui signifie que la similitude de la base sociale de recrutement des « entre-
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preneurs » est supérieure à ce qui serait prévisible en prenant comme référence les groupes
socioprofessionnels dominants dans chacune de ces zones.
Tableau 4
Caractérisation de la population enquêtée face à certaines questions liées à l’activité entrepreneuriale
Bombarral et Cadaval Rive gauche
(Ouest) (Bas Alentejo)
Toutes les Personnes Toutes les Personnes
personnes ayant statut personnes ayant statut
d’entrepreneur d’entrepreneur
(%) (%) (%) (%)
Aimerait créer une Peut-être 18,9 18,7 33,0 33,3
entreprise/organisation économique
Oui 8,8 14,6 19,2 19,7
à l’avenir
A tenté de créer une Oui 23,0 48,8 18,3 41,4
entreprise/organisation économique
dans le passé
A aidé financièrement quelqu’un à Oui 4,9 8,1 6,7 11,7
créer une entreprise /organisation
économique
Connaît personnellement des Oui, 22,0 14,6 26,5 26,1
propriétaires d’entreprises ou des 1–2
personnes en train de créer une personnes
nouvelle entreprise /organisation Oui, 13,8 17,9 19,2 25,2
économique 3–5
personnes
Oui, 14,4 24,4 9,8 10,8
>5
personnes
Total « Oui » 50,2 56,9 55,5 62,1
Parents propriétaires d’une Oui 25,7 36,6 21,2 36,9
entreprise /organisation économique
Source : enquêtes directes auprès de la population.
Il est significatif que seuls près de 20 % des entrepreneurs invoquent l’existence d’une
opportunité d’affaire pour y implanter leur entreprise. Les autres facteurs, tels que le prix de
la main-d’œuvre, la demande locale ou de bonnes infrastructures, les incitations ou un
patrimoine de qualité, jouent un rôle résiduel. L’initiative entrepreneuriale se trouve donc,
dans les deux zones, très associée au lieu de naissance/résidence et concerne davantage des
facteurs individuels et familiaux que des logiques de marché ou l’existence d’aides
spécifiques à l’entrepreneuriat local. L’existence d’entrepreneurs a contribué positivement
à ce que 25 % des personnes enquêtées à Bombarral/Cadaval et 16,7 % dans la rive gauche,
soient également entrepreneurs.
Parmi les 30 % d’entrepreneurs originaires de l’extérieur de la zone, plus de la moitié
sont nés dans des centres urbains d’autres régions. Le poids des étrangers (7 % à
Bombarral/Cadaval et 10 % dans la Rive gauche) revêt une certaine importance. Mais le
résultat le plus significatif par rapport à l’univers des entrepreneurs qui sont nés en dehors
des zones étudiées, tient à ce que leur arrivée dans la région soit surtout liée à des raisons
d’ordre familial. En effet, un nombre élevé de ces cas correspond à des individus de sexe
masculin qui, en raison du décès ou de l’empêchement de parents de la femme (générale-
ment le beau-père), se voient dans l’obligation de s’occuper de l’affaire pré-existante. Les
logiques familiales ne se limitent donc pas à ceux qui sont nés dans les zones étudiées.
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Les résultats obtenus dans les deux zones étudiées nous permettent de faire quelques
déductions utiles pour brosser des instruments de politique destinés à renforcer la capacité
entrepreneuriale dans les zones rurales, considérées dans leur diversité.
Le poids significatif des personnes ayant un statut d’entrepreneur, dans les 2 zones
étudiées, suggère que le problème de l’initiative entrepreneuriale dans les milieux ruraux
est, très souvent, plus qualitatif que quantitatif. En fait, le type des organisations présentes
est fortement conditionné par deux facteurs : le bas niveau d’instruction de la grande
majorité des entrepreneurs et leur fort enracinement local. Dans des contextes régionaux
sans grande tradition entrepreneuriale, ces deux facteurs peuvent entraîner des effets de
lock-in difficilement surmontables.
Le faible niveau d’éducation ne facilite pas l’accès à des connaissances codifiées et
essentielles au développement de processus productifs et de gestion plus exigeants. D’autre
part, dans des zones où la capacité à attirer des investissements exogènes et où la mobilité
intrarégionale d’emploi sont réduites, il n’est guère possible de bénéficier pleinement du
transfert de connaissances entre différentes entreprises. Il est donc compréhensible qu’une
grande partie des initiatives présentes correspondent à l’une des situations suivantes :
activités sans barrières significatives à l’entrée (restauration, petit commerce local, etc.) ou
activités où l’accumulation historique de savoirs locaux joue un rôle important (agriculture,
transformation de produits agricoles, artisanat, etc.). Le système de certification des
produits comportant une appellation d’origine favorise cette dernière situation, mais
concerne toujours un nombre assez réduit d’activités, ce qui constitue une solution limitée.
Quant au fort enracinement local, il peut fonctionner comme un facteur de blocage au
changement s’il n’y a pas, en même temps, une ouverture significative à l’extérieur. En
réalité, les interviews réalisées auprès des organisations les plus novatrices et aux perfor-
mances plus favorables, ont permis de détecter un facteur de succès commun à toutes : leurs
responsables, dans une quelconque phase de leur vie, ont vécu en dehors de la région et y
ont consolidé un capital de connaissances et relationnel qui s’est révélé plus tard constituer
un actif décisif pour le développement de leur organisation. Cette absence de la région obéit
à des motifs distincts et révèle des durées diversifiées : études universitaires, accomplisse-
ment du service militaire, mariage, emploi dans d’autres régions du pays ou à l’étranger,
etc. Mais, dans tous ces cas de figure, le contact avec l’extérieur leur a permis d’acquérir de
nouvelles capacités et compétences, ainsi que de participer à des réseaux informels qui
constituent des sources permanentes de connaissances décisives tant pour la création de la
nouvelle entreprise, que pour l’exercice ultérieur de la fonction entrepreneuriale.
La faible taille de la plupart des organisations existantes constitue une barrière impor-
tante à l’innovation, surtout dans des zones à faible capacité institutionnelle et/ou à forte
incidence de valeurs individualistes, comme c’est généralement le cas dans les régions de
tradition paysanne. Vu qu’elles ne peuvent bénéficier ni d’économies d’échelle, ni d’exter-
nalités positives, bon nombre de ces entreprises se limitent à distribuer les produits que les
fournisseurs leur font parvenir ou à réagir passivement à l’évolution de la demande locale.
Le développement du marché local est d’ailleurs l’un des facteurs qui contribue davan-
tage à expliquer les différences d’initiative entrepreneuriale qui se vérifient entre les divers
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types de régions rurales. Dans des zones où la demande locale — tant finale (population)
qu’intermédiaire (entreprises) — est plus importante et plus segmentée, la structure des
entreprises tend à être plus diversifiée et les relations marchandes et non marchandes entre
les entreprises sont plus denses. Les stratégies de complémentarité, les économies
d’échelle et les mécanismes — même informels — de coordination, permettent d’utiliser le
marché régional comme un tremplin pour la conquête de marchés plus amples et plus
exigeants, tant au niveau national qu’international. C’est le cas, par exemple, de l’une des
zones étudiées (communes de Bombarral et Cadaval) qui s’insère dans les espaces ruraux
de proximité urbaine. En revanche, dans les zones où la demande locale est structurelle-
ment limitée, en raison du bas niveau socio-économique de la population et de la faible
tradition entrepreneuriale, l’orientation pro-active vers l’extérieur s’avère fondamentale,
soit par l’attrait de consommateurs externes (cas du tourisme rural, par exemple), soit par
l’établissement de réseaux de coopération visant l’exportation conjointe de produits iden-
tiques (économies d’échelle) ou complémentaires (économies de gamme). Il est vrai que
bon nombre de ces zones sont confrontées aux coûts inhérents à une localisation marginale
face aux principaux axes routiers et aux marchés de consommation. Mais, même en
n’adoptant pas une position trop optimiste, il nous paraît légitime de défendre, sur la base
de transformations récentes qui se sont vérifiées dans différentes zones rurales marginales,
que le recours aux nouvelles technologies d’information et communication peut jouer un
rôle important, peut-être non pas tellement en terme de télétravail, mais surtout d’accès à
des consommateurs distants. Cette situation s’applique, en particulier, à la zone étudiée qui
correspond aux communes de la rive gauche du fleuve Guadiana, un exemple d’espace rural
marginal.
Enfin, un dernier commentaire sur le rôle joué par la famille dans maintes initiatives
entrepreneuriales des zones rurales. Le fort enracinement familial pose des questions
identiques au fort enracinement territorial. Tout en étant une source indiscutable de
différents types de capital, décisifs pour permettre l’exercice de l’initiative entrepreneu-
riale, il peut, en même temps, entraîner des effets de blocage non négligeables. Des études
antérieures (Almeida et al., 1994 ; Guerreiro, 1996 ; Medeiros et Pena, 2001) montrent qu’il
n’est pas correct d’identifier des initiatives de base familiale avec des projets familiaux : les
premières ne sont pas toujours régies par des rationalités plutôt liées aux intérêts spécifi-
ques de la famille qu’aux principes du marché. Mais une centralité excessive attribuée à la
famille peut limiter la disponibilité de construire et d’utiliser le capital social local comme
source d’innovation et d’identité dans une optique élargie de la communauté. Les instru-
ments d’aide à la capacité entrepreneuriale dans les zones rurales doivent donc prendre en
compte l’importance de rationalités d’initiative entrepreneuriale non strictement économi-
ques, tout en contribuant à ce que les réseaux sociaux locaux soient des véhicules effectifs
d’accès à de nouvelles ressources, internes et externes à la région, en stimulant l’innovation
et l’identité de base territoriale.
La valorisation sociale du risque et de l’initiative, le contact précoce avec le monde des
organisations (entrepreneuriales et autres), le développement de réseaux sociaux durables
et favorisant la circulation de l’information et de la connaissance, ainsi que des processus
d’apprentissage collectif, le contact direct avec des réalités extérieures à la région, le
renforcement de mécanismes de coordination à différents degrés de formalisation ou
encore l’accès à des services d’appui adéquats (formation, conseil, etc.) constituent des
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