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1
Ce présent écrit sous forme de document, tente de rassembler le maximum
d’informations sur la vie et l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. Très complet
malgré son petit format, il propose néanmoins une vision et des informations
claires, fiables et pertinentes.
Mais la particularité de ce document, est qu’il aborde avec un certain surréalisme
de la vision de Bamba du rendez-vous de l’universel.
Pour le rédacteur, intellectuel de haut rang et fervent talibé, incarner Bamba selon
une démarche, est un défi noble et de grandeur. Mais, nous n’avons pas la
dimension intellectuelle, ni philosophique de cet homme ni son aura universel. Sa
prière en plein océan et, ses fameux deux rakas à ndar au bureau du gouverneur
pour rendre grâce au prophète, son caractère et son courage à l’égard des autorités
coloniales, marquent encore les esprits.
De plus, poursuit le rédacteur quelque part dans sa théorie, qu’il n’est pas étonnant
d’aborder le Cheikh sur trois dimensions : l’Islam, le Mouridisme et le saint Coran ;
Sur ce, il a tenté d’expliquer en plus sans les détails, une étape par laquelle au
moment de cette époque. L’inquiétude des autorités coloniales grandissait à un
point tel, suite à l’accroissement du prestige de Bamba les français, résolurent
d’envoyer au Baol une colonne de 150 spahis destinés à l’impressionner.
Le résultat escompté n’ayant pas été atteint, il sera envoyé dès 1903 en Mauritanie
auprès de Cheikh Sidiya pour y demeurer en résidence surveillée à Soutelma. Il en
revint en 1907, pour se voir imposer un nouvel éloignement à Thiéyène dans le
Djoloff. C’est là qu’il demeura jusqu’en 1912, date à laquelle fut autorisé à
s’installer à Diourbel. Le pouvoir colonial tente alors une opération de
collaboration. La guerre lui en offrit l’occasion.
Pour remercier Bamba d’avoir participé au recrutement des soldats, les autorités lui
attribuèrent la légion d’honneur en 1919. Il refusera habilement sans les
effaroucher. En 1925, il obtint l’autorisation de construire la mosquée de Touba.
Deux années plus tard, en juillet 1927, il disparaissait laissant derrière lui une
œuvre grandiose ainsi que l’image d’un homme de dieu, de paix, de dignité
profondément attaché aux préceptes du Saint Coran à la Sounna du Prophète et à
la dignité de l’homme noir. Le bien fondé de ces péripéties, est retracé de manière
ficelée dans le document et certifié par des personnes titrées du mouridisme citées
par le rédacteur.
Enfin, le rédacteur de ce document, traduit également que Bamba laissa surtout
une œuvre littéraire faite de chants à la gloire de la figure emblématique de l’islam
mais saussi de traité de droit de morale qui constitue un viatique intellectuel et
spirituel d’une particulière importance pour toute la Oumma Islamique.
2
De toute évidence, il est patent que les intellectuels qui, verront ce document… le
vivront au regard d’un concept et d’une démarche dans la même expérience qui
avait été faite sur l’imam Ali que les chiites glorifient.
« Il n’est que temps, pour nous, d’écrire nôtre histoire si la vérité n’est pas toujours
poétique, elle est la condition de l’action efficace. Il y a certes, des écrits nombreux
sur nôtre histoire, mais, pratiquement, tous sont dus à des étrangers, ou presque
tous, ainsi les géogaphes du monde grec parlent frequemment des négres, des
« éthiopiens », et les archives coloniales fourmillent de renseignements précieux,
de dates précises, sans taxer ces écrits de partialité dans la présentation des faits,
on ne peut nier qu’ils nous voient du dehors. Il y aura donc lieu de les confronter
avec les documents vivants que sont les souvenirs des anciens et la mémoire des
griots, et lorsque ces sources orales trouvent appui sur des reliques, comme il s’en
trouve ici, leur importance pour l’étude de nôtre histoire devient, alors
primordiale ».
Léopold Sédar SENGHOR
« La réticence des chercheurs de parchemins devant une tradition purement orale
ne peut empêcher qu’un peuple n’ait son histoire relatant ses origines et ses
migrations, ses heurs et ses malheurs, cette histoire, certes n’a été ni papyrusisée,
ni gratinisée, si l’on nous permet ces nééologismes, mais elle est restée imprimée
dans le cerveau humain, archive vivante, dont la défaillance entraînait, il n’y a pas
si longtemps, pour certains griots, la mort.
Il faut, comme toujours manier les documents oraux avec prudence. Il convient de
laisser à l’incertain ce qui appartient à l’incertain. Il y aurait plus que de
l’outrecuidance à torturer les données recueillies pour en tirer une chronologie
douteuse ou une affirmation hasardeuse, le prisme de l’historien doit décomposer
mais non dévier ».
Félix BRIGAUD
3
L’ODYSSEE DU CHEIKH AHMADOU BAMBA :
De la répression coloniale systématique, à la « réhabilitation »
Ou le cheminement vers la Gloire Éternelle.
Dès les premiers temps, Allâh (nom propre de Dieu en arabe), S’est adressé à
l’humanité en envoyant prophètes et messagers aux différents peuples de la Terre.
Ainsi le Messager a-t-il été continuellement transmis et revivifié à travers les âges, en
tenant compte de la diversité des êtres humains, de leurs cultures et de leurs
langues. Cette diversité a été établie dans le but de manifester la grandeur de Dieu et
Sa générosité. Ainsi les hommes réfléchiront-ils à leur même origine, ou peut-être se
rencontreront-ils afin d’échanger et de promouvoir la richesse issue de cette
diversité. En ce sens, nul peuple et nulle langue ne peuvent être exclus ; la différence
devrait être non seulement respectée, mais de plus appréciée.
Le Très-Haut a voulu que Sa dernière Révélation se fasse en arabes, dans une langue
claire et un style littéraire incomparable. Néanmoins, la Parole de Dieu se veut
universelle et accessible à l’ensemble de l’humanité. Conscient de cela, le Prophète
Muhammad (Saws) s’appliqua à transmettre la Parole révélée aux hommes et
demanda à ses sahâba (compagnons) de la propager aussi largement que possible. Il
éduqua une génération entière de femmes et d’hommes, qui allaient prendre à leur
tour le flambeau du Message pour le répandre dans toutes les contrées du monde. 1
Le soleil de l’islam brilla sur l’humanité depuis la péninsule arabique au début du 7é
siècle de l’ère chrétienne. Dieu le Tout-Puissant, choisit Mouhamed (PSL) comme
envoyé à tous les hommes (Coran XXXIV 28). Le prophète arabe s’acquitta
parfaitement de sa mission et ne quitta ce monde en 632, qu’après avoir formé une
génération de croyants capables d’assurer la pérennité de son œuvre de prédication.
Ce sont ses compagnons qui, dirigés par ses successeurs, les califes bien guidés,
furent à l’origine des grandes conquêtes d’Asie, d’Afrique et d’Europe, régions où ils
transmirent le message de l’Islam et y attirèrent des peuples divers.
L’introduction de l’islam en Afrique, et on ne le dit pas souvent, est antérieure de
quelques années à son établissement à la ville sainte de Médine puisque, bien avant
l’Hégire, la terre africaine connut l’Islam, des exilés mecquois qui fuyaient
l’oppression des idolâtres mecquois, avaient été accueillis en Abyssinie par le Négus
Chrétien Nadjachi, qui les avait protégés et aidés. Ce fut donc avant même
l’émigration du prophète vers Médine et le début des conquêtes islamiques. Ensuite,
l’Égypte et le Nord du continent africain reçurent les premières vagues de
1
Universaliser le Message. Préface de Shaykh Zakaria SEDDIKI « Le Noble Coran » Edition Tawhid 2014
4
conquérants. Puis les conquêtes s’étendirent du Nord vers l’Ouest à une date qu’il
n’est pas aisé de déterminer avec précision mais qui est supposée située vers la fin du
7ème siècle et le début du 8 ème siècle2. Pour le Professeur Iba Der THIAM, les travaux les
plus récents établissent que l’apparition de l’Islam en Afrique au Sud du Sahara se
situerait entre le 8ème siècle et le 9ème siècle3.
Ahmadou Bamba apparut au 19ème siècle dans un contexte historique très tourmenté
au Sénégal, parce que ce siècle est une période de résistance à la pénétration
coloniale. Il faut noter la faiblesse de cette résistance car si elle fut farouche, elle
n’en restât pas néanmoins morcelée et doublée de luttes intestines. Cette résistance,
succomba sous les coups de boutoir de la puissance coloniale. :
- El Hadji Omar TALL, farouche résistant à l’oppression coloniale disparut le
12 Février 1864 dans la grotte de DEGEMBERE (Bandiagara)
- Mamadou Lamine Dramé tomba en 1887 dans une embuscade à Bakel
- Maba Diakhou Ba fut tué à Sombe en 1867
- Lat Dior tomba à Dékheulé le 26 Octobre 1886
- Samba Laobé FALL fut tué le 06 Octobre 1886 à Tivaouane
Dans le même ordre d’idées, dans un pays limitrophes, l’actuelle république sœur du
Mali : « Le prestigieux royaume des Faama Tièba et Bademba, qui avait été le dernier
bastion de la résistance à la conquête du Soudan, Sikasso fut prise par l’armée
coloniale en mai 1898. L’assaut laissa 6000 morts dans la population, que l’on
s’empressa d’enterrer dans une fosse commune à l’écart de la ville. 4
La position des français consistait à domestiquer leurs alliés, liquider les résistants,
Dans cette perspective de tutelle, ils accordaient à leurs alliés, des avantages
matériels et des fonctions honorifiques. .
C’est en cette période de troubles, de désarroi que l’histoire fit surgir des sables du
Baol un maigre petit homme d’origine Toucouleur wolofisée.
2 Khadim Mbacké : « Soufisme et confréries religieuses au Sénégal » Page 1
3 : Iba Der THIAM : « Les Daaras au Sénégal : Rétrospective historique » Soleil du 23 Septembre 2010
4
Roland COLIN, « La toison d’or de la liberté ». Présence Africaine p.17 2018
5
En dépit des apparences, nombre de foyers islamiques du Cayor, du Baol, du Saloum
notamment sont des créations toucouleurs et toucouleurs leurs chefs actuels, alors
même que traditions et langue pular ont succombé depuis fort longtemps à
l’avantage de l’entourage généralement wolof.
Ahmadou Bamba naquit vers 1855 : Son père Momar Anta sali était un des membres
islamisés de la cour de Lat Dior, il accompagna ce dernier lors de sa retraite dans le
Rip. La mère d’Ahmadou Bamba fut la vertueuse Mariama Bousso qui reçut le surnom
de Diarra (voisine de Dieu) en raison de la rigueur de ses dévotions. Cette ferveur
religieuse dans laquelle baigna Ahmadou Bamba le marqua fortement sans doute, car
c’est au sein de la famille, par l’effet d’un mimétisme naturel et d’une lente
imprégnation que l’enfant apprend les comportements, les manières de parler, et de
sentir les modèles affectifs et culturels, les aspirations et les valeurs qui domineront
sa vie entière.
« Sa mère Diaratoulah Maryam était pieuse, chaste, et fidèle. Toute soumise à son
seigneur, elle accomplissait très fréquemment la prière, le jeûne du ramadan, et
l’aumône légale (Zakat), tenant ainsi à s’acquitter sincèrement des devoirs que la
religion lui imposait à l’égard de Dieu et de son conjoint le Cheikh Imam. Elle
éduquait ses enfants de manière à développer en eux la bienveillance, le sentiment
religieux, et la pureté morale. Souvent, elle leur racontait les histoires des pieuses
gens afin de les inciter à suivre leurs exemples.
Doué d’une intelligence étonnante, et d’une nature pure, notre Cheikh écoutait
attentivement ces histoires et les apprenait par cœur. En plus il se mettait à imiter les
saints hommes avant même qu’il n’atteignît l’âge de la maturité.
Un homme digne de confiance, m’a raconté qu’il (Ahmadou Bamba) avait entendu
Diarra dire qu’il était dans les habitudes des pieuses gens de prier durant la nuit…
ayant appris cela, notre Cheikh se mit à prier dès que la nuit tombait et sortit sur la
place du village pour méditer dans l’obscurité de la nuit comme le font les dévots »5
Dans son enfance, le Cheikh Ahmadou Bamba eut plusieurs précepteurs parmi
lesquels on peut citer6 :
- Tafsir Mbacké Ndoumbé
- Samba Toucouleur KA
- Khaly Madiakhaté Kala
- Mouhamed Yadali Deymani
- Serigne Mboussobé
5
Serigne Bachir MBACKE, les bienfaits de l’Eternel ou la Biographie du Cheikh Ahmadou Bamba
MBACKE, traduction par Khadim MBACKE, Dakar 1995, P15
6
Moustapha Abdourahmane LO, Conférence sur « la vie et l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba », Paris
Unesco, juillet 1979 (bas de page 3)
6
- Momar Anta sali
Le Cheikh Ahmadou Bamba est un pur produit des Daaras. Les Daaras étaient l’école
du courage héroïque et de l’engagement patriotique dans laquelle l’apprenant était
préparé aux durs labeurs de la vie, à supporter faim, la soif bref à la sobriété dans
l’existence. Il devait apprendre à vivre avec peu, à partager avec d’autres, à faire don
de sa personne, à sa communauté, à oublier les priviléges qu’il pouvait tenir de son
origine sociale.
Il se coulait dans le moule d’un modèle social humble, discret, poli, effacé, résistant,
et stoïque.
Le talibé était préparé à devenir un régulateur social, un ouvrier du développement,
un juge et un arbitre, un guide, et un leader, prêt à s’impliquer dans toutes les
nécessités sociales et dans tous les combats au service de sa communauté.
C’est dans les écoles coraniques qu’ont été formées toutes les figures emblématiques
de l’islam africain qui ont porté haut, avec dignité et courage le flambeau de la
résistance à l’occupation coloniale7.
A ce stade de notre étude deux évènements majeurs méritent d’être relatés : le
premier est relatif au décès de Momar Anta Sally, le père du Cheikh Ahmadou
Bamba ; le second a trait au pacte d’allégeance de Cheikh Ibra Fall qu prend le Cheikh
Ahmadou Bamba comme son guide spirituel.
7
Iba Der Thiam, « Les Daaras au Sénégal : rétrospective historique », Soleil du 23 Septembre 2010
7
Cette réaction donna lieu à bien des commentaires. Le Serigne composa alors une
ode dont voici la traduction :
« « Accours, m’ont-ils dit, vers les portes des sultans
Afin d’obtenir des biens qui te suffiraient pour toujours ».
« Dieu me suffit, ai-je répondu, et je me contente de Lui ».
Et rien ne me satisfait sauf la religion et la science.
Je ne crains que mon Roi ni ne compte que sur lui.
Car Lui, le Majectueux, m’enrichit et me préserve.
Comment exposerais-je mes affaires entre les mains de ceux qui sont
Aussi incapables de résoudre leurs difficultés que les plus démunis ?
Et comment la convoitise des richesses m’inciterait-elle à
Fréquenter ceux dont les résidences sont les jardins de Satan ?
Si je suis attristé ou que j’éprouve un qulconque besoin,
J’invoque le Maître du Trône (Dieu)
Car, Il est l’Assistant, le Détenter de la Puissance Indéfinie
Qui crée comme Il veut tout ce qu’Il veut.
S’Il veut hâter une affaire, celle-ci se déclenche très rapidement.
Mais s’Il veut l’ajourner, elle s’attardera un moment.
Ô toi qui blâmes ! Ne va pas trop loin et cesse de me reprocher !
Car mon abandon des futilités de cette vie ne m’attriste
Si mon seul vice est ma renonciation aux biens de ces rois,
C’est là un précieux vice dont je ne rougis point !3
Ces vers que nous venons de mentionner font état d’une station mystique que les
soufis appellent tawakkul (résignation). Mais on y voit surtout les prémisses d’un
engagement à une nouvelle initiative, à savoir l’élaboration de la doctrine d’al-
Murîdiyya de Cheikh Ahmad Bamba.8
Cette défiance du CHEIKH AHMADOU BAMBA vis-à-vis de l’autorité temporelle est
une pratique constante, une marque de fabrique dans le cheminement spirituel du
8
Ahmadou Khadim SYLLA « La doctrine du Cheikh Ahmadou Bamba. Origines et enseignements ». L’harmatttan
p. 44 2015.
8
CHEIKH. Il s’agit d’une attitude de détachement qui n’exclut pas de sa part des actes
de générosité lorsque les circonstances le commandent comme en attestera plus tard
le témoignage de l’administrateur du cercle de Diourbal Jean Arthur Martin
LASSELVES dont je cite quelques observations : « Dans sa remarquable étude sur
AMADOU BAMBA et les Mourides, M. l’officier interprète MARTY lui prète dans sa
jeunesse les intentions de réunir entre ses mains la puissance temporelle à la
puissance spirituelle. Dans plusieurs de nos conversations, j’ai parlé au SERIGNE des
projets qui lui étaient attribués. Il s’en est défendu, m’a dit que ses rapports avec les
chefs du pays avant notre arrivée avaient été les mêmes que ceux qu’il avait eus avec
nous. Au début ALBOURY, le Bourba Djollof, LAT DIOR, le Damel, le Teigne TANOR
s’étaient méfiés de lui, l’avaient surveillé et tenu à distance puis dès qu’ils l’avaient
connu, avaient recommandé qu’on le laisse en paix et qu’on lui donne la tranquillité.
Il aime à rappeler cela et il n’a pas manqué de le faire dans une lettre à M. le
Lieutenant Gouverneur du Sénégal par laquellle il le remerciait d’un cadeau de livres
arabes ».
9
volonté spirituelle (Himman) à Allah. Toutefois, n’espère rien de moi concerant les
choses terrestres, ni case, ni femmes, ni biens ».
Ibra Fall fit sont allégeance pour servir et obéir, car il n’avait pour ambition que
d’accèder à la proximité divine. Il comprit instantanément que le Cheikh qu’il avait
devant lui, était très différent de tous les autres et qu’il dégageait une puissance
spirituelle irrésistible. Or, il était fis de roi et avait reçu une éducation totalement
différente, ce qui intriguait tout le monde. En effet, sa famille avait fourni toutes les
lignées royales du Sénégal. Par les attitudes révérencielles qu’il avait devant Cheikh
Ahmadou Bamba, ce nouveau disciple suscita l’incompréhension, mais aussi une
nouvelle impulsion à la voie mouride.9
En 1886 Lat Dior meurt et le Cayor est démantelé. C’est l’époque où Ahmadou Bamba
parvenu à l’âge de l’homme mûr, jouit d’un renom de science et de piété. Il n’avait
jamais encore quitté sa province mais ces tragiques événements l’obligèrent à
émigrer tout d’abord vers Mbacké Baol. Il fonda TOUBA en 1887. Tous les gens
désemparés et en proie à des motivations et aspirations diverses vinrent faire leur
soumission au Cheikh Ahmadou Bamba
- Les Tiédos : guerriers fétichistes, amateurs d’eau de vie : anciens partisans
de Lat Dior, d’Alboury, plusieurs d’entre eux étaient mus par le désir de
reprendre leur résistance belliqueuse face à l’envahisseur sous la bannière
d’Ahmadou Bamba
- Les badolos (roturiers) et gens castés : exaspérés par les exactions des
tiédos et les inégalités sociales, souhaitaient trouver en Cheikh Ahmadou
Bamba un réformateur de cette société si laxiste, si décadente
- Les marabouts : jadis placés sous l’obédience des roitelets puissants, ils
avaient troqué leur rôle de propagateurs de l’islam contre le manteau du
charlatanisme. Ils sont venus chez Ahmadou Bamba. Certains avaient
auparavant tenté de rivaliser avec lui, d’autres exaspérés souhaitaient
l’entrainer dans le sillage du pouvoir temporel, d’autres sont encore venus
parce que subjugués par l’érudition du Maitre. Il eut également à essuyer
les effets de l’adversité de certains chefs religieux auxquels son renom sans
cesse grandissant faisait ombrage.
- Il arrivera d’ailleurs plus tard au Cheikh Ahmadou Bamba de demander à
certains marabouts, jadis jaloux de son influence et qui par la suite sont
9
Abdallah FAHMI « Cheikh Ahmadou Bamba Joyau de la Sainteté ». Editions Albouraq, p. 31 à 33.
10
devenus ses disciples : « que faisiez-vous du temps de mon exil ? Ceux-ci lui
rétorquèrent : « nous priions afin que vous ne revinssiez pas. ». Le Cheikh
leur répondit : « Vous vous étiez mépris d’une chose : en partant (en exil),
j’avais emporté
- avec moi l’esprit du Coran ». Coran III, 120 « Si vous êtes patients et si vous
craignez DIEU, les stratagèmes de vos ennemis ne vous causeront aucun
tort, car Dieu cerne leurs agissements de toutes parts »
Cette ruée vers Ahmadou Bamba, devenu le pôle de convergence de ceux qui
tournaient le dos aux colons, suscita beaucoup d’agressivité et de suspicion de la part
des autorités coloniales, d’autant plus que les chefs de province ne réussissaient plus
à maintenir leur autorité dans les régions où ils cohabitaient avec les disciples
fanatiques et exaltés d’Ahmadou Bamba. Les plaintes et avertissements se
multiplièrent mais les agissements mourides continuèrent, redoublant d’ardeur. En
1895, Ahmadou Bamba émigre vers le Djoloff où il rallie le prince Samba Laobé Penda
NDIAYE
Comme d’autres maîtres soufis avant lui, Cheikh Ahmadou Bamba essayait
patiemment de trouver sa voie dans le monde mystérieux et périlleux qui menait à la
perfection spirituelle.
12
CHEIKH AHMADOU BAMBA
1895 : Rencontre du Cheikh Ahmadou Bamba avec le prophète (PSL) dans la mosquée
de Darou Khoudosse (TOUBA) et date de son départ en exil au Gabon. Ces deux
événements sont relatés ensemble dans la tradition orale. On nous dit que la
rencontre eut lieu lors d’une retraite spirituelle (Khalwa). Cheikh Ahmadou Bamba vit
le prophète accompagné de certains de ses premiers compagnons (Sahabas) et des
combattants de Badr, mais il ne put lui serrer la main car un voile le séparait de Lui.
Lorsqu’il demanda au Prophète pourquoi il ne pouvait s’approcher plus près de Lui,
ce dernier, lui répondit qu’être en contact avec lui était un honneur réservé
exclusivement à ceux qui avaient combattu à Badr, comme Badr ne pouvait être
répété, ce privilège n’était plus accessible à personne. Bamba dit au prophète qu’il
13
était prêt à payer n’importe quel prix pour mériter ce privilège/ Le prophète lui
répondit que de nombreux musulmans dévots, ayant atteint le niveau spirituel qui
était le sien et ayant eu la chance de le rencontrer dans les mêmes conditions avaient
fait la même requête mais n’avaient pas tenu leurs engagements. Il ajouta que le prix
de l’honneur brigué par Ahmadou Bamba était très élevé. Ahmadou Bamba répondit
qu’il était prêt à payer ce prix, que son corps et son âme étaient prêts à supporter
n’importe quel sacrifice tant qu’il serait animé d’un souffle de vie.
Cette histoire transmise par la tradition mouride, orale et écrite a permis de donner
une explication mystique à l’affrontement entre Cheikh Ahmadou Bamba et les
français. Pour les mourides, les procès infligés à Ahmadou Bamba par l’administration
coloniale française n’étaient rien d’autre que l’accomplissement des termes de
l’alliance entre leur Cheikh et le Prophète Mouhamed. Les souffrances qu’il devait
endurer étaient le prix à payer pour accéder à la position privilégiée de compagnon
du prophète10.
Le rapport du conseil privé consacré à l’affaire Ahmadou Bamba souligne : « Depuis
qu’Ahmadou Bamba nous est connu, il n’a eu d’autres façons de procéder que les
Maba, les Ahmadou Cheikhou, les Ahmadou Lamine et les Samba Diadama. Les
agissements de ses talibés et le passé même du marabout montrent clairement que
nous avons à faire en lui à un homme fort intelligent, très avisé, habile à ne pas se
compromettre, et dont l’esprit d’hostilité, les projets de conquête, les rêves
d’ambition sont certains et poursuivis avec une obstination qui , si elle dénote un
esprit de beaucoup supérieur à celui de ses congénères n’en est que plus dangereuse
à notre influence….Si l’on n’a pu relever contre Ahmadou Bamba aucun fait de
prédication, de guerre sainte bien évident, ses agissements et surtout ceux de ses
principaux élèves sont de tous points suspects. »
Il y a dans l’histoire même des prophètes et peut être dans leur raison d’être, une
sorte de fatalité. Tous ont déplu aux oligarques de leur ville ou de leur nation pour
avoir perturbé les règles établies, pour s’être réclamés d’esprits supraterrestres et
avoir paru n’écouter qu’une musique séraphique qui s’imposait à eux. Pour préserver
l’ordre ancien qui les avantageait, les autorités du moment ont combattu ces
nouveaux venus, les pourchassant et les exilant sans ménagement.
C’est précisément le sort qui fut réservé au Cheikh Ahmadou Bamba. 11
A l’issue des délibérations du Conseil privé, il est décidé d’enlever Ahmadou Bamba
non seulement dans la région où son action se faisait le plus sentir, mais de l’enlever
au Sénégal même et de l’interner dans un pays éloigné tel que le Gabon où ses
Cheikh Anta Babou. Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la
10
12
Mbaye GUEYE. Les exils de Cheikh Bamba au Gabon et en Mauritanie 1895, 1907. Annale FLSH n°25. 1995
p49 et 50
15
passions, là (au Gabon), je n’avais d’autre refuge que celui qui dit : Sois et la création
est ».
L’empereur du Wassoulou l’Almamy Samory Touré après 18ans de farouche
résistance à la conquête coloniale fut capturé à Guelemou le 29 Septembre 1898 par
le capitaine Gouraud. Déporté au Gabon Samory fut installé sur l’île de Ndjolé au
milieu de l’Ogoué avec de rares fidèles, dont Sarankenyi Mori et Morifinjan. Isolé
dans un milieu culturel et écologique totalement étranger au sien, il mourut de
pneumonie le 2 Juin 190013.
Alors que l’Almamy Samory était parti avec une suite et quatre femmes, le Cheikh
Ahmadou Bamba, lui, avait refusé toute compagnie (femmes, enfants, disciples) 14.
Le 12 Septembre 1902 l’administration coloniale décida du retour d’Ahmadou Bamba
au Sénégal. Le retour du Cheikh accrut son prestige. Il apparut comme un miracle
d’autant plus qu’il l’avait prédit à certains de ses proches parmi lesquels 15 :
Serigne Marouba GUEYE
Cheikh Ibra FALL (le Cheikh lui avait dit : Va m’attendre à Saint-Louis. C’est un havre
de paix. Aide les membres de ma famille, l’exil sera dur mais il sera bénéfique à tous à
mon retour). Serigne Bachir Mbacké , dans son ouvrage témoigne de la générosité du
Cheikh Ibra FALL envers la famille du Cheikh Ahmadou Bamba de par l’aide matérielle
qu’il leur apportait en particulier à Mame Thierno Birahim et Mame Mor Diarra
Mbacké, respectivement jeune frère et frère ainé du Cheikh )
13
Yves Person. Samory. Les Africains. Tome I. Edition J.A p 284
14
Cheikh Abdoulaye Dieye. Le centenaire du Jihad.Al.Akbar (1895.1995) p.53
15
Ibrahima Mor MBACKE, Touba ce 02 Février 2010
16
CHEIKH IBRA FALL
- Serigne Ibrahima Mbacké Cadior (frère de Momar Antasali, le Cheikh lui
avait promis d’assister à ses funérailles)
- Ahmadou Ndiaye Mabéye (le Cheikh lui avait montré le début du poème
« Asiru Mahal abrar », tout en lui promettant l’intégralité du poème à son
retour d’exil du Gabon).
17
- Sokhna Faty Issa Diop (le Cheikh lui avait promis de présider à ses obsèques
Dès son retour, les dons et les visiteurs affluent. L’administration s’inquiète. Il est
constitué à l’effectif de 150 tirailleurs et de 50 Spahis le détachement chargé de
procéder à l’arrestation à Mbacké du marabout Ahmadou Bamba 16. Le 13 juin 1903,
Ahmadou Bamba doit se constituer prisonnier à Diourbel, pendant 4 ans, il est
éloigné en Mauritanie (1903 – 1907).
Il fut placé sous la surveillance de Cheikh Sidya.Serigne Muhammad Al Bachir fils et
biographe du Cheikh Ahmadou Bamba (Serigne Bachir est l’auteur des « bienfaits de
l’éternel » ) pense que le choix de la Mauritanie pouvait s’expliquer par le souci de
voir le prestige du Cheikh noir s’effriter devant les maîtres maures, ensuite de faciliter
sa liquidation physique en l’installant dans une région particulièrement troublée (et
une tentative d’assassinat eut bien lieu mais elle se soldat par un échec). Cette
tentative d’assassinat nous a été relaté par son disciple et biographe Cheikh
Mouhamed Lamine Diop Dagana en ces termes :
« Revenons à la relation des événements de l’exil. Le Cheikh se rendit à Tente
MMughaîn où se produisit un odieux incident. En effet, un Maure (ses noms et
prénoms sont bien connus, mais je me tais là-dessus pour ne pas discréditer ses
proches musulmans) tenta d’assassiner Ahmadou Bamba.
Mais Dieu l’en a protégé. Le Maure s’était prétendument rallié au Cheikh et
témoignait à son égard d’une affection et d’un attachement apparemment sincère…
Par la suite le Cheikh a écrit pour lui les trois vers suivants et lui a recommandé de les
réciter régulièrement, jour et nuit :
« C’est à d’autres que moi que Satan et le mal s’attaquent.
« Ils n’ont aucune emprise sur moi.
« Car Dieu est mon Seigneur et le Prophète élu
« (Qu’il soit béni par Celui qui l’a guidé et élu)
« Et demandé au Seigneur des hommes de me rendre heureux.
Le Maure déclamait constamment ces vers. Chaque répétition était précédée d’une
lecture de la 36e sourate dont il répétait le premier mot (Yasîn sept fois avant de lire
le verset de la sourate puis les vers. Puis il recommençait. Il continua ainsi des jours
durant, voire un mois selon certains, et ne se taisait que dominé par le sommeil ou la
fatigue.
16
Lettre du Général Houry , Commandant supérieur des troupes de l’AOF au Gouverneur Génral de l’AOF.
Saint-louis, 06 Juin 1903
18
A cette époque, Ahmadou Bamba résidait chez la famille du Cheikh Sidya. Par
la suite, il donna à ses adeptes l’ordre de lui construire sa propre maison hors des
habitations des Maures. La maison achevée, il en informa cheikh Sidya Baba qui
donna alors à son frère Cheikh Sidy Mukhtar l’ordre d’accompagner Ahmadou Bamba
dans sa nouvelle demeure. En même temps, ce dernier demanda au Maure
susmentionné de le rejoindre et de poursuivre la répétition des vers.
Le Maure, croyant son coup bien préparé et le moment propice à son
exécution se leva au milieu de la nuit, se déshabilla, pénétra dans la maison du
Cheikh, entra dans sa tente, prit son épée et le sortit de son fourreau….
La providence voulut qu’un certain Omar Fall Ndatte (un néophyte de
l’ancienne famille royale cayorienne, qui était des plus sincères dans sa conversion et
des plus renoncés au monde), qui priait dans le « Masdjid » s’aperçut de l’intrus et
avertit Muhammad Lamine Niang (fils de Muhammad Lamine Maty, un cousin du
Cheikh) qui était chargé des affaires domestiques du Cheikh M.L.Niang se jeta sur lui
comme un fauve. Les deux hommes hurlèrent, et les autres de venir au secours. Le
cheikh intervint afin d’empêcher ses adeptes de tuer l’agresseur. Puis il envoya
quelqu’un secrètement pour appeler un groupe de visiteurs qui passaient la nuit loin
du lieu de l’incident et auxquels il avait promis de leur permettre de rentrer chez eux.
Quand ils vinrent, il leur demande de conduire le Maure à Saoutalma et de l’y
laisser. Loin de vouloir le réprimer, il leur cacha la nouvelle de sa tentative
d’assassinat afin de sauver sa vie et leur demanda de l’aider à transporter ses
bagages. Certains des compagnons du Cheikh croyaient que l’envoi du Maure au
poste colonial signifiait que le Cheikh le considérait comme un mercenaire des
colonisateurs – Dieu sait mieux – En tous cas, sa tentative échoua.
Dans les vers précités apparaît un prodigieux « dévoilement »17pour le cheikh.
Que Dieu le récompense par le bien pour son service de l’Islam et des Musulmans.
L’attitude du Cheikh dans cette affaire relève d’une bonté de cœur et d’un
agrément de la volonté divine jamais connu chez ses contemporains. Cette attitude
nous rappelle du reste celle de Mouhammad (PSL). En effet, au cours d’une de ses
campagnes militaires, un bédouin le surprit couché loin de ses compagnons s’empara
de son épée et lui dit :
- « Qui est ce qui m’empêche de te tuer ?
- « Dieu ».
Le bédouin trembla au point que l’épée tomba de sa main.
Alors Mouhammad s’en saisit et lui dit :
17
Selon l’auteur, le plus poème indique que Dieu avait dévoilé au Cheikh les intentions du Maure.
19
- « Et toi, qui est ce qui m’empêche de te tuer ? »
- « Ta bonté ».
Mouhammad lui pardonna…..
Pourtant le Maure vint une seconde fois trouver Ahmadou Bamba à Saoutalma
et les Mourides voulurent le tuer. Dès qu’il en fût informé, il sortit au milieu du jour
pieds nus en répétant : « Lâchez-le. N’aimez-vous pas que Dieu vous pardonne ? « Ils
le lachèrent, et le Cheikh l’intima de quitter les lieux après lui avoir offert un présent.
Plus tard, le Maure lui rendit visite à Diourbel. Comme toujours, le Cheikh l’a défendu
et lui dit en plaisantant ; « C’est encore L’Homme à l’épée ! « Et le Maure de
répondre : « C’est plutôt l’homme qui avait perdu sa lucidité », le cheikh le renvoya
après lui avoir fait un présent…. Par la suite, nous l’avons vu, moi et un groupe de
Mouride à Thiès. J’étais le seul qui le connaissait. Si je leur avais parlé de lui, ils
l’auraient tué. Mais j’ai préféré lui pardonner comme le cheikh.
Autre raison de cet exil en Mauritanie il fallait le placer auprès de son ami intime,
l’homme de confiance des autorités coloniales (Cheikh Sidya) , proximité qui lui
permettrait d’étancher sa soif spirituelle et littéraire sans que l’on craignît de sa part
une action susceptible de troubler l’ordre public 18.
L’exil du Cheikh Ahmadou Bamba en Mauritanie constitue une étape importante dans
son cheminement spirituel, c’est dans cette contrée qu’il reçoit son propre Wird
(pour un soufi, le Wird est le moyen de purifier son âme et de s’approcher de Dieu en
se remémorant sans cesse son nom) : la réception du Wird représente un tournant
dans le développement spirituel de Cheikh Ahmadou Bamba et de l’Islam au Sénégal.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Islam en Afrique subsaharienne, un homme
noir se détachait des Tariqas soufis du moyen orient et revendiquait le statut de
fondateur d’une confrérie. Le Wird était le signe le plus évident que son rang de
Cheikh et de guide de la communauté était reconnu par tous 19. La réception du Wird
se fit durant le mois de Ramadan en l’an 1322 de l’hégire (c’était en 1904 à Sarsara).Il
avait au paravant utilisé le Wird Quadir reçu de son père, puis le Wird Chadhili reçu
d’un Cheikh de la tariqua au cours de sa visite en Mauritanie et enfin le Wird Tidiane
qui a été le dernier utilisé par lui avant la proclamation de son indépendance par
rapport aux autres voies.20
Là aussi les pèlerins affluent, de même que les offrandes et l’administration prend de
nouveau ombrage d’une influence qui parait menacer la sienne, en Avril 1907 le
Cheikh est admis au régime de la résidence surveillée à Thieyéne (1907 – 1912).
18
Khadim Mbacké, soufisme et confréries religieuses au Sénégal P 63
19
Cheikh Anta Babou. Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la mouridiya au Sénégal. Edition
Karthala. P 162
20
Khadim Mbacké, Soufisme et Confrérie religieuse au Sénégal P.69
20
Le 16 janvier 1912 Ahmadou Bamba est admis à s’installer à Diourbel où la
surveillance sera plus facile. Il reçut à son arrivée un accueil délirant comme nous le
décrit Serigne Bachir Mbacké : « les vagues qui foncent en troupeaux blancs vers la
plage, les abeilles qui s’agglutinent en essaims sur une branche autour de leur reine
étaient moins nombreuses que les foules qui accouraient vers Ahmadou Bamba »21
Pour endiguer le flot de visiteurs, il y avait des rondes inopinées de la police à Keur
Goumak comme en atteste une correspondance du commissaire de Police de
Diourbel en date du 24 juin 1912 : les visiteurs devaient être pourvus d’une
autorisation.
Cette période de la vie du Cheikh est marquée par divers événements dont
La construction de la mosquée de Diourbel de 1917 à 1926 (Ahmadou
Bamba y a présidé deux fêtes religieuses). Bien qu’il eût la possibilité de se
faire offrir le terrain abritant Keur gou Mak à Diourbel, Serigne Touba avait
tenu à l’acheter pour ne pas se sentir redevable à l’égard d’un bienfaiteur
autre qu’Allah. (Source : Professeur Latsoucabé MBOW ce 9/6/2020).
21
Amar Samb : Ahamadou Bamba ou l’école de Touba, in Contribution du Sénégal à la littérature d’expression
arabe ; P448
21
Il convient de noter que la signification du Grand Magal présente une certaine
singularité, car généralement on célèbre le jour où l’on devient victorieux et non le
jour où débutent les épreuves. Ahmadou Bamba célèbre le jour où débutent ses
démêlés d’avec l’administration coloniale (donc les débuts de ses tribulations et
épreuves et non le jour de son retour d’exil censé être le jour de son triomphe).
Après avoir combattu farouchement le Cheikh Ahmadou Bamba, l’autorité coloniale a
fini par reconnaître son erreur de jugement sur la personne du Cheikh Ahmadou
Bamba, comme en témoignent divers rapports d’archives. L’un des plus poignants
témoignages provient d’Antoine Jean Martin Lasselves qui fut administrateur du
cercle de Diourbel du 1er Octobre 1913 à Novembre 1915. Avant d’en venir à
quelques extraits des témoignages de Lasselves, il serait intéressant de rapporter la
description que Serigne Bachir Mbacké, fils du Cheikh Ahmadou Bamba fait de cet
administrateur : « un autre exemple du changement d’attitude de la part des
adversaires du Cheikh fut celui d’un nommé Docteur LASSELVES qui, à une certaine
époque fut nommé administrateur de Diourbel. Cet homme était d’une nature
méchante semblable aux bilieux aux comportements violents. De surcroit il était
intraitable et violent et parlait d’un ton dur. Leste, il ne confiait son travail à personne
et n’usait pas de stratagèmes, et ne favorisait personne et disait ce qu’il pensait, bon
ou mauvais. Voilà son portrait tel que je l’ai connu et tel que les autres habitants du
Baol l’ont connu. Il fut donc envoyé à Diourbel où ses qualités lui ont valu un grand
respect de la part de la population.
Le but de sa nomination à ce poste était de surveiller notre Cheikh strictement afin de
connaître ses secrets profonds, de l’importuner et de le subjuguer. Pour ce faire il se
servit de toutes sortes de moyens moraux, psychologiques et physiques afin d’établir
pour le compte du gouvernement des rapports authentiques. Bien équipé, il a
commencé son enquête sur le Cheikh. Parfois il l’appelait au milieu de la chaleur,
parfois au milieu du froid, parfois encore il se rendait inopinément dans sa maison.
Par excès de dureté, il donna à un de ses fils l’ordre de défoncer une porte et de
démolir des murs afin de lui permettre de surprendre le Cheikh dans sa solitude. Un
jour il a même escaladé le mur de sa maison afin de savoir ce qu’il faisait dans sa vie
quotidienne. En dépit de tout cela il n’a pour autant jamaisrelevé la moindre position
suspecte et ne l’a jamais trouvé oisif ou en train de s’occuper d’intérêts séculiers. Il le
trouvait toujours soit en train d’écrire, soit en train de réciter ou d’accomplir un autre
acte de dévotion. Et notre Cheikh (DSSL) ne lui a jamais montré sa désapprobation de
sa mauvaise conduite.
D’autre part, nous suggérions à notre Cheikh (DSSL) de prier Dieu pour que cet
administrateur fut destitué ou empêché de le fouiller. Mais en dépit de cette
situation tendue, et extraordinaire, créée par l’administrateur, notre Cheikh, souriant
nous répondit : « il m’est dit que cet administrateur est envoyé ici pour démontrer la
22
fausseté des accusations portées contre moi et prouver mon innocence. » Nous
nous étonnions d’entendre le Cheikh tenir ces propos à l’égard de cet homme qui se
comportait à son égard avec une cruauté sans précédent.»
Dans un rapport adressé au Gouverneur de Saint-Louis en 1915, on note ces propos
poignants, élogieux de LASSELVES à l’endroit du Cheikh Ahmadou Bamba :
« Ce Cheikh (BAMBA) détient certes une puissance innée dont la raison ne parvient
pas à saisir la source et expliquer la capacité de forcer la sympathie. La soumission
des hommes envers lui est extraordinaire et leur amour pour lui les rend
inconditionnels. Il semble qu’il détienne une lumière prophétique et un secret divin
semblables à ceux que nous lisons dans l’histoire des prophètes et de leurs peuples.
Celui-là se distingue toutefois par une pureté de cœur, par une bonté, une grandeur
d’âme et un amour du Bien, aussi bien pour l’ami que pour l’ennemi, qualités pour
lesquelles ses prédécesseurs l’auraient enviées quelques grands que fussent leurs
vertus, leur piété et leur prestige. Les plus injustes des hommes et les plus ignorants
des réalités humaines sont ceux qui avaient porté contre lui de fausses accusations
consistant à lui prêter l’ambition du pouvoir temporel. Je sais que les prophètes et
les saints qui ont mené une guerre sainte l’ont fait sans disposer de la moitié de la
force dont dispose ce Cheikh ».
Parmi les dernières volontés du Cheikh Ahmadou Bamba figuraient son souhait d’aller
en pèlerinage à la Mecque, la construction de la Mosquée de Touba, et le fait de
reposer à Touba.
23
Dans le rapport consacré au décès d’Ahmadou Bamba, on peut noter ces propos de
l’autorité coloniale : « Confiants dans la solidité et la durée de notre œuvre, nous
pouvions espérer qu’Ahmadou Bamba n’était pas eternel et qu’avec lui-même
disparaitrait sinon sa confrérie, du moins l’autorité sans égale et sans partage que
lui valaient son prestige personnel et son auréole de sainteté ….»22 (Voir Cheikh M.
Lamine Diop Dagana : sur la mort du Cheikh).
LA MORT DU CHEIKH
Le Cheikh poursuivit ses activités jusqu’à ce que l’ordre de Dieu lui parvînt. Ses
deux disciples, Mouhammad Ibn ar-Rahman al Tandughi (mort en Shawwal de l’an
137223 et Mouhammad Lamine Diop, l’auteur de ces lignes fut désigné pour préparer
les funérailles. La dépouille mortelle du Cheikh fut secrètement transportée à Touba
dans la nuit du mercredi. Cinq personnes dirigées par Mouhammad al Bachir, le fils
du défunt, accompagnèrent le cercueil. Bachir dépécha des émissaires à son frère
Mouhammad al –Fadil, notre actuel calife, qui se trouvait alors à son fief (de Ndindi)
près de Touba et au Cheikh Ibrahim qui se trouvait à Darou Mousty et au Cheikh
MBacké Bousso qui se trouvait à son village de (Guédé) près de Touba. De même il
avertit les principaux talibés présents à Touba qui à leur tour se firent rejoindre par
leurs principaux compagnons.
Ainsi, dans très peu de temps, vingt huit personnes se réunirent et accomplire
la prière mortuaire à la mémoire du Cheikh sous la direction du Cheikh MBacké
Bousso. Tout cela se passe à l’insu de la masse par crainte de désordres. Les
funérailles furent achevées avant l’aube et une baraque fermée à clef fut installée sur
la tombe. Au matin, quand les gens apprirent la nouvelle de la mort du Cheikh, une
panique indescriptible s’empara d’eux. Tout cela se passait alors que, à Diourbel, le
calife Mouhammad al-Moustapha informait les gens de la nouvelle et les
tranquillisait…….
A l’issue des obséques, je rencontrai un de nos compagnons qui n’était pas au
courant de ce qui venait de se passer. Il m’a dit : - je t’ai vu hier en rêve et t’ai
demandé où était le Cheikh (pour toute réponse) tu n’as récité ce verset coranique :
« Mouhammad n’était qu’un messager précédé par des messagers, etc…. »24. Je lui ai
dit : la situation est comme tu vois, entre. Il entra, vit et se mit à exprimer son
étonnement…… L’auteur de la présente biographie a écrit à cette occasion l’élégie
que voici :
22
Rapport sur le décès de Cheikh Ahmadou Bamba, 19 juillet 1927
23
Juin – Juillet 1953
24
La récitation de ce verset (3 : 144) dans une telle circonstance implique l’annonce du décès du Cheikh. Jadis à
la suite du décès du Prophète Abu bakr l’avait récité devant les compagnons affolés qui ne voulaient pas croire
à la mort de Mouhammaf.
24
« Le Cheikh se rendit au Maître qu’il adorait
Il savait certainement qu’il ne vivrait pas éternellement.
C’est pourquoi il avait cherché l’agrément de Dieu en se conformant à Ses
prescription et en évitant des interdictions.
Il interdisait le mal et prônait la bonne voie et pratiquait avec modération ce
qu’il recommandait.
Il était sa vie durant le support de la religion.
Pour atteindre la vérité, ses fils (les talibés) s’étaient confiée à lui et lui
reconnaisssait les droits d’un fils.
Qui donc s’occupera désormais des orphelins à qui il a fait oublier leurs
origines ? C’est par le bien que l’on étreint le mal.
Pour les pauvres venus de tous bords solliciter et obtenir son aide, il fut une
source de prospérité et de quiétude.
S’il était permis de le racheter, nous l’aurions fait mis mais tous les seigneurs
dispsarue avant lui n’avaient pas été rachetés.
S’il est vrai qu’il a physiquement disparu, il est tout aussi vrai que les effets de
sa bonne action nous profitent toujours.
La loi française du 1er juillet 1901 qui est le texte fondamental en matière
d’association a inspiré le législateur sénégalais au moment de l’indépendance. Cette
loi n’a été promulguée en AOF qu’en 1946 plus précisément par les décrets des 13
Mars et 16 Avril 1946.
Dans le milieu des administrateurs coloniaux, des inquiétudes se firent jour quant à
une éventuelle promulgation de la loi de 1901 en AOF. Parmi les tenants, les
partisans du rejet de la promulgation figuraient les administrateurs Jules Brévié et
Paul Marty.
Pour Brévié : « la tendance au groupement et à l’affiliation est pour ainsi dire
constitutive du caractère négritien. Quel danger pourrait faire courir à la constitution
sociale des sociétés indigènes et par contrecoups à notre domination, une loi qui
permettrait à ces tendances de se satisfaire sans frein et sans limite.
Brusquement nous verrions se dresser devant nous des groupements religieux et
politiques forts de l’adhésion des centaines de milliers et même de millions
d’adhérents tels que les tidianyas et les Kadryas pour ne parler que des plus
25
importants qui , étant donnée la faiblesse de notre encadrement administratif et
militaire pourraient se constituer en puissantes théocraties.
Certes nous pourrions encore spéculer sur les rivalités confessionnelles qui l’histoire
récente du pays l’atteste, sont toujours vivaces chez les noirs, ; mais que l’ordre
public soit menacé dans son existence même , ou qu’il soit troublé par d’incessantes
querelles d’églises , ou se complaira toujours le byzantinisme des chefs de secte, le
danger n’en existera pas moins pour notre domination et si l’unité ne parvenait pas à
se réaliser au profit des grandes confréries, elle pourrait se créer à la faveur de la loi
dans chacune des chapelles locales qui acquerraient ainsi ce qui leur manque le plus
aujourd’hui, la vie permanente et la volonté d’une action concertée. Alors que nous
pouvons espérer du temps leur disparition progressive déjà en voie de réalisation
pour certaines comme celle des mourides BAMBA et de BOUKOUNTA de Tivaouane,
nous aurions de gaieté de cœur donné la pérennité à ces congrégations… Tout régime
légal qui favoriserait cette tendance pourrait avoir d’incalculables conséquences sur
l’évolution ultérieure du pays. »
Paul Marty partage les mêmes préoccupations dans une « note sur l’application en
AOF de la loi de 1901 sur le contrat d’association » en date du 29 juillet 1920. Il
conclut en ces termes : « l’application de la loi de 1901, sur le contrat d’association
présente en AOF
Au point de vue islamique les plus graves inconvénients. Dans cette matière si
délicate et où notre action ne se soutient qu’à force de vigilance, de souplesse et
d’adaptation à ces milieux médiévaux, un texte pareil, aussi précis et aussi moderne
peut emmener d’extrêmes désagréments. Bornons nous donc ici plus que partout
ailleurs à cet axiome latin qui est peut être le meilleur principe de la politique
indigène : quieta non movere » (« Il ne faut pas apporter le trouble là où règne la
quiétude ». Il faut sauvegarder la paix à tout prix.
Dans ladite note Paul Marty s’attendait impatiemment à la dislocation du
mouridisme d’Ahmadou Bamba.
D’aucuns ont jugé qu’il faudrait procéder à la réhabilitation du Cheikh Ahmadou
Bamba car la France lui a fait subir beaucoup d’injustices. La réhabilitation est une
mesure d’indulgence qui récompense la bonne conduite durable d’un ex condamné
et lui rend la situation légale qu’il a perdue du fait de sa condamnation. Cette idée a
priori généreuse et juste doit être battue en brèche car même si Ahmadou Bamba a
été victime de brimades dans son cheminement spirituel, il n’a point besoin d’une
pareille réhabilitation, car c’est l’histoire elle-même qui a réhabilité Ahmadou Bamba.
Qui se souvient aujourd’hui d’un Jules Brévié, d’un Paul Marty, d’un Marius Mouttet,
d’un Martial Merlin ? Ils sont enfouis dans les méandres de l’oubli. La meilleure
26
consécration de cette réhabilitation réside dans la célébration du Grand Magal de
Touba qui est devenu après le pèlerinage à la Mecque le second plus grand
rassemblement religieux au monde. Le grand village de Touba, n’est il pas devenu en
un temps record la seconde ville du Sénégal, de par son essor fulgurant dans ses
dimensions géographiques et démographiques ? Ahmadou Bamba a su pardonner à
ses ennemis, car il a compris que l’âme n’est jamais aussi forte et aussi noble que
lorsqu’elle renonce à la vengeance et ose pardonner. C’est cette mansuétude qui lui a
valu du Tout-Puissant des grâces spéciales.
La confrérie Mouride, confrérie typiquement sénégalaise ne connait-elle pas un
développement prodigieux de par son rayonnement international et son dynamisme
pérennisant ainsi la pensée et l’œuvre du Cheikh Ahmadou Bamba ?
Consécration ne peut être plus belle. Nous n’en voulons pour preuve que les propos
du Président Mamadou DIA, autre victime d’une injustice qui lui aussi aurait mérité
réhabilitation, réhabilitation encore une fois dont l’histoire s’est chargée.
Lors d’une célébration du Grand Magal de Touba, précisément le 04 Septembre 1957,
le président Mamadou DIA portait ce témoignage sur le Cheikh Ahmadou Bamba :
« Touba est pour nous à travers les années et dans la longue marche que nous
avons entreprise une référence fondamentale car le Mouridisme est une création
originale dont le fondateur est un saint « pas comme les autres ». Ahmadou Bamba
nous apparait avant tout comme le marabout dont la vie, l’œuvre, la doctrine se
sont définies en s’opposant, parfois durement à toutes les influences étrangères et
se sont exprimées dans une création toute nouvelle et purement africaine.
A ce titre l’héritage d’Ahmadou Bamba constitue à la fois un enrichissement
inappréciable de notre patrimoine spirituel et une affirmation de cette autonomie
culturelle qui est tout autant que l’indépendance économique une condition
nécessaire du développement national.
A toutes les menaces, à toutes les pressions, Ahmadou Bamba a résisté
simplement, sans ostentation, mais sans défaillance. Maintenant la pureté de sa
doctrine et son indépendance à l’égard des pouvoirs, cette indépendance à l’égard
de César hors de laquelle aucune spiritualité ne peut s’épanouir et la leçon
d’Ahmadou Bamba ne s’arrête pas là car son attitude a porté ses fruits que nous
recueillons aujourd’hui. Son inflexibilité a fini par forcer l’estime et l’admiration de
tous et d’abord de ceux-là mêmes qui l’avaient suspecté et poursuivi. C’est
pourquoi nous voyons à chaque pèlerinage et cette année encore le gouvernement
de la république française en la personne de ses plus hauts fonctionnaires apporter
au souvenir d’Ahmadou Bamba son hommage et l’expression de son respect.
Touba est donc bien pour nous le lieu où ont triomphé l’esprit de résistance et la
dignité sénégalaise. A qui serait tenté de l’oublier, Touba rappelle que l’estime,
27
même celle des adversaires se mérite. Elle ne vient pas récompenser la servilité ou
l’acquiescement systématique. Elle reconnait la valeur de qui s’affirme, dans
l’opposition s’il le faut. Toute personnalité qui maintient son intégrité, obtient sa
reconnaissance. La dignité, qu’elle soit d’un homme ou d’un peuple, ne s’achète
pas ».
Certains concepts qui ont fait flores par la suite telle que la Négritude ou la Non-
Violence ont eu Ahmadou Bamba comme pionnier. On peut dire qu’il en est la
personnification.
Pour le concept de négritude, bornons nous tout simplement à rappeler quelques
vers du poème du Cheikh Ahmadou Bamba intitulé « Massalikoul Jinan » (les
Itinéraires du Paradis) : « que ma faible renommée dans cette génération ne te
pousse pas à refuser cette œuvre pie.
Ne te laisse pas abuser par ma condition d’homme noir pour ne pas en profiter.
L’homme le plus estimé auprès de Dieu, est celui qui le craint le plus sans
discrimination d’aucune sorte.
La couleur de la peau ne saurait être cause de l’idiotie d’un homme ou de sa
mauvaise compréhension ». (Massalik vers 46 à 49.)
Le Cheikh s’adressait probablement à ceux qui croient que l’islam est l’apanage des
arabes, confondant de ce fait Islam est arabité.
Quant au concept de non-violence, rappelons que dans la surveillance stricte à
laquelle l’autorité coloniale astreignait le Cheikh Ahmadou Bamba, celle-ci n’hésitait
pas à envoyer des agents secrets dans la concession du marabout pour vérifier si
celui-ci ne stockait pas des armes en vue de préparer une guerre sainte. Parmi ces
agents secrets figurait un certain Oumar NIANG (lettre du 10 juin 1903).Arrivé dans la
résidence du marabout, il prétexta vouloir faire sa soumission au marabout à l’instar
de ses parents. Dans un entretien que lui accorda le Cheikh Ahmadou Bamba, ce
dernier lui fit la déclaration suivante : « pour être mon talibé, il faut suivre Dieu et
son prophète. Tous ceux qui prétendent être mes talibés et ne confessent pas
comme il faut la religion, mentent. Quiconque donnera même cinq francs pour
Dieu, sera récompensé.
J’ai fait des conditions avec Dieu ; si même le Mahdiou descend sur terre, je ne
l’aiderai pas.
Je ne tuerai plus ni scorpion, ni serpent, ni même n’importe quoi qui vit. La route
que j’ai prise , il m’est absolument interdit de tirer des coups de fusils, attendu que
si le Mahdiou arrive et que je prenne des armes ma mission sera perdue.
Le jour que tu auras appris que j’ai des armes, ne viens pas à moi, considère moi
comme n’existant plus »
28
Dans sa correspondance transmise au gouverneur de Saint-Louis, Oumar NIANG
précise : « j’ai visité certaines chambres du village de Ahmadou Bamba, mais je suis
sûr qu’il n’y a pas de fusils ni de munitions ».N’est-ce pas là une saisissante
illustration de la non-violence d’Ahmadou Bamba, illustre devancier de Gandhi,
Martin Luther King et Nelson Mandela ?25
Dans le même ordre d’idées, Fernand Dumont, qui fut conseiller technique du
Président SENGHOR et auteur d’une thèse sur la pensée religieuse du Cheikh
Ahmadou Bamba porte ce témoignage sur la non-violence d’Ahmadou Bamba :
« l’ascète musulman est appelé d’un mot arabe qui signifie le « Renonçant ». Un
mot identique désigne aussi l’ascète en Inde. Le Mahatma Gandhi, le plus grand des
renonçants modernes, tenait l’action, pratiquée dans l’esprit d’abandon à Dieu
pour la forme suprême du renoncement mystique. « Mon dévouement à mon
peuple disait il est un des aspects de la discipline que je m’impose, afin de libérer
mon âme. Je n’ai pas besoin de chercher refuge dans une grotte : je porte ma grotte
en moi »
Cheikh Ahmadou Bamba, apôtre de la non-violence fut aussi un ascète mêlé à la
foule par générosité de cœur et par grandeur d’âme, parce qu’il avait choisi de vivre
sa foi pour être utile à son prochain en étant agréable à Dieu.
Ndiack FALL
Assistant en Droit Privé à la
Faculté des Sciences Juridiques et
Politiques
Université Cheikh Anta DIOP
Dakar
25
Oumar BÂ, Cheikh Ahmadou Bamba et la FRANCE
29
ANNEXES
30
I- DOCUMENTS D’ARCHIVES
ANNEXE I
LISTE DES PERSONNES AYANT TRANSFERE LA DEPOUILLE MORTELLE D’AHMADOU
BAMBA DU LIEU DE SON RAPPEL A DIEU AU FOURGON FUNEBRE
31
Cheikh Mouhamadou Moustapha Mbacké
Cheikh Mouhamadou Bachir MBACKE
Cheikh Mouhamadou Lamine Diop Dagana 8
Cheikh Mouhamadane Tandakhyou (un maure)
Cheikh Diop Khary Dieng (oncle de Serigne Bachir Mbacké)
Cheikh Sayid Mbacké
Cheikh Makhtar SYLLA (Jeune frére de Serigne Madiba Sylla)
Cheikh Sokhna Faty Tacko DIOP ( Serigne Cheikh Diop Fatacko)
ANNEXE II
32
Extrait d’une allocution d’El Hadji Falilou Macke, 2 ème Calife Général des Mourides à
l’occasion du Grand Magal de Touba :
« Un certain jour de l’an 1895, un maigre petit homme qui n’opposait aucune
résistance était arrêté dans le village de Darou Marnane par un important
détachement de SPAHIS armés jusqu’aux dents après des conférences d’états-
majors et des précautions dignes d’un adversaire plus nombreux et plus
belliqueux.
De la presqu’Île du Cap-Vert aux côtes de l’Angola, en passant par la côte des
graines, et le Golfe de Guinée cet homme sera balloté d’un port à l’autre, d’une
prison à une autre le long de la côte occidentale d’Afrique jusqu’en 1902. Qui
était cet homme ? Quel crime avait-il commis ? Cet homme était Ahmed ben
Ahmed ben Habiballah, plus connu sous le nom de Cheikh Ahmadou Bamba,
descendant d’une fort honorable famille maraboutique originaire du Fouta. Et
pourtant, il n’avait commis aucun crime. Il n’avait tué, ni volé, ni fait de mal à
personne.
Et pourtant il était accusé de beaucoup de délits. Frappante ironie du sort !
Celui qu’on accusait de préparer la guerre, de troubler l’ordre public, de porter
atteinte à l’économie du pays et d’exciter la haine entre les sectes devait se
révéler comme le plus pacifique des prédicateurs, le plus solide soutien de
l’ordre public, le plus grand facteur de l’expansion économique et le plus zélé
apôtre de la solidarité non seulement entre adeptes d’un même culte, mais
entre croyants de confessions différentes.
ANNEXE III
Le martyr Cheikh Ahmadou Bamba par Alassane NDIAYE dit Allou
33
(Extraits d’une émission radiodiffusée sur les ondes de Radio Sénégal en 1958)
Ahmadou Bamba était gênant non point parce qu’il pouvait, il l’aurait obtenu
s’il avait réellement cherché, avoir un immense pouvoir politique, mais parce
qu’il constituait une preuve et démolissait par le rayonnement de sa
personnalité et l’extraordinaire dynamisme de ses adeptes un édifice
savamment construit.
…. Ahmadou Bamba était saint dans la tradition la plus éprouvée de
l’humanisme. Il était d’un mysticisme profond. Il a toujours donné l’idée d’une
conception spirituelle d’une rare densité traduite par la contemplation et la
méditation, par un désintéressement qui frise le mépris de toute chose
matérielle/ Ahmadou Bamba était moins un homme qu’un mystique. C’est un
créateur, un fondateur. Il a acquis la confrérie nouvelle pour la mystique du
travail, du dévouement, de la discipline et de l’abnégation.
ANNEXE IV :
Signification du mot KHADIM
KHADIIM. Ce mot dérive de KHIDMA qui signifie service. Cette forme indique
l’intensité particulière de l’acte. KHADIIM est le serviteur qui, par plaisir ne se lasse de
servir, alors que KHADIM serait celui qui sert par devoir ou par besoin : un serviteur
intéressé.
Pour faire ressortir la différence entre les noms, ceux qui s’adonnent au soufisme
prétendent que le premier (KHADIIM) traduit l’état spirituel du finissant ou soufi
confirmé alors que le second (KHADIM) correspond à l’état du débutant ou novice.
KHADIM traduit l’état spirituel du débutant encore en proie à la crainte d’une
rétrogradation dûe à son manque de maitrise du service, alors que KHADIIM exprime
l’état du confirmé qui ne sert plus par intérêt ou désir, mais parce que mû par son
amour du destinataire du service.
Khadim MBACKE. Le Parcours d’un arabisant de TOUBA. L’Harmattan Sénégal. P.16
ANNEXE V
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Magal du Grand Témoignage du Bour Sine Coumba Ndoffène Diouf
Fandëb à Serigne Touba Khadimou Rassoul
7 juin 2009-DIAKHAO
– 13 juillet 2009 Darou Marnane
Le guélewar, est-il besoin de le rappeler, abhorre le mensonge, fait de la vérité
une religion et un viatique, se proclame soldat au service de la justice, de
l'équité. Il va à la mort comme il va à la fontaine, préfère l'honneur aux
honneurs. Il appartient à cette phalange d'hommes dont les ancêtres se
disputaient l'honneur jusque dans le royaume des ténèbres ». Cette phrase
légendaire de notre poète Président, devise de notre vaillante et exemplaire
armée nationale, se passe de commentaires: « On nous tue mais on ne nous
déshonore pas ».
Ce qui s'est passé à Saint-Louis, le 7 juin 1903, lors de la mémorable réunion du
Conseil Colonial, de science certaine, n'honore en rien ceux qui, ce jour-là, pour
des raisons que la morale condamne, se sont tristement illustrés en
thuriféraires des colonisateurs et dont le sombre dessein n'était ni plus ni
moins que de travestir la vérité en portant des accusations d'une gravité
insoupçonnée sur Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Serigne Touba Khadimou
Rassoul.
Il fallait trouver des arguments pour justifier les mesures exceptionnelles à
prendre pour mener un rude combat contre celui que l'on présentait comme
homme dangereux qui prêche la guerre sainte.
C'est alors, devant cette confusion, cette haute trahison, ce complot
savamment orchestré, que Bour sine Coumba Ndoffène Fandëb, impérial, prit
la parole devant le gouverneur pour rétablir la vérité, apporter toute la lumière
sur cette douloureuse affaire aux conséquences imprévisibles, avec fermeté,
sérénité, avec un courage digne des preux, dans la dignité, mettant un accent
tout particulier sur la grandeur de sa mission: se consacrer exclusivement au
service de son Seigneur Allah - Soub - hana - watala - de son Noble Messager,
Le Sceau des Prophètes, Mouhamed Ibn Abdallah (PSL), du Saint Coran et de
l'Islam Eternel.
Non! dira-t-il, l'air grave : cet homme est un homme de Dieu, un Homme de
Paix et de Tolérance, qui ne connaît pas la violence contrairement à vos
déclarations!
35
Alors, mettant en jeu son trône, son manteau royal, son pouvoir, pour
l'honneur et la gloire du Sine, le Bour Sine parvint à rallier les colonisateurs à sa
cause et sur instructions du Gouverneur, une colonne de spahis fut dépêchée
sur Darou Marnane pour vérifier le bien-fondé de sa périlleuse, courageuse et
surprenante déclaration.
Du reste, les archives nous apprennent aussi qu'une cavalerie composée de
soixante-treize éléments, s'était également rendue à Touba afin que la
demeure du Cheikh soit bien surveillée, pour mettre hors d'état de nuire tous
les comploteurs tapis dans l'ombre, qui pourraient, pour des raisons bien
connues, y introduire des armes.
Honneur et Gloire au Bour Sine Comba Ndoffène Fandëb pour ce témoignage à
haut risque, historique, inoubliable, facteur d'amitié féconde, d'unité, de
cohésion, de fidélité, de solidarité.
Cette amitié, exemplaire à plus d'un titre, « solide comme fer», scellée devant
l'histoire et pour la postérité, entre Khadimou Rassoul et le Boursine Coumba
Ndoffène, face aux colonisateurs et en des périodes extrêmement difficiles,
mérite d'être saluée, magnifiée, fêtée dans l'enthousiasme et le recueillement.
Voilà qui explique que les 7 et 13 juin de chaque année, les familles de ces
deux grands hommes, de ces deux figures emblématiques, célèbrent
l'évènement alternativement, à Darou Marnane et à Diakhao.
Les cérémonies de cette année à Diakhao le 7 juin, ont connu une dimension
exceptionnelle car, de source digne de foi, elles ont été rehaussées par la
présence du petit fils de Khadimou Rassoul, le Khalife général des Mourides
Serigne Touba, Serigne Bara Mbacké Falilou.
Rappelons que le Bour Sine Coumba Ndofféne Fandëb, Chef de la province du
Sine, Bour Sine, Chef de canton de Diakhao, Conseiller colonial, Officier de la
Légion d'honneur, a été rappelé à Dieu le 21 décembre 1923 à Diakhao.
Par la naissance et la coutume, Bour Sine Mahécor DIOUF lui succédera le 28
janvier 1924. Il poursuivra et perpétuera son œuvre gigantesque à la grande
satisfaction de ses mandants.
Dans son poème publié dans son livre « Chants d'ombre» « Que
m'accompagnent Kora et Balafong », le Premier Président du Sénégal, Léopold
Sédar SENGHOR, Membre de l'Académie française, qui honore à la fois son
Afrique natale et l'Université où il acquit les plus hauts grades, chante le Bour
36
Sine Coumba Ndoffène Diouf en des accents d'une rare élévation, et d'une
remarquable beauté. «Grand Poète de l'Afrique Noire et de la Francophonie,
Senghor est aussi un grand poète de l'esprit, car, pour lui, comme pour les
grands artistes, rythme et esprit, loin d'être contradictoires, sont au contraire
alliés et complices ».
Assurément, ces journées islamo-culturelles de Diakhao, et de Marnane, celles
du souvenir, de la constance dans l’amitié, de la fidélité, de la solidarité, ont
constitué, sans conteste, de Grand Rendez-vous à retenir et à honorer pour
leur noble et salutaire objectif: perpétuer et pérenniser l'Axe Touba-Sine.
Puisse notre intelligente jeunesse s'approprier ce grand témoignage du Bour
Sine Coumba Ndoffène Diouf, solidaire de Serigne Touba Khadimou Rassoul et
en tirer les leçons et enseignements utiles à sa formation morale, civique,
spirituelle, patriotique et républicaine.
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ANNEXE VI
LE COIN DES POETES
La prière du Cheikh Ahmadou
Bamba sur l’océan
-----------------------------------------
Le Sénégal est un pays vierge très mal connu de ses habitants. Il s’y passe, à leur insu,
des choses incroyables. Le Baol-Baol et le Cayorien ignorent jusqu’à l’existence des
Bédik, qui se promènent nus, la tête pelée et le nez transpercé de part et d’autre par
un piquant de porc-épic qui fait office de parure, c’est là leur tradition. Les Ndar-
Ndar, claustrés dans leur île, se moquent et rient des habitants de la terre ferme
qu’ils traitent d’indigènes, de provinciaux, de nègres et, même de barbares. Ils n’ont
pas de regard pour le continent sauvage. Ceci est dû au fait qu’ils habitent la capitale,
où ils vivent avec les toubabs qui leur enseignent tout. Le Sine ne reconnaît d’autre
Etat que le Saloum avec qui il entretient des relations qui ne sont pas toujours des
meilleures. Le Cap-Vert, lui, sait par ouï-dire, qu’il existe un arrière-pays, mais ses
connaissances s’arrêtent là.
Le Sénégal est assez grand et assez vaste pour que l’on puisse y cacher et tuer
un homme, à l’insu des autres citoyens.
Je ne trouve pas encore de réponse au fait qu’on ait éloigné et déporté le
Cheikh au Congo, en Mauritanie, pour ensuite finir par le ramener à Ndiarème, au
Sénégal. Pour humilier, écraser, détruire physiquement et moralement un nègre dans
les colonies, a-t-on seulement idée de prendre autant de précautions et d’aller aussi
loin ? Si les prisons de Saint-Louis ne sont pas assez sombres, humides et mesquines
pour lui, il y a encore les cachots froids et pestiférés de Gorée. Bâtis sur l’océan,
témoins impassibles et muets de tant de malheurs et de misères humaines, ils ont
accueilli et abrité en masse, pendant des siècles, des générations entières de nègres
en partance pour le Nouveau Monde ; ils sont restés les mêmes, ils ne sont pas
devenus plus hospitaliers. Pour liquider le Cheikh, les toubabs ont le choix : ils
peuvent le faire cuire ou brûler vif sous le soleil du Ferlo, ou le jeter en pâture aux
bêtes féroces et affamées dont nos brousses sont infestées. Je prends en
considération l’éventualité d’une décision dictée par la peur de l’insurrection des
populations locales, il y en a eu des cas. Mais je n’exclus pas aussi le manque de
sérieux et de jugement d’une administration souvent incompétente et insouciante, et
38
les arguments du Malin qui s’amuse et s’offre un spectacle à peu de frais, et le destin
qui réalise ses projets d’avenir.
Tout est heureux, logique et plausible. Tout le monde trouve justification et
satisfaction au fait. Les colons ont suffisamment de motifs et de griefs contre le
Cheikh pour lui chercher querelle et souhaiter sa mort. Le Cheikh, pour sa part ne
manque pas d’arguments, mais il n’en parle point. Et moi je me garderai de me
prononcer là-dessus. Les Baols-Baols et les Cayoriens ont tant fait ; ils ont épié,
guetté, surveillé, menti, écrit et envoyé des lettres de dénonciation ; ils ont entretenu
et nourri du fiel et du venin de leur langue, le brandon de la discorde ; ils ont sacrifié
et donné tout leur bétail et leurs biens pour qu’il meure ou s’exile pour toujours.
Tous sont en droit de chanter, de danser de se réjouir de l’événement et de jubiler,
perdant complètement de vue l’adage : « L’infortune des uns entraîne celle des
autres ».
Les Baols-Baols et Cayoriens ont peur de tous ceux qui portent uniforme et
képi. Ce sont là des symboles de la force, de la répression, et de l’abus dans les
colonies. De ces messieurs, il n’y a jamais rien de bon à attendre, ils viennent pour
saisir, prélever, voler, ou encore emmener, menacer, frapper voire tuer. C’est comme
cela dans les colonies.
L’arrivée de bon matin d’un petit détachement de militaires blancs et de
tirailleurs africains, chaussés de bottes et de guêtres noires et luisantes, vêtus de
culottes bleu foncé et de chemises claires, coiffés de chéchias rouges, sabre au clair,
fouet au poing et fusil en bandoulière, n’augure jamais rien de bon. Mais non, les
paysans peuvent être tranquilles, ce n’est pas pour eux qu’ils sont venus cette fois-ci,
mais pour le Cheikh.
Il existe toutes sortes de voyages : des voyages de noces et de plaisir, des
voyages d’affaires, des voyages d’aventures et de rêves de toute une vie, des
voyages de désespoir, où l’on va pour ne plus revenir ; il y a des voyages qui ont
peu d’importance, des voyages gratuits que l’on aurait voulu que jamais ils ne se
fassent. Il existe encore, et aussi des voyages dramatiques et tragiques, de
véritables odyssées ; il y a aussi des voyages de quête initiatique. Ce voyage du
Cheikh, point culminant de ses démêlés avec l’administration coloniale, compte
sûrement parmi ces derniers. De toutes les épreuves qu’il a eues à subir, les unes
plus dures que les autres, il y en a une particulièrement belle et probante.
S’il est vrai que Ndiarème est le plus proche voisin de Touba, bien qu’il se
trouve entre eux d’autres petits villages ; si on est d’accord également que tous les
deux se situent bien au Sénégal, et nulle part ailleurs dans le monde, on peut
cependant se demander, se creuser la tête pour trouver une quelconque ébauche
de réponse, qui expliquerait l’acharnement, l’enthousiasme que met le Cheikh pour
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braver vents, tempêtes et marées, pour parcourir des pays lointains, hostiles et plus
sauvages que le nôtre pour conquérir, semble-t-il, en payant de sa santé ou même de
sa vie, le droit de propriété sur un petit hameau insignifiant dont personne ne
voudrait : coin malsain, chaud, sec, peuplé de scorpions, de serpents et de bêtes
féroces. Au contraire du Boundou, il n’y a pas de mines d’or et d’argent, et où même
la simple eau constitue une richesse inestimable. Le départ de Moussa, à la tête du
peuple juif de l’Egypte pour la Terre Promise, peut, d’une certaine manière, servir
de réponse à quiconque aurait besoin d’exemples ou d’antécédents historiques
pour comprendre, accepter la geste du Cheikh.
La Ville-de-Pernambouc qui reste dans notre mémoire comme une relique de
notre histoire, était un de ces bateaux à vapeur quelconque de la fin du dix-
neuvième siècle que l’on voyait amarrés à nos ports. Il sillonnait les côtes africaines
pour se rendre aux Amériques, au Brésil, et plus loin encore. Il partait de nos pays
avec des chargements d’arachide du Cayor et du Baol, de gomme arabique de
l’arbre « vérék » et d’autres produits locaux et tropicaux. Il revenait avec du café,
du cacao, du chocolat, de la chicorée, du girofle, du rhum, du whisky, des tissus, de
la verroterie que les trafiquants européens déversaient sur notre continent.
La Ville-de Pernambouc comptait cette fois dans sa cargaison, parmi ses
passagers, le Cheikh qui partait pour l’exil. Et on chuchotait et on montrait du doigt,
et on disant : « Oui, oui, c’est bien lui ». Cet homme de petite taille et de faible
corpulence, ce nègre, ce bagnard est, affirmait-on, un type dangereux, un résistant,
un rebelle, un raciste, un coupeur de tête, un orateur qui draine des foules. Un
homme qui insulte, se moque et donne du fil à retordre à l’administration coloniale.
Il est aussi un fou vaniteux, prétentieux, investi on ne sait par qui, d’une mission
divine islamiser et instruire les nègres, pour ensuite les inciter à se soulever contre
les toubabs, et à les chasser de chez eux.
C’est un homme qui louche sur le pouvoir des blancs, un homme qui a des
visées politiques. Dans cette foule bigarrée de la couleur de la peau, des cheveux,
des barbes, des yeux et des langues que l’on y parle ; dans cette société à la fois
vulgaire et guindée, saupoudrée et parfumée de tabac et d’alcool, où l’on rit à
gorge déployée ou émet un petit son mélodieux, un rire aussi qui meurt sur les
lèvres que l’on tire aux pommettes, dans ce monde où l’on chante, danse,
s’explique d’amour en se tournant vers la mer, où l’on s’embrasse en public, ou l’on
vide à tire-larigot, dans de jolis verres et d’élégantes coupes, des bouteilles
invraisemblables à l’odeur âpre, chaude, nauséabonde, qui font perdre la raison et
vomir sur le pavé du navire que de gais petits mousses noirs s’empressent de
nettoyer. Sur le pont surchauffé de l’humeur et de l’euphorie des voyageurs, le
Cheikh calme, serein et silencieux, occupé tout le temps à se lever, se courber,
s’agenouiller et se baisser, ne passe pas inaperçu. On le confondrait, peut-être, avec
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un élément insolite du décor que constitue l’océan capricieux, tantôt bleu, tantôt
glauque tantôt couleur de puce ou d’espoir du sacrifice des algues, ou rose du sang
des poissons et des coraux, tantôt calme et huileux, tantôt mousseux, houleux ou
courroucé, irrité par les joyeuses vagues qui s’amusent, luttent, se prennent à tour
de bras, se soulèvent, roulent sur elles-mêmes, retombent avec fracas sur l’eau, en
montrant leurs dents blanches ; elles se chevauchent, jouent à saute-mouton, se
défient à la course. Et les malheureuses mouettes, gentilles mais folles, qui, avec
force cris, se jettent comme des pierres dans les flots, d’où elles ressortent toujours
bredouilles. Et la procession des dauphins majestueux et protocolaires qui font la
haie des deux côtés du navire pour l’accueillir ; ils vont de la poupe à la proue pour
conduire et protéger leur hôte. On pourrait encore le prendre pour un de ces
singes-fétiches que l’on achète au marché africain, et que l’on attache sur les ponts
pour rire, se divertir et fuir les tracasseries des copains et le bruit des machines.
Un petit groupe d’hommes et de femmes, des philanthropes, habitués de
l’Afrique, des fins connaisseurs de l’âme noire, invitèrent dans toutes les langues du
contient, sauf celle du Baol, le Cheikh à quitter sa pratique inféconde pour se
joindre à eux ; ils lui proposèrent de venir boire, manger et discuter avec eux, mais
lui ne réagissait pas. Alors ils se vexèrent, insultèrent, tinrent des propos méchants
sur toute la race, et menacèrent de le jeter à la mer. Tout ce tohu-bohu avait
ameuté le monde, qui se bousculait, s’agitait, avançait, plaçait son mot, prenant
part au débat. Des voix surexcitées avaient demandé de tabasser le nègre, et de le
noyer ensuite. Puis tout se passa comme en un éclair.
Le Cheikh se leva, -le cercle s’ouvrit devant lui-, il s’approcha de la lisse, et
balança à l’eau la peau de mouton de couleur ventre biche qui se prit à tourner sur
elle-même, à valser, bercée et guidée par les vagues, avant de se déplacer
paisiblement au rythme du vaisseau. Le Cheikh suivit aussitôt. Il se souleva
lentement et sautant dans le vide. Le bateau, soulagé de son fardeau, prit peur et
s’emballa, pareil à ses passagers, qui, tout à coup devenus fous, se querellent entre
eux, s’empoignent, s’étranglent, se portent de violents coups, glissent, tombent, se
relèvent, continuent encore de plus belle, s’arrachent les yeux et les cheveux. Le
bateau frémit de toute sa carcasse, se cabre, donne de la gîte, penche de tous les
côtés, balaye les ondes de ses flancs, se ressaisit, se redresse peu à peu et se
stabilise tout à fait. Le Cheikh atterrit en douceur sur sa monture. L’océan gronda :
brusquement il grossit, s’épaissit, se mit à vomir d’énormes lames, qui vont, de
toutes leurs forces, heurter et se briser à la coque du navire. Ensuite le monstre
gémit, hurla, et, dans un horrible cri de douleur, éclata pour enfanter d’une île.
Pour l’originaire du Baol et du Cayor, cette oasis flottante, avec son paysage plat et
ennuyeux, ses cades pluricentenaires, au tronc ravagé et miné par les termites, ses
baobabs trapus malgré les fortes saignées et fréquentes écorchures, rôniers
élégants devenus rares parce qu’utiles, et ses vieux toîts de chaume qui attendent
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d’être faits avant les pluies, avait quelque chose de natal et de très cher. Et, au
beau milieu du village dans l’eau, se dressait dans toute sa splendeur, une grande
mosquée faite de marbre, d’or et de pierres précieuses. Dans ce tabernacle de
lumière, on distinguait nettement le Cheikh, priant avec passion et ferveur son
Dieu.
Cet exploit qu’on chante, cet exploit dont on parle encore aujourd’hui, n’a
pas été réalisé pour démontrer quelque chose ou convaincre les sceptiques. Il est la
preuve irréfutable de la confiance que le serviteur met en son Maître ; et le résultat
ressemble plutôt à un pacte d’amour, d’amitié et de fidélité qu’ils ont scellé pour
l’éternité. IL en a été ainsi du périple de Moussa et de son peuple, à qui Dieu a
garanti son soutien, en leur envoyant la manne et les cailles du ciel.
Et voguait, voguait toujours plus loin La Ville-dePernambouc, emportant
notre héros vers d’autres lieux et d’autres cieux, où l’attendaient d’autres
malheurs, misères et privations, et d’autres exploits magnifiques restés dans
l’ombre et dont on n’aura jamais écho.
Cheikh SOUGOUFARA
Baol-Baol, mon ami
Editions l’Harmattan
p.151 à 157
42
Café Touba
------------------
Le café aromatisé, assaisonné au poivre et au clou de girofle était réservé aux
grandes personnes. Le café était tout ce qu’il y avait de plus important dans la vie de
ces villageois. Il était quelque chose d’indispensable, sans lequel ces paysans ne se
retrouvaient pas. Ils étaient prêts à se vendre, à s’abaisser pour une toute petite
gorgée du nectar, de l’élixir de vie. A Touba et à Ndiarème, il existait et existe encore
tout un rite lié au café. Sa préparation –voilà qui est toute une cérémonie. Le café,
on lui rend les honneurs, on le caresse, on le chérit, on l’embrasse, on lui insuffle la
vigueur, l’amour, on lui demande pardon avant la mortification, on le supplie d’être
clément, fécond et généreux. C’est seulement après cela que commence le martyre
du feu. On le jette dans la poêle surchauffée, on le tourne et le retourne. Il se
lamente, il gémit, il se tord, il braille et pétarade. De peur et d’émotion, il se
renfrogne, il devient vert, ensuite il se rembrunit et peu à peu s’éclaircit, luit, jaunit,
se dore. Du feu, on passe à la bastonnade. Des coups pleuvent sur lui drus et
inexorables. Ils lui brisent les côtes, lui cassent les dents, lui meurtrissent l’échine, le
broient, le réduisent en poussière. Et dans le fond du mortier gisent les cendres du
café mort. Doucement, lentement, avec précaution, on le verse dans l’urne de la
cafetière, tapissée d’un touchant voile blanc. On l’asperge d’eau bouillante, on ferme,
on laisse infuser. Et pendant quelque temps, on l’entend encore chantonner pour la
dernière fois. La plainte de l’agonie est toujours triste. On se recueille, on songe, on
rêve, on pense, on s’impatiente, on s’excite, on s’attendrit, et on s’émeut. C’est la fin
triste, douloureuse et tragique du café. Le requiem pour une tasse de café. Il faut
maintenant qu’on en finisse. On le boit. Amen.
43
Cheikh SOUGOUFARA
Baol-Baol, mon ami – p.33
Editions l’Harmattan
-------------------------
«Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but
plus sublime, puisque ce but était surhumain ; saper les superstitions interposées
entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer
l’idée rationnelle et sainte de la Divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés
de l’idolâtrie».
44
lettre est devenue loi une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toute
langue et de toute race, et il a imprimé, pour caractère indélébile de cette nationalité
musulmane, la haine des faux dieux, et la passion du Dieu un et immatériel. Ce
patriotisme, vengeur des profanations du ciel, fut la vertu des enfants de Mahomet ;
la conquête du tiers de la terre à son dogme fut son miracle, ou plutôt ce ne fut pas le
miracle d’un homme, ce fut celui de la raison. L’idée de l’unité de Dieu, proclamée
dans la lassitude des théogonies fabuleuses, avait en elle-même une telle vertu,
qu’en faisant explosion sur ses lèvres elle incendia tous les vieux temples des idoles
et alluma de ses lueurs un tiers du monde ».
« Cet homme, était-il un imposteur ? Nous ne le pensons pas après avoir bien
étudié son histoire. L’imposture est l’hypocrisie de la conviction. L’hypocrisie n’a pas
la puissance de la conviction comme le mensonge n’a jamais la puissance de la
vérité ».
« Si la force de projection est en mécanique la mesure exacte de la force
d’impulsion, l’action est de même en histoire la mesure de la force d’inspiration. Une
pensée qui porte si haut, si loin, et si longtemps, est une pensée bien forte ; pour être
si forte, il faut qu’elle ait été bien sincère et bien convaincue »…
« Mais sa vie, son recueillement, ses blasphèmes héroïques contre les
superstitions de son pays, son audace à affronter les fureurs des idolâtres, sa
constance à les supporter quinze ans à la Mecque, son acceptation du rôle de
scandale public et presque de victime parmi ses compagnons, sa fuite enfin, sa
prédication incessante, ses guerres inégales, sa confiance dans les succès, sa sécurité
surhumaine dans les revers, sa longanimité dans la victoire, son ambition toute
d’idée, nullement d’empire, sa prière sans fin, sa conversation mystique avec Dieu, sa
mort et son triomphe après le tombeau attestent, plus qu’une imposture, une
conviction. Ce fut cette conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme.
Ce dogme était double : l’unité de Dieu et l’immatérialité de Dieu ; l’un disait ce que
Dieu est, l’autre disait ce qu’Il n’est pas, l’un renversant avec le sabre des dieux
mensongers, l’autre inaugurant avec la parole une idée » !
« Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées,
restaurateur des dogmes rationnels, d’un culte sans images, fondateur de vingt
empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet » !
« A toutes les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut
plus grand » ?
Alphonse de Lamartine
45
Histoire de la Turquie, I. 276-80
46
Soudain, il s’arrête
Visionnaire, il fait la prière aux morts futurs
Pour tous lieux cristallisés en un seul point
Tous les temps devenus un seul moment
Le grand silence
Le ciel en gésine
Les cavaliers stupéfaits
Homme blessé de soleil
Que sortir des labyrinthes de nuisances
Sombres cachots trappes aux pointes acérées
Drapés de relents indicibles
Dans l’opacité des ténèbres
Ni assis
Ni debout
Un mois durant
Dans le chenil de la mort
Se riant de la morsure des baïonnettes
Et du four crématoire
Las de brûler un corps à la fraîcheur rebelle
Sur les ossements le lion affalé
Chien fidèle, soumis à ses pieds
47
Où meurent nos destins
La mer en pleurs
Le vent en pleurs
Les arbres en pleurs
Au loin dans Ndar la ville des alizés
Prostré dans sa mélancolie
Perdu dans sa ferveur
Yaaram Fall
Ton ombre aux cheveux hirsutes
Veut boire la mer
Sur le bateau
Les oreilles hostiles
A son appel à Allah
Pour ne pas déranger son honneur
Pour ne pas déranger son Seigneur
La peau jetée par-dessus bord
Dos au bateau
Le soldat de Dieu affronte la mer
Et tangue le navire
Et roule la vague
La danse de la peau sur l’eau
48
Bamba en prière sur la peau
Le train de mer fumant s’immobilise
Les machines s’endorment
Et l’océan s’étale
Sur le vaisseau
La peur frémissante
De poupe en proue et de proue en poupe
Le silence bâillonné
Par les incantations en sourdine
Et… les grains du chapelet
Fils de Mame Diarra, Ange de Mame Diarra
Tu es les défis
Relevant le défi
Suscitant le défi
Et sur l’île
Devant toi se sont agenouillés
49
Les sept béliers – génies d’Afrique
Kaba Yoro – Naba Yoro
Kalli Rakou –Kakou Nakou
Koulnakirou
Astir-Nourou Tamsir
Venus marquer leur soumission
Subjugués jusqu’au bord de l’âme par son Aura
Balla Aïssa
Ton peuple te chante et te vit
Paet d’infini
Sublimant le rêve
Endormant l’effroi
Diadieuf ! Akassa !
50
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Administrateur Général et affaires
Indigènes
N° 310 Dakar, le 16 février 1903
Objet : A.S. De l’attitude d’Amadou le Gouverneur Général de L’Afrique
Bamba à Thièyaine Occidentale française à monsieur le
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal
Saint-Louis
51
Comme vous le rappelez justement, les exemples d’Ali Yoro et de Bayage sont
encore trop présents à la mémoire pour que nous nous départissions à l’égard des
réfugiés de Thiéyaine et de leur chef de la plus extrême vigilance.
Amadou Bamba a d’ailleurs été avisé par un de vos prédécesseurs intérimaires
que s’il continuait à solliciter des offrandes de tous les points du Sénégal, il serait de
nouveau renvoyé en Mauritanie. Officiellement, il aurait alors désavoué ses fidèles et
demandé à être délivré des importunités de ses talibés. Or, l’attitude qu’il a prise au
cours de ces derniers mois est loin de garantir ses bonnes intentons à notre endroit.
Dans ces conditions, je crois que vous pourriez utilement rappeler à Amadou
Bamba les conditions dans lesquelles nous l’avons autorisé à rentrer dans le cercle de
Louga et l’aviser que si Thiéyaine continue à être le rendez-vous de certains éléments
du Sénégal hostiles à notre action, nous nous verrons dans l’obligation de prendre à
son égard telles mesures que nous jugerons convenables pour assurer le maintien de
l’ordre.
Vous voudrez bien également me tenir exactement informé des faits et gestes
de ce marabout, et si la nécessité s’en faisait sentir, m’adresser des propositions en
vue de lui appliquer les dispositions du décret du 21 Novembre 1904.
52
Kaolack, le 27 mars 1903
53
Année 1903 Sénégambie – 1er Trimestre
Cercle du Sine- Saloum
Résidence de Niakhar
Rapport Politique du mois de Mars 1903
_____________________________
Questions en cours - leur site – Faits nouveaux
Le Sine qui heureusement n’est ni musulman, ni catholique, ni protestant est
envahi depuis quelques temps par une nué de Serignes qui y prêchent l’Islam et y
mendient. Le Serigne Bamba l’envahit particulièrement par ses talibés ainsi que le
Serigne Massamba Diop de Kelle. Il serait bon, je crois d’interdire le Sine à tout ce
monde peu intéressant et que sont les ennemis de la civilisation et du travail qui
ruinent les populations où ils implantent l’Islam.
Les grands marabouts n’ont pas encore beaucoup d’influence dans le Sine mais si le
Gouvernement n’y prend garde de Sine d’ici peu sera un pays musulm…
Demande
….. chasser les marabouts étrangers au pays et leur interdire sine.
Niakhar le 31 mars 1903
Le Résident
E. Pierron
Pour copie Conforme
L’Administrateur.
54
Rapports : Politique, Commercial et agricole
Mars 1903
Tivavouane le 31 mars 1930
L’administrateur
….Il existe un autre marabout, bien connu, très influent et qui a le don de
fasciner, d’hypnotiser ceux qui l’approchent, quoi que ce marabout n’appartienne pas
à mon cercle, je l’ai déjà signalé comme dangereux. Depuis qu’il est revenu du Gabon,
il s’est installé à M’Backé (frontière du Baol et du Djoloff). C’est une procession
continuelle de gens qui vont chez lui faire leur soumission.
Les cultivateurs au lieu de payer leurs dettes, vont chez lui apporter espèces,
chevaux, vaches etc… Les marabouts extorquent le plus de biens qu’ils le peuvent
pour aller enrichir Amadou Bamba…..
Je jette encore le cri d’alarme et j’affirme qu’avant deux ans, on sera obligé
d’exiler à nouveau cet individu. Plusieurs commerçants m’ont dit que si les
agissements d’Amadou Bamba continuaient, ils se verraient obligés d’adresser une
pétition à monsieur le Gouverneur Général.
Je ne m’étendrai pas davantage sur la question musulmane dans ce rapport ;
mais je prépare un travail spécial sur la question et, je pense que vers le 20 avril, je
pourrai l’adresser à Saint-Louis.
55
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Cercle de Thiès
Province du Baol Oriental Saint-Louis, Avril 1903
Le Gouvernement Général de l’Afrique
Occidentale Française à Monsieur
L’administrateur, Commandant le Cercle
De Sine-Saloum - Kaolack
Monsieur l’administrateur,
Par lettre confidentielle du 1er courant, vous me transmettez deux lettres des
chefs supérieurs du Sine et du Saloum Occidentale, relatives au Serigne Bamba ainsi
que la copie d’un télégramme chiffré par lequel monsieur le Résident du Sine vous
rend compte de l’agitation provoqué par la présence de ce marabout parmi la
population musulmane de cette province.
Vous me faites connaître en outre par télégramme du 5 courant que de
nombreux disciples du Serigne Bamba viennent d’installer chez les Sérères pour
essayer de les convertir à l’Islamisme.
Préoccupé de cet état de choses et des conséquences qui peuvent en résulter
pour la situation politique de votre cercle, vous me demandez de vous adresser des
instructions à ce sujet.
J’ai l’honneur de vous connaitre qu’il y a lieu, pour le moment de soumettre le
Serigne Bamba à une surveillance qui vous permettre de vérifier si les enseignements
qu’il donne sont de nature à contrarier l’action française dans ce pays. S’il n’en est
pas ainsi, il convient de laisser à ce marabout toute liberté d’action. Il serait, en effet,
de mauvaise politique, dans un pays à peu près totalement soumis à l’influence de
l’Islam, de vouloir endiguer l’Islamisme, et nous devons nous garder d’entrer en lutte
avec lui.
J’aurais d’ailleurs l’occasion de vous entretenir à nouveau de cette question
lors de votre passage à Saint-Louis.
56
Recevez, Monsieur l’administrateur, les assurances de ma considération
distinguée.
Le Gouverneur Général
Par délégation
Le Gouverneur, Secrétaire Général.
Kaolack, le 1er avril 1903
Le chef supérieur du Saloum Occidental à Monsieur
L’administrateur du Cercle du Sine-Saloum
Monsieur l’administrateur
J’ai l’honneur de vous adresser la présente ayant pour but de vous informer
qu’il est mon devoir de m’occuper de la police de tout ce qui se passe dans ma
province, et de vous rendre compte.
Maintenant, j’ai remarqué que depuis l’arrivée du grand marabout Serigne
Bamba dans le Baol Oriental, il y a certains marabouts qui vont et qui reviennent lui
faire des visites.
N’ayant confiance en ces gens qui vont et qui reviennent, je vous écris pour
vous mettre au courant de la situation politique de mon pays.
Veuillez, agréer, Monsieur l’administrateur, l’assurance de mon profond
respect.
P. Le chef Supérieur p.o
57
Colonie du Sénégal et Dépendance Kaolack, le 1 er avril 1903
N° 101
Objet : Au sujet du Serigne L’administrateur Le Filliatre,
Bamba Commandant le Cercle du Sine-
Saloum à monsieur le Gouverneur
Général du Gouvernement Général
À Saint-Louis
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous transmettre les deux lettres ci-jointes des deux chefs
supérieurs du Sine et du Saloum relatives au Serigne Bamba ainsi que la copie d’un
télégramme chiffré de Monsieur le Résident du Sine. Ce Serigne n’étant pas de mon
cercle, je ne saurais vous donner des renseignements sur lui, mais, tout comme mes
chefs, j’ai remarqué que depuis quelques temps la population musulmane s’agitati
beaucoup dans mon cercle.
On ne saurait se tromper en affirmant que les musulmans ne sont pas aussi
calmes d’esprit qu’auparavant. En tout cas le Serigne Bamba doit avoir une grande
influence, car les marabouts ne font que passer avec leur suite allant rendre visite au
Serigne en question ou en revenant. Je crois qu’il serait bon de se préoccuper de cet
état de choses dont la population du Sine et du Saloum se préoccupe elle-même, et
de mettre cet individu dans l’impossibilité de nuire.
Monsieur le Résident, dans un télégramme, me demande des instructions au
sujet de ces marabouts qui parcourent le Sine. J’attends vos ordres à ce sujet, ne
voulant pas agir directement, mais j’estime qu’il y a lieu d’arrêter les progrès de
l’islamisme. Le frère n’a pas besoin de devenir musulman, actuellement il est
maniable et travailleur, le jour où il sera musulman il ne sera ni l’un ni l’autre.
Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur, à l’assurance de mon entier
dévouement.
58
Kaolack, le 21 avril 1903
Monsieur l’Administrateur du Cercle du Sine Saloum - Kaolack
Monsieur l’administrateur
J’ai l’honneur de vous adresser cette présente lettre pour vous informer que
j’ai vu dans la province du Saloum Oriental, des marabouts dont je n’ai eu confiance
en eux.
Car je leur ai vu beaucoup de fois passer dans le pays, pour aller chez le grand
marabout Hamady Bamba qui se trouve à M’Baché.
Tout dernièrement vers le 5 mars 1903, j’étais allé à N’Dioté pour rejoindre le
commandement Belle, au même moment je rencontrais 30 hommes qui se dirigèrent
vers chez Hamady Bamba, en lui apportant 7 paquets de pagnes et 7 chevaux pour les
lui faire cadeaux. Leur chef se nomme Seyni Yacine demeurant à Por-Adramé tout
près de Malem.
Le 7 mars, mon chef supérieur Abdoulaye Diaw étant arrivé là-bas, je lui ai dit,
qu’une bande de maabouts a été passée par là pour aller chez Hamady Bamba et en
lui apportant de nombreux cadeaux, et nous devons nous méfier de ces gens qui
traversent le pays. Il m’a répondu que pourquoi ? Comment pourrions-nous le faire,
nous ne pourrons pas les empêcher d’aller où ils veulent, sachant qu’ils payent leurs
impôts tout entier.
Comme je n’avais pas la même idée que lui, je me cesse à lui parler
aucunement de cette affaire.
J’espère moi-même qui suis né du pays et connais profondément le caractère,
il lleur en faut une grande surveillance à l’égard d’Hamady Bamba. Car tout
dernièrement il y avait un bruit, semble parlé dans le pays, qu’ils ne payeront plus
l’impôt désormais cette année-ci, d’après qu’on leur dit leur maître Bamba. Voilà
pourquoi Monsieur l’administrateur que je viens l’informer de ne vouloir pas qu’ils se
trompent le pays, ni les chefs.
Agréez Monsieur l’administrateur mes sentiments de dévouement les plus
distinguées
59
Ibrahima N’Daw, Chef de N’Doucoumane.
J’ai l’honneur de vous adresser ces quelques mots qui ont pour but de vous
faire connaitre que j’ai beaucoup de crainte au sujet des marabouts qui se trouvent
dans le canton du Counghel-Pofa.
Ces marabouts ne parlent que Bamba, et espèrent en lui.
En outre, nous avons appris qu’il a creusé un puits dans sa maison, qui
communique avec cawsara, puits se trouvant au ciel. Celui qui en boit, n’ira pas à
l’enfer. Ils disent aussi, tous ceux qui ne se soumettent pas à lui, se repentirent un
jour.
Nous avons appris également des gens qui viennent et qui passent chez nous
que ce vénéré marabout a dit que l’impôt ne se payerait plus l’année prochaine.
Devant un état de chose semblable, je crois de mon devoir de vous en rendre
compte et de vous demander des instructions afin de démentir cette nouvelle qui
peut nuire à la bonne marche du service dans le canton que je commande. Veuillez
agréer, Monsieur l’administrateur mes sincères salutations de dévouement les plus
distinguées.
Biram – Dior NIANG – Chef canton de Congal-Pofa
60
Colonie du Sénégal et Dépendance Kaolack, le 30 avril 1903
N° 383
Objet : Au sujet du Serigne L’administrateur Le Filliatre,
Bamba Commandant le Cercle du Sine-
Saloum à monsieur le Gouverneur
Général du Gouvernement Général
À Saint-Louis
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous transmettre les deux lettres ci-joint relatives au Serigne
Bamba du Baol. Ces lettres qui m’ont été adressées par les deux chefs Ibrahima
N’Dao et Biram-Dior traitent d’une question assez grave, celle de l’impôt personnel
qui ne serait pas payé l’année prochaine. Je dois ajouter qu’avant la réception de ces
lettres, j’avais déjà entendu parler de cela durant mon retour de Saint-Louis à
Kaolack.
Enfin mes renseignements me font savoir que lors de la dernière fête
musulmane Mamadou Bamba a fait tuer cinquante bœufs et quatre chameaux, pour
recevoir ses élèves, et que cette quantité de viande, cependant considérable n’a pas
été suffisante.
Je suis, monsieur le Gouverneur, avec un profond respect, votre tout dévoué
serviteur.
61
Gouvernement Général de l’Afrique Occidentale République Française
Française ________________________
_______________________________________ Liberté – Egalité – fraternité
Cercle de Thiès
________________________________________
Province du Baol Oriental
62
Sur quoi je réponds à l’envoyé qu’ayant été chargé d’une mission spéciale je
désire le voir, ainsi que tous les autres marabouts ; que je ne voudrais à aucun prix
retourner à N’Diourbel et rendre compte au Résident qu’il m’a été impossible de voir
le Serigne Amadou Bamba.
Après avoir longtemps discuté avec moi, il sen retourna porter ma réponse et
revient une heure après me rapporter d’un ton hautain et plein de mépris la réponse
suivante de son frère : « le Serigne Amadou Bamba le vénéré de Dieu et du prophète
te salue et te recommande de ne pas t’amuser de lui, tu es encore gamin et si tu veux
t’amuser, amuse-toi avec tes camarades et méfie-toi de lui, si tu veux garder ta vie et
ta place ; mais malheur à toi si tu cherches à faire autre chose. D’ailleurs tu ne devais
pas venir ici pour de pareilles choses, en tous cas, si les blancs t’ont envoyé auprès de
lui, lève-toi et rends-toi chez lui, il te donnera audience et du pourras lui dire ce qui
t’amène.
Si tu ne veux le déranger, dis-le nous et nous irons lui rapporter tes paroles ;
mais ne t’imagine pas qu’il viendra te voir pour se faire inscrire.
Je répondis de nouveau à cet envoyé que je ne pourrais jamais retourner auprès du
Résident de N’Diourbel avec des réponses vagues ; et de deux choses l’une : qu’il
vienne se faire inscrire ou qu’il refuse catégoriquement et j’irais en rendre compte.
Informe de ma réponse, Amadou Bamba vint vers les 10 heures dans mon
camp accompagné de 300 mourites environ, rentre dans ma case, s’assoit sur la peau
de mouton qu’on lui plaça à côté de moi et me demanda immédiatement le sujet de
ma mission. Je lui fis part de l’objet de ma présence chez eux. Alors, après m’avoir
renouvelé toutes les réponses hautaines et menaçantes qu’il m’avait faites par ses
envoyés il me dit : « depuis mon retour du Gabon je ne veux plus avoir affaire qu’avec
les chefs, ni avec ceux qu’on appelle les commandants je n’ai affaire qu’avec leur chef
le gouverneur, que j’ai vu en repassant à Saint-Louis, et toi qui ose me parler ainsi, si
je ne t’ai pas encore rendu malheureux, c’est que j’ai pitié de vous car je connaît ton
père en plus de cela, ta tante t’avait recommandé à moi à mon passage à keur Mactar
sans cela tu ne sortirais pas sain et sauf d’ici.
Prends donc bien gade qu’il ne t’arrive malheur en rentrant. En disant ceci il
l’interrompit et se mis à faire la prière sur place. La prière terminée il me dit encore :
« M’Bakhane, laisse-moi tranquille et pars je ne suis pas un homme de ce monde,
mais de l’autre, je ne vois que Dieu et ma vue est au-dessus des mortels ».
Pendant notre conversation, tous ceux qui étaient autour de lui me disaient :
M’Bakhane ne cherche pas à répondre à ce marabout, il n’est pas ton égal, c’est un
vénéré. Il ne faut pas que les blancs te poussent contre lui et ces mêmes gens
approuvaient de la voix et du geste tout ce que disait Bamba.
63
Il ne tint à très peu de chose qu’il y eut bagarre entre mes gens et les siens,
cars tous les mourites avaient entouré la case où nous étions et lui disaient : « livrez
nous l’infidèle pour que nous le mettions à la raison » et il leur répondait : « non, je
ne vous commande rien il n’est pas encore temps ».
Après avoir dit tout cela il repartit précipitamment laissant ses frères qui me
disaient de ne pas tenir compte de tout ce qu’il venait de dire me faisant croire qu’il
ne voyait rien de ce monde et que même à Saint-Louis il avait répondu pareillement.
Je tiens également à signaler au Résident du Baol la conduite blâmable du chef
Meïssa N’Doumbé dans cette occasion. Ce chef n’a jamais fourni aucun
renseignement au sujet du marabout malgré les ordres qu’il avait reçus de Monsieur
le Résident du Baol. Pendant que je discutais avec Amadou Bamba, Meïssa N’Doumbé
m’a dit : « ne fais pas l’entêté, conforme toit sur ce que dit le marabout et parle avec
le cheikh Anta son frère ».
Meïssa N’Doumbé manque totalement d’autorité dans son canton, et la
preuve c’est qu’il n’a pas pu fournir en temps voulu la corvée qu’on lui avait
commandée dernièrement pour Thiès, aussi tous les autres ordres qu’il recevait
auparavant étaient ainsi mal exécutés.
Par la même occasion je vous signale le fait suivant : « cheikh Anta frère
d’Amadou Bamba a dit à mor Fara Birkeur, devant des témoins qu’il savait l’objet de
mon arrivée chez eux, parce que son parent le cadi Moctar Diop, lui avait écrit pour
lui faire connaître que j’étais chargé d’aller les inscrire et prendre des renseignements
sur eux. D’après tout ce qui suit vous pouvez constater Monsieur le Résident
qu’Amadou Bamba joue un rôle beaucoup plus important que moi, que son influence
porte atteinte à mon pouvoir et à mon prestige.
Quelques chefs de canton sont venus me rendre compte dernièrement qu’ils
ne sont pas plus écoutés par leurs administrés à cause de l’influence maraboutisme
qui règne dans leurs cantons.
Vous comprenez Monsieur le Résident, combien il me sera difficile de diriger
cette partie de ma province ; où je ne peux plus aller sans m’exposer à un nouvel
affront, et être abaissé comme je l’ai été.
Je vous serais donc très reconnaissant Monsieur le Résident de faire connaître
à Monsieur l’administrateur de Thiès, la situation dans laquelle je me trouve
actuellement, car c’est le Gouverneur français qui m’a investi et à qui appartient le
pouvoir de me soutenir.
Je vous prie de bien vouloir agréer Monsieur le Résident l’expression de mon
profond respect.
64
M’Bakhane DIOP.
65
Ce chef de canton avait été déjà révoqué une première fois alors qu’il servait à
Fandène (Baol Occidental) et pour des motifs que j’ignore avait obtenu sa
réintégration quelques mois après dans la province voisine ; la mesure de
bienveillance dont il avait été l’objet ne paraît pas avoir égé prise en considération
par ce chef, car il continu à opposer une force d’inertie que rien ne peut vaincre.
Je viens télégraphier à monsieur Du Laurrens pour le prier d’inviter avec
ménagements le marabout Ahmadou Bamba à venir conférer à Thiès avec moi. Je ne
crois pas qu’il obéisse, mais dans le cas où il se présenterait à la résidence, peut être
pensez-vous, qui’l serait d’une bonne politique que je vous l’envoie à Saint-Louis,
d’où il ne devait plus jamais revenir. Il ne faut pas songer à arrêter Ahmadou Bamba
dans le Baol Oriental, car cette mesure aurait pour effet de soulever ses partisans qui
en viendraient aux mains, avec les gens du chef supérieur de la province. Il est certain
que le dernier mot resterait à notre autorité, mais l’agitation que soulèverait dans le
pays une pareille affaire, causerait les plus graves préjudices et ne manquerait pas de
nuire à nos institutions acceptés par la majorité de indigènes.
Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur, l’assurance de mes sentiments
respectueux et dévoués.
L’administrateur
E. Vienne
66
Direction des Affaires Indigène République Française
Du Sénégal Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
Thiès le 7 mai 1903
Administrateur cercle Thiès à Sénégambie- Saint-Louis
Urgent. Marabout Amadou Bamba fait savoir ne reconnaître aucun maître sauf
Dieu et refuse se rendre à convocation. Considère situation particulièrement grave
car esprits surexcités. En présence échecs et chefs indigènes donné ordres formels
éviter toutes provocation et agir extrême prudence un rien pouvant amener bagarre
sanglante. Etant donné influence religieuse marabout rebelle crains résident
impuissant assurer ordre longtemps si marabouts reste Baol. N° 171
Vienne.
67
11 MAI 1903
Administrateur Thiès à Sénégambie – Saint-Louis
68
Direction des Affaires Indigène République Française
Du Sénégal Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
Saint-Louis, le 20 mai 1903
Administrateur cercle Thiès à Sénégambie- Saint-Louis
69
Gouvernement Général de N’Diourbel, le 22 mai 1903
L’Afrique Occidentale française
__________________________
Territoire de la Sénégambie-Niger
__________________________ Monsieur l’administrateur
Cercle de Thiès
___________________________
Résidence de Diourbel
N° 100
70
extraordinaires sur la puissance et la gloire de Bamba. Tous les faits, gestes ou
paroles, ayant trait au marabout, sont dénaturés, travestis à son profit.
Il est de conversation courante que Bamba ne craint plus les Européens que les
fusils ne peuvent partir, la poudre ne peut s’allumer contre lui, son exil au Gongo
devint un voyage triomphal en France, etc …, mille autres saugrenuités de ce genre
dont on n’aurait à s’inquiéter sur la crédulité enfantine des indigènes n’y ajoutait foi.
Il devient, en résumé la personnalité unique sur laquelle se concentre toute
l’attention publique.
Pour moi, je tends à croire qu’il cherche à se créer une puissance religieuse
indépendante, par conséquent hostile et arriver ainsi à contre balancer notre
autorité.
Son frère le cheikh Anta, que je signale particulièrement comme dangereuse,
justement parce qu’on ne se méfie peut être pas assez de lui, serait allé à St-Louis
pour se présenter au nom de Bamba. Il fut éconduit mais une lettre lui fut donnée
pour être remise au Serigne.
Cheikh Anta arriva dans la nuit à M’Backé monté sur un chameau. Dans son
entrevue avec son frère, ce dernier lui répondit qu’il ne voulait rien entendre, qu’il ne
se dérangerait pas. Il lui donna l’ordre de faire revenir son autre frère Ibra Faty qui
était à St-Louis et de rassembler tous ses fidèles.
Les Ardos rapportent que le frère aîné de Bamba, Momar Diara, aurait
prononcé ces paroles : « je savais bien qu’il nous arriverait des ennuis car la conduite
que nous tenons n’est pas celle d’un marabout mais celle d’un roi ».
Le résident
Signé : Du Laurens
Pour copie conforme
Thiès, le ---mai 1903
L’administrateur.
71
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
--------------------------------------- --------------------------------------
Territoire de la Sénégambie Note de Service
Niger
------------------------------------- N’Diourbel, le 25 mai 1903
Cercle de Thiès
--------------------------------------
Résidence de Diourbel
------------------------------------
N° 101
Monsieur l’administrateur
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre confidentielle du 20 mai
courant ; j’ai pris bonne note des instructions y contenues.
Une surveillance étroite est exercée journellement par les Ardos du Laïl,
Kontor et Gorété qui ont ordre de me renseigner sur les moindres faits et gestes de
Bamba.
La situation ne peut, à mon avis, être considérée comme très grave, c’est aussi
ce qu’en pense le chef supérieur ; elle ne le serait véritablement que si nous avion à
craindre un soulèvement de la population poussée par le fanatisme de Bamba, mais
tel n’est pas le cas présent et nous somme certainement encore loin d’en semblable
danger. Car, même en envisageant l’éventualité de la prise de Bamba par la force,
72
l’action ne se réduira qu’à forcer la résistance du noyau qui l’entoure ; il n’y aura rien
à redouter de la grande majorité de la population qui est tranquille et qui ne
demande plutôt qu’à avoir la paix. La présence de ce marabout est une cause de
troubles et de conflits, nous devons la supprimer et rendre à cette région le calme qui
régnait autrefois, qui n’a cessé d’exister que depuis l’arrivée du Serigne dans son
village.
Aujourd’hui, 21 mai, par l’intermédiaire de l’Ardo Ogo Yoro, Moumar Diara,
frère aîné de Bamba, fait connaître à M’Bakhane qu’il se met sous la protection et se
déclare innocent de tout acte hostile contre l’autorité ; que le M’Backé est sur le
point de le disloquer et, comme canton appartenant au chef supérieur, celui-ci ne
doit pas laisser pareille chose se produire. Il prie donc M’Bakhane d’envoyer son
homme de confiance à M’Backé procédera à une perquisition dans tous les carrés
afin de s’assurer s’il y a des armes de cachées. Si l’on en trouve cela prouvera leur
culpabilité, mais au cas contraire leur innocence serait justifiée. Momar Diarra met
sur le compte de la jalousie des autres marabouts ou Serignes tous les désagréments
et ennuis qui arrivent à sa famille.
J’ai conseillé au chef supérieur d’envoyer immédiatement un homme à
M’Backé avec mission d’accepter la perquisition proposée et d’informer Momar
Diarra qu’il prenait acte de ses déclarations et qu’il saurait lui en tenir compte le jour
venue.
l lui faisait dire en outre, que personne ne désirait, plus que lui, maintenir le
calme et l’ordre dans la province qu’il avait l’honneur de commander ; il ne souhaitait
qu’une chose, c’est de voir aplanir toutes les difficultés et terminer heureusement et
pacifiquement, pour le plus grand bien de tous, une affaire dont les conséquences
fâcheuses et funestes pourraient atteindre les petits comme les grands. Que
toutefois, s’il acceptait de faire la perquisition offerte, il ne préjugeait en rien de ses
résultats, quels qu’ils fussent, mais en laissant l’appréciation à ses chefs.
D’autre part que s’il était heureux il remerciait Momar Diara de ses bonnes
dispositions, il n’était pas moins surpris qu’il ne lui parlât point de celui qui, par sa
conduite et son attitude rebelle, avait provoqué la situation qu’il déplore
actuellement.
On me signale qu’en grand nombre d’habitants du M’Backé ont émigré dans
les provinces voisins.
Le Résident : signé du Laurens
Pour copie conforme
Thiès, mai 1903
73
L’Administrateur
Monsieur le Gouverneur
Comme suite à mes précédentes communication concernant l’attitude du
marabout Ahmadou Bamba, j’ai l’honneur de vous faire parvenir ci-inclus, une copie
du rapport confidentiel que vient de m’adresser monsieur Du Laurens, résident du
Baol Oriental.
Ainsi que vous pourrez vous en rendre compte par la lecture de ce document,
la situation reste stationnaire, sans gravité immédiate, mais la présence dans le Baol
du marabout Ahmadou Bamba sera toujours une cause de trouble et de conflits,
qu’un rien peut faire dégénérer en événements sanglants, étant donnés le fanatisme
74
des talibés, nombreux dans la région, et l’influence religieuse toujours croissante
d’Ahmadou Bamba.
Un commencement d’émigration s’est produit dans le canton de M’Backé
parmi la population laborieuse qui redoute les conséquences de l’attitude d’Ahmadou
Bamba vis-à-vis de l’autorité supérieure et celle des chefs indigènes.
Ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous l’exposer, je ne crois pas qu’un
mouvement offensif soit jamais à redouter de la part du marabout rebelle qui est
seulement un illuminé mais l’entourage es dangereux et depuis l’échec moral infligé
au chef supérieur de la province et le refus d’obéissance opposé à l’administrateur
commandant le cercle qui ont eu un fâcheux retentissement dans le pays, j’estime
qu’aucune mesure de prudence ne saurait être négligé et c’est pourquoi je réclame
de nouveau et très instamment l’éloignement d’Ahmadou Bamba dont le retour dans
le cercle de Thiès a été considéré par beaucoup d’indigènes comme une preuve de la
toute-puissance de l’envoyé de Dieu.
Nous avons pu jusqu’ici, grâce à la fermeté calme du résident du Baol Oriental,
éviter des bagarres qui auraient pu devenir sanglantes, mais il ne faut pas se
dissimuler que nous sommes à la merci du plus petit incident dont il est difficile de
prévoir les conséquences.
L’Administrateur
S. Vienne
75
Direction des Affaires Indigène République Française
Du Sénégal Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
Thiès le 27 mai 1903
À Sénégambie- Saint-Louis
76
Gouvernement de l’Afrique République Française
Occidentale Française Liberté – Egalité – Fraternité
-------------------------------
Affaires Indigènes du Sénégal
Cercle de Tivavouane Tivavouane, le 28 mai 1903
Province du Cayor L’Administrateur du cercle de
Résidence de Tivavouane Tivavouane à Monsieur le gouverneur
N°2 Général de l’Afrique Occidentale
Au sujet des agissements du Française – Saint-Louis
Marabout Amadou Bamba
77
J’ai fait donner à tous deux, une bonne monture, et comme il faut tout prévoir
avec un personnage aussi fanatique et dangereux que le marabout en question, j’ai
confié à Fara Biram Lô, le révolver du brigadier-chef des gardes.
J’ai également trouvé votre lettre confidentielle n° 19 au sujet du marabout
Amadou Bamba.
N’ayant jamais cessé d’avoir l’œil ouvert sur ce marabout que je considère
comme un danger permanent, et ne voulant pas me fixer aux racontars de gens qui
n’ont pas ma confiance, j’avais depuis quelque jours, fait prévenir un de mes vieux
agents politiques, d’avoir à venir me parler.
Il est justement arrivé hier soir et j’ai longuement causé avec lui. Il s’appelle
Omar Niang, est originaire du N’Diambour et a cinquante ans environ. Sûr, discret et
adroit, je serais bien étonné, s’il ne réussissait pas dans sa mission. Comme pour être
admis à faire sa soumission au marabout, il est nécessaire de lui faire un cadeau, j’ai
fait établir en mon nom, ce jour, un mandat de 300f au compte « dépenses
politiques ».
Omar Niang quittera Tivavouane ce soir à 8h, monté, non sur un cheval de
garde, car ceux-ci sont connus, mais sur une bonne monture qui lui a été prêtée par
Meïssa M’Baye, le fils de Demba Ware.
Sitôt que j’aurai des renseignements certains, je vous les ferai parvenir par
lettre spéciale et confidentielle.
En terminant, j’ai le regret de dire que, je ne crois pas à la réussite de la
mission Fara Biram Lô, car il y a quelques jours, après la prière publique du Témiche,
le marabout a prononcé les paroles suivants : « j’ai quitté au Congo, le boubou de
misère que je portais je ne le reprendrai jamais de bonne volonté, et si l’on veut m’y
forcer, cela coûtera cher, mektoub ! (c’est écrit).
Il est possible qu’Amadou Bamba, talibé de cheikh Sidia, n’ose pas refuser à
celui-ci d’aller le voir ; mais j’ai tout lieu de penser qu’il ne passera pas par Saint-
Louis.
Au contraire, il s’enfoncera dans la brousse et se rendra par terre en pays
maure, en évitant certainement les escales de Dagana et Podor.
Amadou Bamba franchira probablement le marigot de Doué, aux environs de
Eoudéas derrière Podor et traversera le fleuve, en face de Dabaye, d’où il se rendre
rapidement chez cheikh Sidia. Si donc, on veut le cueillir au passage, il faut surveiller
la rive entre Dagana et Podor et aussi le marigot de Doué.
78
Je vais faire surveiller, quoiqu’il ne soit pas dans mon cercle, mais bien dans le
Baol, le cheikh Anta M’Backé, frère d’Amadou Bamba, qui est en relations
journalières avec lui.
L’Administrateur.
Très urgent- je reçois à l’instant télégramme suivants résident Sine « a appris
que chez Serigne M’Bamba à M’Backé quatre à cinq mille hommes sont réunis et se
préparent à marcher contre nous. Dois-je prendre dispositions pour le prendre avec
moyen que j’ai en ma possession ».
Deuxième télégramme : « Serigne M’Bamba achète une grande quantité de
chevaux. Attends des instructions. Faut-il me transporter avec cavalerie Bour sur
frontière ».
Si faits donnés par Résident sont exacts, ne pourrais-je pas requérir troupe
Nioro, situé à soixante-dix kilomètres sud Kaolack. N’ayant qu’un brigadier et un
garde Niakhar et deux gardes Kaolack disponibles ou bien pourrais-je acheter poudre
79
et munitions pour armer indigènes des chefs supérieurs Sine-Saloum. J’ai informé
résident ne rien faire jusqu’à ce que j’ai vos instruction. N° 598
Réponse à 598. Vous prie ne rien faire et inviter résident Sine ne rien faire sans
instruction de moi.
80
Direction des Affaires Indigènes République Française
Du Sénégal Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
81
Direction des Affaires Indigènes République Française
Du Sénégal Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
82
Sénégal et dépendances République Française
Province du Djoloff Liberté – Egalité – Fraternité
Télégramme Officiel
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous adresser ces quelques renseignements concernant le
marabout Amadou Bamba du village de M’Backé dans le Baol.
Ce marabout a eu son prestige augmenté de beaucoup par son retour du
Congo. Les partisans aiement à raconter partout que c’était de son propre gré
(volonté de Dieu) qu’il avait été déporté parce que disent-ils il voulait, comme
Mahomet 1er, se retirait dans un lieu solitaire, afin de mieux prier Dieu pour attirer sa
bénédiction. Il était revenu, ajoutaient-ils, au moment où il le désirait, et, malgré
l’opposition des « Toubabs ».
Plusieurs marabouts du N’Diambour, du Cayor, du Baol et du Djoloff, abrutis
par la lecture du Koran se sont laissés influencer par ces racontars à tel point qu’ils
considèrent maintenant Serigne Bamba comme un second apôtre de leur religion.
Il y a, également, quelques anciens tiédos, convertis aujourd’hui musulmans,
que font aussi partie de cette bande ; tous ceux-ci s’y intéressent tant, par les
descriptions du paradis. Ils ont en outre le grand profit de se partager les revenus que
lui font des travailleurs indifférents qu’on nomme des « talibés », ainsi que plusieurs
autres adhérents qui lui font tous les ans des offres (Idaya) de 100f à 1 000f suivant la
fortune des gens.
Ces partisans sont si nombreux et actuellement dispersés qu’on ne saurait en
quelques jours évaluer leur nombre ; mais ils seraient pour la plupart armés de
sabres, de couteaux-poignard et de très rares fusils. Ils seraient, également prêts à
exécuter tout ordre qu’ils pourront recevoir de ce marabout.
Il paraîtrait encore que ce dernier m’a donné comme instruction que ceci « je
n’ai point l’intention de rien faire, étant donné que je n’ai pas reçu d’ordre (peut-être
de Dieu). Retournez tous chez vous et continuez tranquillement votre travail et
83
sachez bien qu’en toutes circonstances, mon chapelet me suffira et que je ne me
rendrai plus à une convocation des Toubabs.
Il aurait d’après les dires, la résolution de ne plus sortir de M’Backé son village
natal.
Si par malheur, il arrivait un conflit, quelques-uns des marabouts hésiteront à
marcher avec lui dès le début, vu la manière dont les français avaient pu arrêter les
invasions des soi-disant prophètes Maba (du Ripp) et Amadou Seykhou (dans le
Cayor). Mais un premier succès du Serigne finira certainement par les décider, parce
qu’ils croient celui-ci de beaucoup supérieur à ses deux prédécesseurs.
Il serait par conséquent urgent de prendre des mesures afin d’empêcher un
prochain soulèvement.
Votre très humble serviteur
Bouna N’Diaye.
84
Commandant Supérieur des
Troupes
Etat-major Le Général HOURY, Commandant des
Sénégambie (Sénégal) troupes de l’Afrique Occidentale
Françaises
N° 126 C à Monsieur le Gouverneur Général de
Objet : Opération sur M’Backé l’Afrique Occidentale Française ST L
Organisation du détachement
85
- 30 chameaux avec leur personnel de conduites, les bâts et les cordes de
pébage nécessaires. La nourriture de ces animaux et du personnel de
conduite sera assurée, pendant l’opération, par les soins de
l’administration locale.
3) Le matériel pour le puisage de l’eau dans les puits et pour l’abreuvoir des
chevaux sera transporté avec la colonne ou assuré dans les gîtes d’étape par
les soins de l’administration locale.
4) Enfin, Monsieur l’administrateur Allys marchant avec le détachement, je n’ai
pas pensé qu’il fût nécessaire de demander un interprète et des guides, mais
ce personnel devra être fourni dans le cas contraire.
D’autre part, conformément à l’esprit des indications de votre lettre 89 précité
et aux principes qui règlent la matière, j’ai prescrit que les contingents indigènes
qui marcheront avec le détachement en même temps que Monsieur
l’administrateur Allys serons, dès le début de l’opération, placés sous le
commandement de M. le capitaine Lauqué, mais qu’en ce qui concerne les
contingents qui doivent barrer les routes du N.E et du S.E., cet officier n’exercera
le commandement que dans le cas où, après entente avec Monsieur
l’administrateur Allys, leur concours aura été reconnu nécessaire pour une
opération d’ensemble dans un mouvement de concentration dirigé contre les
rebelles.
86
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Cercle de Thiès N’Diourbel, le 09 juin 1903
Province du Baol Oriental M’Bakhane Diop, chef supérieur du
Baol Oriental à monsieur l’administrateur
Allys
Monsieur l’administrateur,
J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint du Serigne Amadou Bamba. Ainsi
que je l’ai mentionné dans mon rapport de Février dernier, ce marabout semble jouir
depuis son retour d’exil d’un prestige sans cesse croissant accru surtout par le
caractère quasi-miraculeux que ses adeptes et prosélytes accordent volontiers à son
retour dans la colonie et qu’ils considèrent plutôt comme une preuve de sa toute-
puissance que comme un acte de clémence de notre part.
Toutefois sa surveillance n’avait donné lieu jusqu’à ces jours derniers, à
aucune observation sur des faits pouvant être interprétés d’une manière subversive.
Le caractère tout pacifique que présentaient les visites des nombreuses
personnes qui allaient lui rendre hommage et principalement des marabouts
influents venus des contrées voisines pour se convertir à sa doctrine et le reconnaitre
comme leur grand pontife, ne pouvait exciter des craintes sérieuses, ni éveiller de
fâcheuses présomptions sur les intentions du Serigne Bamba.
Mais en présence des faits dont rend compte le chef supérieur, le doute n’es
plus permis à cet égard. J’estime qu’il y a lieu d’attirer l’attention de l’autorité
supérieur et de prendre d’ores et déjà les mesures que comporte la situation.
Il y a peut-être quelque imprudence à renvoyer directement le serigne Bamba
dans son village, qui est un centre actif du maraboutisme, sans l’obliger à se
présenter aux autorités du cercle, ensuite à celles de la province.
L’autorité du chef supérieur vient d’être contestée insolemment et
publiquement mise en échec par ce marabout, le prestige de notre chef en a souffert
et par contre coup, celui de l’administration de qui il tient son investiture.
Nous ne saurions tolérer un tel état de choses et ne pouvons songer à laisser
grandir à côté de lui une influence qui peut contrebalancer la sienne et nuire à
l’impulsion qu’il reçoit de nous.
Devant les procédés et les manières d’agir du Serigne Amadou Bamba envers
le chef de la province, il y a un intérêt politique impérieux à ne pas abandonner ce
87
dernier dans une posture d’infériorité vis-à-vis d’un individu qui n’est en somme que
sont administré, quels que soient ses titres religieux.
D’autre part, les chefs de canton du N’Diéte-N’Dogol et La se plaignent qu’ils
ne sont plus écoutés par les nombreux marabouts domiciliés dans leur
circonscription, que les ordres qui leur sont donnés deviennent très difficiles à faire
exécuter, qu’en un mot, l’influence, l’autorité du Serigne Bamba tend à se substituer
à la leur.
Vous remarquerez, Monsieur l’administrateur, la conduite du chef de canton
Meïssa N’Doumbé dans l’entrevue de M’Bakhane et Amadou Bamba.
Meïssa N’Doumbé manque totalement d’énergie ; il est mou et d’une apathie
incurable. Il n’y a pas de motifs suffisants pour le révoquer mais son licenciement
s’imposera tôt ou tard.
Egalement je vous signale les agissements du cadi Mactar Diop relatés dans le
rapport du chef supérieur. Je l’ai interrogé sur le fait qui lui est imputé, mais il a nié
énergiquement avoir communiqué le renseignement au cheikh Anta. Cet acte, s’il est
prouvé qu’il l’a commis, sans être très grave par lui-même, indique toutefois un
certain état d’esprit que nous devons surveiller.
Si vous le jugez utile, je pourrai faire procéder à une enquête et établir la
vérité.
Enfin les talibés du Serigne Bamba, par leur exaltation, la foi vive qu’ils
professent à l’égard de celui qu’ils considèrent comme un saint vénéré, presque un
prophète sont encore plus à craindre.
Pratiquant « le soufisme », ils tombent en extase ou se roulent dans des
convulsions d’épileptiques injuriant et insultant tout le monde et donnent ainsi, aux
yeux de la population un spectacle dont l’action démoralisante sur l’esprit des
indigènes offre de sérieux danger.
Par ces motifs, le marabout Amadou Bamba devient un perpétuel sujet de
craintes, sa présence dangereuse car le zèle et le fanatisme religieux qu’il suscite
autour de lui amèneront inévitablement des complications qui peuvent entraîner les
conséquences les plus graves et compromette le calme et la sécurité de la province.
Je conclus qu’à l’heure actuelle la solution qui s’impose est de lever le
marabout du Baol et de lui imposer une résidence où il sera à portée et sous la haute
surveillance directe de l’administration supérieure.
Je suis avec respect, Monsieur l’administrateur, votre très obéissant
subordonné.
88
R. Du Laurens.
89
Ces derniers déclarent qu’Amadou Bamba est ou le Mahdiou ou un prophète
et par conséquent chargé de la délivrance du pays des manies de infidèles (français).
Il y a un des talibés de Cheikh Anta qui m’a déclaré que ce dernier a des
espions à N’Diourbel auprès de M’Bakhane, à Thiès, Tivavouane et Saint-Louis.
Lat Sène FALL.
90
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Cercle de Thiès
Province du Baol Oriental N’Diourbel, le 09 juin 1903
M’Bakhane Diop, chef supérieur du
Baol Oriental à monsieur l’administrateur
Allys
Monsieur l’administrateur
J’ai l’honneur de vous faire connaître que conformément à votre lettre 6 juin
courant, je me mets entièrement à votre disposition et je suis prêt à exécuter tout
ordre que vous me donnerez soit directement soit par l’intermédiaire de monsieur
Du Laurens résident de N’Diourbel.
Je viens de recevoir en même temps une lettre de monsieur l’administrateur
de Thiès qui, suivant ordre de monsieur le Gouverneur Général, me met sous vos
ordres, et je m’empresse d’obéir. J’ai réuni tous mes contingents cavaliers à
N’Diourbel où j’attends vos ordres et ne ferais rien qu’après les avoir reçus.
Je vous demande pour l’occasion l’autorisation par écrit d’acheter des armes
pour pouvoir envoyer rapidement à Fatick me procurer quelques fusils et de la
poudre pour compléter mes minutions.
Il paraît que mes collègues du Sine-Saloum en ont reçu en grande quantité.
L’agent secret que j’avais envoyé à M’Backé pour pouvoir fournir des
renseignements que me demandait monsieur Rocaché est rentré aujourd’hui me
disant que le marabout est toujours dans son village entouré par beaucoup de
monde. J’enverrais demander beaucoup d’autres renseignements plus précis et vous
avertirais au moindre mouvement.
Permettez-moi de vous prier de bien vouloir me prêter une carabine de garde
pour moi personnellement
Je vous prie de bien vouloir agréer mes sentiments respectueux et dévoués.
M’Bakhane Diop
91
- Soit transmis à monsieur le Gouverneur secrétaire Général du
Gouvernement Général
- Lettre reçue le 10 juin à 8h40 du matin
- D’après renseignements fournis par un de nos envoyés, Moustapha, ex cadi
du Teigne Tanor, est avec le Cheikh Amadou Bamba.
- Un deuxième envoyé revenu cette nuit, me fait savoir que Amadou Bamba
a pendant ces derniers mois, acheté aux gens du Cayor et du N’Diambour
les fusils que ceux-ci possédaient et que, dans la grande cour qui protége
l’habitation d’Amadou Bamba, il a compté 150 talibés tous armés.
L’Administrateur
Allys.
92
10 Juin 1903
Le Gouverneur Général
À Amadou Bamba
Bakhane Diop, fils de Lat Dior, ancier Damel du Cayor que j’ai placé à la tête
du Baol Oriental s’est rendu à Touba M’Backé le 17 avril dernier. Il t’a invité à se
présenter à lui. Tu lui a répondu que « tu ne voulais plus avoir affaire avec les chefs
mais ne traiter qu’avec le Gouverneur Général ».
Convoqué par l’administrateur Commandant le cercle de Thiès, tu as refusé de
7 mai de te rendre à son appel.
Moi-même je t’ai envoyé en taleb de cheikh Sidia. Je ‘ai écrit le 12 mai et
cheikh Sidia t’a écrit pour t’inviter à te rendre à Saint-Louis tu n’y es pas venue.
Je t’ai fait porter une seconde lettre par l’interprète Fara Biram le 21 mai pour
t’engager de nouveau à venir à Saint-Louis. Tu t’y es encore refusé.
En agissant ainsi tu as manqué à la loi du prophète qui dit d’obéir et de
respecter l’Autorité du pays. Tu as affiché le mépris de mon autorité. Ma patience est
lasse.
A l’heure où tu recevras cette lettre tu es cerné de toutes parts. Les routes de
la Gambie sont fermées au sud, celles du fleuve au nord, celle du Ferlo le sont
également. Des troupes entourent ton village même, prêtes à l’emporter et à
s’emparer de toi de vive force.
Tu vas sans doute être la cause de la mort de plusieurs de tes talibés. Peut-être
toi-même seras-tu atteint dans le combat ?
Réfléchis et examine s’il n’est pas mieux obéir à la loi du Coran et te soumettre
à l’autorité du pays qui est la mienne.
Ibra Fall, ton talibé, que j’envoie prés de toi pour te porter cette lettre, te dire
le reste de mes paroles.
Ton sort est entre tes mains et sera celui que tu fixeras par ta décision. /.
93
Thiès, le 15 juin 1903
Administrateur cercle Thiès à Gouverneur Général
St-Louis
94
Toul, le 15 juin 1903 ;
Administrateur chef de mission à Gouverneur Général
Saint-Louis
Marabout s’est rendu à moi à N’Diourbel sans avoir reçu notre dernière lette.
Dirige cette nui sur Toul et Tivavouane sous escorte Fara biram et Socé Sow. Sera
accompagné de cheikh Khouna, Talibé de cheikh Khouna, talibé de cheikh Sidia. Je
continue cette nuit avec colonne sur N’Deye Souga et M’Backé pour me rendre
compte du but qu’à voulu atteindre le marabout.
Signé : Allys
Pour copie conforme
Le chef du cabinet du Gouverneur Génral.
Urgent : donner des ordres à la maison d’hospitalité pour recevoir demain Amadou
Bamba à son arrivée. Il y restera sous la surveillance de Socé SOW. Monsieur Malau
prendra mes instructions à ce sujet demain après-midi le marabout s’étant rendu. Il
est seulement sous la surveillance du garde (Annotation de monsieur le Gouverneur
Général)
95
Le 19/06/1903 Gouverner Général p.i à Secrétaire Général
Délégué du Gouverneur Général en Mauritanie
Je vous informe que j’ai décidé que le Serigne Amadou Bamba serait remis à
cheikh Sidia qui devra le garder dans une de ses zaouias. Cheikh Sidia devra veiller
avec soin à ce que Amadou Bamba ne communique avec aucun de ses talibés, ni avec
ses anciens partisans du Baol ou des autres provinces.
La mesure de clémence dont bénéficie Amadou Bamba est de surtout à mon
estime pour cheikh Sidia qui a intercédé pour lui et à la confiance que je lui accorde. Il
y a lieu de croire que satisfait du crédit que les recommandations ont trouvé auprès
de moi, ce chef religieux assurera avec intelligence l’exécution des instructions que je
luis fais parvenir. Je vous serai obligé cependant d’y veiller et de prendre toutes les
mesures utiles pour qu’Amadou Bamba, sans être toutefois traité en prisonnier ne
puisse s’évader.
Amadou Bamba partira par le premier fluvial pour Dagana d’où il devra
immédiatement, et sans arrêt dans cette escale rejoindra sa destination. Il est
accompagné de cheikh Khouna talibé de cheikh Sidia.
96
Saint-Louis le 20 juin 1903
A Monsieur le Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale
Monsieur le Gouverneur Général
Vous qui savez distinguer la vérité et le mensonge, vous qui n’abandonnez pas
vos enfants dans la misère, vous qui avez protégé vos peuples soumis à votre
domination, veuillez me permettre d’interrompre un instant le cours de vos travaux
importants pour l’adresser à vous.
Je vous fais savoir que je m’incline devant vous et je suis prêt à exécuter vos
ordres.
Je n’ai jamais pensé n’importe que ce soit qui pourrait porter préjudice aux
français. Au contraire je fuis et fais fuir si c’est possible toute personne qui voudrait
contrarier le Français. Je ne suis qu’un pauvre homme qui implore votre secours
sachant que votre puissance vous le permet.
Je me trouve tout à fait à votre disposition et je m’incline devant vous sans
oser me relever de crainte d’être tué par quelqu’un.
M’Bakhane Diop chef du Cayor nous faisait croire qu’il était pour les Français.
Sans lui on nous ferait un grand mal.
Pour cette prétendue protection on lui a donné une première fois un cheval
qui coûtait 1500 francs, une autre fois un cheval de 500f et une troisième fois deux
chevaux M’Bayards, un bœuf et 1000 en argent.
Mais tout cela nous l’avon complètement oublié à cause de la moet qu’il nous
promet.
Cette mort qu’il sera capable de faire telle qu’il l’a promise n’a pour cause que
pour nous empêcher de dévoiler ce qu’il faisait parmi nous.
Voilà vientôt 140 ans que nous somme à M’Backé notre pays d’origine et nous
n’avons jamais eu des difficultés sur quoi que ce soit avec la France.
Cette paix qui existait entre les français et nous, nous la souhaitons pour
toujours. Si M’Bakhane vient l’interrompre nous avons une ferme confiance que vous
ne l’accepterez point. Car tous, nous ne sommes que vos serviteurs, M’Bakhane
comme nous.
97
Veuillez, Monsieur le Gouverneur Général, nous dire comment faire et nous
protéger contre les mesnaces de M’Bakhane. Nous n’osons pas quitter Saint-Louis
sans votre garantie certaine.
Votre serviteur dévoué Cheikh Anta.
20 Juin 1903
Lettre à cheikh Sidia
Je t’envoie sous la garde de ton gendre Cheikh Houra, Amadou Bamba qui
comme tu le sais a fomenté des troubles dans le pays que je commande en donnant
ses mauvais conseils à ses talibés et aux habitants. Il a manqué la loi coranique en
refusant plusieurs fois d’obéir à mes ordres quand je lui ai dit de venir à Saint-Louis.
Il s’est aussi éloigné de la sagesse en ne suivant pas les conseils que tu lui
donnais et que ton amitié pour lui, les sources que tu lui as rendus et ton autorité
religieuse devaient rendu sacrés pour lui comme les ordres d’un père à son fils.
Il m’a obligé à envoyer beaucoup de monde vers lui pour assurer l’exécution
de mes ordres. Il ne serait pas venu, si je n’avais pas employé ce moyen énergique.
Cependant, je veux bien tenir compte qu’il s’est rendu à mes envoyés avant
qu’il ait été nécessaire de faire parler les fusils et qu’il a ainsi évité des morts dont il
aurait été responsable envers Dieu.
Je veux aussi en raison de mon amitié pour toi ne pas traiter Amadou Bamba
avec toute la rigueur que méritent les rebelles.
J’ai donc décidé qu’Amadou Bamba te sera remis. Tu le garderas dans une de
tes Zaouias. Il pourra alors se consacrer entièrement au service de Dieu et passer son
temps dans la prière. Tu lui donneras les conseils de ta science religieuse et de ton
expérience.
Tu empêcheras avec soin qu’il ne communique avec les gens du Baol et du
Sénégal qu pourraient troubler son recueillement et faire renaître dans sa tête les
idées coupables pour lesquelles il est éloingé de son pays.
Tu lui rappelleras que toute tentative d’évasion de sa part serait inutile et
dangereuxe pour lui, car je dispose de moyens assez puisssants pour le reprendre
partout où il pourrait aller. Alors, s’il rendait cela nécessaire, il aurait outragé mon
autorité et perdre tout espoir de pardon et d’indulgence. Je le ferais transporter au
Gabon d’où il est revenu par ma seule volonté généreuse et non pas par miracle.
Cette fois, il n’en reviendrait plus.
98
Je compte sur toi pour l’exécution de ce que je viens de te dire.
Ton talibé Cheikh Houna qui a assisté à mon entrevue avec Amadou Bamba de
dira le reste de mes paroles.
20 Juin 1903
De la part de Moumar Faty à cheikh Anta
Salut
Le but de cette présente est pour te faire savoir que ce que nous a fait
M’Bakane avant l’arrivée du Commandant concernant des mauvais traitements qu’on
a fait subir aux hommes, femmes et enfants est inexprimable par lettre.
La vengeance de mort qu’il a promise de ta personne nous a fait oublier les
chagrins qu’il nous a causés.
Il t’a fait chercher partout par ses cavaliers et nous a demandé du mil, du
couscous, de la viande et tout ce dont il avait besoin et que nous lui avons donnés.
Nous lui avons tué trois bœufs pour nourrir des gens.
Je te fais savoir, en outre, que M’Bakhane nous menaçait sans cesse avec ses
courtisans et cavaliers qui faisaient brandir leurs fusils devant nous en introduisant de
la poussière dans le village.
Ils ont démoli une partie de nos cases et saisi de vous beaucoup de vêtements.
Après être maltraités ainsi, monsieur Allys nous est arrivé et est entré dans la case de
cheikh en y prenant un livre, un encrier, des porte-plumes et une peau de prières.
Monsieur Allys qui a fait sortir M’Bakhane et ses gens de notre village, y a
séjourné un jour sans nous causer aucun dommage et nous a rendu nos chevaux que
M’Bakhane avait saisis.
Toute la population et moi te prions de ne revenir ici sans nous apporter un
ordre sûr de monsieur le Gouverneur pour que nous puissions vivre tranquillement
avec M’Bakhane sinon nous prions monsieur le Gouverneur de nous donner une
autorisation d’aller sur un autre pays mieux habitable c’est-à-dire une autorisation
qui pourra nous permettre de sortir le territoire de M’Bakhane qui a juré devant nous
en disant qu’il te tuera dès ta sortie de Saint-Louis si même les français lui
couperaient la tête.
Le reste de mes paroles te sera dit par le porteur de la lettre.
Traduite le 20 juin 1903 Pour traduction conforme.
99
Colonie du Sénégal et Dépendances République Française
Cercle de Tivavouane Liberté – Egalité – Fraternité
Cabinet de l’Administrateur
N°190
100
vivres pour la journée du lendemain a village de M’Backé. Ce chef profita de cet ordre
pour satisfaire sa rancune personnelle contre cheikh Anta M’Backé et faire mettre
son carré au pillage.
Je n’appris la chose que le lendemain dans l’après-midi. M’Bakhane vint
expliquer à M. l’adjoint Du Laurens que, à son insu, des gens du Baol Oriental avaient
pillé le carré de Cheikh Anta M’Backé, mais que ce n’étaient point les gens qui
l’accompagnaient qui avaient commis ce débit.
Ayant frappé inutilement aux portes du carré, pour donner ordre de préparer
la nourriture, disait-il, et personne ne lui ayant répondu, il avait fait couper les
tapades pour pénétrer chez Cheikkh Anta, puis voyants que cette demeure était vide,
il en était sorti sans rien toucher.
Cette explication est une défaite et certainement le pillage a été ordonné par
M’Bakhane Diop, non dans un but de cupidité, mais pour satisfaire son orgueil
intraitable et aussi sa vengeance personnelle contre Cheikh Anta qui, l’avait
particulièrement insulté, lors de son entrevue avec Amadou Bamba.
Il est impossible de savoir ce qui a été pillé ; et une enquête faite actuellement
ne produirait aucun résultat. Seulement, je pense que M. l’adjoins Rocaché doit
savoir beaucoup de choses à ce sujet et, qu’à son retour à St-Louis il pourra vous
donner tous les renseignements désirables.
J’estime aussi que, M’Bakhane Diop dont l’intelligence ne peut être mise en
doute, n’a avisé M. Du Laurens, de ce pillage que, parce qu’il savait que j’en serais
informé tôt ou tard. Nous n’avons pas campé à M’Backé, mais bien à Touba, village
d’Amadou Bamba situé à 4 kilomètres au minimum, plus loin que M’Backé.
J’apprends à l’instant l’arrivée à Tivavouane, d’Ibra Faty, frère d’Amadou
Bamba.
Je le fais chercher par l’interprète pour savoir de lui les renseignements qu’il
doit posséder, sur le pillage du carré de Cheiks Anta à M’Backé.
Allys.
101
Colonies du Sénégal République Française
Et dépendances Liberté – Egalité – Fraternité
Cercle de Tivavouane
Cabinet de l’administration n° 192
Je viens vous rendre compte de la mission que vous avez bien voulu me confier
au sujet de l’arrestation du cheikh révolté Amadou Bamba.
Le 10 juin, à trois heures du soir, la colonne régulière était réunie au complet
et campée devant la Résidence de Tivavouane. Le personnel officier était logé et reçu
chez moi. Le 11 à 04 heures du matin, les spahis se mettaient en route pour Toul, à 05
heures, l’infanterie suivait, et nous arrivons à l’étape quelques heures après. Route
pénible, à cause de la grande quantité de sable, surtout en Ka et N’Dokoumane.
Le 12 dans la nuit, la colonne se met en marche pour Bambey, ferme. Les
chameaux arrivent en retard comme la ville et cependant ils ne sont pas beaucoup
chargés. Route assez bonne, il pleut cependant une demi-heure.
Le 13 à 03 heures du matin, nous levons le camp et nous nous mettons en
route pour N’Diourbel, nous rencontrions monsieur Dulaurens Résident du Baol
Oriental, venu au-devant de nous à 06 heures environ, et un peu plus loin le garde
principal Socé Sow et son peleton, ceux-ci rendent les honneurs au chef de la mission
chaleur appréciable. Les tirailleurs sont un peu fatigués et, comme l’étape de
N’Diourbel s’étant entendus, un jour de repos est accordé à la troupe.
102
Ce séjour à N’Diourbel, permettra aussi à l’administrateur de recevoir les
renseignements dont il a besoins, et de se mettre en relations directes avec les
contingents du Sine- Saloum et ceux du Djoloff.
A ce moment, le Résident de N’Diourbel est informé de ce qui suit : le 11 à
M’Backé, tous les habitants se sont réunis sous la conduite de Momar Diara, frère
aîné d’Amadou Bamba et sont allés trouver celui-ci pour lui demander des
explications sur sa conduite.
Au nom de l’Assemblée, Momar Diara prend la parole en ces termes : « je suis
ton frère aîné, ce qui prouve que je ne suis pas contre tes intérêts et c’est pour cela
que je te dis ce qui suit. Tu as refusé plusieurs fois de te rendre aux convocations du
Gouverneur. Sur quelle force ou quel miracle te bases-tu pour agir ainsi ? Si c’est une
force que nous ne connaissons pas, dis-le nous. S’il doit se produire un miracle, fait-
nous le connaître, donne-nous des preuves évidentes, palpables, et nous
combattrons à tes côtés. Dans le cas contraire, nous t’abandonnerons en te faisant
remarquer que, tu vas faire détruire le pays et amener de grands malheurs sur nous,
mais tu en seras responsable devant Dieu. Aussi nous te conseillons d’aller te rendre
aux Français, nous pensons qu’ils ne te tueront pas et qu’ils t’assigneront une
demeure, comme Thiès par exemple.
Amadou Bamba répondit à son frère, qu’il n’irait trouver personne : « si vous
avez peur, dit-il vous n’avez qu’à vous sauver ».
Momar Diara lui déclara alors, qu’il n’était plus de son parti, se considérait
comme libre et se tenait à l’écart. Il fit dire à notre envoyé qu’il se mettait sous la
protection des français et demandait des instructions pour ne pas se trouver mêlé
aux événements qui allaient se produire.
L’envoyé spécial dit qu’il y a beaucoup de monde à Touba, mais qu’il n’a pas vu
d’armes.
La communication est établie avec monsieur l’adjoint Rocaché qui est arrivé le
09 au matin à N’Goye, avec Coumba Ndoffène et les contingents du Sine.
Après avoir fait deux marches forcées de 75 kilomètres l’une, et s’est mis lui-
même en communication avec monsieur l’administrateur Poulet, établie avec les
contingents du Djoloff à Katali au sud de Lagata.
Un homme est parti pour M’Backé pour voir ce qui s’y passe. Un poste de 40
cavaliers a été établi à Gagneck, village situé dans le sud à 75 kilomètres et coupe la
route de la Gambie. Des patrouilles volantes, circulent de tous les côtés.
103
L’interprète Fara Biram Lô, nous rejoint dans la journée et je prends
connaissance de la lettre par laquelle, monsieur le Gouverneur Général invite pour la
dernière fois le marabout à se rendre.
Un homme avait été dépêché à M’Backé par monsieur l’adjoint Rocaché, pour
faire savoir au marabout que nous aurions été envoyés dans le Baol, parce qu’il avait
refusé d’obéir à la convocation du Gouverneur Général, que s’il ne voulait pas venir
de bonne volonté, il y viendrait de force ; et avait expliqué à Amadou Bamba, qu’il
était de son intérêt de ne pas attendre cette force et qu’il ferait mieux de se rendre.
Cet homme était revenu accompagné du nommé N’Diogou N’Diaye envoyé
d’Amadou Bamba, dire à monsieur Rocaché, qu’il était tout prêt à se rendre aux
ordres du Gouverneur Général, mais qu’il voulait auparavant qu’un envoyé de celui-ci
en venant à M’Backé, peut constater que tout ce qu’on disait de lui était faux et qu’il
vivait paisiblement.
Après cette constatation, il suivrait l’envoyé du gouverneur. Amadou Bamba
ne posait pas de conditions. Il est évident qu’à ce moment, le mouvement
concentrique opéré, était connu de lui, ainsi que la marche de la colonne régulière. Il
était donc troublé et savait que la fuite lui était devenue impossible.
Pendant que l’envoyé du marabout parlait à monsieur Rocaché, un poste des
gens de Sine amenait deux talibés qui cherchaient à pénétrer dans le Saloum et
avaient été arrêtés. Cela lui prouvait que les routes étaient bien gardées et il
rapporterait certainement le fait à son maître.
Dans la soirée du 13 sur courrier de monsieur Rocaché m’informe que les
frères d’Amadou Bamba lui ont fait dire la veille, que le marabout était prêt à aller le
trouver. S’étant alors dirigé à 10 heures du soir vers Kaël avec une centaine de
cavaliers, monsieur Rocaché arrivait sur ce point à 03 heures du matin ; et envoyait
prévenir les frères d’Amadou Bamba que, celui-ci pouvait venir lui parler ; mais
qu’ayant des ordres formels ; il ne pouvait que s’aboucher avec eux, car le
Gouverneur désirait la soumission du marabout et non la guerre.
S’approchant encore à 4 kilomètres de M’Backé, à 10 heures du matin, le
marabout lui faisait savoir qu’il ne pouvait que transmettre sa soumission attendu
que c’était à moi qu’il devait la faire.
Amadou Bamba répondit que quand je me serais approché de M’Backé, il
viendrait me trouver puis il repartait pour son village, Touba.
Dans la journée il faisait savoir à monsieur Rocaché, qu’il allait se rendre près
de moi à N’Diourbel, pour faire sa soumission, craignant une feinte et par conséquent
une tentative de fuite, monsieur Rocaché détachait monsieur l’adjoint Pierron avec
Coumba N’Doffène et quelques cavaliers pour rejoindre Amadou Bamba et
104
l’accompagner près de moi. Celui-ci s’arrêta en route au village de Touré pour causer
avec un de ses parents nommé Ma Fatim.
Le 14 à 03 heures du matin, monsieur Rizzon entrait dans la résidence de
N’Diourbel, avec le marabout qui était accompagné de plusieurs talibés et du cheikh
Khouna gendre de cheikh Sidia.
Je congédiai immédiatement tous ces gens à l’exception de cheikh Khouna et
le marabout fut conduit dans le magasin de la Résidence, sous la surveillance de Socé
Sow, garde principal.
S’étant rendu à 08 heures du matin près du marabout pour causer avec lui et
voir ce que pensait ce pêcheur de guerre sainte, je constatai bien vrai qu’il ne
répondait que par des échappatoires et des messages et je décide de la diriger sur
Tivavouane, la nuit suivante, afin d’éviter toutes les manifestations qui pourraient se
produire en cours de route.
Son escorte était composée conformément aux instructions reçues de Saint-
Louis et Fara Biram Lô l’accompagnait.
J’adressais en même temps des instructions écrites à Tivavouane, pour en
pêcher qui que ce soit d’approcher l’Amadou Bamba et réquisitionner la police
chargée d’assurer la tranquillité publique de la gare, au moment de l’embarquement.
Tout s’est passé conformément à mes prévisions et le cheikh est arrivé à Saint-
Louis sans encombre.
Ne considérant pas ma mission comme terminée je décidai de pousser jusqu’à
M’Backé et Touba, pour me rendre compte de___, de ce qui existait.
D’accord avec le capitaine Lauqué, la colonne se mit en route le 15 et arriva à N’Doye
Sorgo, le même jour après une étape longue et pénible, tout par la nature du sol que
par la température ambiante.
Le lendemain matin nous levons le camp pour nous rendre à Mbacké, où il est
fait une halte de 20 minutes, et là à Touba, village d’Amadou Bamba situé à 4
kilomètres plus loin.
Le marabout a fait ouvrir une route de 10 mètres de large, conduisant à son
carré. Les arbres et broussailles sont abattus dans un rayon de 2 kilomètres autour de
sa résidence. Personne ne peut en approcher sans être aperçu de très loin. Les arbres
coupés à un mètre du sol, rendraient impossible une charge de cavaliers en rangs
serrés.
Le carré d’Amadou Bamba est immense. Il comprend un grand nombre de
cases en paille très bien faites, plusieurs cours intérieures, et au centre deux pavillons
105
avec galeries circulaires et doubles toits. Ces deux pavillons sont distants de 25 m l’un
de l’autre, ils sont vides mais les galeries comportent des étagères immenses,
couvertes de corans et autres livres arabes. On y voit aussi armoire à glace en
pitchpin, canapés de luxe, fauteuils, tables etc….Dans une case en paille une glace en
cuivre bisantée ayant un mètre de hauteur, une caisse d’alcool de menthe de ricqles,
un tapis d’Orient magnifique, des flocons de parfum au musc etc… Tout cela a été
acquis à l’aide des 200 000 francs volés au commerce par les boutiquiers et traitants
de la ligne, depuis le retour du déporté.
Ce receleur avait pour caissier, son frère cheikh Anta M’Backé, qui a été l’âme
de la résistance du marabout et mérite d’être expulsé du Baol.
Plus loin une grande chambre carrée en maçonnerie, comprenant un immense
four, ainsi qu’un pétrin, de la farine et du levain !!!!
Cénobite, dont la vie n’était plus de ce monde était tout simplement un
épicurien.
Arrivé du Congo en novembre 1902, sans un sous en poche, il avait résolu en 6
mois le problème le plus ardu ; vivre à rien faire et dans l’opuler. C’est très fort !
Malgré mes recherches, je n’ai trouvé aucune trace d’armes ni de munitions.
Cela ne signifie pas qu’Amadou Bamba n’en possédait pas.
A l’époque où ce marabout revint s’installer à Touba, beaucoup de gens du
Baol, du Cayor et du N’Diambour, possédaient des fusils. Ne pouvant s’en procurer
dans les magasins, sans donner l’éveil à l’autorité, il fit acheter par ces talibés, les
fusils disséminés dans les contrées environnantes. Si le temps lui avait été laissé pour
s’organiser complétement, en un mot s’il eut été prêt, il eut résisté.
Surpris au milieu de ses préparatifs, et ne voulant laisser aucune preuve de ses
intentions hostiles, Amadou Bamba a disséminé ses cheikhs et ses talibés, ainsi que
ceux du cheikh Anta et ceux-ci ont emporté leurs armes avec eux.
Je répéterai encore que, ce dernier a été l’âme de la résistance, le mauvais
génie du marabout qui, sans cela aurait écouté les conseils de ses frères : Momar
Diara et Ibra Faty.
Sous aucun prétexte, Amadou Bamba ne doit être autorisé à rentrer dans le
pays et une résidence doit être fixée à Cheikh Anta, soit à Thiès ou Tivavouane, avec
ordre de n’en pas sortir sans l’autorisation de l’administrateur, à qui il devrait se
présenter tous les 8 jours.
En un mot, il doit être mis sous la surveillance administrative la plus sévère.
106
Autrefois, ce personnage était grand ami de M’Bakhane Diop, chef du Baol
Oriental puis un beau jour, la corde fut cassée ! On dit que ce dernier avait promis à
cheikh Anta et son frère, d’être leur protecteur auprès du Gouverneur français, et
que, à ce titre il aurait reçu un cadeau de 5000 f en espèces. Mais, rien ne le prouve,
et cet on dit, est colporté par les talibés du marabout.
Cependant, Ibra Faty, me l’a répété en présence de l’interprète Amadou
N’Diaye hier matin à mon bureau.
J’estime que les deux villages de M’Backé et Touba sont coupables au même
titre. Les biens en espèces volés au commerce, ont été disséminés dans la brousse ou
enterrés dans le sable. Il y a lieu d’infliger une amende importante à ces deux villages
soit en tout 10 ou 15 mille francs. Cette amende serait vite payée, les gens de
M’Backé ont déclaré qu’ils payeraient tout ce que l’on demanderait.
La mission qui m’était confiée étant terminée, la colonne revenait le 17
camper à N’Doye Songo et le 18 à N’Diourbel, où elle se reposait le 19.
Entre temps, je recevais le télégramme chiffré n° 190 de monsieur le
Gouverneur Général concernant la marche sur Niakhar d’où l’infanterie devait se
diriger sur Portudal et Rufisque et la cavalerie sur Thiès. Après entente avec le
capitaine Lauqué, les ordres nécessaires étaient donnés pour le ravitaillement.
Monsieur Hierron et Coumba N’Doffène partaient afin de recevoir la colonne
de Niakhar.
Au moment de se mettre en route les spahis étaient dirigés par les voies les
plus rapides, sur Thiès ; c’est-à-dire par Bambey, Goundian. Monsieur l’adjoint du
Laurens les accompagnait.
Le 20 juin, l’infanterie partait pour Niakhar en passant par N’Goé ou de l’eau
été préparée pour remplir les bidons des tirailleurs. La température à deux heures de
l’après-midi atteignait 46° à l’ombre depuis trois jours.
Monsieur l’adjoint Rocaché accompagnait l’infanterie dans sa marche sur
Rufisque.
Le même jour, je prenais la route de Tivavouane, et ramenais avec moi le
lieutenant des tirailleurs Monsieur Trémolaye, malade, que de devais diriger sur
l’hôpital de Dakar ; ce qui a été fait.
Partis de Bambey le 21, nous arrivons à Toul le même jour et le 22 à
Tivavouane, ainsi que monsieur de Kersaint- Gilly que j’avais emmené avec moi, pour
assurer la marche du convoi des chameaux.
107
Les chameliers devaient avoir les cordes nécessaires pour charger les bagages.
Ils ne les avaient pas. J’ai dû en faire acheter pour 125 francs. Cette somme sera à
retenir sur celle à payer au chef du gandiolais.
En terminant ce rapport, je dois déclarer que les relations les plus cordiales et
les plus agréables, n’ont jamais cessé d’exister entre le personnel civil et militaires de
la colonne, que nous avons toujours pris nos repas ensemble, et que tous se
rappellent avec plaisir cette promenade militaire pendant laquelle la bonne
camaraderie n’a été troublé par aucun incident.
Monsieur l’adjoint du Laurens, arrivé hier à Tivavouane, pour régulariser avec
moi les dépenses à payer par le budget Sénégambie – Niger, pour la nourriture des
contingents indigènes, repartira demain pour Thiès, à la disposition de monsieur
l’administrateur Brempain.
108
Affaires Politiques Secrétaire Général à Administrateur
A.S des talibés Thiès
D’Amadou Bamba Thiès 16/7/1904
109
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Cercle de Thiès
N° 677 Thiès, le 28 juillet 1904
Objet : Au sujet des talibés l’administrateur du Cercle de Thiès
D’Amadou Bamba à monsieur le Secrétaire Général
Du Gouvernement Général
Dakar
110
habite tantôt les escales du Cayor situés sur la voie ferrée les talibés placés ous les
ordres de ces trois cheicks sont au nombre de trois cents environ.
Ceux-ci n’ont eu avec les gens de Thiès que deux différends méritant d’être
signalés : Le premier, survenu au sujet d’un captif dans la deuxième quinzaine du
mois de juin a été réglé amiablement par le commissaire de police de l’escale. Le
second, occasionné par cette question de lougan qui a amené la rixe de N’Doufack
dont je vous ai rendu compte par mon télégramme n° 425 en date du 15 juillet
dernier, a été jugé par le Cadi supérieur de Thiès. Vous avez été également informé
de la sanction qui est intervenu.
A part ces confits qui n’ont eu pour cause que des questions particulières
n’ayant provoquée aucune répercussion hors de la zone intéressée, l’attitude des
talibés de Thiès n’a rien qui puisse retenir l’attention. Ils s’occupent, la plupart du
temps, soit de leurs cultures soit des opérations commerciales entreprises pour leur
propre compte ou celui de leurs cheicks.
Dans le Baol Occidental, la situation est à peu près identique à celle constatée
dans la région de Thiès. Ainsi que m’en informe, en effet monsieur l’administrateur
Donis les talibés d’Amadou Bamba s’occupent paisiblement de leurs cultures, et rien
de dénote chez eux une agitation pouvant éveiller des craintes.
Les principaux marabouts de cette contrée, élèves d’Amadou Bamba sur
lesquels une surveillance secrète et permanente continuera de s’exercer sont les
suivants :
- Bala M’Backé, de Bousnak, possède beaucoup de talibés. Habite le Trazza
pendant la saison sèche avec son maître Amadou Bamba et vient dans le
Baol pour cultiver pendant l’hivernage.
- M’Baye N’Gom, de N’Gomène, possède également un certain nombre de
talibés. Habite le canton de Fandène et a soulevé dans ces derniers temps
des contestations de terrain, aujourd’hui réglées avec les habitants du
village de Thiénaba.
- Ibrahima Tioube de Keur Assane Lô possède beaucoup de talibés
- Amadou Djigel de keur Diadié Diop possède beaucoup de talibés
- Babacar N’Diaye de Lambaye possède une centaine de talibés
- Amadou M’Baye M’Bagué de Diarou possède 56 talibés
- Gora Bakhoum de keur Assane possède 30 talibès
- Babacar Niang de N’Diaye Touk possède 40 talibès
- Abdoulaye Faye de Koufane possède 11 talibès
- Mody Tambery de Goddy possède 34 talibès
- Babacar N’Diaye de Tièpe possède 10 talibés
- Alioune Diouf de Talègne possède 56 talibés
111
- Amadou N’Diaye de N’Dondalle possède 20 talibés
Et enfin le cheik Anta, frère d’Amadou Bamba dont les nombreux talibés se
dispersent dans la contrée pour s’ordonner à la culture ou au commerce. Ceux-ci ne
donnent lieu à aucune remarque spéciale.
Dans le Baol Oriental, l’enquête a porté principalement dans le La, canton où
se trouvent réunis tous les membres de la famille M’Backé. Voici quel serait l’état
d’esprit des principaux marabouts de cette région.
Le chef du village de Socé, Madieng, homme très influent se déclare satisfait
de la situation actuelle. Un moment, effrayé, par les instances de ses parents du
Cayor qui lui faisaient craindre des ennuis de la part de l’administration, il a prévu
émigrer dans cette région, mais après réflexion, il a décidé de se fier aux promesses
de tranquillité qui lui avaient été faites et de maintenir sa résidence où elle se
trouvait.
Le Serigne N’Dilki n’a aucune plainte à formuler sur les rapports qu’il
entretient avec Youga N’Dambou, chef du canton de La. Il s’occupe en toute
tranquillité de ses cultures.
Ibra Faty est revenu de son voyage chez les Trarzas pour la mise en valeur de
ses lougans.
Cheikh Anta actuellement à M’Backé où il a été appelé pour le même motif ; il
serait assez disposé à y établir sa résidence principale si une réconciliation sincère
avait lieur entre lui et le chef supérieur du Baol Oriental.
Enfin Momar Diara lui-même a été rencontré à Sam, son village de culture. Il a
fort bien reçu l’agent politique chargé de l’enquête qui s’est présenté à lui comme
suivant de Bourba Djoloff venu dans le pays pour y faire des achats de chevaux. Au
cours de la conversation qui a eu lieu entre eux, l’agent secret a demandé à Momar
Diara s’il était vrai comme le bruit en courait dans le Djoloff que la famille M’Backé
eut l’intention d’émigrer chez le Bamba. Momar répondit que les derniers
événements auxquels Amadou Bamba s’est trouvé mêlé étaient oubliés par tous,
qu’ils étaient sûrs de la paix et qu’il n’y avait aucune raison pour quitter le Baol.
En résumé, aucun renseignement suspect n’est parvenu à l’agent politique
pouvant supposer dans le Baol Oriental une effervescence quelconque même d’ordre
étranger à la politique. Cette déclaration est en tout point confirmé par le chef du La.
Je dois ajouter qu’à l’occasion des divers recensements qui viennent d’être
effectués cette circonscription, les cantons musulmans n’ont donné lieu à aucune
plainte ni soulevé la moindre difficulté.
112
Le seul fait intéressant sur lequel je me permets d’attirer votre attention est le
grand approvisionnement de mil fait à M’Backé en ce moment pour être dirigé à la
disposition d’Amadou Bamba dans le Ganar où, d’après les bruits mis en circulation
par ses gens, la famine se ferait assez cruellement sentire.
Cette nouvelle me paraît inexacte, les renseignements personnels que j’ai sur
l’’état des cultures de cette région me permettant, en effet de déclarer que la
dernière récolte a été particulièrement abondante.
Telles sont, Monsieur le Secrétaire Général, les informations que j’ai pu me
procurer en réponse à votre communication n° 618 du 16 juillet dernier. Je ne perdrai
pas de vue cette délicate question et vous communiquerai au fur et à mesure que j’en
aurai connaissance, tous les autres faits qui seront de nature à vous intéresser.
Souet El Ma, le 28 novembre 1904
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous saluer et j’ose formuler le vœu que vous ayiez déjà
oublié ce qui a récemment attiré votre attention sur moi. Je suis venu en Mauritanie,
près de Souet El Ma, chercher un refuge de tranquillité et de paix.
Malheureusement, les hommes du Walo, du Baol et du Cayor passent en
masse le fleuve, principalement par Dagana, pour venir jusqu’ici.
Je viens demander à votre bienveillance autorité de les empêcher de quitter
ainsi leur pays pour émigrer temporairement vers moi.
J’ai l’honneur, Monsieur le Gouverneur, de vous prier d’accepter nos plus
respectueuses salutations.
Cheikh Amadou Bamba
113
Cercle de Tivavouane
Rapport du 1er trimestre 1905
Je reviens à Amadou Bamba, ce cheikh déporté en Mauritanie et dont les
talibés ou Mourites sont répandus dans tout le pays.
En revenant du Congo, Amadou Bamba répondait à ses adeptes qui
l’interrogeaient que « voulant souffrir pour Dieu, il l’avait prié de le faire déporté
au Congo ». Puis un jour, jugeant qu’il avait souffert suffisamment, il avait prié de
nouveau pour que Dieu le fasse revenir du Congo par ordre direct du chef des
français, sans passer par le Gouverneur. (En effet, je me rappelle que monsieur le
député d’Ageult m’avait dit avoir reçu une lettre du déporté demandant la fin de
son exil). Ses vœux, disait-il, avaient été exaucés. Il avait ajouté ensuite : j’aurais
pu si je l’avais voulu revenir au Sénégal par les airs, car Mahomet m’avait offert de
me donner des ailes, mais je n’ai pas voulu accepter, cette manière d’arriver
aurait fait trop de bruit.
Et la tourbe imbécile ajoutant foi à ses paroles, se couchait sur son passage et
tombait en extase !!!!
Ainsi partout et sous toutes les latitudes, nous rencontrons la crédulité
publique se faisant exploiter cyniquement par les prétendus représentants des
religions révélées.
Au retour du Congo, Amadou Bamba vint s’installer à M’Backé territoire du
Baol, son lieu de naissance. Voulant vivre en grand seigneur, avoir des habitations
confortables et ne manquer de rien. Il resta 15 jours enfermé et prétendit
pendant ce temps avoir fait un voyage à la Mecque : toutefois, il n’osa pas
prendre le titre de El Hadji.
Cependant, à la suite de ces révélations, ses talibés tombaient en extase et
prétendaient voir Mahomet.
114
C’est alors que le cheikh Amadou Bamba demandait à ses mourites de fortes
sommes d’argent que ceux-ci devaient apporter presque à jour fixe en se les
procurant coûte que coûte. Les uns travaillent comme boutiquier ou comme
traitants dans une maison de commerce et volent leurs patrons.
Les autres travaillent de grandes quantités de terrains, y ensemencent des
arachides et promettent de vendre leur récolte à tels ou tels commerçants afin
que ceux-ci leur consentent des avance. Celles-ci sont expédiées au cheikh et
quand la récolte est mûre, elle est vendue chez un commerçant à qui ils ne
doivent rien. Le résultat est toujours le même : le vol.
Et c’est ainsi que Amadou Bamba avait fait construire à grands frais deux
maisons à véranda circulaire, dans lesquelles il y avait lit à sommier, armoire à
glace, commode, canapé de luxe, coussins, glace en cuivre bisantée ayant une
mètre de hauteur et dans un coin, une caisse de 100 flacons d’alcool de menthe
de ricqlès ; pour un marabout, ce n’est pas mal, des parfums en quantité
considérable, des tapis fins du Maroc, etc…
Dans la cour, une boulangerie très spacieuse était également construite.
Dans cette boulangerie, dont le four pouvait contenir 100 kg de pain, se
trouvait un immense pétrin avec 2 kilos de levain frais et de nombreux sacs de
farine.
Ce marabout avait du reste dit à ses talibés « en quittant le Congo, j’ai laissé
mon boubou de misère, et maintenant, je veux vivre ».
Enfin, ayant réussi dans la mission que m. le Gouverneur Général m’avait
confié en Juin 1903, je dirigeai Amadou Bamba sur St. Louis, d’où il fut interné en
Mauritanie, et où, j’espère, il restera longtemps.
Mais ce marabout a laissé derrière lui dans le Cayor et le Baol, de nombreux
talibés dont les uns sont devenus cheikh à leur tour, et avec qui il est toujours en
correspondance, car il ne désespère pas de revenir à M’Backé où se trouve son
frère Ibra Faty, à qui il a ordonné de garder ses maisons et ses biens. Celui-ci, que
j’avais attiré dans le Cayor et que j’avais autorisé à cultiver pendant l’hivernage de
1903 dans sa partie déserte et pierreuse de M’Boute, où il avait même construit
un puits indigène, est retourné avec ses gens à M’Backé pour obéir aux ordres
formels de son frère Amadou Bamba.
Ce dernier a encore un autre frère nommé cheikh Ante M’Backé qui était le
trésorier de l’association. Il avait également à M’Backé une maison avec vérandah
circulaire, située à 2 km de celles de cheikh Amadou Bamba.
115
Une belle voiture également était remise sous la galerie, tout cela acheté et
payé avec le produit du vol.
Ce cheikh Anta M’Backé voyage beaucoup mais réside principalement à
N’Doucouman (Baol Occidentale). Il se soucie peu de la religion, mais
ostensiblement, il fait montre de fanatisme. Il n’a qu’i, but, ramasser beaucoup
d’argent, afin de se procurer le plus de jouissance possible. Avec l’argent, il ne lui
manque rien, et il peut donner la forte dot, il aura comme femme celle qu’il aura
convoitée quel que soit son rang. C’est lui qui a dépensé la plus grande partie de
l’argent apporté à son frère et qui a enfouie le reste quand il a vu que les affaires
tournaient mail. Il avait même un dépôt de fonds dans la maison Maurel frères,
comptoir de Tivavouane.
On a estimé au bas mot à 200 000 les sommes volées au commerce par les
boutiquiers, traitants et cultivateurs ou autres de la ligne depuis le retour du
déporté jusqu’en juin 1908 ; c’est-à-dire dans un délai très court.
Ce cénobite qui ne vivaient que pour Dieu, était tout simplement un épicurien
arrivé du Cogo en Novembre 1902, sans un sou en poche, il avait résolu en 6 mois
le problème le plus ardu qu’il existe !!!
Amadou Bamba a comme frère ainé un nommé Momar Diara, qui résidait à
M’Backé également, mais il ne croit pas à la mission divine d’Amadou ; et la
preuve, c’est que ayant appris mon départ de Tivavouane avec une colonne pour
marcher sur M’Backé, il s’empressa de réunir les habitants des villages
environnants et fut avec eux trouver son frère, il lui tint le langage suivant : « je
suis ton frère aîné et bon musulman, ce qui prouve que je n’agis pas contre tes
intérêts et c’est pour cela que je te dis ce qui suit : tu as refusé plusieurs fois de te
rendre aux convocation du Gouverneur français, pour quel motif ? Sur quelle
force en quel miracle comptes-tu pour agir ainsi ? Si c’est une force que nous ne
connaissons pas, dis-le nous. S’il doit se produire un miracle, fais-le nous
connaître, donne-nous des preuves tangibles, palpables, et nous combattrons à
tes côtés. Dans le cas contraire, tu es un fou et un orgueilleux et nous
t’abandonnons en te faisant remarquer que tu vas faire détruire le pays et amener
de grands malheurs sur nous, mais tu en seras responsable devant Dieu. Rends-toi
aux français. Ils ne te tueront pas, car ce n’est pas dans leur mœurs, mais il
t’assigneront une demeure comme Thiès ou Tivavouane probablement ». Amadou
Bamba, irréductible et drapé dans son orgueil répondit : « je n’irai trouver
personne, et si vous avez peur vous n’avez qu’à vous sauver ».
Alors Momar Diara lui déclara qu’il le considérait comme un fou et ne le regardait
plus comme son parent, puis il me fit demander des instructions, car il ne voulait
pas être mêlé aux évènements qui aller se produire.
116
La partie du territoire de M’Backé où se trouvent les cases d’Amadou Bamba
s’appelle Touba. Un puits en tôle y a été construit par le Cercle de Thiès.
Je connais encore trois frères du marabout Amadou Bamba :
1) Cheikh Thioro, cadi supérieur de Louga, frère consanguin, brave homme,
dévoué à la cause française ;
2) Balla, qui tient à Kakoune à 8 km de Tivavouane sur la route de Toul, une école
musulmane, frère consanguin, ce dernier, 22 ans environ, insignifiant pour le
moment mais très orgueilleux et toujours près de cheikh Anta qui réside à
N’Doucoumane (7 km du Baol).
3) Lat-Sène, frère utérin, 33 ans environ, un de mes agents politiques les plus
dévoués ; m’a tenu au courant des agissements d’Amadou Bamba jusqu’à la
veille de mon arrivée à Diourbel.
Deux des femmes d’Amadou Bamba sont des « mouritess » et en mai 1904, elles
sont parties le rejoindre dans le Ganar. Elles se nomment Faty Diop et Ayssata Sèye.
Mais il existe d’autres femmes « mourites » une entre autres, est enragée
fanatique, et à la tête rasée, si on la laissait faire, elle emploierait les moyens de
l’inquisition. Son nom est N’Goné M’Baye, son village gadire, saniokhor Oriental.
Cette femme est mariée au nommé Atmar Diop, talibé également d’Amadou
Bamba, sui ne sait obéir qu’à sa femme. Celle-ci a déjà eu maille à partir avec moi, et
a été gratifiée de 15 jours de prison. Je citerai seulement un exemple de la manière
dont elle opère.
Un jour elle se rendit à N’Darde, où elle enleva sa jeune sœur Déthié Gaty
M’Boupe sui demeurait avec sa mère et la conduisit dans son village à Gadire. La
mère m’ayant porté plainte, je fis comparaître devant moi N’Goné M’Baye et son
mari. Cette femme me répondit qu’elle n’avait enlevé personne et qu’elle ignorait
absolument où se trouvait sa sœur. Elle se réclama hautement de la protection
d’Amadou Bamba, qu’elle serait heureuse, disait-elle, d’aller rejoindre, fanatique et
arrogante, voilà ce qu’elle est.
Mise en prison, j’interrogeai son mari Atmane Diop qui, tout tremblant, me
déclara que N’Goné M’Baye avait en effet enlevé sa sœur Déthié Gaty M’Boube et
l’avait gardé quelques jour à Gadire, mais que craignant mes recherches, elle lui avait
payé le chemin de fer jusqu’à Pout, d’où Déthié s’était rendu à Niakhyya (Saniokhor
Occidentale) chez son oncle Babacar Lô, cheikh formé par Amadou Bamba.
Le motif de l’enlèvement était le suivant : Déthié Gaty M’Boube avait été mariée
par sa mère au nommé Madiène Fall qui avait toujours refusé d’être mourite. J’ai fait
surveiller d’une façon toute spéciale la région de Niakhyya qui est un repaire de
talibés de cette esppèce.
117
Je signalerai par ceux-ci :
1) Momar Awa, demeurant à Pout et qui passe l’hivernage à Niakhyya. Est en
relations continuelles avec Amadou Bamba et transmet ses ordres
2) Matar Niang, qui garde le secret le plus absolue dans son carré ; personne ne
peut trouver ce qui s’y passe ; ses fidèles sont seuls admis à y entrer
3) Babacar Lô, oncle de la nommé N’Goné M’Baye, a de nombreux talibés,
spécialement des femmes « mourites »
4) Saliou Fall qui faisait le service de la poste entre Amadou Bamba et Ibra Fall,
son talibé à Dakar, Saliou Fall habite actuellement chez ce dernier.
5) Amadou Diop Anta Guère, très fin et rusé, distribue la bonne parole aux
indigènes ; impossible de pénétrer dans son carré.
Tous ces Serignes, talibés, mourites, cheikhs, passent leur temps à réciter des
prières, la nuit ils se réunissent et crient 500 fois de suite, le plus fort qu’ils le
peuvent ; La hilla-hilla allah ! Puis ils tombent par terre en extase et prétendent voir
des choses extraordinaires. C’est comme chez nous Lourdes et la Salette. Ces
illuminés cultivent des terrains d’une étendue immense. Ils ne travaillent pas la terre
dans les mêmes conditions que les cultivateurs ordinaires. Ainsi, par le clair de lune,
ils ne quittent les travaux qu’à onze heures du soir et vont ensuite à la mosquée faire
leur salam. Ils prennent leur repas après. C’est l’indice certain que leur cheikh leur
demande beaucoup d’argent.
Dix chefs de carr, tous talibés d’Amadou Bamba, sont installés au village de
Khayes, canton de Niakhyya
Somme toute, les cheikhs et talibés importants de la suite Amadou Bamba sont
connus ; il n’y a qu’à les surveiller, par conséquent, je n’ai aucune mesure
exceptionnelle à proposer.
118
Introduction
À monsieur le Gouverneur et à son entourage
Salutations complètes
La lettre a pour but de te faire savoir que j’apprends que certains individus se
disant de mes talibés sans même être connus de moi se livrent à toutes sortes de
nature à nuire aux gens du pays et à m’attirer moi-même des désagréments.
Je viens donc vous dire que je défends absolument à toute personne
susceptible d’être l’objet d’une plainte quelconque de m’approcher ou de me suivre.
Je vous serais reconnaissant de votre côté de châtier sévèrement tous ceux qui
se rendent coupables de pareil faits.
Soyez persuadé Monsieur le Gouverneur que je ne ferai jamais rien qui
pourrait vous contrarier et que je me désintéresserai complètement des gens qui
chercheront à vivre injustement aux dépens des autres.
Signé : Mohamed fis de Mohamed fils de Habib Allah
(Mamadou Bamba)
Saint-Louis le 13 juillet 1906 Pour copie conforme
P.P.C L’interprète le chef du bureau politique
Signé : Amadou Bou El Mogdad
119
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale française Liberté – Egalité – Fraternité
Territoire Civil de la Mauritanie
1er bureau
N°254
Objet : A.S. d’Ahmadou Bamba
Actuellement auprès de
Souet.EL.Ma
120
Ne pensez-vous pas, monsieur le Gouverneur, que la communication de ce
désir ne serait pas œuvre utile dans ces provinces, restées fidèles à ce marabout et
n’arrêterait pas ce genre de pèlerinage dont les conséquences ne peuvent être que
fâcheuses pour les finances et la tranquillité du pays ? Dans le cas où vous voudriez
bien donner votre haute approbation à ma manière de voir. Je vous céderais la lettre
originale D’Amadou Bamba.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint, copie d’une lettre d’Amadou Bamba à
Monsieur le Commissaire du Gouvernement Général en Mauritanie.
Ce Shériff, déjà par deux fois victime de ses talibés qui ont occasionné d’abord
sa transportation au Congo, ensuite son exil en Mauritanie demande à ne plus
recevoir de visites de la part de ses élèves, presque tous originaires du Sénégal.
Il ne peut être que salutaire en effet pour la tranquillité des cercles du Sénégal
d’arrêter ces nombreux pèlerinages vers Souet.El.Ma que vous m’avez signalés à
maintes reprises.
121
Je vous prie donc de bien vouloir donner à cette lettre la plus grande publicité
possible et informer les indigènes de votre cercle restés fidèles à ce marabout que
des punitions seront infligées à ceux qui enfreindraient la défense qui leur est faite
d’aller visiter Ahmadou Bamba en Mauritanie.
Pour le Gouverneur et par délégation
Le Secrétaire Général.
J’ai l’honneur de vous informer que le bureau des domaines de Saint-Louis m’a
écrit pour me dire de venir payer la somme de 630 que je dois verser pour les trois
terrains situés à l’escale de N’Dande.
Ceux sont les terrains que j’avais parlés à l’administration de Tivavouane. Je
suis venu Samedi dernier au soir ; et j’ai payé cette somme du même jour.
J’avais rencontré les envoyés de mon maître venant dans le Ganar, m’ont dit
qu’il les envoie pour me demander la nourriture c’est-à-dire du mil pour le mois de
Ramadan. Je viens exposer auprès de votre haute bienveillance me faire un laissez-
passer pour lui envoyer cette nourriture.
Nous venons vous prier de bien vouloir nous accorder la grâce pour le faire
venir dans le pays.
Maintenant je vous fais mes adieux pour retourner chez moi parce que le mis
est approché, il ne reste que trois jours. Agréez l’assurance de mon affection.
Signé : Sikh Ibra Fall à N’Dande Cayor-Sénégal.
122
Bureau Politique Gouvernement du Sénégal
N° D.680 du 19 octobre 1906
Analyse : A.S d’un laissez-passer Monsieur le Commissaire du
Pour Sourt.El. Ma demandé par le Gouvernement Général en Mauritanie
Sheick Ibra Fall de N’Dande
Pièce jointe : 1 copie de la lettre
Ci incluse.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-incluse copie d’une lettre par laquelle le
Sheikh Ibra Fall de N’Dande sollicite un laissez-passer pour envoyer à son maître
Amadou Bamba du mil à l’occasion du Ramadan.
Je vous serais reconnaissant de vouloir bien me faire connaître votre avis sur
l’opportunité d’accorder cette autorisation, des ordres ayant été donnés
dernièrement, à la demande même d’Amadou Bamba pour mettre un terme aux
visites de ses talibés.
123
Saint-Louis le 29/11/1906
Monsieur le Gouverneur des colonies lieutenant-gouverneur du
Sénégal. Saint-Louis
Monsieur le Lieutenant-Gouverneur
J’ai l’honneur de vous adresser cette lettre pour vous prier de vouloir bien
m’accorder deux grandes faveurs que je n’espère obtenir que de votre haute
bienveillance.
Mon désir le plus vif est d’obtenir le retour aux environs de Saint-Louis de mon
maître Serigne Bamba, actuellement relégué à Khomak chez les maures. Cet homme
n’a jamais eu la moindre animosité contre les français qu’il aime et respecte. Le
tapage fait autour de son nom et qui a ému le Gouvernement français n’était
nullement de son fait et je puis affirmer que lorsqu’il reviendra parmi nous, le
Gouvernement français n’aura qu’à se louer de son attitude et de sa soumission.
Je n’en porte garant, moi qui suis au milieu de vous et à votre entière
disposition.
La seconde faveur que je sollicite est une médaille me permettant de faire voir à tous
les marabouts que le Gouvernement français soit récompenser ses fidèles serviteurs
afin que comme moi, ils sachent qu’ils doivent aimer et respecter la France et inspirer
cet amour à tous talibés.
Veuillez agréer Monsieur le Gouverneur l’hommage du profond respect de
votre dévoué serviteur.
Sikh Ibra Fall
124
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale française Liberté – Egalité – Fraternité
Colonie du Sénégal
Cercle de Louga
N°102
Objet : A.S. du marabout
Amadou Bamba
Par lettre en date du 14 avril dernier n° 708 B.P vous avez bien voulu
m’adresser vos instructions au sujet des moyens à employer pour la surveillance du
Cheikh Amadou Bamba et de son entourage ainsi que pour les mesures à prendre
contre les nombreux visiteurs qui viennent à Thiéaine.
J’ai immédiatement transmis copie de cette lettre au chef du Djoloff en y
ajoutant des ordres de détail pour assurer la rigoureuse exécution de ces
prescriptions.
125
J’ai reçu hier un rapport de Bouna N’Diaye qui me rend compte qu’après une
courte période d’accalmie au camp d’Amadou, les pèlerinages reprennent une
importance la plus grande de jour en jour.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint les renseignements journaliers à
Thiéne.
L’agitation incessante que provoquent les allées et venues des visiteurs n’est
pas sans troubler profondément le calme habituel de la région et si l’on remarque
que ces caravanes de pèlerins viennent de toutes les directions (cercles de Thiès,
Tivavouane, Podor, Mauritanie) parcourent de longues distances en traversant de
nombreux villages, il semble nécessaire d’enrayer au plus vite ces mouvements à
travers les populations de la région qui fut le berceau de l’Islamisme au Sénégal ; leur
tranquillité actuelles constamment troublée pourrait ramener parmi eux le souvenir
de leur convictions religieuses, et ranimer le fanatisme qui sommeille encore dans
leur esprit.
Il n’est pas douteux, en effet, que les personnages qui se rendent auprès
d’Amadou avec une suite plus ou moins nombreux (jusqu’à 20 cavaliers) ne
produisent une certaine impression sur les agglomérations traversées,
indépendamment du prosélytisme qu’ils doivent faire en cours de route.
Les présents apportés revêtent, par leur importance, la forme d’offrande
collective ; c’est ainsi que pendant les deux journées des 27 et 28 août, le marabout a
reçu :
1 cheval – 1 bélier – 50 sacs de riz – 5 greniers à mil – 42 sacs de mil – 3 chameaux
chargés de mil – 1 chameau chargé de boutures de manioc.
Quelques jours plus tard ; 7 bœufs lui sont offerts par trois indigènes du cercle
de Tivavouane.
Conformément à vos instructions j’ai fait exiger la présentation des tickets
d’impôts à tous les visiteurs d’Amadou. Il en résulte de continuelles expulsions et une
agitation incessante par la suite des protestations des indigènes qui prétendent avoir
payé.
Cinq maures venants du Tangant ont été également expulsés pour le même
motif.
Quant au paiement de l’impôt individuel par tous les gens habitant le camp
d’Amadou, ce dernier prétend n’avoir près de lui que 125 personnes déjà à ses côtés
en Mauritanie. Il aurait fourni gratuitement à l’administration de ce territoire 10 bons
chevaux, ce qui constituerait, d’après lui, une contribution au moins équivalente.
Je vous serais obligé de me donner des ordres à ce sujet.
126
L’agglomération qui gravite autour du marabout paraît vivre en bonne
intelligence ; j’ai dû cependant demander à M. l’administrateur de tivavouane
l’arrestation d’un nommé Serigne N’Diakaté, du village de Kelcome, talibé d’Amadou,
qui a pris la fuite après avoir blessé un camarade.
J’ai également ordonné l’arrestation du chef de village de Belthisku (Djollof),
talibé d’Amadou, qui faisait de la propagande parmi les Peulhs de la province.
Les renseignements sur les incidents journaliers de Thiéaine sont recueillis
discrètement par l’envoyé du chef du djoloff ; sa présence dans le village ne doit plus
être ignorée d’Ahmadou et devant l’importance du mouvement sans cesse
grandissant qui résulte de l’affluence de visiteurs, cette surveillance est désormais
insuffisante pour nous permettre de connaître exactement ce qui se passe.
Le choix d’un point aussi éloigné de Yang – yang, motivé par la nécessité de
rapprocher le marabout de l’escale de Sakal (lettre n° 114 du 10 avril 1907) ne répond
pas aux besoins de la situation.
Bouna N’Diaye est à 35 km de Thyéaine et ne peut personnellement assurer
l’exécution de mes ordres. Il est d’autre part difficile d’organiser auprès d’Amadou
Bamba un contrôle réel nécessitant pour ceux qui l’exerceraient un danger probable.
Amadou demande lui-même, afin d’éviter d’engager sa responsabilité à ce que
des mesures soient prises pour mettre fin à un état de choses qui, il s’en rend bien
compte, ne peut qu’attirer contre lui de nouvelles mesures de rigueur.
J’avais signalé dans le rapport politique du mois de juillet la présence au camp
de quelques anciens suivants des chefs politiques du Sénégal.
J’ai pu me procurer les noms de la plupart d’entre eux :
- Birahima Codou Marame, du Guet, frère de Lat-Dior
- Amadou MaKhouredja
- M’Bar Dior Sigua du M’Boul, frère du chef actuel du M’Bayar
(démissionnaire)
- Birame Bigué Dieng, ex chef de N’Dondol, révoqué
- Maba Awa, du Saloum, frère de Saïr Maty
- Serigne M’Bamba du Saloum, cousin de Biram Cissé, ex chef du Saloum
Ces personnages, en général peu recommandables, habitués à vivre sans
efforts, ont trouvé auprès d’Amadou l’occasion de continuer leur douce existence. Ils
affichent une ferveur profonde et se disent les fidèles disciples du maître moyennant
quoi ce dernier leur assure une hospitalité complète.
Il serait bon de les surveiller étroitement et de faire expulser quiconque parmi
eux serait suspect d’intrigue ou de mission secrète en dehors du camp.
127
Leur influence religieuse est personnellement nulle, mais leur passé équivoque
nous permet de les considérer prêts à remplir toutes les besognes.
En dehors de ces courtisans ex politiciens, l’influence directe d’Amadou
s’exerce sur de nombreux mouriths (élèves) qui résident dans les cercles
environnants et suivent aveuglements ses conseils. Ce sont :
- Ibra Faty, frère paternel d’Amadou Bamba au Baol
- Cheikh anta , frère paternel d’amadou Bamba au Baol
- Balla Thioro , frère paternel d’Amadou Bamba au Baol
- Momar Diarra, frère paternel d’Amadou Bamba au Baol
- Amadou N’Doumbé, cousin d’Amadou Bamba au Baol
- Amadou Fadiane, cousin d’Amadou Bamba au Baol
- Assane N’Diaye marabout du N’Diambour
- Ibra Sar marabout du N’Diambour
- Ibra Fall marabout de N’Dande
- Issa Diène marabout de N’Dande
- Adama Sal marabout de N’Dande
- Merouba Guèye de Tivavouane
- Amadou Diao de M’baouar
- Amadou Djigal du Baol
- Makhoudia Touré du Baol
- Babacar N’Diaye du Baol
- Momar Coumba Kane du Baol
- Mebabou Guèye du Baol
- Aliou Touré de lire-Gourèye
- Melamine N’Diaye du Cayor.
J’ai cru devoir, Monsieur le Gouverneur, vous mettre au courant de tous les
renseignements que je possède sur Amadou Bamba afin que vous puissiez m’indiquer
les mesures qu’il y a lieu de prendre dès maintenant pour enrayer le mouvement qui
se produit autour de lui et dont la répercussion s’étend de jour en jour dans la
colonie.
Amadou est élève du cheikh Sidia dont la grande influence nous fut précieuse
en Mauritanie et qu’utilisa maintes fois M. Coppolani. Amadou a reçu de son
professeur le titre de cheikh et il se prétend élevé à sa hauteur.
Le marabout a adopté un nouveau ouerd qui lui est personnel et qu’il déclare
avoir tiré du Coran, cette prétention augmente encore son prestige et lui permet de
se faire considérer comme un volcan, c’est-à-dire de recevoir directement du
prophète ses inspirations.
128
Il s’entoure d’un rigoureux protocole bien fait pour préparer les esprits et
frapper les imaginations simplistes des pèlerins, c’est là sa principale préoccupation. Il
fait réciter journellement plusieurs fois le coran et de nombreuses formalités
précèdent les prières : c’est le seul moment où Amadou soit visible.
Les audiences particulières constituent de rares faveurs et quand, par hasard, il
parle, c’est toujours au nom d’Allah.
Il donne sa bénédiction en crachant sur la tête et les mains de ses adorateurs
prosternés. L’eau de ses ablutions est précieusement recueillie et le sable qui en
absorbe les éclaboussures sert d’amulettes revendues par les talibés.
Une telle attitude lui assure près des populations une auréole de vénération
qu’il est prudent d’atténuer dès maintenant afin d’éviter les incidents regrettables
que pourraient faire naître plus tard de sévères mesures de rigueur.
Tivavouane le 22 décembre 1907
Mon Commandant
J’ai l’honneur de vous rapporter les paroles textuelles d’une lettre que je viens
de recevoir du Sikh Ibra Fall, marabout à N’Dande.
N’Dande, le 2 décembre 1 907
Monsieur Macodou Sall, chef du Guet.
Monsieur,
129
Je transcris ici intégralement la réponse que j’ai dû donner au Seikh Ibra Fall en
attendant votre avis.
Monsieur Seikh Ibra Fall
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre en date du 2 décembre
courant qui m’a été remise par votre talibé Labo Dioum.
Je regrette, mais je ne puis à l’heure actuelle donner une réponse définitive à
votre lettre. Néanmoins j’étudierai la question et vous enverrai une réponse le plus
tôt qu’il me sera possible de le faire. Recevez mes respectueuses salutations.
Signé : Macodou Sall
Je viens mon commandant vous demander votre avis à ce sujet. Qu’il me soit
seulement permis de vous dire sur la province du Guet, quoique 25 000 habitants,
jouit d’une tranquillité tout à fait exceptionnelle.
Le marabout Amadou Bamba ne gâterait pas la tranquillité qui y règne
actuellement. Mais celle-ci pourrait se gâter par les soi-disant talibés de sa suite.
Votre serviteur dévoué
Macodou Sall.
130
Colonie du Sénégal et Tivavouane, le 23 décembre 1907
Cercle de Tivavouane
N°190
A.S. d’Amadou Bamba
L’administrateur en chef des colonies,
Commandant le Cercle de Tivavouane à
Monsieur le Secrétaire Général H.C.
Lieutenant-gouverneur p.i du Sénégal
St-Louis
131
Dans la tournée que je viens d’effectuer, j’ai reçu de très nombreuses plaintes
contre les talibés qui font des quêtes, sans autorisation et réclament les enfants des
habitants. Il en sera reparlé dans mon rapport de tourné.
132
Dans la tournée que je viens d’effectuer, j’ai reçu de très nombreuses plaintes
contre les talibés qui font des quêtes, sans autorisation et réclament les enfants des
habitants. Il en sera reparlé dans mon rapport de tourné.
Par lettre n°1380, du 09 décembre dernier, vous m’avez transmis une liste,
établies par monsieur l’administrateur en chef de Louga, d’indigène du Baol Oriental
qui ont rendu récemment visite au marabout Amadou Bamba dans sa résidence de
Thyéaine et lui ont apporté divers cadeaux. Vous me demandez en même temps de
procéder à une enquête discrète sur les conditions dans lesquelles ces offrandes ont
étérecueillies.
J’ai l’honneur de vous faire connaître ci-après les résultats de l’enquête à laquelle
je viens de procéder.
133
1) Saïkou Bousso, qui a offert au marabout Bamba un cheval de 650 f est un riche
cultivateur de M’Backé. Il paye 400 francs d’impôts. Est un des fidèles
adorateurs du Serigne. Il a fait ce cadeau sans aucune contrainte.
2) Ibra Faty de M’Backé, qui a envoyé cinq bœufs porteurs chargés de mil, est le
frère d’Amadou Bamba. Le mil en question provient de son récolte et a été
envoyé pour la nourriture du Serigne et celle de ses gens.
3) Massamba M’Backé, également parent et prosélyte du marabout Bamba ; s’est
rendu en pélérinage à Thyéaine avec ses talibés pour faire une visite à son chef
religieux.
La région de M’Backé est habitée presque exclusivement par des marabouts
fervents musulmans et tous fidèles du Serigne Bamba pour lequel ils ont un
véritable culte. Ils donneraient certainement de leur plein gré jusqu’à leurs
femmes et leurs enfants pour être agréables à leur chef religieux. Grands
cultivateurs ils possèdent tous de nombreux troupeaux, beaucoup de chevaux et
de belles récoltes ; ils peuvent donner librement.
Cette région qui est l’objet d’une surveillance constante, est absolument
tranquille et aucun de ses habitants ne fait parler de lui au point de vue politique
ou religieux.
Tous se déclarent heureux de la grande faveur accordée par le Gouvernement au
marabout Bamba en mettant fin à son exil.
Signé : René Maretche.
P.C.C
Thiès, le 25 janvier 1908.
134
19 juin 1908
N° 733 Gouverneur Général p.i
Au ministre des colonies
J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’heureuse issue d’une opération que
j’ai jugé nécessaire d’entreprendre contre le Serigne Amadou Bamba au village de
M’Backé dans le Baol. J’avais été amené à prendre des précautions énergiques en
raison des renseignements qui m’étaient parvenus de diverses sources sur les
dispositions probables des partisans de ce marabout fanatique, dont les agissements
pouvaient donner lieu à de graves complications dans la région qu’il habitait.
Amadou Bamba avait été interné au Gabon en 1895, par décision du
Gouverneur du Sénégal prise en conseil privé, parce qu’il menaçait de troubler la
région qui s’étend entre le ferlo le Baol, le Cayor, le Diambour et le Oualo.
Avant 1901, monsieur le commissaire général du Gongo français transmettait
au Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale une demande en grâce d’Amadou
Bamba accompagné d’un avis favorable.
Le directeur des Affaires Indigènes consulté invoquant les avis conformes de
son prédécesseur et des administrateurs des différents cercles dans lesquels avait
habité le marabout, conclut en juin 1902 à la grâce d’Amadou Bamba qu’il considérait
avoir été déporté beaucoup plus pour raisons politiques alors impérieuses, mais à ce
moment disparues, que pour des délits réellement constatés. Dans ces conditions
j’autorisai le retour d’Amadou Bamba qui s’installa dans son ancien village.
Ce marabout hypocrite et rusé, répondit ou laissa répondre en son nom la
nouvelle qu’il était rentré dans son pays d’origine par intervention divine, qu’il avait
pour mission de Dieu de chasser les infidèles, qu’il fallait refuser l’impôt et
135
commencer la guerre sainte. Il s’appliquait toutefois à ce qu’aucune action directe et
personnelle ne peut lui être reprochée, laissant aux autres la responsabilité de l’état
de choses crée autour de lui et pour lui qui proclamait-il ne pensait qu’à Dieu.
Les renseignements reçus des divers cercles me signalaient une effervescence
inquiétante dans toute la région qui s’étend de la voie ferrée jusqu’au Saloum, des
voyages fréquents de pèlerins qui venaient en grand nombre apporter leurs offrandes
à celui qu’ils considéraient comme l’envoyé de Dieu, des achats de chevaux de
d’armes. Il y avait, d’autre part, à redouter en dehors de toute question de fanatisme
religieux ; l’intervention de nombreux tiédos, anciens guerriers indigènes sans emploi
et en quête de pillage et de butin.
M’Bakhane Diop fils de Lat-Dior, ancien damel du Cayor, chef du Baol Oriental
s’étant rendu à Touba M’Backé le 17avril dernier fit mander Amadou Bamba auquel il
devait présenter de justes observations sur la situation crée autour de lui.
Le marabout répondit qu’il ne voulait plus avoir affaire avec les chefs, mais ne
traiter qu’avec le Gouverneur Général.
Convoqué le 7 mai par l’administrateur du cercle de Thiès, il refusa de se
rendre à son appel.
Je l’ai appelé à mon tour à St-Louis, le 12 mai par une lettre qui lui a été remise par un
envoyé spécial de cheikh Sidia, marabout maure de grande autorité et qui devait
avoir sur Amadou Bamba, pour la grâce duquel il avait intercédé, une influence
réelle. Il ne s’est point rendu.
Le 28 mai je lui fis porter par un courrier spécial de toute confiance, une
nouvelle convocation à St-Louis, à laquelle il a refusé d’obéir, se prétendant
faussement malade.
Au cours de ces négociations le bruit répandu dans tout le pays qu’Amadou
Bamba se préparait à la résistance et des mouvements importants d’indigènes se
produisaient autour de son village.
Une action immédiate était indispensable sous peine de laisser grandir le
prestige du marabout rebelle et d’infliger un réel échec à l’autorité du gouvernement
de la colonie.
D’accord avec le Général Houry, commandant supérieur des troupes un
détachement des 150 tirailleurs et de 50 spahis prélevé sur les garnisons de St-Louis,
Thiès et Rufisque fut constitué et concentré à Tivavouane le 10 juin pour se mettre en
marche le 11, avec le concours des contingents indigènes sous les ordres de Mr le
Capitaine Lauqué des tirailleurs sénégalais, et opérer l’arrestation d’Amadou Bamba.
136
D’autre part, messieurs les administrateurs Poulet et Adam et l’adjoint des
affaires indigènes Rocaché avaient mission avec des contingents indigènes de couper
toute retraite au marabout rebelle dans le cas où il songerait à fuir par le N.E ou le
S.E.
Monsieur Allys, administrateur, qui a une grande expérience du Sénégal et
dans le sang froid et la fermeté duquel j’avais une confiance justifiée par les services
antérieures, était chargé de la direction des opérations qui n’auraient pas de
caractère militaire.
Prévue par ma lettre et par des émissaires que des dispositions étaient prises
pour lui fermer toute route d’évasion et que le village de M’Backé serait attaqué s’il
persistait dans sa rébellion, Amadou Bamba convaincu que toute rébellion devenait
inutile, renvoya ses talibés et partisans et se rendit le 15 juin entre les mains de
monsieur l’administrateur Allys à Diourbel, protestant de la loyauté de ses sentiments
et de son intention de se rendre à St-Louis. Il y est arrivé le 16, sous l’escorte d’un
interprète, d’un garde régional spécialement chargé d’éviter autour d’Amadou
Bamba les attroupements de curieux qui auraient pu le produire.
Il était accompagné de cheikh Khouna, talibé préféré de cheikh Sidia et traité
en homme libre et non en prisonnier.
Le 19 juin je l’ai reçu et lui ai notifié ma décision lui interdisant de retourner
dans la région qu’il avait si gravement troublé et dont les habitants, en prévision des
événements que devait fatalement provoquer l’attitude d’Amadou Bamba
commençaient à émigrer en grand nombre.
J’ai fait connaître à ce marabout qu’il résiderait désormais chez cheikh Sidia,
chef religieux très influent du pays maure en lequel nous pouvons avoir confiance et
qui nous répondra de lui.
Les instructions données à cheikh Sidia lui prescrivent d’empêcher toute
communication d’Amadou Bamba avec les gens du Baol ou autres provinces du
Sénégal. Je suis convaincu que cheikh Sidia satisfait du crédit donné à son
intercession en faveur d’Amadou Bamba exécutera ponctuellement mes instructions.
Le détachement envoyé contre Amadou Bamba a continué sa marche, après le
reddition du marabout pour montrer aux indigènes fanatisés par lui que c’est bien
grâce à notre déploiement de force et non point à la volonté d’Amadou Bamba que
l’ordre est rétabli dans la région, mais conformément à mes instructions, ce
détachement s’est abstenu de tout acte de répression violente dans le pays pour
lequel tout danger est maintenant écarté. Il est retourné par le Baol, le Sine et la
Petite Côte aux garnisons respectives de Rufisque et Thiès où il se trouvera ces jours-
ci.
137
Amadou Bamba quittera Saint-Louis, accompagné de talibé de cheikh Sidia le
23 juin et, aussitôt débarqué à Dagana, se dirigera sur les Zaouias de ce chef religieux.
138
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
N°301 Louga, le 3 mars 1909
Objet : Au sujet d’Amadou Bamba L’administrateur du Cercle de Louga,
À Monsieur le Lieutenant -
Gouverneur
- Confidentiel –
Comme suite à l’entretien que vous avez bien voulu m’accorder le 1 er mars, j’ai
l’honneur de vous adresser les deux dernières fiches de renseignements sur Amadou
Bamba.
En rapprochant ces fiches de celles qui vous ont été transmises en 1908, vous
serez frappé de la fréquence des visites de certains personnages dont nous avons
quelque raison de soupçonner les sentiments.
Il est inutile d’insister à nouveau sur l’importance des cadeaux que reçoit le
marabout, cette question est, la rigueur, secondaire mais je suis convaincu, ainsi que
je le visais dans mon rapport d’ensemble de 1908, que nous ne saurions prêter trop
d’attention aux visites qui lui sont faites et à la personnalité de ceux qui les font.
139
Elles n’ont pas seulement pour but de permettre aux croyants ou convertis de
faire une offrande et de recevoir une bénédiction, elles ont une autre portée, et
notre devoir est de les considérer comme ayant un caractère nettement politique, et
une influence contraire à nos intérêts.
Par elles, Amadou Bamba est en relations ininterrompues avec les principaux
personnages de Mauritanie, avec le Sénégal tout entier et même avec les colonies
voisines.
Si nous connaissons les noms des visiteurs, les cadeaux échangés, nous
ignorons jusqu’ici sur quels sujets roulent les entretient privés toujours tenus dans le
plus grand secret.
D’autre part, et tout récemment, 12 janvier, Amadou Bamba a renvoyé de
Thiéyaine, 100 talibés. Que sont-ils devenus ? Où sont-ils allés ? Il est matériellement
impossible de les suivre, mais nous pouvons être persuadés qu’ils font du
prosélytisme et qu’à chacun d’eux Amadou Bamba a donné des instructions précises.
Ces talibés sont déjà remplacés en partie, les nouveaux venus partiront à leur tour. Il
est inadmissible et dangereux de tolérer plus longtemps cet état de choses, Amadou
Bamba compte à l’heure actuelle plus de 10 000 adeptes, il a sur eux une influence
absolu et la région de M’Backé dans le Baol, deux de ses frères y demeurent, lui est
entièrement acquise.
Il dit et répète qu’il nous est dévoué, qu’il ne fait rien pour attirer les visiteurs
qu’il se dérobe autant qu’il le peut ; en admettant que ce soit vrai ; ses adeptes
manœuvrent tout autrement, nous pouvons en juger par les résultats.
En admettant que cette façon d’envisager les choses soit un peu exagérée, et
je ne le crois pas, nous ne pouvons tolérer un « état dans l’Etat » et cela seul serait
suffisant pour motiver une intervention sérieuse.
Amadou Bamba sera-t-il sensible sérieusement au rappel à l’ordre que le
Gouvernement de la Colonie a l’intention de lui faire tenir. L’avenir le dira mais c’est
peu probable.
Je suis d’avis qu’il est nécessaire d’envisager dès maintenant un changement
de résidence et de prendre des dispositions en conséquence. Si Amadou Bamba ne
nous est pas hostile aucun mouvement ne se produira. Et dans ce cas on pourrait lui
en tenir compte. S’il se produit, nos craintes seraient dès lors fondées et nous aurons
la satisfaction d’avoir agi au moment voulu.
140
Circulaire
N° 420 L’Administrateur en chef L. Godel aux chefs
Du 27 mars 1909 de province ou cercle
Par lettre n°604 du 18 mars courant monsieur le Gouverneur du Sénégal attire
mon attention sur le mouvement considérable d’indigène du Cercle qui se rendent à
Thiéyaine (cercle de Louga) auprès du marabout Amadou Bamba. Celui-ci, malgré le
désir de se conformer aux instructions qui lui ont été données de recevoir le moins de
visiteurs possible, continue en effet, à être importuné par un grand nombre
d’indigène, parmi lesquels on remarque surtout d’anciens chef et cadis révoqués.
Aussi dans le but de restreindre ces allées et venues intempestives et sur la
demande même d’Amadou Bamba, l’autorisation d’aller le visiter ne devra plus être
accordée qu’avec une extrême réserve.
En conséquence, je vous prie de veiller à ce que les habitants de votre province
s’abstiennent de se rendre auprès de ce marabout sans autorisation. Ceux qui
voudront obtenir cette autorisation devront vous faire une demande que vous me
transmettez avec tous les renseignements utiles sur la situation actuelle et les
antécédents des pétitionnaires auxquels je délivrerai des laissez-passer s’il y lieu.
Vous attirerez particulièrement mon attention sur les chefs, cadis ou agents
révoqués par l’autorité supérieure dont les dispositions à notre égard seraient peu
sympathiques et dont il importe de surveiller les agissements.
141
Enfin, je vous prie de ma tenir également au courant de tout mouvement
d’ordre islamique qui vous semblerait anormal et principalement de tout ce qui
intéresse la secte mourite, ses croyances religieuses, ses tendances et le but qu’elle
se propose d’atteindre.
142
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
Commune mixte de Louga
N°486 Louga, le 10 avril 1909
Objet : ’Amadou Bamba L’administrateur du Cercle de Louga,
Réponse 802 À Monsieur le Lieutenant - Gouverneur
Saint-Louis
Par numéro 820 en date du 5 avril vous avez bien voulu me communiquer les
traductions de la lettre que vous a adressée Amadou Bamba et de la liste des
personnes qu’il demande à garder auprès de lui.
Cette liste comprend le frère cadet d’Amadou Bamba, deux de ses fils et deux
neveux, soit en tout cinq personnes ayant un lien de parenté avec lui, il reste donc45
talibés.
9 sont mariés et ont plus de trente ans
18 ont environ 20 ans et ne sont pas mariés = 45 personnes
18 ont environ 18 ans et ne sont pas mariés
Non compris des femmes Amadou Bamba aura donc auprès de lui et d’après
sa liste 50 hommes et 13 femmes.
Les renseignements qui me sont parvenus sur les hommes sont assez vagues,
presque tous sont originaires du Baol et notre agent à Thiéyaine ne peut que signaler
qu’ils sont absolument tranquilles. En ce qui concerne ceux qui sont originaires du
cercle ou des cercles de la ligne, il n’y a rien à relever.
Je ne vois pas d’inconvénients à ce que ces personnes soient définitivement
autorisées à rester à Thiéyaine, étant d’ailleurs persuadé que le danger ne vient pas
de là mais bien des nombreux pèlerins dont la circulation est actuellement presque
nulle grâce aux mesures prises, et il faut le dire, grâce à la loyauté avec laquelle
Amadou Bamba jusqu’ici tenu parole.
Il est évident que 63 personnes ne peuvent tenir dans 20 cases, Amadou
Bamba m’a fait demander à augmenter ce nombre, sa demande est juste et je suis
d’avis qu’on peut y réserver une suite favorable.
143
Il serait bon, je crois, de lui faire notifier par le Gouvernement
1) L’autorisation de garder auprès de lui les personnes comprises sur la liste
2) L’autorisation d’avoir, en plus de sa maison, un nombre de cases
correspondant à ses besoins.
Enfin de faire suivre ces autorisations d’un relevé des conditions dans lesquelles
elles sont accordées. Ce document dont il devrait accuser réception et signer un
double pourrait être précieux dans l’avenir.
144
M’Baket le 1 mai 1909
Amadou Diara M’Baket et cheikh Anta M’Baket
Frère du marabout Amadou Bamba à
Monsieur le Gouverneur du Sénégal à Saint-Louis.
Monsieur le Gouverneur
Nous avons l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance le retour de
notre frère Amadou Bamba, actuellement dans le Djoloff, dans son pays natal qui est
le Baol.
Nous vous serons profondément reconnaissants Monsieur le Gouverneur de
nous accorder son retour parmi nous qui le guidons dans la vie publique.
Nous vous serons profondément reconnaissants monsieur le Gouverneur de
nous accorder son retour parmi nous qui le guidons dans la vie publique.
Nous vous assurons monsieur le Gouverneur qu’étant auprès de vous il suivra
toujours les conseils de monsieur l’administrateur de notre cercle. Parce qu’il sera à
l’abri de certains gens qui pourront le troubler dans ses occupations personnelles.
Dans l’espoir que notre demande sera accueillie avec faveur, nous vous prions
monsieur le Gouverneur, de daigner agréer l’hommage de notre respectueux
dévouement.
Vos humbles serviteurs
Amadou DIara M’Baket
Ibra Fati M’Baket
Cheikh Anta M’Baket
145
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
Cercle de Louga
N°619 Louga, le 08 mai 1909
Objet : travailleurs demandés L’administrateur du Cercle de Louga,
Par Amadou Bamba À Monsieur le Lieutenant -
Gouverneur
Saint-Louis – 1 er Bureau
146
Colonies du Sénégal Dagana, le 19 juillet 1909
Cercle de Dagana
N° 315 L’administrateur Adjoint des colonies
Au sujet d’Amadou Bamba Commandant le cercle de Dagana à
Et ses « mourites » Monsieur le Lieutenant-Gouverneur du
Sénégal – Saint-Louis.
Par lettre en date du 18 mars dernier n°604, vous m’avez adressé des
instructions concernant la réglementation des visites rendues au marabout Amadou
Bamba par des indigène du cercle et prié d’ouvrir une enquêtes sur les agissements
d’individus se réclamant d’un nouveau rite musulman.
J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’il résulte des renseignements que j’ai
pu recueillir qu’aucun laissez-passer n’a été accordé pour Thiéaine à des indigènes du
Cercle. Malgré les ordres données aux chefs de province et la surveillance exercée
par ceux-ci, il n’est cependant pas douteux que plusieurs disciples d’Amadou Bamba
se sont rendus auprès de lui et que leur départ est resté inaperçu : ces talibés, se
sentant en faute se gardent bien, avant de se mettre en route, de faire part à leur
chef de province de leurs véritables intentions.
J’ai renouvelé de nouveau avec insistance, aux chefs des deux Oualis vos
instructions à ce sujet et leur ai recommandé une stricte et étroite surveillance, leur
enjoignant de ne point perdre de vue les indigènes suspect d’entretenir des relations
avec le marabout.
De l’enquête menée aussitôt au sujet d’une propagande nuisible à notre
influence et dirigée par une nouvelle secte musulmane dite « mourite » il semble
résulter que les adversaires de notre politique se servent d’une étiquette dont ils ont
changé le véritable sens dans l’intérêt de leur projet.
Jadis, en effet, le terme « mourite » désignait les musulmans probes et estimés
se faisant remarquer par leurs scrupules religieux et l’intégrité de leur caractère. Ils
ne formaient pas une confrérie distincte et pouvaient procéder d’un quelconque des
nombreux rites connus et suivis au Sénégal et en Mauritanie.
La situation est toute autre à l’heure actuelle, tous les mécontents, tous ceux
vis-à-vis de qui notre autorité a dû sévir, connaissent le prestige qu’exerçait aux yeux
147
des indigènes la qualité de « mourite », usurpèrent ce titre pour en imposer à la
faiblesse d’esprit de leurs coreligionnaires et commette, en toute tranquillité, les
pires brigandages. Aussi, peu à peu, le terme de « mourite » a perdu sa signification
primitive d’homme pieux et vertueux et est devenu, aux yeux des indigènes qu’ils
exploitent, le synonyme exact de bandit. En effet, leur but principal parait être de
s’enrichir en drainant à leur profit le courant d’aumônes volontaires, parfois
considérables, qui, avant leur intervention profitait surtout à Amadou Bamba.
Pour mieux se distinguer du commun des fidèles et espérant, par cela,
conserver un renom que leurs agissement rendent chaque jour moins brillant, ils
adoptèrent généralement un costume spéciale : boubou et bonnet de coton noir
modifièrent les prières en les articulant sur un ton différent et simulèrent parfois des
crises statiques pendant lesquelles ils proféraient à l’adresse d’Allah et de son
prophète les injures les plus basses ; expliquant ensuite que leur intimité parfaite
avec la divinité leur permettait pareil sacrilège en toute impunité.
Les « mourites » sont rares dans le cercle de Dagana et leur attitude n’a jamais
pris un caractère nettement hostile. On pourra regretter, néanmoins, que les deux
assesseurs du tribunal de cercle, Bakhao Diop et Aby Diop soient des affiliés à cette
secte dont les membres les plus influents sont, au Sénégal, Baye Boyard Manel Fall,
ex chef de canton révoqué, actuellement dans le Baol, Biram Bigué Dieng, fils de
Teigne Tanor, chef également révoqué et, surtout, Sikh Anta et Mor Ibra Fall,
marabout à N’Dande, qui vient de demander l’autorisation d’ouvrir à Thiès une école
pour recruter des adeptes à cette prétendue secte.
Mais les tendances avouées ne sont certainement pas les seules en cause : il
n’est malheureusement pas douteux, en effet, qu’en dehors des exactions commises
journellement sur leurs congénères les Mourites poursuivent un but politique qui est
la lutte contre l’étranger et qu’ils annoncent à leurs talibés la venue prochaine du
Mahdi tant désiré et toujours attendu.
Dans la même ordre d’idées, il est utile de signaler le danger qui pourrait
résulter dans un avenir plus ou moins rapproché, de l’infiltration lente de l’élément
maure lequel prendra facilement sur l’indigène du Sénégal une influence nettement
hostile à notre orientation au point de vue musulman, et ce au fur et à mesure du
passage des maures sur la rive gauche.
148
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
Cercle de Louga
N°1135 Louga, le 03 décembre 1909
Objet : Au sujet d’un voyage L’administrateur du Cercle de Louga,
D’Amadou Bamba À Monsieur le Lieutenant - Gouverneur
Bureau politique
J’ai l’honneur de vous rendre compte que le 1 er décembre, Amadou Bamba m’a
fait remettre par un de ses fils une lettre dans laquelle il me demandait la permission
de venir à Louga.
J’ai fait immédiatement répondre à Amadou Bamba qu’il ne m’appartenait pas
de donner pareille autorisation et que seul le gouverneur de la colonie avait qualité
pour le faire. Je lui ai fait dire en outre que s’il avait des choses importantes à nous
faire savoir il pouvait parfaitement le faire par écrit. Il m’adresse ce jour la lettre ci-
jointe que j’ai l’honneur de vous faire parvenir.
Je ne vois pas bien l’utilité d’un voyage à Louga, il ne peut être désiré par
Amadou Bamba que dans un but d’intérêt personnel. Au point de vue politique il ne
peut présenter que des désavantages surtout au moment où l’escale possède une
population flottante considérable. Enfin il ne faut pas oublier qu’un voyage fait à
cette époque de l’année, au moment où les indigènes commencent à avoir de
l’argent serait très préjudiciable et pour le commerce et pour les indigènes eux-
mêmes qui ont de l’impôt à payer et les dettes d’hivernage à éteindre.
149
Bureau Politique 10 décembre 1909
Au sujet d’un voyage d’Amadou
Bamba Monsieur l’Administration du Cercle de
Louga
Par lettre du 3 décembre n° 1135 vous m’avez rendu compte que le marabout
Amadou Bamba avait sollicité l’autorisation de se rendre à Louga.
Vous m’avez fait connaitre les raisons qui d’après vous s’opposent à ce qu’il
soit donné satisfaction à cette demande et vous avez signifié à cet ancien déporté
qu’au cas où il aurait à vous entretenir de questions importantes il avait toute
latitude pour vous en saisir par lettre.
En même temps que je recevais votre communication précitée le frère
d’Amadou Bamba, le cheikh Anta de passage à Saint-Louis me remettait une requête
de ce chef religieux tendant à obtenir d’être autorisé à venir au chef-lieu.
Je partage entièrement votre manière de voir au sujet des inconvénients que
le voyage d’Amadou Bamba pourrait entraîner au point de vue politique et qui ne
pourraient que s’aggraver si ce déplacement loin de s’arrêter à Louga se prolongeait
jusqu’au chef-lieu de la colonie.
J’estime avec vous que les questions dont ce marabout croirait devoir saisir
l’autorité supérieure pourraient utilement faire l’objet d’une correspondance
officielle qui vous serait adressée et que vous me transmettiez le cas échéant avec les
explications et observations que vous jugeriez utiles.
Je vous prie de bien vouloir en faire aviser Amadou Bamba de ma part et lui
faire comprendre que c’est son propre intérêt que je crois devoir m’opposer à un
voyage dont les suites ne pourraient que compromettre la bonne situation que nous
avons obtenue à Thiéaine grâce aux mesures prises en août dernier.
150
N° 64 République Française Année 1909
Liberté – Egalité – Fraternité
____________________________
Colonie du Sénégal
Inspection des affaires administratives des cercles
Rapport relatif au marabout Amadou Bamba de Thiéiaine
(Cercle de Louga)
Par lettre n° 481, du 5 mars 1909, vous avez bien voulu me faire connaitre que
votre attention avait été appelée, sur le marabout Ahmadou Bamba, en résidence à
Thiéaine (cercle de Louga), qui malgré l’ordre qui lui a été renouvelé à diverses
reprises d’éloigner de lui les talibés et les visiteurs continue à être entouré d’un
nombre considérable d’indigènes provenant de diverses provinces du Sénégal et
parmi lesquels on remarque d’anciens chefs révoqués et devenus hostiles à notre
domination.
Vous ajoutez, Monsieur le Gouverneur, que devant cette situation, il vous avait
paru, ainsi qu’à Monsieur le Gouverneur Général, qu’il y aurait opportunité à rappeler
à Ahmadou Bamba les conditions auxquelles a été subordonné son retour au Sénégal
et à lui notifier que faute par lui de se conformer rigoureusement à ces conditions il
serait de nouveau déporté au Congo.
Par la même lettre, vous m’avez confié le soin de me rendre auprès
d’Ahmadou Bamba, accompagné de l’administrateur du cercle de Louga, et de lui
parler en votre nom, dans le sens indiqué dans la communication de Monsieur le
Gouverneur Général en date du 16 février dernier.
En exécution de vos ordres, je me suis rendu le 7 mars, à Louga, où après avoir
conféré avec M. l’administrateur de ce cercle, il a été décidé de convoquer Amadou
Bamba pour le mardi 9 mars à Coki, village situé à environ 45 kilomètres de Thiéaine.
En lui imposant ce déplacement j’ai pensé donner plus de poids à la
communication que j’avais à lui faire.
Ahmadou Bamba, s’est rendu immédiatement à cette invitation, accompagné
de six hommes seulement et est venu camper à environ deux kilomètres de Coki, où il
nous a rejoints, quelques minutes après notre arrivée.
151
Après lui avoir fait connaître, que je venais au nom du Gouverneur Général et
du Gouverneur du Sénégal, le lui ai rappelé les promesses qu’il m’avait faites en
Octobre 1906 à M’Bayène, et mon regret d’avoir eu à constater qu’il n’en avait tenu
aucun compte.
Après m’avoir demandé de saluer en son nom, les chefs qui m’envoyaient
auprès de lui, il m’a déclaré toute la honte qu’il éprouvait d’avoir attiré sur lui ces
reproches, et m’a affirmé son vif désir, d’en éviter le retour.
Je lui ai alors demandé comment il comptait y parvenir. Il me proposa d’écrire
à tous les chefs ( ?) de donner l’ordre à tous de rester chez eux.
Je lui fis observer, que ce moyen me paraissait peu pratique et que le
Gouverneur seul avait le droit de donner des ordres au Sénégal. Devant son silence,
je lui proposai de choisir lui-même un lieu où il serait à l’abri des importuns, et de
soumettre son choix à votre approbation, mettant pourtant cette condition, que ce
lieu serait situé en dehors du Sénégal et de la Guinée.
Après réflexion, Ahmadou Bamba m’a demandé, si en se soumettant à toutes
les conditions que le Gouverneur lui imposerait il pourrait rester à Thiéaine.
Je luis répondis que cette faveur pourrait lui être accordée s’il s’engageait par écrit :
1) A réduire le nombre de cases de son carré à Thiéaine à 20, non compris sa
baraque personnelle
2) A réduire à 50, le nombre d’hommes restant autour de lui (la liste de ces
fidèles, sur laquelle sera indiquée leur lieu de naissance, sera remise dans un
délai de 15 jours à l’administrateur de Louga, qui après enquête, donnera
l’autorisation)
3) A fermer immédiatement, l’école qu’il tient sans autorisation, et à renvoyer
sans délai les enfants dans leur famille.
4) A ne recevoir aucun étranger, non muni d’un laisser-passer, délivré par
l’Administrateur de Louga exclusivement. Les visiteurs venant d’autres cercles
devront se présenter d’un certificat d’identité, l’Administrateur de Louga, qui
a seul qualité pour autoriser la visite
5) A faire tout ce qui est, en son pouvoir pour mettre fin aux pèlerinages qui
créent un trouble constant dans la région.
6) Dans le cas où malgré tous ses efforts, il ne parviendrait pas à atteindre le but
cherché, à le déclarer franchement et de se mettre à la disposition du
Gouverneur.
Ahmadou Bamba m’a affirmé être prêt à se soumettre à ces conditions me faisant
préciser quelques détails d’exécution et a devant nous spontanément écrit la note
jointe à ce rapport, dans laquelle il répète ses déclarations.
152
Avant de me quitter, Ahmadou Bamba m’a prié de demander au Gouverneur de
vouloir bien inviter les administrateurs et les chefs indigènes des Cercles de Dagana
et du Baol à refuser l’autorisation à toute personne demandant à l’aller visiter.
Un grand nombre de Maures, a-t-il ajouté seraient venus l’avant-veille de
Mauritanie, par le cercle de Dagana.
Ahmadou Bamba me parait disposé à faire tous ses efforts pour restreindre le
courant des fidèles qui viennent chercher à Thiéaine (même sans voir le marabout)
une sorte de consécration qui leur donne sur leurs congénères une réelle supériorité
morale.
Autre chose serait d’affirmer qu’il y d’affirmer qu’il réussira, car ce marabout est
indépendant de sa volonté.
Quoiqu’il en soit, j’ai la conviction, que le jour où à défaut de sa déclaration, la
surveillance dont nous entourons Ahmadou Bamba, nous aura fourni la preuve de
son impuissance à mettre fin aux pèlerinages à Thiéaine, nous ne rencontrons aucune
difficulté de sa part, pour lui faire rejoindre tel point que vous lui aurez assigné.
Saint-Louis, le 10 mars 1909.
L’administrateur en chef Inspecteur des Affaires Administratives
E. VIENNE
153
Renseignements sur Amadou Bamba
Amadou Bamba est trop connu pour que j’entre dans de longs détails sur sa
personne. Monsieur l’administrateur du Cercle de Louga pourra donner, si
nécessaire, des renseignements plus précis. Cependant, il ne sera peut-être pas
inutile pour comparaison, de reproduire les échos qui me sont parvenus sur son
compte.
Depuis le décès du nommé Hache Kamane, survenu vers 1889 ou 1890
(exactement le jour de l’élection de député de Monsieur Wallou), Amadou Bamba,
sou l’égide de Siekh Sidia, est devenu le chef de la secte mourite au Sénégal.
Il a été transporté au Gabon, à son retour, presque dès son arrivée, vers 1902,
il aurait fait adresser à Sidia, « pour payer ses dettes » environ 60 000 francs,
recueillis par ses talibés.
Opinion Générale. Dans le public, on pense qu’il ne bouge pas de chez lui ;
passe son existence en prière ; Dieu est sa seule préoccupation. Il est d’une grande
sobriété. On le considère comme un saint. Des offrandes nombreuses qui lui arrivent
de tous côtés, sont reçues par ses talibés. Il parait ne pas y attacher de valeur et
donne lui-même beaucoup à ceux qui viennent le voir. Il affecte d’être très détaché
des biens de ce monde. Il donnera cependant parfois quelques bons conseils.
Influence. Son influence est considérable non seulement dans le Cayor mais
aussi au Sénégal. Sur 130 000 habitants, on estime qu’il y en aurait, dans le Cayor
85 000 adhérents à la secte. C’est ainsi qu’on le voit une véritable armée prête à faire
les plus grands sacrifices pour le chef Amadou Bamba. Il semble qu’avec de la
méthode et de l’énergie cette influence peut encore être combattu avec succès. Cette
influence est développée par les agissements intéressés de ses talibés. C’est d’eux
qu’il faudra surtout s’occuper.
Les talibés. Ceux-ci sont assez nombreux. J’en donne ci-dessous une liste des
principaux ainsi que quelques renseignements sur leur compte. Un certain nombre
sont de la famille d’Amadou Bamba et portent généralement le nom de M’Backé.
Ibra Fatie M’Backé. L’un des plus importants est Ibra Fatie, frère paternel d’Amadou
Bamba. Il sort seul, affectant une certaine modestie, contrairement à ce que font les
154
autres marabouts qui aiment à sortir accompagner par une suite nombreuse,
cherchant à attirer l’attention. Il passe pour le plus riche des marabouts. Les
ressources lui viennent par l’intermédiaire de nombreux talibés. Il habite dans la
province du Guet, cercle du Cayor au villege de M’Backé : 150 habitants environ.
Il fait cultiver, mais est en relation constante avec Amadou Bamba.
Il enseigne : il a une école avec 10 élèves dont il s’occupe. Il serait le
dépositaire des plus beaux chevaux d’Amadou Bamba. On affirme aussi qu’il serait
aussi le dépositaire d’une partie de son argent. Il serait désigné pour succéder à
Amadou Bamba.
Parenté. Thioro frère d’Amadou Bamba affecte de se moquer des mourites et
fait des dépenses assez importantes qui seraient couvertes par Amadou Bamba. On
prétend qu’il lui fait remettre environ dix mille francs par trimestre.
155
Louga, le 16 février 1910
Mon Commandant
J’ai l’honneur de vous signaler que cheikh Anta fait toujours ses démarches pour
déplacer mon frère dans le Baoul.
Si vous demande pourquoi c’est avoir plus de monde et cadeaux chez lui. Je
vous signale en même temps monsieur que Samba Khary Cissé fait trop de relations
avec ce dernier. Il est parti même ces jours-ci chez lui dans le Baoul. J’ai d’autre chose
à vous signaler en arrivant à Saint-Louis à la fin du mois courant.
Mon frère m’a dit qu’il me demandera ni déplacement ni autre chose car il est
très content de là où il est. Bouna est un bon chef qui peut bien le surveiller mieux
que tous les chefs surtout ceux qui dans le Baoul.
Veuillez agréer mon commandant l’expression de mes sentiments.
Votre dévoué serviteur
Cheikh Thioro.
156
Service des Affaires Politiques Dakar, le 15 Août 1910
Administratives et Economiques
N° 1478
Au sujet du sieur Serigne Bamba
Bamba
Le Gouvernement Général de l’Afrique
Occidentale Française à Monsieur le
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal
Saint-Louis
J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint une lettre en date du mois de juillet
dernier par laquelle M. Madany El Ketery, commerçant à Thiès sollicite la grâce d’un
ancien déporté nommé Serigne Bamba qui serait à Gouby (Canton du Djoloff) sur vos
instructions.
Je ne puis que vous laisser le soin d’examiner cette requête e d’u donner la suite que
vous jugerez convenable.
Signé : W. Ponty
P.C.C
Le chef de cabinet Amplification adressée au bureau
. Politique
157
Fetoua d’Amadou Bamba
158
Je dis donc : O mes frères musulmans (que Dieu nous guide dans la voie de la
justice), ne vous occupez pas de ce prétendu Djihad (allusion aux menées de cheikh
Ma. El Aïnin en Mauritanie) dont il ne pourra résulter que du mal pour les hommes et
pour leurs biens, sans compter la ruine du pays.
Si vous dites que le Djihad est prescrit par la loi et la Souna, ma réponse est
que c’était dans des temps qui différaient des vôtres et dont les hommes différaient
des vôtres.
Lisez ce qu’ont écrit dans leurs ouvrages les jurisconsultes du temps passé
relativement aux conditions de la guerre sainte, (m’ont-ils pas écrit) que la force des
musulmans en hommes, armes et en vivres devait être égale à celle de leurs ennemis
et que le chef de cette guerre devait être un souverain unique et reconnu par
l’unanimité (des fidèles ).
Qu’êtes-vous aujourd’hui, pauvres et faibles en comparaison de ce
Gouvernement Français si riche en hommes et en bien, de ce Gouvernement où la
cacarde règne, qui est régi par des règlements politiques et administratifs, temps de
guerre comme en temps de paix.
En luttant contre lui vous ressemblez à quelqu’un qui voudrait briser une
pierre avec du sable. Vous savez pourtant que le prophète (le salut soit sur lui) a dit :
« étrangère cette religion parait, étrangère elle disparaitra ».
C’est donc de votre faiblesse actuelle que Mohammed voulait parler.
Nous devons, au contraire, traiter les chrétiens comme le prophète les traita
lui-même au moment de l’apparition de l’Islam.
Il habitait avec aux, lui et les siens, à la Mecque, et ne leur manifestait aucune
hostilité ni haine.
Souvent son maître lui révélait des versets du Coran lui prescrivant de ne point
les inquiéter. Le Coran dit, en s’adressant à Mohammed :
« Arme-toi noblement de patience », « Il ne t’appartient pas de les guider (les
infidèles) dans la voie droite, c’est à Dieu de guider qui il veut » « N’injuriez pas ceux
qui invoquent autre chose que Dieu », « Vous avez votre religion et j’ai la mienne ».
« Et il en fut ainsi jusqu’au moment où Dieu voulut ordonner la guerre sainte par le
verset du sable, qui abroge ceux précités, mais les musulmans étaient alors forts et
nombreux.
Ne croyez pas que les versets qu’on vous lit dans le Livre Saint soient sans but,
ils y demeurent pour vous avertir et vous tracer la ligne de conduite à suivre, vis-à-vis
des chrétiens, quand vous êtes faibles et incapables.
159
Vous savez d’autre part que notre prophète (le salut soit sur lui) concluait avec
eux des arrangements et même en cas de nécessité leur faisant des concessions.
A EL Houdeïvia, par exemple, et au jour de khandaq, il voulut donner le tiers de
la récolte des dattes de Médine à un certain groupe d’infidèles afin qu’ils cessassent
de lui faire la guerre.
Ne perdez pas de vue cette politique que Mohammed suivait pour éviter le
désordre et maintenir la paix.
Tout cela est à propos d’infidèles voulant corrompre la religion et en empêcher
la pratique, ainsi que Dieu le dit « Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs
bouches ».
Tandis que le Gouvernement Français, grâce à Dieu, ne s’oppose en rien à la
profession de la religion.
Au contraire, il aide les musulmans qu’il aime et les encourage à pratiquer
(leur religion).
Nous avons constaté dans beaucoup de pays noirs que, grâce à l’occupation
française les habitants de ces pays, qui étaient loin autrefois d’être des musulmans,
mais étaient de vrais pillards, vivant au dépens des voyageurs et des faibles, avaient
changé au point d’être devenus paisibles et pacifiques et que, chez eux, les moutons
et les chacals marchaient ensemble.
Les routes que les français ont ouvertes dans ces pays ont permis aux
musulmans d’en fréquenter les habitants et ceux-ci se sont convertis et possèdent
aujourd’hui des mosquées où la religion est pleinement suivie.
Il résulte de ce que nous disons que la domination française est un bienfait de
la clémence divine pour les musulmans, bien que ceux-ci ne l’aient pas cru au début.
Dieu a dit : « Souvent vous détestez une chose qui est, au fond, dans votre intérêt ».
Quant à moi, j’ai personnellement constaté chez les Français une équité et une
justice que je n’ai pas rencontrée ailleurs.
Mes ennemis et les calomniateurs les avaient excités contre moi autrefois,
mais pendant tout mon temps d’épreuve (allusion à sa déportation) je n’ai eu qu’à
me louer de leur façon de faire et non à m’en plaindre.
Que tous ceux qui me suivent, parmi mes talibés et les autres musulmans,
sachant que je n’ai aucune arrière-pensée ni mauvaise intention à leur égard (des
français), et que tout ce que les intrigants racontent à mon sujet est pur mensonge.
La vérité est que je suis sincèrement attaché aux français et toujours satisfait de
160
demeurer dans l’endroit de leur pays qu’ils veulent bien me désigner pour habiter,
sachant combien sont heureux ceux qui vivent avec eux et en paix.
Que ceux qui suivent mes conseils fassent donc comme moi.
Ces conseils sont adressés à tous ceux qui les entendront et, en particulier à
nos frères maures qui habitent le Sahara et n’ont aucune ressource en dehors de ce
qu’ils se procurent dans les pays dominés par les français.
Il vous faut donc jouir du bien être que Dieu vous donne par l’intermédiaire du
Gouvernement (français) et remercier celui-ci de sa bienveillance.
Mohammed a dit : « Quand on ne loue pas les hommes, on ne loue pas Dieu ».
Les français ont trouvé votre pays en flammes et rempli de guerriers pillards
qui tuaient les personnes et enlevaient les biens, ils vous ont retiré de cette situation
malheureuses et vous ont permis de dormir à l’ombre de la paix qu’ils ont établie
dans le pays où les troupeaux se reconstituent et où le bien être revient.
Vous devez être loyaux vis-à-vis d’eux en toutes choses, ne négligez rien pour
être soumis et ne désobéissez en rien.
Ce qui est dit suffit largement pour celui qui l’entendra avec la volonté d’éviter
le mal et de faire le bien.
Dieu me suffit. Il n’y a de puissance et de volonté que celle de Dieu.
Que le Salut soit sur votre seigneur Mohammed et sur les siens. Salut
Saint-Louis, 29 décembre 1910
P.T.C L’interprète principal hors-classe
Bou El Moghdad.
161
Gouvernement du Sénégal
Cabinet Télégramme officiel.
N°299 Gouvernement Général à Lieutenant –
Gouverneur du Sénégal. Saint-Louis
Dakar, le 2 avril 1911
162
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
Cercle de Louga
N°6 Louga, le 06 Avril 1911
Objet : Au sujet des événements L’administrateur du Cercle de Louga,
De Guinée et de leur répercussion À Monsieur le Lieutenant -
Gouverneur possible
Bureau politique
164
Situation politique pendant le mois de novembre 1911
165
Dakar, le 17 novembre 1911
166
Bureau Politique le 27 novembre 1911
Au sujet du déplacement
D’Amadou Bamba Monsieur le Gouverneur Général de
L’Afrique Occidentale Française-Dakar
J’ai l’honneur à plusieurs reprises d’attirer votre attention sur les inconvénients
que présente le développement de la secte mourite et sur la nécessité d’assurer une
surveillance effective des agissements des grands Sheilh.
Ceux-ci disposent d’une influence considérable qui se développe, grandement
au détriment de l’autorité de nos chefs indigènes.
Pour réprimer légalement les faits qu’on leur impute parfois il serait,
auparavant, nécessaire d’établir le cas échéant la preuve de leurs menées coupables,
ainsi que le faisait très judicieusement ressortir Monsieur Dreyfus dans un rapport
que je vous ai communiqué.
Mais là, git précisément la difficulté puisque le Mouride est la chose du Sheikh
et couvre de sa soumission, de son obéissance passive et de son silence l’exploitation
dont il est l’objet.
Pour remédier à cette situation qui ne parait pas pouvoir justifier des mesures
d’internement contre les principaux marabouts de la secte, j’ai envisagé la possibilité
d’atteindre Amadou Bamba dans le prestige dont il jouit et que son isolement semble
favoriser en le déplaçant de Thiéyaine et en le mettant en résidence dans le Baol.
Amadou Bamba a toujours manifesté l’intention de vivre en bons termes avec
l’administration, mais ses protestations de dévouement ne peuvent être acceptées
que sous réserve.
Malgré les engagements qu’il avait pris en 1907 à Coki de ne recevoir à
Thiéyaine que les visiteurs munis d’une autorisation il en reçoit m’est-il affirmé de
très nombreux à l’insu de l’administration.
167
Il est d’ailleurs trop loin à Thiéyaine, pour que les allées et venues des talibés
et de ses adeptes puissent être étroitement surveillées.
D’autre part, la vénération dont cet homme est l’objet est immense et sa
réputation de sainteté s’accroît chaque jour, et, d’autant plus qu’étant donnée sa
volonté plus ou moins réelle mais nettement affirmée de vivre retiré du monde avec
les seules préoccupations de l’au délà et le souci des béatitudes célestes, il est
considéré par les Mourides comme si près de Dieu que sa puissance spirituelle n’a
d’égale que la puissance temporelle exercée par les Sheikhs en son nom.
Le faire descendre de ce piédestal de sainteté, auréolé de sérénité extatique et
de mysticisme et le ramener parmi les siens ; voilà la mesure susceptible, à mon avis,
de porter atteinte à son influence et à celle dont disposent sous son égide les grands
marabouts de la secte.
Je proposerai donc de le mettre en résidence soit à M’Bambey soit à
N’Diourbel et de préférence dans cette dernière escale sous la surveillance directe de
l’administrateur.
Monsieur Théveniant qui connaît Amadou Bamba de longue date et qui l’a
auprès de lui en Mauritanie, a offert lui-même de s’en charger.
Je suis convaincu qu’il peut faire œuvre utile notamment en employant
habilement l’autorité du Serigne pour mettre un terme aux écarts de ses lieutenants.
Je serais toutefois heureux avant de prendre une décision ferme d’avoir vos
directions sur cette question.
168
Service des Affaires Politiques Dakar, le 2 décembre 1911
Administratives et Economiques
N° 1900 à Monsieur l’Administrateur du Cercle
Au sujet du déplacement d’Amadou Du Baol
Bamba Confidentiel
Le Gouvernement Général de
l’Afrique
Occidentale Française à Monsieur le
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal
Par lettre du 27 novembre dernier, n° 1668 vous avez appelé mon attention
sur l’intérêt qu’il y aurait, en raison de l’intensité de la propagande mouride dans les
cercles de la ligne, à écarter le marabout Amadou Bamba de Thyéaine où les allées et
venues de ses talibés et administrateur de plus en plus nombreux ne peut être aussi
étroitement surveillées qu’à juste raison, vous le désireriez.
J’ai l’honneur de vous faire connaître que je ne vois que des avantages puisque
l’intéressé lui-même s’y montre disposé, à le mettre en résidence à N’Diourbel où M.
l’administrateur Théveniant qui le connait de longue date se tiendrait facilement en
contact direct avec lui.
Il demeure bien entendu qu’Amadou Bamba conserve sa liberté, toutefois afin
d’éviter que toute agitation dont il aurait pu être le prétexte dans la circonscription
de Louga ne prenne racine dans celle du Baol, je vous prierai de vouloir bien lui faire
savoir, qu’il ne saurait nous donner de meilleures preuves des excellentes
dispositions dont il se déclare animé à notre égard, qu’en refusant de recevoir, ainsi
d’ailleurs qu’il en avait pris l’engagement à Coki en 1907, les visiteurs non munis
d’une autorisation administrative. Etant donné son désir de vivre complètement
retiré, sa tranquillité personnelle y gagnerait ainsi que celle du cercle où il a demandé
à résider désormais.
Une surveillance très sévère devra être exercée à cet égard et, au cas où il ne
tiendrait pas les promesses faites, il vous appartiendrait de m’adresser telles
propositions que vous jugeriez convenables pour mettre fin à une situation qui, si elle
169
persistait, serait de nature, sinon à compromettre, du moins à entraver notre action
dans une partie du Sénégal.
Signé : W. Ponty.
Mon attention a été attirée à différente reprises sur les inconvénients que
présente le développement au Sénégal de la secte mourite et sur la nécessité
d’assurer une surveillance effective des agissements des grands cheikhs.
Ceux-ci disposent au nom d’Amadou Bamba d’une influence considérable qui
se développe au détriment de l’autorité de nos chefs indigènes.
Il m’a paru que le meilleur moyen à employer était pour mettre fin à cette
situation d’atteindre Amadou Bamba dans le prestige dont il jouit auprès de ses
adeptes en le déplaçant et en le mettant en résidence à N’Diourbel auprès de vous.
J’ai fait part de mes intentions à M. le Gouverneur Général qui les a
pleinement approuvés.
Le Serigne Bamba sera donc prochainement installé à N’Diourbel et je vous
aviserai télégraphiquement de son départ de Thiéyaine e de l’itinéraire qu’il suivra.
Il demeure bien entendu qu’Amadou Bamba conserve sa liberté, toutefois afin
d’éviter toute agitation dans le Baol, je vous prierai de l’aviser dès son arrivée dans
votre cercle qu’il ne saurait nous donner de meilleurs preuves des excellentes
dispositions dont il s’est toujours déclaré animer à notre égard, qu’en refusant de
recevoir, ainsi qu’il en avait pris l’engagement en 1907 à Coki les visiteurs non munis
d’une autorisation administrative.
Une surveillance très sévère devra être exercée à cet égard et au cas où il ne
tiendrait pas ses promesses je vous prierai de m’aviser.
J’estime que l’influence dont il jouit et dont disposent sous son égide les
grands marabouts de la secte est de nature à compromettre sinon à entraver
complètement notre action dans une partie du Sénégal.
170
Je compte par suite sur votre tact et votre connaissance approfondie de la
mentalité mourite pour avoir en utilisant habilement l’autorité du Serigne mettre un
terme aux écarts de ses lieutenants.
Au cas où toutefois nous ne pourrions arriver à détruire tout élément
d’agitation ou de troubles je n’hésiterai pas à proposer à M. le Gouverneur Général
les mesures que me paraitront nécessiter les circonstances.
Bureau Politique le 26 décembre 1911
171
Diourbel, le 15 janvier 1912
Monsieur l’Administrateur en chef,
J’ai le cœur déchiré de voir la plus profonde amitié qui était entre nous se
changer en troubles continuels. Vous qui avez toujours été si conciliant comme un
ange venu du ciel, quelle est la cause de cette discorde déjà très longue que vous
pouvez faire disparaitre en une minute.
Je suis votre humble serviteur prêt à accepter toutes les humiliations que
m’impose ma qualité d’administré vis-à-vis de son administrateur, pourvu que cela
puisse ramener le calme.
Vous me pardonnerez de vous dire que c’est par de mauvais conseils que vous
ont donnés mes ennemis qu’est venu ce malentendu dont se réjouissent
actuellement ceux qui veulent votre mal et le mien.
Je vous avoues, monsieur l’administrateur en chef, que votre attitude depuis
l’année dernière vis-à-vis de moi m’aurait obligé de chercher tous les moyens de
garantie légale pour sauvegarder ma liberté même, par l’émigration si ma natalité à
Rufisque ne suffisait pas ; vous ne devez donc pas trouver extraordinaire que j’ai
revendiqué ma naissance à Rufisque en prenant un jugement supplétif depuis le 30
septembre dernier, jugement qui étaient public mais que vous n’attaquez que lors de
circonstances actuelles dans lesquelles je ne suis rien.
C’est donc avec grands regrets que je verrai nos relations les plus intimes
s’étaler au public et devant la justice.
Arrangeons-nous M. l’administrateur en chef et ne laissons pas les autres nous
arranger cela ne dépend que de vous.
Toujours votre humble et dévoué serviteur
Signé cheikh Anta M’Backé
P.C.C
L’administrateur en chef du Bureau Politique.
172
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Colonie du Sénégal
N° 6 Louga, le 19 janvier 1912
Objet : Au sujet du déplacement l’administrateur p.i du Cercle de
D’Ahmadou Bamba Louga à monsieur le Lieutenant
Gouverneur du Sénégal
Saint-Louis
Bureau Politique
173
Ahmadou Bamba, apprenant cela, aurait envoyé dire « qu’il maudirait celui qui
se dérangerait pour lui ». Cette parole, ajoutée au bruit de l’arrivé prochain de
l’administrateur, calma cette petite agitation. Et il n’y eut pas d’autre incident. Un
fonctionnaire européen accompagné d’un chef de canton, se trouvait en effet non
loin de là.
Je n’ai pas encore été avisé par monsieur l’Administrateur du Baol de l’arrivée
d’Ahmadou Bamba à Diourbel.
Dès le retour du chef-lieu de Mohammedou Moustapha, fils d’Ahmadou
Bamba, je l’ai dirigé sur Thyéaine, où il va s’occuper de faire suivre rapidement les
affaires de son père et évacuer complètement l’ancien campement.
J’ai l’intention, dans la première quinzaine de février, de me rendre sur place
et de faire disparaître les derniers vestiges de la résidence qui fut le lieu de tant de
pélérinages.
En terminant, j’ai l’honneur de solliciter l’autorisation de disposer d’une
somme de cinquante francs, sur « fonds politiques » pour gratifications à différents
agents qui ont coopéré à cette opération.
174
22 mai 1912
Monsieur l’Administrateur en chef du Cercle du Baol
Au sujet des marabouts qui viennent visiter Amadou Bamba.
175
Service des Affaires Politiques Dakar, le 6 juin 1912
Administratives et Economique
N° 1100 Le Gouverneur Général p.i de
Objet : Au sujet du déplacement l’Afrique Occidentale française
D’Ahmadou Bamba à monsieur le Lieutenant
Gouverneur du Sénégal
Saint-Louis
Demande d’un dossier en
Communication
Par lettre du 25 mars dernier, (n° B.P 27) et du 22mai (n° B.P 639), vous avez
bien voulu me signaler les agissements de Cheikh Anta, qui, à l’instigation du sieur
Bordes, commerçant à Diourbel, s’est fait, abusivement, inscrire sur les registres de
l’état-civil de Rufisque comme né, vers 1871, dans cette commune.
Afin de me permettre de renseigner d’une façon positive les autorités
judiciaires sur le compte de cheikh Anta et de sa famille, et sur les intrigues nouées
jadis au Sénégal par Amadou Bamba qui valurent à ce dernier un exil de plusieurs
années en Afrique Equatoriale Française, je vous serais reconnaissant de vouloir bien
m’adresser, en communication et d’urgence, pour quelques jours seulement, le
dossier relatif à l’internement au Gabon du chef suprême des Mourides. Je
m’empresserai de vous retourner les documents dont il s’agit dès que j’aurais pris
connaissance des pièces susceptibles d’apporter quelque lumière à l’enquête
ordonnée, en ce moment, par monsieur le Procureur Général
Signé : Closel
P.C.C
176
P. Le chef du cabinet du LT-Gouverneur Amplification adressée au bureau
Du Sénégal et p.o politique.
Gouvernement du Sénégal
Du 19 juin 1912
Gouverneur Général
Analyse : Envoi d’un dossier
Relatif à Amadou Bamba
177
Sheikh Anta et antérieurement, il en avait été de même à St-Louis, pour l’écrivain
Mody M’Baye qui d’après certains bruits serait né dans les environs de Dagana ou de
Podor. L’administration est généralement bien placée pour recueillir toutes
informations propres à éclairer la religion du tribunal, et à lui permettre de se
prononcer à bon escient sur les requêtes tendant à des inscriptions d’indigènes sur
les registres de l’état-civil. Il est normal d’empêcher toute violation de la loi dans son
texte et dans son esprit et en même temps, il peut y avoir un intérêt politique de
premier ordre à ce que certains indigènes n’aillent pas surprendre la bonne foi des
juges, et arriver par des moyens ayant un caractère frauduleux à placer sous la
protection d’institutions libérales que l’état de civilisation de certains centres a
permis de créer au Sénégal.
Les indigènes en question ne veulent pas, en devenant les enfants d’une cité
vivre honnêtement et paisiblement sous l’égide de lois nouvelles, ils entendent
continuer leur vie antérieur, et grâce au changement survenu dans leur statut,
échapper aux conséquences d’actes répréhensibles qu’ils comment dans les milieux
indigènes qui n’ont pas cessé en fait d’être les leurs.
Dans tous les cas de ce genre, l’administration est évidemment le meilleur
auxiliaire de la justice. Si vous adoptez cette manière de voir, je vous serais
reconnaissant de vouloir bien demander à monsieur le Procureur Général d’examiner
s’il ne pourrait pas prescrire à tous les parquets d’aviser le chef de la colonie chaque
fois que les indigènes s’adresseraient aux tribunaux pour obtenir un jugement
supplétif de déclaration de naissance. Il serait alors procédé rapidement à une
enquête administrative. Le parquet pouvant faire état, le cas échéant pour en tirer les
éléments de conclusions à déposer devant le tribunal chargé de juger sur la requête
qui lui aurait été présentée.
Je serais heureux si vous vouliez bien me faire connaître la suite qu’il aura paru
possible de réserver à cette proposition.
178
Colonie du Sénégal République Française
Commissariat de police Liberté – Egalité – Fraternité
N°74
Objet : Visite inopinée chez
«Sikh Bamba »
179
8) Moussou Diallo venu voir sa sœur mariée à Amadou Bamba.
9) Ibrahim Ndiaye de M’Baket (Baol) venu pour étudier le Coran
10)Amady Diop de Til Makha (Baol) venu réclamer une dette à Cheikh Diop du
carré d’Amadou Bamba
11)Amadou Lô de Damou Guett (Cayor) cherche des bénédictions, 500 kg de mil
12)Abdoulaye Diop de M’Beket (Cayor) appelé par Serigne Bamba pour l’inviter à
retourner dans le carré de son père Amadou Dioukou
13)Mamadou Saro ( ?) de Tiagho (Cayor) son père Macoumba Sarr l’a envoyé
auprès du marabout lui porter du beurre
14)Diam Gom. K. Malamine Diaye (Baol) venu voir Momar Lô du carré du Serigne
15)Sadiou Diop de Coki Matar N’Goye (Cayor) chercher des bénédictions un sac
de riz
16)Amadou Dia de Dieng (Cayor) ch ercher des bénédictions, un boubou
17)Alassane Diakhaté de Mélou (Cayor) venu se faire mourite jusqu’à la mort, a
donné 2f
18)Massamba Silla de M’Backet (Cayor) cherche des bénédictions, a donné 5f
19)Mamadou Mocktard de Longor (Cayor) cherche des bénédictions, 2 pagnes
20)Mamadou Diop de Bayti Diop (Cayor) cherche des bénédictions, et Coran
21)Amadou Silla de Taïba Ndao (Baol) envoyé par son père Massamba Asta
demander du mil
22)Ibrahima Touré de Tiakhani (Baol) cherche des bénédictions, un pagne
23)Mamadou Seck de Samb (Baol) croyait avoir un frère chez le marabout ne l’a
pas trouvé
24)Ibrahima Sarr de Niaye Ligni (Saloum) bénédiction rien payé
25)Mamadou Diaw de Niaye Ligni (Saloum) accompagne le précédent
26)Assane Sèye de N’Guène (Djioloff) bénédictions, un cheval
27)Mor Diop de Coki Tiouran (Djioloff) bénédictions, 5f
28)Paté Amat de Diourbel s’occupe des reliures de Coran pour le Serigne
Tous ces visiteurs proviennent de l’intérieur.
Le Commissaire de Police
180
Colonies du Sénégal Diourbel, le 25 juin 1912
Cercle du Baol
N° 29 C L’Administrateur en chef
Théveniant,
Objet : Au sujet d’Amadou Bamba Commandant le Cercle du Baol
Et de Cheikh Anta à monsieur le Gouverneur des
Colonies. Lieutenant-Gouverneur
Du Sénégal, à Saint-Louis
Thièveniaut.
182
Gouvernement du Sénégal
Du 29 juin 1912
Analyse : au sujet d’Amadou
Bamba et de Sheikh Anta
Gouverneur Général
J’ai l’honneur de vous adresser sous ce pli copie d’un rapport que m’a adressé
monsieur l’administrateur en chef du Baol au sujet d’Amadou Bamba. Au cours d’une
visite inopinée, le Commissaire de Police de Diourbel trouva dans le carré du chef des
Mourides 28 personnes qui n’avaient pas reçu l’autorisation de visite. Ahmadou
Bamba a reconnu en outre avoir reçu Sheikh Anta, et a prétendu qu’il le croyait
autorisé.
Il ressort de ces faits qu’Ahmadou Bamba ne tient nullement les promesses
qu’il a faites plusieurs reprises de ne recevoir personne dans le consentement des
autorités administratives. Ce faisant, il renouvelle d’ailleurs la conduite qu’il a tenu
dès son arrivée à Thiéyène en avril 1907. Je lis en effet dans un rapport de
l’administrateur de Louga du 25 Septembre 1907 : « Après une courte période
d’accalmie, au camp d’Amadou Bamba, les pèlerinages une importance plus grande
de jour en jour… ». Les renseignements journaliers recueillis à cette époque par
Bouna N’Diaye montrent d’ailleurs la valeur de cette affirmation. Si l’on se reporte
d’autre part aux faites qui, quelques mois après son retour du Gabon motivèrent son
internement en Mauritanie, on se rend compte que l’attitude d’Amadou Bamba n’a
jamais varié. D’une part des promesses et des protestations de dévouement et de
droiture ; de l’autre, une conduite en opposition absolue avec ses déclarations
183
répétés aux autorités françaises. Dans le cas présent, on constate le même genre de
faits qu’en 1907 à Thièyène et en 1908 à M’Backé.
L’histoire nous apprend qu’au moment où Mamadou Lamine préparant la
guerre sainte et réunissant des talibés pour envahir le Cayor et le Boundou ; il se
rendit à Kayes en novembre 1885, protesta près du Colonel Frey de ses excellentes
intentions à notre égard et déclara qu’il serait très heureux d’avoir notre neutralité
bienveillante, car il avait l’intention d’attaquer Ahmadou son ennemi personnel et le
nôtre. Il obtint la permission de se rendre à Tuabo (Guaye) et un mois après, avec
2000 guerriers Mamadou Lamine entrait dans le Boundou qu’il pillait.
En octobre 1864, Maba reconnu par nous Almamy du Saloum et du Boundou
s’engageait à vivre en paix avec ses voisins qui étaient nos alliés. On sait comment il a
tenu ses promesses, allant un mois plus tard, mettre à sac toute la région de M’Backé
(Baol) dont il déportait les habitants dans le Rip.
Les faits actuels ont loin d’avoir la gravité de ceux que je viens de rappeler,
mais les procédés employés sont semblables et un rapprochement est instructif.
En ce qui concerne Sheikh Anta, il avait avisé ainsi que son frère qu’il était
impossible de renoncer en sa faveur à la règle générale des autorisations de visite.
J’avais agi en l’occurrence d’accord avec vos instructions n° 597 du 25 mars. Amadou
Bamba n’est donc pas fondé à dire qu’ik avait cru son frère autorisé à le voir. Pour lui
comme pour tous les autres Mourides qu’il a reçus chez lui à l’insu de
l’administrateur du Baol, il a sciemment failli aux engagements formels qu’il avait
pris. Les promesses actuelles valent donc ce que valaient les précédentes, et dans
l’intérêt supérieur de l’ordre et de la sécurité publique il n’y a plus lieu semble-t-il
d’en tenir compte.
J’estime que la règle de conduite que nous avions acceptée sur le demande du
marabout doit être changée, en ce sens qu’il nous appartient désormais d’établir par
mesure administrative, une surveillance efficace et réelle sur ses faits et gestes. Au
lieu d’un contrôle discret, laissant en apparence à Amadou Bamba une certaine
liberté d’allure dans l’isolement volontaire qu’il nous déclarait vouloir observer, il y a
lieu de régler ses relations extérieures ouvertement et de donner à l’administration
du cercle des instructions fermes pour que nul ne puisse pénétrer chez Amadou
Bamba sans autorisation écrite et fasse assurer cette prescription par le commissaire
de police.
Cette mesure me paraît nécessaire non seulement pour surveiller les
agissements d’Amadou Bamba, mais surtout encore pour éviter les conséquences
d’excès de zèle toujours passibles de ses talibés fanatisés. Elle sera sans doute
suffisante pour éviter une explosion de fanatisme provoquée par le contact trop
fréquent du marabout avec ses adeptes.
184
En ce qui concerne plus particulièrement Sheikh Anta, je ne puis qu’appuyer
respectivement près de vous les vues de M. Théveniant. La lettre qu’il a fait adresser
à ce fonctionnaire est la preuve de la continuation de la campagne menée contre
l’administrateur du Baol et montre que Sheikh Anta n’est pas disposé à désarmer.
Fort des appuis qu’il a rencontrés, il descend à des menaces de chantage qui ne
peuvent tromper que lui. Le plan de campagne qu’il suit, d’après des conseils sans
doute intéressés est confirmé par une lettre anonyme qui m’est parvenue et dont le
ton général est semblable à celui de la missive de Sheikh Anta. Je vous envoie
l’original à titre de renseignements.
Par ailleurs les mourides de Sheikh Anta prendraient une attitude arrogante,
faisant répandre des bruits tendancieux affirmant son succès dans l’affaire du
jugement supplétif et la déconfiture de l’administration. Si par respect de la loi, le
jugement supplétif doit être réformé et les faux-témoins punis, il y a un intérêt
politique de premier ordre à ce qu’une condamnation sévère atteigne Sheikh Anta.
Monsieur Théveniant m’a rendu compte que sur commission rogatoire du juge
d’instruction de Dakar, il avait recueilli les dépositions d’Amadou Bamba et de Sheikh
Thioro, d’après lesquelles leur frère était bien né à Porokhane, près de Nioro (Rip). La
culpabilité de ce dernier est donc évidente. Il a sciemment trompé les juges, comme il
a trompé l’administration par son attitude déloyale. Le procès engagé cause quelque
agitation dans une région déjà troublée au point de vue religieux, politique et
économique par les mourites ; il serait désirable qu’elle pût être rapidement
solutionnée et que les sanctions nécessaires fussent prononcées aussi sévères que
possible. Je vous serai reconnaissant de vouloir bien faire part de ces considérations à
monsieur le Procureur Général et lui demander de vouloir bien aider par son action
personnelle à la répression des faits qui s’ils devaient de renouveler ou continuer
prendraient une gravité exceptionnelle par suite de l’hostilité non déguisé de
l’élément mouride contre l’action européenne, contre le pouvoir des blancs.
185
Service des Affaires Politiques Dakar, le 7 juillet 1912
Administratives et Economiques
N° 1272
Agissements d’Amadou Bamba Le Gouvernement Général p.i. de
Et de cheikh Anta l’Afrique Occidentale Française à
Monsieur le lieutenant-Gouverneur
Du Sénégal – Saint-Louis
Par lettre du 29 juin 1912, n° 900, vous avez bien voulu, en m’adressant copie
d’un rapport de l’administrateur en chef du Baol au sujet d’Amadou Bamba, m’aviser
que ce marabout, contrairement aux engagements formels pris naguère par lui,
recevait, sans autorisation, la visite de nombreux affiliés à la secte des Mourides.
Il ne me parait pas douteux, ainsi que vous le remarquez dans la lettre dont il
s’agit, que le contact trop fréquent du cheikh avec ses disciples ne soit de nature à
soulever, dans le Baol et les régions limitrophes des difficultés politiques d’une
certaine importance.
Afin de faire cesser une situation qui pourrait, à un moment donné devenir,
sinon dangereuse, du moins délicate, vous envisagez, d’ores et déjà, des mesures
administratives d’action et de contrôle plus efficaces et plus réels sur les faits et
gestes du marabout de Diourbel. Ces mesures, aux termes de votre lettre, sont
186
appelées à avoir une répercussion assez considérable sur la masse des indigènes
dévoués aux doctrines et à la personne d’Amadou Bamba.
Dans ces conditions, je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître si
vous estimez que la situation politique actuelle du Sénégal, est de nature à permettre
à l’Administration de procéder à l’exécution immédiate des mesures dont il s’agit. En
outre, au cas où vous jugerez que certains troubles à forme religieuse sont à redouter
éventuellement dans le Baol, comme conséquence des sanctions que vous vous
proposez d’appliquer à Amadou Bamba, je vous serais reconnaissant de me faire part
des mesures d’ordre que vous auriez pu envisager déjà en vue de maintenir la paix
dans cette région du bas Sénégal.
Signé : Clozel
P.C.C
P. le chef de cabinet du Amplification adressée au
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal bureau PolitiqueEt p.o
Colonies du Sénégal Diourbel, le 12 juillet 1912
Cercle du Baol
N° 32
Objet : Au sujet de M. Bordes l’administrateur en chef Théveniant
Commandant le cercle du Baol à
Monsieur le Gouverneur des Colonies
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal
À Saint-Louis
187
D’autre part, il se confirme qu’avant son départ de Diourbel, monsieur Bordes
a obtenu 1.000 francs de M’Baket Bousso parent d’Amadou Bamba pour agir en
France en faveur de ce dernier.
Thiéveniant.
Gouvernement du Sénégal
Analyse : Agissements
D’Amadou Bamba Du 16 juillet 1912
Administrateur Baol
J’ai l’honneur de vous adresser ci-inclus copie d’une lettre qui m’a été adressée
par l’administrateur du Cercle de Baol sur les agissements de M. Bordes, commerçant
à Diourbel.
Ces renseignements font suite à ceux que je vous ai déjà transmis sous n°27
B.P du 22 mai dernier.
Ils vous éclaireront sur les dessous de la campagne entreprise par certaines
personnes contre les actes de l’administration et sur les procédés auxquels ne
craignent pas de descendre certains européens, pour satisfaire leurs haines. Il m’était
déjà revenu que M. Bordes avait reçu 2.000f de Sheikh Anta pour le soutenir, et lui
aurait demandé à nouveau 10.000f pour faire campagne en France en faveur
d’Amadou Bamba, et obtenir son retour à M’Backé. Sheikh Anta qui depuis un an a
dû débourser des sommes considérables, se serait refusé à ce nouveau versement de
189
fonds. Les renseignements fournis par M. Théveniant sont la confirmation du bruit
qui m’était parvenu.
D’un acte de vente reçu par monsieur Patterson, notaire à Dakar, le 18 février 1911,
enregistré et transcrit, il a été extrait littéralement ce qui suit :
Par devant nous etc…
A comparu :
M. Syhe Anta M’Backé, marabout demeurant à Gaouane (Baol). Né à M’Backé (Baol)
vers mil huit cent soixante-huit, époux de la dame Fati Yaba née à Coki (Cayor) vers
mil huit cent quatre-vingt, avec laquelle il est marié suivant le rite musulman.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Et après lecture faite, les parties ont signé avec les témoins et le notaire mais
ayant déclaré comprendre le wolof et ne s’exprimer qu’imparfaitement en Français
ont été au vœu de la loi, assistées de Me Patterson notaire soussigné qui leur a
traduit en wolof le contenu du présent acte auquel elles ont donné leur pleine et
entière adhésion.
« Suivent les signatures »
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Fait en quadruple expédition par nous Tiéveniant Jean, administrateur en chef
du Cercle du Baol pour faire et valoir ce que de droit et notamment servir à établir la
preuve que cheikh Anta M’Backé, n’est pas né à Rufisque.
190
Diourbel le 29 juillet 1912
Thieveniant
J’ai l’honneur de vous adresser, ci-joint, l’extrait d’un acte de vente reçu par
Me Patterson, notaire à Dakar le 18 février 1911.
Ce document que j’ai signalé dernièrement à l’attention de monsieur le juge
d’instruction, m’a été communiqué par le marocain Alioune Zabaye, acquéreur du
terrain vendu.
Ainsi donc, se trouve établi sans discussion possible que cheikh Anta n’est pas
né à Rufisque puisque devant un officier ministériel, il déclare qu’il est né ailleurs.
191
Cette preuve indéniable se vérifie en outre par les déclarations et témoignages de ses
frères Amadou Bamba, Cheikh Thioro, Ibra Fati et ceux de tous les notables et
personnes qualifiées des villages indigènes de Rufisque.
M. le juge d’instruction à qui j’adresse en même temps semblable copie aura
en main, les preuves suffisantes pour accuser cheikh Anta et le renvoyer devant les
tribunaux compétents.
A un autre point de vue, je dois vous rendre compte que la campagne
d’agitation que mène sciemment Cheikh Anta dans les milieux mourides en faisant
parade de l’immunité dont il semble bénéficier, pour un faux témoignage notoire,
amène le trouble et la confusion dans les esprits crédules ignorants tout de notre
procédure longue et compliquée.
Les éléments sains de la population européenne et indigène se demandent
pourquoi alors que les musulmans sont travaillés pour soutenir les croyants contre
les infidèles, que des faits symptomatiques démontrent l’existence d’une certaine
effervescence chez les plus turbulents, qu’il s’est avéré sur le marché de Rufisque que
des provisions inusitées de pièces d’or ont été faites cette année, l’autorité laisse
libre cours aux écarts coupables de conduite et de langage de Cheikh Anta.
Cette situation est intolérable. Je l’estime de nature à provoquer des conflits
d’ordre politique et des troubles à forme religieuse si l’on continue ainsi à laisser
braver impunément le principe d’autorité par un mourite trop turbulent. Déjà, les
partisans et adeptes proclament sur les places publiques, dans les rues et partout,
que leur maître échappera aux poursuites de l’administration. On surprend des
phrases ainsi : « Avec de l’argent nous ferons ce que nous voudrons » ; « cheikh Anta
détient la clef d’argent qui ouvre toutes les portes » ! Il y a quelques jours, un nommé
Guéladj Yadda suivant de Daour Fall, chef du canton de Thor Diander, faisant sur la
place du marché de Diourbel, une profession de foi publique en faveur de Cheikh
Anta que lui et Daour Fall se Félicitent d’avoir pour marabout.
Ces faits regrettables sont la conséquence du manque d’énergie d’un service
de la colonie. Il eut été préférable de ne pas entamer de poursuites que de les mener
de cette façon et surtout de laisser s’accréditer dans le public l’idée d’un non-lieu
alors que la population indigène de toute une ville celle d’une des régions les plus
populeuses du Sénégal et aussi la plus impressionnable, sait et affirme que le faux
témoignage est exact.
Je suis personnellement étonné de me trouver seul ou à peu près dans cette
affaire à rechercher et à faire la preuve de la culpabilité de cheikh Anta. Pour éviter
un non-lieu, j’ai été dans l’obligation de prier M. le juge d’instruction d’atteindre des
renseignements nouveaux. Ces renseignements je ne les avais pas. Heureusement
quelques personnes obligeantes indignées comme moi de la tournure que prenait
192
l’affaire se sont employées de suite à me les procurer et j’ai réussi ainsi à faire
prolonger l’instruction ! Aujourd’hui, les choses ont changé de face. Les notables de
Rufisque affirmeront le faux témoignage devant le tribunal et y apporte l’aveu même
de l’intéressé quoiqu’il advienne, Monsieur le Gouverneur, je vous demande de
vouloir bien intervenir auprès de Monsieur le Gouverneur Général afin de faire cesser
le préjudice moral considérable qui causent les hésitations et les lenteurs de
l’instruction à l’autorité administrative chargée d’assurer l’action politique sur les
Mourites. Je le répète, cette situation est intolérable. Elle est de nature à provoquer
des conflits très graves pouvant entraîner des troubles à forme religieuse. Le souci de
nos responsabilités ne nous permet pas de suivre la Magistrature à la recherche d’un
moyen terme conciliant les exigences de la loi et les erreurs communes. La situation
politique d’une bonne portion des territoires du bas-Sénégal demande une action
vigoureuse contre la tête de la secte mourite et c’est l’agent de toutes les
compromissions louches, le grand dispensateur des libéralités de la confrérie, celui
qui rapporte tout à la puissance de l’argent qu’il faut atteindre et mettre à terre à
titre de nécessité politique, économique et surtout sociale.
Nous en avons en ce moment le moyen sans avoir à recourir à la raison d’état.
Ne pas agir serait vouloir prendre des responsabilités dont les conséquences
porteraient les plus graves atteintes aux intérêts vitaux de la colonie. Pour préciser,
ce serait comme effet immédiat l’enrôlement de plus de la moitié de la population du
bas Sénégal sous la bannière mourite et comme effet à longue échéance la mainmise
par une secte à esprit rétrograde sur le meilleur des forces vives de ce pays.
Nous sommes à un tournant de notre action coloniale au Sénégal où il faut agir
et ferme pour arrêter l’essor d’une secte religieuse qui constitue un danger
économique et social.
Quand il y a vingt-deux ans, je débarquai pour la première fois à Dakar je
parcours la région du Djoloff et du N’Diambour, les Mourites se comptaient par
quelques unités. Aujourd’hui, les adeptes de la secte constituent la majeure partie de
la population des cercles de Louga, Tivavouane, Thiès, Baol et Sine-Saloum. J’évolue
leur nombre au quart de la population totale sont trois cent mille. Il est temps
d’enrayer ce mouvement sinon les Serignes dirigeront les trois quarts de la
population indigène du Sénégal dans un avenir peu éloigné. Leur propagande est
aujourd’hui facilitée par le développement du réseau ferré. Les colonies mourites
disséminées le long du Thiès. Kayes tout en faisant la tâche d’huile, amèneront la
soudure avec les coreligionnaires de la haut-Gambie et de Guinée. Nous aurons
bientôt de ce côté, la même machine organisée que sur la voie Dakar-Saint-Louis où
chaque escale est à la fois centre de propagande et de renseignement ; des refuges
hospitaliers y sont même organisés à l’usage des adeptes ou pèlerins de passage ;
tous ou à peu près tenus par des traitants de grandes maisons. En face de cette
193
marée montante du Mouridisme que le souci de nos responsabilités présentes nous
commande impérieusement d’arrêter, quel doit être le mode d’action qui permettra
d’arriver au résultat cherché sans provoquer de réaction de nature à troubler la
situation générale !
Je crois que se heurter de front à l’organisation que nous avons laissé créer
serait une erreur. Il y a lieu d’adopter une autre tactique. Celle de décapiter la secte
de ses têtes dirigeantes donnera d’excellents résultats.
La chose est aisée car la confrérie ne possède qu’un contingent très minime
d’hommes intelligents. Après les fils de Momar Anta et quelques individualités, je ne
vois pas d’homme capable de diriger la masse avec fruit.
C’est donc en combats de détails que nous devons réduire la puissance
mourite à l’impuissance. Pour cela il ne faut laisser passer aucune occasion d’agir.
C’est le moment de le faire pour cheikh Anta. Un intérêt supérieur s’oppose à ce qu’il
sorte victorieux de l’impuissance où il s’est jeté lui-même. Sa condamnation,
regardons bien les choses en face, est une nécessité politique, économique et sociale
inéluctable ; en l’obtenant sur un délit de droit commun nous évitons le coup de
force la mesure exceptionnelle de demain à laquelle avec l’action des contingents
locales souvent trop déconcertante, il est préférable de ne pas avoir recours.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Je profite de la circonstance qui s’offre à vous d’entretenir verbalement
Monsieur le Gouverneur Général titulaire de la question mouridisme pour répondre
aux questions posées par votre lettre B.P 78 en date du 16 juillet faisant suite à ma
communication du 25 juin dernier.
194
Cabinet Dakar, le 13 Août 1912
N° 1504
195
Vous serez certainement d’accord avec moi, pour estimer que le rapport de M.
Théveniaut ne comporte aucun fait réellement nouveau, intéressant. Ce ne sont ni les
considérations d’ordre particulier qui y sont exposées, ni les appréhensions, d’ailleurs
assez imprécises, qui s’y font jour, qui seraient de nature à nous apporter quelque
indication nouvelle.
Quant aux mesure que préconise M. Théveniaut, tant à l’égard d’Amadou
Bamba que de cheikh Anta, elles ne n’ont pas paru opportunes. Elles sont peut-être
énergiques et certainement sévères ; mais j’ai toujours pensé que notre politique à
l’égard de l’indigène islamisé, doit s’arrêter à plus d’habileté et de tact que de
sévérité. A plus forte raison doit-il, à mon avis, en être ainsi quand cette politique
exerce son action sur un groupement islamique qui peut avoir de nombreux adeptes.
Nous devons, avant tout, ne pas perdre de vue qu’Amadou Bamba est un élève de
cheikh Sidia, le chef le plus vénéré des pays maures. Cheikh Sidia a été le protagoniste
de notre action au nord du Sénégal. Il a été le pivot de la politique de mon
prédécesseur et de ma propre action en Mauritanie.
Or, la secte mouride a été instituée au Sénégal par Amadou Bamba : Le
vocable mouride désignant proprement le disciple de foi. C’est dire qu’Amadou
relève toujours de la grande autorité de Cheikh Sidia, l’artisan le plus dévoué de notre
influence au-delà du Sénégal. Il me suffit de vous rappeler les termes que ce
marabout employait lorsqu’il prêchait aux populations dévoués depuis longtemps à la
famille de Mohamed Fadel, père de Saad Bou et Ma.El.Aïnin, les bienfaits de la paix et
l’inutilité de la résistance.
Sous quel jour apparaitrait au loyalisme de cheikh Sidia notre politique à
double face. Favorable d’un côté à son influence, nous nous servirions de grande
autorité, alors que d’un côté nous persécuterions ses propres élèves. Erreur au deçà
du Sénégal, vérité au-delà. Ce serait, vous l’admettez, jouer un double jeu dont nous
risquerions fort d’être, nous-même les dupes. Ce serait, en tous cas, adopter une
politique que les incidents actuels ne suffiraient point à justifier. Cette sorte de volte-
face brusque de notre part, risquent, d’ailleurs, de nous entraîner plus loin que nous
ne voudrions et de nous placer en présence de dangers que nous n’aurions point
prévus. Ce serait engager lourdement notre responsabilité.
Le Commandant du Cercle du Baol estime que si l’autorité judiciaire
prononçait une condamnation à l’encontre du cheikh Anta, l’incarcération de cet
indigène ne soulèverait aucune difficulté. Encore que je ne partage pas ce sentiment,
il est certain que si cette mesure de coercition venait à être appliquée, cheikh Anta
sortirait de prison grandi aux yeux des indigènes. L’autorité serait fortifiée d’autant
qu’il paraîtrait, aux yeux de ses clients et des adeptes d’Amadou Bamba, avoir
souffert pour nous. Son crédit auprès des illuminés et des fanatiques, dont M.
Théveniant redoute précisément les agissements et les fanatiques, dont
196
M.Théveniaut redoute précisément les agissements, en serait accru, son prestige
singulièrement rehaussé.
A mon avis, la condamnation de cheikh Anta risquerait de nous amener à un
résultat contraire à celui que vous désire obtenir. Nous de devons , en effet, jamais
perdre de vue qu’en matière de politique indigène, et notamment dans notre action à
l’égard de l’Islam et des groupements islamisés des mesures trop rigoureuses ne
sauraient laisser passer à aucun imprévu. Elles ne doivent être prises qu’après que
l’on a l’absolue certitude que le résultat cherché sera atteint, et que l’on est en état,
d’autre part, de faire face à toute éventualité.
C’est qu’en effet, ces mesures, quels qu’en soient les effets immédiats,
fortifient toujours cette tendance, qu’ont les masses, de considérer ceux à l’encontre
desquels elles ont été exercées, comme des martyrs ayant souffert par la cause
sainte. Chez les tiédos, que d’autres raisons retenaient dans l’indifférence, ou que
leurs intérêts avaient amenés au loyalisme, s’éveillent des sentiments de doute ou de
suspicion à notre égard ; les néophytes surgissent nombreux et l’on peut se trouver
rapidement en présence de danger réels et graves.
C’est donc avec une extrême prudence que nous devons agir. Notre politique
indigène, le l’ai souvent répété, doit être exempte d’à-coups. Elle doit être de bonté
réfléchie et de fermeté bienveillante et non de brusques mesures de coercition. Nous
ne saurions être trop circonspect quant précisément nous nous trouvons en présence
de groupements islamiques importants, dont nous suivons l’évolution depuis
longtemps. A leur égard notre vigilance ne saurait être susprise.
Aussi n’est-ce point aux vues personnelles, presque toujours étroites, des
commandants de cercles, que nous devons nous associer. Notre action doit avoir un
horizon plus large. En ce qui touche à l’Islam, elle doit procéder de la politique
générale de la France non seulement en Afrique Occidentale Française mais dans
l’ensemble de l’Afrique du Nord.
Or le sens dans lequel il convient de développer notre action, en Afrique
Occidentale Française, est naturellement indiqué par les caractères particularistes
que revêt l’Islamisme dans les colonies du Gouvernement Général.
Tout en surveillant habilement les grands marabouts, en nous efforçant de
diminuer, lentement peut-être, mais avec efficacité, l’autorité dont ils jouissent et
tout en nous servant d’eux, il est de notre devoir de rester en contact avec les
groupements islamisés au lieu de nous séparer d’eux. Nos efforts doivent tendre à les
isoler de la propagande de l’Islam étranger en les soustrayant, autant que possible,
aux incitations des internationalistes musulmans et des sectaires.
197
Or, des mesures du genre de celles que préconise M. Théveniaut, ne
répondent en rien à cette action méthodique et prudente. Elles auraient
vraisemblablement pour résultat le plus certain de nous séparer des groupements sur
lesquels notre action ne doit cesser de s’exercer. L’influence étrangère ne manquerait
pas de profiter d’une situation qui faciliterait le succès de ses entreprises. Les idées
qu’elle répandrait tomberaient dans un terrain admirablement préparé de nos
propres mains, à notre détriment.
Je ne me suis arrêté à ces considérations que pour montrer à quel point il est
indispensable que la direction politique ne découle pas d’impulsions momentanées
des Commandants de cercle, mais procède, au contraire, de vues larges, selon une
orientation systématique bien définie qu’il vous appartient de donner, suivant, en
cela, les suggestions et les inspirations au Gouvernement Général.
Les mesures proposées par M ; Théveniant à l’égard d’Amadou Bamba ne
sauraient donc être adoptées. Ainsi que je vous l’ai proposé dans mon télégramme
d’hier, il importe de ne pas laisser paraître, aux yeux de l’intéressé, et encore moins
au regard de ses adeptes, qu’en fait, nous le considérons et le traitons comme un
prisonnier. Il est préférable de lui laisser une certaine latitude de mouvement
apparente, tout en le surveillant activement, sans qu’il y paraisse, c’est-à-dire avec
adresse. Comme je l’ai indiqué, cette surveillance se résout, en définitive, en une
question de crédit à employer habilement.
Quant à cheikh Anta et à son affaire devant le tribunal, il est évident que nous
ne saurions nous substituer à l’action de l’autorité judiciaire. Mais il ne me paraît pas
qu’il soit prudent, ni même convenable, de tenter de la pousser dans la voie où
semble vouloir l’engager M.Théveniaut, tout en se plaignant, d’ailleurs, des lenteurs
de sa procédure, quoiqu’il en soit en cas de condamnation, je veillerai à décider, en
temps opportun des mesures qui me paraitront de nature à nous éviter le retour
toujours possible d’une nouvelle affaire de Ouali de Goumba. D’autre part, ainsi que
j’en exprimais, hier, l’assurance, de demeure convaincu que ce n’est certainement
pas dans cette voie que vous consentiriez à vous laisser entraîner.
Enfin, je n’ai rien à ajouter aux suggestions que contenait mon télégramme au
sujet de M. l’administrateur en chef Théveniaut. Il nous appartient de faire choix,
pour commander le cercle du Baol, d’un administrateur ayant une certaine pratique
de notre politique à l’égard des indigènes du Sénégal et du groupement Mouride, et
capable, en tout cas, de reprendre et de remettre dans l’ordre un état de choses qui
ne saurait persister.
Signé : W. Ponty
P.C.C
198
P. le chef du cabinet du Ampliation adressée au bureau
Lieutenant-Gouverneur du Sénégal politique
Et p.o.
Je vous informe que le Cheikh Ahmed Bamba a envoyé son fils ver son disciple
Ibrahima Fall et lui a ordonné à tous deux de se rendre à Saint-Louis pour demander
en sa faveur à M. le Gouverneur du Sénégal l’autorisation de se rendre chez lui à
Touba. Son fils susdit est resté chez lui (Ibra Fall) un mois et neuf jours.
Il n’a pas été possible au cheikh Ibra Fall de l’accompagner, et cela pour trois
raisons :
La 1ère, parce qu’il était atteint de la maladie « djanham » (maladie d’estomac) ;
La 2ème à cause de son manque de ressources à cette heure.
La 3ème parce qu’il attend une réponse à la lettre qu’il a adressée à M. Carpot en
France.
Or, le fis susdit est revenu chez son père, le cheikh Ahmadou Bamba et il l’a
informé de ce qui s’était passé.
199
Son père lui a ordonné de s’éloigner de lui. Il est allé vous trouver, et c’est
précisément la visite qu’il vous a faite dernièrement.
J’ai appris de source certaine que le cheikh Ibrahima Fall viendra vous trouver,
s’il plait à Dieu, dans le mois de D’ouel Hidja ou dans celui de Moharem (11
novembre – 9 janvier) et que son chrétien, Carpot, viendra dans l’un de ces deux
mois, d’après ses propres paroles.
En ce qui concerne la famille du cheikh Ahmadou Bamba ainsi que tous ses
disciples, il n’y en a pas parmi eux qui agissent, qui disent ou qui veulent quelque
chose, si ce n’est Ibra Fall seulement et le cheikh Anta.
Je vous rapporterai tous renseignements désirables sur le cheikh Anta, s’il plait
à Dieu. Salut.
200
Il est fort mal installé à Diourbel et désirerait évidemment être autorisé à
rentrer dans son village de Touba, mais il n’en parlerait pas et ne se mêlerai en rien
de cette affaire, ayant chargé Ibra Fall d’obtenir pour lui l’autorisation nécessaire.
Cependant, il doit compter que cette autorisation sera accordée, car Issa Dyène, de
N’Dande, aurait déjà fait creuser à Touba, à ses frères et à titre de cadeau à Ahmadou
Bamba, 4 puits en ciment, et se disposait à en faire creuses un cinquième, pour lequel
il aurait déjà, à N’Dande, le ciment nécessaire.
En ce qui concerne Ibra Fall, l’agent ne fait que confirmer les renseignements
qu’il a déjà donnés, par lettre, sur les projets et les appuis sur lesquels il compterait.
Pendant son séjour à Thiès, l’agent a pu constater combien la population était
réfractaire au recrutement, et rapporte ce propos qu’il aurait entendu : « puisqu’on
nous poursuit jusque dans nos lougons pour nous prendre de force, il s’agit
maintenant de se défendre jusqu’à la mort ».
Il est peu probable que les indigènes soient disposés à aller jusque-là, et le
caractère obligatoire qu’a maintenant le service militaire modifiera dans une certaine
mesure leurs dispositions, cependant, malgré ce qu’aura pu faire l’Administrateur, il
paraît difficile que les opérations supplémentaires n’emmènent pas quelques
nouveaux incidents. Le fis aîné de cheikh Sidia est arrivé à St-Louis avec deux suivants
dont Cheikhouna, gendre et homme de confiance du Cheikh. Ils sont peu pressés,
préférant ne se présenter à Diourbel que lorsque les premières opérations de la traite
auront déjà pu rapporter de l’argent à Amadou Bamba. Ils peuvent donc, sans
inconvénient, attendre votre retour à Saint-Louis.
Le chef du Bureau Politique.
19 Octobre
Mohamed Fadel fils cadet d’Amadou Bamba
201
à obtenir la permission nécessaire. Carpot aurait déjà reçu 10 000 f pour autre chose,
antérieurement et Ibra Fall songerait à l’intéresser à nouveau de la même façon.
202
Par lettre n° 1181, du 4 juillet dernier vous avez bien voulu me donner des
instructions relatives à la surveillance spéciale à exercer sur cheikh Anta, autorisé à
retourner à M’Backé et aux recommandations à faire à ce marabout.
Vous me demandez en outre d’exprimer mon avis sur le chiffre de l’amende
qui pourraient être infligé aux deux villages de M’Backé et de Touba en raison de leur
complicité dans les faits qui ont motivé l’éloignement d’Amadou Bamba.
Enfin vous me chargez de donner à M. St-Michel Rivet des ordres précis sur la
ligne politique à suivre dans le Baol Oriental, de le mettre au courant de la situation
délicate qui existe entre cheikh Anta et M’Bakhane Diop et autres d’exprimer à ce
fonctionnaire votre étonnement de ne pas avoir reçu sa visite avant son départ de St-
Louis en lui faisant sentir toute l’incorrection de sa conduite dans cette circonstance.
J’ai l’honneur de vous faire connaître que des instructions ont été données en
conséquence et que M. le Résident de Diourbel m’a fait connaître que des
dispositions étaient prises pour en assurer l’exécution.
Je dois ajouter toutefois que les premiers rapports de M. St-Michel Rivet
laissent voir chez lui une tendance à écouter avec complaisance les accusations que
certains membres ou amis de la famille d’Amadou Bamba ne cessent de porter contre
M’Bakhane Diop dont ils voudraient se débarrasser à tout prix.
Je viens transmettre à Monsieur le Résident de Diourbel une copie de votre
lettre n° 1385 du 5 août, et je l’invite à se conformer strictement à vos dernières
instructions et à ne plus rechercher comme il semble le faire dans la plupart des
affaires qui lui sont soumises, la preuve, quelque fois possible à trouver de certains
actes répréhensibles reprochés à M’Bakhane Diop par des ennemis irréconciliables.
Ces dernières instructions porteront sans doute leurs fruits et j’espère que
cheikh Anta averti à nouveau ne nous suscitera plus, pour quelque temps du moins
de difficultés dans la région.
Je vais d’autre part veiller à ce qu’Ibra Faty prenne sans retard des dispositions
pour aller s’installer dans le cayor, conformément aux prescriptions de M. le
Gouverneur Général.
En ce qui concerne la qualité de l’amende à infliger aux villages de M’Backé et
Touba, monsieur St-Michel Rivet à qui j’ai demandé des renseignements s’exprime
ainsi :
« Le village de M’Backé compte une population régulier de 1000 âmes environ
répartie sur un territoire d’à peu près 4 kilomètres carrés, le pays est très riche et les
greniers à mil abondent partout.
203
Une amende de 10 000f n’aurait rien d’exagéré et ne surchargerait pas les habitants.
La répartition en serait délicat, en cas d’abandon du territoire par les hommes de
cheikh Anta et Ibra Faty, car les talibés de Momar Diarra sont relativement en petit
nombre et on ne pourrait raisonnablement lui demander que la part de l’amende
correspondant au nombre des habitants réels du village de M’Backé. Il faudrait donc
pour compléter le chiffre reporter le surplus sur les émigrants dans les divers endroits
où ils se seraient installés. Il serait peut-être plus simple de frapper directement les
trois chefs à charge par eux de régler la part afférente à chaque individualité ».
Je ne partage nullement la manière de voir de monsieur le Résident du Baol
Oriental : j’aurais été partisan d’infliger une amende à Amadou Bamba, aux membres
de sa famille et à un certain nombre de ses talibés au moment même où le Serigne a
fait sa soumission, mais il me parait difficile aujourd’hui, après les mesures de
bienveillance prises à son égard par monsieur le Gouverneur Général, de revenir sur
le passé et de frapper cette famille d’une contribution qu’elle serait
Très certainement en mesure de payer très facilement mais qui ne
s’expliquerait plus maintenant où le pays a repris sa tranquillité et au moment même
où les habitants de M’Backé et Touba reviennent peu à peu se fixer dans les cases
qu’ils avaient momentanément abandonnées.
J’estime donc qu’il est trop tard pour infliger une amende à des indigènes qui
somme toute n’ont point ouvertement résisté à notre autorité et n’ont commis
d’autre faute que celle d’écouter les prédications du Serigne Amadou Bamba.
Aucun acte délictueux n’a été relevé contre eux et il serait impolitique de les
rendre responsable et de les associer à la culpabilité de ce prêcheur de guerre sainte
et de ceux qui formaient son entourage habituel.
Je vous retourne les deux rapports de M. Allys que vous avez bien boulu me
communiquer et une lettre dans laquelle M. St-Michel Rizet exprime ses regrets de
l’incorrection grave dont il s’est rendu coupable envers vous.
L’administrateur
204
Gouvernement Général de République Française
L’Afrique Occidentale Française Liberté – Egalité - Fraternité
Sénégal
Bureau Politique
N° 64596 Saint-Louis, le 29 décembre 19___
Analyse : Au sujet du déplacement Le Gouverneur des Colonies,
D’Amadou Bamba Lieutenant-Gouverneur du Sénégal
À Monsieur l’Administrateur du
Cercle de Louga
205
Vous avez eu l’occasion d’attirer mon attention à diverses reprises sur la
difficulté d’assurer à Thièyène une surveillance effective des allées et venues des
talibés et des administrateurs d’Amadou Bamba.
Il m’a paru, d’autre part, que l’isolement dans lequel le marabout se confinait
favorisait son prestige parmi les adeptes de la secte. Enfin, j’ai cru devoir tenir
compte du désir qu’il a lui-même souvent manifesté d’aller vivre dans le Baol. Pour
ces diverses raisons, j’ai décidé, d’accord en cela avec monsieur le Gouverneur
Général, de le déplacer et de le mettre en résidence à N’Diourbel où monsieur
l’administrateur Théveniaut qui l’a connu en Mauritanie pourra plus aisément
s’assurer de la sincérité de son attitude. Je vous prie de vouloir informer Amadou
Bamba de cette décision.
Il demeure d’autre part entendu que si Amadou Bamba demeure libre nous
attendons de lui que ses protestations de dévouement à notre égard ne soient pas
purement platoniques et qu’il en prouve la sincérité en évitant de créer autour de lui
toute agitation intempestive. Je vous prie de l’aviser avant qu’il ne quitte Thièyène
qu’il ne saurait nous donner de meilleurs preuves des excellentes dispositions dont il
se déclare animer à notre égard, qu’en refusant de recevoir, ainsi qu’il en avait pris
l’engagement à Coki en 1907, les visiteurs non munis d’autorisation.
Vous laisserez en outre comprendre à Amadou Bamba qu’au cas où sa
présence à N’Diourbel serait une cause de troubles et de désordre je n’hésiterais pas
à prendre les mesures que me paraîtraient nécessiter les circonstances.
Vous voudriez bien, d’accord avec l’administrateur en chef du Baol, fixer
l’itinéraire qu’il devra suivre et dès que cet itinéraire sera arrêté inviter le serigne à
rejoindre N’Diourbel, sans arrêt et le plus discrètement possible.
Vous aurez à me tenir au courant des dispositions que vous avez prises en vue
du voyage d’Amadou Bamba.
206
Au nom de Dieu, le clément le miséricordieux
Que la bénédiction du ciel soit sur notre prophète et sur sa famille,
Le serviteur de Dieu le très haut salue le Roi des Rois et lui souhaite la grandeur.
Cette lettre a pour but de vous faire savoir que j’ai lu le jeudi 18 de safar (14
mai) l’honorable lettre que vous m’avez écrite et que je suis heureux que vous m’ayez
convoqué lorsque vous avez appris sur mon compte des calomnies auxquelles vous
ne voulez pas croire avant de m’interroger.
Après la lecture de cette lettre je suis sorti de chez moi au soir, mais ayant
marché quelques temps j’ai ressenti une faiblesse que je ne puis définir et qui ne m’a
pas permis de continuer à marcher ni à pieds ni à cheval. J’en suis très étonné.
207
Depuis mon arrivée au Gabon jusqu’à mon retour sur cette terre-ci, ma santé
s’est altérée ; durant ces 7 ans et ½ de Gabon je ne me suis pas déplacé à pied, je ne
me suis pas déplacé à cheval, je n’ai voyagé qu’en vapeur. Je sus resté dans ma
chambre sans en sortir. Aussi est-ce pour cela que j’ai mis deux mois pour aller de St-
Louis chez moi.
Lorsque je marche un peu ou que je monte un peu à cheval je suis malade
longtemps, cela je le cache aux gens.
Ainsi me sentant incapable de venir vous ces jours-ci, je vous envoie ceux-là
qui ont ma confiance : mon frère cheikh Anta et le fils de mon oncle maternel
M’Backé Bousso. Tous deux sont mes mandataires en tout. Et s’il vous plait de les
reconnaître pour tels ce que vous leur direz, vous me l’aurez dit, ce que vous
déciderez avec eux, vous l’aurez décidé avec moi, et s’il plait à Dieu, le jour où je serai
remis de ma faiblesse je viendrai vous voir.
Si cependant vous ne voulez voir à faire qu’à moi, en ce moment, renvoyez les
moi et augmentez le délai que vous m’avez donné suffisamment pour que je puisse
venir, dussé-je même mourir en route.
Tout ce que vous avez appris de ces calomniateurs qui ne cherchent la vie que
dans la calomnie et l’imposture est faux, j’en jure par Dieu, oh Seigneur !
Peut-être arriverez-vous à voir à leur figure qu’ils mentent, car les Rois ont
l’intelligence nécessaire pour discerner la vérité du mensonge.
J’en jure par Dieu que j’aurais été désireux que ma santé me permit de venir à
vous dans le délai que vous m’avez fixé par votre lettre afin de vous prouver ces
mensonges.
A cause de ma faiblesse, je vous écris cette lettre et je vous dépêche ces
envoyés.
On dit que l’administrateur de Thiès m’a fait appeler que j’ai refusé de
répondre à sa convocation. C’est un mensonge. Jusqu’à présent je n’ai vu ni envoyé,
ni lettre de lui. Informez-vous auprès de lui je vous prie.
Comment aurais-je pu faire une semblable chose moi qui ai appris auprès d’un
maître qui l’a appris de son maître qui le tient d’autres maîtres les paroles du
prophète qui recommande de respecter le chef du pays où l’on vit et qui proclame
que celui-là fait une chose défendue qui n’observe pas cette façon de se conduire.
Je ne m’élèverai donc pas contre la volonté d’un chef tant que j’aurai mon
esprit.
208
C’est M’Bakhane qui m’a fait appeler par un envoyé. Son envoyé est arrivé
auprès de moi au coucher du soleil. Je le priai de m’accorder jusqu’au matin pour
partir ; il me dépêcha de nouveau gens auxquels il dit qu’il fallait que je me misse en
route sur le champ ; je me levai et partis au milieu de la nuit, cela est exact.
Les gens qui sont venus autour de moi sont administrés. Vous pouvez leur
interdire de rester autour de moi si cela vous plait ; cela n’est pas mon affaire ; je n’ai
pas besoin d’eux ; ce n’est pas moi qui les ai appelés ; je n’ai besoin que d’un lieu où
je puisse adorer Dieu et honorer son prophète. Ce qui reste de mes explications je l’ai
confié à mes envoyés. Le salut soit sur ceux qui sont justes.
Ecrit dans la nuit du vendredi 17 de Safar (vendredi 15 mai) de l’année 1321 de
l’hégire. Amadou Bamba que Dieu soit pour lui !
Pour traduction conforme Souleymane Sieck.
210
Sans recourir à des exemples, les actes individuels sur des points isolés sont les
seuls que nous puisons avoir à redouter. Ils sont d’autant plus dangereux qu’il est
pour ainsi dire impossible de les prévoir dans la plupart des cas, donc de s’en
prémunir. Aussi diminuer les chances de les faire naître, constitue une sage
précaution contre laquelle personne ne saurait s’étonner, les serignes les premiers,
fixés mieux que quiconque sur les effets de leurs pratiques extatiques. Peuvent faire
exception, les agents d’affaires se mouvant dans le village des puissances d’argent.
De ceux-là, il est facile de déjouer les manœuvres intéressées d’ailleurs il est probable
que le nerf de la guerre tombera avec cheikh Anta, c’est le premier objectif à
atteindre.
Quant à la masse, pour répondre aux préoccupations de M. le Gouverneur
Général p.i , je la crois incapable d’une action d’ensemble. Vous savez qu’en pays
musulman, aucun soulèvement spontané n’est à redouter.
Les actes collectifs en nombre ne se produisent qu’après de longs pourparlers
entre marabouts et chefs de guerre. Or, au Sénégal, il n’y a plus de chef de guerre
dissident susceptible de conduire un mouvement sous l’égide de l’Islam. De plus,
dans ce pays où tout se sait, les éléments sains de la population attachés au régime
actuel par les liens de l’intérêt matériel auraient tôt fait de signaler les velléités
d’indépendance des marabouts mourites pour la plupart cordialement détestés. De
ce côté, les dévouements ne nous feront pas défaut.
En résumé, Monsieur le Gouverneur, je puis vous donner les assurances que
l’application des mesures de surveillance et de contrôle que vous avez proposées à
M. le Gouverneur Général p.i à l’égard d’Amadou Bamba, n’entraîneront aucune
complication d’ordre politique ou religieux. Soyez bien persuadé que nous ferons le
nécessaire pour les faire accepter à titre de précautions utiles à la tranquillité général
et en ayant soin d’éviter tout conflit. Mais pour qu’elles aient leur plein et entier
effet, il m’apparaît nécessaire de ne les appliquer que comme corollaire de celles qu’il
y a lieu de prendre d’urgence contre cheikh Anta.
Ces premières mesures devront être suivies de la mise en œuvre à brève
échéance d’un programme d’action d’ensemble dans tous les cercles intéressés. Si
vous voulez bien m’y autoriser, je vous en soumettrai l’ébauche à ma prochaine
communication.
Théveniaut.
Je n’ai pas encore de renseignements sur le rôle dans ces négociations de
Cheikh Anta, également signalé comme ayant fait faire des quêtes chez les mourides.
D’ailleurs je crois devoir observer une extrême discrétion dans la recherche de
renseignements d’une nature aussi délicate.
211
Le Chef du bureau politique.
212
II- CONTRIBUTIONS DIVERSES
Introduction
Le 18 du mois musulman de Safar (deuxième mois du calendrier musulman) est le
jour anniversaire de l’exil forcé du Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la voie
mouride dont le fief traditionnel se trouve à Touba au centre ouest du Sénégal. Cette
année, la célébration se fera au jour grégorien du 8 novembre 2017 et correspond à
la 123ème édition du Magal (de Touba). Le terme wolof de Magal trouve son
213
explication à deux niveaux : le terme au plan purement linguistique veut dire
magnifier, valoriser, exalter, etc. ; au plan du jargon religieux islamique, les
connaisseurs de la biographie et de la voie ou de la pensée du Cheikh nous disent
qu’il a voulu éviter toute confusion ou identification de cette célébration avec la fête
du sacrifice (Tabaski). Selon la tradition orale, dès les premiers sacrifices de bêtes
milieu de matinée en guise de reconnaissance envers Dieu comme l’avait souhaité le
Cheikh, il se disait dans au sein des masses mourides qu’il s’agissait d’une seconde
fête de Tabaski. Le Cheikh rejeta avec insistance toute velléité d’assimilation du
Magal à l’Aïd al Kabîr montrant par la même occasion, un fort souci de l’orthodoxie.
Dans les lignes qui suivent, le but est de proposer un autre regard sur la
commémoration du Magal (de Touba) par le truchement d’une approche
comparatiste entre trois événements : l’Exode, la sortie des fils d’Israël d’Egypte sous
la conduite de Moise ; l’Hégire qui correspond à la sortie de la Mecque du Prophète
Muhammad (saws) vers Yathrib future Médine ; et le Magal (de Touba) qui célèbre
l’exil forcé du Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké au Gabon. En effet, nous soutenons la
thèse selon laquelle, malgré les statuts, les contextes, les époques et les lieux
différents où les trois événements susmentionnés se sont passés, ils participent tous
d’une même chose : la défense et la diffusion de l’appel à l’islam adressé à toute
l’humanité aux fins de son bonheur ici-bas et de son salut dans l’au-delà. La brève
approche comparatiste va se limiter à jeter un regard sur le contexte, le déroulement,
ainsi que quelques enseignements y afférents.
L’exode : contexte, déroulement et enseignements
Le contexte et ses caractéristiques principales
Dans notre contribution « Aux origines d’Achoura », nous avions mentionné la
réponse de la communauté juive de Médine à la question du prophète (saws) sur la
raison de leur jeûne : « C’est un jour béni. C’est le jour au cours duquel Dieu sauva les
enfants d’Israël de leur ennemi, raison pour laquelle Moïse le jeûna. Le Prophète, que
la Paix et la Bénédiction de Dieu soient sur lui, dit alors : Je suis plus digne de me
réclamer de Moïse que vous. Il le jeûna alors et ordonna de le jeûner. » (Boukhari et
Mouslim
Cette réponse n’est pas loin de ce que disent les références de la Bible sur le
justificatif de de de la commémoration du Pessa’h : « Le sang sera pour vous un signe
sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous
échapperez au fléau destructeur lorsque je frapperai le pays d'Egypte. Ce jour-là, vous
en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé, dans vos générations
vous la fêterez, c'est un décret perpétuel. » (Exode 12, 13 - Bible de Jérusalem)
Quelques différences mises de côté pour ne pas alourdir le texte, l’Ancien testament
et le Coran mentionnent les épreuves (« plaies » selon le terme de la Bible) que Dieu
214
fait subir au Pharaon de l’époque et à son peuple aux fins de la libération des fils
d’Israël sous la conduite du prophète Moïse (Mûsâ, paix sur lui) : « L'Éternel dit à
Moïse: Va vers Pharaon, et tu lui diras: Ainsi parle l'Éternel, le Dieu des Hébreux:
Laisse aller mon peuple, afin qu'il me serve » (Exode, 9. 9.1)
Quand on examine en détail le récit du Coran sur l’exode (terme que la Bible donne à
la sortie de l’Egypte des fils d’Israël sous la conduite de Moïse assisté de son frère
Hârûn « Aaron »), on peut en comprendre ceci : le « plan » de Dieu consistait à
rendre autonome le peuple qui pouvait servir de témoin à l’Alliance qu’Il avait établie
avec le patriarche Abraham sur la base de la foi exclusive en Lui et de l’observance de
Ses commandements, donc l’islam. Seul les fils d’Israël légataires de cette Alliance
étaient potentiellement à même de jouer ce rôle. Voici des versets incontournables à
ce sujet : « Et c’est ce qu’Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : «Ô
mes fils, certes Allah qui a choisi pour vous cette religion : ne mourrez point, donc, que
vous ne soyez entièrement soumis (muslimûn) !» (à Allah). Etiez-vous témoins quand
Jacob, à l’article de la mort, eut dit à ses fils : «Qu’adorerez-vous après moi?» - Ils
répondirent : «Nous adorerons ton Dieu et le Dieu de tes pères, Abraham, Ismaël et
Isaac, un Dieu unique auquel nous sommes entièrement soumis » (Coran 2 : 132-133)
Il se trouve que le contexte politique, religieux et social était tel que les fils d’Israël
n’étaient pas dans des dispositions appropriées à cette fin. En effet, après que l’un
des leurs plus illustres membres, Joseph, eut à accéder à une fonction au plus haut
niveau du pouvoir au temps des rois, les fils d’Israël furent soumis à un régime
d’esclavage et de servitude qui a duré au moins quatre siècles. Le Coran mentionne
plusieurs fois cet état de fait qui était bien entendu une contrainte insurmontable de
la seule capacité des fils d’Israël. L’intervention de Dieu devenait nécessaire pour
soustraire les fils d’Israël au joug du Pharaon de l’époque, peut être Ramsès II ou son
successeur Mérenptah. Cela impliquait la chute voire l’effondrement du pouvoir
copte en place. D’autres conditions devaient être réunies, à savoir : un leader qui va
d’abord essayer de convaincre Pharaon à croire en Dieu, et le cas échéant d’adhérer à
la mission de ce dernier ; au cas contraire, donner les moyens à ce leader, d’affronter
le pouvoir du Pharaon et de faire libérer les fils d’Israël.
Ce leader ne sera pas un homme ordinaire, cela se comprend, mais le prophète
Moïse aidé de son frère Aaron. Mais à qui et à quoi Moïse devra-il faire face ? Le
Coran donne suffisamment d’éléments qui permettent de caractériser avec précision
le contexte religieux, politique et social comme suit : un pharaon qui se proclame
divinité ; qui rejette l’existence d’un prophète humain ; qui donne aux magiciens une
place importante dans sa cour ; qui concentre tous les pouvoirs avec un rôle
déterminant pour son conseiller-propagandiste Hâmân et sa puissante armée ; qui
recours de temps à autres au génocide ciblant les enfants mâles des israélites et
maintient ce peuple dans la discrimination et les pires formes de corvées.
215
Lorsque ce Pharaon a vent de la naissance prochaine d’un enfant mâle parmi les fils
d’Israël, il planifie un génocide de leurs enfants duquel par intervention divine,
Moise (sauvé des eaux en hébreux) échappera.
Etapes-clés de l’Exode
En partance vers l’Egypte depuis son exil d’au moins 10 ans à Madyan, Moïse se perd
en cours de route. La fraicheur commençant à faire ses effets, Moise essaie de
trouver du feu. A cette fin, il s’isole ou est isolé de sa famille et fait face à un feu qui
semble s’auto-entretenir. Là, Moïse entend « directement » la voie de Dieu qui se
« présente » à lui comme le Dieu unique, et lui commande de n’adorer que Lui
notamment par la Salât. Ensuite, Dieu fait la situation de référence avec Moise qui n’a
« que ses mains et son bâton de pasteur ». Il dote le bâton et la main de Moïse de
capacités nouvelles et suprahumaines qui vont lui servir de moyens de lutte contre
les stratagèmes de Pharaon et aussi pour relever des défis dont il ne soupçonne pas
encore la nature ni l’ampleur.
Lorsque Moïse arrive en Egypte, il prend le temps d’inviter Pharaon et son entourage
à la foi au Dieu unique, maitre des mondes et de le sensibiliser à la mission qui lui est
dévolue, à savoir : laisser partir les fils d’Israël. Le Coran donne encore suffisamment
d’éléments qui permettent de comprendre la stratégie de défense de Pharaon et de
son entourage : au tout début, en posant des questions, il fait semblant de
s’intéresser à ce que dit Moïse tout en pensant que celui-ci sera incapable d’y
répondre de façon cohérente ; il rejette en bloc la foi en un Dieu unique (le Coran
mentionne que c’est par orgueil) et « rappelle » au peuple qu’il ne lui connait qu’un
seul dieu, lui ! Il diabolise et tiens en dérision Moïse en faisant croire que celui-ci est
un fauteur de troubles et qu’il ne peut être envoyé de Dieu vu qu’il s’exprime
difficilement (Moïse bégayait, raison pour laquelle il avait sollicité de Dieu qu’il fasse
de son frère son asssistant ) ; il est galvanisé par son entourage notamment Hâmâm ;
il demande à ses magiciens de faire peur et de ridiculiser Moïse en public ; lui et son
peuple demandent à Moïse de supplier Dieu de les délivrer des épreuves (les plaies)
tout en revenant à leur attitude de mécréance dès que celles-ci s’arrêtent ; il se
décide finalement à assassiner Moïse et à ordonner un génocide des enfants mâles
des fils d’Israël.
Moïse invite les fils d’Israël à s’armer de patience et de prière. Et quand il reçoit le
commandement divin de quitter l’Egypte nuitamment, il informe les fils d’Israël et
quelques coptes du peuple de Pharaon qui ont cru en lui. En plein jour, Moïse, Aaron
et les fils d’Israël arrivent devant la mer et quand ils se retournent, c’est pour se
rendre compte qu’ils vont être rattrapés bientôt par Pharaon et son armée. Les fils
d’Israël crient leur désarroi « nous serons rattrapés ! » à quoi Moise répond « Mon
seigneur est avec moi et il me donnera une issue » Et voilà que Dieu lui dit de frapper
la mer avec son bâton lequel était auparavant si ordinaire, avant le face à face avec le
216
feu entre Madyan et l’Egypte. Au coup de bâton, la mer réagit en se scindant en deux
gigantesques flots comme des montagnes suspendues. Moïse, Aaron et les fils et tous
ses compagnons du premier au dernier traversent à sec. Poussés par l’orgueil et
l’envie de massacrer ce peuple qui avait l’audace de quitter la terre d’Egypte sans sa
permission, Pharaon et ses troupes s’engouffrent et sont tous engloutis sauf que
Pharaon clame une parole de foi au Dieu des fils d’Israël par peur et opportunisme.
Dieu rejette cette dernière tentative de subversion de Pharaon et commande à la mer
de rejeter son corps pour qu’il serve de signe aux générations qui vont suivre.
De l’autre côté de la mer, Moïse et Aaron vont faire face à des fils d’Israël oublieux de
la situation de servitude dans laquelle ils étaient avant l’exode, à savoir manger pour
travailler au service de Pharaon et de son peuple. Malgré la liberté recouvrée au prix
qu’ils connaissent, les fils d’Israël regrettent rapidement les « plats » d’Egypte au lieu
de voir que ce qu’ils mangeaient leur venait directement de Dieu. Ne voulant plus
adorer un Dieu qu’ils ne voient pas, ils tombent dans l’idolâtrie, par imitation d’un
peuple du désert qui adorait des statues. De plus, ils commettent à maintes reprises
et sous différentes formes des fautes qui sont autant de transgression de l’Alliance.
Après 40 ans d’errance dans le désert et de purification des âmes par le repentir,
Moïse et Aaron meurent sans entrer dans la terre de Palestine. Mais avant, Moïse
aura reçu toute la Tawrât qui devait servir de Loi aux fils d’Israël.
Enseignements-clés de l’Exode
Dieu réussit toujours ce qu’il veut comme Il le veut et quand Il le veut ;
Moise et Aaron ont accompli leurs missions avec abnégation et souffrance vu le
comportement du peuple ;
Dieu ne leur a pas accordés le bonheur de fouler la terre de Palestine ;
Leur mission a été continuée par Josué, Saul le premier roi, puis David et son fils
Salomon les rois-prophètes qui ont gouverné avec la guidance de la Tawrât ;
Après Salomon survient le déclin par rupture de l’Alliance et la perte de l’autonomie
politico religieuse qui permettait aux fils d’Israël de porter le message de l’islam ;
L’Hégire : contexte, déroulement et enseignements
Le contexte et ses caractéristiques principales
Pour faire court, disons que les musulmans considèrent que Muhammad (SAWS) est
le continuateur de Moïse (paix sur lui) et que les fils d’Israël n’ont pas respecté les
termes de l’Alliance, ce qui a conduit son basculement de la lignée d’Isaac à celle
d’Ismaël. C’est cela qui explique la réclamation du legs de Moïse de la part du
prophète « Je suis plus digne de me réclamer de Moïse que vous. » D’ailleurs le Coran
fait remonter cette réclamation jusqu’à Abraham : « Certes les hommes les plus
217
dignes de se réclamer d’Abraham, sont ceux qui l’ont suivi, ainsi que ce Prophète-ci, et
ceux qui ont cru. Et Allah est l’allié des croyants » (Coran 3 : 68). C’est Jésus qui est le
signe de ce basculement par sa naissance, sans père, d’une jeune fille intégralement
vierge et pure, Marie. Cette question sera, plaise à Dieu, discutée plus en détails
ailleurs.
C’est en 622 du calendrier grégorien que s’est déroulé ce que l’histoire a retenu sous
le vocable d’Hégire. Ce mot arabe francisé vient du verbe hâjara (émigrer). Donc, au
moins 15 siècle après l’Exode, voici que le prophète Muhammad (saws) fait face
depuis une dizaine d’années à l’hostilité des notables mecquois qui rejettent son
message et se montrent de plus en plus agressifs à son encontre comme à celui des
premiers adhérents à l’islam. Lui et ses compagnons font face à un boycott socio-
économique d’environ 3 ans. Après 5 années d’appel à l’islam, le prophète suggère à
certains, 11 hommes et 4 femmes, dont ‘Uthmân qui sera plus tard le 4 e calife des
musulmans d’aller se réfugier en terre africaine d’Abyssinie où « se trouve un roi
juste auprès de qui personne n’est opprimée…. » En l’an 7 de l’appel à l’islam, une
seconde vague de musulmans émigre vers l’Abyssinie. Alors qu’en terre arabe
notamment à Taif, où le prophète pense pouvoir trouver un soutien, c’est la grande
déception : il est rejeté violemment. Certains de ses compagnons connaissent le
martyr, le premier en la personne d’une femme du nom de Soumayyah. D’autres sont
torturés comme Bilal d’origine éthiopienne, qui malgré son statut d’esclave, proclame
la célèbre expression : « ahadoun ahad » (Un seul Dieu, un seul !)
A cette époque, la Mecque était dirigée par un collège de notables et la société
marquée par l’appartenance tribale. Coté religion, voici les principales croyances en
vigueur : un polythéisme mais plus exactement un hénothéisme au sens où
l’existence d’un Dieu suprême est reconnue mais vu qu’il est considéré « trop
transcendant », il Lui fallait des intermédiaires auxquels les hommes vouent un culte
(sacrifices, vœux, invocations, etc.) pour S’en approcher ; le phénomène prophétique
est nié, Dieu n’a pas envoyé de prophètes et s’Il voulait le faire, ce ne serait pas un
être humain (au sens du genre) si insignifiant ; la résurrection des morts était aussi
rejetée, quand les corps se décomposeront, rien ne passera après. Coté société, c’est
le patriarcat qui dominait et les femmes n’étaient pas sujet de droit. Le déni de leur
dignité pouvait aller jusqu’à l’infanticide ciblant les filles que mentionne le Coran. Il
existait la classe des hommes libres et celles des esclaves et des femmes. Les
principales activités économiques étaient le commerce marqué par la pratique de
l’usure, et la garde de la Kaaba avec les retombées qui en découlaient en termes de
prestige et de bonification de l’économie locale.
Après la quarantaine révolue, Muhammad ibn abdillah qui appartenait à la respectée
tribu des quraychites et connu pour sa probité légendaire, d’où son surnom de « al
amîn » reçut la visite de l’ange Jibrîl (Gabriel) au mont Hira. Il est illettré et n’a jamais
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écrit ou cité un écrit de sa vie. La plus part des gens de son peuple sont illettrés, le
Coran les appelle « Umiyyîn », et « perdus » dans cette vaste Arabie sans contact avec
la révélation divine depuis leur lointain ancêtre Ismaël, fils aîné d’Abraham. Ce temps
d’absence de révélation est appelée « Jahiliyah » par le Coran. Là aussi comme dans
le cas de Moïse, il est en contact intime avec la révélation mais cette fois-ci par
l’intermédiaire de l’ange, loin de sa famille et de tout le monde.
Depuis cet instant, le prophète Muhammad (saws) est investi d’une mission
prophétique laquelle exige qu’il transmette le couronnement du message de l’islam.
Le Coran a commencé à lui être révélé par fragments sans qu’il n’ait aucun contrôle
du phénomène de la révélation. Le Coran lui prescrit de s’armer de prière notamment
nocturne et de patience. Les versets et sourates révélés dans les 13 premières années
donc pré-hégiriennes abordent surtout les thèmes de la foi, des récits sur les
prophètes et leurs compagnons mais aussi leurs ennemis et autres détracteurs, la
résurrection et la rétribution en salut pour les croyants et damnation pour les
mécréants, et la patience.
Après environ trois ans d’appel fait dans la « clandestinité » auprès de la famille
proche et des personnes de confiance, le prophète (saws) reçoit le commandement
divin de passer à une prédication publique. C’est quand il applique cette injonction
que tous les mecquois entendent sa voix partout dans la localité. Il parle à tout un
chacun, le résident ordinaire de la Mecque comme le pèlerin, hommes et femmes,
dans les marchés, etc.
Les adhésions commencent à prendre de l’ampleur même si c’est encore une forte
minorité qui est concernée parmi les notables, les femmes, les esclaves, les jeunes, et
les « naturalisés » mecquois. Après la levée du boycott socio-économique, le décès de
son épouse qui était à ses côtés, de son soutien traditionnel Abdul Mutallib, le rejet
des gens de Taif, le départ à l’exil en Abyssinie de quelques musulmans de la
première heure, il se produit le voyage nocturne et l’ascension céleste (al isrâ wal mi
‘râj). Il est reçu par Dieu au-delà du jujubier du lotus que l’ange ne pouvait franchir et
eut un « entretien » de proximité dont eux deux seuls connaissent les secrets et
revient avec le commandement de la prière.
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Durant les 13 ans de l’appel islamique à la Mecque, le prophète Muhammad (saws)
sera confronté à toutes sortes de stratagèmes de la part des notables mecquois
surtout mais aussi des chefs chrétiens et juifs qui l’assaillent de questions impossibles
à répondre si on n’est pas un envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. Dieu ne
l’abandonne pas seul face à ses détracteurs. C’est le Coran qui le guide, le raffermit et
le rectifie au besoin. D’ailleurs, les détracteurs de l’appel islamique sont tellement
gênés par les échecs de leurs plans maléfiques qu’ils réclament que le Coran soit
révélé d’un seul trait : « Et ceux qui ne croient pas disent : "Pourquoi n’a-t-on pas fait
descendre sur lui le Coran en une seule fois ?" Nous l’avons révélé ainsi pour raffermir
ton cœur. Et Nous l’avons récité soigneusement. Ils ne t’apporteront aucune parabole,
sans que Nous ne t’apportions la vérité avec la meilleure interprétation.» (Coran 25 :
32-33)
Quelque part, en demandant une descente de l’ensemble du Coran en lieu et place
de fragments étalés dans le temps, les opposants à l’appel islamique reconnaissaient
implicitement que ce n’était pas le prophète (saws) qui assurait sa propre défense ni
n’était capable humainement parlant de déjouer tout ce qu’ils fomentaient. Les
ennemis de l’appel islamique savent que le coup décisif et fatal qu’ils pouvaient
assener à son porteur, Muhammad (saws) était de faire en sorte que le peuple
mecquois soit convaincu que ce dernier n’était pas du tout un prophète. Pour y
arriver, il fallait indispensablement diaboliser la personne de Muhammad (saws).
Les ennemis de l’appel islamique ne peuvent enlever le surnom de « al amîn » que les
mecquois avaient donné à Muhammad ibn ‘abdillah au risque de se ridiculiser. Alors,
ils vont s’attaquer à ce qu’on aurait appelé de nos jours la « santé mentale » de
Muhammad par des attitudes et propos de diabolisation. Alors s’accumulent et se
contredisent les accusations que le Coran mentionne en y répondant : il est possédé
par des jinns (majnûn) et tout ce qu’il dit relève de délires ; c’est un menteur qui
invente et l’attribue à Dieu ; c’est un fou qui divague et ce qu’il dit est truffé
d’incohérences ; c’est un poète d’une éloquence étonnante pas plus ; c’est un
conteur qui ne fait que raconter des légendes et autres histoires anciennes ; ce qu’il
dit lui est dicté par une tiers personne.
Etapes clés de l’Hégire
Deux événements vont être décisifs dans le déclenchement de l’Hégire du prophète
et des premiers musulmans : les deux serments d’allégeance avec des gens venus de
Yathrib future Médine ; et la réunion de la « solution finale » tenue en secret par le
collège des notables mecquois. En effet, en l’an 12 depuis le début de l’appel à
l’islam, une dizaine de gens de Yathrib dont font allégeance au prophète Muhammad
(saws) de croire en lui et en son message, de le soutenir corps, âmes et bien pour le
succès de sa mission et de l’accueillir dans leur ville. C’est le premier serment d’al
‘aqabah. Le prophète (saws) envoie un jeune d’une vingtaine d’années du nom de
220
Mus ‘ab ibn ‘umayr pour être le premier instructeur et prédicateur dans cette localité
située à environ 700 km de la Mecque. L’année suivante, ce sont plus de 70 résidents
de Yathrib qui vont s’engager dans un deuxième serment d’al ‘aqabah.
Le prophète (saws) instruit les musulmans de commencer à rejoindre Yathrib comme
ils peuvent. Lui-même n’avait pas encore reçu le commandement de partir et cette
décision ne lui appartenait pas. Abu Bakr le véridique qui avait pris toutes les
dispositions pour le jour H comme Hégire semblait s’impatienter n’ayant plus aucun
espoir pour le succès de l’islam à la Mecque. Mais à chaque fois qu’il interpelait le
prophète sur le sujet, en faisant montre de tout son espoir d’être son compagnon de
route, celui-ci lui répondait : sois patient, je n’ai pas encore reçu l’autorisation de le
faire. Cela rappelle le cas de Moïse qui ne quitte que lorsqu’il en reçoit l’ordre de Dieu
de le faire nuitamment.
La réunion de la « solution finale » susmentionnée sera une étape clé dans la divine
décision d’autoriser le départ du prophète vers Yathrib. Ce dernier reçoit l’ordre de
quitter la Mecque en cette année 622, après 13 ans de prédication. C’est le Coran lui-
même qui rapporte les trois options mises sur la table par le collège des notables
mecquois : « Et lorsque les mécréants conspiraient contre toi pour te capturer, ou
t’assassiner ou t’exiler. Ils fomentèrent un complot mais Allah déjoua, car Allah
surpasse tous les conspirateurs » (Coran 8 : 30)
L’option « exil forcé » était compliquée car supposant un retour du concerné dans
des conditions que le collège ne pouvait prédire. L’option « résidence surveillée » de
même, car il fallait s’attendre à ce que, par un sursaut d’orgueil clanique, la
délivrance du prophète en tant que membre soit réclamée. Et enfin, l’option
« assassinat » dont la tradition nous dit qu’elle a été suggérée par Satan sous la forme
d’un vieux « sage » semblait la moins risquée et la plus gérable.
Averti de la réunion et ayant reçu l’ordre de partir, le prophète (saws) en informe
deux personnes importantes de son entourage : Son cousin et gendre Ali, et son ami
de tout temps et fidèle compagnon Abu Bakr. Au premier, il demande de prendre sa
place sur son lit au soir où le collège avait mandaté un jeune de chacune des 12
tribus ???? pour commettre le meurtre prémédité et partager la « responsabilité du
sang ». Au second, il dit que c’était le moment de partir. Dans les péripéties de la
route vers Yathrib, intervient le miracle de la grotte près de laquelle passent les
mecquois poursuivants sans trouver le besoin d’y pénétrer. Abu Bakr avait tellement
senti le danger tellement les ennemis étaient proches de la grotte qu’il s’en ouvrit au
prophète qui le consola. C’est cet épisode parmi les plus déterminants de l’hégire que
le Coran rapporte en ces termes : « Ils étaient alors dans la grotte, et, lui, disait à son
compagnon : « Ne t’afflige point, car Allah est vraiment avec nous ! » (Coran 9 : 40)
Le lecteur du Coran remarquera la similarité avec le cri de détresse des compagnons
de Moïse et la réponse qu’il donna.
221
Ici, l’inquiétude de Abu Bakr représente celle de tous les musulmans de la première
heure mais est profondément soulagé par la parole résolue du prophète (saws) :
« Dieu est vraiment avec nous »
Le prophète (saws) reçoit un accueil chaleureux et populaire à son arrivée à Yathrib.
D’une contrée arabe ordinaire, Yatrib devient « madînatur rasûl » la ville du prophète
(saws). Il devient la première autorité de la ville et pose des actes décisifs pour le
succès de l’islam et des musulmans, à savoir : la rédaction d’une charte pour le bon
vivre ensemble basée sur la solidarité, la responsabilité commune en matière de
sécurité, et la liberté de religion ; l’édification d’une mosquée et d’un marché ; la
fraternisation et le jumelage entre émigrés mecquois et auxiliaires médinois ; des
travaux d’assainissement et autres.
Toutefois, le prophète (saws) sera confronté aux ennemis de l’intérieur en
l’occurrence les hypocrites qui font le choix de « la ligne de masse. » Il s’agissait
d’arabes médinois qui avaient embrassé l’islam par pur opportunisme et pour mieux
fomenter chaque fois que l’occasion se présentait, des situations de crise à Médine.
Ils ne se privaient pas aussi de donner des informations stratégiques aux ennemis du
dehors notamment les mecquois. Les autres ennemis étaient les juifs non convertis
de Médine qui ont tout fait pour rendre Médine ingouvernable et pour jouer aux
détracteurs de son statut même de prophète. Puis comme Moise, le prophète (saws)
eut à gérer des problèmes plus ou moins graves de sa propre communauté mais finit
par prendre l’autorité aussi sur la Mecque où se trouvent la Kaaba et qui constitue un
lieu d’une importance capitale pour l’islam depuis Abraham et Ismaël (paix sur eux).
A travers un songe, Dieu fit voir à son messager une victoire pacifique sur la Mecque.
Mais en l’an 6 de l’hégire (628), quand il signe le pacte de paix d’al hudaybiyyah avec
la délégation mecquoise qui lui refusait l’entrée à la Mecque, c’est l’incompréhension
et la colère qui prédominent chez ses compagnons. Peu après, en l’an 10 de l’hégire,
l’entrée (fath) triomphante du prophète (saws) et de ses compagnons à la Mecque
constitue une confirmation concrète de ce songe. C’est à ce sujet que les versets
suivants ont été révélés : « Dieu a confirmé par la vérité le songe de Son messager :
‘Vous entrerez, en toute sécurité, dans la mosquée sacrée par s’il plait à Allah, la tête
rasée ou les cheveux coupés, à l’abri de toute crainte’. Allah savait ce que vous ne
saviez pas et vous a préalablement gratifiés d’une victoire proche » (Coran 48 : 27)
A son décès, en 632, de retour du pèlerinage où il prononça le sermon d’adieu, Dieu
avait donné au prophète Muhammad (saws) et aux musulmans la victoire sur leurs
ennemis et le couronnement du tout fut la révélation du verset sur le parachèvement
de l’islam de tous les temps et aussi de la sourate qui invite à l’humilité :
« Aujourd’hui, J’ai parachevé votre religion, Je vous ai comblé de Ma grâce et J’ai
agréé pour vous l’islam comme religion. » (Coran 5 : 3) ; « Lorsque le secours d’Allah
viendra ainsi que la victoire, et que tu verras les gens entre en foules dans la religion
222
d’Allah, exalte ton Seigneur par la louange et implore Son pardon ! En vérité, Il
accueille volontiers le repentir. » (Coran 10 : 1-3)
223
Certains érudits musulmans sont proches de l’aristocratie locale, le pouvoir des
Thiédos en milieu wolof, et d’autres préfèrent s’en éloigner en menant une vie
austère dans la brousse et d’autres sont en conflits avec eux.
Certains leaders musulmans considèrent légitime de mener un Jihâd (ici lutte armée
s’entend) contre les pouvoirs africains locaux qui pratiquent l’esclavage et aussi pour
faire progresser l’islam au sein des masses. La nécessité de pacifier l’administration
des affaires locales fait que le colonisateur français met en place toute sorte de
stratégies pour arriver à ses fins. Il veut arriver à assimiler les « indigènes » jusqu’à
leur faire accepter que leurs grands-pères étaient des gaulois ; à adapter les terroirs
locaux et leurs ressources aux besoins de l’économie et aux intérêts géostratégiques
notamment militaires de la France ; à civiliser les colonisés par le truchement de
l’humanisme de l’époque et du christianisme.
C’est dans ce contexte que nait Ahmadou Bamba Mbacké en 1853/54 du calendrier
grégorien qui aura une histoire assez particulière avec le pouvoir colonial français.
Ahmadou Bamba va grandir dans une ambiance familiale fortement islamisée. Son
père Momar Anta Sali était un érudit respecté et enseignant réputé. Au décès de ce
dernier, le jeune Ahmadou Bamba qui avait déjà fait montre d’une capacité rare dans
l’apprentissage du Coran et des sciences religieuses prend le relai. Il avait la trentaine
et étonna encore les notables proches de son père en refusant les propositions de se
rapprocher du Damel du Cayor afin de profiter de tous les privilèges liés à la fonction
de Cadi et conseiller que son défunt père assurait. Ahmadou Bamba qui avait de tout
temps eu des réserves sur la pertinence d’une telle fonction répondit ceci : « Penche
vers les portes des rois, m'ont-ils dit, afin d'obtenir des biens qui te suffiraient pour
toujours. DIEU me suffit, ai-je répondu, et je me contente de LUI et rien ne me satisfait
si ce n'est la Religion et la Science. Je ne crains que mon ROI et n'espère qu'en LUI car
c'est LUI, le MAJESTUEUX, qui m'enrichit et me sauve. Comment disposerais-je mes
affaires entre les mains de ceux-là qui ne sont même pas capables de gérer leurs
propres affaires à l'instar des plus démunis ? Et comment la convoitise des richesses
m'inciterait-elle à fréquenter ceux dont les palais sont les jardins de Satan ? Au
contraire, si je suis attristé ou éprouve un quelconque besoin, je n'invoque que le
Propriétaire du Trône [qu'est DIEU]. Car IL Demeure l'Assistant, le Détenteur de la
Puissance Infinie qui crée comme IL veut tout ce qu'IL veut. S'IL veut hâter une affaire,
celle-ci arrivera prestement mais s'IL veut l'ajourner, elle s'attardera un moment. O
toi qui blâmes ! N'exagère pas dans ton dénigrement et cesse de me blâmer ! Car
mon abandon des futilités de cette vie ne m'attriste point... Si mon seul défaut est ma
renonciation aux biens des rois, c'est là un précieux défaut dont je ne rougis point ! »
(www.daaraykamil.com)
Après le décès de son père, Ahmadou Bamba pend en charge l’école où il avait déjà
commencé à enseigner et apporte des changements qui semblent gêner nombre
224
d’anciens. Il veut rompre avec l’apprentissage purement intellectuel pour promouvoir
sa propre vision qui consiste à privilégier l’éducation spirituelle. Il dénonce aussi
certains marabouts qu’il assimile à des charlatans qui apprennent juste pour la
notoriété, et recommande la vigilance dans le choix d’un guide spirituel. Ahmadou
Bamba est passionné de lecture et d’écriture et déjà à la vingtaine, il s’exerce à faire
des commentaires d’ouvrages de grands auteurs soufis tels ????
En 1887/1888, Cheikh Ahmadou Bamba fonde le village de Touba dont le nom arabe
est associé à la félicité et à l’abondance dans le Coran et les hadiths avec l’intention
d’en faire une sorte de ville islamique idéale : « La raison pour laquelle TOUBA et
Darou Salam me sont plus chers que les autres lieux que j'ai édifiés réside dans la
sincérité de l'intention qui m'inspira l'idée de les fonder. Je n'y suis pas venu pour
suivre les traces d'un ancêtre, ni pour chercher un site propice à la culture, ni pour
découvrir un pâturage. Mais uniquement pour adorer DIEU l'Unique, avec Son
Autorisation et Son Agrément » (www.daaraykamil.com)
Dans son œuvre de 1887 « Matlabul fawzayni » (la quête du bonheur des deux
mondes) qui peut être considérée comme le projet de la future ville de Touba, Cheikh
Ahmadou Bamba écrit : « Fait de ma demeure (la ville de Touba) le bastion de
l’obéissance à Allah et du respect de la Sounna de l’envoyé (prière et bénédiction sur
lui) pour toujours, et non le lieu d’innovations blâmables (bida ‘) »
Ahmadou Bamba acquiert progressivement une notoriété qui gêne. En faveur de
cette notoriété il faut noter : l’effondrement un après l’autre des derniers
représentants de l’aristocratie locale, certains sont tués par le pouvoir colonial,
d’autres ont pactisé avec, et d’autres ont été déportés ; la même chose peut être dite
des marabouts de l’époque ; le charisme personnel d’Ahmadou Bamba ; son option
affirmée de ne pas s’allier aux pouvoirs temporels qu’il s’agisse de l’aristocratie locale
ou de l’administration coloniale ; son goût pour la retraite spirituelle ; et les masses
de plus en plus grandes qui lui font allégeance.
C’est ainsi qu’il devenait de plus en plus inévitable que le pouvoir colonial, aucun
autre n’avait les moyens de freiner la marche de Ahmadou Bamba, cherche à stopper
la popularité de ce dernier. Bien évidemment, l’administration coloniale a pensé que
le marabout pouvait être gagné par des velléités de lever des troupes au nom du
Jihâd. Pourtant, Ahmadou Bamba décline sa compréhension du jihâd ainsi : « bil
'ulûmi wa bittuqâ » (par le savoir et la crainte de Dieu). N’empêche que le pouvoir
colonial se méfie de lui et prend l’option certainement bien étudiée par rapport à
d’autres possibles, de l’exiler de force. Quand il est convoqué à la gouvernance de
Saint-Louis en septembre 1895, il clame en plus de ses deux unités (rakas) des propos
du genre : Je n’ai qu’un seul Seigneur auquel je me soumets exclusivement, Allah, le
maitre du monde. Le pouvoir colonial interprète ces propos comme une posture de
défiance et décide de sa déportation au Gabon de I895 à 1902. La déportation était
225
une stratégie que les pouvoirs coloniaux français, britannique et portugais mettaient
souvent en œuvre contre tout leadeur religieux, politique ou autre qui pouvait gêner
leur entreprise de domination.
Le départ en exil
A son retour du Gabon en 1902, la ruée des masses vers lui inquiète à nouveau
l’administration coloniale, preuve que celle-ci continuent à le considérer comme un
rempart contre l’assimilation et la christianisation du pays. Cette fois-ci, il est exilé
vers un Cheikh de la Mauritanie, certainement que l’idée était de le mettre à
proximité d’un érudit fort respecté qui pourrait le convaincre de ne rien faire contre
les occupants. Des vagues de mourides viennent lui rendre visite durant les quatre
années qu’il passe en Mauritanie (1903-1907). De retour au Sénégal, il est astreint à
résidence à Thiéyène au nord-ouest du pays de 1907 à 1912. Puis, il est transféré et
mis en résidence surveillée à Diourbel au centre ouest du Sénégal à partir de 1912
jusqu’à l’année de son rappel à Dieu en 1927. En tout, pendant 31 ans, Ahmadou
Bamba est privé de liberté.
226
ses proches peuvent amener sa dépouille dans cette cité avec en filigrane, la passion
irréfragable de réaliser le projet de leur Cheikh.
Il a développé des stratégies appropriées sur la base d’une connaissance solide des
dimensions de l’islam et d’une intelligence hors du commun du contexte dans lequel
il vivait ;
La stratégie d’exil forcé et de résidence surveillée que le colonisateur lui a fait subir a
été contre-productive puisque Cheikh Ahmadou Bamba est resté dans la défense de
l’identité islamique jusqu’à son rappel à Dieu ;
Parmi ses enseignements majeurs : Allah seul est puisant et Lui seul est le maitre, une
vie n’est digne d’être vécue que sous le service du sceau des prophètes ; le pardon
accordé aux ennemis pour l’amour du Seigneur, et le rejet de la vengeance, ce qui
rappelle l’attitude du prophète (saws) lors de son entrée triomphale à la Mecque ;
Il a voulu de tout son être édifier Touba et en faire une cité islamique, tout cela
toujours dans une profonde pensée à l’invocation du prophète Abraham pour la
Mecque et aussi pour ce que l’islam porté par le prophète Muhammad (saws) et ses
compagnons a fait pour que Yathrib devienne Médine. Toutefois, dans Sa sagesse
parfaite, Son Omniscience et Sa souveraine volonté, Son seigneur en décida
autrement ;
Le colonisateur français n’a pas pris le risque de laisser le Cheikh mettre en œuvre
son projet de société islamique dans la ville de Touba ;
Depuis son rappel à Dieu, ses successeurs et adeptes font des mains et des pieds pour
perpétrer son enseignement et faire de Touba la cité qu’il a voulue ;
227
Ahmadou Bamba a dit qu’il ne voulait pas être seul à Remercier Dieu de lui avoir fait
subir des épreuves durant lesquelles, il a eu l’opportunité de démontrer qu’il n’avait
pour maitre que Lui, pour référence que le Coran et pour guide que Muhammad
(saws) ;
A notre humble avis, l’esprit du Magal se trouve dans cet état d’esprit ou cette
posture spirituelle qui a fait que Serigne Touba est resté libre dans sa foi musulmane
et qu’il n’a rien renié de son appartenance à l’islam grâce non pas à lui-même mais
plutôt au soutien de Dieu ;
Serigne Touba réclame qu’on lui reconnaisse sa soumission exclusive à Dieu, son
attachement indéfectible au Coran et sa fidélité sans faille à son maitre, le prophète
Muhammad (saws) : « Mon ultime visée est d'être élevé à la dignité de captif de DIEU
et au degré de
Serviteur Par Excellence du Prophète » ;
Le Magal comme rassemblement dans la cité de Touba est une initiative des
successeurs de Serigne Touba, c’est pourquoi nous écrivons « Magal (de Touba). Car,
le Magal en tant que tel n’est pas n’est pas lié comme un cordon ombilical à la ville de
Touba, c’est un acte du cœur qui transcende la notion de territoire. C’est à
l’application du contenu de « Matlabul fawzayni » que l’on doit mesurer la valeur de
Touba et que l’on sera dans la fidélité à la voie de Serigne Touba ;
Pour nous, ce qui est prétendu être Magal doit se vérifier ou s’éprouver par le choix
résolu d’être prêt à tout sacrifier au service de Dieu et de son prophète (saws). C’est
Serigne Touba qui écrit : « c’est en ce 18 safar que je me suis mis au service du
Moukhtar (celui que Dieu a choisi) » ;
228
Nous devons éviter de nous tromper de perspective en sacralisant le Magal (de
Touba), c’est-à-dire en donnant par nous-mêmes une valeur cultuelle intrinsèque au
déplacement vers Touba le 18 Safar car, la tradition orale nous rapporte que le
Cheikh a dit que chacun peut le faire où il se trouve ;
Nous devons éviter de faire du Magal une occasion d’idolâtrer la personne de Serigne
Touba ou d’y introduire quoi que ce soit de contraire à son projet pour cette cité, car
il a imploré Son seigneur de ne point laisser s’y produire des actes de mécréance,
d’idolâtrie, et de pratiques blâmables aussi bien au plan cultuel (bid’ah) que moral.
Voir ce que le Cheikh en dit dans « Matlabul fawzayni » ;
C’est pourquoi on ne peut que se réjouir de ces propos que l’imam de la grande
mosquée de Touba a tenus tout récemment : « Quiconque ignore que Serigne Touba
est le serviteur de Dieu et l’obligé de son prophète ne le connait alors pas du tout »
Conclusion
A travers l’exode, au moins 1000 ans avant J-C, les fils d’Israël sont délivrés du joug
impitoyable du Pharaon de l’époque pour être libre de vouer un culte exclusif à Dieu
et pour être témoins de l’islam. Le peuple libéré rompt à plusieurs reprises les
fondements de l’alliance que Dieu a établie avec leur père Abraham : la foi au Dieu
unique et l’observance de Ses commandements. Dieu donne la victoire à Moise sur le
système de Pharaon vu sa persévérance et sa détermination mais pas l’opportunité
d’accéder à la terre de Palestine mais reçoit toute la Tawrât et l’enseigne comme il se
doit. Ses successeurs auront l’occasion de gouverner sous la guidance de la Tawrât
pendant les règnes de Saul jusqu’à Salomon en passant par David (paix sur eux).
Le prophète Muhammad (saws) vient avec le statut de sceau des prophètes ainsi que
de dépositaire du Coran, le couronnement de la révélation. Il a accompli sa mission
229
intégralement. Suit alors pour tous les temps à venir, l’avènement d’Oulémas, et de
réformateurs (moujaddid) qui vont enseigner la bonne compréhension et la pratique
juste de l’islam.
Le Magal (de Touba) inscrit Cheikh Ahmadou Bamba dans cette continuité. En effet, il
est resté intraitable sur la défense de l’identité islamique en Afrique de l’ouest, et ne
s’est réclamé que de trois vertus fondamentalement : soumission exclusive à Dieu,
attachement à la guidance du Coran et fidélité indéfectible à la Sounna du prophète
Muhammad (saws). Il endure sans appeler à la révolte armée et développe un projet
de cité islamique estampillée « Touba. » Il n’aura pas l’opportunité de réaliser son
projet mais ses successeurs ont à cœur de le faire. Il leur revient de mener à bien ce
qu’on pourrait appeler le dernier vœu de Serigne, à savoir la réalisation d’un projet
de nature islamique à Touba, à la guidance de « matlabul fawzayni » ;
Les leaders de la communauté mouride seraient fidèles au vrai esprit du Magal (de
Touba) en rappelant ce qui dans le Coran, les Hadiths et les enseignements de Cheikh
Ahmadou Bamba, peut nous donner la force de revenir à la foi qui nous protège de
l’idolâtrie, nous fait pratiquer la justice et l’équité, nous rend plus responsables, plus
sensibles à la solidarité, à l’exemplarité, bref plus aptes à lutter de toutes nos forces
contre ce chaos qui est en train de prendre des proportions inquiétantes au Sénégal.
Ce serait dommage qu’on soit englouti avec entre les mains ces trésors que
constituent le Coran, la Sounna du prophète (saws) et l’esprit du Magal.
Fait à Dakar, Safar 1439, novembre 2017
Ahmadou M. Kanté
Imam, écrivain et conférencier
amakante@gmail.com
230
Mame Maharame Mbacké
Mame Sokhna
Mame Mame Thierno
Ahmadou Mbacké
Balla Farimata
Sokhna Awa Niang
Aicha
Bousso Mame
Absa Khadi
Mame Mati Mame Ammar
Mame Khari Mb. Diakhat Ahmadou
Dioosi Mb. Sokhna
Mor é Gourel
Mame Asta Diakhat
Diakhaté
Anta SALI Walo Mb. Mame é
Nagne Mame
Ousmene
Khari Khadi Bineta
Sy
Mame Mbacké Madiakha Diakhat
Serigne Sokhn
Touba Diarra té é a Faty
Bousso
Diakha
té
Serigne Sokhna
Touba El Hadji Mame Mbacké Mame
malick Sy Safiatou Touré Chisa
Niang Diakhaté Touré
Serigne
Serigne Serigne Hadi
Mansour Habib touré
Sy Serigne Sy
Abdou Aziz
Sy
Rapport sur le décès du Cheikh Ahmadou Bamba
19 juillet 1927 (extraits)
……Était susceptibles de créer des dangers et il est bien incontestable que nous
n’avons pas dès lors intérêt à favoriser la diffusion d’une influence qui, aujourd’hui
favorable, pouvait un jour, à la faveur des circonstances nouvelles se retourner contre
nous. Par ailleurs nos principes de tolérance comme notre intérêt immédiat ne nous
permettaient guère de le combattre confiants dans la solidité et la durée de notre
œuvre, nous pouvions espérer qu’Ahmadou Bamba n’était pas éternel et qu’avec lui-
même disparaitrait sinon sa confrérie, du moins l’autorité sans égale et sans partage que
lui valait son prestige personnel et son auréole de sainteté.
Cette échéance inévitable n’était pas cependant sans laisser place à quelques
préoccupations. Après avoir fait élever à Diourbel la belle mosquée que l’on connait,
Ahmadou Bamba avait projeté d’en faire édifier une autre à Touba, son village natal avec
le désir marqué d’être enseveli en ce lieu. Ce désir bien connu avait suscité de vives
inquiétudes de la part du commerce local. Celui-ci sachant combien la présence du
marabout avait contribué à la prospérité de Diourbel, craignait que l’inhumation des
restes mortels du Serigne à Touba n’attirât en ce lieu une bonne partie de ces éléments
de prospérité. Ces craintes pouvaient paraître particulièrement justifiées. Il entre
pleinement dans le plan de ce rapport d’exposer ce qui s’est produit lorsqu’est survenu
cette déchéance du décès d’Ahmadou Bamba. Le marabout s’éteignit sans témoins au
cours de la journée du 19 juillet, à une heure qui n’a pas été déterminée, il fut découvert
étendu sans vie sur le sable d’une case où il aimait se retirer pour ses méditations, par
son fils et héritier de prédilection Mamadou Moustapha, celui-ci garda l’événement
secret et en avertit l’administrateur à la tombée de la nuit.
Des manifestations susceptibles de dégénérer en désordre étaient à redouter de
la part des nombreux disciples plus ou moins fanatiques d’Ahmadou Bamba. Par ailleurs
il était de notoriété publique que celui-ci disposait chez lui mais laissées dans les plus
grands désordres de sommes importantes qui pouvaient éventuellement tenter des
cupidités et être pillées. Pour parer à ces éventualités et bien qu’il fut à peu près
entendu que le Serigne devait être inhumé à Dioubel, l’administrateur jugea prudent de
faire transporter le corps à Touba aussi secrètement que possible et de l’y faire
ensevelir provisoirement on pourrait, pensait-il le ramener à Diourbel plus tard si
l’opportunité se faisait sentir. Mamadou Moustapha fils et Balla Mbacké frère du défunt,
qui tous les deux se partageaient la confiance et les pensées du marabout, ayant été
d’avis de donner suite à la proposition de l’administrateur, elle fut aussitôt mise à
exécution. Le corps parti, toujours du consentement des héritiers les caisses pouvant
contenir des fonds furent transportées à la résidence au vu d’une commission nommée
sur le champ et placées sous scellées.
Au lever du jour, la population apprit ainsi en même temps la mort du Serigne et
son inhumation à Touba.
Il y eut de la surprise et du saisissement, mais il faut constater que les fidèles
firent preuve alors de bon sens leur douleur et leurs lamentation furent parfaites de
calme et de dignité, il y eut certes d’assez nombreux pèlerinages à Touba mais les
mesures appropriées prises pour canaliser ce mouvement furent couronnées d’un plein
succès et aucun désordre ne se produit.
La saison au surplus retenait à leurs travaux des champs la plupart des Mourides
qui jugeaient plus opportun de vaquer…
SEMAINE CULTURELLE DU 1ER AU 7 JUILLET 1979
A PARIS
- :- :- :- :- :- :- :- :- :- :
- :- :- :- :-- :- :- :- :- :- :
- :- :-- :- :- :-- :- :- :- :- :
Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Il éclaire comme la lampe dans le verre
placé dans une niche et dont l’éclat ressemble à celui d’un astre brillant. Cette lumière
venant de l’arbre béni, de cet olivier qui n’est ni de l’orient ni de l’occident, dont l’huile
s’enflamme à la moindre approche du feu et produit des rayons toujours renaissants.
Par elle, il guide ceux qu’il veut. Il offre des paraboles aux hommes pour les
instruire. Sa science est infinie chap. XXIV verset 35-36.
« Oui, et si tout ce qu’il y a d’arbres sur terre devenait plumes et que l’océan avec
sept autres océans réunis serviraient d’encre pour écrire, les paroles de Dieu ne seraient
point épuisées, certes, Dieu est puissant et sage ». Chap. XXXI verset 25.
L’humanité a besoin, plus que jamais, aujourd’hui d’exemples vivants qui exaltent
les esprits et permettent de regarder de plus haut un monde matérialiste, inquiet,
partagé entre la crainte et l’espoir, avec des ambitions démesurées d’hommes ayant
perdu le sens des réalités et qui, sans apprendre à dominer sa passion, à dominé la
nature grâce au développement des sciences et des techniques qui ont modifiés leur vie.
Le monde traverse une crise non seulement spirituelle, nous dit-on, mais
métaphysique.
L’exemple de grands hommes spirituels comme Cheikh Ahmadou Bamba doit,
plus que jamais, être étudié et suivi pour préserver du suicide une humanité à laquelle il
ne manque que la foi.
L’ADOLESCENCE D’UN ETRE HAUTEMENT SPIRITUEL
Comme accablé sous un poids écrasant et mystérieux, presse d’une soif ardente
et d’un désir insatiable, tout comme si on lui avait confié la garde des secrets du ciel et
de la terre. Cheikh Ahmadou Bamba, dès son jeune âge, paraissait tendu, méditatif et
résolu. Un sorte d’extase de nature inconnue le marquait et semblait l’arracher à la
compagnie des hommes.
Toujours modéré et grave, on lui remarquait, parfois, des accès de frénésie et de
profondes méditations accompagnés d’ardeur effervescente (ce qu’on appelle
«Al walahán » chez les súfi). Cet état caractérisait l’aspiration à une élévation spirituelle
privilégiée.Cette soif effrénée de Dieu était, par un secret, déposé au fond de son être
qui le secondait en sollicitant son plein assouvissement. Bien d’autres choses le
distinguaient encore. Il était exceptionnel dans ses désirs, exceptionnel dans ses
préoccupations, dans sa conduite et dans son comportement. Tout son temps était - nuit
et jour- rempli d’activités pieuses. On lui reconnaissait dès cet âge ; lucidité,
détermination, détachement total des biens de ce monde, bref la totalité des qualités
qui sont l’apanage des grands saints, non par acquisition mais très souvent par un don
gracieux du maître des mondes. En un mot, il était un homme de Dieu d’une haute
destinée, devant remplir une mission extraordinaire.
Le « Minháj » d’al-Ghazali avait déjà attiré son attention et, brûlant d’une ardeur
céleste, il se mettait à son application. C’est pour cette raison que l’on peut dire que,
après son père, Ghazali a été son premier initiateur. C’est par ses ouvrages qu’il s’est
familiarisé avec le « súfisme ». C’est bien lui qui lui a tracé le chemin, attirant son
attention sur les difficultés du parcours. « Plus un but est noble et élevé dit Al Ghazali,
plus l’accès en est difficile, le chemin et long et les étapes nombreuses ».
Le Cheikh est sous ce rapport ce qu’on appelle al-« majdúbu sálik » (le privilégié
engagé), sa personnalité s’affirme et s’accroit avec l’âge par ses qualités, ses efforts et sa
détermination.
« Le monde m’a, jadis, accordé ses faveurs et je l’ai vendu à Dieu. Il s’est, alors
détourné de moi, mais je me suis tourné tout de même vers Dieu. Il m’est revenu à
nouveau je lui ai toujours tourné le dos en me dirigeant vers Dieu le Très-Haut et celui-ci
a perpétué mon bonheur ».
Un jour, il pose cette question à ses frères et proches parents, les interrogeant un
à un : m’aimes-tu bien Oh frère un tel ? Ils répondent tous affirmativement.
Vous avez tous raison, répond le Cheikh, mais quand à moi je ne peux rien aimer
si ce n’est Dieu.
En réalité, l’amour de Dieu qui avait rempli son cœur n’y laissait plus de place
pour l’amour d’autre chose. Sa résolution était telle qu’il faisait fi des théories
nébuleuses susceptibles de paralyser l’action et de ralentir la marche vers le but unique.
Il nous dit dans son « Masálik » que même le temps d’une respiration, peut valoir,
passé dans l’adoration, un trésor immense dans l’autre monde. Si le fidèle passe ce
temps à loisir, il subit une perte déjà énorme. Si, par malheur, il le passe dans la
désobéissance, voilà la grande catastrophe.
A cette époque où la prospérité matérielle attirait les notables et même les
hommes de sciences vers la cour des « Damel », « bour » et « tègne » et où les serignes
s’acharnaient avec leur « talibés » aux travaux des champs, l’homme qui devait
passionner son siècle un peu plus tard dans notre pays s’était plongé dans ses retraites
spirituelles, endurant, délibérément, les privations les plus dures en dépit des menaces
terribles de l’autorité française de l’époque.
RETENTISSEMENT :
Son apparition sur scène suscite un étonnement général, voire un
bouleversement. Sa grandeur écrasante, son ascendence sur les masses et le crédit dont
il jouissait auprès de tous inquiétaient aussi bien l’autorité administrative que les
hommes de prestige.
Ce qui était normal puisque que, étant des rares personnes dont l’apparution
semblait un accident au cours de l’histoire. Les milieux d’érudits et de grands adeptes où
il vivait ne revenaient pas de sa stupéfaction. Les esprits se livraient à leur jeu de
conjecture et d’interprétation au sujet de ce surhomme. Ceux qui se sont donné la peine
d’aller le voir seront rendus à l’évidence. Mais les réfractaires se contentèrent d’émettre
à distance, des hypothèses fragiles et gratuites. Néanmoins, la ruée éperdue continuait
vers le grand Cheikh, ce qui n’a pas tardé de porter ombrage au cœur des jaloux parmi
les chefs temporels et de faire parler les envieux. Certes, ce prestige est de nature à
gêner les figures de proue et d’inquiéter l’autorité comme je viens de le signaler,
l’autorité et le conflit aboutit à un exil.
Ce prestige le gênait lui-même plus qu’il ne gênait les envieux et la puissance
coloniale. Il l’expliquait souvent par un exemple disant qu’en ce moment-là il était
comme un notable très considéré dans un pays où sévit une grande famine ; aucun grain
de mil dans ce pays. Cet homme qui avait construit d’énormes et nombreux greniers
attirait l’attention de tous et suscitait leur espoir. Les foules se précipitent dans sa
direction dans l’espoir d’apaiser leur faim. L’homme sait que ses greniers sont vides et il
doit cependant se nourrir et nourrir son pays en cultivant son vaste champ extrêmement
fertile. Il a toutes les dispositions et toutes les chances mais ses compatriotes par leur
ignorance voudrais l’en empêcher, eux qui ne savent pas cultiver. S’il s’échappe et se
livre à la culture, ils sont tous sauvés. S’il n’y réussit pas le bateau chavire avec la
capitaine à bord, ainsi que les passagers.
Par bonheur Dieu a sauvé tous en lui accordant l’accomplissement de cette
grande mission dans son exil où il a eu le temps et la possibilité de donner pleine
satisfaction à son seigneur qui le comble de bien et d’honneur.
Il aurait dit-il lui-même que sans cet exil il serait dommage pour lui-même et pour
tous ceux qui lui ont confié leurs âmes.
Il écrit : « le prééternel m’a arraché de l’ensemble des créatures pour leur faire
savoir que je suis son serviteur élu ». Toute personne, quelle que soit sa valeur serait
mésestimé à côté de lui pour l’élévation de ses qualités et de son « ijtihâd ». Point de lit
pour se coucher ! Car, si moelleux que soit un lit il n’y met que les livres de Coran qu’il
parfume, ensence et honore de son mieux. Il ne reste jamais sans ablution et cependant,
malgré tout il renouvelle ses ablutions avant chaque prière obligatoire ne daignant prier
qu’avec une ablution toute fraîche. Il ne s’assoit jamais si ce n’est la face tournée, vers la
« Kaba » et le nushaf devant lui ____traditionnellement devenus chez lui des actes de
dévotion. Il fait tout avec l’intention de servir Dieu.
Les épreuves les plus terribles, les peines les plus dures se sont déferlées sur lui,
de manière à détruire les montagnes solides, mais il a résisté dignement et noblement,
faisant preuve de longanimité, de satisfaction voire de reconnaissance envers son
Seigneur……le prophète aurait dit : « les personnes les plus durement éprouvées ici-bas
sont les prophètes et ensuite les plus proches d’eux, puis les plus proches et ainsi de
suite……
Décidément, ce revers de la médaille constituait, en réalité, un précieux avantage.
C’est l’occasion qu’il souhaitait pour se consacrer corps et âme au service du Tout-
Puissant.
ANNEXE IV
El-Hadji Falilou M’Backé
KHALIF GENERAL
De la Confrérie Mouride
TOUBA
Touba, le 26 juilet 1948 à Monsieur le
GOUVERNEUR du Sénégal à Saint-
Louis s/c de Monsieur l’Administra-
teur Commandant le Cercle de
Diourbel
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’un événement d’une grande importance
vient de se produire ce jour dimanche 25 juillet 1943.
Une délégation de quatre membres parlant au nom de la Confrérie mouride et qui
est composée de :
MM
Massourang Sourang
Moustapha Fall
Mamadou Khabane M’Backé
Et
Serigne Sar
A provoqué une réunion d’une grande porté politique tenue à Touba. Au cours de
cette réunion, les questions les plus délicates ont été débattues.
Massourang Sourang au nom de la délégation prend la parole et exprieme avec
regrets la division qui existe dans la secte, division qui, dit-il aurait été provoquée par la
manière avec laquelle nous nous comportons : Bassirou, Cheikh et moi. Il décrit la
grandeur et la noblesse de la secte mouride. Il dit combien notre secte a été envié par
les Tidjanias et Khadrias et qu’actuellement nous sommes l’objet de raillerie de leur part.
Cela est surtout navrant pour lui qui habite Saint-Louis où le mouridisme commence à
faire son apparition. Une telle division, déclare-t-il, a semé du désordre parmi les
mourides notamment dans les gros centres où le chômage règne. Il déclare que, si cette
situation persiste, les conséquences en seront néfastes pour la secte. Sollicitant le
concours de tous les cheikhs, il insiste pour que cet état de choses disparaisse et nous
convie particulièrement : Bassirou, Cheikh et moi, à nous tendre mutuellement la main,
afin de pouvoir poursuivre un but commun. Il ajoute qu’en le faisant que chacun de nous
domine ses passions en respectant la promesse formelle qu’il aura faite.
Chacun des membres de la dégégation a pris la parole, en soutenant avec forme
les déclarations de Massourang Sourang. Celui-ci s’excuse d’avoir pris une telle attitude,
mais déclare-t-il qu’il est seulement guidé par le souci de servir et de défendre la cause
du mouridisme.
Bassirou s’élève alors et dit combien les paroles de Massourang Sourang l’ont
touché. Il déclare en susbstance qu’en tant que second de la famille, il est prêt à tout
mettre en œuvre pour que cette situation cesse à la condition qu’on lui fasse confiance.
Il promet de rester mon unique instrument d’exécution. Adoptant une telle attitude, il
croit son rôle joué.
Alors ce fut mon tour de prendre la parole et de dire à Bassirou et à Cheikh ce qui
suit :
« Toi Bassirou, tu es mon vizir. Après moi, la direction spirituelle de la secte te
revient. Tu me dois obéissance complète. Tu dois le déranger fréquemment et venir me
rendre visite, conférer avec moi et régler toute affaire se rapportant à la secte, prendre
de nouveaux ordres de moi et repartir chez toi.
« Malheureusement, j’ai constaté tous les temps passées que tu ne viens à Touba
qu’au jour du pélérinage pour y repartir aussitôt sans me laisser le temps de te parler
d’aucune affaire.
« Dorénavant je t’ordonne de venir me voir le plus souvent possible afin de mieux
connaître tous les membres de ma famille jusqu’au plus petit.
« Je te donne l’ordre de régler toute affaire de famille et de remplir toute autre
mission dont je jugerai utile de t’investir soit qu’il s’agisse de l’Aministration ou de la
secte, soit qu’il s’agisse d’affaire personnelle.
« De mon côté, je prends l’engagement formel de ne plus entreprendre quoi que
ce soit qui serait de notre intérêt commun sans t’avoir convoqué et recueillir ton avis.
« Si c’est une affaire qui est de ton ressort je t’enverrai la régler.
« Si au contraire, c’est une affaire qui est du ressort de notre neveu Cheikh, celui-
ci sera chargé de s’en acquitter. Telle est la ligne de conduite que je trace aujourd’hui et
Bassirou a promis de s’y conformer ».
Me retournant vers CHEIKH, je lui tiens le langage suivant :
« Toi, tu es mon neveu. Fais ton devoir de neveu et tu seras traité comme tel.
N’attends plus que je te convoque pour venir me voir. Tu me dois obéissance entière.
Ton père était mon marabout- j’ai travaillé pour lui, il faut rendre la monnaie.
Celui-ci, en termes courts et nets déclare qu’il suffirait que je donne un ordre,
pour qu’il l’exécute – soit qu’on lui demande une collecte soit qu’on fasse travailler ».
L’assistance entière reconnaît la véracité de cette déclaration et l’approuve sans
réserve.
Les cheikhs et les proches parents présents à la réunion prennent acte de nos
déclartions et décident à l’unanimité que quiconque rompra cet accord sera l’objet d’un
blâme, nonobstant les sanctions morales qui pourraient en résulter.
A l’instant même et avant que l’assemblée se sépare, j’ai donné mission à CHEIKH
d’aller réclamer à la société des Dragages les plans de la Mosquée. Cheikh M’Backé
promet de s’en acquitter et ajoute que si je suis d’avis des futures tranches à construire
pourra être établi par l’architecte de la Société ce qui permettra d’éviter une nouvelle
perte de temps ; - consultation faite auprès de l’assemblée et aucune objection n’ayant
été formulée, l’autorisation de procéder en ce sens lui fut donnée.
J’espère que cet accord fera naître une ère nouvelle dans la secte, si comme je le
souhaite, chacun de nous y met la bonne volonté.
Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur, l’hommage de mon profond respect.
Beaucoup d’information sur les guides religieux musulmans du Sénégal et sur les
« groupements » islamiques nous sont parvenues grâce à l’administrateur colonial, Paul
Marty. Son abondante production « livresque » apporte lumière et suscite controverses.
Par Alassane Aliou MBAYE
__________________________________
Paul Marty disait ceci, en 1913, à propos d’Ahmadou Bamba et de l’avenir de
Mouridisme : « le mouridisme subsiste aujourd’hui, sans guère progresser, par la
présence et les vertus de son fondateur. Mais Ahmadou Bamba a soixante ans : sa
disparution naturelle ou violente peut se produire d’un jour à l’autre. Il est fort propable
que la disparution d’Amadou Bamba aménera la désagrégation de son mouridisme ». Le
temps a été le plus grand contradicteur de cet administrateur colonial, interpréte, fin
connaisserur de la langue arabe et spécialite de l’islam subsahérien. Le mouridisme n’a
pas arrêté de conquérir de nouveaux espaces et de fasciner bien des âmes.
Toutefois, il ne faudrait pas nier l’importance du travail accompli du travail
accompli par ce lieutenant-cononel natif de Boufarik en Algérie en1882. Sa production
sur la religion des musulmans, sur « l’Islam Noir » en particulier, fournit un monceau
d’informations à ses contemporains et à la postérité. Le professeur Cheikh Anta Babou
en dit ceci : « le jugement de Marty avai un certain poids. Il avait acquis une grande
expérience de ce que les Français considéraient comme le « véritable » Islam en
assumant les fonctions d’interprète colonial en Algérie, son pays natal, puis au Maroc et
en Tunisie. Lorsqu’il arriva en Afrique de l’Ouest en 1912, pour prendre la direction du
Bureau des affaires musulmanes dans l’administration du gouverneur général William
Ponty, il était précédé d’une réputation d’exper, il parlait arabe et connaissait l’islam.
Tout au long de sa carrière, il rédigea et publia des ouvrages qui fondèrent l’orthodoxie
coloniale en matière de croyances islamiques et de pratique musulmane en Afrique
subsaharienne. Il est l’un des concepteurs de l’idée d’ «islam noir » autour de laquelle
s’articula la construction orientaliste d’une identité musulmane subsaharienne ». Il est,
selon lui, l’administrateur qui a la plus influencé la politique coloniale en Afrique
subsaharienne sur les questions musulmanes.
Paul Marty est l’auteur de plusieur publications qui confirment les propos du
professeur Babou : « les écoles maraboutiques du Sénégal : les médersas de Saint-
Louis » ; « Etudes sénégalaises (1785-1826), société de l’histoire des colonies
francaises » ; « Etudes sur l’Islam au Sénégal, les personnes, les doctrines et les
institutions » ; « Etudes sur l’Islam maure : Cheikh Sidia. Les Fadelia. Les ida ou Ali » ;
« tudes sur l’islam en Côte d’Ivoire » ; « la découverte des sources de la Gambie et du
Sénégal ».
Ce ferv ent catholique est, par son père originaire d’une famille paysanne de
Varaire (Lot) et, par sa mère, de Digne (Alpes-de-Haute-Provence). Elève de l’école
primaire de Castiglione (Alger), poursuivit des études secondaires au petit Séminaire de
Saint-Eugène (Alger). Son éducation chrétienne a sans doute eu une influence décisive
sur ses convictions religieuses. Il a fait des études à la faculté de droit d’Alger mais avait
une inclination particulière pour la langue arabe grâce notamment à son professeur,
l’abbé Rossano.
« Islam Noir »
Paul Marty s’engage d’abord au 1er régiment de Zouaves le 9 novembre 1901,
passe le concours d’interprète militaire dans le sud tunisien où il est resté cinq ans.
Attaché au bureau des Affaires indigènes à Tunis jusqu’en 1907, Il est ensuite envoyé à
Casablanca de 1907 à 1911. En 1917, il rejoint Dakar et prend la tête du Service des
Affaires musulmanes créé auprès du gouverneur général de l’Afrique Occidentale
française en 1913. Durant ses huit années de séjours, il parcourt l’Afrique. De 1922 à
1925, le service des Affaires indigènes de Rabat, puis en devient le directeur en 1930.
Cinq ans plus tard, Marty quitte Rabat pour Tunis. Alors attaché à l’état-major du
commandant supérieur de Tunisie, il meurt à l’hôpital militaire louis-Vaillant de Tunis le
11 mars 1938.
Il avait reçu, entre autres distinctions, un prix du collège de France et la médaille
d’or de la société géographique de Paris. Son œuvre est utile à la communauté
sénégalaise des chercheurs quoique le contenu de ses publicatins puisse être sujet à des
contreverses. Certains accusent Paul Marty au-delà de sa démarche scientifique, de
véhiculer des préjugés racistes et une parole qui, dans les faits, ne tenait compte que des
préoccupations de la puissance coloniale dont il était un serviteur.
26
Ousmane CAMARA, « Mémoires d’un juge africain. Itinéraire d’un homme livre ». Karthala CREPOS 2010.
Au fils des années, Abdou Lahat, en paysan rusé, sait qu’il a besoin du concours de l’Etat
pour les activités de sa confrérie, ce qui lui interdit d’afficher une opposition ouverte au
chef de l’Etat.
Senghor non plus ne saurait se passer du soutien de la très puissante confrérie mouride.
Le Khalife adopte ce qui pourrait se comparer à une « grève du zèle ». Il ne montre
aucun empressement pour l’appui ou l’exécution des intitiatives gouvernementales. Par
exemple, pendant la dure période de sécheresse des années 1976-1977, le Président
Senghor lance le mot d’ordre de l’élimination sur toute l’étendue du territoire de la
chèvre, considérée comme un fléau parce que détruisant la végétation. Non seulement
le Khalife de Touba ne donne aucun signe d’adhésion à cette campagne, mais on voit se
développer en milieu mouride une sournoise résistance. Au cours de sa croisade anti-
chèvres, le Président fait escale à Ndoulo, localité mouride située à une douzaine de
kilomètres de Diourbel, pour un meeting de sensibilisation. Prenant la parole, Serigne
Sam Mbacké, influent chef religieux local et très proche du Khalife interpelle le
Président dans ces termes : « Monsieur le Président, vous et moi, lorsque nous sommes
venus au monde, nous avons trouvé la chèvre, lorsque nous mourrons la chèvre sera
toujours là. Pourquoi ne pas orienter vos efforts vers des objectifs plus réalisables que de
vouloir détruire ce qu’Allah, dans son infinie sagesse, a créé ».
Autres exemples, au cours de la campagne pour les élections présidentielles et
législatives du mois de février 1978, le Président Senghor s’arrête à Touba pour une
visite de courtoisie au Khalife. Ce dernier reçoit Senghor et sa délégation dans sa
concession, sans inviter les dignitaires de la confrérie. Après avoir écouté le Président, le
Khalife lui fait part de son souhait de voir Touba bénéficier d’un autre forage et d’obtenir
pour sa talibé Fatoumata Ka, présidente de l’Union régionale des femmes du parti, une
place dans le prochain gouvernement. Pour le forage, le Président dit avoir pris bonne
note et invite le Ministre du développement rural Adrien Senghor, présent à ses côtés,
de faire le nécessaire en prévoyant dans le prochain plan une ligne de crédit pour la
construction de l’ouvrage. Le Khaliffe l’interrompt en demandant ce qu’est le Plan.
Senghor explique que le plan constitue l’ensemble des projets d’investissement que le
gouvernement se propose de réaliser dans les cinq ans à venir. Abdou Lahat dit « De qui
tenez-vous l’assurance que vous et moi serons de ce monde quand se réalisera votre
plan. Je n’ai pas besoin de plan. Ce que veulent les habitants de Touba et que je vous
transmets, c’est de l’eau, parce que nous avons soif ; cette eau, vous nous la donnez ou
vous nous la refusez, mais ne parlez pas de plan ». Le Président quitte le Khalife faisant
comme s’il n’avait pas entendu la seconde requête relative à Fatoumata Kâ.
Une fois dans sa voiture où je suis assis à côté de lui, le Président exprime toute son
amertume dans les termes suivantes : « Ce Khalife est aux antipodes de mon ami feu
Falilou Mbacké ; Falilou était cultivé, fin, délicat et ne s’est jamais soucié de savoir qui
entrait dans mon gouvernement ou en sortait. Cela dit, j’aime bien Fatoumata Kâ, mais il
y a déjà dans le gouvernement Caroline Faye. Pour le gouvernement à venir, je pense à
une autre femme mais il me faut qulqu’une ayant eu un cursus universitaire ». Je saute
sur l’occasion pour avancer le nom de l’épouse du directeur de la SEIB, Maïmouna
Ndongo, magistrat, épouse de Yaya Kane. Le Président acquiesce et me demande de lui
fournir dès notre retour une note sur Maïmouna Kane.
Pourquoi Senghor et Abdou Lahat ne s’apprécient-ils pas me suis-je demandé ? La
réponse ne tarde pas à venir. Séjournant à Dakar chez son secrétaire particulier Abdou
Karim Fall, le Khalife vient un soir tout seul à mon domicile, rue de Bayeux, pour diner
avec mon épouse et moi. Au cours de la soirée, il demande à mon épouse de me
conseiller de ne plus lui parler de Senghor et de son Premier ministre Abdou Diouf, lors
de nos entretiens à Touba. Il invoque le dicton wolof suivant pour appuyer ses propos :
« Si tu insistes pour faire aimer à quelqu’un ce qu’il déteste, il finira par te détester toi-
même ».
Quelques semaines plus tard, lors d’une visite que je lui rends dans sa résidence agricole
de Touba-Bélel, à une dizaine de kilomètres de Touba, Abdou Lahat me conduit dans sa
chambre à coucher et me dit : « Tout le monde sait que le triomphe de Senghor, un
Chrétien sur, successivement, Lamine Guèye et Mamadou Dia, tous deux musulmans, est
l’œuvre de mon frère et prédécesseur Falilou. Je respecte ce qu’a fait mon grand frère,
mais ma foi m’interdit de faire la Propagande pour qu’un mécréant reste à la tête de
mon pays, Senghor a choisi, pour l’aider à détruire l’islam, un Premier ministre, qui ,
lorsqu’il était à l’école « qui forme les commandants de cercle » a écrit un mémoire où il
prend à partie la confrérie mouride ; de plus, c’est Abdou Diouf qui va toujours
représenter Senghor lors de la fête des Catholiques à Popenguine ». Il se lève, ouvre une
sorte de secrétaire, revient s’asseoir avec une liasse de documents. Il me tend un
numéro de journal italiden l’Observatoire Romano où est épinglée la traduction en
français d’un article indiquant qu’au cours d’une audience accordée par le Pape, le
Président Senghor aurait dit : « Je ne peut rien faire pour empêcher les Sénégalais d’être
dans leur grande majorité des musulmans, mais je travaille pour en faire de mauvais
musulmans ». Je rends au marabout le document sans le commenter.
Pourtant, en 1983 et plus encore en 1988, Abdou Lahat s’investit personnellement pour
la réélection d’Abdou Diouf, en faveur de qui il donne un « ndiguel » enjoignant à tous
les adeptes de la confrérie mouride de voter pour lui.
TEMOIGNAGE DU PRESIDENT ABDOU DIOUF SUR
LE CALIFE SERIGNE ABDOUL AHAD MBACKE
Pour l’élection de 1988, je bénéficiai aussi d’un très fort soutien du khalife des
mourides, Abdoul Ahad Mbacké. Il donna un ndigueul général (consigne de vote)
dont les termes sont encore présents dans beaucoup d’esprits. Après avoir
énuméré toutes les réalisations que j’avais effectuées à Touba, il conclut ainsi ;
« Celui qui ne soutiendra pas le président Abdou DIOU aux prochaines élections
aura trahi le fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba ».
J’avoue franchement que personne ne m’a autant aidé qu’Abdoul Ahad. Il me
couvait comme son propre fils.
Abdoul Ahad ne m’a jamais demandé de devenir mouride, mais les rumeurs
faisaient croire le contraire. Il a fallu que le khalie Abdoul Ahad réagisse lui-
même, afin de faire comrpendre à tous que j’étaits le représentant d’une laïcité
positive et ouverte, et que je voulais soutenir toutes les religions et confréries.
N’empêche, notre très grande proximité n’échappait à personne. Le Président
Senghor y avait lui-mêmeme beaucoup contribué en me demandant, des années
plus tôt, de faire tous les trois mois une visite aux khalifes généraux des deux
principales confréries musumanes du pays, Abdoul Ahad et Abdoul Aziz.
Fort de ces soutiens, je remportai donc l’élection présidentielle, et le Parti
Socialiste gagna les législatives. Mais, loin de susciter l’euphorie, ces résultats
sonnèrent pour les observateurs politiques les plus attentifs comme une alerte.
En effet, par rapport aux précèdentes élections présidentielle et législative, on
enregistrait un net recul du Parti Socialiste. Une réaction s’imposait, d’autant
que la période post-électorale fut très tumultueuse.
Au mois de juinn1989, le Sénégal fut hélas plongé dans le deuil avec le rappel à
Dieu du khalife général des mourides, Serigne Abdoul Ahad Mbacké. Avec lui
disparaissait celui qui, depuis 1968, à la suite d’El Hadji Falilou Mbacké, veillait
avec clairvoyance et rigueur sur l’héritage de son père Cheikh Ahmadou Bamba,
fondateur du mouridisme. Je ressentis personnellement la disparition de Serigne
Abdoul Ahad avec douleur, en raison des relations que nous entretenions.
Conducteur d’hommes, à l’instar de son vénérable père, et dans la continuité de
l’action de ce dernir, il a jeté les bases de la modernisation de Touba, avec ses
grands travaux et ses ambitieux projets de lotissements, la rénovation de la
mosquée, la construction d’une bibliothèque recelant une riche collection
pluridisciplinaire. Tout autant bâtisseur, diplomate qu’éducateur, il aura, en
véritable orfèvre, laissé une empreinte indélébile à la communauté mouride.
Serigne Cheikh Abdoul Ahad Mbacké fut pour moi un ami fidèle et un soutien
précieux à qui j’ai rendu visite régulièrement pendant toute ma mandature. Et il
me souvient d’ailleur le fameux ndigueul (consigne) de 1988 où, lors de diffi ciles
élections, il me soutint au point de proclamer que celui qui ne voterait pas pour
moi aurait trahi Ahmadou Bamba. Quel bel hommage ce fut là pour moi.
Le 5 septembre 1895, les autorités coloniales ont convoqué et traduit devant n tribunal
(Conseil privé) un homme dont le seul et unique tort fut d’être un patriote engagé,
farouche résistant pacifique à toute forme d’oppression culturelle, déterminé dans
l’éveil des masses et leur émancipation spirituelle et culturelle. Je veux nommer notre
vénéré guide Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, que ces dernières avaient
accusé de préparer une guerre contre elles, fondant leur accusations sur des allégations
aussi saugrenues les unes que les autres comme le montre ce texte de Paul Marty :
« Dans ce Cayor, qui fut le centre de la résistance acharnée de la race Ouolof à notre
domination, les indigènes ne se sont convertis à l’islamime que pour retrouver sur un
autre terrain une base de résistance passve (…). (Amadou Bamba) ami et marabout des
damels, et aspirant visiblement à leur succession, a été érigé en quelque sorte en
représentant du sentiment de l’ancienne indépendance ».
Il en est de même de Merlin, directeur des affaires politiques au Conseil Privé du 5
septembre 1895, quand il affirme dans son du rapport : « Les agissement de ses talibés
(disciples) et le passé même du marabout (Cheikh Ahmadou Bamba) montrent
clairement que nous avons affaire en lui à un homme fort intelligent, très avisé, habile à
ne pas se compromettre et dont l’esprit d’hostilité, les projets de conquête, les rêves
d’ambition sont certains et poursuivis avec une ostination qui, si elle dénote un esprit de
beaucoup supérieur à celui de ses congénères, n’en est que plus dangereuse à notre
influence… »
Ils ont en partie raison mais, Que de grossièretés ! Ils ne savaient pas que le Cheikh
n’était nullement intéressé par le pouvoir temporel et que tous leur agissements
seraient peine perdue car comme lui-même l’affirme si bien, rien ne pouvait arrêter la
déferlante humaine vers lui
« Dieu m’assistera et les créatures me suivront, des terres et des mers, et je leur serai
utile sans aucun préjudice…. »
La suite on la connaît. Se fondant rien que sur des rumeurs, des calomnies et autres
affabulations non vérifiés, le Conseil Privé, dans une légèreté déconcertante, le reconnut
coupable et le condamna à la déportation « en un lieu où ses prédications fanatiques
n’auraient aucun effet », comme il pensait. Une pension de 50 francs par moins lui fut
accordée durant son exil au Gabon. Mais lui il se suffisait exclusivement à Dieu.
« Mes demeures furent vidées et, des miens, je fus brutalement séparé en vertu, (du
service auquel me voue) le Panégyrique du Prophète (Saws) dont nulle apologie n’est à
même de louer avec justesse les Avantages. Les machinations ourdies par des personnes
malveillantes ont abusé les colons au point qu’ils laissèrent libre cours à leur
imagination, or celle-ci est souvent sources de de fausses idées … Quant à moi, loin de
me tourner vers eux (par crainte), j’ai orienté ma face vers mon SEIGNEUR en LUI
exprimant mon repentir pour les péchés et les défauts car Il Demeure l’ABSOLUTEUR par
Excellence. Je LUI ai intégralement confié mes affaires, le cœur serein et, même solitaire
au milieu des ennemis, je ne conçois aucun doute qu’Il Demeure parfaitement
CLAIRVOYANT ; Certes mes seuls compagnons lors de cet exil en mer furent le Livre de
Dieu, le Prophète Choisi par l’Excellence et Ses Vaillants Compagnons (Euthioul Badr).
Déportations et mises en résidence surveillée, avec leurs lots de persécutions,
oppressions, brimade tentatives d’humiliation de toutes sortes, tentatives d’assassinat,
ont été les plats à lui servis par ces cruels agresseurs, pendant plus de trente longues
années (1895-1927). Leur cruauté est traduite par ce que le Cheikh a dû subir et quand
lui-même, dans son ouvrage relatant son exil intitulé « les Dons du digne de
reconnaissance », révélé : « j’ai subi dans cette île (Saint-Louis), au cours de cette
période des épreuves que je n’évoquerai jamais par égard à l’endroit du Seigneur Digne
de Reconnaissance. Celles-ci (les épreuves) étaient une éducation spirituelle de la part
du Seigneur qui ne meurt pas. Lui qui m’a dispensé de recourir aux armes contre
l’assassin »
Il a ajouté : « ils ont voulu m’humilier en me jettant dans la mer, mais Dieu a dompté
pour moi la plus houleuse des mers ».
Ils ne savaient pas que le Cheikh était confiant dans sa victoire sur eux car il affirmait
« les armées du Seigneur sont unanimes pour témoigner que je triompherai de mes
ennemis. Cela est inéluctable ». Râfa’ami junda lahi khalibôn Waqta’tirâbi faidâya
ya’labon. « …les armées divines affectées aux prophètes seront mes gardiens contre tout
ennemi qui s’acharne contre moi : elles attaquent quiconque marche contre moi ».
« Je cheminais en vérité, lors de ma marche vers l’Exil, en compagnie des Vertueux Gens
de Badr alors que mes persécteurs étaient persuadés que j’étais leur prisonnier. Je
marchais en fait vers DIEU en compagnie du Prophète (Saws) et de ses Excellents
Compagnons car ma marche ne saurait point avoir d’autre objet que DIEU LUMIERE.
Mon périple vers DIEU a été facilité par le Prophète (Saws) qui m’a guidé vers le
GENEREUX SEIGNEUR, CELUI pour Qui la réalisation de mes ambitions demeure
infiniment aisée » (poèmes Assiru Maa hal Abraaru). Si seulement ils savaient….
Ils finirent par abdiquer en reconnaissant leur impuissance à nuire à cet homme protégé
par le Créateur et assisté par le Prophète Muhammad (PSL), son maître et unique
intercesseur et ses illustres compagnons de Badr. Bien qu’ils n’aient jamais eu le courage
de reconnaître leur tort et leur grotesque mensonge…..
La révision du procès s’impose à eux par devoir de vérité et de respect à l’Histoire, mais
aussi et surtout pour rester conforme à leur idéaux de justice, de démocratie, de droit de
l’homme qu’ils aiment tant chanter partout. Nous l’exigeans, non dans le but, pour nous
mourides ou tout simplement patriotes, de réclamer quelque réparation que ce soit. Le
voudrait-on qu’on n’y parviendrait point, puisque le dommage est IRREPARABLE. Nous
ne le voulons non plus dans la recherche d’une réhabilitation factice, puisque le seul en
qui il avait trouvé refuge (le Seigneur Tout-Puissant) s’en est chargé. Nous l’exigeons
uniquement et exclusivement pour une manifestation de la Vérité, la stricte Vérité.
Celle-là, comme le disait Samuel Butler, « n’avait que deux ennemis, le trop et le trop
peu ».
Nous considérons, à juste titre, que la réhabilitation du Cheikh s’est faite dès l’entame
de son périple quand Dieu l’éleva déjà, dans le bateau qui l’amenait au Gabon, au grade
de Serviteur du Prophète (PSL) : « Alamanii rahmaanou fi safina bi annanii khadimou zil
madiina ».
Nous exigeans simplement de l’ancien colonisateur qu’il reconnaise « courageusement »
avoir menti au sujet de Cheikhoul Khadim en se créant un prétexte fallacieux (ses chefs
d’accusation) pour justifier son ignoble acte (ses déportations successives au Gabon et
en Mauritanie suivies de mises en résidence surveillée à Thiyène puis Diourbel) à
l’encontre d’un homme qui n’avait d’autre tort que sa foi inébranlable et son culte
exclusif en son Seigneur, son attachement irrévocable à la Sunna du prophète (PSL), ce
qu’il affirme si bien en disant : « Je me suffis de Dieu en dehors des roitelets et de
Muhammad en dehors de tout autre intermédiaire ».
Sson unique tort fut son refus obstiné d’une domination culturelle, la pire des formes
d’oppression possibles et imaginables. Senghor ne disait-il pas que la colonisation était
plus que la domination d’un individu par un autre, d’un peuple par un autre ; qu’elle
était la domination d’une civilisation par une autre, la destruction des valeurs originales
par des valeurs étrangères ?
C’est cela qu’avait compris Cheikhoul Khadim mieux et bien avant Huntington qui a
théorisé le choc des civilisation près d’un siècle après lui en ces termes : « Dans ce
monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni
économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de
conflit sont culturelles. Les états-nations resteront les acteus les plus puissants sur la
scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des
nations et des groupes relevant des civilisations différentes. Le choc des civilisations
dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisation
seront les lignes de front des batailles du futur ».
Ce procès du 05 septembre 1895 s’inscrit dans le perpétuel combat, plus que jamais
d’actualité, tendant à substituer à notre culture socio-islamique, une autre culture
importée d’ailleurs. Ces motivations n’étaient autres que d’arrêter, comme cela s’est fait
ailleurs, l’ancrage des populations dans leurs valeurs culturelles et des civilisations mises
en évidence et enseignées par notre vénéré guide, Cheikhoul Khadim.
J’en appelle, au-delà de la Communauté mouride, notamment ses juristes, à la
mobilisation de tous les patriotes de la Nation épris de justice, de respect des droits de
l’homme, de démocratie et d’équité, à leur tête son Excellence le Président de la
République, pour une unité forte, d’action, de pensée et de moyens, pour mener ce
combat, avant tout républicain et patriote, afin que la Vérité soit rétablie et que justice
soit enfin rendue.
Mor Ndiaye Mbaye
Directeur de Cabinet
Ministre de l’Economie numérique
Et des Télécommunications.
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La communauté mouride vient de doter les musulmans de toutes obédiences, d’une
œuvre gigantesque en cette majestueuse Demeure de Dieu qu’est la Mosquée
Massalikoul Jinane. Tout mouride, au sens étymologique du terme, qui signifie l’aspirant
à la recherche de l’agrément de son Seigneur, devrait être fier de cette belle réalisation
destinée à la Communauté musulmane toute entière comme l’a si bien dit une voie
autorisée de la communauté Mouride.
Massâlikoul Jinâne est à la croisée des chemins qui mènent au paradis, qu’ils viennent du
« wird d’Al Jilani, de Ahmad At-Tijâni ou d’un autre parmi les Pôles, car ils sont tous sur
le bon chemin. » dixit Cheikh Ahmadou Bamba. En construisant cette mosquée dédiée à
tous les musulmans du monde, la Communauté mouride donne tout leur sens à ces vers
du Cheikh qui magnifie les voies Qâdriyya et Tijâniyya, mais aussi toutes les autres voies
tracées pour l’ascension des âmes vers leur Seigneur.
Sept longues années pour sortir de terre la Merveille de Dakar à l’image de la mosquée
Hassan II de Casablanca, la Mosquée Cheikh Zayed d’Abu Dhabi ou la Grande Mosquée
du Sultan d’Oman, il est des œuvres intemporelles qui transcendent les humains dans la
diversité de leurs aspirations idéologiques. Au bout des chemins du paradis, Massâlikoul
Jinâne vient sceller l’unité des musulmans non pas avec un « Cadenas » nationaliste
Lepéniste, mais par la foi des croyants de toute obédience qui ouvre le cœur et y fait
généreusement pénétrer la lumière de l’acceptation de la volonté divine et de la
reconnaissance de ses infinies grâces. Il les accorde à qui Il veut de la même manière
qu’Il «scelleles cœurs des dénégateurs»
N’en déplaisent aux contestataires venus d’ailleurs, évoquant le coût financier tout en
ignorant le gain économique induit par les éventuelles retombées touristiques, les
bienfaits spirituels de Massâlikoul Jinâne compensent très largement la relative pauvreté
économique de nos compatriotes qui sont riches des valeurs léguées par nos illustres
guides et devanciers.
Les retombées d’une œuvre intemporelle ne se mesurent pas en termes de coût
d’opportunité. Massâlikoul Jinâne n’est pas un investissement de production de biens
matériels mais plutôt une industrie de perfectionnement de la foi pour l’élévation des
âmes, dans un monde « sans cœur » « cadenassé » par pure cécité de la part de ceux qui
ignorent qu’en économie morale on mise sur des valeurs sûres toutes autres que
boursières.
Au moment où les relations entre les communautés religieuses sont, de temps à autre,
fragilisées par le repli identitaire et l’émergence de courants négateurs du legs de nos
illustres figures religieuses, Massâlikoul Jinâne restera un symbole de convergence,
d’’unification de notre foi musulmane et de démantèlement des barrières
intercommunautaires.
L’étincelante Massâlikoul Jinâne aura subitement fait germer l’espoir d’un nouveau jour
dont l’avènement semble tout proche : le vent d’optimisme qui souffle autour de ses
hauts minarets inspire qu’il deviendra un pôle de rayonnement islamique où les jeunes
tidianes, mourides, qadr, layénes, réformistes, salafistes, chiites et autres musulmans
viendront parfaire leurs sciences religieuses en dehors de toutes considérations
idéologiques. Ce Centre jettera les bases d’un nouveau paradigme de l’enseignement
religieux à reproduire et à modéliser en conformité avec nos aspirations profondes en
matière d’offre pédagogiquecommeilsymboliselaforcedel’esprit.
Mon rêve est de voir à Massâlikoul Jinâne, se relayer dans une belle harmonie les
Qassaïdes de Serigne TOUBA, la wazifa de Cheikhna Ahmad At-Tijâni, suivis des voix
suaves des dévoués layènes, sous les psalmodies de versets coraniques du talentueux
Hady Touré.
Le modèle MassalikoulJinane devra se multiplier, faire des émules au point que de Dakar
essaimera de centres de rayonnement islamique sur d’autres sites comme la Mosquée
Omarienne de la Corniche, la zawiya El Hadj Malick Sy du Plateau, la mosquée de
Cambéréne, la Grande Mosquée et encore, et encore ! Que les minarets se multiplient !
Que les écoles et universités religieuses s’implantent partout ! Pour que le flambeau de
l’Islam se hisse encore plus haut à l’instar de ces cinq minarets qui enjolivent encore
Dakar rappelant par-dessus tout que cette lumière divine ne sera jamais éteinte dans ce
pays !
C’est pour toutes ces raisons que Massâlikoul Jinâne est le triomphe d’une vision et la
consécration de l’engagement d’une communauté. Faisons d’elle le symbole de notre
vivre ensemble sénégalais et du dialogue inter et intra religieux au service d’une durable
cohésionsociale.
Par Cheikh Ahmed Tidiane SY fils de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine, Président du Cadre
Unitaire de l'Islam au Sénégal
Cet article a été publié dans le journal Ferloo, édition du 1 er juillet 2017
Bien avant que le Mahatma GANDHI (1869-1944, voir mon post) n’ait théorisé et
pratiqué la non-violence, et contrairement à El Hadji Omar TALL (1797-1864) et à
Maba Diakhou BA, partisans de la guerre sainte, Cheikh Ahmadou Bamba, en
humaniste émancipateur, a refusé tout recours à la violence. «Même si le Mahdi
descend sur terre, je ne l'aiderai pas. Je ne tuerai ni scorpion, ni serpent ni âme
qui vit. Avec la route que j'ai prise (…) si je prends des armes ma mission sera
perdue» dit Cheikh Ahmadou Bamba. En effet, comme El Hadji Malick SY (1855-
1922), le guide spirituel des Mourides fait appel au « Jihad du cœur». Ainsi,
Bamba inaugure, avant l’heure, une forme de désobéissance civile, à la Mahatma
GANDHI (1869-1944). Les chefs de canton se plaignirent de n’être plus obéis, ni
écoutés par les Mourides, et une partie de la population refusa de payer l’impôt.
«Le groupement dans une seule main de plusieurs milliers d’hommes entièrement
soumis à leur Cheikh local et au Serigne suprême, et qui, sur un mot d’ordre de ce
chef, pourraient troubler très gravement la tranquillité publique, aboutirait à
l’anarchie publique» estime le colonisateur.
Cheikh Ahmadou Bamba M’BACKE a su déterminer une nouvelle vision aux yeux
de ses contemporains en formulant d'une façon très claire des idées novatrices
capables de faire bouger le peuple. Pour Bamba, le temporel ne saurait ruiner le
spirituel, et donc le pouvoir colonial qui recherche l’évangélisation des
Sénégalais, finira par être vaincu. Le Mouridisme, contrairement à ce que le
colonisateur n'est pas «une secte», mais une école de spiritualité par laquelle
Bamba revendique le droit de pratiquer sa religion et de le faire avec toute la
richesse de la culture africaine.
Considéré comme un Saint par ses talibés, et d’une grande sobriété, pour Bamba
Dieu doit être la seule préoccupation. Aussi, la grande dévotion et le fanatisme
des Mourides à l’égard de leur guide spirituel est légendaire : «Il s’entoure d’un
rigoureux protocole. Il fait réciter journellement plusieurs fois le Coran et de
nombreuses formalités précèdent les prières : c’est le seul moment où Amadou
soit visible. Les audiences privées constituent les rares faveurs, et quand, par
hasard, il parle, c’est toujours an nom d’Allah. Il donne sa bénédiction en
crachant sur la tête et les mains de ses adorateurs prosternés. L’eau de ses
ablutions est précieusement recueillie, et le sable qui en absorbe les
éclaboussures sert d’amulettes revendues par les talibés», écrit le 27 septembre
1907, l’administrateur de Louga.
Le Mouride signifie «l’aspirant» le «postulant» en somme le «Talibé» qui désire
être uni à Dieu. Par extension, les Mourides sont les adeptes de la confrérie de
Cheikh Ahmadou Bamba. Le Mouridisme c’est l’ensemble des doctrines
religieuses, des prescriptions morales et des pratiques culturelles de cette
confrérie. On appelle Cheikh Bamba soit «Serigne Touba» (le Marabout de Touba)
soit «Khadimoul Rassoul» (l’Envoyé du Prophète). Par conséquent, le Mouridisme
repose tout entier sur la personne d’Ahmadou Bamba, par sa sainteté, par sa
science et ses valeurs morales, continue de drainer des foules à Touba. Dès le
début, le colonisateur s’est méfié du Mouridisme qu’il a persisté à qualifier
de «secte». «Nous ne devons négliger aucune occasion de combattre un
prosélytisme ardent, hostile à notre influence, et en général, à la domination
européenne» écrit le gouverneur de l’A.O.F. dans son rapport de 1911.
En définitive, un personnage historique, comme Bamba, peut exprimer, sans s’en
rendre compte, les conditions sociales et les besoins de son époque. Le message
délivré par Bamba répond à une crise morale de la société sénégalaise en vue de
mobiliser son génie créateur. C’est en cela que la posture de Bamba est
révolutionnaire, subversive, il venait de proposer à son pays un facteur de
résistance et de cohésion sociale face à un colonialisme qui détruit les structures
traditionnelles et les royautés.
I – Cheikh Ahmadou Bamba, un nationaliste irréductible
A – Cheikh Ahmadou Bamba est un nationaliste
Cheikh Ahmadou Bamba est un nationaliste, son opposition politique à la
domination coloniale prit alors une coloration religieuse. « Le captif de Dieu et ne
reconnaissait d'autre maître que lui et ne rendait hommage qu'à lui seul » écrit
Bamba. En effet si toute obéissance va à Dieu, et ne peut aller qu'à lui, car lui
seul a droit de commandement sur terre, Bamba en conclut « qu'il n'est d'autre
autorité que celle de Dieu. Et s'il faut obéir à ceux qui détiennent le
commandement on doit toujours ajouter que c'est à condition que l'ordre soit en
parfaite conformité avec la loi coranique». Dès lors comment obéir à des
autorités coloniales dont la légitimité ne repose que sur la force brutale alors que
fondamentalement l'islam rejette ce qui s'appuie sur le despotisme. Tous ceux
qui étaient en quête d'absolu ou refusaient de s'accommoder de la situation
coloniale choisirent Bamba comme maître spirituel. On y trouvait des
marabouts, d'anciens guerriers Tieddo en chômage du fait de la conquête, des
chefs destitués, des esclaves en rupture de ban, des anciens cadres de la société
traditionnelle, bref la plupart des individus que l'ordre colonial avait plongés
dans une profonde détresse. La présence de ces mécontents dans le mouvement
donna à la confrérie mouride l'aspect d'un abri où se réfugièrent tous les
ennemis de l'administration coloniale. C'est eux, anciens cadres de la société
traditionnelle, qui infléchirent le mouvement dans cette direction au point de
rendre possible l'équation selon laquelle l'appartenance à la confrérie impliquait
l'hostilité à la France.
Cheikh Ahmadou Bamba est un soufi qui appelait à la rénovation des valeurs
morales, seule susceptible de régénérer la société sénégalaise. La vie terrestre
est illusoire, ce serait de la folie que d’y accrocher. « Je n’ai jamais de toute ma
vie accompli un acte dont mon discipline puisse avoir honte, aussi n’aimerais-je
pas que mes disciples se comportent d’une façon qui me fasse honte» dit-il
«Evitez l’autosatisfaction et la vanité», ajoute Bamba. Cheikh Ahmadou Bamba
est un Saint reconnu de tous avec une dimension mystique amplifiée par la
tradition orale. «Ahmadou Bamba ayant posé les bases, ses disciples immédiats,
les Cheikhs consacrés par lui, les ont développés avec l’ardeur et l’extravagance
des néophytes ; la mentalité noire a fait le reste» écrit dédaigneusement Paul
MARTY (administrateur colonial, 1882-1938)). Certaines sources orales
particulièrement enthousiastes manquent de distance critique. Ainsi, on attribue
à Cheikh Ahmadou Bamba de nombreux miracles. On dit que lors de ses exils,
Amadou Bamba pria sur les eaux alors que les colons voulaient l’empêcher de
s’exécuter sur le navire qui le menait au Gabon ; il réussit également à endormir
un lion, que les colons avaient envoyé dans sa cellule à Saint-Louis, en lui récitant
des prières. Le témoignage d’un militaire français est cependant troublant : «Au
cours d’une nouvelle visite à Cheikh Bamba, il me fut donné l’occasion d’éprouver
la valeur de son gris-gris. A mon retour au poste (militaire), je fus accueilli par
une vive fusillade de deux goumiers révoltés. Bien que les énergumènes m’aient
envoyé une centaine de balles à 30 mètres de distance, pas une ne nous toucha »
écrit Eugène DEVAUX dans les Annales Coloniales du 20 octobre 1927. Il est
diffi cile d’ignorer totalement la tradition orale, mais celle-ci est faite souvent
d’exagération et de fanatisme, de nature à faire douter de sa fiabilité. En
conséquence, je privilégierai donc les écrits de Cheikh Ahmadou Bamba qui, en
homme humble, a refusé toute forme d’idolâtrie de sa personne.
B – Cheikh Ahmadou Bamba est un Peul de culture Ouolof
De son patronyme BA, comme les Peulhs Dényankobé, les ascendants de Cheikh
Ahmadou Bamba sont des Foutankais, même s’il est lui-même de culture Ouolof.
«La tradition conserve le souvenir d’une lointaine ascendance : à la quatrième
génération, l’aïeul portait le nom d’honneur de BA qui dénote des origines de
Peuls noirs. Bien entendu ce fut un Toucouleur Wolofisé, fixé, marié, naturalisé en
pays Ouolof» dit Vincent MONTEIL. «Le quatrième ascendant d’Ahmadou Bamba
était un Toucouleur et originaire du Fouta. C’est lui le premier vient s’établir en
pays Ouolof, s’y maria avec une femme du pays et adopta les mœurs et usages du
pays» écrit Paul MARTY, un administrateur colonial contemporain de Cheikh
Ahmadou Bamba. Sa mère, Mariame Diarra Bousso LY (1833-1866) est une peule
originaire de Golléré, dans le département de Podor. Elle est décédée à Porokane,
dans le Nioro du Rip, dans la région de Kaolack, dans le fief de Maba Diakhou BA.
D’une piété incommensurable, les Mourides lui vouent un grand culte : «Celui
qui, ayant acquis le savoir, ne s’emploie pas à conformer ses comportements et
conduites à ses connaissances, est comparable à un âne qui ploie sous le faix d’un
lourd chargement de livres savants et qui, bien entendu, ne saurait profiter de
tant de sciences" écrit Bamba. Aussi, un pèlerinage annuel des Mourides est
dédié à Diarra Bousso LY. Ce sont des marabouts Toucouleurs, issus de la famille
de sa mère, qui ont donné une éducation religieuse à Cheikh Ahmadou :
Mohamadou Bousso et Samba KA. Cheikh Bamba a eu également une grande
proximité avec Cheikh Sidya, un marabout mauritanien.
Le patronyme «M’Backé» est, en fait, tiré du nom village fondé par ses ancêtres
dans le Baol en 1802, dans une parcelle de terre donnée à Maharam, par le 2 ème
Damel du Cayor, Amary N’Goné Sobel FALL. Le grand-père de Cheikh Ahmadou
Bamba, Balla M’Backé, fonda à la fin du XVIIIème siècle le village de M’Backé.
C’est là que naquit son fils, Momar Anta Saly qui fit ses études avec un grand
marabout nommé Ahmadou Bamba. C’est pour cela que Momar donna le nom
d’Ahmadou Bamba, à son deuxième fils né vers 1852, qui deviendra le guide des
Mourides. Par conséquent, Bamba est né sous Auguste Léopold PROTET,
gouverneur du Sénégal de 1850 à 1854. Au cours des invasions de Maba Diakhou
BA (1809-1867), un disciple de El Hadji Omar TALL, la région du Baol fut dévastée,
le grand-père, Balla M’Backé fut tué et son père Momar Anta Saly fut déporté au
Saloum, à Prokhane. Momar Anta Saly, pour assurer sa survie, donne des
enseignements coraniques et devient le percepteur des enfants de Maba Diakhou
BA et assure les fonctions de Cadi. C’est là que le jeune Ahmadou Bamba fit la
connaissance du Damel du Cayor, Lat-Dior, qui maria sa sœur Thioro DIOP à
Momar Anta Saly. Dans son Jihad, Maba Diakhou avait accueilli Lat-Dior DIOP, l’a
converti à l’Islam en 1864, et a refusé de le remettre aux autorités coloniales.
Mais avec la duplicité du Bour du Sine, Coumba N’Doffène DIOUF, Maba Diakkou
fut tué à Somb, le 18 juillet 1867. N’ayant plus de protecteur, Lat-Dior avec sa
soumission au colonisateur fut réintégré comme Damel du Cayor en 1871 et la
famille de Cheikh Ahmadou le suivi. Le père Bamba devait mourir dans le Cayor
en 1882, à M’Backé Cayor. Bamba refusa le poste de Cadi c'est-à-dire chef du
service judiciaire du Cayor en disant : «j'ai honte que les anges me voient porter
mes pas auprès d'un roi autre qu'Allah». Cette conduite irréprochable vis-à-vis
des détenteurs du pouvoir temporel lui atti ra l'affection de beaucoup d'éléments
de la population.
Samba Laobé FALL et Lat-Dior DIOP seront vaincus définitivement par le
colonisateur en octobre 1886 et le Cayor démembré ; ce qui oblige Ahmadou
Bamba à revenir s’installer à M’Backé dans le Baol, un village fondé par son
grand-père. Ahmadou Bamba va lui-même ériger un nouveau village du nom de
Touba. Mais à cette époque, le Baol est une province livrée à l’anarchie et au
désordre. Les chefs du parti Thiéddo furent mis à mort et Tanor GAYE, un ami et
protecteur de Cheikh Ahmadou Bamba, devient le Tègne du Baol de 1890 à 1895.
Bamba crée alors sa voie du Mouridisme «Quiconque m’accompagne pour la
seule et simple raison de s’instruire, peut désormais chercher ailleurs, mais
quiconque partage mon ambition et ma volonté peut me suivre dans la nouvelle
Voie que j’ai tracée». En 1886, Cheikh Bamba fait une déclaration de fondation du
Mouridisme «J’ai reçu de mon Seigneur l’ordre de mener les Hommes vers Dieu.
Ceux qui veulent prendre cette voie n’ont qu’à me suivre. Quant aux autres qui ne
désirent que l’instruction, le pays dispose assez de lettrés. Allez auprès de qui
vous voulez !». ll veut réhabiliter les valeurs culturelles de base de l’Islam : «Je
n’ai point fondé une confrérie, j’ai plutôt trouvé la voie qu’avait scrupuleusement
suivie le Prophète, je l’ai défrichée plus proprement je l’ai rénovée dans toute son
originalité» dit Bamba. La seule chose qui soit à la portée de l’homme n’est pas
de «devenir» un avec Dieu, mais seulement de se sentir « un» avec son Seigneur.
La société occidentale a tué Dieu et l’homme est devenu son propre Dieu. C’est
pendant cette période faste et à partir de 1888, que les disciples affl uent autour
de Cheikh Ahmadou Bamba, et cela commence à inquiéter le colonisateur
français. Il s’installe dans la brousse du bas-Ferloo entre le Djolof, le Cayor et le
Baol. Les chefferies traditionnelles alliées au colonisateur y virent une menace
pour leur autorité et leur pouvoir. Clément THOMAS, gouverneur de 1888 à 1890,
hésite entre l’hostilité et la fermeté. Le gouverneur demande à Bamba de
renvoyer chez eux ses talibés et lui offre des livres de Coran. Si certains Mourides
sous la direction d’Ibra SARR, appellent à la guerre sainte, Cheikh Ahmadou
Bamba écrit au gouverneur en juillet 1889, pour lui dire qu’il « n’avait besoin de
rien en ce bas monde futile et périssable». De 1891 à 1895, le Baol jouit d’une
tranquillité absolue.
C – Cheikh Ahmadou Bamba a organisé une résistance passive
En 1895, avec la mort du Tègne du Baol, Tanor DIENG, la dislocation de cette
province désormais sous administration directe du colonisateur, Alboury N’DIAYE,
le Bourba du Djolof étant malade, faible et déconsidéré, Cheikh Ahmadou Bamba
fonda un nouveau village, dans le canton de Bakkal, dans le Djolof, avec 500 de
ses talibés qu’il appela Touba (Djolof). Aussitôt, ses anciens amis, les soldats de
Lat-Dior et du Bourba Alboury, les déserteurs, les chefs révoqués, les Peulhs
fanatisés affl uent auprès de Bamba. En mai 1895, Samba Laobé FALL, le Damel du
Cayor, déclare sa conversion au mouridisme. Les populations rechignent à payer
l’impôt au colonisateur français. Cheikh Ahmadou Bamba est arrêté le 10 août
1895. Condamné à l’internement politique par décision du 5 septembre 1895,
Cheikh Ahmadou Bamba fut déporté de 1895 à 1902, forêt inhospitalière de
Mayumba, au Gabon. «Si l’on n’a pas pu relever contre Amadou Bamba aucun fait
de prédication de guerre sainte bien évident, son atti tude, ses agissements,
surtout ceux de ses principaux élèves sont de tous points suspects » dit le Conseil
privé qui «après avoir entendu la lecture des rapports de Messieurs Merlin et
Leclerc et fait comparaitre Ahmadou Bamba a été d'avis, à l'unanimité, qu'il y
avait lieu de l'interner au Gabon, jusqu'à ce que l'agitation causée par ses
enseignements soit oubliée au Sénégal», séance du 5 septembre 1895. Le
Directeur des Affaires politiques considère que l’ambition d’Amadou Bamba était
de devenir, par personne interposée, le véritable chef du Baol, puis du Djolof.
«Ahmadou Bamba nous a échappés en 1892 en protestant de ses bonnes
intentions mais en réalité comme tous les chefs musulmans c’est un djihadiste et
cette fois-ci il ne faut pas qu’il nous échappe, il faut qu’on s’empare de lui et
qu’on règle son problème définitivement» dit LECLERC. Lors de ce procès, Cheikh
Ahmadou Bamba fit une prière de deux rakkas dans le bureau du Gouverneur
avant d'adresser la parole au Conseil pour lui signifier sa ferme intention de ne se
soumettre qu'à Dieu. Par cette prière symbolique et cette prise de position
téméraire devant le colonisateur, Cheikh Ahmadou Bamba venait de commencer
sa résistance passive.
Cheikh Ahmadou Bamba voit dans son exil, une volonté de Dieu en vue de
réaliser une mission qui lui est assignée : «Le motif de mon départ (en exil), est la
volonté que Allah a eu d’élever mon rang et de faire de moi l’intercesseur des
miens et le Serviteur du Prophète». Le colonisateur pensait, avec l’éloignement de
Cheikh Ahmadou Bamba, son influence sur les populations allait disparaître.
Cheikh Ahmadou Bamba embarqua pour le Gabon le samedi 21 septembre 1895 à
bord du paquebot «Ville de Pernambouc» sur lequel il aura à affronter d’autres
épreuves dont : l’hostilité affi chée de l’équipage, la ruée d’un taureau déchaîné
vers sa sainte personne et dont il fut miraculeusement préservé. Il sera contraint,
suivant la tradition orale, de faire la prière sur la mer. « Ils m’ont jeté sur la mer
par refus de la volonté divine et par haine, Le Généreux m’y a incontestablement
comblé de grâce. Ils ont voulu m’humilier en me jetant sur la mer, heureusement
que mon Seigneur a dompté pour moi la houleuse des mers » écrit Cheikh
Ahmadou Bamba, dans son autobiographie.
Durant son exil au Gabon, Cheikh Ahmadou Bamba a rencontré de nombreuses
personnalités dont Blaise DIAGNE (1872-1934), alors fonctionnaire des douanes,
et futur député du Sénégal. Bamba s’investira dans la campagne victorieuse de
1914 de Blaise DIAGNE ; c’est la première fois qu’un Africain noir est élu député
du Sénégal à l’Assemblée nationale française. Son frère et disciple Mame Cheikh
Anta M’Backé a entrepris un périlleux voyage au Gabon pour lui rendre visite.
Cheikh Ahmadou Bamba a entretenu une importante correspondance avec le
résistant guinéen, Samory TOURE (1830-1902), déporté également à Noja au
Gabon de 1899 au 2 juin 1900, date de sa mort. Lorsqu’il apprit la nouvelle,
Cheikh Ahmadou Bamba effectua la prière des morts à son intention depuis
Lambaréné. Il retrouva l’ex-Bourba du Djolof qui l’avait soutenu, Samba Laobé
Peinda N’DIAYE, exilé au Gabon pour 5 mois.
Cheikh Ibrahima FALL (1855-1930) réussit à convaincre le député du Sénégal,
François CARPOT (1862-1936, député du Sénégal de 1902 à 1914) de l’innocence
de Cheikh Ahmadou Bamba. Celui-ci s’engagea à réhabiliter Cheikh Bamba après
son élection. Il est vrai aussi que depuis le départ de Bamba, avec la révolte des
talibés, la production arachidière avait drastiquement baissé ; ce qui mettait en
péril les affaires de la bourgeoisie saint-louisienne. Dès son retour en novembre
1902, les talibés accourent autour de Bamba, des dons énormes lui sont versés.
En mai 1903, convoqué respectivement par le commandant de cercle de Thiès et
par le gouverneur à Saint-Louis, Cheikh Ahmadou Bamba refusa d’y déférer « Je
vous fais savoir que je suis le captif de Dieu, et ne reconnaît pas d’autres
autorités que lui» dit-il. Il est arrêté à nouveau le 13 juin 1903 et déporté en
Mauritanie dans l’une des Zaouia de Cheikh Sidya, un de ses amis, à Souet El Ma.
Cependant, les talibés continuèrent de le suivre, même en Mauritanie et veulent
organiser une violente révolte. Cheikh Ahmadou Bamba s’y oppose en ces
termes : «Je n’espère le soutien d’aucun ami, ni ne crains l’agression d’un ennemi,
je me suis entièrement soumis à Dieu». En avril 1907, le Commissaire du
gouvernement général en Mauritanie, ayant fait remarquer l’atti tude correcte de
Bamba depuis 4 ans et sa conduite irréprochable, demanda et obtint son retour
au Sénégal.
En avril 1907, Bamba est assigné à résidence à Thiéyène (Diolof, Louga). Un
domaine de 4 km2 lui est concédé, pour son installation, celle de sa famille et
leur culture. Mais cet endroit isolé échappe en fait à la surveillance du
colonisateur et les visites des talibés ainsi que leurs dons n’ont fait que doubler.
C’est pour cela que le colonisateur fixa une nouvelle résidence à Diourbel à partir
du 16 janvier 1912. Sur son chemin les talibés scandaient « Notre Allah revient». A
Diourbel, Bamba est soumis au départ à un régime sévère : «Amadou Bamba
paraît avoir renoncé à retourner dans son village, M’Backé. La surveillance
étroite à laquelle il était soumis était, dans la réalité peu effi cace, mais avait, par
contre, des côtés vexatoires qui, joint au caractère provisoire des paillotes qu’il
habitait» note le rapport général du gouverneur de 1913. Les conditions de
surveillance ont été par la suite assouplies : «Un libre accès auprès de lui a été
accordé à tous ; notre surveillance s’est faite discrète ; ce qui ne l’empêche pas
de s’exercer. En même temps, un vaste emplacement limitrophe de l’escale de
Diourbel a été affecté au Serigne. Il s’y est fait construire une maison en pierres ».
En 1919, Bamba avait acheté une voiture Peugeot 10 HP, mais il ne l’utilisait
pratiquement pas. Cheikh Ahmadou Bamba est mort le 19 juillet 1927 à Diourbel.
Un rapport mentionne ainsi les circonstances de ce décès : «Le marabout
s’éteignit, sans témoin, à une heure qui n’a pas été déterminée. Il fut découvert,
étendu sans vie, sur le sable d’une case où il aimait à se retirer pour ses
méditations, par son fils et héritier de prédication, Mamadou Moustapha. (…).
L’administrateur jugea plus prudent de faire transporter le corps à Touba, aussi
discrètement que possible et de l’y faire ensevelir provisoirement ». Même mort,
le colon le redoutait. Mais les talibés, dans la douleur de cette grande perte de
leur guide spirituel, sont restés dignes et calmes.
II – Cheikh Ahmadou Bamba, une autorité spirituelle
A – La morale et la doctrine de Bamba : une rénovation de l’Islam
1 – Le Jihad du cœur, la guerre sainte aux âmes
Cheikh Ahmadou Bamba a écrit une vingtaine d’ouvrages dont certains ont été
traduits en langue française, dont la «Barque de la confiance», «Les clés qui
ferment l’Enfer et ouvrent le Paradis», «Les Jardins des Vertus», ainsi que des
poèmes à la gloire de Dieu et des louanges au Prophète Mohamed. Il
recommande les prières nocturnes, de fuir les réunions des gens négligents et
d’adorer, sans limites, Dieu. «Je n’ai pas été plus particulièrement frappé par le
fanatisme dont vous estimez que sont empreints les écrits attribués à Amadou
Bamba. Ils ne m’ont pas paru présenter un caractère d’hostilité plus marqué que
la plupart des écrits de ce genre. Le vocabulaire imagé et symbolique et toujours
abscons, dont se servent, avec une recherche laborieusement étudiée, les
musulmans engagés dans une Voie, doit, sans doute, retenir notre attention, mais
je ne pense pas qu’il faille en exagérer la portée » écrit William PONTY le 8
novembre 1912. En fait, «tous s’accordent à le considérer comme un saint
homme, pieux, charitable, de mœurs très pures, convaincu de la mission de
réformation islamique dont il est investi » écrit Paul MARTY.
Cheikh Ahmadou Bamba a exposé sa morale, en particulier, dans son ouvrage
«Les verrous de l’enfer et les clés du paradis» : «Apprends à prier pour plaire à
Dieu ; n’apprends à prier pour le faire avec ostentation. Celui qui garde pour lui
tout seul ses biens et ne fait pas charité aux pauvres, celui-là sera malheureux
avant sa mort. Il faut faire la guerre sainte aux âmes » ou encore dit-il «Et que
tout homme sensé ou sot sache que quiconque se rebelle contre la Vérité, est un
maudit». Pour les qualités intellectuelles et morales, Bamba recommande la
pudeur, le scrupule et la générosité, et prohibe le mensonge, la médisance, la
calomnie, l’orgueil, la cupidité, l’ostentation, l’amour du renom, la haine, la
jalousie et la précellence. Bamba condamne la sécheresse des cœurs et la
corruption des esprits. Il consacre des thèmes sur le savoir afin d’obtenir le salut
par la droiture, et les objectifs de la connaissance sont de sortir de l’ignorance et
d’être utile aux autres. Il faut respecter, servir et honorer son maître. Bamba
recommande d’abandonner les choses vaines et insignifiantes et de «s’adonner,
continuellement, à la contemplation de Dieu, car cela mène à une fin heureuse».
Dans son «Viatique à la jeunesse» Bamba exhorte la jeunesse de se hâter vers la
recherche du savoir et de combattre ses âmes charnelles. Dans les « Itinéraires du
Paradis», Bamba revient sur les défauts graves que sont l’orgueil, la fierté, la
méchanceté, la pleurnicherie, la passion pour ce bas monde, le mauvais caractère
et le défaut d’impatience. A ceux qui sont tentés par la violence, Bamba est très
clair : «il est interdit de l’écrire, de l’écouter quand on en parle, notamment de le
pratiquer, ainsi que de verser le sang ou d’utiliser illégitimement le bien d’un
musulman ou d’un semblable». Il incite de «fréquenter les gens du Bien en
suivant leur exemple».
Cheikh Moussa Camara (1864-1945) (voir mon post), El Hadji Malick SY (1855-
1922) ainsi que Seydina Limamou Laye THIAW (1843-1909) rejettent le recours à
la violence et prônent, comme Ahmadou Bamba, le Jihad du coeur. Cependant,
contrairement au guide spirituel des Mourides, El Hadji Malick SY prêchait la
collaboration avec le colonisateur : «Les Français se sont imposés à nous par
leurs bienfaits de justice, la sécurité intérieure, la paix générale, le
développement des transactions et du bien-être, et le respect de notre religion »
dit El Hadji Malick. Conquis par ses talents d’éducateur et sa probité, Alboury
N’DIAYE, le roi du Djolof, invite Bamba à prendre les armes contre le colonisateur
français. «Je ne suis pas venu sur terre pour verser le sang de mes semblables. Je
suis le serviteur du Prophète (Paix soit sur lui), le vivificateur de son
enseignement et le libérateur des Hommes. J’extirperai la haine des cœurs et
j’affranchirai mon peuple des chaînes de l’esclavage, des tentations de Satan et
des futilités de ce bas monde. Chaque homme sera le frère de l’autre et le culte
ne sera rendu qu’à Dieu» répond Cheikh Ahmadou Bamba.
Cette doctrine du Jihad du cœur de Cheikh Ahmadou Bamba, nous interpelle plus
que jamais à notre époque. En effet, Felwin SARR, un professeur à l’université
Gaston Berger de Saint-Louis, a eu raison, dans son ouvrage « Dahij», de rappeler
ce que signifie réellement le Jihad au XXIème siècle : «Ce livre est un Jihad. Une
guerre intérieure. Un Jihad pour sortir de moi-même, de ma race, de mon sexe, de
ma religion, de mes déterminations. Un Jihad pour aller vers moi-même. C’est un
désir de naissance, donc de mort». M. SARR précise encore sa pensée, le Jihad
est : «maîtrise de soi», «effort intense. Endurer l’exigence vis-à-vis de soi à
chaque instant». On peut même dire, avec Socrate (voir le post que je lui ai
consacré) que notre lutte et notre existence doivent tendre vers le Bien commun,
la Justice. Dans ce contexte, «la justice consiste en ce que chacun fasse ce qu’il a
à faire» dit Socrate. Par conséquent, la justice n’est pas qu’une conception
négative, s’abstenir de faire du tord aux autres, mais c’est une conception active
et positive, qui exige encore «que nous fassions pour eux ce qui leur est dû »
précise Socrate. En s’appuyant sur ce grand philosophe, on pourrait dire que
notre Jihad, c’est la poursuite inlassable pour la Justice, pour l’harmonie de
l’âme, c’est-à-dire la perfection qui résulte de la concorde, de l’ordre, de l’accord
parfait de toutes les parties de l’âme, la raison, le sentiment et la volonté. Bref, le
Jihad c’est l’idée du Bien qui doit régler notre conduite, la compassion et l’Amour
des autres. «On ne peut vivre qu’en cherchant à devenir meilleur, ni plus
agréablement qu’en ayant la pleine conscience de son amélioration » nous dit
Socrate.
Bibliographie sélective :
1 - 1 Ouvrages généraux
M’BACKE (Cheikh, Ahmadou, Bamba), La prière sur la mer , par Serigne Sam
M’Baye, traduit et transcrit par Papa Sall, préface de Mody Niang, Dakar, 1995 et
2014, 73 pages ;
M’BACKE (Cheikh, Ahmadou, Bamba), Les verrous de l’Enfer et les clés du Paradis
(Maghâliqu-N-Nîrân wa Mafâtihul Jinan, Perfectionnement spirituel) , par Serigne
Saam M’Baye, Dakar, non daté, 14 pages ;
2 – 2 - Poésie
BAVA (Sophie) et GUEYE (Cheikh), «Le grand Magal de Touba. Exil prophétique,
migration et pèlerinage au sein du mouridisme», Social Compass , 2001, vol. 48,
n°3, pp. 421-438 ;
CRUISE (O’Brien Donald), «Le taalibé mouride : la soumission dans une confrérie
religieuse sénégalaise», Cahiers d’Etudes Africaines , 1970, vol X, n°40, pp. 562-
578 ;
COMPANS (Jean), Les marabouts de l’arachide : la confrérie mouride et les
paysans du Sénégal , Paris, L’Harmattan, 1980, 280 pages ;
GUEYE (Cheikh), Touba, capitale des Mourides , Paris, Karthala, 2002, 536 pages ;
MARTY (Paul), L’Islam au Sénégal , Paris, Ernest Leroux, 1917, vol 1, chapitre 5,
pages 219-232 ;
27
(Chekh Anta BABOU, le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiya au Sénégal. Editions
Khartala. P. 294 à 295
Cheikh Chouaïb Mariama Diakhaté
Abdoulahi Samad (1917- ?) Khari Sylla
Abdoul Bakhé I Fati Diakhaté
Abd Al-Hamin Khari Penda Fall
Abdou as-Salam Koumba Diakhaté
Mokhtar Balla Khari Penda Fall
Abd al-Mokhtar Khari Diop
Abd al-Wahab Fati Diakhaté
Ibrahima II Aïssatou Diop
Abd al-Mouhaymin Fatim Touti
Babacar as-Sadikh Aminata Diop
Mouhamad Mourtada (1924-2004) Fatim Touti
Babacar Khari Penda Fall
Ahmidoun Fatim Touti
Mouhamad Abdoulahi Anta Bousso
Mouhamadou I Penda Cissé
Mouhamadou II Fati Sylla
Abdoul Khoudous Fati Diakhaté
Salihou Fati Diakhaté
Abdoul Bakhé II Fati Diakhaté
Al Bawi Fati Diakhaté
Abdoulahi Fati Diop
FILLES MERES
Fati Dia Mbacké Sokhna Dia Touré
Oumou Kaktoum Mbenda ou Penda Touré
Mariama Kounta Awa Bousso
Hassiyatou Fati Massamba
Fati Mbenda Bouya ?
Rouqiyatou Fatim Touti
Ndioba Fatim Touti
Mouslimatou I Fatim Touti
Fatimatou I Khadidiatou Diop
Aïchatou Khaditiatou Diop
Aminatou I Mariama Diakhaté
Mouslimatou II Mbène Diakhaté
Machkouratou FatI Sylla
Khadidiatou I Fatou Madou Mame
Mariama Mbène Diakhaté
Zahiratou Mariama Diakhaté
Fatimatou II Fati Diakhaté
Maïmouna I Ndiakhat Sylla
Fatimatou III Khari Sylla
Aminata II Awa Bousso
Maïmouna II Sokhna Bousso
Mouminatou Fati Sylla
Salimatou Aminata Diop
Fatimatou IV Mariama Diakhaté
Khadidiatou II Aminata Bousso
Maïmouna III Sokhna Sylla Saghir
Le Discours du Khalif Général des Mourides, fut prononcé par son Secrétaire
particulier, M. DRAME, le 7 juin 1963 :
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Messieurs les ministres,
Messieurs les membres du Corps Diplomatique,
Monsieur le Gouverneur de la Région de Diourbel,
Monsieur l’Administrateur Commandant le Cercle de M’backé
Messieurs les Députés,
Messieurs les Notabilités coutumières et religieuses
Mesdames, messieurs,
Avant d’entrer dans le vif de notre sujet, Nous aimerions tout d’abord souligner
la joie et le grand honneur que nous avons d’accueillir aujourd’hui notre ami
Léopold Sédar SENGHOR, chef de l’Etat et du Gouvernement qui, accompagné de
tous ses ministres, a tenu à associer l’Etat et la Nation à cette Manifestation
rreligieuse, dont il rehausse considérablement le prestifa et le niveau.
Sa présence ici, entouré des plus grands dignitaires de l’Etat et de la nation,
témoigne de la sollicitude particulière de son Gouvernement à l’égard de l’Islam,
sollicitude qui s’est manifestée récemment lors du Pélérinage à la Mecque.
Brillamment organisé par notre Député Maire Monsieur Doudou Thiam et placé
sous la direction de notre disciple El Hadji Mass Diopakhné, ce Pélérinage s’est
déroulé à la satisfaction générale, et nous saisissons cette occasion pour en
remercier le Gouvernement au nom de l’Islam.
Aujourd’hui s’est achevée, après 32 ans de travaux, la construction du plus grand
monument religieux de l’Afrique et l’un des plus grands du monde.
En dehors de son caractère religieux, la Mosquée de Touba est, de par
l’originalité et la hardiesse de sa conception architectureale, un patrimoine
artistique national, d’une valeur inappréciable.
Elle est le symblole du travail incessant, du labeur inlassable, de l’effort continu,
de la persévérance et de la tenacité Mourides.
Chaque pierre, chaque centimètre cube de cette masse de béton représentent
une goutte de sueur offetre en hommage à Dieu par un fervent adepte.
Mon Architecte vous donnera tout à l’heure, avec toutes les précisions
désirables, les renseignements techniques sur l’exécution de l’œuvre.
Je vous parlerai, pour ma part, de l’origine de sa conception, de son travail et des
péripéties qui l’ont accompagné.
Ayant réuni à Diourbel les plus graands pionniers du Mouridisme, Ahmadou
Bamba nous tint ce langage : « J’ai reçu du tout Puissan l’ordre d’édifier dans la
ville sainte de Touba une Mosqué qui devra être la réplique occidentale de la
Mosquée de Médine.
Cette Mosquée sera dédiée à Dieu et à son Prophète, qui me l’ont commandée.
Elle ne sera pas élevée en ma gloire, ni en celle du Mouridisme, mais en
hommage au Tout Puissant et à son Apôtre préféré. Sa construction est la seule
œuvre terrestre à laquelle je m’intéresse.
Faites de sa réalisation votre préoccupation majeure car c’est un ordre divin
aussi impératif qu’absolu. Et si, par malheur, vus vous en laissiez détourner, Dieu
enverrait sur terre des créatures qui la construiraient.
S’adressant plus particulièrement à moi, mon véritable Père poursuivait : « Pour
toi qui as toujours désiré œuvrer pour moi, voilà une tâche à ta mesure qui
comblera tes souhaits ».
Ces paroles de mon Saint Pèrre Ahmadou Bamba, prononcées d’une voix grave et
impersonnelle en ce jour de 1925, résonnent encore à mes oreilles. Elles ont été
pour moi le stimulant qui a fouetté ma volonté et déterminé le culte démoniaque
que j’ai toujours voué à la réalisation de son désir, devenu pour moi une
obsession. C’est pourquoi au moment où je vais recevoir des mains de mon
Architecte les clés de la Mosquée de Touba, au moment où je vais réaliser le plus
grans rêve de ma vie, je me sens transi d’émotion du privillète que le Tout
Puissant a daigné m’accorder.
Dans les annaleshistoriques sénégalaises, pourtant si décondes en événements
mémorables, cette cérémonie s’inscrira en lettres d’or. Elle sera considérée, par
les générations dutures comme l’un des plus grands événements de notre temps
et marquera notre époque d’une empreinte indélibile.
Si on anonnçait aux Mouritdes disparus l’achèvement de la Mosquée de Touva,
ils n’en croiraient pas leurs oreilles. En effet, la Mosquée de Touva semblai être
une œuvre titanesque, dont la finition s’incrivait dans un avenir imprévisible.
Pour être précis beaucoup d’entre nous croyaient que ce serait à leurs petits fils
qu’échoirait la fortune d’assister à cejour.
Le moment est venu d’être franc avec vous, chers Mourides, et de vous dire que,
sans l’aide de mon grand ami le Président Senghor et de son Gouvernement, il en
serait ainsi ; c’est-à-dire que l’inauguration de la Mosquée de Touba, que nous
célébrons aujourd’hui, serait du domaine du XXIe siécle.
Cela, il est bon que vous le sachiez. Il faut que vous en soyez conscients car, sans
cette aide il faudrait attendre encore 40 ans pour pouvoir prier dans la Mosquée.
C’est vous dire que peu d’entre nous auraient eu ce boheur. Avertis de cela, vous
serez plus à même de mesurer l’ampleur de la contribution exceptionnelle de
mon grand et cher ami le président Senghor.
Et je sus certain de traduire notre sentiment unanime en lui exprimant, de la
manière la plus solennelle, la reconnaissance et la gratitude de la confrérie
Mouride. Il me plaît de rappeler ici le serment que vous m’aviez fait, en 1946, à
Touba, alors que les travaux de la Mosquée n’étaient pas encore repris, de
m’aider à achever sa construction. Ce serment a été tenu. La construction de la
Mosquée de Touba est aujourd’hui terminée.
Une récente visite dans les pays Arabes et Musulmans du Moyen Orient nous
permet d’affi rmer, sans crainte d’être démentis, que la Mosquée de Touba est,
après celles de la Mosquée et de Médine, la plus grande et la plus belle du
monde. Son architecture, conçue avec hardiesse et audace, l’originalité et la
position de ses bassins des ablutions, uniques dans le genre, la classent au-
dessus des plus célèbres Mosquées.
Elle est, avec la Mosquée de Brunéi – dans le Nord Bornéo en Extrême Orient – la
seule Mosquée au monde à avoir un ascenseur dans son Minaret central. Enfin,
dernier motif de fierté nationale, la Mosquée de Touba détient le record mondial
de hauteur de minaret – nous ne parlons de tour – puisque son Minaret central à
une hauteur de 86,80 m, battant de plus de 2 m la Mosqée Mohamed Ali du
Caire, dont la hauteur du minaret centrale est de 84 m.
Voilà une contribution de poids à l’Islam, une contribution vraiment positive, qui
ne souffre aucune comparaison.
L’inimitable Capitaine Marty, bibliographe de mauvais aloi du Mouridisme et des
détracteurs de cette Secte – pour lesquels les Mourides étaient des pseudos
musulmans –tourneraient dans leurs tombes s’ils apprenaient que leurs
hérétiques ont doté l’Afrique noire du plus grand temple de l’Islam.
S’ils avaient pu contempler ce temple majestueux offert en sacrifice à Dieu par
un peuple dévot, ils auraient pu mesurer leur erreur quand ils prédisaient la fin
prochaine de la Confrérie Mouride.
Car, pour Paul Marty et ses amis, le Mouridisme n’était qu’un mouvement
prétendûment religieux, d’une consistance éphémère, réellement lucrative, sans
doi ni dévotion, guidé par un esprit malin exploitant la crédulité africiane, et qui
ne tarderait pas à se disloquer en lambeaux dès la disparition de ce guide
tentaculaire. La Mosquée de Touba est, pour nous, la meilleure réponse que nous
pouvons leur opposer.
Cette mosquée, je l’ai réalisée avec l’effort opiniâtre des Mourides, l’aide du
gouvernement et la fidèle collaboration de mon architecte M. Gaston Scatena.
REPUBLIQUE DU SENEGAL
*-*-*-*-*-*-*
SERIGNE SALIHOU MBACKE
(FILS DE CHEIKH AHMADOU BAMBA)
KHALIFE GENERAL DE LA CONFRERIE DES MOURIDES
TOUBA (SENEGAL)
DU « NDIGUEUL » DE CHEIKH AHMADOU
BAMBA
MBACKE AUX REALISATIONS URBAINES DE
SES
KHALIFES. OU LA MAITRISE DE LA
CROISSANCE
URBAINE RAPIDE PAR L’AUTO-GESTION ET
LES
VALEURS SPIRITUELLES DE LA CONFRERIE
MOURIDE
TOUBA LE 06 MAI 1996
AVANT-PROPOS
*-*-*-*-*
TOUBA (SENEGAL)
DU « NDIGUEUL 28 » DE CHEIKH AHMADOU BAMBA MBACKE
AUX REALISATIONS URBAINES DE SES KHALIFES
OU LA MAITRISE DE LA CROISSANCE URBAINE RAPIDE
PAR L’AUTO-GESTION ET LES VALEURS SPIRITUELLES
DE LA CONFRERIE MOURIDE 29
28
Ce terme ouolof signifie une consigne, un mot d’ordre émanant d’une autorité religieuse nouride.
29
La confrérie mouride est la communauté musulmane fondée par le guide religieux Cheikh Ahmadou Bamba.
terrain auquel rien ne les prédisposait : l’aménagement et la gestion d’un
établissement humain.
En la matière, le miracle qui se produit dans la cité religieuse à une signification
rationnelle. Il tient à l’importance prioritaire accordée à l’accomplissement du
vœu du fondateur de la confrérie mouride par ses fidèles dont le sens de la
mobilisation transcende cependant la matérialité de leurs actes.
A- SIGNIFICATIONS DE TOUBA DANS LE PATRIMOINE SPIRITUEL MOURIDE
L’essor remarquable connu par TOUBA qui a vu sa superficie urbanisée tripler et
sa population presque quintupler entre 1976 et 1988 30 dans un contexte de
profonde crise de l’hinterland sénégalais montre bien que les conditions de ce
développement ne sont pas pour l’essentiel matérielles. Le tissu économique
local n’a ni une densité ni une diversité suffi sante pour rendre compte de toute
la force d’attraction de la vielle. La plupart de ceux qui ont emprunté ce chemin
migratoire avant de s’y établir ont, ce faisant, obéi à la consigne donnée par le
guide de la confrérie. « NDIGUEUL » à tout Mouride d’avoir une résidence à
Touba.
D’après l’étymologie, ce toponume signifie « le Grand Bien ». Au momment de sa
découverte par Cheikh Ahmadou Bamba en 1887, ce site retiré sur les marches
orientales de l’ancien royayme du Baol (voir figure n°1) ne présentait d’aménité
que pour un mystique à la recherche d’un lieu assez dissuasif pour le commun
des mortels, mais procurant l’isolement propice à des retraites spirituelles. Le
saint homme y vivait sans autre compagnie que celle des animaux sauvages.
Rares étaient les parent et fidèles à le rejoindre pardois dans la sollitude de cette
savane austère. C’est sur une clairière à l’ombre d’une hutte faite de branchages
et de paille que Cheikh Ahmadou Bamba composa son poèmpe MATLABUL
FAWZEYNI (Quête de la double réussite) qui sous maints rapports recoupe la
stratégie mondiale du logement. Dans cette ode, il expose sous forme de prières
adressées à Dieu, sa vision de l’avenir de Touba.
Pour faire de ce site un haut lieu de spiritualité, il implore son Seigneur de
préserver la nouvelle fondation des influences maléfiques qui peuvent avoir une
origine naturelle ou humaine.
30
Entre ces deux dates, la superficie urbanisée est passée d’environ 1175 à 3600 ha et la population de 29 600 à
123 500 habitants.
« O Toi le Primordial, le Susistant protège-nous dans cet établissemnt
contre le mal de tous ceux qui se déplacent à pied et contre le ma de ceux
qui s’envolent.
Contre le mal d’une agression verbale.
Contre le mal de toute complicité sournoise ou agissante.
Contre le mal de ceux qui souffl ent dans les nœuds
Contre le mal du magicien et le mal des mécréants.
O mon Seigneur, protège-moi du lion, du boa, des scorpions et des
serpents
Protège-nous contre des offenses de tout offenseur
Protège-nous du mal du Silencieux et de celui qui argumente et le mal de
tout faussaire et de tou noctambule
Contre les vices de tout malfaiteur
Contre les insuffi sances de tout bienfaiteur
Contre les sévices du maltraiteur
Contre le mal de tout assaillant
Contre le mal du commun des mortels et le mal de tout célèbre
personnage
Et le mal du proche,
Et le mal de l’éloigné,
Et le mal de la canicule, du froid et des dégâts de l’inondation »(ers 139 à
155).
Sans cet environnement paisible en effet, Touba ne pourrait se conformer avec
sa vocation religieuse que le fondateur du mouridisme souligne avec force dans
le même poème :
« Fais que cet établissemnt soit un établissment de piété, de science et de
religion.
Qu’il soit une source d’élevation » (vers 193)
« Fais que cet établissemnt soit un lieu d’adoration de Dieu le
Miséricordieux et de rejet de Satan le Bâni » (vers 197)
L’une des voies privilégiées pour accéder à la foi est la connaissance à laquelle
Cheikh Ahmadou Bamba accorde une place éminente dans son établissement. En
ses vers 218 et 219, Matlabul Fawseyni élève cette prière :
« Fais que cet établissement soit un réceptable d’enseignement, un lieu de
méditation et d’entendement »
« Fais qu’il soit un lieu d’éducation et de magistère d’enseignement ».
Touba est dans ce poème, appelée à un grand destin :
« O Seigneur fais que mon établissement Touba ait à jamais une stature
conforme à sa prestance » (vers 57)
« Seigneur, pardonne à tous les bâtisseurs de ce gigantesque étallissement.
Pardonne à tous ceux qui l’ont ordonné » (vers 203)
« Pardonne à tous ceux qui contribuent à l’édification de ce gigantesque
établissement élevé grâce à tes bienfaits » (vers 204).
La réussite de ce lieu sera, outre ses fonctions premières, liée à sa prospérité
économique et à son ouverture :
« Fais que cette terre soit une terre de richesse, de sécurité, de
miséricorde, d’abondance tout le temps » (vers 201)
« Réunis en cet établisseement tous les biens d’où qu’ils viennent (de l’Est,
de l’Ouest, du Nord, du Sud, du Ciel, de la terre) » (vers 226).
De la conjonction de tels avantages peuvent naître des dérives ou des
catastropohes que Cheikh Ahmadou Bamba prie Dieu d’exorciser :
« Protège cet établissement du vagabondage et de la délinquance et de
toute promiscuité
Eloigne de cet établissement toute épidémie, toute catastrophe
Que son eau soit potable et son alimentation saine » (vers 224).
La réalisation de cette vision ne se circonscrit pas aux seuls membres de la
communauté mouride, tout comme les bienfaits susceptibles de résulter de la
participation au projet urbain du saint homme :
« Protège quiconque m’aura consacré un effort dans cet établissement ou
y aura effectué une visite, et, pardonne lui ses pêchés » (vers 59).
Le poéme s’achève sur une prière qui en dit long sur la générosité de Khadim
Rassoul 31 à l’égard de son prochain :
« Seigneur, Ô toi le Surveillant, le Détenteur du pouvoir, le Déterminant de
la création par ta Domination, mon intégrité corporelle, ma religion mes
fidèles et mes fils et mon établissement te sont confiés et ce, à jamais pour
toute la durée de notre séjour sur terre e dans l’au-delà, protège-nous de
tout mal.
Protège-nous des affres de l’enfer et protèhe tous ceux qui se sont
rattachés à nous en ce monde.
Protège tous mes frères de sang ou mes frères de religion et tous ceux qui
me sont étrangers » (vers 230 et 231).
Selon l’hagiographie, Cheikh Ahmadou Bamba a au terme d’une ascèse
particulièrement intense 32 dans le mois de Ramadan de 1895, en sa mosquée
oratoire de Darou Khoudoss, recueilli du Prophète Muhammad (Paix et Salut sur
Lui) des révélations sur son destin personnel et celui de Touba. La gloire à
laquelle il aspirait dans le service de Dieu, lui a-t-on appris, ne pouvait être
attteinte qu’au terme d’épreuves incompatibles avec sa présence à Touba. Il lui a
été dit :
« Tu dois quitter Touba. Tant que du demeures dans ce lieu, tu seras à
l’abri des épreuves car Allah a exaucé toutes tes prières sur Touba ».
31
Khadim Rassoul, un des noms que s’était donné Cheikh Ahmadou Bamba lui-même, signifie en arabe « Serviteur
du Prophète ».
32
Cette forme d’ascèse (ih tikâf en arabe) est pratiquée dans les dix derniers jours du mois de Ramadan pour
solliciter de Dieu des grâces.
« Fais que cet établissement soit un lieu de pélérinage pour les indigents
ici bas. Qu’il soit un argument décisif pour le contrevenant dans l’au-
delà ».
Du vivant de Cheikh Ahmadou Bamba, TOUBA ne se distinguait pas
particulièrement des autres centres de la foi mouride. Certains d’entre eux, à
l’instar de Mbacké de Darou Salam, pesaient d’ailleurs plus lourd par leur
population et leurs fonctions. La confrérie était alors naissante vers la fin du
XIXème siècle. Mais elle n’en indiquiétait pas moins les tenants du pouvoir
colonial puisque des gens de toutes les conditions sociales séduits par le
mysticisme de l’homme de religion affl uaient vers Cheikh Ahmadou Bamba. Pour
briser son influeunce dans la colonie, il fut exilé de 1895 à 1902 au Gabon, et de
1903 à 1907 en Mauritanie puis à son retour au Sénégal mis en résidence
surveillée à Thiéyène (1907-1912) et à Diourbel (1912-1927). Dès lors, le
peuplement qu commençait se former autour se dispersait au fur et à mesure
que cette absence se prolongeait.
A la disparution du gui en 1927, Touba allait commencer une ascension vers un
destin exceptionnel. La présence du mausolée du vénéré « serigne » 33 et
l’installation sur le site de sa famille auparavant disséminée en divers villages
devaient y atti rer des pélerins en nombre croissant dont certains finirent par y
rester à demeure.
Les Mourides se représentent Touba comme leur pôle spirituel majeur au
Sénégal. A ce titre, chaque membre de la confrérie doit contribuer à son prestige
et à son rayonnement, en y aménageant une demeure sur la parcelle obtenue
gratuitement, et, en vient le message de paix et de fidélité à Dieu et au Prophète
de l’Islam délivré par les enseignements et la vie de Cheikh Ahmadou Bamba.
33
Le terme serigne signigie guide spirituel, maître d’enseignement islamique.
B. LES PROCEDURES DE MISE EN ŒUVRE DU « NDIGUEUL » DE CHEIKH
AHMADOU BAMBA
Les khalifes qui se sont succédé depuis 1927 à la tête de la confrérie ont sans
exception considéré le devenir de TOUBA comme une dimension essentielle de
leur sacerdoce. La réussite incontestable qui a marrqué leur rôle dans la gestion
du développement urbain vient pour une large part de leur leadership. Mais
celui-ci va de paire avec l’adhésion des fidèles pour lesquels la part prise dans
l’accomplissment du dessein de Cheikh Ahmadou Bamba pour TOUBA, dévoilé
dans le poéme précité, constitues une de leurs raisons de vivre.
En sa qualité de continuateur de l’œuvre du fondateur et donc de garant de
l’ordre matériel et moral régnant dans la cité sainte, c’est le Khalife Général 34 en
exercice qui incarne l’instance où se définissent les choix d’aménagement.
Pour financer les projets de construction quelle qu’en soit l’envergure, le Khalife
Général emploie les moyens propres à la confrérie. Ils sont d’abord constitués
par les revenus lui appartenant et tirés principalement de ses exploitations
agricoles. Les contributions de fidèles à la vie de la confrérie (« addiya »)
peuvent être égalament mobilisées aussi bien pour la ville que plus directement
pour sa population sous forme de numéraire redistribué aux nombreux
nécessiteux transitant quotidiennement par la concession du Khalife. Il arrive
que, pour les besoins d’une réalisation exigeant des investissements à haute
intensité de capital, un « ndigeul » soit lancé au sein des Mourides. Il en résulte
alors une remarquable mobilisation permettant en un délai très court de réunir
les financements attendus.
34
La confrérie mouride repose du point de vue organisationnel sur une hiérarchie marquée au sommet par le
khalife général et les dignitaires des difféentes branches de la famille de Cheikh Ahmadou Bamba.
Il convient de faire l’éloge du souci de transparence dans la gestion financière
des affaires de la confrérie qui a animé l’actuel Khalife Général Serigne Salohou
MBACKE lorsqu’il a ouvert récemment un compte bancaire au nom de Cheikh
Ahamdou Bamba.
Sur l’acte notarié établi à cet effet le 27 mai 1992, il fait préciser ce qui suit :
« Ce compte de mon vivant, comme après moi ne pourra servir ni à mes
enfants, ni à mes héritiers quelqu’ils soient
Ce compte appartient à la Confrérie des Mourides et ne peut être
mouvementé que par le Khalife Général en exercice.
Les prélévements opérés sur ce compte doivent et ne peuvent serivr qu’à
une œuvre destinée à Serigne Touba. Ce compte ne peut en aucune
manière être utilisé à des fins personnelles ».
L’aménagement et le fonctionnement de Touba puisent aussi dans le
volontarisme mouride. Cela explique la disponibilité des « talibés » 35 pour les
opérations d’investissement humain pouvant porter sur l’entretien des espaces
publics, le reboisement ou le nettoiement périodique des cimetires. C’est
également la population qui veille au respect des règles organisant la vie sociale.
L’édification de la cité sainte comporte une dimension morale que Cheikh
Ahmadou Bamba a inscrite au cahier de charge des continuateurs de son œuvre.
Dans les vers 72 et 224 de son poéme Matlabul Fawzeyni il priait son créateur en
ces termes :
« Protège mon établissement de tous les libertins… »
« Protège cet établissment du vagabondage et de la délinquance et de
toute promiscuité… ».
Respectueux de cette consigne, les fils de Cheikh Ahmadou Bamba avaient fait
prendre le 18 septembre 1980 cet acte dans lequel ils prenaient à témoin le
Procureur de la République près du tribunal de première instance de Diourbel.
« Nous, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, Khalife Général des Mourides et
frères soussignés, dénonçons par la présente, à l’effet d’une répression
systématique des faits suivants contraires aux principes qui ont été toujours
défendus par Serigne Touba, fondateur de la ville de Touba :
35
Le terme « talibé » signigie le disciple.
1. Vente, consommation de boissons alcoolisées et ivresse (publique et en
clandestin) ;
2. Vente, détention et usage de drogues, notamment yamba (publique et
clandestin)
3. Jeux de hasardet loteries
4. Vols et recels
5. Tam-tams, musique de danse et manifestation folkloriques et enfin, tout
ce qui, en dehors de ces faits, est, également contraire aux principes de
l’Islam ».
Pour faire appliquer ces dispositions visant à interdire l’accès de Touba aux
pratiques licencieuses, les autorités religieuses ont demandé et obtenu la
construction d’une brigade spéciale de gendarmerie à la porte de la ville.