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BIBLIOTHÈQUE xru SEIZIÈME SIÈCLE

LEON VA DER ESSEN


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PRINCE DE PARME
GOTIVERNEUR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS
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(1545-1592)

TOME III
(1582-1584)

nit:ersitaire)

BRUXELLES
LIBRAIRIE J.TATIO TALE D'ART ET D'HISTOIRE
f934
~. ----~------------- ----- -------
ALEXANDRE FARNÈSE
PRINCE DE PARME
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS

(i545-i592)
PL. l

ALEXAl~DRE FARNÈSE
{Portrait par G. R. Saive, à la Pinacothèque de Parme)
LEON VAN DER ESSEN
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN
MEMBRE DE LA COMMISSlON ROYALE D'HISTOIRE
DOCTEUR C HONORIS CAUSA :. DES UNIVERSITÉS
DE PADOUE ET DE MOll<"TPELLIER

ALEXANDRE FARNÈSE
PRINCE DE PARME
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE8 PAYS-BAS
(1545-1592)

TOME III
(1582-1584)

BRUXELLES
LIBRAIRIE NATIONALE D'ART ET D'HISTOIRE
1934
A V ANT- PROPOS

Dans le présent volume de notre Alexandre Farnèse se déroule


le récit d'événements décisifs.
Pour assurer la possession des provinces wallonnes réconciliées,
le prince de Parme entreprend, avec une armée nationale qui ne le
suit qu'à contre-cœur, le siège de Tournai et se rend maître de cette
ville. A la suite de manœuvres très habiles, il entraîne les États des
provinces wallonnes à consentir au retour des' troupes espagnoles et
italiennes. C'est pour sa diplomatie Ull grand triomphe et, pour
l'avenir, une garantie de succès.
En vue du retour éventuel de ces soldats étrangers, il avait
dressé, dès 1581, un grand plan d'offensive et dès l'arrivée des pre-
miers contingents espagnols, il entame la lutte contre ses adversaires,
sans leur laisser un instant de repos. En vain le prince d'Orange,
prévoyant ce qui allait arriver, s 'efforce-t-il d'animer ses partisans,
de les grouper, d'obtenir les subsides nécessaires. En vain compte-
t-il sur l'aide du duc d'Anjou pour briser l'offensive de Farnèse.
Par son attentat contre Anvers (Furie française), le perfide duc
s'attire la colère des Flamands et détruit presque tous les résultats
de la politique du Taciturne. Débarrassé du danger d'intervention
française; Farnèse se tourne contre les États, disperse les dernières
troupes d'Anjou, et part à la conquête de la Flandre et du Bra:bant.
Rien ne peut lui résister : Audenarde, Nieuport, Furnes, Dixmude,
Menin, Bergues-Saint-Winoc, Ninove, Alost tombent entre ses mains,
Bruges doit se rendre, Gand est bloquée, Bruxelles, Termonde et
Malines sont isolées. Au moment où, en 1584, l'attentat de Balthazar
Gérard débarrasse Farnèse du Taciturne et fait disparaître le seul
adversaire qui fût de taille à lui tenir tête? les soldats du prince de
Parme ont déjà commencé à encercler Anvers. Le drame touche à son
point culminant : bientôt, la grande métropole commerciale, dernier
refuge des rebelles dans '1:esud des Pays-Bas, se soumettra humble-
ment au vainqueur. Ce jour-là, les Pays-Bas méridionaux - la future
Belgique - sont définitivement séparés du Nord.
Au cours de ces événements lourds de conséquences, Farnèse s'est
montré tacticien de première force, diplomate fin et rusé, maisaussi
homme loyal et droit, sachant faire usage de clémence dans l'intérêt
de la paix. Cette clémence Ifut tout aussi efficace que la voie des
armes pour rompre le front que lui opposèrent ses adversaires et,
au moment psychologique, incita la plupart des rebelles à aban-
donner le 'I'aciturne et à se réconcilier-avec le Roi.

La plupart des questions traitées dans ce volume n'ont jamais


été examinées d'une façon approfondie ou dans leurs rapports réci-
proques. Nous en avons entrepris l'étude à l'aide d'une documenta-
tionen grande partie inédite et neuve. A titre el 'exemple, il suffit de
comparer notre exposé de certaines questions avec ce que, à L'aide
d'une information très incomplète, Kervyn de Lettenhove en a dit
dans Les Huguenots et les Gueux 'Ou de confronter Phistoire de la
reddition de Bruges, telle que nous la donnons, avec le chapitre qu 'y
consacra la comtesse de Villermont dans son Charles de Cray et
d'ArschOt publié en 1923, ponrr se rendre compte de la vérité de ce
que nous affirmons ici. La partie de la vie du prince de Parme qui va
du siège de TournalÏ au début dru siège d'Anvers lavait été étudiée par
Fea dans son Alessandro Earnese, mais assez rapidement, et du seul
point de vue militaire. Il suffit de faire remarquer qu'il n'y consacra
que 50 ou 60 pages de son livre. Or, l'importance des événements
d'ordre politique est tout aussi grande pour comprendre le rôle du
prince de Parme de 1582 à 1584 : ils n'avaient jamais été, de ce
point de vue, sérieusement étudiés dans toute leur complexité et à
l'aide d'une documentation étendue.

TI nous reste à nous acquitter d'un devoir de reconnaissance,


Pour la préparation de ce volume, les services rendus par M. le

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ASPElC'l' GÉNÉRAL DU SIÈGE DE 'l'OURNAI


Plan de l'arclntecto Le Poivre
(Ms. 19611 de la Biblioll1èque Royale de Belgique. fo /16,)
professeur E. van Cauwenbergh, bibliothécaire de l'Université de
Louvain,par M. Jos. Ouvelier, archiviste général du Royaume,et
par M. Victor Tourneur, conservateur en chef de la Bibliothèque
Royale, ont été, comme pour les volumes antérieurs, infiniment pré-'
cieux. Nous devons remercier aussi nos collègues de l'Université de
Louvain, M. Jean Gessler et M. Edm. Leplae - ce dernier nous a
signalé des documents ieonographiques de valeur - pour l'empresse-
ment qu'ils ont mis à nous rendre la tâche plus facile.

LÉON VAN DER EsSEN.

Louvain, le 9 juin 1934.

Sigles employés dans les notes :


A. F. N. = Archives farnésiennes de Naples.
A. F. ,P. = Archives farnésienners de Parme.
A. G.R. = Archives générales du royaume à Bruxelles.
B. N. P. = Bibliothèque Nationale de Paris.
Liber relationum = Liber relationum eorum quae gesta juere in
Belgio et alibi per serenissimum D. Ducem Aleœondrwm. Farnesium
(Ms. II, U55 de la Bibliothèque Royale de Bruxelles).
Libro de las cosas de Flandes = Libro de los cosas que sucee-
dieron en Flandes (Bibliothèque Nationale de Paris, ms. espagnol
n° 182).

7
~~~~~~- ---------
CHAPITRE PRE~IIER.

DU SIÈGE DE TOURNAI AU RETOUR


. DES TROUPES ESPAGNOLES
(octobre 1581 - fin décembre 158ü

Déjà, depuis la fin de 1580, Alexandre Farnèse avait l'intention


dentreprendre le siège de Tournai. Le 12 octobre, il avait écrit à
Philippe II qu'il était nécessaire de se rendre maître de Cambrai, de
'I'ournai et de Menin, si on voulait 'assurer la séouritê des provinces
wallonnes (1). La 'prise de Cambrai n 'ayant pas réussi, c'est vers
Tournai que te prince allait porter tous ses efforts. Bans doute, au
moment où il prit cette décision, la saison était déjà très avancée :
I'antomne, avec son cortège ordinaire de pluie et de vent, n'était pas
un moment particulièrement 'bien choisi pour entreprendre le siège
d'Une ville importante et bien défendue. C'est ce que les membres du
Conseil de, guerre, que F'arnèse réunit à cette occasion, mirent en
avant avec beaucoup d'insistance (2). Mais le prince de Parme ne se
laissa point détourner de son projet. Bien qu'il estimât lui-même
que le siège de Tournai serait une entreprise dangereuse, vu le
manque d'argent dont il souffrait et le nombre peu élevé de soldats
dont il disposait (3), il était d'avis qu'elle était nécessaire pour
rétablir la réputation de l'armée royale et pour effacer la honte que

{i) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 296; Lettre du 3 janvier 1581
(A.G. R., Copies de Simancas,vol. 14, r- 154).
«2) STRADA, o. c., t. lll,;pp. 280-281.
(3) D'après les agents anglais résidant à Gand, Farnèse avait avec lui devant Tournai
5 régiments wallons, 3 régiments allemands ët29 cornettes de cavalerie (Foreign Calendar,
1581, n- 383).

9
lui avait infligée la retraite devant Cambrai (4). De plus, certains
seigneurs wallons de son entourage ne murmuraient-ils pas qu'il avait
laissé le duc d'Alençon entrer dans cette dernière ville, pour pouvoir
démontrer la faiblesse des troupes wallonnes et trouver ainsi le
prétexte de rappeler à son secours les troupes espagnoles 7 (5) D'autre
part, les habitants des provinces réconciliées et surtout ceux de Lille,
qui craignaient les incursions répétées des soldats du prince
d'Épinoy, avaient insisté pour que Farnèse essayât de se rendre
maître de Tournai. Les habitants de Lille avaient même offert de
Paider en mettant à sa disposition de la. poudre, des sapeurs, et en
fournissant un subside d'e50.000 florins (6). Il semblait d'autant plus
facile d',entrer dans la place qu'elle ne comptait qu'une petite garni.
son, qu'on avait noué des intelligences ave-c les catholiques qui ~T

séjournaient, et qu'il ne faudrait point de grands efforts pour ame-


ner, par voie d'eau, des villes voisines comme Condé, Valenciennes,
Douai, Lille, Courtrai, Orchies, I'artillerie et les munitions néces-
saires (7).
Enfin, le prince de Parme .dut se sentir particulièrement attiré
vers Tournai parce que 'c'était 'le centre du gouvernement du prince
d'Épinoy, qui avait été jusque-là. iœréductibleet incorruptible, et que
ce seigneur se trouvait en ce moment loin de sa ville, retranché sous
les murs de Dunkerque.
Farnèse n 'hésita pas et prit toutes les mesures nécessaires pour
arriver à l'improviste devant la place qu'il convoitait. Fidèle à. sa
tactique, qui commençait toujours par isoler autant que possible l'es
villes dont il vouladt ientreprendre le siège, il avait empêché les
troupes françaises d'Alençon d''entrer en Flandre et, par s'Onmouve-
ment contre Dunkerque, maintenu dans cette région les forces des
États. Pour disperser encore plus les troupes ennemies qui auraient
pu tenter d'empêcher l 'encerclement de Tournai ou de lui portel'

(4) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 9 octobre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo 281).
{5) STRADA. o. c., t. III, p. 2181.
(6) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 17 novembre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
veil. 14, fo 287). - Philippe Warny, dans ses Mémoires sur le siège de Tournai, dit {p. 1 de
l'édition citée dans la liste bibUogr3Jphique): « Les brigandages et pilleries, larsstns et
saccagements qu'ont fait les soldats et bourgeois hérétiques avec leur gouverneur le
prince d'Espinoy, at esté cause que le camp du Roy d'Espalgne fut campé devant Tournay .
S'il falloit nombrer les rnaulx que Tournay a fait es Pays-Bas, {ln ne les sçaurolt nommer .
Ç'at esté une vraye fasse aux larrons. »
(7) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 17 novembre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo 287); STRADA, o. C., t. III, p, 281,

10
secours, il entreprit dabord une sene de marches et de contre-
marches, destinées à tromper l'advers.aire sur ses intentions réelles.
Il feignit de se diriger sur Menin et d'aller préparer dans cette région
ses quartiers d'hiver (8). Mais en même temps, il ordonna au baron
d'Aubigny, avec son régiment de Wallons, et à trois compagnies
d'Allemands, d'obliquer vers Tournai et de s'emparer des châteaux
et des demeures susceptibles d'être fortifiées qui se trouvaient dan!' les
environs immédiats de la ville. De 'Plus, Ilecolonel de Masnuy, avec de
l'infanterie, et le baron de Montigny, avec toute la cavalerie, devaient
se porter rapidement en avant plus près de Tournai et, par un coup
de main, se rendre maîtres des faubourgs (9). Cependant, la marche
de Montigny fut trop lente et il ne put empêcher l'ennemi <lebrûler
une partie de ces faubourgs et les maisons situées près des remparts
de la ville, avant 'que les troupes royales eussent pu Ies occuper (10).
Doit-on y voir mauvaise volonté de la part de Montigny 7
N'oublions pas, en effet, qu'il était le beau-frère du prince d'Épinoy.
Le, marquis de Richebourg était le frère de ce dernier et ces liens de
parenté semblent expliquer la manière peu énergique dont les deux
chefs wallons se comportèrent pendant le siège de la place (11). A en
croire Strada, la parenté de Montigny et de Richebourg avec le
prince d'Épinoy n'avait pas laissé d'inquiéter Alexandre Farnèse à
la veille des opérations qu'il allait entreprendre, mais il aurait
compté, d'autre part, sur l'inimitié qui dressait Pierre-Ernest de
Mansîelt et dautres seigneurs encore contre Richebourg et en aurait
attendu, de la part de ceux-ci, un effort plus grand pour se rendre
maîtres de Tournai (12). Le prince de Parme avait d'ailleurs avec lui
le colonel de Mondragon, en l'expérience duquel il avait une grande
confiance et dont il se promettait beaucoup (13).

Le 5 octobre le prince de Parme lui-même, avec le reste de


l'armée, composé des régiments du comte d'Egmont, de Montigny,
d'Aubigny, de quelques compagnâes du régiment de la Motte et
d'un régiment d'Allemands, apparut devant Tournai (14). Dès le
{8) Liber relationum, fo 93vo•
(9) Libro de las cosas de Pumdes, fo 222'°.
{10) Liber retatumum, r-93vo•
(11) STRADA, o. c., t. III, p. 281.
{12) STRADA, o. C., t, III,p. 282,
(13) C'est ce qu'il écrit au Roi, le 9 octobre 1581 (Loc. cit., fo 281).
(14) Libro de las cosas de Flandes, r- 222'".

11
premier jour, la ville fut si bien entourée et serrée de si près que
personne ne pouvait en sortir sans être aussitôt aperçu par les
soldats de Farnèse (15).
Tournai était une position forte, défendue par ses remparts
garnis de 65 tours rondes, datant de l'époque romaine et qui avaient
été renforcés pendant le moyen âge. Un large fossé, facilement ali-
menté par l'Escaut qui passe à travers la ville, l'entourait; dans ces
fossés s'avançaient, sur le parcours des fortifications, onze ravelins
reliés à la muraille par un pont solidement construit. Aux extrémités
de la place! sur la rive de l'Escaut, se dressait un château ou une
citadelle, que le roi d'Angleterre Henri VIn y avait fait construire
autrefois lorsqu'il avait conquis la ville sur les Français (16).
Aussitôt qu'il eut appris l'arrivée de Farnèse devant Tournai,
le prince d'Epinoy avait abandonné ses retranchements de Dun-
kerque et avait rapidement conduit son armée jusque Audenarde.
Lui-même était allé rejoindre le prince d 'Orange à Gand. Le T.aciturne
avait appris, coup sur coup, que le prince de Parme avait prêei
pitamment quitté son camp près de Dunkerque et qu'il s'était mis
en marche vers Armentières et Lille, répandant sur son passage
la nouvelle qu'il se dirigeait vers Ie Cambrésis. Puis, soudain, s'était
ébruitée la nouvelle qu'il venait d'apparaître devant Tournai et qu'il
en commençait le siège {17).
D'abord surpris de cette audace, Orange avait fini par consoler
le prince d'Epinoy en affirmant que la ville était suffisamment forte
pour résister et que « Tournai n'était pas un morceau pour les
Wallons » (18). Cependant, Epinoy avait envoyé immédiatement une
partie de ses troupes au secours de la cité, mais ces forces arrivèrent
trop tard. Elles trouvèrent l'armée royale déjà installée dans de
fortes positions et durent abandonner l'espoir de rejoindre les
assiégés (19).
Le prince d'Epinoy tenant la campagne avec la majeure partie
de ses soldats, 'I'ournai ne comptait pas une forte garnison. Il n'y
avait point de cavalerie; le nombre des îantassinaétait peu élevé;
mais ill existait une milice bourgeoise bien organisée, forte de
900 hommes (20). De plus, Tournai avait été, sous le gouvernement
i(15) Mémoiressur le siège de 'roumat; 1581, par PHILIPPE WARNY, p. 3.
(16) Liber reuuumum,fos 93-94; STRADA,o. C., t. III, pp. 283-284.
(17) Stokes à Walsingham, Bruges, 8 octobre 1581 (Foreign Caietuiar, 1581, n- 359).
(18) STRADA,o. C., t. m, p. 285.
\(19) Liber relationum, r- 93-vo•
(20) Stokes à Walsingham, lettre citée.

12
du prince d'Epinoy, l'asile de très nombreux calvinistes et ceux-ci
étaient décidés à se défendre jusqu'à la mort (21). Tout ce que les
provinces wallonnes avaient compté dagitateurs 'et de sectaires
avant la réaction catholique de 1579 s'était réfugié à Tournai et ces
gens, n'espérant aucune clémence de la part des troupes royales,
allaient montrer pendant le siège une ténacité et un courage qui
rappellent, en bien des points, les événements de la défense de
Maestricht.
En quittant la ville pour se diriger vers Gravelines à la rencontre
du duc d'Anjou, le prince d'Epinoy y avait laissé son lieutenant,
François Dijoon, seigneur d'Estréelles, ainsi que la princesse d'Epi-
noy, sa femme, née Philippine-Christine de Lalaing, dont la fermeté
et l'énergie furent pour beaucoup dans la résistance prolongée des
habitants (22).
Dès qu'ils se virent menacés d'un siège, les Tournaisiens avaient
pris des mesures pour y parer. Le 3 octobre, ils avaient enrôlé à
leur service les soldats qui, au nombre d'une soixantaine,occupaient
le fort de Warcoing'; ils avaient dressé la liste de tous les hommes
disponibles et aptes à être utilisés pour fortifier la ville. Un conseil
de guerre, composé du sire d'Estréelles, du prévôt de la ville, des
maïeurs, des capitaines des compagnies wallonnes de la garnison
et des capitaines des compagnies bourgeoises, de certains échevins
et du procureur fiscal, avait ordonné à tous les bourgeois d'apporter
à l 'hôtel de ville la poudre à canon 'et le sel dont ils étaient détenteurs.
Il avait enjoint à tous les laboureurs de se présenter avec leurs
chevaux et leurs chariots, sous peine d'être chassés de la ville, avec
leurs familles. Il avait prescrit à tous les habitants,sans en excepter
les étrangers, hommes, femmes et enfants, de se trouver aux
remparts munis de pelles, de bêches, de hoyaux, de brouettes et
de hottes,afin d'y travailler aux fortifications (23). Il est à peine
besoin de dire que les bourgeois catholiques furent obligés de se
soumettre à ces ordres aussi bien que les hérétiques et on pouvait
donc s'attendre, comme à Maestricht, à voir toute la population de
la ville massée sur }es remparts pour repousser les assaillants.

'*' * '*'

(21) STRADA, o. C., t. III, p. 282.


(22) STRADA, o. c., t. III, p. 284.
(23) Mémoires sur te siège de Tournai, pp. 36-38.

t3
Dès que le prince de Parme fut arrivé avec ses troupes devant
Tournai, il établit ses quartiers d'infanterie le long des deux rives
de l'Esoaut et logea sa cavalerie dans les villages environnants.
Il ordonna aux villes les plus proches qui étaient fidèles au parti
du Roi d'envoyer toute l'artillerie dont elles pouvaient disposer)
ainsi que la provision de poudre et de balles, du plomb, des mèches,
des pics et des pelles, des tabliers en bois et des fascines. Il réqui-
sitionna des maîtres-charpentiers pour construire des barques et
des ponts. Comme, cette fois encore, les sapeurs envoyés par les
Lillois n'étaient pas en nombre suffisant, il eut recours à ses p.aroles
ensorceleuses habituelles pour engager les 'soldats à creuser des
tranchées. Pour se couvrir contre les sorties des assiégés, il fit
couper de larges fosses les routes qui menaient aux portes de la
ville, et y plaça aussi des barrages pour arrêter l'élan de l'ennemi.
Farnèse fit ensuite appeler le baron de Montigny et le chargea
de préparer les échelles d'assaut, les fascines et les tabliers de
bois nécessaires pour l 'attaque.
S'apercevant que le ravelin qui défendait les approches de
la porte Saint-Martin n'était pas 'Occupépar les' assiégés, il ordonna
de l'escalader, de s'en emparer et de s'y retrancher contre le feu
des gens de la ville. Dans la nuit obscure, les eoldats de Montigny
parvinrent à s'approcher du l'avelin, mais au moment où ils voulurent
dresser les échelles, ils s'aperçurent qu'elles étaient trop courtes.
Leurs mouvements furent découverts par les assiégés qui Iles chassè-
rent et installèrent un poste dans l'ouvrage menacé (24).
Ce ne .fut là qu'un essai de coup de main rapide, comme Farnèse
avait l'habitude d'en tenter toujours .au début d'un siège, avec
l'intention de s'assurer à peu de pertes, dès le début des opérations,
une position de départ avantageuse.
En même temps, le prince avait songé à troubler dès l'abord la
fabrication du pain pour les assiégés, en envoyant ses soldats fermer
les écluses qui retenaient les eaux de I'Escaut, de façon à faire monter
le niveau du fleuve et empêcher ainsi les moulins à moudre le blé
de tourner. Mais cette tentative fut rendue stérile par les Tour-
naisiens : la nuit, ils envoyèrent sur le fleuve un bâteau rempli de
soldats, avec mission de rompre les écluses et de les arracher de

>(24) Liber relationum, fOI 94ro-94·0.

14
.Pris~ d:e-lcv ZiAte de JoUnl1# ,JI-:., J:.9J1[o:vembu 15 ~1/
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PHI SE DE 'l'OURNAI ....,
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Gravure de R. de Hooghe, d'après le capltainc-lngénleur Ledesma
(Ms. 1631/,-19 de la Bibliuthèque RoJ'ale de Belgique, f0152.)
Dœns le Goin âe aroue, Farnèse p1'is clans les décombres cie i'ooseroatoïre d'm'til/erie
leurs gonds pour empêcher l'ennemi de recommencer sa dangereuse
manœuvre (25).
Tout ceci n'était cependant qu'un prologue, que Farnèse avait
imaginé en attendant l'arrivée de l 'artillerie de grand calibre, néces-
saire pour commencer sérieusement l'attaque.
Bientôt 32 pièces de siège se trouvèrent réunies au camp des
assiégeants, et d'autres vinrent encore s'y ajouter.
Le prince de Parme, se rappelant ce qui s'était passé à Maes-
tricht, donna d'abord tous ses soins au choix de J'endroit où se ferait
la première attaque. Il consulta les ingénieurs militaires qu'il avait
avec lui, de vieux soldats pleins d'expérience, ainsi que des gens du
pays. Comme ils ne purent se mettre d;'accord, Farnèse, pour nt}
rien laisser au hasard, entreprit personnellement une reconnaissance
de la position, parcourant tout le périmètre de l'enceinte, pour
découvrir 1'endroit le plus vulnérable. Il ne parvint point à fixer son
choix (26). Tout au plus lui semblait-il assez indiqué dattaquer
Tournai du côté de la porte Saint-Martin, qui était l'endroit le plus
élevé et où se trouvait un ravelin d'où on pouvait dominer toute la
rille. De ce côté-là aussi, le fossé présentait un niveau d'eau plus bas
qu'ailleurs et il était par conséquent plus facilement guéable (27).
il nentrait cependant pas dans les intentions du prince de
Parme de se rendre maître de Tournai par un assaut en règle. Il ne
voulait pas recommencer les erreurs du siège de Maestricht. Il se
rendait compte que, sans infanterie espagnole et italienne, il n'avait
pas sous la main les forces capables de tenter pareille entreprise. Les
soldats allemands étaient généralement considérés comme très aptes à
soutenir une attaque en rase campagne et étaient habitués à se laisser
tuer sur place plutôt que de reculer, mais ils ne convenaient d'aucune
façon pour l'attaque des places fortes. Quant aux 'Vallons, dans
i 'armée de Farnèse on les appréciait beaucoup pour la défense des
villes qu'on leur confiait, mais on ne les employait pas volontiers seuls
pour assaillir des remparts (28). De plus, les chefs de ces troupes
wallonnes étaient presque tous.des seigneurs du pays, proches parents
,:.:] alliés du prince d'Épinoy 'et de sa femme} et Farnèse craignait
'p 'ils ne montrassent peu de zèle (29), 'routes ces raisons l'engagèrent
È. procéder par la sape et la mine, qui lui avaient si bien réussi pen-

25:' PIERRE DE COLINS, O. c. p. 608; Mémoires sur le siège de Tournai, p. 4.


:!i») Liber relationum, r- 94'·.
2':) STRADA, O. c., t. III, p. 285.
2~' LiIJer relationum f· 94'·.
'2P) Libro de las cos~s de tumaes, r- 222'·.
15
dant la seconde phase du siège de Maestricht, plutôt que de risquer
sa réputation et la vie de ses hommes dans un assaut direct de
Tournai (30).
Le prince de Parme prit donc la résolution dattaquer du côté de
la porte Saint-Martin, afin de se rendre maître du grand ravelin qui
en défendait il 'approche. Une fois en possession de cet ouvrage, il
pourrait immobiliser en cet endroit les assiégés. Il comptait travailler
ensuite au moyen de mines et de galeries de façon à atteindre la
muraille, y pratiquer une brèche, et lancer finalement ses troupes à
l'assaut, avec le moins de risques possibles. Une fois installés sur les
murs de [a ville, ses soldats, à l'aide de L'artillerie et de tir d'arque-
buses, pourraient mettre en fuite les défenseurs et pénétrer ainsi peu
à peu à l'intérieur de la place (31).
C'est le système qui avait été appliqué avec succès à Maëstricht,
à la porte de Bruxelles.
Après avoir installé les gabions et les tabliers protecteurs
d'usage, il fit avancer son artillerie vers la porte Saint-Martin et
disposa 24 pièces en deux groupes. Le 13 octobre, il fit ouvrir le feu
contre le ravelin, Bientôt six tourelles de cet ouvrage avaient été
démolies. Sur l'ordre de Farnèse, un gentilhomme piémontais alla
reconnaître le résultat du tir et revint, disant que l'obstacle lui sem-
blait facile à prendre. Ge gentilhomme offrit même de s'en emparer,
à condition qu'on lui donnât 250 hommes pour l'accompagner. Aussi-
tôt le prince de Parme convoqua tous les colonels des troupes
wallonnes et un certain nombre d'officiers sans charge effective et
leur demanda quels étaient, parmi eux, ceux qui, par point d'honneur,
étaient prêts à participer à l'entreprise.
Personne ne répondit. Dissimulant sa colère, le prince désigna
lui-même 250 hommes et leur ordonna de suivre le gentilhomme
piémontais. L'attaque, menée avec l'énergie nécessaire, réussit : le
ravelin fut pris. Mais,emportés par leur ardeur, les assaillants en
sortirent, pour s'engager sur-le pont qui reliait l'ouvrage aux murs
de Tournai. Marchant à découvert, ils furent immédiatement repérés.
Un feu terrible, parti du pont même et des murailles, en abattit une
partie : les autres, ne pouvant tenir sous cette pluie de projectiles,
se virent obligés d'évacuer la position (32).

(30) Ibidem.
1(31) Liber retauonum, fo. 94T"_95ro_
(32) Liber relattonum, fo 95; STRADA, 0_ CO, t. III, pp. 285-286; Mémoires sur le sièg~
de Tournai, p. Ii.

16
Les assiégeants pouvaient se rendre compte que la défense serait
désespérée et que les habitants de la ville étaient . sur le qui-vive.
D'ai1Ieurs, avant que le bombardement du ravelin n'eût commencé,
Farnèse avait fait tirer jusque dans la ville une flèche, à laquelle était
attachée une lettre engageant les membres du magistrat à rendre la
cité à son prince naturel, le roi d'Espagne} à garder-Ie serment qu'ils
avaient prêté d'être bons et loyaux vassaux, et leur promettant le
pardon de leurs offenses passées. Aucune réponse n'avait été faite à
cette proposition, Bien plus, pendant que les canons de Farnèse
tiraient contre le ravelin, les plus exaltés des calvinistes tournai siens
étaient montés sur la muraille, y jouaient du violon et soufflaient dans
des cors faits decornes recourbées. Un soldat, appartenant à une des
compagnies wallonnes de la défense, avait raillé les assiégeants,
tenant en main un verre rempli de vin et leur criant : « A votre santé,
larrons! papistes! cuirassiers de prêtres! » et d'autres injures
encore (33).
'De tels épisodes devaient rappeler à Farnèse la conduite des
défenseurs de Maëstricht et l'engager à ne pas sous-estimer le cou-
rage et l'obstination de l'ennemi. Aussi, ne voulant point exposer
inutilement ses soldats, et sachant, d'autre part, que, sans être maître
du ravelin, il ne serait pas possible de s'approcher des murailles de la
cité, il ordonna de creuser, pendant la nuit, des tranchées qui permet-
traient à ses hommes de s'avancer jusqu'aux foss-és de l 'ouvrage à
conquérir. Des sapeurs parvinrent ensuite, en franchissant ces fossés,
à préparer deux mines sous l'angle saillant du ravelin. En même temps,
le prince de Parme fit établir quatre pièces d'artillerie, qui battaient
continuellement de leur feu le pont qui reliait l'ouvrage à l'enceinte
de la ville. Redoutant l'explosion des mines placées sous le saillant, les
Tournaisiens qui tenaient le ravelin l'abandonnèrent et, courant rapi-
dement sur le pont bombardé, parvinrent à regagner les remparts.
Aussitôt les soldats de Farnèse .s 'installêrent dans le fortin
conquis et prirent possession du pont. Un premier et important avan-
tage avait ainsi été obtenu (34).

Pendant cette première, partie des opérations du siège, Alexandre


Farnèse échappa à la mort, dans des circonstances extraordinaires.
(33) Mémoires sur le si~ge de Tournai, pp. 4-6.
{34) Liber relationum, f· 95'·; STRADA,O, C., t. III, p. 286; Mémoires sur le siège de
Tournai, p. 10.

17
Ici, comme à Maëstricht, il avait payé de sa personne dès le début,
parcourant lui-même les tranchées et se mêlant aux soldats pour
surveiller leur ouvrage et pour les encourager. Lorsque sa présence
n'était pas nécessaire, il avait pris 1'habitude de se retirer dans la
masure d'un vieux four abandonné, construit en pierre et couvert
d'une toiture en bois. Cette masure se trouvait à vingt pas de l'artil-
lerie et, par les ouvertures pratiquées dans la muraille, le prince
suivait avec attention l'effet du bombardement. Comme des officiers
et des soldats se rendaient continuellement à cet observatoire pour
porter des informations ou chercher des ordres, ce va-et-vient avait
attiré l'attention des assiégés. Ils soupçonnèrent qu'un chef ennemi
important devait se tenir en cet endroit. Aussi finirent-ils par pointer
deux pièces d'artinerie dans <lette direction. Les projectiles lancés
traversèrent la maison de part en part et la firent s'écrouler dans
un nuage de plâtras et de poussière. Farnèse fut enseveli sous un
amas de pierres et de poutres et grièvement blessé à la tête, aux bras
et aux jambes (35).
Aussitôt la nouvelle de l'accident se répandit dans l'armée. Capi-
taines et soldats, pleins d'anxiété, accoururent. Ils trouvèrent, devant
la masure effondrée, le cadavre d'un Espagnol faisant partie de la
maison du prince: des ruines on dégagea un soldat, mort, et
bientôt un deuxième, qui avait la moitié du corps emportée et qui
gémissait faiblement. Finalement, de dessous les décombres, le prince
de Parme apparut, tout couvert de sang. Dissimulant sa souffrance,
il s'empressa de rassurer immédiatement les siens : « Par l'aide de
Dieu, je suis vivant, vous le voyez, dit-il ; et, soyez tranquilles, je
vivrai encore pour la confusion de l'ennemi ! ~ (36).
Au bout de huit jours, il était remis de ses blessures et il s'em-
pressa de se montrer à ses soldats, pour leur donner courageet rani-
mer leur confiance. Le prince Pavait échappé belle: les <lOUpSqui
avaient démoli la masure avaient tué un commissaire espagnol' et
deux soldats wallons et 'en avait sérieusement blessé cinq (37).
C'est précisément alors que des tentatives furent faites pour
introduire des secours dans Tournai. De Bruges, les agents anglais
entretenus par Élisabeth d'Angleterre aux Pays-Bas, avaient, à
plusieurs reprises, signalé que le prince d'Orange et le prince
d'Épinoy ne faisaient rien pour secourir Tournai et que les troupes
(35) Liber relationum, fo 96; STRADA, o. e. t. III, pp. 286-287.
(36) STRADA, o. C., t. III, p. 287.
(37) Liber relationum, r- 96.

18
des États, campées à Audenarde, se contentaient de détrousser les
paysans (38). Cependant, le 2>6octobre, Épinoy fit partir d'Audenarde
trois compagnies de cavalerie et 400 fantassins montés, pour reeon-
naître la situation du camp espagnol et essayer dintroduire du
secours dans la place. Or, Farnèse, depuis le début du siège, avait
envoyé régulièrement deux fois par semaine des reconnaissances de
cavalerie dans la direction du camp des États afin de découvrir ce qui
s 'y passait et les projets que l'on méditait. Le 26 octobre, 80 lanciers
italiens et 25 arquebusiers à cheval, étant partis dans la direction
d'Audenarde; se trouvèrent à l'improviste devant les soldats d'Épinoy.
Un combat s'engagea, où les cavaliers des États eurent le dessous (39).
Stokes s 'empressa de le signaler à Walsingham, de façon mépri-
sante: « Vendredi dernier, nous eûmes la nouvelle que quatre cor-
nettes de cavalerie furent envoyés d'Audenarde, pour essayer dentrer
à Tournai. Ils se conduisirent avec tant de lâcheté que deux cornettes
ennemis suffirent pour leur faire prendre la fuite. Quelques-uns furent
tués, d'autres pris, le reste retourna à Audenarde. Le prince d'Orange
n'aura jamais d'autres services de la part de.ces rustres; car leur
cœur est fait de beurre! » (40). Les soldats de Farnèse ayant fait
dans cette escarmouche quelques prisonniers et pris des enseignes,
le prince les :fitamener sur les remparts du ravelin de la porte Saint-
Martin ,et exhiber aux assiégés. Il força ses prisonniers à entamer la
conversation avec les défenseurs de la ville, qui regardaient ce
spectacle du haut des murailles, et à engager les 'I'ournaisiens à ne
pas s'obstiner dans la lutte (41).
Ceux-ci ne se laissèrent cependant impressionner en nen par
cette preuve d'une défaite de leurs compatriotes (42).

(38) Stokes à Walsingham, Bruges, 22 octobre 1581 (Foreign Caletuiar, 1581, n° 372). -
Les troupes d'Epinoy comptaient, au camp d'Audenarde, 2 régiments d'infanterie, 4 com-
pagnies d'Anglais et 5 de Flamands, et 11 cornettes de cavalerie (Foreign caienaar, 1581,
n- 284;).
(39) Liber 1·elationum, fo 96vo; STRADA, o. c., t, III, pp. 287-288.
(40) Lettre de Bruges, 29 ootoore 1581 (Foreign Ctüenâar, Hy81, n- 373).
(41) Liber relatumum, r- 96vo; STRADA, o. C., t, III. p. 288.
(-12) « Geulx du camp [les Espagnols] .. ont monstré le capitaine Meurisse et un soldat
lanchier qui cstoit avec le prince d'Espinoy, qui se nommoit Philippe Wfbaut, et plusieurs
casaques de soldats flamengs et si monstrërentausst une banderolle aussy desdlts gens
des Etats. Cëulx de Tournay voyant cela estolent tout esbahis de veoir ceûa ; les uns
disoient que l-es gens du camp de devant l'a vülle avolent tout deffait ceulx qui venoient
au secours de la ville, comme il estoit vraye ; les meutins disaient que ceulx qu'on avott
monstré avoient dit que toute I'advant-garoe du camp du Roy es toit deffai,te. Chacun en
parlait à s'a fantaisie .., ». Mémoires sur le siège de Tournai, p, 12-13; « [Les assiégés] non
ne mostraronodi far caso. » Liber 1'elationum, fo 96
TO

19
Cependant, dès les premiers jours du siège, Farnèse, après avoir
fait assécher autant que possible le fossé qui le séparait des remparts
. du côté de la porte Saint-Martin, avait fait creuser des tranchées
qui partaient de l'emplacement de l'artillerie espagnole et se diri-
geaient vers les murailles de Tournai. Comme on manquait de
sapeurs, ce travail avait duré longtemps. Grâce à la présence du
prince de Parme, qui avait continuellement surveillé les soldats, on
était sur le point de pouvoir exécuter la deuxième partie du pro-
gramme conçu : faire sautel' les remparts au moyen de mines et
pratiquer ainsi une brèche importante (43). Toutefois, comme les
mineurs du comte de Mansfelt allaient et venaient Ile long des tran-
chées qui n'étaient pas couvertes, le feu des assiégés, dirigé sur eux
d'une des tours de l'enceinte, en tua un certain nombre. Un soldat
anglais de l'armée de Farnèse s'offrit, avec quelques compagnons, à
couvrir rapidement les tranchées. TI y rêuseit, mais tomba blessé de
deux coups d'arquebuse. Pour récompenser cet acte de courage et
entraîner ainsi les autres soldats, le prince de Parme fit emmener le
blessé à son quartier-général, l'y fit soigner et le gratifia de 100 écus
d'or. Il fit aussi donner une paie supplémentaire aux soldats qui
avaient aidé l'Anglais dans sa périlleuse; besogne (44). Les mineurs
avaient finalement atteint le pied même des murs de la cité. Farnèse
fit attaquer celui-ci à coups de pics et creuser des galeries. Le
6 novembre, on était arrivé ainsi à prolonger ces galeries jusque sous
le terre-plein.
Mais le sire d'Estréelles veillait. Se rendant compte du projet
de l'ennemi, il avait fait préparer en cet endroit des contre-mines et
bientôt assiégeants et assiégés se trouvèrent face à face, sous terre,
et prêts à se livrer des combats sauvages (45).
Les 'I'ournaisiens n'avaient d'ailleurs pas cessé de faire des
sorties et d'infliger aux travaux des assiégeants autant de dommage
que possible (46). Au cours de ces sorties, ils avaient fini par prendre
nettement la supériorité sur les troupes wallonnes de Farnèse. Ces
dernières se laissèrent enlever une tranchée près du fossé de la ville
et s'enfuirent avec tant de précipitation qu'elles abandonnèrent leurs
armes et leurs manteaux. Enhardis par ce succès, les assiégés avaient

(43) Liber relationum, fo 96"0.


(44) Liber relationum, r- 96"0.
(45) Liber relationum, fo 96"0; STRADA, o. c., t. III, pp. 291-292.
(46) lIfémoires sur le siège de Tournai, pp. 8 svv,

20
creusé dans l'abbaye de Saint-Martin une galerie qui s'avançait sous
les remparts et qui était destinée à rencontrer celle des assiégeants.
Bientôt, les soldats qui étaient de garde dans le boyau creusé par
ordre de Farnèse, entendirent se rompre la cloison qui y avait été
établie à l'extrémité. Pris de panique, ils s'enfuirent. Le prince de
Parme accourut immédiatement pour les retenir, Il fut obligé de les
menacer de son épée pour les contraindre à regagner leur poste.
Renouvelant le stratagème qu'il avait déjê.employé, en des circon-
stances analogues, au siège de Maëstricht, il fit introduire dans la
galerie des tabliers de bois, percés d'ouvertures, et posta derrière
des arquebusiers. Lorsque l'ennemi déboucha dans la galerie, il fut
reçu par des coups de feu et promptement repoussé (47).
Presque au même moment, une vingtaine de soldats de la garni-
son étaient sortis par la porte d'Audenarde et, s'étant jetés sur le
quartier occupé par les Wallons, avaient mis en fuite les deux corps
de garde qui s 'y trouvaient. Farnèse envoya tout de suite quelques
cavaliers albanais arrêter l'ennemi, qui fut finalement refoulé par
les -piquiers allemands (48).
La nervosité de ses soldats inquiétait beaucoup le prince de
Parme. TI s'en ouvrit dans une lettre au Roi, écrite le 17 novembre,
où il s'exprima en ces termes: « Etant donné le peu d'infanterie
wallonne dont je dispose, il ne m'a pas paru possible dentreprendre
l'assaut de la place, quoique oe serait le moyen le plus expéditif: j,e
dois me contenter de gagner peu à peu du terrain par Ile travail des
sapeurs et des mineurs. On me dit que les catholiques sont majorité
à Tournai et cependant, jusqu'ici, il n'y a pas eu un 'seul homme qui
ait fait preuve de ses bonnes intentions. Votre Majesté peut donc
en conclure que, sans l'emploi de la force, il n 'y a rien à gagner ici.
Et que dire des soldats que j'ai sous mes ordres! Je les ai vu fuir
trois et quatre, fois et abandonner les tranchées, et même l'artillerie,
devant trois pelés qui font une sortie. Aussi, ce qu'il me faut, ce
sont des Espagnols, mais malheureusement, les seigneurs wallons
n'en v-eulent pas » (49).
Le 9 novembre, le prince, se rendant du ravelin de la porte
Saint-Martin par des tranchées ouvertes jusqu'au mur de la vilye,

(47) Liber fo 97; STRADA, o. C., t. III, p. 292.


1'elationum,
(48) Liber relationum, fo 98; STRADA, o. C., t. Ill, p. 292.
1(49) A, G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fo 287.

21
faillit de nouveau y laisser la vie. On l'avait aperçu des murs de
Tournai et de grosses pierres furent jetées sur le groupe qui
l'accompagnait. Farnèse fut atteint par des projectiles, dont un vint
s 'abattre sur sa tête. Le morion qu'il portait amortit le choc et le
sauva: il fut cependant blessé au bras et à l'épaule (50). Maximilien
de Vaulx, comte de Bucquoy, qui accompagnait le prince, fut atteint
d'une pierre à la tête: on l'emporta à demi-mort. Il' mourut de sa
blessure après le siège (51).
Les jours suivants, la lutte souterraine continua avec âpreté. Le
10 novembre, les soldats de Farnèse enlevèrent le tablier qu'ils
avaient placé à l'extrémité de leur galerie pour en boucher l'entrée
et pénétrèrent dans celle que les assiégés avaient faite. Ils en chas-
sèrent L'adversaire et avancèrent de vingt pieds sous le sol de la ville.
Dans la galerie abandonnée, ils trouvèrent une quantité d'armes, des
matelats et des lits de plumes. Mais voici que les Tournaisiens creu-
sèrent une mine dans le flanc de celle des Espagnols. Ces derniers
allumèrent de la paille humide et, en soufflant dans des tuyaux, rabat-
tirent la fumée ainsi produite vers l'ennemi qui, suffoqué, ne put
tenir. L 'assiégeant en profita pour pousser encore un peu plus son
avance souterraine (5,2).

* * *
Malgré l'espoir entretenu par les assiégés, rien ne faisait prévoir
un prompt secours de la part du prince d 'Orange et du prince
d'Épinoy. Cette immobilité s 'explique très bien par l'état lamentable
où se trouvaient les affaires des États et que nous décrit F'remyn
dans une lettre adressée à Walsingham (53).
D'après ce message, le nombre de soldats que les États avaient,
soit en campagne, soit pour tenir les villes, s'élevait à plus de 30.000.
De ces 30.000, 2.500 à 3.000 se trouvaient au camp d'Audenarde. La
situation était telle cependant que le prince d'Orange n'aurait pu
mettre en campagne plus de 6,,000 hommes en tout, à cause des abus
qui s-e manifestaient de toutes parts, et de la mauvaise administra-
tion, caractérisée par le pillage et les vols. La solde que nécessitait
l'entretien de cette armée était de 250.000 florins par mois, et si les
compagnies avaient été au complet, il 'en aurait fallu 400.000. Pour
(50) Liber retauonum, r- 98.
(51) STRADA, o. c., t. III, pp. 292~293.
(52) Liber relationum, r- 98.
(53) Datée d'Anvers, 11 novembre 1581 «Foreign Calendar, 1581, n- 388).

22
l'artillerie, le train, les pionniers' et Ile paiement de .).'administration
militaire, il fallait tabler sur une dépense de 100.000 florins par mois.
Les contributions réclamées des provinces rebelles atteignaient le
chiffre de 450.000 florins; la ville de Gand payait 90.000 florins par
mois; Ath, 5.000; Enghien, une somme à peu près égale; la province
de Flandre intervenait pour 200.000 florins par mois. Malgré ces
ressources, les soldats ne touchaient leur solde qu'en partie, le reste
étant payé en obligations sans valeur. La province de Brabant devait
aux troupes françaises du colonel Lagarde plus de 47 mois de solde.
« En résumé, dit Fremyn, le salut du pays exige que le duc
d'Alençon (qui était en .ce moment en Angleterre) revienne pour
prendre en mains la direction des affaires, sinon les troupes se révol-
teront à cause de l'absence de solde, et des troubles naîtront à cause
de l'ignorance des gouvernants, qui ne savent pas comment entretenir
une armée et, encore moins, gouverner l'État. Le peuple commence
à murmurer, en découvrant le brigandage qui existe, dont {ln parle
ouvertement, ainsi que la multitude des commissaires et des fonction-
naires qui ont été récemment nommés à des postes militaires et qui
absorbent des ,salaires considérables, Il y en H 6.000, dit-on, en
Flandre et en Brabant.
L'armée actuellement sur pied de guerre peut soutenir pour
quelque temps une lutte défensive, mais elle est incapable de secourir
une place assiégée, comme on le vit à propos de' Cambrai, et comme
on le voit en ce moment à propos de Tournai. Si un chef militaire ne
surgit pas quelque part, tout s'en ira en déconfiture. »

* * *
Cependant, comme le siège de Tournai traînait en longueur, un
vif mécontentement commença à se manifester parmi l'infanterie
wallonne, qui souffrait de la pluie, du vent et du froid, et des fatigues
qui lui étaient imposées. Dans les corps de garde, les sentinelles se
trouvaient souvent dansl 'eau jusqu'à mi-jambe. Les 'Soldats suppliè-
rent Farnèse de les laisser monter à l'assaut (54),
Le prince de Parme refusa. Les journées étaient trop courtes, en
cette période de l'année, pour que l'artiUerie pût accomplir beaucoup
de besogne et les nuits, de plus en plus longues, permettaient aux
assiégés de réparer à leur aise les dommages faits aux fortifica-

(54) Liber 1'elationum, fO,98··.

23
tions, Farnèse réunit donc le conseil de guerre et demanda aux colo-
nels des Wallons de faire patienter leurs soldats. Lui, qui était leur
chef, ne souffrait-il pas aussi des intempéries, tant de nuit que de
jour, s'exposant comme eux aux tranchées et partout où sa présence
était requise 1 (55)
Cependant, l 'hiver approchait et il ne semblait pas que les
assiégés eussent l'intention de se rendre. Ils disposaient encore de
beaucoup de vivres et les sommations que le prince de Parme leur
avait fait adresser de temps en temps restaient sans eff'et. Lé baron
de Montigny, du ravelin de Saint-Martin où il se trouvait, avait essayé
d'entrer en communication avec sa sœur, la princesse d'Épinoy, pour
lui faire comprendre que toute résistance était inutile, puisque les
assiégés ne devaient compter sur aucun secours (5,6). Il n'eut pas de
réponse. A des tentatives de la part des notables catholiques de la
ville, déjà faites antérieurement, pour obtenir qu'on ouvrît des négo-
ciations avec le prince de Parme, la princesse avait répliquê « qu'elle
se ferait couper en pièces plutôt que de se rendre aux étrangers» (57).
S'il faut en croire Stokes, écrivant à Walsingham, dans la semaine
précédant le 12 novembre, le prince de Parme aurait adressé une
nouvelle sommation, à l'adresse de la princesse d'Épinoy en per-
sonne, disant que si elle ne forçait ses gens à se rendre, à son entrée
dans la ville il ne l'épargnerait pas et qu'il la 'passerait au fil de
l'épée avec tous les habitants. Une assemblée générale des bourgeois
et des chefs militaires eut lieu. Il fut décidé qu'on refuserait de
capituler. La princesse d'Epinoy avait alors reçu l'autorisation de
se mettre en rapport avec Farnèse et elle lui fit pa.rvenir une lettre
où elle disait : « J'avais cru que vous étiez trop chevaleresque pour
adresser des sommations à une femme, mais, bien que le prince
d'Épinoy et ses troupes se trouv-ent en campagne et loin d'ici, vous
rencontrerez chez les défenseurs de Tournai un courage suffisant pour
rendre vaine votr-e lâche entreprise » (58).
En tous cas, rien n'annonçait que la défense faiblissait et comme
les soldats de Farnèse étaient de plus en plus démoralisés par le froid,
l'eau, la boue et la fatigue, le prince décida finalement de passer à

(55) Liber relationum, fu ss=.


(56) Mémoires sur le siège. de Tournai, p. 13.
(57) Mémoires cités, p. 11.
(58) Bruges, 12 no:vembre 1581 (Foreign Calendar, 1581, n° 394).

24
l'assaut. Il ne le fit cependant qu'à son corps défendant (59), pour
éviter le pire.
Dans la nuit du 18 novembre, il fit avancer son artillerie, et l'ins-
talla à droite du ravelin de la porte Saint-Martin. Sur le bord du
fossé, séparant l'assiégeant de l'enceinte, dix-huit pièces étaient
prêtes à canonner celle-ci. Du ravelin même de Saint-Martin, trois
pièces, tirant sans interruption, balayaient de leur feu plus de
500 pas de la muraille et la courtine qui s 'y trouvait et rendaient
cette partie du rempart totalement inaccessible aux défenseurs. Le
19 novembre, l'artillerie visa plus spécialement les tours: il en fut
de même le 20. Oe bombardement infligea assez bien de dommage et
fit s'écrouler en ville nombre d'édifices (60). Le 21 novembre, l'artil-
lerie battit toute la courtine entre la quatrième et la cinquième tour :
trois tourelles de la muraille qui les reliait finirent par s'écrouler.
Le terre-plein cependant résista, à cause de l 'humidité qui l'impré-
gnait (61).
Le baron de Montigny envoya deux soldatsen reconnaissance :
ils revinrent rapidement, affirmant que la brèche serait facile à
assaillir (62).
Dès lors, le prince de Parme résolut de donner l'assaut (63), mais
avant de le déclencher, il fit un discours à ses troupes. Il venait à
l'instant de recevoir la nouvelle que le sire de Hautepenne, grâce aux
renforts de lanciers et de cuirassiers italiens, venus de Frise, sous la
conduite de Martin Schenck, avait repris la ville de Eindhoven. Le
prince profita de cette bonne nouvelle pour ranimer le' courage des
soldats wallons, dont jusque-là il n'avait pas eu à se louer (6~).
En vue de l'assaut, il avait fait préparer, entre la deuxième et la
troisième tour de l'enceinte, des fourneaux de mines, dont l'explo-
sion serait le signal de l'attaque. Montigny devait diriger l'attaque du
côté de la brèche faite par l'artillerie, Mansfelt du côté de l'ouverture
pratiquée par les mines (,65).

(59) Libel' relatumum, fa 98TO•


1(60) Liber relatumum, fa 98va; Mémoires sur le siège cie Tournai, pp. 22-23.
(61) Ibidem; STRADA, o. C., t. III, p. 294.
(62) Liber relatumum, fa 99.
(63) L'ordre que chacun aura de tenir tant pour aller à tassouu par la batterie que
par les mines et ravelin {20 novembre 1581). {lans A. G. R. Copies de Simancas, vol. '14,
fo 295, A remarquer dans cet ordre de bataille: « Que les chefs avent particulièrement
soing que les églises et cloistres ne soyent pillez ni mal faict aux femmes et enfans. »
(64) uie- relationum, fa 99; STRADA, o. C., t III, pp. 294··2\15.
(65) STRADA, o. C., t. III, p. 294.

25
Celles-ci, au signal donné, sautèrent, faisantcrouler une partie
du mur et engloutissant tous les défenseurs qui s 'y trouvaient (66).
Aussitôt, l'infanterie s 'ébranla. Montigny, de Bours et d'Aubigny,
colonels wallons, tous les familiers du prince de Parme a:vec la
majeure partie. de ses pages, un millier de soldats wallons accom-
pagnés d'un nombre considérable de gentilshommes, ainsi que beau-
coup de cavaliers italiens, combattant à pied, se, lancèrent vers l'ou-
verture pratiquée par l'artillerie (67). Ici, les défenseurs avaient pris
toutes les mesures pour repousser l'assiégeant. Le sire d'Estréelles
avait bien garni de mousquetaires les tours voisines de la brèche. En
grande hâte, il avait fait élever un cavalier en face du ravelin de
Saint-Martin et, sur les murailles, il' avait fait porter quantité de
paniers et de muids remplis de pierres, que les femmes huguenotes
de la ville avaient arrachées des rues pour en faire des projectiles.
Derrière la muraille, on avait construit un autre retranchement pour
le cas où elle aurait été trop rapidement emportée (68).
L'attaque ne se fit point avec l'énergie nécessaire. Par suite des
pluies, le terrain était humide et glissant (69). Mais, de plus, les
troupes wallonnes ne suivaient pas les gentilshommes italiens, con-
duits par le marquis de Rangon et Pompeo Bardi, avec l'ardeur qu'on
aurait pu espérer. Elles semblaient hésitantes) et, malgré les efforts
de leurs colonels, qui les poussaient sur les ruines des tours, elles
n'avançaient que pas à pas. Cependant, Montigny, à la tête de quelque
150 gentilshommes et soldats, combattit courageusement, soutenu par
les gens de la maison du prince de Parme et les volontaires italiens de
celui-ci, parmi lesquels s'était glissé le marquis de Varembon. De la
muraille, qui était cependant bombardée continuellement pal' l'artil-
lerie de Farnèse, les assiégés faisaient pleuvoir toutes sortes de
projectiles : les femmes huguenotes étaient particulièrement 'excitées.
Pareilles à des forcenées, elles ruaient de grosses pierres sur l'ennemi
et portaient dels cendres aux remparts pour rembourrer les sacs
destinés à boucher les brèches (70). Les assaillants se seraient
peut-être rendus maîtres de la ville ce jour-là, si les troupes wallonnes,
qui semblaient manifestement montrer peu d'ardeur à combattre,

(66) MémiOires sur 1e siège de Toul'nai, p. 23.


{67) Liber retatumum, r- 99vo•
(68) STRADA, o. C., t.
III. p. 296; Mémoires sur le siège de Tournai, pp. 24~25.
(69) Liber relationum, fD 99.
~70) STRADA, o. c., t. III, p. 297; Mémoires sur le siège de Tournai, pp. 23-24; Mémoires
sur le marquis de Varembon, p. 18.

26
n 'avaient abandonné la partie lorsque leur colonel, le seigneur de
Bours, eut été tué. Sous prétexte que le terrain était trop glissant et
qu'on avait négligé d'abattre le cavalier qui se dressait derrière la
muraille à l'intérieur de la ville, elles se retirèrent de la mêlée et
regagnèrent leurs quartiers (71).
Au moment où il s'était aperçu du flottement qui se produisit
dans les rangs des W,allons, le prince de Parme, au péril de sa vie,
s'était dressé dans la tranchée où il se trouvait et, debout au milieu
des projectiles, avait essayé de ranimer lecourage de ses hommes.
Ce fut en vain, On ne l'écouta point, pas plus que les colonels (72).
Entretemps, à l'autre brèche provoquée par l'explosion des
fourneaux de mines, les Allemands du colonel de Mareossans, le frère
de M' de Samblemont, et de Robles de Billy, ainsi que les lN allons
du comte de Bucquoy n'avaient pas fait plus de progrès (73). Farnèse
décida d 'y envoyer à la rescousse Montigny avec une troupe d'élite,
mais ce mouvement ne put se faire avec la rapidité nécessaire.
La nuit approchait et une pluie torrentielle s'abattait sur les
combattants. Il fallut donner l'ordre de cesser la lutte (74).
Cet échec, heureusement pour Farnèse, ne fut pas aussi sanglant
que celui qui avait suivi ~e premier assaut contre Maëstricht. Le
nombre de tués n'était pas considérable, mais plusieurs personnages
de qualité y avaient cependant laissé la vie : Pontus de Noyelles,
seigneur de Bours, colonel wallon , Philippe de Stavele, sire de Gla-
jon; plusieurs gentilshommes italiens, dont Pompeo Bardi, Girolamo
della Mana, chevalier napolitain, de la maison de Marguerite de
Parme, le comte Pioppi. Le seigneur de Marcossans, gentilhomme
lorrain, colonel des Allemands, le marquis Malaspina, le sire de Billy)
le marquis de .Varembon, Montigny, et les deux ingénieurs militaires
Barocci et Piati se trouvaient parmi les blessés (75).

Plus encore que l'échec lui-même, la mauvaise volonté des


soldats wallons ou,si l'on préfère, leur absence d'esprit offensif
'(71) STRADA, o. t. III, pp. 297-298.
C.,
(72) Liber l'elationum, fo 99'°.
1(73) Liber reLationum, fo 99vo; STRADA, o. C" 1. III, p. 298.
(74) « Il y avoit bien bresche pour monter si ceulx du camp eussent voulu » dit,
Philippe Warny dans ses Mém.oires sur le siège de Tournay ('p. 19). L'absence de bonne
volonté est aussi mise en avant par Paolo Rinaldi dans le Libel' relationum, fo 99'°.
(75) Liber retatumum, fo 99'°; Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 19; STRADA;'
o. C., t. III, P, 298; Stokes à Walsingham, Bruges, 26 novembre 1581 (Foreign Calendar,
1581, n° 410).
inquiéta le prince de Parme. Les enseignes n 'avaient même pas
accompagné leurs soldats jusqu'au fossé de la ville, encore moins
jusqu'à la brèche. Malgré les ordres reçus, les arquebusiers wallons
n'avaient tiré qu'une seule décharge et rien ne put les induire à en
tirer une seconde, : ils ne voulaient pas se battre sérieusement contre
des gens qui, tout en étant ennemis du Roi, étaient leurs compa-
triot'es (76), Le prince, signala à Philippe II que ses soldats étaient
peu sûrs et que, si l'infanterie wallonne ne se débandait pas, c'était
qu'elle espérait pouvoir mettre Tournai à sac} lorsque la ville serait
prise (77). Un certain nombre de soldats allemands avaient déserté,
se plaignant du manque de vivres et de solde} et trois cornettes de
cavalerie wallonne avaient abandonné le camp po~' retourner en
Artois (78).
Aussi, le prince de Parme fit convoquer tous les colonels de son
armée et les principaux gentilshommes, pour examiner la situation.
La plupart, quand on leur demanda leur avis, se montrèrent pessi-
mistes. Ils mirent en avant l'importance de l'échec qu'on venait de
subir, les intempéries de la saison, l'obstination farouche des assié-
gés (79). De plus, des secours français étaient en route: entre Calais
et Gravelines venaient d'apparaître 2.500 fantassins et environ 1.000
cavaliers de l'armée du duc d'Anjou, sous le commandement de
Rochepot (80).
A ces considérations décourageantes, Alexandre Farnèse opposa
sa volonté inébranlable de ne pas abandonner le siège : une retraite
était impossible, 'elle les couvrirait tous de honte et il ne voulait point
ternir l'éclat de son nom (81).
Aussi, ordre fut donné de reprendre le bombardement et de
canonner vigoureusement la partie de la muraille où l'assaut avait
subi un échec, de façon ,à empêcher les défenseurs de réparer les
dommages qui avaient été infligés. En même temps, trois autres
fourneaux de mines furent préparés pour faire sauter une partie du
rempart (82).

{76) Libej' retauonum, fos 99 et 100.


(77) Camp de Tournai, 21 novombre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fo 297).
,(78) Stokes à Walsingham, Bruges, 26 novembre 1581 (Foreign Ctüendar, 1581, n- 410).
(79) Liber relationum, r- 100.
(80) Liber relationum, fO 100; Stokes à 'Walsingham, Bruges, 26 novembre 1581 (loc.
cit.); KEIl,VYN DE LE'ITENHOVE, o. C" t. VI, p. 270.
(81) Liber relatumum, r- 100.
(82) Mémoires sU?' le siège de Tournai, p. 25; Liber retauonum, fo 100'·.

28
Cependant, le prince d'É}pinoy déployait tous ses efforts pour
faire venir du secours des côtes de Flandre et de Menin, où se trou-
vaient des garnisons des É}tats. Il essaya, en employant un strata-
gème, de surprendre en passant la ville de Gravelines.
C'est à Robert de Mérode, seigneur de 'I'hiaut, que l'exécution de
ce coup de main avait été confiée. Mais le sire de la Motte veillait.
Il déjoua le projet: un grand nombre de soldats ennemis qu'on avait
laissé pénétrer en ville, furent tués dans la citadelle, pendant que la
Motte faisait une sortie avec quelques compagnies d'infanterie et
des cavaliers d'élite. Tombant sur les troupes qui attendaient, non
loin de Gravelines, l'issue de la tentative de leurs compagnons, i,l fit
bon nombre de prisonniers et mit le reste en déroute (83).
Parmi les fuyards se trouvait Preston, un vieux capitaine de
cavalerie, qui avait avec lui environ 150 cavaliers écossais. Au
moment où il s'apprêtait à aller annoncer au prince d'É}pinoy le
résultat malheureux du coup de main sur Gravelines, il fut rejoint
par un cavalier appartenant à l'armée du prince de Parme, qui
l'arrêta près de Roubaix. Ge traître, dont on ne sut jamais qui l'avait
envoyé auprès de l'ennemi, engagea Preston à se jeter dans Tournai
avec sa cavalerie et, pour lui faciliter l'entreprise, lui communiqua
le mot de passe du jour: Santa Barbara! (84). Ayant été renforcé près
de Menin par un parti de cavaliers que le prince d'É}pinoy envoyait
à sa rencontre, Preston se décida à tenter l'entr-eprise. Grâce au
mot de passe, lui et ses cavaliers - 300 en tout - trompèrent faci-
lement deux sentinelles avancées; on les prit pour des soldats de,
l'armée roy.ale, venus du quartier de la cavalerie, qui était établi
hors des lignes de circonvallation. Ils eurent la hardiesse de passer
tout près de la tente de Farnèse, qui était gardée par une bande de
piquiers, passèrent sur un pont conduisant aux remparts et s'appro-
chèr-ent des portes de la ville. En ce moment, l'alarme fut donnée. Le
prince de Parme, sautant vivement à cheval, poursuivit les cavaliers
ennemis à la tête d'une compagnie de lanciers, mais il arriva trop
tard. Pr-eston et ses hommes étaient déjà entrés à Tournai. Deux
prisonniers que Farnèse réussit cependant à prendre, lui révélèrent
la trahison qui avait été commise (85).
(83~ DIEGER'ICK, corresoonaance de Vale:rttin die Porâieu, p. 53; STRADiA, o. C., t. III,
pp. 298-300.
;(84) STRADA, o. C., t. III, p. 300; Liber relatumum, fo iOOvo: ftfémoires sur le siège de
Tournai, p. 25; Stokes à Wa'lsingham, 'Bruges, 26 nov. 1581 (toc, cit.); PIERRE DE COLINS
O. c., p. 609; Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 20.
(85) STRADA, o. C., t. III, p. 301.

29
Le prince de Parme ne fut pas loin de soupçonner Montigny et le
marquis de Richebourg d'avoir machiné cette affaire (86). En tous
cas, Richebourg faisait grand état de l'arrivée de ce secours,et se
comportait tout à fait comme si, en son for intérieur, il n'aimait pas
que la ville fût enlevée à Épinoy, son frère. Il sema la zizanie dans
les rangs des Wallons et alla jusqu'à exhorter le prince de Parme à
lever le siège. Il fut soutenu par tous les membres du Conseil de
guerre natifs du pays. Alexandre Farnèse, qui n'ignorait pas les
mobiles secrets qui faisaient parler Richebourg, refusa catégorique-
ment d'abandonner l'entreprise: « J'irai jusqu'à la victoire, dit-il,
ou j 'y resterai mort, même si tous les autres m'abandonnent! Si vous
voulez vous reposer en attendant le printemps. libre à vous de le
faire. » (87)
Dans son Liber relationum, ~e précieux et excellent témoin qu'est
Paolo Rinaldi affirme que, depuis ce moment, honteux de sa conduite,
le marquis de Richebourg montra vis-à-vis du prince de Parme une
amitié et une fidélité inébranlables. Même, le jour ou Philippe II,
redoutant l'influence grandissante du marquis auprès des popula-
tions, voulut l'éloigner des Pays-Bas en lui offrant le poste de vice-
roi de Naples, Richebourg refusa, disant ouvertement partout qu'il
n'avait aucune confiance dans les Espagnols et qu'il ne voulait pas
subir le sort de Lamoral d'Egmont. TI expliqua officiellement son
refus en prétextant la promesse faite de ne jamais abandonner le
prince de Parme et affirmant que, aussi longtemps que Farnèse serait
aux Pays-Bas, lui, Richebourg, ne quitterait jamais le pays (88).
Le prince d'Orange profita immédiatement de l'entrée des cava-
liers de Preston dans Tournai pour ranimer le courage de ses par-
tisans et pour rétablir son crédit auprès des Gantois. Ceux-ci l'avaient
accusé de ne rien faire pour secourir Tournai. Le 'I'aciturne envoya
des 'courriers de tous côtés, fit sonner les cloches, allumer des feux de
joie et s'efforça de stimuler habilement l'enthousiasme, avec 'toutes
les ressources de son génie, habitué à manier les foules. Il fit annoncer
que les troupes du duc d'Anjou étaient parties de Dunkerque avec
une puissante armée de 'Secours (89)eïque le prince de Parme, après
{86) Voir sa lettre au Roi, datée du 7 décembre, partiellement reproduite par Strada,
0, C., t,III, p. 301.
(87) Liber relationum, fos 101~1O2.
{88) Liber relationum, fO 102.
{89) Sur les intentions d'Anjou et les ordres qu'il donne à Rochepot, voir KEIl;VYN DE
LETTENHOVE, o. C., t. VI, p. 240. Sur les mouvements d'es troupes de Rochepot, voir à ibidem,
P. 241.

30
avoir perdu ses meilleurs capitaines, désespérant de prendre la ville,
allait lever le siège (90).

* * *~

Cependant l 'arrivée de Preston avec ses cavaliers écossais eut


un tout autre résultat que celui qui avait été prévu. Ge vieux militaire
ne se berçait pas d'iUusionset avait l'habitude de parler franc. Par
lui, les Tournaisiens apprirent la défaite de Gravelines et la nouvelle
décevante que le duc d'Alençon, loin d'être en route avec une armée
de secours, résidait en ce moment en .Angleterre, négociant son
mariage avec la Reine Élisabeth. D'autre part, Preston avait immé-
diatement examiné l'état de da défense. Il s'était rendu compte que,
s'il y avait beaucoup de bourgeois en armes, il y avait aussi de nom-
breuxcatholiques qui désiraient la reddition de la ville. La plupart
des soldats de la garnison avaient été tués ou blessés. Il parut au
chef écossais que) sans l'arrivée d'un secours important, la place ne
pourrait résister auxeffoTts tenaces des assiégeants. Ge qui lui
paraissait surtout dangereux, c'est que Farnèse était en possession
du ravelin de Saint-Martin, Sans reprendre cet ouvrage, il était
impossible de continuer à défendre Tournai avec quelque chance de
succès. Preston s'étonna aussi de ne trouver aucune fortification
dressée du côté des mines de l'assaillant et capable de prévenir
l'attaque si, de ce 'côté, l'ennemi réussissait à faire s'écrouler la
muraille (91).
Après en avoir discuté avec le sire d'Estréelles et les principaux
chefs de la ville, Preston fit décider qu'on essayerait de reprendre
le ravelin de Saint-Martin. Mais,en soldat expérimenté, il voulut
d'abord se rendre compte de ce que valaient ses adversaires.
Le 26 novembre, il sortit de la porte de Flandre ou de Sept-
Fontaines avec ses cavaliers et toute l'infanterie qu'on avait pu
réunir, pour attaquer le quartier des Allemands. Dès que la nouvelle
du combat se répandit, Montigny se porta à la rescousse avec ses
Wallons; il fut bientôt rejoint par les lanciers de la garde de Farnèse.
Preston et s'es hommes furent promptement repoussés, abandonnant
six morts, vingt blessés et deux prisonniers {9'2). Lorsque les défen-
seurs qui se trouvaient sur les murs de la ville, assistèrent à la
(90) STRADA, o. C., t. III, pp. 302-303.
(91) Liber retauonum, fo 102vo; STRADA, o. C., t. IIll, p. 303; PIERRE DE COLINS, O. C.,
p. 609.
(92) L'iber retatumum, r- 102'·.

31
déroute de Preston, ils abandonnèrent le rempart 'et se mirent à par-
courir les rues, criant : Alarme l Alarme! nous sommes perdus!
Comme c'était un dimanche, les catholiques étaient assemblés en
l'église Notre-Dame, pour y assister à la messe. Un calviniste se
précipita dans l'église, criant: « Alarme! Alarme! que font icices
papistes? Les Maleontents sont entrés dans la ville par la porte de
Sept-Fontaines ! »
Saisis de panique, les fidèles se précipitèrent vers les issues du
temple, mais l'archidiacre Cottereau, qui faisait 'en ce moment le
sermon, les arrêta et lescalma, en leur demandant de quoi « le trou-
peau de Dieu» pouvait avoir peur (93).
Malgré sa défaite, Preston avait l'intention d'essayer de
reprendre le ravelin de Saint-Martin. Dans la nuit du 27 novembre,
il sortit avec 500 fantassins et 100 cavaliers par la porte de ce nom,
tout en faisant donner l'alarme aux défenseurs de toutes les autres
portes de la ville. Les troupes de Farnèse furent alertées à leur tour
et se tinrent prêtes à repousser l'assaut. Cependant, à cause de
l 'hésitation de l 'homme qui servait de guide aux gens de Preston,
ceux-ci finirent par rentrer sans avoir combattu (94).
Le prince de Parme voulut dès lors attaquer la ville sans plus
attendre. Il fit miner, en beaucoup d'endroits, les remparts de Tournai
et décida de faire exploser les mines à l'aube du 29 novembre, vigile
de la fête de Saint-André, patron de la maison de Bourgogne. Aussi-
tôt après l'explosion, les troupes, profitant du désarroi qui se pro-
duirait nécessairement chez les assiégés, devaient monter à Passant à
l'improviste, sans préparation d'artillerie. Dans la nuit précédant le
29 novembre, les ordres nécessaires furent donnés. Deux heuresavant
l'aube, l'infanterie wallonne et l'infanterie allemande devaient se
masser dans les tranchées, tout près du fossé de la ville, pendant que
la cavalerie prendrait ses dispositions de 'bataille en un endroit où
les 'I'ournaisiens ne pourraient pas la voir.
A l'exception des sentinelles et des corps de garde, tout le monde
se reposa, en attendant l'assaut (95).

* -~*
Cependant à Tournai même, où l'on s'attendait probablement au
grand assaut du lendemain - d'Estréelles, qui avait des espions au
\(93) lIIémoires sur le siège de Tournai, p. 27.
(94) Liber relationum, r- 102.
(95) Ibidem; STRADA, o. c., t. III, pp. 303-.304.

32
camp de Farnèse, savait très bien ce qui se passait chez les assie-
geants (9,6)-, une partie des habitants avaient commencé à murmurer
et refusèrent de monter encore aux remparts (97). C'est que, depuis
longtemps, les catholiques tournaisiens essayaient d'induire le gou-
verneur à traiter avec le prince de Parme (98). Si, finalement, cette
suggestion trouva un écho, c'est que certains avertissements étaient
de nature à faire réfléchir les assiégés. Le comte de Rassenghien, qui
se trouvait dans le camp de Farnèse, était tuteur du seigneur de
Tourcoing, un jeune homme faible d'esprit, qui résidait en ce moment
à Tournai. Dans l'intention d'impressionner les assiégés, Rassenghien
adressa une lettre au magistrat pour le prier de laisser sortir son
protégé, « craignant, disait-il, que le sang de ce pauvre innocent ne
fût répandu avec celui des autres ». La lettre produisit son effet, car
l'après-midi du jour où elle fut envoyée, le jeune dément fut autorisé
à quitter la ville et, accompagné de sa garde, vint rejoindre le comte
de Rassenghien à Orcq, où celui-ci avait son quartier militaire (99).
Dans Ia journée du 28 novembre, le conseiller pensionnaire de la
ville, maître Dubois, crut de son devoir d 'exposer au sire d'E,stréelles,
au Conseil de guerre et aux conseillers de Tournai l'é,tat de la défense
et les mouvements divers qui agitaient la population. Il exposa qu'il
était temps d'éviter le sac et la ruine de la cité et proposa d'entendre
l'intention des notables et du peuple pour savoir s'ils désiraient
entrer en pourparlers avec l'ennemi et se rendre à des conditions
raisonnables, ou s'ils étaient décidés à mourir tous aux remparts. Le
sire d 'Estréelles, considérant que la situation était réellement critique,
déclara qu'il accepterait de traiter avec le prince de Parme si telle
était la volonté des habitants, et à condition que le Conseil de guerre
fût daecord.
Les notables, réunis à cet effet, se prononcèrent unanimement en
faveur de l'ouverture des négociations (100).
Dans la nuit précédant le 29 novembre, d'Estréelles avertit par
lettre le sire de Rassenghien, qui était son ami. Rassenghien alla
porter la nouvelle, à minuit, au prince de Parme. Aussitôt celui-ci

'(96) Liber relationum, r- 202.


{97) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 28.
(98) Mémoires sur le siège de Tournai, pp. iO, 11, i3, i8, i9.
(99) PIERRE DE COLINS, o. C., p.p. 609-610.
(iOO) Registres aux délibérattons de la ville de Tournai, extraits reproduits par A. G.
CHOTIN dans l'édition des lIlémoires su.r le siège de Toul'1w'Ï, p. 45. Cfr aussi GACHARD,
Aïuüecies belqiques, 3" cahier (Bruxelles, 1830), p. 369.

33
·différa l'explosion des mines qui avaient été préparées et contre-
manda l'assaut qui devait avoir lieu à I'aube (101).
Dans Paprès-midi de ce jour, les conseillers de la ville s 'assem-
blèrent une nouvelle fois avec les notables et des délégués du peuple
pour aviser aux moyens de- traiter avec le prince de Parme. On
députa vers celui-ci, au nom de la ville, Florent Bernard, sire
d'Esquelmes, maïeur des échevins de la cité, le sire de Baudignies et
le pensionnaire Dubois. Ces parlementaires quittèrent Tournai par 'la
porte de Sept-Fontaines et se rendirent au camp de Farnèse (102).
Celui-ci leur communiqua les conditions de la capitulationvaprès
avoir pris connaissance de trois écrits que les parlementaires lui
présentèrent, respectivement de la part de la rprincesse d'Épinoy, de
la part du sire d''Estréelles, et de la part du magistrat et du conseil
de Tournai. Les assiégés insistaient surtout pour obtenir, en leur
faveur, le maintien des clauses de la Pacification de Gand (103).
Alexandre Farnèse se montra extraordinairement clément. Il
déclara qu'il n'était pas 'besoin de traité pour ce qui regardait la
princesse d'Épinoy. Elle pourrait sortir avec toute sa maison et
emporter ce qui lui appartenait ainsi qu'à son mari. Ls gouverneur
de la ville, d'Estréel,les, pourrait également se retirer en paix avec
sa famille, ses armes, ses chevaux et ses meubles et s 'en aller là où
bon lui semblerait.
Aux officiers et soldats de la garnison, tant étrangers que gens
du pays, le prince accordait le traitement le plus favorable : il les
laisserait sortir portant leurs enseignes sur l'épaule, gardant leurs
armes, la mèche allumée, ainsi que leurs tambours, leurs biens per-
sonnels et leurs bagages, Les blessés et les malades jouiraient du
même traitement dès qu'ils seraient guéris, et à tous on donnerait un
sauf-conduit et l'escorte nécessaire pour les accompagner en sécurité
jusqu'à l'endroit qu'ils auraient choisi pour ee fixer.
Farnèse était, de plus, prêt à recevoir tous les bourgeois en la
grâce et la sauvegarde du Roi, leur accordant le pardon complet de
toutes les offenses passées et leur promettant qu'à l'avenir personne
ne serait recherché pour des crimes dont il aurait pu s'être rendu
coupable. Le maintien de tous les anciens privilèges et des coutumes
de la ville était garantLTous les bourgeois pourraient librement
continuer à demeurer à Tournai, à condition d'y vivre « sans scan-
(lOi) Liber relationum, fo 202.
(102) llUmoires sur le siège de Tournai, p. 29 et pp. 45-46.
{i03) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 46. .

34
dale » (au point de vue religieux) et selon les légitimes ordonnances
de Sa Majesté. Les calvinistes et autres qui ne voudraient se
soumettre à ces ordonnances et vivre en accord avec elles pourraient
se retirer, endéans un terme il, fixer. où bon leur semblerait, emportant
tous leurs biens.
D'autre part, les habitants devaient rendre tout de suite 'la ville
et la citadelle, avec l'artillerie et les munitions qui s 'y trouvaient, et
reconnaître le Roi pour leur seigneur et prince naturel, lui rendant
la juste et due obéissance.
La seule condition onéreuse exigée par le prince fut le paiement
d'une somme de 200.000 florins destinée à payer les frais du siège et
à donner satisfaction aux soldats, qui auraient pu espérer se livrer
au sac de la cité.
En revanche, Farnèse s'engageait à traiter dorénavant les bour-
geois « avec douceur et humanité » et à ne pas les charger d'une
garnison plus considérable qu'il n'était nécessaire pour la sûreté dû
la ville (104).
On pourrait difficilement imaginer conditions de reddition plus
clémentes vis-à-vis d'une population qui comptait un nombre consi-
dérable de sectaires et d'agitateurs et qui avait repoussé avec dédain
les offres avantageuses faites en 1579 lors du Traité d'Arras. S'ans
doute, le prince de Parme appliquait ici les directives de mansué-
tude et de douceur que navait cessé de lui prodiguer Philippe II
depuis le début de son gouvernement en Flandre, mais la modération
qu'il afficha jusque dans les détails de la capitulation est tout à son
honneur. Il se montra d'ailleurs en ceci un politique très habile,
ménageant la susceptibilité des seigneurs wallons et leur prouvant,
sans contradiction possible, que les promesses de « bon » gouverne-
ment qu'il avait si souvent données n'étaient pas de vaines paroles.
Aussi, lorsque les parlementaires, rentrés il Tournai, eurent
communiqué ces conditions à l'assemblée du peuple et demandé si
quelqu'un avait à y contredire, aucune voix ne s'éleva.
C 'est le soir du 29 novembre, par mauvais temps et ciel sombre,
que les parlementaires tournaisiens s'en allèrent porter au camp de
Farnèse I'aceord complet de leurs mandataires (105). Aussitôt, le
prince de Parme donna l'ordre à ses soldats allemands d'occuper les
remparts et la porte ,saint-Martin, ce qu'ils firent en organisant « un
{104) D'après l'original de la capitulation conservé aux Archives de Tournai et publié
p-ar A. G.CnoTIN dans les Mémoires sur le siège de Tournai, pp. 46-49.
{'i05) .~fémoi1·es sur le siège de Tournai, p. 30.

35
terrible tintamarre» de tambours et de fifres, et en faisant joyeuse-
ment tournoyer leurs étendards (106).
Le lendemain, 30 novembre, jour de Saint-André, le reste de
l'armée roy.ale fit son entrée à Tournai (107).

En même temps que les soldats, y arrivèrent le comte de Mans-


felt, le marquis de Richebourg, le comte de Lalaing, le baron de Mon-
tigny, le sire de Rassenghien et plusieurs autres nobles wallons (108).
Par déférence vis-à-vis de la princesse d'Épinoy, qui avait
montré tant d'énergie, jusqu'à allumer elle-même la mèche du canon
à la citadelle, où elle résidait (109), et qui avait eu la douleur de
perdre un jeune enfant mort pendant le siège (110), le prince de
Parme n'envoya pas de soldats au château avant qu'elle n'en fût
sortie (111).
Le baron de Montigny, accompagné du comte de Rassenghien et
de quelques autres seigneurs, s'empressa d'aller rendre visite à sa
sœur. Dès qu'elle le vit, et après l'avoir rapidement salué, la princesse
d'Épinoy, hors d 'ellle~même, s'écria: « Qui eût jamais pensé que votre
prince de Parme, après avoir pris la fuite devant Cambrai, eût arrêté
sa course et dressé son camp devant cette ville, qui, faute de courage,
s'est rendue, tout à fait contre mon avis! Car j'aurais préféré ter-
miner ma vie par une mort sanglante ou me laisser brûler au milieu
de la ville allumée de toutes parts, que d'en venir au point de, la
rendre! » Lorsque sa colère se fut quelque peu calmée, elle aperçut
près de Montigny un officier qu'elle ne connaissait point. Ayant appris
que c'était le colonel de Mondragon, elle éclata de nouveau: « Com-
ment ! on nous a fait <Croire que les Espagnols sont tous partis du
pays? et en voici encore! » (112)
Cependant, elle fut bien obligée de venir saluer le vainqueur j ce
qu'elle fit, hors la porte 8aint-J\{artin. Alexandre Farnèse la reçut

(i06) PIERRE DE' COLINS, o. C., p. 6U.


(107) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 3i.
{i08) Mémoires sur le siè{/re de Tournai, pp. 3i-32.
o(i09) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 32; CAMPANA, Della guerra di Fiandra,
2aparte, f' 30T -.
(HO) Liber relationum, r- 202; Mémoires sur le siège de Tournai, p. 6.
(iii) Liber relationum, f' 202.
l(ii2) Cet épisode, qui dépeint très bien le caractère de la princesse d'Epinoy, nous
est raconté par PIERRE DE COLINS, O. c., p. 6iO.

36
avec beaucoup de courtoisie (113). La princesse d'Épinoy lui montra
nettement qu'elle ne voulait recevoir de lui aucune faveur et son
attitude fut si blessante que Montigny ne put s'empêcher de le lui
reprocher. Elle partit en sanglotant et, au moment où elle monta en
carrosse avec ses dames et ses demoiselles d 'honneur, elle était telle-
ment affligée, nous dit Paolo Rinaldi, qui fut présent à la scène,
« qu'elle semblait sur le point de crever de douleur ». EUe déclara,
encore une fois, « que si elle avait pu prévoir qu'elle devrait en
venir l'à, elle aurait fait mettre le feu aux quatrecoins de Tournai et
qu'elle se serait jetée dans le brasier. Puis, sans plus adresser la
parole à son frère ou à quiconque, et sans saluer le prince de Parme,
elle baissa les rideaux de son carrosse pour ne plus voir et ne pas être
vue» {114). Elle partit ensuite dans la direction de Gand pour y
rejoindre son mari.
En même temps qu'elle, s'en allèrent de Tournai un grand
nombre de prédicants calvinistes, qui se rendirent, les uns à Aude-
narde, les autres à Gand (115). Tous ces fugitifs, de même que la
princesse, quittèrent la ville en suivant le cours de l'Escaut et
employèrent des barques pour le transport de leur personne et de
leurs biens.
A peine la princesse fut-elle partie qu' Alexandre Farnèse vit
venir à lui un grand nombre d'ecclésiastiques, de prêtres et de gen-
tilshommes de Tournai. Ils lui firent connaître que, pendant 10 siège,
les objets précieux servant au culte et les ornements liturgiques de
valeur, ainsi que des meubles de prix avaient été transportés de-s
églises et des maisons à la citadelle, pour les y mettre, en sûreté, et
que toutes ces richesses venaient d'être emportées dans les bagages
de la princesse d'Épinoy au moment où elle avait quitté le, château.
Aussitôt le prince de Parme envoya le capitaine Carondelet avec
deux cornettes de cavalerie le long des rives de I'Escaut à la pour-
suite des barques, avec ordre de les faire revenir à Tournai. Lorsque

{H3) Farnèse écrit au Bol le 7 décembre: « Porser dama, he concedido à la Princesa


Despinoy todo 10 que ha querldo ». {A. G. R., Copies âe Simancas, vol. 14, r- 303). L'au-
teur des .Mémoires sur le siège âe Tournai dit (p. 32): « Le prince de Parme la salua
bien doucement ».
,(114) Paolo, Bfnaldi, qui est outré de l'attitu:d:e de la princesse, en parle comme
suit: « Con tutto ci6, come superba, arrogante et vlllana, non voIse rlconoscere da Far-
nese benignità nessuna, dlmostrando con g,]i atti e con le parole d'essec bestiale ,e Ingra-
tissima ... Alla sua partita, con molti dirotti pianti, sput6 il suo veleno con le parole,
poich' ella non haveva più dentt da mordere ... » Liber reiatumum, fo, 202ro-202vo.
(115) STRADA, o. C., t. III, p. 305.

37
les 'bateaux eurent été ramenés, le magistrat, par ordre de' Farnèse;
les visita et fit restituer aux propriétaires légitimes les objets qui leur
appartenaient (116).
Après avoir introduit à la citadelle, après le départ de la prin.
cesse d'Épinoy, une garnison de 100 soldats allemands, le prince de
Parme fit 'son entrée triomphale dans Tournai, le 1er décembre, jour
de la fête de Saint-André.
II y pénétra, monté sur un magnifique coursier, et faisait porter
par son guidon, qui chevauchait derrière lui, sa lance et son équipe-
ment précieux des grandes circonstances. Il était suivi du comte
Pierre-Ernest de Mansfelt et du marquis de Richebourg, des conseil-
lers d'État et de guerre, de tous les colonels, des gens de sa cour et
de ses « aventuriers » ou volontaires (117). Il fut reçu à la porte
Saint-Martin par le chapitre de la cathédrale, à la tête duquel mar-
ehait l'archidiacre Cottereau, portant la relique de la Sainte-Croix.
Un long cortège d'ecclésiastiques et de religieux s'était joint au cha-
pitre. Le magistrat de la ville reçut le vainqueur dans l'attitude d'une
humble soumission et jura en sa présence obéissance et fidélité au
Roi. Après être descendu de cheval devant la cathédrale, Alexandre
Farnèse pénétra sous les voûtes du magnifique édifice, où rêsonnè-
rent bientôt les accents triomphants du Te Deum laudamue (118).
On peut s'imaginer la joie des catholiques qui, sous le régime calvi-
niste qui venait de s'écrouler, n'avaient connu qu'humiliations et
spoliations et qui se félicitaient du départ de tous les sectaires, dont

(H6) Liber relationum, fo 102'°; STRADA,0, c., t. III, pp. 305-306. Ces deux témoins
sont formeIset s'accordent entièrement jusque, dans les détails du nécit. On a mis en
doute J'exactitude de ces données, sous prétexte que le magistrat avait ordonné, pendant
le siège, de faire porter à la halle de la ville tous les objets en or et en argent, pour
fil faire de la monnaie obsidionale, et que, puisque ces richesses avaient été remises aux
halles entre les mains des « orfèvres » publics, la princesse d'Epinoy n'aurait pu les
emporter du château. {A. G. CHOTINdans les annexes des .Mémoires sur le siège de Tournai,
pp. 39-40). Mais il ne s'agit pas ici d'argenterie. Il 'est question d'objets de culte, de vête-
ments liturgiques et de meubles, qui ne pouvaient, certes, servir à fabriquer de la monnaie
obsidionale. Il n'y a aucune raison pour mettre en doute le témoi-gnage d-e Paolo Rlnaldi,
qui tétait sur place au moment où les faits durent se passer. Rinaldi n'accuse d'ailleurs
pas la princesse d'Epinoy: il affirme seulement que tous ces objets turent emportés avec
ses bagages personnels. La responsabilité de la princesse n'est pas, de ce fait, direc-
tement engagée. Il est très possible que, dans la précipitation du départ, des serviteurs
et les gens de sa maison aient emporté tout ce qui se trouvait au château, évidemment
non sans savoir qu'ils commettaient un vol. ,Ce n'est pas pour :v1en.ger l'honoratnllté de
la princesse qu'il faut récuser le témoignage ïœmel de témoins dlgnës de toute oréancè,
(117) Liber rdattonum, fo 103.
{HS) Liber relationum, fO 103'°; Mémoires sur le siège de Toumai, p. 32.

38
Tournai avait été pendant longtemps le re-fuge et le quartier
général (119).

Le siège de Tournai n'avait pas été aussi sanglant que celui de


Maestrieht. Les assiégés y perdirent environ 900 tués, dont 41 femmes
et 18 jeunes filles qui avaient travaillé au rempart (120). Quant au
chiffre des morts et des blessés dans les rangs des assiégeants,
quoique nous n'en ayons trouvé nulle. part une estimation précise,
il est certain qu'il ne fut pas élevé. Mais le prince de Parme avait
dû payer beaucoup de sa personne pour conduire l'entreprise à bonne
fin. Il n'avait épargné aucun travail, ni aucune peine. Il avait été
présent partout, à l'installation des gabions et des pièces d'artillerie,
au creusement des mines et des contre-mines, à l'établissement des
flanquements de défense et des parapets. Il avait aidé plus d'une fois
à changer de place les pièces de siège, il avait inspecté lui-même le
mesurage des tranchées et leur creusement. La nuit, il avait entrepris
des rondes continuelles pour surveiller les sentinelles et les C01~pSde
garde et les tenir constamment alertés, et cela sur un parcours de
six à sept lieues, Plus d'une fois, pour surveiller les travaux ou pour
les entamer lui-même, il s'était trouvé dans la boue jusqu'aux genoux,
au point d 'y laisser ses bottes, qu'il avait cependant liées soli-
dement à ses jambes pour ne pas les perdre dans lafange, Il avait
plusieurs fois exposé sa vie pour examiner, à découvert, l'endroit d'où
venaient les coups d 'arquebuse, de mousquet ou de canon ennemis.
Il avait été aidé avec zèle et courage par le colonel de Mondra-
gon et par Montigny et surtout par les gentilshommes de sa maison,
de quelque nationalité qu'ils fussent. Il avait été heureux de voir
partout à ses côtés sescompagnolls de Lépante, le comte Nieolo
Cesis, Galvano Auguisciola, le marquis Lodovico Rangon et son
fidèle Léon Lazare Haller.
La prise de Tournai fut d'une grande importance pour rétablir
le prestige des armes espagnoles et pour renforcer la sécurité des

(H9) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 32; STRADA, o. C., t. III, p. 306. Très signt-
ficatif à ce sujet est le contenu des lettres patentes données par Farnèse en faveur d'habi-
tants de Tournai, le 1'5 mai 1582, et dont le texte Sietrouve dans Correspondance de Gran-
velle, t. IX, pp. 678 svv.
(120) Mémoires Sur le siège de Tournai, p. 33.

39
provinces réconciliées (121). De plus, une forteresse principale des
rebelles avait pu être emportée, sans que le prince d 'Orang-e ou les
troupes des États eussent eu la possibilité de lui porter secours. Le
fait de Maëstricht venait de se répéter et ainsi s'accrédita peu à peu
l'opinion que Farnèse preneur de villes était réellement invincible.
Aussi, à Gand, à Bruxelles, à Anvers, la foule murmura de
nouveau contre le prince d 'Orang-e. Les Bruxellois, très excités, se
répandirent en récriminations: « Nous avons été vendus par nos
chefs : voilà le beau service que nous réservait Alençon. Nous per-
dons nos cités l'une après l'autre, sans qn 'on leur porte secours.
Nous donnons tout ce que nous pouvons et nous voyons tout tomber
en confusion, sans qu'on fasse le moindre prog-rès ! » (122). A Brug-es
et dans d'autres villes de Flandre, la panique s'empara des bourgeois,
qui firent partir en secret leurs biens les plus précieux (1'23). Le
prince d'Orang-e se vit oblig-éd'y envoyer cinq compagnies de soldats
anglais, Ces renforts furent suivis de 800 soldats flamands et de
trois cornettes de cavalerie (124).
Ainsi, l'armée des États qui tenait la campag-ne se disloqua
presque instantanément. Le Taciturne avait d'ailleurs lancé d'Anvers
l'ordre à toutes les places fortes de recevoir dans leurs murs les
garnisons qu'il destinait à leur défense. Seules les troupes fran-
çaises envoyées par Alençon et commandées par Rochepot furent
obligées de rester en campagne, car nune part on ne voulut les rece-
voir dans les villes murées. Ils finirent par se loger dans la région de
L'Ecluse. La cavalerie française qui devait les rejoindre, venant de
Gravelines, se dirigea aussi de ce côté. Elle n'était d'ailleurs pas
redoutable : « C'est la cavalerie la plus pauvre qui ait jamais servi
dans une guerre quelconque. Triste !Triste ! » écrivait Stokes à
Walsingham (125).
La situation des États avait paru en ce moment tellement grave
et le mécontentement s'était manifesté de façon si violente que le

(12'1) Farnèse ïéortvit au RQi pour lui annoncer sa victoire et fit remarquer à ce propos
que « la possession de Tournai fermait désormais aux Flama,nds l'entrée des provinces
wallonnes, tandis qu'elle ouvrait aux Malcontents les portes de Flandre ». {STRADA,o. C.,
t. III, p. 307). Voir Ile texte dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire,3· Sé1'[8,
t. XIII.
(122) Lettre de Frernyn à Watsmgham, Anvers, 10 décembre 1581 (F01'eign Caienaor,
1581, n- 419).
(123) StQk€8 à Walsingham, Bruges, 10 'décembre 1581 {Foreign Calesuiar, 158-1, n° 420).
(124) Stokes à Walsingham, Bruges, 14' décembre 1581 ,(Foreign Calendar, 1581, nO 427).
{125) Foreign coienaor, 1581,n° 420).

40
Taciturne convoqua les députés des États 'Généraux à Anvers et leur
adressa un vigoureux et clairvoyant discours (126). Cette assemblée
eut lieu le jour même où le prince de Parme entra en vainqueur à
Tournai.
Après avoir rappelé qu 'après le départ de l'archiduc Mathias,
il n'avait provisoirement accepté la direction générale des affaires
qu'à la prière expresse que lui en avaient faite les États Généraux
réunis à Amsterdam, le Taciturne affirma qu'il se voyait obligé en
conscience d'examiner la situation telle qu'elle se présentait en ce
moment et d'indiquer quelles mesures s'imposaient pour la redresser.
Il n'était pas possible de nier, affirma le prince, que pendant
l'année 1581, l'ennemi ava:it été maître de la campagne, sans toute-
fois pouvoir exécuter de grandes entreprises. Ses forces principales
avaient été concentrées du côté du Hainaut et de l'Artois. C'est
qu'il savait quelle importance présentait pour lui la sécurité de ces
régions, surtout la possession de Cambrai et de Tournai, dont les
États ne s'étaient peut-être pas assez préoccupés. Si F'arnèse avait
pu s'emparer de Cambrai, depuis longtemps il serait déjà maître
de TOUTnaiet logé dans le pays de Flandre et de Brabant, au grand
dam de la cause nationale.
,Si Tournai était aujourd'hui assiégée, sans qu'on eût pu la secou-
rir, il importait d'examiner à qui en incombait la faute. « Je réponds,
s'écria le prince d'Orange, que la faute en est à vous, Messieurs, et
aux autres qui avez rejeté mon conseil de prendre à notre service
3.000 cavaliers étrangers et deux régiments de « corselets ». Si vous
aviez eu prêtes les forces que je vous avais demandées, lorsque le
duc d 'Anjou s'est porté au secours de Cambrai, et si vous aviez joint
ces forees à celles du duc, nous serions à présent débarrassés de la
guerre et nous eussions chassé l'ennemi, le refoulant au-delà de la
Meuse. »
Le prince avertit ensuite les députés que pendant l'année qui
allait s'ouvrir, ils se trouveraient en face d'une situation pire encore.
Il leur reprocha leur nonchalance, au moment où l'on pouvait
entendre à Anvers le bruit des canons qui battaient les murs de
Tournai. L'origine de ce « mal incroyable» se trouvait dans le fait
que chacun était plus préoccupé de ses intérêts particuliers que de

(126) Renwnstrance taicte par son Bœcelience en Anvers ce premier jour de decembre
à Messieurs les Estats, 1581, plaquette conservée à la B. N. P., ms. français 9018, fo 413.
Ofr aussi GACHARD, Correspondance de Guillaume le Tacttume, t. IV, p, 364, p. 397.
l'intérêt général. « Lorsqu'on en parle au peuple, s'écria le prince,
ce peuple ne pense pas que cette guerre est sa guerre, comme si l'on
ne combattait pas pour la liberté des corps et la liberté des con-
sciences! C 'est de là que vient cette autre, faute : I!Ol~SqU'on demande
des subsides, sans lesquels ni moi ni personne d'autre nous ne pou-
vons faire la guerre, les gens en traitent et répondent comme s 'ils
vivaient au temps de feu Charles-Quint. Et ce que je dis) je ne le dis
pas à cause du désir que j'ai d'employer moi-même ces subsides
publics, auxquels, vous le savez, je n'ai jamais touché - quoique
quelques détracteurs en aient parlé autrement, contre leur con-
science -, mais je le dis afin qu'une bonne fois, Messieurs, vous pensiez
qu'il n 'y a guerre en ce pays que la vôtre, et que, lorsque vous
délibérerez, vous vous souveniez que vous délibérez sur ce qui est
vôtre! Comme nous avons une cause commune, ainsi nous devons
tous être unis, <le que jusque maintenant nous n'avons pu obtenir! »
Pour mettre encore plus en lumière l'esprit partieulariste des
provinces, si opposé à l'intérêt de « la généralité » ou commune
patrie, le prince montra comment chaque province avait son conseil,
et presque chaque ville, chaque région avait ses forces, son argent,
au point que ce qui aurait constitué une grande force et richesse
pour tous ensemble, représentait en réalité fort peu pour un chacun.
« TI est vrai, continua-t-il, qu'on a établi un conseil, mais qui
n'a aucune puissance (127), car là où il n 'y a point d'autorité, com-
ment y aurait-il une règle pour la discipline militaire, pour les
finances, pour la justice et toutes autres choses ~ Quant à l'autorité,
il n-y en aura jamais pour ceux qui ne possèdent un seul patard à dis-
tribuer, comme ni moi ni le Conseil nous n'en avons. »
Le Taciturne supplia ensuite les députés de faire comprendre
ces vérités à tout le peuple, afin que) dans la suite, on n'imputât à lui
la responsabilité des désastres qui allaient se produire.

Au moment où le prince d'Orange s'efforçait ainsi de faire


comprendre aux États Généraux que la nonchalance et Pêgoïsms des
provinces étaient la eouroe de tous les maux et quils mettaient en
danger la solidité de l'œuvre qu'il essayait si patiemment de con-

~127) Voir sur ceci DE PATER, De Raad van State nevens Mathias.

42
struire (128), le prince de Parme s'était établi de façon définitive dans
la vine de Tournai. Il décida d 'y fixer sa cour et il y organisa son
gouvernement, qui y resta jusqu'à la prise de,Bruxelles en 1585 (129).
Il s'entoura d'une garde composée d'un cornette de Bourguignons et
d'une compagnie d'Allemands, 'et confia le gouvernement de la vine
au haron de Licques (130). Le 31 décembre, il reçut d'ailleurs de
Philippe II la nouvelle qu'il serait désormais, seul, gouverneur géné-
ral des Pays-Bas, à titre définitif. Le Roi lui en expédia la commission
nécessaire,en ajoutant que, si le prince le jugeait préférable, il pou-
vait tenir ces pièces secrètes (131).
Désormais maître de la situation, Alexandre Farnèse se sentit
plus fort vis-à-vis des seigneurs wallons, que, jusque-là, il s 'était
cru obligé de ménager beaucoup. Sans changer d'attitude à leur
endroit, il leur montra cependant qu'il était le chef du pays lorsqu'ils
se plaignirent de ce que Tournai eût été obligée d'accepter dans ses
murs une garnison de soldats wallons et allemands (132). Il leur
reprocha en conseilleur attitude frondeuse et affirma que rien, dans
le traité de réconciliation de 1579, ne l'empêchait de mettre à sa
volonté des garnisons dans les villes qui n'avaient pas été comprises
dans ce traité, et qu'il ferait d'ailleurs de même dans toutes les
autres places dont, avec l'aide de Dieu, il se rendrait maître dans la
suite. Cette déclaration nette et ônergique mit fin à l'incident et per-
sonne n'osa y contredire (133).

(128) ceei a été bien mis en lumière par 1\'I.N. JAPlJŒE, dans son étude Prins Will.em
en de Generate Unie (1576-1581), publiée dans lVilhelmus van Nassouwe, pp. 14.5 svv.
,(129) Liber relatumum, s- 105; STRADA, o. C., t, III, p. 308; PIERRE DE Co-LINS, O. C.,
p. 612; CAMPANA, Della guerra dI Fiandra, pacte 23, fos 30'°-31; Foreign Calendar, 1581,
n- 43:1.
(130) STRADA, o. C., t. III, p. 308.
(131) Le Roi à Farnèse, Lisbonne, 31 décembre 1581 (1\. G. R, Copies die Simancas,
vol. 14, r- 315).
,(132) Les agents anglais aux Pays-Bas s'empressèrent de signaler ce mécontentement
à Walsingham, Ils furent mis au courant par des lettres de M. de Bassengnien. qui avalent
été interceptées (Ros.~lJ à Waleingharn, Camp d'Eecloo, 19 janvier 1582, et Stokes à
Walsingham, 'Bruges, 21 janvier 1582, dans Foreign Calendar, 1582, n= 510 et 512).
(133') STRADA, o. C., t, III, p. 308.

43
CHAPITRE II.

LA LUTTE POUR LE RETOUR DES TROUPES


ÉTRANGÈRES ET LE GRAND PLAN D'OFFENSIVE

Si la prise de Tournai, les victoires remportées presque, en


même temps par son lieutenant Verdugo en Frise (1) et les acquisi-
mons que- le seigneur de Hautepenne avait faites dans le Nord du
Brabant étaient de nature à donner à Farnèse l'impression qu'il était
pour le moment maître de la campagne, l'attitude des troupes wal-
lonnes pendant l,e siège, qui venait de se terminer et le peu de con-
fiance qu'il pouvait avoir dans les chefs wallons ne laissaient pas de
Pinquiéter sérieusement. Hans une lettre du 12 janvie-r 1682, il
s 'exprima comme suit à ce sujet: « Si nous n'avons pu retirer tout
le fruit nécessaire de l'avantage obtenu à Tournai, la faute en est
uniquement à la circonstance que je dispose de si peu de gens et de
si peu de soutien. Depuis le départ des troupes espagnoles (en 1579)
jusqu'à L'arrivée du petit nombre d'Allemands que j'ai fait recruter
récemment, il n'a pas été possible de mettre plus de 6.000 hommes en
campagne... et encore cette petite armée est composée de gens sans
valeur, sans expérience et sans discipline, dirigés par des chefs peu
au courant de la guerre. Il faut vraiment attribuer au miracle et à
une grâce particulière de Dieu ce que nous avons pu réaliser. » (2)

{il STRADA,O. C., t. Hl, pp. 288~29i; Relation de Farnèse sur les affaires de Frise dans
'B. N. P., ms, eepagnoâ 182, fo 313'°. Cfr aussi la 'lettre écrite par le conseüler Georges
Westendorp à Farnèse, le 3 octobre 1581, dans les Bulletins de la CommisSion royale
d' histoire, 2" sér. t. IX.
(2) 'B. N. p" ms. espagnol 182, r- 3'15'°.
Déjà pendant le S18gede Tournai, nous l'avons vu, Alexandre
Farnèse s'était rendu compte, qu'il faudrait absolument faire revenir
les troupes espagnoles, si on ne voulait pas s 'exposer à perdre défini-
tivementce qui avait été gagné au prix de si pénibles efforts. Ce plan
du retour des forces étrangères n'avait d'ailleurs jamais cessé de
hanter son esprit (3).
De nouvelles complications qui menaçaient de surgir le confir-
mèrent plus que jamais dans son idée. Le 10 décembre 1581, Marnix
de Sainte-Aldegonde, que le Taciturne avait envoyé à Londres pour
y garder' le, contact avec le due d 'Alençon, re'çut la nouvelle de 13,
prise de Tournai. Des instructions lui parvinrent en même, temps, le
chargeant de renouveler auprès du prince français les instances de
nature à le faire revenir aux Pays-Bas (4). L'ambassadeur espagnol
auprès d'Élisabeth d'Angleterre, Bernardino de Mendoza, Ile man-
qua point de mettre le prince de Parme au courant de ces faits (5).
Farnèse en conclut que le danger de l'intervention des Français,
qui l'avait toujours si vivement préoccupé, allait réapparaître plus
menaçant que jamais. Il n 'hésita plus.
Il résolut de préparer sans tarder le retour des troupes espa-
gnoles aux Pays-Bas. Le Roi était gagné depuis quelque temps déjà
à l'idée de ce retour. Instruit régulièrement pal' le prince de Parme
des déficiences des troupes nationales (6).,le souverain avait fini par
comprendre que la clause du Traité d 'Arras, permettant éventuelle-
ment la rentrée des soldats étrangers, devait être invoquée, sous
peine de s'exposer à un désastre.
Le 3 avril 1581, répondant à F'arnèse, qui lui avait exposé un plan
d'opérations de vaste envergure sur lequel nous reviendrons, Phi-
lippe II lui avait posé la question: « Avec quels soldats exécuteriez
vous ce plan? » et il avait répondu lui-même en ces termes: « Les

(3) Vole! De qu'il écrit à sa mère le 28 janvier 1582: « Se non havera U consenso in
generale di questl Stati di pater mandar qua Spagnoli, chiara casa è che, conforme ai
capitoli della rlconcilatione et a corne I'Interpretano questi nostri consigUeri, et anco
i principali, che devono dar vota In questa congregaüone delli detti Stati, S. Maestà è in
termine di poterli rnandar, ,se vuole, poiche Franoesi tengono Cambra)' et nanno gente ln
attre piazzeet si prepara il duca d'Aûansone per venir armato 0 pigHar indebitamente la
possessione di questi stati, » (Correspondance de Granvelle, t, IX, p. (16),
(4) KERVYNDE LET'TENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. VI, p. 247; Marnix au
Conseil d'Etat, Londres, 10 décembre 1581 (MÜLLER et DIEGERICK,o. C., t. IV, p. 262).
(5) Mendoza au Roi, Londres, 17 décembre 1581: « J1envoie une dépêche spéclale
au prince de Parme pour l'informer de tout oect » (Spanish Caienâa», 1581, nv 239).
1(6) Voyez en quels termes énergiques il en avait écrit au Roi, en août ou septembré
1581, dans P. FEA, O. C., p. 137.

45
soldats italiens n'ont pas encore été recrutés et les Espagnols ne sont
pas bien vus en Flandre. Le problème est très difficile, et n'offre pas
de solution, à moins que, voyant le peu de résultats qu'a produits le
fait de renvoyer les soldats étrangers dans l'espoir de calmer l'esprit
des rebel1es,et se rendant compte, d'autre part, de la grandeur de
Peffort qui reste à faire, les provinces réconciliées ne se laissent
amener à accepter le retour des troupes espagnoles et italiennes.
Essa.yez de les convaincre. » (7),
Le 18 décembre, le Roi était revenu à la charge et avait conseillé
à Farnèse de, travailler prudemment dans ce but les villes et les
ecclésiastiques des provinces wallonnes (8).
C'est ce que le prince de Parme avait commencé à faire, immé-
diatement après son entrée à 'I'ournai, avant que les suggestions du
Roi ne lui parvinrent, Se faisant, encore une fuis, aider par Jean
<Sarrazin, abbé de Saint-Vaast, il réussit à circonvenir 'en peu de
temps les membres du clergé, dont l'appui était précieux et avait été
de si grand poids en 1579 (9). Le peuple des villes fut gagné aussi
assez rapidement, tant par l'action des ecclésiastiques que par le
mécontentement qui se manifestait chez lui à l'endroit de la noblesse.
Les masses populaires, sur lesquelles retombait le plus lourdement le
poids de la guerre, -et qui en souffraient le plus, commençaient à
murmurer contre l'obstination des chefs, qu'elles accusaient de vou-
loir tirer la lutte en longueur parce qu'ils en profitaient et qu'ils en
retiraient honneurs et charges (10).
En somme, la foule wallonne manifestait ce même sentiment de
jalousie et de défiance dont nous avons constaté la virulence
dans le parti du prince d'Orange. Cette foule avait d'ailleurs été
impressionnée par la modération et la clémence du prince de Parme
et avait constaté, non sans étonnement, qu'il gardait fidèlement sa
promesse de « bon gouvernement» (11).

«7) Philippe II à Farnèse, 'l'omar, 3 avril 1581, dans A. G. R., Copies de- Simancas,
vol. 14,r- 181.
(8) A. G. R., Copies de Simaneas, vol. 14" r- 309.
(9) « Que por vias y negoçiaçiones secretes tenia ya grangesdo alos ecoleslasticos ... »
Lettre de F8Jrnèse, du 12 janvier 1582 (8. N. P., ms, espagnol 18'2, fo 315'°). - «lHabioodo
ya ganado y no sin artiücio al abbad de San Vast que esta aqui » Farnèse au Roi, Tournai,
12 janvier 1582 (A. G. R., Copies de Simaneas, vol. 15, non folioté).
(10) Lettre de Farnèse, 12 janvier 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182, loc. cit.).
(H) Lettre de Fannèae, 12 janvier 1582, toc. cit. Le fait que c'est le prince de Parme
qui I'affirme ne doit pas nous faire douter de la vérité de ses paroles, car elles cadrent
très bien avec ce que nous savons.

46
Lorsque le prince [ugea que le terrain avait été suffisamment
préparé, il convoqua une grande assemblée à Tournai, où se retrou-
vèrent les États d 'Artois, du Hainaut, de Lille, Douai et Orchies, les
membres du Conseil d'État et de guerre, ceux du Conseil privé, ceux
des Finances. Farnèse leur exposa clairement la situation. Après
avoir montré combien le prince d'Orange dominait encore les rebelles,
il leur fit comprendre qu'avec l'armée nationale seule, il n'était pas
possible de vaincre l'ennemi. « Tl faut, dit-il, une armée considérable,
qui doit servir non seulement pour défendre les provinces obéissantes,
mais aussi pour chasser l'ennemi des provinces qu'il occupe encore.
Pour constituer cette armée, il faut rappeler les troupes étrangères à
la solde de Sa Majesté, » (12)
Les États ayant demandé le texte du discours du prince, le com-
muniquèrent à leurs mandants et en discutèrent sérieusement. Ils se
trouvèrent assez rapidement d'accord pour accepter le retour des
soldats espagnols. Les conseils de Brabant, de Namur, de Luxem-
bourg et ceux des provinces réconciliées (13) se prononcèrent dans
le même sens.
'Cependant, la partie n'était pas encore gagnée: les chefs des
troupes wallonnes et les principaux nobles persistaient dans leur
refus. Lecomte de Lalaing, surtout, redoutait l'arrivée des Espagnols.
N'avait-il pas été le premier à se mettre en rapport avec le duc
d'Anjou et le Roi ne lui tiendrait-il pas rigueur de cette trahi-
son Mais, d'autre part, comme il' s'était réconcilié avec le Roi, il
î

navait plus rien à craindre des Français. Aussi était-il travaillé par
le doute et en proie là des sentiments contradictoires (14). Pour le
convertir à l'idée, du retour des troupes étrangères, le prince de
Parme eut recours à l'intermédiaire el'un Espagnol, qui était au ser-
vice de Lalaing Grâce à cet homme, le grand bailli de Hainaut se laissa
assez facilement persuader. Il finit par admettre que 5.000 Espa-
gnols Ht 4.000 Italiens pourraient, le plus vite possible, revenir aux
Pays-Bas, mais ils ne pourraient occuper aucune ville ou forteresse,
et ne seraient pas employés dans les provinces réconciliées. On les

H2) Liber reiatumum, fo 105vo-106. Les agents anglais aux Pays-Bas signalent à
Walsingham cette importante réunion, mais, insuffisamment renseignés, 'la placent à
Douai, (Rossel! à Walsingham, Camp d'Decloo, 19 janvier 1582 et Stokes au même, Bruges,
21 janvier 1582, dans Foreign Ctüetuicr, 1582, nOS 510 et 512).
(iS) Liber relationum, fo 106vo. - Il s'agit, évidemment, ici du Conseil de Brabant
que Farnèse avait établi à Louvain, et qui était différent du Conseil de Brabant des
rebelles, siégeant à Anvers.
(iII) STRADA, o. C., t. III, p. 320.

47
utiliserait uniquement pour reconquerir le reste des Pays-Bas (15).
Farnèse fut très heureux de cette volte-face de Lalaing, mais il
voulut être sûr que le versatile seigneur ne changerait plus d'avis.
Ayant remarqué que la comtesse de Lalaing, Marguerite de Ligne,
exerçait une très grande influence sur son mari et dominait celui-ci,
il profita creisfêtes de Noël poureller la saluer. Ileut avec BlHe une
entrevue, dans la journée du 6 janvier 1582, parvint à la convaincre
de Ta nécessité du retour des soldats étrangers et en obtint la pro-
messe qu'elle forcerait son époux à rester ferme dans sa décision (16).
De Montigny, Farnèse semble avoir été sûr, mais il redoutait
l'obstination et l'influence malfaisante du marquis de Richebourg.
Lorsque, vers la mi-janvier, les bons sentiments du Brabant, de la
Frise, de la Gueldre, et le consentement des villes, du peuple et du
clergé ne laissaient plus de doute, il résolut d'avoir une conversation
définitive avec Richebourg (17).
Il lui déclara qu'il voulait lui parler non comme gouverneur
général des Pays-Bas s'adressant à un sujet du Roi d'Espagne, mais
comme un ami parlant à un ami. Il lui fit comprendra que, maintenant
que presque tout le monde était prêt à accepter le retour des soldats
espagnols, lui, Richebourg, ne pouvait pas rester seul dl) son avis.
« Je n'ai pu souffrir plus longtemps, dit-il au marquis, que vous
soyez le dernier dans les bonnes grâces du Roi, vous que j'ai toujours
voulu pousser au premier rang des favoris du souverain. »
1(15) Farnèse au Roi, Tournai, 12 janvier 1582 {A. G. R, Copies de Simancas, vol, 15,
non folioté). Comparez 'le récit de STRA,DA, o. C., t, III, pp. 320-321. D'après oelui-ci, c'fest
le serviteur espagnol qui, Sie sentant en butte à la haine du prince de Parme, imagina
lui-même, pour se f.aire bien voir, de suggérer à son maître d'accepter le retour dies
soldats étrangers. La correspondance du prince de Parme ne laisse supposer rien dè
pareil et nous nous en tenons ic.j à ce que Farnèse raconte lui-même au Roi. D'après
Paolo Rinaldi, dans son Liber relationum, fo 106vo, Parnèse aurait gagné Lalaing par
l'intermédiaire de Montigny, en flattant c-a dernier et en lui laissant entrevoir le comman-
dement des troupes étrangères qui viendralcnt aux Pays-Bas, Enthouslasrné par les
promesses et les rlatteries de Farnèse, Montigny aurait suggéré à Lalaing d"écrire une
lettre au prince de Parme pour Ile supplier de faire revënlr les tr oupes étrangères, afin
àe gagner ainsi les bonnes grâces du Roi. Malgré l'autorité que nous attachons au témod-
gnage de Bfnaldl, nous ne pouvons le suivre ici, car il résulte de Ia lettre que Farnèse
écrivit au Roi le 12 janvier que Lalaing était déjà ga,gn1é avant que le prince ne sût
exactement quels étaient les sentiments de Montigny. Ge jour-là, en effet, Farnèse écrit
au Roi: « D'après ce qu'ill semble, M. de Montigny aurait les mêmes sentiments [que
Lalaing]. »
(16) Farnèse écrit au Roi, dans sa lettre du 12 Janvier (loc. cit.) qu'il a eu recours
aux bons offices de Madame de Lalaing « porque enestos estados, como Vuestra Mages-
tade sabe, puedan muchos las mugeres con sus maridos y mas la dei dioho conde, que
le gobierna absolutamente ». Cette influence des femmes est signalée, comme un fait
spécial à la Flandre, dans Ia plupart des rapports des ambassadeurs vénitiens.
(17) Fa'l'nèse au Roi, Tournai, 12 janvier 1582 {loc. cit.).

48

,
Farnèse démontra ensuite que le retour -des Espagnols n'ôte-
raitau marquis aucune des charges qu'il possédait. Il lui promit de
lui laisser le commandement de toute la cavalerie, y compris la cava-
l'erie èspagnole-Tl lui assura aussi' qu'il n'avait rien 'à craindre pour
sa' personne du retour des troupes étrangères : celles-ci ne seraient
employées que contre les ennemis du Roi. Farnèse s'engagerait même,
pour garantie de sa promesse, à donner son propre fils en otage à
Richebourg. «Ecoutez-moi, poursuivit Farnèse, et suivez l'avis d'un
ami fidèle. Je dois envoyer, un courrier en Espagne pour faire con-
naître au Roi que les provinces wallonnes ont enfin changé d'idée.
Demandez vous-même par une lettre au Roi le retour des forces
étrangères :je joindrai votre lettre à mes dépêches et ainsi par vous,
avant tous les autres, le souverain apprendra la bonne volonté des
Wallons. Ayant reçu de vous la satisfaction et la joie, il vous donnera
la première et la plus belle récompense de cette action. » (18)
.c'était suprêmement habile. Farnèse savait comment toucher
l'orgueilleux Richebourg et comment tranquilliser ses craintes. Aussi,
le résultat fut décisif. Richebourg promit à Farnèse de faire, Bans
arrière-pensée, ce qu'on attendait de lui. TI tint parole (19).
Il fit tant et si bien auprès des nobles wallons qui' hésitaient
encore que, une quinzaine de jours après, F'arnèse put écrire au Roi :
« Les négociations avec la noblesse pour le retour des Espagnols
sont 'en bonne voie: Lalaing, Richebourg, Montigny, l'abbé de Saint-
Vaast et le comte de Hennin font de la propagande en Artois. Il ne
reste plus qu'à rallier le duc d'Aerschot, auquel j'ai adressé les lettres
nécessaires. »
Et, comme en 1579, le prince de Parme priait Philippe II de se
montrer généreux. Il lui demandait de donner une, ayuda de costa et
la patente de gouverneur du Hainaut au comte de Lalaing. Pour Mon-
tigny, qui ambitionnait le gouvernement de Flandr-e, il suggérait de
dépêcher la commission de général de l'artillerie. « Avec Mite com-
mission et un cadeau, il sera content » ajoutait-il. Quant au comte
de Hennin, il guignait la présidence du Conseil des Finances. « A lui,

(18) Nous connaissons, sinon le texte exact, dit moins 'le sens et les idées du discours
que tint Farnèse à Richebourg par la lettre que J:e prince afdlressa àce sujet au cardinal
de Granve'lle, le 19 avril, et d'ont Strada donne le contenu (0, c. t. III, pp. 322-323), A
comparer ce discours avec le récit de Binaldt il propos du 'ralliement de Montigny, on
s'aperçoit que, dans Cie récit, Binaâdl a confondu Rlohebourg avec Montigny.
(19) STRADA, 0, c. 1. III, pp, 323-324,

49
écrivait Farnèse, comme à tous ceux qui peuvent être utiles dans
cette affaire, je distribue de bonnes paroles et je leur promets de
faire tous les bons offices dont je suis capable. » (20)
Aux gouverneurs de provincesou de villes dont il connaissait
la dévotion à sa personne, le prince de Parme avait aussi envoyé des
lettres particulières, les priant de préparer les esprits en vue de
l'assemblée des États qui devait se tenir, une seconde fois, pour
prendre une décision définitive. Quant aux gouverneurs moins affec-
tionnés, il' se servit, une fois de plus, de l 'intermédiaire de leurs
femmes pour les amener à de meilleurs sentiments (21).
Toutes ces manœuvres habiles et prudentes, qui rappellent celles
précédant la réconciliation de 1579, eurent l'effet désiré. Comme
Farnèse 1e fit observer lui-même} il avait réussi à recouvrer l'affec-
tionqui avait été perdue par les maladresses des gouverneurs pré-
cédents et il avait enfin restauré la confiance (22), cette condition
indispensable pour donner au parti royal la cohésion qui lui avait
manqué jusque-là.
Aussi, le 8 février 1582, dans une lettre à Philippe II, c'est comme
un cri de triomphe qui éclate. L'assemblée des États s'était prononcée
unanimement pour le retour des soldats étrangers (2B) : « Béni soit
Dieu 1 écrit le prince, qu'enfin par sa grâce s'est accomplie la chose
que je désirais le plus au monde et dont dépend la conservation de la
sainte religion catholique, du service de Votre Majesté et de ce5
Pays-Bas 1 C'est un miracle. La manœuvre a été faite à l'aide de
personnes fort discrètes, qui, dans toutes les villes, sont allées pour
préparer la décision, -et le secret a été si bien gardé que personne ne
l'a surpris et que ceux qui auraient pu désirer entraver la marche des
affaires n'ont pas même eu la possibilité de le faire. » (24)
Peu de temps après, les gouverneurs de l'Artois, du Hainaut,
ainsi que de Lille, Douai et Orchies, s'en vinrent trouver Farnèse
(20) Tournai, 27 janvier 1582 (A. G. R., Copies de Si1nancas, vol. 15, non rolioté). -
« verdad es que no ha sido poca mafia, artiftcio y travajo para esto ... Con esta conûança
hable, como digo, a los mas prinolpales, que e110s han sido despues los que Io han enes-
minado y acabado bodo mejor de 10 que se podla esperar ... » Lettre du 1ft janvier 158ft
:B. N. P., ms. espagnol 182, fo 315vo-1t16).
{21) PIERRE DE COLINS', qui nous fait connaître ce détail (o. C., p. 620) ajoute ici: « Ge
que m'a raconté, beaucoup d'années après, une prlnclpale d'ame vesve, à qui ceste
prière, en la visitant, avolt esté faicte ».
(22) .« Havendose cobrado el amor queestos havian perdido dei todo a su Magestad,
y desterrado !ladiffidençia que havia ». {IB. N. P., ms .. espagnol 182, fo 316).
(23) Voir la lettredes Etats d'Artois et celle des Etats de Hainaut à Philippe II, du
2 et 5 fé:yrier 1582, dans la Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. 626 et 627.
(24) Tournai, 8 février 1582 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non folioté).

50
avec la résolution, rédigée en due forme, demandant au Roi de con-
sentir au retour des troupes étrangères. A cette occasion, le prince
pria le Roi de remercier chaleureusement le marquis de Richebourg,
à qui l'on devait qu'aucune limitation ou réserve ne fût insérée dans
la demande adressée au souverain (25).
Grâce à sa ténacité, à sa prudence, à sa souplesse (26), Alexandre
Farnèse venait de faire disparaître cet article V du traité de récon-
ciliation, qui lui avait toujours paru le plus dur comme aussi le plus
désastreux pour la cause royale en Flandre et pour la sauvegarde de
sa réputation personnelle.

En votant la résolution qu'à l'avenir le Roi serait libre d'envoyer


aux Pays-Bas telles troupes qu'il jugerait à propos, les États des
provinces wallonnes avaient émis le vœu qu'un personnage notable
fût envoyé à la cour d'Espagne pour demander le retour rapide des
soldats étrangers. Farnèse choisit pour cette mission celui qui avait
eu un rôle si considérable dans la préparation de cette décision, Jean
Sarrazin (27). Ge dernier partit pour Madrid (28), en se' faisant
accompagner de Dom Philippe Gaverel, qui nous a laissé de son
voyage à la cour une relation vivante et précieuse. Surtout, la
description de Philippe II est à retenir.Caverel nous dépeint le sou-
verain dans les moindres détails. Le Roi, dit-il, avait les yeux rouges
comme un homme qui lit beaucoup et qui travaille de nuit. :Sa barbe
est plus large et plus longue que chez les Italiens et les Espagnols,
et il la porte telle que la portent les Flamands. -Ses cheveux blonds
sont devenus tout blancs. On raconte à la cour que, chez lui, « c'est la
coutume de ne pas s 'attrister excessivement à l'occasion des adver-
sitês qui surviennent, ni de se réjouir plus que raisonnablement des

{25) Tournai, 21 février 1582 (ibidem).


(26) « Sa Majesbé ne pouvait avoir meilleure nouvelle ... que la résolution prise par
les Estatz [dont] la négociatton [a esté] menée avec si grande patience et prudence par
Monseigneur le Prince, et Je confesse à vostre Alb!îz'e que je n'eusse osé tant espérer »
GranveUe à Jfa'l'guerite de Parme, 19 mars 1582 (GROENVANPaINSTERER, Archives ..., t, VIII,
p. 70).
(27) GACHARD,Relations des ambassadeurs vénitiens, pp. LXVIlI-LXIX. - Farnèse
au Roi, Tournai, 2'1 février 1582 {Loc. cil.). - Sur le voyage de Sarrazin à la cour, voir
les renseignements donnés par CH. PlOT dans la Corresponaance de Grtmnette, t. IX.
pp. XV-XXIII.
{28) Au sujet des instructions que Farnèse lui donna, voir Correspondance de Grtm-
t'elle, 1. IX, pp. 642~643.

51
victoires, si éclatantes soient-elles. il. prend, avec des actions de
grâces, du-Seigneur tout-puissant ice qu'il plaît à Celui-ci de lui
envoyer » (29) .
.D~jà, àpropùs de la victoire de Lépante, Philippe' II avait
démontré la vérité de cette observation. Elle se révélera encore -bellc
lors du -désastre de l'Armada (30).
M'ais laissons Dom Philippe Caverelet revenons à la. suite d8<S
événements.
Déjà avant ta décision définitive de-sÉtats, qu'on pouvait espérer
favorable, Farnèse avait averti le Roi, pour lé cas. où i'lrel1verrait
aux Pays-Bas les terçiosespagnols qui en étaient sortis en 1579,
qu'on devait re-tenir là-bas les maîtres de camp qui avaient laissé de
trop mauvais souvenirs, comme par exemple Don Fernando de
Tolède (31).' Après la décision des 'provinces wallonnes, Je prince pria
immédiatement Philippe II de lui renvoyer les trois terçios qui
étaient partis après Je Traité dArras.voomprenant 8.000 à 9.000
hommes au total. Il Iui demanda. aus-si de lever 4.0'00 Italiens, mais
en renforçant les compagnies, qui d'ordinaire ne comptaient que
200 hommes, jusqu 'au chiffre de 300. Le marquis de Richebourg qui,
depuis sa conversation, fais-ait du zèle, avait proposé de faire venir
tout de suite de Milan 1.000 soldats espagnols d'élite, mais le prince
de Parme repoussa cette proposition. Redoutant s'ans doute un piège,
iJ déclara que les troupes étrangères devaient rentrer aux Pays-Bas
toutes en une fois (32).
Au début de mars, Philippe II pouvait annoncer à son gouver-
neur général que tout était prêt pour le départ des deux terçios
espagnols de Don Fernando de Tolède et de Francisco de Valdès ainsi
que de la cavalerie qui avait quitté la Flandre en 1579 (33). Les
4.000 Italiens que Farnèse avait demandé de lever se trouvaient prêts
à Milan, répartis en deux terçios, dont le commandement avait été
confié aux maîtres de camp Mario Cardoino et Camillo del Monte.
Le prince de Parme fut autorisé à lever en Bourgogne 2.000 fantassins

(29) GACHARD, o. C., pp. LXX et svv,


{3D) GA CHARD, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 63.
{31) Lettre du 12 janvier 1582. citée.
«32) Lettrés de Tournai. 8 et 12 février 1582 (Loc. cit.).
(33) Le cardinal de Granvelle. dans un mémotre remis au Roi. avait écrit ceci: « La
seule chose à faire en ce moment. «l'est de se préparer à saisir I'occasicn favorable qui
se présente maïntenant en, Flandre. grâce aux efforts et à la diplomatie du pt-ince de
Parme. et de faire un demleretïort, en secret si c'est nécessaire. C'est la seule occasion
de chasser rapidement du pays le prince d'Orange ...• (Foreign caienaa», 1582, n- 307).

52
et 1.600 cavaliers, et à y ajouter 2.000 fantassins-suisses, qui empê-
cheraient les Français de disputer le passage aux soldats espagnols
et italiens en route pour la Flandre (34).
Le rêve d 'Alexandre Farnèse était ainsi réalisê (35).

La prise de Tournai mit définitivement les provinces wallonnes à


l'abri d'une offensive des États. Le moment semblait venu de pouvoir
passer à l'attaque contre les rebelles, à condition d'avoir une armée
suffisamment forte et aguerrie. Dès l'arrivée des troupes espagnoles et
italiennes, le prince de Parme pouvait songer à se risquer dans une
de ces offensives de. grand style, dont iil avadt d:éjà donné antérieure-
ment des exemples. Il avait son plan prêt depuis quelque temps déjà
et l'avait soumis au Roi pour approbation. C''est le 3 janvier 1581
qu'il avait écrit longuement à Philippe II pour lui exposer un projet
de vaste envergure, destiné, dans sa pensée, à mettre aussi rapide-
ment que possible fin à la résistance de l'ennemi (36).
Le prince se disait plus que jamais convaincu de l'importance
d'une « bonne paix ». Toutefois, ajoutait-il, jusqu'ici tous Jas efforts
pour y arriver n'ont servi à rien. Si les Wallons se sont réconciliés
avec le Roi, c'est uniquement parce que les forces espagnoles ont été
en ce moment-là victorieuses; De négociations, non appuyées par la
force, ne suffiront donc jamais pour arriver au terme tant désiré.
O 'est pourquoi le prince s'était arrêté à un grand plan d'offen-
sive, qu'il exposa comme suit.
Le pays, écrivit-il,est pauvre et ne se soutient que grâce à son
commerce et à son industrie. Les habitants sont travailleurs. Aussi
longtemps qu'on ne détruira pas leur commerce, il sera très difficile
de les amener à se soumettre. Pour obtenir ce résultat, il faut disposer
d'une armée très forte, qui sera maître de la campagne et qui com-
mencera par prendre 'Cambrai, Tournai et Menin, avant que l 'ennemi
ne puisse s'installer lui-même t'lans ces places fortes. La sécurité des
provinces wallonnes en dépend. Mais ce ne serait là qu'un point de
départ.

(34) Le Roi à Farnèse, Lisbonne, 9 mars 158~ «À. G. R., Copies de Simancas, VGI. 15,
non folioté).
(35) « Itaque, quod non produxlt prudentta; effecit necessitas » dit J. 'B. de TASSlS
dans ses Commentariorum de tumuitüius belgicis, p. 434, en parlant de la décision des
Wallons.'
(36) Farnèse .au Roi, Mons, 3 janvier 1581 (A. G. R., Copies de Bimamcas, vol. t4., fO 154),.

53
D faudra surtout fermer tous les passages par les cours d'eau et
supprimer le trafic avec l 'Allemagne. Dans ce but, des forts devront
être érigés sur la Meuse et le Rhin. Sur la Meuse, un fort devrait être
construit à 'I'olhuis, en Gueldre, et soutenu par la présence d'une
petite armée destinée à protéger cette région. Un autre fort serait
érigé à Isselmuiden, près de Kampen, qui pourrait s'appuyer sur les
forces royales se trouvant en Frise. On pourrait fermer la Meuse en
s'emparant de Heusden et du château de Lôwenstein, à la pointe de
l'île du Bommel. Un fort devrait ensuite être aménagé sur les deux
rives du fleuve, et ces ouvrages pourraient être soutenus par les
troupes de Bois-le-Due et par l'armée de campagne qui opérait dans
ces régions,
En Flandre, des forts analogues devraient être construits sur
l'Escaut et sur les principales rivières, de telle sorte que les Anver-
sois ne puissent secourir Gand, Bruges et les autres places impor-
tantes de ces provinces. Une armée royale opérant en Flandre ren-
drait impossible la levée des contributions dont vit l'ennemi. De la
sorte, les grandes villes flamandes ne pourraient tenir, car, pour se
défendre, elles ont <besoinde beaucoup de monde et d'une quantité
considérable de victuailles. Elles se rendraient poussées par la faim.
De cette façon, il ne, faudrait plus faire de si grosses dépenses, pour
l'artillerie et on pourrait se passer de faire des sièges, qui, en
épuisant l'armée, la rendent rapidement inapte à de grandes entre-
prises. Ces mesures devraient être complétées en entretenant en
Gueldre et en Brabant une petite armée, destinée surtout à tenir
l'ennemi en haleine.
Il faudrait ensuite interdire aux rebelles le commerce avec
I'Espagne : ce serait la ruine des marchands d'Anvers, ainsi que de
la HoUandeet de la Zélande. o.ns 'emparerait aussi des ports de
Dunkerque, de Nieuport et dOstende. Il suffirait d'y entretenir une
petite flotte pour inquiéter l'ennemi et y protéger I'arrivêe des vais-
seaux que le Roi enverrait d'E·spagne. Ce trafic serait fort utile aux
provinces réconciliées, en ce moment si pauvres et paralysées dans
leur commerce. Ce commerce pourrait d'ailleurs être revivifié aussi
en organisant et en protégeant les relations commerciales avec
Cologne et l'hinterland rhénan.
Pour réaliser ce plan, disait le prince de Parme, il n'était pas
possible de se fier aux chefs wallons et à leurs troupes. Ce qui s 'im-
posait,c'était la présence d'infanterie espagnole, de soldats expéri-

54
mentés et disciplinés, sachant comment combattre en Fl'andre, prêts
à souffrir tout, et qui consentent au besoin à rester trois ou quatre
mois sans solde. Les soldats allemandsétalent, certes, bons, mais on
n'en obtenait rien s'ils n'étaient pas payés à temps. Quant aux soldats
italiens, si Farnèse appréciait leur courage et leur audace, on devrait
encore les recruter et ce seraient ainsi des soldats neufs, dont les
faiblesses et les imperfections ne pourraient être corrigées qu'après
un temps assez long. Le noyau principal de l'armée devrait être
composé de vétérans espagnols.
En mars 1581, Philippe II fit savoir au prince de Parme qu'il
approuvait complètement l 'ensemhl's et les détails de ce vaste plan:
« Je suis prêt à suivre le chemin que vous tracez, écrivit-il, et à
user des moyens que vous préconisez ... On vous aventira en temps
opportun » (37).
Le consentement des provinces wallonnes au retour des troupes
espagnoles allait mettre entre les mains de F'arnèse l'instrument
indispensable à la réalisation de ses desseins. Certes, comme le
remarque avec beaucoup d'à propos P. Fea (38), ce vaste plan ne put
jamais être exécuté parce que les hésitations de Philippe II, l'envoi
trop parcimonieux de forces militaires, et surtout la plaie perma-
nente de l'absenee d'argent et pal' conséquent de solde enlevaient à
ce projet la. moitié de sa valeur et de son efficacité.
Il n'en reste pas moins vrai que, pour autant que les circon-
stances le lui permirent, l'e Prince de Parme ne le perdit jamais de
vue et qu'il essaya de le réaliser en partie avec les moyens trop
souvent inadéquats que le Roi mit à s'a disposition. Et, .avec P.
Fea (39), nous estimons que cette conception grandiose de la lutte
contre les provinces rebelles constitue, malgré tout, un des témoi-
gnages les plus frappants de l 'intelligence milita'ire d' Alexandre
Farnèse.

(37) Portalegre, 6 mars 1582 et. 'I'ornar, 3 avril 1582 (A, G, R., Copies de Sim an cas,
vol. 14, fo, 170 et 181).
(38) Alessandro Parnese, pp. 146-147.
(39) Atessanâro rarneee, p. 144.

55
OHAPITRE III.

ALEXANDRE FARNÈSE ET LE PREMIER ATTENTAT


CONTRE LE PRINCE D'ORANGE
(mars 1582)

L'on sait que le 26 juillet 1581, les Etats Généraux, réunis à


La Haye, avaient proclamé solennellement la déchéance de Philippe II
et que la souveraineté des Pays-Bas avait été offerte au duc d'Alençon.
o'est en février 1582 que 1\eprince français, sur les instances
de Marnix et de Guillaume d'Orange, quitta l'Angleterre et se. rendit
à Anvers pour être inauguré comme duc de Brabant. Le lundi,
19 février) le navire du duc, portant la bannière aux armes de France,
passa devant les quais d'Anvers, où les bourgeois le saluèrent de
salves d'arquebuse, et alla jeter l'ancre au Kiel. Le prince d'Orange,
le prince d'Epinoy et quantité de nobles du parti du 'I'aciturne y
attendaient Anjou. L'inauguration du nouveau souverain fut accom-
pagnée de fêtes splendides (1).
, 0 'est le dimanche, 18 mars, au moment où le prince français,
qui résidait avec sa cour à l'abbaye de Saint-Michel, se préparait
à célébrer par des courses, des tournois, des carrousels, des danses,
l 'anniversaira de sa naissance, que se produisit l'attentat du biscayen
Jean J auregui contre Guillaume le 'I'aciturne.
A la sortie d'un dîner, où il avait réuni à sa table les comtes
de Laval et de Hohenlohe, les sieurs de Bonnivet, Des Pruneaux,
Brecht, Pipenpoy et d'autres encore, le prince d'Orange fut accosté,
près de la porte de la salle à manger, par un jeune homme de pauvre
apparence, petit) grêle, le. visage pâle, vêtu détoffe grossiêre noire
(1) KERVYN DE LET'l'ENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t, VI, pp. 271-276,

56
que relevait un pourpoint blanc. Sous le prétexte d 'une requête
qu'il avait à présenter au prince, l'inconnu s'approcha du Taciturne
et déchargea sur lui son pistolet, à bout portant. Comme, au moment
du coup de feu, le prince s'était incliné pour prendre possession de
la supplique qu'on l'ni tendait, la balle l'atteignit au-dessus de l'oreille
droite, traversa Te palais et sortit par la joue gauche.
Les seigneurs et les gentilshommes présents) le premier moment
de stupeur passé, se jetèrent SUT l'assassin et le percèrent de leur
épée: les hallebardiers de Ta garde du prince l'achevèrent (2).

'"' . '"'

Alexandre Farnèse prit-il une part quelconque à la préparation


de cet attentat T
La question peut et doit se poser: d'abord parce qu'iJ. est avéré
que plus tard, en 15S4, le prince de Parme ne fut pas étranger à
l'attentat commis par Balthazar Gérard; ensuite, parce que certaines
circonstances de l 'enquête qui suivit immédiaJtement l'attentat de
J auregui semblent, au premier abord, révéler la complicité de
Farnèse.
Voici les faits. L'enquête menée par Marnix de Saint-Aldegonde
et le magistrat d'Anvers avait rapidement abouti là J'idantiûcation de
l'inconnu qui avait tiré sur le prince d 'Orange et avait étalbli qu'il
s 'appelait Jean J auregui, Etant données les dépositions des personnes
qui filment arrêtées, comme suspectes, il no fut pais difficile de décou-
vrir les origines du complot. Un marchand espagnol, habitant
Anvers et qui s'appelait Gaspar Aüastro, acculé à la banqueroute,
fut soâlicité par un certain Juan dYaunca, qui avait rempli la charge
de commissaire des vivres aux Pays-Bas, et qui résidait en ce
moment à Lisbonne, où Philippe II s'était fixé avec sa cour. Ysunca
proposa à Aüastro un moyen de refaire sa fortune, en tuant ou en
faisant tuer le prince d'Orange. Le march and espagnol n'eut pas le
courage de se charger lui-même de cette mission et, après avoir
essuyé le refus d'un de ses serviteurs, Antonio Venere, il parvint à
déterminer son employé, Jean J auregui, à risquer le coup.

(2) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. LIII-LV. Sur


l'autorité du Bref recueu, où Marnlx et Villiers racontèrent l'attentat, voir le Ilvre du
R. P. A. DE MEYER, Le procès de l'attentat commis contre Guillaume le Taciturne, prince
(j'Orange, 18 mars 158fi. Etude critique de documents inédits. Bruxelles, 1933.

57
Dès qu'il fut certain que Jauregui s'exécuterait, Aüastro prit la
précaution de quitter Anvers. Sous prétexte d'affaires, il sortit de la
ville ù,e13 mars 1582.Par Bruges et Dunkerque, il se rendit à Calais.
De cette dernière ville, il avertit son correspondant Ysunca de ce qui
allait Hepasser. Avaut de partir, le marchand .avait parlé à Venere
et .Iauregui, leur prom-ettant, ai l'entreprise réussissait, de les tenir
pour s-espropres fils et de partager son bien avec eux. Comme Venere
tremblait de peur, Aüastro le rassura en disant qu'on ne toucherait pas
un seul cheveu de sa tête; qu'une fois le prince dOrango tué, ~es
Anversois ne seraient que trop heureux de faire la paix avec le
prince de Parme; que lui, Aüastro, se trouverait bientôt au camp de
Farnèse et que, de Ià, il enverrait un trompette aux bourgeois
d 'Anvers, pour les requérir de ne faire aucun mal à aucun des geins
de sa maison (3).
Ces déclarations et ces promesses d'Anastro semblent à première
vue, 'autoriser la supposition que le marchand, avant de préparer son
coup, s'était mis en rapport avec Alexandre Farnèse et que ce dernier
savait donc ce qui allait se passer.
La nouvelle de l'attentat parvint à Farnèse peu de jours après
qu'il eut été perpétré, Aüastro avait, en effet, rejoint le prince de
Parme à 'I'ournai avant le 24 mars, car, à cette date, ce dernier taiÎt
connaître à Philippe II qu'il a reçu la visite du marchand espa-
gnol. Le début de cette lettre du prince paraît.eneore une fois, con-
firmer qu'il était, depuis quelque temps déjà, au courant du complot,
et qu'il en avait traité en secret avec Aüastro. « Je reçus la visite,
mardi passé, dans l'après-midi, de Gaspar de Aüastro, qui venait
d ïarr'iver ici. Il me rapporta qu 'il avait quitté Anvers la semaine
dernière,et qu'il y avait tellement 'conçu et préparé la chose, que je
pouvais tenir pour indubitable qu'Orange était mort... » (4)
Il ne faut cependant pas se laisser tromper par les apparences
et s'en tenir à ce seul texte, En effet, nous possédons une autre lettre
de Farnèse, écrite à peu près en même temps que la précédente, le
25 mars, -etadressée à un ministre de Philippe II. Le prince y annonce
la mort du prince d'Orange - il ne savait pas encoreexactement la

(3) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Tacitùrne, t. VI, pp. XLIX-LI!.


(4) « Vina à hablarrne, el martes passado on Ia tarde, Gaspar de Niastro, que en aquel
punta acabava de llegar aqut, dàndome relaçion que havia salido de Anvers ù:à otea semana,
donde havia talmente tracado y eocamlnado el negoçlo, que ya ya padia tener pœ sin
dubdo que el de Oranges era rnuerto ... » GACHARD,Correspondance de Guillaume ·le ·Taci-
turne, t. VI, p. 75.
vérité '-et ajoute ensuite ce passage significatif: « -Ie ne peux pas
encore vous donner en ce moment des détails, mais il paraît que c'est
un marchand espagnol, appelé Gaspar de Anastro, qui a été celui qui
a imaginé ce fait aussi héroïque ... et que, le moyen et l'exécuteur a été
un de ses employés ... » (5)
Ici, Farnèse montre clairement qu'il n'a pas connu le projet
d'Aüastro avant la visite de ce dernier, sinon il' n'en n'aurait pas parlé
de façon aussi vague et dubitative. On ne peut opposer à cette façon
de s'exprimer cellode la lettre adressêe à Philippe II. Philippe II
savait depuis longtemps, par Ysunca, qu'Anastro avait accepté de
préparer l'attentat, mais Ie secret n'avait pas dépassé le cercle
restreint de ces trois hommes (6). Dès lors, lorsque Anastro arriva au
camp de Tournai et eut mis le prince de Parme au courant de ce qu'il
avait tramé, il était tout naturel que Farnèse en écrivît à Philippe II
en des termes voilés, mais que le Roi devait immédiatement com-
prendre.
La lettre au Roi et celle adressée au ministre du souverain ne se
contredisent pas dans leurs termes, mais la seconde nous montre que
c'est par Aüastro lui-même que Farnèse fut mis au courant du com-
plot. Toutefois, si Farnèse ne connut point d'avance le projet de
Jauregui, il est cependant certain qu'il encouragea l'entreprise
aussitôt qu'il en fut informé.
Le prince de Parme remercia Aüastro, au nom du Roi, du grand
service qu'il rendait à la cause de celui-ci et lui donna l'approbation
et les éloges que, de son point de vue, sa conduite semblait mériter.
Il approuva et loua de même la détermination et la hardiesse de
Jauregui (7). Il alla même plus loin. Il :fit rédiger une lettre à
Il'adresse de Jauregui lui-même, exprimant sa joie de l'entreprise, et
le priant d' « exécuter au plus tôt sem dessein », avec la promesse que
Iui, Farnèse, et le Roi l'en récomper.seraier.; libéralement \ 3).
il est certain que cette lettre ne Iut pas envoyée. En effet, le
lendemain du jour où. Aüastro était arrivé au camp de Farnèse, on

(5) « Las particular-idades no las podre dezir agora, mas de que paresce de que un
mercader espaâol, que se llama Gaspar ~ Aüasüro, ha procurado y sido el. auctor deste
.necno tan heroyco corno quantos se hallan en las historias amüguas y modemas, y el
medio y executer un criado suyo ... » ·B. N. P., mes, espagnol 182, fo 317ro).
1(6) GACHARD, Cor-respondance de Guillaume le Taciturne, t, VI, p, L,
(7) Farnèse au Roi, 24 mars 1582 (Loc, cit.).
(8) C'est R1e['vyn de Lettenhove (Les Huguenots et les Gueux, t. VI, p. 395, note 1)
qui a fait connaître l'existence de cette lettre.

59
apprit, au matin, par la voie d'Audenarde, que Jauregui avait déjà
commis l'attentat (9).
Puisque Farnèse a voulu donner des encouragements 'au meur-
trier, on ne s 'étonnera point dapnrendre qu'il manifesta une grande
joie en apprenant que le 'I'aeiturne avait été mortellement bles-sé.
« Je ne s'aurais exprimer à Votre Majesté, écrivit-il à Philippe II,
combien je suis content que ce personnage ait reçu le châtiment qu'il
méritait, quoique, selon ses actions, il eût pu finir plus mal : le cœur
me crevait de voir que tant de méchancetés et d'insolences contre le
service de Dieu, de la religion et de Votre Majesté tardassent si long-
temps à recevoir le salaire convenable, et qu'il ne se trouvât personne
pour le donner. Mais, enfin, nous devons remercier Dieu, qui a permis
que la chose s'effectuât, quand le moment lui a paru en être venu, en
ôtant du monde un homme si pernicieux et méchant, et en délivrant
ces pauvres pays d'une peste et d'un poison tels que lui. » (10)
Le lendemain, le prince de Parme s'exprimait de façon presque
identique en écrivant à un ministre du Roi,et il terminait sa lettre
ainsi: « Tel a été le sort de ce malheureux, à qui l'on pourrait appli-
quer ce qu'on a dit d'un autre: qu'il eût mieux valu qu'il. ne vînt
pas '3.U monde, car il naurait point, par sa rébellion, causé tant de
mal à la chrétienté. » (11)
.."",-

Ces sentiments doivent être compris et interprétés dans l'en-


semble des circonstances de l'époque et du moment où ils furent
exprimés.
Notons d'abord que le prince de Parme, au moment où se pro-
duisit l 'attentat de J auregui, faillit lui-même tomber victime d'un
assassin, soudoyé par ses adversaires (12). Un capitaine français, du
nom de Horvet BUTe-au,seigneur de la Crépinière, instigué, semble-
t-il, par Villiers, le fameux prédicant confident du Taciturne, et par
Simier, conseiller du duc d'Alençon, devait, sous prétexte de livrer
(9) Farnèse au Bol, 24 mars 15&2 (Loc. cit.). 11 n'existe de la lettre que deux minutes,
doot la première porte des corrections qui semblent être de la main de François Le
Vasseur, secrétaire du prince de Parme (KEIWYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, p. 395, note 3),
«10) GACHARD, Correspoïuumce de Guüiaume le Taciturne, t. VI, p. 76.
(11) B. N. P., ms. espagnol 182, r- 317ro,
(12) A r-emarquer que, le 23 mars 1582, Nuccio Sirigattl, secrétalre de Marguerlte de
Parme, écrivit à Masi, secrétaire de Farnèse, pour lui dire que, si le prince d'Orange avait
succombé à s-es blessures, le prince de Parme devait être prudent en prenant sa nourri-
ture. car on aurait pu tenter de ['empoisonner (A. F. N., Carte famesiane, Fiandra,
rascto i 720).,,,

60
Cambrai, s'introduire auprès de Farnèse et tenter de l'empoisonner.
Le poison avait été remis au conspirateur 'par le grand-prévôt du duc
d'Alençon. Cependant, Bureau fut arrêté et confessa son dessein (13).
Ensuite, n'oublions point que le cardinal de Granvelle avait été
le premier à suggérer au Roi de se débarrasser, par Pas sassinat, de
la personne du prince d 'Or,ange,et qu'il avait applaudi aux entre-
prises de tous ceux qui avaient essayé d'exécuter 'ce.plan. n se réjouit
d'ailleurs lui-même de l'attentat de Jauregui et, croyant le Taciturne
mort, écrivit au cardinal de la Baulme: « C'est dommage que lui
(Orange) et quelques-uns de sa suite ne soient morts il y a dix-huit
ou vingt ans : l'on n 'y eût, à mon avis, rien rperdu. » (14)
Si le prince de Parme avait gardé à l'endroit du prince d'Orange
quelque secrète sympathie en raison de leurs relations d'autrefois,
ces sentiments furent probablement changés après la publication de
Ja célèbre Apologie. Quelle que soit l'admiration que l'on puisse
éprouver, du point de vue littéraire et du point de vue du tragique,
devant ce document extraordinaire, on ne pourra cependant s'empê-
cher de constater, avec Gachard (15), que, « dans l'attaque de son
ennemi, Philippe II, Orange se laisse emporter par la passion, que
tous les moyens lui sont bons pour noircir son adversaire et qu'il ne
lui répugne nullement de se servir des faits les plus hasardés, même
d'assertions qu'on peut appeler calomnieuses ».
Aussi, Alexandre Farnèse avait-il été outré par cette attaque
violente de l'Apologie contre celui qu 'Il estimait comme son souve-
rain et maître, bienfaiteur de sa maison. En transmettant au Roi un
exemplaire imprimé du document, il avait affirmé « qu'elle (l'Apo-
logie) était si impudente, et qu'elle Pavait mis dans une telle colère,
qu'il ne pouvait la supporter » (16). La colère de Farnèse n'ét'ait
probablement pas motivée uniquement par les passages calomnieux
à l'adresse du Roi, mais aussi par certains pas.sages où [ui-même était
pris à partie. Le prince de Parme n'avait probablement pas lu sans
indignation les termes suivants de la défense du Taciturne:
« On m'objecte que je suis étranger. Je voudrais bien savoir si
le prince de Parme est plus du pays que moi, TI n'y est point né. TI'

(13) marnèse à Granvelle, Tournai, 24 mars 1582, et Interrogatoire de Hervet Bureau,


dans Correspondance du cardmal de Granvelle, t. IX, pp. 465-478; KERV'YN DE LE'ITENHOVE,
O. e., t. VI, pp. 292-294,

(14) GACHARD, Correspondance de Guülaume le Taciturne, t. VI, p. 106.


0(15) Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. XLV.
(16) Farnèse au Roi, valenctennes, 4' avril 1581 (GACHARD,O. C., t. VI, p. 45),

61
n 'y possède aucun bien ni aucun titre. Cependant il y commande avec
une autorité absolue à plusieurs personne:s malavisées, qui obéissent
à ses ordres <commede misérables esclaves ». Et après avoir senti
les traits acérés que le prince dOrange lançait contre Marguerite de
Parme, Farnèse avait dû lire avec une indignation partiouâière le
passage le plus violent de tous : « Ils ajoutent que j'ai procurê la
liberté de conscience. S'ils veulent dire par là que j'ai ouvert la porte
aux impiétés qui se commettent ordinairement dans la maison du
prince de Parme, où l'athéisme et les autres vertus de Rome ne sont
qu'un jeu, je réponds qu'il faut chercher cette liberté ou, pour mieux
di're, cette licence effrénée chez les héritiers du seigneur Pierre-Louis
Farnèse. » (17)

* * *

Alexandre Farnèse, qui tenait tant à sa réputation et à celle de


sa maison, dut considérer ces phrases comme une injure sanglante,
qui devait briser définitivement en lui les sentiments de sympathie
cachée qu'il avait peut-être conservés jusque-là à l'endroit de son
grand adversaire.
Le prince de Parme approuva donc l'acte de Jauregui. Mais,
comme ce fut le cas lors de la publication de l'édit de proscription, il
examina l'attentat et jugea la mort - supposée - du prince d'Orange
surtout du point de vue des répercussions politiques qu'ils pou-
vaient avoir. Au milieu des passions du moment, auxquelles il paie
son tribut comme les autres, il garde l'esprit lucide et le raisonne-
ment froid .
.s'il se réjouit de ce que, à ses yeux, le Taciturne a reçu le châti-
ment de son crime, il se préoccupe tout de suite de l'influence que
la mort du prince d'Orange pourra exercer sur l.'attitude des
rebelles. Le 21 mai, il communiqua à sa mère l'inquiétude qui le
travaillait à ce sujet: « Je ne puis me 'rendre compte, disait-il, si sa
mort vient au moment opportun. En effet, le duc d'Alençon est aux
Pays-Bas et si les mauvais êlémenta, qui sont si nombreux, allaient
Herésoudre à se jeter dans les bras de ce prince, on pourrait raison-
nablement se demander, au cas où le duc s'empare de la Hollande et
de la Zélande et de quelques autres territoires, si 1'eRoi de France,

(17) Apologie ou Défense du très illustre Prince Guillaume de Nassau ... contre le
ban et édit publié parle Roy d'Espagne. Leiden, Oharles Sylvlus, 1581.

62
son frère ..., ne finirait pas par ôter le masque » (18). Cinq jours
après, Farnèse revenait sur le même sujet pour exprimer la même
crainte: « Pourvu qu'ils ne se donnent pas tous à la Prance l » (19).
'Si donc, dans sa correspondance avec le Roi, le prince de Parme
feignait de croire que la disparition du prince d'Orange pouvait être
le commencement de la soumission des rebelles, dans ses lettres à
Marguerite de Parme,il montrait très clairement qu'il ne se faisait
pas illusion. Les événements devaient lui donner raison.

* * *
Il ne voulut cependant rien négliger pour tirer du fait de
l'attentat et de la mort supposée du 'I'aciturno tous les avantages
possibles. Il rédigea immédiatement le texte d'une lettre qu'il envoya
aux villes rebelles, à la date du 25 mars. S'adressant aux magistrats
de ces villes, il exprima l'espoir que la mort du 'I'acitume fît tomber
de leurs yeux le bandeau qui les avait jusque-là empêchés de voir les
ruses avec lesquelles le prince faisait durer les misères des cités, uni-
quement pOUTson ambition personnelle, et <commentil les avait livrées
aux Fra.nçais, leurs ennemis séculaires. Dans le cas où elles auraient
été prêtes à en profiter, il se déclara disposé à lès recevoir en réconci-
liation, avec autant de bienyeillance que celle dont avaient profité les
provinces wallonnes. Une menace à peine déguisée terminait la lettre:
« Je prie Dieu ... que votre réponse vienne suffisamment tôt pour que
Ha Majesté ait l'occasion de surseoir aux préparatifs qu'elle, fait
pour parvenir àce but (la soumission) par une autre voie, peut-être
plus violente » (20).
Ce n'étaient pas là des paroles en l'air: dans le Milanais, nous
le savons, les ierçios espagnols et italiens s'apprêtaient à reprendre
la route des Pays-Bas.
Oette lettre du prince de Parme fut portée aux magistrats
d'Anvers, Bruxelles, Gand, Bruges, Malines, Dunkerque) Bergues-
Saint-Winoo, etc., par un trompette de l'armée espagnole (21). En
même temps, des messagers et des espions, envoyés de différents
côtés, essayèrent d'appuyer cette action par des manœuvres, en
1(18) P. FEA, O. C., p. 165, note 1.
(19) Ibidem. Au même momentParnèsc écrit à u:n ministre espagnol: « Lo qua y,o
mas terno es que veneidos de la obstinacion y desesperados de poderse sustentar, no se
eehen de todo punto en los braçosdel de Alençon ... » B. N. P., ms, espagnol 182, fo 317'",
(20) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. 78-79.
(21) GA CHARD, o. c., t, VI, p. 79, note 1.

63.
public, là où on pouvait le faire sans grand danger, en secret, là
où l'élément calviniste, était le maître (22). Comme il était à prévoir,
les États Généraux ripostèrent immédiatement en mettant les États
des provinces en garde contre « les pratiques » de Farnèse, et assu-
rant les populations des sentiments patriotiques et du désintéresse-
ment du duc d'Anjou (23).
Ce qui affaiblissait cependant considérablement la manœuvre du
prince de Parme, c'est qu'il continuait à ignorer 'si, réellement, le
Taciturne avait succombé à ses blessures. Malgré tous les 'efforts qu'il
fit pour se renseigner, il n'avait obtenu aucune information sûre. Le
31 mai, il s'en plaignit au Roi : «Votre Majesté saura ce qui se passe
à Anvers, mieux par voie directe que par celle dici, car le nombre
des bons n'est pas grand, et ils n'osent tenir avec moi 'aucune espèce
de correspondance. Ceux qui partent d'ici, ou bien ne reviennent pas,
ou bien, à leur retour, ne rapportent 'rien de certain» (24). Ce n'est
que le 9 juillet qu'il sut, de manière certaine, que le prince d'Orange
était encore en vie (25).
Déjà, avant cette date, il avait pu se rendre compte de l'échec
complet de 'sa tentative d'amener les villes rebelles à se réconcilier:
« Au contraire, écrivit-il à Philippe II, aujourd'hui plus qu'aupara-
vant, ils montrent qu'ils font peu de cas de Votre Majesté et de ses
affaires » (26), Ce fut pour lui une nouvelle occasion de démontrer
au Roi que les circonstances exigeaient l'emploi de la force et qu'il
était urgent de faire partir pour les Pays-Bas les troupes espagnoles,
qu'il attendait avec tant d'impatience et d'espoir.
Probablement sous son inspiration, Anastro écrivit, de Tournai,
dans le même sens. D'après lui, les rebelles ne faisaient pas mine de
se réconcilier avec le Roi parce que, ceux qui les dirigeaient étaient
des hérétiques calvinistes. « Cette présomption, ajoutait le marchand
espagnol, durera jusqu'à la venue des troupes espagnoles. Le seigneur
prince de Parme n'a, en effet, pas assez de gens en ce moment sur

(2,2) Le prince de Parme au Roi, 'I'ournal, 16 avril 11182; Aüastro au Roi, 'I'ournal,
17avrbl i5,82 ;(GACHARD, o. C., t. VI, pp. 93-94, 96-97).
(23) ÜACHARD, o. C., t. VI, pp. 89-9i.
(24) GACHARD, o. C., t. VI, p.l08.
(25) Ibidem, p. 109.
:(26) GACHARD, o. C., t, VI, p. 93. - Pannèse ne dut pas s'en étonner, car il avait écrit
11 un ministre du Roi: « y aunque .es de creee segun estan emperridos yendueeetdos en
su malicia que 'IlIO querrian dar oydes a casa que bien ilJeseste ... » (B. N. p.• ms, espagnol
182, fo 317ro).

64
PL. IV

ASPECT GÉNÉRAL DU SI È< GE D'AUDENARDE

Plan de l'al' 1 '[


19GB de l~ 'BiIJ!iOll" c 11 ecte Le Poivre
f\ls. reque Royale de Belgiqueo ,fo 49,)
lesquels il puisse compter, pour s'a présenter devant une ville de
quelque importance» (27).

• « •

Anastro resta au camp de Farnèse jusqu 'en septembre. Au


moment où il se préparait à partir pour l'Espagne, le prince de
Parme le recommanda vivement au Roi, en demandant pour lui la
faveur qui serait jugée convenable. TI estimait qu'on devrait récom-
penser aussi les parents de J auregui. De cette manière, tout le
monde verrait que Sa Majesté reconnaissait des volontés aussi
dévouées et d'aussi bons services, et «d'autres seraient excités à
entreprendre pareilles choses..., certains qu'ils seraient qu'on en
tiendrait compte » (28).
Deux ans ne se passèrent pas, en effet, avant que Balthazar
Gérard ne reprît pour son compte, et avec plus de succès, la tentative
d'Anastro et de J auregui.

(27) GACHARD, O. C., t. VI, p. 96.


(28) GACHARD, o. C., t. VI, p. 110. Cette recommandatton ne resta pas sans effet, puisque,
dans une lettre, datée de Lisbonne, 6 décembre 1582, la Roi écrit à Farnèse: « SI Juan
B. dei Monte apartare acavse torna ouenta con 161 ••• y tambien mandare tener con vuestra
Interoesslon en 10 que toca a Gaspar de Anastro y al padre dei mançtvo vlscalno que
hl:rlo al de Orange, ~ (A, F, N .• Carte (arnesiane, Fiandra, rsscto 1647).

65
CHAPITRE IV.

LE SIÈGE D'AUDENARDE ET L'ARRIVÉE


DES SOLDATS ESPAGNOLS
(avrii-juillet 1582)

Au mois d'avril 1582, les forces des armées en présence étaient


à peu près les mêmes. Alexandre Farnèse disposait de 1.500 hommes
de cavalerie légère, composée d'Italiens) d'Albanais et de gens du
pays, et de 8.000 fantassins wallons et allemands (1). L'armée des
États n'était pas supérieure (2), mais le duc d'Alençon, qui avait
prêté solennellement à Anvers le serment de Joyeuse Entrée comme
duc de Brabant, s 'efforçait d "en augmenter l'effectif en lui amenant
l'appui de troupes françaises (9).
En attendant les terçios espagnols d'Italie, le prince de Parme
voulut tenter quelque entreprise. Le conseil de guerre décida d'entre-
prendre le siège d 'Audenarde. Il semblait nécessaire de s'emparer de
cette ville pour mieux garantir les provinces réconciliées contre les
incursions des rebelles (4). De plus, la place étant située sur l'Escaut,
comme Tournai, le fait de son occupation répondrait à l'un des points
du grand plan de Farnèse, qui envisageait l'établissement sur les
fleuves et les rivières de postes fortifiés destinés à interrompre le
trancet à affamer les adversaires. Audenarde était d'ailleurs une
étape sur la route de Gand.

(1) Liber relationum, fo 107vo; W. Hede à Leicester, Anvers, 3 mars 1582 (Foreign
Calendar, 1582, n- 574). HerIe parle de 3.000 cavaliers et 8.000 fantassins,
(2) Liber retauonum, r- 107Vo•
(3) Farnèse. au Roi, 1'6 avril 1582 (A. G. R, Copies de Sirnancas, vol. 15, non folioté).
(4) Liber relationum, fo 107vo; MémoireS sur le marquisae Varemoon, p.. 2.1.
D'autre part, on savait qu'elle ne pourrait résister longtemps.
Bien renseigné par ses espions, Farnèse n'ignorait pas qu'il ne s'y
trouvait que cinq compagnies d'infanterie appuyées par quelque
300 hommes des milices bourgeoises (5). De plus, en combinant ses
plans d'attaque, le prince de Parme choisissait toujours de préférence
des endroits où l'on pouvait facilement et rapidement transporter les
munitions et l'artillerie de siège. C'était le cas pour Audenarde: de
Mons, de Valenciennes, de Douai, les canons pouvaient être amenés
par voie d'eau, circonstance favorable .pour une armée qui,' comme
celle de Farnèse, ne possédait pas la quantité de chevaux de trait
nécessaire (6).
Enfin,Audenarde était la ville où Marguerite de Parme était
née, circonstance qui influa aussi sur la décision de Farnèse de s 'en
emparer. ,
Aussitôt l'entreprise décidée, le prince de Parme prit toutes s-es
dispositions pour Pexécuter. Déjà à la fin de février, on signalait de
Flandre à Walsingham que l 'ennemi passait soigneusement ses
troupes en revue' dans toutes ,les places où il y avait des réserves
disponibles et que les soldats avaient 'reçu leur solde j que, à Tournai,
on avait chargé sur des barques de grande dimension les pièces de
siège qui avaient servi à la prise de cette ville, et l'artillerie qui se
trouvait à Courtrai, à Lille et à Armentières; que de grandes quan-
tités de matériel d'assaut : échelles, fascines, -cordes, et de munitions
avaient été préparées; qu'on avait construit un certain nombre de
barques de, petite dimension. L'agent anglais Stokes exprimait sa
conviction que, Farnèse préparait un coup. de main sur Audenarde ou
Ypres, mais que d'autres, indices 'semblaient aussi Iaisser supposer
que Menin était menacée (7). ,
Peu de jours après, William Herleavertissait Leicester que de
Luxembourg, de Namur, de Maestricht, toutes les forces disponibles
se dirigeaient vers un camp établi à Iseghem et qu'à Courtrai étaient
arrivés 42 chariots chargés de boulets de fer pour l'artillerie (8).

(5) Le 6 décembre 158,1, Je prince d'Orange avait envoyé au magistrat de Gand une
lettre pour se plaindre de ce que les bOUDg60isd'Audenarde ne voutarent. laisser entrer
en viHe une plus grande garnison: « Je crains, dtsalt-tl, qu'ils n'attirent I'enneml à l'es
assiéger, quand il verra qu'ils font si bon. marché de' leur vûle, laquelle ne se peut deffendré
que par nombre <le gens de guerre, et m'asseurë qué si I'ennemy la voioit bién rournle
que jamais ne I'oseroit assaillir ».(TH. JUSTE, Guillaume le Taciturne, p. 305, note 2).
(6) Farnèse au Roi, 29 avril i5B2(A. H. R., Copies de Simancas, vol, f5" non folioté),
(7) Bruges, 26 février 15082 :(Foreign Calendar,158i, n° (63).
(8) Anvers, 3 mars f582 ~Foreign Ctüenaar, 158i, n° 574'.

67
Dependant, de son côté, l'ennemi ne restait pas inactif. A la fin
de mars, la garnison française de Cambrai avait détaché quelques
compagnies qui r-éussirent à s'emparer de Lens, par surprise (9).
Farnèse, voulant empêcher ses adversaires de mettre en danger la
sécurité de l'Artois, y envoya le marquis de Richebourg, avec l'ordre
derepr·endre la ville. La place se rendit aux troupes roy-ales le
5 avril (10). Deux jours après, un fort paœti de soldats français,
2.000 fantassinset 300 cavaliers, poussèrent une pointe jusque Gem-
blouxet Namur: sachant que M. de Berlaymont, le gouverneur de
cette dernière ville, 'en était absent, ils essayèrent d'escalader les
remparts de la place. lis furent repoussés. Ce coup de main provoqua
une panique : Marguerite de Parme, en effet, se trouvait encore à
Namur, souffrant d'une crise aiguë de goutte, et l'on avait pu
craindre un instant qu'elle ne tombât aux mains de l'ennemi (11).
Les troupes des États furent plus heureuses à Alost. Le prince
de Parme,ayant appris que cette ville était dépourvue, des vivres
nécessa'ireset qu'elle était continuellement assaillie par des partis
ennemis, avait décidé d 'y envoyer comme renfort M. de Rassenghien,
grand bailli d'Alost, avec un régiment de Wallons du baron d'Au-
bigny, deux autres compagnies wallonnes de Carondelet et Olivier,
la compagnie d'hommes d 'armes du comte de Lalaing, de l'a cavalerie
légère et des arquebusiers ;à cheval. Malgré la surveillance exercêe
par les troupes ennemies, qui s'étaient groupées dans 00 but aux
confins du Hainaut, Rassenghien parvint 'à introduire à Alost une
partie {le ses soldats. Mais l'adversaire avait réussi à nouer des
intelligences dans la place et le 23 avril', il s'empara de celle-ci à la
suite d 'un coup de main. La ville fut livrée au sac et un butin eonsi-

(9) Voir le Rapport stlr les 'aUs qut se sont passés dans les environs de Lens dans
Correspondance de Grarr,velle, t. IX, pp. 653-654.
{fOl Farnèse' au Roi, Tournai,16 avrll 1582 (loc. cU.); c. CAMPANA, Della ouerre di
FiandM, 2' parte, fOI 34.°'-34.•°; Far<nèse à un ministre du Roi, 5 avril 1582 (B. N. P.,
ms. espagnol 182, fo 318); Alexandre Farnèse au comte de Hénln, Tournai, 25 mars 1582
{L. VAN DER ESSEN, Correspondance el/Alexandre Farnêse avec le comte de Hénin ...,
roe, clt., p. 401).
{H) Far<nèse 'au Roi, lettre citée; C. CAMPANA, O. C., f' 3490. Marguerite de Parme
,raoonteœtte attaque dans une lettre qu'eue écrit au duc Ottavlo, son marl,le 2(} avril
f582. Elle y dit comment l'ennemi, déjà arrivé près des murs, fut découvert par le sergent-
major Camjllo de Modigllano; qu'on ne put le poursuivre, faute de cavalerie, et qu'il
abandonna sur place des échelles-et des marteaux pour briser les portes. (A. F. N., Carte
'arnesiane, Flandu'a, fasoio 1626).

68
dérable fut fait, plusieurs familles catholiques des environs s'étant
réfugiées à Alost avec toutes leurs richesses (12).
Une autre attaque ennemie, dirigée contre Tirlemont, n'eut, par
contre, aucun succès (13).
Ces coups de main avaient pour but d'énerver et de diviser la
petite armée de Farnèse, avant que lesrenfortsesp.agnols ne fussent
arrivés d'Italie.
Le prince de Parme n'ignorait d'ailleurs pas que le duc d'Anjou
faisait de grandes levées en France et en Allemagne pour renforcer
son armée. Voulant montrer que la prudence seule avait inspirê
jusque-là son inactivité et qu'il était loin d',être désarmé, Farnèse
résolut de ne plus retarder le siège d'Audenarde (14). TI partit de
Tournai à la fin d'avril. TI venait de recevoir d'Espagne une somme
de 150.000 écus, ce qui lui avait permis de payer une partie de la
solde due aux soldats et de compléter ses approvisionnements. il
n'attendait plus que les sapeurs qu'il avait fait recruter en
Bohême (15).
Pour tromper l'ennemi, le prince de Parme ordonna 'au marquis
de Richebourg de se mettre en marche avec toute la cavalerie et il le
fit suivre de l'artillerie: l'objectif de l'attaque, disait-il, était Menin.
Cependant Richebourg avait des ordres secrets, qui lui prescrivaient
de changer de route à un point donné, et de se diriger 'en toute hâte
sur Audenarde (16). Avertis par les espions que l'armée royale allait
les assaillir, les gens de Menin demandèrent du secours aux villes
voisines. Trois compagnies d'infanterie sortirent d'Audenarde et
marchèrent en hâte vers la ville menacée. Comme .Farnèse l'avait
prévu,elles rencontrèrent en route les soldats de Richebourg et furent
culbutées. Ce, qui parvint à se soustraire au massacre, se réfugia à
Menin. De la sorte, la garnison d'Audenarde, déjà si faible, fut encore
diminuée par ce piège tendu par le prince de Parme (17).
(i2) Farnèse au Roi, Tournai, 26 avrll 1682 .(A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non
folioté); Farnèse à un ministre espagnol, 5 et 30 avril 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182,
fO S'18ro-318vO;) C. CAMPANA, o. c., 2° parte, fD 3'4vo; Libro de las cosas de Flandes, Co 228.
S

(i3) Libro de las cosas âe Flandes, fo 228vo.


(i4) Libro de las cosas de Flandies, fo 228~o; Farnèse au combe de Hénln, 27 mal 1582
(L. VAN DER ESSEN, Correspondance à'Alexandre Farnèse avec le comte dXJHénin,. loc. eit.,
,. 40i).
{15) Farnèse au Roi, Audenarde, 31 mal 1582 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15,
non folioté).
{16) POUir le fond du ,récit du siège d'Audenarde, nous suivrons la relation que Far-
nèse envoya 'au iRoi, à la date du 9 juiHet 1682 (A. G. R., Copl'es dle Simwn.cas,vol. 15, non
folioté). .
:(17) STRADA, o. C., t. III, pp. 324-325.

69
Conformément à sa tactique habituelle, Alexandre Farnèse avait
envoyé en avant toute sa cavalerie pour occuper la régionentourant
Audenarde, rabattre sur la place les populations rurales, augmenter
ainsi, pour les assiégés, le nombre de bouches à nourrir, et s'emparer
des faubourgs et des positions favorables. Ce mouvement de cavalerie
devait aussi empêcher l'entrée de tout secours dans la ville
menacée (18).
Mais, . informés des intentions de -1'ennemi, les défenseurs
d'Audenarde. s'étaient empress-és d'incendier les faubourgs et les
villages situés dans les environs (19).
Après avoir fait envoyer de Tournai, par l 'Escaut, l'artillerie,
les munitions, les fascines et le bois nécessaires pour les travaux du
siège, ainsi que les tentes qui devaient I'abriter, lui et sa maison, le
prince de Parme arriva devant la ville le 8 mai} par une bourrasque
qui avait transformé le terrain en un véritable bourbier. Le même
jour; il voulut inspecter en personne les quartiers que ses soldats
avaient déjà installés sur les deux rives de l'Escaut (20).
Le lendemain, il alla reconnaître la place. Audenarde était bien
pourvue de défenses. L'Escaut qui, passant par le milieu de l'agglo-
mération, sépare la ville proprement dite du quartier de Pamel (21),
était pourvu d'un système d'écluses qui permettait de mettre sous
eau les campagnes environnantes. La Noue avait naguère fait entre-
prendre de grands travaux pour rendre la place imprenable: il avait
fait restaurer le mur d'enceinte et les retraites et avait fait élever sur
le fossé sept ravelins. TI avait, croyait-il, rendu ainsi la ville si forte,
qu'il l'appelait « sa petite Rochelle » (22). 'Cependant, à l'Est, du
côté de Pamel', se dressait une colline, le Kerselaarberg, qui pouvait
offrir des avantages aux assiégeants. En y plaçant de l'artillerie, ils
pouvaient de là bombarder l'agglomération et gêner considérablement
le rôle de la défense.
Lorsque La Noue, alors prisonnier au château de Limbourg, eut
appris que le prince de Parme se diaposait à attaquer Audenarde,
il lui écrivit une lettre, datée du 11 mai 1582, pour l'avertir qu'elle

(18) Liber reuuumum, to 109; Farnèse au Roi, Tournai, 29 avril 1582 (Loc. cît.).
;(19) Liber retatumum, fo 109vo.
{20) Liber relationum, ro, 109vo-HO'0.
(21) « Con jung et ur intermedlo ponte Aldenarda cum Pamela, non poenltendo prorsus
opptduâo.; » (L. GUICCIARDINI;Belgica sive inferioris Germaniae descriptio, éd, d'Arns-
terdam, chez G. Blaeu, 1635, p. 362).
(22) Libe» relationum, ro 110; C. CAMPANA,O. C., 20 parte, ro. 34.0-35; STRADA,o. C.,
t. III, p. 325.

'70
était inexpugnable et que, s'ils'oibstinait, il courrait le, risque d'y
perdre sa réputaton de grand capitaine (23).
Alexandre Farnèse ne se laissa aucunement influencer par cette
missive du chef huguenot. Cependant, il put, dès le premier moment,
se rendre compte que l'entreprise ne serait pas facile, Le gouver-
neur de la ville, Frédéric van der Borcht, faisant manœuvrer le
système des écluses, avait provoqué autour de la place, dans la
direction de 'I'ournai, une inondation considêrable.uu point que, sur
une étendue de plus d'un mille, tout aooès était devenu impossible {24}.
De plus, les soldais wallons que Farnèse avait avec lui,atqu}
s'étaient conduits si mollement au siège de Tournai, ne lui inspiraient
pas grande confiance. Les troupes allemandes, qui réclamaient' des
arriérés de solde, étaient prêtes à se mutiner et le prince sentait qu'il
ne les avait plus en main. Enfin, du côté de Gand se dressait la
menacedes troupes d'Alençon, qui se trouvaient, entre cette ville et
Audenarde, en quantité assez considérable. On les estimait, dans
l'entourage du prince de Parme, fortes de 10.000 fantassins et de
2.000 cavaliers (25). En réalité, ces troupes n'étaient pas si nom-
breuses (26), mais leur présence n'en constituait pas moins un danger
pour celui qui entreprenait d'assiéger Audenarde. Aussi, le prince de
Parme prit-il toutes Tes précautions nécessaires pour empêcher
l'adversaire de surprendre son camp et dessayer de porter secours
aux assiégés. Du côté de la colline de Pamel, il avait fait planter son
pavillon ,et les tentes qui devaient abriter les gens de sa maison: tout
près de lui, il avait logé, pour mieux pouvoir Ies surveiller, deux
régiments d'Allemands. En face, près de l'Escaut, fut établi le quar-
tier du baron de Montigny etdri régiment wallon de, celui-ci. Dans la
direction de Gand, Flarnèse fit camper les deux autres régiments
wallons et deux régiments d'Allemands. Non loin de là, et dans la
même région, s'était installé le marquis de Richebourg avec la cava-
lerie. Le, prince visita tout particulièrement ce quartier, et y fit dou-
bler les postes et les corps de garde, pour éviter toute surprisede la
part des soldats d'Anjou. Il ordonna aussi à Richebourg de faire

(23) Liber relationum, fo 110; STRADA,o. c., t. III, pp. 325-326.


(24) Liber retatumum; fo i09TO; C. CAMPANA,O. C., 2° parte., fO 34TO.
(25) Liber relationum, fo 110. . "
:(26) Alençon avait avec lul, près de Gand, 400Q fantassins, français, anglais et écos-
.sais.vces.derorers sous Ile commandement des colonels Seton et Norrls, et 2000 reîtres, sous
les ordres de Ohaeles de Gr.oy, prtnee de Chimay, fils du duc d'Aerschot. (C. CA.1'fPANA,
O. C., 2° parte, fO 35; Li.bro de las cosas de Flantks, fOZ29TO). .

71
battre continuellement par ses cavalie-rs la campagne et les routes
vers Gand et d'attaquer immédiatement tout parti ennemi qui s'y
montrerait (27).
Pour le creusement des tranchées et l'établissement des lignes de
oiroonvallation, Farnèse rencontra de nouveau le-s difficultés qui
l'avaient toujours assailli jusque-là. Les sapeurs recrutés en Bohême
n'étaient pas encore arrivés et il fallut, encore une fois, faire appel
au dévouement des soldats et leur promettre des récompenses pour
les amener à exécuter ce trav.ail qui leur répugnait tant. La besogne
était d'ailleurs rendue plus difficile par suite des inondations provo-
quées par les assiégés, par les fréquentes sorties de ceux-ci et par la
pluie et les bourrasques de ce printemps peu favorable (28).
Pour faciliter les opérations du siège et rendre plus rapides les
communications entre leadivers groupes de son armée, Farnèse fit
construire sur l'Escaut, du côté de Gand, deux ponts solidement
bastionnês, qu'il garnit en outre d'une bonne garde. Du côté opposé,
dans la direction de Tournai, oùs 'étendait la nappe des inondations,
il lança sur l'eau une demi-douzaine de barques armées, qui patrouil-
lèrent sans répit le long des deux rives de l'Escaut (29).
Toutes ces dispositions étant prises, le prince convoqua son
conseil de guerre, et interrogea ses ingénieurs et un certain nombre
de gens du pays pour savoir de quel côté il serait le plus facile et 10
plus avantageux d'attaquer la ville (30). On résolut de s'en prendre
d'abord au ravelin qui regardait vers l'Est et qui faisait face il. la
colline où se trouvait le. quartier général de Farnèse.
Les tranchées furent donc ouvertes dans cette direction et con-
duites jusqu 'au bord du fossé défendant le ravelin, afin de pouvoir y
amener les pièces d'artillerie nécessaires pour bombarder l'ouvrage.
Cependant, lorsque les sapeurs eurent atteint ce fossé, ils constatè-
rent qu'il était beaucoup plus large et plus profond qu'on ne se l'était
imaginé. Les eaux charriées par la manœuvre d'inondation avait
élargi considérablement l'obstacle, et la pluie torrentielle qui tombait
depuis plusieurs jours avait produit un effet analogue. Les sapeurs
ne purent songer un instant à combler le fossé, la violence du courant
(27) Liber relattonum, r- HO; C. -CAMPANA, o. C., 2 parte, fo 35.
0

(2<8) LUter relationum, r· 110; C. CAJ.IPANA, o. C., Loc. clt.; STRADA, o. C., t, III, p. 326,
(29) Liber reZationum, r- 110.
(30) Le 14 mal, Frangois de Halewljn, gouverneur du chateau de Oourtral, envoya à
Farnèse Ile plan d'Audenarde, que lui a:va.ientcommuniqué des bourgeois de Ia ville et lui
algnalalt que ces bourgeois, s'étant rendilll au camp espagnol, pourraient donner au prince
toutes les explications nécessaires (Correspondance de Granvelle, t. IX, p. 677).

7.2
PL. V

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SIÈGE D'i\Um~Ni\nDE
Al laque du rnvelin de la porte de Bruxelles (EsL)
{Ms. 19611 cie la Bibliothèque Ho ya le cie Belgique, r- 48.)
emportant immédiatement les charges de terre qu'on y avait jetées.
Les ingénieurs militaires imaginèrent alors de fabriquer des pontons,
au moyen de planchers couchés sur des futailles vides, mais on ne
parvint pas à les rendre suffisamment longs pour couvrir la largeur
du fossé; le courant les emporta tout de suite et l 'artîllerie des
assiégés les fracassa (31).
TI fallut songer à porter l'.attaque d'un autre côté. Pendant que
deux coulevrines, qu'il avait fait établir à mi-hauteur de la colline de
Pamel, continuaient à tirer sur la ville, à endommager les maisons et
à balayer de leur feu toute la courtine, rendant très pénible aux
assiégés la défens-e de cene-ci, le prince eut une consultation avec La
Motte, qui dirigeait l'artillerie. A eux deux, pendant la nuit, ils firent
le tour de la place, pour tâcher de découvrir l'endroit le plus vulné-
l'able: reconnaissance qui ne fut pas sans danger, car continuelle-
ment des centaines de coups d'arquebuse, tirés au hasard dans
l'obscurité, envoyaient des balles dans toutes les directions (3;2).
Le prince de Parme décida de porter l 'attaque contre un ravelin,
situé du côté opposé à celui qu'on avait essayé de prendre, à l'ouest,
devant la porte menant vers Gand. Ce plan n'eut pas l'agrément de
La Motte, qui le jugea trop difficile à exécuter. Sans entamer une
discussion qu'il jugeait inutile et dangereuse, le prince tint à son
idée et s'empressa de la réaliser (33).
Pour atteindre le terrain où se dressait le ravelin qui défendait
la porte de Gand, il fallait passer un ruisseau qui coulait à cet
endroit, et qui était considérablement enflé par les pluies. Un pont
permettait de traverser ce ruisseau, mais il était, cela se conçoit, levé
et gardé par un fort contingent ennemi.
Le prince de Parme commença par faire creuser des tranchées
dans la direction du pont, de façon à atteindre la rive du ruisseau
et tenter de le franchir. Pour ne pas éveiller l'attention des
ennemis, ces tranchées se firent, partie par partie, pendant la nuit et
dès que l'aube apparaiesait, on les couvrait de branches d'arbres et
de fascines, pour les rendre invisibles aux assiégés. Comme, en
même temps, les soldats de Farnèse, pour donner le change, amas-
saient .au bord du ruisseau une grande quantité de fascines, les
défenseurs s'imaginèrent qu'on avait l'intention de les jeter dans

(:Hl Liber retauonum, fo 1iOvo; STRA,DA, o. C., t. III, p. 327.


{32l Libe'l' retauonum, r- HOv -,
(33) Ibidem.

73
l'eau pour assécher le fossé et passer ainsi. Aussi, se moquant de la
naïveté des ennemis, ils ne troublèrent en rien cette besogne.
Bien plus, dans le but de protéger I'attaque qu'il allait faire
contre le ravelin de la porte de Gand, le prince de Parme fit enlever
La plupart des pièces d'artillerie qu'il avait d'abord placées, au
nombre de 32, devant le ravelin du 'côté de Pamel. Comme les barques
de transport devaient suivre d'abord pendant quelque temps le cours
de l'Escaut qui se dirige vers Tournai, les assiégés s'imaginèrent
que l'artillerie était renvoyée vers cette ville et que l'ennemi allait
lever le siège. Leur confiance s'en accrut et ils se firent une joie de
se moquer des sentinelles espagnoles, leur criant que « si elles se
rendaient, elles seraient très ,bien traitées » (34).
Mais aussitôt ils déchantèrent. En effet, du côté du pont ou de
la barbacane à conquérir, Farnèse avait fart conduire, par chariots,
quantité de petites barques. Celles-ci furent descendues dans le ruis-
seau qui défendait l'ouvrage, rangées l'une à côté de l'autre, et
couvertes d'un plancher. Puis un fort contingent de soldats espagnols
se lança par ee passage et emporta la barbacane.
ILes assiégeants pouvaient à présent occuper le terrain s'éten-
dant derrière ce pontet qui précédait le 'l'avelin dÜ'la porte de Gand.
Bientôt, l'artillerie apparut en cet endroit et vint se poster près dn
fossé de cet ouvrage de défense, derrière des gabions et des boucliers
de fascines qui y avaient été r apidement préparés. Les canons de
Farnèse tenaient maintenant sous leur feu les saillants du ravelin,
les tourelles qui le flanquaient Ü'tla plateforme qui le dominait.
Le bombardement commença et se poursuivit pendant deux
jours (35).
C'est pendant cette action dartillerie que le prince de Parme,
qui continuait, malgré les conseils et les supplications 'répétées de
Philippe II, à s'exposer 'comme un simple soldat, faillit être tué
à la suite d'un accident banal. Pour être plus près des Allemands,
établis devant la porte de Gand, et dont il redoutait le mauvais
vouloiret L'indiscipline prête à éclater, Farnèse était venu s'installer
dans une tranchée près du fossé de la vine. Il avait laissé à son
quartier général de la colline de Pamel la plus grande partie de ses
officiers et les gens de sa maison et n'avait pris avec lui qu'un petit
nombre de compagnons. Dans la tranchée même, il avait fait placer

(34) Liber reiatumum, fo HO-Hl; STRADA, o. C., t. III, p. 328.


{35) Liber relationum, fo 111; STRADA, o. c., loc, clt,

74
.J:;G _?="?= •••••••

'"0
~
PRISE D'AUDENARDE -<
•....
Gravure de R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma
(Ms, 16314-19 de la Bibliothèque Royale de Belgique, f0182.)
Dans le coin de droite, Fa1;nèse continuant Ù déjeuner après la chute au boulet meurtrier.
une nappe sur quelques tambours et, sur cette table improvisée,
s'apprêtait à prendreson repas. L'artillerie qui bombardait le rave-
lin de la porte de G.andse trouvait à quelque distance derrière la
tranchée où se tenait le prince.
Soudain, pendant le déjeuner, un descanonniers, qui était ivre,
visa si mal que le boulet tiré par sa pièce vint tomber en plein milien
du groupe formé par F'arnêse 'et ses officiers. Le prince et ses corn-
pagnons furent couverts de terre et de toutes sortes d'ordures. Le
boulet de canon avait enlevé la tête de Lamoral de Licques, fils du
baron de Licques, capitaine d'infanterie wallonne; il avait emporté
la moitié du visage du prévôt de la garde allemande du prince; il
avait tué ou blessé encore d'autres officiers. La table fut couverte de
débris de cervelle ·etde sang. Mais le prince de Parme ne s 'émut pas
pour si peu: il acheva tranquillement son déjeuner. Il fit emporter
les morts et donner les soins nécessaires aux blessés, et refusa obsti-
nément de quitter cet endroit dangereux, Le bombardier imprudent
fut arrêté et interrogé par l'auditeur général; il prétendit que la
poudre employée était de mauvais-e qualité et que, lOTSde la défla-
gration, elle avait fait dévier le projectile. Le prince de Parme
accepta cette explication, quoique des témoins eussent affirmé que le
soldatcoupable était pris de boisson, et il fit mettre le canonnier en
liberté. C'est en vain que l'auditeur général et le maître de camp du
terçioauquel il appartenait réclamèrent sa mise à mort {36).
Pendant <Jetemps, l'artillerie continuait à tirer sur le ravelin et
plus spécialement sur la gorge qui reliait cet ouvrage au rempart de
la ville,afin d'empêcher que, par là, les défenseurs pussent recevoir
du secours.
Lorsque le ravelin eut été suffisamment endommagé, les soldats
de F.arnèse l'attaquèrent et parvinrent, non sans difficulté, à s'en
rendre maîtres. L'accès au ravelin avait ,été préparé par l'expédition
courageuse de quatre soldats italiens, qui offrirent d 'aUeren saper
les murs à la vue des ennemis. S'acheminant par une étroite lan-
guette de terre quiaffieurait au niveau de l'eau et qui était le seul
moyen d'aecès à l'ouvrage qu'on voulait prendre, ces soldats, armés
d'arquebuses, d'épées, de boucliers, de poignards et de hoyaux, et se
protégeant tant bien que mal par des fascines contre le tir que les

(36) STRADA, o. C., t. III, p. 333-'334, a dramatisé cet épisodë, Le récit de Paolo Rinaldi,
témoin oculaire, est beaucoup plus simple et plus naturel. C'est lui que nous suivons
(Liber relationum, fo i11ro_111Vo), Comparez P. DE COLJNS, 0, C., p, 613.

75
assiégés dirigeaient sur eux des remparts, parvinrent au ravelin. Ils
réussirent à y pratiquer des ouvertures. Au moyen de la terre rejetée
des brèches ainsi faites, ils préparèrent en même temps un passage
à travers le fossé pour l'infanterie qui devait aller à l 'assaut (37).
Un de ces héros, Ottavio de Voghera, fut tué. Fidèle à son habi-
tude, Farnèse lui fit faire des funérailles solennelles, auxquelles il
assista avec sa cour et avec tous ses officiers. Les trois survivants
furent royalement récompensés et nommés respectivement capitaine,
sergent et enseigne. d'une compagnie wallonne (38).

A ce moment la mutinerie que Farnèse redoutait de la part des


Allemands, depuis le début du siège, éclata soudain. Ils refusèrent
de servir et se retranchèrent dans leur quartier. 'I'ransporté de
fureur, le prince sauta à cheval et, sans armes, galopa vers le quar-
tier des mutins. Ses traits, d'ordinaire si calmes, étaient altérés par
l'indignation et ses yeux jetaient des éclairs. En voyant arriver leur
chef, seul et sans escorte, les soldats révoltés, d'un seul mouvement,
abaissèrent leurs piques et leurs arquebuses contre lui. Le moment
était tragique et une seconde d 'hésitation pouvait provoquer un
désastre. Sans la moindre crainte, le prince de Parme éperonna son
cheval et se précipita, en écartant les armes dressées contre lui.
Comme il parlait bien la langue allemande, il injuria les mutins, les
traitant d'infâmes et de traîtres et leur prodiguant toutes les insultes
du répertoire militaire de ce temps. Puis, fonçant soudain sur un des
principaux séditieux, avec la force herculéenne dont il disposait, il le
saisit par le gorgerin et, faisant caracoler son cheval, l'entraîna
derrière lui. En même temps, il intima l'ordre de le suivre à un autre
qui portait l'enseigne colonelle. L'officier obéit, et 'aussitôt, confer-
mément à la tradition militaire qui voulait que, dès que l'enseigne du
régiment principal s'était mis en mouvement, tous les soldats de la
eoronélie le suivissent, t'OUS les mutins} rentrant dans l'obéissance,
emboîtèrent le pas à leur chef. Farnèse donna aussitôt l 'ordre au
marquis de Richebourg de les cerner avec la eavalerieyet puis, devant

{37) Liber relationum, f 0 111-112; STRADA, o. C., t. llI,pp. 329-330.


;(38) STRADA, o. C., t. III, p. 330. - « Et se ben qualcheduno era Inalzato da lui di
favori et d'honori, gli altrl s'IIDigegniaron di fare si el debite 10110 per pervenire ai gradi che
deslderavano, che egllno racevan mlracoli nel combattere et portarst da valent' huo-
mini» (Liber retauonum, fO 246).

76
le front des Allemands assemblés, il fit pendre séance tenante quatre
des principaux meneurs, Cette exécution se fit au milieu d'un silence
de mort; la révolte était matée (39).
Le 'sang-froid et le mépris du danger que le 'prince avait montrés
en .cette occasion produisirent sur le comte de Mansfelt et sur les
principaux chefs wallons une impression extraordinaire, faite à la
fois d'admiration et d'étonnement (40).
L'ordre ayant ainsi été rétabli, Farnèse, maître du ravelin de la
porte de Gand, prit -ses dispositions pour attaquer les remparts de
la vine qui se dressaient derrière cet ouvrage avancé.
Par la gorge du ravelin, qu'il fit au préalable couvrir de fascines
pour protéger ses soldats contre le feu des assiégés, le prince fit
partir des hommes chargés de piques, de pelles et de fourneaux de
mines afin d'ouvrir des brèches dans les murs. Cependant, les
assiégés n'assistèrent pas à ces préparatifs d'assaut sans réagir
énergiquement. Ils sortirent inopinément de la ville et se jetèrent
sur les pionniers : ils en tuèrent quelques-uns et mirent les autres eu
fuite. Le prince de Parme, qui surveillait les opérations du bord du
fossé, vit arriver les fuyards. Arrachant une pique dee mains d'un
soldat qui se trouvait à côté de lui, il rallia un certain nombre de ses
gens et s'apprêta à repousser l'attaque des assiégés. Bientôt, un
nombre suffisamment grand de soldats était accouru au secours du
chef pour que l'on pût forcer l'ennemi à rebrousser chemin (41).
Le travail de sape continua, Ies pionniers se protégeant contre
les feux artificiels, les poutres, la poix que l'on jetait sur eux du haut
des murs d'Audenarde, au moyen de boucliers couverts de fer et
de peaux de bœuf fraîches.
Pendant ce temps, Partillerie ne cessait de canonner la muraille
et les défenseurs qui s'y trouvaient .
. Lorsqu'il jugea que les dommages infligés et les brèches faites
devaient être assez considérables pour permettre l'assaut, le prince
de Parme y envoya quelques soldats en reconnaissance. Ceux-ci
revinrent, 'en apportant la nouvelle que l'es assiégés, avec une hâte
fébrile; avaient fermé les ouvertures de telle manière que l'attaque
semblait devoir être peu efficace (42).
(39) Nous suivons ici le récit de Paolo Rlnaldi, qui assista à la scène: « 10 lo viddi
una volta disarmato all' assedio d'Odonardo in gran perioolo ... » (Liber relationum, fo 247),
Comparez STRADA, o. C., t. III, pp. 331-333.
(4») STRADA, o. c., IDe. clt.
(41) STRADA, o. C., t. III, p. 333.
(42) Liber relationum, 1° 112TO.

77
Néanmoins, énervés et à bout de forces, les soldats supplièrent
leur chef de les laisser monter à I'assaut. Instruit par l'expérience,
Farnèse ne crut pas pouvoir céder au point d'ordonner une attaque
générale. Il autorisa une trentaine de volontaires à tenter l'escalade
des murailles, Mais les assiégés se défendirent si bien qu'après une
escarmouche de peu de durée, les assaillants battirent en retraite (43).
••• "" '*'

Ce qui maintenait chez les défenseurs d 'Audenarde le courage


nécessaire, c'était l'espoir que le duc d'Anjou viendrait bientôt les
délivrer. Le bruit courait, en effet, que le prince français renforçait
son armée au moyen de contingents de soldats allemands, suisses,
français,anglais et écossais (44). On disait aussi que le duc d'Anjou
s'avançait vers le camp des assiégeants pour en estimer la force et
tenter de jeter du secours dans la place avant l'arrivée des nouveaux
régiments qu'il attendait. De fait: il n'osa pas assaillir les troupes
espagnoles, ou il s'estima trop faible : il se borna à essayer d'attirer
Farnèse et de lui faire abandonner le siège, en opérant de soudaines
diversions tantôt contre Courtrai, tantôt contre Bréda, tantôt contre
Bapaume (45).
Mais le prince de Parme ne se laissa pas prendre au piège, : il
avait décidé de s'emparer d'Audenarde et rien n'était de nature n
lui faire changer son dessein.
Il continua à pratiquer la sape et la mine et, chaque jour, gagnait
un peu de terrain. Finalement, une brèche assez considérable avait
été ouverte dans les remparts du côté de la porte de Gand et des
décombres avaient comblé le fossé, rendant ainsi plus facile l'accès
aux assaillants (46). Le prince de. Parme ordonna alors à l'infan-
terie wallonne de monter à l'assaut. S'il faut en croire des lettres
que le prince adressa à sa mère au sujet du siège, les soldats auraient
refusé daller à l'attaque des remparts (47). Mais finalement, ils
se laissèrent convaincre, soit par menaces, soit par l'emploi d'encou-
(43) Liber retatumum; fo 112vo•
1(4.4.)Le 19 mal 1582, Marguerite de Parme écrit au cardinal Farnèse que son fils
assiège Audenarde avec « une poignée de troupes » et ajoute: « Ben sarebbe tempo
che qua fussi arrivata :la cavaâleria et fanterla cnest aspetta d'Italia » I(A. F, P., Càrteggio
tarnestano, Paesi Bassi; carteggio 1581-1582).
1(4.'5)Libro de las cosas ae Flandes, fo 230; STRADA, o. C., t. III, p. 335; sur l'attaque
de Courtrai, voir la lettre du gouve-rneur, François de Halewijn, au président dé Pamele,
27 juin 1582 (Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. 69'5-696).
(4.6) Liber relationum,fo 112vo; STRADA, o. C., t, III, p. 336.
(4.7) C, CAMPANA, o. C., ZO parte, p. 36; STRADA, 0, C" t, III, p. 336.

78
ragements dont Farnèse Havait si bien user en de pareilles circon-
stances. Après une lutte qui dura jusqu'à la nuit, et qui fut sanglante
de part et d'autre, res assaillants finirent par s'installer sur le mur
d'enceinte .
. De l'à, ils purent 'constater que les défenseurs d'Audenarde
avaient eu recours au même moyen que celui qui avait été employé
par les défenseurs de Maastricht et par ceux de Tournai pour pro-
longer la résistance. Des retranchements de pieux, renforcés par des
claies et des herses -et dont les interstices avaient été comblés de
terre, ainsi que des maisons, démolies en partie et transformées en
terre-pleins constituaient, à l'intérieur, un deuxième système de
défense. Comme il l"avait fait à Maastricht, le prince de Parme
ordonna d 'amener de l'artillerie sur le rempart pour canonner ces
obstacles (48).
Entrete.mps,comme les bruits de l'arrivée du duc d'Anjou se
répétaient avec plus d'insistance} Farnèse avait demandé, par plu-
sieurs courriers exprès, aux renforts qu'il savait être en route, sous
le commandement du marquis de Varembon, de se porter à son
secours à marches forcées. Varembon ex-écuta cet ordre avec ponc-
tualité et bientôt son infanterie et sa cavalerie bourguignonnes arri-
vèrent en vue du camp espagnol.
ILe prince de Parme sortit aussitôt de ses quartiers pour les
passer en revue ·et les logea du côté de la porte de Gand, l'à où on
pouvait s'attendre à L'attaque éventuelle des troupes d'Anjou.
Les assiégés, auxquels l'arrivée des Bourguignons n'avait pas
échappé, les prirent d'abord pour des forces amies et les saluèrent de
quelques coups de canon tirés en l'air.
Mais voyant ces soldats s'avancer file par file, sans qu'aucune
escarmouche ne se produisît avec les soldats de Farnèse, former
escadron, tirer vers la ville une salve d'arquebuse et planter leurs
drapeaux, ils durent se rendre à la triste réalité. Par un prisonnier,
ils apprirent que c'était l'à du secours arrivé de Bourgogne pour
l'armée du prince de Parme (49). S'il faut en croire le témoignage

(48) .FarnèSe à sa mère, Audenarde, 7, H, 13 et 22 juin 1582 (A. F. N., Carte torne-
iiane, rascto 1682). .J

'(49) Mém'oires sur le marquis de Varembon, pp. 22-23. Déjà le 25 septembre 1581,
I~ magistrat d'Audenarde avait écrit auprinoe d'Orange : « Il ne nous reste qu'un seul
remède à nostre extrême nécessité et povreté, qu'est d'estre secouru de la généralité,
à qui nostre sauvegardaaussi touche et dont I'assistanoe doibt venir à bon droict, comme
par le traloté de l'Union d'Utrecht est expressément devisé et, en ce, l'un vers l'autre
.. » (GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. IV. p, 323'),
obiJ-j.gé,

79
de Pierre de Colins, ils se seraient même imaginés que ces nouvelles
troupes étaient les premiers contingents de renforts espagnols arrivés
d'Italie et dont on savait, du côté des États) qu'ils ne pouvaient tar-
der à faire leur apparition dans les Pays-Bas (50).
Quoi qu'il en soit, l'arrivée de oe renfort et le' fait que ni du
côté du prince d'Orange) ni de celui d'Anjou, rien ne· semblait présa-
ger un prompt secours, poussèrent les assiégés à capituler ('51).
Les négociations furententamées le 4 juillet et aboutirent le fen-
demain. Audenarde se rendit aux mêmes conditions que Tournai. Eu
égard à la belle défense qu'ils avaient faite (52), les soldats de la
garnison obtinrent de sortir avec armes et bagages; ils durent
cependant laisser entre les mains des vainqueurs leurs enseignes,
ainsi que les chevaux et les chariots, Les habitants de la ville devaient
s'engager à vivre 'selon la religion catholique, accepter dans leurs
murs une garnison et en pay-er la solde. .Quant aux calvinistes, ils
pouvaient s'en aller où born.leur semblait, sans être molestés, 'et en
emportant leurs biens. Pour se racheter du sac, la ville dut payer
30.000 florins) que Farnèse distribua immédiatement aux soldats do
son armée. Le prince 'avait montré cette modération dans ses exi-
gences - Tournai avait dû payer 100.000 florins -, parce qu'il
s'agissait de la. vine où sa mère avait vu le jour (53).
Le 6 juillet, le prince de Parme fit son entrée solennelle dans la
place. TI fut reçu par le magistrat qui, à cette occasion, lui fit
don d'une magnifique tapisserie, représentant une partie de l'histoire
d'Alexandre le Grand, que Josse de Pape livra à la ville pour la
somme de 2.000 florins (54). Farnèse se rendit à l'église principale
pour y faire célébrer la messe - interdite depuis quatre ans par le
régime calviniste - ·etchanter le Te. Deum. L'exercice du culte
catholique fut immédiatement rétabli (5;5). Une garnison composée

(60) O. c, p. 614.
(51) .Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 23; P. DE COLINS, O. C., p, 614; Liber
relationum, fo ua.
(52) Paolo Rinaldi le constate avec admiration enthousiaste dans sem Liber relationum,
to Ha. - C. CAMPANA, O. c., 100.oit" 00 ménage pas non 'plus ses éloges.
1(53) Liber retauonum, r- H3vo; Farnèse au Roi, 8 juillet 1582 (Correspondance de Gran-
velle, t. IX, p. 70S). voi- le texte de la capltulation dans les Bulletins de Ca Commission
royale d'histoire, a" série, t. XIII, p. 75.
{54) H. GOBEL, Wandteppiche. I. Die NiederUin{le, t, I, p. 470, Leipztg; 1923, Je dois
la connaissance de ce fort intéressant détail à mon collègue, M. Jean Gessler.
'(55) Voir à ce suj-et la lettre adressée par Farnèse le 7 juillet déjà, à l'évêque d'Ypres,
l'invitant à venir fair·e l'a « réconcsliatlon » des églises profanées 'et prendre les mesures
nécessaires pour le rétablissement du culte (Correspondance d.e Granvelle, t. IX, 'p. 701).

80
d 'Allemands 'et de Wallons fut logée en ville et le gouvernement de
celle-ci fut confié au sire de Masnuy d'Aubremont.
Le prince de Parme prit ainsi sa revanche de son échec de Cam-
brai: ses troupes pénétrèrent dans la place presque sous les yeuxdu
duc d 'Anjou, dont les forces étaient campées à une demi-lieue de
distance (56).

.. '"

Environ un mois après la prise d'Audenarde, les premieres


troupes espagnoles arrivèrent à proximité du territoire des Pays-Bas.
Le 7 août, le prince de Parme signalait que le premier corps d'infan-
terie de cette nation semblait avoir passé Givet et que les autres le
suivaient à peu de distance. Dans le Luxembourg arrivèrent presque
en même temps les sapeurs de Bohême, si impatiemment attendus (57).
Les troupes étrangères que le Roi renvoyait en Flandre étaient
au nombre de 5.000 Espagnols et de 4.000 Italiens, divisés en quatre
ierçios.
Les maîtres de camp de ces régiments étaient Pedro de Paz et
Cristobal de' Mondragon, pour les Espagnols; Mario Cardoino et
Camillo del Monte pour les Italiens. Exception faite de la cavalerie
légère qui était restée en Flandre après le Traité d'Arras, c'était la
première fois qu'un corps important de soldats italiens venait
guerroyer en Flandre. La cavalerie qui accompagnait ces ierçios fut
placée sous le commandement d'Antonio de Olivera, qui avait été
commissaire général de cette même arme avant le départ des soldats
étrangers en 1579.
La présence de soldats italiens aux Pays-Bas et l'autorisation
donnée par les provinces obéissantes de se servir de nouveau de
troupes étrangères,entraîna vers le pays un nombre considérable
d' « aventuriers » ou volontaires de qualité, appartenant aux pre-
mières familles d'Italie. C'est maintenant qu'apparaissent dans
l 'histoire militaire de ces provinces des noms qu'on y retrouvera pen-
dant longtemps encore, mêlés au souvenir des exploits les plusauda-
cieux. Citons Appio Conti, le comte' Carlo San Vitale,Pietro:

(56) STRADA, o. C., t. III, p. 337.


~(57)Farnèse au Roi, 7 aOlÎt1582 (A. G. R., Copies de Bimamaas,vol. 15, non f,oUoté). -
Farnèse à. plusieurs correspondants, août 1582 (A.F. N., Carte tœmesiane, Fiandra, fascio
1669); Pierre-Ernest de Mansfelt à. Marguerlte de Paœme,16 jùin 1582 (A. F. N., Carte'
farnesiane, Fiandra, rasclo 1638).
Caetani, le com~e Alessandro Sforza, Rodolphe Baglioni, J ean-Vin-
cent Vitelli (58).
Alexandre Farnèse se rendit au-devant des premières troupes
espagnoles et s'empressa de manifester à sarnère la joie que lui avait
causée la vue de ces beaux soldats (59). Il ne se réjouit pas moins,
sans doute, à l'arrivée de ses compatriotes, les soldats des ierçios
italiens, 'encore que la valeur combative de ces derniers, composés de
nouvelles recrues, ne pouvait être comparée à celle des vétérans
espagnols.
'~~ dehors de ces soldats espagnols 'et italiens, le prince avait
fait lever aussi en Bourgogne, en Allemagne et dans le pays même,
d'autres troupes, qui joillitesaux forces venues d'Italie, devaient
former vers la fin de l'année 1582 uné armée d'environ 60.000
hommes (60). Certes, c'est là le chiffre officiel que donnent les con-
'(58) STRADA,o. C., t. HI, pp. 339-341; P.FEA, 0, C., p, 150 I\3tnote.
(59) Farnèse à sa mère, 19 aoüt 1582 (A. F. N., Carte fœmesume, Fiandra, Iasolo 1682).
(60) Voici un tableau détaillé fourni par VAN METERENdans son Historie der Neâer-
tasüscber ..., foo 211 "'_211vo , et copié sur des cocuments omctels appartenant au contador
Pedro Coloma : INFANTERIE
Espagnols: Le terçio die Cristobal de Mondragon : 24ensei.gnes: 2816 hommes; le
terçio de Pedro de Paz: i 7 enseignes : 1820 hommes.
Italiens: Le terçio de Mario Gardoino: 8 enseignes : 23m hommes; Le terçio de Camillo
dei Monte : 8 enseignes: 2300 hommes.
Bourguignons: Le régiment de Varambon : 14 enselgnes : f700 hommes.
Wallons: le régiment de- Montigny: lr. ensejgnes : 2253 hommes; le régiment d'Eg-
mont, 16 enseignes: 1986 hommes; le régiment de Licques, 10 enseignes: 1244 hommes;
'le régiment d'Octave de Mansrelt, 1(} enseignes: 1500 hommes; le régiment de Mander-
scheldt, 10 enseignes: 1000 hommes; Ie régiment de Philippe de Licques, 12 enseignes:
f800 hommes; le régiment du Sim; de Bours, 10 enseignes: 1287 hommes; le régiment
d'Aubigny, 10 enseignes: 873 hommes; le régiment de Masnuy, 10 enseignes: 1466 hommes.
Allemands: la coronélie de Robert de Gunsbergh, 10 enseignes: 2800 hommes; la
coronélie duoomte de Berlaymont, 10 enselgnes : 3144 hommes; la coronélie du comte
d'Aremberg, 9 enseignes : 2600 hommes; Il:acoronélie de Charles de Mansfelt, 10 enseignes:
3144 hommes; la coronélte de Don Juan Manrique, 10 enseignes: 3144 hommes; la coro-
nélie du Sire de F1O'yon, 4 renseignes: 1000 hommes ; 2f enseignes non enrégimentées:
3793' hommes.
Garnisons et troupes d'occupation:
,Gwrnisons de Luxembourg, Thionville, Montmédy, Damvillers. Chimay: 617 hommes;
Garnisons de Karpen, Sansen, Oharlemont, Marlêmboung, Avesnes, Landrecies, Le Ques-
noy: 1187 hommes ; Régiment de M. rd,e Hautepenne, en Campine, 10 enseignes : 1500
hommes; Régiment de La Motte, à Gravellnes, 10 ensetgnes : 1500 nommes; Les Haut-
Allemands de BiUy, en Frise, 12 enselgnee: 3000 hommes; 12 enseignes du baron dé
Anhott, en Overijssel: 3000 hommes; 10 enseignes sous verdugoçen Fl'ise: 1500 hommes;
2 enseignes en garnison dans le pays de Groningue: WO hommes.
CAVALERIE·
Cavalerie légère: Espagnols, Itallens et arquebusiers .à cheval, 37 compagnles ou
cornettes: 2187 hommes; Lanciers et arquebusiers à cheval, gens des' Pays-Bas, 12 com-
pagnlea ou cornettes: 1000' hommes; En Frise, 3 oompagnles de cavalerte légère et 1
d'arquebusiers à cheval: 350 hommes'.
Cette liste fut dressée le 24 septembre 1582.

82
temporains, mais nous savons qu'entre le chiffre porté sur la liste
de compagnie et la réalité, il faut toujours admettre une différence.
assez considérable. De plus, une certaine partie de ces forces était
destinée à garder les villes, les endroits stratégiques, les voies de
communication (61). Mais il n'en reste pas moins vrai que le cauche-
mar, qu'avait constitué pendant près de quatre ans, pour le prince
de Parme, l'exiguité de l'armée autorisée par le traité de réconcilia-
tion de 1579, allait 'enfin se dissiper.
Il était temps. En effet, d'inquiétantes nouvelles parvinrent à
Farnèse.au mois d'août 1582, du côté de la France'. J'ean-Baptis!t-e
de Tassis, ambassadeur dEspagne à Paris, annonçait la concentra-
tion de nombreuses troupes 'auxiliaires, destinées à rejoindre aux
Pays-Bas le duc d'Anjou. "I'assis ajoutait que, pour entretenir ces
troupes et celles qui étaient en Flandre avec Alençon, le Roi de
France avait promis secrètement à son frère 50.000 écus par mois.
Le Roi y avait été forcé, affirmait Tassis, par Catherine de Médicis,
toujours prête à soutenir les folles équipées de. son fils. De plus, on
pouvait s'attendre il l'arrivée du chef expérimenté qu'était le maré-
chal de Biron. Ce dernier, depuis quelques jours, feignait d'être
brouillé avec le Roi, afin de faire croire que, s'il allait en Flandre, ce
n'était point sur l'ordre du souverain, mais pour se venger de la
cour (62).
Ces graves nouvelles furent confirmées peu après par le sire
de La Motte. De Gravelines, celui-ci faisait connaître qu'on avait
aperçu en mer une flotte française transportant des troupes et par
des prisonniers qu'on avait faits, on était assuré que 7.000 mousque-
taires français, 3.000 piquiers suisses, 2.000 cavaliers et 4 cornettes
des compagnies d'ordonnance du Roi 'se préparaient, sous la con-
duite de Biron, à envahir les Pays-Bas (63).
Même si elles étaient exagérées, ces informations faisaient pré-
voir à Farnèse un automne rempli d'embûches et de dangers.

1(,61) P. FEA, pp. 150",151-


O. C.,

(62) STRADA, o. t. III, p. 340; J. RÜBSAM,


C., Johann Baptista von Taxis, p. 57.
(63) Ibidem, pp. 3'40-341; Cfr KERvYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux,
t. VI, pp. 345-356.

83
CHAPITRE V

ALEXANDRE FARNÈSE ET L'AFFAIRE SALCEDO

Pendant que lé prince de Parme assiégeait Audenarde, il vit


arriver au camp un personnage appelé Nicolas de Salcedo, qui
déclara vouloir traiter secrètement avec lui daffaires importantes.
Ce Salcedo était fils d 'un Espagnol, qui avait été commissaire de
L'armée au temps du duc d'Albe et qui, à la suite d'un crime qu'il
avait commis, s'était enfui en France, où il était entré au service
d 'Henri III.
Nicol-as de Salcedo avait lui-même embrassé la carrière des
àrmes: il faisait partie de I'armée d'Alençon, comme capitaine d'une
compagnie de 200 cavaliers (I). En se présentant au prince de Parme,
il lui montra des lettres de recommandation du duc de Lorraine et
d'autres personnages de qualité, et il s'était fait 'accompagner de
Gabriel de Becourt, baron de Boninghe, colonel d'un régiment d'in-
fanterie wallonne.qui avait avec lui des liens de parenté,
Salcedo expliqua que, comme son père était espagnol, il se consi-
dêrait, lui, vassal de Philippe II et -que, voulant satisfaire à ses
obligations, - il venait se mettre à sa disposition. Il ajouta qu'il
avait le moyen de rendre des services considérables 'au Roi et donna
notamment à entendre qu'il pourrait mettre F'arnèse en posseseiou
de la citadelle de Cambrai (2).
Ne désirant pas s'engager à la légère vis-à-vis d'un inconnu, le
prince de Parme lui dit de revenir et, entretemps, se renseigna auprès
(1) Farnèse au Roi, 25 aoüt 1582 (GACHARD, Correspondance de GuiUaume le Taci-
turne, t. VI, p, LXXIII); KER'VYN DI;; LE'ITENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. VI,
pp. 333-334.
(2) Lettre de Farnèse, citée ci-dessus.

84:·
de M. de Sàmblemont, Lorrain d'origine. Comme ce dernier lui donna
sur Saleedo de bons renseignements, Farnèse fit appeler l'Espagnol
et Pintorrogea en présence de M. de Samblemont. Salcédo rêitêrasà
promesse de livrer la citadelle de Cambrai, par l'intermédiaire d'un
capitaine français.
Rassuré sur les intentions du personnage et le caractère sêrieux
de ses propositions, le prince de Parme l'envoya à Bruges, où le due
d'Anjou avait fait, le 17 juillet, sa joyeuse entrée comme comte de
Flandre et où il résidait pour le moment avec le prince d'Orange.
Saleedo devait étudier, dans l'entourage d'Anjou, les, détails de
l'exécution de son projet et instruire Farnèse de ce quise passait
dans le camp du prince français. Le prince de Parme fit accompagner
Salcedo par un cavalier italien de son armée, homme de confiance et
de bon jugement, qui profiterait de sa présence' à Bruges pour
s'informer de la composition de l'armée du duc d'Anjou, des renforts
que celui-ci attendait, du chemin que ces renforts devaient prendre (3),
Le 21 juillet Salcedo se présenta à l 'hôtel du duc. On se méfia de
lui et on le retint prisonnier. Ne voyant pas revenir son compagnon,
le cavalier italien, - qui s'appelait Francesco de Baza - alla s'in-
former de ce qui se passait: il fut arrêté à son tour.
Aussitôt, le bruit se répandit que les deux prisonniers avaient
voulu faire périr le duc d'Ânjouet Leprince d'Orange. Interrogé,
Salcedo ma tout. Baza fut soumis à la torture avec une telle rigueur
qu'il en mourut, mais sans avoir avoué quoi que ce fût. Cependant,
Anjou et Orange firent circuler un document qui était représenté
comme étant la confession arrachée à l'Italien et où celui-ci avouait
que « par le commandement et charge expresse du prince de Parme »,
le duc d'Anjou et le Taciturne devaient être assassinés. Pour mieux
accréditer la version de l'aveu de Baza, on annonça qu'il s'était lui-
même planté un couteau dans le cœur (4).
Bellièvre, l'agent de Catherine de Médicis aux Pays-Bas, accon-
rut à Bruges lorsqu'il apprit Parrestation de Salcedo. On machina
alors une comédie pour soustraire, par le moyen d'aveux qu'on arra-
cherait à Salcedo, le roi de France à l'influence que. les Guise
exerçaient sur lui. Le 22 juillet, sous l'influence dé la peur et à :t~
suite de la promesse qu'on lui ferait grâce, le prisonnier déclara que
les Guise étaient complices du prince de Parme et, qu'ils voulaient

(3) Lettre de Farnèse, citée.


1(4) KERVYN DE LETl'ENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. VI, pp.335~36.

85
livrer la France à l'Espagne. Le texte de cette déclaration,ainsi que
celui de la lettre que Salcedo envoya au duc d'Anjou, lui furent
dictés par trois ministres de ce dernier, Des Pruneaux, Lavergne et
Charretier (5).
Bellièvre se chargea de conduire ensuite le prisonnier à Paris,
pour y répéter devant le Roi et le Parlement les accusations contre
les Guise. Le 28 août, Saleedo fut enfermé au château de Vincennes;
le 29, Catherine de Médicis tint à assister en personne à l'interroga-
toire, qui fut mené par Bellièvre et des conseillers du Parlement.
A la grande colère de ceux qui avaient machiné cette affaire,
Saleedo rétracta ses accusations, les taxant de fausses et menson-
gères. Le 12 octobre, il renouvela cette rétractation devant le Roi et
le jour suivant, à la Bastille, devant les commissaires du Parlement.
Lorsque la torture extraordinaire qu'on lui appliqua lui eut enlevé
toutes ses forces, il maintint encore que ses révélations de Bruges
n'étaient que mensonge.
Néanmoins, le 25 octobre) le Parlement le condamna pour crime
de haute trahison et ordonna de l 'écarteler en place de Grève. Au
moment de monter sur l'échafaud, le malheureux demanda qu 'on lui
déliât les mains afin qu'il pût signer une dernière déclaration. Il y
affirma solennellement qu'il avait été forcé par trois ministres du duc
d'Anjou de lancer la dénonciation contre les Guise et que, ce faisant,
ces ministres avaient agi au su du duc et du prince d'Orange. Il
déclara aussi que jamais il n'était entré dans sa pensée de comploter
contre le Roi de France (6).
Il semble certain que le duc d'Anjou et le prince d'Orange
avaient imaginé cette histoire du complot des Guise et obligé leur
prisonnier à la raconter, pour pousser Henri III à la guerre. contre
l'Espagne. En tous cas, le Parlement fit détruire toutes les pièces de
I'affaire et il a été dit que le président-de Thou regretta si vivement la
part qu'il avait prise au procès Balcedo, qu'il finit par en mourir (7).
-8 'il en est ainsi des déclarations de Salcedo à propos des Guise
et du complot contre Henri III, que reste-t-il des bruits concernant
l 'ordre donné par Farnèse à l'Espagnol de tuer le duc d'Anjou et le
prince d'Orange î

(5) GACHARD,Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. LXXVI.


1(6) Gi\.CHARD,o. C., t. VI, PP. LXXVI-LXXVII; KERVYN DE LETTENHOVE,O. c., t, VI,
pp. 336-34p.
(7) Ibidem. Ofr la correspondance de J. B.deTassls, ambassadeur espagnol en France,
avec le Roi au sujet de l'affaire Salcedo dans GACHARD,o. c.; t. VI. pp.OLIII-IOLVII,

86
Kervyn de 'Lettenhove semble prêt à se ~allier à la thèse deIa
culpabilité du prince de Parme (8). Il rappelle que, en mars 1:582,
après le complot d 'Hervet Bureau, dirigé contre lui, le prince avait
consulté le cardinal de Granvelle sur le point de savoir « si, en pré-
sence de ce que nous voyons, a ne nous est pas permis de recourir à
de semblables moyens ».
Ce que F'arnèse entendit par là, nous le comprenons par une
lettre que Granvelleécrivit, le 15 avril 1582, à Juan Gonzalez, et qui
débute ainsi: « Quant à ce que le prince de Parme me demande s'il
convient d'expédier le ducdAlençon par le poison ou de toute autre
manière, je ne puis me prononcer immédiatement» (9).
Farnèse semble donc ne pas avoir reculé devant l'idée de se
débarrasser du duc dAlençon par l'assassinat (10). Dès lors, n'est-ce
point de pareille mission qu'il a effectivement chargé Salcedo, en
l'envoyant à Bruges .auprès du prince français 1
Nous ne le croyons pas. Dans une lettre écrite au Roi le 25 août
1582, Alexandre Farnèse nie formellement avoir chargé Salcedo de
tuer le duc d'Anjou. « J'e n'ai voulu parler à cet homme, 'écrit-il,
qu'en présence du fils du haron de Licques et de Samblemont ; il n'a
été question entre nous que de la citadelle de Cambrai et d'informa-
tions à me faire parvenir, par le moyen de l'Italien susdit (de Baza)
et par toutes Iesautres voies possibles, sur ce qui se passait au
camp ennemi ... Votre Majesté peut être certaine que ce que je dis est
la pure vérité. Alors même que j ''y aurais été autorisé par Elle, je ne
me serviraia pas de semblables moyens pour des affaires qui exigent
tant de secret » (11).
Cette déclaration respire la sincérité. Il s'agit, d'ailleurs, d'une
missive chiffrée que le prince adresse au Roi, son maître, et dans
1aquelle rien ne, l'empêchait de parler à cœur ouvert (12). Remarquons
encore que le fait d'envoyer à Bruges avec Salee do un militaire
expérimenté comme de Baza semble bien mieux convenir à une entre-

'(8) O. C., t. VI, PP. 332svv.


(9) Cités par KER.VYN DE LETTENH()VE, O. C., loc. clt,
(10) En envoyant à Granvelle des pièces du procès d'Hervet Bureau, qui avait voulu
l'empoisonner à la suggestion du duc d'Anjou, lF'arnèse avait écrit cette phrase caractë-
nstique ; « Non puotendo persuadermi, che tënendo il detto duca [Anjou] simili maneggt
contra dl me non mi sia: permesso fare 11 m10 meglio per prevenire piùtosto ch' esser
prevenuto, » (Correspondance de üranceue, t. IX, p. 466).. ,
(!i) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. CLII-QLIII.
1(12) VlOir UD~ autre lettre du prtnce de Parme au Roi, sur le même sujet, où il pro-
teste contre -les imputations qui lui sont rattes, dans Correspondance de Granueûe, t. IX,
p. LXIV; ainsi que sa !'ettrë au baron Stondrato, du 30' septembre ,1a82,ibidem, p. 761.

87
prise dtespionnage militaire qu'à une louche entreprise d'assassinat.
Çomm~ l'a fait .remarquer Théodore Juste (13), nul mieux que de
Baza n'aurait pu recueillir les renseignements exacts sur les forees
et-les projets d'Alençon. Le prince de Parme avait d'ailleurs besoin
d'illf{)rmations semblables au moment où les troupes espagnoles
étaient sur le point de le rejoindre aux Pays-Bas et où, d'autre part,
le bruit s'était répandu que des forces françaises considérables
étaient .prêtes à envahir la Flandre.
V{)ilàpourquoi, avec Théodore Juste, Gachard :(14), Ch. Piot (15)
et Rübsam (16), nous sommes convaincu que le prince de Parme ne
chargea point Salcedo dassassiner Anjou et le prince d'Orange. Ce
dessein lui fut prêté précisément par ce dernier ou par ses agents,
pour le rendre plus odieux aux populations des Pays-Bas (17).

(1.3) Guillaume le Taciturne, p. 303.


(14) O. C., t. VI, p. LXXIII.
(15) Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. ,LXIII 8'VV •
. (16) Johann Baptista von Ta$is, pp. 58-60.
(17) Farnèse revient d'ailleurs sur l'affaire dans une lettre écrite de Bergues-St-Wlnoc,
113 12 aoüt 1582,'adressée au RoI. Il y affirme que des entreprises comms oëllë dé saieedo,
edesttnée à liv.rer Cambrai '>,e.tœUe de Ordoilez,qui avait pour but de livrer Dunkerque,
ne sont pas faites pour réussir et qu'elles ne doivent Inspirer confranee (A. G. R., Copies
de Simancas, vol, 15, non folioté).

88
CHAPITRE VI.

LA CAMPAGNE EN FLANDRE
CONTRE ANJOU ET LES ÉTATS

Aussitôt après la prise d'Audenarde, le prince de Parme, pour


donner une leçon au duc d'Anjou qui, pendant le siège, avait menacé
« de venir le voir », s "achemina avec une partie de son armée dans
la direction de Gand. Les tr-oupes d'Anjou y étaient retranchées,
appuyées à la ville, entre l'E'scaut et la Lys. Farnèse se rendit
immédiatement compte que les retranchements, hauts de 15 à If
pieds, que l'ennemi y avait éleV'ésderrière un large fossé, ainsi que le
terrain marécageux qui protégeait la position ne lui permettraient
pas de combattre dans des conditions f.avorables.Comme les adver-
saires ne 'se risquèrent pas à sortir de leurs tranchées pour engager
une escarmouche, 1e prince ramena ses soldats à Audenarde (1).
Il dut hésiter alors au sujet de ce qu'il allait entreprendre.
Déjà en avril, il avait écrit à son père Ottavio Farnèse que,
même si les troupes espagnoles le rejoignaient rapidement en
Flandre, la saison était déjà trop avancée pour frapper le « grand
coup » destiné à « ranimer le moral des tièdes et à décourager les
malintentionnés ». Après la prise d'Audenarde, il estima que son
armée n'était pas suffisamment forte pour entreprendre une offen-
sive de grand style. C "est pourquoi, après avoir envoyé le marquis
de Richebourg vers le château de Gavre avec l'ordre de s'en emparer,
il décida de marcher dans la direction de la Basse Flandre pour )'
(1) Farnèse au Roi, 8 julllet 1fl.82(Correspondance de Granvelle, t. IX, p. 703); Libra
de las cosas de Flandes, fo 230; Lettre de Farnèse à un minisbreespagnol, AUdenarde,
19 juillet 1582 {B, N, P., ms, 182, fo 322ro); lIfémoires sur le marquis de Varembon, p. 2~

89
surveiller de près les mouvements des troupes françaises, dont
l'ambassadeur de Tassis et le sire de La Motte lui avaient annoncé
l'imminente invasion r(2).
Le 20 juillet, il quitta Audenarde pour Courtrai: il logea ses
troupes à Harlebeke, où il passa la Lys. Le lendemain, continuant sa
route par Menin, il arriva à Vormezeele, près d'Ypres, où il fit
dresser son camp (3). Cette région Iui offrit l'abondance de vivres
qu'il cherchait (4). Quelques seigneurs du pays vinrent le trouver
et lui suggérèrent de tenter un coup de main sur Ypres. Un ravelin
défendant cette ville s'était effondré et il semblait que, par la brèche
ainsi faite dans le système défensif de la place, une troupe bien
décidée pouvait facilement s'introduire et s'emparer de la vine. Mais
les soldats de Farnèse trouvèrent le ravelin reconstruit et les Yprois
sur leurs gardes, prêts à se défendre (5),
A l'approche du prince de Parme, les troupes des États qui se
trouvaient dans cette région s'étaient retirées pour s'établir à proxi-
mité des renforts français amenés par le duc d'Anjou, entre Dun-
kerque et Bergues-Saint-Winoc (6). Jusqu'au 29 juillet, F'arnèse
resta à Poperinghe, prenant les informations nécessaires sur l'em-
placement et les mouvements de l'ennemi (7).
Avant son départ d'Audenarde, une troupe de 400 Anglais, parmi
lesquels il y avait un certain nombre de nobles et beaucoup de catho-
liques, et qui faisaient partie de l'armée d'Anjou, à la suite de dis-
cussions qui avaient éclaté entre eux et les soldats français, étaient
venus se présenter au camp espagnol et avaient demandé de pouvoir
s'enrôler au service du Roi. Comprenant toute l'importance de ce
renfort inespéré et s'imaginant que, en recevant et en traitant bien
ces transfuges, il pourrait peut-être provoquer dans l'armée ennemie
d'autres défections de ce genre (8), le prince les accueillit immêdia-
1(2) Libe1' relatumum, fo 114; Libro de las casas de Flandes, fo 230.
-(3) Libro de las casas de rtomaes, r- 231; STRADA,o. C., t. Ill, p. 341.
(4) Liber relationum, fo 114.
(5) Libro de las casas de Flandes, fo 232.
'(6) Ibidem; Liber reiatumum, fo 114; « Depuis la perte d'Oudenarden, nos camps se
sont joints, mais ils n'approchent encore aux forces de l'ennemy, principalement de caval-
lerie, et puis nous sommes bas en matière d'arg-ent ». Mar-nix à Walsingham, Bruges,
23 juillet 1582 (KERVYN DE LETTENHOVE, Documents inédits sur l'histoire du XVIe siècle.
p. 27(}).
>(7) Libro de las eoscs de Flandes, fo 232vo. ,
(8) ,Farnèse à un ministre du Roi, 19 juillet 1'582 (B. N. P., ms. espagnol 182, r- 322);
Liber relationum, fo 114'°. STR."-DA(0, C" -t. III, p. 341) place cet épisode 'au moment où
Farnèse se trouvait à Poperlnghe, c'est-à-dire juin-juillet. Or, la date de la lettre du
prince citée el-dessus prouve que la reddition des Anglais doit se placer avant le 19 juillet.

90
tement. Il ne regretta point son geste. En effet, au moment où, au
début d'août, le prince était sur le point de quitter Poperinghe pour
se diriger vers Bergues-Saint-Winoc, un gentilhomme écossais,
nommé William Semple, capitaine d'une compagnie des États, vint
le trouver en secret -etlui déclara qu'il avait le moyen de lui procurer
l'entrée de la ville de Li-erre. D "abord hésitant, Farnèse finit par
accepter la proposition. Il chargea Matteo Corvini, capitaine expéri-
menté, de se rendre avec six cavaliers d'élite à Namur, Philippeville
et Louvain pour retirer des garnisons de ces villes les forces néces-
saires à l'entreprise. Le matin du 2 août, Corvini et ses hommes se
présentèrent devant Lierre et, grâce au stratagème imaginé par
l'Ecossais, parvinrent à se rendre maîtres de la ville.
La prise était d'importance. Si Lierre n'était pas une ville con-
sidérable, elle était bi-en fortifiée, et c-elui qui la possédait pouvait
menacer la sécurité d'Anvers, de Malines, de Bruxelles, de Vilvorde,
de Diest et dHérenthals (9). La trahison de Semple avait ainsi permis
à Farnèse de planter un jalon pour l'exécution du grand plan d'offen-
sive dont nous avons parlé plus haut.
Les troupes qui s'étaient emparées de Lierre la mirent complè-
tement à sac et la pillèrent de fond en comble. EUes y trouvèrent le
capitaine espagnol Alonso, huguenot au service des États, qui avait
organisé peu d-etemps auparavant la surprise de Diest et qui, griè-
vement blessé, avait été transporté à Lierre. Les vainqueurs le pen-
dirent par les jambes jusqu 'là ce que la mort s'ensuivît (10).
Farnèse, en envoyant le capitaine Corvini, avait donné des
ordres sévères pour qu'on ne saccageât point Lierre, mais les soldats
wallons n'écoutèrent point ces recommandations (11). Le prince en
fut outré et envoya tout de suite le conseiller de Brabant Van
Maelcote pour examiner sur place la situation (12). Celui-ci constata
Lorsque Mendoza, ambassadeur espagnol à Londres, eut appris que Farnèse avait enrôlé
les transfuges anglais, il s'empressa d'en écrire à Philippe II pour lui démontrer le danger
de cette politique. Il estimait qu'elle justifierait désormais la présence d'Anglais dans
l'armée des Etats et qu'elle « Introduirait le loup dans la bergerie ». {Spanish Caienaar
1580-1586, pp. 398-399), Philippe Il lui répondit pour le remercier d'avoir signalé ce fait,
mais aussi pour lui dire que le prince de Parme était si prudent et si vigilant qu'il pren-
drait ses mesures pour ne pas être trompé (ibidem, p. 4(3).
(9) Farnèse au RoI, Bergues-St-Wlnoo, 7 aoüt 1582 '(A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 15, non folioté) ; Libro de las cosas de Planâes, fo 233; Libel' retatumum, fO. 114-115;
STRADA, o. c., t. III, pp. 342-3'43.
1(10) Lettre de Mormon à Granvelle, TournaI, 9 aoüt 1582 (Correspondance de Granvelle,
t, IX, pp. 269~270).
(11) L'on n'at sceu tant faire que ,ladite ville ne soit estée pillée, si bien sont
nez Wallons façonnez ». (Lettre de Morillon, citée ci-dessus).
{12) Farnèse au Roi, Bergues-St-Wlnoc, 7 aout 1582 (Loc. cil.).
91
que les dommages et les rançons infligés par les Wallons à la ville
s'élevaient à la somme d'environ 100.000 florins et que le tiers des
maisons était complètement abandonné. Le tableau qu'il traça de
la situation était lamentable (13).
Pendant que ces événements se déroulaient à Lierre, Farnèse
poursuivait sa marche à travers la Flandre, dans la direction de Dun-
kerque et de Bergues-Saint-Winoc, pour se porter 'au devant du
corps de troupes françaises conduites par le maréchal de Fervaeques
et qui cherchait à opérer sa jonction avec les troupes des États
rassemblées autour de Dunkerque (14). Le prince prit les mesures
les plus minutieuses pour ne pas être surpris par l'ennemi. Durant
la marche, des éclaireurs précédèrent l'armée, l'avant-garde fut
accompagnée de guides connaissant bien le pays. L'armée elle-même
resta tout le temps organisée en parfait ordre de marche, comme
on en adoptait d 'habitude en traversant une contrée ennemie : après
l'avant-garde, le corps de bataille, suivi de l'arrière-garde, avec les
bagages toujours au milieu de la colonne, les soldats ne portant que
leurs armes légères ·et observant le silence.
Les premières troupes françaises envoyées au secours d'Alençon
avaient débarqué à Dunkerque et, marchant sur Bergues-Saint-Winoc,
s 'y étaient fortifiées, lorsque l'armée du prince de Parme arriva dans
ces parages. Voulant tâter les forces de l'adversaire, Farnèse fit une
démonstration devant les murs de Bergues, mais l'ennemi ne montra
aucune envie de sortir de ses retranchements. Cependant, au moment
où les soldats du prince allaient se retirer, des forces adverses,
composées de mousquetaires et de piquiers français ,et anglais, ainsi
que de reîtres, s'avancèrent pour se jeter sur l 'arrière-garde. Une
escarmouche s'amorça et se développa rapidement jusqu'à devenir
un véritable combat, mais les troupes d 'Anjou rompirent alors le
contact et se retirèrent derrière les murs de Bergues. Dans cette
escarmouche, Philibert de Rye, seigneur de Balançon, frère du
marquis de Varembon, fut fait prisonnier (15).
Comme il était impossible d'empêcher le débarquement des
troupes françaises à Dunkerque et leur concentration, Farnèse rêso-

(13) Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. 751 svv.


(14) Marguerite de Parme à LOon Juan de Idiaquez, Namur, 28 juillet .15>82 (Corres-
pondance de Granvelle, t. IX, p. 720); Liber relationum, to 114; Libro de las cosas de
Flandes, r- 232vo•
(15) Liber relationum, ro' 114-114vo; Libro de las cosas de Flasuies, ro 232vo; STRADA .•
o. c., t. III, p.344; Mémoires sur le marquis de vorembon, p. 25,

92
lut de se retirer de nouveau sur Poperinghe pour y observer les
événements. Mais, avant d'avoir quitté la région de Bergues, il apprit
que les premières troupes d'infanterie espagnole venant d'Italie
avaient déjà traversé le Luxembourg, passé la Meuse et entraient
dans le Hainaut. On attendait les Italiens, qui les suivaient de près,
les régiments du comte de Berlaymont €t de Don Juan Manrique,
ainsi que les sapeurs recrutés en Bohême et au pays de Liége. Dans
la nuit du 12 août, Pinf'anterieespagnole et les sapeurs de Bohême
arrivèrent à Lille et bientôt les 40 premières enseignes des troupes
si longtemps attendues :firent leur apparition au camp du prince de
Parme (16). On peut s'imaginer avec quel transport de joie on les
reçut!
Cependant, Farnèse ne fut pas sans appréhension au sujet de la
situation qu'allait créer l'arrivée des renforts d'Italie. Comme tou-
jours, il se trouvait presque sans argent, incapable de pourvoir rapi-
dement au ravitaillement d'une armée si considérable. Dès le 15 août,
la situation devint alarmante: la nécessité d'argent se faisait dure-
ment sentir, les soldats ignoraient toute discipline, les habitants des
vil'leset des villages où les troupes étaient cantonnées souffraient
beaucoup et de toutes parts, des plaintes amères se firent
entendre (17). En arrivant dans la région de Poperinghe, considérée
comme « pays ennemi », le prince de Parme fit tout son possible
pour ne pas exaspérer les populations. Il leur prodigua des paroles
d'encouragement et d'espoir) et refréna dans la mesure du possible
la rapacité de ses soldats. Il leur :fit comprendre que, en ne mal-
traitant pas les paysans, ils pouvaient espérer de ceux-ci de la nour-
riture et de l'aide dans les durs travaux du camp, et qu'ils ne
devaient en aucune manière provoquer la fuite des habitants. Mais
ceux-ci, trop habitués aux sévices de cette soldatesque brutale, ne se
fièrent point aux promesses du prince de Parme et préférèrent cher-
cher leur salut dans la fuite. C'est ainsi que beaucoup de villages de
cette région riche et féconde, abandonnés par la population, furent
impitoyablement saccagés, pillés de fond en comble et incendiés (18).
* * *
(16) Farnèse au Roi, Bergues-St-Wlnoc, 7 et 12 août 1582 (A. G. R., Copies de Siman-
cas, vol. 15, non folioté); Farnèse à un ministre du Roi, Bergues-St-Winoc. 11 août 1582
(B. N. P., ms, espagnol 182, fo 3-23'ro); Liber relatumum, fo 114va; Libro de las casas
de Flandes, r- 233.
{17) Farnèse au Roi, Audenarde, 31 août 1582 (A. G. R., Copies de 'Simancas, vol. 15,
non folioté).
{18) Liber relattonum, fo fUn,

93
Se rendant compte de la menace que constituait l'entrée des
Français dans la Flandre méridionale, le prince de Parme, ne vou-
lant pas être pris entre ces troupes et les forces d'Alençon qui se
trouvaient toujours près de Gand, résolut d'attaquer celles-ci à
l'improviste et d'essayer de les affaiblir autant que possible (19).
Elles ne comptaient que 5.000 hommes environ (20) et Farnèse avait
maintenant à sa disposition les nouvelles troupes venues d'Italie. Il
y avait d'ailleurs une raison spéciale pour attaquer ces forces : elles
s'apprêtaient à reprendre le château de Gavre, conquis naguère par
le marquis de- Richebourg (2'1).
Partant de Poperinghe, Farnèse achemina ses bagages et envoya
1.000 fantassins et quatre compagnies de cavalerie vers Lille, tandis
que lui-même, avec le reste de l'armée (22), se rendit rapidement à
Audenarde. Pendant 'qu'il y accordait quelques heures de repos à ses
soldais, il envoya en reconnaissance du côté de Gavre le lieutenant
Cabrera, avec 40 cavaliers espagnols. Ceux-ci revinrent promptement
avec trois prisonniers, par lesquels on apprit que les forces d'Anjou
n'étaient pas loin, mais que, au lieu d'être solidement retranchées sur
place, elles campaient avec leurs bagages, entourées de chariots pour
se défendre. Il était évident que, devant l'arrivée de l'armée de Far-
nèse, elles avaient décidé de se retirer sur Gand.
Le plan du prince de Parme fut tout de suite dressé : il fallait
gagner les ennemis de vitesse, les accrocher dans leur retraite et les
anéantir avant qu'ils n'eussent pu atteindre cette ville.
Le 26 août, après minuit, le prince de Parme fit partir ses
soldats d' Audenarde, en plaçant l'infanterie espagnole en avant-
garde. Ordre fut donné au marquis de Richebourg de précéder avec
la cavalerie et de tenter d'arrêter l'adversaire jusqu'à ce que l'infan-
terie eût le temps d'arriver. L'avant-garde de ces cavaliers, à laquelle
incombait la tâche la plus importante et qui était commandés par
l'Albanais Papada, se mutavee tant de lenteur que les troupes
d'Alençon eurent le temps de décamper et de commencer leur retraite.

,(19) Lettre de Farnèse au Roi, 27 août 1582 (Loc. cit.).


'(20) C. CAl\WANA,
Delta guerra di Fiandra, 2° parte, fo 38.
{2i) Libro de las cosas de Fùmdes, fo 234; STRADA, o. C., t. III, p. 344.
(22) Une relation d'un témoin oculaire, écrite en français, et adressée à Marguerite
de Parme, dit que les forces que Farnèse mena avec lui vers Gand comptaient 6000 fan-
tassins (19spagnols, Bourguignons, M'lemands et Wallons) et 2500 cavaliers (Italiens, Bour-
guignons et Wallons). Cette relation se trouve à A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra,
fascia, 1625.
Papada les suivit sur les talons, mais ne put les empêcher de se
barricader derrière leurs chariots de bagages, entre l'E:scaut et la
Lys, sous les murs même de Gand.
L'infanterie, très fatiguée par la marche forcée qu'elle avait
dû faire, n'approcha que lentement. Le prince de Parme comprit que
son plan était devenu inexécutable, 'et ne dissimula point son mécon-
tentement à ses lieutenants. Il ne renonça cependant pas à son dessein.
Peut-être se rappela-t-il l'attaque de Borgerhout en 1579, lorsque,
sous les yeux du prince d'Orange et de l'archiduc Mathias, il avait
attaqué audacieusement les forces' des États campées sous les murs
~'d'Anvers.
Il savait que le duc d'Anjou et Orange se trouvaient à Gand, où
le prince français avait fait, peu de jours auparavant, sa joyeuse
entrée. Il ne lui déplaisait sans doute pas de se venger des fanfaron-
nades du duc et d'attaquer ses soldats sous les yeux mêmes de leur
chef.
Dès J'arrivée de l'infanterie, il disposa à droite, sous les ordres
du colonel de Mondragon, 100 piquiers et 200 arquebusiers espagnols,
300 Bourguignons, ainsi que des mousquetaires et des piquiers alle-
mands. A gauche, il rangea, sous le commandement du maître de
camp Pedro de Paz, 100 piquiers et 300 arquebusiers espagnols,
200 Wallons et 200 piquiers allemands.
Devant le camp des ennemis établi à Gentbrugge et entouré de
chariots, des maisons et des moulins étaient occupés par quelques-
unes de leurs compagnies. Farnèse donna Perdre d'attaquer ces posi-
tions avancées. Malgré le feu d'artillerie que la garnison de Hand
dirigea des murailles contre les assaillants, les soldats espagnols,
dont c'était le premier combat contre l'adversaire, se précipitèrent
avec tant d'élan que maisons et moulins furent promptement enlevés.
Les Espagnols tombèrent ensuite sur les troupes retranchées derrière
les chariots. Ils subirent des pertes assez considérables : Anjou et le
prince d'Orange encourageaient les leurs du haut des remparts.
Au moment le plus critique, le prince français, pour sauver ses
soldats d'un désastre, supplia les Gantois d'ouvrir les portes de leur
ville. On le lui refusa) pal' crainte de voir ainsi imposer à Gand
une garnison française, par peur aussi de voir les Espagnols se ruer
à l'intérieur pèle-mêla avec les Français.
Cependant, malgré les assauts répétés des Espagnols, des
Wallons 'et des Allemands, on ne put forcer le rempart de chariots

95
derrière lequel L'adversaire se défendait avec ténacité. Le prince de
Parme comprit qu'il serait inutile de prolonger ce combat, puisque
son but, la destruction des forces ennemies, ne pourrait être atteint.
Il fit sonner la retraite, laissant sur le terrain 60 morts et 223 blessés.
Du côté espagnol, on estima les pertes des troupes d'Alençon à 2.000:
plusieurs des soldats français, en effet, s'étaient noyés, en voulant
fuir ou en combattant, dans les eaux de l'Escaut et de la Lys (2'3).
'Cependant, le prince de Parme, écrivant au Roi, porta les pertes
de L'adversaire à 800 hommes (24).
Ne s'estimant plus en sûreté à Gand, après cette attaque du
prince de Parme, le duc d'Anjou s'en alla à Anvers, 'Où il se fixa
définitivement. S 'y voyant sans pouvoir et réduit à une honteuse
inaction au monastère qui lui fut assigné comme résidence, il se
plaignit bientôt de n'être « qu'un abbé de Saint-Michel, par la grâce
du prince d'Orange» et non le souverain des Pays-Bas (215).

La saison étant trop avancée pour entreprendre quelque chose


d'important, le prince de Parme, toujours préoccupé de l'invasion
éventuelle des Français, au sujet de laquelle les avertissements ne
cessaient de lui arriver, quitta la région d'Audenarde avec son armée
et alla camper près de Messines. Il y resta tout le mois de septembre,
pour observer les mouvements de l'ennemi (26).
Profitant de cette inaction, il mit une partie de ses troupes là la
disposition des habitants de la châtellenie de Lille, qui demandèrent
d'être protégés contre les ravages qu'exerçaient dans le pays les
soldats des États en garnison à Menin, Sur un bras de la Lys, à
Haluin, près d'un pont que 1'ennemi empruntait pour pénétrer dans
la châtellenie, il fit construire un fort, en employant pour la première
fois le service des sapeurs de Bohême (27). Le prince de Parme visita

(23) Farnèse au Roi, 29 août 1582 (Loc. cit.); Farnèse à sa mère, 30 août 1582 (A. F. N"
Carte tamesume, Fiandra, fasoio 1682); Liber relattonum, fo 116; Libro de las cosas (!Je
Flandes, fO 234;, STRADA,o. c., t. III, pp. 345-348; C. CAMPANA,0, c., fos 38,o-38vo; Mémoires
sur le marquis de Varembon, pp. 25-27; A. VASQUEZ,Los sucesos ..., lac. cit., pp, 369-371.
{24) STRADA,0, C" t, III, p. 347; Relaçum de to suceduio al 30 de Agosto 1582 OJ Gand
(A. F. N., Carte tosnenane, Fiandra, fascia 1682).
(25) KERVYNDE LETTENHOVE,O. C" t, VI, p, 341,
i(26) Farnèse au Roi, Camp de Messines, 16 septembre 1582 (A. G. R., Copies de Siman-
cas, vol. 15, non folioté). Liber relationum, fo 116; Libro de las cosas de Flanâes, fo 234;
P. FEA, O. C., p. 154.
(27) PIERRE DE COLINS, O. C., p. 615.
régulièrement les travaux de ce fort et c'est à cette occasion que
Pierre de Oolins nous raconte une anecdote qui, une fois de plus,
met en relief le courage et le sang-froid de Farnèse (2'8).
« Pendant que l'on travaillait au fort de Haluin, dit-il, le prince
de Parme le vint souvent visiter, et en passant devant Menin, il fut
salué de canonnades, sans hâter pour cela plus vite le pas de son
cheval. Son rendez-vous était au quartier de M. le comte d Tsenghien,
sans s'émouvoir des boulets de canon, qui volaient par dessus la
maison et rompaient des ormes tout proches, »
En ce moment, on se préoccupait beaucoup du côté des États de
mettre sur pied l'armée nécessaire pour tenir têteaux forces de Far-
nèse. Le 18 septembre, à Anvers, le prince d'Orange rédigea un
mémoire qui étudiait minutieusement la question. Il proposait l'enrô-
lement de 30.000 piétons et de 5.000 cavaliers) allemands, anglais,
écossais, français et gens du pays. L'entretien de cette armée coûte-
rait 320.000 livres Artois par mois, et chaque province y contri-
buerait, comme suit : le Brabant, pour 63.000 livres; la Gueldre, pour
10.000; la Flandre" pour 105.000; la Hollande et la Zélande, pour
93.000; la Frise, pour 23.000; l 'Overijssel, pour 5.500; Utrecht, pour
9.000; la seigneurie de Malines, pour 1.500 (29) .
C 'étaient de beaux projets, mais l'esprit particulariste des pro-
vinces, tout autant que les circonstances, devaient empêcher de les
réaliser.
Mais on comprendra que le 'I'aeiturne ne cessait d'insister sur la
question, si l'on sait que, au même moment, les Gantois tenaient entre
leurs mains, comme prisonnier, le docteur Hippolyte Pennone, le
médecin du prince de Parme, dont nous avons parlé antérieurement
à propos de la mort de Don Juan d'Autriche.
Examiné par Byhove et le magistrat gantois, Pennone avait
déclaré que Farnèse avait à présent sous ses ordres cinq régiments
d'Allemands, 5.000 Italiens et 5.000 Espagnols, sans compter les
Bourguignons et les Wallons. Oes renseignements étaient quelque
peu fantaisistes, mais ils n'en firent pas moins une impression
considérable (30).
De son côté, Farnèse s'inquiétait des nouvelles qui lui parve-
naient au sujet de l'approche des renforts français destinés à Anjou.

(28) O. C., p. 618.


{29) GACHARD, Correspondance de GuiUaume le Taciturne, t. V, p. M.
(30) GROEN VAN PRINSTERER, Archives, ••, t, VIII, p. 135,

97
On disait, à la fin de septembre, que ces troupes se tenaient déjà à la
frontière des Pays-Bas et que, composées de 10.000 fantassins et
2.000 cavaliers, elles comprenaient plusieurs compagnies d'ordon-
nance. du Roi de France et des piquiers suisses. Un indice qui sem-
blait de mauvais augure, c'est qu'un édit royal avait ordonné aux
Espagnols 'et aux étrangers résidant à C.alais et dans les villes fron-
tières du côté de Flandre de quitter celles-ci et de sortir du royaume
ou de se retirer sur la côte de la Méditerranée (31).
Ainsi, des deux côtés, les adversaires rr'envisageaient guère les
jours à venir sans une réelle appréhension. En attendant, de part
et d'autre, on essayait d'infliger à l'ennemi le plus de dommage
possible. p.ar des coups de main ou des expéditions rapidement
menées.
C'est ainsi qu'au début d'octobre 1582, des troupes françaises,
sortant de Cambrai, s'emparèrent par surprise du fort de L'Ecluse,
entre Cambrai et Douai. Farnèse groupa aussitôt quelques forees
sous le commandement de La Motte, dans la région de Gravelines,
et se dirigea du côté de L'Ecluse 'Pour reprendre le fort. Il entendait,
surtout, démontrer au duc d 'Alençon qu'il avait maintenant suffi-
samment de soldats à ,sa disposition pour faire face à rr'importc quel
essai de diversion de la part de ses adversaires (32).
Le 20 octobre, l'ennemi capitula (33). Se trouvant non loin de
Cateau-Cambrésis, dont la garnison inquiétait continuellement par
ses expéditions de pillage l'Artois et le Hainaut; le prince de P.arme
s'en rendit rapidement maître (34).
Pendant que le prince opérait dans cette région, et au moment où
il venait de refuser aux nobles des régions wallonnes d'entreprendre
le siège de Cambrai, l ',état de son armée ne le lui permettant
point (35), l 'ennemi entreprit une audacieuse attaque de Louvain.
Le 29 'Octobre, ayant rassemblé en secret environ 8.000 fantassins,
retirés des garnisons de Bruxelles, de Vilvorde et de Malines, ou
empruntés aux eompagnies françaises et anglaises du duc d'Anjou,
l'ennemi s'approcha de Louvain à la pointe du jour et dressa les

'(31) Farnèse à un rnmlstre du Roi, Camp de Messines, 30 septembre 1582 '(B. N. P.,
ms. espagnol 182, [0 324?0); Libro de las cosas de Fumâes, fo 236.
,(32) Libro de las cosas de Flanâes, fo 236vo; Lib,er relationum, fo 117; Farnèse au Roi.
Camp de Frec, 16 octobre 1582 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non folioté).
(33) Farnèse au Roi, Oamp de Freo, 24 octobre 158·2 {A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 15, non folioté).
(34) Farnèse au Roi, Camp de Frec, 16 octobre 1582 {Loc. cit,) ; Liber reiatumum; fo H7.
'(35) Farnèse au Roi, Camp de Frec, 24 octobre 1582 {Loc. cit.).

98
échelles d'assaut. Alertés par Fabio Mattaloni, le chef des mifices
bourgeoises, qui, 'au cours d'une ronde sur les remparts, avait
découvert la présence des assaillants, les soldats italiens, wallons,
allemands et bourguignons de la garnison, aidés par les bourgeois, se
défendirent vaillamment. Quoique) à un cert.ain moment, l'ennemi eût
réussi à planter en quelques points des murailles les drapeaux du
duc d'Alençon, il finit par être repoussé, laissant sur place environ
200 tués et abandonnant ses échelles d'assaut (36).

* *, *
A cette époque - septembre et octobre 1582 - la situation des
troupes de Farnèse était devenue critique par suite du manque
d 'argent et de vivres. Lorsque, un ou deux mois auparavant, les
Espagnols étaient rentrés aux Pays-Bas) ils avaient frappé les popu-
lations par leur allure martiale et leur discipline magnifique. Pierre de
Colins, qui fut témoin de leur arrivée au camp du prince de Parme,
nous dit : « Je les vis arriver et passer devant les portes de la ville
de Lille. C'ét'aient des gens d'élite, bien armés, et il n'y avait presque
aucun soldat qui ne portât mine de capitaine» (37).
Mais le même témoin ajoute aussitôt : « Mais ils furent bientôt
changés par l'incommodité d'un âpre et pluvieux hiver ».
Déjà avant cet hiver, les superbes guerriers castillans avaient
perdu leur prestance, l'éclat de leur regard, la mine réjouie de gens
bien nourris, et on ne pouvait plus noter la propreté et le soin des
armes, qui trahissent le soldat fier de son métier et bien payé. Les
populations rurales les virent passer le long des routes, pâles et
amaigris, grelottants de fièvre, épuisés par la faim et les privations.
Le 16 septembre, Farnèse écrivit au Roi en le suppliant d'envoyer
l'argent nécessaire pour mettre fin à cette situation et en lui disant
que c'était un miracle, si jusque-là, aucune révolte n'avait éclaté (38).
Pour faire face aux besoins les plus urgents, le prince avait
contracté un gros emprunt auprès du banquier italien Tommaso
Fieschi : le 2:3septembre, il reçut des lettres de change d'une valeur
de 600.000 florins. Cet argent fut immédiatement englouti dans le

(36) Correspondance de Fabio Mattaloni avec Alexandre Farnèse,septembre-octobre


1582 (A. F. N., Carte tamesume, Fiandra, fascio 1633); Libro de las cosas de Flandes,
fo 235; Liber relationum, r- 117vo; STRADA, o. c., t. III pp. 349-350'.
'(37) O. C., p. 621. - Cfr E. GOSSART, Les Espagnols en Flandre, pp, 139 svv.
{S8) Camp de Messines, 16 septembre 1582 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15,
non folioté).

99
gouffre et quelques jours après, Farnèse se lamentait, dans sa corres-
pondance avec son père, qu'après avoir payé tous ses créanciers,
il lui restait encore une dette de 200.000 florins (39).
Les approvisionnements de toute nature vinrent, en conséquence,
à manqueryet il se passait quelquefois des journées entières sans que
les soldatseussent du pain à se mettre sous la dent (40). Et la situa-
tion était la même partout, aussi bien en F'landre qu'en Brabant.
Le prince de Parme avait pris avec lui en Flandre les vétérans
espagnols, dont la valeur lui inspirait pleine confiance ·et qu'il desti-
nait aux entreprises les plus périlleuses, tandis qu'il avait envoyé en
Brabant les troupes italiennes, composées de recrues nouvelles et
moins aguerries (41).
Les Espagnols, quoique endurcis et habitués à souffrir, résistè-
rent difficilement à l'extrême pauvreté où Farnèse dut l'es laisser,
malgré tous ses efforts pour y porter remède. Mieux payés d'habi-
tude que les soldats des autres nations, ils s'accommodaient mal dn
dénuement où ils se trouvaient en ce moment (42).
Quant aux Italiens, ils étaient dans une misère noire. De toutes
les garnisons du Brabant, des plaintes ne cessaient d'affiuer (43). A
Louvain, l 'Université et le magistrat s'émeuvent à tel point des souf-
frances des soldats qu'ils décident de prier le gouverneur général d'y
porter remède sans retard (44). Dans la région de Maëstricht, les
soldats italiens meurent de faim et de froid: un corps de garde entier
se jette des murailles et déserte (45). A Lierre, le maître de camp
Mario Cardoino trace un tableau très sombre des souffrances qu'en-
durent ses hommes (46). D' Aerschot, le capitaine Cavaceio écrit pour
demander son congé, faisant valoir qu'il est sans soldats, ceux-ci
s ',étant tous enfuis pour chercher à se nourrir (47). A Geldorp, les
«3-9) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 152.
'(40) Ibidem.
(41) ïnterrogatotre du <Dr. Pennone, prisonnier des Gantois, cité plus haut; A. VAS-
QUEZ, Los sucesos ..., loc. cit., p, 372,
(42) Farnèse au Roi, Camp de Ninove, 16 novembre 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182,
r- 326); Libro de las cosas de Flandes, fo 236.
(43) Voir pour plus de détails notr-e étude Les Italiens en Flandre au XVI" et au
XVIIe siècle, pp. 12-16.
'(44) Correspondance de Fabio Matt.aloni avec Farnèse, 1582 «A. F. N., Carte farnesiane,
Fiandra, fascie 1664).
(45) GomicouTt à Farnèse, 1582 {A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fasclo 1646).
1(46) Lierre, décembre 1582 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1664).
(47) Aerschot, 8 décembre 1582 (ibidem). Plusieurs lettres du même, traitant le même
sujet, dans A. F. N., loc. cit., fascia 1642,

100
hommes du sergent-major Acerbo sont « nus et sans argent» (48).
De Louvain, Mattaloni signale que ses soldats l"abandonnent et cher-
chent les endroits où ils trouveront de la paille pour dormir. Des
groupes entiers ont quitté la ville sans permission, en disant qu'ils
préfèrent se laisser tuer plutôt que de mourir de faim. D'autres ont
jeté leurs armes dans les fossés et se sont rendus à des cavaliers
ennemis qui rôdaient dans les environs (49). A Weert, la compagnie
de Roberto Guallone est dépourvue de tout; en dehors de la ration
quotidienne, il n'y a pas moyen de se procurer des vivres, malgré la
bonne volonté des habitants (50). A Hal, en l'absence de pain et de
bière, les Allemands se sont révoltés et les Wallons n'ont pas une
« plaque » d'argent (51). A Tirlemont, le capitaine Fraehia voit
arriver dans sa chambre des soldats en fureur, qu'un caporal pié-
montais a ameutés en exploitant leur misère. Laissé sans vivres et
sans un réal, il 'parvient finalement à rétablir Perdre dans la com-
pagnie (52). On n'en finirait pas de relever les cris de détresse qui
se font entendre de toutes parts.
Dans ces conditions, le prince de Parme se trouva dans l'impos-
sibilité de maintenir une des directives principales de sa politique
aux Pays-Bas : il lui était désormais interdit d'ordonner à ses sol-
dats de respecter les biens et les personnes des habitants et de les
empêcher de vivre sur le pays (53).
C',est pour ce motif qu'il avait cantonné ses troupes pendant un
mois dans la châtellenie dYpres : là, on était en pays « ennemi» et
on ne devait pas ressentir trop de scrupules à ravager les campagnes.
Le prince n'y avait dailleurs pas consenti de gaîté de cœur. TI s'en
ouvrit à son père Ottavio, en lui écrivant : « Les soldats en profit-ent
pour prendre leur bien où ils le trouvent et pour se livrer aux pires
désordres. C'est une chose qui m'afflige profondément, mais com-
ment y ,remédier sans argent! » (54)
C'est encore pour loger ses troupes en pays ennemi qu'au début
de novembre le prince se décida à entreprendre le siège de Ninove.

(48) Acerbo à Farnèse, 29 septembre 1582 «A.F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 75).
1(49) Louvain, 13 septembre 15~2 (A. F. N., Carte farn.esiane, Fiandra, rascto 75).
'(50) Weert, 6 octobre 1582, {A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 75).
{51) Francesco Oonradini à Farnèse, Hal, 15 octobre 1582 (A, F, N" Carte tamesume,
Fiandra, fascio 75).
«52) Lettres du 23 septembre et 29 octobre 1582 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra,
tiascio 75).
'(53) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 152.
(54) Lettre du 30 septembre 1582 (A. F, N., Carte farnesiane, Fiandra, rascio 1640),

101
« Je suis peu aidé par le pays ami, qui est exténuéçêcrivit-il à
à son père, et je dois être très prudent vis-à-vis de mes troupes, car
la révolte couve. J'entraîne donc mes soldats plus loin, pour ne pas
exaspérer les gens par les excès de mes hommes. » (55).
L'entr-eprise fut accompagnée de grosses difficultés. Des pluies
torrentielles et des bourrasques empêchèrent plus d'une fois l'arrivée
des vivandiers ,et l'armée se trouva, pendant plusieurs jour-s, sans
pain. Ce dénuement, joint au froid, qui les faisait beaucoup souf-
frir, vainquit la fidélité proverbiale des Espagnols. Plusieurs aban-
donnèrent leurs drapeaux et s 'enfuirent : même une enseigne entière
déserta et reprit le chemin de l'Italie (56). La misère et les incommo-
dités furent telles, dit l'auteur des Mémoires sur le ma-rquis de
Varembon, que « nul chef qui fusse en l'armée se souvenoit en avoir
veu de semblable ». Un capitaine espagnol donna une chaîne d'or de
200 ducats pour 30 pains noirs, afin de nourrir sa compagnie. L'épi-
sode le plus curieux fut pourtant celui-ci. Don Gonzalo Giron, sergent-
major du terçio de Pedro de Paz, s'était rendu au pavillon de Far-
nèse pour y prendre des ordres et avait laissé 'son cheval à l'exté-
rieur. Lorsqu'il revint, il constata que les soldats de garde devant
la tente avaient tué le cheval, l'avaient dépecé et l'avaient partagé
entre eux pour le manger. Giron, loin de se mettre en colère, demanda
aux soldats qu'on lui réservât sa part. Touché par cette conduite de
l'officier, Farnèse lui fit cadeau d'un de ses propres chevaux (57). Il
resta de cette période de disette un souvenir tellement vivace qu'on
eut dès lors l 'habitude, dans l'armée des F'landres, d'employer
l'expression: la [aim. de Ninove (58).
Malgré toutes ces difficultés, deux pièces d'artillerie de siège
avaient pu être établies le 11 novembre: les autres ne purent arriv-er
à cause du mauvais temps, qui avait transformé les routes en bour-
biers. Le 12, les assiégeants parvinrent à s 'approcher du principal
ravelin de la place. Ce que voyant] les assiégés demandèrent à capi-

:(55) « J'examine s'il n'y aurait pas. moyen de prendr-e Ntnove, pour permettre à mes
troupes de vivre un peu sur Le pays ennemi » écrit-il au Roi, le 24 octobre 1582 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 15, non toltoté) ; Alexandre F-arnèse à son père, Ninove, 41 novem-
bre 1582 ~A. F. N., Carte farnesiane, Fiantf,ra, fascio 1636).
(56) Farnèse à un ministre du Roi, 16 novembre 1582 (B. N. P., rns, espagnol 182,
fo 326); Libro de las cosas de Flanàes, fo 236; STRADA, o. C., t. III, p. 348,
'(57) A. SALCEDO RUIZ, El coronet Cnstôoa; de Mondrag6n, pp. 156-157. - Sur la
« faim de Ninove », A. Vasquez donne beaucoup de détails pittoresques et slgnlûcablre
(Los sucesos ..., pp. 39,2-397).
(58) STRADA, o. C., t. III, p. 348.

102
tuler. Le prince de Parme y consentit et accorda à la garnison, com-
posée de neuf enseignes, ainsi qu'aux habitants, des conditions fort
clémentes. Les officiers purent sortir avec leurs armes et les héré-
tiques qui se trouvaient en ville ne furent l'objet d'aucune mesure de
rigueur (59).
Farnèse envoya ensuite le colonel de Mondragon assiéger le
château de Liedekerke, qui tomba aux premiers coups de canon. Puis,
ce fut le tour de celui de Gaesbeek: la garnison qui l'occupait,
apprenant que Liedekerke s'était rendu, ne tarda pas à suivre cet
exemple (60).

Etant donné la situation malheureuse de son armée, où, comme


on pouvait s 'y attendre} l'infanterie allemande venait de se mutiner
faute de paye (61), Alexandre Farnèse chercha un endroit pouvant
offrir le ravitaillement pour Ises troupes et qui serait en même temps
une place d'armes sûre. Assche semblait convenir très bien pour ce
double but. C'est là que le prince s'établit (62).
A peine y était-il installé que des nouvelles lui p.arvinrent du
sire de La Motte, annonçant que, le 26 novembre, les forces fran-
çaises dont on redoutait depuis trois mois I'invasion, étaient passées
à marée bas-se entre la ville de Gravelines et la mer et qu 'elles
s'étaient acheminées sur Dunkerque. D'après les renseignements
fournis, il semblait y avoir 7.000 Français, presque tous arquebusiers,
3.000 piquiers suisses, 2.000 cavaliers des bandes ci 'ordonnance du
Roi de France. Le maréchal de Biron et le duc de Montpensier
étaient à la tête de cette armée. Le prince de Parme entrevit immé-
diatement le danger qui se précisait : avec l'arrivée de ces secours,
l'armée ennemie pouvait maintenant atteindre, en y comptant les
régiments anglais, écossais et flamands, le chiffre de 22'.000 fantas-
sins et 5.000 cavaliers (63).
'(59) Libro de las cosas de Flandes, r- 236.
'(60) Ibidem; Farnèse à un ministre du Roi, Camp d'Assene, 12 décembre 1582 (B. N. P.,
ms. espagnol 182, fo 327); Farnèse à son père Ottavio, Camp d'Assene, 12 décembre 1582
(A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1636).
(61) Farnèse à un ministre du Roi, Camp de Ninove, 16 novembre 1582 (B. N. P., rns.
espagnol 182, r- 326).
'(62) Farnèse à son père, Camp d'Assche, 12 décembre 1582; Farnèse à un ministre
du Roi, même lieu, même date (H. N. P., ms. espagnol 182, fo 3·27ro); lIfémoi7'es sur le
marquis de Varembon, p. 28.
(63) Farnèse au Roi, Assche, 6 décembre 15'82 (A. G. R., Copies die Simancas, vol. 15,
non folioté); Farnèse à un mlnlstre du Roi, Assene, 12 décembre 1582 (Loc. cit.); Libro
de las cosas de Fiomâes, fo 326.

103
Farnèse décida de ne pas quitter la position avantageuse
dAssche : la saison était trop avancée pour que l'on pût tenter
une entreprise quelque peu importante. « Comme je dispose ici de
fourrage, écrivit-il à son père, et que cette place d'armes est assez
favorable, je ne veux pas perdre ces avantages et j'attendrai ici
les événements» (64).
'Comme le. manque de vivres continuait à se faire sentir (6'5), et
que le mauvais temps avait fini par provoquer des maladies, le prince
de Parme jugea nécessaire d'envoyer ses troupes en quartier d'hiver.
Dans l'espoir d'assurer à ses soldats l 'hospitalité de l'une ou
l'autre région où les habitants consentiraient à les héberger, Farnèse
convoqua le Conseil d'État, les gouverneurs de province et ceux des
villes fidèles.
Obstinément attachées à la lettre du traité d'Arras et aux condi-
tions posées pour le retour des soldats étrangers en 1582, qui n'auto-
risaient pas ces soldats là tenir garnison dans les villes, ces autorités
firent entendre qu'il ne. pouvait être question de loger l 'armée dans
les places des provinces réconciliées. Elles ne laissaient même pas
l'espoir détablir les camps dans le voisinage de ces villes, en faisant
valoir la disette dont on souffrait partout en ce moment. En tous
cas, affirmèrent-elles, une autorisation de ce genre ne pouvait se
donner sans une consultation ou une réunion des États (66).
Le prince logea alors ses troupes dans des baraquements, le
mieux qu'il put, sur les terres d'Église et sur les domaines apparte-
nant au Roi (67), entre Tournai et Lille. Les Espagnols occupèrent
la région vers Merville et Armentières; le reste de l'armée, composé
de Bourguignons, de Wallons, d 'Allemands, d 'Anglais et d'Écossais,
fut envoyé dans la région de Cassel (68).

{64) Lettre du 12 décembre 1582, citée ci-dessus. - Même contenu dans sa lettre au
Roi, du 6 décembre 1582, citée ci-dessus. - A. Vasquez dit à ce propos: « Dio orden
ALexandre que Isus soldades] arruinassen y destruyesen las campaüas de Bruselas y
Terramunda, que estahan por los reb eld'es, y se aproveohassen dellas •••» {Los sucesos.c,
loc. cit., p. 380).
(6;) « Tout ce camp fut quasi dissipé à fauLe de vivres, et par l'incommodité, froidure
et malice du temps, Je parlay à divers capltalnes de ma cognoissance ; l'un se plaignoit
u'avolr que douze, l'autre que dix, l'autre nuls soldats: je vis des Allemans chercher parrny
les champs des petits naveaux, pour passer leur extrême, famine ». PIERRE COLINS, O. C.,
p. 624.
(66) Farnèse à un ministr.edu Roi, Tournai, 15 janvier 1;)83 ~B. N. P., IDS. espagnol
182, fo 328ro).
1(67) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 217.
(68) A., VASQUEZ, Los sucesos,,,, loc, ctt., pp, 397 et 399; lIfémoi1'es sur le marquis de
Varembon, pp, 28 svv, ,

104
En fais-ant connaître ces décisions à un ministre du Roi, au début
de 1583, le prince de Parme ajouta ces paroles significatives- : « Cette
armée se trouve dans une situation au plus haut point lamentable. Si,
s-ans tarder, Sa Majesté n'y remédie pas par l'envoi d'infanterie
espagnole, de cavalerie légère, et d'une bonne provision d'argent, je
ne sais comment je ferai face à la situation» (69).
Les belles troupes qui étai-ent arrivées .au mois d'août av-aient
fondu par la faim, le froid, les maladies et la misère. C'est C'e qui
explique que les espoirs que le prince avait nourris à leur arrivée ne
se réalisèrent point.
En dehors de la pris-e de Ninove, rien de bien considérable
n'avait été obtenu: la tentative de destruction des forces d'Alençon
près de Gand avait échoué eUe prince n'avait pu s'opposer à l'entrée
des troupes françaises du maréchal de Biron (70).

(69) Lettre de Tournai, 15 janvier 1583, citée el-dessus.


(70) A. VAS'QUEZ, Los sucesos .._, loo, oit"p. 399.

105
CHAPITRE VII.

ALEXANDRE FARNÈSE ET LA DÉBACLE


DU DUC D'ANJOU

Au moment où l'e prince de Parme fut averti de l'entrée en


Flandre des troupes françaises commandées par le maréchal de
Biron, il ne soupçonnait pas quelle était la destination réelle de cette
armée.
Catherine de Médicis, voulant tirer le duc d'Anjou de la situation
inférieure et de la réelle impuissance où il était tombé aux Pays-Bas,
conçut le hardi projet de faire occuper par son fils quelques vines
importantes de ce pays. Il fallait, pour exécuter ce plan, l'appui
d'une armée. Henri III, sollicité par sa mère d'aider Anjou, tergi-
versa comme toujours et finit par laisser à Catherine le champ
libre pour réaliser son dessein. L'argent nécessaire fut recueilli et
bientôt des levées furent faites en France : les forces ainsi réunies
furent placées sous le commandement de Biron.
Ce sont ces troupes dont Farnèse apprit le passage à Grave-
lines et à Dunkerque (1). Bientôt, on signale leur présence dans le
pays de Waes (2) et les voici qui apparaissent sur la rive gauche de
l'Escaut, en face d'Anv·ers. Le magistrat d'Anvers reçut l.'ordre de
préparer des pontons pour faciliter le passage des hommes et des
chevaux et de fournir le logement nécessaire aux environs immédiats
de la ville, à Borgerhout (3). Vers le 10 janvier, les soldats du maré-

(1) KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 342..a67; P.-J. 'BLOK, Willem de Berste,
t. II, pp. 1'78-179.
{2) ANT.CARNERO, HistorUl des las guerras civiles, p. 175.
{3) KERVYN DE LETTENHOVE;, O. c., t. VI, p. 360.

106
chal de Biron occupèrent le camp qui avait été établi dans cette
dernière localité.
C'est alors que le prince français tenta d'exécuter le plan auda-
cieux qu'il avait conçu. Le même jour, si possible, un complot devait
éclater dans toutes les villes des Pays-Bas où se trouvaient des gar-
ni'SOIl!Sfrançaises: en même t-emps, Alençon lui-même s-e chargerait
de s-e rendre maître d'Anvers. C'est le 17 janvier 1583 qu'eut lieu
cette dernière tentative, connue sous le nom de Furie française. On
sait comment elle échoua (4).
Le complot réussit cependant en ce qui concerne les villes de
Termonde, de Dunkerque et de Dixmude (5), où des troupes fran-
çaises parvinrent à s 'introduire de force.
Le lamentable échec d'Anvers changea complètement la situation
politique et militaire en faveur d'Alexandre Farnèse. Celui-ci se ren-
dit immédiatement compte à quel grand danger la cause royale venait
d'échapper. Ecrivant au cardinal de Granvelle pour lui signaler avec
anxiété qu'il attendait les 400.000 écus promis par le Roi, il lui dit :
« Si le coup de main d'Alençon sur Anvers avait réussi, vous pouvez
bien vous imaginer quelle aurait été ici ma 'situation, avec une armée
si faible et sans argent. Je vous laisse deviner aussi quelle aurait
été l'attitude du Roi de France. A Madrid, on devrait se rappeler tout
cela et ne pas tenter la divine Majesté en présumant qu'elle ait tou-
jours à faire des miracles» (6).
Cependant, le prince de Parme profita immédiatement de ces cir-
constances si favorables pour essayer d'en tirer tout le fruit possible.
Il se dit que peut-être, après la trahison d'Alençon, qui avait mis
le prince d'Orange en fâcheuse posture, il y aurait moyen d'amorcer
des négociations avec les Éta:ts Généraux ou avec certaines villes
importantes pour les amener à se réconcilier avec le Roi. Il convoqua
le Conseil d'État, le Conseil de guerre, le Conseiâ privé, les gouver-
neurs des provinces et des principales villes des régions obéissantes
et leur exposa ses vues sur la situation. Trois moyens s'offraient,
(4) Voir sur la Furie française, les avvisi de corogne et d'Anvers, datés du 18 et du
19 janvier 1583 publiés dans Correspondance de Granvelle, t. X, pp. 24 svv.; MO'ITLEY, O. C.,
t VI, pp, 166-174; KERVYN DE LETl'ENHOVE, O. C., t. YI, pp. 365-369,
(5) STRADA, o. c., t. III, p. 364; KERVYN DE LETTENHOVE, O. C" t, VI, p, 369.
(6) Lettre du 25 janvier 1583 (A. F. N., Carte famBsiane, Fiandra, fasclo 1647). -
Voici une anecdote caractéristique racontée par Pierre de Colins, (o. C., pp. 624-625) :
" Nous ne fumes pas huict jours retournez à Tourna!... que voici arriver les nouvelëes de
l'attentat que lie duc d'Alençonavoit tailly sur la ville d'Anvers: jamais n'ay veu telle
restoujssance, les principaux seigneurs allaient chantans parmy la vine. Ce n'estolt point
sans cause, car l'on voioit lie redressement soudain du mauvais estat des affaires ».

107
d'après lui, de tirer parti de la faute de son adversaire : l'emploi
de la force, des nêgociations de paix avec les États Généraux, des
négociations particulières avec le duc d'Anjou tendant à se faire
remettre les villes que le prince français avait en son pouvoir (7).
Il' apparut immédiatement que le premier moyen} la force, était
absolument impraticable. Les troupes dont disposait Alexandre Far-
nèse étaient trop peu nombreuses pour y songer. Le second moyen:
la négociation avec les États,semblait difficile à l'extrême, mais on
fut d'avis qu'il ne devait pas être rejeté à priori. Ce qui laissait peu
d'espoir sur ce point, d'après le prince de Parme, c'était la présence
du Taciturne et la question religieuse, deux obstacles presque insur-
montables. Quant à essayer de nouer des rapports avec le duc d'An-
jou, ce moyen ne semblait pas si chimérique, car on se rendait compte
que le prince français devait se trouver à présent dans une situa-
tion peu enviable. De plus, des négociations avec Anjou pourraient
conduire un jour à des négociations avec les États Généraux.
Après plusieurs échanges de vues, tout le monde fut d'accord
pour tenter immédiatement d'entrer en rapport avec Ies États
Généraux et avec les villes principales qui leur étaient fidèles. Le
prince de Parme écrivit donc de-s lettres aux États et à ces villes,
pour les engager à rentrer dans le devoir. En même, temps que ces
missives étaient expédiées par la voie de Cologne, Farnèse fit partir
un certain nombre de personnages catholiques, en qui il pouvait
avoir confiance, mais qui n'étaient pas connus des « rebelles »,
pour 's'introduire dans les milieux des États et y travailler les esprits
dans le 'sens désiré par lui. Toutefois, l'emploi de ce moyen fut limité
par l'exiguité des moyens financiers dont Farnèse disposait. Il savait
très bien que ces agents secrets devaient être pourvus de quelque
bonne somme, qui leur permettrait d'acheter l'adversaire, L'expé-
rience de 1579 lui avait montré toute J'efficacité de cette méthode.
En outre, les gouverneurs des villes réconciliées qui se trou-
vaient les plus proches des villes rebelles essaieraient d'entrer en
rapport avec les personnages du parti adverse qu'ils connaissaient.
C'est an si que le marquis de Richebourg, le baron de Montigny et le
sire de Rassenghien partirent pour la ville de Hal et, de là, adres-
sèrent une lettre personnelle aux députés des provinces rebelles,

'(7) Cambrai, Dunkerque, Ber.gues-St-Winoc, Dixmude, 'Permonde, Berg-op-Zoom,


Herenthals, Diest, Vilvorde et Eindhoven,

108
s 'offrant de jouer le rôle de médiateur entre eux -et Alexandre Far-
nèse pour aboutir à une réconciliation générale (8).
Tout en ne négligeant rien pour exécuter ce plan, le prince de
Parme ne se trompait point sur sa valeur pratique. « A vrai dire"
écrivait-il à Philippe II, je n'attends pas grand fruit de cette négo-
ciation, paree qu 'Orange est encore bien vivant et que chaque, jour
il gagne du crédit, à cause de cette maladresse des Français : le
peuple, en effet, se rend compte quil' ignorait le complot du duc
d' Anjou et qu'il est le défenseur des libertés publiques. De plus, les
gouverneurs des vines principales, Tescapitaines et les magistrats de
son parti sont hérétiques et dévoués corps et âme à sa cause. » (9)

* '"','*'

Farnèse avait eu une vision très claire des événements. En effet,


après la Furie [romçaise, l'attitude du duc d'Anjou rendit plus
difficile encore laqiolitique que Je Taciturne entendait malgré tout
continuer (10) Au lieu' d'avouer son dessein, le duc avait payé
d'audace. Il avait prétendu que lui et ses soldats avaient été provo-
qués. TI offrit de « tout oublier », de s'employer au bien commun et
de rechercher avec les États le moyen de réparer « le malheur» qui
venait d"arriver. Il recommanda qu'aucun tort ne fût fait à ses sol-
dats, parce que, sinon, « d'autres en pâtiraient» (11).
Oette effronterie de la part d'un homme qui venait de trahir à
ia foiacelui qui l'avait fait nommer souverain d'es Pays-Bas et le
peuple qui l 'avait reçu partout dans les villes avec des démonstra-
tions d'allégresse, faillit le brouiller avec les États Généraux. Mais
le prince d 'Orange veillait. Après s'être rendu compte que ni des
princes protestants d'Allemagne, ni de l'Empereur (12), ni de la

'(8) Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 25 janvier 1583 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 1·5, non folioté); Alexandre Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 1e r février 1583
(B. N.P., ms. espagnol 182, r- 330 VO
); STRADA,o. C" t, III, pp. 366-367.
(9) Lettre citée du 25 janvier 1583.
(tü) Sur la confusion qui régnait dans les esprits après l'échec de la « Furie f'hoan-
çalse .~, voir l'intéressant exposé de la préface des Catenâars of State Papen, Foreign,
1583 and addenda, pp. VIII svv.
-(11) Anjou au prince d'Orange, Camp de Berehem, 17 janvier 1583 (GACHARD,Corres-
pondance de Guillaume le Taciturne, t. V, pp. 78-79); Cfr KERVYN DE LETTENHOVE, Les
lluguenots et les Gueux, t, VI.
'(12) A ce suj-et, il est intéressant die lire I'artrcle de R. RE'UTER, Franz von Alençon
(Anjou) und der Augsburger Reichstag von 1582, dans le Zeitschrift des Historischen
Vereins tür Schwaben und Neuburg, t. XL, 1914, pp. 46-76. La comespondanoe échangée,
au mois d'août 1582, entre les députés à la Diète d'Augsbourg et l'empereur Rodolphe II

109.
reine Élisabeth dAngleterre ne viendreient les secours efficaces,
sans lesquels l 'œuvre qui était le rêve de sa vie était condamnée à
périr, le Taciturne s'était tourné du côté d'Anjou et des Français,
non par francophilie, mais parce que c'était le seul côté d'où un
appui sérieux pouvait être attendu.
Malgré J'opposition de son frère Jean de Nassau, malgré le fou-
gueux Beuterick, qui dominait à Gand la fraction calviniste, malgré
l'aversion naturelle que les habitants des Pays-Bas éprouvaient à
l'endroit des Français, le prince d 'Orange avait tenu bon. Même après
la trahison d'Anvers, il estimait qu'il fallait continuer à reconnaître
Anjou comme souverain: on s'était engagé dans cette voie et il
fallait, de toute nécessité, y persévérer (13).
Fort perplexes quant à la conduite à suivre, les États de l'Union
d'Utrecht eurent recours au Taciturne pour lui demander d'exposer
publiquement son opinion. 0 'esta~ors que Guillaume de Nassau,
quoique à regret, rédigea le, mémoire que, avec raison, Mottley a
appelé « un de ses papiers d'État res plus admirables » (14). En
effet, à côté d'une franchise presque brutale, qui lui est inspirée par
la gravité des événements, le. prince y parle avec une parfaite con-
naissance des hommes et des choses et y fait, plus que jamais, montre
de cette dialectique impitoyable, devant laquelle l'adversaire devait
toujours s'avouer vaincu.
Dans ce mémoire (15), le prince s'élevait, non sans amertume,
contre les calomnies qui avaient circulé à son sujet après la Furie
française, tout comme on l'avait méchamment attaqué après ra prise
de Maestricht, et comme on l'avait presque insulté à Gand après la
prise de Tournai. Il se déclarait prêt, quoique ses ennemis pussent
dire. à exposer franchement son point de vue en ces circonstances
critiques.

montre que la Diète désirait qu'on ne s'occupât point dies affaires des Pays-Bas et qu'elle
prônait une politique de non-Intervention (Borne, Institut 'hIstorique prussien, Carte Minuc-
ciane, t. IX, ro. 142-157).
1(13) Sur tout ceci, voir A. A. VANSCHEWEN, Walem vœn OMnje, pp. 271-276; LE M~ME
Prins Willem en net verweer tegen Parma, dans Wilhelmus van Nassouwe, pp. 167-168;
JAPIKSE, Prins Willem en de Generale Unie, ibidem, pp. 55 f'JVV,
t14) La révolution des Pays-Bas au XVI' siècle, t. VI, p. 184.
"(15) Nous employons ici le texte complet qui est conservé, en traduction italienne, aux
Archives de l'Etat à Plorence (Archivio Mediceo, filza 4255: Avvisi di Fiandra dell' anno
1580 al 1599, fO. 125-i33); toutefois" le titre de la pièce oontlent une erreur, Il attribue
Cie mémoire à Maurice de Nassau: Discorso 'tti Mœurizio oua città dé Anversa Intorno agli
affaride' Paesï Bas si,

110
~.Rappelez-vous bien, disait le prince, combien mûrement nous
avons réfléchi en acceptant Anjou comme notre souverain et com-
ment tous, sans exception, nous avons été convaincus qu'il n 'y avait
personne d'autre pour nous défendre. On est très mal venu de
m'imputer en ce moment, à moi seul, les responsabilités de ce qui
est arrivé lors de l'attentat d 'Anvers.
» Je ne veux pas nier que le duc ait manqué en ceci à son devoir
et au contrat qui avait été conclu entre lui et nous. Mais, en y réflé-
chissant bien, pouvez-vous nier les avantages que son appui nous a
procurés? Pendant trois ans, il' nous a permis de continuer à nous
défendre, pendant que les deux puissantes .armées que l'Espagnol
avait réunies contre vous ont fondu comme la neige au soleil. »
Passant ensuite à l'examen de la situation du moment, le Taci-
turne déclarait qu'il ne voyait que trois attitudes possibles: se
réconcilier avec les Espagnols, se réconcilier avec Anjou, ou employer
la force armée dont on disposait. Il déclarait sans ambages et
avec force qu'il fallait immédiatement rejeter la première hypo-
thèse. Il mettait ses auditeurs en garde contre les manœuvres du
prince de Parme, en dénonçant comme niais ceux qui semblaient vou-
loir prendre au sérieux les lettres écrites de Hal par Richebourg,
Montigny et Rassenghien. Il accusait le prince de Parme de ne pas
avoir respecté les stipulations du traité d'Arras en faisant revenir les
troupes espagnoles et italiennes. Il appelait encore Il'attention sur le
fait que, si on traitait avec Farnèse, on fournirait au duc d'Anjou
un excellent moyen de justifier sa trahison aux yeux du Roi de
France, de la reine d'Angleterre et des autres princes d'Europe et
de rendre ainsi odieuse la cause des rebelles des Pays-Bas.
« Traiter avec les Malcontents, continuait le prince, c'est traiter,
en réalité, avec les Espagnols! » Il mettait ensuite en garde contre
eux-mêmes ceux qui parlaient de traiter directement avec les Espa-
gnols, soit par suite de la méfiance engendrée par l'a trahison
d'Anjou, soit pour obtenir la liberté du commerce, soit pour d'autres
raisons encore. «Je suis d'avis, affirmait-il, que d'aucune manière on
ne traite avec les Espagnolaet je ne puis vous cacher que j'aurais
trouvé beaucoup mieux que vous eussiez refusé de prendre connais-
sance des lettres qu'ils vous ont adressées. »
Il faut se réconcilier avec le duc d'Anjou, disait le prince. Sinon,
lorsqu'il sera parti et qu'il nous aura abandonnés, d'où nous viendra
le secours' De plus, les passages qu'il tenait avec son armée seraient

U!
immédiatement ouverts aux ennemis et ils s'en prévaudraient de
suite pour se ravitaiHeren hommes et en vivres. Or, pendant le peu
de temps que la voie de France leur a été fermée, que n 'ont pas
souffer-t les troupes du prince de Parme 1 Son armée si formidable
a fondu comme de la cire.
« D'autr,e part, observait le prince, pourrions-nous, avec les
seules forces dont nous disposons, continuer la guerre, non seulement
offensive, mais même défensive 1 Vous vous en rendrez immédiate-
ment compte si je vous dis que déjà les Gantois nous ont écrit qu'ils
ne peuvent satisfaire aux demandes de la garnison d'Alost et qu'il
leur faut l'aide des autres provinces. Ainsi, Messieurs, vous pouvez
comprendre et vous imaginer en quel état se trouvent nos affaires,
car il n'est pas besoin de nous tromper nous-mêmes l »
TI y avait encore d'autres raisons de ne pas rompre avec
.Alençon : comment rentrer jamais en possession de 'I'ermonde, de
Dunkerque, de Dixmude et de Vilvorde sans un accord avec le duc 1
Le prince dOrange rencontrait ensuite les objections de ceux
qui critiquaient l'alliance avec un prince catholique, et affirmaient
qu'une telle alliance n'était pas permise. « Je, vous confesse, rêtor-
quait le prince, que je ne suis pas assez grand théologien pnur
approfondir ces questions, mais je constats que toutes les églises
de la Chrétienté n'y trouvent aucune difficulté. »
Examinant ensuite la 'troisième hypothèse : se défendre par les
armes, sans l'appui de quiconque, le Taciturne démontrait qu'.onne
pouvait y songer, Le pays ne peut fournir assez de soldats nationaux,
disait-il, le recrutement de soldats vétrangers soulève de grosses
difficultés, les moyens financiers dont on dispose ne s'Ont pas
suffisants.
Résumant son argumentation, le prince rejetait le premier des
moyens proposés. 'I'outa réconciliation avec Philippe II était impos-
sible. Personnellement, il préférait de Ioin le tr.ois:ième moyen. TI
avait toujours espéré maintenir l'indépendance de la patrie avec les
seules ressources du pays et l'assistance, du Tout-Puissant. Mais, à
sa grande douleur, il était obligé davouer que l'esprit détrcit. parti-
cularisme affiché par les diverses provinces, leur tendance générale
vers la désunion et leurs disputes continuelles rendaient ce troisième
moyen tout aussi impraticable. TI ne restait donc que le second,
Impressionnés par cette argumentation irréfutable, sollicités
aussi par la Reine Élisabeth d'Angleterre qui réclamait la réconcilia-
tion aveeAnjou, travaillés par I'ambassadenr Bellièvre; que Oathe-
rinede Médecis se hâta d'envoyer aux Pays-Bas, les États Généraux
finirent par reprendre le contact avec le prince français (16).
. Les efforts faits par Alexandre Farnèse pour les entraîner à
négocier avec lui n 'eurent donc pas de suite (17).
Comme il ressort clairement des représentations du Taciturne
analyeéesei-deesus, les lettres que Farnèse avait adressées à ses
adversaires avaient cependant,uninstant, jeté le désarroi (18). Mais
les partisans d'une entente finirent par suivre les conseils d'Orange
ou furent réduits au silence par la majorité;
Un incident burlesque suivit même l'effort fait par lesIieute-
nants de Farnèse auprès du magistrat de Bruxelles. Au début de
février, Montigny, le marquis de Richebourg et le sire de Rassen-
ghien, conformément à ce qui avait été convenu, se rendirent à Hal
et de là envoyèrent au magistratde Bruxelles, par l'intermédiaire
d'un trompette de l'armée espagnole, une lettre pour engager le,s
Bruxellois à se réconcilier avec le Roi. Après deux jours de réflexion
et de consultations, le magistrat envoya à Hal une grande .et belle
lettre close, scellée du sceau de la ville à l'image de Saint Michel, et
adressée à « Messeigneurs le marquis de Roubais, de Renty,et comte
d 'Isenghien ».Lorsque, en grande hâte, ces seigneurs l'eurent
ouverte, ils n'y trouvèrent qu'une grande feuille de papier vblanc.
Plus tard, lorsque Farnèse prit Bruxelles, les auteurs de cette plai-
santeris furent suspendus de leur office.
Si Farnèse, habitué à ne rien laisser au hasard.iavait prévu
que les offres faites aux États n'auraient point de résultats, il avait
cependant pris ses :précautions pour le : cas où ses . adversaires
eussent été prêts à négocier. En prévision de cette éventualité; il
avait demandé au Roi des' instructions précises, Ne désirant pas
recommencer l'expérience néfaste de 1579; i'l avait demandé instam-
ment au Roi de lui faire connaître Boa volonté 'au sujet d'une demande
possible des États de faire partir de nouveau les troupes' espagnoles:
et italiennes. Farnèse avertit le souverain que, si l 'on cédait sur ce

(16) KERVYNDE LETTENHÛ'VE, O. C., t. VI, pop. 392-398, - Lettre de Guido Lolgl au ear-
dinalFarnèse, Paris, 7 février H}83 CA. F. N., Carte farnesiane, Francia, fascie 186).
'(17) Lettre de Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 1er révrler 1583, citée plus haut.
(18) Don Bernardino die Mendoza au Roi, Londres, 17 mars 1583, dans Documentes
inédit os para là Historia de Espaiia, t. XCII, p. 478.

Ha
point, il n 'y aurait plus de sécurité et que l 'œuvre édifiée depuis le
traité d 'Arras menacerait de s'écrouler (19).
Au point de vue des concessions en matière de religion, il con-
sulta probablement Ie cardinal de Granvelle. Nous possédons, en
effet, une. lettre de celui-ci, adressée au prince de Parme : le cardinal
estimait qu'il était êvidemment impossible d'admettre deux religions
l'une àcôté de l'autre, mais qu'on pourrait 'agir avec dextérité et
souplesse, de façon à ne tolérer en fait que l'exercice de la seule
religion catholique, tout en ne se montrant pas trop intraitable sur le
principe. « L'emploi de bons prédicateurs, 'ajoutait Granvelle, pour-
voirait il, beaucoup de choses. » (20).
Cependant, si le prince de Parme n'écartait pas à priori la
possibilité de négociations avec les États; siçen même temps, il tenait
son armée prête pour frapper quelque coup et aussi pour appuyer
les manœuvres politiques - il se rappelait combien la prise de
Maëstricht avait activé la réconciliation des Wallons ---J il est cer-
tain qu'il attachait surtout de l'importance à la troisième hypothèse
qui avait été mise en avant: la conclusion dun 'accord avec Anjou.
C'est à ce moyen-là qu'allaient incontestablement ses préférences
personnelles.
« Le duc ne restera plus longtemps aux Pays-Bas, écrit-il à
Philippe II, car les gens se méfient de lui et les conditions derécon-
ciliation qu'on lui offre sont dures. J'ai écrit ·à .Iean-Baptistc de
Tassis pour que celui-ci fasse comprendre au duc qu'il vaudrait
mieux pour lui de nous rendre à nous les villes qu'il occupe aux
Pays-Bas. Il y viendra peut-être par suite de la grande nécessité
où il se trouve.
:. Or, voici qu'un courrier est arrivé pour me demander d'envoyer
quelqu'un à Termonde afin de négocier. C'est A'izjou lui-même qui doit
avoir inspiré cette démarche. J'envoie le sergent-major Diego de
Acosta. Les Français possèdent Cambrai, Dunkerque, Bergues-Saint-
Winoc, Dixmude, Termonde, Berg-op-Zoom, Herenthals, Diest, Vil-
vorde, Eindhoven. Ils garderont certainement Cambrai et Dun-
kerque, mais ils céderaient peut-être le reste. J 'y verrais un moyen
pour amorcer des négociations de paix générale. 'Turenne et La
Noue (21) pourraient nous aider à amener le duc à nous remettre
'(19) Lettre de Tournal, 25 janvier 1583, citée plus haut.
(20) Granvelle à Farnèse, Madrid, 24 février 15<83 '(A. F. N., Carte îarnestane, Fiandra,
rasoto 1647).
(21) Il faut se 'rappeler que ces deux seigneurs français étaient toujours prlsonniers
des Espagmols.
B4
oes places. Dès la nouvelle de l'attentat d'Anvers, j'ai envoyé en
secret dBS émissaires chez eux, afin que ces deux seigneurs s'y
emploient, pour mériter ainsi d'être mis 'en Iibrtê. Je pose comme
condition qu'ils feignent que la suggestion vient de leur côté. » (22)
Cette lettre du prince de Parme est d'une importance capitale
pour résoudre la question des- négociations que le duc d'Anjou
entama 'avec Alexandre Farnèse.
De qui partit l'initiative: de Farnèse ou d'Anjou lui-même? La
lettre du prince de Parme que nous venons de citer ne' laisse aucun
doute à ce sujet (23). Nous sommes dailleurs bien renseignés sur
la manière dont les tractations commencèrent. Pour en comprendre
la portée, il importe de rappeler brièvement ce qui s'était passé après
l'échec de la Furie française.
Apprenant que ses lieutenants avaient réussi à s'emparer de la
ville de Termonde, le prince français avait décidé d'aller s 'y établir,
pour y attendre le développement des événements. Il se porta vers
Pabbaye de Saint-Bernard pour y franchir l'Escaut: il y trouva des
navires de guerre d'Anvers qui avaient l'ordre de lui interdire le-
passage du fleuve. Le Rupel était tout aussi bien gardé. Anjou donna
alors l'ordre à s'es troupes de marcher vers Vilvorde ou vers
Bruxelles, Le 23 janvier, il était à Vilvorde: il y apprit que le gou-
verneur de Bruxelles, van den Tympel, ne l'autorisait pas à se fixer
dans cette dernière ville.
Entretemps, à Anvers, le prince d'Orange, qui poussait les États
Généraux àse réconcilier avec le duc et à entamer de suite les négo-
ciations, vit son action traversée par la fureur populaire. Il voulut se
r-endre lui-même à Vilvorde, mais le peuple s'opposa à son départ.
Le 24 janvier, au Conseil d'Anvers, on lui déclara qu'on ne voulait
pas négocier avec un traître. Bien plus, il dut entendre qu'on
l'appelait lui-même « le perfide introducteur de-s Français » et qu'on
chantait dans les rues:
't Is beter met den ouden vader
Dan met den verrader (24).

(22) Lettre du 25 janvier, oltée,


'(23) Par un de ses agents, Ricci , Anjou proposera, en avril 1583 à l'ambassadeur espa-
gnol à Paris de faire la paix avec le Roi d'Espagne au prix de la oesslon de Cambrai et
des villes qu'il tenait aux Pays-Bas. ('Correspondance de J. B. de Tassls avec Farnèse en
1583, à A. F. N., Carte tamesume, Fiandra, rascio 1643). Cfr RÜBS'AlIf, Johann Baptista von
Ta.xis, PP. 62-63; M. PHILIPPS'ON, Ein lIfinisterium unter Philipp II., pp. 39()"39i,
(24) Mieux vaut s'accorder avec notre ancien père [Philippe III qu'av-ec le traitre
[Anjou]. Cfr A. A. VAN SCHEùVEN, WUlem van Oromie, pp. 276-278,

H5
Dans ces conditions, il était impossible de se mettre ouvertement
en rapport avec le prince français. Toutefois, grâce aux efforts
patients du 'I'aciturne, la colère populaire tomba ,et les députés des
États Généraux purent quitter Anvers pour s'aboucher 'avec Alençon.
Leurs instructions prescrivaient que le duc devait faire partir immé-
diatementtoutes les garnisons étrangères etqu 'il devait restituer
Termonde et Vilvorde.
Elntretemps, le duc avait quitté Vilvorde ,et avait réussi à gagner
'I'ermonde.: Dans cette ville fortifiée, au milieu de ses soldats français,
il espérait pouvoir parler haut et « remettre le tout mieux que
devant ».
Bientôt cependant, il se trouve à Termonde sans vivres : per-
sonne ne veut l'aider, ses soldats meurent de faim. Les Gantois
refusent de traiter avec lui et vont même jusqu'à' détruire les
passages par où il pourrait se rendre en Flandre. Il ne reste plus
comme voie de retraite que le passage par le Hainaut. C'est alors
qu'il se décide à entrer en négociations avec le prince de Parme (25).
. Faut-il voir dans ce geste un acte de désespoir et le duc d'Anjou
voulait-il sincèrement s 'entendre avec les Espagnols ~ Nous croyons
que non. Sachant que le Taciturne, Catherine de Médicis, Élisabeth
d'Angleterr8' travaillaient pour obtenir la' réconciliation avec les
États Généraux, le dU:cn 'avait probablement pas abandonné son
espoir de devenir maître des Pays-Bas. Si les conditions posées par
les États Généraux étaient dures, il pourrait bien 'les amener à des
prétentions moins exorbitantes. :3Iais il fallait, pour y arriver, leur
laisser croire qu'il était prêt à s'entendre avec les Esp.agnols. De
plus,si la situation restait aussi angoissante qu'elle l'était pour lui
en ce moment, il devait, par 'Ces négociations avec Farnèse, tenir
ouverte une voie de. retraite vers la France par le Hainaut.
Voici comment les 'négociations avec le prince de Parme furent
amorcées. Un courrier vint trouver le prince de la part d'lm officier
italien, Mario Birago, colonel d'un régiment. français au service
d'Anjou. Birago offrait ses services, si l'on jugeait qu'il pourrait
être utile à Philippe II : il demandait que, dans ce cas, le prince
de Parme lui dépêchât un homme de confiance, Alexandre Farnèse
savait que Birago n'était pas homme à trahir ou à abandonner 's'On
maître ,et il en conclut que cette démarche avait dû être inspirée par
Anjou lui-même, D'ailIeurs l'attitude du courrier, qui avait été
{25) KERVYN DE LETTENHO~E, o. C., t. VI, pp. 378-398; STMDA, o. C" t. III, pp. 3&'8~369.

116.
soumis à un interrogatoire serré, semblait autoriser la même .inter-
prétation,
Dans ces conditions, Farnèse n'hésita pas. Il renvoya le messager
de Birago à Termonde et le fit accompagner par le sergent-major
espagnol Diego de Acosta, en la prudence duquel il pouvait avoir
pleine confiance. Arrivé à 'I'ermonde, Acosta y apprit par Birago que
le duc d'Alençon était prêt à livrer toutes les places qu'il avait en
son pouvoir aux Pays-Bas, si Farnèse ou le Roi dEspagne lui
remettait en échange Bapaume} Bouchain, Landrecies, le Quesnoy,
Cateau-Cambrésis et d'autres endroits encore. Au cours de cette ren-
contre à Termonde, Acosta avait pu avoir un court entretien avec le
duc d 'Anjou lui-même; de sorte, qu'il était évident que celui-ci ne
désavouait pas les démarches de son subordonné.
Malgré tout l'intérêt de ces renseignements} Farnèse estima que
les propositions du prince français étaient exorbitantes. Il n'y
répondit point, se disant que le duc d'Anjou reprendrait sans doute
les pourparlers,
En effet, bientôt arriva à 'I'ournai, où le prince de Pa:rme rêsidait
alors, un écuyer d'Anjou, le sire de Beauregard, 'avec des offres plus
précises et moins extravagantes : le duc renoncerait à toutes ses
prétentions sur les Pays-Bas; il remettrait Alost, Termonde et Vil-
vorde, mais de son côté, Alexandre Farnèse s'engagerait à assurer
sa retraite en France et à lui remettre 50.000 écus pour les besoins
de son 'armée. Une trêve de deux années 'serait aussi accordée au
duc (26).
Ces conditions-là étaient acceptables pour ,]e prince de Parme. Il
marqua sen accord 'et fit préparer le texte de la convention; celle-ci
fut signée de part et d'autre. Aussitôt, le prince de Parme rassembla
la somme d'argent promise et prépara les quantités de vivres et de
munitions nécessaires dans tous les endroits où l'armée du duc
d'Alençon devait passer dans sa retraite vers les frontières fran~
çaises. Des préparatifs furent faits pour recevoir dignement le duc
et sa cour (27).

. (26) Lettre d'Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 4 avril 1583 (A. G. R., Copies de
Simancas, vol. 15, non folioté); Farnèse à un mlnlstre du Roi, Tournai, 19 mars 1583
(B. N. P., ms. espagnol 182, fo 33fVO); Libro de las cosas de Flandes, fo, 239-'240; Liber
retauonum, fo 126vo; STRADA, o. C., t. III,pp. 36&-370; KER.VYN DE LETTENHOVE, O. c., t. Vf,
pp.398-40Oo; E. GOSSART, O. C., p. 13Oo-13i.
.(27) Liber relatumum, fo 127; F'arnèseau Roi,Tournai,4 avril 1583 «Loc. cit,).

ii7
Toutefois, Farnèse attendit en vain le prince français. Celui-ci
n'avait pu cacher - si tant est qu'il l'eût désiré - au prince
d'Orange ses tractations avec Farnèse. Au moment où Marnix
et les députés des États Généraux se trouvaient à 'I'ermonde pour
négocier un nouvel' accord avec lui, ils virent arriver Diego de Acosta,
qui fut immédiatement introduit auprès du duc et qui resta avec lui
en conférence pendant plus de quatre heures (28).
Devant le danger que révélait cette prise de contact avec les
Espagnols, le prince d'Orange, secondé par Bellièvre, mit tout en
œuvre pour garder l 'appui du prince français. Le 28 mars, un accord
fut conclu à Termonde entre les représentants du Taciturne et Anjou.
Le duc d'Anjou consentait à <B,e retirer à Dunkerque, en attendant
qu'il pût établir sa résidence à Malines, et évacuerait Vilvorde, Ter-
monde, Dixmude et Bergues-Saint-Winoc. Les Français prisonniers
à Anvers seraient relâchés ; les meubles et les papiers du duc, qui
avaient été saisis après la Furie française, seraient rendus, En outre,
on payerait à Anjou une somme de 80.000 florins. La conclusion de
cet accord fut annoncée immédiatement à Henri III de France et à
Élisabeth d'Angleterre (29).

'*' " '*'

Dans ces négociations avec le duc d'Anjou, le prince de Parme


fut trompé par l'astuce de son adversaire. Il est certain qu'il avait
cru à la possibilité d'un accord avec le duc d'Anjou et qu'il avait mis
en œuvre tous les moyens possibles pour y parvenir (30). Mais il
avait en face de lui un homme dénué de scrupules, ambitieux à l'excès,
pour qui la parole donnée n'avait aucune importance.
Il confessa, non sans amertume, son insuccès à Philippe II et lui
fitconnaître en même temps que les essais d'entrer en négociations
avec les rebelles au sujet d'une paix générale n'avaient eu aucun
résultat (31).
Il terminait sa lettre en priant le Roi denvoyer bientôt des ren-
fortsen hommes et en argent, 'afin de pouvoir augmenter la quantité
1(28) Don Bernardino de Mendoza à Phthppe II, Londres, 17 mars 1583, dans Documen-
tos inéditos para ta Historia ~e Espœna, t, XCII, p. 477.
(29) Farnèse au Roi, 4 avril 1583 {'Loc. cU.); Liber retauonum, fo 127; Mbro de las
cosas de Flandes, ro 240; KERVYN DE LETTENHOVE. O. c., t. VI, ,pp. 401-403.
I{SO) Farnèse à un ministre du Roi, Tournal, 19 mars 1583 (B. N. P., ms.espagnol 182,
f., 331VO).
(31) Farnèse au Roi, Tournai, 6 avril 1583 (Loc. cit.); Famèse à un ministre du Roi
'l1ournal, 18 avril 1583 {B. N. P., ms. espagnol 182, ro 332VO). '

118
de munitions nécessaire ainsi que l'artillerie. Dans son esprit, une
offensive de grand style était décidée. Après la. débâcle du duc
d 'Anjou, il pouvait maintenant essayer de détruire l'armée des
rebelles qui se tenait en Brabant, avant d'entreprendre la conquête
de la Flandre.
CHAPITRE VIII.

L'OFFENSIVE DE FARNÈSE EN BRABANT


ET EN FLANDRE

Le 28 mars 1583, le duc d'Alençon quitta Termonde avec 300


cavalierset 500 fantassins et se dirigea en hâte SUT Dunkerque, la
ville que les États Généraux lui avaient provisoirement indiquée
comme résidence. TI fit évacuer Vilvorde par ses troupes, conformé-
ment aux stipulations du traité de 'I'ermonde,
Aussitôt, le prince d'Orange proposa aux États Généraux de ne
pas renvoyer les troupes d'Alençon, comme il avait d'abord été
décidé, mais de les prendre à la solde des États, en offrant le com-
mandement en chef au maréchal de Biron. Les troupes des États
resteraient S011S le commandement du colonel anglais Norris. L'infan-
terie du duc d'A:njou, qui passait ainsi au service des États, comptait
2.500 Suisses et 2.000 arquebusiers français. Gelle des États était
réduite à 3.500 hommes: la cavalerie comprenait 1.200chevaux (1).
Pour Alexandre F'arnèse, la situation se présentait comme suit.
A Dunkerque se trouvait le duc d'Alençon, occupé à traiter avec les
États, et ayant avec lui la petite troupe qui l'avait suivi et qui avait
renforcé la garnison française occupant la ville. D'autre part, les
États, avec l'appoint des soldats du maréchal de Biron, regroupaient
leurs forces dans le but de porter secours à la ville d'Eindhoven, que
Charles de Mansfelt assiégeait par ordre du prince de Parme (2).
Le plan d'Alexandre Farnèse fut aussitôt tracé : il enverrait une
partie de son armée à Dunkerque pour y assiéger le duc d 'Anjou et,

{i) KERVYN DE LETrENHOVE, o. C., t. VI, pp, 405--407.


(2) Libro de las cosas de Plasuies, fo 240.

120
si possible, s'emparer de sa personne; d'autre part, il se porterait
lui-même avec le reste de ses forces dans le Brabant, pour y exter-
miner la nouvelle armée que les États constituaient. Si ces deux
entreprises réussissaient, il n 'y aurait plus guère de risque à entre-
prendre la conquête des villes de Dixmude, Nieuport, Ypres, Menin,
qu'iI méditait depuis longtemps et qu'il désirait couronner par
l'occupation de toute la Flandre (3).
* ::'-::
*
Pendant qu'il se préparait à cette double entreprise et qu'il
était sur le point d'ordonner à ses hommes de quitter les quartiers
d'hiver qu'ils 'avaient occupés jusque-là, Farnèse reçut avis du Roi
d'Espagne qu'on mettait à sa disposition un premier subside de
400.000 écus, qui seraient procurés par l'intermédiaire du duc de
Toscane. Un second subside suivrait, payé par des banquiers de
Gênes et de Milan.
Cette nouvelle réjouit Farnèse, parce qu'eUe lui permettrait de
mieux préparer les opérations militaires qu'il avait décidé d'entre-
prendre (4).
TI envoya Montigny, Mondragon et La Mo.tteavec une partie de
son armée bloquer la ville de Dunkerque,pendant que Charles de
Mansfelt, Pierre-Ernest de Mansfelt et le marquis de Richebourg
s'acheminaient vers la Campine (5). L'armée des États, sous Biron,
s'était avancée dans la direction d'Eindhoven, assiégée par Charles
de Mansfelt, dans le but de contraindre les Espagnols à renoncer à
cette entreprise (6).
Alexandre Farnèse avait donné l'ordre de reprendre Eindhoven
à la demande du magistrat de Bois-le-Duc, qui avait expliqué com-
bien l'occupation de cette place menaçait d'interrompre tout trafic
et de priver de vivres la ville dont il avait la charge (7). C'était le
capitaine français Bonnivet qui défendait Eindhoven: il avait été
averti que le duc d'Anjou, par l'accord conclu avec les États, était
obligé de le secourir et il avait reçu l'ordre de tenir jusqu'à la der-
(3) STRADA, o. C., t. III. pp. 372-373,
(4) Fa:rnèse à un mmtstre du Roi, Tournai, 18 avril 15Ba (B. N. P., ms, espagnol 182,
t- 332VO
).

!(5) STRADA, o. c., t. III, p. 373.


(6) Le duc d'Anjou à des Pruneaux, Termonde, 6 avril 1583 et Dunkerque, 11 avril
1583 {MULLER et DŒGERICK, Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou et
les Pays-Bas, t. V, pp. 18 et 29).
(7) Requête du 8 janvier 158-3, adressée à Marguerite de Parme, {A. F. N., Carte torne-
siane, Fiandra, fascio 1706).

121
mere extrémité (8). Aussi, les efforts de Charles de Mansfelt se
heurtèrent longtemps au courage et à la ténacité des assiégés. Ses
troupes souffraient d'ailleurs de la faim et ne montraient pas toute
l'énergie nécessaire (9). Ou savait, dans le camp espagnol, que la
ville ne disposait pas de beaucoup de vivres, et on s'étonnait de la
résistance, qui se prolongeait au-delà de toute attente (10). C'était
l'espoir de voir arriver le secours promis par Anjou qui soutenait
le courage des assiégés : ils avaient été priés de tenir jusqu'au
22 avril, date à laquelle on estimait que les troupes de Biron pour-
raient apparaître devant la place (11).
Cependant, ces troupes n'avançaient que lentement. Norris et
Biron se disputaient continuellement, les soldats suisses se plai-
gnaient de ne pas être secourus, les mouvements et les déplacements
se faisaient sans ordre (12). Le 23 avril, les assiégés, désespérant de
se voir aidés, demandèrent à capituler. Charles de Mansfelt s'em-
pressa d'agréer cette proposition et accorda des conditions de reddi-
tion très clémentes (13).
Après l'a prise d'Eindhoven, Farnèse donna l'ordre de s 'emparer
de quelques autres places, qu'il ne voulait pas laisser derrière lui au
moment où il allait diriger tous ses efforts contre 'le gros des forces
de l'adversaire.
Celles-ci assiégeaient en ce moment le château de Wouw, près
de Berg-op-Zoom; elles finirent par s'en emparer (14).
Vers le milieu de mai, conformément aux instructions reçues,
Mansfelt arriva devant Diest pour en faire le siège. Le 27 de ce mois,
les déf.enseurs de cette ville se rendirent, en même temps que la gar-
nison du château de Sichem. Le marquis de Richebourg s'empara du

{8) Correspondance d'Herman de Moesyenbrouoq avec Alexandre Farnèse, Cologne,


mars-avril 1583 (A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra, fascio 1646).
'(9) Lettre des capttames du régiment de Verdugo ·à Masi, secrétaire de Farnèse, Elnd-
hoven, 3 février 1583 >(A.F. N" Carte [ornesiame, Funuira, îasclo 1648),
{10) Charles de Mansfelt à Marguerite de Parme, Eindhoven, 3 mars 1583 (A. F, N"
Carte fornesume, Fiandra, fascio Hi38); Le même à la même, même date (Ibidem, rasoïo
1643). Cfr MULLERet DIEGERIGK,o. c., t. V, p. 60, note 1.
(11) Libro de las cosas de Flanâes, fo 240.
(12) MULLER et DIEGERIGK,0, C., t, V, pp. 16-58; voir l'exposé détaillé des disputes
entre Français ët.Angtais dans Caieïuiar of State Pœpers, Foreign, 1583 and addenda, pp. X-XV,
(13) Le duc d'Anjou aux Etats Généraux, Dunkerque, 2ô avril 1583 (MULLE.Ret DIE-
GERICJK,O. C., 1. V, p. 58). - Farnèse regretta la clémence montrée par Mans!elt: il aur:a1t
voulu châtier la garnlson, composée de Français, d'Anglais et d'Ecossais qui avaient servi
contre les Espagnols depuis longtemps (Farnèse au Roi, Namur, le 23 mai 1583, dans
Correspondance de Granvelle, t. X, p. 507),
(14) Libro de las cosas de Flandes, fo 240vo•

122
château de WesterJ:oo, où les Espagnols découvrirent de grandes
quantités de munitions et de' grains, qu'ils employèrent immédiate-
ment à ravitailler Lierre et Breda (15).
Après avoir quitté Namur vers le milieu de mai, le prince de
Parme vint s'établir à Lierre, pour mettre cette ville en état de
défense. EUe constituait, en somme; le pivot des opérations qu'il allait
entreprendre (16). De là, il pouvait observer toute la Campine et il
pouvait se replier sur cette place, si les forces de Xorris et de Biron
étaient trop importantes pour être assaillies avec l'armée dont il
disposait en ce moment.
Pendant son séjour à Lierre, le prince de Parme apprit que le
maréchal de Biron était entré en Brabant dans l'intention de secourir
Diest, mais que, à la nouvelle de la reddition de cette place, il s'était
replié sur Roosendael. Il décida de l'attaquer.
H envoya en reconnaissance un certain nombre de ses soldats
habillés en paysans, sous la conduite du capitaine Van der Delft, qui
connaissait très bien la région où Biron s'était retiré. Ces éclaireurs
revinrent en affirmant que l'ennemi pouvait être facilement assailli
dans l'endroit où il se trouvait : ces renseignements furent confirmés
par le capitaine 't Serclaes, qui avait été retenu prisonnier à Roosen-
dael, et par des soldats que, de son côté, le marquis de Richebourg
avait envoyés de Turnhout pour espionner l'adversaire.
Le prince de Parme marcha avec ses gens vers Hoogstraeten,
où il donna rendez-vous au marquis de Richebourg et à Ia cavalerie.
Le 1,6 juin, toutes les troupes s 'y trouvèrent réunies : on y laissa
sous bonne garde l'artillerie, les bagages et les chariots. Farnèse
avait, en effet, l'intention de diriger ses régiments à marches forcées
vers Roosendael pour y surprendre l'ennemi, et ne désirait pas
s'encombrer d'éléments inutiles. Le prince avait à sa disposition
5.000 fantassins et 1.300 cavaliers. Au départ d 'Hoogstraeten, le
16 juin de grand matin, il disposa son armée en ordre de bataille:
en avant-garde presque toute la cavalerie légère, suivie des lanciers
et des arquebusiers à eheval ; comme corps de bataille, le terçio
espagnol de Pedro de Paz, le régiment allemand de Charles de
1(15) Ibidem, ro240vo-241 ro; Farnèse à un ministre du Roi, Lierre, 14 juin 1583 (B. N. P.,
ms, espagnol 182, fo 342) ; Robert cLeMelun à Farnèse, Westerlcc, 1er juin 1583;· Le même
au même, Westerloo, 6 juin 1583 (Oorrespondanoe de Granvelle, t, X, pp. 518 et 526:
Oonditions de la reddition dans Correspoïtdance de Granvelle, t, X, p. 527; Farnèse à son
père, Lierre, 20 juin 1583 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiamtra. fascio 1(38); Marguerite de
Parme à Ottavio Farnèse, 8 juin 1583 !(A. F. N., carte (arnesiane, Fialndra, fasclo 1(26),
(16) Librode las cosas de Flandes, r- 240vo.

i23
Mansfelt, les deux régiments wallons des sires de Hautepenne et de
Boninghe, et trois compagnies du colonel Verdugo , en arrière-garde,
le régiment du baron de Anholt, le régiment wallon du marquis de
Renty (Montigny) et quatre compagnies de cavalerie.
Pour empêcher que l'ennemi ne s'échappât du côté de Berg-op-
Zoom ou de Lillo, Farnèse ordonna à ses troupes d'appuyer à
gauche, vers l'Escaut. C'était une journée torride. Au cours de leur
avance rapide, les soldats souffrirent beaucoup de la chaleur, surtout
les Espagnols et les Allemands. Les Wallons, plus légers et. plus
alertes, montrèrent le plus de vaillance. Le 17 juin, à midi, on arriva
à Roosendael, pour constater que le maréchal de Biron avait décampé.
A cette occasion, IOnput observer que le service de renseignements
et d'espionnage de I'ennemi était fort bien fait et supérieur à celui
de Farnèse.
Pour découvrir la retraite de son adversaire, le prince de Parme
envoya en reconnaissance deux capitaines darquebusiers, le premier,
accompagné du capitaine 't Serclaes, vers Berg-op-Zoom; le second,
avec le capitaine Vander Delft, dans la direction de Steenbergen,
Ces éclaireurs revinrent bientôt avec la nouvelle que l'ennemi était
retranché du côté de Steenbergen, et que sa position était couverte
par des digues et des mannes. « Steenbergen, dit Strada, était autre-
fois réputée entre les plus célèbres villes du Bra:bant du côté de la
mer, à cause de son port et de sa force :et aujourd'hui encore, elle
garde sa réputation, comme étant environnée de digues au Nord et
au Sud de la ville contre la violence de la mer, car outre les monti-
cules et les collines de sable, qu'elle y jette sans cesse et dont elle
fait, pour ainsi dire, des chaînes et des obstacles à sa furie, on y
voit encore des digues, qui y ont été faites par l'industrie des habi-
tants. On les affermit à l'intérieur par des pieux, des fascines et des
pierres et, pour rompre les coups de la mer, elles sont revêtues à
l'extérieur d'osier et dautres matières semblables ... » (17).
Le prince de Parme prit la résolution de ne pas laisser échapper
l'ennemi. Il accorda à ses soldats', fourbus par la marche et accablés
par la chaleur, un repos d'une heure et demie, pendant lequel il fit
.préparer quantité de pioches, de pelles, de poutres en vue du creuse-
ment de tranchées et de la construction de ponts.

,(17) 0, C., t. III, p. 374, Il s'agit ici, lorsque Strada parle de « la mer », du bras etemer
connu sous le nom de canal de Boosendael, qui s'avance dans les terres et baigne les
murs de Sbeenoergen.

124
PL. VII

PLAN DE LA BA'l'AlLLE DE STEENBEIlGEN

dressé par l'architecte Le Poivre


(Ms. 1~)611 de la Bibliothèque Boyale de Belgique, fo 56.)
Bientôt l'armée se remit en marche et, entre Halsteren et Steen-
bergen, tomba sur l'arrière-garde des forces de Biron, composée des
troupes de Norris, fantassins anglais et écossais de grande valeur.
Le maréchal avait continué ave-c les Français, les Allemands et les
Suisses sa retraite sur Steenbergen.
Les Anglais et les Ecossais, au moment où on les découvrit,
étaient solidement établis sur les digues élevées le long du canal de
Roosendael, dans une position presque inexpugnable. Le canal rendait
tout accès impossible du côté ouest; à l'est ,se trouvait une plaine,
terminée par un marais rempli de roseaux. Les digues étaient si
étroites qu'à peinesixcava'liers auraient pu y passer de front. La
plaine elle-même était bornée par quelques maisons, où des détache-
ments de soldats s'étaient retranchés.
Conformément à sa tactique ordinaire, le prince de Parme envoya
en avant des arquebusiers à cheval et des lanciers pour attirer
l'ennemi et amorcer un combat d'avant-garde en attendant l'arrivée
de l'infanterie espagnole. Pendant que la première escarmouche était
ainsi engagée, le terçio de Pedro de Paz était en-core assez loin du
lieu du combat. En attendant, F'arnèse donna l'ordre au marquis
de Richebourg de faire avancer sa cavalerie sur la gauche, dans la
direction des maisons qui limitaient la plaine, et de s'emparer de
celles-ci pour couper à l'ennemi toute possibilité de retraite s'il était
chassé des digues vers Steenbergen. En approchant de ces maisons,
Oliver a, qui était un soldat. très expérimenté, s'aperçut immédiate-
ment, malgré le silence complet qui y régnait, qu'elles étaient occu-
pées : on pouvait sentir en effet l'odeur des mèches allumées par les
arquebusiers ennemis, prêts à tirer. Aussi, loin de se risquer à subir
des pertes sérieuses, la cavalerie s'arrêta et attendit l'infanterie
espagnole.
Lorsque les soldats de Pedro de Paz apparurent enfin, il était
déjà cinq heures de l'après-midi. Voyant que ces soldats étaient très
fatigués par la mar-che forcée qu'ils venaient de faire, Alexandre
Farnèse sentit la nécessité de ranimer leur courage par une vibrante
allocution.
S'adressant à eux en espagnol, il leur dît : « Soldats et chers
amis, j'ai infiniment pitié de vous à cause de l'effort considérable que
vous avez dû déployer en toute cette journée, en parcourant un si
long chemin par une chaleur torride. Vous avez beauooup souffert,
mais je vous ai fait faire cet effort pour vous conduire à une belle

125
victoire sur les ennemis de la religion catholique, de votre Roi et de
mon Roi. Rappelez-vous les hauts faits que vous avez accomplis en
d'autres circonstances, tout aussi pénibles! Tâchez donc de faire de
même aujourd 'hui et ne dégénérez pas, et remportez cette victoire
qu'ensemble nous désirons. Tenez fermes d'esprit et de corps contre
tous vos ennemis, remportez la gloire convoitée en vous rendant
maîtres de ces quelques misérables digues pour faire naître la vic-
toire. Allez-y de grand cœur, vous disant que c'est maintenant le
jour où Jésus-Christ doit tous vous rendre immortels pour, après,
vous placer au nombre des élus! Efforcez-vous de faire œuvre digne
de votre nation, vous les premiers en discipline, en gloire et en répu-
tation. Je suis prêt à vous suivre partout en personne et à mourir
avec vous, s'il le faut! » (18)
Excitée par ces paroles, l'infanterie espagnole, au cri de San-
tiago! (Saint J'acqnes l) s'élança. Les Anglais et les Ecossais se
défendirent avec acharnement, mais ils furent obligés de céder après
deux heures de résistance farouche. La cavalerie espagnole, profitant
de la marée basse, qui avait rendu l'accès des digues possible du côté
de la mer, était parvenue à tourner l'es positions de l'adversaire et
intervint à son tour. Elle prit les digues dans une charge irrésistible.
Déjà, les soldats de Biron fuyaient de tous côtés, essayant d'atteindre
le port de Steenbergen, où le maréchal français avait fait ancrer un
certain nombre de barques pour l'éventualité d'une retraite.
Le chef des troupes des États était occupe à mettre en lieu sûr
son artillerie, ses munitions et ses bagages, lorsqu'il apprit la
déroute de son arrière-garde. Avec une décision foudroyante, il
résolut de tenter de sauver ce qu'il pouvait. Ralliant autour de lui
quelque 150 gentilshommes français des plus braves et des soldats
d'élite, il se lança au galop contre les Espagnol'8, qui arrivaient à
bride abattue le long des digues.
Les cavaliers de Biron allèrent donner avec tant de fureur
contre les arquebusiers et les lanciers de Don Augustin Mexia et de
Don Carlos de Luna que ceux-ci, sous le choc, firent demi-tour. A cette
vue, quantité de vivandiers et de soldats auxiliaires de Farnèse, déjà
occupés à piller les bagages abandonnés par les Anglais et les Écos-
sais, s'enfuirent de tous côtés en un désordre indescriptible.

'(:18) Ceci n'est pas un discours Imaginaire. Les termes en furent notés par Paolo
Rinaldl, présent à la scène (Liber relationum, fG 129).

t26
'V
r
<
>-<
BNl'i\ILLE DE S'l'EENBEHGEN .-..
>-<

Gravure de R de Hooghe, d'après le capttatnc-Ingénteur Ledesma


(Ms. 16314.-19 de la Blbliothèque Royale de Belgique, fo185.)
Farnèse, qui s'était absenté pour donner des ordres à l'infanterie
et à la cavalerie qu'il tenait en réserve, revint en ce moment et vit le
désastre qui le menaçait.
Il se précipita en avant, l'épée levée, essayant d'arrêter les
fuyards. Personne n'obéit. Il proféra des menaces de mort, il insulta
ses hommes, les traitant de pleutres et de lâches. Rien n'y fit. A côté
de lui, l'entraînant presque avec eux, les cavaliers espagnols, à fond
de train, filaient sans s'arrêter. Le prince de Parme poussa son ohe-
val sur la digue et essaya de retenir au passage tous les hommes qui
arrivaient sur lui, dans leur course folle: il leur cria qu'ils n'étaient
pas dignes de servir dans l'armée du Roi, d'être ses compagnons.
Les nobles de la maison du prince et les officiers qui l'entouraient
joignirent leurs efforts HUX siens et, peu là peu, la panique se fit
moins échevelée. Lecomte Nicolo Cesis, qui avait été avec le prince
de Parme à Lépante, précédait Farnèse avec sa compagnie de lan-
ciers: il avait laissé passer les fuyards parce que rien ne semblait
de nature à pouvoir les arrêter. Le prince de Parme le supplia de se
serrer avec les hommes sur la digue, en un groupe compact pour
interdire tout passage, car la cavalerie française arrivait comme
un ouragan derrière les derniers Espagnols en débandade. « Tu le
vois, cri a-t-il à Cesis, je suis ici, près de toi! Ne crains rien! »
Le comte, se souvenant sans doute de la gbrieuse journée où,
ensemble, ils avaient subi l'assaut des Turcs, reprit possession de
son sang-froid et attendit l'ennemi de pied ferme. Les cavaliers de
Biron, probablement affaiblis par le grand effort qu'ils venaient de
déployer, ne purent rompre l'obstacle que Cesis et Farnèse leur oppo-
sèrent. Ils se replièrent à leur tour.
Aussitôt le prince de Parme passa à l'offensive. En effet, non
seulement les cavaliers de Biron furent repoussés, mais l'infanterie
espagnole de Pedro de Paz acheva la déroute des Anglais et des
Écossais, qu'on poursuivit jusque sous les remparts de Steenbergen.
Il était a1lorshuit heures du soir (19). Le prince de Parme ne savait
quelle était la force des positions que Biron occupait autour de la

(19) Pour le récit de la bataille de Steenbergen, nous nous sommes servi dés docu-
ments suivants: Relaçion de lo sucedido desde los 15 .Tunio 1583 hasta los 19 en el quul
tiempo el Principe de Parma tue a buscar al marichal Viron y al campo d'e los enémigos
a Rosendal y âeepue« a Estenvergh, datée de Lierre, 20 juin 1583 (B. N. P., ms . espagnol
182, fos 334 svv.) : Liber retationum, fOB 127v~-1'32ro; Libro de las cosas de Flandes,
fO' 242vo-243ro; STRA;DA, o. C'" t. III, p'p. 373-378; P. BOR, o. c., s- stuk, fo 369; C, CAM-
PANA, O. c., 2a parte, fOI 45'°.

127
ville; le feu d'artillerie du château de Steenbergen arrêta d'ailleurs
pour le moment tout effort d'aller pius loin.
Les deux armées passèrent ainsi la nuit l'une en face de l'autre,
à une distance d'à peine un tir d'arquebuse.
Lorsque l'aube du 18 juin 'survint, le prince de Parme constata
que les soldats de Biron étaient solidement retranchés. De plus, il
n'avait lui-même plus de vivres pour nourrir son armée. Il donna
l'ordre de rompre le combat et se retira dans la direction de Hoog-
straeten, sans être inquiété.
Les estimations au sujet des pertes subies par les soldats de
Biron varient beaucoup: les unes parlent de 6.500 morts (20), les
autres de 400 (21), d'autres encore de 1.500. C'est ce dernier chiffre
que Farnèse cita dans 'sa correspondance avec le Roi (22). Les Espa-
gnols accusèrent 8 tués et une vingtaine de blessés, ce qui paraît
invraisemblable (23). Ils y perdirent Don Carlos de Meneses, un
capitaine très aimé de ses soldats. Le butin qu'ils firent consista en
28 bannières d'infanterie et 2 étendards de cavalerie (24).
Au cours de l'engagement, Biron, chargeant à la tête de ses
cavaliers tomba de cheval eise brisa la jambe. Il fut transporté
à Berg-Op-Zoom, où il fut suivi par les restes de son armée. Le
prince d'Orange aurait voulu employer <les troupes en Flandre et
les mettre en garnison à L'Ecluse et à Ostende. Les magistrats de
Bruges et du Franc s 'y opposèrent, disant qu'ils emploie riaient
désormais à la solde de leurs troupes flamandes ce que jusqu'id ils
avaient accordé aux troupes françaises (25). Aussi, la situation des
soldats de Biron devint-elle bientôt lamentable : ils se trouvaient
dans le plus complet dénuement et souffraient de la faim.
Un de ces soldats, poète inconnu, nous a laissé de ces temps
malheureux une description typique dans la chanson que voici :
Si j'avois la f açon de sçavoir oaconter,
Et dire à tout le monde la grand nécessité
Qui est en ceste fois Sour nous, paUW181S François!
II Y a enceste arméetant de braves soldats

(20) Liblfir relationum,fo 13·2.


{21) P. BOR, O. C.,loc. clt,
(22) STRADA, o. C., t. III, p. 377; Libro de las cosas de Flandes, fo 243.
{23) Liber relationum, fo 132vo; Libl'O de las cosas de Flandes, fo 243.
{24) Libro de las cosas de FlandeS, 100. cit,
<25) KERVYN DE LE'ITENHOVE, O. C., t. VI, p. 422, note 1; MULLER et DIEGERlCIK, o. C.•
t. V, p. 216. note 1.
Qu'endurent et pâtissent pour Messieurs des Estats,
Ni n'oseront chant-el"leur grand nécessité.
L'un veut vendre ses chausses et l'autre son pourpoint,
L'autl'e son arquebouze, pour un morceau de pain.
Vont chez le vivandier et s'en vont sans payer.
Le vivandier-se fâche' à Monsieur' de Beaupuy,
Lui demandant justice, au prévost et à luy :
'Forment, tu cognois bien que les soldats n'ont rien.
Du temps que nostre prince estoit dedans Anvers,
Nous faisions bonne chère dedans les cabarets,
Nous avions des moyens, mais nous n'avons plus rien.
La chance 'est bien tournée', le temps est bien changé,
Nous n'avons plus de bière, ni de pain à manger.
Mon Dieu! le grand tourment, quand on n'a point d'argent.

Mais si jamais pieux être en France, en ma maison,


Ne Ieray jamais guerre pour ce vilain Cryon,
OombaAroraipour mon Roy, pour Monsieur (26) et sa loy.
Prions tous, je vous prie, le Seigneur tout-puissant"
Qu'i1 nous donne la grâce desortir de Brabant,
Et nous donne la paix, qui dure à 'tous jamais.
Quia fait la chansonneète? C'est un 'brave soldat.
Es1tanten sentinelle près de Bergues sur Jon, (27)
Qui n'en souffrait la faim, et navoit point de pain. (28)

* '* *

Alexandre Farnèse fut loin d'être satisfait du résultat de la


bataille de Steenbergen (29). Comme lors de l'attaque des troupes
d'Anjou à Gand, un an auparavant, il n'avait pas atteint son
'Objectif : la destruction des forces de l'adversaire. Mais cette fois,
ce fut avant tout une question d'amour-propre qui le taquina.
Car les événements subséquents se chargèrent de lui apporter le
dénouement qu'il avait souhaité. Les troupes françaises et suisses de
Biron étaient rendues inoffensive.s par la misère. D'autre part, les
Anglais et les Ecossais des États avaient subi d'es pertes impor-
tantes. De plus, leur chef, Nanis, n'était plus là : déjà avant la

(26) Anjou.
(27) Berg-op-Zoom.
'(28) Publié par VAN VLOTEN, Nederlandsche geschiedzangen, II, pp. 279-280.
(29) Paolo Rinaldi l'affirme nettement dans son Liber relationum, fo 132'"°. En
rendant compte de cet événement dans une lettre à Granvelle, Farnèse m remarquer
que les résultats auraient été tout autres, si la nuit n'était pas survenue (Lettre de Lierre,
20 juin 1583, dans A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra,fasclo 1647).

i29
bataille de Steenbergen, outré de l'attitude de Biron à son égard, il
était retourné en Angleterre (30).
De sorte que, si le prince de Parme n'avait pas détruit ces
belles troupes qui étaient entrées aux Pays-Bas pour se rendre maî-
tresses d' Anvers et de plusieurs villes importantes, il avait du moins
provoqué la désorganisation de l'armée ennemie et l'avait affaiblie
au point de la rendre pour le moment presque inoffensive.
,0 'est donc en toute tranquillité qu'il ramena ses soldats à
Lierre, où il s'établit lui-même {3i). Lie marquis de Riichebourg,
après s'être emparé, au bout de 'trois jours de siège, du château
d'Hoo.gstraeten (3'2), 'conduisit ses soldats entre Hérenthals et
Malines pour leur accorder un peu de repos (33).

Le moment semblait maintenant venu pour Farnèse de commen-


cer la grande offensive dont il avait confié naguère le plan à Phi-
lippe II.
La situation politique et militaire était, de son point de vue,
aussi favorable que possible. L'armée d'es États, après la bataille
de Steenbergen et la dispute entre Biron et Norris, n'existait pour
ainsi dire plus. Le prince de Parme pouvait se considérer comme
maître de la campagne (34).
L'odyssée du duc d'Anjou était en train de se terminer lamen-
tablement. A. Termonde, le duc d'Anjou était tombé malade, à la
suite des honteux excès auxquels il avait l'habitude de se livrer. Le
28 mars, il put entreprendre le voyage vers Dunkerque. En passant
par Bruges, ses gens s 'emparèrent des chevaux qu'ils rencontrèrent
et les emmenèrent avec eux. La nuit, les bourgeois les attaquèrent et
en tuèrent une trentaine. Au début d'avril, le duc arriva à Dixmude
et atteignit finalement Dunkerque. Il avait rendu Vilvorde et Ter-
monde aux États, mais il fallait encore restituer Dixmude et Bergues-
(30) Oalendars of State Papers, Foreign, 1583 and addentla, pp, XX,I-XXII,
(31) Liber relationum, fo 132.
-(32) Robert de Melun à Parnèse, Hoogstraten, 1e 22 juin 1583 (Correspondance de
Granvelle, t, X, pp, 543-544); Capltulatlon del:agarnison dans Correspondance de Gran-
verte, t. X, p. 546.
(33) Liber relationum, fo 132vo; Libro de las cosas de Flandes, fo 243.
(34) « Biron heeft sleh la ten cureren en hem Iaten brengen bij den hertog [Anjou]
binnen Dulnkerken en het leger van die Staten is genoegsaem geheel .geschelden, de sol-
daten lnsterckten en steden geleid, en Pœrma 't veld qetieet ingeruimt, en de sake alleen
op een oorlog derensyv gesteld: aldus Iiepen de saken metten Staten van dage te dage
ln meerder conrusle en.verwerrlnge ... » P. BOR, O. C., 2~ stuk, fo 371,

130
Saint-Winoc. Dixmude fut évacuée par les Français le' 5 avril:
quant à Bergues-Saint-Winoe, la garnison française, invitée par le
duc d 'Anjou à s'en aller et à mettre la ville à la disposition des
États, répondit qu'elle ne bougerait pas aussi longtemps que ceux-ci
ne lui auraient pas payé la solde qui lui était due.
·En vain, le duc attendait-il à Dunkerque l'arrivée des députés
des États Généraux qui devaient mettre sur pied le nouveau traité
que le Taciturne voulait qu'on signât avec lui. Marnix, invité à aller
séjourner à Dunkerque auprès du duc pour entamer cette négocia-
tion, avait refusé (35). Après la Furie française, il :s'était retiré de la
vie politique et était allé se fixer dans ses domaines de Zélande (36).
En réalité, les États Généraux, tiraillés en sens divers, étaient
incapables de trouver une solution (37).
De France, malgré les efforts incessants de Catherine de
Médicis, il ne pouvait plus venir aucun secours. Élisabeth d' Angle-
terre devait se borner à presser les Étate des Pays-Bas d'activer les
négociations promises (38).
Dans la seconde moitié de juin, Anjou perdit finalement
patience. Il adressa une lettre aux États Généraux, où il donna libre
cours à son amertume.
Il y disait qu'il avait attendu, dans une ville menacée par la
peste et où il souffrait de toutes sortes d'incommodités, les effets des
promesses, si souvent répétées, de lui envoyer des députés pour
négocier. Il ne parvenait pas à comprendre quelle pouvait être la
raison de ce grand retard, dans une affaire où les intérêts des États
étaient engagés et qui devait leur tenir à cœur.
A présent, il ne pouvait plus patienter davantage: il devait
quitter Dunkerque et se rendre là Cambrai, où on l'appelait pour la
défense de cette ville (39). C'est là que les États devraient envoyer
'(35) P. 'BOR, O. C., 2" stuk, fo 369.
{36) J. D. M. CORNELISSEN,IIfedewerk-ers van den Prins, dans Prins WiUem van Oran je
1588-1988, p. 253.
1(37) Des avvisi d'Anvers, du 2 avrrl 1583, affi.rment que, du côté des Flamands, des
réformés surtout, on croit que « tous l-es accords avec Alençon ne sont là que pour lui
arracher les villes qu'il a entre les mains pour, après, le faire danser' à notre guise ou
sinon le renvoyer dans son pays, comme Mathias ». Orange proüte ibeaucoup de cette
idée. (Correspondance de lIfoesyenbroucq avec Farnèse, à A. F. N., Corte (arnesiane, Fuuuira,
fasclo 1646).
(38) KERVYNDE LETTENHOYE,O. C., t. VI, pp. 410 ...419; P. BOR, O. c., 2" stuk, fO. 367...370,
(39) A ce moment, l'ambassadeur de Tassis écrivit de Paris à Farnèse que Cambrai
devait être dans une situation critique, car Balagay avait fait demander du secours
(Correspondance de Tassis avec Farnèse en 1583, à A. F. N., Carte (arnesiane, Fiandra,
fascio 1646).

131
les députés qu'il attendait depuis si longtemps. Il espérait d'ailleurs
y rencontrer la reine-mère et de cette entrevue il se promettaitbeau-
coup de bien pour la cause commune (40).
Le jour où il écrivit cette lettre, il quitta Dunkerque. Il savait
que le prince de Parme était sur le point de l'assiéger (41) : un de
ses familiers, Charretier, qu'il avait envoyé auprès d'Élisabeth
d'Angleterre pour implorer son secours, avait été capturé en mer
par les corsaires de Gravelines et livré au sire de IJa Motte, qui
s'empressa d'en avertir le prince de Parme. Tous les papiers de
Charretier étaient tombés entre les mains des Espagnols (42). Enfin,
la nouvelle était parvenue à Dunkerque de la déroute de Biron à
Steenbergen.
Redoutant le pire, Anjou résolut de s'échapper avant que Far-
nèse n'apparût. Il confia la ville à la garde de son lieutenant Chamois
et, en s'embarquant, fit cyniquement ce singulier adieu: « J'ay
laissé mon jeu de paulme en charge à M. de Chamois; s'il ne me le
garde bien, son 'col saura combien son cul poise » (43).
Ge n'est pas à Cambrai que se rendit le duc: il se dirigea en
hâte sur Calais.
Au moment où Anjou disparaissait ainsi de façon ignominieuse,
le prince d'Orange se voyait obligé de quitter Anvers et de se retirer
en Zélande. Sa politique francophile lui avait valu l 'hostilité de
plus en plus accusée du peuple, que l'attitude peu sincère et
ondoyante d'Anjou avait fini par exaspérer. A Anvers, on n'hono-
rait déjà plus le prince comme un sauveur, on se défiait de lui. Un
jour qu'il était sorti de la ville, on l'obligea à y rentrer, parce que
le bruit s'était répandu qu'il voulait se fortifier dans la citadelle.
Quelques jours après, les bourgeois en armes accoururent à cette for-
teresse pour l 'y chercher : c'est à grand 'peine que les colonels de
la ville parvinrent à calmer ces exaltés.
{40) MULLERet DIEGERICK,o. C., t. V. pp. 222-227.
(H) Le service de renseignements ou d'espionnage du prince d'Orange était en effet
bien organisé. Paolo Rinaldi le constate et s'en étonne: « Par' cosa stranissima questa che
gr inimicl habbmo a penetrare i secreti intrinsechi de chuort del duoa Alessandro et deI
suo consigller ;e in ogmte qualunque cosa piccola 6 181I1audeche la sia corne rani, l'una
della dua Ibisogna. ohe sla, 6 <l'hel'Oranges sia negromante 6 che habbe un diavolo seco che
l'obedlsca et ravorlsoa in tutte le sue attion! et gli dlscopre 1lutt' 1 eecr:eti... » (Liber
reiatumum, r- f35).
{42) Sur cet épisode, voir la correspondance échangée entre La Motte et Farnèse dans
MULLER et DIEGERlaK, o. C., t, V, pp. 206~2i4. Charretier fut mis en Iiberté sans rançon
par les Espagnols à condition de servir dorénavant la cause de l'Espagne' près du duo
d'Anjou, Cfr aussi KERVYNDE LETTENHOVE,0, C" t. VI, !l'P. 413-419.
(43) KERVYNDE LE'ITENHOVE,0, C" t. VI, p. 42f, note 3.

f32
Le prince comprit qu'il valait mieux s'en aller. Le 22 juillet, il
quitta Anvers, faisant savoir à la reine d'Angleterre « que les
affaires de pardeça n 'étalent pas en trop 'bon état» {44).
Un catholique inconnu d'Anvers composa à cette occasion cette
chanson satirique, qui, sous la satire même, met en relief tout ce
qu'il y avait de tragique dans ce départ :

Adieu VDUS tdict Ie bon prince d'Orange,


Ville fameuse, et grand peuple d'Anvers!
Adieu vous diet, celuy qu'as pour Iouange,
Septans y a, béni en prose let vers.
Adieu vous dict cestui prince Guillaume,
A qui nul aultre avez paragonné ;

AtdÎ'euvous dict, de Nassau Cie,bon comte,


Qu'aviez choisy pour chief et protecteur;
Adieu vous dict, pOUŒ' quy t'as îaist nul compte
De ton vray Roy et naturel Seigneur

Adieu vous dict, C8!ril prévoit J'approche


D'une saison aultre que du passé,
Adieu vous dict, de peur qu'on lui reproche
Qu'en s'enfuyant de vous il soit chassé,
Adieu vous dict! Ce grand prince, Alexandre
De Parme, trop' luy est victorieux,
Adil8IUvous dict! Il craint enfin l'esclandre
Que de longtemps l'a îaist estre peureux. (45)

Ce départ du prince d'Orange pour Middelbourg et son iaban-


don d'Anvers constituent un événement capital dans sa vie. Pour lui,
c'était l'aveu qu'il estimait perdue sa lutte pour garder le Sud des
Pays-Bas dans la chimérique « généralité» (46).

(44) KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 409-410.


(45) J. VAN VLOTEN, NederW/ft(lsche geschiedzangen, t. II,pp, 281-284.
(46) W. E. VAN DAM VAN ISSELT, De staatsman prins Willem 1. alskrijgsoverste, dans
Prins Willem van Oran je 1538-1933, p. 73. .

133
CHAPITRE IX.

LES DÉBUTS DE LA OONQUÊTE DE LA FLANDRE

Comme nous l'avons dit, pendant qu'il se dirigeait à la recherche


de l'armée des États du côté de Roosendael, Alexandre Farnèse avait
donné ordre à Montigny, Mondragon et La Motte de bloquer Dun-
kerque. Ce Ifut cette opération qui ouvrit la campagne de Flandre.
A la fin de juin, pendant que Farnèse, avec les troupes mobiles
du Brabant, faisait mine de vouloir mettre le siège devant Héren-
thals, une conférence eut lieu, en secret, à l'abbaye de Lobbes, entre
le marquis de Varembon, le colonel de Mondragon et Montigny. Ce
dernier communiqua l'ordre du prince de Parme d'attaquer à l'im-
proviste Dunkerque (1). Dans cette région côtière de la Flandre, à
Dunkerque et à Nieuport, le système d'écluses réglant le flux et le
reflux de la marée aurait permis aux troupes des États ou aux
troupes françaises occupant ces villes d'inonder la région environ-
nante et d'empêcher ainsi l'approche des Espagnols. Il fallait donc
agir vite et en secret (2), pour empêcher que cette manœuvre d'inon-
dation ne pût se fair-e.
Le marquis de Varembon, emmenant son infanterie bourgui-
gnonne du pays de Liége, où elle avait été logée pendant six semaines,
et le colonel de Mondragon, quittant la région d'Armentières avec
27 ens-eignes d'Espagnols s'approchèrent de Dunk-erque du côté de
la Flandre, c'est-à-dire de l'Est. Montigny et La Motte, le premier

(i) lIfémoires sur le marquis de Varembon, pp. 39-40.


(2) « A I'etïect de la prlse [de Dunkerque] servit 'extrêmement lesécret qui y fuit
gardé... Les trouppes de l'armée ne s'apperceurent qu'on ,les tirassa contre Dunkerk jus-
qu'à 00 qu'elles rurent posées à l'entour et qu'on commença de serrer ... » Mémoires cités,
p.49.

134
PL. IX

1=====' L A "1\

DUNKERQmJ AU XVIe SIÈCLE


(Ms, 19611 de la BilJlioLhèque Royale de Belgique, fo 51,)
avec ses troupes wallonnes et des Espagnols pris au terçio de Mon-
dragon, le second avec deux régiments wallons venus de Gravelines,
avaient mission de bloquer la ville du côté de l'Artois, c'est-à-dire
du Sud. Deux cents piquiers allemands venus de Warneton se joi-
gnirent à eux (3).
L'entreprise, à première vue, ne semblait pas facile. Dunkerque
pouvait être défendue par un millier d'hommes; non loin de 'là, à
Bergues-Saint-Winoc, se trouvait toujours la garnison française,
sous le colonel de Villeneuve, forte de 1.200 hommes; les autres
troupes françaises d 'Anjou étaient retranchées entre Dunkerque et
Bergues. Il semblait nécessaire de déloger ces dernières de leurs
positions, de peur qu'elles ne se jetassent dans la ville assiégée.
Mais on apprit bientôt que le duc d'Anjou s'était échappé de
Dunkerque, emmenant avec lui cette partie de son armée (4).
Débarrassés de ce souci, les trois chefs de l'armée royale exécu-
tèrent alors immédiatement les ordres donnés par le prince de
Parme. La Motte bloqua le port de Dunkerque du côté de la mer.
Montigny se rendit maître des écluses, prévenant ainsi l'inondation
des campagnes. Mondragon et Varembon s'emparèrent d'un fort,
situé sur le chemin entre Bergues-Saint-Winoe et Dunkerque, et où
se trouvaient des soldats ennemis avec mission de garder la prin-
eipale écluse (5).
Aussitôt que le prince d'Orange eut appris que Farnèse s'apprê-
tait à assiéger la ville, il essaya de lui faire porter secours. La
garnison de Bergues-Saint-Winoc ne pouvant être d'aucune utilité,
il proposa de faire sortir des places où elles se trouvaient les
troupes françaises et suisses encore au service des États. Il se heurta
à la profonde division qui dressait les villes de Flandre les unes
contre les autres. Les Gantois refusèrent de payer un denier à des
troupes françaises et déclarèrent même s'opposer à leur passage vers
Dunikerque. Ceux de Bruges, au contraire, supplièrent les États
d'envoyer les troupes vers Nieuport, afin de protéger l 'Ooerknoartier

(3) Mémoires sur le marquis de Varembon, pp. 41-42.


(4) Mémoires sur le marquis de Varembon, pp. 40-41.
(5) Liber relatlonum, fo i33vo-i34; STRADA, 0, C., t, III, p. 379, - « The enemy ln
S

over 4.000 men strong ... They lie in four dlvisicns, the ûrst [rying west o,f the gallowes,
where they have made a battery to prevent ships commg into the harbour. They lie also
under the dyke by the Doerneçœi, near Cleen-Sinten, and on the coast in the dunes by
Plerpepas ; the fourtih lying by Stendamme » Chamois aux bourgmestres de Nieuport.
Dunkerque, if juillet i583 (Foreign Calendar, 1583-1584, n= il.

135
de Flandre, mais les Gantois, refusant obstinément tout envoi de
troupes françaises, menacèrent de tout mettre en œuvre pour l'em-
pêcher (6).
Entretemps, Farnès-e, averti de ce que ses lieutenants avaient
exécuté la mission préparatoire qui leur avait été confiée, partit de
son quartier général de Lierre, le 5 juillet, accompagné de sa cour
et de 12 compagnies de cavalerie de sa 'garde. Il laissa en Brabant
M. de Hautepenne avec deux régiments d'infanterie wallonne et un
peu de cavalerie et ordonna au marquis de Richebourg de prendre le
chemin de Dunkerque avec le reste de l'armée.
Cependant, la marche de ce dernier fut retardée un instant par
une mutinerie qui éclata parmi les soldats allemands de Charles de
Mansfeltet du baron de Anholt, qui maltraitèrent leurs officiers
et prirent le chemin du Luxembourg (7).
Le 7 juillet, à son passage à Mons, le prince de Parme, enten-
dant la rumeur d'après laquelle le duc d'Anjou se serait apprêté il.
secourir Dunkerque (8), envoya en avant le 'Commissaire général de
la cavalerie légère avec 8 compagnies, et poursuivit lui-même sa
route par Tournai, Lille et Saint-Omer. Le 10 juillet, il était devant
Dunkerque (9).
Il Y trouva les troupes de Montigny, de Mondragon et de Varem-
bon en difficulté de se ravitailler, L'absence d'eau douce obligeait les
:;,=,:da:~ à creuser des puits dans le sable. Il était impossible de se
;;rü{:TI.ref du bois ou de la paille, les gens de Dunkerque ayant, en
prévision d'un siège, brûlé tous les villages des environs. Les pre-
miers jours, on dut chercher les vivres par mer, à Gravelines, et
aussi à Bourbourg, mais cette commodité relative fut entravée par
l'ennemi, qui envoya quatre gros navires en face du port de Grave-
lines pour empêcher les entrées et les sorties des barques espa-
gnoles ;(10).
Aussitôt arrivé devant la place, Farnèse profita de la présence
des dunes qui entouraient la ville pour y poster quelques pièces de
canon: le feu de celles-ci obligea les vaisseaux ennemis qui se trou-

(6) P. 'BOR, O. C., 2" stus, f08 371-372.


~7) Libro de las cosas de Flandes, r- 243'°; Liber r,elationum, fo 134; Farnèse à un
ministre du Roi, Lierre, If juillet 1583 (B. N. P., me. espagnol 182, fo 342).
>(8) Déjà le 4 juillet, Farnèse avait écrit à son père que les Français s'apprêtaient à
secourir Dunkerque, mais qu'ils n'arriveraient pas à temps '(A. F. N., casee farnesiane.
Fiandra, fascia 1636).
(9) Libro r.J;e las cosas de Flandes, fO 243vo.
(10) Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 43.

136
valent dans le port à s'enfuir précipitamment. Il fit alors planter un
grand nombre de pilotis en travers du chenal qui conduisait vers la
mer, et les relia par de grosses cordes et des chaînes, auxquelles il
attacha des tonneaux pour interdire tout passage aux vaisseaux qui
auraient pu tenter de ravitailler la ville. Des deux côtés du chenal,
on installa plusieurs pièces d'artillerie de grand calibre (11).
Ayant reconnu que la place était le plus vulnérable du côté du
port, c'est là que, le 16 juillet, le prince de Parme mit ses canons en
batterie, au nombre de dix-huit, Une heure avant l'aube, le bombar-
dement commença et se poursuivit pendant dix heures consécutives.
Il visait surtout le ravelin qui se dressait à gauche du chenal vers
la mer, la courtine de l'enceinte, et une tour qui servait de défense à
un autre ravelin (12).
Pendant le bombardement, Farnèse ordonna à 1.000 Espagnols,
1.000 Wallons et 1.000 Allemands de se tenir prêts pour l'assaut et
leur indiqua comme objectif le ravelin et sa tour de défense, d'où
l'on pourrait facilement s'introduire dans la place. Lorsque Moudra-
goneut constaté qu'une bonne brèche avait été pratiquée, le prince
fit avancer ses troupes et disposer sa cavalerie en ordre de bataille.
A cette vue, Chamois, qui ne se fiait guère aux habitants et qui,
dautre part, s'avait qu'aucun secours ne pouvait arriver, demanda à
parlementer (13). Après une brève conférence, le prince accorda à
la garnison de sortir librement, les soldats ne gardant que leur épée:
aux bourgeois fut concédé un pardon général. Les 800 soldats fran-
çais de Chamois, ainsi que leur chef, sortirent de Dunkerque et s'en
allèrent, sous bonne escorte, dans la direction de Calais.
Aussitôt, le prince de Parme fit entrer deux compagnies espa-
gnoles et deux compagnies wallonnes et installa comme gouverneur
de la ville le sergent-major Francisco Aguilar d'Alvarado, un offi.cier
expérimenté et énergique (14). Les habitants furent mécontents de
voir que le vainqueur leur imposait la présence de soldats espagnols
et qu'il renouvela le magistrat (15). Toutefois, en ceci Farnèse ne
(11) Mémoires sur le marquis de v arembon, p. 46; Lettre du commandant Chamois
aux bourgmestres de Nieuport, Dunkerque, 11 juillet 1583 (Foreign Calendar, 1588-1584,n- 1).
(12) Farnèse à sa mère, Dunkerque, 15 juillet 1583 (A. F. N., Carte tomesume, Fiandra,
fascio 1723).
(13) Liber relationum, fo 134; Libro de las cosas de Flandes. fo 243; S'mADA, o. C.,
t. III, p. 380; Mémoires sur le marquis de varembon, pp. 46-47; Edouard Batten au
lieutenant gouverneur du chateau de Douvres, Oravelines. 12 juillet 1583' {Fo1'eign caten-
dar, 1583-1584,n- 21).
{14) Ibidem.
(15) Liber relationum, [0 134·°.

137
violait 'aucune promesse, puisqu 'il avait été entendu que le bénéfice du
Traité d'Arras ne serait accordé qu'à ces villes qui se rendraient
d'elles-mêmes et qui se réconcilieraient sans obliger les Espagnols
à entreprendre un siège.
Ainsi fut réalisé un des points du programme d'offensive de
Farnèse : le premier des ports de Flandre en possession des rebelles
était tombé entre ses mains. Aussi, le 16 juillet, le prince expédia un
courrier en Espagne pour notifier sa victoire au Roi : il avait,
disait-il, en moins de dix jours, réduit à l'obéissance les habitants
d'un portet d'une ville, riches par le commerce et par la pêche; de la
sorte, il fermait de ,cecôté l'entrée de la Flandre aux Français et, en
rendant aux Dunkerquois la libre navigation avec l'Espagne, facili-
terait l'arrivée en cet endroit de renforts en hommes et en argent (16).
Farnèse n"éprouva qu'un seul regret: il n'avait pu s'emparer
de la personne du duc d'Alençon (17). La prise de cette ville « mit
toute la Flandre en grande humeur»; on soupçonna, et on accusa
même, la garnison d'avoir vendu la place aux Espagnols. On refusa
de payer les ,Suisses et les Français du maréchal de Biron, auxquels
on devait, aux uns deux tiers de paie, aux autres, huit mois de solde.
Et, plus que jamais, les bourgeois des villes flamandes refusèrent de
laisser entrer les soldats français dans leurs murs. La confusion
engendra partout comme une sorte de désespoir (18).
Aussi, le prince de Parme voulut-il profiter du désarroi de ses
adversaires, Quoiqnil neût en ce moment que 6.000 hommes en cam-
pagne (19), il décida de poursuivre l'exécution du programme qu'il
s'était tracé. Après Dunkerque, ce devait être le tour de Nieuport.
Déjà, le 18 juillet, l'armée se mit en marche et couvrit rapidement
les cinq lieues qui la séparaient de ce nouvel objectif. Avant de par-
tir, le prince de Parme avait établi en face de Bergues-Saint-Winoc
une forte garnison dans un fort pris à l'ennemi, pour éviter toute
surprise de la part des Français occupant cette ville. D'autre part)

{16) STRADA,o. C., t. III, pp. 380-381; Lilier relationum, f' .135, Le duc d'Anjou, très
peiné de la perte de Dunkerque, rejeta la faute sur les Etats Généraux (Le duc aux Etats,
St-Quentin, 22 juillet 1583, dans HRGEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t, VIII, p, 230).
'(17) Farnèse à sun père, 20 juillet 1583 (Ao F. No, Carte [armesume, Fiandra, rascto
1661). Le prince avait exprimé, dans une lettre à sa mère, I'espolr de capturer le duc
(Louvain, 5 Jumet 1583, dans A. F. No, Carte forneeum», Fiandra, rasoio 1723).
(18) Le maréchal de Biron au roi de France, Berg-op-Zoom, 21 Jumet 1583 (MULLER
et DIEGERICK,0, C" t, V, pp. 293 svv.) ; Le même à la reine-mère, même date (ibidem"
pp. 298 svv.).
i(19) Farnèse à Marguerite de Parme, Lierre, 5 juin 1583 (A. F. N., Carte îarnesume,
Fiandra, rascio 1723); Farnèse au Roi, Lierre, 20 juin 1583' (Ibidem, rascto 1647).

138
il envoya vers Furnes une force importante de cavalerie pour empê-
cher tout secours de ce côté. A l'arrivée des Espagnols, 20 navires
chargés d 'hommes et de bagages s'échappèrent du chenal de Nieu-
port et partirent dans la direction de la Zélande. Cependant, quatre
d'entre eux furent retenus par la marée basse et capturés: on y
trouva une grande quantité de soie et des objets de valeur (20).
Au moment où ~'armée espagnole approcha de 'la ville, les 'habi-
tants se préparaient à rompre les digues pour inonder la contrée.
Une troupe darquebusiers à cheval les chargea et les obligea à
rentrer précipitamment (21).
Le 22'juillet, l'artillerie de siège arriva. A cette vue, le courage
des bourgeois de Nieuport faiblit, ils avaient d'ailleurs été travaillés
par le bourgmestre de Dunkerque, que Farnèse leur avait envoyé
pour les engager à se rendre, en faisant valoir les conditions miséri-
cordieuses que le prince avait 'accordées lors de la prise de cette ville.
Enfin, les habitants He rendaient compte qu'ils ne devaient attendre
aucun secours (22). Anjou se bornait à faire des promesses et se
trouvait d'ailleurs, impuissant, à Calais. Le prince d'Orange se
débattait contre le mauvais vouloir des Anversois et l'inertie des
États et ce n'était certes pas en ce moment, à la veille de son départ
d'Anvers, qu'il aurait pu organiser efficacement le dégagement de la
place.
Aussi, dans la nuit de Sainte Marie-Madeleine (23 juillet), Nieu-
port se rendit à merci (23). Farnèse accorda les mêmes conditions
qu'à Dunkerque. Les officiers et soldats sortiraient sans tambour,
armes et 'bagages. Les bourgeois obtinrent le pardon qu'ils sollici-
taient, à condition que les hérétiques séjournant dans la ville par-
tissent après six mois, vendant leurs biens ou les emmenant avec
eux (24).
Aussitôt que les compagnies flamandes, qui avaient formé la
garnison de la place, furent sorties, Farnèse les remplaça par deux

(20) Libro de las cosas de Flandes, f' 246.


(21) STRADA, o. C., t. III, p. 381,
{22) Libro de las cosas de Flandes, fo 246.
(23) J. Jernegan II Walsingham, Gravelhres, dtmanene [sic], dans Foreign Calendar,
1589-1584, n° 28); Stokes à Walsingham, Bruges, 17 juillet stylo Angliae, ibidem, n' 31). '
(24) Texte de la capitulatlon
dans le Bulletin de la Commission royale d'histoire, 3· sér.,
t. XIII, 1872, pp, 77-79; Liber fo 137; Libro de las cosas de Flandes, fo 244vo;
relaHonum,
Marguerlte de Parme au duc Ottavio, for aoüt 1583 (A. F. N., Carte farnesuuie, Fiandra,
rascto 1626); Farnèse à sa mère, Nieuport, 21 et 24 juillet 1583 (A, F. N.• Cm'te fœme-
slane, fascio 1723).

139
compagnies wallonnes et une compagnie allemande (25). On remar-
quera combien strictement il observa sa parole: Nieuport e 'étant
rendue sans résistance: on ne lui imposa pas la présence de soldats
espagnols.
Le 23 juillet, à 6 heures du soir, quelques heures à peine après
la reddition de Nieuport, la garnison espagnole du fort de Halluin
entendit l'ennemi qui occupait Menin tirer une forte salve. Soupçon-
nant que cette démonstration était destinée à fêter l'arrivée de ren-
forts ou d'argent pour payer la garnison, les Espagnols envoyèrent
quelques-uns des leurs pour se rendre compte de ce qui se passait. A
leur grand étonnement, ces émissaires constatèrent que Menin avait
été abandonnée par sa garnison, qui y avait laissé six pièces d'artil-
lerie et une quantité considérable de munitions.
Aussitôt quatre compagnies wallonnes allèrent occuper la place
abandonnée. Elles y apprirent que la garnison ennemie était partie
vers Bruges, à la demande du prince d'Orange, parce qu'on y crai-
gnait un soulèvement des catholiques, très excités à la nouvelle de la
prise de Dunkerque (26).
C'est ainsi que, par un enchaînement curieux des événements, le
prince de Parme rentra en possession de cette ville de Menin, qui
avait été la première forteresse des « Maleontents », qui avait été
reprise par '1 'ennemi et dont les États des provinces wallonnes
avaient désiré depuis si longtemps la reconquête.
Cette occupation de Menin assurait désormais la sécurité de
Lille, de Courtrai, de Douai, de Tournai et d'Orchies (2-7) et conso-
lidait heureusement les premières victoires de Farnèse en Flandre.
Aussitôt après la prise de Nieuport, le prince de Parme envoya
Mondragon avec 1.000 soldats de son terçio et de la cavalerie vers
Ostende, La Motte avec une partie du terçio de Pedro de Paz et des
compagnies wallonnes vers Furnes, le châtelain Olivera avec le
terçio italien de Mario Oardoino, deux régiments de Wallons et de
la cavalerie vers Dixmude, pour essayer de s'en emparer sans trop
de sacrifices. Furnes se rendit tout de suite, sans combat, et la gar-
nison obtint d'en sortir avec armes et bagages (28).
{25) Libro de las cosas de Flandes, fo 244vo•
{26) Libro ae las casas de Flandes, fO 245; G. de Licques à Mar.guerite de Parme,
Tournai, 24 juillet 1583 (A. F. N" Carte (arnesiane, Eiaauira, fascio 1706); Marguerite d'e
Parme au duc Ottavio, 1er août 1583 (A. F. N., Carte (arnesiane, Fiandra, rascio 1626);
lI1émoi1'es sur le marquis de Varembon, pp. 49-50; Stokes à Walsingham, 'Bruges, 17
juillet, stilo Angliae, dans Foreign caienaa», 1583-1584,n° 31,
(27) Paolo Rinaldi dans son Liber retationum, fo 138.
'(28) Liber relationum, fo 137vo; Libro de las cosas de Fla.nàes, fo 246n•

140
A Ostende, Mondragon se rendit immédiatement compte qu'il
était vain d'essayer un coup de main (29).
En effet, le prince d'Orange avait pris les mesures nécessaires
pour que l'ennemi ne pût facilement s'emparer de cette ville. Depuis
le début de juillet, les marins de la flotte que les États entretenaient
sur la côte de Flandre étaient en pleine mutinerie et réclamaient
âprement les arriérés de leur solde. Une conférence tenue à Bruges
pour les calmer n'avait donné aucun résultat et avait même menacé
de tourner au tragique. Lorsque Farnèse eut pris Dunkerque, le
prince d'Orange s'était ému de cette situation et avait averti les
États de Hollande et de Zélande du danger qui les menaçait. C'était
grâce à cette mutinerie dans la flotte que le Prince de Parme avait
pu si facilement s'emparer de Dunkerque et de Nieuport, aucune
opposition ne lui ayant été faite par mer (30).
'Lorsque, en 1579, La Motte s'était emparé de Gravelines, les
magistrats de Dunkerque, Nieuport et Ostende s'étaient concertés
avec le nouveau gouverneur de Dunkerque et surintendant de' la
Flandre occidentale, le vice-amiral de Zélande 'I'reslong. Celui-ci
avait commencé par installer à Dunkerque le Oonseil d'Amirauté de
Flandre dont les États Généraux avaient décrété l'érection. Il avait
aussi équipé trois navires de guerre et un « jacht » pour garder la
côte. En 1583, le butin ramené par ces bateaux, qui faisaient la
course, avait suscité la convoitise de Ohamois et de la garnison fran-
çaise de Dunkerque et le jour où le lieutenant d'Anjou s'était emparé
de la ville par ordre de son maître, il avait mis l'embargo sur les
navires des États Généraux se trouvant dans le port. Lorsque ces
navires eurent été libérés par suite du traité provisoire conclu avec
Anjou, le 26 mars, par les États, ils ne trouvèrent rien de plus pressé
que d'aller se poster entre Dunkerque et Gravelines pour faire la
chasse aux bâtiments qui venaient ravitailler Chamois et la garnison
française! Quand Farnèse mit le siège devant la place, ils n'étaient
intervenus en rien (31).
De telles tragi-comédies devaient cesser. C'est à la Hollande et
à la Zélande, à défaut de la Flandre, que le 'I'aciturne confia la défense

(29) En prévision de l'arrivée des Espagnols, les habitants avaient inondé les cam-
pagnes. Blankenberghe et Bruges avaient sulvi cet exemple (Stokes à Walsingham,
Bruges, 14 juillet 1583, dans Foreign CGilendar, 1583-1584, no 27).
(30) P. BoR, o. C., 2° StUK, r- 398-399,
(31) H. MALO, Les corsaires dunkerquois et Jean Bart, I, pp. 181-182,

141
de la côte (32). C'est ce qui explique que lorsque les Espagnols
s'approchèrent d'Ostende, ils virent en mer une trentaine de vais-
seaux ennemis réunis là pour secourir la ville. Cinq de ces bateaux
étaient occupés à débarquer des munitions, des victuaille-s et des
soldats de renfort (33). Comme Farnèse ne possédait pas de flotte, il
donna ordre à Mondragon d'abandonner l'entreprise d'Ostende et
d'aller rejoindre Olivera iL Dixmude (34).
Un trompette fut envoyé aux habitants de cette ville pour leur
demander de se rendre. Il rapporta la réponse que, si on promettait
la vie sauve, les bourgeois dépêcheraient un capitaine de la garnison
et un membre du magistrat pour amorcer les pourparlers. Au bout de
peu de temps, l'accord fut conclu. Le prince concéda aux habitants de
Dixmude et à la garnison les mêmes conditions de reddition qu'à
Dunkerque et à Nieuport. Le 2 août, la ville était en possession des
Espagnols (35).
Ainsi, en peu de temps, quatre places importantes du .sud de la
Flandre avaient été prises sans grandes pertes pour le prince de
Parme (36). La reddition rapide des trois dernières s'explique sur-
tout par les conditions clémentes que Farnèse avait accordées lors de
la prise de Dunkerque. Depuis la reddition de Tournai, il n'avait pas
changé de' ligne de conduite: allier l'énergie à la douceur, inspirer
confiance par l'observation scrupuleuse de ses promesses et attirer
les hésitants par l'absence de toute sévérité inopportune. C'est ce que
le cardinal de Granvelle avait fait remarquer dans une lettre adressée
à Marguerite de Parme : « Le prince a gagné du crédit, disait-il,
parce qu'il a toujours inviolablement observé ce qu'il a promis aux

(32) P. BOR. O. C., 2· stuk, fo 399: « Also die van Vlaanderen de saleken seer weinlg
seheenen ter herte te neemen, also mosten de saeken bij die van Holland en Zeland
beneerstigt en bij der hand genomen werden ». - Sur ùe rôle du prince d'Orange dans
le premier essai de créer une flotte des « rebelles », voir J. C. M. WAR.NSlNCK,DYJ eerste
poging van den prins tot vorming eener zeemactü, dans Prins Willem van Oron je, pp'.85 svv.
(33) Stokes à Walsingham, Bruges, 20 juillet 1583, sUlo Angliae, dans Foreign Calen-
dar, 1583-1584, n° 37.
(34) Libro de las cosas de naoae«, to 246; Liber reUt.tionum, fo 137vo; Mémoires sur
te marquis de Varembon, pp. 50-51.
1(35) Libro de las cosas de Ftasuies, fo 246vo; Liber relationum, fo 138; Farnèse à un
ministre du Roi, Camp de Dixmude, 2 aoüt 1583 {B. N. P., ms, espagno'l 182, ,fo 344v.)~ -
Le texte de la capitulatioo de Dixmude dans le Bulletin de la Commission royale d'his-
toire, 3" sér., t. XIII, 1872, pp, 79-80. A propos de Dixmude, l'auteur dies Mémoires sur le mar-
quis de Varembon (P. 51), dit: « laquelle n'estant autrefois qu'un village non clos, avait
esté, durant ces révoltes, rorttûéeet Tendue tenable contre la force d'une armée ».
(36) « ln two months is recovered a mostgoodly country, fraught wlth goodly towns,
aooomodated with many good ports, to far beyond expeotatlon l>. J, Jernegan à Walsing-
ham, Gravelines, 3 aout 158a, dans Foreign Ca.lenda3', 1583-1584, nO 43.

142
habitants et, si ses prédécesseurs dans le gouvernement avaient agi
ainsi, nos affaires seraient en meilleurs termes aujourd'hui. » (37).

La tâche que le prince de Parme s'était imposéeétait cependant


rendue difficile par la situation lamentable où se trouvait son armée.
L'argent manquait, comme toujours, et le ravitaillement était un
problème de tous les instants. Pendant le siège de Dunkerque, les
soldats avaient dû se contenter d'un écu par jour; à Nieuport
et à Furnes ils n'avaient reçu que deux pains comme ration quoti-
dienne. De plus, les sapeurs venant à faire défaut, le prince de
Parme avait dû faire appel au dévouement de ses hommes et ceux-ci
avaient entrepris eux-mêmes la tâche ingrate, et considérée par eux
comme dégradante, de creuser des tranchées e,t de remuer la terre.
Ils l'avaient cependant fait sans murmurer et sans espoir d'obtenir
une récompense (38).
Aussi, comme le dit si bien Strada, « il n'y avait qu'une chose
qui affligeait Alexandre parmi tant de succès, c'est qu'il voyait que,
faute d'argent, les occasions, qu'il faut acheter à quelque prix que
ce soit, lui échappaient visiblement et que les palmes de tant de
victoires se rompaient: pour ainsi dire, entre ses mains. » (39)
C'est pourquoi il décida d'envoyer en Espagne un de 'ses meil-
leurs collaborateurs, J'ean Riehardot, qui s'était rallié à la cause
royale en 1579 et qui avait été créé président du Conseil d 'Artois.
Opportuniste en politique', Richardot se distinguait par sa sagesse
et sa prudence et Farnèse 'crut qu'il ne pouvait envoyer un négocia-
tenr plus habile que lui chez Philippe II.
Les instructions de Richardot étaient conçues comme suit (40).
Il devait d'abord mettre en relief combien la situation était devenue
favorable pour la cause royale, et qu'il se présentait des occasions
multiples dé frapper un grand coup. Le duc d'Alençon avait perdu
toute autorité et son armée achevait de se disloquer. Il allait d'une
place à l'autre, et toujours inutilement. Quant au prince d'Orange,

(37) A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1647, fOB 127-128.


{3S) Liber reiatumum, fo 13Sro•
(39) STRADA, o. C., t. III, p. 383.
(40) Sur la mission de Illchardot, nous avons consulté les lettres de celui-ci, conservées
[, A. F. N., Carte fornesume, fascio 1706. Nous les avons publiées dans le Bulletin de la
Commission royale d'histoire, 1933, t, XCVII, pp, 321-336, sous le titre: La mission du
président Richardot en Espagne en 1588.

143
soit qu'il fût mal vu des États à cause de son mariage avec Louise de
Coligny (41), soit qu'il craignît l'invasion de la Hollande et de la
Zélande, il s'était retiré dans cette dernière région. Les forces des
rebelles étaient affaiblies, à cause de la défiance qu'on montrait à
l'endroit des Français, et parce que leurs troupes étaient éparpillées.
Or, pour profiter d'une si belle occasion, Farnèse ne disposait que' de
6.000 hommes, obligé qu'il était d'employer une bonne partie de son
armêe à garder les villes conquises. Cependant, si le Roi voulait
envoyer d'Espagne les soldats et l'argent nécessaires, le prince de
Parme croyait pouvoir promettre que, dans un an, tout le Brabant
serait conquis. Il serait même préférable d'envoyer en une fois tout
le secours qu'un Roi aussi puissant que celui d'Espagne pouvait
donner, au lieu de fournir cet appui « goutte à goutte C'était le ».
meilleur moyen d'en finir vite et de faire durer la guerre le moins
longtemps possible.
, Richardot devait surtout insister pour obtenir un secours immé-
diat important et la promesse formelle d'un envoi régulier d'argent
tous les mois) pour mettre fin à la situation intenable où lé prince se
trouvait (42).

En attendant le résultat de la' mission de Richardot, Farnèse ne


suspendit point le cours de ses opérations offensives. TI ne fallait
pas laisser reprendre haleine à l'adversaire, mais continuer à le har-
celer pendant qu'il était encore étourdi par les coups reçus. Après
avoir pris Dixmude, l'armée reçut l'ordre de marcher sur Ypres.
Jusqu'ici, plusieurs points du grand plan d'offensive que Far-
nèse avait exposé au Roi en 1581 avaient été réalisés. Par la prise de
Tournai et de Menin, le prince avait affermi la sécurité des provinces
wallonnes. Par la conquête de Dunkerque et de Nieuport, il avait
rendu possible le trafic par mer avec l'Espagne et ouvert au com-
merce des provinces réconciliées une voie proche pour écouler leurs
produits. La possession de deux ports sur la côte, et surtout de celui
d.e Dunkerque, allait permettre la' création d'une flotte destinée à
combattre les vaisseaux des ÉtJats Généraux et les attaques des cor-
saires ennemis. Après la prise de Dunkerque, les navires de guerre
(41) Ge mariage avec une Française, après l'aventure du duc d'Anjou, avait été mal
vu par les Etats et par le peuple eu général, qui ne s'était pas abstenu de le montrer en
public. I(A. A. VAN SCHELVEN, WiUem van Oranje, pp. 241 sV'V.). Cfr aussi J. W. NABER,
De gemalinnen van den Prins, dans Prins Willem van Oranje, pp. 185-18'6.
~42) STRADA, o. C., t. III, pp, 384-385.

~'" --:
144
dunkerquois, réfugiés à Gravelines pendant l'occupation des rebelles,
étaient revenus. Le 1er septembre 1583, le prince de Parme promulgua
un statut provisoire pour les ports reconquis, qui concernait à la fois
1a navigation commerciale et l'a marine de guerre. On reprit au ser-
vice' du Ro'i les capitaines, maîtres et mariniers réfugiés à Grave-
lines ou ailleurs et on leur prescrivit de résider à Dunkerque ou à
Nieuport. Le commerce maritime était déclaré libre, sous condition
de passeports que Farnèse seul pourrait délivrer. Enfin, un siège
d'amirauté fut érigé à Dunkerque pour juger des prises que l'on
ferlait en mer et percevoir le droit du dixième (43).
Le moment était maintenant venu de se rendre maître du reste
de la Flandre et particulièrement des trois grandes villes d'Ypres,
de Bruges et de Gand. La réduction de la 'citadelle calviniste de Gand
était l'objectif suprême. Mais, comme Farnèse l'avait exposé naguère
'au Roi, il ne disposait pas des moyens nécessaires pour 's'emparer de
ces grands centres populeux et bien fortifiés.
Comme l'a noté M. Terlinden, dans son Histoire militaire des
Belges (44), « ces villes, constatant l'inefficacité de leurs vieilles
murailles, se sont entourées d'enceintes bastionnêes en terre, conçues
d'après les plus récents progrès de l'art de la fortification. Ces rem-
parts dits « à la huguenote » ont le triple avantage de s'élever plus
vite que ceux en maçonnerie, de coûter moins cher et de mieux résis-
ter aux projectiles pleins, seuls connus à cette époque, qui s'enfoncent
dans la terre sans faire brèche. 'C'est ainsi qu'en moins de deux ans,
de 1577 il. 1578, Gand s'était entourée d'une enceinte répondant à
toutes Iesnécessitês de la poliorcétique moderne et n'ayant coûté que
280.000 florins. »
Le prince de Parme, qui souffrait continuellement du manque
de sapeurs et de pionniers, dont l'artillerie n'était pas des mieux
fournie, dont les munitions étaient souvent insuffisantes faute d'ar-
gent pour s'en procurer, ne pouvait s'attaquer de front à des places
si considérables.
Comme il l'avait fait pressentir à Philippe II, il était décidé à
les réduire par la famine et à faire Tine guerre d'ingénieur. (45) Il
couperait toutes les communications avec ces villes,' barrant les
rivières et les cours d'eau par des ponts garnis de canons et de sol-
(43) 'P. BOR, o. C., 2' stuk, fo 400; H. MALo, Les corsaires dunkerquois et Jean Bart,
1, pp. i83-i84,
(44) Pages i12-ii3.
(45) Cf'r TERLINDEN, o. C., p. H3.

145
dats, par des forts munis d'une bonne garnison, par des fossés qui
rendent le trafic impossible en arrêtant les chariots et la circulation
des convois de vivres. Il ravagerait les campagnes au temps de la
moisson ou s'empresserait de récolter celle-ci avant que les habi-
tants des villes n'aient le temps de l'engranger. Il isolerait les
grandes agglomérations en prenant les petites villes situées dans
leurs environs. Il aurait 'à sa disposition une armée de manœuvre,
peu nombreuse mais rapide, qui, se portant facilement d'un endroit
à l'autre, harcèlerait partout les forces ennemies, les tenant en
haleine, dispersant leur attention, les empêchant de porter secours
au moment voulu.
C'est contre Ypres que ce système fut employé d'abord. Les
troupes de Farnèse apparurent devant la ville au mois d'août. A un
quart de lieue des remparts, sur la route de Bruges, on commença la
construction d'un fort, tout autant pour tenir en respect la garnison
de la place que pour barrer les routes qui conduisaient vers Gand
et le Nord de la Flandre. De la sorte, on interceptait à la fois tout
envoi de secours et on rendait vain tout effort pour ravitailler les
assiégés. Les travaux de fortification ne se firent pas sans difficulté:
ici encore, les soldats durent remplacer les sapeurs absents et 'S'exé-
cutèrent sans trop de mauvais vouloir, attirés par la promesse d'une
bonne récompense. Le prince de Parme avait d'ailleurs lui-même mis
le premier la main à l'ouvrage, pour donner l'exemple et entraîner
ses hommes. Dans le fort furent logés 800 fantassins, la plupart
wallons, et quatre compagnies de cavalerie, ainsi que huit pièces
d'artillerie de gros calibre. Cette garnison fut pourvue de vivres pour
six mois. A la tête de cette petite armée, Farnèse plaça Antoine
Grenet, seigneur de Werp, qui s'était toujours distingué par son cou-
rage et son loyalisme (46).
Les cavaliers établis dans le fort se mirent bientôt à parcourir
tous les environs, rompant les ponts, coupant les routes, mettant en
fuite les partis ennemis qui s'aventuraient jusque-l'à. Bientôt, les
assiégés se trouvèrent à l'étroit et on pouvait espérer que la famine
les pousserait après quelque temps à se rendre (47). Le 11 août déjà,

(46) Liber relationum, f0 138vo-139


8 TO; Libro de las cosas de Fùuuies, fo 247ro; STRADA,
o C •• t. III, p. 385; Farnèse à un ministre du Roi, 9 septembre et 15 octobre 1583 (B. N. P ..
ms. espagnol 182, f08 346-347); Farnèse au cardina:l Farnèse, Ypres, iO aoüt 1583 (A. F. N.,
Carte farnesiane, fascio 409).
(47) Liber relationum, fOB 139-140.

146
PLAN DU FORT CONSTRUIT P:\R FARNÈSE DEVANT YPRES
(Ms, 19611 cie la Bibllothèque Ro-yale de Belgique, fo 55-)
le prince de Parme écrivit à sa mère: « Malgré le peu de soldats dont
je dispose ici, mais qui font tout 'leur possible pour faire face à la
situation, j'aUrai bientôt Ypres en mon pouvoir » (48).

C'est pendant qu'il surveillait les travaux à Ypres, que Farnèse


s'adressa au Roi pour essayer d'obtenir, au bénéfice de sa famille, la
restitution de la citadelle de Plaisance. On se œappellera qu'en ce
moment - septembre 1583 - Marguerite de Parme allait quitter
définitivement les Pays-Bas et le moment semblait, en effet, bien
choisi pour 0btenir du souverain le geste de reconnaissance que
les Farnèse attendaient de lui depuis si longtemps. Si la duchesse de
Parme pouvait porter en compte le dévouement 'avec lequel elle était
restée aux Pays-Bas pendant ces trois années où elle n'avait recueilli
qu'ennuis et humiliations, son fils pouvait montrer au souverain les
résultats étonnants de ces premiers mois de campagne offensive en
Flandre.
Le 4 septembre, du camp devant Ypres, le prince de Parme écri-
vit au cardinal de Granvelle à Madrid pour le prier d'appuyer auprès
de Philippe II la démarche qu'il avait cru nécessaire. Le prince était
allé faire ses adieux à sa mère, à Namur, avant lé départ de la
duchesse pour l'Italie et, ensemble, ils avaient examiné ce qu'il
conviendrait de faire pour assurer la stabilité de leur maison.
« Elle m'a représenté, disait le prince en parlant de sa mère,
que je devais, en fils affectueux et obéissant, aider et assister le duc,
mon seigneur, dans tous les besoins et les difficultés de sa vieillesse.
Et certes, après avoir bien considéré mon devoir et mes obligations,
j'ai résolu de satisfaire au désir de la duchesse, ma mère, encore que
j'avais décidé, comme je l'ai fait jusqu'ici, de ne pas importuner Sa
Majesté de mes affaires particulières, persuadé que La bien servir
était le meilleur moyen de Pintéresser en faveur de nous tous.
Aujourd 'hui je vois que le temps passe et que nos affaires vont de
mal en pis. » (49).
En effet, le duc Ottavio, devenu vieux,était accablé par la mala-
die. Sa vie et celle de Banuccio, le fils du prince de Parme, couraient

(48) A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, rascto 1644. Ofr Mémoires sur le marquis de
Varembon, pp. 51-52. Le 29 aoüt, Farnèse répondit par un refus à la demande d'un cer-
tain nombre d'habitants de la ville, qui souffraient de la faim, et qui le priaient de leur
délivrer un passeport pour pouvoir partir (Correspondance de Granvelle, t. X, p, 599),
(49) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 3M.

147
les plus grands risques à la suite des complots qu'à Parme le comte
Claudio Landi et les siens tramaient contre eux. Ottavio était peu
estimé par ses vassaux et ses voisins ne lui témoignaient aucun res-
pect. Tout cela provenait de la conviction que tous avaient que le Roi
n'entendait pas favoriser les Farnèse. Le prince de Parme, de son
côté, n'avait jamais procuré aucun bénéfice à ses parents : il ne leur
avait causé que des ennuis et leur avait occasionné de fortes
dépenses pour l'assister dans sa carrière militaire et lui permettre
de tenir son rang. « Votre Illustrissime Seigneurie, disait le prince
à Granvelle, considérera quels sont aujourd 'hui mes chagrins et mes
regrets en voyant que la vie de mon père, celle de mon fils, le sort
de ma maison dépendent du bon plaisir de Sa Majesté. »
'C'est pourquoi il avait décidé d',a:dresser à Philippe II une
humble supplique pour le conjurer de restituer à son père la citadelle
de Plaisance.
Les ducs de Savoie et de Florence n'avaient-ils pas été large-
ment récompensés' Pourquoi, d'ès lors, Alexandre Farnèse ne pou-
vait-il pas rappeler ses services, surtout que sa famille avait coûté
si peu au trésor royal? On connaissait assez la situation des Pays-Bas
et l'état dans lequel 'le prince les avait trouvés. Depuis la réconoilia-
tion des provinces wallonnes, Farnèse avait instamment demandé
son congé: le Roi le lui avait refusé. Depuis lors, il n'avait jamais
perdu courage au milieu des situations les plusdiffidles et n'avait
songé qu'à satisfaire son maître. « Et plus j'ai rencontré d'obstacles
et de difficultés, notait-il, plus mes services méritaient quelque encou-
ragement, moins j'ai été secondé et assisté. Mais, Dieu aidant, les
affaires ont pris une assez bonne tournure et tout fait prévoir une
heureuse issue, s'il est pourvu à temps aux remèdes requis. »
En attendant ce résultat heureux, le prince se trouvait engagé
dans une campagne longue et pénible, et il ne pouvait donc rien
faire pour son vieux père infirme. « Aussi, disait Farnèse, compre-
nant les obligations qu'un fils affectionné a envers son père, désirant
consoler sa vieillesse et 'assurer sa tranquillité à la fin de ses jours,
voulant quitter sans remords ce monde quand il plaira au Seigneur
de m'appeler à lui, j'ai pris la ferme résolution de supplier instam-
ment Sa Majesté d'accorder à mon intercession cette grâce et cette
faveur à mon père. » (50)

(50) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 352. La minute de cette lettre est toute


entière de la main du prince lui-même.

1.48
Quel fut l'effet produit par cette lettre émouvante où le prince
de Parme parlait à cœur ouvert et montrait à la fois sa grandeur
d'âme et son sentiment du devoir? L'effet fut nul: Granvelle ne put
que le déplorer en disant que, malgré toutes ses instances, le Roi
différait toujours de prendre une résolution au sujet de cette affaire.
« Nous ne savons nous résoudre, ni exécuter nos décisions à temps»
constatait-il avec mélancolie et découragement (51).

- +; -

Le prince de Parme resta avec son camp devant Ypresynon pas


pour attendre patiemment que cette ville se rendît, poussée par la
famine, mais parce qu 'il avait des visées sur Bergues-Saint-Winoc et
que du côté de la France, on pouvait s'attendre à de nouvelles mter-
ventions. En effet, le 21 août, La Motte avait averti Farnèse, de
Gravelines, que, la veill-e, le maréchal de Biron venant de Berg-op-
Zoom, avait débarqué à Calais avec ce qui restait de troupes fran-
çaises et suisses. Sans doute, ces troupes étaient « fort mal en ordre »
et semblaient avoir peu envie de se battre encore, mais le duc d'An-
jou faisait procéder à de nouvelles levées et affirmait que les bandes
d'ordonnance du Roi de France allaient le rejoindre (52).
A Bergues-Saint-Winoe, le marquis de Biehebourg, avec une
partie de l'armée espagnole, bloquait étroitement la ville, défendue
par M. de Cormont. Lorsqu'il fut devenu évident,après l'arrivée à
Calais des débris de l'armée d'Anjou, qu'il ne fallait attendre aucun
secours de ce côté,Cormont se montra prêt à parlementer. Les Espa-
gnols tenaient tellement à la possession de cette place qu'ils furent
prêts à 'accorder à leurs adversaires tous les honneurs de la guerre.
Ils consentirent à laisser Cormont en possession de la ville jusqu'à
ce qu'on eût versé 80.000 florins pour couvrir l'arriéré de solde de la
garnison. Cet argent devait être payé par les villes et les ehâtelle-
nies environnantes. Comme celles-ci refusèrent pendant quelque
temps de s'acquitter de cette obligation, les Français continuèrent à
occuper la place. Finalement, tout fut réglé et le 29 septembre,
Bergues-Saint- Winoc fut remise entre les mains des assiégeants,
Alexandre Farnèse avait souscrit, en faveur de La Motte, une obli-
gation par laquelle il s'engag-eait à lui payer 63.000 livres destinées à
la garnison française. Les villes et les châtellenies de Cassel, de

('51) P. FEA, La »ertenza per la restitusume aet castello di Piacenza...• loc. oit .• pp, 168-169.
(52) MULLER et DIEGERICK, o. c., t. V, p. 332, en note.

149
Bourbourg, de Bergues-Saint-Winoc, de Furnes, de Dunkerque, de
Dixmude et de Nieuport, qui avaient intérêt à voir supprimer ce
repaire de pillards qu'avait constitué Bergues,et qui avaient offert
100.000 livres, se portèrent garantes de cet engagement de Far-
nèse (53).
Au moment de l'occupation de Bergues, qui couronnait heureu-
sement les conquêtes faites dans le Sud de la Flandre, de nouvelles
intrigues étaient ourdies par le duc d'Anjou et le prince de Parme
se vit obligé de partager toute son attention entre les affaires mili-
taires et les manœuvres politiques.

(53) Sur cette question, voir MULLER et DIEGERICK, o. C •• t, V. p. 333, en note, et Cor-
respotuionce de Granvelle, t, X, p'p. 605, 607, (Capitulation de Bergues) et 628; Llbro de
las cosasde Flandes, ro 247; Farnèse à un minlstre du Roi, Camp devant Ypres, 27 sep-
tembre 1583 (B. N. P" ms, espagnol 182, r- 353).

----_._--- -------------_ .. _-------


CHAPITRE X.

:FARNÈSE ET LES DERNIÈRES INTRIGUES


DU DUC D'ANJOU (1)

Lorsque le duc d'Anjou se fut rendu compte de la défiance invin-


cible que montraient à son égard les États Généraux des Pays-Bas,
malgré les efforts du Taciturne pour opérer une réconciliation, et
qu'il eut constaté que la mission de ses agents Mirambeau et Bellièvre
aux Pays-Bas n'avait rien donné, il résolut de se tourner vers les
Espagnols.
En grand secret, il fit approcher J.-B. de Tassis, l"ambassadeur
espagnol à Paris, par son secrétaire italien, Giulio Bieci, afin de pro-
poser une entente avec Philippe LlvRieci fit les ouvertures nécessaires
le 17 avril 1583. On remarquera que cette négociation d'Anjou avec
Tassis Be place au moment où le prince français négociait avec
Alexandre Farnèse pour se ménager une voie de retraite par le Hai-
naut après l'échec de la Furie française.
Anjou, par l'intermédiaire de Ricci, proposait ceci au Roi
d'Espagne: ce dernier céderait en toute souveraineté Cambrai,
Dunkerque et Bergues-Saint-Winoe et le territoire adjacent. Le
duc s'engageait à faire la guerre contre les « rebelles » des Pays-
Bas, mais Philippe II lui laisserait la possession souveraine de tous
les territoires qu'endéans les six mois qui allaient suivre Anjou
enlèverait aux partisans du prince d'Orange. A ces conditions, le

(1) Ces intrigues ont été exposées par KEIWYN DE LE'ITENHOVE au tome VI de Les
Huguenots et les Gueux, pp. 467 svv., mais de façon inexacte et incomplète. L'auteur ne
tient aucun compte de la chronologie des événements 'et embrouille tout. Il en résulte
qu'il présente les faits dans une perspectrve absolument fausse, Toube cette histoire
est à refaire. C'est 00 que nous essayons de réaliser dans le présent chapitre.

151
duc se mettrait avec toutes ses forces au service du Roi catholique.
Une somme de 300.000 écus lui serait payée pour ses frais de
guerre (2).
Ces propositions étaient, faut-il le dire, inacceptables pour Phi-
lippe II. Celui-ci ne pouvait les considérer comme sérieuses. Il était
cependant important de ne pas y opposer un refus catégorique et de
faire traîner les négociationsen longueur] afin de laisser Anjou hési-
tant et d'empêcher S'aréconciliation rapide avec les États Généraux.
Alexandre Farnèse, qui, par Tassis, avait été tout de suite mis
au courant de ces tractations secrètes (3), estima qu'il devait écrire
dans ce sens à Philippe II. Celui-ci fit répondre que les propositions
du prince français étaient ridicules. Ne fallait-il pas craindre, en
outre, qu'il se servirait de ces négociations pour prétendre, auprès
des États Généraux, que les Espagnols, à prix d'argent, lui avaient
offert la paix On pouvait se contenter de présenter de l'argent à
î

Anjou, et lui faire entendre, par le canal d'un homme de confiance,


qu'on était prêt à le soutenir financièrement s'il se laissait amener à
entreprendre une expédition contre l'Angleterre et à épouser Marie
Stuart (4).
Cette manœuvre avait sans doute été suggérée au Roi par Gran-
velle. Celui-ci écrivit, en effet, à cette époque, à Don Juan de Idiaquez :
« Si nous réussissons à embarquer le duc d'Anjou dans cette entre-
prise, à la condition de nous restituer Cambrai, à charge pour Sa
Majesté de l'assister dans l'exécution du projet et de lui faire
épouser la reine d'Écosse, plus jeune et plus belle que celle d'Angle-
terre, ce serait rendre aux Français ce qu'ils ont fait à l'Empereur
et jeter parmi eux la pomme de discorde» (5).
Ricci, qui avait porté ces propositions à son maître, fut chargé
de répondre que le duc « n'était pas un banquier, qui se laissait faire
des offres d'argent» (6). Mais déjà Philippe II avait changé d'avis.
Il craignait que le duc d'Anjou ne révélât le projet à Élisabeth d'An-
gleterre et qu'il n'en résultât une conséquence fâcheuse pour Marie
Stuart, en ce moment prisonnière. Farnèse reçut l'ordre de ne pas

1(2) PHIWPPSON, Ein Ministerium unter Philipp II, pp. 390-391; Mormon à Granvelle,
Tournai, 29aoOt 1583 (Correspondance de Granvelle, t, X, p. 339),
(3) Correspondance de J. B. de Tassis avec Farnèse I(A. F. N., Carte farnestane, Fiandra,
fascio 1643).
(4) PHILIPPS'ON, o. c., pp, 391-392; KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp, 485-487,
(5) GranveLle à Idiaquez, Madrid, 6 mai 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, P. 177),
(6) PHILIPPSON, o. c., p. 393.

152
engager trop directement ces négociations et de se borner à gagner
Ricci, qui, n'étant pas Français, semblait pouvoir être facilement
attiré (7).

Ces tractations s'étaient prolongées jusqu'au début de mai.


Voyant qu'elles navançaient pas, le duc d'Anjou, réfugié à Abbe-
ville après sa fuite de Dunkerque, se lança de nouveau dans ses pro-
jets de conquête et reprit les négociations avec les États Généraux. Il
s'était décidé à ravitailler Cambrai, qui était en ce moment assez
étroitement serrée par des avant-postes du prince de Parme (8).
commandés par le marquis de Renty (Montigny) (9). Il fit annoncer
qu 'il allait rentrer triomphalement 'aux Pays-Bas à la tête d'une
nombreuse armée, se réconcilier avec les États Généraux et écraser
les Espagnols.
L'ambassadeur Tassis alla se plaindre auprès d'Henri III des
projets belliqueux de son frère. Le Roi se montra fort irrité et
déf.endit de faire des levées en France (10). Catherine de Médicis, de
son côté, essaya de calmer l'ardeur guerrière du duc d'Anjou. C'est
que, effrayée par l'échec de la politique française dans les affaires
de Portugal, où l'autorité de Philippe II était maintenant bien
assise, et plus encore par la défaite navale que, en juin, le marquis
de Santa-Cruz, commandant la flotte espagnole, avait infligée aux
vaisseaux français de Strozzi aux îles Terçeira, elle avait résolu de
chercher désormais l'entente avec l'Espagne et essayait de négocier
auprès de Philippe II le mariage du duc dtAnjou avec une
infante (11). Anjou avait feint de se laisser impressionner par les
supplioations de sa mère; mais, soudain, il opéra une de ces volte-
faces dont il était si coutumier : Balagny, le gouverneur français de
Cambrai, était venu le trouver à Abbeville et lui avait fait com-
prendre que sa place était au milieu de son armée (12).

(7) KERVYN DE LETTENHOVE, O. c., t. VI, p. 487. - Philippe II à Tassis, 5 mai 1583
{Correspondance du cardinal de Granvelle, t. X, pp. 494-495). Philippe II espérait que
Rleci présenterait le projet de conquête de l'Angleterre comme étant une suggestion
personnelle.
(8) KERVYN DE LETI'ENHOVE, O. c., t. VI, pp. 466-467.
1(9) Voir MULLER ET DIEGERICK, O. C., t, V, pp. 345 et SVV., en note; Correspondance de
Granvelle, t. X, les pièces publiées en appendice.
~10) KERVYN DE LETI'ENH()VE, 0, C., t. VI, pp, 467-468.
{11) PHILIPPSON, o. c.,pp. 395 svv.
(12) KERVYN DE LETI'E?\'HOVE, 0, C., t, VI, pp, 469-470,

153
C'est à Ribemont que le duc d'Alençon avait donné rendez-vous
à ses troupes pour le 25 juillet. Depuis plusieurs semaines, des
hommes d'armes s'étaient concentrés autour de Ham, de Saint-
Gobain et de Bapaume. Cependant) la maladie et la faim avaient
réduit ces troupes à 600 ou 700 fantassins et 400 ou 5,00 cavaliers.
D'autre part, près de Vaucelles se trouvaient campés les débris de
l'armée de Biron qui avait combattu à SteeIibergen : trois compagnies
d'infanterie. Pour augmenter ses forces, Anjou avait fait appel aux
reîtres du palatin Casimir et avait fait lever 7,000 hommes en Alle-
magne par le duc des Deux-Ponts (Zweiibrücken) (13).
Voyant son fils décidé à risquer une nouvelle aventure, Cathe-
rine de Médicis résolut de ne pas l'abandonner. EUe supplia le Roi
de France de l'aider : Cambrai ne devait-elle pas rester une ville
française t Elle demanda au Roi d'adjoindre à l'armée d'Alençon
vingt compagnies d'ordonnance: Henri III lui en accorda dix. TI ne
voulait certes pas la guerre avec l'Espagne, mais il estimait qu'il
pouvait soutenir l'expédition pour conserver Cambrai.
Les compagnies d'ordonnance, commandées par Puygaillard, ne
seraient d'ailleurs pas jointes aux forces d'Anjou, mais se conten-
teraient de les « costoyer », sous prétexte de les surveiller, en réalité
pour prêter secours, s'il en était besoin (14).
La duplicité d 'Henri III se révélait donc sous la même forme
que pendant la première expédition d'Anjou à Cambrai.
Fin août, l'armée du prince français était prête. Rochepot,
Chamois et Saisseval la commandaient (15).

En ce moment, on se le rappellera, le prince de Parme se trou-


vait devant Ypres, occupé à surveiller la construction du fort des-
tiné à bloquer les accès de cette ville. TI fut rapidement informé des
préparatifs militaires du duc d'Anjou (16) et prit ses dispositions
pour y faire face. TI donna l'ordre au maître de camp Pedro de Paz

(13) Ibidem, p. 473.


(14) KERVYN DE LETTENHOVE, 0,c., t. VI, p. 474; Advertissements de divers costez en
France touchant les menées au duc d'Anjou, dans Correspondance de Granvelle, t. X,
pp. 575-'576.
'(15) Ibidem, p. 474.
.(16) votr note 14. Voir aussi les divers rapports envoyés de Landrecies, de Valen-
ciennes, etc, au sujet des mouvements d'Anjou, dans Correspondance de Granvellé, t. X,
pp. 589 svv., et dans MULLER et DIEGERIClK, o. C., t. V, pp. 344 SVV., en note.

154
de s'acheminer vers la frontière française 'avec s'on terçio, avec deux
régiments wallons et sept compagnies de cavalerie et de se joindre
aux troupes de Montigny, afin d'empêcher l'entrée d'Alençon et des
Français (17).
Le sentiment des chefs des troupes espagnoles à la frontière
était que le Roi de France soutenait Anjou: ils avaient vu passer
les bandes d'ordonnance de Puygaillard et tous s'attendaient à de
sérieux engagements. Ils espéraient aussi en venir aux mains le
plus tôt possible 'avec les Français, dont la duplicité les exas-
pérait (18).
Le 2 septembre, 'Onapprit que le duc d'Anjou venait d'entrer à
Cambrai avec vingt compagnies d'ordonnance. L'événement fit sen-
sation et le prince français s'empressa de le signaler au prince
d'Orange. Dans dix jours, disait-il, il aurait sous ses ordres 8.000
fantassins et 1.800 cavaliers et il espérait commenc-er de suite la
campagne contre les Espagnols. Il se plaignit vivement de ce que,
depuis son départ de Dunkerque, les États ne lui eussent écrit la
moindre lettre, mais il déclara que, malgré tout, il ne dépendrait pas
de lui que leurs affaires ne « reprissent vigueur» 1(19).

* *" •.•

De la versatilité et de la duplicité des Valois, on pouvait tout


attendre. Pendant que le duc d'Anjou faisait ses préparatifs pour
ravitailler Cambrai, Catherine de Médicis n'avait pas cessé ses
manœuvres pour rétablir les bonnes relations entre la France et
l'Espagne, et pour assurer l'avenir du duc dAnjou. Elle avait de
nouveau fait proposer à Philippe II,cette fois par le sire de Gondi,
devenu maréchal de Retz, le mariage d'Anjou avec la fille du roi
d 'Espagne, et l'ambassadeur français à Madrid, Longlée, était chargé
de mener cette affaâre à bonne fin (20). Or, en même temps, Anjou
négociait avec le prince de Parme, pour obtenir une trêve à propos
de Cambrai, trêve qui devait conduire à des négociations tendant à
pouvoir garder cette ville!

{17) Libro de las cosas de Flandes, fo 247.


(18) MULLERet DIEGERICK,o. C., t. V, p. 347, en note.
{19) Anjou au prince d'Orange, dans GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taci-
turne, t. V, p. 171. - Montigny à Farnèse, Valenciennes, 3 septembre 15i88 (Correspon-
dance de Granvelle, t. X, p. 608).
1(20) PHILIPPSON, o. C., pp, 396-397.

155
C'était encore l 'Italien Ricci qui s'était mis en rapport avec
Farnèse. Ces tractations seerètes eurent lieu au mois d'août, au
moment même où Anjou préparait sa marche sur Cambrai. Ricci
proposa, de la part de son maître, à Alexandre Farnèse, comme prix
de son désintéressement ultérieur 'au sujet des affaires des Pays-
Bas, la cession au prince français de Cambrai et du Cambrésis, le
paiement d'une somme de 200.000écus, et le mariage avec une infante
dEspagne, à laquelle on donnerait une « petite dot », le duché de
Milan par exemple (21).
Alexandre Farnèse, sollicité de donner une réponse urgente, se
garda bien de se découvrir: il promit d'y penser, « résoudre estant
aultre chose que d'y donner advis » (22).
Or, Catherine de Médicis,au cours d'une conversation avec son
fils, avait eu connaissance de ces négociations avec Farnèse. Elle les
approuva, désirant surtout, comme elle le dit à son confident Gondi,
que, une fois Cambrai ravitaillée, le duc d'Anjou ne s'engageât plus
avec les États Généraux des Pays-Bas et abandonnât cette aventure.
Elle désirait que Farnèse répondît au plus tôt aux offres du duc
d'Anjou, afin que cette affaire fût conclue avant celle qu'elle négo-
ciait elle-même à Madrid au sujet du mariage espagnol. En effet, elle
ne voulait pas que ces deux tractations fussent liées. Le duc
d'Anjou ne savait pas, en effet, que sa mère traitait de son côté avec
Philippe II en vue de son mariage avec l'infante et il devait continuer
à l'ignorer (:23). Vit-on jamais diplomatie plus subtile et plus com-
pliquée?
En tout cas, le prince de Parme suivit la ligne de conduite
adoptée jusque-là en de semblables circonstances : pour tenir le
prince français en haleine, il ne donna pas de réponse immédiate,
jugeant que par là il retardait sa réconciliation avec les Etats
Généraux.
Sur le fond de la question, nul doute ne pouvait subsister dans
son esprit :ce qu'Anjou demandait était impossible. Ce qui méritait
d'être examiné, c'était la proposition de trêve, qui aurait comme
effet d'éloigner temporairement le danger français et de permettre
la continuation de la campagne de Flandre.

{21) Mormon à Granvelle, Tournai, 29 aoüt 1583 {Correspondance de Granvelle, t. X,


p. 338).
(22) Ibidem.
1(23) Lettres de Catherine de Médicis à Gondi, La Fère, i4 août 1583, et de Pinart à Lon-
glée, Breele-lez-Beauvais, 26 aout 1583, dans MULLER ET DIEGERIOK, O. C" t. V PP. 339-343,

156
Anjou entra à Cambrai avant que Farnèse n'eût pu donner une
réponse.
Aussi, déjà le lendemain de cette entrée, nous constatons qu'une
négociation est en cours par l'intermédiaire de Balagny. Celui-ci fit
proposer par Mlle de Clermont, belle-sœur du sire de Gougnies, gou-
verneur du Quesnoy, une suspension d'armes, dans le but d'amener
la conclusion d'une trêve entre le duc d'Anjou et le prince de Parme.
Farnèse, saisi de l'affaire par Gougnies, fit répondre que si le
duc voulait négocier, il n'avait qu'à s'adresser directement à lui.
Cependant les tractations continuèrent par les mêmes intermédiaires.
Farnèse ne fit aux propositions d'armistice qu'un accueil assez froid:
il se déclara prêt à traiter directement avec Anjou « tant il aimait
de voir la paix et la concorde entre les princes chrétiens et de consta-
ter qu'il y avait bonne intelligence) correspondance et confraternité
entre eux ». Ce fut tout. Pourquoi cette froideur? Farnèse devait
se rappeler son expérience antérieure, lorsque, ayant conclu un
accord avec Anjou après la « Furie française », le duc révéla tout au
prince d'Orange, en faisant croire que c'était le prince de Parme qui
avait fait les premières ouvertures. Ge dernier nentendait proba-
'blement pas être trompé une seconde fois. De plus, il se rendait
compte que ces essais de négociation pourraient bien n'être qu'une
autre tentative d'opérer une pression sur les États Généraux des
Pays-Bas, afin de les forcer à hâter la conclusion du nouvel accord si
impatiemment attendu par Anjou.
C'est sans doute pour ce motif que, malgré toute 1'utilité de la
conclusion d'une trêve à propos de Cambrai, il tint la décision en
suspens. Le duc d'Anjou ne se laissa pas rebuter par la réserve de
Farnèse. Non seulement, il fit renouveler par Balagny les instances
déjà faites, mais il envoya un de ses gentilshommes, Chaulny, vers
le sire de Gougnies, l'invitant à se rendre à Cambrai muni d'un sauf-
conduit. Farnèse autorisa Gougnies à répondre à cette invitation. Le
gouverneur du Quesnoy se mit en route, mads, arrivé à Cambrai, il
constata que le duc d'Anjou était déjà parti (24).

* *' *
Après son entrée à Cambrai, Anjou avait attendu en vain le
secours qu'il espérait de France. L'argent qu'on lui avait promis à
(24) Voir au sujet de cette affaire les documents publiés par MULLER et DIEGERIGK,
o. t, V, pp. 405 à 415, en note, et dans la Correspondance
C., de Granvelle, t. X, pp. 609,
658, 659.

157

1
Paris ne vint pas. Les reîtres du palatin Casimir restèrent chez eux,
devant la perspective de ne pas être payés. Bientôt dans les troupes
du duc, le dénuement et la famine sévissent. Désobéissant à leurs chefs,
les soldats se répandent dans les campagnes, et s 'y livrent à des entre-
prises de pillage et d'incendie. Beaucoup sont attaqués par les sol-
dats de Farnèse et tués. Le 7 octobre, les principaux chefs français
vinrent réclamer la solde de leurs hommes, sous peine de voir l'armée
se débander. Anjou leur demanda de patienter cinq jours. A Cam-
brai, les bourgeois, il, bout de patience et de ressources, parlaient
d'ouvrir les portes de la ville au prince de Parme.
Bientôt la nouvelle se répandit que les Wallons du sire de Gou-
gnies et les Espagnols de Pedro de Paz se portaient vers Cateau-
Cambrésis pour fermer toute retraite éventuelle aux Français. Puy-
gaillard, le chef des bandes d'ordonnance françaises, estima le
danger si grand qu'il fit changer les hommes d'armes de casaque,
en vue d'une bataille imminente, afin que Farnèse ne pût se rendre
compte qu'il avait en face de lui des troupes de Parmêe rêgulière du
Roi et que celui-ci pût continuer à feindre sa neutralité dans le con-
flit (25). Bientôt, tout se disloqua. Le 14 octobre, un des familiers
d'Anjou estimait que, depuis le départ de Dunkerque, « on avait
continué de gâter tout, conduisant les affaires si mal qu'on a perdu
toute réputation» (26).
Cependant, Farnèse, apprenant que le duc dAnjcu tramait
quelque dessein contre Cateau-Cambrésis et qu'il avait préparé de
l'artillerie pour la bombarder, avait donné immédiatement ordre à
toutes les troupes espagnoles des environs de se porter vers la place
menacée (27). Lui-même abandonna la région d'Ypres et marcha avec
une partie de son armée vers Roulers, où il arriva le 16 octobre (28).
Il y apprit que le duc d 'Anjouvaprès avoir tenu les portes de Oam-
brai fermées pendant deux jours, pour qu'on ne surprît pas ses
desseins, avait quitté la ville et s'était retiré en France avec le reste
de son armée (29). De Bapaume, Paul de Noyelles écrivit à Farnèse:
1(25) KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 477-479.
(26) Pibrao à Des Pruneaux, Cambrai, 14 octobre 1583 (MULLER et DIEGERlCiK,o. C.,
t. V, p. 400).
(27) Voir les documents dans MULLER et DIEGERIaK, o. C., t. V, pp. 383-387.
(28) Libro de las cosas de Flandes,fo 248 TO
MULLER et iDIEGERICK,0, c., t. V, p. 383,
;

en note.
(29) Ibidem. - Après leur essai malheureux à Oateau-Cambrésls, les troupes du duo
d'A,lenç{)n avaient battu 'en retralte, protégées pail' les bandes d'ordonnance du Roi
de France. Cfr les lettres die Renty (Montigny) et de Noyelles à Farnèse, publiées
par MULLERei DIEGERICK,o. C., t. V, pp. 389.{l94.

:1.58
« Son armée s 'est rompue entre Ribemont et le Châtelet, chacun s'en
étant allé à sa chacune! » (30). Le prince de Parme apprit en même
temps de quelle burlesque façon s'était terminée « la gloœieuse
aventure ». Anjou, avant de partir, avait offert un banquet au magis-
trat et aux principaux bourgeois de Cambrai. Des mauvais plaisants
- qui? on ne le sait - avaient noirci le manche des couteaux dont
les convives devaient se servir à table. « Je laisse penser à Votre
Altesse, ajoute Noyelles, quel crève-cœur ils devaient avoir tous,
voyant ainsi leurs mains noires et sales é de quelle part iis devaient
le prendre! » (31).
Alençon quitta Cambrai le 15 octobre, et, par Laon, alla
rejoindre son frère, le Roi de France. Les Pays-Bas ne devaient plus
le revoir.

• •••
C'est précisément à ce moment que le sire de Gougnies, autorisé
par Farnèse à approcher Anjou pour la négociation de la trêve, se
présenta à Cambrai. Balagny offrit de mener le négociateur chez le
duc, à Laon. Gougnies en informa immédiatement Farnèse, en lui
faisant savoir qu'on demandait une suspension d'armes de quelques
jours ou, du moins, un sauf-conduit pour les délégués (32). Il pria
le prince d'y consentir. Trop tard 1 En ce moment même, Anjou
révélait aux États Généreux et au prinee d'Orange ses tractations
avec Farnèse, mais en présentant, encore une fois, les choses comme
si le prince de Parme avait fait les premières ouvertures (33).
On peut se demander pour quel motif le duc d'Anjou avait
amorcé et poursuivi pendant si longtemps cette négociation en vue de
la trêve. Nous sommes enclin à penser que, pendant quelque temps,
il fut sincère en faisant cette demande. Rs 'était imaginé, après
lavoir ravitaillé Cambrai, pouvoir paraître en Flandre en vainqueur
et faire des conquêtes. Il espéra peut-être pouvoir garder Cambrai
et les autres dépouilles par cet accord négocié avec l'e prince de
Parme. TI voulut peut-être reprendre, en les diminuant, I'exposê des
conditions qui avaient ~té transmises naguère par Ricci.

(30) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 659.


1(31) Paul de Noyelles à Paruèse, dans Correspondance de Gramvelle, t. X, p. 660.
(32) MULLER ET DIEGERlGK, o. c., t. V, p. 415.
'(33) Le duo d'Anjou aux Etats-Généraux, Laon, 220ctdbre 1583, et le même au prince
d'Orange, même date, dans MULLER et DIEGERlCK, 0, e., 1. V. pp. 402-403.

159
Lorsqu'il apparut que ces visions de victoire allaient se changer
en désastre et qu'il devrait quitter Cambrai, l'abandonnant à Balagny,
qui y vivait depuis 'longtemps déjà comme unesorte de prince indé-
pendant et souverain (34), il comprit que du côté de Farnèse et de
l'Espagne, plus aucun profit n'était à escompter. il 'se retourna alors
de nouveau vers les États Généraux avec l'avantage de pouvoir opé-
rer sur eux une pression en leur révélant les prétendues propositions
du prince de Parme. Il ne fit que répéter le jeu qu'il avait déjà adopté
une première fois, après ~'échec de la Furie fra;nçaise.
Dans cette deuxième négociation avec Anjou, Farnèse ne se
départit pas de la prudence qu'il avait déjà montrée en de semblables
occasions. Il ne rompit pas le contact aussi longtemps qu'il pouvait
espérer écarter de la sode la menace que constituait l'intervention
militaire du duc. N'avait-il pas raison d'agir ainsi, puisque, par
deux fois, des troupes régulières françaises avaient coopéré avec
les forces d' Anjou ~ La grande crainte du prince de Parme
avait toujours été qu'un succès éclatant d'Anjou ne déclen-
chât un jour la participation ouverte d'Henl'i III à la guerre. De ce
point de vue, il avait eu raison de ne pas repousser l'idée des trac-
tations.
Mais là où il nous paraît avoir été imprudent, c'est lorsqu'il
autorisa Gougnies à se rendre à Cambrai. Il crut peut-être compro-
mettre par là en public son adversaire et l'obliger à abattre son
jeu, mais ce fut le contraire qui arriva. La visite de l'envoyé de
Farnèse permit, en effet, au duc d'Anjou de prétendre que le prince
de Parme venait le solliciter et de raconter les faits comme si l'arri-
vée de Gougnies constituait le tout premier début des négociations.
C'est ainsi qu'il présenta sa version au prince d'Orange et aux États
Généraux. Il prétendit tout ignorer des intentions de Farnèse et
ne pas 'avoir pris connaissance « des articles qu'Il proposait ». Il en
profita pour dire que, malgré ces avances de l "adversaire, il ne con-
treviendrait en rien an traité provisoire qu'il avait conclu avec les
États le 26 mars.

Nous aurons démêlé?croyons-nous, l'écheveau très embrouillé de


toutes ces manœuvres politiques, lorsque nous aurons mis en lumière

(34) Sur ce, point, voir KER.VYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 4'70-473.

160
un dernier point : l'intervention du duc de Guise et le projet de con-
quête de l 'Angleterre.
Durant les années 1581 à 1584, c'est la France qui servit de
théâtre aux grandes menées des catholiques anglais en vue de provo-
quer une invasion en Angleterre et de détrôner Élisabeth. C'est
autour du duc de Guise, parent de l'infortunée reine d'Écosse, Marie
Stuart, que se pressaient les émigrés anglais. On négociait avec le
régent d'Écosse Lennox; les catholiques d'Écosse auraient aidé à
envahir l'Angleterre par le Nord, à délivrer Marie Stuart et à pro-
clamer Jaeques VI héritier présomptif de la couronne britannique.
Au mois de juin 1583, lorsque le roi d'Ecosse eut récupéré sa
liberté, les instances des catholiques anglais se firent plus pressantes.
Le Dr. William Allen essayait de provoquer une intervention armée
immédiate (35). Le duc de Guise envoya à Rome l'Anglais réfugié
Parsons avec un plan d'invasion de l' Angleterre, entreprise à la-
quelle Alexandre Farnèse, comme gouverneur général des Pays-Bas,
devait collaborer (36).
Après avoir reçu le projet du duc de Guise, le pape Gré-
goire Xlff le communiqua à Philippe II, en L'invitant à le réaliser
le plus tôt possible.
Le roi d'Espagne y vit à la fois un moyen pour enlever l' Angle-
terre à l'influence du protestantisme et pour mettre fin 'au secours
qu'Elisabeth accordait aux rebelles des Pays-Bas. Mais il avait des
objections d'ordre politique et pratique à faire valoir. Il décida de
consulter le prince de Parme (37). Il le pria d'examiner le plan et de
donner son avis, en grand secret.
Le prince de Parme y répondit le 30 novembre. A S'on avis, le
corps expéditionnaire devait être composé de 30.000 fantassins, de
1.000 lanciers et de 3.000 autres cavaliers. Il serait difficile de compter
sur le concours militaire des catholiques anglais, car ils étaient étroi-
tement surveillés. Pour être sûr du résultat, il faudrait donc employer
uniquement les forces du Roi d'Espagne.

{35) Sur tout ceci voir J, KRETSCHMAR,Die lnvasionspro}ekte der Katolischen Miichte
gegen Englandzur Zeit Elisabeths, pp, 97 svv.: R, LECHAT, ,Les ,réfugiés ,anglais
aux Pays-Bas, p. 14~; J. RÜBSAM,Johann Baptista von Taxis, pp. 63-66; PHILlPPSON, o. c.,
pp, 485-487. ~
(36) Le plan est publié dans Spanish Caieïuiar, 1583, pp. 503 svv. Il 'est analysé !par
PHILIPPSON, o. C., pp. 485-486.
(37) Granvelle à Don Juan de Idlaquez, Madrid, 23 septembre i5!83 (Correspondance
de Granvelle, t. X, pp. 367-369) ; Philippe II au prince de Parme, Madrid, 12 septembre f583
CA, G, Rn Copies de Simancas, vol, 15, non folioté),

161
Farnèse jugeait qu'en elle-même l'entreprise était digne de Phi
lippe II, mais qu'il fallait garder le secret. Il recommandait surtout
de laisser dormir le projet jusqu'à ce que l'on eût fait aux Pays-Bas
des progrès plus considérables, En effet, il fallait prévoir que, au
lieu de conquérir l'Angleterre, on perdrait beaucoup en Flandre.
Si on exécutait le plan, il faudrait partir des côtes de Flandre
et non d'Espagne. Oomme, après avoir débarqué sur le sol anglais, on
aurait à combattre, Farnèse estimait nécessaire la présence de 2.000
sapeurs ou pionniers, afin de pouvoir se retrancher tout de suite dans
les endroits que l'on aurait conquis et il jugeait qu'il fallait aussi de
la cavalerie, pour une avance rapide. Il croyait, pour le surplus, que
les négociations pour réaliser le projet ne devaient pas se faire par
voie de Rome, car le secret serait vite éventé. Pour conduire l'expédi-
tion, des hommes expérimentés étaient nécessaires, comme, par exem-
ple, Mansfelt, Mondragon ou Robles de Billy. Le marquis de Riche-
bourg et le 'baron de Montigny ne semblaient pas pouvoir être utiles
dans une expédition de ce genre. « D'après l'expérience que j'ai récoltée
dans des conversations avec des Anglais qui m'ont souvent parlé de
choses semblables, dieait Farnèse, ils trouvent qu'une pareille entre-
prise devrait se faire sous le patronage du Pape, avec les armées de
Sa Majesté le Roi d'Espagne, et elle devrait avoir pour but la
libération de Marie Stuart, l 'héritière légitime du royaume d' Angle-
terre. Sinon, je crois qu'aucun Anglais catholique ne marchera. » (38)
A sa lettre, le prince de Parme ajoutait un relevé exact des ports,
des débarcadères, des chemins et des rivières, dont la connaissance
était nécessaire à ceux qui auraient débarqué, ainsi qu'un rapport
sur les ports de la côte de Flandre et sur la côte 'anglaise (39).
'Somme toute! Alexandre Farnèse ne se montrait pas très enthou-
siaste quant au fond même du projet. Avec raison, il redoutait
qu'une telle entreprise ne fît tort à ses opérations militaires en
Flandre et ne l'empêchât de réaliser son plan d'offensive.
L'aventure subséquente de l'Invincible Armada devait montrer
combien il avait raison. Quoi qu'il en soit, le secret transpira. Grâce
à son système d'espionnage parfaitement organisé (40), Walsingham

'(38) Farnèse au Roi, T·oumai, 30 novembre 1583 (A. G. R.. Copies de Simancas, vol. 15.
non folioté). ...•
(39) Relaçion de la informaçion que se tiene de los puertos de Dunkerque y Néuport
y de la costa que se posee deste Gravelingas y 'dicho Neup0'T't y de la de lngala~erra,
clans A. G. R., Copies de Simancas. vol. 15, in fine.
(40) J. KRETSCHMAR, o. C., pp, 102-103.

162
fut mis au courant de ce qui se tramait. Le projet des Guise dut, pour
le moment, être abandonné (41).
C'était sous l'impression de la nouvelle entreprise d'Alençon à
Cambrai et de ses efforts pour gagner l'aide d'Élisabeth, que Phi-
lippe II, jusque-là hésitant sinon hostile au sujet de ces projets sur
l'Angleterre, avait donné ordre à son ambassadeur à Londres, Ber
nardino de Mendoza, de lui communiquer son avis sur le rôle des
Guise et sur leurs plans d'invasion (42).
De sorte que cette consultation de Farnèse suree même sujet se
rattache en réalité aux dernières intrigues ourdies par le duc
d'Anjou à propos des affaires des Pays-Bas.

(41) Ibidem, pp. 104-105; KERVYN DE LETrENHOVE, O. C., t. VI, pp, 505-509,
>(42) J, KRETSCHMAR 0, C., p, 96,

163
CHAPITRE XI.

A LA CONQUÊTE D'YPRES, DE BRUGES


ET DE GAND

Lais-sant une partie de son armée assieger Ypres, en attendant


que la ville se rendît pressée par la famine, Alexandre Farnèse se
prépara à isoler aussi complètement que possible les villes de Bruges
et de Gand, surtout cette dernière, dont la prise devait terminer la
conquête de toute la Flandre.
En ce moment, il pouvait déjà se considérer maître de la cam-
pagne. Les forces ennemies ne réagissaient plus ou se bornaient à
tenter quelques coups de main. Leurs opérations se faisaient sans
ensemble et l'on devinait le désarroi qui devait s'être emparé de leurs
chefs. La fortune ne cessait d'ailleurs depuis quelque temps de
favoriser les armes espagnoles. Le 15 août, la ville de Steenbergen
avait été surprise et occupée par le petit corps darmée du Brabant,
sous les ordres du sire de Hautepenne (1). La garnison dHérenthals,
qui avait été relevée par des troupe-s fraîches et qui rentrait à
Anvers, avait été attaquée pal' les Espagnols sortis de Lierre et
presque exterminée (2). Le fils de La Noue, M. de 'I'êligny, parti de
Bruxelles 'avec 400 cavaliere pour aller rejoindre les Français dans
la région de Cateau-Cambrésis, avait été surpris en route par' les
soldats du maître de camp Pedro de Paz et avait échappé à
grand 'peine à ses ennemis. La plupart de ses hommes avaient été
faits prisonniers (3).
{1) Libro de las cosas de rtonaes, r-
247.°; STRADA, o. c .. t. III, p. 382; Pietro Bizarrt
à Walsingham, Anvers, 21 août 1583 (Foreign Calendar 15//3-15//4, n- 83).
(2) Libro de 'las cosas ~e Flandes, fo 247vo•
{3) Libro de las cosas de Flandes, fO 247vo•

164
Cela avait provoqué à Bruxelles une véritable panique. Le gou-
verneur de la ville, van den Tympel,s 'était rendu en toute hâte en
Zélande, auprès du prince d'Orange, pour implorer du seCOUTS (4).
Enfin, le 2'2septembre, par trahison, les soldats espagnols du colonel
de Tassis s'étaient emparés de Zutphen (5).
A cette nouvelle, leprince de Parmeav:aitenvoyé le terçia de
Pedro de Paz, deux régiments wallons avec de la cavalenie, le corps
d'armée de M. de Hautepenne et les régiments de Berlaymont et de
Manderscheidt vers la Gueldre, pour soutenir Verdugo et pour y
attendre I'oecaslon favorable de frapper quelque coup à l'impro-
viste (6).
Pendant que ces troupes s 'acheminaient vers le Nord, Farnèse,
avec le reste de son armée, entreprit les premières opérations néces-
saires pour isoler Gand. Il s'avança dans l'a direction du pays de
Waes : il était depuis quelque temps en tractations secrètes avec le
bailli de cette région, Servais VianSteelant. C'était un pays riche en
pâturages} où ses soldats trouveraient en outre de quoi se nourrir
convenablement.
Tàndis que ces négociations étaient encore en cours, le prince
de Parme s'empressa de ·se rendre maître du Sas de Gand. Le pont
près du Sas, que l'ennemi avait détruit, ayant été rapidement rétabli,
les soldats espagnols passèrent de l'autre côté du canaâ, au nord de
Gand, et, le 22 octobre, chassèrent la cavalerie qui y avait pris posi-
tion.Les troupes de Farnèse purent s'avancer, sans rencontrer
d'obstacles, jusqu'à L'Ecluse.
Ainsi, Gand et Bruges étaient déjà menacées par le Nord (7).
En même temps, sur l 'ordre de Farnèse; le colonel de Mondragon
était parti de Roulers, avec une force assez considérable d'infanterie
et de cavalerie, dans la direction d'Eecloo et s'était rendu maître de
cette ville. Mondragon avait des instructions sévères qui lui prescri-
vaient de bien traiter la population rurale de la région d'Eecloo, afin
de l'induire à ne pas prendre la fuite et à rester chez elle. Mais les

(4) Pietro Bizarri à Walsingham. Anvers, 21 aoüt 1583 (Loc. cit.).


'(5) Relation de la surprinse de Zutphen taicte le 22 septembre 1583; dans Correspon-
dance de Granvelle, t. X, pp. 631-632; Libro de las cosas de Flandes; fo 247vo; P. B'JR,
O. C.•, 2" stuk, fos 400-401; STRADA, 0, C" t. III, p. 385.

(6) Lillro de las cosas de Flari(i,es, fo .248vo; P. BOR. O. C., 2· stuk, fo 402.
'(7) Librode las cosas de Flandes, fO 248vo; STRADA, o. C., t. III, p. 385; Mémo!re~ sur
le marqui» de Varembon, p, 52; BOR, 0, C" 2" stuk, fa. 401; Thomas Dayley à Walsi'l1gham.
29 octobre 1583 (Foreign Caienâar, 1583-1584, n° 176, p. 151). Cfr J. H. KERN'KAMP, De hande!
op den vijand, t. J, 1572-1588, p. 139, 14{)-141.

165:
soldats espagnols ne purent s'abstenir de se livrer au pillage. Dtautre
part, les Gantois, qui exerçaient dans cette région une véritable
terreur, avaient fait parvenir aux paysans Tordre de se réfugier à
Gand et à Bruges. Les, ruraux y obtempérèrent et abandonnèrent
leurs. maisons, en emmenant avec eux ce qu'ils avaient de plus pré-
cieux: Ils laissèrent cependant derrière eux une quantité suffisante
de victuailles pour que les soldats du prince de Parme pussent se
nourrir pendant tout l'hiver (8).
La prise dEeeloo et de la région environnante complétait la
manœuvre d'isolement de Gand et de Bruges, elle gênait désormais
de façon appréciable les rapports et les communications entre ces
deux villes (9).
Bientôt l'occupation du pays de Waes allait isoler Gand du
côté est et nord-est. Ce fut à la fin d'octobre que les négociations
secrètes avec le bailli Servais de Bteelant l'ivrèrent cette région au
prince de Parme. Depuis juin 1579, le dictateur gantois Hembyze
avait réussi à étendre sa domination sur ce riche pays: il avait immé-
diatement démis les catholiques qui exerçaient la fonction de magis-
trat dans' les smalle wetten et les avait remplacés par des calvi-
nistes (10). Les succès militaires du prince de Parme et son avance
vers le Nord de la Flandre avaient provoqué la, panique dans cette
région et le bailli de Steelant finit par en ouvrir l'accès aux troupes
espagnoles. De plus, il livra au prince de Parme le château de Rupel-
monde, dont il avait la garde et le commandement. Au moment de la
reddition, cinq navires armés qui stationnaient sur l'Escaut devant
le château refusèrent de suivre Steelant dans sa trahison et, avant
de lever l'ancre, canonnèrent l'infanterie espagnole d'Antonio de
Olivera qui s 'avançait pour prendre possession de la forteresse (11).
L'occupation de Rupelmonde par Farnèse fut un rude coup pour
les Gantois. Le prince de Parme avait ainsi rendu très difficile le
passage des navires de guerre et des convois de ravitaillement qui,

(8) Libro de las cosas de Plasuie», fo 248vo•


(9) iFarnèSie à un ministre du Roi, Camp devant Eecloo, 31 octobre 1583 (B. N. P.,
IDS. espagnol 182, r- 3~).
(10) V. FRIS, Histoire de Gand, p. 230.
(U) Farnèse à un mmletre du Roi, Tournai, 17 décembre 1583 (8. N. P., ms. espagnol
182, fo 352'°); Fremynà Walsingham, Anvers, 29 octobre 1583 (Foreign Calenâar, 1583-1584,
n° 177); Blzarrl à Walsingham, Anvers, 30 octobre 1583 {ibidem, n- i78); Stokes à Wal-
singham, Bruges, 6 novembre 1583 (ibidem, n° 197); Libro de las coscs de Flandes, fo 249;
P. BOR, o. c., 2" stus, f 401.
O

f66
par l'Escaut, auraient pu se rendre d'Anvers à "I'ermondaet de là
à Gand (12).
Coupés de toutes leurs communications ordinaires vers Anvers,
vers Terneuzen et vers Bruges, les Gantois voyaient se dresser le
spectre de la famine qui allait bientôt les tenailler. L'occupation du
pays de Waes et du château de Rupel'monde avait dailleurs conduit
à celle des deux villes d'Axel et de Hulst. La population elle-même
avait demandé spontanément d 'y placer une garnison et de remplacer
le magistrat calviniste par des catholiques (13).
TI ne restait plus d'accès libre à la ville de Gand que par la Lys,
du côté de Courtrai, et par la Dendre, du côté d 'Alost.
Pour couper les communications avec Courtrai par le COUl'S
de la Lys, le prince de Parme, à l'aide de trois pièces d'artillerie
qu'il avait fait venir de Tournai, par l'Escaut,s'empara du château
de Nevele, au nord-est de Deynze (14). Pour compléter Pencercle-
ment de Bruges par le nord-ouest, le mar-quis de Richebourg fut
envoyé, avec quelques troupes et l'artillerie qui avait servi à Nevele,
contre le château de Middelbourg, situé entre Damme et Ardenbourg.
A peine les premiers coups de canon furent-ils tirés, que les 140
Anglais du régiment de Morgan qui l'occupaient se rendirent (15).
D'autre part; le marquis de Varembon s 'aehemina avec quelques
compagnies bourguignonnes contre Oedelem, dont le château était
occupé par des soldats des États qui avaient combattu à Haarlem et
à Zierikzee, à l'époque du duc d'Albe et de Requesens. Se presentant
au point du jour devant le château avec 300 fantassins bourguignons
et 70 cavaliers, Varembon les logea en divers endroits à l"abri de
taillis et de buissons. Puis, il fit battre les tambours et sonner les
trompettes pour donner à l'ennemi l'illusion que les assiégeants
étaient en grand nombre. TI fit ensuite pénétrer une trentaine de ses
hommes dans la cour du château et sommer l'ennemi, qui s 'était
retranché dans le corps de logis principal, de se rendre, sous menace
de faire pendre tout le monde aux créneaux, si l'on attendait la mise
en position des pièces darcillerie. Trompée par ce stratagème, la
garnison capitula (16).
(12) Libro de las cosas de Plasuies, 100. olt.
{l3) Libro de las cosas de Flandes, fo 249; P. BOR, O. C., 100. clt.; STRADA, o. C"
t. III, p. 386.
{140 Libro de las cosas de nanae«; fo 249vo•
{15) Mémoires sur le marquis de Varembon, fo 53; Ltbro de las cosas de Flandes,
fo 249vo•
{16) Mémoires sur le marquis de Vœrembon, pp. 53-64.

1&'7
Satisfait de l'ensemble de ces opérations; qui avaient réalisé à la
lettre une partie du grand plan d'offensive qu'il avait exposé au Roi
en 1581, le prince de Parme envoya ses troupes en quartier
d'hiver (17).

.. "
Les opérations de Farnèse dans le Nord de la Flandre avaient
jeté un peu partout la panique chez l'ennemi. La prise du château de
Rupelmonde avait fort inquiété les Anversois : des ordres furent
donnés pour commencer la construction de forts à la Tête de Flandre,
en face de Rupelmonde et en d'autres endroits encore (18). L'arrivée
de 1.500 réfugiés du pays de Waes, suivis de leurs familles et chargés
de ce qu'ils avaient de plus précieux, avait ébranlé la confiance des
Anversois et matérialisé pour la première fois à leurs yeux le danger
de l'approche des Espagnols. La prise de Rupelmonde leur fit d 'ail-
leurs craindre que Farnèse ne troublât la navigation entre Bruxelles
et Malines et n'isolât complètement Vilvorde (19). Enfin, la perspec-
tive de voir l'es troupes ennemies installées pendant tout l'hiver dans
le pays de Waes les remplit d'anxiété (20). Déjà, on parlait d'e
rappeler la garnison qui occupait Hérenthals, après avoir mis le feu
à cette ville, et de lui confier la défense des forts autour d'Anvers (21).
De Bruges, l'agent anglais Stokes transmettait à Londres des
craintes non moins vives. La prise du château de Middelbourg par
les Espagnols avait mis en grand danger la sécurité de L'Ecluse
et de Damme et les Brugeois savaient que si ces deux places tom-
baient aux mains de l'ennemi, le ravitaillement de la ville devien-
drait impossible et que la reddition de leur cité ne serait plus qu'une
question de jours (22).
Enfin, en Zélande même, soufflait un vent de découragement.
Buzenval, passant par Middelbourg pour se rendre en Allemagne, y
avait rencontré Marnix de Sainte-Aldegonde et avait été frappé par
{17) STRADA, O. C., t. III, p. 386; Mémoires sur le marquis de Varembon, pp. 52-53.
(18) Fremyn à Walsingham, Anvers, 29 octobre 1583 '(loc. cit.); P. Bizarrf à Wal-
singham. Anvers, 30 octobre 1583 (loc. cit.).
(19) Des avvisi d'Anvers, datées du 24 décembre 1583, signalent que des Espagnols
de Rupelmonde montent la ga-rde sur l'Escaut, pour empêcher tout passage entre Ter-
monde, Malines, Vilvorde et Bruxelles (H. VAN Hou'ITE, Un journal manuscrit intéressant
(1557-1648),dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 1926, t. LXXXIX,p. 403).
(20) Lettre citée de P. Blzarri,
(21) Prernyn à Walsingham, lettre citée.
(22) Stokes à Walsingham, 6 novembre 1583 (lOG. cU.).
l 'expression tragique de son visage: « On pouvait y lire Pangoisse
créée par l'état malheureux des affaires du pays, où tout allait
sens dessus dessous ». Les Zélandais étaient si remplis de terreur
par l'arrivée soudaine des Espagnols au Nord de Bruges et de
Gand qu'ils « ne voyaient même pas la porte de derrière, qui
leur offrirait le moyen de s'échapper: immobilisés par la stupeur,
ils attendaient chez eux la venue de l'ennemi, et ils semblaient n'avoir
gardé leur maison que pour y recevoir ceux qui allaient tout de suite
les en expulser ». Buzenval ajoutait: « La situation dans ces îles de
Zélande est devenue telle que, si l'ennemi avait tourné ses regards de
ce côté au rieu de pénétrer en Flandre, je me demande s'ils n'au-
raient pas envoyé des vaisseaux de l 'autre côté de l'Escaut pour le
recevoir! » (2'3) Buzenval certifiait à Walsingham qu'il n'exagérait
en rien : « J'ai vu l 'homme le plus important de Zélande, Marnix,
qui 'lll'aparlé de cette misère en des termes qui sont beaucoup plus
forts que ceux que j'emploie pour vous écrire. Cela m'a peiné de le
voir assis, les bras croisés, en un moment où il y a urgente nécessité
de bons pilotes pour guider <levaisseau, si désemparé au milieu des
flots et de la tempête! »
Et Buzenval terminait sa missive peu encourageante par ces
mots: « Après avoir bien examiné l"ensemble de la situation, je ne
trouve que peu qui soit de nature à me réconforter. Nous n'avons
pas les moyens d'arrêter les victoires du Roi d'Espagne; nous
sommes maintenant ses voisins immédiats et il est à craindre que
nous n'éprouvions bientôt les manifestations de sa force et de sa
grandeur! »
Des trahisons menaçaient d'ailleurs d'éclater un peu partout.
Depuis longtemps, des tractations secrètes étaient engagées entre
le prince de Parme et le comte Guillaume van den Bergh, gendre du
Taciturne, gouverneur de la Gueldre pour les États. Par lettre du
25 août, van den Bergh s'était engagé à livrer Zutphen et le reste
de la Gueldre aux armées espagnoles dès que celles-ci se seraient
approchées de cette région. Les entreprises de Farnèse dans le Sud
de la Flandre ne lui avaient pas permis d'exécuter ses desseins. Mais
entretemps, nous l'avons vu, 'I'assis avait réussi à s'emparer de
Zutphen. Le prince de Parme ayant alors repris les négociations
avec van den Bergh, la trahison de celui-ci fut découverte et le

,(23) de 'Buzenval à Walsingham, Mlddelbourg, 4 novembre 1583 (F()reign coienao»,


1589-1584, n> 192).

169
15 novembre, le comte fut arrêté. Parmi les papiers de son secré-
taire, on trouva la minute de la lettre du 25 août adressée à
Farnèse (24).
Presque au même moment où se fit l'arrestation de van den
Bergh, la garnison d'Alost livra cette ville au prince de Parme. Ce
qui restait du régiment anglais de Norris avait été placé sous les
ordres du colonel Morgan, On avait d'abord songé à envoyer ces
soldats en garnison à Dixmude" mais cette ville se rendit à Farnèse
avant qu'on eût pu la secourir. Les Étll/ts leur demandèrent alors de
tenir garnison à Alost, où les compagnies flamandes et allemandes
n'étaient pas en nombre suffisant: les Gantois s'étaient engagés à
pourvoir au paiement de la solde des Anglais. Au lieu de tenir cette
promesse, les Gantois semblent avoir essayé d'expulser ces soldats
de la ville d 'Alost, comme s 'ils avaient été des ennemis, et de les
remplacer par des compagnies de calvinistes à la solde dHembyzc.
Toutefois, les Anglais ne se laissèrent pas faire et restèrent à Alost.
Bientôt, ils endurèrent une misère noire, personne ne se préoccupant
de les aider, De Gand, il ne fallait plus rien attendre: à Anvers,
où le colonel Morgan s'était rendu, on se contentait de faire de belles
promesses, Vers le 15 novembre, les Anglais firent savoir au magis-
trat dAnvers que, si on ne leur envoyait de l'argent endêans les
quatre jours, ils sadresseraieut au prince de Parme.
DE rait, lE capitaine italien Orfeo Galiano, quiavait la garde du
château de Liedekerke près d 'Alost, informé du mécontentement des
Anglais, s'était mis en rapport avec le sergent-major et les capi-
taines, qui les commandaient en l'absence de leur chef Roger Wil-
liams, Galiano avait réussi à obtenir la promesse que les Anglais
ouvriraient une des portes d'Alost aux Espagnols et qu'ils laisse-
raient massacrer, sans intervenir, les quelque 300 Flamands et
Allemands qui formaient le reste de la garnison. Le prince de Parme
fit remettre aux capitaines anglais une lettre promettant bon traite-
ment et le versement de 30.000 écus.
Au jour convenu, 1,000 fantassins et 200 cavaliers, qu'on av.ait
fait venir des garnisons de Philippeville, de Courtrai et d'Audenarde,
avec la complicité du capstaine unglais Pigot, surprirent Alost. Ils
se préparaient à attaquer l'autre partie de la garnison qui n'était
point dans le secret, lorsque ces soldats, qui avaient eu vent de ce
{24) P,BOR, O. c., 2" stuk, fO 402; Lettre de Evrard van Reidt au comte Jean de Nassau,
Buck, 19 décembre 1583, dans GROEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t. VIII, pp. 288-296;
MOTTLEY, La révolution des Pays-Bas au XVI' siècle, t. VI, p. 192.

170
qui se préparait, réussirent il, sortir de la ville par une autre porte
et se retirèrent sur Gand ('25).
ICette prise d'Alost couronna les manœuvres d'encerclement de
Gand. Maître du cours de la Dendre, le prince menaçait directement
Termonde et pourrait bientôt couper toute communication entre cette
ville et Gand, tout en l'isolant plus complètement encore du côté
d'Anvers.


'.!<

Pendant que Farnèse avait regagné Tournai pour y passer le
reste de l'hiver, ses troupes avaient établi leurs quartiers dans le
pays d'Eecloo et dans celui de Waes. A l'arrivée des Espagnols dans
la région d'Eecloo, les populations rurales avaient pris la fuite. Elles
adressèrent bientôt une requête au prince de Parme pour lui exposer
que, dans la région située entre Gand et Bruges, elles avaient été
naguère dépouillées par les soldats français du duc d'Anjou et par
les bandes de mercenaires au service des rebelles, et que, pour éviter
la ruine totale, elles avaient dû se mettre à la disposition des ennemis
du Roi. Elles suppliaient le prince de Parme de leur pardonner, les
autoriser à réintégrer leurs demeures, sans devoir payer de rançon,
et de leur faire délivrer des sauf-conduits pour faciliter leur retour.
Farnèse apostilla cette requête dans le sens désiré par ces mal-
heureux. Tout en leur faisant remarquer qu'ils avaient eu tort de
s'enfuir à l 'approche de l'armée royale, il leur fit comprendre qu'il
n'entendait user à leur endroit que de « douceur et bon traictement »
et les invita à rentrer chez eux, leur promettant de ne leur imposer
aucune taille ni rançon. (26)
Le prince s'était d'ailleurs transporté en personne à Eecloo pour
éviter que ses troupes ne transformassent cette région riche en bétail
et en fourrage en un véritable désert. Il donna des ordres sévères
pour la distribution des vivres et pour le maintien de la discipline
et organisa un système bien ordonné de contributions, qui devait lui
permettre de ménager quelque peu ses finances. (27) Quant au pays

(25) Foreign Ctüendar, 1583-1584, pp. XIX-XXI; Lettre de Norris à Walslngharn. Anvers,
26 novembce.sazo Angliae (Foreign coienâo« cité, n°
271); Libro de las cosas de Flandes,
fo 250.0; P. BOR, O. C., 2" stuk, t» ([03; STRADA, o. C., t. III, pp, 386-387,
'(26) Requête avec apostüle du prince de Parme, datée d'Eecloo, ([ novembre 1583, dans
KERVYN DE VOr..KAERSBEKE et DIEGERlQK, Documents historiques inl?dits concernant les
troubles des Pays-Bas, t, II, p. H7, n° CCCCXCIII.
(27) P. FEA, O. c., p. 161.

171
de Waes, Farnèse devait en apprécier toute la richesse et la fécondité
et prendre là aussi des mesures pour ne pas tarir trop vite les res-
sources qu'il pouvait en tirer. Fremyn navaid-i! pas écrit à Walsin-
gham: « En somme, le pays de Waes servira à l'ennemi de magasin
de victuailles pour cet hiver » (28). Aussi, Farnèse résolut de ne
pas charger ce pays par la présence d'un grand nombre de soldats:
moyennant une contribution de 100.000 écus par mois, il s'engagea
à laisser les populations vaquer tranquillement à leur besogne. Il
y suivit le même système qu'il avait déjà employé à EecJoo où, après
avoir relâché 600 riches fermiers que ses soldats avaient enfermés
dans l'église, il leur ordonna de procéder aux semailles et de labourer
leurs champs, avec promesse de ne point les laisser molester par
ses troupes. Cette attitude bienveillante lui valut, au dire de ses
ennemis eux-mêmes, l'affection de toute la population pauvre de la
contrée {29).
Cependant, les ehefs des troupes des Etats avaient compris
quelle aubaine la possession du pays de WaeB constituait pour les
Espagnols. Ils ne manquèrent point de mettre en œuvre tous les
moyens pour essayer de les en expulser. Une flotte de 30 navires de
petit tonnage quitta la Hollande sous les ordres du comte de Hohen-
lohe et apparut devant Terneuzen, où des soldats furent débarqués.
Ceux-ci percèrent des digues; inondant ainsi une partie du pays de
\\"aes et provoquant l'extension de la nappe d'eau jusque près de
Gand. A la nom-elle de cette expédition ennemie, Farnèse retourna
à Eecloo et ordonna de transférer le bailli van Steelant dans les
prisons de Tournai, en le menaçant de le faire pendre. Le prince
avait probablement soupçonné le bailli de l'avoir trahi (30).
De leur côté, les Anversois avaient percé des digues sur la rive
gauche de l'Escaut, près d 'Anvers, pour mettre de ce côté le pays
de Waes sous eau (3I). Ils s'efforcèrent aussi de maintenir les com-
munications fluviales avec Termonde et Gand et y réussirent dans
une certaine mesure, malgré la présence des Espagnols au château
de Rupelmonde. L'amiral 'I'reslong avait envoyé sur l'Escaut sept

(28) Foreign Calendar 1588-1584,n° 177, p. 152.


(29) Stokes à Walsingham, lettre citée.
(30) Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 30 novembre 1583(B. N. P., ms, espagnol 182,
r- 350); Stokes à Walsingham, Bruges, 3 novembre 1583, stilo Angliae (Foreign Calendar
1583-1584,n- 221); P. Blzarri à Walsingham, Anvers, 13 novembre 1583 {ibidem, n° 222);
Le colonel Morgan à Walsingham (ibidem, n° 224); Libro de las cosas de Flll/ndes, fo 250,
(31) Fremyn à Walsingham, Anvers, 6 novembre 1583 {Foreign Ctüenâar, 1588-1584,
n° 199).

172
navires de guerre, avec lesquels on se préparait à bombarder ce
château, dont les hautes murailles, n'étant pas protégées par des
flanquements du côté du fleuve, pouvaient être assez facilement
approchées par des vaisseaux ennemis (32).

* *' *

Pendant le mois de décembre 1583, le priuee de Parme continua


à résider à Tournai, d'où il' partait de temps en temps pour visiter
les principales garnisons et les villes conquises et pour rétablir le
culte catholique dans les régions récemment reprises par ses
troupes (33).
Vers cette époque, le président Richardet revint d'Espagne. Sa
mission avait duré beaucoup plus longtemps qu'on navait prévu, mais
il apportait de la part du Roi des promesses sérieuses et des décisions
importantes. Philippe II s'était enfin résolu à soutenir efficacement
l'effort militaire du prince de Parme.
Sur la politique royale et ses changements à la fin de 1583 et au
début de 1584~nous avons des renseignements précieux, recueillis
par l'observateur très avisé qu'était Matteo Zane, ambassadeur
vénitien à Madrid. Il vaut la peine de reproduire ici les réflexions de
cet ambassadeur, confiées aux dirigeants de la république de Venise
à son retour d'Espagne.
« Les raisons) écrit-il, pour lesquelles le prince de Parme n'a pu
faire jusqu'ici de meilleurs progrès sont manifestes. Il ne pouvait
avoir pleine confiance dans son armée, ni dans son conseil, ni dans
les dispositions du pays réconcilié et il se vit obligé de laisser tou-
jours de fortes garnisons dans les villes, tant par crainte de l'ennemi
du dehors que par peur des ennemis du dedans. Il en résulta que son
armée de campagne ne dépassa jamais le nombre de 10.000 hommes,
alors qu'il aurait dû pouvoir disposer de 20.000.
'> Il ne pouvait avoir confiance dans son armée, parce qu'elle était
composée en majeure partie de Wallons, qui sont certes courageux,
mais qui se battent à contre-cœur contre leurs compatriotes. De plus,
étant,comme les soldats des autres nations, mal payés, ils montraient
du mauvais vouloir et étaient moins zélés pour le service.

(32) Fremyn à Walsingham, lettre citée.


(33) STRADA,o. c., t. III. p. 387.

173
~ Le prince ne pouvait pas non plus avoir confiance en son
conseil, parce qu'il était composé de ces seigneurs flamands qu'on
nomme les Malcontents, et ce nom seul suffit pour expliquer la
méfiance qu'ils devaient inspirer. Cependant, le Roi voulait qu'on
leur confiât les charges principales.
» Le prince ne pouvait pas non plus avoir confiance dans le pays,
car, de lui-même, il était porté à la désaffection, et il était de plus
accablé par la guerre qui se faisait chez lui et qu'on lui faisait de
l'extérieur, avec, comme résultat, des dommages infinis de toutes
parts. il y avait, enfin, la conduite du prince d'Orange, dont, sans
aucun doute, la mort aurait détaché la plupart des gens du parti des
rebelles.
» Pour vaincre tant de difficultés, il aurait été nécessaire qu'aux
forces de terre se fût jointe une puissante flotte. Mais: le Roi ne s'y
est jamais résolu, parce qu'il ne possédait que le port de Gravelines,
qui est un port si peu favorable, que les bancs de sable et la marée
rendent si peu apte à la navigation, si Icelle-ci n'est faite par les
naturels du pays) et ceux-ci ne voulaient pas s'y prêter.
» Aussi, les ministres du Roi, depuis longtemps fatigués de cette
guerre et considérant comme définitivement perdu l'argent qu'on y
consacrait, avaient exprimé depuis bien des années déjà l'espoir
que Sa Majesté abandonnerait cette entreprise, en en démontrant
l'impossibilité, et affirmant qu 'il n'est pas juste, pour défendre un
membre, d'exposer la perte de tout le corps. ils représentaient au
Roi comment, depuis des années, on avait extrait d'Espagne deux
millions et demi par an ...
» Mais Sa Majesté n'a jamais voulu abandonner l'entreprise, Elle
sait que les Pays-Bas, situés au centre de l'Europe, sont très impor-
tants, non seulement pour la conservation, mais pour la sécurité des
affaires: on peut facilement, en ce pays, rassembler une armée
d'Allemands, de Wallons et d'autres habitants du pays, avec laquelle
on peut pénétrer jusqu'au cœur de la France. De plus, ce pays, à
cause de son commerce, est plus riche que n'importe quel autre ...
» Le Roi résolut finalement de s'en tenir à la guerre défensive
et de mettre tout en œuvre pour conserver les deux provinces d'Artois
et de Hainaut, qui se trouvaient en son pouvoir, lorsque, par une
disposition spéciale de Dieu, arriva, au mois de février 1583, cet
événement notable d'Anvers (la Furie fra;nçaise). Alors, Sa Majesté
conçut de nouveau l"espoir de pouvoir s'arranger avec les États" et
174
Elle autorisa le prince de Parme à leur faire quelques concessions
concernant l'exercice de la religion, en se réservant d'y remédier
plus tard. Mais comme on ne parvint pas à se mettre d'accord et que
bientôt après eurent lieu la défaite du maréchal de Biron, la prise
de Dunkerque et d'autres places maritimes, ce qui devait inquiéter
les Français et les empêcher de secourir les rebelles, le Roi s'est
résolu à la guerre... Il est décidé à Y employer toutes ses forces,
d'autant plus qu'il est maintenant débarrassé de la guerre du Por-
tugal. » (34)
C'est sous l'empire des sentiments révélés par l'ambassadeur
Zane que Philipe II s'était décidé à donner satisfaction au moins
partielle aux demandes qu'Alexandre Farnèse lui avait adressées
par l'intermédiaire du président Richardet. Celui-ci revint d'Espagne
fin décembre 1583, porteur d'une lettre autographe du souverain. Le
Roi y annonçait au prince de Parme que, l'expédition aux lies de
Terçeira étant terminée, il envoyait vers les Pays-Bas toute l'infan-
terie espagnole dont il pouvait disposer, sous le commandement de
Pedro de Tassis, nommé commissaire ~énéral. Ces régiments for-
maient un total de 5.400 hommes, répartis comme suit : 20 compa-
gnies du régiment de Lopez, 13 du régiment de Bobadilla et 18 du
régiments d'Inigues. C'était du moins le chiffre officiel de ces forces,
car lorsqu'on procéda à leur revue, à Cadix, avant leur embarque-
ment pour la Flandre, on constata, comme toujours, que l'effectif réel
ne correspondait pas aux listes de compagnie (35).
Richardet, on se le rappellera, n'avait pas été chargé uniquement
de solliciter des renforts de troupes: il avait aussi demandé l'aug-
mentation et l'envoi régulier des subsides militaires. Sur ce point
également, Philippe II avait essayé de satisfaire Alexandre Farnèse.
TI avait donné l'ordre de prendre, sur le dernier arrivage d'or de la
flotte des Indes, un million et de le déposer dans la forteresse de
Milan. De cette somme, 300.000 ducats seraient envoyés tout de suit«
au prince de Parme pour qu'il en disposât à son gré. Les 700.000
ducats restants serviraient à pourvoir, par un subside mensuel de
130.000 ducats, aux besoins de l'armée (36).

'(34) G. GREPPI, Notices et extraits de quatre relations d'ambassadeurs vénitiens SUT'


Philippe 11, conservées aux Archives de Cour et d'Etat à Turin, dans les Buüetms de la
Commission royale d'histoire, 2· sér., t. IX, 1857, pp. 88 svv. Comparez ALBERI, ïseuuume
venitiani, t. XIII, pp. 347 SVV.
'(35) STRADA, o. c., t. III, pp. 387-388.
(36) STRADA, o. c., t. III, p. 388.

175
En faisant connaître ces décisions à Farnèse, Philippe II lui
notifiait que les habitants de Cologne et le prince-évêque Ernest de
Bavière l'avaient supplié de les aider contre l'archevêque apostat
Truchsess, dont les agissements avaient provoqué la guerre dans
l'Élootorat : le prince de Parme devait mettre tout en œuvre pour
soutenir les catholiques dans ce conflit (37).
"

C'est donc ici l'endroit de dire quelques mots de cette guerre


dans l'Électorat de Cologne et du rôle 'que le prince de Parme y
joua, ou, du moins, de la part qu'il y prit et des responsabilités qui
lui incombèrent de ce chef.
Les difficultés politico-religieuses dans l'Electorat de Cologne
avaient eu comme point de départ l'apostasie de Parchevêque
Gebhard Truchsess (38). Gebhard, baron de Waldburg, ayant embrassé
l'état ecclésiastique, avait été élevé à la dignité d'archevêque de
Cologne le 5 décembre 1577. Jusqu'en 1581, Truchsess, dont plusieurs
avaient soupçonné la faiblesse de ses convictions catholiques, admi-
nistra son diocèse sans qu'aucun reproche pût lui être adressé. Mais
en cette année, il se prit d'une passion malheureuse pour Agnès de
Mansfelt, chanoinesse de Gerisheim, et eut avec elle des relations
intimes. Oublieux de son devoir, il voulait épouser sa maîtresse, tout
en gardant la dignité archiépiscopale et les avantages qui y étaient
attachés. TI décida donc de séculariser à son profit l'Électorat de
Cologne. Pour parvenir à ses fins, il demanda le secours des princes
protestants de l'Empire et essaya d'extirper le catholicisme dans
ses États. Il se heurta à l'opposition du sénat et du chapitre métro-
politain de Cologne, qui entendaient rester fidèles à l'ancienne foi.
D'où la guerre.
Le parti protestant de l'Empire vit tout de suite dans ces
événements le moyen d'étendre son action et décida de soutenir
'I'ruchsess : l'électeur palatin Casimir fut choisi comme chef de
l'armée que les princes allaient mettre en campagne pour aider
l'archevêque apostat.
Comme on pouvait le prévoir, le pape Grégoire XIII, par l'envoi
de légats spéciaux, et l'empereur Rodolphe II essayèrent de mainte-

(37) Ibidem.
(38) Sur ces événements, vole J, HANSSEN dans j'introduction des Nuniuiiurberictüe aus
Deutschland, 1572-1585, T, t, Der Kamp{ um Kmn, 1576-1584, Berlin, 1892; MAX LOSSEN,
Der KOlniSche Krieg, t. II. MUinich-Leipzi-g, 1897.

176
nir Truchsess dans le devoir. D'autre part, l'Electeur palatin, le
comte Adolphe de Neuenahr, le duc des Deux-Ponts, Jean-Casimir,
frère de l'Electeur palatin, et tous les seigneurs fidèles à la Confes-
sion d'Augsbourg poussaient l'apostat vers la révolte ouverte.
Les rebelles des Pays-Bas y virent immédiatement une excel-
lente occasion de créer des embarras au roi d'Espagne. On pouvait
espérer, grâce à la présence de nombreux réfugiés calvinistes fla-
mands et wallons à Cologne, que cette ville deviendrait le centre d'une
agitation dangereuse et que les catholiques seraient obligés de céder
devant les efforts combinés de leurs ennemis (39).
Farnèse avait eu immédiatement une vision très nette de ce
danger. On pouvait s'attendre à ce que son attention toujours en
éveil ne négligeât point la question de Cologne. Il lui importait de
ne pas laisser se créer aux frontières orientales des Pays-Bas des
foyers d'agitation et des centres de conspiration calviniste.
Il l'avait bien montré déjà en octobre 1581, lorsque, les protes-
tants ayant provoqué des troubles à Aix-la-Chapelle, il avait donné
l'ordre à quelques-unes de ses troupes d'entrer dans cette région et
de porter éventuellement aide aux catholiques (40).
Il ne put donc pas se désintéresser des affaires de l'Élec.torat.
Mais ces troubles surgissaient malheureusement à un moment qui
n'était pas du tout favorable. Vers la fin de 1582, on se le rappel-
lera, le prince de Parme se savait menacé par l'invasion d'impor-
tantes forces françaises sous les ordres de Biron et il avait son
attention attirée surtout du côté des frontières méridionales de la
Flandre. Il n'hésita cependant point à détacher une petite partie de
ses troupes pour les mettre à la disposition du sénat et du chapitre
de Cologne. Il le fit avant toute intervention du roi d'Espagne et
sans avoir reçu, jusque là, des ordres dans ce sens (41). C'est qu'il
s'était rendu compte.comme il le disait lui-même, que cette affaire de
Cologne « prenait d 'heure à autre une plus grande importance» (42).

(39) MoriNon à Granvelle, Tournai, 25 avril 1583 (Correspondance de Granvelle, t, X.


p. 164); Rapport de Philippe Engel au comte Jean de Nassau, juin 1583 (GROEN'VAN PRINS-
'fERER, Archives"" t, VIII, pp. 202 svv.), Ce rapporrconttent la phrase caractéristique:
« und man gern senen wolte das aus den Niderlendisohén und Cëlnisoheu saohen ein
gemeln werokgemacht würde .•. ». Cfr LOSSEN, o. C., t. II, pp. 488-491.
{40) LOSSEN, Der KOlnische Krieg, t, II. pp. 14-16.
(41) « Ilprlnoipe di Paema. qual già si è orrerto da se stesso » Instruction du cardinal
de Came pour le cardinal légat André d'Autriche, Rome, 14 janvier 1583 (Nuntiatùrberichte .•.,
t. I, p. 357).
(42) Famêse au comte Charles d'Aremberg, 1er janvier 1583 (Correspondance de Gran-
velle, t, X, pp. 421 svv.

177
La difficulté que soulevait le projet de faire intervenir des troupes
espagnoles dans l'Électorat de Cologne était sérieuse et devait être
examinée avec soin. Si, lors de l'intervention à Aixla-Chapelle en
1581, Farnèse avait pu invoquer d'anciens accords conclusentre cette
ville et la maison de Bourgogne (43), il était plus difficile et plus
délicat de justifier l'apparition de troupes de Philippe II dans l'Élec-
torat eolonais. Comment les princes de l'Empire, comment l'empe-
reur Rodolphe accueilleraient-ils cette politique 1
Le prince de Parme montra, dans la solution de ces difficultés, une
habileté et une prudence qui rappellent ses manœuvres à l'époque de
la réconciliation des provinces wallonnes. Il avait à Cologne un obser-
vateur zélé et intelligent, le conseiller de Frise Herman de Moezyem-
broucq, qui l'informait régulièrement de ce qui se passait dans l'Élec-
torat. Ayant appris qu'au début de janvier devait se tenir à Cologne
une diète de la noblesse pour aviser à la situation, Farnèse s'empressa
d'y envoyer le comte Charles d'Aremberg, qui était prince du Saint-
Empire et qui, en cette qualité, pouvait prendre part aux délibérations
sans exciter la susceptibilité des nobles, du sénat et du chapitre
colonais. Il avait chargé Aremberg, à la fin de novembre 1582, de se
rendre à Cologne et d'offrir au chapitre et au sénat de Cologne ses
conseils et son appui (44). Cette première démarche avait excité la
colère du comte Herman Adolphe de Solms et d'autres partisans de
'I'ruchsess qui, dans la réunion capitulaire du 16 décembre, avaient
demandé les raisons de cette intervention étrangère (45). Le chapitre
et le sénat de Cologne remercièrent cependant Penvoyê du prince de
Parme pour ses offres, sans s'engager plus avant (46). Entretemps,
la situation devint plus facile pour Farnèse, du fait que le 15 janvier,
l'Empereur lui-même, probablement sous l'influence du pape Gré-
goire XIII, avait fait savoir au gouverneur général des Pays-Bas
qu'il comptait sur son aide pour le cas où Truchsesset ses partisans
entreprendraient quelque chose contre la religion catholique et l'état
de l'Empire (47).

(43) LOSSEN, Der Kolnische Krieg, t. II, p. 9.


(44) Instruction pour Aremberg, Camp d'Assene, 29 novembre i583 (Correspondance
de Granvelle, t, IX, p. 776); Minutio Minucci au caedinal de Côme, Corogne, 20 décembre
i582 (Nuntiaturberichte ..., t. I, p. 340).
(45) LOSSEN, Der KOlnische Krieg, t. II, p. 97, note 2.
(46) LOSSEN, o. C., t, II, pp, 98-99.
(47) L'Empereur Bodolphe II 11 Farnèse, 15 janvier 1583 (Correspondance de Gran-
velle, t. X. p. 427).

178
Aussi, le 21 janvier 1583, le prince de Parme remit au comte
d'Aremberg des instructions détaillées en vue de sa participation à la
diète qui allait se tenir à Cologne, le 27 du même mois. Le comte ne
devait pas y paraître comme représentant de Farnèse, mais comme
prince du Saint-Empire. TI devait justifier, si besoin était, l'interven-
tion de Philippe II, que le nonce à Madrid, Taberna, avait sollicitée
avec la plus grande instance (48). Le roi d'Espagne n'était-il pas
« uni et confédéré » avec le Saint-Empire, comme 'chef du cercle de
Bourgogne t L'Empereur et le Roi n'avaient-ils pas les mêmes enne-
mis 7 Aremberg devait expliquer que le seul but de l'offre de secours
de Farnèse était de maintenir la religion catholique et déclarer que,
sitôt le danger passé, les troupes espagnoles se retireraient, lais-
sant à l'Electorat de Cologne ses anciennes franchises et toutes ses
libertés. Pour les besoins de la cause, Aremberg pouvait invoquer les
anciens traités d'assistance mutuelle que, dam les siècles passés,
Cologne avait conclus avec les ducs de Brabant.
Passant ensuite aux points d'ordre pratique, Farnèse engageait
Aremberg à communiquer avec le duc de Clèves, dont les bonnes dis-
positions étaient connues ; il lui prescrivait de rechercher quels étaient
à Cologne les principaux agents du duc d'Anjou, du Taciturne et
des autres rebelles et d '0 btenir leur expulsion; de cultiver l'amitié
des bons catholiques, pour en recevoir de l'aide.
Reprenant les directives qui avaient abouti à de si hons résultats
au moment de la réconciliation des Wallons, Farnèse chargeait Arem-
berg de remettre des lettres à certains particuliers influents, pour la
collaboration desquels il s'engageait à obtenir de Philippe II des
récompenses éclatantes. Enfin, pour ne pas éveiller les craintes du
chapitre de Cologne, Aremberg devait donner au chorévêque, Fré-
déric de Saxe-Lauenbourg, qui espérait succéder lui-même à
'I'ruchsess, l'assurance que le roi d'Espagne n'enlèverait pas à
l'assemblée capitulaire son droit de libre élection (49).
Tandis qu'allait s'ouvrir la diète de Cologne, le prince de Parme
se sentit les mains plus libres. Au moment où, à Madrid, If> cardinal
de Granvelle avait encore laissé entendre au nonce 'I'aberna qu'il ne
fallait pas trop compter sur l'effort de Farnèse, qui ne disposait que
de peu de soldats et de peu d'argent et qui était menacé d'une inter-
(48) Le cardinal de Côme au nonce Taberna, Borrre, 3 janvier 1583 (Nuntiaturberichte ...,
t. 1. p. 342).
(49) Instruction de Farnèse pour le comte d'Aremberg, 21 [anvler 1583 (Correspon-
dance de Granvelle, t. XI, p. 428).

179
ventiou française (50), la situation venait de prendre aux Pays-Bas
une tournure nouvelle. La Furie [ramçoise et ses conséquences funestes
pour Alençon avaient débarrassé le prince de Parme des soucis que
lui causait 'cet adversaire: il pouvait maintenant envisager avec plus
de tranquillité la participation de ses troupes là la lutte contre
'I'ruchsess.
En prévision d'une demande de secours) il donna l'ordre aux
régiments d'Aremberg, de Charles de Mansfelt, de Manderscheidt et
de Licques de se loger dans la région d'Aix et de Oornelimunster (51),
d'où, en quelques heures, ils pouvaient atteindre le territoire de
l'Électorat.
Le 3 février, Aremberg se présenta devant la diète, en qualité
de prince de l'Empire, se réservant de ne découvrir sa qualité d'émis-
saire du gouverneur général des Pays-Bas qu'au moment opportun
et décisif (5'2). Le chapitre de Cologne était encore irrésolu. Il avait
peur de s'engager dans des dépenses trop considérables s'il mettait
sur pied des forces pour résister à 'I'ruchsess, D'autre part, il ne
fallait guère songer à faire appel en ce moment aux troupes du duc
de Clèves; elles n'étaient pas prêtes. Les chanoines craignaient surtout
de laisser entrer les forces espagnoles : consentiraient-elles à s'en
aller, une fois la situation rétablie 1 (53)
Pour sonder les intentions du prince de Parme, ils lui envoyèrent
Werner de Salm, cornte de Reifferscheidt : celui-ci devait demander
si le gouverneur général était prêt à donner son assistance, et à
quelles conditions, au cas où le chapitre la réclamerait (54). De plus,
Aremberg fut interrogé à son tour; il s'empressa de promettre que,
lorsque tout serait rentré dans I'ordre, les forces espagnoles quitte-
raient immédiatement l'Électorat (55).
Devant ces assurances, le sénat et le chapitre n 'hésitèrent plus :
ils demandèrent formellement le secours armé du prince de Parme (56).
Aussitôt, le comte d'Aremberg reçut l'ordre de faire avancer ses
troupes jusqu 'à trois lieues de Cologne et de Bonn. A la fin de février,
(50) Le nonce Taberna au cardlnaû de Côme, Madrid, 27 janvier 1583 tNuntuitur-
berictüe ..., t. I, p. 376).
(51) Correspondance de Granoeüe, t. X, p. 437. Cfr LaSSEN, o. c., t. II, pp.132-133.
(52) Correspondance de üronoeue, t. X, p. 437; Minutlo Minucci au cardlnai de Côme,
Cologne, 8 février 1583 (Nuntïatw'berichte"" t. I, p. 003).
(53) Minutio Minucci au cardinal de Oônre, Cologne, 3 Iévrler 1583 (Nuntïaturberichte ...,
t. I, p. 390); Aremberg à Farnèse,8 février 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 443).
{54.) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 445.
(55) Ibidem, p. 417,
(56) Ibtdem, P. 445,

180
la participation des soldats de Farnèse à la guerre qui allait dévaster
l'Électorat êtait ainsi effective (57).
Nous n'avons pas à retracer ici les péripéties de cette guerre.
Nous devons nous borner à examiner jusqu'à quel point ces événements
influencèrent la politique générale du prince de Parme aux Pays-Bas.
Il était à prévoir que les princes de l'Empire ne toléreraient
pas sans protester la participation des troupes de Philippe II.
L'Empereur fut bientôt saisi de la question par l'Electeur palatin et
par l'Electeur de Mayence, et des ambassadeurs de ces deux princes
s'en vinrent trouver le comte d'Aremberg. Celui-ci s'entendit
reprocher d'avoir, en tant que prince du Saint-Empire, introduit
en territoire allemand des troupes étrangères. Il fut porté à sa con-
naissance que l'Electeur palatin, en sa qualité de général du cercle
du Rhin, le sommait de se retirer immédiatement (58).
Aremberg répondit qu'il était venu dans l'Électorat de Cologne
à la suite d'ordres formels et qu'il n'en partirait point sans d'autres
ordres formels de la part de son chef, le prince de Parme. De son
côté, le chapitre de Cologne fit valoir, pour justifier sa conduite, que,
puisque 'I'ruchsess était assisté par le prince d'Orange et les rebelles
des Pays-Bas, les catholiques colonais pouvaient bien s'appuyer sur
les troupes d'un prince catholique (59),
Peu de temps après, Bucho Aytta, prévôt de Saint-Bavon de
Gand, que Farnèse avait envoyé à Cologne pour être son agent auprès
du chapitre, fut entrepris à son tour par les ambassadeurs des deux
Electeurs. Il justifia la présence des troupes de Farnèse en faisant
observer qu'elles n'avaient pas été appelées par le chapitre en tant
que troupes étrangères, mais en tant que forces d'un prince de
l'Empire. Farnèse était, sans doute, prêt à les rappeler dès que le
chapitre n'en aurait plus besoin, mais ce point intéressait uniquement
les gens de Cologne et Bucho estimait qu'on n'avait de comptes à
rendre à personne à ce sujet (60).
Le prince de Parme, qui savait qu'à Madrid le nonce 'I'aberna
ne cessait d'insister auprès de Philippe II pour que les forces espa-
gnoles des Pays-Bas soutinssent aussi énergiquement que possible les

0(57) Minutio Minucci au cardinal de Côme, 9 février 1083 '(Nuntla.lurbe1'ichte ..., t. I,


p. 404); Correspondance de Granvelle, t. X, p. 548.
1(58)Aremberg à Farnèse, 1er mars 1583 (Cul'responiUnce de ûranoeüe, t, X, p, 451),
{59) Même lettre.
(60) Minutio Minucci au cardinal de Côme, Cologne, 3i mars 1583 (Nuntiaturberichte ...•
t. l, p. 469).

181
catholiques de Cologne, et qui recevait dans ce sens des ordres répétés
du Roi, ne s'émut point des représentations des deux Electeurs de
de l'Empire. Il leur adressa cependant, ainsi qu'aux ducs de Wur-
temberg et de Juliers, une lettre pour justifier la pré-sence de ses
soldats (61).
Mais bientôt l'Empereur Rodolphe II lui-même, poussé par les
Electeurs déjà cités et par les princes protestants, fit faire des repré-
sentations à Alexandre Farnèse (62). Celui-ci attribua à cette
démarche le même sens que le nonce Malaspina, qui estimait qu'elle
n'avait été faite que pour ne pas indisposer les princes protes-
tants (63). Aussi, le prince de Parme se contenta de répondre évasi-
vement (64).
Jusque-là, les troupes d'Aremberg avaient participé à la lutte en
entreprenant le siège de quelques localités et en culbutant les soldats
à la solde de Truchsess : elles opéraient en liaison avec les troupes
du chapitre de Cologne, 200 reîtres et 500 cavaliers allemands sous
les ordres du duc Frédéric de Saxe-Lauenbourg, et 600 arquebusiers
liégeois commandés par le comte de Reifferscheidt (65).
Mais voici que, au mois d'avril, Farnèse décida, comme nous
l'avons vu, de se rendre maître d'Eindhoven et rappela de Cologne
les troupes de Charles de Mansfelt, ainsi que le comte d'Arem-
berg (66). Le motif de ce rappel ne fut pas porté à la connaissance du
chapitre de Cologne, qui s'imagina que ces soldats avaient été retirés
pour obtempérer aux désirs de l'Empereur. Les émissaires pontifi-
caux dans l'Électorat versèrent dans la même erreur: ils insistèrent
vivement auprès de Farnèse pour qu'il fît revenir ses troupes (67).
En ce moment,en effet; on constatait la présence dans l'Électorat de
soldats français et il n'était question que des préparatifs militaires
faits par le palatin Casimir. Aussi, le chapitre réclamait-il à cor et à
cri le retour d'Aremberg avec ses hommes et il snppliait Farnèse de
donner des ordres à Verdugo pour que celui-ci prêtât au moment
voulu le concours d'une partie de son armée (68).
(61) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 459.
(62) Lettre datée de Vienne, 8 mars 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 460),
(<63) Le nonce Malaspina au caedlnal légat André d'Autriche, 12 avril 1583 (Nuntia-
turbenctue ..., t. I, p. 492).
(64) Lettre du 2q; mars 1583 (Correspondance de Granvelle, 1. X, p. 470).
{65) Aremberg à Farnèse, 3 juin 1583 (Correspondance de Granvelle, t, X, p. 522).
(66) Aremberg à Farnèse, 21 avril 1583 (Correspondance de Gmnvelle, t. X, p. 485).
(67) Le nonce Malaspina au cardinal de Côme, 21 avril 1583 (Nuntiaturberichte ....
t, I, p. 514).
(68) Nuntiaturberichte ..., t. I, p. 486 et p. 488,

182
Le moment était bien mal choisi. Le prince de Parme projetait
précisément le siège de Dunkerque et l'attaque des forces de Biron
dans le Brabant septentrional. Il se contenta de promettre de l'aide
dès qu'il serait sûr que ses soldats pourraient rendre « quelque
service notable» (6'9). De fait) au début de mai, on constate qu'Arem-
berg se trouve de nouveau dans l'Électorat, avec le régiment de Don
Juan Manrique et deux compagnies de cavalerie (70).
La présence de ces troupes allait d'ailleurs causer au prince de
Parme des ennuis considérables. Nous savons qu'à cette époque, le
défaut d'argent se faisait durement sentir aux Pays-Bas et que des
mutineries étaient prêtes à éclater. La même situation existait dans
l'Éle<ltorat. Déjà au début de juin, la cavalerie légère que Farnèse y
avait envoyée et qui se composait dAlbanais et d'Italiens, était en
proie à des disputes journalières (71).
Peu de temps auparavant, le lieutenant d'Aremberg avait laissé
ses soldats piller plusieurs villages et avait ainsi excité la colère des
habitants contre les troupes royales (72). Aremberg lui-même signa-
lait au prince de Parme que sa petite armée était fort « mal en
point » par suite du manque de solde. Les cavaliers ne pouvaient
même pas faire ferrer leurs chevaux, acheter des munitions, se pro-
curer les uniformes nécessaires. Un grand nombre 'se trouvaient
« tout nus» (73).
En ce moment, la situation politique semblait s'être considéra-
blement améliorée dans l'Électorat par suite de l'élévation à l'épis-
copat et à la dignité électorale d'Ernest de Bavière, évêque de Liége,
candidat très recommandable que le chapitre avait choisi à la place
de 'I'ruchsess, excommunié et déposé par Grégoire XIU.
Mais la situation militaire n'avait subi de ce fait aucun change-
ment. Ernest de Bavière avait autant besoin d'être secouru que
jadis le sénat et le chapitre. Le nouvel élu fut d'ailleurs vite irrité
de voir que les soldats espagnols, loin de l'aider, continuaient
à refuser tout service jusqu'au moment où on les payerait, et
à piller et saccager son territoire (74). A quoi lui servait

(69) Le nonce Malaspina au cardinal de Côme, 28 avril 1583 (Nuntiaturberichte ...,


l. I, p. 525).
(70) Aremberg à Farnèse, 19 mai 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 501),
i(71) Bueho Aytta à Farnèse, Cologne, 2 juin 1583 '(Correspondance de Granvelle,
t. X, p. 518).
(72) Bucho Aytta à Parnèse, 13 mai 1583 (Correspor«Wnce de Granvelle, t. X, p. 491).
'(73) Lettre du 3 juin 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 52,2).
(74)Aremb!erg à Farnèse, 10 juin 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 533).

183
un tel secours? Il se voyait forcé davancer lui même l'argent néces-
saire pour payer ces troupes étrangères, au risque d'encourir la
disgrâce de l 'Empereur. Celui-ci avait fait notifier par un de ses
commissaires à Colo.gne que tous les chefs de guerre devaient se
retirer du territoire impérial, sous peine d'encourir son indigna-
tion (75).
A Rome, on avait ,été averti de l'indiscipline des soldats d'Arem-
berg et le nonce 'I'aberna s'en était plaint à Madrid, auprès de Phi-
lippe II. Des échos du mécontentement royal parvinrent au prince
de Parme, qui, à son tour, fit de durs reproches au comte d'Aremberg.
Mais que pouvait faire ce dernier Il avait manifestement perdu
î

toute autorité sur ses hommes et assistait, impuissant, à leurs débor-


dements et à leurs excès (76). Il pouvait d'ailleurs se plaindre du
silence de son chef qui, de plus en plus absorbé par ses projets
d'offensive en Flandre, ne semblait plus accorder aux affaires de
Cologne qu'une attention distraite.
La menace de l'arrivée de troupes considérables commandées par
le palatin Casimir et destinées à empêcher le siège de Bonn par les
forces d'Ernest de Bavière} qui se voyait maintenant assisté par les
troupes de son frère, le duc Ferdinand de Bavière, obligea le prince
de Parme à s'occuper de nouveau plus directement de l'Électorat (77).
Heureusement, dans cette équipée, Casimir ne montra pas plus
d'esprit de suite que dans ses expéditions aux Pays-Bas. Sommé par
l'Empereur de licencier ses troupes, il se retira, tout en laissant son
arrière-garde à la merci de l'ennemi, qui s'empressa de l'attaquer et
de la culbuter (78).
La disparition des forces de Casimir permit à Ernest de Bavière
d'envisager sérieusement la prise de Bonn. Pour ce siège, l'aide du
prince de Parme fut réclamée avec insistance, et elle parut d'autant
plus nécessaire que les troupes du duc Frédéric de Saxe-Lauenbourg
furent complètement battues à Hiils par le comte Adolphe de
Neuenahr (79). Farnèse s'exécuta, en envoyant dans l'Électorat les
troupes espagnoles de Pedro de Paz (80).
(75) Correspondance de Granvelle, t, X, pp, 526 et 536.
(76) Nuntiaturberichte"" t, I, pp, 654, 657, 674; Correspondance de Granvelle, t, X,
pp. 542, 553, 561, 563.
(77) Correspondance de Granvelle, t. X, pp. 584 et 602.
(78) Herman de Moezyembroucq à Farnèse, 4 novembre 1583 {Correspondance de
Granueüe, t. X, p. 669).
(79) Aremberg à Farnèse, 22 novembre 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 675).
(80) Alexandre Trivius au cardinal de Côme, 2N novembre 1583' iNuïuiaturberictüe ...,
t. II, p. 710).

184
C'est vers ce temps-là que le président Richardot, à son retour
d'Espagne, vint, une fois de plus, rappeler au prince de Parme. com-
bien Philippe II désirait que l'on portât secours à Ernest de Bavière.
Cette reeommandation était superflue. Le siège de Bonn avait déjà,
commencé et les troupes de Farnèse, sous Aremberg et Don Juan
Manrique, y prenaient une part' importante.
Le 28 janvier, la ville capitula et se rendit à Ernest de Bavière.
Ainsi se termina une phase importante de cette lutte dans l'Électorat
de Cologne (81).
A propos de l'intervention de Farnèse dans ceconfiit, il importe
de raconter ici un incident, dont Paolo Rinaldi, dans son Liber rela-
tionum, nous a conservé le souvenir.
A la demande de la Diète impériale, l'empereur Rodolphe. II
envoya au prince de Parme le comte de Schwarzemberg, pour lui
faire connaître les plaintes de divers princes allemands au sujet des
ravages commis par ses troupes en Allemagne. Les dommages étaient
évalués pa:r les intéressés à deux millions d'Dr. Le prince de Parme
dut s'entendre fixer un terme de deux mois pour se défendre et se
disculper devant la Chambre impériale, faute de quoi il serait con-
damné à payer les déprédations de son armée. Sans se laisser entraî-
ner à un mouvement de colère, Farnèse reçut I'ambassadeur Schwar-
zemberg avec beaucoup d'affabilité. Il le chargea d'un message pour
la Diète, qui consistait en l'affirmation suivante: si lui, prince de
Parme, était entré en territoire impérial avec les soldats de Sa
Majesté catholique, il l'avait fait parce que des seigneurs allemands,
ennemis jurés du Roi, son martre, et de l'Empire, avaient prêté leur
aide à des rebelles. Il avait dû passer outre à tous scrupules, et cela
pour obéir au Pape, à l'Empereur et à Philippe II, et pour aider
Ernest de Bavière. Farnèse ajouta que si les seigneurs allemands
ne s'amendaient pas, il les traiterait à l'avenir encore plus mal que
par le passé.
De plus, il adressa à Rodolphe II une lettre personnelle, le priant
d'accepter ses excuses pour ce qui s'était passé. Ce qu'il avait
fait,disait-il, il l'avait fait dans l'intérêt et par ordre du Roi
d'Espagne, et non pas dans son intérêt propre. Il se déclarait con-
vaincu que, en plaçant la question sur ce terrain, I'Empereur et lui
devaient s'entendre tout de suite. Pour le surplus, il mettait au ser-
vice de Rodolphe sa personne, ses enfants et toutes ses ressources.
(81) Cfr LOSSEN, o. C., t. II, PP. 462-473.

180
L'Empereur accepta la leçon et l'ambassadeur Schwarzemberg,
qui avait passé à la cour de Farnèse des moments très agréables,
s'en retourna chez son maître en exaltant les qualités du prince de
Parme (82).

Malgré l'importance qu'avait pour la tranquillité des Pays-Bas


le résultat de la lutte dans l'Électorat de Cologne, Farnèse, comme
le récit qui précède l'a montré, ne s'était pas laissé détourner de
son but principal : la conquête de la Flandre et, plus spécialement,
l'offensive contre Ypres, Bruges et Gand.
Au début de l'année 1584, là situation d 'Ypres était devenue
inquiétante. Les mesures du blocus organisé par les Espagnols corn-
mencaient à sortir tout leur effet. La famine menaça bientôt la popu-
lation et les soldats de la garnison se virent obligés d'abattre leurs
chevaux pour se procurer de la nourriture (83).
Les paysans et leurs familles, ainsi que toutes les « bouches
inutiles », furent impitoyablement expulsés de la ville, mais les
Espagnols les refoulèrent à l'intérieur des remparts (84). Les diri-
geants du consistoire calviniste d 'Ypres décidèrent même de faire
partir tous ceux qui ne voudraient pas adopter la religion réfor-
mée (85). Les catholiques ainsi menacés supplièrent le prince de Parme
de les laisser quitter la place. Mais Farnèse, quoi qu'il dût lui en
coûter, refusa de leur accorder le sauf-conduit nécessaire. Il était
de son intérêt de ne laisser sortir personne de la ville assiégée, afin
d'augmenter ainsi les difficultés du ravitaillement et de hâter la
capitulation (86).
A la fin de janvier 1584, les réformés wallons d'Ypres adressè-
rent un pressant appel au secours aux membres de l'église wallonne
d'Anvers. Jean Taffin, au nom des ministres de cette église, ne put
donner à ses coreligionnaires que des consolations d'ordre moral :
« Celui qui a délivré Jérusalem assiégée par Sennachérib, soutenu
Magdebourg résistant seule en Allemagne contre la puissance de
l'Empereur victorieux, aidé La Rochelle en France au moment cri-
(82) Liber relationum, fo 252.
'(83) Liber reuüumum, fo 139vo•
0(84) Ibidem.
(85) Requête des catholiques d'Ypres à Farnèse, sans date {Correspondance de Gran-
velle, t. XI, p. 451).
(86) A,ntoine de Grenet à Farnèse, YP!I',es,3 janvier 1584 (Correspondance de Gran-
velle, t. XI, pp. 435-436).

186
PL. XI

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PLAN DE LA VILLE D'YPRES


dressé par l'architecte Le Poivre
(t\fs. 19611 cie la Bibliothèque Royale de Belgique, fo 53.)
tique, secouru Leyde en Hollande au moment où elfe ne pouvait plus
tenir, n 'est-ce pas le Dieu d'Ypres, y ayant ,son église qu'il aime et
dont il est le protecteur et le sauveur 1 » Pour le reste,l 'église
d'Anvers ne pouvait promettre aucun secours militaire. Certes, la
volonté y était bonne, mais « les conseils des princes étaient si
obscurs» : Dieu seul pouvait peut-être y remédier (87).
A la suite des appels au secours adressés par les assiégés aux
villes de Flandre, les Brugeois essayèrent à plusieurs reprises
d'organiser des expéditions de ravitaillement vers la ville en
détresse. Mais le seigneur de Werp et ses soldats veillaient et dis-
persèrent aisément les troupes de secours qui essayaient de s 'appro-
cher (88). L'engagement le plus sérieux eut lieu le 26 février. Cent
chariots chargés de vivres quittèrent Bruges, sous la protection d'une
escorte de 250 cavaliers d'élite et d'environ 500 fantassins de la gar-
nison, la plupart écossais. Le sire de Werp, averti, prépara une
embuscade près du fort d'où il surveillait Ypres. Dès son apparition,
l'avant-garde ennemie fut vivement attaquée et un engagement géné-
ral eut lieu, dans un terrain entrecoupé de fossés, où les combat-
tants s'enfonçaient dans la boue jusqu'à la ceinture. Plus de 500 sol-
dats venus de Bruges restèrent sur le carreau (89).
Bientôt, le cercle d'inve'sti8sement de Bruges ayant été resserré
par le prince de Parme, les Yprois finirent par être abandonnés à
eux-mêmes (90).
En mars, la situation des assiégés était devenue intenable. Ils
décidèrent d'entrer en négociations avec les Espagnols et en averti-
rent le sire de Werp. Celui-ci, en ayant saisi le prince de Parme,
obtint les pleins pouvoirs nécessaires pour se mettre officiellement
en rapport avec les Yprois (91).
Comme Farnèse estimait que les assiégés, à cause de leur obsti-
nation et de leur longue résistance, ne méritaient aucune grâce ni
faveur particulière (92), les conditions qu'il posa pour accepter la

{87) Taffin à l'église wallonne d'Ypres, Anvers, 7 février 1584 (Correspondance de


Granvelle, t, XI, p, 454.
(88) Farnèse à un ministre du Roi,Toumai, 8 février 1584 (B. N. P., ms. espagnol 182,
fo 362'°); Libro de las cosas de Flandes, ·fo, 251 oet
T 253ro ;STRADA, o. c., t. III, p. 398.
(89) Farnèse au cardinal Farnèse, 26 février 1584 (A. F. N., Carte farnesiane, Fianàra.
rascro 1624) ; Farnèse à un ministre du Roi, 'I'oumai, 26 février 1584 (B. N. P., IDS,espagnol
182, to 363). Libro de las cosas de Flandes, fo 253'".
(90) Antoine de Grenet à Farnèse, fort d'Ypres, 1er mars 1584 {Correspondance de
Granvelle, t. XI, p. 471).
(91) Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 473-474.
(92) Sur le rôle des oatvmtstes à Ypres, voir A. C, DE SCHRYVEL, Le protestantisme (}

187
reddition furent d'abord très dures. Les Yprois les discutèrent âpre-
ment avec le sire de Werp et, plus d'une fois, il semblait qu'on fut
sur le point de rompre les pourparlers (93). Finalement, Iesassiégée,
après avoir obtenu des adoucissements au projet de capitulation, cédèrent.
Les habitants d'Ypres s'engageaient à rendre la ville au prince
de Parme, et à la remettre au eire de Werp, qui avait eu la direction
du siège, pour y faire entrer telles troupes qu 'il plairait au Roi et à
y établir un magistrat catholique. Ils devaient payer six mois de
solde il, la garnison du fort qui les avait bloqués et un mois de solde
aux .soldats dés autres places qu'on avait dû appeler au secours pour
réduire la ville. Une somme de 100.000 florins était exigée pour se
racheter du sac..De plus, les Yprois étaient obligés de livrer au prince
de Parme M. de Marquette, gouverneur de la place, - naguère un
des plus intrépides compagnons de Louis de Nassau - le chef du
consistoire calviniste et quatre d'es principaux séditieux, dont la vie
serait à la merci du vainqueur. Les églises et les couvents ruinés
devaient être restaurés. A ces conditions, Farnèse accordait aux
habitants un pardon général. Qua.nt à la garnison, qui comptait
encore plus de 700 soldats, elle put sortir de la ville, sans drapeaux
et sans armes, exception faite pour l 'épée, et tous deva.ient jurer de
ne plus jamais se battre contre le Roi d'Espagne (94).
Cet accord se :fità la date du 7 avril 1584 (95).
Le gouverneur de la ville put se racheter moyennant une somme
considérable. Quant au chef du consistoire et aux quatre séditieux
livrés au prince de Parme, les membres du Conseil de guerre espa-
gnol auraient voulu les envoyer au supplice, pour les punir des per-
sécutions qu'ils avaient naguère organisées contre les catholiques
d'Ypres. Mais le prince de Parme leur sauva la vie, en les autorisant
à obtenir leur liberté moyennant le rachat de quatre prisonniers
espagnols (96).
Ypres et dans les environs de 1578 à.1584, dans les Asuüectes pour servir à l'histoire ecclé-
siastique âe la Belgique, 3" sér., t. IX, pp, 5'5-88.
1(93) Antoine de Grenet à Farnèse, Ypres, 28 mars 1584 ,(Correspondance dé Granvelle,
t, XI, pp, 52fr526); Edw, Burnham à Walsingham, Bruges, 23 mars, style d'Angleterre,
1584 (Foreign Calendar, ELiSabeth, 1583-1584, U 499).
O

(94) Texte de la capltuâation de la ville et de la garnison dans les Bulletins de la


CommiSsion royale d'hiStoire, 3" série, t. XIII, pp. 80 svv. 'Ofr aussi les Annales de la
Société d'Emulation de Bruges, 2" sér., t. II, pp. 156 svv,
(95) Lettre de Paolo Rinaldi àJ, B" Pico, T·Durnai, 24 mai 1584 (A. F, P" Carteggio
(arnesiano, Paesi Bassi, carteggio 1584-1589),
(96) Liber relationum, fo i4(}VO; Lettre d'un inconnu, écrite de Tournai et envoyée
en Italie, 24 mal 1584 (1\, F, P, Carteggio (arnesiano, Paesi Bassi, carteggio i584-H't89);
Libro de. las eoscs de Flanàes, fo 256'0,

188
PL. XII

LES TROUPES ESPAGNOLES EIVIPÊCHEN'f LE RAVITAILLEYIENT D'YPRES


(Ms. 19611 cIe la Blbliolhèque Royale de Belgique, fo 54.)
Dans une lettre écrite au cardinal de Granvelle, F'arnès~ s'expli-
qua au sujet des conditions de la reddition d'Ypres: « Bien que
beaucoup eussent voulu, dit-il, que je fisse mettre à mort les bour-
geois et les chefs militaires qui s'étaient rendus ,à discrétion, je n'ai
pas cru devoir Tefaire il cause des affaires que j'ai aujourd'hui en
mains et aussi du discrédit qui aurait. pu en résulter' pour les pré-
sentes négociations. Car je sais par expérience que la clémence est
l'unique remède il. employer avec ces gens-ci et que 'les châtiments
passés les ont aigris et exaspérés. Il convient donc, à cette heure, de
les' rassurer et de les ,gagner peu à peu » (97)~
La prise d 'Ypres, un des quatre Membres de Flandre, était, pour
la conquête de l'ensemble de cette province, d'une importance consi-
dérable (98). Aussi, le prince de Parme se crut-il' autorisé à insister
de nouveau à Madrid pour qu'on restituât à sa famille la citadelle de
Plaisance. Une fois de plus, il implora à ce sujet l'intervention de
Granvelle : « Je vous donne, lui écrivit-il, ma parole d 'honneur et de
gentilhomme que je 'sui,g presque entièrement désespéré de ne pas
voir prendre de résolution au sujet de mes intérêts. J'ai beau rêver,
penser, m'illusionner, je ne puis me figurer pourquoi on laisse de
me répondre et de me donner des explications » (99).
Cependant, hien que le prince eût parlé à Granvelle, au cas où le
Roi ne lui accorderait pas la faveur qu'ii sollicitait, de se « retirer
en un endroit où les affaires de ce monde ne lui donneraient plus de
souci », Philippe II garda, cette fois encore, un silence obstiné. Il
savait le prince engagé dans une entreprise importante, dont il ne lui
était .pas possible de se dêbarrasser en ce moment sans forfaire à
son honneur et perdre sa réputation.

Cette entreprise, c'était la négociation que Farnèse essayait de


mettre. en train ou de provoquer en vue de la reddition des villes de
Bruges et de Gand.
Ces deux' grandes cités flamandes étaient déjà bloquées depuis
quelque temps, comme nous l'avons exposé plus haut. Cependant,

(97) Tournai, 14 avrü 1584' (Carrrespondance de Granvelle, t. XI, p. 19).


(98) Voir la lettre de Farnèse au Roi, publiée dans les Bulletins de ta Commisston
royale d'histoire, 3e série, t, XIII, p. 97.
(99) Correspondance de Granvelle, t. XI, 19-20. Cfr P. FEA, La vertenza per la
restituztone del castello di Piacenza..., 100. clt.rpp; Hi9:"172.

189
elles n'étaient pas encore coupées de toutes communications avec le
1\ord et avec Anvers, et leur ravitail:lement n'était pas encore devenu
impossible.
En décembre 1583, la garnison du château de Rupelmonde avait
surpris un convoi de victuailles, escorté de deux compagnies de cava-
l-erie, qui avait quitté Termonde pour Gand. Une galiote espagnole,
stationnant sur l'Escaut,avait capturé un vaisseau de 'I'ermonde qui
revenait d'Anvers, chargé de vivres (100). Un peu plus tard, un
convoi de trente vaisseaux réussit à se rendre d'Anvers à Termonde
et à Gand, malgré la surveillance étroite que les Espagnols exerçaient
sur le fleuve près de Rupelmonde (lOI). En janvier 1584, dix-huit
barques parvinrent de nouveau à amener à Gand une notable pro-
vision de vivres (102).
C'est ce qui détermina Farnèse à établir un poste à Wetteren,
comprenant une garnison de 1.000 fantassins et de 500 cavaliers,
sous le commandement d'Antonio de Olivera (103).
Les conséquences de cette mesure se firent bientôt sentir à Gand,
d'autant plus que J'ingénieur militaire Piattiavait construit à Wet-
teren un pont qui barrait l'Escaut et fait établir sur la rive du fleuve
un fort, qui tenait sous le feu de ses canons taus les vaisseaux
passant par cet endroit (104).
Entretemps, de graves événements s'étaient passés à Gand
même.

On n'ignore pas que le 1er novembre 1577, un comité calviniste


avait été institué à Gand par François de la Kéthulle, seigneur de
Ryhove, à l'imitation de ce qui s'était fait à Bruxelles, et qu'à la
tête de ce comité avait été placé Jean de Hembyze. C'est ce gouver-
nement calviniste qui 's'était rendu coupable des excès anticatholiques
lesquels avaient été, en partie, la cause de la réaction des provinces
wallonneset du retour des Malcontents au service du Roi. Ryhove et
Hem'byze avaient provoqué la rupture de leurs partisans avec les

(100) Libro de las cosas de Flandes, fo 251'°.


(101) Ibidem, fo 252'0; Giorgto 'Rasta à Farnèse, Bupelrnonde, 2 janvier 1584 (A. F. N••
Carte tarnesume, Fiandra, rasoto 1631).
{102) Ibidem, r- 252"°.
(103) Libro de las cosas de Flandes, to 254.
{l04) STRADA, o. C., t. UI,pp, 39~400; Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 4 avril
1584 (H. N. P., IDS. espagnol 182, to 364"°). ' ..

190
États Généraux et instauré un régime à tendances républicaines. Les
deux dictateurs avaient déclenché une violente persécution contre les
catholiques, organisé en ville un nouveau mouvement Iconoclaste et
installé le calvinisme comme religion officielle. Ces excès avaient hau-
tement vexé le prince d'Orange, qui y voyait un grave danger pour
le maintien de « la généralité» (105). Pendant le séjour à Gand du
palatin Casimir, sous la protection de Ryhoveet dHembyze les
prédicants calvinistes Moded et Dathenus avaient entrepris une
campagne d'agitation contre les catholiques. Le 13 novembre 1578,
Hembyze appuyé sur la fraction ultra-radicale des métiers, avait fait
rejeter la proposition de Religionsfried du prince d'Orange.
A ce moment, Ryhove semble avoir été effrayé des conséquences
de cette politique. Un revirement subit s'opéra chez lui et il commença
à se faire le champion des modérés. TI essaya même, mais en vain, de
s'emparer de la personne d 'Hembyze. TI engagea alors le prince
d'Orange à se rendre à Gand pour mettre un terme aux folies déma-
gogiques. Le 2 décembre 1578, Guillaume de Nassau arriva. Aussitôt
les prédicants Moded et Dathenuss 'enfuirent. La Religions.fried
fut acceptée et un modus vivendi entre calvinistes et catholiques fut
conclu. Mais à peine le prince d 'Orange eut-il quitté la ville que
Hembyze reprit le dessus et essaya d'instaurer une véritable dicta-
ture. Le Taciturne revint le 2 août 1579 et provoqua la chute du
tribun gantois. Celui-ci fut accablé d 'humiliations et s'enfuit en
Allemagne, où il se réfugia auprès du palatin Casimir (106).
La disparition d 'Hembyze avait fait de Ryhove le premier per-
sonnage de Gand. TI se montra un partisan décidé de la politique du
prince d'Orange et défendit chaleureusement la proposition d'alliance
avec le duc d'Alençon. TI en fut récompensé par sa nomination de
grand -bailli de Gand.
Bientôt, les conquêtes d'Alexandre Farnèse, c'est-à-dire la prise
de Tournai et d'Audenarde et ses 'coups de main sur Gand ren-
dirent courage aux catholiques de la ville. Toute la bourgeoisie riche,
les principaux marchands, les grands propriétaires, la noblesse
patricienne étaient restés fidèles à l'ancienne religion et formaient
une partie très considérable de la population. Celle-ci était en réalité,

«105) P. GEYL. The revolt o( the Netherlœnds, pp. 161~163.


(106) V. FRIS, Histoire de Gand, pp. 224--231.

191
dominée par une minorité calviniste, recrutée en grande partie parmi
le peuple et tous les déshérités de la fortune.
Sous l'influence du sire de Ohampagney, frère de Granvelle, que
les Gantois tenaient captif, mais qui jouissait cependant d'assez de
liberté pour fomenter des complots, la bourgeoisie catholique com-
mençaà relever la tête. D'autre part, des dissensions sérieuses
divisèrent les calvinistes eux-mêmes, iL l'occasion de l'intervention
du duc d'Anjou, dont beaucoup se montrèrent de.sadversaires irré-
conciliables. On comprend que la lamentable aventure de la Furie
française vint considérablement augmenter la force €t l'influence
de ce parti. Ryhove, qui s'était fait l'avocat enthousiaste du prince
français, et Guillaume d'Orange, qui avait appelé ce dernier aux
Pays-Bas, perdirent bientôt toute leur popularité.
Le 18 juin 1583, il y eut iL Gand, dans la demeure de Ryhove, une
réunion des États de F'landre, où se manifesta violemment le mécon-
tentement.
Devant la persistance du Taciturne à soutenir le duc d'Anjou et
la fidélité de Ryhove à cette même politique, les délégués de Gand, le
bourgmestre Jacques van der Haghen et le pensionnaire dé Somere
excitèrent la commune contre le prince d''Ürange et les Français. Le
pasteur calviniste Jean Spiegel'e fut envoyé chez -le palatin Oasimir
pour inviter Hembyze à revenir et à reprendre en main la direction
de Gand. Ryhove essaya d'introduire dans la ville uue partie de la
garnison de Termonde afin de pouvoir résister' à ses adversaires. Ge
fut en vain. Le 24 octobre 1583, Jean de Hembyze rentra en triom-
phateur! (107) Son ennemi Ryhove, surpris par ce retour et.craignant
pour sa vie, réussit, dans des circonstances extrêmement difficiles, à
s'enfuir à cheval de Gand et à gagner Termonde, où il se mit à. la
tête de la garnison de cette ville (108).
, L"e retour d 'Hembyze s'était fait au moment où la .situation
devenait particulièrement grave. Oomme nous 1'avons exposé plus
haut, lé bai'llide Waes avait livré cette région au prince de Parme.
le Sas de Gand fut pris par les Espagnols, l'occupation d'Eooloo
perIes-troupes de Farnèse coupa toute communication avec la mer,
(107) V, FRIS, o. ~., P'P. 233-235. Sur la personnaüttéüe Ryhoveet de Hembyze et leur
politique voir CH. RAHLENBll:Œ{, Hembyze, dans Biographie nationale, t. IX. 1886-1887, 001.
14.-15 et P. FRFlDERICQet H. VAN DER -LINDEN, Kethuüe (Fr.ançois de la), s'de Ryhove,
ibidem, t. X, 1888-1889, coi. 707-734.
{108) Ces événements sont racontés de façon pittoresque par R)'frN)Velui-même dans
son Apologie, publiée par KERVYNDE LETTENHOVE,Documents iné.àits relatifs à l'histoire du
XVIe siècle, PP. 350-352.
Alost se rendit bientôt à son tour. Mais Hembyze ne semble pas
s'être 'soucié beaucoup de ces événements extérieurs. Il était rentré
à Gand brûlant du désir de se venger de ses ennemis, parmi lesquels
il comptait le prince d'Orange et tous ses partisans. Nommé premier
échevin de la Keure et appuyé par ses fidèles, qui étaient entrés
dans l'échevinage, il fit arrêter et mettre en accusation tous ceux
qu'il considérait comme ses adversaires. Parmi ceux-ci se trouvait
un patricien influent, Josse Borluut, seigneur de Boucle, et plusieurs
autres bourgeois de qualité (109).
Fou d'orgueil, Hembyze se croit désormais tout permis. Il fait
frapper monnaie à ses armes. Déjà septuagénaire: il épouse la jeune
et jolie Anne van Heurne. Il règne à Gand comme un véritable sou-
verain. Il reprend ses violences contre les catholiques, il ordonne
d'aller de maison en maison pour s'enquérir des opinions religieuses
des habitants, il fait arrêter et chasser de la ville les prêtres, il
autorise Dathenus, qui était revenu avec lui du Palatinat, à recom-
mencer ses prêches calvinistes dans l'église de Saint-Bavon (110).
'S'il a conservé ses sentiments anti-français, il reste cependant,
semble-t-il, tout aussi farouchement opposé aux Espagnols. Dans
l'acte daccusation que, par son ordre, on dresse contre Josse BOT-
Iuut n'ordonne-t-il pas d'inscrire le fait que celui-ci a reçu plusieurs
lettres de l' « ennemi » et qu'il a laissé lire en présence des doyens
des missives du prince de Parme et du seigneur de Masnuy, gouver-
neur d'Audenarde, engageant les Gantois àse réconcilier avec le
Roi? (111)
Et cependant! Ce qui possède surtout Hembyze, c'est la haine
du prince d'Orange et des Français, c'est la fureur de voir le Taci-
turne continuer à prôner l'alliance avec le duc d'Anjou. Pour se
venger du prince d'Orange, il est prêt à traiter avec les Espagnols.
Champagney, qui connaissait très bien Hembyze, résolut de le tenter
et de l'amener à se réconcilier avec le Roi. De sa prison, il lui écrivit
plusieurs lettres dans ce sens (112). Hembyze saisit cette occasion

(109) KEaVYN DE VOLKAERSBEKE et IDI'EGERIOK, Documents historiques inédits, t, II;


pp. 417-418. Voir ibidem, pp, 418-422 l'acte d'accusation formulé contre Josse Borluut,
1(110) V, Fnrs, 0, CH p. 235; KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux,
t, VI, pp, 463-464.
(111) Acte d'accusation contre Borluut, loc, clt., pp. 420 et 422,
{112) Ohampagney au ea:r.dinal de Oranvelje, Beveren, 21 septembre 1584: « Si je
puis recouvrer le double d'un escrlpt que j'envoyay de la prison à Jehan d'Embize, quand
il vjntdernièrement à Gand 'pour premler eschevln, m'eïïorçeant de le convertir à se
réconcilier ... » (Correspondance de Granvelle, t, XI, p. 262).

193
de perdre ses ennemis et se prépara à faire des démarches secrètes
auprès du prince de Parme. Mais pour cacher sa trahison, il com-
mença dabord par persécuter les catholiques, comme nous venons de
le montrer (113).
En ce moment parut à Gand un libelle, intitulé: Vertoog gedaen
den ingesetenen van Gent, oerklarende waerom de reconciiuüie, so
wel meiien Spangiaerden ols Francoisen, nietraedsaem en zij (114).
Aussi anti-espagnol qu 'anti-français, cet écrit n'émanait certaine-
ment pas des partisans du prince d'Orange. A la suite de cette publi-
cation, le 30 janvier, le magistrat résolut d'envoyer une délégation
aux princes allemands et aux villes libres d'Allemagne pour essayer
d'obtenir du secours de ce côté. Le palatin Casimir devait être parti-
culièrement sollicité dans ce sens. Mais l'étoile de celui-ci avait beau-
coup pâli et la délégation gantoise revint sans avoir obtenu le moindre
résultat. I.J'historien Bor fait remarquer à ce propos que cette mis-
sion n'avait été qu'une feinte, imaginée par ceux qui voulaient
réduire le peuple au désespoir et l'amener ainsi à entrer en négocia-
tions avec le prince de Parme. Sans les nommer} Bor met ici en cause
Hembyze et ses partisans (115).
Quoi qu'il en soit de ce détail, certes important, mais difficile à
contrôler, c 'est un fait certain qu'en ce moment Hembyze avait déjà
résolu d'entrer en rapports avec Alexandre Farnèse.

><
• •
A la fin de janvier 1583, un an auparavant, le prince de Parme
avait profité de la Furie f'ran:çaise pour adresser aux Gantois une
lettre afin d'appeler leur attention sur lia trahison du duc d'Anjou et
de les engager à se réconcilier avec Philippe II, en s'inspirant de
l'exemple des provinces wallonnes (116). Ryhove, qui était à ce
moment-là encore maître à Gand avait fait brûler la lettre de Far-
nèse en présence du tambour espagnol envoyé comme parlementaire,
et comme celui-ci réclamait une réponse, te dictateur gantois lui avait
dit : « Faut-il une autre réponse 1 Dites au prince de Parme que je

(H3) Voir aussi V. FRIS, O. C., p. 235.


(114) BOR, o. C., 2" stuk, f' 407.
(U5) Ibidem.
(116) Cette lettre est publiée par KERVYN DE VOLKAERSBEKE, et DIEGERICK, o. C., t. II,
p. 384. L'éditeur de la Correspondance de Granvelle (t, XI, p. 11) la date, par erreur,
de 1584. ElLeest manifestement du 20 janvier 1583, écrlte quelques [ours après l'attentat
du duo d'Anjoucontra .t\(nvers.

194
saurai brûler autant de lettres en une heure que tous ses secrétaires
pourraient en écrire en toute une année » (117). Les partisans de la
paix, qui commençaient déjà à s'agiter, avaient vivement reproché
à Ryhove cette attitude (118).
Depuis lors, le prince de Parme n'avait plus essayé d'entrer en
contact avec les Gantois. Mais, au début de février 1584, il fut averti
par le marquis de Richebourg, qui se trouvait avecl 'arniêo à Eecloo,
que Hembyze avait essayé de se mettre en rapport avec les Espa-
gnols. Le maître d 'hôtel du marquis, envoyé au château d'Eversteyn,
à une demi-lieue de Gand, pour y traiter de la rançon d'un marchand
fait prisonnier ,avait vu arriver le capitaine anglais York, dont
Hembyze avait fait son lieutenant. York avait communiqué en secret
au maître d 'hôtel que la population de Gand était disposée à faire
la paix et qu'il serait bon que Farnèse envoyât quelque personnage
de qualité pour faire connaître les conditions qu'il avait à offrir (119).
Richebourg en avertit immédiatement le prince de Parme. Celui-ci
autorisa son lieutenant à faire comprendre que l'on était prêt à
entrer en négociations et qu'on attendait l'envoi de députés de Gand,
auxquels les aauf-conduits et les garanties nécessaires seraient
accordés (120).
Le marquis de Richebourg adressa alors une lettre à Hembyze
lui-même, pour le prier d'obtenir des Gantois I'envoi de quelques-uns
de leurs députés à Tournai afin d'y négocier en toute liberté. Si
Hembyze ne pouvait parvenir à persuader ses concitoyens d'3igir de
la sorte, il était prié de faire oonnaître « ce qui se pourrait faire ».
Richebourg laissa entendre aussi au tribun gantois que, si l'on arri-
vait à quelque résultatcFamêse lui accorderait un bon traitement et
lui donnerait des preuves de sa reconnaissance (121).
Avant d'entreprendre cet essai de contact avec les Espagnols,
Hembyze avait pris toutes ses précautions. Le 6 février, il avait fait
démettre de leurs fonctions certains colonels et certains capitaines
trop ultra-calvinistes, de même que des conseillers et le procureur
général, et les avait fait remplacer par des catholiques (122). Sous

(H7) Apologie de Ryhove, loc. clt., p. 343.


{H8) Apologie de Ryhove, loc. cit., pp. 343-344,
(H9) Richebourg à Alexandre Farnèse, Eecloo, 19 févrter 1584 (Correspondance de
Granvelle, t. XI, pp. lf58-459).
{120) Farnèse à Richebourg, Tournai, 23 février 1584 l(Ibidem, p. 460).
(121) Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 461-462; KERVYN DE LETTENHOVE, O. C.,
t. VI, p. 562, n. 3, attribue à tort cette lettre à Rlchardot.
1(122)Correspondance de Granvelle, t. XI, 'P. XIII; V. FRIS, O. C., p. 235.

195
son inspiration, un écrit fut publié; qui prônait la réconciliation avec
le roi d'Espagne, moyennant c-ertaines clauses de sauvegarde (123).
Sans dissimuler plus longtemps; Hembyze nomma un conseil,
chargé d'aviser aux meilleurs moyens d'arriver à une pacification,
dont firent partie I'échevin Jean Utenhove, ainsi que Pierre Dathenus
et d'autres ministres (124). Champagney, le conspirateur catholique,
fut mis en liberté.
Pour commencer les négociations avec les Gantois, Farnèse avait
envoyé les sauf-conduits nécessaires au seigneur de Masnuy-Saint-
Pierre, gouverneur d'Audenarde, qui était en rapport avec Josse
Borluut. Une lettre très aimable du prince de Parme adressée à Hem-
byze fut remise au capitaine espagnol Hernando de Segura, qui était
réputé très habile et qui parlait plusieurs langues.
Le contact ayant été finalement établi, Masnuy et Segura d'une
part, Hembyze d'arutre part, convinrent de se rencontrer, accom-
pagnés de 100 cavaliers, à Mont-Saint-Amand. Après un court
échange de vues, Hembyze proposa aux représentants de Farnèse
d 'entrer à Gand,sous prétexte qu'autrement on ne pourrait traiter
sérieusement une affaire aussi importante. Masnuy et Segura y con-
sentirent, non sans avoir-exigé que, pour garantir leur sécurité, des
otages gantois fussent envoyés à Audenarde. Ils acceptèrent alors de
se rendre à Gand et furent logés dans la maison d 'Hembyze (125) .•
La collace de Gand décida de nommer des délégués pour traiter
avec le prince de Parme, à Tournai. Le 9 mars, on rédigea les lettres
de créance pour ces négociateurs, qui étaient Antoine Heyman, éche-
vin de la Keure, et Charles Utenhove, seigneur de Hoogewalle (126).
Le 10 mars, Hembyze lui-même écrivit une lettre à Farnèse pour le
remercier et pour proclamer que l'entreprise de pacification que le
prince voulait 'entreprendre était « chose héroïque, digne de la per-
sonne de Son Altesse, de sa maison et du rang que .Ie Dieu tout-
puissant lui avait fait tenir en ce monde » (127). Le prince de Parme
s'empressa de répondre à Hembyze, le louant de ses excellentesinten-

(123) Ce Iibelle étalt intitulé: Ilfiddeten ende conditiën âoor de uietcke de tngesetene
der vereenichde provincien met de ftfajesteyt van den Coninck van Spagnien,haeren
naturlijcken heere, met goeder conscientie, mils behoirlijcke uerseeckerheut, soudé mogen
accorâeren: llest·ana,lyS'é 'en détail parBoa, o. e., 2" stuk, fOI 4{)7-'409.
{124) Correspondance âe ûranoet;«, t. XI, pp. XIII-XIV.
(125) Nous suivons ici le récit du Libro de las casas de Euuuies, dont l'auteur a utilisé
les lettres mêmes dJ'Alexandre Farnèse (Libro, fos 253""-254.rO).
(126) Correspondance de GranveUe, t. XI, p. lt79.
'(127) Correspondance de. Granve~te, t. XI, PI>. lt&1-lt82..
tiens, et de son désir de s'employer en « si sainte négociation s.: Il
termina en faisant très habilement entendre que le tribun gantois
pouvait compter sur sa reconnaissance particulière au point de vue
« de sa personne et de son avancement» (128).
Bientôt, les délégués de Gand arrivèrent à Tournai chez le' prince
de Parme. Ils demandèrent la concession des points suivants : 1° On
leur indiquerait l'endroit où les négociations devraient se poursuivre ;
2° pendant les tractations, il y aurait une trêve 'Consentie de part et
d'autre; 3° on leur accorderait,moyennant des garanties, la libre
communication par le Sas avec la Hollande et la Zélande. Les délê-
gués insistèrent surtout sur ce dernier point, en faisant valoir qu'ils
obligeraient les éléments les plus séditieux et les partisans du prince
d'Orange à s'embarquer sur les premiers bateaux qui partiraient de
Gand vers le Nord. Ainsi, disaient-ils, le peuple accepterait plus faei-
lement de faire la paix avec Farnèse (129).
Le prince de Parme' répondit tout de suite aux propositions des
Gantois. Il ne fit aucune difficulté à leur accorder l'armistice, à
admettre qu'on ne ferait pas de prisonniers de part et d'autre et
qu'on s'abstiendrait d'infliger des dommages graves à l'adversaire.
11 devait, toutefois, être entendu que les soldats espagnols pourraient
chercher leur nourriture et le fourrage pour les chevaux là où il serait
possible d'en trouver. Quant au commerce, Farnèse I'autorisa à con-
dition qu'il se fît uniquement avec les régions soumises au Roi, et
non avec les rebelles. Il se montra très ferme sur ce point, car il se
rendit compte que, s'il permettait aux Gantois 'de se ravitailler en
Hollande et en Zélande, il leur fournirait par là même le moyen de
lui résister plus longtemps.
Les deux députés gantois s'en retournèrent ensuite faire rapport
à Hembyze. Oomme ils avaient été très bien reçus par le prince de
Parme, qui s'était montré très généreux à leur égard, le dictateur de
Gand, après en avoir parlé avec le capitaine Se.gura, entraîna le
magistrat à décider la continuation des négociations (130).
• lI- •

Le capitaine Segura, qui avait accompagné les délégués gantois


à Tournai, sitôt retourné :à Gand chez Hembyze, entreprit avec
(128) Lettre reproduite par KERVYN DE LETrENHOVE, Les Huguenots et les Gueux,
i. VI, p. 564, en note.
(129) Libro de las casas de Flandes,r- 254vo•
(130) Libro de las cosas de Flandes, f08 254vo_255ro; Farnèse à Pierre--Ernest'de Maos-
felt, Tournai, 13 mars 1~ {Correspondance de Gr<mvelle, t. XI, pp. 483-484). '

197
une habileté consommée de gagner le tribun et de corrompre autant
de monde qu'il pouvait. Farnèse lui avait donné des lettres person-
nelles pour Hembyze, ainsi que des cadeaux à distribuer, en secret,
à ses partisans. Il avait fait préparer des «chaînes d'honneur », en or
ou en autre métal précieux, qu'il se proposait d'offrir à Hembyze et
à ceux qui joueraient le rôle principal dans les négociations. Segura
flattait l'orgueil du tribun en lui disant que Farnèse avait l'intention
de recourir « à sa sagesse et à ses conseils » et il ne cessait de
l'exciter contre les ministres calvinistes fidèles au prince d'Orange,
en suggérant de les expulser de la ville. De la flatterie, il passa
à l'intimidation. « J'ai dit aussi à Hembyze, écrivit-il au prince de
Parme, de se dépêcher et de gagner les faveurs du Roi puisqu'il a
tout en mains, et que, s'il ne le fait, il se verra, au moment où il n'y
songera pas, dépouillé de son autorité et dans une plus grande
détresse que jamais. Je lui ai dit de bien croire qu'Orange ne s'en-
dort pas. Cela l',a fait réfléchir, et je pense qu'il se décidera. » (131)
On le voit, le prince de Parme avait en Bégum un excellent
collaborateur, qui était fin psychologue et négociateur averti. « En
définitive, disait encore le capitaine, il est bon de caresser le popu-
laire, mais sans excès, sinon ces gens attribueraient ces avances non
pas à la bonté et à la clémence de Votre Altesse, mais à leur
mérite, se voyant dans une ville aussi bonne, aussi grande,et aussi
forte» (132).
Se doutant bien de ce qui se préparait, le prince d'Orange cher-
cha à s'emparer de Termonde, où Ryhove ne semblait pas pouvoir
compter sur la fidélité de la garnison écossaise. A cet effet, d'accord
avec Ryhove, le Taciturne voulut essayer d'introduire dans la place
des gens de guerre qui seraient plus dévoués que les Écossais et par
lesquels on aurait remplacé ceux-ci. York, le lieutenant d 'Hembyze,
fut immédiatement prévenu par les soldats de Termonde. Il y envoya
son lieutenant; Seton, pour traiter avec ceux-ci des moyens de lui
remettre cette place. Le capitaine écossais Stewart promit à York
de lui livrer Termonde, en même temps que la personne de Ryhove,
dans la nuit du 20 mars.
Comme il n'était pas possible de laisser Hembyze dans l'igno-
rance de ce complot, Segura et York: le mirent au courant et l'entraî-
nèrent ,à participer à son eœêcution. L8>sscrupules du tribun Lurent
(i3i) Hernando de Segura à Farnèse, Gand, i5 mars i584 (Correspondance de Gran-
veUe, t. XI, pp. 485-487).
(i32) Ibidem.

198
immédiatement calmés lorsqu'on lui montra que c'était là, pour lui,
une occasion unique de se venger de Byhove et de s'emparer de
sa personne. Il fut donc décidé que York quitterait Gand avec 800
hommes, dont 300 soldats écossais et 500 bourgeois. Farnèse, mis
au COUTantdu complot, devait envoyer de son côté le baron de Mon-
tignyaveo 600 soldats, dont 200 Espagnols et 400 d'autres nations.
A la dernière minute, à la demande de Segura, qui propos/ait d'em-
pêcher Hembyze de prendre Termonde pour lui, le nombre des
soldats de Farnèse fut augmenté (133). Au jour fixé, 500 soldats de
Farnèse se réunirent au fort de Wetteren, sous le commandement de
Montigny, marquis de Renty, en lequel Hembyze avait beaucoup de
confiance. Au moment où, à Gand, York et ses hommes préparaient
deux barques, ainsi que les échelles et le matériel nécessaires à l'en-
treprise, ces préparatifs furent découverts par des partisans du
prince d'Orange, qui se mirent à crier à la .trahison et à provoquer
une émeute populaire (134).
L'entreprise sur Termonde échoua. Le peuple, furieux, s'em-
para de l 'Hôtel de ville. Hembyze, accusé de trahison, fut arrêté et
jeté en prison. Le capitaine York subit le même sort (135).
Le prince' d'Orange avertit tout de suite son frère Jean de Nassau
du triomphe de ses partisans à Gand : « Dieu nous a fait la grâce
de faire échouer de si détestables pratiques » (136).
Il jubilait trop tôt. En effet, si Hembyze venait de disparaître,
les Gantois ne cessèrent point pour cela de traiter avec Farnèse. A
la _place dHembyze, ils mirent Jean Utenhove, qui était, lui aussi,
contreOrange et pour la paix (137). Cette nomination indique à elle
seule qu'en ce moment, le parti de la paix devait être fort et en majo •.
ritê, ou bien que les intrigues des agents du prince de Parme avaient
eu un résultat extraordinaire. En tout cas, en mettant Farnèse au cou-
rant de ce qui s'était passé, les échevins de Gand insistèrent sur le
fait que l'incarcération dHemhyze n'avait rien changé à leurs sen-
(133) Hernando de Segura à Farnèse, üanù., 16 mars 1584. {Correspondance de Gran-
velle, t. _XI,pp. 4.89-4.91); Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 13 .avrü 158ft (A. G. R••
Copies de Simancas, vol. 16, non folioté) ; Libro de las cosas de. Ftancles, fo 255'0.
(134.) Farnèse au Roi, lettre citée; Libro de las casas de rtonae», fo 255'0;, Le marquis de
Renty à Alexandre Farnèse, ;Wetteren, 24. mars 1581t tcorreeponaance de Granvelle, t. XI.
pp. 505-507).
(135) Farnèse au Roi. lettre citée; Libro de las cosas de Pumaee, 1 255vo; V. FRIS,
0

0, C" p. 236. - Sur l'arrestation d'Hemhyze, voir le récit clrconetancié de BOR, 0, CIO 2· stuk,
1 1t20.
0

,(136) GROE4'l VAN PRINSTERER, Archives ...• t, VIII, p. i!85.


(137) Les éohëvins de Gand à Farnèse, Gand, 24. mars 1584 (Correspondance de Gran-
veUe, t. XI, pp. 507-508).

199
timents et à leur désir de négocier et ils le prièrent de bien vouloir
faire établir les passeports nécessaires pour les députés qu'ils allaient
lui envoyer (138).
Alexandre Farnèse ne se contenta point de ces bonnes paroles.
Il écrivit au magistrat de Gand pour lui expliquer que les Espagnols
n'avaient eu, dans l'affaire de Termonde, d'autre but que d'empêcher
«la séparation de cette ville du comté de Flandre» et qu'ils n'avaient
décidé de prendre part à l'expédition que pour appuyer les troupes
des Gantois.
Il les avertit en même temps que, puisqu'ils semblaient avoir
emprisonné les otagesespagnols - Segura, le frère de .M.de Masnuy
et un capitaine espagnol, - il avait donné l'ordre aux gouverneurs
de toutes les villes obéissant au Roi de ne pas laisser sortir un seul
bourgeois de Gand de leurs murs, avant de recevoir d'autres instruc-
tions (139).
Cependant, à Gand même, la situation n'était pas aussi grave
que Farnèse SH l'était un instant imaginé. Les représentants du prince
n'avaient pas été arrêtés: on avait simplement limité la liberté dont
ils avaient joui jusque là. Le bas peuple s'était rapidement calmé.
Seuls, quelques ministres calvinistes essayaient encore de soulever la
colère de la masse. Utenhove avait hérité de l'autorité d'Hembyze.
Il avait continué à entretenir les rapports avec le capitaine Segura et
s'occupait de la nomination des députés qui devaient traiter avec le
prince de Parme {lm).
Comme la désignation de ces députés se fit trop longtemps
attendre à son gré, Farnèse résolut denvoyer aux Gantois le pré-
sident Richardot pour les presser daller de l'avant et lem dire
que, si la négociation n'avançait pas plus rapidement, il dénoncerait
l'armistice et aurait recours à la force, «encore que son inclination
naturelle fût de les traiter avec douceur» (141).
Pendant que le prince de Parmee 'efforçait d"amener ainsi les
Gantois à venir à résipiscence, il avait déjà réussi à nouer des rap-
ports avec les dirigeants de Bruges. Désormais, les deux négociations
allaient se dérouler de concert.
«< * *
{138) Ibidem.
{139) Lettre du 25 mars 1584 (Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 510-511); Lettres
de Farnèse au magistrat de différentes vllles, Tournai, 25 mars 1584 (ibidem, pp. 512-513),
(140) Hernando de Segura à Farnèse, Gand, 26 mars 1584 (Correspondance de Gran-
velle, t. XI, pp. 513-514).
(141) Farnèse au Roi, Tournai, 13 avril 1584 (Loo. cit.),

200
A Bruges résidait depuis quelque temps déjà Charles de Croy,
prince de Chimay et fils du duc dAerschot (142). Faible et capricieux,
il était dominé par sa femme, Marie de Brimeu, protestante
farouche (143), et par son agent Louis d'Ennetières (144). Sous leur
influence, il avait fini par se faire calviniste, malgré les reproches de
son père (145). Aussi, le 5 août 1583, il avait été revêtu, par les bourg-
mestres et échevins de Bruges et du Franc de Bruges, du titre de
gouverneur et capitaine général de toutes les villes, places et forts
de leur ressort et nommé colonel de 20 enseignes de gens à pied (146).
On avait pleine confiance en lui : il avait eu de bonnes relations avec
le prince d'Orange et il semble bien que naguère il avait été question
de lui faire épouser la fille du prince, Marie de Nassaur Ié'Z). Le 5 sep-
tembre 1583, les villes de Gand et d'Ypres l'avaient chargé du gou-
vernement de toute la province de Flandre (148). Il occupait d'One
une situation très en vue dans le milieu des rebelles.
Cependant, il apparut bientôt qu'il n'était plus 'd'accord avec la
politique du prince d'Orange. En juillet 1583, il s 'oppcse à ce qu'on
fasse appel aux troupes de Biron et se montre un ennemi décidé de
l'alliance avec le duc d'Anjou (149). Il s 'adapte facilement à la men-
talité des quatre Membres de Fûandre, dont les sentiments anti-
français deviennent de plus en plus violents. Cependant, à ce moment,
il ne songe pas à se rapprocher des Espagnols et les agents anglais
établis à Bruges sont d'avis que, si la Flandre n'a pas encore fâit
la paix avec Farnèse, c'est au prince de Chimay qu'on le doit (150).

(142) Voir, pour cette pérlcde de la vie de Oharles deCroy, Ie livre de la princesse
PIERRE DE CARAMAN CHIMAY,Recueil de lettres missives escrtptes àet par Charles ae Croy,
1598-1584 (Bruxelles, Kiessling; 1913) et celui de la comtesse M. DE VILLERMONT,Le duc
Charles de Croy et d'Arschot I(Tamines, 1923).
(143) Cette influence est bien mise en lumière par la comtesse M. DE VILLER.MONT, Le
duc Charles de Cray et d'Arschot, pp. 54 svv,
(144) d'Ennetières avait été officier du duc d'Arschot à Chimay et était maintenant
capitaine de la garde du prince de Ohimay.'
1(145) Voir la lettre de Philippe II au duc d'Arschot, 31 octobre 1583, publiée par
E, DoNY, Lettres de Philippe II et de Marguerite de Parme à Philippe de Croy, troi-
sième duc d'Aerschot, dans Iles Bulletins de ta Commission roya~e d'histoire, t. LXXXI,
1912, pp. 455-456.
(146) Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. XXXV-XXXVI; Stokes .à Walsingham,
Bruges, 14 juillet 1583, Stylo Anglie, dans Foreign Ctüetuia», Busaoett», 1598-1594, n- 27.
(147) Sur ce projet de mariage, voIr I'Intéressante étude de TROSÉE, Très invrai-
ssmbtaôle ï, dans HiStorische Stuttiën, pp. 190-207.
{148) Correspondance de Granvelle, t. XI, p. XXXVI.
1(149) Stokes à Walsingham, Bruges, 28 juillet 1583, stylo Anglie I(Foreign Calendar,
Elisabeth, 1598-1594, n° 49).
(150) Gilpin à Walsingham, Middelhourg, 26 août 1583 {Foreign catenaa», Elisabeth,
1588-1594, n° 101). .

201
Aussi, son crédit est grand et on attend de lui l'unité de direction
au milieu des tendances contradictoires qui commencent à se dessiner
de plus en plus chez les « rebelles » flamands. Les uns désirent
une république démocratique, les autres sont pour l'autocratie. Tel
groupe incline vers la paix avec les Espagnols, tel autre voudrait
renouer les rapports avec le duc d'Anjou. Enfin, les partisans du
prince d'Orange et de sa politique sont encore nombreux. On espère
que le prince de Ohimay pourra donner les directives nécessaires (151).
En tous cas, au début de 1584, il organise l'envoi de secours à Ypres
- nous en avons parlé plus haut - et rien ne laisse supposer chez
lui le moindre désir de cesser la lutte <contre Farnèse. Il fait
d'ailleurs bonne garde à Bruges et expulse de la ville tous les sus-
pects (152).
Mais voilà que des plaintes s'élèvent. On se met à critiquer la
politique du prince de Chimay, on estime que ses ennemis parviennent
trop facilement à le tromper, à lui imposer leurs créatures, à trafiquer
des offices publics en leur faveur (153). Il commence à être de moins
en moins obéi (154). En janvier 1584, le conflit éclate ouvertement
entre lui et les magistrats de Bruges : sa politique antifrançaise leur
devient odieuse et ils désirent Je voir partir (155). Bientôt, les garni-
sons de Damme et L'Ecluse se mutinent, parce qu'elles ne sont plus
payées: c'est à grand'peine que Ohimay parvient à les ramener au
de-voir (156).
Cette situation de plus en plus inquiétante finit par impressionner
très fortement le faible Charles de Croy, Au début de mars 1584,
il apprit que Hembyze s'était mis en rapport avec Farnèse et que
les représentants de celui-ci étaient entrés à Gand. Il eut à ce sujet
un entretien avec l'agent anglais Stokes et se montra fort bouleversé
par ces nouvelles. Il songea à faire partir sa femme et à l'envoyer
en Angleterre (157).
Caressait-ilce projet parce qu'il jugeait la situation de plus en
(151) Fremyn à Waâslngnam, Bruxelles, 9 septembre 1583 (Foreign çoienao», loc. olt.,
n° 109). ".
(152) Avvisi àe Flasuire, Flessingue, 20 octobre 1583, (Foreign caienaor, loc, clt.,
no 170).
(153) Foreign Caletuiar, loc. cit., n- 175.
(154) Foreign Caletuiar,loc. cit., nOS 203, 219, 237, 263, 319.
(155) Stokes à Walsingham, Bruges, 6 janvier, stilo Anglie, dans Foreign Calenàar;
loc. clt., n- 358.
{156) Stokes à Walsingham, Bruges, 22 février 1583, sUlo Anglie, dans Foreign çatenaar,
100. clt., no 434.
(157) Stokes à Walsingham, Bruges, 28 février 1583, stilo Anglie, dans Foreign caienaar,
100. clt., n° 452.

202
plus menaçante ou voulait-il se débarrasser de la princesse, dont les
sentiments protestants n'étaient que trop connus, parce que, à ce
moment-là, il avait déjà secrètement décidé de se réconcilier avec les
Eapagnols î

Lorsque Hembyze et Dathenus lui-même semblaient résolus à


s'engager dans cette voie, Charles de Croy devait-il continuer à
espérer dans l'avenir et s'obstiner dans une résistance qui devenait
de plus en plus illusoire?
Déjà, on ne compte plus sur lui pour la cause des « rebelles ».
Au début de mars, Walsingham apprend que les rapports entre
Chimay et le prince d'Orange deviennent de plus en plus mauvais
et que probablement le premier est prêt à se rapprocher de Far-
nèse (158).L'ancien bourgmestre Brisault et Caron, échevin du Franc,
ont été expulsés de Bruges, parce qu 'ils sont trop fidèles à la politique
du Taciturne et à l'alliance avec Anjou (159).
Charles de Croy est mûr pour la « réconciliation ».

C'est à ce moment que: le prince d'Orange écrivait tristement


à son frère, Jean de Nassau, pOUTdénoncer Jes manœuvres des
« espagnolisants » : « Il y a desja bonne espace que l'on ne- tient
pardeça quasi propos que de réconciliation et paix avec le Roy
d'Espaigne, et cela mesme avec instance et démonstration bien ouverte
de la désirer sur toutes choses, estant venus les affaires S1. avant,
voire entre aulcuns s'estans tous jours réclamés d'estre de la religion,
jusques à dire et publier tout ouvertement qu'il vault beaucoup mieulx
de se réconcilier et s'accorder avec le Roy d'Espaigne, obtenant tant
seullement permission de la conscience, que, ayant exercice libre de
la religion, demeurer plus longtemps en guerre» (160).
C'est le même moment que choisit le prince de Parme pour
circonvenir le prince de Chimay. La ville d'Ypres venait de se rendre,
aux conditions que l'on sait, et cette capitulation était certes de

(158) Burnharn à Walsingham, Fl-essiDigue,4 mars 1583 (Foreign Coietuto», loc. clt.,
n° 459).- Sur la réconciliation du prince d-e Chimay, orr M. DE VILLERMONT, o. C., pp. 67-80.
Nous ne suivons pas l'exposé de cet auteur, qui s'inspire surtout des Mémoires du prince
rie Ohimay, sans en faire une critique sérieuse, et qui ignore la plupart des documents
que nous employons,
(159) Burnham à Walslngharn, Bruges, 9 mars, stilo Anglte, dans Foreign caienaar,
loc. clt., n° 468.
(160) Lettre de Delft, 22 février 1584,dans GROEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t, VIII,
p.317. .

203
nature à impressionner fortement les Brugeoiset les Gantois qui
résistaient encore (161).
Les 'soldats du marquis de Richebourg, qui continuaient à bloquer
Bruges, firent prisonnier le familier du prince de Chimay, d'Enne-
tières, au moment où il se rendait à Damme. Emmené en présence
de Riehebourg, d'Ennetières, pris de peur, avait spontanément déclaré
que son maître était prêt à rendre « un grand et signalé service à
sa Majesté» (162). Farnèse, immédiatement averti de ce fait, fit venir
le prisonnier à Tournai. Connaissant toute l'influence que d'Enne-
tières exerçait sur Charles de Crey, le prince dé Parme l'engagea
à insister auprès de son maître en faveur, de la réconciliation avec
le Roi. Le prisonnier promit de le faire, mais exigea comme condition
que lui-même obtiendrait le pardon de son attitude de rebelle. Far-
nèse donna l'assurance qu'il en serait ainsi (163).
Le prince de Ohimay se laissa facilement gagner, d'autant plus,
à l'en croire, qu'il venait de découvrir que le Taciturne avait ourdi
un complot contre lui et désirait :se débarrasser de lui par l'assas-
sinat. Il voyait aussi la main d'Orange dans le fait que le comman-
dant de L'Ecluse venait de se révolter et que la princesse de Chimay,
sa femme, avait cherché un refuge à L'Ecluse même (164).
Ennetières retourna rapidement à Tournai pour mettre Farnèse
au courant des bonnes intentions de Charles de Croy : il sollicita de
la part de son maître la même suspension d'armes que celle qui avait
été accordée aux Gantois.
Le prince de Parme répondit affablement, parlant du désir qu'il
avait « de vostre bien et l'affection que je porte à mon cousin, le
duc vostre père» [le duc d'Aerschot], mais il ne concéda point tout
de suite ce que Chimay demandait. Il savait qu'il était le maître de la
situation et qu'il pouvait poser ses conditions. Tout en soulevant
des objections, il voulut bien accorder que les paysans pussent en

(161) Libro de las cosas de Flanàes, fO 256ro•


(162) Le marquis de Richebourg à Farnèse, Camp d'Eooloo, 2 mars 1584 {Bulletins de
la Commission royale d'histoire, s- sér., t, IV, pp, 501-5(3).
(163) Farnèse au Roi, Tournai, 13 avril 1584 (Bulletins de la Commission royale d'his-
toire, 3e sér., t. IV, pp. 502-503, en note); Farnèse au marquis de Richebourg, !!'oUll'nai,
le 10 mars 1584 l{Col'respondance de Granvelle, t, XI, p. 480),
(164) Même ilettre; Libro de w'S cosas de Flandes, r- 256vo; Ohimay au prtnoe de
Parme, 19 mars 1584, dans Bulletins de la Commission royale d'histoire, toc, cU" p, 506,
- Dans son livre Le duc Ctuirtes de C?'oy et d'AfI'schot (p, 78 et note), la comtesse M, de
Villermont met en doute le rôle joué par d'Ennetières, mais elle ne s'inspiré que dés
notes du secrétaire du prince de Chimay et elle ignore la plupart des documents quE
permettent de reconstituer J'histoire de la réconciliation de Charâes de Croy,

204
toute liberté cultiver leurs ter.res dans la region de Bruges, mais il
ne consentit point là la 'conclusion immédiate d'une trêve. Il suggéra
très hahilementà Chimay de faire mieux, c'est-à-dire de ne pas se
contenter d'un armistice, mais d'aller jusqu'au bout et de conclure
« une paix ferme et stable ». TI lui envoya en même temps les passe-
ports pour les délégués que les Brugeois enverraient pour
négocier (165).
Le duc d'Ael~schot, dès qu'il fut informé des dispositions de son
fils, lui écrivit de son côté pour l'engager à se réconcilier tout de
suite avec le Roi. « Si vous désirez me contenter, lui dit-il, et jouir
de ma bénédiction, montrez en cette conjoncture que' vous avez de
bonnes entrailles et que vous vous souvenez du lieu d'où vous venez.
Dans ce cas, je vous serai hon père et je vous traiterai comme mon
enfant » (166).
Si la double insistance de Farnèse et du duc d'Aerschot était de
nature à ébranler Chimay, sa décision fut encore activée par les
preuves manifestes d 'hostilité de la part du Taciturne. Aussitôt que
celui-ci avait été certain de la trahison de Chimay, il avait envoyé le
gouverneur de la Zélande 'avec 1.500 soldats pour se rendre à
L'Ecluse et, de là, tenter un coup de main sur Bruges. On devait
s 'emparer de la personne de Charles de Croy et l'emmener prisonnier
en Zélande (167).
Le complot, toutefois, échoua. Farnèse en profita pour suggérer
à Chimay de mettre fin aux embûches qu'ou dressait contre lui. Ce
conseil fut suivi. L'ancien bourgmestre Casembroot et d'autres
membres du magistrat furent jetés en prison et remplacés par des
partisans de la paix (168). Bruges imitait Gand! Elles devaient finir
par travailler de concert.
Inspiré par Chimay, le magistrat de Bruges désigna des délégués
pour négocier avec Farnèse et décida de les envoyer à Gand, pour
s'entendre avec les délégués de cette ville et présenter, de commun
accord, leurs demandes 'au prince de Parme (169).
(165) Farnèse à Chimay. 23 mars 1584 (Bulletins de la Commission royale d'histoire,
loc. oit.• pp, 507-509).
1(166)Le duc d'Aerschot au prince de Chimay, Tournai. 22 mars 1584 (Bulletins de la
Commission royale d'histoire, loc, ctt., p. 507.
1(167)Relation d'Edward Burnham, avril 1584 (Foreign Caieïuiar, susooeu; 1588-1584,
n- 564); E. VAN METEREN, Historie der Nederlantscher ...• M. elt .• fD 225"°,
{168) Farnèse au Roi. 13 avril 1583 {Loc. cit.); Le marquis de Ri·chebourg au président
Richardet, Eecloo, 29 mars 1584 (Bulletins âe la Commission royale d'histoire, loc, clt.,
~lp. 509-510); Libro de las cosas de Flandes. fD 256".
(169) Farnèse au Roi. 13 avril 1584 (Loc. cit,); Le marquis de Boubalx à Blohardot,
lettre citée; Libro de las coea« de Flan<tes, fD 256vD i Liber relationum. fD 141.
C'est ce que Farnèse avait redouté. Il craignait l'entente entre
Gand et Bruges, il aurait voulu engager des négociations séparées
avec chacune des deux villes. Il soupçonna même là-dessous une
manœuvre inspirée par le Taciturne.
« Il est de toute évidence, écrit-il au cardinal de Granvelle,
qu'Orange ne désire qu'un arrangement général, comme il tâche de
l'obtenir par tous ses subterfuges et artifices diaboliques. Les con-
ditions de paix,en pareil cas, seraient si dures, iniques et indignes,
que non seulement 'Onne pourrait pas les discuter, mais même les
écouter. Une paix générale, je ne la trouverais convenable que dans
un seul cas : ce serait que les populations, connaissant sa tyrannie
et après s'être soulevées, le massacrassent ou le livrassententre les
mains de Ba Majesté, et voulussent alors par la même occasion s'en-
tendre avec nous. Traiter en particulier, voilà ce qu'il faut et à quoi
nous devons tendre ... » (170).

>1« '* >1«

Richardot, qui avait été dépêché aux Gantois pour les menacer
de la rupture de l'armistice (171) s'ils ne se pressaient pas de con-
tinuer les négociations, retourna à Audenarde pour y attendre les
événements (172). Bientôt trois délégués se présentèrent chez le prince
de Parme, un de Gand, un de Bruges et un du Franc de Bruges. Il ne
pouvait s'agir ici que d'une simple prise de contact et de conversa-
tions orales préliminaires. 1fais Farnèse devina tout de suite qu'on
se proposait de lui faire des propositions extravagantes qu'il ne lui
serait pas possible d'accepter (173). TI fit comprendre aux délégués
qu'il ne tolérerait aucune manœuvre dilatoire et que, si on essayait
d 'y avoir recours, il retirerait toutes ses concessions et agirait contre
Bruges et Gand avec la dernière rigueur (174). Les trois délégués lui
firent alors connaître que d'autres députés, pourvus d'instructions
officielles, viendraient bientôt les rejoindre (175).
(170) Farnèse à Granvelle, Tournai, 14 avril 1584 (Correspondance de Granvelle,
t. XI, p. 18).
(171) Voyez ses instructions dans Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 539-541,
Sur le rôle de Bichardot, voyez V. BRANTS, Un ministre belge au XVII" siècle, lac. cit.,
pp. 32 svv.
1(172) Les échevins, consaux <et doyens de Gand au sire de Masnuy-St-Pierre, Gand,
29 mars 1584 (Correspondance de Granvelle, t. Xl, pp. 533-534).
1(173) Voir Correspondance de Granvelle, t. Xl, note 1.
(174) Farnèse au marquis de Bichebourg, Tournai, fi avril 1584 (Correspondance de
Granvelle, t. XI, p. 551).
(175) Farnèse au Roi, 'ï'oumai, 13 avril 1584 {Loc. cit.).
Les Gantois n'inspiraient guère confiance au prince: il savait que
le nombre de séditieux était grand chez eux et que prês de 150 pré-
dicants calvinistes unissaient leurs efforts pour contrecarre-r les
essais de paix. TI savait aussi que la disette seule pouvait avoir
raison de l'obstination des ultra-calvinistes: à Bruges, où la majorité
catholique était plus considérable et plus agissante, la situation sem-
blait quelque peu meilleure (176).
Les 13 et 14 avril, les délégués officiels du prince de Chimay, du
Franc de Bruges et de la ville de Gand arrivèrent à la cour du prince
de Parme à Tournai (177). Ils furent reçus avec générosité et traités
avec magnificence: le prince de Parme, nous le savons, 8 'y entendait
pour créer l'atmosphère nécessaire à des négoeiaëions de ce genre.
Aussi, les députés des villes flamandes furent-ils agréablement impres-
sionnés (178). Toutefois, un des délégués de Gand, probablement le
pensionnaire Taeyaert, très orangiste et francophile (179), prit la
parole 'au nom de tous pour prononcer une harangue élégante et
habile. Ïl' parla avec émotion de la beauté et de la grandeur de s'a
ville natale, et se mit à flatter le prince de Parme, dont il rappela
les multiples promesses de paix. n termina en sollicitant la conces-
sion, pour une période limitée, d'un endroit de la ville où l 'on pour-
rait célébre'! le culte calviniste. TI laissa au.ssientendre que Ies
Gantois refusaient d'admettre la présence d'une garnison dans la
citadelle : ils voulaient bien laisser une telle garnison s'installer non
loin de la forteresse. Le mot citadelle devait être proscrit, car il
sonnait mal à leurs oreilles!
Oontenant son indignation, F-arnèse répondit : « Le Roi, mon
seigneur et le vôtre, est catholique et décoré du titre de Roi catho-
lique. Moi, j'appartiens à une famille de princes chrétiens, j'exp'Ûse
ma vie pour la foi catholique et je ne veux pas salir mon nom en
autorisant des gens à vivre d'une façon non-catholique. C'est pour
ces principes que la guerre entre nous a commencé et c'est avec ces
principes qu'elle doit finir. Aussi longtemps qu'elle durera, ce sera
(i76) Ibidem.
(i77) C'étaient, pour le prince de Chimay, Louis d'Ennetières et 'Bernard de Wincker;
pour Gand, Ie oonseiller Josse de Braekele et Je pensionnaire 'ï'aeyaert: pour 'Bruges,
Vincent Sioen. mattre Jean Nieulandt et Jean Martins; pour le Franc de Bruges, Charles
de Marlvooede, Roland Courtewille 'et Phiilippe le Cherf.
(i78) Liber relationum, fo 141ro; Farnèse au Roi, Tournai, 2i mai i584 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. i6, non folioté).
{i79) Correspondance de üranoeue, t. XI. p. 552. En i580, Il fut au nombre des com-
missaires des Etats Généraux qui allèrent offrir au duo d'Anjou la souveraineté des
Pays ...Bas.

207
pour châtier les mauvais et réconforter les bons. Il nous faut la cita-
delle pour des misons de sécurité. Si nous n 'y plaçons pas la garnison,
il faudra vous imposer un plus grand nombre de soldats: il en résul-
tera. pour vous une augmentation de frais et plus d'occasions de
disputes entre mes hommes et vos bourgeois» (180).
Battus sur ce point, les délégués n'insistèrent pas pour le moment.
Ils présentèrent alors les articles) sous condition desquels ils étaient
prêts à se réconcilier avec le Roi.
Flncompagnie du marquis de Renty, du président Richardot et
du secrétaire Le Vasseur, Farnèse examina ces propositions et les
trouva « impertinentes et exorbitantes » (181).
Ces articles présentés en commun par Bruges et Gand témoi-
gnaient, en effet, d'une inconscience extraordinaire ou d'une audace
sans limites, étant donné les circonstances du moment. On réclamait
le maintien de l'amance avec les princes étrangers, et notamment
avee le duc d'Anjou. Les aliénations de biens ecclésiastiques faites
pendant l'es troubles demeureraient valables. Les Gantois et les
Brugeois pourraient présenter, pour le Conseil d'Était, la candidature
de deux personnages qui avaient été du parti des rebelles et qui
seraient de religion calviniste, L'exercice de la « nouvelle religion»
demeurerait dans l'état où il était. Lescalvinistes pourraient aller,
venir et demeurer librement partout, et, à l'heure de la mort, ne
seraient assistés que par ceux qu'ils solliciteraient. Les prédicants
calvinistes continueraient à jouir des biens ecclésiastiques confisqués.
Les mariages faits « à la calviniste » seraient réputés légitimes. Tous
les soldats étrangers devraient quitter le pays quinze jours après la
publication du traité. Le prince d 'Oral1!ge et le prince d'Épinoy
seraient compris dans ce même traité.
Devant des prétentions aussi extravagantes, Farnèse garda son
calme. Il mit la question en délibération au Conseil d'É,tat, dont tous
les membres furent invités à donner leur avis. Tous se rendirent
compte que les Gantois et les Brugeois s'étaient inspirés, pour formu-
ler leurs propositions, des articles du Congrès de Cologne de 1579 :
il était évident qu'on ne pouvait perdre son temps à les discuter (182).

(180) Ceci d'après Paolo Rinaldi (Liber reiauonum, fOS 141ro-141vo), qui fut présent à
la 'scène et qui nota ûa réponse de Farnèse.
(181) Farnèse au Roi, Tournai, 21 mai 1584 (Loc. cit.),
(182) Sommaire des articles présentés, avec les délibérations du Conseil d'Etat et
l'avis de Farnèse, 18 avril 1584 (BuUetins de 'la Commission royale d'histoire, 3e série,
t. IV, pp. 5i1-516).
Le prince de Parme fit comprendre aux délégués gantois et bru-
geoiscombien leurs propositions étaient inadmissibles. Ils s'excusè-
rent en disant qu'ils avaient été forcés de les formuler ainsi,
pour contenter les adversaires de la paix, avec lesquels il fallait
décompter (183).
Sans s'arrêter un instant à un essai de nouvelle discussion, le
prince leur fit alors communiquer les propositions qu'il avait à faire
lui-même (184). Il offrait d'abord un certain nombre d'avantages
pareils à ceux du Traité d'Arras : oubli du passê, sauvegarde des
privilèges, promesse de ne pas imposer de garnison, à moins que la
sécurité ne l'exigeât, suppression des impositions, exactions et gabelles
créées ou infligées durant les troubles; rentrée en possession des biens
meubles et immeubles. Les calvinistes qui voudraient exercer leur
culte pourraient librement se retirer en un endroit de leur choix, dis-
poser de leurs biens meubles et immeubles ou les faire administrer
par une personne de confiance. Les aliénations des domaines de Sa
Majesté seraient nulles e,t sans valeur. Les ecclésiastiques et les
bourgeois restés fidèles au Roi rentreraient en possession de leurs
biens immeubles et pourraient en tous cas en revendiquer la restitu-
tion. Les acquéreurs de ces biens seraient dédommagés par un moyen
qu'on trouverait, Ce traité serait confirmé par le Roi endéans trois
ou quatre mois,
Avant de communiquer ces propositions, le prince de Parme
avait tenu à soumettre à une assemblée d'ecclésiastiques certaines
questions très épineuses que les délégués de Bruges, du Franc et de
Gand avaient soulevées. Pendant la période de domination calviniste,
beaucoup de religieuses avaient été chassées de 'leur couvent et
obligées de se marier avec leurs bourreaux et séducteurs. Des habi-
tants avaient conclu des mariages avec des parents très proches,
union interdite par l'Eglise. Dans les deux villes de Gand et de
Bruges et Tes. villages de leur ressort, il y avait ainsi quelque
50.000 individus, qui s'inquiétaient en ce moment des conséquences

(183) Farnèse au Roi, Tournai, 21 mai 1.584 (Loc. cU.).


(184) Articles d'accomodement présentés par le prince de Parme ..., dans les Bulletins
de la Commission royale d'histoire, 3" sér., t, IV, pp, 51.6-519. Au sujet de des négociations
on trouve des observations f-ort intéressantes dans ,l<eslettres que le sieur Blatier, envoyé
diplomatique français aux Pays-Bas, adressa à ViHeroi, de Tournai, les 22 et 24 avril
1584. EUes sont publiées par GACHARD, La Bibliothèque nationale à Paris, t. II, P'P. 558-
559. Il s'/efforce d'expliquer l'attitude arrogante des Gantois et des Brugeols à l'endroit
de leur souverain par la différence qui existe entre le caractère des Flamands et celui
des Françaïs. !Il approuve Parnèse de ne pas se Iaisser manœuvrer.

209
possibles de leur union illégitime. Ils exigeaient ou tâchaient d'obte-
nir la certitude que les enfants masculins nés ou à naître de ces
unions ne seraient pas déshérités ou dépouillés des biens de leurs
parents, sous prétexte que, du point de vue catholique, ils étaient
enfants illégitimes. Il se posait encore un autre problème: celui des
baptêmes et celui des sépultures (185).
Farnèse avait réuni, dans le but d'éclaircir ces questions, les
évêques de Bruges, de Ruremonde et de Tournai, un certain nombre
de théologiens et des juristes du Conseil d'État (186). TI était, en
effet, fort scrupuleux pour tout ce qui concernait les questions reli-
gieuses et les problèmes de foi ou de discipline ecclésiastique (187).
Après une discussion qui dura quatre heures, les théologiens arri-
vèrent à des conclusions satisfaisantes (188).
Les délégués flamands se rendirent compte à quel point les pro-
positions du prince de Parme étaient modérées et ils s'étaient déclarés
d"accord. Mais, comme ils n'avaient pas d'autorité pour conclure un
traité de réconciliation, ils dépêchèrent certains d'entre eux respecti-
vement à Gand et à Bruges pour faire rapport. C'étaient ces délégués
qui étaient revenus pour poser la question des mariages, des
baptêmes et des sépultures non conformes aux prescriptions de
l'Église catholique.
Finalement, l'accord sembla s'être établi. Les députés de Bruges
et du Franc restèrent à la cour de Farnèse et envoyèrent l'un d'entre
eux pour rendre compte des dernières propositions. A ce moment, le
duc d'Aerschot sollicita du prince de Parme l'autorisation de se
rendre auprès de son fils à Bruges, pour l'engager à en finir. Malgré
les craintes que Farnèse exprima au sujet du danger auquel le duc
allait s'exposer, celui-ci. partit. Aerschot fut très bien reçu à Bruges,
mais il n'eut plus à intervenir: on s'était déjà mis d'accord pour
accepter les propositions du prince de Parme (189).
Quant aux députés de Gand, ils rentrèrent tous chez eux, con-

{185)Ces détails sont donnés par Paolo Rinaldi dans son Liber relationum, fD 141; voir
aussi la lettre de Farnèse des 21 mai 1584,déjà oItée.
(186) Lettre du 21 mai 1584.
'(187) « No querlendo en ninguna manera oonsentir oosa Indeoente "Y repugnante à
nuestra sancta fe oatolioa "Y é. nuestra madré la Iglesta, ni alla conscienola de Vuestra
Magestad ni é. la mia » (Lettre citée du 21 mai 158~).
(188) Ibidem.
{189) Lettre de Farnèse du 21 mai 1584 (Loc. cU.); Liàer relationum, fo 143. Voir
les lettres échangées 'en oe moment entre Farnèse et les Brugeois, dans les Bulletins'
de la CommisSion royale d'histoire, s- sér., t. IV, pp. 520-522,

210
vaincus qu'il n'y avait pas d'autre moyen de sortir des difficultés
que de ratifier le projet offert par Farnèse.
Après leur départ, celui-ci poussa un soupir de soulagement: il
'avait veillé jour et nuit pendant ces discussions ardues et, comme il
l'écrivit au Roi, il y « avait dépensé toute l'intelligence que Dieu lui
avait donnée. Comme il est difficile, remarquait-il, de traiter avec des
gens de pareille sprte, qui réclament tout le temps l'exercice de leur
religion et qui ne cessent de contrecarrer tout ce qUB l'on met en
avant! » (190).
Le 4 mai déjà, le magistrat de Bruges et les bourgmestres et
échevins du Franc donnèrent commission à leurs députés pour traiter,
sur la hase des propositions faites par Farnèse.
C'est en vain que le prince d'Orange, par l'intermédiaire d'un
trompette de l'amiral Treslong envoyé à Bruges,avait, par lettres
pressantes, essayé de retenir le prince de Chimay et le magistrat sur
la route de ~a défection. Ses missives n'eurent plus aucun effet {191).
Le jour de Pentecôte, 20 mai 1584, Bruges et le prince de Chimay
signèrent le traité, après que Farnèse eut encore fourni une déclaration
expresse au sujet de la question des mariages, des baptêmes e.'t
des sépultures. Aprèss 'être défendu de toucher en quoi que ce fût
aux points qui regardaient l'autorité ecclésiastique, il avait promis
d'écrire au Roi, pour obtenir le plus de satisfactions possibles. Les
calvinistes -et tous les Brugeois en général ne seraient pas molestés
à cause des mariages et des baptêmes irréguliers. La question des
sépultures, à faire en dehors de la ville et non en « terre sainte », fut
aussi réglée de façon convenable (192).
Plus rien ne faisant obstacle à la réconciliation, les députés du
prince de Chimay, de Bruges et du Franc avaient fait le pas décisif.

(190) Lettre du 21 mal 1584 (Loc. ctt),


(191) Le marquis de Richebourg à Alexandre Farnèse, Eecloo, 20 avrU 1584 (Corres-
pondance de Granvelle, t. XI, pp. 572-57a).- Le 24 avril, Farnèse avait fait tenir au
magistrat de Bruges une lettre où Il disait notamment: « Vous requérons bien instamment
ne refuser ce que tant velngnement vous oïïrons de la part du roy monseigneur puisque
povez vous faire quittes de ceste mallJheureuse guerre et motenner repos à vos voisins
par le louable exemple que vous leur donnerez, v-ous asseurans que tout ce que vous pro-
mettons sera ponctuellement et inviolablement maintenu t, mais hastez VlOUS, car nostre
Intention est d'en une sorte ou en aultre achever ceste négociation dedans le temps
qu'avons limité à vosdtcts députés ... » (Archives de l'Etat à Bruges, Lettres et actes 1584),
i(192) BuUetins de la Commission royale d'histoire, 3" sér., t, IV, pp, 526-527.

2H
c: Le Saint Esprit, écrivit Farnèse à Philippe II, m'a aidé en son
jour de fête! » (193).
La capitulation de 'la grande ville flamande se faisait aux condi-
tions suivantes. Bruges et le F'rano seraient exemptés' de garnison, à
moins que la nécessité n'en fût démontrée et, dans ce cas, la garnison
serait composée de soldats du pays.
Les gabelles, impôts, taxes occasionnés par les troubles seraient
abolis. Il rr'en serait pas créé de nouveaux sans le consentement des
intéressés. Ceux qui voudraient vivre selon la religion calviniste
pourraient librement se retirer là où ils le désireraient et même retour-
ner lorsque bon leur semblerait, à condition qu'ils n'aient pas ,été en
pays ennemi et que le magistrat veuille les recevoir. Dans ce cas, ils
auraient la libre jouissance de tous leurs biens meubles et immeubles.
Le prince de Parme promettait aussi le départ des soldats étrangers
« hors de Flandre» dès que ce pays serait réduit entièrement, par la
force ou par voie de réconciliation. Les villes et les châtellenies de
Flandre encore en état de rébellion, qui voudraient accepter le traité
et s'y soumettre, seraient autorisées à le faire; à condition de s'y
décider endéans les quinze jours après la publication de I'accord à
Bruges (194).
Les députés de Bruges et du Franc ayant offert de rester auprès
de Farnèse comme otages, pour garantir la bonne exécution de la
convention, le prince leur déclara qu'il se contentait de leur parole
et de leur serment et les laissa partir (195),
Un traité particulier fut conclu avec le prince de Chimay, auquel
Farnèse accorda l'oubli du passé, même s'il s'agissait de crimes de
lèse-majesté divine et humaine. Tous ses biens lui étaient maintenus
ou rendus, nonobstant toutes saisies faites auparavant (196). La
succession à tous les fiefs, titres et biens du duc dAersohot, son père,
lui étaJ.t garantie en cas de décès de celui-ci. La princesse de Chimay,
quoique calviniste, ne serait pas inquiétée et pourrait librement

(193) Lettre du 21 mai 1584 (Loc. cit.) , - Lettre de Cosimo Masi à J.":B. Pico, 28 mai
1584 (A. F. P., Carteggio tarnesiano, Paesi Bassi, carteggio 1584-1589).
(194) Texte du traité dans les Bulletins 'de la Commission royale d'histoire, 3· sér.,
1.. IV, pp. 527-58'7, où l'on trouvera les autres articles qu'il est inutile de reprendre Ici
dans le détail, - Sur I'importance du traité pour la suppression des Instituüons révolu-
tionnaires créées par les Flamands, voir R. VAN ZUYLEN VAN NYEVE.LT, Notice sur le Lan-
draed ou Raed van de teae« van vtaenâeren, dans les Mélanges Charles Moeller, t, II,
np, 263-264,
(195) Bulletins cités, lac. cu., pop. 538-539; Liber j'e~ationum, fo 144r".
(1%) Traité de réconciliation avec le prince de Chimay, dans les Bulletins de la Com-
mission royale d'histoire, 100. cit., pp. 539-543.

212
demeurer avec son mari. Enfin, dans le traité conclu avec Charles de
Oroy étaient compris tous les gens de sa maison, et nommément
Louis d'Enn€tières, auquel Farnèse garda donc fidèlement sa pro-
messe de pardon (197).
On le voit, le prince de Parme s'était montré fort généreux et
avait appliqué, une fois de plus, cette politique de clémence qui lui
avait déjà valu tant de succès.
TI semble avoir redouté un instant d'avoir dépassé les limites de
la générosité,car il insista fortement auprès du Roi pour que celui-ci
fît connaître s'il approuvait la conduite suivie et l'étendue des con-
cessions faites (198).
Aussitôt après la reddition de Bruges, le prince y établit un
nouveau magistrat et s'empressa de prier l'évêque, Remy Drieux,
de donner tous ses soins au rétablissement du culte. A la place du
prince de Chimay, le duc dAerschot fut nommé gouverneur de la
ville et de son ressort. Oonformément à sa promesse, Bruges même
fut exemptée de garnison, mais on plaça des soldats à Damme, qui
s'était réconciliée en même temps.
On assista ensuite à la sortie des huit compagnies écossaises du
colonel Boyle; dont la solde dut être payée par les bourgeois avant le
départ. Sur le désir exprimé par ces soldats, Farnèse les prit à son
service (199), comme ill 'avait déjà fait à maintes repeises en d'autres
circonstances similaires.
• *, ,..
La prise de Bruges n'était pas seulement importante en elle-
même; elle venait au bon moment pour permettre à Farnèse d'isoler
plus complètement encore les Gantois récalcitrants.
Que s'était-il passé à Gand après le retour des délégués envoyés
chez le prince de Parme?
Déjà pendant le séjour de ces négociateurs à Tournai, la ville
avait passé par des moments dexeitation et de trouble. Dans
l'intention de renverser à Gand le gouvernement favorable à la paix,
lie prince d'Orange avait engagé les partisans qu'il avait dans la cité
à ouvrir une des portes à Ryhove, qui, dans ce but, avait quitté Ter-
(197) Cette restitution fut faite par un acte du prince de Parme, daté du Camp de
Beveren, le 7 janvier 1585. Ofr EM. DONY, Les archives du chateau de Chimay, dans les
Bulletins de la Commission royale d'histOire, 1922, t. LXXXVI, p. 78.
(198) Lettre du 21 .mat 1584 {Loc. cit.).
U99) Même lettre; Libro de las cosas de Fùuuies, fo 258ro; STRADA, o. C., t. III,
pp. 405-406.

213
monde avec des troupes, soit seize compagnies d'infanterie et de
cavalerie. Arrivé devant Gand, le 15 avril, Ryhove envoya le capi-
taine Schuddematte vers la Keizerspoort, pour s'y entendre avec les
partisans d'Orange et livrer passage aux conspirateurs.
L'émissaire de Ryhove fut arrêté, en même temps que ses com-
plices, par ordre de Charles Utenhove, qui faisait bonne garde (200).
Malgré l'échec de ce complot, les adversaires de la paix avaient
été très excités par cet incident. Aussi, Utenhove et Farnèse s'enten-
dirent, le premier, pour expulser ces séditieux de la ville, le second,
pour les laisser sortir sans qu'ils fussent refoulés par ses soldats,
chargés du blocus de la cité (201).
Trois compagnies, dont on n'était pas sûr, furent cassées et
chassées de Gand (202). Farnèse les autorisa à partir, par le Sas de
Gand, pour la Zélande (203). Tout semblait donc annoncer bientôt
une bonne fin des négociations.
Lorsque les députés des Gantois revinrent en ville pour faire
rapport sur les propositions détaillées du prince de Parme, le 5 mai,
les partisans de la paix se réunirent en grand nombre devant l'Hôtel
de ville, en criant : « Où sont ceux qui ne veulent pas de la réconci-
liation 1 Nous voulons la paix, coûte que coûte! ». Aussitôt un mou-
vement de réaction se produisit chez les calvinistes. Us prirent les
armes, coururent aux remparts, se rendirent maîtres d'une des
portes. Puis, leurs troupes envahirent le marché et l'Hôtel de
ville: aussitôt, les « espagnolisants » prirent la fuite (204). Vain-
queurs, les calvinistes forcèrent le magistrat à emprisonner leurs
adversaires. Maîtres de la situation, ils avisèrent immédiatement les
États Généraux et le prince d'Orange de leur intention de rester
fidèles à la cause de « la généralité » (205). Leurs commissaires
(200) Le capitaine Segura à ,Farnèse, Gand, le 18 avril 158i (Correspondance de Gran-
veüe, t. XI, pp. 563-564): Apologie de Ryhove, loc .. cit., pp. 359-360; Libro de las coscs
de Eumdes, fo 256vo; .Farnèse au Roi, 21 mal 1584 {Loc. cit.); Charles Utenhove au marquis
de Richebourg, Gand, 18 avril 1584 et le même à Farnèse, même. date (Correspondance de
Granvelle, t, XI, pp. 566-567).
{201) Utennove à Paenèee, Gand, 18 avril 1584 et Farnèse aux officiers de son armée,
Tournai, 19 avril 1584 (Correspondance de Granvelle, t, XI, pp. 566-567 et 570).
(202) Les échevins et consaux de Gand à Farnèsë, GaUd, 21 avril 158i (Correspon-
dance de Granvelle, 1, XI, p, 574),
(203) F'arnèse au capitaine Segura, 25 avril 1584 (Correspondance de Granvelle, t. XI,
p. 577).
1(204) P. BOR, O. c., 2e&tuk, fG 420,
(205) Voir la lettre du maglstrat de Gand au prlnee d'Orangeen date du 24 mai 1584
:GROEN VAN PRINSTEREIi.,Archives ..., t. VIII, pp. 400-403), et les félicitations des Etats
Généraux aux Gantois pour avoir rompu les négociations avec le prince de Parme (Bulle-
tins de la Commission royale d'histoire, 3e série, t. XIII, pp. 94-97). Cette lettre 'est datée
d'Anvers, 17 mal 1584,
214
s'étant réunis à Termonde avec Ryhove, il fut décidé qu'on leur
enverrait du secours (206). Bientôt sept enseignes de fantassins et
deux cornettes de cavalerie, venant d'Anvers et de Bruxelles, entrè-
rent à Gand (207).

Dès qu'il fut mis au courant de ces événements, Alexandre


Farnèse ordonna à la cavalerie espagnole de s'avancer jusqu'au fort
de Wetteren (208) et écrivit aux Gantois une lettre menaçante (209).
Il leur reprocha de ne pas faire correspondre leurs actes à leurs
paroles et leur déclara qu'il ne pouvait plus croire qu'ils entendaient
sincèrement se réconcilier avec le Roi. Ne voulant plus «être mené
de la sorte », disait-il, il leur parlait clair, comme il I'avait toujours
fait. 11 révoquait l'autorisation, de traûquer evee la ville et les
engageait à ne plus laisser, dès ce jOlllr,sortir leurs bourgeois,
parce qu'on les ferait prisonniers. H .rêclama le retour des otages
espagnols, résidant à Gand depuis le début des négociations, endéans
les trois jours, et annonçait qu'il renverrait, dans le même laps de
temps, les otages gantois retenus à Audenarde (1210).
Comme la réconciliation avec Bruges venait d'être conclue et que
les Brugeois avaient exprimé le désir de voir «ceux de Gand » admis
au même traité, s'ils se déclaraient ayant huit jours, Farnèse aver-
tissait le magistrat de la ville rebelle qu'il leur accordait encore cet
espace de temps pour a'exéeuter. Passé ce délai, l'armistice prendrait
fin. « Vous pourrez donc accepter cette paix, concluait le prince, si
vous trouvez que cela convient, sinon nous nous trouverons comme
devant, dans l'espoir qu'avec l'aide de Dieu, 'Outre la justice de
notre cause, les forces de Sa Majesté seront suffisantes pour infliger
le châtiment juste et plus que mérité à ceux qui n'auront pas voulu
recevoir sa grâce et sa clémence et qui) contre la résolution de ce
pauvre peuple, auront empêché et rompu cette sainte négociation. »
Le 26 mai, les Gantois répondirent. La réponse était mauvaise.
Ils ne demandaient qu'à se réconcilier, mais ils posaient comme con-
dition le libre exercice de la religion réformée et le droit « de servir

,,(206) Lfln'o ,de ws cosas ~ FlanMs, fO. 267vo-'258; P. BOR, O. C., 2° stuk, fo 420;
Liber reiauonum, fo i44vo• '

(207) P. BOR, O. C., 10c. olt,


(208) Farnèse au Roi, 21 mai 1584 1(Loc. cit,).
1(209) Lettre du 21 mai 1584 «Loc. cit,).
(210) L'ettr.epubliée dans la Correspondance de Granvelle, t. XI, p. 594.

215
Dieu selon leur conscience :., ainsi que' le maintien de tous leurs privi-
lèges. Oomme ils se rendaient bien compte que ces exigences étaient
inacceptables, ils exprimaient l'espoir qu'un jour Dieu toucherait le
cœur du Roi « afin qu'il ait pitié de S'onpauvre peuple et lui accorde
ce qui, selon tout droit divin et humain, ne peut lui être refusé» (211).
Les otages espagnols résidant à Gand furent remis en liberté ,
les otages gantois retenus à Audenarde rentrèrent iaussi. C'était
L'échec de la négociation: Gand restait fidèle à la cause des rebelles.
La décision du prince de Parme fut aussitôt prise. Il fit ren-
forcer le pont et le fort de Wetteren, afin d'empêcher l'arrivée de
tout nouveau secours, puis il envoya des masses d'infanterie et de
cavalerie battre l'estrade pour intercepter tous les convois se diri-
geant vers la cité menacée. Les paysans qui, à la faveur de l'armis-
tice et du libre trafic, s'étaient remis à cultiver leurs terres, furent
refoulés dans la ville, d'où personne ne pouvait désormais plus
sortir (212).
Ne disposant pas d'assez de troupes pour se rendre maître par
la force de la grande cité flamande, le prince de Parme allait resser-
rer impitoyablement le blocus, un instant levé, et attendre qu'elle
tombât, comme un fruit mûr} dans les mains du Roi d'Espagne.
Une plume catholique - nous ne savons si elle était gantoise -
écrivit à ce moment les vers d'une chanson satirique où, s'adressant
à « Lieven :) tLiécin, le nom sous lequel on connaissait les Gantois),
on prophétisait, malgré tout, la fin prochaine:

Tot sterven moettij U zelven voorwaer berêen,


Wat remedie ghi] zouct, 't es te late begonnen,
G'heht eertijen te veel quaet garens gesponnen.
Tot uwer aiectenen weten de medecijns gheenen raet;
't Es al verloren gheropen, gheloopen en gheronnen.
Lieven, maect u testament, eer dijn verstant vergaet,
Uwen puls niet meer en slaet. (213)

(211) Le magistrat de Gand à Farnèse, 26 mai 1584 {A. G. R" Copies de Simancas,
vol. 16, non folioté)...·
(212) Libro de las cosas ae Flandes, fO 258vo; Liber relationum, fo 145.
(213) VAN VLOTEN, NederU~ndsche Geschiedzangen, t. II, pp, 289-290.

216
PL. XIII
CHAPITRE XII.

LES PRÉPARATIFS DU SIÈGE D'ANVERS

Gand séparée du monde, Bruxelles tremblant derrière ses rem-


parts, il restait encore, et surtout, Anvers et Marnix de Sainte-Alde-
gonde. Tous les antres amis et compagnons du Taciturne dans les
Pays-Bas du Sud avaient cess-é la lutte, découragés,achetés, ou
poussés par la peur. A Bruxelles, le vaillant van den Tympel atten-
dait tous les jours l'armée espagnole sous les murs (1). Il ne restait,
pour défier le prince de Parme, que celui qui, pendant tant d'années,
avait été le collaborateur fidèle du prince d'Orange, le bourgmestre
d'Anvers.
C'est là, en effet, qu'après sa retraite momentanée et son inacti-
vité en Zélande, Marnix de Sainte-Aledegonde était revenu, sur les
pressantes instances de Guillaume de Nassau. Déjà en juillet 1583,
le bruit courait à Middelbourg que Marnix allait rentrer dans la vie
publique et se mettre à la tête de la ville d'Anvers, abandonn-ée aux
factions depuis le d-épart du Taciturne (2). La nouvelle fut confirmée
d'Anvers à Walsingham par Marnix lui-même: « Maintenant estant
rappelé à l'administration publique et à l'instance de ceux d'Anvers

1(1)Dans une lettre à Marnlx, van den Tympel reconnaît qu'il n'a plus « aucune
estouffe »; il ûul demande s'il ne voudrait pas mieux traiter avec Farnèse « pour retenir
en partie la religion, si on n..e peut la maintenir du tout. La consclenoe permet-elle d'en-
tralner le peuple au préoipioe de tous -les malheurs? ÎI (KERVYN DELETTENHOVE, Les Hugue-
nots et les Gueux, t. VI, p. 573). nans une lettre à Des Pruneaux, van den Tympel parle
de « ce peuple, qui se commence à ennuyer de noz longueurs » (MULLERet DIEGERlC'K"
o. c., t. V, p. 707),
(2) Foreign Calendar, Elisabeth, 1583-1584, n° 40.

217
m'ayant remis soubs le joug du devoir, dont nous sommes obligés à
la patrie. » (3)
En janvier 1584,Marnix avait essayé de surprendre Lierre, après
avoir noué des intelligences avec un capitaine de la garnison de cette
ville. TI était parti d'Anvers avec 800 fantassins et trois cornettes
de cavalerie, pour se présenter devant Lierre pendant la nuit. Mais,
étant donné la pluie torrentielle sous laquelle se :fitl'expédition et le
retard avec lequel arrivèrent au lieu de rendez-vous plusieurs déta-
ehements de soldats retirés des places de la région d'Anvers, Mar-
nix et ses hommes n'apparurent devant la ville que lorsqu'il faisait
déjà jour. Les Espagnols, avertis de ce qui se tramait, avaient rapi-
dement renforcé la garnison et préparé une embuscade. Marnix, se
rendant compte qu'il s'exposait à un échec,donna à ses soldats l'ordre
de battre en retraite. Les Espagnols se lancèrent à sa poursuite, mais
furent arrêtés dans leur élan par la résistance de l'arrière-garde.
Sous une pluie battante, et par des chemins transformés en bourbier,
'Où il fallut marcher dans la fange jusqu'à mi-jambe, les hommes de
Marnix parvinrent à regagner Anvers (4).
Lors du baptême de Frédéric-Henri de Nassau à Delft, le 12 juin
1584, Marnix assista au banquet donné à cette occasion. Le Taciturne
y avait convié son ancien confident pour s 'y entretenir avec lui des
affaires de la généralité ». En présence de Martini, greffier d'An-
(j;

vers, le prince et le bourgmestre s 'entretinrent du danger qui mena-


çait cette ville. Orange avertit ses interlocuteurs des intentions du
prince de Parme: « Il veut, dit-il, porter la hache à la racine de
l'arbre ». Il leur donna les instructions nécessaires pour la défense
d'Anvers et prit congé d'eux en ajoutant qu'avant deux mois il
viendrait à leur aide (5).

Vers le milieu de juin 1584; Alexandre Farnèse apprit l'arrivée


imminente des troupes de secours espagnoles et italiennes dont il
avait réclamé la présence. En ce moment, la situation politique
(3) KEUVYNDE LETTENBOVE.Documents inédits ..., p. 273, - Sur Marnlx comme colla-
borateur' du prince d'Orange, voir J. D. M. CORNELISSEN,Medewerkers van den prins,
dans Prins Willem van Oran je, pp. 249-253.
t(4) Prernyn à Walsingham, Anvers, 22 janvier 1584 (Foreign Calendar, Elisabeth,
1583-1584, n- 367). - Dossier de 1a correspondance du capitaine Palais, prêt à livrer la
ville de Lierre, avec enquête du conseiller de Brabant, Grégoire de Ayala, dans A. F. N.,
Carte [arnesume, Fumâra, fascio 1706; El. VAN METEREN, Historie der Nederlantscher ...,
éd, ctt., t ° 227.
0•

(5) TH. JUSTE, Guillaume le Taciturne, pp. 33'4-335; Libro de las cosas de Flandes,
ro fl59; MOTrLEY, Histoir.e des Provinces-Unies des Pays-Bas, trad. Rordy, 1l. I, pp, 188-190.

218
internationale s'était également éclaircie, à la suite de la mort du duc
d'Anjou, survenue à Château-Thierry, le 9 du même mois (6).
Le prince de Parme estima que 1'heure était venue de faire les
préparatifs pour assiéger Anvers, d'autant plus qu'une partie du
subside des 300.000 écus promis par Philippe II venait de lui par-
venir (7).
Dans le grand plan d'offensive de Farnèse, Anvers était le point
de mire principal. Réservant pour plus tard la prise d'Ostende,
parce qu'il n'avait pas à sa disposition une flotte suffisante pour
empêcher celle des rebelles de ravitailler la place et d'y débarquer
des renforts, il devait 'concentrer ses efforts contre l'espèce de qua-
drilatère de villes fortes, constitué par Gand, Anvers, Malines et
Bruxelles, dont Termonde et Vilvorde étaient comme des positions
d'appui secondaires.
Gand étant bloquée 'par les forces qu'il avait disposées dans les
environs, il prit la décision d'attaquer directement Anvers. En met-
tant le siège devant cette ville, il rendait par le fait même très difficile
le ravitaillement de Malines et de Bruxelles et pouvait empêcher.
toute expédition de secours vers ces deux places. En coupant toute
communication entre Anvers et Gand, il aggravait encore l'isolement
dans lequel cette dernière ville venait d'être mise. En somme, toutes
les opérations militaires qu'il avait menées jusqu'ici n'avaient été,
dans son esprit, que des travaux d'approche en vue de se rendre
maître de la métropole commerciale des Pays-Bas (8).
L'arrivée de nouvelles troupes venait à point pour lui permettre
de réaliser ses plans, que la dispersion nécessaire des forces dont il
disposait n'avait pas permis jusqu'ici d'exécuter. En effet, une partie
de son armée occupait les villes et les forteresses conquises depuis
1579. Une autre partie guerroyait en Frise, sous les ordres de Ver-
dugo et de son lieutenant, Jean-Baptiste de Tassis. Le comte d'Arem-
berg et Don Juan Manrique soutenaient avec leurs troupes les efforts
du prince archevêque de Cologne, Ernest de Bavière, dans l'Électorat.
(6) KEllVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. VI, pp, 527-528,
(7) Farnèse à un mlnistre du Roi, Tournai, 16 juin et Bruges, 2 juil1et1584 (8. N. P"
ms . espagnol 182, fO. 372vO et 373'0).
(8) P. FEA, 0, C" p. 171. - « Spero ottenerlo etgli altri che dependono da esso come
saria d'Anversa, Bruseües, vûvoroe, et flnalemente Malines, 'I'erremonda et Gante.i., ~
Lettre de Farnèse,'Beveven, 26 jumet 1584 (A, F, N" Carte farnesiœne, Puuuira, rasoto
1707), - « Que es de tanta tmportançla pm atajarse de una vez no solamente a Anveres,
que es la oabeça y que tanto convjene procurar OiPrimar_., mas Mallnas, Vilvorde, Brusse-
las y 10 de mas", ~ Farnèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 jull1et 1584 (8, N, POl ms,
espagnol 182, r- 374··).

219
bans la province de Gueldre et la région de Zutphen évoluait la cava-
lerie dAppio Conti et de Biagio Capizucchi (9). Dans les provinces
wallonnes, et plus particulièrement l'Artois et le Hainaut, le régiment
du marquis de Renty surveillait les mouvements des Français et
parait aux coups qu'essayait de porter Balagny, le gouverneur de
Cambrai. TIne restait, comme armée en campagne disponible pour la
Flandre et le Brabant, que quatre terçios et quelques compagnies (10).
Les nouveaux renforts qui arrivèrent au début de juillet 1584 aux
Pays-Bas comprenaient 700 cavaliers et 6.000 fantassins espagnols
et italiens (11). Comme les trois terçios partis d'Espagne n'étaient
pas à effectif complet - nous l'avons dit plus haut -, Farnèse
regroupa toutes les forces disponibles de son armée de campagne et,
au lieu des sept terçios qu'elles auraient pu constituer, en forma cinq.
L'ensemble de ces troupes ne dépassait pas 10.000 fantassins et 1.700
cavaliers (12). C'est avec cette petite armée qu'on allait entreprendre
le siège d'une des plus grandes et des plus fortes villes existant alors
en Occident.
* * *
A cette époque, Anvers avait un circuit de cinq milles, dont les
trois quarts sur terre ferme (13). Elle était entourée d'un système de
murailles en pierres de taille, pourvu de dix gros bastions qui se
flanquaient les uns les autres. Devant les remparts s'étendait un
fossé large et profond, alimenté par les eaux de l'Escaut. Ce système

(9) Correspondance d'Apple Conti avec Farnèse, avril 1584 (A. F. N .. Carte [arnesume,
Fumara, fascio 1670).
>(10) S'fRADA, o. c., t. IV, p. 2,
o(U) A la têtJe de ces troupes de secours se trouvait le veedor général D. Pedro de
Tassis. Elles comprenalent une compagnie de chevau-légers sous D. Diego Sarmiento, une
compagnie de lanciers, sous Antonio de Montuya, une compagnie de chevau-Iégers italiens
et albanais sous Juan Vicencio ; lieux compagnies de Janciers sous D. Luis de Castro et
Felipe de Seria. L'infanterie espagnole était répartle entre trois terçios, celui du maître
de camp D. Lopez de Pigweroa, celui du maître de camp Agustln Iûiguez, celut du maître
de camp D. Francisco de Bobadilla. Il y avait dieux cornpagnles d'infantlerie italienne,
sous A.lfonso de Tassis et. Solplon Vitale de 'I'assis, de 400 hommes chacune (Libro de las
cosas de Plandes, fo 259).
(12) STRADA, o. C., 100. cit, - Farnèse, dans une Iettre au cardinal Farnèse, datée de
Beveren, 26 juillet 1584. affirme lui-même que pour entreprendre le slège d'Anvers,
il ne lui reste que 10.000 hommes disponibl-es. {A. F. N., Carte [ornesume, Euuuira, fascio
1707). - « No me halle en todo condiez mill nombres en campana» (F'arnès'e à un minis-
tre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584, dans B. N. P., ms. espagnol 182, loc, cU.).
(13) A cette époque, Anvers devait compter près de 100.000 habitants. Une relation
Italienne, contempora1ne du siège, conservée à. la Bibliothèque ambrosienne de Milan,
signale qu'il y avait dans la ville plus de 50.000 hommes de 25 à 50 ans. (Correspondance
du cardinal de Granvelle, t, XII, p. 348). C'est au chiffre de 100.000 habitants que s'a;rrêtie
aussi MOTTLEY, Histoire des Provinces-Unies des Pays-Bas, t. I, p. 191.

220
de fortification avait été construit sur les ordres de Charles-Quint,
en 1543. Au Sud de Dette enceinte, qui prenait la forme d'un arc de
cercle, dont la corde était formée par le rivage le long de l'Escaut
- le W er] -~ se dressait la citadelle pentagonale que le duc d 'Albe
avait fait construire en 15,68 et qui était un modèle du genre.
Le long des deux rives de l'E.,;c,aut s'échelonnaient, principale-
ment au Nord de la ville, des travaux de défense extérieurs très bien
conçus et, à première vue, imprenables. Sur la rive gauche du fleuve,
en race de la ville, une forte redoute bastionnée couvrait celle-ci du
côté de la Flandre. Au Nord de la place, l'Escaut était jalonné, le long
des digues qui couraient à droite et à gauche du fleuve, de toute' une
série d'ouvrages fortifiés : sur la rive gauche, les forts du Doel, de
Liefkenshoek et de Toulouse; sur la rive droite, ceux de Lillo, du
Boerschans et du Boerinnenschans. Un système d'écluses permettait
d'inonder une grande partie de la région au Nord d' Anvers, de façon
à empêcher l'approche de l'ennemi par voie de terre et à faciliter à
des navires sans grand tirant d'eau et à des barques plates le ravi-
taillement de la place (14).
Aussi, lorsque le prince de Parme avait soumis à son conseil de
guerre le projet d'assiéger Anvers, la plupart de ses officiers
l'avaient éeouté vavec stupéfaction. TI n 'y eut que Mondragon et
Camillo Capizucchi qui, connaissant l'ingéniosité de Farnèse, n'éle-
vèrent point d'objections. Tous les autres, aussi bien les officiers
flamands que les officiers espagnols et italiens, estimèrent que leur
chef allait témérairement risquer sa rêputation dans une entre-prise
inexécutable. Lrarmée n'était-elle pas trop petite pour assaillir la
ville à la fois du côté du Brabant et du côté de la Flandre? Comment
fermer l'Escaut et empêcher le secours qn 'on enverrait, par le fleuve,
de Hollande et de Zélande? Comment aussi, sans flotte, résister effi-
cacement à Pescadre de l'amiral Treslong, dont on avait déjà pu
mesurer l'audace et l'esprit d'entreprise? N'Mait-il pas contraire à
tous les principes de l'art militaire de laisser derrière soi des 'forte-
resses comme Gand, Termonde, Bruxelles, Malines, Vilvorde, insuffi-
samment masquées, et dont pouvaient partir à tout instant des expé-
ditions destinées à troubler les travaux du siège et à mettre en péril
toute l'entreprise? (15).

{14) Cu. TERLINDEN, Le siège d'Anvers par Alexandre Farnèse, Loc. cit., pp. 6-7.
(Hi) SrnAnA, o. C., t. IV, pp. 3-5.
Le prince de Parme, en exposant au conseil son plan d'attaque,
réussit cependant à convaincre les plus sceptiques. Le siège d'Anvers
fut décidé (16).
;; * ;;
Farnèse, qui avait dans Anvers même un certain nombre d'es-
pions qui le renseignaient régulièrement sur ce qui se passait dans
la ville, savait que les défenseurs hésitaient en ce moment à exécuter
les mesures indispensables de défense que le prince d'Orange avait
exigées dans son entretien avec Marnix et le greffier Martini à Delft.
Le Taciturne, qui avait appris de bonne SOUTce- car son ser-
vice d'espionnage était encore mieux organisé que celui de son
adversaire - quelles étaient les intentions du prince de Parme, avait
démontré à Marnix et à Martini la nécessité urgente de prévenir la
surprise que les Espagnols préparaient. TI exposa à ses interlocuteurs
qu'Anvers se trouvant sur un cours d'eau, l'ennemi pouvait jeter
un pont sur l'E'seaut et fermer ainsi le passage à toute expédition
deseeours ou de ravitaillement. Farnèse navait-il' pas barré [a Meuse
lors du siège de Maeetricht l N'avait-il pas coupé tout de suite Bruges
et Gand de leurs communications avec la Hollande et la Zélande'
Mais, s'il n'était pas impossible de jeter un pont sur l'Escaut, il
était cependant certain qu'on ne pouvait en jeter un SUTune mer
ou sur un océan. Or, on pouvait transformer la région entourant
Anvers en une nappe d'eau très étendue, dont la présence rendrait
impossible l'exécution du barrage que Farnèse avait en vue. Isolée
comme sur une île par suite des inondations qu'on provoquerait,
Anvers garderait ses communications libres avec la Hollande et la
Zélande et serait imprenable.
Les basses terres des bords de l'Escaut étaient protégées contre
l'envahissement de l'eau par un système très complet de digues, qui
s'échelonnaient le long des deux rives du fleuve jusqu'à l'embouchure
de celui-ci. D'autres digues Muraient obliquement à travers les pâtu-
rages de Flandre et de Brabant pour les préserver de toute inonda-
tion possible. Une des plus importantes de ces digues était le Blauw-
garendijk au nord d'Anvers. Entre le Blauwgarendijk et la ville
s'élevait une contre-digue, le Kouwenstein, qui 'allait rejoindre le fort
de Lillo. Dans la région du Blauwgarendijk le pays était 'bas, rempli
de petites criques et de marécages formés en cet endroit par l'ancien
lit de l'Escaut. Le prince d'Orange fit remarquer que, si on perçait
{16) STRADA, o. C., t. IV, pp, 5-8.

222
le Blauwgarendijk, une telle masse d'eau se répandrait à l'intérieur
des terres que la digue de Kouwenstein en serait elle-même sub-
mergée. Par la nappe d'eau ainsi formée, les flottes de Zélande pour-
raient facilement se frayer un chemin pour amener à Anvers tout le
secours nécessaire. Comment, dans ces conditions, le prince de Parme
pourrait-il employer l'arme de la famine ~
Marnix et Martini, qui prévoyaient l'opposition que cette mesure
de salut public provoquerait de la part de gens uniquement préoccupés
de leurs intérêts particuliers, firent observer qu'on pourrait peut-être
percer, de préférence, la digue de Saftingen, sur la rive gauche, où
les Anversois n'avaient aucun dommage personnel à craindre. Mais
le prince d'Orange persista à recommander le percement du Blauw-
garendijk comme étant la mesure qui s'imposait et la seule effi-
cace (17).
Aussitôt rentré à Anvers, Marnix convoqua une assemblée du
magistrat et leur fit connaître les renseignements et les avis du
prince d'Orange. Beaucoup refusèrent de croire à 1'existence d'un
danger sérieux, mais ils consentirent cependant au percement du
Blauwengarendijk. Marnix se rendit en cet endroit avec quelques
ingénieurs de la ville.
Mais alors se manifestèrent des oppositions farouches, qui
mettent en lumière le défaut capital de l'organisation des grandes
communes des Pays-Bas et qui nous montrent comment la politique
démagogique, suivie depuis si longtemps déjà, avait complètement
vicié l'entendement de la foule et emprisonnait les chefs respon-
sables. La gilde des bouchers d 'Anvers s 'opposa à l'exécution d'es
mesures réclamées par le Taciturne. Ses délégués apparurent à la
réunion du magistrat pour faire observer que dans la région qu'on
voulait inonder paissaient annuellement 12.000 bœufs. Etait-ce la
bonne façon de pourvoir au ravitaillement d 'Anvers que de détruire
ces troupeaux? Quel dommage 'les bouchers n:'alllaient-ils pas en
souffrir L'inond'ation changerait en un désert de sable les belles
î

prairies, les fermes opulentes, les nombreux vergers qui s'étendaient


au nord d 'Anvers. Que faisait-on de la richesse des particuliers?
D'ailleurs, seul un fou pouvait croire à la possibilité de jeter un
pont sur l'Escaut. Le prince d'Orange lui-même n'avait-il pas essayé
naguère, lorsque les Flsnaznols tenaient Anvers, de fermer ce fleuve
avec des radeaux, des pilotis et toutes sortes d'obstacles? On d'evait
(17) BOR, o. C., 2" stuk, t-» 466-467.
cependant se rappeler que tout avait été balayé comme des fétus de
paille à l'apparition sur le fleuve des premiers glaçons de l'hiver.
Bientôt, les colonels de la milice bourgeoise vinrent appuyer de
leurs réclamations indignées l'opposition des bouchers. Ils annoncè-
rent que la milice était décidée à s'opposer par la force au perce-
ment du B1auwgarendijk, et dégagèrent d'avance toute responsabilité
pour le sang qui pourrait être répandu.
Devant cette dangereuse exaltation, Marnix et le magistrat réso-
lurent de différer l'exécution du plan (18). Hélas! ils d'tuent y renon-
cer pour toujours, car entretemps le prince de Parme avait pris les
devants et allait s'installer lui-même dans la région dont on avait
imaginé de lui interdire l'accès par l'inondation.
Ainsi, une fois de plus, la politique avisée du prince d"Or.ange
venait d'être défaite par la stupidité des masses populaires et l'in-
térêt d'un petit groupe l'emportait sur l'intérêt de la « généralité ».

A la fin de juin, le prince de Parme, apprenant que la ville de


Bruges était troublée par les manœuvres de quelques agitateurs
calvinistes, décida d 'y mettre bon ordre. Le 28 juin, il quitta Tournai
avec sa cour et, après avoir traversé Ypres pour s 'y rendre compte
de la situation, poussa jusque Bruges. Il y fut reçu par les eatho-
liques avec de grandes démonstrations de joie (19).
Une troupe de 900 fantassins wallons et trois enseignes d'autres
soldats, sous le commandement du sire de Werp, Pavaient précédé de
quelques jours. Le prince fit son entrée à Bruges, accompagné de
trois cornettes de cavalerie. Il y resta trois jours et put se rendre
compte que la grande majorité de la population était animée de
bonnes intentions, ma1gré la présence d'une quantité assez considé-
rable d'hérétiques et de calvinistes dans les rangs du magistrat (20).
Une des preuves en était que les Brugeois supplièrent le plrince de
les délivrer de la menace que constituait la présence des rebelles à
Ostende. Comme ce n 'était guère le moment de gaspiller ses forces,
Farnèsè se contenta de leur donner de belles promesses (21). A leur
(18) BOR, o. c.,2e stuk, fO 467.
(19) Libro de las cosas de FUflndes, fo 259"0.
(20) Lettre de Farnèse au Roi, Beveren, 15 [ulllet 1584 tA. G. R., Coptes de Simancas,
vol. 16, non fo1iûté).
(21) Lettre {je Farnèse au magistrat de Bruges, 28 mal 1584, aux Archives {je l'Etat
Ii 'Bruges, Lettres et actes 1584.
requête, il mit 200 soldats dans des maisons fortifiées des environs de
Bruges et deux compagnies de cavalerie dans la ville même.
Estimant que, dans ces conditions, il ne pouvait exister aucun
danger p'Ourla sécurité de la place, il partit le 3 juillet dans la direc-
tion d'Anvers. Il prit toutes les dispositions nécessaires pour mas-
quer Gand aussi complètement que possible et, dans ce but, laissa
dans cette région deux régiments de Wallons, une partie du régiment
des Bourguignons et le commissaire général de la cavalerie avec
deux cornettes, pour garder l'écluse de Aspede. Au Sas e 'installa
une garnison d'Espagnols; à Axel et à Hulst, des compagnies d'Alle-
mands furent logées. De la sorte, toute tentative des Anversois pour
ravitailler Gand par la digue de Calloo ou les régions inondées du
nord du pays de Waes était condamnée à l'échec. Pour rendre impos-
sible toutessai du même genre par Bruxelles ou Termonde, le châte-
lain Antonio de Olivera s 'installa à Wetteren avec 19 enseignes
espagnoles du terçio d Tûiguez et 9 cornettes de cavalerie. En cas
de danger, cet officier pouvait appeler à son aide les garnisons
d'Alost, d'Audenarde et de Courtrai (22). Enfin, pour se couvrir du
côté de Vilvorde et de Bruxelles, et interrompre toute eommunica-
tion entre ces deux villes et Anvers, Farnèse envoya à Willebroeck
le reste du terçio d'Iüiguez avec mission d 'y assiéger le fort bâti
sur le Rupel et d'empêcher la navigation sur le canal de Bruxelles (23).
Il ne restait donc au prince de Parme, pour commencer les opé-
rations contre Anvers, que les terçios italiens, les soldats anglais
enrégimentés après la chute d 'Alost et celle de Bruges, le terçio
espagnol de Pedro de Paz et une masse relativement importante de
cavalerie légère.
Les opérations préliminaires du siège d'Anvers furent entamées
comme suit. Giorgio Basta, commissaire général de l'artillerie, fut
envoyé sur la rive droite de l'Escaut, en Brabant, pout y battre
L'estrade avec ses cavaliers italiens et albanais) surveiller les routes
qui menaient du Brabant et de la Campine vers Anvers et protéger
les troupes qui bloqueraient cette ville du côté de l'Est et du Nord-
Est. Le marquis de Richebourg devait quitter la région d'Eecloo
avec une autre partie de l'armée, 3.000 fantassins et quatre compa-
gnies de cavalerie, et s'avancer vers l'Escaut pour attaquer les forts

(22) Lettre de Farnèse au Roi, 15 [ulllet 1584 (Loc. cit.); Libro de las cosas de
Flandes, r- 260'°.
(23) STRADA, o. C" t. IV, p. 9; Libro de las coses de FlCKlides, loo, ctt,

225
extérieurs de la rive gauche du fleuve. Enfin, Pierre-Ernest de Mans-
felt et Mondragon eurent pour mission de gagner la rive droite de
l'Escaut, de contourner Anvers par l'Est et de s'attaquer aux forts
extérieurs de cette rive. ils avaient avec eux 4.500 fantassins et huit
compagnies de cavalerie (24). De sorte que l'ensemble des troupes qui
allaient entreprendre cette tâche difficile ne dépassait pas 8.000 fan-
tassins et 1.200 cavaliers.
Que pouvaient y opposer les Anversois ~
Déjà depuis la fin de 1581, le magistrat d'Anvers avait pris
toutes ses précautions en prévision d'un siège. Par mesure spéciale,
et avec l'autorisation des États de Brabant, tous les habitants, à
l'exception des marchands appartenant aux colonies étrangères,
furent tenus à une contribution hebdomadaire d'une livre de gros
de Flandre au maximum et de cinq sous au minimum (25). En juillet
1582, une escadre de navires de guerre fut organisée, pour défendre
l'Escaut et le Hont, et pour protéger les négociants trafiquant avec
la ville (26). Cette même année, le magistrat fit l'acquisition du navire
de guerre appelé La Fortune et de deux chaloupes, d'un autre, appelé
Le Cocq (Den Haen) , et d"un navire de forme spéciale, appelé
cromsteuen, toujours dans le même but (27). Bientôt s 'y ajouta un
quatrième navire, La riau« (De Trouw) (28). En janvier 1584,
cette flottille fut placée sous les ordres de l'amiral Jacob J MO bsen,
un marin courageux et expérimenté (29).
De plus, depuis 1583, les deux navires de guerre et la chaloupe,
que le bailli du pays de Waes avait à sa disposition sur l'Escaut,
et qui n'avaient pas voulu suivre cet officier publie dans sa trahison,
après s'être échappés de Rupelmonde à l'arrivée des Eepagnols,
étaient entrés au service du magistrat d'Anvers (30). Celui-ci avait
en outre à sa disposition une grande galiote et quelques petites, qui,
en temps de paix,étaient utilisées pour les réceptions et les festivités
sur le fleuve, et qui furent armées dès que Je danger d'une attaque

1(24) STRADA, O. C., t, IV, PP. 9-10. - Pour tout ce qui concerne le siège d'Anvers, nous
renvoyons au livre de F. BARADO y FONT, SUio de Amberes 158"-1585, et plus particu-
lièrement aux pages 184-320.
'(25) P. GÉNARD, Rekening van de verdediging der Schelde qeâuretute het beleg der
stad in 1583-85, dans Verslagen en medeàeelingen der Koninklijke Vlaamscttë A ka-
demie, 1895. pp. 449-453.
{26) P. GÉNARD, O. C., loc. cit., pp, 453-473.
{27) P. GÉNARD, O. C., ûoc. cit. pp, 473svv.
(28) P. GÉNARD, O. C., IDe. cit., p. 479.
(29) P. GÉNARD, O. C., IDe. cit •• pp. 483 svv,
(30) P. GÉNARD, o: C., loc. rot•• pp. 497 svv •• 510.

226
ennemie se dessina, à la suite de l'occupation du pays de Waes par le
prince de Parme (31). Un nombre assez considérable de barques
furent employées pour améliorer le service de surveillance sur
l'Escaut. Enfin, en octobre 1584, un nouveau navire de guerre,
Orange (Den Orange), vint renforcer l'escadre de Jacobsen (32).
Dans la ville se trouvait une forte garnison de soldats français
sous le sieur de 'I'êligny, fils de La Noue, et de soldats anglais, S011S
les ordres du colonel Balfour. Pour augmenter le nombre de ces
troupes régu'lières, le magistrat d'Anvers envoya le sieur de Gryse
à Londres} pour solliciter le secours d'Élisabeth et pour lever dans ce
pays, aux frais des consistoires wallons et flamands de la Grande-
Bretagne, 1.500 Anglais. Le sieur de Pré fut envoyé en France pour
en ramener un nombre égal de soldats français. Dans le pays même,
les Anversois avaient réussi à réunir 80 enseignes de gens de pied et
16 cornettes de cavalerie, soit en tout quelque 8.000 à 9.000 hommes.
Il fallait y ajouter, enfin, les 80 enseignes de la milice bourgeoise et
les corps spéciaux ou serments, c'est-à-dire encore 7.000 à 8.000
hommes. 'I'outefois, exception faite des serments, groupant des
hommes exercés et aguerris, et de l'enseigne, appelée « Ies jeunes
compagnons » - élite de la jeunesse anversoise -- cette milice bour-
geoise n'était pas capable de tenir tête, en rase campagne, aux régi-
ments de Farnèse.
On pouvait encore compter sur le concours des « rebeHes » du
Nord, dont les forces étaient concentrées à Berg-op-Zoom:
6 enseignes d'infanterie et 16 cornettes de cavalerie, commandées par
le comte de Hohenlohe et le sieur de Villers. Enfin, ce qui était parti-
culièrement important, dans le Bas-Escaut se trouvait une forte
escadre hollando-zélandaise, sous les ordres de l 'amiral Treslong (33).
Cependant, les chefs des rebelles ne pouvaient être comparés à
Farnèse. Marnix, le bourgmestre d' Anvers,était un rusé diplomate
et un fin politique, mais il ne possédait point de qualités guerrières.
L'amiral Treslong, vieux gueux de mer, qui avait pris part à la
prise de la Brielle sous le gouvernement du duc d 'Albe, était, certes,
un marin hardi, mais il était très indiscipliné. il avait toujours
désapprouvé l'alliance avec Anjou, et comme il savait que Marnix

(3i) P. GÉNARD, O. C., loc. elt., p. 5H et note.


(32) P. GÉNARD, O. C., loc. olt. pp. 508 'i'JVV.
1(33) CH. TERLINDEN, Le siège à' Anvers par Alexandre Farnèse, loc. clt., pp. 7-8;
F. BARADO y FONT, O. C., pp, 18O-i181.

227
restait partisan de cette aUiance, il ne le portait point dans son cœur.
TI ne montrerait aucun empressement à exécuter les ordres reçus
pour secourir Anvers (34).
Quant au comte Philippe de Hohenlohe} noble allemand d'an-
cienne lignée et de rang princier, c'était un vrai ty,pe de soudard,
brave jusqu'à la témérité, se battant pour le plaisir, mais souvent en
état divresse complète. TI ignorait la discipline et manquait totale-
ment de Té-flexion(35). Seul Téligny, le fils de La Noue, qui avait
hérité des remarquables qualités de son père, et l'Anglais B.alfour,
vieux capitaine expérimenté, étaient des adversaires qu'il ne fanait
pas dédaigner.

Dans les premiers jours de juillet, Farnèse s'établit avec Elon


quartier général à Beveren, gros bourg du pays de Waes, à deux
lieues d'Anvers, et s'y retrancha solidement autour du château qu'y
possé-dait le duc dAerschot. Le marquis de Richebourg, exécutant
les ordres donnés, poussa rapidement jusque Calloo, d'où il chassa
l'ennemi et où il commença laconstruction d'un fort. Il s'était ainsi
rendu maître du point le plus important de la maîtresse digue de la
rive gauche de l'Escaut: la seule qui fût reliée par une contre-digue
aux terres non inondées du pays de Waes (36)}par où les Anversois
avaient essayé à diverses reprises de ravitailler Gand (37). Riche-
bourg y installa son quartier général, ainsi que l'arsenal général de
l'armée et les magasins. A Melsele s'était logé Charles de Mansfelt,
maître de l'artillerie (38). Comme les Anversois avaient percé la
digue de Calloo en trois endroits, inondant ces parages, Farnèse fit
boucher les brèches au moyen de madriers, de fascines et de sacs de
terre, de manière que 1'on pût se rendre à sec du poste de Calloo au
quartier général du prince à Beveren (39).
Bichebourg 's'avança alors avec ses troupes contre les redoutes
anversoises de la rive gauche, pendant que Mondragon et ses hommes
commencèrent le passage de l'Escaut pour aller attaquer les redoutes
de la rive droite. Farnèse avait d'abord enjoint à la cavalerie qui
devait surveiller la Campine de passer le fleuve près de Kalbeek,
{M) MO'ITLEY, Histoire des Provinces-Unies ..., t, I, p. 198.
(35) Ibidem, pp. 194-195.
1(36) CH. TERLINDEN, O. c., loc, olt., p.16.
(37) Libro de ws cosas de Flœndes, fo 257'0.
(38) STRADA, o. C., t. IV, p. H.
(39) Liber relationum, r- 145TO•

228
"CI
r
~
......,
<
VUE D'ENSEMBLE DElS INONDATIONS PROVOQUÉES PAR LES DÉFENSEURS D'ANVERS
Plan dressé par I'arctutccte Le Poivre
(Ms. 19611 (le la 'Bibliolhèque Royale de Belgique, fo 61.)
;...- ....•. _.-

non loin de l'abbaye de Saint-Bernard. Il avait, ensuite, installé en cet


endroit, sur les deux rives de l'Escaut, des pièces d'artillerie, qui
prirent sous leur feu les vaisseaux de guerre anversois croisant en
ces parages. Puis, sur un pont de bateaux rapidement établi, Mon-
dragon et ses soldats traversèrent le fleuve, emmenant avec eux
500 chariots et 10 pièces d'artillerie. Les vaisseaux anversois s'étant
retirés après avoir subi des dommages considérables, les Espagnols
passèrent sans encombre sur la rive du Brabant et, contournant
Anvers, se dirigèrent vers le fort de Lillo (40). Celui-ci était bâti sur
le Blauwgarendijk, que l'opposition des bouchers et des colonels de
la milice avait empêché de percer en temps utile.
De même que le fort de Liefkenshoek, situé sur la rive gauche,
en face de Lillo, était la clef des positions rebelles du côté de la
Flandre, celui de Lillo constituait la position avancée la plus impor-
tante sur la rive du côté du Brabant.
Au moment où les Espagnols parurent sur la rive droite de
I'Eseaut au nord d'Anvers, la redoute de Lillo n'avait que 120
hommes de garnison et ils auraient pu facilement s'en emparer.
,Si tel ne fut pas iLecas, la faute en est au colonel Mondragon.
Selon Paolo Rinaldi (41), Mondragon, dans sa marche sur Lillo, ren-
contra les nombreux troupeaux de bétail dont avaient parlé les
bouchers d'Anvers) vaches et chevaux au nombre d'environ 4.000
têtes, Il s'empressa de s'emparer de ce riche butin, qui, par après,
fut vendu dans le camp à vil prix. La présence de ce bétail embar-
rassa considêrablement la marche de l'armée et détourna de leur
devoir militaire les soldats, qui étaient possédés par l'esprit d'e lucre
et qui ne songeaient qu'à se rendre maîtres d'autant de bêtes que
'Possible. Mondragon en fut fortement blâmé.
D'après Strada (42), au contraire, le vieux colonel espagnol, qui
connaissait bien le fort de Lillo pour l'avoir fait construire lui-même
lorsque, naguère, il était gouverneur de la citadelle d'Anvers (43),
aurait eu peur de l'attaquer à l'improviste, sachant que c'était une
position redoutable.
Quoi qu'il en soit (44), la lenteur des Espagnols à approcher de
Lillo fournit aux Anversois l'occasion de renforcer considérablement
(40) BOR, o. c., 2e stuk, f08 467-468; Libro de las cosas fie Flandes, to 259'°; Farnèse
au Roi, 15 juillet 1584 (Loc. cit.) .
.(41) Liber retatumum, f08 145-145vo•
(42) O. C., t. IV, p. 13.
>(43) D. ANGEL SALCEDO RUIZ, El coronel Crist6bal de Mondrag6n, pp. 158-159 .
.(44) Cfr D. ANGEL SALCEDO RUIZ, O. c., p. 158.

229
la garnison avant que le fort ne fût assailli. Ils réussirent à y faire
entrer l'enseigne d'élite des « Jeunes compagnons» et environ cent
hommes des serments i ils envoyèrent chercher du secours à Ter-
monde et à Terneuzen; une enseigne de Français sous les ordres du
capitaine gascon Gau réussit à se jeter dans la redoute à la dernière
minute. Enfin, quatre enseignes d'Ecossais furent rappelées en hâte
d 'Hérenthals et vinrent grossir le nombre des défenseurs. Téligny
prit la direction de la défense"
Malgré de furieuses sorties faites par les assiégés, Mondragon
réussit à hisser sur la digue un certain nombre de pièces d'artillerie)
qui bombardèrent le fort. Celui-ci reçut bientôt d'Anvers, par
l'Escaut, deux canons de gros calibre, qui se mirent à contrebattre le
feu des Espagnols. Un essai de pénétrer dans la redoute par la brèche
y pratiquée à la suite du bombardement ne réussit point. Enfin, les
assiégés ouvrirent les écluses voisines. L'eau de l'Escaut pénétra
à l'intérieur des terres et isola complètement Ies vasaaillants, qui
se réfugièrent sur les digues. La retraite était devenue inévitable.
Dansees circonstances tragiques] les soldats de Mondragondonnè-
rent toute la mesure de leur sang-froid et de leurcourage, A travers
l'inondation, ayant de l'eau jusqu'aux épaules; ils roulèrent leurs
canons à la vue de l'ennemi et parvinrent à gagner le village de Sta-
broek, où le prince de Parme leur avait donné l'ordre de se retirer.
L'aventure leur avait coûté quelque 250 hommes et la perte de deux
valeureux capitaines, Luis de Tolède et Pedro de Padilla (45).
Farnèse fit non seulement occuper Stabroek par Mondragon,
mais aussi les villages de Berendrecht et de Zantvliet, et construire
des redoutes autour du fort de Lillo pour l'isoler : à Oordam, à la
jonction de la contre-digue de Kouwenstein et sur le Blauwgarendijk.
On pouvait espérer qu'ainsi, coupés de toute communication avec
Anvers et avec la Hollande et la Zélande, les défenseurs de Lillo ne
tiendraient plus longtemps (46).
Entretemps, un événement important venait de se produire en
Campine. Pour secourir Lillo, les États avaient retiré la garnison
écossaise d 'Hérenthals et confié cette ville à la garde des habitants.
L'officier italien Nicolo Cesis, qui avait été avec Farnèse à la bataille

(45) Farnèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (B. N. P., ms, espagnol 182,
fo 374vO); Mondragon au prince de Parme, camp de Lillo, 19 'et 20 juillet 1584 (A. F. N.,
Carte tarnesume, Fiandra, fascio 1657); P. BOR, O. C., 2" 3tuk, fo 468; E. VAN METEREN,
0, c., fo 231; STRADA, 0, c., t. IV, pp. 13-14.
{46) E. VAN METEREN, a C., fo 231; P. 'BOR, O. c; 2· stuk, fo 468,

230
de Lépante et à celle de Steenbergen, et qui parcourait en ce moment
la région à l'Est d'Anvers avec une partie de la cavalerie légère,
profita de cette circonstance. Il noua des intelligences avec les habi-
tants de la ville et parvint à se faire ouvrir les portes de la place (47).
De sorte que, par cette acquisition imprévue, les troupes de Mondra-
gon se trouvaient merveilleusement protégées sur le flanc droit et
n'eurent plus aucune crainte de surprise du côté de la Campine.
Si l'attaque des positions avancées de la rive droite de l'Escaut
avait subit momentanément un échec, par contre, sur la rive gauche,
le marquis de Richebourg atteignit rapidement ses objectifs.
Le6 juillet, Richebourg, accompagné des maîtres de camp Pedro
de Paz et Mario Cardoino et de leurs terçios, ainsi que des enseignes
d'Anglais qui s'étaient enrôlés dans l'armée de Farnèse après la
prise d'Alost, attaqua les forts de. la presqu'île de Doel, la plupart
bâtis sur la digue qui courait le long de cette presqu'île. Celui de
Saint-Antoine, surpris à l'improviste, se rendit. Celui de Ter- Venten,
à l'approche des Espagnols, fut abandonné par sa garnison. Les
soldats de Richebourg se dirigèrent alors vers celui de Liefkenshoek,
construit sur la digue même qui bordait l'Escaut. TI était garni de
800 hommes et bien pourvu d'artillerie. Le trompette que Richebourg
envoya aux occupants de ce fort, pour les sommer de' se rendre, fut
ignominieusement renvoyé. Les Espagnols installèrent alors leurs
batteries, mais ne purent passer à l'attaque. Sur ces entrefaites,
Farnèse arriva lui-même de son camp de Beveren et fit offrir une
dernière fois des conditions avantageuses de reddition. La réponse
fut, encore, négative. Impatienté, et craignant l 'êehec de ses plans, le
prince de Parme ordonna alors de passer à l'assaut et d'emporter la
position; les soldats reçurent comme instruction de ne point faire de
quartier . Une première attaque fut énergiquement repoussée par les
défenseurs. Les soldats italiens se firent alors précéder de chariots de
foin humide, auquel ils mirent le feu. Un vent violent poussant la
fumée vers les assiégés et les aveuglant, les assaillants en profitèrent
pour se lancer en avant. Ils pénétrèrent dans le fort et taillèrent en
pièces la majeure partie des occupants. Certains de ceux-ci furent
atteints et tués au moment où ils fuyaient sur la digue de l'Escaut,
d'autres se noyèrent en voulant se sauver à la nage. Deux barques
armées s'étant portées à leurs secours, l'une d'entre elles fut prise,
l'autre s'échappa au milieu d'une volée de coups darquebuse, Confor-

{47l STRADA, o. c.• t. IV, pp. 14-15; CARNERO, Historia de las guerras civiles .•., p. 18:1,

231
mément aux ordres donnés, les prisonniers furent tous massacrés ou
noyés. Le vaillant commandant du fort, Jean Pettin, natif d'Arras,
fut tué de la propre main du marquis de Richebourg. S'il faut en
croire l 'historien van Meteren, qui donne la version du parti des
États, Farnèse se serait montré très irrité de cette cruauté et l'aurait
reprochée au marquis, lui disant: Troppo cotera, signor marchese,
èquesta! (c'est trop de colère, marquis 1) (48). Les pertes de la garni-
son se chiffrèrent à 400 tués et environ 200 noyés. Dans le fort, les
Espagnols trouvèrent sept drapeaux et uneconsidéra'ble somme
d'argent. La veille de l'assaut, en effet, les commissaires payeurs
d'Anvers étaient venus distribuer la solde à la garnison (49).
La même nuit, les troupes de Richebourg marchèrent vers les
forts situés plus au Nord dans la presqu'île de Doel, celui de Den
Oort et celui de l'écluse de Saftingen. Ils trouvèrent Den Oort aban-
donné : le commandant du fort avait embarqué son artillerie, tué le
'bétail qui servait au ravitaillement de ses hommes, incendié les
barques amarrées près de la redoute et mis le feu aux munitions. Au
fort de 8aftingen, on fit la même constatation : la garnison s'était
embarquée pour la Zélande,après avoir détruit tout ce qui ne pouvait
être emporté (50).
« La raclée de Liefkensheek a fait Timpression nécessaire» écrit
Farnèse au Roi, le 15 juillet, Il pouvait se réjouir. En peu de jours,
le marquis de Richebourg s'était rendu maître des principales
défenses des Anversois sur la rive gauche du fleuve.
Mais il avait encore un autre motif de contentement. Le jour
même où Liefkenshoek fut pris (10 juillet), Balthasar Gérard tuait le
prince d'Orange à Delft, d'un coup de pistolet.

{48) Farnèse au Roi, Beveren, 15 juillet 1584 (Loc. cit.); Farnèse à un ministre du
Roi, Beveren, 26 juiHet 1584 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 374VO); Liber retauonum,
fe 146; Libro de las cosas de naoaes, fQ 260"0; STRADA, o. C., t. IV, pp. 12~13; E. VAN
METEREN, O. C., fo 468.
(49) Le même épisode est raconté par CARNERO, Historia des las guerras civiles ...,
p. 185, et par CAMPANA, Della guerra di Fumâra, 2a parte, fos 5,fvo_52ro.
(50) Farnèse au Roi, Beveren, 15 juillet 1584 {Loo. clt.) ; Libro de las cosas de rtanaes,
fO. 260vo-261ro; Famèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (Loc. cit.); STRADA,
o. o., t. IV, p. 13.

232
CHAPITRE XIII.

LA FIN D'UN DUEL ÉPIQUE LA MORT


DU TACITURNE

Pendant la dernière année de sa vie, le prince d'Orange avait


obstinément travaillé à l'a reprise des relations avec le duc d'Anjou,
qui avaient été mises en danger par l'aventure de la « Furie f1ran-
çaise ~. Il restait convaincu, en 1584 comme avant, de la nécessité
a:bsoluede chercher de l'aide en France, Ce qui le poussait dans cette
voie, ce n'était point un sentiment de francophilie, mais des motifs
d'ordre réaliste. Certes, il avait espéré pendant quelque temps t'rou-
ver: du secours auprès des princes protestants d'Allemagne, mais il
s'aperçut 'bien vite, surtout après l'aventure du palatin Casimir, que
cet espoir était vain. Il avait, ensuite, placé sa confiance en Élisabeth
d'Angleterre, mais de ce côté-là aussi, il ne reçut que promesses, et
les preuves d'une politique louvoyante et peu claire.
Malgré l'opposition très forte dont nous avons parlé plus haut,
le prince finit par être convaincu que la seule voie de salut se trou-
vait dans l'alliance française, même avec un prince aussi fourbe que
fe duc d'Anjou. Il défendit cette politique envers et contre tous, sur-
tout contre son frère Jean de Nassau, qui en était un des adversaires
les plus décidés (1).
Quatre mois avant sa mort, Guillaume de Nassau exposa ses
idées dans un mémoire remarquable, que Groen van Prinsterer a
intitulé avec raison: « Apologie de ses relations avec la Ii'rance » (2).
(i) A. A. VAN ScHELVEN, WiUem van Oranj,e, pp. 276 SVV, - Concernant Jean de Nas-
sau, voir H. BaUGMANS, De broeders van den prins van Oran je, dans Prins Willem van
Oran je, pp. 216-234.
1(2) Le document lest publié par GaoEN dans ses Archives ..., t. VIII, pp, 339-348. Il est
daté de Delft, 18 mars 1584.
S'adressant à son frère Jean, le prince exprime toutes ses angoisses
au sujet du sort de la Flandre, « où l'ennemi, avec cent ou deux cents
hommes seulement, fiait des forts où bon lui semble et, même, est
venu jusqu'à la portée du canon de la ville d'Anvers ». Comment, avec
le peu de forces dont les États disposent et le particularisme des
villes, empêcher les progrès de L'adversaire l Quel mal n'a pas fait cet
espoir que d'aucuns ont voulu mettre, dans « le grand secours d'Alle-
magne», puisque,du côté des princes de ce pays, il n'y a pas même
apparence de secours 7
« On me dit que je dois me défier de la France, remarque le
prince. Je n'ignore pas les dangers qui peuvent exister de ce côté,
et ils me sont peut-être mieux connus qu'à ceux qui en parlent. A qui
donc voulez-vous que je me fie »Aux princes allemands « qui
î

laissent fouler à deux pieds par les papistes leur, propre frère 7 »
Le bon peuple de Flandre, pour avoir mis en eux son espoir, se
trouve maintenant « sous la cruelle patte de l'Espagnol ».
Hi l'on n'apprécie pas les conseils du prince, on n'a qu'à s'en
prendre à soi-même, car on contraint Guillaume à chercher les moyens
qui se trouvent à sa portée, d'autant plus qu'il n'y a aucune appa-
rence d'en trouver d'autres. « Avant de me critiquer, rétorque le
prince, qu'ils regardent la poutre qui est dans leur œil et non le fétu
qui est en celui d'autrui. Des calomnies et des faux rapports, j'en ai
bien entendu déjà jusqu'ici, mais des raisons solides, point.
» Si les États Généraux me demandent si je vois du secours
ailleurs, je ne puis les tromper : je dis non. »
Les théologiens calvinistes prétendent que l'alliance avec la
France est « contre la parole de Dieu ». Mais, d'abord, tous les
Flamands n'appartiennent pas à la religion réformée. Ensuite, toutes
les raisons du monde ne pourraient convaincre de telles gens. N'a,..tcon
pas vu les théologiens de l'Église wallonne de Nieuport s'exprimer
dans le même sens et parler haut et fort pour exhaler leur méconten-
tement Dès qu'ils virent le trompette de l'ennemi leur adresser
î

une sommation, il n'en resta plus que trois de résolus: les autres
obligèrent la garnison à sortir et se rendirent honteusement.
'Les théologiens calvinistes disent qu'il n'est pas licite de s'allier
avec ceux qui ne 'sont pas de la religion réformée 7 Les textes des
Ecritures qu'ils citent à ce propos n'ont pas le sens qu'ils leur
prêtent. « Je dis plus. Lorsque, par le jugement des États Généraux,
non point assemblés une fois, mais plusieurs fois; non point rapide-

234
ment, mais après mûre dêlibération, 'après avoir cherché partout
ailleurs, après être abandonné de tout le monde et même de ceux de
de la religion réformée ..., quand je dis que par une telle assemblée
une chose serait jugée nécessaire, j'estimerai ce jugement, puisque
aujourd'hui les prophéties ont cessé, n'être autre chose qu'une dêcla-
ration de la volonté de Dieu ».
Et, plein d'amertume, le prince continue :.« De notre temps les
princes d'Allemagne ont conclu une alliance avec le roi de France, la
reine d'Angleterre, le roi d'Ecosse; les cantons suisses en ont fait
autant... Les Polonais ont choisi un roi papiste, les Electeurs un
empereur catholique.; Je ne vois pas que les théologiens écrivent
contre ceux-là. Pourquoi s'adressent-ils à moi et non aux autres » î

Ce document éloquent se termine par un appel au comte Jean de


Nassau, auquel le Taciturne demande conseil et assistance « tant que
cette guerre durera ... pour la défense d'une si bonne et juste cause ».
Pour cette cause, le prince est décidé de finir ses jours et de ne jamais
traiter avec l'Espagnol, sachant que d'un tel accord sortirait ,la ruine
des Eg~lisesdes Pays-Bas et de plusieurs autres, une tyrannie univer-
selle pesant sur les sujets de ce pays, et la destruction totale de toute
la maison de Nassau, « laquelle, comme elle nous a esté mise en main
par nos aneestres, aussi je m'emploierai, tant qu'il sera en ma puis-
sance, pour la conserver à nostre postérité» (3).
Grâce à la détermination du Taciturne de maintenir le contact
avec Anjou, l'agent de celui-ci, Des Pruneaux, continua à résider
d'abord à Middelbourg, puis à Delft, auprès des États Généraux, y
représentant son maître et communiquant ses promesses et ses espoirs.
En novembre 1583, Orange avait réussi à faire reprendre les négo-
ciations avec le prince français, sur la 'base du traité de Bordeaux.
Tout en évitant soigneusement de donner à Anjou le titre de souve-
rain - 1a « Furie française » avait rompu le contrat conclu - les
Etats envoient à Château-Thierry Antoine de Lalaing, sire de la
Mouillerie, et le greffier Asseliers. Ces deux envoyés devaient pré-
parer le terrain pour une entente définitive, que viendrait discuter
une délégation plus nombreuse, conduite par Marnix.
Lorsque les victoires de Farnèse se succédèrent au printemps
de 1584, on finit par comprendre en Hollande que sans le secours
(3) Une réponse en flamand fut publiée contre cet exposé du prince d'Orange par des
adversaires de l'alliance avec Anjou. Elle est publiée par P. FREDERICQ. Het Netieruuuisct;
proza in de zestiendeeuwsche pam(letten (Mémoires 111-8de l'Académie), pp. 163 SVV,
EUe est i'œuvre de prédicants calvinistes.

235
français, tout serait perdu. Seuls les marchands d'Amsterdam ainsi
que Hooft et ses partisans continuèrent leur résistance. A mesure
que le danger grandit, le prince d'Orange insiste pour qu'on presse
les négociations: «sur son salut éternel », il déclare aux Etats Géné-
raux qu'il n 'y a plus d 'autre moyen d'en sortir; il défend sa poli-
tique auprès d'Elisaheth d 'Angleterre, à laquelle il envoie le colonel
Norris, En avril, les délégués des États apportent de la part d'Anjou
des propositions acceptables: le duc ne refuse pas de prendre comme
lieutenant général le prince d'Orange, qui le remplacerait en son
absence. Comme les gouverneurs de Bruxelles) de Malines et de
Termonde, à l'approche menaçante des soldats de Farnèse, s'étaient
de leur propre autorité adressés au prince français pour en obtenir
du secours, celui-ci leur promet l'envoi d 'une armée de 17.000hommes.
Mais déjà par deux fois Anjou, dont la santé ruinée baissait
de plus en plus, avait été pris de crachements de sang. En prévi-
sion de Ha mort et poussés par le danger grandissant, les États
avaient été jusqu'à décider de continuer, en cas de décès} les négo-
ciations avec le roi de France lui-même. L'une après l'autre, toutes
les provinces jusqu'ici opposées à l'alliance notifiaient au Taciturne
qu'elles étaient prêtes à accéder au traité que l'on préparait. Sou-
dain, le 10 juillet, la nouvelle se répand que le duc d'Anjou vient de
mourir ... Dans son testament, il avait légué au roi de France tous ses
droits sur les Pays-Bas (4).
Cette mauvaise nouvelle ne prit pas le Taciturne au dépourvu :
immédiatement, il se mit en rapport avec Henri III et Catherine de
Médicis pour continuer avec eux les tractations commencées. Il ne
devait pas les voir aboutir. Un mois après le décès de François de
Valois, il suivit celui-ci dans la tombe.

Depuis l'attentat de Jean J auregui en 1582, des conspirateurs


et des aventuriers avaient essayé à diverses reprises de gagner la
somme promise par Philippe II à celui qui le débarrasserait du
'I'aciturne.
Au commencement de 1583,on arrêta à Anvers un E·spagnol natif
d'A vila, qui s'était introduit en ville sous un déguisement et sous un
faux nom. Il s'appelait Pedro Ordono, Il avait d'abord proposé à

{4) Nous avons suivi Ici l'exposé de BLOK, Wtuem de Eerste, prins van Oranje , t. II,
pp. 200-205.

236
Farnèse des entreprises sur Flessingue, Dunkerque et d'autres villes
en possession des rebelles, mais ses suggestions avaient été reçues
'avec peu de confiance. Le prince de Parme les jugeait inexécutables
et se défiait d'ailleurs de la légèreté et de la fougue du conspirateur.
Celui-ci, après avoir visité le sire de La Motte à Gravellines et, à
Paris, l'ambassadeur espagnol 'l'assis, s'était rendu à la cour de
Philippe II, auquel il proposa de tuer le prince dOrange. Son offre
ayant été acceptée par le Roi, Ordono partit pour Anvers, où le
Taciturne se trouvait encore, mais le complot fut découvert. L'Espa-
gnol fut condamné à mort le 2 mars et exécuté le lendemain (5).
Il n'est pas certain qu'on puisse accepter comme authentique
l'histoire racontée par Bor, van Meteren et d'autres historiens du
parti des États, et d'après laquelle, le 13 avril suivant, on fit périr
à Flessingue un riche marchand, nommé Hansz, qui aurait nourri à
l'endroit du prince d'Orange une haine féroce et qui aurait inventé
plusieurs moyens de le faire périr (6).
Dans l'été de 1583, se place ensuite le complot de Francisco
Paredes. Celui-ci, 'Originaire de Medina deI Campo, en Espagne,
après une querelle qu'il eut à Maestricht avec Francisco de Eraso,
craignant la colère du prince de Parme, avait quitté son maître et
s'était retiré à Cologne. Fait prisonnier, au cours d'un voyage vers
Dusseldorf, par des cavaliers de l'armée des États, il fut emmené à
Utrecht. Le prince d'Orange lui ayant offert d'entrer à son service,
il accepta. Il y avait encore trois autres Espagnole qui, pour des
motifs d'ordre personnel, avaient pris du service dans l'armée des
rebelles : Vanegas, Diego de Fonseca et Diego Alonso.
Soit que le remords les travaillât, soit qu'ils redoutassent une
mort atroce s'ils tombaient entre les mains de leurs compatriotes,
Paredes et les trois autres officiers décidèrent de trouver un moyen
de se faire pardonner leur trahison. Ils imaginèrent de livrer
Flessingue au prince de Parme, et de mettre la main sur le prince
d'Orange et sur Marnix de Sainte-Aldegonde. Paredes, sous pré-
texte de régler en France une question d 'héritage,obtint un passeport
du Taciturne et réussit à approcher à Paris l'ambassadeur espagnol.
Il lui exposa son plan et réclama, comme récompense en cas de
réussite, des lettres de pardon d'Alexandre Farnèse pour lui-même et
pour seatrois compatriotes transfuges. Paredes parvint à inspirer

;(5) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t, VI, pp. LXXVIII~LXXX.


(6) GACllARD, o. c., loo. ctt., pp, LXXX-LXXXI,
confiance à l'ambassadeur 'I'assis, Celui-ci, par une dépêche datée du
3 septembre, informa Alexandre Farnèse des projets de Paredes. Le
prince de Parme a-ccorda tout de suite les quatre lettres de pardon
demandées et autorisa l'ambassadeur à faire au conspirateur toutes
les promesses nécessaires.
Malgré l'avis peu favorable de certains membres de son conseil
de guerre, que Farnèse avait mis dans le secret, il prit toutes ses
dispositions pour tenter la surprise de Flessingue. A la dernière
minute, de sérieuses objections de Mondragon et de La Motte firent
abandonner l'entreprise. De l 'attentat contre Orange et Marnix, il
ne semble plus avoir été question (7).
Enfin, un dernier complot se place au mois d'avril 1584. Les
soldats d'une compagnie italienne appartenant au COflPS d'armée du
marquis de Richebourg firent prisonnier un capitaine français de la
garnison de Terneuzen, appelé Gott ou Gotte. Comme, antérieure-
ment, cet officier s'était déjà êchappê plus d'une fois de captivité, il
craignit de la part des Espagnols des mesures exceptionnelles de
rigueur. Pour les bien disposer, il fit savoir au marquis de Richebourg
qu'il tenait à lui communiquer « des choses de très grande impor-
tance ~.
Amené à Eeeloo, au quartier général de Richebourg, il déclara
avoir le moyen de tuer le prince d'Orange. Avant de demander à
l'officier français des détails concernant ce projet, Richebourg com-
muniqua la nouvelle à Farnèse. Celui-ci l'ayant autorisé à examiner
cette affaire de plus près, le marquis soumit Gatte à un interroga-
toire détaillé. TI apprit que le conspirateur comptait tuer le prince
d'Orange par le poison, en utilisant les services d'un maître d'hôtel
français attaché à la maison du Taciturne. Lorsque Farnèse fut mis
au courant des plans de Gotte, il estima que ceux-ci n'étaient pas très
sérieux, mais il autorisa Richebourg à mettre le prisonnier en liberté.
TI devait cependant être entendu que le capitaine français ignorerait
que le prince en avait traité avec Richebourg.
Les événements confirmèrent les soupçons de Farnèse. Rentré à
Terneuzen, Gotte accusa Richebourg d'avoir employé à son endroit
les plus terribles menaces pour l'engager à livrer la ville et à tuer

(7) GACIIARD, o. C., lac. cit., pp. LXXXII-LXXXVII j RÜBSAM, Jnh,ann Baptista van Taxis,
pp. 60-62.

238
le prince d'Orange. Il se rendit même auprès de ce dernier et lui
répéta ces fausses déclarations (8).
C'est au mois de juillet 1584 que se place l'attentat de Balthazar
Gérard.
N,é à VuHlafans, petit bourg dans le bailliage de Dôle, Gérard
était le neuvième enfant de parents très catholiques et très attachés
au Roi. A l'âge de douze ans, il avait révélé son caractère exalté
lorsque, entendant parler des excès des rebelles des Pays-Bas et de
l'appui que leur donnait le prince d'Orange, il avait déclare qu'il
tuerait ce dernier. En 1577, lorsqu'il apprit la rupture entre Don
Juan et les États, Gérard,se trouvant dans une maison particulière
de Dôle, avait lancé avec force contre une porte une dague qu'il avait
en main, en s'écriant : « Je voudrais que ce coup-là eût été porté au
cœur du prince d'Orange! » Depuis lors, il semblait s'être calmé.
L'édit de proscription lancé par Philippe II réveilla sa haine. En
février 1583,il décida de se faire l'exécuteur de la sentence royale et
partit dans ce but pour les Pays-Bas. Arrivé à Luxembourg, il y
apprit la nouvelle de l'attentat de Jauregui et, comme en ce moment
le 'bruits 'était répandu que le Taciturne était mort, Gérard s'en était
réjoui, parce que justice était faite et qu'il ne devait plus s'exposer
lui-même au terrible danger que comportait la tentative. Il s'engagea
alors au service de son cousin, qui était secrétaire du comte Pierre-
Ernest de Mansfelt.
Lorsqu'il apprit que le Taciturne avait échappé à la mort, il prit
la ferme résolution, quel que pût en être le prix, de se faire l'exécu-
teur de la sentence de proscription. Il suivit donc le comte de Mans-
felt à Parmée, pendant les campagnes de 1582 et de 1583, espérant
toujours qu'un jour le camp espagnol s 'approeherait assez près de la
résidence du prince d'Orange pour qu'il pût mettre son projet à
exécution. Mais après la reddition de Diest, le 26 mai 158il, Mansfelt
avait abandonné sa charge de maître de camp général et avait regagné
son gouvernement du Luxembourg. Ce fut pour Gérard une forte
déception. TI essaya, par tous les moyens) de s 'êehapper de son ser-
vice, mais sans y réussir.
(8) Voir la correspondance entre Je marquis de Richeboutg et Farnèse, publiée par
GACHARD,Correspoïuionce de Gutllaume le Taciturne, t, VI, pp. 121-125. La version des
historiens des Etats, chez Bor 'et van Meteren et dans la: Relation officielle de l'assassinat
du prmce d'Orange, publiée par GACHARD,o. C., loc. clt., pp. 129-'131. Le capitaine Gotte
mourut en juin 1584 d'une blessure reçue lors d'une sortse faite par la garnison de Lillo.
Voir aussi la version flamande de I'atratre, publiée par P. FREDERICQ,Het nederlandsch
proza in de zeetienaeeuussctie pamfletten, 100. oit., pp. 198-200. ElILereprésenté les faits
comme BOr et van Meteren.

239
En mars 1584, il n'y tint plus. Il abandonna sa charge à l'insu du
comte de Mansfelt etraeonta à 'son cousin, qui voulait l'en dissuader,
qu'il allait se rendre en Espagne. Des scrupules l'ayant assailli en
route, pendant son voyage vers les Pays-Bas, il alla trouver le régent
du collège des jésuites à Trèves et lui fit connaître le secret qu'il
gardait depuis si longtemps.
Ce jésuite, à en croire la confession faite par le meurtrier, aurait
essayé de le dissuader d'exécuter son projet) à cause des périls aux-
quels il allait s 'exposer et lui aurait dit que, pour le reste, lui et ses
confrères de la compagnie de Jésus n'aimaient pas de se mêler de
telles affaires (9). Il lui conseilla aussi de se mettre en rapport avec
le prince de Parme, ce qui n'est pas étonnant, étant donné la protec-
tion que celui-ci accordait aux jésuites des Pays .... Bas.
Gérard se rendit donc à Tournai, à la cour du prince. Il y arriva
le 21 mars 1584 et fut reçu. il remit à Farnèse un écrit, où, exprimant
son étonnement de ce que, depuis la tentative de J auregui, plus aucun
vassal du Roi n'eût repris cette tentative pour son compte, il annon-
çait sa décision inébranlable de l'entreprendre lui-même. IIne s'expli-
quait pas sur le plan qu'il avait conçu, mais il offrait de le faire
connaître à Farnèse, si celui-ci approuvait son entreprise.
Au début, le prince de Parme n'attacha pas grande importance
aux propositions de Gérard : celui-ci, petit de taille et frêle, ne sem-
blait pas appelé à exécuter un coup si difficile et de telle impor-
tance (10). Mais, fidèle à sa coutume et ne se décidant qu'après
examen sérieux, Farnèse chargea le conseiller d' Assonville de sou-
mettre le conspirateur à un interrogatoire serré. Cette enquête fut
concluante. Aux objections que fit d'Assonville, Gérard avait vieto-
(9) D'après le récit officiel du meurtre, rédigé par Pierre Loiseleur de Villiers, le [ésuite
de Trèves aurait encouragé Gérard et iJui aurait promis de prier pour lui. La confession
authentique de Balthazar Gérard ne dit point pareille chose. Nous nous en tenons à ce
qu'elle dit, car nous sommes oonvaincu que Villrers, dansJ.e récit officiel du meurtre,
a fait les mêmes Interpolations que celles qu'il pratiqua au sujet des déposltious du
Père '!1emmerman lors de l'attentat de 1582 (Cfr A. DE MEYER, Le procès de l'attentat
commis contre Guillaume le Taciturne, prince d'Orange, déjà cité). La question mérIterait
une étude approfondie, Ge n'est pas Ici I'endroit pour la faire. Voir surtout BAKHUIZENVAN
DEN BRINK, De confessie van den moordenaar, dans Cartons voor de geschiedenis van den
Nedertandschen Vrijheidsoorlog, 2· partie, pp. 213-248, et R. FRUIN, De ouâe verhalen
van den moord op prins Wiltem l, dans De Tachtigjarige Oorlog, [t. II], pp. 147-2i9.
Ces deux auteurs ne' sont pas du même avis au sujet du passage concernant le jésuit~
de Trèves et Ie frère Ghéry.
(10) « Ledlot jeusrre homme., passé trois ou quatre mots, m'avait communiqué sa
résolution, de laquelle, pour dire la vérité, je tenols peu de compte, pour ce que la dispo-
sitioo du personnalge ne me semblott promettre emprmse de. st grande importance... ~
Farnèse au Roi, 12 aoüt 1584 (GACHARD,o. C" loc, clt., p. 200), - c De que, al pelnclplo

240
œieusement répondu et avait montré une détermination tellement
farouche qu'il n'était pas possible de ne pas le prendre au sérieux. Il
avait affirmé avec force qu'il avait offert à Dieu le sacrifice de sa vie,
afin de venir à bout de ce « monstre et peste publique » et que, s'il
pouvait débarrasser le pays d'un tel tyran, il souffrirait volontiers
le martyre. Il était absolument convaincu que Dieu l'avait choisi
pour être l'exécuteur de la sentence de Philippe II : aussi rien ne
pourrait le détourner de son entreprise.
'Farnèse comprit que, cette fois, il avait devant lui l'homme
capable de le débarrasser du Taciturne" Il le fit exhorter à persévé-
rer dans son dessein et lui fit garantir, par d'AssonviHe, pour lui ou
ses héritiers, les récompenses promises par l'édit de proscription.
Puis, il le laissa partir (11).
Nous n'avons pas, à exposer id en détail tous les développe-
ments ultérieurs de cette affaire, qui sont d'ailleurs connus. Seule, la
fin importe, et la voici.
Après avoir manqué une première fois l'occasion de tuer le
prince d'Orange, auprès duquel il avait réussi à se faire introduire,
à Delft, il fit une seconde tentative, le 10 juillet 1584. Il se procura
un pistolet et résolut de tirer sur le Taciturne, soit lorsqu'il se ren-
drait au prêche, soit quand il irait se mettre à table pour dîner, ou
en sortirait. Il alla se poster au Prinsenho], près de la porte de la
salle où le prince prenait son repas.
L'assassin avait pu s'entretenir quelques instants avec Orange
avant le dîner et lui avait demandé la délivrance d'un passe-port dont
il avait besoin. Lorsque Guillaume reparut après le repas} Gérard,
ISOUS prétexte de lui rappeler sa requête, s 'avança. Sortant alors de

dessous son manteau le pistolet qu'il tenait prêt, rI lui déchargea


trois balles en pleine poitrine.
quando se me vine a oïïrescer, du de de que podria salir con su intente ... » Farnèse à un
ministre du Roi; Camp de Beveren, 26 juillet (B. N. P., rns, espagnol, 182, s- 314 VO
),

Le Libro de las cosas de FlWtdes dit: « Lo que puedo certiûear es que en dicho Balthasar'
Gerardo fue a hablar al Principe !dieParma y a darle cuenta de 10 que tenia determlnado
y aunque al prtnclpro dudo deque pudiese saltr Don su intincton, Inrorrnado quien era 10
encamlno a nazer el effecto ...» (F' 261").
;(H) Nous avons utilisé, pour raconter cette première partie de l'histoire du complot,
l'exposé de GACHARD,O. C., 10c. clt., pp. XC-X:OIX 'et les documents publiés par celut-oi,
ibidem, pp. 126-201. Il semble que le prince {je Parme se rendit compte qu'en ordonnant
à Gérard d'exécuter l'attentat, il aurait commis une action dont lé caractère devait lul
répugner. D'après la confession de Gérard, i'l aurait fait dire au conspirateur « qu'il
ne I'accuserolt point s'il en fus-i'aJtta·lnct sur le falot, puisqu'il ne Iuy commandoit à ce:
faire, mais s'il le felst, que ce fust in nomme domini :Ii (BAKKUIZENVANDEN BRINK, O. G,
lac. clt., p. 244).

241
.A. l'instant même, le prince d'Orange se sentit frappé à mort.
Chancelant, il eut encore la force de murmurer: « Mon Dieu! ayez
pitié de mon âme! Mon Dieu, ayez pitié de ce pauvre peuple ».
Transporté sur un lit dans la salle à manger, H y rendit bientôt le
dernier soupir (12).

Dans la préparation de ce complot, Alexandre Farnèse avait


donc joué un rôle. Aucun doute n'est possible à ce sujet, et il ne
faut d'ailleurs pas s'en étonner. Pour lui. la légitimité de la proscrip-
tion de Philippe II ne fit pas de doute: il n'en avait critiqué que
l'opportunité, du point de vue politique.
S'il avait protesté le jour où, à propos du complot de Salcedo, on
avait répandu le bruit qu'il avait commissionné celui-ci pour tuer le
duc d'Anjou et le prince d'Orange, il ne s'était cependant jamais
refusé à recevoir les conspirateurs ou les aventuriers qui étaient
venus l'entretenir d'un attentat contre le Taciturne. Mais il ne s'était
jamais très fort intéressé aux plans de ces misérables, parce qu'il
n'en trouva aucun parmi eux qui lui parût être capable de mener à
bien une si dangereuse entreprise. Peut-être aurait-il bien incité
lui-même un Espagnol ou un Italien à se faire le justicier, mais leur
aspect les aurait immédiatement trahis et voué leur tentative à un
échec certain (13).
Lorsqu'il eut jugé de la force d'âme et du fanatisme de Balthazar
Gérard; il l'encouragea. Il ne put que se réjouir lorsqu'il apprit que
son grand adversaire n'était plus du nombre des vivants.
Aussi s'empressa-t-il de faire connaître tout de suite la bonne
nouvelle au Roi. Il lui écrivit, le 26 juillet, du camp de Beveren (14),
disant qu'au premier moment, il se refusa à le croire, mais que bien-
tôt le doute ne lui fut plus permis après -quil eut pris connaissance
des lettres d'admonestation et des ordres envoyés de Hollande et de
Zélande à toutes les villes rebelles, et que' iles Espagnols avaient

(12) GACHARD,O. C., 100. cit., pp. CVI-CIX. IiI. n'y a aucune raison de douter de l'au-
thenticité des dernières paroles attribuées au prince. Voir A. A. VAN ScHEINEN, Willem
van Oranje, pp. 286-288, et surtout R. FRUIN, De ouâe verhalen van den moorâ op prins Wil-
lem l, loc. cit., pp. 173-177.
(13) « Havlan ydo ya otoosantes dei [C.-à-d. -Gérard] sdn conoscerlos ni sanerlos
unos de lcsotros, que eran todos Franceses, Loreneses, Ingleses y Escozeses y del pals,
por no poder emplear en seme jante oaso Espafiol ni ltaliano por ser en qualquler hablto
tan oonoscido. ~ Farnêse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (Loc. cit.),
\(14) GACHARD,o. c., 100. clt., p, CLXVII,

242
probablement interceptés (15) : « Dieu daigna opérer que celui dont
on aurait pu l'attendre le moins réussît le coup et qu'ainsi fût abattu
un homme si pernicieux et qui pouvait causer tant de mal à la chré-
tienté, à son saint service et à celui de Votre Majesté ».
Le prince écrit le même jour, dans les mêmes termes, à son père,
à sa mère et au cardinal Farnèse (16). Quelques jours après, il
annonça à Philippe II qu'il prenait des informations au sujet des
père et mère de Balthazar Gérard qui, arrêté après le crime, avait
été condamné à mort et exécuté dans des supplices atroces «J e me
vais informant des parents du deffunt, duquel j'entens les père et
mère estre eneores vivans, pour par après supplier Vostre Majesté
leur faire la mercède qu'une si généreuse résolution mérite» (17).
Hi Balthazar Gérard accomplit son crime pour des raisons où
la cupidité n'eut absolument rien à voir, mais avec la conviction qu'il
débarrassait la terre d'un « monstre », les membres de sa famille
n'eurent point ce désintéressement. Plusieurs frères de Gérard
s'empressèrent de réclamer à Alexandre Farnèse les 25.000 écus et
les lettres de noblesse, offerts par l'édit de proscription de 1580 à
celui qui tuerait le Taciturne ou à ses héritiers. Le prince de Parme
appuya leur requête auprès du Roi, en faisant valoir les considéra-
tions suivantes : 1° il y avait eu promesse solennelle; 2° il fallait
honorer la mémoire du défunt Gérard, puisqu'il avait exécuté son
dessein avec tant de générosité et de détermination, sans se soucier
de la mort; 3° il avait enduré de cruels supplices avec une constance
qui avait suscité l'admiration de ses ennemis eux-mêmes; 4° il fallait
consoler la mère, les frères et les sœurs de Gérard; 5° I'autorité des
princes et l'exemple pour des cas analogues qui se présenteraient
encore dans l'avenir, l'exigeaient ainsi» (18).
'Cependant, le prince de Parme n'avait pas de quoi payer ces
25.000 écus. Il proposa alors de donner l'équivalent en terres, situées
en Bourgogne, et prises parmi celles que le prince d'Orange y avait
possédées, mais qui avaient été confisquées (19).
On eût souhaité pour la gloire d'Alexandre Farnèse qu'une telle
proposition n'eût jamais été faite, Mais n'oublions pas qu'il serait

(15) Ce fut le cas des lettres que Cornelis Aerssens, greffier des Etats Généraux,
envoya, le lendemain de l'attentat, au magistrat de Bruxelles (GACHARD,00 Co, 100. ciu"
op. 186-188 et note).
(16) A. F. No, Carte tamesume, Fiandra, fascio 1707.
(17) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 201.
((8) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 221.
((9) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 222,

243
parfaitement erron-é de juger les faits du XVI" siècle avec notre
mentalité d 'aujourd 'hui.
Pour le prince de Parme et ses partisans, pour tous les catho-
liques des Pays-Bas, le Taciturne était un rebelle contre son souve-
rain, qui avait été justement condamné à mort et qui pouvait être
tué sans scrupule (20). Quelle fut l'oraison funèbre que Granvelle
fit entendre après l'assassinat' « Alençon et Orange sont bien où ils
sont» (21). Ce fut tout, et de la part d'un homme qui savait par-
donner à ses ennemis et qu'on ne pourrait représenter comme sangui-
naire, ce bref commentaire est d'autant plus significatif.
Si pour les États Généraux réunis à Delft en 1584, le prince
d'Orange était « ung père de la patrie» (22), pour Farnèse, pour le
parti du Roi (23) et pour les catholiques, il était « un tiran et un
persécuteur» qui « n'avait eu ni repentance de ses fautes, ni com-
passion du pauvre peuple, ni de plusieurs millions d'âmes qu'il avait
envoyés et envoyait journellement aux enfers » (24).
Si l'on veut comprendre, aujourd 'hui, comment un prince che-
valeresque comme Alexandre Farnèse pouvait se réjouir sincèrement
de voir son principal adversaire périr à la suite d'un lâche assassi-
nat, rien de tel que de lire ce qu'on disait du Taciturne dans l'en-
tourage immédiat du gouverneur général des Pays-Bas. Paolo Rinaldi

:20: « Queda dicho an.es corno rue dec.arado por rebelde por sentençta de juezes
competentes el Principe de Oranges, :- condenado a muerte, pero faltava quien la execu-
tase. l> CAR-"TRO,Historia de las querras ciriles._ .. p. 152. - Remarquable aussi, au point
de vue de cette conception, est le début d'une chanson de tendance catholique qui fut
répandue lors de l'assassinat d'Orange. Le voici :
Lof 1 Balthazar Geerarts, die, door Gods providentie,
's Conincks sententie hebt gheexecuteert,
Over den tiran, Oralgne, boas van Inventle,
Wyens resttlentte ln Belgis noch regneert,
(VAN VLOTEN, Neâerlaauisclu: oesctueasonoe»; t, II, p. 285),
(21) ,Compa:l'ez la lettre du nonce d'Espagne, 'I'aberna, au cardinal secrétaire d'Etat
Gallio: « Quattro :gloml sono con molto piacere unlversale s' hebbe nove della morte deI
prtnotpes d'Oranges.; » Madrid, 6 aoüt 1584 (BRaM et HENSEN, Romeinsche bronnen ...,
p. 660. n° 843)_
(22) Expression die la lettre écrite par les Etats Généraux à leurs députés en France,
Delft, 10 [ulllet 1584 I(GACHARD,0_ co, loc. ctt., p. 181).
(23) En J'apprenant, Don Juan de Idlaquez écrit de la COUTdu Roi à Granvelle: « Notre
Seigneur doit vouloir un grand blen à IaFiandre, puisqu'Il a ôté du ohemln I'lnfâme pierre
d'achoppement » {Correspondance de Granvelle, t, XI, p. 58)_
«24) Expresslons reprises à Renon de France, président d'Artois, dans son Histoire
des causes de la désunion, révoltes et altérations des Pays-Bas_ - « Por liberar la patria
de las m'an os de un hombre quebrantador de la fee, y traydor a su Principe, y que con
que achaque y son de liberlad privo de la etema à tantas y tan ynnurnerable multitud
. de animas y à los euerpos de la temporal y btenes de la rortuna. » CAR.NERO, Historia de
las guerras civiles ...• p. 182.

244
nous a laissé du prince d'Orange un portrait qui doit répondre à
l'idée que s'en faisaient les officiers et les soldats de Farnèse.
Le voici :il est tracé sous l 'impression même du moment où lanou-
velle de L'attentat de Gérard arriva au camp de Beveren:
« En ce qui regarde ses actions humaines, le prince d'Orange fut
un des hommes prudents et des grands négociateurs de notre temps.
Très grand par le conseil et par l'esprit, il remplira les siècles
futurs de l'écho de ses actions. Il était de tant de subtilité et d'acuité
d'entendement qu'un homme peut l'être. Il était d'aspect agréable et
très adroit, fort dans l'art de persuader, apparaissant aux peuples
de ce pays, toujours, comme clément et libéral, très étranger à toute
attitude d'orgueil et d'ambition. Il leur démontrait et leur faisait
comprendre que tout ce qu'il faisait, il le faisait uniquement dans
leur intérêt, pour leur liberté et leur repos, afin de les délivrer de
la tyrannie, des rapines et de la licence des ministres du Roi
d'Espagne ... Il modérait l'insolence de ses partisans, usant de bonnes
paroles, intervenant comme médiateur et tenait la main à ce qu'ily ,
eût justice bonne et expéditive. Pour faire punir certains assassins,
il fut très sévère, mais il avait l'art de cacher que ces ordres venaient
de lui. Pour maintenir son hégémonie, il se :fittantôt luthérien, tantôt
calviniste, selon le désir populaire, pour attirer les gens à lui et
toujours il leur fit comprendre qu'il voulait chasser les Espagnols,
que ce peuple des Pays-Bas hait mortellement... Il les a maintenus
en son pouvoir et s'en est fait aimer et estimer selon sa volonté, et
il a fait échec aux forces du Roi son maître, du plus grand et du plus
puissant prince qui soit aujourd'hui en ce monde, et il l'a obligé à
gaspiller un trésor formidable ...
» Toutefois, ces qualités et cette valeur du prince d'Orange ont
été obscurcies par beaucoup de défauts et de scélératesses. Il a
payé par l'ingratitude les bienfaits reçus de l'Empereur Charles-
Quint, qui, d'étranger qu'il était, l'avait fait son vassal et lui avait
donné de grandes richesses et de belles situations, qui avait consenti
à ce qu'il héritât de la maison de Chalon et d'autres familles riches,
'succession qui lui valut la possession de beaucoup de terres que,
sans le consentement de l'Empereur, il n'aurait jamais pu avoir.
Ainsi, il était devenu le seigneur le plus riche et le plus puissant du
pays. Par la suite, le roi Philippe, qui l'aimait, lui avait donné le
gouvernement de Hollande, de Zélande et de Bourgogne, mais la
fortune est capricieuse et fait ce qu'elle veut. Il ne put satisfaire

245
son ambition. A Charles-Quint et à Philippe, il répondit par l'ingra-
titude, en trahissant de façon scélérate. Il se révolta non seulement
contre son Roi et contre le Pontife romain, mais contre le Christ et
ses saints. Par avarice, il a fait dépouiller les églises, voler tous les
objets sacrés. Comme un cruel parricide, il a consenti à ce que les
siens se rougissent les mains en versant le sang de pauvres prêtres
et de religieux innocents, pour s'emparer de leurs biens et de leurs
bénéfices et il a dit qu'on pouvait exercer n'importe quelle religion,
sauf la religion catholique, apostolique et romaine, et qu'on pouvait
vivre à sa guise. Tout cela pour gagner la faveur du peuple. Dans
ce but, il a toujours fait grand cas de la plèbe et des masses pOpUI-
laires, et pas beaucoup de la noblesse, qu'il cherchait il, rendre
impopulaire, pour qu'elle ne pût s'opposer à 'son omnipotence et à
sa dictature.
» En somme, les faits l'ont montré, Orange avait peu de foi et
encore moins de religion, se montrant toujours un ennemi impla-
cable de la foi catholique et de la tranquillité, quoique, dans sa façon
de faire, il parût à tout le monde fort humain et bienveillant, Mais
il trompa la naïveté des hommes, toujours avides de nouveauté,
mettant dans les gouvernements et les administrations ses élèves,
tous mauvais et scélérats, auxquels il d-onnait sa confiance...
;) Il a eu le châtiment d'une mort méritée pour sa propre puni-
tion; le Seigneur n'a pas voulu lui laisser le temps de se raviser,
après lui en avoir donné auparavant tant d'occasions, afin que ses
adhérents et ses compagnons ne pussent s'en réjouir. Ainsi eux et
lui, dans leur mépris de la religion divine et humaine et comme res-
pensables de la mort et des misères de tant d'hommes innocents,
étaient condamnés à encourir le châtiment de Dieu, d'ont la justice
est toujours prête, et qui est l'inévitable fléau des rebelles de cette
espèce. » (25)
'Tels étaient les sentiments et les idées d'un officier italien, fami-
lier de Farnèse, humain et modéré et qui exprime ici, sans aucun
doute, la mentalité de tout l'entourage du prince de Parme. Faut-il
dès Iors s'étonner que ce dernier n'eût pas un mot de regret au sujet
de la mort de celui dont il fut l'ami dans sa jeunesse et qui se dressa
plus tard en face de lui, adversaire redoutable, sur le chemin de la
guerre et de la politique!

(25) Liber relationum, fOB 147-148.

2.46
A nos yeux, la joie du prince de Parme à la. nouvelle du meurtre
de Guillaume de Nassau imprime une vilaine tache sur sa mémoire,
mais elle est de son temps (26).

{26) Dans un long rapport à Philippe Il, l'agent pontifical Minutie Minucci dit:
« Alcuni sono in Ftandra, Ii quali, conscii a. se medesimi d'havere troppo sfaociatamènte
oftiesa la maestà dei Re, non solo nella reb elli one, ma in altri fatti e dettl impudentlssLmi
et seeleratlsslmi, diffidano deüa clemeaza di Sua Maestà catolica, como diffidava Cain
et Juda di quella di Dio omnlpotente, non potendo persuadersl che la rniserioordia divlna
fosse maggiore che l'iniquità loro; la qua1e biastema fu di plù grave peccato che non
ru I'amazzare il fralello 0 tradtre Il Salvatore. Capo di questa squadra è Orànges.c;
(BROM et HENSEN, Romeinsche bronnen ..., p. 647, n- 841). - A lire, l'étude très Inté-
ressante de J. S. THEISS'EN, 1Je prins van Oran je in de Nederltuutsclu: geschiedschrijving'
dans Prins Wülem van Oran je, pp. 32i~342.

247
LISTE DES PRINCIPAUX TRAVAUX CONSULTÉS
POUR LA COMPOSITION DU TOME III

ALBERI.- Le relazioni degli amhasciatori veneti al senato durante il secolo


decimosesto. T, 'XIUI. Florence, 1'861-

Apologie ou défense du très illlustrePI1ince Guûlaume de Nassau contre le


ban et édit publié par le Roy d'Espagne. Leide, Ch. Sy1vius, 1581,

BAKHUIZEN VANDENBRINK.- Cartons' voor de geschiedenis van den Neder-


Iandschen vrijheidsoorlog, 2" partie. La Haye, 189&.
F: BARADO.- Sitio de Amberes 1584-;1585.Antecedentes y relaciôn critica
con el principio y fin que tuvo la dominaoiôn espafiola en 10's Estados
Bajos, Madrid, 1891.

P.-J. BLOK,- Willern de Eerste, prins van Oranje, T. II (Nederlandsc'he


Historische Biblw·theek.) Amsterdam, 1920.
P. BOR. - Oorsprongk, begin en vervolgh der Nederlandsche oor.logen.
2" stuk. Amsterdam, 1679,
G. BROM et A.-H.-L. HENSEN.- Romeinsche bronnen voor den kerkelijk-
staatkundigen toestand der Nederûanden in de 16"eeuw ('s Rijks geschied-
kundige publicatiën). La Haye, 1922!

C. CAMPANA.
- Della guerra di Fiandra, Vicence, 1002.

ANT. CARNERO,- Historia ide las guerras civiles que haavido en los Estados
de Flandes (1559-1009), Bruxelles, 1625.

P. COLINS,- Histoire des choses les plus mémorables advenues en Europe


depuis l'an onze cens XXX jusquesà nostre siècle. Tournai, 1643.
Correspondance du cardinaâ de Granvelle, t, IX-XI, éd. OH. PlOT (Commis-
sion royaile d'histoire, in-4°).Bruxelles, 1892-1894.
Princesse PIERREDE·CARAMAN ClnMAy.- Recueil de lettres missives escriptes
à et parOharles de Croy, 1583-1584! Bruxelles, 1913,

249
A. DE ~IEYER.- Le procès de l'attentatcommisconke Guillaume le Taci-
turne, prince d'Orange, 18 mars 1582. Etude critique de documents inédits.
Bruxelles, 1933.

J.-G.-H. DE PATER. De Raad van Btate nevens Mathias (1578-1581). La


Haye, 1917.

A. C. DE SOHREVEL.- Le protestantisme à Ypres et dans les environs de


1678 à 1584, dans les Anaiectes pour seroir à l'histoire ecotésiœetique de la
Belgique, 3· série, t. IX, .pp. 55-88.

J. B~DETASSlS.- Oommentariorumde .tumultihus belgicis sui temporis Iibri


octo (1570-1598), dans HOYNOKVANPAPENDREOHT, Analecta belgica, t, II.
La Haye, 1743!

Comtesse MARIEDE VILLERMONT.


- Le duc Ohanles de Oroy et d'Arschot,
Tamines, 1923.

A. DIEGERIGK.- Correspondance rde Valentin de Pardieu, seigneur de La


Motte, gouverneur de Gravelines. Bruges, 1857!

E! DONY!- Les archives du château de ChiJnay, dans les Bulletins de la


Commission. royole cfhistoi1'e, 1922, t. LXXXVI, p.p! 12-162.

E! DoNY!- Lettres de Philippe II et de Marguerite de Parme à Philippe


de Cray, troisième duc d'Aerschot,dans les Bulletins de la Commission
roipüe d'histoire, t. LXXXI, 191.2.Tirage à part.

P~ FEA~ - Alessandro Farnese, duca di Parma, Xarraaione storica e militare.


Horne, 1886.
~~: :?:~i..~.:.~~--"':'2;;'~.~~-~~::~:.'';'~.':~1:-.:.=:=.;:-:-.:..:;.':.-~~_.~~-::---:.. ~~':;':;.~~::;:-:~:"':"::.~~'~.:-, '-:'~:~.~:::;;:: -;·::~~:';;·i~':':'~·;'::-:_--::;';~:
.":
P. Fu. - La vertenzaper la restitutione del castello di Piacenza al duca
Ottavio Farnesespecialmente net carteggio del cardinale Granvella, dans
l'Archivio siorico per le provincie parmensi, t. XXII, 1922, pp. Hl et suiv,

Foreign Calendar, Elisabeth, 1581-1582 (Oalendars of State Papers). Londres,


1007.

Foreign Calendar, Elisabeth, 1583-1584 (Calendars of state Papers). Londres.


1914,

Foreign Caiendar 1583 and addenda. (Oalendars of State Papers). Londres,


1913,

P. FREDERIOQ. - Het Nederlandsch prosa in de zestiendeeuwsche pamfletten,


dans les Mémoires de l'Académie royale de Belqique, classe des lettres,
in-8°. Bruxelles, 1007.

250
V. FRIS. - Histoire de Gand. Bruxelles, 1930.

R. FRUIN.- De oude ver-halen van den moord op prins Willem I,. dans « De
Tachtigjarige oorlog », t. H, P'P. 147-219. La Haye, 1900.

GAOHARD.
- Analectes belgiques, 3" cahier. Bruxelles, 1830,

GAOHARD.- Oorrespondance de Guillaume le Taciturne. T. IV-VI. Bruxelles,


1847-1857.

GAOHARD. - La Bibliothèque nationale à Paris. T. II (Commission roya:le


dfhistoire, in-4°). Paris, 1877.

GAOHARD. - Les Bibliothèques de Madrid et de I'Escurial (Commission royale


d'histoire, in-4°). Bruxelles, 1875.

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253
TABLE DES PLANCHES

Pages
L - Alexandre Farnèse Frontispice
(Portrait par G. R. Saive, à. la Pinacothèque de Parme.)

Il. - Aspect général du siège de Tournai 6


Plan de l'architecte Le Poivre. (Ms. i96H de la Bibliothèque Royale de
Belgique, r- 46).

III. - Prise de Tournai , . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i4


Gravure de R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma. (Ms.
16314-19 de la Bibliothèque Royale de Belgique, r- 1;''2,.) Dans le coin de
droue, Farnèse pris dans les décombres de l'observatoire d'artillerie.

IV. - Aspect général du siège d'Audenarde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64


Plan de l'architecte Le Poivre. (Ms. 196H de la Bibliothèque Royale de
Belgique, fo 49.)

V. - Siège d'Audenarde, . . 72
Attaque du ravelin de la porte de Bruxelles (Est). (Ms. 19611 de la Biblio-
thèque Royale de Belgique, fo 48.)'

VI. - Prise d'Audenarde .. ,.................................... 74


Gravure de R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma. (Ms.
16314-19 de la Bibliothèque Royale de Belgique, fo 182.) Dans le coin
de dl'oite, Farnèse continuant à déjeuner aprè» la chute du boulet
meurtrier.

VII. - Plan de la bataille de Steenbergen .. , ... ".................. 1'24


Dressé par l'architecte Le Poivre. (Ms. 19611 de la Bibliothèque Royale de
Belgique, fo 56.)

VIII. -- Bataille de Steenbergen ".................... 126


Gravure de R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma. (Ms.
16314.-19 de la Bibliothèque Royale de Belgique, fO 185.)

IX. - Dunkerque au XVIe siècle ,................. 134


(Ms. 19611 de la Bibliothèque Royale de Belgique, fo 51.)

X. - Plan du fort construit par Farnèse devant Ypres 146


(Ms. 19611 de la Bibliothèque Royale de Belgique, fo 55.)-
XI. - Plan de la ville d'Ypres 1'86
Dressé par l'architecte Le Poivre. (Ms. 19611 de 111Bibliothèque Royale
de Belgique, fo 53.)

XII. - Les troupes espagnoles empêchent le ravitaillement d'Ypres 188


(Ms. 19611 de la Bibliothèque Royale de Belgique, fO 54.)

XIII. - Plan montrant l'enceinte fortifiée d'Anvers 216


(Ms. 19611 de la Bibliothèque Royale de Belgique, r- 59.)

XIV. - Vue d'ensemble des inondations provoquées par les défen-


seurs d'Anvers . . 228
Plan dressé par l'architecte Le Poivre. (Ms. 19611 d-e la Bibliothèque
Boyale de Belgique, fO 61.):

256
TABLE ANALYTIQUE DES MATI:mR,ES

Avant-propos 5

.CHAPITRE lor

DU SIÈGE nE TOURNIAI AU RETOUR DES TROUPES ES'PAGNOLES


(octobre 1581 - fin déoembre 1581)

Décislon de Farnèse d'assléger 'l1ournai. - Difficultés pour exécuter ce projet, 9. -


Raisons pour l'entreprendre. - Opérations préliminaires, :10. - Mauvaises dispositions
des chefs waltons, :11. - Arrivée de Farnèse devant Tourna·i. - Lés défenses de la
ville. - Les troupes du prince d'Epinoy vont s'établir près d'Audenarde. - Scepticisme
du prince d'Orange au sujet de la réussite <Le Farnèse. - La situation de la défense, :12.
- Mesures prises par le magistrat de Tournai, :13. - Instaâlation des troupes de
Farnèsoe. - Coup de main manqué sur le raveâin de la porte St-Mar-tin. - E'ssai de
Farnèse d"affamer les assiégés, :14. - Lé prince dé Parme commencé l'attaque par la
porte St-Martin. - Il évite les erreurs du siège de Maestrioht, :15. - Echec d'une
première attaque du raveün de St-Martin, 16. - Bonnes dispositions offensives des
assiégés. - Le ravelin est pris au moyen de la sape' et. de la mine, 17. - Farnèse échappe
\ la mort, 18. - Défaite d'une (l'olonne de secoursenvoyée par le prince d'Ep!inoy, 19. -
Mine·s et contre-mines. - Supériorité des assiégés et moltesse des troupes wallonnes, 20.
Inquiétude du prince de Parme à ce sujet, 21. - Farnèse blessé. - Les assiégeants
poussent leurs galeries sous les remparts. - L'état lamentable de l'armée des Etatfi
explique l'absence de secours de la part du Taci'turne, 22. - Mécontentement d'es
troupes wallonnes, 23. - Refus des assiégés de parlementer. - Le rôle de la princesse
d'Epinoy, 24. - Préparatirs de l'assaut. - Les assiégeants sont encouragés par la
nouvelle de la prise d'Eindhoven, 25. - Première attaque <Le Tournai). - EUe est
repoussée, 25-27. - Absence d'esprit offensif chez les soldats et les officiers wallons, 28,
-- Conseil de :guerre. - Farnèse décide de continuer le siègé, 28. - Entréprisé des
troupes d'Epinoy contre Gravelines. - Echec. - Une partie des troupes d'Epinoy,
vaincues à Gravelines, parvient, grâce à un traître, à se jeter dans Tournai, 29. -
Farnèse soupçonne Mü'Iltigny et Richebourg d'avoir machiné cette trahison. - Farnèse
refuse d'abandonner le siège de Tournai. - votte-tace du marquis de Rlchebourg. -
Gomment le Taciturne exploite l'arrivée du secours dans Tournai, 30. - Le capitaine
écossais Preston, chef de ces troupes de secours, se rend compte de la situation peu
favorable de la défense. - Il fait une sortie, quI est repoussée, 3i. - Panique en ville, ~
- Preston ne réussit pas à reprendre le ravelin de Saint-Martin. - Farnèse prépare
l'assaut ûnal, 32. - Dissensions parmi les défenseurs de Tournai. - Convocation des
notables. - On décide d'ouvrir les négociations av-ec Farnèse, 33. - Conditions de reddi-
tion offertes par le prince de Parme, 34. - Modération de ces oondltions, - Elles sont

257
acceptées. - Le 29 novembre 1581, une partie dies troupes de Farnèse occupe les rem-
parts de Tournai, 35. - Les seigneurs wallons vont rendre visite à la prlncesse d'Epinoy
à la citadelle. - Désespoir de la princesse, 36. - Elle refuse toute faveur de la part de
Farnèse. - Son départ. - Elle emporte dans ses bagages des objets du culte et des
meubles précieux. - Sur la plainte des propriétaires, Farnèse fait ramener et restituer
ces objets, 37. - Elntrée victorieuse du prince de Parme à Tournai, 38. - Rôle du prince
pendant le siège. - Importance de la prise de la ville, 39. - Répercussion de cet événe-
ment à Gand, Bruxelles 'et Anvers. - Dislocation de l'armée des Etats, 40. - Discours du
prince d'Orange aux Etats Généraux à Anvers, 41. - Farnèse établit son gouvernement à
Tournai. - Il met fin à l'indiscipline des chefs wallons, 43.

OHAPITRE II

LA LUTTE POUR LE RETOUR DES TROUPES ÉTiRANGÈRES


ET LE GRAND PLA D'üFF'ENSIVE

Farnèse se plaint au Roi de l'insuffisance des troupes nationales, 44. - Il essaie


d'obtenir I'autonsatlon de faire revenir les soldats ébrangers. - Philippe II eet d'accord
sur ce point, 45. - Habiles manœuvres de Farnèse, secondé par Jean Sarrazin. - Le
peuple des provinces wallonnes est gagné à l'idée de Farnèse, 46. - Assemblée des État~
des provinces réconciliées à Tournai. - Farnèse y réclame le retour des troupes espa-
gnoles. - Opposition des chers wallons. - Le prince de Parme gagne l'adhésion du
comte de Lalaing. 47. - Sûr de I'aoquiescement de Monügny, il entreprend très haollement
Richebourg, 48. - Richebourg cède. - Farnèse emploie de nouveau, comme en 1579, les
promesses et les récompenses pour gagner les nobles wallons, 49. - Les États décident de
demander au Roi le retour des soldats étrangers. - Joie de .Farnèse, 50. - Importance
de cette victoire diplomatique. - Jean Sarrazin envoyé à Madrid, 51. - Philippe II
annonce le retour des terçios espagnols et italiens et autorise Farnèse à recruter des
soldats bourguignons et suisses. - Le grand plan d'offensive de Farnèse, 53. - Phi-
lippe 11 se déclare d'accord avec ce plan. - Intelligence militaire du prince de Parme, 55.

CHAPITRE III

ADEXANDRE FARNÈ'SIE Err LE PREMIER ATTEN'DAT


OON'DRE LE P.RINGE D'ORANGE

Arrivée du duc d'Anjou à Anvers. - Son inauguration comme duo de Brabant. -


Premier attentat contre le prince d'Orange, le 18 mars 1582, 56. - Farnèseparttoipa-t-il
au complot? - Genèse de celui-ci, $. - Le marchand espagnol Aiiastro et la préparation
de 'l'attentat, 56. - Lettre de Farnèse à Philippe II. - Cette lettre ne démontre pas que
Farnèse fut au courant du complot avant l'arrivée d'Afiastro au camp de Tournai, 58. -
Une autre l.ettl'lé de Farnèse montre qu'Il ne connut pas d'avance le projet. - Dès qu'il
en est informé, il encourage cependant le meurbrier, Jauregul, 59. - Joie du prince de
Parme en apprenant l'attentat, 60. - Explication de ces sentiments, 60. - Farnèse se
préoccupe des conséquences de l'attentat. - Il craint que les Flamands nb se jettent
dans les bras de la France, 62. - Il invite les villes rebelles !à rentrer dans lobélssanoe, 63.
- Echec de cette manœuvre, le prince d'Orange n'étant pas mort, 64. - Farnèse prie le
Roi de récompenser Afiastro et les parents de Jauregui, 65.

258
CHAPITRE IV

LE SIÈGE D'AUDENARDE ET L'ARRIVÉE DES SOIJDA'DS ESPAGNOLS


(avril-juillet 1582)

Force des armées en présence en avril 1582. - Décision de Farnèse d'assiéger Aude-
narde. - Raisons de cette décision, 66. - Préparatifs pour l'entreprise, 67. - Elntreprises
de l'armée des États à Lens et Namur. - Surprise d'Alost, 68. - Opérations préliminaires
au siège d'Audenarde, 69. - Arrivée de Farnèse devant la ville. - Force de résistance de
celle-ci. - Opinion de La Noue, 70. - Premières mesures de Farnèse, 7f. - Attaque du
ravelin de la porte de Bruxelles, 72. - Echec. - Le prince de Parme attaque du côté
de la porté de GandJ, 73. - Succès de ces premiers ·efforts. - Farnèse risque d'être tué à
la suite d'un accident, 74. - Les Espagnols se rendent maître du ravelln de la porte de
Gand, 75. - Mutinerie des régiments allemands. - Farnèse, grâce à son courage et son
esprit de décision, y met rapidement fin, 76. - Le siège continue par la sape et la mine,
77. - Un essai local d'assaut ne réussit pas. - Ce qui entretient le courage des défen-
seurs d'Audenarde. - Nouvel assaut des Espagnols, 79. - Ils parviennent à s'installer
sur les murs, mais sont arrêtés par des défenses supplémentaires. - Arrivée au secours
des troupes bourguignonnes de Varernhon, 79. - Découragés, les défenseurs entament les
négociations avec Farnèse. - Reddition d'Audenarde le 5 juillet 1582. - Conditions de la
capitulation. - Entrée triomphale du prince de Parme, 80. - Arrivée aux Pays-Bas des
premiers contingents espagnols. - Leurs eff·ectifs. - Arrivée dé volontaires italiens de
qualité, 81. - Effectifs dé l'armée de Farnès-e vers la fin de 1582., 82. - Annonce d'une
nouvelle invasion des troupes du duc d'Anjou, 83.

CHAPITRE V

ALEXANDRE FARNÈ'SiE ET L'AFFAIRE S,ALOEDO

Arrivée de Salcedo au camp d'Audenarde. - Sa personnalité. - Il offre le moyen de


se rendre maître de Cambrai, 84. - Après enquête, Farnèse l'envoie, av-ec le capitaine
italien Baza, à Bruges près d'Anjou, pour y recueillir des renseignements d'espionnage.
- Salcedo et Baza sont arrêtés. - On fa,it courir le Ibruit qu'ils complotaient l'assassinat
d'Anjou et du Taciturne. - On oblige Salcedo à avouer que les Guise sont complices du
prince de Parme, 85. - Interrogatoire de Salcedo à. Paris. - Il rétracte sesa.veux et
déclare qu'il s'agit d'une machination !dJ'An}ouet du prince d'Orange. - Il est condamné
à mort et exécuté. - Que faut-il croire? 86. - Farnèse voulut-il faire tuer 'Anjou .eI!1
Orange? - Il semble que non. - POUr'quoi?, 87.

CHAPITRE VI

LA CAMPAGN,E EN FLANDRE OONTRE ANJOU ET LES É'TATS


Le prince de Parme attaque les troupes d'Anjou campées non loin de Gand. - Prise
du château de Gavre par le marquis de Richebourg, 89. - Farnèse va camper avec son
armée dans la région d'Ypres, - Projet sur Ypres déjoué. - Une troupe d'Anglais au
service des États vient rejoindre Farnèse, 90. - L'Anglais W. Semple lui assure la
possession de Lierre. - Sac de Lierre, 91. - Farnèse essaie d'attirer au combat la
garnison française de Bergues-Saint-Winoc, 92. - Arrivée au camp des premiers ren-
forts espagnols. - Difficultés de ravitaillement. - Pillage de la région de Poperinghe, 93.
- Farnèse se retourne contre les troupes d'Anjou campées près de Gand. - Il espère
pouvoir les anéantir avant l'arrivée des secours envoyés de France. - Elchec de cette
tentative, 94. - Anjou, ne se sentant plus en sécurité à Gand, va se fixer à Anvers, 96. -

259
Farnèse va camper près de Messines. - Construction d'Un fort à Haluin, 96. - Projets
du prince d'Orange, 97. - Prise de L'Eoluse par les Français de Cambrai. - Prise 00
Cateau-Cambrésis par Farnèse. - Coup de main des troupes d'Alençon sur Louvain, 98. -
Situation critique des troupes de Farnèse par suite du manque de vivres, et d'argent, 99. -
Souffrances des Espagnols. - Indiscipline et désertions des Italiens, 100. - Farnèse essaie
autant que possible de loger ses trempes en « pays ennemi », lOi. - Siège de Ninove. -
« La faim de Ninove », lOi. - Prise de Ninove et vdes châteaux de Gaesbeek et de
Liedekerke. - Farnèse conduit son armée à Assche. - Nouvelles de l'invasion prochaine
de troupes françaises, sous le maréchal de Biron, 103. - Refus des États' des provinces
réconciliées de laisser les troupes espagnoles loger dans les villes, 104. - Plainte de
Farnèse au RQi, 105.

CHAPITRE VII

ALEXANDRE FARNÈSE Err LA DÉBAOLE DU DUO D'ANJOU

Anjou et les projets de Catherine de Médicis. - Les troupes du maréchal de Biron,


destinées à s'emparer de plusieurs villes de Flandre, arrivent à Anvers, 106. - La Furie
frança,ise du 17 janvier 1583. - Les Français s"emparent de Dunkerque, Termonde et
Dixmude. - L'échec d'Anjou à Anvers. - Le prlnce de Parme profite immédiatement de
la faut.e de son adversaire. - Conseil de guerre, 107. - On décide de chercher le contact
avec les États Généraux, !OS. - La Furie française brouille Anjou avec les États, !O9. -
Efforts du prince d'Orange pour éviter la rupture. - Remarquable mémoire du Taoiturne,
110. - Il proclame- qu'il faut maintenir l'alliance avec Anjou, 112. - Echec de la tenta-
tive de Farnèse de s'aboucher avec les États Généraux, H3. - Anjou cherche un accord
avec le prlnce de Parme, 114. - Raisons de cette attttude, H5. - Conclusion d'un accord,
117. - Duplicité d'Anjou, 118. - Trompé par Je duc, Farnèse décide de ne plus retarder
i'offensiye contre ses adversaires, 119.

CHAPITRE VIII

L'OFFE:'\SIVE DE FAR\ÈSE E:\ BRABA:'\T ET E~ FLANDRE


Les États Généraux obligent le duc d'Anjou à se fixer à Dunkerque. - Farnèse decide
d'y envoyer des troupes pour l'assiéger et se dirige lui-même contre les forces du maré-
chal de Biron, 120. - Arrivée de subsides envoyés par Philippe II. - Stège d'Eindhoven
par les Espagnols, 121. - Dtsscnsion entre Biron et Norris. - Prise de Diest, 122. -
Prise du château de Westerloo. - Farnèse à Lierre. - Après avoir concentré ses troupes
à Hoogstraeten, il va à la recherche de Biron, 123. - Il ne le trouve pas à Roosendael. -
Il apprend qu'il se trouve du côté de Steenbergen, 124. - Bataille de Steenbergen, 125. -
Victoire des Espagnols, 128. - Situation lamentable des troupes de Biron, 128. - Fin
de l'odyssée du duc d'Anjou, 130. - Il abandonne Dunkerque et se l'etire à Calais, 132. -
Le mécontentement provoqué par sa politique francophile force le prince d'Orange à
quitter Anvers pour Middelbourg, 132. - Signification de oe départ, 133.

CHAPITRE IX

LES DÉBU'IlS DE LA OONQUJ!;TE DE LA FLANDRE

Opérations préliminaires du siège de Dunkerque 134. - Difûcultés rencontrées par les


Espagnols. - Vains efforts du prince d'Orange pour faire secourir- la place, 135. -
Arrivée de Farnèse devant Dunkerque, 136. - Bombardement et préparatifs de l'assaut. -

260
Reddition et occupation de Dunkerque, 137. - Importance de la prise de la ville. -
L'armée du prince de Parme marche tout de suite sur Nieuport, 138. - Reddition de
cette ville, 139. - Prise de Menin. - Reddition de DIxmude, 140. - Echec de Mondragon
à Ostende. - La flotte des États et son action, 141. - Reddition de Dixmude. - Comment
s'expliquent ces rapides victoires, 142. - Difficultés financières. - Mission du président
Biohardot en Espagne, 143 - Organisation de l'amirauté de Dunkerque, 144. - Projets de
Farnèse sur Ypres, Bruges et Gand. - N'ayant pas assez de soldats pour les emporter de
force, le prince décide de les bloquer et de les affamer, 145. - Organisation du blocus
d'Ypres, 146. - Farnèse demande au Roi de restituer à son père Ottavio la citadelle de
Plaisance, 147. - La demande reste sans effet, 149. 0-Reddition de Bergues-St-Wmoo, 149.

GHAPI'rRE X

FARNÈSE ET LES DERNIÈRES IN'rRIGUES DU DUC D'ANJOU


La réconciliation avec les États Généraux tardant à se faire, Anjou se tourne vers les
Espagnols. - Négociations avec Philippe II, 1W.. - li.eprise des tractations avec les États
Généraux. - Intervention et plans de Catherine de Médicis, 153. - Anjou prépare une
armée pour ravitailler Cambrai. - Mesures de l!'arnèse pour y parer, 154. - Entrée d'An-
jou à Cambrai. - Catherine de Médicis contmue à négocier avec Philippe II, 155. - Anjou
reprend les négociations avec Farnèse, cherchant le prix le sa promesse de ne plus inter-
venir aux Fays-Bas. - Réaction prudente de Farnèse, 156, - 11 autorise le sire de Gou-
gnies à se rendre chez Anjou pour traiter d'un armistice, 157. - La dernièreexpédltion
d'Anjou s,e termine de façon lamentable, 158. - Anjou trompe une fois de plus F:arnèse
et se retourne vers les Erats Généraux. - Les raisons de la politique d'Anjou, 159, -
A.ppréciation de la conduite de Farnèse, 160. - Les Guise, Pililippe Il et le projet d'inva-
sion de l'Angleterre, 160., - Farnèse, consulté, donne son avis sur ce projet, 161. - Celui-ci
se rattache aux dernières intrigues d'Anjou, 163.

CHAPI'l'REl XI

A LACONQUÈTE D'YPRES, DE BRUGES Err DE GAND


D.ésorganisationdes forces des États Généraux. - Succès répétés des armes espa-
gnoles, 164. - Premières opérations de Farnèse pour isoler Gand. - Gand et Bruges
rapidement menacées par le Nord. - Mondragon à Eeoloo, 165. - Occupation du pays de
Waes et du château de Rupelmonde, 166., - Conséquences pour Gand. - Autres opéra-
Lions destinées à compléter l'encerclement de Gand et de Bruges, 167. - Panique provo-
quée chez J'ennemi ; à Anvers, en Zélande, 168. - Prise d'Alost par les troupes de Far-
nèse. - Farnèse et les populations du pays de Waes et d'Eecloo, 171. - Efforts des chefs
des États pour expulser les Espagnols du pays de Waes et de Rupelmonde, 172, - Retour
du président Ricllardot. - Philippe Il décidé à soutenir sérieusement les ertorts du prince
de Parme. - Le rapport de l'ambassadeur vénitien Matteo Zane, 173. - Renf.orts espa-
gnols pour le prince de Parme, 175. - Farnèse et la. guerre dans l'Électorat de Cologne,
176. - Situation angoissante à Ypres, 186. - Imposslblllté de secourir la ville, 186. -
EtIorts des Brugeois pour la ravitailler. - La situation à Ypres devient intenable. -
Négociations des assiégés avec Farnèse, 187. - Conditions de la reddition, 188. - Les
Espagnol,s entrent à Ypres. - Vaine requête de Farnèse pour la restitution de la citadelle
de Plaisance, 189 - Farnèse essaie de rendre Impossfble le ravitaillement de Gand - Le
poste fortifié de 'Wetteren, 190. - La dictature de HyllOve et de Hembyze à Gand et ses
vlolssltudes, 190, - E;xil de Ryhov,e et retour de Hemhyze, 192, - Désir d'Hemhyze de se
venger du prince d'Orange. - Tenté par Champagney, il s'apprête à négocier avec les
Elspagnol,s, 193. - Ses manœuvres habiles, 194. - Hembyze ouvre les négociations avec
Farnèse, - Le seigneur de Masnuy et le capitaine Segura à Gand, 196, - Les députés de

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Gand à Tournai, chez le prince de Parme, 197. - Mission de Segura à Gand. - Projet des
Espagnols sur Termonde, 198. - Participation d'Herabyze. - Découverte du complot par
les « Orangistes » et arrestation dHembyze, 199. - Le nouveau magistrat continue les
négociations avec Farnèse, 200. - Négociations avec Bruges. - Charles de Croy, prince de
Chimay, gouverneur de Bruges, 200. - Il est prêt à abandonner les États, 2.02.. - Farnèse
réussit à circonvenir le prince de Chimay, 2.03. - Bruges ,et Gand décident, de concert,
de négocier avec Farnèse, 205. - Craintes de celui-ci, 206. - Les députés de Gand. de
Bruges et du Franc chez Farnèse, 2.07. - Difficulté des négociations, 208. - Conditions de
Farnèse, 2.09. - On arrive à un accord, 210. - Bruges se réconcilie, 2.11. - Traité avec le
prince, de Chimay, 212. - Occupation de Bruges. - Complot de Byhove pour s'emparer
de Gand, 213. - Défaite des partisans de la paix et vtotoire des calvinistes à Gand. -
Gand décide de rester fidèle à « la généralité », 214.. - Colère et menaces de Farnèse, -
Les Gantois persistent dans leur résolution, 215, - Rupture des négociations et mesures
de Farnèse pour renforcer le blocus de la ville. - Une chanson prophétique, 216.

CHAPITRE XII

LES PRÊPARATJF1S DU SIÈGE D'ANVERS


Anvers et Marnix de Sainte-Aldegonde. - Marnix bourgmestre d'Anvers, 217. - Coup
de main manqué de Marnix sur Lierre. - L'entrevue de Marnlx et du Taciturne à Delft. -
Farnèse décide le siège d'Anvers. - Anvers, le point de mire principal de SilS opérations,
219. - Troupes dont il dispose, 2.2.0. - Les fortifications d'Anvers, 2.2.0. - Le système des
inondations. - Objections du Conseil de guerre au plan de Farnèse, 2.21. - Farnèse ne se
laisse pas impressionner. - Marnix essaie d'obtenir le percement des digues, conseillé par
le 'I'aciturne, 222.. - Opposition violente des bouchers et d'es colonels de la milice, 22.3. -
Farnèse à Bruges, 22.4.. - Il marche sur Anvers. _. Il renforce le blocus de Gand. -
Troupes qui lui restent pour assiéger Anvers. - Premières dispositions en vue du siège,
225. - La fiotte des Anversois, 226. - La garnison d'Anvers. - Les chefs des « rebelles »,
227. - Quartier général de Farnèse à Beveren. - Prise de Calloo par les Espagnols. -
Richebourg envoyé contre les forts anversois de la rive gauche de l'Escaut, Mondragon
contre ceux de la rive droite, 2:2h. - Echec de Mor.rtragon à Lillo, 229. - Prise dHéren-
thals par la cavalerie légère de Farnèse. 13<).- Le marquis de Richebourg s'empare de
Ltefkenshoek et des forts de la presqu'Le d~ Do21, 231.

CHAPITRE XIII

LA FIN D'UN DUEL ÉPIQUE: DA MORT DU T~CITURNE


Le prince d'Orange continue à rechercher l'appui de la Franoe, malgré beaucoup
d'opposition, 233. - Son « Apologie de ses relations avec la France », 2.33. - Reprise des
négociations avec Anjou, 2.35. - Mort du duc d'Anjou. - Les antécédents de l'attentat
de Balthazar Gérard, 2.36. - Le complot de Pedro Ordoüo, 2.36. - Le prétendu complot
de Hansz, - Le complot de Francisco Paredes, 2.37. - Le complot du capitaine français
Gotte, 2.38. - Balthazar Gérard, 2.39. -Ses rapports avec le prince de Parme, 2.4.0. -
L'assassinat du Taciturne, 2.4.1, - Le rôle de Farnèse, 2.4.2. - Explication des sentiments
de Farnèse, 2.4.4. - Le jugement de l'officier italien Blnaldl, familier du prince de
Parme, 244. - La joie de Farnèse en apprenant l'assassinat est une tache sur S'a
mémoire, 2.4.7.

Liste des principauxouvrages et articles consultés pour le borne III .. 24.9


Table des planches 255

Table analytique des matières 257

262
Acheué d'imprimer
le trente juin mil neuf cent trente-quaire
par l'Imprimerie Veuve Monnom
à Bruxelles
pour la Librairie Nationale d'Art et d'Histoire
à Bruxelles et Paris.
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