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PRINCE DE PARME
GOTIVERNEUR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS
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(1545-1592)
TOME III
(1582-1584)
nit:ersitaire)
BRUXELLES
LIBRAIRIE J.TATIO TALE D'ART ET D'HISTOIRE
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ALEXANDRE FARNÈSE
PRINCE DE PARME
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS
(i545-i592)
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ALEXAl~DRE FARNÈSE
{Portrait par G. R. Saive, à la Pinacothèque de Parme)
LEON VAN DER ESSEN
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN
MEMBRE DE LA COMMISSlON ROYALE D'HISTOIRE
DOCTEUR C HONORIS CAUSA :. DES UNIVERSITÉS
DE PADOUE ET DE MOll<"TPELLIER
ALEXANDRE FARNÈSE
PRINCE DE PARME
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE8 PAYS-BAS
(1545-1592)
TOME III
(1582-1584)
BRUXELLES
LIBRAIRIE NATIONALE D'ART ET D'HISTOIRE
1934
A V ANT- PROPOS
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CHAPITRE PRE~IIER.
{i) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 296; Lettre du 3 janvier 1581
(A.G. R., Copies de Simancas,vol. 14, r- 154).
«2) STRADA, o. c., t. lll,;pp. 280-281.
(3) D'après les agents anglais résidant à Gand, Farnèse avait avec lui devant Tournai
5 régiments wallons, 3 régiments allemands ët29 cornettes de cavalerie (Foreign Calendar,
1581, n- 383).
9
lui avait infligée la retraite devant Cambrai (4). De plus, certains
seigneurs wallons de son entourage ne murmuraient-ils pas qu'il avait
laissé le duc d'Alençon entrer dans cette dernière ville, pour pouvoir
démontrer la faiblesse des troupes wallonnes et trouver ainsi le
prétexte de rappeler à son secours les troupes espagnoles 7 (5) D'autre
part, les habitants des provinces réconciliées et surtout ceux de Lille,
qui craignaient les incursions répétées des soldats du prince
d'Épinoy, avaient insisté pour que Farnèse essayât de se rendre
maître de Tournai. Les habitants de Lille avaient même offert de
Paider en mettant à sa disposition de la. poudre, des sapeurs, et en
fournissant un subside d'e50.000 florins (6). Il semblait d'autant plus
facile d',entrer dans la place qu'elle ne comptait qu'une petite garni.
son, qu'on avait noué des intelligences ave-c les catholiques qui ~T
(4) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 9 octobre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo 281).
{5) STRADA. o. c., t. III, p. 2181.
(6) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 17 novembre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
veil. 14, fo 287). - Philippe Warny, dans ses Mémoires sur le siège de Tournai, dit {p. 1 de
l'édition citée dans la liste bibUogr3Jphique): « Les brigandages et pilleries, larsstns et
saccagements qu'ont fait les soldats et bourgeois hérétiques avec leur gouverneur le
prince d'Espinoy, at esté cause que le camp du Roy d'Espalgne fut campé devant Tournay .
S'il falloit nombrer les rnaulx que Tournay a fait es Pays-Bas, {ln ne les sçaurolt nommer .
Ç'at esté une vraye fasse aux larrons. »
(7) Farnèse au Roi, Camp de Tournai, 17 novembre 1581 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo 287); STRADA, o. C., t. III, p, 281,
10
secours, il entreprit dabord une sene de marches et de contre-
marches, destinées à tromper l'advers.aire sur ses intentions réelles.
Il feignit de se diriger sur Menin et d'aller préparer dans cette région
ses quartiers d'hiver (8). Mais en même temps, il ordonna au baron
d'Aubigny, avec son régiment de Wallons, et à trois compagnies
d'Allemands, d'obliquer vers Tournai et de s'emparer des châteaux
et des demeures susceptibles d'être fortifiées qui se trouvaient dan!' les
environs immédiats de la ville. De 'Plus, Ilecolonel de Masnuy, avec de
l'infanterie, et le baron de Montigny, avec toute la cavalerie, devaient
se porter rapidement en avant plus près de Tournai et, par un coup
de main, se rendre maîtres des faubourgs (9). Cependant, la marche
de Montigny fut trop lente et il ne put empêcher l'ennemi <lebrûler
une partie de ces faubourgs et les maisons situées près des remparts
de la ville, avant 'que les troupes royales eussent pu Ies occuper (10).
Doit-on y voir mauvaise volonté de la part de Montigny 7
N'oublions pas, en effet, qu'il était le beau-frère du prince d'Épinoy.
Le, marquis de Richebourg était le frère de ce dernier et ces liens de
parenté semblent expliquer la manière peu énergique dont les deux
chefs wallons se comportèrent pendant le siège de la place (11). A en
croire Strada, la parenté de Montigny et de Richebourg avec le
prince d'Épinoy n'avait pas laissé d'inquiéter Alexandre Farnèse à
la veille des opérations qu'il allait entreprendre, mais il aurait
compté, d'autre part, sur l'inimitié qui dressait Pierre-Ernest de
Mansîelt et dautres seigneurs encore contre Richebourg et en aurait
attendu, de la part de ceux-ci, un effort plus grand pour se rendre
maîtres de Tournai (12). Le prince de Parme avait d'ailleurs avec lui
le colonel de Mondragon, en l'expérience duquel il avait une grande
confiance et dont il se promettait beaucoup (13).
11
premier jour, la ville fut si bien entourée et serrée de si près que
personne ne pouvait en sortir sans être aussitôt aperçu par les
soldats de Farnèse (15).
Tournai était une position forte, défendue par ses remparts
garnis de 65 tours rondes, datant de l'époque romaine et qui avaient
été renforcés pendant le moyen âge. Un large fossé, facilement ali-
menté par l'Escaut qui passe à travers la ville, l'entourait; dans ces
fossés s'avançaient, sur le parcours des fortifications, onze ravelins
reliés à la muraille par un pont solidement construit. Aux extrémités
de la place! sur la rive de l'Escaut, se dressait un château ou une
citadelle, que le roi d'Angleterre Henri VIn y avait fait construire
autrefois lorsqu'il avait conquis la ville sur les Français (16).
Aussitôt qu'il eut appris l'arrivée de Farnèse devant Tournai,
le prince d'Epinoy avait abandonné ses retranchements de Dun-
kerque et avait rapidement conduit son armée jusque Audenarde.
Lui-même était allé rejoindre le prince d 'Orange à Gand. Le T.aciturne
avait appris, coup sur coup, que le prince de Parme avait prêei
pitamment quitté son camp près de Dunkerque et qu'il s'était mis
en marche vers Armentières et Lille, répandant sur son passage
la nouvelle qu'il se dirigeait vers Ie Cambrésis. Puis, soudain, s'était
ébruitée la nouvelle qu'il venait d'apparaître devant Tournai et qu'il
en commençait le siège {17).
D'abord surpris de cette audace, Orange avait fini par consoler
le prince d'Epinoy en affirmant que la ville était suffisamment forte
pour résister et que « Tournai n'était pas un morceau pour les
Wallons » (18). Cependant, Epinoy avait envoyé immédiatement une
partie de ses troupes au secours de la cité, mais ces forces arrivèrent
trop tard. Elles trouvèrent l'armée royale déjà installée dans de
fortes positions et durent abandonner l'espoir de rejoindre les
assiégés (19).
Le prince d'Epinoy tenant la campagne avec la majeure partie
de ses soldats, 'I'ournai ne comptait pas une forte garnison. Il n'y
avait point de cavalerie; le nombre des îantassinaétait peu élevé;
mais ill existait une milice bourgeoise bien organisée, forte de
900 hommes (20). De plus, Tournai avait été, sous le gouvernement
i(15) Mémoiressur le siège de 'roumat; 1581, par PHILIPPE WARNY, p. 3.
(16) Liber reuuumum,fos 93-94; STRADA,o. C., t. III, pp. 283-284.
(17) Stokes à Walsingham, Bruges, 8 octobre 1581 (Foreign Caietuiar, 1581, n- 359).
(18) STRADA,o. C., t. m, p. 285.
\(19) Liber relationum, r- 93-vo•
(20) Stokes à Walsingham, lettre citée.
12
du prince d'Epinoy, l'asile de très nombreux calvinistes et ceux-ci
étaient décidés à se défendre jusqu'à la mort (21). Tout ce que les
provinces wallonnes avaient compté dagitateurs 'et de sectaires
avant la réaction catholique de 1579 s'était réfugié à Tournai et ces
gens, n'espérant aucune clémence de la part des troupes royales,
allaient montrer pendant le siège une ténacité et un courage qui
rappellent, en bien des points, les événements de la défense de
Maestricht.
En quittant la ville pour se diriger vers Gravelines à la rencontre
du duc d'Anjou, le prince d'Epinoy y avait laissé son lieutenant,
François Dijoon, seigneur d'Estréelles, ainsi que la princesse d'Epi-
noy, sa femme, née Philippine-Christine de Lalaing, dont la fermeté
et l'énergie furent pour beaucoup dans la résistance prolongée des
habitants (22).
Dès qu'ils se virent menacés d'un siège, les Tournaisiens avaient
pris des mesures pour y parer. Le 3 octobre, ils avaient enrôlé à
leur service les soldats qui, au nombre d'une soixantaine,occupaient
le fort de Warcoing'; ils avaient dressé la liste de tous les hommes
disponibles et aptes à être utilisés pour fortifier la ville. Un conseil
de guerre, composé du sire d'Estréelles, du prévôt de la ville, des
maïeurs, des capitaines des compagnies wallonnes de la garnison
et des capitaines des compagnies bourgeoises, de certains échevins
et du procureur fiscal, avait ordonné à tous les bourgeois d'apporter
à l 'hôtel de ville la poudre à canon 'et le sel dont ils étaient détenteurs.
Il avait enjoint à tous les laboureurs de se présenter avec leurs
chevaux et leurs chariots, sous peine d'être chassés de la ville, avec
leurs familles. Il avait prescrit à tous les habitants,sans en excepter
les étrangers, hommes, femmes et enfants, de se trouver aux
remparts munis de pelles, de bêches, de hoyaux, de brouettes et
de hottes,afin d'y travailler aux fortifications (23). Il est à peine
besoin de dire que les bourgeois catholiques furent obligés de se
soumettre à ces ordres aussi bien que les hérétiques et on pouvait
donc s'attendre, comme à Maestricht, à voir toute la population de
la ville massée sur }es remparts pour repousser les assaillants.
'*' * '*'
t3
Dès que le prince de Parme fut arrivé avec ses troupes devant
Tournai, il établit ses quartiers d'infanterie le long des deux rives
de l'Esoaut et logea sa cavalerie dans les villages environnants.
Il ordonna aux villes les plus proches qui étaient fidèles au parti
du Roi d'envoyer toute l'artillerie dont elles pouvaient disposer)
ainsi que la provision de poudre et de balles, du plomb, des mèches,
des pics et des pelles, des tabliers en bois et des fascines. Il réqui-
sitionna des maîtres-charpentiers pour construire des barques et
des ponts. Comme, cette fois encore, les sapeurs envoyés par les
Lillois n'étaient pas en nombre suffisant, il eut recours à ses p.aroles
ensorceleuses habituelles pour engager les 'soldats à creuser des
tranchées. Pour se couvrir contre les sorties des assiégés, il fit
couper de larges fosses les routes qui menaient aux portes de la
ville, et y plaça aussi des barrages pour arrêter l'élan de l'ennemi.
Farnèse fit ensuite appeler le baron de Montigny et le chargea
de préparer les échelles d'assaut, les fascines et les tabliers de
bois nécessaires pour l 'attaque.
S'apercevant que le ravelin qui défendait les approches de
la porte Saint-Martin n'était pas 'Occupépar les' assiégés, il ordonna
de l'escalader, de s'en emparer et de s'y retrancher contre le feu
des gens de la ville. Dans la nuit obscure, les eoldats de Montigny
parvinrent à s'approcher du l'avelin, mais au moment où ils voulurent
dresser les échelles, ils s'aperçurent qu'elles étaient trop courtes.
Leurs mouvements furent découverts par les assiégés qui Iles chassè-
rent et installèrent un poste dans l'ouvrage menacé (24).
Ce ne .fut là qu'un essai de coup de main rapide, comme Farnèse
avait l'habitude d'en tenter toujours .au début d'un siège, avec
l'intention de s'assurer à peu de pertes, dès le début des opérations,
une position de départ avantageuse.
En même temps, le prince avait songé à troubler dès l'abord la
fabrication du pain pour les assiégés, en envoyant ses soldats fermer
les écluses qui retenaient les eaux de I'Escaut, de façon à faire monter
le niveau du fleuve et empêcher ainsi les moulins à moudre le blé
de tourner. Mais cette tentative fut rendue stérile par les Tour-
naisiens : la nuit, ils envoyèrent sur le fleuve un bâteau rempli de
soldats, avec mission de rompre les écluses et de les arracher de
14
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PHI SE DE 'l'OURNAI ....,
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Gravure de R. de Hooghe, d'après le capltainc-lngénleur Ledesma
(Ms. 1631/,-19 de la Bibliuthèque RoJ'ale de Belgique, f0152.)
Dœns le Goin âe aroue, Farnèse p1'is clans les décombres cie i'ooseroatoïre d'm'til/erie
leurs gonds pour empêcher l'ennemi de recommencer sa dangereuse
manœuvre (25).
Tout ceci n'était cependant qu'un prologue, que Farnèse avait
imaginé en attendant l'arrivée de l 'artillerie de grand calibre, néces-
saire pour commencer sérieusement l'attaque.
Bientôt 32 pièces de siège se trouvèrent réunies au camp des
assiégeants, et d'autres vinrent encore s'y ajouter.
Le prince de Parme, se rappelant ce qui s'était passé à Maes-
tricht, donna d'abord tous ses soins au choix de J'endroit où se ferait
la première attaque. Il consulta les ingénieurs militaires qu'il avait
avec lui, de vieux soldats pleins d'expérience, ainsi que des gens du
pays. Comme ils ne purent se mettre d;'accord, Farnèse, pour nt}
rien laisser au hasard, entreprit personnellement une reconnaissance
de la position, parcourant tout le périmètre de l'enceinte, pour
découvrir 1'endroit le plus vulnérable. Il ne parvint point à fixer son
choix (26). Tout au plus lui semblait-il assez indiqué dattaquer
Tournai du côté de la porte Saint-Martin, qui était l'endroit le plus
élevé et où se trouvait un ravelin d'où on pouvait dominer toute la
rille. De ce côté-là aussi, le fossé présentait un niveau d'eau plus bas
qu'ailleurs et il était par conséquent plus facilement guéable (27).
il nentrait cependant pas dans les intentions du prince de
Parme de se rendre maître de Tournai par un assaut en règle. Il ne
voulait pas recommencer les erreurs du siège de Maestricht. Il se
rendait compte que, sans infanterie espagnole et italienne, il n'avait
pas sous la main les forces capables de tenter pareille entreprise. Les
soldats allemands étaient généralement considérés comme très aptes à
soutenir une attaque en rase campagne et étaient habitués à se laisser
tuer sur place plutôt que de reculer, mais ils ne convenaient d'aucune
façon pour l'attaque des places fortes. Quant aux 'Vallons, dans
i 'armée de Farnèse on les appréciait beaucoup pour la défense des
villes qu'on leur confiait, mais on ne les employait pas volontiers seuls
pour assaillir des remparts (28). De plus, les chefs de ces troupes
wallonnes étaient presque tous.des seigneurs du pays, proches parents
,:.:] alliés du prince d'Épinoy 'et de sa femme} et Farnèse craignait
'p 'ils ne montrassent peu de zèle (29), 'routes ces raisons l'engagèrent
È. procéder par la sape et la mine, qui lui avaient si bien réussi pen-
(30) Ibidem.
1(31) Liber retauonum, fo. 94T"_95ro_
(32) Liber relattonum, fo 95; STRADA, 0_ CO, t. III, pp. 285-286; Mémoires sur le sièg~
de Tournai, p. Ii.
16
Les assiégeants pouvaient se rendre compte que la défense serait
désespérée et que les habitants de la ville étaient . sur le qui-vive.
D'ai1Ieurs, avant que le bombardement du ravelin n'eût commencé,
Farnèse avait fait tirer jusque dans la ville une flèche, à laquelle était
attachée une lettre engageant les membres du magistrat à rendre la
cité à son prince naturel, le roi d'Espagne} à garder-Ie serment qu'ils
avaient prêté d'être bons et loyaux vassaux, et leur promettant le
pardon de leurs offenses passées. Aucune réponse n'avait été faite à
cette proposition, Bien plus, pendant que les canons de Farnèse
tiraient contre le ravelin, les plus exaltés des calvinistes tournai siens
étaient montés sur la muraille, y jouaient du violon et soufflaient dans
des cors faits decornes recourbées. Un soldat, appartenant à une des
compagnies wallonnes de la défense, avait raillé les assiégeants,
tenant en main un verre rempli de vin et leur criant : « A votre santé,
larrons! papistes! cuirassiers de prêtres! » et d'autres injures
encore (33).
'De tels épisodes devaient rappeler à Farnèse la conduite des
défenseurs de Maëstricht et l'engager à ne pas sous-estimer le cou-
rage et l'obstination de l'ennemi. Aussi, ne voulant point exposer
inutilement ses soldats, et sachant, d'autre part, que, sans être maître
du ravelin, il ne serait pas possible de s'approcher des murailles de la
cité, il ordonna de creuser, pendant la nuit, des tranchées qui permet-
traient à ses hommes de s'avancer jusqu'aux foss-és de l 'ouvrage à
conquérir. Des sapeurs parvinrent ensuite, en franchissant ces fossés,
à préparer deux mines sous l'angle saillant du ravelin. En même temps,
le prince de Parme fit établir quatre pièces d'artillerie, qui battaient
continuellement de leur feu le pont qui reliait l'ouvrage à l'enceinte
de la ville. Redoutant l'explosion des mines placées sous le saillant, les
Tournaisiens qui tenaient le ravelin l'abandonnèrent et, courant rapi-
dement sur le pont bombardé, parvinrent à regagner les remparts.
Aussitôt les soldats de Farnèse .s 'installêrent dans le fortin
conquis et prirent possession du pont. Un premier et important avan-
tage avait ainsi été obtenu (34).
17
Ici, comme à Maëstricht, il avait payé de sa personne dès le début,
parcourant lui-même les tranchées et se mêlant aux soldats pour
surveiller leur ouvrage et pour les encourager. Lorsque sa présence
n'était pas nécessaire, il avait pris 1'habitude de se retirer dans la
masure d'un vieux four abandonné, construit en pierre et couvert
d'une toiture en bois. Cette masure se trouvait à vingt pas de l'artil-
lerie et, par les ouvertures pratiquées dans la muraille, le prince
suivait avec attention l'effet du bombardement. Comme des officiers
et des soldats se rendaient continuellement à cet observatoire pour
porter des informations ou chercher des ordres, ce va-et-vient avait
attiré l'attention des assiégés. Ils soupçonnèrent qu'un chef ennemi
important devait se tenir en cet endroit. Aussi finirent-ils par pointer
deux pièces d'artinerie dans <lette direction. Les projectiles lancés
traversèrent la maison de part en part et la firent s'écrouler dans
un nuage de plâtras et de poussière. Farnèse fut enseveli sous un
amas de pierres et de poutres et grièvement blessé à la tête, aux bras
et aux jambes (35).
Aussitôt la nouvelle de l'accident se répandit dans l'armée. Capi-
taines et soldats, pleins d'anxiété, accoururent. Ils trouvèrent, devant
la masure effondrée, le cadavre d'un Espagnol faisant partie de la
maison du prince: des ruines on dégagea un soldat, mort, et
bientôt un deuxième, qui avait la moitié du corps emportée et qui
gémissait faiblement. Finalement, de dessous les décombres, le prince
de Parme apparut, tout couvert de sang. Dissimulant sa souffrance,
il s'empressa de rassurer immédiatement les siens : « Par l'aide de
Dieu, je suis vivant, vous le voyez, dit-il ; et, soyez tranquilles, je
vivrai encore pour la confusion de l'ennemi ! ~ (36).
Au bout de huit jours, il était remis de ses blessures et il s'em-
pressa de se montrer à ses soldats, pour leur donner courageet rani-
mer leur confiance. Le prince Pavait échappé belle: les <lOUpSqui
avaient démoli la masure avaient tué un commissaire espagnol' et
deux soldats wallons et 'en avait sérieusement blessé cinq (37).
C'est précisément alors que des tentatives furent faites pour
introduire des secours dans Tournai. De Bruges, les agents anglais
entretenus par Élisabeth d'Angleterre aux Pays-Bas, avaient, à
plusieurs reprises, signalé que le prince d'Orange et le prince
d'Épinoy ne faisaient rien pour secourir Tournai et que les troupes
(35) Liber relationum, fo 96; STRADA, o. e. t. III, pp. 286-287.
(36) STRADA, o. C., t. III, p. 287.
(37) Liber relationum, r- 96.
18
des États, campées à Audenarde, se contentaient de détrousser les
paysans (38). Cependant, le 2>6octobre, Épinoy fit partir d'Audenarde
trois compagnies de cavalerie et 400 fantassins montés, pour reeon-
naître la situation du camp espagnol et essayer dintroduire du
secours dans la place. Or, Farnèse, depuis le début du siège, avait
envoyé régulièrement deux fois par semaine des reconnaissances de
cavalerie dans la direction du camp des États afin de découvrir ce qui
s 'y passait et les projets que l'on méditait. Le 26 octobre, 80 lanciers
italiens et 25 arquebusiers à cheval, étant partis dans la direction
d'Audenarde; se trouvèrent à l'improviste devant les soldats d'Épinoy.
Un combat s'engagea, où les cavaliers des États eurent le dessous (39).
Stokes s 'empressa de le signaler à Walsingham, de façon mépri-
sante: « Vendredi dernier, nous eûmes la nouvelle que quatre cor-
nettes de cavalerie furent envoyés d'Audenarde, pour essayer dentrer
à Tournai. Ils se conduisirent avec tant de lâcheté que deux cornettes
ennemis suffirent pour leur faire prendre la fuite. Quelques-uns furent
tués, d'autres pris, le reste retourna à Audenarde. Le prince d'Orange
n'aura jamais d'autres services de la part de.ces rustres; car leur
cœur est fait de beurre! » (40). Les soldats de Farnèse ayant fait
dans cette escarmouche quelques prisonniers et pris des enseignes,
le prince les :fitamener sur les remparts du ravelin de la porte Saint-
Martin ,et exhiber aux assiégés. Il força ses prisonniers à entamer la
conversation avec les défenseurs de la ville, qui regardaient ce
spectacle du haut des murailles, et à engager les 'I'ournaisiens à ne
pas s'obstiner dans la lutte (41).
Ceux-ci ne se laissèrent cependant impressionner en nen par
cette preuve d'une défaite de leurs compatriotes (42).
(38) Stokes à Walsingham, Bruges, 22 octobre 1581 (Foreign Caletuiar, 1581, n° 372). -
Les troupes d'Epinoy comptaient, au camp d'Audenarde, 2 régiments d'infanterie, 4 com-
pagnies d'Anglais et 5 de Flamands, et 11 cornettes de cavalerie (Foreign caienaar, 1581,
n- 284;).
(39) Liber 1·elationum, fo 96vo; STRADA, o. c., t, III, pp. 287-288.
(40) Lettre de Bruges, 29 ootoore 1581 (Foreign Ctüenâar, Hy81, n- 373).
(41) Liber relatumum, r- 96vo; STRADA, o. C., t, III. p. 288.
(-12) « Geulx du camp [les Espagnols] .. ont monstré le capitaine Meurisse et un soldat
lanchier qui cstoit avec le prince d'Espinoy, qui se nommoit Philippe Wfbaut, et plusieurs
casaques de soldats flamengs et si monstrërentausst une banderolle aussy desdlts gens
des Etats. Cëulx de Tournay voyant cela estolent tout esbahis de veoir ceûa ; les uns
disoient que l-es gens du camp de devant l'a vülle avolent tout deffait ceulx qui venoient
au secours de la ville, comme il estoit vraye ; les meutins disaient que ceulx qu'on avott
monstré avoient dit que toute I'advant-garoe du camp du Roy es toit deffai,te. Chacun en
parlait à s'a fantaisie .., ». Mémoires sur le siège de Tournai, p, 12-13; « [Les assiégés] non
ne mostraronodi far caso. » Liber 1'elationum, fo 96
TO
•
19
Cependant, dès les premiers jours du siège, Farnèse, après avoir
fait assécher autant que possible le fossé qui le séparait des remparts
. du côté de la porte Saint-Martin, avait fait creuser des tranchées
qui partaient de l'emplacement de l'artillerie espagnole et se diri-
geaient vers les murailles de Tournai. Comme on manquait de
sapeurs, ce travail avait duré longtemps. Grâce à la présence du
prince de Parme, qui avait continuellement surveillé les soldats, on
était sur le point de pouvoir exécuter la deuxième partie du pro-
gramme conçu : faire sautel' les remparts au moyen de mines et
pratiquer ainsi une brèche importante (43). Toutefois, comme les
mineurs du comte de Mansfelt allaient et venaient Ile long des tran-
chées qui n'étaient pas couvertes, le feu des assiégés, dirigé sur eux
d'une des tours de l'enceinte, en tua un certain nombre. Un soldat
anglais de l'armée de Farnèse s'offrit, avec quelques compagnons, à
couvrir rapidement les tranchées. TI y rêuseit, mais tomba blessé de
deux coups d'arquebuse. Pour récompenser cet acte de courage et
entraîner ainsi les autres soldats, le prince de Parme fit emmener le
blessé à son quartier-général, l'y fit soigner et le gratifia de 100 écus
d'or. Il fit aussi donner une paie supplémentaire aux soldats qui
avaient aidé l'Anglais dans sa périlleuse; besogne (44). Les mineurs
avaient finalement atteint le pied même des murs de la cité. Farnèse
fit attaquer celui-ci à coups de pics et creuser des galeries. Le
6 novembre, on était arrivé ainsi à prolonger ces galeries jusque sous
le terre-plein.
Mais le sire d'Estréelles veillait. Se rendant compte du projet
de l'ennemi, il avait fait préparer en cet endroit des contre-mines et
bientôt assiégeants et assiégés se trouvèrent face à face, sous terre,
et prêts à se livrer des combats sauvages (45).
Les 'I'ournaisiens n'avaient d'ailleurs pas cessé de faire des
sorties et d'infliger aux travaux des assiégeants autant de dommage
que possible (46). Au cours de ces sorties, ils avaient fini par prendre
nettement la supériorité sur les troupes wallonnes de Farnèse. Ces
dernières se laissèrent enlever une tranchée près du fossé de la ville
et s'enfuirent avec tant de précipitation qu'elles abandonnèrent leurs
armes et leurs manteaux. Enhardis par ce succès, les assiégés avaient
20
creusé dans l'abbaye de Saint-Martin une galerie qui s'avançait sous
les remparts et qui était destinée à rencontrer celle des assiégeants.
Bientôt, les soldats qui étaient de garde dans le boyau creusé par
ordre de Farnèse, entendirent se rompre la cloison qui y avait été
établie à l'extrémité. Pris de panique, ils s'enfuirent. Le prince de
Parme accourut immédiatement pour les retenir, Il fut obligé de les
menacer de son épée pour les contraindre à regagner leur poste.
Renouvelant le stratagème qu'il avait déjê.employé, en des circon-
stances analogues, au siège de Maëstricht, il fit introduire dans la
galerie des tabliers de bois, percés d'ouvertures, et posta derrière
des arquebusiers. Lorsque l'ennemi déboucha dans la galerie, il fut
reçu par des coups de feu et promptement repoussé (47).
Presque au même moment, une vingtaine de soldats de la garni-
son étaient sortis par la porte d'Audenarde et, s'étant jetés sur le
quartier occupé par les Wallons, avaient mis en fuite les deux corps
de garde qui s 'y trouvaient. Farnèse envoya tout de suite quelques
cavaliers albanais arrêter l'ennemi, qui fut finalement refoulé par
les -piquiers allemands (48).
La nervosité de ses soldats inquiétait beaucoup le prince de
Parme. TI s'en ouvrit dans une lettre au Roi, écrite le 17 novembre,
où il s'exprima en ces termes: « Etant donné le peu d'infanterie
wallonne dont je dispose, il ne m'a pas paru possible dentreprendre
l'assaut de la place, quoique oe serait le moyen le plus expéditif: j,e
dois me contenter de gagner peu à peu du terrain par Ile travail des
sapeurs et des mineurs. On me dit que les catholiques sont majorité
à Tournai et cependant, jusqu'ici, il n'y a pas eu un 'seul homme qui
ait fait preuve de ses bonnes intentions. Votre Majesté peut donc
en conclure que, sans l'emploi de la force, il n 'y a rien à gagner ici.
Et que dire des soldats que j'ai sous mes ordres! Je les ai vu fuir
trois et quatre, fois et abandonner les tranchées, et même l'artillerie,
devant trois pelés qui font une sortie. Aussi, ce qu'il me faut, ce
sont des Espagnols, mais malheureusement, les seigneurs wallons
n'en v-eulent pas » (49).
Le 9 novembre, le prince, se rendant du ravelin de la porte
Saint-Martin par des tranchées ouvertes jusqu'au mur de la vilye,
21
faillit de nouveau y laisser la vie. On l'avait aperçu des murs de
Tournai et de grosses pierres furent jetées sur le groupe qui
l'accompagnait. Farnèse fut atteint par des projectiles, dont un vint
s 'abattre sur sa tête. Le morion qu'il portait amortit le choc et le
sauva: il fut cependant blessé au bras et à l'épaule (50). Maximilien
de Vaulx, comte de Bucquoy, qui accompagnait le prince, fut atteint
d'une pierre à la tête: on l'emporta à demi-mort. Il' mourut de sa
blessure après le siège (51).
Les jours suivants, la lutte souterraine continua avec âpreté. Le
10 novembre, les soldats de Farnèse enlevèrent le tablier qu'ils
avaient placé à l'extrémité de leur galerie pour en boucher l'entrée
et pénétrèrent dans celle que les assiégés avaient faite. Ils en chas-
sèrent L'adversaire et avancèrent de vingt pieds sous le sol de la ville.
Dans la galerie abandonnée, ils trouvèrent une quantité d'armes, des
matelats et des lits de plumes. Mais voici que les Tournaisiens creu-
sèrent une mine dans le flanc de celle des Espagnols. Ces derniers
allumèrent de la paille humide et, en soufflant dans des tuyaux, rabat-
tirent la fumée ainsi produite vers l'ennemi qui, suffoqué, ne put
tenir. L 'assiégeant en profita pour pousser encore un peu plus son
avance souterraine (5,2).
* * *
Malgré l'espoir entretenu par les assiégés, rien ne faisait prévoir
un prompt secours de la part du prince d 'Orange et du prince
d'Épinoy. Cette immobilité s 'explique très bien par l'état lamentable
où se trouvaient les affaires des États et que nous décrit F'remyn
dans une lettre adressée à Walsingham (53).
D'après ce message, le nombre de soldats que les États avaient,
soit en campagne, soit pour tenir les villes, s'élevait à plus de 30.000.
De ces 30.000, 2.500 à 3.000 se trouvaient au camp d'Audenarde. La
situation était telle cependant que le prince d'Orange n'aurait pu
mettre en campagne plus de 6,,000 hommes en tout, à cause des abus
qui s-e manifestaient de toutes parts, et de la mauvaise administra-
tion, caractérisée par le pillage et les vols. La solde que nécessitait
l'entretien de cette armée était de 250.000 florins par mois, et si les
compagnies avaient été au complet, il 'en aurait fallu 400.000. Pour
(50) Liber retauonum, r- 98.
(51) STRADA, o. c., t. III, pp. 292~293.
(52) Liber relationum, r- 98.
(53) Datée d'Anvers, 11 novembre 1581 «Foreign Calendar, 1581, n- 388).
22
l'artillerie, le train, les pionniers' et Ile paiement de .).'administration
militaire, il fallait tabler sur une dépense de 100.000 florins par mois.
Les contributions réclamées des provinces rebelles atteignaient le
chiffre de 450.000 florins; la ville de Gand payait 90.000 florins par
mois; Ath, 5.000; Enghien, une somme à peu près égale; la province
de Flandre intervenait pour 200.000 florins par mois. Malgré ces
ressources, les soldats ne touchaient leur solde qu'en partie, le reste
étant payé en obligations sans valeur. La province de Brabant devait
aux troupes françaises du colonel Lagarde plus de 47 mois de solde.
« En résumé, dit Fremyn, le salut du pays exige que le duc
d'Alençon (qui était en .ce moment en Angleterre) revienne pour
prendre en mains la direction des affaires, sinon les troupes se révol-
teront à cause de l'absence de solde, et des troubles naîtront à cause
de l'ignorance des gouvernants, qui ne savent pas comment entretenir
une armée et, encore moins, gouverner l'État. Le peuple commence
à murmurer, en découvrant le brigandage qui existe, dont {ln parle
ouvertement, ainsi que la multitude des commissaires et des fonction-
naires qui ont été récemment nommés à des postes militaires et qui
absorbent des ,salaires considérables, Il y en H 6.000, dit-on, en
Flandre et en Brabant.
L'armée actuellement sur pied de guerre peut soutenir pour
quelque temps une lutte défensive, mais elle est incapable de secourir
une place assiégée, comme on le vit à propos de' Cambrai, et comme
on le voit en ce moment à propos de Tournai. Si un chef militaire ne
surgit pas quelque part, tout s'en ira en déconfiture. »
* * *
Cependant, comme le siège de Tournai traînait en longueur, un
vif mécontentement commença à se manifester parmi l'infanterie
wallonne, qui souffrait de la pluie, du vent et du froid, et des fatigues
qui lui étaient imposées. Dans les corps de garde, les sentinelles se
trouvaient souvent dansl 'eau jusqu'à mi-jambe. Les 'Soldats suppliè-
rent Farnèse de les laisser monter à l'assaut (54),
Le prince de Parme refusa. Les journées étaient trop courtes, en
cette période de l'année, pour que l'artiUerie pût accomplir beaucoup
de besogne et les nuits, de plus en plus longues, permettaient aux
assiégés de réparer à leur aise les dommages faits aux fortifica-
23
tions, Farnèse réunit donc le conseil de guerre et demanda aux colo-
nels des Wallons de faire patienter leurs soldats. Lui, qui était leur
chef, ne souffrait-il pas aussi des intempéries, tant de nuit que de
jour, s'exposant comme eux aux tranchées et partout où sa présence
était requise 1 (55)
Cependant, l 'hiver approchait et il ne semblait pas que les
assiégés eussent l'intention de se rendre. Ils disposaient encore de
beaucoup de vivres et les sommations que le prince de Parme leur
avait fait adresser de temps en temps restaient sans eff'et. Lé baron
de Montigny, du ravelin de Saint-Martin où il se trouvait, avait essayé
d'entrer en communication avec sa sœur, la princesse d'Épinoy, pour
lui faire comprendre que toute résistance était inutile, puisque les
assiégés ne devaient compter sur aucun secours (5,6). Il n'eut pas de
réponse. A des tentatives de la part des notables catholiques de la
ville, déjà faites antérieurement, pour obtenir qu'on ouvrît des négo-
ciations avec le prince de Parme, la princesse avait répliquê « qu'elle
se ferait couper en pièces plutôt que de se rendre aux étrangers» (57).
S'il faut en croire Stokes, écrivant à Walsingham, dans la semaine
précédant le 12 novembre, le prince de Parme aurait adressé une
nouvelle sommation, à l'adresse de la princesse d'Épinoy en per-
sonne, disant que si elle ne forçait ses gens à se rendre, à son entrée
dans la ville il ne l'épargnerait pas et qu'il la 'passerait au fil de
l'épée avec tous les habitants. Une assemblée générale des bourgeois
et des chefs militaires eut lieu. Il fut décidé qu'on refuserait de
capituler. La princesse d'Epinoy avait alors reçu l'autorisation de
se mettre en rapport avec Farnèse et elle lui fit pa.rvenir une lettre
où elle disait : « J'avais cru que vous étiez trop chevaleresque pour
adresser des sommations à une femme, mais, bien que le prince
d'Épinoy et ses troupes se trouv-ent en campagne et loin d'ici, vous
rencontrerez chez les défenseurs de Tournai un courage suffisant pour
rendre vaine votr-e lâche entreprise » (58).
En tous cas, rien n'annonçait que la défense faiblissait et comme
les soldats de Farnèse étaient de plus en plus démoralisés par le froid,
l'eau, la boue et la fatigue, le prince décida finalement de passer à
24
l'assaut. Il ne le fit cependant qu'à son corps défendant (59), pour
éviter le pire.
Dans la nuit du 18 novembre, il fit avancer son artillerie, et l'ins-
talla à droite du ravelin de la porte Saint-Martin. Sur le bord du
fossé, séparant l'assiégeant de l'enceinte, dix-huit pièces étaient
prêtes à canonner celle-ci. Du ravelin même de Saint-Martin, trois
pièces, tirant sans interruption, balayaient de leur feu plus de
500 pas de la muraille et la courtine qui s 'y trouvait et rendaient
cette partie du rempart totalement inaccessible aux défenseurs. Le
19 novembre, l'artillerie visa plus spécialement les tours: il en fut
de même le 20. Oe bombardement infligea assez bien de dommage et
fit s'écrouler en ville nombre d'édifices (60). Le 21 novembre, l'artil-
lerie battit toute la courtine entre la quatrième et la cinquième tour :
trois tourelles de la muraille qui les reliait finirent par s'écrouler.
Le terre-plein cependant résista, à cause de l 'humidité qui l'impré-
gnait (61).
Le baron de Montigny envoya deux soldatsen reconnaissance :
ils revinrent rapidement, affirmant que la brèche serait facile à
assaillir (62).
Dès lors, le prince de Parme résolut de donner l'assaut (63), mais
avant de le déclencher, il fit un discours à ses troupes. Il venait à
l'instant de recevoir la nouvelle que le sire de Hautepenne, grâce aux
renforts de lanciers et de cuirassiers italiens, venus de Frise, sous la
conduite de Martin Schenck, avait repris la ville de Eindhoven. Le
prince profita de cette bonne nouvelle pour ranimer le' courage des
soldats wallons, dont jusque-là il n'avait pas eu à se louer (6~).
En vue de l'assaut, il avait fait préparer, entre la deuxième et la
troisième tour de l'enceinte, des fourneaux de mines, dont l'explo-
sion serait le signal de l'attaque. Montigny devait diriger l'attaque du
côté de la brèche faite par l'artillerie, Mansfelt du côté de l'ouverture
pratiquée par les mines (,65).
25
Celles-ci, au signal donné, sautèrent, faisantcrouler une partie
du mur et engloutissant tous les défenseurs qui s 'y trouvaient (66).
Aussitôt, l'infanterie s 'ébranla. Montigny, de Bours et d'Aubigny,
colonels wallons, tous les familiers du prince de Parme a:vec la
majeure partie. de ses pages, un millier de soldats wallons accom-
pagnés d'un nombre considérable de gentilshommes, ainsi que beau-
coup de cavaliers italiens, combattant à pied, se, lancèrent vers l'ou-
verture pratiquée par l'artillerie (67). Ici, les défenseurs avaient pris
toutes les mesures pour repousser l'assiégeant. Le sire d'Estréelles
avait bien garni de mousquetaires les tours voisines de la brèche. En
grande hâte, il avait fait élever un cavalier en face du ravelin de
Saint-Martin et, sur les murailles, il' avait fait porter quantité de
paniers et de muids remplis de pierres, que les femmes huguenotes
de la ville avaient arrachées des rues pour en faire des projectiles.
Derrière la muraille, on avait construit un autre retranchement pour
le cas où elle aurait été trop rapidement emportée (68).
L'attaque ne se fit point avec l'énergie nécessaire. Par suite des
pluies, le terrain était humide et glissant (69). Mais, de plus, les
troupes wallonnes ne suivaient pas les gentilshommes italiens, con-
duits par le marquis de Rangon et Pompeo Bardi, avec l'ardeur qu'on
aurait pu espérer. Elles semblaient hésitantes) et, malgré les efforts
de leurs colonels, qui les poussaient sur les ruines des tours, elles
n'avançaient que pas à pas. Cependant, Montigny, à la tête de quelque
150 gentilshommes et soldats, combattit courageusement, soutenu par
les gens de la maison du prince de Parme et les volontaires italiens de
celui-ci, parmi lesquels s'était glissé le marquis de Varembon. De la
muraille, qui était cependant bombardée continuellement pal' l'artil-
lerie de Farnèse, les assiégés faisaient pleuvoir toutes sortes de
projectiles : les femmes huguenotes étaient particulièrement 'excitées.
Pareilles à des forcenées, elles ruaient de grosses pierres sur l'ennemi
et portaient dels cendres aux remparts pour rembourrer les sacs
destinés à boucher les brèches (70). Les assaillants se seraient
peut-être rendus maîtres de la ville ce jour-là, si les troupes wallonnes,
qui semblaient manifestement montrer peu d'ardeur à combattre,
26
n 'avaient abandonné la partie lorsque leur colonel, le seigneur de
Bours, eut été tué. Sous prétexte que le terrain était trop glissant et
qu'on avait négligé d'abattre le cavalier qui se dressait derrière la
muraille à l'intérieur de la ville, elles se retirèrent de la mêlée et
regagnèrent leurs quartiers (71).
Au moment où il s'était aperçu du flottement qui se produisit
dans les rangs des W,allons, le prince de Parme, au péril de sa vie,
s'était dressé dans la tranchée où il se trouvait et, debout au milieu
des projectiles, avait essayé de ranimer lecourage de ses hommes.
Ce fut en vain, On ne l'écouta point, pas plus que les colonels (72).
Entretemps, à l'autre brèche provoquée par l'explosion des
fourneaux de mines, les Allemands du colonel de Mareossans, le frère
de M' de Samblemont, et de Robles de Billy, ainsi que les lN allons
du comte de Bucquoy n'avaient pas fait plus de progrès (73). Farnèse
décida d 'y envoyer à la rescousse Montigny avec une troupe d'élite,
mais ce mouvement ne put se faire avec la rapidité nécessaire.
La nuit approchait et une pluie torrentielle s'abattait sur les
combattants. Il fallut donner l'ordre de cesser la lutte (74).
Cet échec, heureusement pour Farnèse, ne fut pas aussi sanglant
que celui qui avait suivi ~e premier assaut contre Maëstricht. Le
nombre de tués n'était pas considérable, mais plusieurs personnages
de qualité y avaient cependant laissé la vie : Pontus de Noyelles,
seigneur de Bours, colonel wallon , Philippe de Stavele, sire de Gla-
jon; plusieurs gentilshommes italiens, dont Pompeo Bardi, Girolamo
della Mana, chevalier napolitain, de la maison de Marguerite de
Parme, le comte Pioppi. Le seigneur de Marcossans, gentilhomme
lorrain, colonel des Allemands, le marquis Malaspina, le sire de Billy)
le marquis de .Varembon, Montigny, et les deux ingénieurs militaires
Barocci et Piati se trouvaient parmi les blessés (75).
28
Cependant, le prince d'É}pinoy déployait tous ses efforts pour
faire venir du secours des côtes de Flandre et de Menin, où se trou-
vaient des garnisons des É}tats. Il essaya, en employant un strata-
gème, de surprendre en passant la ville de Gravelines.
C'est à Robert de Mérode, seigneur de 'I'hiaut, que l'exécution de
ce coup de main avait été confiée. Mais le sire de la Motte veillait.
Il déjoua le projet: un grand nombre de soldats ennemis qu'on avait
laissé pénétrer en ville, furent tués dans la citadelle, pendant que la
Motte faisait une sortie avec quelques compagnies d'infanterie et
des cavaliers d'élite. Tombant sur les troupes qui attendaient, non
loin de Gravelines, l'issue de la tentative de leurs compagnons, i,l fit
bon nombre de prisonniers et mit le reste en déroute (83).
Parmi les fuyards se trouvait Preston, un vieux capitaine de
cavalerie, qui avait avec lui environ 150 cavaliers écossais. Au
moment où il s'apprêtait à aller annoncer au prince d'É}pinoy le
résultat malheureux du coup de main sur Gravelines, il fut rejoint
par un cavalier appartenant à l'armée du prince de Parme, qui
l'arrêta près de Roubaix. Ge traître, dont on ne sut jamais qui l'avait
envoyé auprès de l'ennemi, engagea Preston à se jeter dans Tournai
avec sa cavalerie et, pour lui faciliter l'entreprise, lui communiqua
le mot de passe du jour: Santa Barbara! (84). Ayant été renforcé près
de Menin par un parti de cavaliers que le prince d'É}pinoy envoyait
à sa rencontre, Preston se décida à tenter l'entr-eprise. Grâce au
mot de passe, lui et ses cavaliers - 300 en tout - trompèrent faci-
lement deux sentinelles avancées; on les prit pour des soldats de,
l'armée roy.ale, venus du quartier de la cavalerie, qui était établi
hors des lignes de circonvallation. Ils eurent la hardiesse de passer
tout près de la tente de Farnèse, qui était gardée par une bande de
piquiers, passèrent sur un pont conduisant aux remparts et s'appro-
chèr-ent des portes de la ville. En ce moment, l'alarme fut donnée. Le
prince de Parme, sautant vivement à cheval, poursuivit les cavaliers
ennemis à la tête d'une compagnie de lanciers, mais il arriva trop
tard. Pr-eston et ses hommes étaient déjà entrés à Tournai. Deux
prisonniers que Farnèse réussit cependant à prendre, lui révélèrent
la trahison qui avait été commise (85).
(83~ DIEGER'ICK, corresoonaance de Vale:rttin die Porâieu, p. 53; STRADiA, o. C., t. III,
pp. 298-300.
;(84) STRADA, o. C., t. III, p. 300; Liber relatumum, fo iOOvo: ftfémoires sur le siège de
Tournai, p. 25; Stokes à Wa'lsingham, 'Bruges, 26 nov. 1581 (toc, cit.); PIERRE DE COLINS
O. c., p. 609; Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 20.
(85) STRADA, o. C., t. III, p. 301.
29
Le prince de Parme ne fut pas loin de soupçonner Montigny et le
marquis de Richebourg d'avoir machiné cette affaire (86). En tous
cas, Richebourg faisait grand état de l'arrivée de ce secours,et se
comportait tout à fait comme si, en son for intérieur, il n'aimait pas
que la ville fût enlevée à Épinoy, son frère. Il sema la zizanie dans
les rangs des Wallons et alla jusqu'à exhorter le prince de Parme à
lever le siège. Il fut soutenu par tous les membres du Conseil de
guerre natifs du pays. Alexandre Farnèse, qui n'ignorait pas les
mobiles secrets qui faisaient parler Richebourg, refusa catégorique-
ment d'abandonner l'entreprise: « J'irai jusqu'à la victoire, dit-il,
ou j 'y resterai mort, même si tous les autres m'abandonnent! Si vous
voulez vous reposer en attendant le printemps. libre à vous de le
faire. » (87)
Dans son Liber relationum, ~e précieux et excellent témoin qu'est
Paolo Rinaldi affirme que, depuis ce moment, honteux de sa conduite,
le marquis de Richebourg montra vis-à-vis du prince de Parme une
amitié et une fidélité inébranlables. Même, le jour ou Philippe II,
redoutant l'influence grandissante du marquis auprès des popula-
tions, voulut l'éloigner des Pays-Bas en lui offrant le poste de vice-
roi de Naples, Richebourg refusa, disant ouvertement partout qu'il
n'avait aucune confiance dans les Espagnols et qu'il ne voulait pas
subir le sort de Lamoral d'Egmont. TI expliqua officiellement son
refus en prétextant la promesse faite de ne jamais abandonner le
prince de Parme et affirmant que, aussi longtemps que Farnèse serait
aux Pays-Bas, lui, Richebourg, ne quitterait jamais le pays (88).
Le prince d'Orange profita immédiatement de l'entrée des cava-
liers de Preston dans Tournai pour ranimer le courage de ses par-
tisans et pour rétablir son crédit auprès des Gantois. Ceux-ci l'avaient
accusé de ne rien faire pour secourir Tournai. Le 'I'aciturne envoya
des 'courriers de tous côtés, fit sonner les cloches, allumer des feux de
joie et s'efforça de stimuler habilement l'enthousiasme, avec 'toutes
les ressources de son génie, habitué à manier les foules. Il fit annoncer
que les troupes du duc d'Anjou étaient parties de Dunkerque avec
une puissante armée de 'Secours (89)eïque le prince de Parme, après
{86) Voir sa lettre au Roi, datée du 7 décembre, partiellement reproduite par Strada,
0, C., t,III, p. 301.
(87) Liber relationum, fos 101~1O2.
{88) Liber relationum, fO 102.
{89) Sur les intentions d'Anjou et les ordres qu'il donne à Rochepot, voir KEIl;VYN DE
LETTENHOVE, o. C., t. VI, p. 240. Sur les mouvements d'es troupes de Rochepot, voir à ibidem,
P. 241.
30
avoir perdu ses meilleurs capitaines, désespérant de prendre la ville,
allait lever le siège (90).
* * *~
31
déroute de Preston, ils abandonnèrent le rempart 'et se mirent à par-
courir les rues, criant : Alarme l Alarme! nous sommes perdus!
Comme c'était un dimanche, les catholiques étaient assemblés en
l'église Notre-Dame, pour y assister à la messe. Un calviniste se
précipita dans l'église, criant: « Alarme! Alarme! que font icices
papistes? Les Maleontents sont entrés dans la ville par la porte de
Sept-Fontaines ! »
Saisis de panique, les fidèles se précipitèrent vers les issues du
temple, mais l'archidiacre Cottereau, qui faisait 'en ce moment le
sermon, les arrêta et lescalma, en leur demandant de quoi « le trou-
peau de Dieu» pouvait avoir peur (93).
Malgré sa défaite, Preston avait l'intention d'essayer de
reprendre le ravelin de Saint-Martin. Dans la nuit du 27 novembre,
il sortit avec 500 fantassins et 100 cavaliers par la porte de ce nom,
tout en faisant donner l'alarme aux défenseurs de toutes les autres
portes de la ville. Les troupes de Farnèse furent alertées à leur tour
et se tinrent prêtes à repousser l'assaut. Cependant, à cause de
l 'hésitation de l 'homme qui servait de guide aux gens de Preston,
ceux-ci finirent par rentrer sans avoir combattu (94).
Le prince de Parme voulut dès lors attaquer la ville sans plus
attendre. Il fit miner, en beaucoup d'endroits, les remparts de Tournai
et décida de faire exploser les mines à l'aube du 29 novembre, vigile
de la fête de Saint-André, patron de la maison de Bourgogne. Aussi-
tôt après l'explosion, les troupes, profitant du désarroi qui se pro-
duirait nécessairement chez les assiégés, devaient monter à Passant à
l'improviste, sans préparation d'artillerie. Dans la nuit précédant le
29 novembre, les ordres nécessaires furent donnés. Deux heuresavant
l'aube, l'infanterie wallonne et l'infanterie allemande devaient se
masser dans les tranchées, tout près du fossé de la ville, pendant que
la cavalerie prendrait ses dispositions de 'bataille en un endroit où
les 'I'ournaisiens ne pourraient pas la voir.
A l'exception des sentinelles et des corps de garde, tout le monde
se reposa, en attendant l'assaut (95).
* -~*
Cependant à Tournai même, où l'on s'attendait probablement au
grand assaut du lendemain - d'Estréelles, qui avait des espions au
\(93) lIIémoires sur le siège de Tournai, p. 27.
(94) Liber relationum, r- 102.
(95) Ibidem; STRADA, o. c., t. III, pp. 303-.304.
32
camp de Farnèse, savait très bien ce qui se passait chez les assie-
geants (9,6)-, une partie des habitants avaient commencé à murmurer
et refusèrent de monter encore aux remparts (97). C'est que, depuis
longtemps, les catholiques tournaisiens essayaient d'induire le gou-
verneur à traiter avec le prince de Parme (98). Si, finalement, cette
suggestion trouva un écho, c'est que certains avertissements étaient
de nature à faire réfléchir les assiégés. Le comte de Rassenghien, qui
se trouvait dans le camp de Farnèse, était tuteur du seigneur de
Tourcoing, un jeune homme faible d'esprit, qui résidait en ce moment
à Tournai. Dans l'intention d'impressionner les assiégés, Rassenghien
adressa une lettre au magistrat pour le prier de laisser sortir son
protégé, « craignant, disait-il, que le sang de ce pauvre innocent ne
fût répandu avec celui des autres ». La lettre produisit son effet, car
l'après-midi du jour où elle fut envoyée, le jeune dément fut autorisé
à quitter la ville et, accompagné de sa garde, vint rejoindre le comte
de Rassenghien à Orcq, où celui-ci avait son quartier militaire (99).
Dans Ia journée du 28 novembre, le conseiller pensionnaire de la
ville, maître Dubois, crut de son devoir d 'exposer au sire d'E,stréelles,
au Conseil de guerre et aux conseillers de Tournai l'é,tat de la défense
et les mouvements divers qui agitaient la population. Il exposa qu'il
était temps d'éviter le sac et la ruine de la cité et proposa d'entendre
l'intention des notables et du peuple pour savoir s'ils désiraient
entrer en pourparlers avec l'ennemi et se rendre à des conditions
raisonnables, ou s'ils étaient décidés à mourir tous aux remparts. Le
sire d 'Estréelles, considérant que la situation était réellement critique,
déclara qu'il accepterait de traiter avec le prince de Parme si telle
était la volonté des habitants, et à condition que le Conseil de guerre
fût daecord.
Les notables, réunis à cet effet, se prononcèrent unanimement en
faveur de l'ouverture des négociations (100).
Dans la nuit précédant le 29 novembre, d'Estréelles avertit par
lettre le sire de Rassenghien, qui était son ami. Rassenghien alla
porter la nouvelle, à minuit, au prince de Parme. Aussitôt celui-ci
33
·différa l'explosion des mines qui avaient été préparées et contre-
manda l'assaut qui devait avoir lieu à I'aube (101).
Dans Paprès-midi de ce jour, les conseillers de la ville s 'assem-
blèrent une nouvelle fois avec les notables et des délégués du peuple
pour aviser aux moyens de- traiter avec le prince de Parme. On
députa vers celui-ci, au nom de la ville, Florent Bernard, sire
d'Esquelmes, maïeur des échevins de la cité, le sire de Baudignies et
le pensionnaire Dubois. Ces parlementaires quittèrent Tournai par 'la
porte de Sept-Fontaines et se rendirent au camp de Farnèse (102).
Celui-ci leur communiqua les conditions de la capitulationvaprès
avoir pris connaissance de trois écrits que les parlementaires lui
présentèrent, respectivement de la part de la rprincesse d'Épinoy, de
la part du sire d''Estréelles, et de la part du magistrat et du conseil
de Tournai. Les assiégés insistaient surtout pour obtenir, en leur
faveur, le maintien des clauses de la Pacification de Gand (103).
Alexandre Farnèse se montra extraordinairement clément. Il
déclara qu'il n'était pas 'besoin de traité pour ce qui regardait la
princesse d'Épinoy. Elle pourrait sortir avec toute sa maison et
emporter ce qui lui appartenait ainsi qu'à son mari. Ls gouverneur
de la ville, d'Estréel,les, pourrait également se retirer en paix avec
sa famille, ses armes, ses chevaux et ses meubles et s 'en aller là où
bon lui semblerait.
Aux officiers et soldats de la garnison, tant étrangers que gens
du pays, le prince accordait le traitement le plus favorable : il les
laisserait sortir portant leurs enseignes sur l'épaule, gardant leurs
armes, la mèche allumée, ainsi que leurs tambours, leurs biens per-
sonnels et leurs bagages, Les blessés et les malades jouiraient du
même traitement dès qu'ils seraient guéris, et à tous on donnerait un
sauf-conduit et l'escorte nécessaire pour les accompagner en sécurité
jusqu'à l'endroit qu'ils auraient choisi pour ee fixer.
Farnèse était, de plus, prêt à recevoir tous les bourgeois en la
grâce et la sauvegarde du Roi, leur accordant le pardon complet de
toutes les offenses passées et leur promettant qu'à l'avenir personne
ne serait recherché pour des crimes dont il aurait pu s'être rendu
coupable. Le maintien de tous les anciens privilèges et des coutumes
de la ville était garantLTous les bourgeois pourraient librement
continuer à demeurer à Tournai, à condition d'y vivre « sans scan-
(lOi) Liber relationum, fo 202.
(102) llUmoires sur le siège de Tournai, p. 29 et pp. 45-46.
{i03) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 46. .
34
dale » (au point de vue religieux) et selon les légitimes ordonnances
de Sa Majesté. Les calvinistes et autres qui ne voudraient se
soumettre à ces ordonnances et vivre en accord avec elles pourraient
se retirer, endéans un terme il, fixer. où bon leur semblerait, emportant
tous leurs biens.
D'autre part, les habitants devaient rendre tout de suite 'la ville
et la citadelle, avec l'artillerie et les munitions qui s 'y trouvaient, et
reconnaître le Roi pour leur seigneur et prince naturel, lui rendant
la juste et due obéissance.
La seule condition onéreuse exigée par le prince fut le paiement
d'une somme de 200.000 florins destinée à payer les frais du siège et
à donner satisfaction aux soldats, qui auraient pu espérer se livrer
au sac de la cité.
En revanche, Farnèse s'engageait à traiter dorénavant les bour-
geois « avec douceur et humanité » et à ne pas les charger d'une
garnison plus considérable qu'il n'était nécessaire pour la sûreté dû
la ville (104).
On pourrait difficilement imaginer conditions de reddition plus
clémentes vis-à-vis d'une population qui comptait un nombre consi-
dérable de sectaires et d'agitateurs et qui avait repoussé avec dédain
les offres avantageuses faites en 1579 lors du Traité d'Arras. S'ans
doute, le prince de Parme appliquait ici les directives de mansué-
tude et de douceur que navait cessé de lui prodiguer Philippe II
depuis le début de son gouvernement en Flandre, mais la modération
qu'il afficha jusque dans les détails de la capitulation est tout à son
honneur. Il se montra d'ailleurs en ceci un politique très habile,
ménageant la susceptibilité des seigneurs wallons et leur prouvant,
sans contradiction possible, que les promesses de « bon » gouverne-
ment qu'il avait si souvent données n'étaient pas de vaines paroles.
Aussi, lorsque les parlementaires, rentrés il Tournai, eurent
communiqué ces conditions à l'assemblée du peuple et demandé si
quelqu'un avait à y contredire, aucune voix ne s'éleva.
C 'est le soir du 29 novembre, par mauvais temps et ciel sombre,
que les parlementaires tournaisiens s'en allèrent porter au camp de
Farnèse I'aceord complet de leurs mandataires (105). Aussitôt, le
prince de Parme donna l'ordre à ses soldats allemands d'occuper les
remparts et la porte ,saint-Martin, ce qu'ils firent en organisant « un
{104) D'après l'original de la capitulation conservé aux Archives de Tournai et publié
p-ar A. G.CnoTIN dans les Mémoires sur le siège de Tournai, pp. 46-49.
{'i05) .~fémoi1·es sur le siège de Tournai, p. 30.
35
terrible tintamarre» de tambours et de fifres, et en faisant joyeuse-
ment tournoyer leurs étendards (106).
Le lendemain, 30 novembre, jour de Saint-André, le reste de
l'armée roy.ale fit son entrée à Tournai (107).
36
avec beaucoup de courtoisie (113). La princesse d'Épinoy lui montra
nettement qu'elle ne voulait recevoir de lui aucune faveur et son
attitude fut si blessante que Montigny ne put s'empêcher de le lui
reprocher. Elle partit en sanglotant et, au moment où elle monta en
carrosse avec ses dames et ses demoiselles d 'honneur, elle était telle-
ment affligée, nous dit Paolo Rinaldi, qui fut présent à la scène,
« qu'elle semblait sur le point de crever de douleur ». EUe déclara,
encore une fois, « que si elle avait pu prévoir qu'elle devrait en
venir l'à, elle aurait fait mettre le feu aux quatrecoins de Tournai et
qu'elle se serait jetée dans le brasier. Puis, sans plus adresser la
parole à son frère ou à quiconque, et sans saluer le prince de Parme,
elle baissa les rideaux de son carrosse pour ne plus voir et ne pas être
vue» {114). Elle partit ensuite dans la direction de Gand pour y
rejoindre son mari.
En même temps qu'elle, s'en allèrent de Tournai un grand
nombre de prédicants calvinistes, qui se rendirent, les uns à Aude-
narde, les autres à Gand (115). Tous ces fugitifs, de même que la
princesse, quittèrent la ville en suivant le cours de l'Escaut et
employèrent des barques pour le transport de leur personne et de
leurs biens.
A peine la princesse fut-elle partie qu' Alexandre Farnèse vit
venir à lui un grand nombre d'ecclésiastiques, de prêtres et de gen-
tilshommes de Tournai. Ils lui firent connaître que, pendant 10 siège,
les objets précieux servant au culte et les ornements liturgiques de
valeur, ainsi que des meubles de prix avaient été transportés de-s
églises et des maisons à la citadelle, pour les y mettre, en sûreté, et
que toutes ces richesses venaient d'être emportées dans les bagages
de la princesse d'Épinoy au moment où elle avait quitté le, château.
Aussitôt le prince de Parme envoya le capitaine Carondelet avec
deux cornettes de cavalerie le long des rives de I'Escaut à la pour-
suite des barques, avec ordre de les faire revenir à Tournai. Lorsque
37
les 'bateaux eurent été ramenés, le magistrat, par ordre de' Farnèse;
les visita et fit restituer aux propriétaires légitimes les objets qui leur
appartenaient (116).
Après avoir introduit à la citadelle, après le départ de la prin.
cesse d'Épinoy, une garnison de 100 soldats allemands, le prince de
Parme fit 'son entrée triomphale dans Tournai, le 1er décembre, jour
de la fête de Saint-André.
II y pénétra, monté sur un magnifique coursier, et faisait porter
par son guidon, qui chevauchait derrière lui, sa lance et son équipe-
ment précieux des grandes circonstances. Il était suivi du comte
Pierre-Ernest de Mansfelt et du marquis de Richebourg, des conseil-
lers d'État et de guerre, de tous les colonels, des gens de sa cour et
de ses « aventuriers » ou volontaires (117). Il fut reçu à la porte
Saint-Martin par le chapitre de la cathédrale, à la tête duquel mar-
ehait l'archidiacre Cottereau, portant la relique de la Sainte-Croix.
Un long cortège d'ecclésiastiques et de religieux s'était joint au cha-
pitre. Le magistrat de la ville reçut le vainqueur dans l'attitude d'une
humble soumission et jura en sa présence obéissance et fidélité au
Roi. Après être descendu de cheval devant la cathédrale, Alexandre
Farnèse pénétra sous les voûtes du magnifique édifice, où rêsonnè-
rent bientôt les accents triomphants du Te Deum laudamue (118).
On peut s'imaginer la joie des catholiques qui, sous le régime calvi-
niste qui venait de s'écrouler, n'avaient connu qu'humiliations et
spoliations et qui se félicitaient du départ de tous les sectaires, dont
(H6) Liber relationum, fo 102'°; STRADA,0, c., t. III, pp. 305-306. Ces deux témoins
sont formeIset s'accordent entièrement jusque, dans les détails du nécit. On a mis en
doute J'exactitude de ces données, sous prétexte que le magistrat avait ordonné, pendant
le siège, de faire porter à la halle de la ville tous les objets en or et en argent, pour
fil faire de la monnaie obsidionale, et que, puisque ces richesses avaient été remises aux
halles entre les mains des « orfèvres » publics, la princesse d'Epinoy n'aurait pu les
emporter du château. {A. G. CHOTINdans les annexes des .Mémoires sur le siège de Tournai,
pp. 39-40). Mais il ne s'agit pas ici d'argenterie. Il 'est question d'objets de culte, de vête-
ments liturgiques et de meubles, qui ne pouvaient, certes, servir à fabriquer de la monnaie
obsidionale. Il n'y a aucune raison pour mettre en doute le témoi-gnage d-e Paolo Rlnaldi,
qui tétait sur place au moment où les faits durent se passer. Rinaldi n'accuse d'ailleurs
pas la princesse d'Epinoy: il affirme seulement que tous ces objets turent emportés avec
ses bagages personnels. La responsabilité de la princesse n'est pas, de ce fait, direc-
tement engagée. Il est très possible que, dans la précipitation du départ, des serviteurs
et les gens de sa maison aient emporté tout ce qui se trouvait au château, évidemment
non sans savoir qu'ils commettaient un vol. ,Ce n'est pas pour :v1en.ger l'honoratnllté de
la princesse qu'il faut récuser le témoignage ïœmel de témoins dlgnës de toute oréancè,
(117) Liber rdattonum, fo 103.
{HS) Liber relationum, fO 103'°; Mémoires sur le siège de Toumai, p. 32.
38
Tournai avait été pendant longtemps le re-fuge et le quartier
général (119).
(H9) Mémoires sur le siège de Tournai, p. 32; STRADA, o. C., t. III, p. 306. Très signt-
ficatif à ce sujet est le contenu des lettres patentes données par Farnèse en faveur d'habi-
tants de Tournai, le 1'5 mai 1582, et dont le texte Sietrouve dans Correspondance de Gran-
velle, t. IX, pp. 678 svv.
(120) Mémoires Sur le siège de Tournai, p. 33.
39
provinces réconciliées (121). De plus, une forteresse principale des
rebelles avait pu être emportée, sans que le prince d 'Orang-e ou les
troupes des États eussent eu la possibilité de lui porter secours. Le
fait de Maëstricht venait de se répéter et ainsi s'accrédita peu à peu
l'opinion que Farnèse preneur de villes était réellement invincible.
Aussi, à Gand, à Bruxelles, à Anvers, la foule murmura de
nouveau contre le prince d 'Orang-e. Les Bruxellois, très excités, se
répandirent en récriminations: « Nous avons été vendus par nos
chefs : voilà le beau service que nous réservait Alençon. Nous per-
dons nos cités l'une après l'autre, sans qn 'on leur porte secours.
Nous donnons tout ce que nous pouvons et nous voyons tout tomber
en confusion, sans qu'on fasse le moindre prog-rès ! » (122). A Brug-es
et dans d'autres villes de Flandre, la panique s'empara des bourgeois,
qui firent partir en secret leurs biens les plus précieux (1'23). Le
prince d'Orang-e se vit oblig-éd'y envoyer cinq compagnies de soldats
anglais, Ces renforts furent suivis de 800 soldats flamands et de
trois cornettes de cavalerie (124).
Ainsi, l'armée des États qui tenait la campag-ne se disloqua
presque instantanément. Le Taciturne avait d'ailleurs lancé d'Anvers
l'ordre à toutes les places fortes de recevoir dans leurs murs les
garnisons qu'il destinait à leur défense. Seules les troupes fran-
çaises envoyées par Alençon et commandées par Rochepot furent
obligées de rester en campagne, car nune part on ne voulut les rece-
voir dans les villes murées. Ils finirent par se loger dans la région de
L'Ecluse. La cavalerie française qui devait les rejoindre, venant de
Gravelines, se dirigea aussi de ce côté. Elle n'était d'ailleurs pas
redoutable : « C'est la cavalerie la plus pauvre qui ait jamais servi
dans une guerre quelconque. Triste !Triste ! » écrivait Stokes à
Walsingham (125).
La situation des États avait paru en ce moment tellement grave
et le mécontentement s'était manifesté de façon si violente que le
(12'1) Farnèse ïéortvit au RQi pour lui annoncer sa victoire et fit remarquer à ce propos
que « la possession de Tournai fermait désormais aux Flama,nds l'entrée des provinces
wallonnes, tandis qu'elle ouvrait aux Malcontents les portes de Flandre ». {STRADA,o. C.,
t. III, p. 307). Voir Ile texte dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire,3· Sé1'[8,
t. XIII.
(122) Lettre de Frernyn à Watsmgham, Anvers, 10 décembre 1581 (F01'eign Caienaor,
1581, n- 419).
(123) StQk€8 à Walsingham, Bruges, 10 'décembre 1581 {Foreign Calesuiar, 158-1, n° 420).
(124) Stokes à Walsingham, Bruges, 14' décembre 1581 ,(Foreign Calendar, 1581, nO 427).
{125) Foreign coienaor, 1581,n° 420).
40
Taciturne convoqua les députés des États 'Généraux à Anvers et leur
adressa un vigoureux et clairvoyant discours (126). Cette assemblée
eut lieu le jour même où le prince de Parme entra en vainqueur à
Tournai.
Après avoir rappelé qu 'après le départ de l'archiduc Mathias,
il n'avait provisoirement accepté la direction générale des affaires
qu'à la prière expresse que lui en avaient faite les États Généraux
réunis à Amsterdam, le Taciturne affirma qu'il se voyait obligé en
conscience d'examiner la situation telle qu'elle se présentait en ce
moment et d'indiquer quelles mesures s'imposaient pour la redresser.
Il n'était pas possible de nier, affirma le prince, que pendant
l'année 1581, l'ennemi ava:it été maître de la campagne, sans toute-
fois pouvoir exécuter de grandes entreprises. Ses forces principales
avaient été concentrées du côté du Hainaut et de l'Artois. C'est
qu'il savait quelle importance présentait pour lui la sécurité de ces
régions, surtout la possession de Cambrai et de Tournai, dont les
États ne s'étaient peut-être pas assez préoccupés. Si F'arnèse avait
pu s'emparer de Cambrai, depuis longtemps il serait déjà maître
de TOUTnaiet logé dans le pays de Flandre et de Brabant, au grand
dam de la cause nationale.
,Si Tournai était aujourd'hui assiégée, sans qu'on eût pu la secou-
rir, il importait d'examiner à qui en incombait la faute. « Je réponds,
s'écria le prince d'Orange, que la faute en est à vous, Messieurs, et
aux autres qui avez rejeté mon conseil de prendre à notre service
3.000 cavaliers étrangers et deux régiments de « corselets ». Si vous
aviez eu prêtes les forces que je vous avais demandées, lorsque le
duc d 'Anjou s'est porté au secours de Cambrai, et si vous aviez joint
ces forees à celles du duc, nous serions à présent débarrassés de la
guerre et nous eussions chassé l'ennemi, le refoulant au-delà de la
Meuse. »
Le prince avertit ensuite les députés que pendant l'année qui
allait s'ouvrir, ils se trouveraient en face d'une situation pire encore.
Il leur reprocha leur nonchalance, au moment où l'on pouvait
entendre à Anvers le bruit des canons qui battaient les murs de
Tournai. L'origine de ce « mal incroyable» se trouvait dans le fait
que chacun était plus préoccupé de ses intérêts particuliers que de
(126) Renwnstrance taicte par son Bœcelience en Anvers ce premier jour de decembre
à Messieurs les Estats, 1581, plaquette conservée à la B. N. P., ms. français 9018, fo 413.
Ofr aussi GACHARD, Correspondance de Guillaume le Tacttume, t. IV, p, 364, p. 397.
l'intérêt général. « Lorsqu'on en parle au peuple, s'écria le prince,
ce peuple ne pense pas que cette guerre est sa guerre, comme si l'on
ne combattait pas pour la liberté des corps et la liberté des con-
sciences! C 'est de là que vient cette autre, faute : I!Ol~SqU'on demande
des subsides, sans lesquels ni moi ni personne d'autre nous ne pou-
vons faire la guerre, les gens en traitent et répondent comme s 'ils
vivaient au temps de feu Charles-Quint. Et ce que je dis) je ne le dis
pas à cause du désir que j'ai d'employer moi-même ces subsides
publics, auxquels, vous le savez, je n'ai jamais touché - quoique
quelques détracteurs en aient parlé autrement, contre leur con-
science -, mais je le dis afin qu'une bonne fois, Messieurs, vous pensiez
qu'il n 'y a guerre en ce pays que la vôtre, et que, lorsque vous
délibérerez, vous vous souveniez que vous délibérez sur ce qui est
vôtre! Comme nous avons une cause commune, ainsi nous devons
tous être unis, <le que jusque maintenant nous n'avons pu obtenir! »
Pour mettre encore plus en lumière l'esprit partieulariste des
provinces, si opposé à l'intérêt de « la généralité » ou commune
patrie, le prince montra comment chaque province avait son conseil,
et presque chaque ville, chaque région avait ses forces, son argent,
au point que ce qui aurait constitué une grande force et richesse
pour tous ensemble, représentait en réalité fort peu pour un chacun.
« TI est vrai, continua-t-il, qu'on a établi un conseil, mais qui
n'a aucune puissance (127), car là où il n 'y a point d'autorité, com-
ment y aurait-il une règle pour la discipline militaire, pour les
finances, pour la justice et toutes autres choses ~ Quant à l'autorité,
il n-y en aura jamais pour ceux qui ne possèdent un seul patard à dis-
tribuer, comme ni moi ni le Conseil nous n'en avons. »
Le Taciturne supplia ensuite les députés de faire comprendre
ces vérités à tout le peuple, afin que) dans la suite, on n'imputât à lui
la responsabilité des désastres qui allaient se produire.
~127) Voir sur ceci DE PATER, De Raad van State nevens Mathias.
42
struire (128), le prince de Parme s'était établi de façon définitive dans
la vine de Tournai. Il décida d 'y fixer sa cour et il y organisa son
gouvernement, qui y resta jusqu'à la prise de,Bruxelles en 1585 (129).
Il s'entoura d'une garde composée d'un cornette de Bourguignons et
d'une compagnie d'Allemands, 'et confia le gouvernement de la vine
au haron de Licques (130). Le 31 décembre, il reçut d'ailleurs de
Philippe II la nouvelle qu'il serait désormais, seul, gouverneur géné-
ral des Pays-Bas, à titre définitif. Le Roi lui en expédia la commission
nécessaire,en ajoutant que, si le prince le jugeait préférable, il pou-
vait tenir ces pièces secrètes (131).
Désormais maître de la situation, Alexandre Farnèse se sentit
plus fort vis-à-vis des seigneurs wallons, que, jusque-là, il s 'était
cru obligé de ménager beaucoup. Sans changer d'attitude à leur
endroit, il leur montra cependant qu'il était le chef du pays lorsqu'ils
se plaignirent de ce que Tournai eût été obligée d'accepter dans ses
murs une garnison de soldats wallons et allemands (132). Il leur
reprocha en conseilleur attitude frondeuse et affirma que rien, dans
le traité de réconciliation de 1579, ne l'empêchait de mettre à sa
volonté des garnisons dans les villes qui n'avaient pas été comprises
dans ce traité, et qu'il ferait d'ailleurs de même dans toutes les
autres places dont, avec l'aide de Dieu, il se rendrait maître dans la
suite. Cette déclaration nette et ônergique mit fin à l'incident et per-
sonne n'osa y contredire (133).
(128) ceei a été bien mis en lumière par 1\'I.N. JAPlJŒE, dans son étude Prins Will.em
en de Generate Unie (1576-1581), publiée dans lVilhelmus van Nassouwe, pp. 14.5 svv.
,(129) Liber relatumum, s- 105; STRADA, o. C., t, III, p. 308; PIERRE DE Co-LINS, O. C.,
p. 612; CAMPANA, Della guerra dI Fiandra, pacte 23, fos 30'°-31; Foreign Calendar, 1581,
n- 43:1.
(130) STRADA, o. C., t. III, p. 308.
(131) Le Roi à Farnèse, Lisbonne, 31 décembre 1581 (1\. G. R, Copies die Simancas,
vol. 14, r- 315).
,(132) Les agents anglais aux Pays-Bas s'empressèrent de signaler ce mécontentement
à Walsingham, Ils furent mis au courant par des lettres de M. de Bassengnien. qui avalent
été interceptées (Ros.~lJ à Waleingharn, Camp d'Eecloo, 19 janvier 1582, et Stokes à
Walsingham, 'Bruges, 21 janvier 1582, dans Foreign Calendar, 1582, n= 510 et 512).
(133') STRADA, o. C., t, III, p. 308.
43
CHAPITRE II.
{il STRADA,O. C., t. Hl, pp. 288~29i; Relation de Farnèse sur les affaires de Frise dans
'B. N. P., ms, eepagnoâ 182, fo 313'°. Cfr aussi la 'lettre écrite par le conseüler Georges
Westendorp à Farnèse, le 3 octobre 1581, dans les Bulletins de la CommisSion royale
d' histoire, 2" sér. t. IX.
(2) 'B. N. p" ms. espagnol 182, r- 3'15'°.
Déjà pendant le S18gede Tournai, nous l'avons vu, Alexandre
Farnèse s'était rendu compte, qu'il faudrait absolument faire revenir
les troupes espagnoles, si on ne voulait pas s 'exposer à perdre défini-
tivementce qui avait été gagné au prix de si pénibles efforts. Ce plan
du retour des forces étrangères n'avait d'ailleurs jamais cessé de
hanter son esprit (3).
De nouvelles complications qui menaçaient de surgir le confir-
mèrent plus que jamais dans son idée. Le 10 décembre 1581, Marnix
de Sainte-Aldegonde, que le Taciturne avait envoyé à Londres pour
y garder' le, contact avec le due d 'Alençon, re'çut la nouvelle de 13,
prise de Tournai. Des instructions lui parvinrent en même, temps, le
chargeant de renouveler auprès du prince français les instances de
nature à le faire revenir aux Pays-Bas (4). L'ambassadeur espagnol
auprès d'Élisabeth d'Angleterre, Bernardino de Mendoza, Ile man-
qua point de mettre le prince de Parme au courant de ces faits (5).
Farnèse en conclut que le danger de l'intervention des Français,
qui l'avait toujours si vivement préoccupé, allait réapparaître plus
menaçant que jamais. Il n 'hésita plus.
Il résolut de préparer sans tarder le retour des troupes espa-
gnoles aux Pays-Bas. Le Roi était gagné depuis quelque temps déjà
à l'idée de ce retour. Instruit régulièrement pal' le prince de Parme
des déficiences des troupes nationales (6).,le souverain avait fini par
comprendre que la clause du Traité d 'Arras, permettant éventuelle-
ment la rentrée des soldats étrangers, devait être invoquée, sous
peine de s'exposer à un désastre.
Le 3 avril 1581, répondant à F'arnèse, qui lui avait exposé un plan
d'opérations de vaste envergure sur lequel nous reviendrons, Phi-
lippe II lui avait posé la question: « Avec quels soldats exécuteriez
vous ce plan? » et il avait répondu lui-même en ces termes: « Les
(3) Vole! De qu'il écrit à sa mère le 28 janvier 1582: « Se non havera U consenso in
generale di questl Stati di pater mandar qua Spagnoli, chiara casa è che, conforme ai
capitoli della rlconcilatione et a corne I'Interpretano questi nostri consigUeri, et anco
i principali, che devono dar vota In questa congregaüone delli detti Stati, S. Maestà è in
termine di poterli rnandar, ,se vuole, poiche Franoesi tengono Cambra)' et nanno gente ln
attre piazzeet si prepara il duca d'Aûansone per venir armato 0 pigHar indebitamente la
possessione di questi stati, » (Correspondance de Granvelle, t, IX, p. (16),
(4) KERVYNDE LET'TENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. VI, p. 247; Marnix au
Conseil d'Etat, Londres, 10 décembre 1581 (MÜLLER et DIEGERICK,o. C., t. IV, p. 262).
(5) Mendoza au Roi, Londres, 17 décembre 1581: « J1envoie une dépêche spéclale
au prince de Parme pour l'informer de tout oect » (Spanish Caienâa», 1581, nv 239).
1(6) Voyez en quels termes énergiques il en avait écrit au Roi, en août ou septembré
1581, dans P. FEA, O. C., p. 137.
45
soldats italiens n'ont pas encore été recrutés et les Espagnols ne sont
pas bien vus en Flandre. Le problème est très difficile, et n'offre pas
de solution, à moins que, voyant le peu de résultats qu'a produits le
fait de renvoyer les soldats étrangers dans l'espoir de calmer l'esprit
des rebel1es,et se rendant compte, d'autre part, de la grandeur de
Peffort qui reste à faire, les provinces réconciliées ne se laissent
amener à accepter le retour des troupes espagnoles et italiennes.
Essa.yez de les convaincre. » (7),
Le 18 décembre, le Roi était revenu à la charge et avait conseillé
à Farnèse de, travailler prudemment dans ce but les villes et les
ecclésiastiques des provinces wallonnes (8).
C'est ce que le prince de Parme avait commencé à faire, immé-
diatement après son entrée à 'I'ournai, avant que les suggestions du
Roi ne lui parvinrent, Se faisant, encore une fuis, aider par Jean
<Sarrazin, abbé de Saint-Vaast, il réussit à circonvenir 'en peu de
temps les membres du clergé, dont l'appui était précieux et avait été
de si grand poids en 1579 (9). Le peuple des villes fut gagné aussi
assez rapidement, tant par l'action des ecclésiastiques que par le
mécontentement qui se manifestait chez lui à l'endroit de la noblesse.
Les masses populaires, sur lesquelles retombait le plus lourdement le
poids de la guerre, -et qui en souffraient le plus, commençaient à
murmurer contre l'obstination des chefs, qu'elles accusaient de vou-
loir tirer la lutte en longueur parce qu'ils en profitaient et qu'ils en
retiraient honneurs et charges (10).
En somme, la foule wallonne manifestait ce même sentiment de
jalousie et de défiance dont nous avons constaté la virulence
dans le parti du prince d'Orange. Cette foule avait d'ailleurs été
impressionnée par la modération et la clémence du prince de Parme
et avait constaté, non sans étonnement, qu'il gardait fidèlement sa
promesse de « bon gouvernement» (11).
«7) Philippe II à Farnèse, 'l'omar, 3 avril 1581, dans A. G. R., Copies de- Simancas,
vol. 14,r- 181.
(8) A. G. R., Copies de Simaneas, vol. 14" r- 309.
(9) « Que por vias y negoçiaçiones secretes tenia ya grangesdo alos ecoleslasticos ... »
Lettre de F8Jrnèse, du 12 janvier 1582 (8. N. P., ms, espagnol 18'2, fo 315'°). - «lHabioodo
ya ganado y no sin artiücio al abbad de San Vast que esta aqui » Farnèse au Roi, Tournai,
12 janvier 1582 (A. G. R., Copies de Simaneas, vol. 15, non folioté).
(10) Lettre de Farnèse, 12 janvier 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182, loc. cit.).
(H) Lettre de Fannèae, 12 janvier 1582, toc. cit. Le fait que c'est le prince de Parme
qui I'affirme ne doit pas nous faire douter de la vérité de ses paroles, car elles cadrent
très bien avec ce que nous savons.
46
Lorsque le prince [ugea que le terrain avait été suffisamment
préparé, il convoqua une grande assemblée à Tournai, où se retrou-
vèrent les États d 'Artois, du Hainaut, de Lille, Douai et Orchies, les
membres du Conseil d'État et de guerre, ceux du Conseil privé, ceux
des Finances. Farnèse leur exposa clairement la situation. Après
avoir montré combien le prince d'Orange dominait encore les rebelles,
il leur fit comprendre qu'avec l'armée nationale seule, il n'était pas
possible de vaincre l'ennemi. « Tl faut, dit-il, une armée considérable,
qui doit servir non seulement pour défendre les provinces obéissantes,
mais aussi pour chasser l'ennemi des provinces qu'il occupe encore.
Pour constituer cette armée, il faut rappeler les troupes étrangères à
la solde de Sa Majesté, » (12)
Les États ayant demandé le texte du discours du prince, le com-
muniquèrent à leurs mandants et en discutèrent sérieusement. Ils se
trouvèrent assez rapidement d'accord pour accepter le retour des
soldats espagnols. Les conseils de Brabant, de Namur, de Luxem-
bourg et ceux des provinces réconciliées (13) se prononcèrent dans
le même sens.
'Cependant, la partie n'était pas encore gagnée: les chefs des
troupes wallonnes et les principaux nobles persistaient dans leur
refus. Lecomte de Lalaing, surtout, redoutait l'arrivée des Espagnols.
N'avait-il pas été le premier à se mettre en rapport avec le duc
d'Anjou et le Roi ne lui tiendrait-il pas rigueur de cette trahi-
son Mais, d'autre part, comme il' s'était réconcilié avec le Roi, il
î
navait plus rien à craindre des Français. Aussi était-il travaillé par
le doute et en proie là des sentiments contradictoires (14). Pour le
convertir à l'idée, du retour des troupes étrangères, le prince de
Parme eut recours à l'intermédiaire el'un Espagnol, qui était au ser-
vice de Lalaing Grâce à cet homme, le grand bailli de Hainaut se laissa
assez facilement persuader. Il finit par admettre que 5.000 Espa-
gnols Ht 4.000 Italiens pourraient, le plus vite possible, revenir aux
Pays-Bas, mais ils ne pourraient occuper aucune ville ou forteresse,
et ne seraient pas employés dans les provinces réconciliées. On les
H2) Liber reiatumum, fo 105vo-106. Les agents anglais aux Pays-Bas signalent à
Walsingham cette importante réunion, mais, insuffisamment renseignés, 'la placent à
Douai, (Rossel! à Walsingham, Camp d'Decloo, 19 janvier 1582 et Stokes au même, Bruges,
21 janvier 1582, dans Foreign Ctüetuicr, 1582, nOS 510 et 512).
(iS) Liber relationum, fo 106vo. - Il s'agit, évidemment, ici du Conseil de Brabant
que Farnèse avait établi à Louvain, et qui était différent du Conseil de Brabant des
rebelles, siégeant à Anvers.
(iII) STRADA, o. C., t. III, p. 320.
47
utiliserait uniquement pour reconquerir le reste des Pays-Bas (15).
Farnèse fut très heureux de cette volte-face de Lalaing, mais il
voulut être sûr que le versatile seigneur ne changerait plus d'avis.
Ayant remarqué que la comtesse de Lalaing, Marguerite de Ligne,
exerçait une très grande influence sur son mari et dominait celui-ci,
il profita creisfêtes de Noël poureller la saluer. Ileut avec BlHe une
entrevue, dans la journée du 6 janvier 1582, parvint à la convaincre
de Ta nécessité du retour des soldats étrangers et en obtint la pro-
messe qu'elle forcerait son époux à rester ferme dans sa décision (16).
De Montigny, Farnèse semble avoir été sûr, mais il redoutait
l'obstination et l'influence malfaisante du marquis de Richebourg.
Lorsque, vers la mi-janvier, les bons sentiments du Brabant, de la
Frise, de la Gueldre, et le consentement des villes, du peuple et du
clergé ne laissaient plus de doute, il résolut d'avoir une conversation
définitive avec Richebourg (17).
Il lui déclara qu'il voulait lui parler non comme gouverneur
général des Pays-Bas s'adressant à un sujet du Roi d'Espagne, mais
comme un ami parlant à un ami. Il lui fit comprendra que, maintenant
que presque tout le monde était prêt à accepter le retour des soldats
espagnols, lui, Richebourg, ne pouvait pas rester seul dl) son avis.
« Je n'ai pu souffrir plus longtemps, dit-il au marquis, que vous
soyez le dernier dans les bonnes grâces du Roi, vous que j'ai toujours
voulu pousser au premier rang des favoris du souverain. »
1(15) Farnèse au Roi, Tournai, 12 janvier 1582 {A. G. R, Copies de Simancas, vol, 15,
non folioté). Comparez 'le récit de STRA,DA, o. C., t, III, pp. 320-321. D'après oelui-ci, c'fest
le serviteur espagnol qui, Sie sentant en butte à la haine du prince de Parme, imagina
lui-même, pour se f.aire bien voir, de suggérer à son maître d'accepter le retour dies
soldats étrangers. La correspondance du prince de Parme ne laisse supposer rien dè
pareil et nous nous en tenons ic.j à ce que Farnèse raconte lui-même au Roi. D'après
Paolo Rinaldi, dans son Liber relationum, fo 106vo, Parnèse aurait gagné Lalaing par
l'intermédiaire de Montigny, en flattant c-a dernier et en lui laissant entrevoir le comman-
dement des troupes étrangères qui viendralcnt aux Pays-Bas, Enthouslasrné par les
promesses et les rlatteries de Farnèse, Montigny aurait suggéré à Lalaing d"écrire une
lettre au prince de Parme pour Ile supplier de faire revënlr les tr oupes étrangères, afin
àe gagner ainsi les bonnes grâces du Roi. Malgré l'autorité que nous attachons au témod-
gnage de Bfnaldl, nous ne pouvons le suivre ici, car il résulte de Ia lettre que Farnèse
écrivit au Roi le 12 janvier que Lalaing était déjà ga,gn1é avant que le prince ne sût
exactement quels étaient les sentiments de Montigny. Ge jour-là, en effet, Farnèse écrit
au Roi: « D'après ce qu'ill semble, M. de Montigny aurait les mêmes sentiments [que
Lalaing]. »
(16) Farnèse écrit au Roi, dans sa lettre du 12 Janvier (loc. cit.) qu'il a eu recours
aux bons offices de Madame de Lalaing « porque enestos estados, como Vuestra Mages-
tade sabe, puedan muchos las mugeres con sus maridos y mas la dei dioho conde, que
le gobierna absolutamente ». Cette influence des femmes est signalée, comme un fait
spécial à la Flandre, dans Ia plupart des rapports des ambassadeurs vénitiens.
(17) Fa'l'nèse au Roi, Tournai, 12 janvier 1582 {loc. cit.).
48
,
Farnèse démontra ensuite que le retour -des Espagnols n'ôte-
raitau marquis aucune des charges qu'il possédait. Il lui promit de
lui laisser le commandement de toute la cavalerie, y compris la cava-
l'erie èspagnole-Tl lui assura aussi' qu'il n'avait rien 'à craindre pour
sa' personne du retour des troupes étrangères : celles-ci ne seraient
employées que contre les ennemis du Roi. Farnèse s'engagerait même,
pour garantie de sa promesse, à donner son propre fils en otage à
Richebourg. «Ecoutez-moi, poursuivit Farnèse, et suivez l'avis d'un
ami fidèle. Je dois envoyer, un courrier en Espagne pour faire con-
naître au Roi que les provinces wallonnes ont enfin changé d'idée.
Demandez vous-même par une lettre au Roi le retour des forces
étrangères :je joindrai votre lettre à mes dépêches et ainsi par vous,
avant tous les autres, le souverain apprendra la bonne volonté des
Wallons. Ayant reçu de vous la satisfaction et la joie, il vous donnera
la première et la plus belle récompense de cette action. » (18)
.c'était suprêmement habile. Farnèse savait comment toucher
l'orgueilleux Richebourg et comment tranquilliser ses craintes. Aussi,
le résultat fut décisif. Richebourg promit à Farnèse de faire, Bans
arrière-pensée, ce qu'on attendait de lui. TI tint parole (19).
Il fit tant et si bien auprès des nobles wallons qui' hésitaient
encore que, une quinzaine de jours après, F'arnèse put écrire au Roi :
« Les négociations avec la noblesse pour le retour des Espagnols
sont 'en bonne voie: Lalaing, Richebourg, Montigny, l'abbé de Saint-
Vaast et le comte de Hennin font de la propagande en Artois. Il ne
reste plus qu'à rallier le duc d'Aerschot, auquel j'ai adressé les lettres
nécessaires. »
Et, comme en 1579, le prince de Parme priait Philippe II de se
montrer généreux. Il lui demandait de donner une, ayuda de costa et
la patente de gouverneur du Hainaut au comte de Lalaing. Pour Mon-
tigny, qui ambitionnait le gouvernement de Flandr-e, il suggérait de
dépêcher la commission de général de l'artillerie. « Avec Mite com-
mission et un cadeau, il sera content » ajoutait-il. Quant au comte
de Hennin, il guignait la présidence du Conseil des Finances. « A lui,
(18) Nous connaissons, sinon le texte exact, dit moins 'le sens et les idées du discours
que tint Farnèse à Richebourg par la lettre que J:e prince afdlressa àce sujet au cardinal
de Granve'lle, le 19 avril, et d'ont Strada donne le contenu (0, c. t. III, pp. 322-323), A
comparer ce discours avec le récit de Binaldt il propos du 'ralliement de Montigny, on
s'aperçoit que, dans Cie récit, Binaâdl a confondu Rlohebourg avec Montigny.
(19) STRADA, 0, c. 1. III, pp, 323-324,
49
écrivait Farnèse, comme à tous ceux qui peuvent être utiles dans
cette affaire, je distribue de bonnes paroles et je leur promets de
faire tous les bons offices dont je suis capable. » (20)
Aux gouverneurs de provincesou de villes dont il connaissait
la dévotion à sa personne, le prince de Parme avait aussi envoyé des
lettres particulières, les priant de préparer les esprits en vue de
l'assemblée des États qui devait se tenir, une seconde fois, pour
prendre une décision définitive. Quant aux gouverneurs moins affec-
tionnés, il' se servit, une fois de plus, de l 'intermédiaire de leurs
femmes pour les amener à de meilleurs sentiments (21).
Toutes ces manœuvres habiles et prudentes, qui rappellent celles
précédant la réconciliation de 1579, eurent l'effet désiré. Comme
Farnèse 1e fit observer lui-même} il avait réussi à recouvrer l'affec-
tionqui avait été perdue par les maladresses des gouverneurs pré-
cédents et il avait enfin restauré la confiance (22), cette condition
indispensable pour donner au parti royal la cohésion qui lui avait
manqué jusque-là.
Aussi, le 8 février 1582, dans une lettre à Philippe II, c'est comme
un cri de triomphe qui éclate. L'assemblée des États s'était prononcée
unanimement pour le retour des soldats étrangers (2B) : « Béni soit
Dieu 1 écrit le prince, qu'enfin par sa grâce s'est accomplie la chose
que je désirais le plus au monde et dont dépend la conservation de la
sainte religion catholique, du service de Votre Majesté et de ce5
Pays-Bas 1 C'est un miracle. La manœuvre a été faite à l'aide de
personnes fort discrètes, qui, dans toutes les villes, sont allées pour
préparer la décision, -et le secret a été si bien gardé que personne ne
l'a surpris et que ceux qui auraient pu désirer entraver la marche des
affaires n'ont pas même eu la possibilité de le faire. » (24)
Peu de temps après, les gouverneurs de l'Artois, du Hainaut,
ainsi que de Lille, Douai et Orchies, s'en vinrent trouver Farnèse
(20) Tournai, 27 janvier 1582 (A. G. R., Copies de Si1nancas, vol. 15, non rolioté). -
« verdad es que no ha sido poca mafia, artiftcio y travajo para esto ... Con esta conûança
hable, como digo, a los mas prinolpales, que e110s han sido despues los que Io han enes-
minado y acabado bodo mejor de 10 que se podla esperar ... » Lettre du 1ft janvier 158ft
:B. N. P., ms. espagnol 182, fo 315vo-1t16).
{21) PIERRE DE COLINS', qui nous fait connaître ce détail (o. C., p. 620) ajoute ici: « Ge
que m'a raconté, beaucoup d'années après, une prlnclpale d'ame vesve, à qui ceste
prière, en la visitant, avolt esté faicte ».
(22) .« Havendose cobrado el amor queestos havian perdido dei todo a su Magestad,
y desterrado !ladiffidençia que havia ». {IB. N. P., ms .. espagnol 182, fo 316).
(23) Voir la lettredes Etats d'Artois et celle des Etats de Hainaut à Philippe II, du
2 et 5 fé:yrier 1582, dans la Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. 626 et 627.
(24) Tournai, 8 février 1582 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non folioté).
50
avec la résolution, rédigée en due forme, demandant au Roi de con-
sentir au retour des troupes étrangères. A cette occasion, le prince
pria le Roi de remercier chaleureusement le marquis de Richebourg,
à qui l'on devait qu'aucune limitation ou réserve ne fût insérée dans
la demande adressée au souverain (25).
Grâce à sa ténacité, à sa prudence, à sa souplesse (26), Alexandre
Farnèse venait de faire disparaître cet article V du traité de récon-
ciliation, qui lui avait toujours paru le plus dur comme aussi le plus
désastreux pour la cause royale en Flandre et pour la sauvegarde de
sa réputation personnelle.
51
victoires, si éclatantes soient-elles. il. prend, avec des actions de
grâces, du-Seigneur tout-puissant ice qu'il plaît à Celui-ci de lui
envoyer » (29) .
.D~jà, àpropùs de la victoire de Lépante, Philippe' II avait
démontré la vérité de cette observation. Elle se révélera encore -bellc
lors du -désastre de l'Armada (30).
M'ais laissons Dom Philippe Caverelet revenons à la. suite d8<S
événements.
Déjà avant ta décision définitive de-sÉtats, qu'on pouvait espérer
favorable, Farnèse avait averti le Roi, pour lé cas. où i'lrel1verrait
aux Pays-Bas les terçiosespagnols qui en étaient sortis en 1579,
qu'on devait re-tenir là-bas les maîtres de camp qui avaient laissé de
trop mauvais souvenirs, comme par exemple Don Fernando de
Tolède (31).' Après la décision des 'provinces wallonnes, Je prince pria
immédiatement Philippe II de lui renvoyer les trois terçios qui
étaient partis après Je Traité dArras.voomprenant 8.000 à 9.000
hommes au total. Il Iui demanda. aus-si de lever 4.0'00 Italiens, mais
en renforçant les compagnies, qui d'ordinaire ne comptaient que
200 hommes, jusqu 'au chiffre de 300. Le marquis de Richebourg qui,
depuis sa conversation, fais-ait du zèle, avait proposé de faire venir
tout de suite de Milan 1.000 soldats espagnols d'élite, mais le prince
de Parme repoussa cette proposition. Redoutant s'ans doute un piège,
iJ déclara que les troupes étrangères devaient rentrer aux Pays-Bas
toutes en une fois (32).
Au début de mars, Philippe II pouvait annoncer à son gouver-
neur général que tout était prêt pour le départ des deux terçios
espagnols de Don Fernando de Tolède et de Francisco de Valdès ainsi
que de la cavalerie qui avait quitté la Flandre en 1579 (33). Les
4.000 Italiens que Farnèse avait demandé de lever se trouvaient prêts
à Milan, répartis en deux terçios, dont le commandement avait été
confié aux maîtres de camp Mario Cardoino et Camillo del Monte.
Le prince de Parme fut autorisé à lever en Bourgogne 2.000 fantassins
52
et 1.600 cavaliers, et à y ajouter 2.000 fantassins-suisses, qui empê-
cheraient les Français de disputer le passage aux soldats espagnols
et italiens en route pour la Flandre (34).
Le rêve d 'Alexandre Farnèse était ainsi réalisê (35).
(34) Le Roi à Farnèse, Lisbonne, 9 mars 158~ «À. G. R., Copies de Simancas, VGI. 15,
non folioté).
(35) « Itaque, quod non produxlt prudentta; effecit necessitas » dit J. 'B. de TASSlS
dans ses Commentariorum de tumuitüius belgicis, p. 434, en parlant de la décision des
Wallons.'
(36) Farnèse .au Roi, Mons, 3 janvier 1581 (A. G. R., Copies de Bimamcas, vol. t4., fO 154),.
53
D faudra surtout fermer tous les passages par les cours d'eau et
supprimer le trafic avec l 'Allemagne. Dans ce but, des forts devront
être érigés sur la Meuse et le Rhin. Sur la Meuse, un fort devrait être
construit à 'I'olhuis, en Gueldre, et soutenu par la présence d'une
petite armée destinée à protéger cette région. Un autre fort serait
érigé à Isselmuiden, près de Kampen, qui pourrait s'appuyer sur les
forces royales se trouvant en Frise. On pourrait fermer la Meuse en
s'emparant de Heusden et du château de Lôwenstein, à la pointe de
l'île du Bommel. Un fort devrait ensuite être aménagé sur les deux
rives du fleuve, et ces ouvrages pourraient être soutenus par les
troupes de Bois-le-Due et par l'armée de campagne qui opérait dans
ces régions,
En Flandre, des forts analogues devraient être construits sur
l'Escaut et sur les principales rivières, de telle sorte que les Anver-
sois ne puissent secourir Gand, Bruges et les autres places impor-
tantes de ces provinces. Une armée royale opérant en Flandre ren-
drait impossible la levée des contributions dont vit l'ennemi. De la
sorte, les grandes villes flamandes ne pourraient tenir, car, pour se
défendre, elles ont <besoinde beaucoup de monde et d'une quantité
considérable de victuailles. Elles se rendraient poussées par la faim.
De cette façon, il ne, faudrait plus faire de si grosses dépenses, pour
l'artillerie et on pourrait se passer de faire des sièges, qui, en
épuisant l'armée, la rendent rapidement inapte à de grandes entre-
prises. Ces mesures devraient être complétées en entretenant en
Gueldre et en Brabant une petite armée, destinée surtout à tenir
l'ennemi en haleine.
Il faudrait ensuite interdire aux rebelles le commerce avec
I'Espagne : ce serait la ruine des marchands d'Anvers, ainsi que de
la HoUandeet de la Zélande. o.ns 'emparerait aussi des ports de
Dunkerque, de Nieuport et dOstende. Il suffirait d'y entretenir une
petite flotte pour inquiéter l'ennemi et y protéger I'arrivêe des vais-
seaux que le Roi enverrait d'E·spagne. Ce trafic serait fort utile aux
provinces réconciliées, en ce moment si pauvres et paralysées dans
leur commerce. Ce commerce pourrait d'ailleurs être revivifié aussi
en organisant et en protégeant les relations commerciales avec
Cologne et l'hinterland rhénan.
Pour réaliser ce plan, disait le prince de Parme, il n'était pas
possible de se fier aux chefs wallons et à leurs troupes. Ce qui s 'im-
posait,c'était la présence d'infanterie espagnole, de soldats expéri-
54
mentés et disciplinés, sachant comment combattre en Fl'andre, prêts
à souffrir tout, et qui consentent au besoin à rester trois ou quatre
mois sans solde. Les soldats allemandsétalent, certes, bons, mais on
n'en obtenait rien s'ils n'étaient pas payés à temps. Quant aux soldats
italiens, si Farnèse appréciait leur courage et leur audace, on devrait
encore les recruter et ce seraient ainsi des soldats neufs, dont les
faiblesses et les imperfections ne pourraient être corrigées qu'après
un temps assez long. Le noyau principal de l'armée devrait être
composé de vétérans espagnols.
En mars 1581, Philippe II fit savoir au prince de Parme qu'il
approuvait complètement l 'ensemhl's et les détails de ce vaste plan:
« Je suis prêt à suivre le chemin que vous tracez, écrivit-il, et à
user des moyens que vous préconisez ... On vous aventira en temps
opportun » (37).
Le consentement des provinces wallonnes au retour des troupes
espagnoles allait mettre entre les mains de F'arnèse l'instrument
indispensable à la réalisation de ses desseins. Certes, comme le
remarque avec beaucoup d'à propos P. Fea (38), ce vaste plan ne put
jamais être exécuté parce que les hésitations de Philippe II, l'envoi
trop parcimonieux de forces militaires, et surtout la plaie perma-
nente de l'absenee d'argent et pal' conséquent de solde enlevaient à
ce projet la. moitié de sa valeur et de son efficacité.
Il n'en reste pas moins vrai que, pour autant que les circon-
stances le lui permirent, l'e Prince de Parme ne le perdit jamais de
vue et qu'il essaya de le réaliser en partie avec les moyens trop
souvent inadéquats que le Roi mit à s'a disposition. Et, .avec P.
Fea (39), nous estimons que cette conception grandiose de la lutte
contre les provinces rebelles constitue, malgré tout, un des témoi-
gnages les plus frappants de l 'intelligence milita'ire d' Alexandre
Farnèse.
(37) Portalegre, 6 mars 1582 et. 'I'ornar, 3 avril 1582 (A, G, R., Copies de Sim an cas,
vol. 14, fo, 170 et 181).
(38) Alessandro Parnese, pp. 146-147.
(39) Atessanâro rarneee, p. 144.
55
OHAPITRE III.
56
que relevait un pourpoint blanc. Sous le prétexte d 'une requête
qu'il avait à présenter au prince, l'inconnu s'approcha du Taciturne
et déchargea sur lui son pistolet, à bout portant. Comme, au moment
du coup de feu, le prince s'était incliné pour prendre possession de
la supplique qu'on l'ni tendait, la balle l'atteignit au-dessus de l'oreille
droite, traversa Te palais et sortit par la joue gauche.
Les seigneurs et les gentilshommes présents) le premier moment
de stupeur passé, se jetèrent SUT l'assassin et le percèrent de leur
épée: les hallebardiers de Ta garde du prince l'achevèrent (2).
'"' . '"'
57
Dès qu'il fut certain que Jauregui s'exécuterait, Aüastro prit la
précaution de quitter Anvers. Sous prétexte d'affaires, il sortit de la
ville ù,e13 mars 1582.Par Bruges et Dunkerque, il se rendit à Calais.
De cette dernière ville, il avertit son correspondant Ysunca de ce qui
allait Hepasser. Avaut de partir, le marchand .avait parlé à Venere
et .Iauregui, leur prom-ettant, ai l'entreprise réussissait, de les tenir
pour s-espropres fils et de partager son bien avec eux. Comme Venere
tremblait de peur, Aüastro le rassura en disant qu'on ne toucherait pas
un seul cheveu de sa tête; qu'une fois le prince dOrango tué, ~es
Anversois ne seraient que trop heureux de faire la paix avec le
prince de Parme; que lui, Aüastro, se trouverait bientôt au camp de
Farnèse et que, de Ià, il enverrait un trompette aux bourgeois
d 'Anvers, pour les requérir de ne faire aucun mal à aucun des geins
de sa maison (3).
Ces déclarations et ces promesses d'Anastro semblent à première
vue, 'autoriser la supposition que le marchand, avant de préparer son
coup, s'était mis en rapport avec Alexandre Farnèse et que ce dernier
savait donc ce qui allait se passer.
La nouvelle de l'attentat parvint à Farnèse peu de jours après
qu'il eut été perpétré, Aüastro avait, en effet, rejoint le prince de
Parme à 'I'ournai avant le 24 mars, car, à cette date, ce dernier taiÎt
connaître à Philippe II qu'il a reçu la visite du marchand espa-
gnol. Le début de cette lettre du prince paraît.eneore une fois, con-
firmer qu'il était, depuis quelque temps déjà, au courant du complot,
et qu'il en avait traité en secret avec Aüastro. « Je reçus la visite,
mardi passé, dans l'après-midi, de Gaspar de Aüastro, qui venait
d ïarr'iver ici. Il me rapporta qu 'il avait quitté Anvers la semaine
dernière,et qu'il y avait tellement 'conçu et préparé la chose, que je
pouvais tenir pour indubitable qu'Orange était mort... » (4)
Il ne faut cependant pas se laisser tromper par les apparences
et s'en tenir à ce seul texte, En effet, nous possédons une autre lettre
de Farnèse, écrite à peu près en même temps que la précédente, le
25 mars, -etadressée à un ministre de Philippe II. Le prince y annonce
la mort du prince d'Orange - il ne savait pas encoreexactement la
(5) « Las particular-idades no las podre dezir agora, mas de que paresce de que un
mercader espaâol, que se llama Gaspar ~ Aüasüro, ha procurado y sido el. auctor deste
.necno tan heroyco corno quantos se hallan en las historias amüguas y modemas, y el
medio y executer un criado suyo ... » ·B. N. P., mes, espagnol 182, fo 317ro).
1(6) GACHARD, Cor-respondance de Guillaume le Taciturne, t, VI, p, L,
(7) Farnèse au Roi, 24 mars 1582 (Loc, cit.).
(8) C'est R1e['vyn de Lettenhove (Les Huguenots et les Gueux, t. VI, p. 395, note 1)
qui a fait connaître l'existence de cette lettre.
59
apprit, au matin, par la voie d'Audenarde, que Jauregui avait déjà
commis l'attentat (9).
Puisque Farnèse a voulu donner des encouragements 'au meur-
trier, on ne s 'étonnera point dapnrendre qu'il manifesta une grande
joie en apprenant que le 'I'aeiturne avait été mortellement bles-sé.
« Je ne s'aurais exprimer à Votre Majesté, écrivit-il à Philippe II,
combien je suis content que ce personnage ait reçu le châtiment qu'il
méritait, quoique, selon ses actions, il eût pu finir plus mal : le cœur
me crevait de voir que tant de méchancetés et d'insolences contre le
service de Dieu, de la religion et de Votre Majesté tardassent si long-
temps à recevoir le salaire convenable, et qu'il ne se trouvât personne
pour le donner. Mais, enfin, nous devons remercier Dieu, qui a permis
que la chose s'effectuât, quand le moment lui a paru en être venu, en
ôtant du monde un homme si pernicieux et méchant, et en délivrant
ces pauvres pays d'une peste et d'un poison tels que lui. » (10)
Le lendemain, le prince de Parme s'exprimait de façon presque
identique en écrivant à un ministre du Roi,et il terminait sa lettre
ainsi: « Tel a été le sort de ce malheureux, à qui l'on pourrait appli-
quer ce qu'on a dit d'un autre: qu'il eût mieux valu qu'il. ne vînt
pas '3.U monde, car il naurait point, par sa rébellion, causé tant de
mal à la chrétienté. » (11)
.."",-
60
Cambrai, s'introduire auprès de Farnèse et tenter de l'empoisonner.
Le poison avait été remis au conspirateur 'par le grand-prévôt du duc
d'Alençon. Cependant, Bureau fut arrêté et confessa son dessein (13).
Ensuite, n'oublions point que le cardinal de Granvelle avait été
le premier à suggérer au Roi de se débarrasser, par Pas sassinat, de
la personne du prince d 'Or,ange,et qu'il avait applaudi aux entre-
prises de tous ceux qui avaient essayé d'exécuter 'ce.plan. n se réjouit
d'ailleurs lui-même de l'attentat de Jauregui et, croyant le Taciturne
mort, écrivit au cardinal de la Baulme: « C'est dommage que lui
(Orange) et quelques-uns de sa suite ne soient morts il y a dix-huit
ou vingt ans : l'on n 'y eût, à mon avis, rien rperdu. » (14)
Si le prince de Parme avait gardé à l'endroit du prince d'Orange
quelque secrète sympathie en raison de leurs relations d'autrefois,
ces sentiments furent probablement changés après la publication de
Ja célèbre Apologie. Quelle que soit l'admiration que l'on puisse
éprouver, du point de vue littéraire et du point de vue du tragique,
devant ce document extraordinaire, on ne pourra cependant s'empê-
cher de constater, avec Gachard (15), que, « dans l'attaque de son
ennemi, Philippe II, Orange se laisse emporter par la passion, que
tous les moyens lui sont bons pour noircir son adversaire et qu'il ne
lui répugne nullement de se servir des faits les plus hasardés, même
d'assertions qu'on peut appeler calomnieuses ».
Aussi, Alexandre Farnèse avait-il été outré par cette attaque
violente de l'Apologie contre celui qu 'Il estimait comme son souve-
rain et maître, bienfaiteur de sa maison. En transmettant au Roi un
exemplaire imprimé du document, il avait affirmé « qu'elle (l'Apo-
logie) était si impudente, et qu'elle Pavait mis dans une telle colère,
qu'il ne pouvait la supporter » (16). La colère de Farnèse n'ét'ait
probablement pas motivée uniquement par les passages calomnieux
à l'adresse du Roi, mais aussi par certains pas.sages où [ui-même était
pris à partie. Le prince de Parme n'avait probablement pas lu sans
indignation les termes suivants de la défense du Taciturne:
« On m'objecte que je suis étranger. Je voudrais bien savoir si
le prince de Parme est plus du pays que moi, TI n'y est point né. TI'
61
n 'y possède aucun bien ni aucun titre. Cependant il y commande avec
une autorité absolue à plusieurs personne:s malavisées, qui obéissent
à ses ordres <commede misérables esclaves ». Et après avoir senti
les traits acérés que le prince dOrange lançait contre Marguerite de
Parme, Farnèse avait dû lire avec une indignation partiouâière le
passage le plus violent de tous : « Ils ajoutent que j'ai procurê la
liberté de conscience. S'ils veulent dire par là que j'ai ouvert la porte
aux impiétés qui se commettent ordinairement dans la maison du
prince de Parme, où l'athéisme et les autres vertus de Rome ne sont
qu'un jeu, je réponds qu'il faut chercher cette liberté ou, pour mieux
di're, cette licence effrénée chez les héritiers du seigneur Pierre-Louis
Farnèse. » (17)
* * *
(17) Apologie ou Défense du très illustre Prince Guillaume de Nassau ... contre le
ban et édit publié parle Roy d'Espagne. Leiden, Oharles Sylvlus, 1581.
62
son frère ..., ne finirait pas par ôter le masque » (18). Cinq jours
après, Farnèse revenait sur le même sujet pour exprimer la même
crainte: « Pourvu qu'ils ne se donnent pas tous à la Prance l » (19).
'Si donc, dans sa correspondance avec le Roi, le prince de Parme
feignait de croire que la disparition du prince d'Orange pouvait être
le commencement de la soumission des rebelles, dans ses lettres à
Marguerite de Parme,il montrait très clairement qu'il ne se faisait
pas illusion. Les événements devaient lui donner raison.
* * *
Il ne voulut cependant rien négliger pour tirer du fait de
l'attentat et de la mort supposée du 'I'aciturno tous les avantages
possibles. Il rédigea immédiatement le texte d'une lettre qu'il envoya
aux villes rebelles, à la date du 25 mars. S'adressant aux magistrats
de ces villes, il exprima l'espoir que la mort du 'I'acitume fît tomber
de leurs yeux le bandeau qui les avait jusque-là empêchés de voir les
ruses avec lesquelles le prince faisait durer les misères des cités, uni-
quement pOUTson ambition personnelle, et <commentil les avait livrées
aux Fra.nçais, leurs ennemis séculaires. Dans le cas où elles auraient
été prêtes à en profiter, il se déclara disposé à lès recevoir en réconci-
liation, avec autant de bienyeillance que celle dont avaient profité les
provinces wallonnes. Une menace à peine déguisée terminait la lettre:
« Je prie Dieu ... que votre réponse vienne suffisamment tôt pour que
Ha Majesté ait l'occasion de surseoir aux préparatifs qu'elle, fait
pour parvenir àce but (la soumission) par une autre voie, peut-être
plus violente » (20).
Ce n'étaient pas là des paroles en l'air: dans le Milanais, nous
le savons, les ierçios espagnols et italiens s'apprêtaient à reprendre
la route des Pays-Bas.
Oette lettre du prince de Parme fut portée aux magistrats
d'Anvers, Bruxelles, Gand, Bruges, Malines, Dunkerque) Bergues-
Saint-Winoo, etc., par un trompette de l'armée espagnole (21). En
même temps, des messagers et des espions, envoyés de différents
côtés, essayèrent d'appuyer cette action par des manœuvres, en
1(18) P. FEA, O. C., p. 165, note 1.
(19) Ibidem. Au même momentParnèsc écrit à u:n ministre espagnol: « Lo qua y,o
mas terno es que veneidos de la obstinacion y desesperados de poderse sustentar, no se
eehen de todo punto en los braçosdel de Alençon ... » B. N. P., ms, espagnol 182, fo 317'",
(20) GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. 78-79.
(21) GA CHARD, o. c., t, VI, p. 79, note 1.
63.
public, là où on pouvait le faire sans grand danger, en secret, là
où l'élément calviniste, était le maître (22). Comme il était à prévoir,
les États Généraux ripostèrent immédiatement en mettant les États
des provinces en garde contre « les pratiques » de Farnèse, et assu-
rant les populations des sentiments patriotiques et du désintéresse-
ment du duc d'Anjou (23).
Ce qui affaiblissait cependant considérablement la manœuvre du
prince de Parme, c'est qu'il continuait à ignorer 'si, réellement, le
Taciturne avait succombé à ses blessures. Malgré tous les 'efforts qu'il
fit pour se renseigner, il n'avait obtenu aucune information sûre. Le
31 mai, il s'en plaignit au Roi : «Votre Majesté saura ce qui se passe
à Anvers, mieux par voie directe que par celle dici, car le nombre
des bons n'est pas grand, et ils n'osent tenir avec moi 'aucune espèce
de correspondance. Ceux qui partent d'ici, ou bien ne reviennent pas,
ou bien, à leur retour, ne rapportent 'rien de certain» (24). Ce n'est
que le 9 juillet qu'il sut, de manière certaine, que le prince d'Orange
était encore en vie (25).
Déjà, avant cette date, il avait pu se rendre compte de l'échec
complet de 'sa tentative d'amener les villes rebelles à se réconcilier:
« Au contraire, écrivit-il à Philippe II, aujourd'hui plus qu'aupara-
vant, ils montrent qu'ils font peu de cas de Votre Majesté et de ses
affaires » (26), Ce fut pour lui une nouvelle occasion de démontrer
au Roi que les circonstances exigeaient l'emploi de la force et qu'il
était urgent de faire partir pour les Pays-Bas les troupes espagnoles,
qu'il attendait avec tant d'impatience et d'espoir.
Probablement sous son inspiration, Anastro écrivit, de Tournai,
dans le même sens. D'après lui, les rebelles ne faisaient pas mine de
se réconcilier avec le Roi parce que, ceux qui les dirigeaient étaient
des hérétiques calvinistes. « Cette présomption, ajoutait le marchand
espagnol, durera jusqu'à la venue des troupes espagnoles. Le seigneur
prince de Parme n'a, en effet, pas assez de gens en ce moment sur
(2,2) Le prince de Parme au Roi, 'I'ournal, 16 avril 11182; Aüastro au Roi, 'I'ournal,
17avrbl i5,82 ;(GACHARD, o. C., t. VI, pp. 93-94, 96-97).
(23) ÜACHARD, o. C., t. VI, pp. 89-9i.
(24) GACHARD, o. C., t. VI, p.l08.
(25) Ibidem, p. 109.
:(26) GACHARD, o. C., t, VI, p. 93. - Pannèse ne dut pas s'en étonner, car il avait écrit
11 un ministre du Roi: « y aunque .es de creee segun estan emperridos yendueeetdos en
su malicia que 'IlIO querrian dar oydes a casa que bien ilJeseste ... » (B. N. p.• ms, espagnol
182, fo 317ro).
64
PL. IV
• « •
65
CHAPITRE IV.
(1) Liber relationum, fo 107vo; W. Hede à Leicester, Anvers, 3 mars 1582 (Foreign
Calendar, 1582, n- 574). HerIe parle de 3.000 cavaliers et 8.000 fantassins,
(2) Liber retauonum, r- 107Vo•
(3) Farnèse. au Roi, 1'6 avril 1582 (A. G. R, Copies de Sirnancas, vol. 15, non folioté).
(4) Liber relationum, fo 107vo; MémoireS sur le marquisae Varemoon, p.. 2.1.
D'autre part, on savait qu'elle ne pourrait résister longtemps.
Bien renseigné par ses espions, Farnèse n'ignorait pas qu'il ne s'y
trouvait que cinq compagnies d'infanterie appuyées par quelque
300 hommes des milices bourgeoises (5). De plus, en combinant ses
plans d'attaque, le prince de Parme choisissait toujours de préférence
des endroits où l'on pouvait facilement et rapidement transporter les
munitions et l'artillerie de siège. C'était le cas pour Audenarde: de
Mons, de Valenciennes, de Douai, les canons pouvaient être amenés
par voie d'eau, circonstance favorable .pour une armée qui,' comme
celle de Farnèse, ne possédait pas la quantité de chevaux de trait
nécessaire (6).
Enfin,Audenarde était la ville où Marguerite de Parme était
née, circonstance qui influa aussi sur la décision de Farnèse de s 'en
emparer. ,
Aussitôt l'entreprise décidée, le prince de Parme prit toutes s-es
dispositions pour Pexécuter. Déjà à la fin de février, on signalait de
Flandre à Walsingham que l 'ennemi passait soigneusement ses
troupes en revue' dans toutes ,les places où il y avait des réserves
disponibles et que les soldats avaient 'reçu leur solde j que, à Tournai,
on avait chargé sur des barques de grande dimension les pièces de
siège qui avaient servi à la prise de cette ville, et l'artillerie qui se
trouvait à Courtrai, à Lille et à Armentières; que de grandes quan-
tités de matériel d'assaut : échelles, fascines, -cordes, et de munitions
avaient été préparées; qu'on avait construit un certain nombre de
barques de, petite dimension. L'agent anglais Stokes exprimait sa
conviction que, Farnèse préparait un coup. de main sur Audenarde ou
Ypres, mais que d'autres, indices 'semblaient aussi Iaisser supposer
que Menin était menacée (7). ,
Peu de jours après, William Herleavertissait Leicester que de
Luxembourg, de Namur, de Maestricht, toutes les forces disponibles
se dirigeaient vers un camp établi à Iseghem et qu'à Courtrai étaient
arrivés 42 chariots chargés de boulets de fer pour l'artillerie (8).
(5) Le 6 décembre 158,1, Je prince d'Orange avait envoyé au magistrat de Gand une
lettre pour se plaindre de ce que les bOUDg60isd'Audenarde ne voutarent. laisser entrer
en viHe une plus grande garnison: « Je crains, dtsalt-tl, qu'ils n'attirent I'enneml à l'es
assiéger, quand il verra qu'ils font si bon. marché de' leur vûle, laquelle ne se peut deffendré
que par nombre <le gens de guerre, et m'asseurë qué si I'ennemy la voioit bién rournle
que jamais ne I'oseroit assaillir ».(TH. JUSTE, Guillaume le Taciturne, p. 305, note 2).
(6) Farnèse au Roi, 29 avril i5B2(A. H. R., Copies de Simancas, vol, f5" non folioté),
(7) Bruges, 26 février 15082 :(Foreign Calendar,158i, n° (63).
(8) Anvers, 3 mars f582 ~Foreign Ctüenaar, 158i, n° 574'.
67
Dependant, de son côté, l'ennemi ne restait pas inactif. A la fin
de mars, la garnison française de Cambrai avait détaché quelques
compagnies qui r-éussirent à s'emparer de Lens, par surprise (9).
Farnèse, voulant empêcher ses adversaires de mettre en danger la
sécurité de l'Artois, y envoya le marquis de Richebourg, avec l'ordre
derepr·endre la ville. La place se rendit aux troupes roy-ales le
5 avril (10). Deux jours après, un fort paœti de soldats français,
2.000 fantassinset 300 cavaliers, poussèrent une pointe jusque Gem-
blouxet Namur: sachant que M. de Berlaymont, le gouverneur de
cette dernière ville, 'en était absent, ils essayèrent d'escalader les
remparts de la place. lis furent repoussés. Ce coup de main provoqua
une panique : Marguerite de Parme, en effet, se trouvait encore à
Namur, souffrant d'une crise aiguë de goutte, et l'on avait pu
craindre un instant qu'elle ne tombât aux mains de l'ennemi (11).
Les troupes des États furent plus heureuses à Alost. Le prince
de Parme,ayant appris que cette ville était dépourvue, des vivres
nécessa'ireset qu'elle était continuellement assaillie par des partis
ennemis, avait décidé d 'y envoyer comme renfort M. de Rassenghien,
grand bailli d'Alost, avec un régiment de Wallons du baron d'Au-
bigny, deux autres compagnies wallonnes de Carondelet et Olivier,
la compagnie d'hommes d 'armes du comte de Lalaing, de l'a cavalerie
légère et des arquebusiers ;à cheval. Malgré la surveillance exercêe
par les troupes ennemies, qui s'étaient groupées dans 00 but aux
confins du Hainaut, Rassenghien parvint 'à introduire à Alost une
partie {le ses soldats. Mais l'adversaire avait réussi à nouer des
intelligences dans la place et le 23 avril', il s'empara de celle-ci à la
suite d 'un coup de main. La ville fut livrée au sac et un butin eonsi-
(9) Voir le Rapport stlr les 'aUs qut se sont passés dans les environs de Lens dans
Correspondance de Grarr,velle, t. IX, pp. 653-654.
{fOl Farnèse' au Roi, Tournai,16 avrll 1582 (loc. cU.); c. CAMPANA, Della ouerre di
FiandM, 2' parte, fOI 34.°'-34.•°; Far<nèse à un ministre du Roi, 5 avril 1582 (B. N. P.,
ms. espagnol 182, fo 318); Alexandre Farnèse au comte de Hénln, Tournai, 25 mars 1582
{L. VAN DER ESSEN, Correspondance el/Alexandre Farnêse avec le comte de Hénin ...,
roe, clt., p. 401).
{H) Far<nèse 'au Roi, lettre citée; C. CAMPANA, O. C., f' 3490. Marguerite de Parme
,raoonteœtte attaque dans une lettre qu'eue écrit au duc Ottavlo, son marl,le 2(} avril
f582. Elle y dit comment l'ennemi, déjà arrivé près des murs, fut découvert par le sergent-
major Camjllo de Modigllano; qu'on ne put le poursuivre, faute de cavalerie, et qu'il
abandonna sur place des échelles-et des marteaux pour briser les portes. (A. F. N., Carte
'arnesiane, Flandu'a, fasoio 1626).
68
dérable fut fait, plusieurs familles catholiques des environs s'étant
réfugiées à Alost avec toutes leurs richesses (12).
Une autre attaque ennemie, dirigée contre Tirlemont, n'eut, par
contre, aucun succès (13).
Ces coups de main avaient pour but d'énerver et de diviser la
petite armée de Farnèse, avant que lesrenfortsesp.agnols ne fussent
arrivés d'Italie.
Le prince de Parme n'ignorait d'ailleurs pas que le duc d'Anjou
faisait de grandes levées en France et en Allemagne pour renforcer
son armée. Voulant montrer que la prudence seule avait inspirê
jusque-là son inactivité et qu'il était loin d',être désarmé, Farnèse
résolut de ne plus retarder le siège d'Audenarde (14). TI partit de
Tournai à la fin d'avril. TI venait de recevoir d'Espagne une somme
de 150.000 écus, ce qui lui avait permis de payer une partie de la
solde due aux soldats et de compléter ses approvisionnements. il
n'attendait plus que les sapeurs qu'il avait fait recruter en
Bohême (15).
Pour tromper l'ennemi, le prince de Parme ordonna 'au marquis
de Richebourg de se mettre en marche avec toute la cavalerie et il le
fit suivre de l'artillerie: l'objectif de l'attaque, disait-il, était Menin.
Cependant Richebourg avait des ordres secrets, qui lui prescrivaient
de changer de route à un point donné, et de se diriger 'en toute hâte
sur Audenarde (16). Avertis par les espions que l'armée royale allait
les assaillir, les gens de Menin demandèrent du secours aux villes
voisines. Trois compagnies d'infanterie sortirent d'Audenarde et
marchèrent en hâte vers la ville menacée. Comme .Farnèse l'avait
prévu,elles rencontrèrent en route les soldats de Richebourg et furent
culbutées. Ce, qui parvint à se soustraire au massacre, se réfugia à
Menin. De la sorte, la garnison d'Audenarde, déjà si faible, fut encore
diminuée par ce piège tendu par le prince de Parme (17).
(i2) Farnèse au Roi, Tournai, 26 avrll 1682 .(A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non
folioté); Farnèse à un ministre espagnol, 5 et 30 avril 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182,
fO S'18ro-318vO;) C. CAMPANA, o. c., 2° parte, fD 3'4vo; Libro de las cosas de Flandes, Co 228.
S
69
Conformément à sa tactique habituelle, Alexandre Farnèse avait
envoyé en avant toute sa cavalerie pour occuper la régionentourant
Audenarde, rabattre sur la place les populations rurales, augmenter
ainsi, pour les assiégés, le nombre de bouches à nourrir, et s'emparer
des faubourgs et des positions favorables. Ce mouvement de cavalerie
devait aussi empêcher l'entrée de tout secours dans la ville
menacée (18).
Mais, . informés des intentions de -1'ennemi, les défenseurs
d'Audenarde. s'étaient empress-és d'incendier les faubourgs et les
villages situés dans les environs (19).
Après avoir fait envoyer de Tournai, par l 'Escaut, l'artillerie,
les munitions, les fascines et le bois nécessaires pour les travaux du
siège, ainsi que les tentes qui devaient I'abriter, lui et sa maison, le
prince de Parme arriva devant la ville le 8 mai} par une bourrasque
qui avait transformé le terrain en un véritable bourbier. Le même
jour; il voulut inspecter en personne les quartiers que ses soldats
avaient déjà installés sur les deux rives de l'Escaut (20).
Le lendemain, il alla reconnaître la place. Audenarde était bien
pourvue de défenses. L'Escaut qui, passant par le milieu de l'agglo-
mération, sépare la ville proprement dite du quartier de Pamel (21),
était pourvu d'un système d'écluses qui permettait de mettre sous
eau les campagnes environnantes. La Noue avait naguère fait entre-
prendre de grands travaux pour rendre la place imprenable: il avait
fait restaurer le mur d'enceinte et les retraites et avait fait élever sur
le fossé sept ravelins. TI avait, croyait-il, rendu ainsi la ville si forte,
qu'il l'appelait « sa petite Rochelle » (22). 'Cependant, à l'Est, du
côté de Pamel', se dressait une colline, le Kerselaarberg, qui pouvait
offrir des avantages aux assiégeants. En y plaçant de l'artillerie, ils
pouvaient de là bombarder l'agglomération et gêner considérablement
le rôle de la défense.
Lorsque La Noue, alors prisonnier au château de Limbourg, eut
appris que le prince de Parme se diaposait à attaquer Audenarde,
il lui écrivit une lettre, datée du 11 mai 1582, pour l'avertir qu'elle
(18) Liber reuuumum, to 109; Farnèse au Roi, Tournai, 29 avril 1582 (Loc. cît.).
;(19) Liber retatumum, fo 109vo.
{20) Liber relationum, ro, 109vo-HO'0.
(21) « Con jung et ur intermedlo ponte Aldenarda cum Pamela, non poenltendo prorsus
opptduâo.; » (L. GUICCIARDINI;Belgica sive inferioris Germaniae descriptio, éd, d'Arns-
terdam, chez G. Blaeu, 1635, p. 362).
(22) Libe» relationum, ro 110; C. CAMPANA,O. C., 20 parte, ro. 34.0-35; STRADA,o. C.,
t. III, p. 325.
'70
était inexpugnable et que, s'ils'oibstinait, il courrait le, risque d'y
perdre sa réputaton de grand capitaine (23).
Alexandre Farnèse ne se laissa aucunement influencer par cette
missive du chef huguenot. Cependant, il put, dès le premier moment,
se rendre compte que l'entreprise ne serait pas facile, Le gouver-
neur de la ville, Frédéric van der Borcht, faisant manœuvrer le
système des écluses, avait provoqué autour de la place, dans la
direction de 'I'ournai, une inondation considêrable.uu point que, sur
une étendue de plus d'un mille, tout aooès était devenu impossible {24}.
De plus, les soldais wallons que Farnèse avait avec lui,atqu}
s'étaient conduits si mollement au siège de Tournai, ne lui inspiraient
pas grande confiance. Les troupes allemandes, qui réclamaient' des
arriérés de solde, étaient prêtes à se mutiner et le prince sentait qu'il
ne les avait plus en main. Enfin, du côté de Gand se dressait la
menacedes troupes d'Alençon, qui se trouvaient, entre cette ville et
Audenarde, en quantité assez considérable. On les estimait, dans
l'entourage du prince de Parme, fortes de 10.000 fantassins et de
2.000 cavaliers (25). En réalité, ces troupes n'étaient pas si nom-
breuses (26), mais leur présence n'en constituait pas moins un danger
pour celui qui entreprenait d'assiéger Audenarde. Aussi, le prince de
Parme prit-il toutes Tes précautions nécessaires pour empêcher
l'adversaire de surprendre son camp et dessayer de porter secours
aux assiégés. Du côté de la colline de Pamel, il avait fait planter son
pavillon ,et les tentes qui devaient abriter les gens de sa maison: tout
près de lui, il avait logé, pour mieux pouvoir Ies surveiller, deux
régiments d'Allemands. En face, près de l'Escaut, fut établi le quar-
tier du baron de Montigny etdri régiment wallon de, celui-ci. Dans la
direction de Gand, Flarnèse fit camper les deux autres régiments
wallons et deux régiments d'Allemands. Non loin de là, et dans la
même région, s'était installé le marquis de Richebourg avec la cava-
lerie. Le, prince visita tout particulièrement ce quartier, et y fit dou-
bler les postes et les corps de garde, pour éviter toute surprisede la
part des soldats d'Anjou. Il ordonna aussi à Richebourg de faire
71
battre continuellement par ses cavalie-rs la campagne et les routes
vers Gand et d'attaquer immédiatement tout parti ennemi qui s'y
montrerait (27).
Pour le creusement des tranchées et l'établissement des lignes de
oiroonvallation, Farnèse rencontra de nouveau le-s difficultés qui
l'avaient toujours assailli jusque-là. Les sapeurs recrutés en Bohême
n'étaient pas encore arrivés et il fallut, encore une fois, faire appel
au dévouement des soldats et leur promettre des récompenses pour
les amener à exécuter ce trav.ail qui leur répugnait tant. La besogne
était d'ailleurs rendue plus difficile par suite des inondations provo-
quées par les assiégés, par les fréquentes sorties de ceux-ci et par la
pluie et les bourrasques de ce printemps peu favorable (28).
Pour faciliter les opérations du siège et rendre plus rapides les
communications entre leadivers groupes de son armée, Farnèse fit
construire sur l'Escaut, du côté de Gand, deux ponts solidement
bastionnês, qu'il garnit en outre d'une bonne garde. Du côté opposé,
dans la direction de Tournai, oùs 'étendait la nappe des inondations,
il lança sur l'eau une demi-douzaine de barques armées, qui patrouil-
lèrent sans répit le long des deux rives de l'Escaut (29).
Toutes ces dispositions étant prises, le prince convoqua son
conseil de guerre, et interrogea ses ingénieurs et un certain nombre
de gens du pays pour savoir de quel côté il serait le plus facile et 10
plus avantageux d'attaquer la ville (30). On résolut de s'en prendre
d'abord au ravelin qui regardait vers l'Est et qui faisait face il. la
colline où se trouvait le. quartier général de Farnèse.
Les tranchées furent donc ouvertes dans cette direction et con-
duites jusqu 'au bord du fossé défendant le ravelin, afin de pouvoir y
amener les pièces d'artillerie nécessaires pour bombarder l'ouvrage.
Cependant, lorsque les sapeurs eurent atteint ce fossé, ils constatè-
rent qu'il était beaucoup plus large et plus profond qu'on ne se l'était
imaginé. Les eaux charriées par la manœuvre d'inondation avait
élargi considérablement l'obstacle, et la pluie torrentielle qui tombait
depuis plusieurs jours avait produit un effet analogue. Les sapeurs
ne purent songer un instant à combler le fossé, la violence du courant
(27) Liber relattonum, r- HO; C. -CAMPANA, o. C., 2 parte, fo 35.
0
(2<8) LUter relationum, r· 110; C. CAJ.IPANA, o. C., Loc. clt.; STRADA, o. C., t, III, p. 326,
(29) Liber reZationum, r- 110.
(30) Le 14 mal, Frangois de Halewljn, gouverneur du chateau de Oourtral, envoya à
Farnèse Ile plan d'Audenarde, que lui a:va.ientcommuniqué des bourgeois de Ia ville et lui
algnalalt que ces bourgeois, s'étant rendilll au camp espagnol, pourraient donner au prince
toutes les explications nécessaires (Correspondance de Granvelle, t. IX, p. 677).
7.2
PL. V
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l''II
SIÈGE D'i\Um~Ni\nDE
Al laque du rnvelin de la porte de Bruxelles (EsL)
{Ms. 19611 cie la Bibliothèque Ho ya le cie Belgique, r- 48.)
emportant immédiatement les charges de terre qu'on y avait jetées.
Les ingénieurs militaires imaginèrent alors de fabriquer des pontons,
au moyen de planchers couchés sur des futailles vides, mais on ne
parvint pas à les rendre suffisamment longs pour couvrir la largeur
du fossé; le courant les emporta tout de suite et l 'artîllerie des
assiégés les fracassa (31).
TI fallut songer à porter l'.attaque d'un autre côté. Pendant que
deux coulevrines, qu'il avait fait établir à mi-hauteur de la colline de
Pamel, continuaient à tirer sur la ville, à endommager les maisons et
à balayer de leur feu toute la courtine, rendant très pénible aux
assiégés la défens-e de cene-ci, le prince eut une consultation avec La
Motte, qui dirigeait l'artillerie. A eux deux, pendant la nuit, ils firent
le tour de la place, pour tâcher de découvrir l'endroit le plus vulné-
l'able: reconnaissance qui ne fut pas sans danger, car continuelle-
ment des centaines de coups d'arquebuse, tirés au hasard dans
l'obscurité, envoyaient des balles dans toutes les directions (3;2).
Le prince de Parme décida de porter l 'attaque contre un ravelin,
situé du côté opposé à celui qu'on avait essayé de prendre, à l'ouest,
devant la porte menant vers Gand. Ce plan n'eut pas l'agrément de
La Motte, qui le jugea trop difficile à exécuter. Sans entamer une
discussion qu'il jugeait inutile et dangereuse, le prince tint à son
idée et s'empressa de la réaliser (33).
Pour atteindre le terrain où se dressait le ravelin qui défendait
la porte de Gand, il fallait passer un ruisseau qui coulait à cet
endroit, et qui était considérablement enflé par les pluies. Un pont
permettait de traverser ce ruisseau, mais il était, cela se conçoit, levé
et gardé par un fort contingent ennemi.
Le prince de Parme commença par faire creuser des tranchées
dans la direction du pont, de façon à atteindre la rive du ruisseau
et tenter de le franchir. Pour ne pas éveiller l'attention des
ennemis, ces tranchées se firent, partie par partie, pendant la nuit et
dès que l'aube apparaiesait, on les couvrait de branches d'arbres et
de fascines, pour les rendre invisibles aux assiégés. Comme, en
même temps, les soldats de Farnèse, pour donner le change, amas-
saient .au bord du ruisseau une grande quantité de fascines, les
défenseurs s'imaginèrent qu'on avait l'intention de les jeter dans
73
l'eau pour assécher le fossé et passer ainsi. Aussi, se moquant de la
naïveté des ennemis, ils ne troublèrent en rien cette besogne.
Bien plus, dans le but de protéger I'attaque qu'il allait faire
contre le ravelin de la porte de Gand, le prince de Parme fit enlever
La plupart des pièces d'artillerie qu'il avait d'abord placées, au
nombre de 32, devant le ravelin du 'côté de Pamel. Comme les barques
de transport devaient suivre d'abord pendant quelque temps le cours
de l'Escaut qui se dirige vers Tournai, les assiégés s'imaginèrent
que l'artillerie était renvoyée vers cette ville et que l'ennemi allait
lever le siège. Leur confiance s'en accrut et ils se firent une joie de
se moquer des sentinelles espagnoles, leur criant que « si elles se
rendaient, elles seraient très ,bien traitées » (34).
Mais aussitôt ils déchantèrent. En effet, du côté du pont ou de
la barbacane à conquérir, Farnèse avait fart conduire, par chariots,
quantité de petites barques. Celles-ci furent descendues dans le ruis-
seau qui défendait l'ouvrage, rangées l'une à côté de l'autre, et
couvertes d'un plancher. Puis un fort contingent de soldats espagnols
se lança par ee passage et emporta la barbacane.
ILes assiégeants pouvaient à présent occuper le terrain s'éten-
dant derrière ce pontet qui précédait le 'l'avelin dÜ'la porte de Gand.
Bientôt, l'artillerie apparut en cet endroit et vint se poster près dn
fossé de cet ouvrage de défense, derrière des gabions et des boucliers
de fascines qui y avaient été r apidement préparés. Les canons de
Farnèse tenaient maintenant sous leur feu les saillants du ravelin,
les tourelles qui le flanquaient Ü'tla plateforme qui le dominait.
Le bombardement commença et se poursuivit pendant deux
jours (35).
C'est pendant cette action dartillerie que le prince de Parme,
qui continuait, malgré les conseils et les supplications 'répétées de
Philippe II, à s'exposer 'comme un simple soldat, faillit être tué
à la suite d'un accident banal. Pour être plus près des Allemands,
établis devant la porte de Gand, et dont il redoutait le mauvais
vouloiret L'indiscipline prête à éclater, Farnèse était venu s'installer
dans une tranchée près du fossé de la vine. Il avait laissé à son
quartier général de la colline de Pamel la plus grande partie de ses
officiers et les gens de sa maison et n'avait pris avec lui qu'un petit
nombre de compagnons. Dans la tranchée même, il avait fait placer
74
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PRISE D'AUDENARDE -<
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Gravure de R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma
(Ms, 16314-19 de la Bibliothèque Royale de Belgique, f0182.)
Dans le coin de droite, Fa1;nèse continuant Ù déjeuner après la chute au boulet meurtrier.
une nappe sur quelques tambours et, sur cette table improvisée,
s'apprêtait à prendreson repas. L'artillerie qui bombardait le rave-
lin de la porte de G.andse trouvait à quelque distance derrière la
tranchée où se tenait le prince.
Soudain, pendant le déjeuner, un descanonniers, qui était ivre,
visa si mal que le boulet tiré par sa pièce vint tomber en plein milien
du groupe formé par F'arnêse 'et ses officiers. Le prince et ses corn-
pagnons furent couverts de terre et de toutes sortes d'ordures. Le
boulet de canon avait enlevé la tête de Lamoral de Licques, fils du
baron de Licques, capitaine d'infanterie wallonne; il avait emporté
la moitié du visage du prévôt de la garde allemande du prince; il
avait tué ou blessé encore d'autres officiers. La table fut couverte de
débris de cervelle ·etde sang. Mais le prince de Parme ne s 'émut pas
pour si peu: il acheva tranquillement son déjeuner. Il fit emporter
les morts et donner les soins nécessaires aux blessés, et refusa obsti-
nément de quitter cet endroit dangereux, Le bombardier imprudent
fut arrêté et interrogé par l'auditeur général; il prétendit que la
poudre employée était de mauvais-e qualité et que, lOTSde la défla-
gration, elle avait fait dévier le projectile. Le prince de Parme
accepta cette explication, quoique des témoins eussent affirmé que le
soldatcoupable était pris de boisson, et il fit mettre le canonnier en
liberté. C'est en vain que l'auditeur général et le maître de camp du
terçioauquel il appartenait réclamèrent sa mise à mort {36).
Pendant <Jetemps, l'artillerie continuait à tirer sur le ravelin et
plus spécialement sur la gorge qui reliait cet ouvrage au rempart de
la ville,afin d'empêcher que, par là, les défenseurs pussent recevoir
du secours.
Lorsque le ravelin eut été suffisamment endommagé, les soldats
de F.arnèse l'attaquèrent et parvinrent, non sans difficulté, à s'en
rendre maîtres. L'accès au ravelin avait ,été préparé par l'expédition
courageuse de quatre soldats italiens, qui offrirent d 'aUeren saper
les murs à la vue des ennemis. S'acheminant par une étroite lan-
guette de terre quiaffieurait au niveau de l'eau et qui était le seul
moyen d'aecès à l'ouvrage qu'on voulait prendre, ces soldats, armés
d'arquebuses, d'épées, de boucliers, de poignards et de hoyaux, et se
protégeant tant bien que mal par des fascines contre le tir que les
(36) STRADA, o. C., t. III, p. 333-'334, a dramatisé cet épisodë, Le récit de Paolo Rinaldi,
témoin oculaire, est beaucoup plus simple et plus naturel. C'est lui que nous suivons
(Liber relationum, fo i11ro_111Vo), Comparez P. DE COLJNS, 0, C., p, 613.
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assiégés dirigeaient sur eux des remparts, parvinrent au ravelin. Ils
réussirent à y pratiquer des ouvertures. Au moyen de la terre rejetée
des brèches ainsi faites, ils préparèrent en même temps un passage
à travers le fossé pour l'infanterie qui devait aller à l 'assaut (37).
Un de ces héros, Ottavio de Voghera, fut tué. Fidèle à son habi-
tude, Farnèse lui fit faire des funérailles solennelles, auxquelles il
assista avec sa cour et avec tous ses officiers. Les trois survivants
furent royalement récompensés et nommés respectivement capitaine,
sergent et enseigne. d'une compagnie wallonne (38).
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le front des Allemands assemblés, il fit pendre séance tenante quatre
des principaux meneurs, Cette exécution se fit au milieu d'un silence
de mort; la révolte était matée (39).
Le 'sang-froid et le mépris du danger que le 'prince avait montrés
en .cette occasion produisirent sur le comte de Mansfelt et sur les
principaux chefs wallons une impression extraordinaire, faite à la
fois d'admiration et d'étonnement (40).
L'ordre ayant ainsi été rétabli, Farnèse, maître du ravelin de la
porte de Gand, prit -ses dispositions pour attaquer les remparts de
la vine qui se dressaient derrière cet ouvrage avancé.
Par la gorge du ravelin, qu'il fit au préalable couvrir de fascines
pour protéger ses soldats contre le feu des assiégés, le prince fit
partir des hommes chargés de piques, de pelles et de fourneaux de
mines afin d'ouvrir des brèches dans les murs. Cependant, les
assiégés n'assistèrent pas à ces préparatifs d'assaut sans réagir
énergiquement. Ils sortirent inopinément de la ville et se jetèrent
sur les pionniers : ils en tuèrent quelques-uns et mirent les autres eu
fuite. Le prince de Parme, qui surveillait les opérations du bord du
fossé, vit arriver les fuyards. Arrachant une pique dee mains d'un
soldat qui se trouvait à côté de lui, il rallia un certain nombre de ses
gens et s'apprêta à repousser l'attaque des assiégés. Bientôt, un
nombre suffisamment grand de soldats était accouru au secours du
chef pour que l'on pût forcer l'ennemi à rebrousser chemin (41).
Le travail de sape continua, Ies pionniers se protégeant contre
les feux artificiels, les poutres, la poix que l'on jetait sur eux du haut
des murs d'Audenarde, au moyen de boucliers couverts de fer et
de peaux de bœuf fraîches.
Pendant ce temps, Partillerie ne cessait de canonner la muraille
et les défenseurs qui s'y trouvaient .
. Lorsqu'il jugea que les dommages infligés et les brèches faites
devaient être assez considérables pour permettre l'assaut, le prince
de Parme y envoya quelques soldats en reconnaissance. Ceux-ci
revinrent, 'en apportant la nouvelle que l'es assiégés, avec une hâte
fébrile; avaient fermé les ouvertures de telle manière que l'attaque
semblait devoir être peu efficace (42).
(39) Nous suivons ici le récit de Paolo Rlnaldi, qui assista à la scène: « 10 lo viddi
una volta disarmato all' assedio d'Odonardo in gran perioolo ... » (Liber relationum, fo 247),
Comparez STRADA, o. C., t. III, pp. 331-333.
(4») STRADA, o. c., IDe. clt.
(41) STRADA, o. C., t. III, p. 333.
(42) Liber relationum, 1° 112TO.
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Néanmoins, énervés et à bout de forces, les soldats supplièrent
leur chef de les laisser monter à I'assaut. Instruit par l'expérience,
Farnèse ne crut pas pouvoir céder au point d'ordonner une attaque
générale. Il autorisa une trentaine de volontaires à tenter l'escalade
des murailles, Mais les assiégés se défendirent si bien qu'après une
escarmouche de peu de durée, les assaillants battirent en retraite (43).
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ragements dont Farnèse Havait si bien user en de pareilles circon-
stances. Après une lutte qui dura jusqu'à la nuit, et qui fut sanglante
de part et d'autre, res assaillants finirent par s'installer sur le mur
d'enceinte .
. De l'à, ils purent 'constater que les défenseurs d'Audenarde
avaient eu recours au même moyen que celui qui avait été employé
par les défenseurs de Maastricht et par ceux de Tournai pour pro-
longer la résistance. Des retranchements de pieux, renforcés par des
claies et des herses -et dont les interstices avaient été comblés de
terre, ainsi que des maisons, démolies en partie et transformées en
terre-pleins constituaient, à l'intérieur, un deuxième système de
défense. Comme il l"avait fait à Maastricht, le prince de Parme
ordonna d 'amener de l'artillerie sur le rempart pour canonner ces
obstacles (48).
Entrete.mps,comme les bruits de l'arrivée du duc d'Anjou se
répétaient avec plus d'insistance} Farnèse avait demandé, par plu-
sieurs courriers exprès, aux renforts qu'il savait être en route, sous
le commandement du marquis de Varembon, de se porter à son
secours à marches forcées. Varembon ex-écuta cet ordre avec ponc-
tualité et bientôt son infanterie et sa cavalerie bourguignonnes arri-
vèrent en vue du camp espagnol.
ILe prince de Parme sortit aussitôt de ses quartiers pour les
passer en revue ·et les logea du côté de la porte de Gand, l'à où on
pouvait s'attendre à L'attaque éventuelle des troupes d'Anjou.
Les assiégés, auxquels l'arrivée des Bourguignons n'avait pas
échappé, les prirent d'abord pour des forces amies et les saluèrent de
quelques coups de canon tirés en l'air.
Mais voyant ces soldats s'avancer file par file, sans qu'aucune
escarmouche ne se produisît avec les soldats de Farnèse, former
escadron, tirer vers la ville une salve d'arquebuse et planter leurs
drapeaux, ils durent se rendre à la triste réalité. Par un prisonnier,
ils apprirent que c'était l'à du secours arrivé de Bourgogne pour
l'armée du prince de Parme (49). S'il faut en croire le témoignage
(48) .FarnèSe à sa mère, Audenarde, 7, H, 13 et 22 juin 1582 (A. F. N., Carte torne-
iiane, rascto 1682). .J
'(49) Mém'oires sur le marquis de Varembon, pp. 22-23. Déjà le 25 septembre 1581,
I~ magistrat d'Audenarde avait écrit auprinoe d'Orange : « Il ne nous reste qu'un seul
remède à nostre extrême nécessité et povreté, qu'est d'estre secouru de la généralité,
à qui nostre sauvegardaaussi touche et dont I'assistanoe doibt venir à bon droict, comme
par le traloté de l'Union d'Utrecht est expressément devisé et, en ce, l'un vers l'autre
.. » (GACHARD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. IV. p, 323'),
obiJ-j.gé,
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de Pierre de Colins, ils se seraient même imaginés que ces nouvelles
troupes étaient les premiers contingents de renforts espagnols arrivés
d'Italie et dont on savait, du côté des États) qu'ils ne pouvaient tar-
der à faire leur apparition dans les Pays-Bas (50).
Quoi qu'il en soit, l'arrivée de oe renfort et le' fait que ni du
côté du prince d'Orange) ni de celui d'Anjou, rien ne· semblait présa-
ger un prompt secours, poussèrent les assiégés à capituler ('51).
Les négociations furententamées le 4 juillet et aboutirent le fen-
demain. Audenarde se rendit aux mêmes conditions que Tournai. Eu
égard à la belle défense qu'ils avaient faite (52), les soldats de la
garnison obtinrent de sortir avec armes et bagages; ils durent
cependant laisser entre les mains des vainqueurs leurs enseignes,
ainsi que les chevaux et les chariots, Les habitants de la ville devaient
s'engager à vivre 'selon la religion catholique, accepter dans leurs
murs une garnison et en pay-er la solde. .Quant aux calvinistes, ils
pouvaient s'en aller où born.leur semblait, sans être molestés, 'et en
emportant leurs biens. Pour se racheter du sac, la ville dut payer
30.000 florins) que Farnèse distribua immédiatement aux soldats do
son armée. Le prince 'avait montré cette modération dans ses exi-
gences - Tournai avait dû payer 100.000 florins -, parce qu'il
s'agissait de la. vine où sa mère avait vu le jour (53).
Le 6 juillet, le prince de Parme fit son entrée solennelle dans la
place. TI fut reçu par le magistrat qui, à cette occasion, lui fit
don d'une magnifique tapisserie, représentant une partie de l'histoire
d'Alexandre le Grand, que Josse de Pape livra à la ville pour la
somme de 2.000 florins (54). Farnèse se rendit à l'église principale
pour y faire célébrer la messe - interdite depuis quatre ans par le
régime calviniste - ·etchanter le Te. Deum. L'exercice du culte
catholique fut immédiatement rétabli (5;5). Une garnison composée
(60) O. c, p. 614.
(51) .Mémoires sur le marquis de Varembon, p. 23; P. DE COLINS, O. C., p, 614; Liber
relationum, fo ua.
(52) Paolo Rinaldi le constate avec admiration enthousiaste dans sem Liber relationum,
to Ha. - C. CAMPANA, O. c., 100.oit" 00 ménage pas non 'plus ses éloges.
1(53) Liber retauonum, r- H3vo; Farnèse au Roi, 8 juillet 1582 (Correspondance de Gran-
velle, t. IX, p. 70S). voi- le texte de la capltulation dans les Bulletins de Ca Commission
royale d'histoire, a" série, t. XIII, p. 75.
{54) H. GOBEL, Wandteppiche. I. Die NiederUin{le, t, I, p. 470, Leipztg; 1923, Je dois
la connaissance de ce fort intéressant détail à mon collègue, M. Jean Gessler.
'(55) Voir à ce suj-et la lettre adressée par Farnèse le 7 juillet déjà, à l'évêque d'Ypres,
l'invitant à venir fair·e l'a « réconcsliatlon » des églises profanées 'et prendre les mesures
nécessaires pour le rétablissement du culte (Correspondance d.e Granvelle, t. IX, 'p. 701).
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d 'Allemands 'et de Wallons fut logée en ville et le gouvernement de
celle-ci fut confié au sire de Masnuy d'Aubremont.
Le prince de Parme prit ainsi sa revanche de son échec de Cam-
brai: ses troupes pénétrèrent dans la place presque sous les yeuxdu
duc d 'Anjou, dont les forces étaient campées à une demi-lieue de
distance (56).
.. '"
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temporains, mais nous savons qu'entre le chiffre porté sur la liste
de compagnie et la réalité, il faut toujours admettre une différence.
assez considérable. De plus, une certaine partie de ces forces était
destinée à garder les villes, les endroits stratégiques, les voies de
communication (61). Mais il n'en reste pas moins vrai que le cauche-
mar, qu'avait constitué pendant près de quatre ans, pour le prince
de Parme, l'exiguité de l'armée autorisée par le traité de réconcilia-
tion de 1579, allait 'enfin se dissiper.
Il était temps. En effet, d'inquiétantes nouvelles parvinrent à
Farnèse.au mois d'août 1582, du côté de la France'. J'ean-Baptis!t-e
de Tassis, ambassadeur dEspagne à Paris, annonçait la concentra-
tion de nombreuses troupes 'auxiliaires, destinées à rejoindre aux
Pays-Bas le duc d'Anjou. "I'assis ajoutait que, pour entretenir ces
troupes et celles qui étaient en Flandre avec Alençon, le Roi de
France avait promis secrètement à son frère 50.000 écus par mois.
Le Roi y avait été forcé, affirmait Tassis, par Catherine de Médicis,
toujours prête à soutenir les folles équipées de. son fils. De plus, on
pouvait s'attendre il l'arrivée du chef expérimenté qu'était le maré-
chal de Biron. Ce dernier, depuis quelques jours, feignait d'être
brouillé avec le Roi, afin de faire croire que, s'il allait en Flandre, ce
n'était point sur l'ordre du souverain, mais pour se venger de la
cour (62).
Ces graves nouvelles furent confirmées peu après par le sire
de La Motte. De Gravelines, celui-ci faisait connaître qu'on avait
aperçu en mer une flotte française transportant des troupes et par
des prisonniers qu'on avait faits, on était assuré que 7.000 mousque-
taires français, 3.000 piquiers suisses, 2.000 cavaliers et 4 cornettes
des compagnies d'ordonnance du Roi 'se préparaient, sous la con-
duite de Biron, à envahir les Pays-Bas (63).
Même si elles étaient exagérées, ces informations faisaient pré-
voir à Farnèse un automne rempli d'embûches et de dangers.
83
CHAPITRE V
84:·
de M. de Sàmblemont, Lorrain d'origine. Comme ce dernier lui donna
sur Saleedo de bons renseignements, Farnèse fit appeler l'Espagnol
et Pintorrogea en présence de M. de Samblemont. Salcédo rêitêrasà
promesse de livrer la citadelle de Cambrai, par l'intermédiaire d'un
capitaine français.
Rassuré sur les intentions du personnage et le caractère sêrieux
de ses propositions, le prince de Parme l'envoya à Bruges, où le due
d'Anjou avait fait, le 17 juillet, sa joyeuse entrée comme comte de
Flandre et où il résidait pour le moment avec le prince d'Orange.
Saleedo devait étudier, dans l'entourage d'Anjou, les, détails de
l'exécution de son projet et instruire Farnèse de ce quise passait
dans le camp du prince français. Le prince de Parme fit accompagner
Salcedo par un cavalier italien de son armée, homme de confiance et
de bon jugement, qui profiterait de sa présence' à Bruges pour
s'informer de la composition de l'armée du duc d'Anjou, des renforts
que celui-ci attendait, du chemin que ces renforts devaient prendre (3),
Le 21 juillet Salcedo se présenta à l 'hôtel du duc. On se méfia de
lui et on le retint prisonnier. Ne voyant pas revenir son compagnon,
le cavalier italien, - qui s'appelait Francesco de Baza - alla s'in-
former de ce qui se passait: il fut arrêté à son tour.
Aussitôt, le bruit se répandit que les deux prisonniers avaient
voulu faire périr le duc d'Ânjouet Leprince d'Orange. Interrogé,
Salcedo ma tout. Baza fut soumis à la torture avec une telle rigueur
qu'il en mourut, mais sans avoir avoué quoi que ce fût. Cependant,
Anjou et Orange firent circuler un document qui était représenté
comme étant la confession arrachée à l'Italien et où celui-ci avouait
que « par le commandement et charge expresse du prince de Parme »,
le duc d'Anjou et le Taciturne devaient être assassinés. Pour mieux
accréditer la version de l'aveu de Baza, on annonça qu'il s'était lui-
même planté un couteau dans le cœur (4).
Bellièvre, l'agent de Catherine de Médicis aux Pays-Bas, accon-
rut à Bruges lorsqu'il apprit Parrestation de Salcedo. On machina
alors une comédie pour soustraire, par le moyen d'aveux qu'on arra-
cherait à Salcedo, le roi de France à l'influence que. les Guise
exerçaient sur lui. Le 22 juillet, sous l'influence dé la peur et à :t~
suite de la promesse qu'on lui ferait grâce, le prisonnier déclara que
les Guise étaient complices du prince de Parme et, qu'ils voulaient
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livrer la France à l'Espagne. Le texte de cette déclaration,ainsi que
celui de la lettre que Salcedo envoya au duc d'Anjou, lui furent
dictés par trois ministres de ce dernier, Des Pruneaux, Lavergne et
Charretier (5).
Bellièvre se chargea de conduire ensuite le prisonnier à Paris,
pour y répéter devant le Roi et le Parlement les accusations contre
les Guise. Le 28 août, Saleedo fut enfermé au château de Vincennes;
le 29, Catherine de Médicis tint à assister en personne à l'interroga-
toire, qui fut mené par Bellièvre et des conseillers du Parlement.
A la grande colère de ceux qui avaient machiné cette affaire,
Saleedo rétracta ses accusations, les taxant de fausses et menson-
gères. Le 12 octobre, il renouvela cette rétractation devant le Roi et
le jour suivant, à la Bastille, devant les commissaires du Parlement.
Lorsque la torture extraordinaire qu'on lui appliqua lui eut enlevé
toutes ses forces, il maintint encore que ses révélations de Bruges
n'étaient que mensonge.
Néanmoins, le 25 octobre) le Parlement le condamna pour crime
de haute trahison et ordonna de l 'écarteler en place de Grève. Au
moment de monter sur l'échafaud, le malheureux demanda qu 'on lui
déliât les mains afin qu'il pût signer une dernière déclaration. Il y
affirma solennellement qu'il avait été forcé par trois ministres du duc
d'Anjou de lancer la dénonciation contre les Guise et que, ce faisant,
ces ministres avaient agi au su du duc et du prince d'Orange. Il
déclara aussi que jamais il n'était entré dans sa pensée de comploter
contre le Roi de France (6).
Il semble certain que le duc d'Anjou et le prince d'Orange
avaient imaginé cette histoire du complot des Guise et obligé leur
prisonnier à la raconter, pour pousser Henri III à la guerre. contre
l'Espagne. En tous cas, le Parlement fit détruire toutes les pièces de
I'affaire et il a été dit que le président-de Thou regretta si vivement la
part qu'il avait prise au procès Balcedo, qu'il finit par en mourir (7).
-8 'il en est ainsi des déclarations de Salcedo à propos des Guise
et du complot contre Henri III, que reste-t-il des bruits concernant
l 'ordre donné par Farnèse à l'Espagnol de tuer le duc d'Anjou et le
prince d'Orange î
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Kervyn de 'Lettenhove semble prêt à se ~allier à la thèse deIa
culpabilité du prince de Parme (8). Il rappelle que, en mars 1:582,
après le complot d 'Hervet Bureau, dirigé contre lui, le prince avait
consulté le cardinal de Granvelle sur le point de savoir « si, en pré-
sence de ce que nous voyons, a ne nous est pas permis de recourir à
de semblables moyens ».
Ce que F'arnèse entendit par là, nous le comprenons par une
lettre que Granvelleécrivit, le 15 avril 1582, à Juan Gonzalez, et qui
débute ainsi: « Quant à ce que le prince de Parme me demande s'il
convient d'expédier le ducdAlençon par le poison ou de toute autre
manière, je ne puis me prononcer immédiatement» (9).
Farnèse semble donc ne pas avoir reculé devant l'idée de se
débarrasser du duc dAlençon par l'assassinat (10). Dès lors, n'est-ce
point de pareille mission qu'il a effectivement chargé Salcedo, en
l'envoyant à Bruges .auprès du prince français 1
Nous ne le croyons pas. Dans une lettre écrite au Roi le 25 août
1582, Alexandre Farnèse nie formellement avoir chargé Salcedo de
tuer le duc d'Anjou. « J'e n'ai voulu parler à cet homme, 'écrit-il,
qu'en présence du fils du haron de Licques et de Samblemont ; il n'a
été question entre nous que de la citadelle de Cambrai et d'informa-
tions à me faire parvenir, par le moyen de l'Italien susdit (de Baza)
et par toutes Iesautres voies possibles, sur ce qui se passait au
camp ennemi ... Votre Majesté peut être certaine que ce que je dis est
la pure vérité. Alors même que j ''y aurais été autorisé par Elle, je ne
me serviraia pas de semblables moyens pour des affaires qui exigent
tant de secret » (11).
Cette déclaration respire la sincérité. Il s'agit, d'ailleurs, d'une
missive chiffrée que le prince adresse au Roi, son maître, et dans
1aquelle rien ne, l'empêchait de parler à cœur ouvert (12). Remarquons
encore que le fait d'envoyer à Bruges avec Salee do un militaire
expérimenté comme de Baza semble bien mieux convenir à une entre-
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prise dtespionnage militaire qu'à une louche entreprise d'assassinat.
Çomm~ l'a fait .remarquer Théodore Juste (13), nul mieux que de
Baza n'aurait pu recueillir les renseignements exacts sur les forees
et-les projets d'Alençon. Le prince de Parme avait d'ailleurs besoin
d'illf{)rmations semblables au moment où les troupes espagnoles
étaient sur le point de le rejoindre aux Pays-Bas et où, d'autre part,
le bruit s'était répandu que des forces françaises considérables
étaient .prêtes à envahir la Flandre.
V{)ilàpourquoi, avec Théodore Juste, Gachard :(14), Ch. Piot (15)
et Rübsam (16), nous sommes convaincu que le prince de Parme ne
chargea point Salcedo dassassiner Anjou et le prince d'Orange. Ce
dessein lui fut prêté précisément par ce dernier ou par ses agents,
pour le rendre plus odieux aux populations des Pays-Bas (17).
88
CHAPITRE VI.
LA CAMPAGNE EN FLANDRE
CONTRE ANJOU ET LES ÉTATS
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surveiller de près les mouvements des troupes françaises, dont
l'ambassadeur de Tassis et le sire de La Motte lui avaient annoncé
l'imminente invasion r(2).
Le 20 juillet, il quitta Audenarde pour Courtrai: il logea ses
troupes à Harlebeke, où il passa la Lys. Le lendemain, continuant sa
route par Menin, il arriva à Vormezeele, près d'Ypres, où il fit
dresser son camp (3). Cette région Iui offrit l'abondance de vivres
qu'il cherchait (4). Quelques seigneurs du pays vinrent le trouver
et lui suggérèrent de tenter un coup de main sur Ypres. Un ravelin
défendant cette ville s'était effondré et il semblait que, par la brèche
ainsi faite dans le système défensif de la place, une troupe bien
décidée pouvait facilement s'introduire et s'emparer de la vine. Mais
les soldats de Farnèse trouvèrent le ravelin reconstruit et les Yprois
sur leurs gardes, prêts à se défendre (5),
A l'approche du prince de Parme, les troupes des États qui se
trouvaient dans cette région s'étaient retirées pour s'établir à proxi-
mité des renforts français amenés par le duc d'Anjou, entre Dun-
kerque et Bergues-Saint-Winoc (6). Jusqu'au 29 juillet, F'arnèse
resta à Poperinghe, prenant les informations nécessaires sur l'em-
placement et les mouvements de l'ennemi (7).
Avant son départ d'Audenarde, une troupe de 400 Anglais, parmi
lesquels il y avait un certain nombre de nobles et beaucoup de catho-
liques, et qui faisaient partie de l'armée d'Anjou, à la suite de dis-
cussions qui avaient éclaté entre eux et les soldats français, étaient
venus se présenter au camp espagnol et avaient demandé de pouvoir
s'enrôler au service du Roi. Comprenant toute l'importance de ce
renfort inespéré et s'imaginant que, en recevant et en traitant bien
ces transfuges, il pourrait peut-être provoquer dans l'armée ennemie
d'autres défections de ce genre (8), le prince les accueillit immêdia-
1(2) Libe1' relatumum, fo 114; Libro de las casas de Flandes, fo 230.
-(3) Libro de las casas de rtomaes, r- 231; STRADA,o. C., t. Ill, p. 341.
(4) Liber relationum, fo 114.
(5) Libro de las casas de Flandes, fo 232.
'(6) Ibidem; Liber reiatumum, fo 114; « Depuis la perte d'Oudenarden, nos camps se
sont joints, mais ils n'approchent encore aux forces de l'ennemy, principalement de caval-
lerie, et puis nous sommes bas en matière d'arg-ent ». Mar-nix à Walsingham, Bruges,
23 juillet 1582 (KERVYN DE LETTENHOVE, Documents inédits sur l'histoire du XVIe siècle.
p. 27(}).
>(7) Libro de las eoscs de Flandes, fo 232vo. ,
(8) ,Farnèse à un ministre du Roi, 19 juillet 1'582 (B. N. P., ms. espagnol 182, r- 322);
Liber relationum, fo 114'°. STR."-DA(0, C" -t. III, p. 341) place cet épisode 'au moment où
Farnèse se trouvait à Poperlnghe, c'est-à-dire juin-juillet. Or, la date de la lettre du
prince citée el-dessus prouve que la reddition des Anglais doit se placer avant le 19 juillet.
90
tement. Il ne regretta point son geste. En effet, au moment où, au
début d'août, le prince était sur le point de quitter Poperinghe pour
se diriger vers Bergues-Saint-Winoc, un gentilhomme écossais,
nommé William Semple, capitaine d'une compagnie des États, vint
le trouver en secret -etlui déclara qu'il avait le moyen de lui procurer
l'entrée de la ville de Li-erre. D "abord hésitant, Farnèse finit par
accepter la proposition. Il chargea Matteo Corvini, capitaine expéri-
menté, de se rendre avec six cavaliers d'élite à Namur, Philippeville
et Louvain pour retirer des garnisons de ces villes les forces néces-
saires à l'entreprise. Le matin du 2 août, Corvini et ses hommes se
présentèrent devant Lierre et, grâce au stratagème imaginé par
l'Ecossais, parvinrent à se rendre maîtres de la ville.
La prise était d'importance. Si Lierre n'était pas une ville con-
sidérable, elle était bi-en fortifiée, et c-elui qui la possédait pouvait
menacer la sécurité d'Anvers, de Malines, de Bruxelles, de Vilvorde,
de Diest et dHérenthals (9). La trahison de Semple avait ainsi permis
à Farnèse de planter un jalon pour l'exécution du grand plan d'offen-
sive dont nous avons parlé plus haut.
Les troupes qui s'étaient emparées de Lierre la mirent complè-
tement à sac et la pillèrent de fond en comble. EUes y trouvèrent le
capitaine espagnol Alonso, huguenot au service des États, qui avait
organisé peu d-etemps auparavant la surprise de Diest et qui, griè-
vement blessé, avait été transporté à Lierre. Les vainqueurs le pen-
dirent par les jambes jusqu 'là ce que la mort s'ensuivît (10).
Farnèse, en envoyant le capitaine Corvini, avait donné des
ordres sévères pour qu'on ne saccageât point Lierre, mais les soldats
wallons n'écoutèrent point ces recommandations (11). Le prince en
fut outré et envoya tout de suite le conseiller de Brabant Van
Maelcote pour examiner sur place la situation (12). Celui-ci constata
Lorsque Mendoza, ambassadeur espagnol à Londres, eut appris que Farnèse avait enrôlé
les transfuges anglais, il s'empressa d'en écrire à Philippe II pour lui démontrer le danger
de cette politique. Il estimait qu'elle justifierait désormais la présence d'Anglais dans
l'armée des Etats et qu'elle « Introduirait le loup dans la bergerie ». {Spanish Caienaar
1580-1586, pp. 398-399), Philippe Il lui répondit pour le remercier d'avoir signalé ce fait,
mais aussi pour lui dire que le prince de Parme était si prudent et si vigilant qu'il pren-
drait ses mesures pour ne pas être trompé (ibidem, p. 4(3).
(9) Farnèse au RoI, Bergues-St-Wlnoo, 7 aoüt 1582 '(A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 15, non folioté) ; Libro de las cosas de Planâes, fo 233; Libel' retatumum, fO. 114-115;
STRADA, o. c., t. III, pp. 342-3'43.
1(10) Lettre de Mormon à Granvelle, TournaI, 9 aoüt 1582 (Correspondance de Granvelle,
t, IX, pp. 269~270).
(11) L'on n'at sceu tant faire que ,ladite ville ne soit estée pillée, si bien sont
nez Wallons façonnez ». (Lettre de Morillon, citée ci-dessus).
{12) Farnèse au Roi, Bergues-St-Wlnoc, 7 aout 1582 (Loc. cil.).
91
que les dommages et les rançons infligés par les Wallons à la ville
s'élevaient à la somme d'environ 100.000 florins et que le tiers des
maisons était complètement abandonné. Le tableau qu'il traça de
la situation était lamentable (13).
Pendant que ces événements se déroulaient à Lierre, Farnèse
poursuivait sa marche à travers la Flandre, dans la direction de Dun-
kerque et de Bergues-Saint-Winoc, pour se porter 'au devant du
corps de troupes françaises conduites par le maréchal de Fervaeques
et qui cherchait à opérer sa jonction avec les troupes des États
rassemblées autour de Dunkerque (14). Le prince prit les mesures
les plus minutieuses pour ne pas être surpris par l'ennemi. Durant
la marche, des éclaireurs précédèrent l'armée, l'avant-garde fut
accompagnée de guides connaissant bien le pays. L'armée elle-même
resta tout le temps organisée en parfait ordre de marche, comme
on en adoptait d 'habitude en traversant une contrée ennemie : après
l'avant-garde, le corps de bataille, suivi de l'arrière-garde, avec les
bagages toujours au milieu de la colonne, les soldats ne portant que
leurs armes légères ·et observant le silence.
Les premières troupes françaises envoyées au secours d'Alençon
avaient débarqué à Dunkerque et, marchant sur Bergues-Saint-Winoc,
s 'y étaient fortifiées, lorsque l'armée du prince de Parme arriva dans
ces parages. Voulant tâter les forces de l'adversaire, Farnèse fit une
démonstration devant les murs de Bergues, mais l'ennemi ne montra
aucune envie de sortir de ses retranchements. Cependant, au moment
où les soldats du prince allaient se retirer, des forces adverses,
composées de mousquetaires et de piquiers français ,et anglais, ainsi
que de reîtres, s'avancèrent pour se jeter sur l 'arrière-garde. Une
escarmouche s'amorça et se développa rapidement jusqu'à devenir
un véritable combat, mais les troupes d 'Anjou rompirent alors le
contact et se retirèrent derrière les murs de Bergues. Dans cette
escarmouche, Philibert de Rye, seigneur de Balançon, frère du
marquis de Varembon, fut fait prisonnier (15).
Comme il était impossible d'empêcher le débarquement des
troupes françaises à Dunkerque et leur concentration, Farnèse rêso-
92
lut de se retirer de nouveau sur Poperinghe pour y observer les
événements. Mais, avant d'avoir quitté la région de Bergues, il apprit
que les premières troupes d'infanterie espagnole venant d'Italie
avaient déjà traversé le Luxembourg, passé la Meuse et entraient
dans le Hainaut. On attendait les Italiens, qui les suivaient de près,
les régiments du comte de Berlaymont €t de Don Juan Manrique,
ainsi que les sapeurs recrutés en Bohême et au pays de Liége. Dans
la nuit du 12 août, Pinf'anterieespagnole et les sapeurs de Bohême
arrivèrent à Lille et bientôt les 40 premières enseignes des troupes
si longtemps attendues :firent leur apparition au camp du prince de
Parme (16). On peut s'imaginer avec quel transport de joie on les
reçut!
Cependant, Farnèse ne fut pas sans appréhension au sujet de la
situation qu'allait créer l'arrivée des renforts d'Italie. Comme tou-
jours, il se trouvait presque sans argent, incapable de pourvoir rapi-
dement au ravitaillement d'une armée si considérable. Dès le 15 août,
la situation devint alarmante: la nécessité d'argent se faisait dure-
ment sentir, les soldats ignoraient toute discipline, les habitants des
vil'leset des villages où les troupes étaient cantonnées souffraient
beaucoup et de toutes parts, des plaintes amères se firent
entendre (17). En arrivant dans la région de Poperinghe, considérée
comme « pays ennemi », le prince de Parme fit tout son possible
pour ne pas exaspérer les populations. Il leur prodigua des paroles
d'encouragement et d'espoir) et refréna dans la mesure du possible
la rapacité de ses soldats. Il leur :fit comprendre que, en ne mal-
traitant pas les paysans, ils pouvaient espérer de ceux-ci de la nour-
riture et de l'aide dans les durs travaux du camp, et qu'ils ne
devaient en aucune manière provoquer la fuite des habitants. Mais
ceux-ci, trop habitués aux sévices de cette soldatesque brutale, ne se
fièrent point aux promesses du prince de Parme et préférèrent cher-
cher leur salut dans la fuite. C'est ainsi que beaucoup de villages de
cette région riche et féconde, abandonnés par la population, furent
impitoyablement saccagés, pillés de fond en comble et incendiés (18).
* * *
(16) Farnèse au Roi, Bergues-St-Wlnoc, 7 et 12 août 1582 (A. G. R., Copies de Siman-
cas, vol. 15, non folioté); Farnèse à un ministre du Roi, Bergues-St-Winoc. 11 août 1582
(B. N. P., ms, espagnol 182, fo 3-23'ro); Liber relatumum, fo 114va; Libro de las casas
de Flandes, r- 233.
{17) Farnèse au Roi, Audenarde, 31 août 1582 (A. G. R., Copies de 'Simancas, vol. 15,
non folioté).
{18) Liber relattonum, fo fUn,
93
Se rendant compte de la menace que constituait l'entrée des
Français dans la Flandre méridionale, le prince de Parme, ne vou-
lant pas être pris entre ces troupes et les forces d'Alençon qui se
trouvaient toujours près de Gand, résolut d'attaquer celles-ci à
l'improviste et d'essayer de les affaiblir autant que possible (19).
Elles ne comptaient que 5.000 hommes environ (20) et Farnèse avait
maintenant à sa disposition les nouvelles troupes venues d'Italie. Il
y avait d'ailleurs une raison spéciale pour attaquer ces forces : elles
s'apprêtaient à reprendre le château de Gavre, conquis naguère par
le marquis de- Richebourg (2'1).
Partant de Poperinghe, Farnèse achemina ses bagages et envoya
1.000 fantassins et quatre compagnies de cavalerie vers Lille, tandis
que lui-même, avec le reste de l'armée (22), se rendit rapidement à
Audenarde. Pendant 'qu'il y accordait quelques heures de repos à ses
soldais, il envoya en reconnaissance du côté de Gavre le lieutenant
Cabrera, avec 40 cavaliers espagnols. Ceux-ci revinrent promptement
avec trois prisonniers, par lesquels on apprit que les forces d'Anjou
n'étaient pas loin, mais que, au lieu d'être solidement retranchées sur
place, elles campaient avec leurs bagages, entourées de chariots pour
se défendre. Il était évident que, devant l'arrivée de l'armée de Far-
nèse, elles avaient décidé de se retirer sur Gand.
Le plan du prince de Parme fut tout de suite dressé : il fallait
gagner les ennemis de vitesse, les accrocher dans leur retraite et les
anéantir avant qu'ils n'eussent pu atteindre cette ville.
Le 26 août, après minuit, le prince de Parme fit partir ses
soldats d' Audenarde, en plaçant l'infanterie espagnole en avant-
garde. Ordre fut donné au marquis de Richebourg de précéder avec
la cavalerie et de tenter d'arrêter l'adversaire jusqu'à ce que l'infan-
terie eût le temps d'arriver. L'avant-garde de ces cavaliers, à laquelle
incombait la tâche la plus importante et qui était commandés par
l'Albanais Papada, se mutavee tant de lenteur que les troupes
d'Alençon eurent le temps de décamper et de commencer leur retraite.
95
derrière lequel L'adversaire se défendait avec ténacité. Le prince de
Parme comprit qu'il serait inutile de prolonger ce combat, puisque
son but, la destruction des forces ennemies, ne pourrait être atteint.
Il fit sonner la retraite, laissant sur le terrain 60 morts et 223 blessés.
Du côté espagnol, on estima les pertes des troupes d'Alençon à 2.000:
plusieurs des soldats français, en effet, s'étaient noyés, en voulant
fuir ou en combattant, dans les eaux de l'Escaut et de la Lys (2'3).
'Cependant, le prince de Parme, écrivant au Roi, porta les pertes
de L'adversaire à 800 hommes (24).
Ne s'estimant plus en sûreté à Gand, après cette attaque du
prince de Parme, le duc d'Anjou s'en alla à Anvers, 'Où il se fixa
définitivement. S 'y voyant sans pouvoir et réduit à une honteuse
inaction au monastère qui lui fut assigné comme résidence, il se
plaignit bientôt de n'être « qu'un abbé de Saint-Michel, par la grâce
du prince d'Orange» et non le souverain des Pays-Bas (215).
(23) Farnèse au Roi, 29 août 1582 (Loc. cit.); Farnèse à sa mère, 30 août 1582 (A. F. N"
Carte tamesume, Fiandra, fasoio 1682); Liber relattonum, fo 116; Libro de las cosas (!Je
Flandes, fO 234;, STRADA,o. c., t. III, pp. 345-348; C. CAMPANA,0, c., fos 38,o-38vo; Mémoires
sur le marquis de Varembon, pp. 25-27; A. VASQUEZ,Los sucesos ..., lac. cit., pp, 369-371.
{24) STRADA,0, C" t, III, p. 347; Relaçum de to suceduio al 30 de Agosto 1582 OJ Gand
(A. F. N., Carte tosnenane, Fiandra, fascia 1682).
(25) KERVYNDE LETTENHOVE,O. C" t, VI, p, 341,
i(26) Farnèse au Roi, Camp de Messines, 16 septembre 1582 (A. G. R., Copies de Siman-
cas, vol. 15, non folioté). Liber relationum, fo 116; Libro de las cosas de Flanâes, fo 234;
P. FEA, O. C., p. 154.
(27) PIERRE DE COLINS, O. C., p. 615.
régulièrement les travaux de ce fort et c'est à cette occasion que
Pierre de Oolins nous raconte une anecdote qui, une fois de plus,
met en relief le courage et le sang-froid de Farnèse (2'8).
« Pendant que l'on travaillait au fort de Haluin, dit-il, le prince
de Parme le vint souvent visiter, et en passant devant Menin, il fut
salué de canonnades, sans hâter pour cela plus vite le pas de son
cheval. Son rendez-vous était au quartier de M. le comte d Tsenghien,
sans s'émouvoir des boulets de canon, qui volaient par dessus la
maison et rompaient des ormes tout proches, »
En ce moment, on se préoccupait beaucoup du côté des États de
mettre sur pied l'armée nécessaire pour tenir têteaux forces de Far-
nèse. Le 18 septembre, à Anvers, le prince d'Orange rédigea un
mémoire qui étudiait minutieusement la question. Il proposait l'enrô-
lement de 30.000 piétons et de 5.000 cavaliers) allemands, anglais,
écossais, français et gens du pays. L'entretien de cette armée coûte-
rait 320.000 livres Artois par mois, et chaque province y contri-
buerait, comme suit : le Brabant, pour 63.000 livres; la Gueldre, pour
10.000; la Flandre" pour 105.000; la Hollande et la Zélande, pour
93.000; la Frise, pour 23.000; l 'Overijssel, pour 5.500; Utrecht, pour
9.000; la seigneurie de Malines, pour 1.500 (29) .
C 'étaient de beaux projets, mais l'esprit particulariste des pro-
vinces, tout autant que les circonstances, devaient empêcher de les
réaliser.
Mais on comprendra que le 'I'aeiturne ne cessait d'insister sur la
question, si l'on sait que, au même moment, les Gantois tenaient entre
leurs mains, comme prisonnier, le docteur Hippolyte Pennone, le
médecin du prince de Parme, dont nous avons parlé antérieurement
à propos de la mort de Don Juan d'Autriche.
Examiné par Byhove et le magistrat gantois, Pennone avait
déclaré que Farnèse avait à présent sous ses ordres cinq régiments
d'Allemands, 5.000 Italiens et 5.000 Espagnols, sans compter les
Bourguignons et les Wallons. Oes renseignements étaient quelque
peu fantaisistes, mais ils n'en firent pas moins une impression
considérable (30).
De son côté, Farnèse s'inquiétait des nouvelles qui lui parve-
naient au sujet de l'approche des renforts français destinés à Anjou.
97
On disait, à la fin de septembre, que ces troupes se tenaient déjà à la
frontière des Pays-Bas et que, composées de 10.000 fantassins et
2.000 cavaliers, elles comprenaient plusieurs compagnies d'ordon-
nance. du Roi de France et des piquiers suisses. Un indice qui sem-
blait de mauvais augure, c'est qu'un édit royal avait ordonné aux
Espagnols 'et aux étrangers résidant à C.alais et dans les villes fron-
tières du côté de Flandre de quitter celles-ci et de sortir du royaume
ou de se retirer sur la côte de la Méditerranée (31).
Ainsi, des deux côtés, les adversaires rr'envisageaient guère les
jours à venir sans une réelle appréhension. En attendant, de part
et d'autre, on essayait d'infliger à l'ennemi le plus de dommage
possible. p.ar des coups de main ou des expéditions rapidement
menées.
C'est ainsi qu'au début d'octobre 1582, des troupes françaises,
sortant de Cambrai, s'emparèrent par surprise du fort de L'Ecluse,
entre Cambrai et Douai. Farnèse groupa aussitôt quelques forees
sous le commandement de La Motte, dans la région de Gravelines,
et se dirigea du côté de L'Ecluse 'Pour reprendre le fort. Il entendait,
surtout, démontrer au duc d 'Alençon qu'il avait maintenant suffi-
samment de soldats à ,sa disposition pour faire face à rr'importc quel
essai de diversion de la part de ses adversaires (32).
Le 20 octobre, l'ennemi capitula (33). Se trouvant non loin de
Cateau-Cambrésis, dont la garnison inquiétait continuellement par
ses expéditions de pillage l'Artois et le Hainaut; le prince de P.arme
s'en rendit rapidement maître (34).
Pendant que le prince opérait dans cette région, et au moment où
il venait de refuser aux nobles des régions wallonnes d'entreprendre
le siège de Cambrai, l ',état de son armée ne le lui permettant
point (35), l 'ennemi entreprit une audacieuse attaque de Louvain.
Le 29 'Octobre, ayant rassemblé en secret environ 8.000 fantassins,
retirés des garnisons de Bruxelles, de Vilvorde et de Malines, ou
empruntés aux eompagnies françaises et anglaises du duc d'Anjou,
l'ennemi s'approcha de Louvain à la pointe du jour et dressa les
'(31) Farnèse à un rnmlstre du Roi, Camp de Messines, 30 septembre 1582 '(B. N. P.,
ms. espagnol 182, [0 324?0); Libro de las cosas de Fumâes, fo 236.
,(32) Libro de las cosas de Flanâes, fo 236vo; Lib,er relationum, fo 117; Farnèse au Roi.
Camp de Frec, 16 octobre 1582 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 15, non folioté).
(33) Farnèse au Roi, Oamp de Freo, 24 octobre 158·2 {A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 15, non folioté).
(34) Farnèse au Roi, Camp de Frec, 16 octobre 1582 {Loc. cit,) ; Liber reiatumum; fo H7.
'(35) Farnèse au Roi, Camp de Frec, 24 octobre 1582 {Loc. cit.).
98
échelles d'assaut. Alertés par Fabio Mattaloni, le chef des mifices
bourgeoises, qui, 'au cours d'une ronde sur les remparts, avait
découvert la présence des assaillants, les soldats italiens, wallons,
allemands et bourguignons de la garnison, aidés par les bourgeois, se
défendirent vaillamment. Quoique) à un cert.ain moment, l'ennemi eût
réussi à planter en quelques points des murailles les drapeaux du
duc d'Alençon, il finit par être repoussé, laissant sur place environ
200 tués et abandonnant ses échelles d'assaut (36).
* *, *
A cette époque - septembre et octobre 1582 - la situation des
troupes de Farnèse était devenue critique par suite du manque
d 'argent et de vivres. Lorsque, un ou deux mois auparavant, les
Espagnols étaient rentrés aux Pays-Bas) ils avaient frappé les popu-
lations par leur allure martiale et leur discipline magnifique. Pierre de
Colins, qui fut témoin de leur arrivée au camp du prince de Parme,
nous dit : « Je les vis arriver et passer devant les portes de la ville
de Lille. C'ét'aient des gens d'élite, bien armés, et il n'y avait presque
aucun soldat qui ne portât mine de capitaine» (37).
Mais le même témoin ajoute aussitôt : « Mais ils furent bientôt
changés par l'incommodité d'un âpre et pluvieux hiver ».
Déjà avant cet hiver, les superbes guerriers castillans avaient
perdu leur prestance, l'éclat de leur regard, la mine réjouie de gens
bien nourris, et on ne pouvait plus noter la propreté et le soin des
armes, qui trahissent le soldat fier de son métier et bien payé. Les
populations rurales les virent passer le long des routes, pâles et
amaigris, grelottants de fièvre, épuisés par la faim et les privations.
Le 16 septembre, Farnèse écrivit au Roi en le suppliant d'envoyer
l'argent nécessaire pour mettre fin à cette situation et en lui disant
que c'était un miracle, si jusque-là, aucune révolte n'avait éclaté (38).
Pour faire face aux besoins les plus urgents, le prince avait
contracté un gros emprunt auprès du banquier italien Tommaso
Fieschi : le 2:3septembre, il reçut des lettres de change d'une valeur
de 600.000 florins. Cet argent fut immédiatement englouti dans le
99
gouffre et quelques jours après, Farnèse se lamentait, dans sa corres-
pondance avec son père, qu'après avoir payé tous ses créanciers,
il lui restait encore une dette de 200.000 florins (39).
Les approvisionnements de toute nature vinrent, en conséquence,
à manqueryet il se passait quelquefois des journées entières sans que
les soldatseussent du pain à se mettre sous la dent (40). Et la situa-
tion était la même partout, aussi bien en F'landre qu'en Brabant.
Le prince de Parme avait pris avec lui en Flandre les vétérans
espagnols, dont la valeur lui inspirait pleine confiance ·et qu'il desti-
nait aux entreprises les plus périlleuses, tandis qu'il avait envoyé en
Brabant les troupes italiennes, composées de recrues nouvelles et
moins aguerries (41).
Les Espagnols, quoique endurcis et habitués à souffrir, résistè-
rent difficilement à l'extrême pauvreté où Farnèse dut l'es laisser,
malgré tous ses efforts pour y porter remède. Mieux payés d'habi-
tude que les soldats des autres nations, ils s'accommodaient mal dn
dénuement où ils se trouvaient en ce moment (42).
Quant aux Italiens, ils étaient dans une misère noire. De toutes
les garnisons du Brabant, des plaintes ne cessaient d'affiuer (43). A
Louvain, l 'Université et le magistrat s'émeuvent à tel point des souf-
frances des soldats qu'ils décident de prier le gouverneur général d'y
porter remède sans retard (44). Dans la région de Maëstricht, les
soldats italiens meurent de faim et de froid: un corps de garde entier
se jette des murailles et déserte (45). A Lierre, le maître de camp
Mario Cardoino trace un tableau très sombre des souffrances qu'en-
durent ses hommes (46). D' Aerschot, le capitaine Cavaceio écrit pour
demander son congé, faisant valoir qu'il est sans soldats, ceux-ci
s ',étant tous enfuis pour chercher à se nourrir (47). A Geldorp, les
«3-9) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 152.
'(40) Ibidem.
(41) ïnterrogatotre du <Dr. Pennone, prisonnier des Gantois, cité plus haut; A. VAS-
QUEZ, Los sucesos ..., loc. cit., p, 372,
(42) Farnèse au Roi, Camp de Ninove, 16 novembre 1582 (B. N. P., ms. espagnol 182,
r- 326); Libro de las cosas de Flandes, fo 236.
(43) Voir pour plus de détails notr-e étude Les Italiens en Flandre au XVI" et au
XVIIe siècle, pp. 12-16.
'(44) Correspondance de Fabio Matt.aloni avec Farnèse, 1582 «A. F. N., Carte farnesiane,
Fiandra, fascie 1664).
(45) GomicouTt à Farnèse, 1582 {A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fasclo 1646).
1(46) Lierre, décembre 1582 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1664).
(47) Aerschot, 8 décembre 1582 (ibidem). Plusieurs lettres du même, traitant le même
sujet, dans A. F. N., loc. cit., fascia 1642,
100
hommes du sergent-major Acerbo sont « nus et sans argent» (48).
De Louvain, Mattaloni signale que ses soldats l"abandonnent et cher-
chent les endroits où ils trouveront de la paille pour dormir. Des
groupes entiers ont quitté la ville sans permission, en disant qu'ils
préfèrent se laisser tuer plutôt que de mourir de faim. D'autres ont
jeté leurs armes dans les fossés et se sont rendus à des cavaliers
ennemis qui rôdaient dans les environs (49). A Weert, la compagnie
de Roberto Guallone est dépourvue de tout; en dehors de la ration
quotidienne, il n'y a pas moyen de se procurer des vivres, malgré la
bonne volonté des habitants (50). A Hal, en l'absence de pain et de
bière, les Allemands se sont révoltés et les Wallons n'ont pas une
« plaque » d'argent (51). A Tirlemont, le capitaine Fraehia voit
arriver dans sa chambre des soldats en fureur, qu'un caporal pié-
montais a ameutés en exploitant leur misère. Laissé sans vivres et
sans un réal, il 'parvient finalement à rétablir Perdre dans la com-
pagnie (52). On n'en finirait pas de relever les cris de détresse qui
se font entendre de toutes parts.
Dans ces conditions, le prince de Parme se trouva dans l'impos-
sibilité de maintenir une des directives principales de sa politique
aux Pays-Bas : il lui était désormais interdit d'ordonner à ses sol-
dats de respecter les biens et les personnes des habitants et de les
empêcher de vivre sur le pays (53).
C',est pour ce motif qu'il avait cantonné ses troupes pendant un
mois dans la châtellenie dYpres : là, on était en pays « ennemi» et
on ne devait pas ressentir trop de scrupules à ravager les campagnes.
Le prince n'y avait dailleurs pas consenti de gaîté de cœur. TI s'en
ouvrit à son père Ottavio, en lui écrivant : « Les soldats en profit-ent
pour prendre leur bien où ils le trouvent et pour se livrer aux pires
désordres. C'est une chose qui m'afflige profondément, mais com-
ment y ,remédier sans argent! » (54)
C'est encore pour loger ses troupes en pays ennemi qu'au début
de novembre le prince se décida à entreprendre le siège de Ninove.
(48) Acerbo à Farnèse, 29 septembre 1582 «A.F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 75).
1(49) Louvain, 13 septembre 15~2 (A. F. N., Carte farn.esiane, Fiandra, rascto 75).
'(50) Weert, 6 octobre 1582, {A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 75).
{51) Francesco Oonradini à Farnèse, Hal, 15 octobre 1582 (A, F, N" Carte tamesume,
Fiandra, fascio 75).
«52) Lettres du 23 septembre et 29 octobre 1582 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra,
tiascio 75).
'(53) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 152.
(54) Lettre du 30 septembre 1582 (A. F, N., Carte farnesiane, Fiandra, rascio 1640),
101
« Je suis peu aidé par le pays ami, qui est exténuéçêcrivit-il à
à son père, et je dois être très prudent vis-à-vis de mes troupes, car
la révolte couve. J'entraîne donc mes soldats plus loin, pour ne pas
exaspérer les gens par les excès de mes hommes. » (55).
L'entr-eprise fut accompagnée de grosses difficultés. Des pluies
torrentielles et des bourrasques empêchèrent plus d'une fois l'arrivée
des vivandiers ,et l'armée se trouva, pendant plusieurs jour-s, sans
pain. Ce dénuement, joint au froid, qui les faisait beaucoup souf-
frir, vainquit la fidélité proverbiale des Espagnols. Plusieurs aban-
donnèrent leurs drapeaux et s 'enfuirent : même une enseigne entière
déserta et reprit le chemin de l'Italie (56). La misère et les incommo-
dités furent telles, dit l'auteur des Mémoires sur le ma-rquis de
Varembon, que « nul chef qui fusse en l'armée se souvenoit en avoir
veu de semblable ». Un capitaine espagnol donna une chaîne d'or de
200 ducats pour 30 pains noirs, afin de nourrir sa compagnie. L'épi-
sode le plus curieux fut pourtant celui-ci. Don Gonzalo Giron, sergent-
major du terçio de Pedro de Paz, s'était rendu au pavillon de Far-
nèse pour y prendre des ordres et avait laissé 'son cheval à l'exté-
rieur. Lorsqu'il revint, il constata que les soldats de garde devant
la tente avaient tué le cheval, l'avaient dépecé et l'avaient partagé
entre eux pour le manger. Giron, loin de se mettre en colère, demanda
aux soldats qu'on lui réservât sa part. Touché par cette conduite de
l'officier, Farnèse lui fit cadeau d'un de ses propres chevaux (57). Il
resta de cette période de disette un souvenir tellement vivace qu'on
eut dès lors l 'habitude, dans l'armée des F'landres, d'employer
l'expression: la [aim. de Ninove (58).
Malgré toutes ces difficultés, deux pièces d'artillerie de siège
avaient pu être établies le 11 novembre: les autres ne purent arriv-er
à cause du mauvais temps, qui avait transformé les routes en bour-
biers. Le 12, les assiégeants parvinrent à s 'approcher du principal
ravelin de la place. Ce que voyant] les assiégés demandèrent à capi-
:(55) « J'examine s'il n'y aurait pas. moyen de prendr-e Ntnove, pour permettre à mes
troupes de vivre un peu sur Le pays ennemi » écrit-il au Roi, le 24 octobre 1582 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 15, non toltoté) ; Alexandre F-arnèse à son père, Ninove, 41 novem-
bre 1582 ~A. F. N., Carte farnesiane, Fiantf,ra, fascio 1636).
(56) Farnèse à un ministre du Roi, 16 novembre 1582 (B. N. P., rns, espagnol 182,
fo 326); Libro de las cosas de Flanàes, fo 236; STRADA, o. C., t. III, p. 348,
'(57) A. SALCEDO RUIZ, El coronet Cnstôoa; de Mondrag6n, pp. 156-157. - Sur la
« faim de Ninove », A. Vasquez donne beaucoup de détails pittoresques et slgnlûcablre
(Los sucesos ..., pp. 39,2-397).
(58) STRADA, o. C., t. III, p. 348.
102
tuler. Le prince de Parme y consentit et accorda à la garnison, com-
posée de neuf enseignes, ainsi qu'aux habitants, des conditions fort
clémentes. Les officiers purent sortir avec leurs armes et les héré-
tiques qui se trouvaient en ville ne furent l'objet d'aucune mesure de
rigueur (59).
Farnèse envoya ensuite le colonel de Mondragon assiéger le
château de Liedekerke, qui tomba aux premiers coups de canon. Puis,
ce fut le tour de celui de Gaesbeek: la garnison qui l'occupait,
apprenant que Liedekerke s'était rendu, ne tarda pas à suivre cet
exemple (60).
103
Farnèse décida de ne pas quitter la position avantageuse
dAssche : la saison était trop avancée pour que l'on pût tenter
une entreprise quelque peu importante. « Comme je dispose ici de
fourrage, écrivit-il à son père, et que cette place d'armes est assez
favorable, je ne veux pas perdre ces avantages et j'attendrai ici
les événements» (64).
'Comme le. manque de vivres continuait à se faire sentir (6'5), et
que le mauvais temps avait fini par provoquer des maladies, le prince
de Parme jugea nécessaire d'envoyer ses troupes en quartier d'hiver.
Dans l'espoir d'assurer à ses soldats l 'hospitalité de l'une ou
l'autre région où les habitants consentiraient à les héberger, Farnèse
convoqua le Conseil d'État, les gouverneurs de province et ceux des
villes fidèles.
Obstinément attachées à la lettre du traité d'Arras et aux condi-
tions posées pour le retour des soldats étrangers en 1582, qui n'auto-
risaient pas ces soldats là tenir garnison dans les villes, ces autorités
firent entendre qu'il ne. pouvait être question de loger l 'armée dans
les places des provinces réconciliées. Elles ne laissaient même pas
l'espoir détablir les camps dans le voisinage de ces villes, en faisant
valoir la disette dont on souffrait partout en ce moment. En tous
cas, affirmèrent-elles, une autorisation de ce genre ne pouvait se
donner sans une consultation ou une réunion des États (66).
Le prince logea alors ses troupes dans des baraquements, le
mieux qu'il put, sur les terres d'Église et sur les domaines apparte-
nant au Roi (67), entre Tournai et Lille. Les Espagnols occupèrent
la région vers Merville et Armentières; le reste de l'armée, composé
de Bourguignons, de Wallons, d 'Allemands, d 'Anglais et d'Écossais,
fut envoyé dans la région de Cassel (68).
{64) Lettre du 12 décembre 1582, citée ci-dessus. - Même contenu dans sa lettre au
Roi, du 6 décembre 1582, citée ci-dessus. - A. Vasquez dit à ce propos: « Dio orden
ALexandre que Isus soldades] arruinassen y destruyesen las campaüas de Bruselas y
Terramunda, que estahan por los reb eld'es, y se aproveohassen dellas •••» {Los sucesos.c,
loc. cit., p. 380).
(6;) « Tout ce camp fut quasi dissipé à fauLe de vivres, et par l'incommodité, froidure
et malice du temps, Je parlay à divers capltalnes de ma cognoissance ; l'un se plaignoit
u'avolr que douze, l'autre que dix, l'autre nuls soldats: je vis des Allemans chercher parrny
les champs des petits naveaux, pour passer leur extrême, famine ». PIERRE COLINS, O. C.,
p. 624.
(66) Farnèse à un ministr.edu Roi, Tournai, 15 janvier 1;)83 ~B. N. P., IDS. espagnol
182, fo 328ro).
1(67) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 217.
(68) A., VASQUEZ, Los sucesos,,,, loc, ctt., pp, 397 et 399; lIfémoi1'es sur le marquis de
Varembon, pp, 28 svv, ,
104
En fais-ant connaître ces décisions à un ministre du Roi, au début
de 1583, le prince de Parme ajouta ces paroles significatives- : « Cette
armée se trouve dans une situation au plus haut point lamentable. Si,
s-ans tarder, Sa Majesté n'y remédie pas par l'envoi d'infanterie
espagnole, de cavalerie légère, et d'une bonne provision d'argent, je
ne sais comment je ferai face à la situation» (69).
Les belles troupes qui étai-ent arrivées .au mois d'août av-aient
fondu par la faim, le froid, les maladies et la misère. C'est C'e qui
explique que les espoirs que le prince avait nourris à leur arrivée ne
se réalisèrent point.
En dehors de la pris-e de Ninove, rien de bien considérable
n'avait été obtenu: la tentative de destruction des forces d'Alençon
près de Gand avait échoué eUe prince n'avait pu s'opposer à l'entrée
des troupes françaises du maréchal de Biron (70).
105
CHAPITRE VII.
(1) KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 342..a67; P.-J. 'BLOK, Willem de Berste,
t. II, pp. 1'78-179.
{2) ANT.CARNERO, HistorUl des las guerras civiles, p. 175.
{3) KERVYN DE LETTENHOVE;, O. c., t. VI, p. 360.
106
chal de Biron occupèrent le camp qui avait été établi dans cette
dernière localité.
C'est alors que le prince français tenta d'exécuter le plan auda-
cieux qu'il avait conçu. Le même jour, si possible, un complot devait
éclater dans toutes les villes des Pays-Bas où se trouvaient des gar-
ni'SOIl!Sfrançaises: en même t-emps, Alençon lui-même s-e chargerait
de s-e rendre maître d'Anvers. C'est le 17 janvier 1583 qu'eut lieu
cette dernière tentative, connue sous le nom de Furie française. On
sait comment elle échoua (4).
Le complot réussit cependant en ce qui concerne les villes de
Termonde, de Dunkerque et de Dixmude (5), où des troupes fran-
çaises parvinrent à s 'introduire de force.
Le lamentable échec d'Anvers changea complètement la situation
politique et militaire en faveur d'Alexandre Farnèse. Celui-ci se ren-
dit immédiatement compte à quel grand danger la cause royale venait
d'échapper. Ecrivant au cardinal de Granvelle pour lui signaler avec
anxiété qu'il attendait les 400.000 écus promis par le Roi, il lui dit :
« Si le coup de main d'Alençon sur Anvers avait réussi, vous pouvez
bien vous imaginer quelle aurait été ici ma 'situation, avec une armée
si faible et sans argent. Je vous laisse deviner aussi quelle aurait
été l'attitude du Roi de France. A Madrid, on devrait se rappeler tout
cela et ne pas tenter la divine Majesté en présumant qu'elle ait tou-
jours à faire des miracles» (6).
Cependant, le prince de Parme profita immédiatement de ces cir-
constances si favorables pour essayer d'en tirer tout le fruit possible.
Il se dit que peut-être, après la trahison d'Alençon, qui avait mis
le prince d'Orange en fâcheuse posture, il y aurait moyen d'amorcer
des négociations avec les Éta:ts Généraux ou avec certaines villes
importantes pour les amener à se réconcilier avec le Roi. Il convoqua
le Conseil d'État, le Conseil de guerre, le Conseiâ privé, les gouver-
neurs des provinces et des principales villes des régions obéissantes
et leur exposa ses vues sur la situation. Trois moyens s'offraient,
(4) Voir sur la Furie française, les avvisi de corogne et d'Anvers, datés du 18 et du
19 janvier 1583 publiés dans Correspondance de Granvelle, t. X, pp. 24 svv.; MO'ITLEY, O. C.,
t VI, pp, 166-174; KERVYN DE LETl'ENHOVE, O. C., t. YI, pp. 365-369,
(5) STRADA, o. c., t. III, p. 364; KERVYN DE LETTENHOVE, O. C" t, VI, p, 369.
(6) Lettre du 25 janvier 1583 (A. F. N., Carte famBsiane, Fiandra, fasclo 1647). -
Voici une anecdote caractéristique racontée par Pierre de Colins, (o. C., pp. 624-625) :
" Nous ne fumes pas huict jours retournez à Tourna!... que voici arriver les nouvelëes de
l'attentat que lie duc d'Alençonavoit tailly sur la ville d'Anvers: jamais n'ay veu telle
restoujssance, les principaux seigneurs allaient chantans parmy la vine. Ce n'estolt point
sans cause, car l'on voioit lie redressement soudain du mauvais estat des affaires ».
107
d'après lui, de tirer parti de la faute de son adversaire : l'emploi
de la force, des nêgociations de paix avec les États Généraux, des
négociations particulières avec le duc d'Anjou tendant à se faire
remettre les villes que le prince français avait en son pouvoir (7).
Il' apparut immédiatement que le premier moyen} la force, était
absolument impraticable. Les troupes dont disposait Alexandre Far-
nèse étaient trop peu nombreuses pour y songer. Le second moyen:
la négociation avec les États,semblait difficile à l'extrême, mais on
fut d'avis qu'il ne devait pas être rejeté à priori. Ce qui laissait peu
d'espoir sur ce point, d'après le prince de Parme, c'était la présence
du Taciturne et la question religieuse, deux obstacles presque insur-
montables. Quant à essayer de nouer des rapports avec le duc d'An-
jou, ce moyen ne semblait pas si chimérique, car on se rendait compte
que le prince français devait se trouver à présent dans une situa-
tion peu enviable. De plus, des négociations avec Anjou pourraient
conduire un jour à des négociations avec les États Généraux.
Après plusieurs échanges de vues, tout le monde fut d'accord
pour tenter immédiatement d'entrer en rapport avec Ies États
Généraux et avec les villes principales qui leur étaient fidèles. Le
prince de Parme écrivit donc de-s lettres aux États et à ces villes,
pour les engager à rentrer dans le devoir. En même, temps que ces
missives étaient expédiées par la voie de Cologne, Farnèse fit partir
un certain nombre de personnages catholiques, en qui il pouvait
avoir confiance, mais qui n'étaient pas connus des « rebelles »,
pour 's'introduire dans les milieux des États et y travailler les esprits
dans le 'sens désiré par lui. Toutefois, l'emploi de ce moyen fut limité
par l'exiguité des moyens financiers dont Farnèse disposait. Il savait
très bien que ces agents secrets devaient être pourvus de quelque
bonne somme, qui leur permettrait d'acheter l'adversaire, L'expé-
rience de 1579 lui avait montré toute J'efficacité de cette méthode.
En outre, les gouverneurs des villes réconciliées qui se trou-
vaient les plus proches des villes rebelles essaieraient d'entrer en
rapport avec les personnages du parti adverse qu'ils connaissaient.
C'est an si que le marquis de Richebourg, le baron de Montigny et le
sire de Rassenghien partirent pour la ville de Hal et, de là, adres-
sèrent une lettre personnelle aux députés des provinces rebelles,
108
s 'offrant de jouer le rôle de médiateur entre eux -et Alexandre Far-
nèse pour aboutir à une réconciliation générale (8).
Tout en ne négligeant rien pour exécuter ce plan, le prince de
Parme ne se trompait point sur sa valeur pratique. « A vrai dire"
écrivait-il à Philippe II, je n'attends pas grand fruit de cette négo-
ciation, paree qu 'Orange est encore bien vivant et que chaque, jour
il gagne du crédit, à cause de cette maladresse des Français : le
peuple, en effet, se rend compte quil' ignorait le complot du duc
d' Anjou et qu'il est le défenseur des libertés publiques. De plus, les
gouverneurs des vines principales, Tescapitaines et les magistrats de
son parti sont hérétiques et dévoués corps et âme à sa cause. » (9)
* '"','*'
'(8) Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 25 janvier 1583 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 1·5, non folioté); Alexandre Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 1e r février 1583
(B. N.P., ms. espagnol 182, r- 330 VO
); STRADA,o. C" t, III, pp. 366-367.
(9) Lettre citée du 25 janvier 1583.
(tü) Sur la confusion qui régnait dans les esprits après l'échec de la « Furie f'hoan-
çalse .~, voir l'intéressant exposé de la préface des Catenâars of State Papen, Foreign,
1583 and addenda, pp. VIII svv.
-(11) Anjou au prince d'Orange, Camp de Berehem, 17 janvier 1583 (GACHARD,Corres-
pondance de Guillaume le Taciturne, t. V, pp. 78-79); Cfr KERVYN DE LETTENHOVE, Les
lluguenots et les Gueux, t, VI.
'(12) A ce suj-et, il est intéressant die lire I'artrcle de R. RE'UTER, Franz von Alençon
(Anjou) und der Augsburger Reichstag von 1582, dans le Zeitschrift des Historischen
Vereins tür Schwaben und Neuburg, t. XL, 1914, pp. 46-76. La comespondanoe échangée,
au mois d'août 1582, entre les députés à la Diète d'Augsbourg et l'empereur Rodolphe II
109.
reine Élisabeth dAngleterre ne viendreient les secours efficaces,
sans lesquels l 'œuvre qui était le rêve de sa vie était condamnée à
périr, le Taciturne s'était tourné du côté d'Anjou et des Français,
non par francophilie, mais parce que c'était le seul côté d'où un
appui sérieux pouvait être attendu.
Malgré J'opposition de son frère Jean de Nassau, malgré le fou-
gueux Beuterick, qui dominait à Gand la fraction calviniste, malgré
l'aversion naturelle que les habitants des Pays-Bas éprouvaient à
l'endroit des Français, le prince d 'Orange avait tenu bon. Même après
la trahison d'Anvers, il estimait qu'il fallait continuer à reconnaître
Anjou comme souverain: on s'était engagé dans cette voie et il
fallait, de toute nécessité, y persévérer (13).
Fort perplexes quant à la conduite à suivre, les États de l'Union
d'Utrecht eurent recours au Taciturne pour lui demander d'exposer
publiquement son opinion. 0 'esta~ors que Guillaume de Nassau,
quoique à regret, rédigea le, mémoire que, avec raison, Mottley a
appelé « un de ses papiers d'État res plus admirables » (14). En
effet, à côté d'une franchise presque brutale, qui lui est inspirée par
la gravité des événements, le. prince y parle avec une parfaite con-
naissance des hommes et des choses et y fait, plus que jamais, montre
de cette dialectique impitoyable, devant laquelle l'adversaire devait
toujours s'avouer vaincu.
Dans ce mémoire (15), le prince s'élevait, non sans amertume,
contre les calomnies qui avaient circulé à son sujet après la Furie
française, tout comme on l'avait méchamment attaqué après ra prise
de Maestricht, et comme on l'avait presque insulté à Gand après la
prise de Tournai. Il se déclarait prêt, quoique ses ennemis pussent
dire. à exposer franchement son point de vue en ces circonstances
critiques.
montre que la Diète désirait qu'on ne s'occupât point dies affaires des Pays-Bas et qu'elle
prônait une politique de non-Intervention (Borne, Institut 'hIstorique prussien, Carte Minuc-
ciane, t. IX, ro. 142-157).
1(13) Sur tout ceci, voir A. A. VANSCHEWEN, Walem vœn OMnje, pp. 271-276; LE M~ME
Prins Willem en net verweer tegen Parma, dans Wilhelmus van Nassouwe, pp. 167-168;
JAPIKSE, Prins Willem en de Generale Unie, ibidem, pp. 55 f'JVV,
t14) La révolution des Pays-Bas au XVI' siècle, t. VI, p. 184.
"(15) Nous employons ici le texte complet qui est conservé, en traduction italienne, aux
Archives de l'Etat à Plorence (Archivio Mediceo, filza 4255: Avvisi di Fiandra dell' anno
1580 al 1599, fO. 125-i33); toutefois" le titre de la pièce oontlent une erreur, Il attribue
Cie mémoire à Maurice de Nassau: Discorso 'tti Mœurizio oua città dé Anversa Intorno agli
affaride' Paesï Bas si,
110
~.Rappelez-vous bien, disait le prince, combien mûrement nous
avons réfléchi en acceptant Anjou comme notre souverain et com-
ment tous, sans exception, nous avons été convaincus qu'il n 'y avait
personne d'autre pour nous défendre. On est très mal venu de
m'imputer en ce moment, à moi seul, les responsabilités de ce qui
est arrivé lors de l'attentat d 'Anvers.
» Je ne veux pas nier que le duc ait manqué en ceci à son devoir
et au contrat qui avait été conclu entre lui et nous. Mais, en y réflé-
chissant bien, pouvez-vous nier les avantages que son appui nous a
procurés? Pendant trois ans, il' nous a permis de continuer à nous
défendre, pendant que les deux puissantes .armées que l'Espagnol
avait réunies contre vous ont fondu comme la neige au soleil. »
Passant ensuite à l'examen de la situation du moment, le Taci-
turne déclarait qu'il ne voyait que trois attitudes possibles: se
réconcilier avec les Espagnols, se réconcilier avec Anjou, ou employer
la force armée dont on disposait. Il déclarait sans ambages et
avec force qu'il fallait immédiatement rejeter la première hypo-
thèse. Il mettait ses auditeurs en garde contre les manœuvres du
prince de Parme, en dénonçant comme niais ceux qui semblaient vou-
loir prendre au sérieux les lettres écrites de Hal par Richebourg,
Montigny et Rassenghien. Il accusait le prince de Parme de ne pas
avoir respecté les stipulations du traité d'Arras en faisant revenir les
troupes espagnoles et italiennes. Il appelait encore Il'attention sur le
fait que, si on traitait avec Farnèse, on fournirait au duc d'Anjou
un excellent moyen de justifier sa trahison aux yeux du Roi de
France, de la reine d'Angleterre et des autres princes d'Europe et
de rendre ainsi odieuse la cause des rebelles des Pays-Bas.
« Traiter avec les Malcontents, continuait le prince, c'est traiter,
en réalité, avec les Espagnols! » Il mettait ensuite en garde contre
eux-mêmes ceux qui parlaient de traiter directement avec les Espa-
gnols, soit par suite de la méfiance engendrée par l'a trahison
d'Anjou, soit pour obtenir la liberté du commerce, soit pour d'autres
raisons encore. «Je suis d'avis, affirmait-il, que d'aucune manière on
ne traite avec les Espagnolaet je ne puis vous cacher que j'aurais
trouvé beaucoup mieux que vous eussiez refusé de prendre connais-
sance des lettres qu'ils vous ont adressées. »
Il faut se réconcilier avec le duc d'Anjou, disait le prince. Sinon,
lorsqu'il sera parti et qu'il nous aura abandonnés, d'où nous viendra
le secours' De plus, les passages qu'il tenait avec son armée seraient
U!
immédiatement ouverts aux ennemis et ils s'en prévaudraient de
suite pour se ravitaiHeren hommes et en vivres. Or, pendant le peu
de temps que la voie de France leur a été fermée, que n 'ont pas
souffer-t les troupes du prince de Parme 1 Son armée si formidable
a fondu comme de la cire.
« D'autr,e part, observait le prince, pourrions-nous, avec les
seules forces dont nous disposons, continuer la guerre, non seulement
offensive, mais même défensive 1 Vous vous en rendrez immédiate-
ment compte si je vous dis que déjà les Gantois nous ont écrit qu'ils
ne peuvent satisfaire aux demandes de la garnison d'Alost et qu'il
leur faut l'aide des autres provinces. Ainsi, Messieurs, vous pouvez
comprendre et vous imaginer en quel état se trouvent nos affaires,
car il n'est pas besoin de nous tromper nous-mêmes l »
TI y avait encore d'autres raisons de ne pas rompre avec
.Alençon : comment rentrer jamais en possession de 'I'ermonde, de
Dunkerque, de Dixmude et de Vilvorde sans un accord avec le duc 1
Le prince dOrange rencontrait ensuite les objections de ceux
qui critiquaient l'alliance avec un prince catholique, et affirmaient
qu'une telle alliance n'était pas permise. « Je, vous confesse, rêtor-
quait le prince, que je ne suis pas assez grand théologien pnur
approfondir ces questions, mais je constats que toutes les églises
de la Chrétienté n'y trouvent aucune difficulté. »
Examinant ensuite la 'troisième hypothèse : se défendre par les
armes, sans l'appui de quiconque, le Taciturne démontrait qu'.onne
pouvait y songer, Le pays ne peut fournir assez de soldats nationaux,
disait-il, le recrutement de soldats vétrangers soulève de grosses
difficultés, les moyens financiers dont on dispose ne s'Ont pas
suffisants.
Résumant son argumentation, le prince rejetait le premier des
moyens proposés. 'I'outa réconciliation avec Philippe II était impos-
sible. Personnellement, il préférait de Ioin le tr.ois:ième moyen. TI
avait toujours espéré maintenir l'indépendance de la patrie avec les
seules ressources du pays et l'assistance, du Tout-Puissant. Mais, à
sa grande douleur, il était obligé davouer que l'esprit détrcit. parti-
cularisme affiché par les diverses provinces, leur tendance générale
vers la désunion et leurs disputes continuelles rendaient ce troisième
moyen tout aussi impraticable. TI ne restait donc que le second,
Impressionnés par cette argumentation irréfutable, sollicités
aussi par la Reine Élisabeth d'Angleterre qui réclamait la réconcilia-
tion aveeAnjou, travaillés par I'ambassadenr Bellièvre; que Oathe-
rinede Médecis se hâta d'envoyer aux Pays-Bas, les États Généraux
finirent par reprendre le contact avec le prince français (16).
. Les efforts faits par Alexandre Farnèse pour les entraîner à
négocier avec lui n 'eurent donc pas de suite (17).
Comme il ressort clairement des représentations du Taciturne
analyeéesei-deesus, les lettres que Farnèse avait adressées à ses
adversaires avaient cependant,uninstant, jeté le désarroi (18). Mais
les partisans d'une entente finirent par suivre les conseils d'Orange
ou furent réduits au silence par la majorité;
Un incident burlesque suivit même l'effort fait par lesIieute-
nants de Farnèse auprès du magistrat de Bruxelles. Au début de
février, Montigny, le marquis de Richebourg et le sire de Rassen-
ghien, conformément à ce qui avait été convenu, se rendirent à Hal
et de là envoyèrent au magistratde Bruxelles, par l'intermédiaire
d'un trompette de l'armée espagnole, une lettre pour engager le,s
Bruxellois à se réconcilier avec le Roi. Après deux jours de réflexion
et de consultations, le magistrat envoya à Hal une grande .et belle
lettre close, scellée du sceau de la ville à l'image de Saint Michel, et
adressée à « Messeigneurs le marquis de Roubais, de Renty,et comte
d 'Isenghien ».Lorsque, en grande hâte, ces seigneurs l'eurent
ouverte, ils n'y trouvèrent qu'une grande feuille de papier vblanc.
Plus tard, lorsque Farnèse prit Bruxelles, les auteurs de cette plai-
santeris furent suspendus de leur office.
Si Farnèse, habitué à ne rien laisser au hasard.iavait prévu
que les offres faites aux États n'auraient point de résultats, il avait
cependant pris ses :précautions pour le : cas où ses . adversaires
eussent été prêts à négocier. En prévision de cette éventualité; il
avait demandé au Roi des' instructions précises, Ne désirant pas
recommencer l'expérience néfaste de 1579; i'l avait demandé instam-
ment au Roi de lui faire connaître Boa volonté 'au sujet d'une demande
possible des États de faire partir de nouveau les troupes' espagnoles:
et italiennes. Farnèse avertit le souverain que, si l 'on cédait sur ce
(16) KERVYNDE LETTENHÛ'VE, O. C., t. VI, pop. 392-398, - Lettre de Guido Lolgl au ear-
dinalFarnèse, Paris, 7 février H}83 CA. F. N., Carte farnesiane, Francia, fascie 186).
'(17) Lettre de Farnèse à un ministre du Roi, Tournai, 1er révrler 1583, citée plus haut.
(18) Don Bernardino die Mendoza au Roi, Londres, 17 mars 1583, dans Documentes
inédit os para là Historia de Espaiia, t. XCII, p. 478.
Ha
point, il n 'y aurait plus de sécurité et que l 'œuvre édifiée depuis le
traité d 'Arras menacerait de s'écrouler (19).
Au point de vue des concessions en matière de religion, il con-
sulta probablement Ie cardinal de Granvelle. Nous possédons, en
effet, une. lettre de celui-ci, adressée au prince de Parme : le cardinal
estimait qu'il était êvidemment impossible d'admettre deux religions
l'une àcôté de l'autre, mais qu'on pourrait 'agir avec dextérité et
souplesse, de façon à ne tolérer en fait que l'exercice de la seule
religion catholique, tout en ne se montrant pas trop intraitable sur le
principe. « L'emploi de bons prédicateurs, 'ajoutait Granvelle, pour-
voirait il, beaucoup de choses. » (20).
Cependant, si le prince de Parme n'écartait pas à priori la
possibilité de négociations avec les États; siçen même temps, il tenait
son armée prête pour frapper quelque coup et aussi pour appuyer
les manœuvres politiques - il se rappelait combien la prise de
Maëstricht avait activé la réconciliation des Wallons ---J il est cer-
tain qu'il attachait surtout de l'importance à la troisième hypothèse
qui avait été mise en avant: la conclusion dun 'accord avec Anjou.
C'est à ce moyen-là qu'allaient incontestablement ses préférences
personnelles.
« Le duc ne restera plus longtemps aux Pays-Bas, écrit-il à
Philippe II, car les gens se méfient de lui et les conditions derécon-
ciliation qu'on lui offre sont dures. J'ai écrit ·à .Iean-Baptistc de
Tassis pour que celui-ci fasse comprendre au duc qu'il vaudrait
mieux pour lui de nous rendre à nous les villes qu'il occupe aux
Pays-Bas. Il y viendra peut-être par suite de la grande nécessité
où il se trouve.
:. Or, voici qu'un courrier est arrivé pour me demander d'envoyer
quelqu'un à Termonde afin de négocier. C'est A'izjou lui-même qui doit
avoir inspiré cette démarche. J'envoie le sergent-major Diego de
Acosta. Les Français possèdent Cambrai, Dunkerque, Bergues-Saint-
Winoc, Dixmude, Termonde, Berg-op-Zoom, Herenthals, Diest, Vil-
vorde, Eindhoven. Ils garderont certainement Cambrai et Dun-
kerque, mais ils céderaient peut-être le reste. J 'y verrais un moyen
pour amorcer des négociations de paix générale. 'Turenne et La
Noue (21) pourraient nous aider à amener le duc à nous remettre
'(19) Lettre de Tournal, 25 janvier 1583, citée plus haut.
(20) Granvelle à Farnèse, Madrid, 24 février 15<83 '(A. F. N., Carte îarnestane, Fiandra,
rasoto 1647).
(21) Il faut se 'rappeler que ces deux seigneurs français étaient toujours prlsonniers
des Espagmols.
B4
oes places. Dès la nouvelle de l'attentat d'Anvers, j'ai envoyé en
secret dBS émissaires chez eux, afin que ces deux seigneurs s'y
emploient, pour mériter ainsi d'être mis 'en Iibrtê. Je pose comme
condition qu'ils feignent que la suggestion vient de leur côté. » (22)
Cette lettre du prince de Parme est d'une importance capitale
pour résoudre la question des- négociations que le duc d'Anjou
entama 'avec Alexandre Farnèse.
De qui partit l'initiative: de Farnèse ou d'Anjou lui-même? La
lettre du prince de Parme que nous venons de citer ne' laisse aucun
doute à ce sujet (23). Nous sommes dailleurs bien renseignés sur
la manière dont les tractations commencèrent. Pour en comprendre
la portée, il importe de rappeler brièvement ce qui s'était passé après
l'échec de la Furie française.
Apprenant que ses lieutenants avaient réussi à s'emparer de la
ville de Termonde, le prince français avait décidé d'aller s 'y établir,
pour y attendre le développement des événements. Il se porta vers
Pabbaye de Saint-Bernard pour y franchir l'Escaut: il y trouva des
navires de guerre d'Anvers qui avaient l'ordre de lui interdire le-
passage du fleuve. Le Rupel était tout aussi bien gardé. Anjou donna
alors l'ordre à s'es troupes de marcher vers Vilvorde ou vers
Bruxelles, Le 23 janvier, il était à Vilvorde: il y apprit que le gou-
verneur de Bruxelles, van den Tympel, ne l'autorisait pas à se fixer
dans cette dernière ville.
Entretemps, à Anvers, le prince d'Orange, qui poussait les États
Généraux àse réconcilier avec le duc et à entamer de suite les négo-
ciations, vit son action traversée par la fureur populaire. Il voulut se
r-endre lui-même à Vilvorde, mais le peuple s'opposa à son départ.
Le 24 janvier, au Conseil d'Anvers, on lui déclara qu'on ne voulait
pas négocier avec un traître. Bien plus, il dut entendre qu'on
l'appelait lui-même « le perfide introducteur de-s Français » et qu'on
chantait dans les rues:
't Is beter met den ouden vader
Dan met den verrader (24).
H5
Dans ces conditions, il était impossible de se mettre ouvertement
en rapport avec le prince français. Toutefois, grâce aux efforts
patients du 'I'aciturne, la colère populaire tomba ,et les députés des
États Généraux purent quitter Anvers pour s'aboucher 'avec Alençon.
Leurs instructions prescrivaient que le duc devait faire partir immé-
diatementtoutes les garnisons étrangères etqu 'il devait restituer
Termonde et Vilvorde.
Elntretemps, le duc avait quitté Vilvorde ,et avait réussi à gagner
'I'ermonde.: Dans cette ville fortifiée, au milieu de ses soldats français,
il espérait pouvoir parler haut et « remettre le tout mieux que
devant ».
Bientôt cependant, il se trouve à Termonde sans vivres : per-
sonne ne veut l'aider, ses soldats meurent de faim. Les Gantois
refusent de traiter avec lui et vont même jusqu'à' détruire les
passages par où il pourrait se rendre en Flandre. Il ne reste plus
comme voie de retraite que le passage par le Hainaut. C'est alors
qu'il se décide à entrer en négociations avec le prince de Parme (25).
. Faut-il voir dans ce geste un acte de désespoir et le duc d'Anjou
voulait-il sincèrement s 'entendre avec les Espagnols ~ Nous croyons
que non. Sachant que le Taciturne, Catherine de Médicis, Élisabeth
d'Angleterr8' travaillaient pour obtenir la' réconciliation avec les
États Généraux, le dU:cn 'avait probablement pas abandonné son
espoir de devenir maître des Pays-Bas. Si les conditions posées par
les États Généraux étaient dures, il pourrait bien 'les amener à des
prétentions moins exorbitantes. :3Iais il fallait, pour y arriver, leur
laisser croire qu'il était prêt à s'entendre avec les Esp.agnols. De
plus,si la situation restait aussi angoissante qu'elle l'était pour lui
en ce moment, il devait, par 'Ces négociations avec Farnèse, tenir
ouverte une voie de. retraite vers la France par le Hainaut.
Voici comment les 'négociations avec le prince de Parme furent
amorcées. Un courrier vint trouver le prince de la part d'lm officier
italien, Mario Birago, colonel d'un régiment. français au service
d'Anjou. Birago offrait ses services, si l'on jugeait qu'il pourrait
être utile à Philippe II : il demandait que, dans ce cas, le prince
de Parme lui dépêchât un homme de confiance, Alexandre Farnèse
savait que Birago n'était pas homme à trahir ou à abandonner 's'On
maître ,et il en conclut que cette démarche avait dû être inspirée par
Anjou lui-même, D'ailIeurs l'attitude du courrier, qui avait été
{25) KERVYN DE LETTENHO~E, o. C., t. VI, pp. 378-398; STMDA, o. C" t. III, pp. 3&'8~369.
116.
soumis à un interrogatoire serré, semblait autoriser la même .inter-
prétation,
Dans ces conditions, Farnèse n'hésita pas. Il renvoya le messager
de Birago à Termonde et le fit accompagner par le sergent-major
espagnol Diego de Acosta, en la prudence duquel il pouvait avoir
pleine confiance. Arrivé à 'I'ermonde, Acosta y apprit par Birago que
le duc d'Alençon était prêt à livrer toutes les places qu'il avait en
son pouvoir aux Pays-Bas, si Farnèse ou le Roi dEspagne lui
remettait en échange Bapaume} Bouchain, Landrecies, le Quesnoy,
Cateau-Cambrésis et d'autres endroits encore. Au cours de cette ren-
contre à Termonde, Acosta avait pu avoir un court entretien avec le
duc d 'Anjou lui-même; de sorte, qu'il était évident que celui-ci ne
désavouait pas les démarches de son subordonné.
Malgré tout l'intérêt de ces renseignements} Farnèse estima que
les propositions du prince français étaient exorbitantes. Il n'y
répondit point, se disant que le duc d'Anjou reprendrait sans doute
les pourparlers,
En effet, bientôt arriva à 'I'ournai, où le prince de Pa:rme rêsidait
alors, un écuyer d'Anjou, le sire de Beauregard, 'avec des offres plus
précises et moins extravagantes : le duc renoncerait à toutes ses
prétentions sur les Pays-Bas; il remettrait Alost, Termonde et Vil-
vorde, mais de son côté, Alexandre Farnèse s'engagerait à assurer
sa retraite en France et à lui remettre 50.000 écus pour les besoins
de son 'armée. Une trêve de deux années 'serait aussi accordée au
duc (26).
Ces conditions-là étaient acceptables pour ,]e prince de Parme. Il
marqua sen accord 'et fit préparer le texte de la convention; celle-ci
fut signée de part et d'autre. Aussitôt, le prince de Parme rassembla
la somme d'argent promise et prépara les quantités de vivres et de
munitions nécessaires dans tous les endroits où l'armée du duc
d'Alençon devait passer dans sa retraite vers les frontières fran~
çaises. Des préparatifs furent faits pour recevoir dignement le duc
et sa cour (27).
. (26) Lettre d'Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 4 avril 1583 (A. G. R., Copies de
Simancas, vol. 15, non folioté); Farnèse à un mlnlstre du Roi, Tournai, 19 mars 1583
(B. N. P., ms. espagnol 182, fo 33fVO); Libro de las cosas de Flandes, fo, 239-'240; Liber
retauonum, fo 126vo; STRADA, o. C., t. III,pp. 36&-370; KER.VYN DE LETTENHOVE, O. c., t. Vf,
pp.398-40Oo; E. GOSSART, O. C., p. 13Oo-13i.
.(27) Liber relatumum, fo 127; F'arnèseau Roi,Tournai,4 avril 1583 «Loc. cit,).
ii7
Toutefois, Farnèse attendit en vain le prince français. Celui-ci
n'avait pu cacher - si tant est qu'il l'eût désiré - au prince
d'Orange ses tractations avec Farnèse. Au moment où Marnix
et les députés des États Généraux se trouvaient à 'I'ermonde pour
négocier un nouvel' accord avec lui, ils virent arriver Diego de Acosta,
qui fut immédiatement introduit auprès du duc et qui resta avec lui
en conférence pendant plus de quatre heures (28).
Devant le danger que révélait cette prise de contact avec les
Espagnols, le prince d'Orange, secondé par Bellièvre, mit tout en
œuvre pour garder l 'appui du prince français. Le 28 mars, un accord
fut conclu à Termonde entre les représentants du Taciturne et Anjou.
Le duc d'Anjou consentait à <B,e retirer à Dunkerque, en attendant
qu'il pût établir sa résidence à Malines, et évacuerait Vilvorde, Ter-
monde, Dixmude et Bergues-Saint-Winoc. Les Français prisonniers
à Anvers seraient relâchés ; les meubles et les papiers du duc, qui
avaient été saisis après la Furie française, seraient rendus, En outre,
on payerait à Anjou une somme de 80.000 florins. La conclusion de
cet accord fut annoncée immédiatement à Henri III de France et à
Élisabeth d'Angleterre (29).
118
de munitions nécessaire ainsi que l'artillerie. Dans son esprit, une
offensive de grand style était décidée. Après la. débâcle du duc
d 'Anjou, il pouvait maintenant essayer de détruire l'armée des
rebelles qui se tenait en Brabant, avant d'entreprendre la conquête
de la Flandre.
CHAPITRE VIII.
120
si possible, s'emparer de sa personne; d'autre part, il se porterait
lui-même avec le reste de ses forces dans le Brabant, pour y exter-
miner la nouvelle armée que les États constituaient. Si ces deux
entreprises réussissaient, il n 'y aurait plus guère de risque à entre-
prendre la conquête des villes de Dixmude, Nieuport, Ypres, Menin,
qu'iI méditait depuis longtemps et qu'il désirait couronner par
l'occupation de toute la Flandre (3).
* ::'-::
*
Pendant qu'il se préparait à cette double entreprise et qu'il
était sur le point d'ordonner à ses hommes de quitter les quartiers
d'hiver qu'ils 'avaient occupés jusque-là, Farnèse reçut avis du Roi
d'Espagne qu'on mettait à sa disposition un premier subside de
400.000 écus, qui seraient procurés par l'intermédiaire du duc de
Toscane. Un second subside suivrait, payé par des banquiers de
Gênes et de Milan.
Cette nouvelle réjouit Farnèse, parce qu'eUe lui permettrait de
mieux préparer les opérations militaires qu'il avait décidé d'entre-
prendre (4).
TI envoya Montigny, Mondragon et La Mo.tteavec une partie de
son armée bloquer la ville de Dunkerque,pendant que Charles de
Mansfelt, Pierre-Ernest de Mansfelt et le marquis de Richebourg
s'acheminaient vers la Campine (5). L'armée des États, sous Biron,
s'était avancée dans la direction d'Eindhoven, assiégée par Charles
de Mansfelt, dans le but de contraindre les Espagnols à renoncer à
cette entreprise (6).
Alexandre Farnèse avait donné l'ordre de reprendre Eindhoven
à la demande du magistrat de Bois-le-Duc, qui avait expliqué com-
bien l'occupation de cette place menaçait d'interrompre tout trafic
et de priver de vivres la ville dont il avait la charge (7). C'était le
capitaine français Bonnivet qui défendait Eindhoven: il avait été
averti que le duc d'Anjou, par l'accord conclu avec les États, était
obligé de le secourir et il avait reçu l'ordre de tenir jusqu'à la der-
(3) STRADA, o. C., t. III. pp. 372-373,
(4) Fa:rnèse à un mmtstre du Roi, Tournai, 18 avril 15Ba (B. N. P., ms, espagnol 182,
t- 332VO
).
121
mere extrémité (8). Aussi, les efforts de Charles de Mansfelt se
heurtèrent longtemps au courage et à la ténacité des assiégés. Ses
troupes souffraient d'ailleurs de la faim et ne montraient pas toute
l'énergie nécessaire (9). Ou savait, dans le camp espagnol, que la
ville ne disposait pas de beaucoup de vivres, et on s'étonnait de la
résistance, qui se prolongeait au-delà de toute attente (10). C'était
l'espoir de voir arriver le secours promis par Anjou qui soutenait
le courage des assiégés : ils avaient été priés de tenir jusqu'au
22 avril, date à laquelle on estimait que les troupes de Biron pour-
raient apparaître devant la place (11).
Cependant, ces troupes n'avançaient que lentement. Norris et
Biron se disputaient continuellement, les soldats suisses se plai-
gnaient de ne pas être secourus, les mouvements et les déplacements
se faisaient sans ordre (12). Le 23 avril, les assiégés, désespérant de
se voir aidés, demandèrent à capituler. Charles de Mansfelt s'em-
pressa d'agréer cette proposition et accorda des conditions de reddi-
tion très clémentes (13).
Après l'a prise d'Eindhoven, Farnèse donna l'ordre de s 'emparer
de quelques autres places, qu'il ne voulait pas laisser derrière lui au
moment où il allait diriger tous ses efforts contre 'le gros des forces
de l'adversaire.
Celles-ci assiégeaient en ce moment le château de Wouw, près
de Berg-op-Zoom; elles finirent par s'en emparer (14).
Vers le milieu de mai, conformément aux instructions reçues,
Mansfelt arriva devant Diest pour en faire le siège. Le 27 de ce mois,
les déf.enseurs de cette ville se rendirent, en même temps que la gar-
nison du château de Sichem. Le marquis de Richebourg s'empara du
122
château de WesterJ:oo, où les Espagnols découvrirent de grandes
quantités de munitions et de' grains, qu'ils employèrent immédiate-
ment à ravitailler Lierre et Breda (15).
Après avoir quitté Namur vers le milieu de mai, le prince de
Parme vint s'établir à Lierre, pour mettre cette ville en état de
défense. EUe constituait, en somme; le pivot des opérations qu'il allait
entreprendre (16). De là, il pouvait observer toute la Campine et il
pouvait se replier sur cette place, si les forces de Xorris et de Biron
étaient trop importantes pour être assaillies avec l'armée dont il
disposait en ce moment.
Pendant son séjour à Lierre, le prince de Parme apprit que le
maréchal de Biron était entré en Brabant dans l'intention de secourir
Diest, mais que, à la nouvelle de la reddition de cette place, il s'était
replié sur Roosendael. Il décida de l'attaquer.
H envoya en reconnaissance un certain nombre de ses soldats
habillés en paysans, sous la conduite du capitaine Van der Delft, qui
connaissait très bien la région où Biron s'était retiré. Ces éclaireurs
revinrent en affirmant que l'ennemi pouvait être facilement assailli
dans l'endroit où il se trouvait : ces renseignements furent confirmés
par le capitaine 't Serclaes, qui avait été retenu prisonnier à Roosen-
dael, et par des soldats que, de son côté, le marquis de Richebourg
avait envoyés de Turnhout pour espionner l'adversaire.
Le prince de Parme marcha avec ses gens vers Hoogstraeten,
où il donna rendez-vous au marquis de Richebourg et à Ia cavalerie.
Le 1,6 juin, toutes les troupes s 'y trouvèrent réunies : on y laissa
sous bonne garde l'artillerie, les bagages et les chariots. Farnèse
avait, en effet, l'intention de diriger ses régiments à marches forcées
vers Roosendael pour y surprendre l'ennemi, et ne désirait pas
s'encombrer d'éléments inutiles. Le prince avait à sa disposition
5.000 fantassins et 1.300 cavaliers. Au départ d 'Hoogstraeten, le
16 juin de grand matin, il disposa son armée en ordre de bataille:
en avant-garde presque toute la cavalerie légère, suivie des lanciers
et des arquebusiers à eheval ; comme corps de bataille, le terçio
espagnol de Pedro de Paz, le régiment allemand de Charles de
1(15) Ibidem, ro240vo-241 ro; Farnèse à un ministre du Roi, Lierre, 14 juin 1583 (B. N. P.,
ms, espagnol 182, fo 342) ; Robert cLeMelun à Farnèse, Westerlcc, 1er juin 1583;· Le même
au même, Westerloo, 6 juin 1583 (Oorrespondanoe de Granvelle, t, X, pp. 518 et 526:
Oonditions de la reddition dans Correspoïtdance de Granvelle, t, X, p. 527; Farnèse à son
père, Lierre, 20 juin 1583 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiamtra. fascio 1(38); Marguerite de
Parme à Ottavio Farnèse, 8 juin 1583 !(A. F. N., carte (arnesiane, Fialndra, fasclo 1(26),
(16) Librode las cosas de Flandes, r- 240vo.
i23
Mansfelt, les deux régiments wallons des sires de Hautepenne et de
Boninghe, et trois compagnies du colonel Verdugo , en arrière-garde,
le régiment du baron de Anholt, le régiment wallon du marquis de
Renty (Montigny) et quatre compagnies de cavalerie.
Pour empêcher que l'ennemi ne s'échappât du côté de Berg-op-
Zoom ou de Lillo, Farnèse ordonna à ses troupes d'appuyer à
gauche, vers l'Escaut. C'était une journée torride. Au cours de leur
avance rapide, les soldats souffrirent beaucoup de la chaleur, surtout
les Espagnols et les Allemands. Les Wallons, plus légers et. plus
alertes, montrèrent le plus de vaillance. Le 17 juin, à midi, on arriva
à Roosendael, pour constater que le maréchal de Biron avait décampé.
A cette occasion, IOnput observer que le service de renseignements
et d'espionnage de I'ennemi était fort bien fait et supérieur à celui
de Farnèse.
Pour découvrir la retraite de son adversaire, le prince de Parme
envoya en reconnaissance deux capitaines darquebusiers, le premier,
accompagné du capitaine 't Serclaes, vers Berg-op-Zoom; le second,
avec le capitaine Vander Delft, dans la direction de Steenbergen,
Ces éclaireurs revinrent bientôt avec la nouvelle que l'ennemi était
retranché du côté de Steenbergen, et que sa position était couverte
par des digues et des mannes. « Steenbergen, dit Strada, était autre-
fois réputée entre les plus célèbres villes du Bra:bant du côté de la
mer, à cause de son port et de sa force :et aujourd'hui encore, elle
garde sa réputation, comme étant environnée de digues au Nord et
au Sud de la ville contre la violence de la mer, car outre les monti-
cules et les collines de sable, qu'elle y jette sans cesse et dont elle
fait, pour ainsi dire, des chaînes et des obstacles à sa furie, on y
voit encore des digues, qui y ont été faites par l'industrie des habi-
tants. On les affermit à l'intérieur par des pieux, des fascines et des
pierres et, pour rompre les coups de la mer, elles sont revêtues à
l'extérieur d'osier et dautres matières semblables ... » (17).
Le prince de Parme prit la résolution de ne pas laisser échapper
l'ennemi. Il accorda à ses soldats', fourbus par la marche et accablés
par la chaleur, un repos d'une heure et demie, pendant lequel il fit
.préparer quantité de pioches, de pelles, de poutres en vue du creuse-
ment de tranchées et de la construction de ponts.
,(17) 0, C., t. III, p. 374, Il s'agit ici, lorsque Strada parle de « la mer », du bras etemer
connu sous le nom de canal de Boosendael, qui s'avance dans les terres et baigne les
murs de Sbeenoergen.
124
PL. VII
125
victoire sur les ennemis de la religion catholique, de votre Roi et de
mon Roi. Rappelez-vous les hauts faits que vous avez accomplis en
d'autres circonstances, tout aussi pénibles! Tâchez donc de faire de
même aujourd 'hui et ne dégénérez pas, et remportez cette victoire
qu'ensemble nous désirons. Tenez fermes d'esprit et de corps contre
tous vos ennemis, remportez la gloire convoitée en vous rendant
maîtres de ces quelques misérables digues pour faire naître la vic-
toire. Allez-y de grand cœur, vous disant que c'est maintenant le
jour où Jésus-Christ doit tous vous rendre immortels pour, après,
vous placer au nombre des élus! Efforcez-vous de faire œuvre digne
de votre nation, vous les premiers en discipline, en gloire et en répu-
tation. Je suis prêt à vous suivre partout en personne et à mourir
avec vous, s'il le faut! » (18)
Excitée par ces paroles, l'infanterie espagnole, au cri de San-
tiago! (Saint J'acqnes l) s'élança. Les Anglais et les Ecossais se
défendirent avec acharnement, mais ils furent obligés de céder après
deux heures de résistance farouche. La cavalerie espagnole, profitant
de la marée basse, qui avait rendu l'accès des digues possible du côté
de la mer, était parvenue à tourner l'es positions de l'adversaire et
intervint à son tour. Elle prit les digues dans une charge irrésistible.
Déjà, les soldats de Biron fuyaient de tous côtés, essayant d'atteindre
le port de Steenbergen, où le maréchal français avait fait ancrer un
certain nombre de barques pour l'éventualité d'une retraite.
Le chef des troupes des États était occupe à mettre en lieu sûr
son artillerie, ses munitions et ses bagages, lorsqu'il apprit la
déroute de son arrière-garde. Avec une décision foudroyante, il
résolut de tenter de sauver ce qu'il pouvait. Ralliant autour de lui
quelque 150 gentilshommes français des plus braves et des soldats
d'élite, il se lança au galop contre les Espagnol'8, qui arrivaient à
bride abattue le long des digues.
Les cavaliers de Biron allèrent donner avec tant de fureur
contre les arquebusiers et les lanciers de Don Augustin Mexia et de
Don Carlos de Luna que ceux-ci, sous le choc, firent demi-tour. A cette
vue, quantité de vivandiers et de soldats auxiliaires de Farnèse, déjà
occupés à piller les bagages abandonnés par les Anglais et les Écos-
sais, s'enfuirent de tous côtés en un désordre indescriptible.
'(:18) Ceci n'est pas un discours Imaginaire. Les termes en furent notés par Paolo
Rinaldl, présent à la scène (Liber relationum, fG 129).
t26
'V
r
<
>-<
BNl'i\ILLE DE S'l'EENBEHGEN .-..
>-<
(19) Pour le récit de la bataille de Steenbergen, nous nous sommes servi dés docu-
ments suivants: Relaçion de lo sucedido desde los 15 .Tunio 1583 hasta los 19 en el quul
tiempo el Principe de Parma tue a buscar al marichal Viron y al campo d'e los enémigos
a Rosendal y âeepue« a Estenvergh, datée de Lierre, 20 juin 1583 (B. N. P., ms . espagnol
182, fos 334 svv.) : Liber retationum, fOB 127v~-1'32ro; Libro de las cosas de Flandes,
fO' 242vo-243ro; STRA;DA, o. C'" t. III, p'p. 373-378; P. BOR, o. c., s- stuk, fo 369; C, CAM-
PANA, O. c., 2a parte, fOI 45'°.
127
ville; le feu d'artillerie du château de Steenbergen arrêta d'ailleurs
pour le moment tout effort d'aller pius loin.
Les deux armées passèrent ainsi la nuit l'une en face de l'autre,
à une distance d'à peine un tir d'arquebuse.
Lorsque l'aube du 18 juin 'survint, le prince de Parme constata
que les soldats de Biron étaient solidement retranchés. De plus, il
n'avait lui-même plus de vivres pour nourrir son armée. Il donna
l'ordre de rompre le combat et se retira dans la direction de Hoog-
straeten, sans être inquiété.
Les estimations au sujet des pertes subies par les soldats de
Biron varient beaucoup: les unes parlent de 6.500 morts (20), les
autres de 400 (21), d'autres encore de 1.500. C'est ce dernier chiffre
que Farnèse cita dans 'sa correspondance avec le Roi (22). Les Espa-
gnols accusèrent 8 tués et une vingtaine de blessés, ce qui paraît
invraisemblable (23). Ils y perdirent Don Carlos de Meneses, un
capitaine très aimé de ses soldats. Le butin qu'ils firent consista en
28 bannières d'infanterie et 2 étendards de cavalerie (24).
Au cours de l'engagement, Biron, chargeant à la tête de ses
cavaliers tomba de cheval eise brisa la jambe. Il fut transporté
à Berg-Op-Zoom, où il fut suivi par les restes de son armée. Le
prince d'Orange aurait voulu employer <les troupes en Flandre et
les mettre en garnison à L'Ecluse et à Ostende. Les magistrats de
Bruges et du Franc s 'y opposèrent, disant qu'ils emploie riaient
désormais à la solde de leurs troupes flamandes ce que jusqu'id ils
avaient accordé aux troupes françaises (25). Aussi, la situation des
soldats de Biron devint-elle bientôt lamentable : ils se trouvaient
dans le plus complet dénuement et souffraient de la faim.
Un de ces soldats, poète inconnu, nous a laissé de ces temps
malheureux une description typique dans la chanson que voici :
Si j'avois la f açon de sçavoir oaconter,
Et dire à tout le monde la grand nécessité
Qui est en ceste fois Sour nous, paUW181S François!
II Y a enceste arméetant de braves soldats
* '* *
(26) Anjou.
(27) Berg-op-Zoom.
'(28) Publié par VAN VLOTEN, Nederlandsche geschiedzangen, II, pp. 279-280.
(29) Paolo Rinaldi l'affirme nettement dans son Liber relationum, fo 132'"°. En
rendant compte de cet événement dans une lettre à Granvelle, Farnèse m remarquer
que les résultats auraient été tout autres, si la nuit n'était pas survenue (Lettre de Lierre,
20 juin 1583, dans A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra,fasclo 1647).
i29
bataille de Steenbergen, outré de l'attitude de Biron à son égard, il
était retourné en Angleterre (30).
De sorte que, si le prince de Parme n'avait pas détruit ces
belles troupes qui étaient entrées aux Pays-Bas pour se rendre maî-
tresses d' Anvers et de plusieurs villes importantes, il avait du moins
provoqué la désorganisation de l'armée ennemie et l'avait affaiblie
au point de la rendre pour le moment presque inoffensive.
,0 'est donc en toute tranquillité qu'il ramena ses soldats à
Lierre, où il s'établit lui-même {3i). Lie marquis de Riichebourg,
après s'être emparé, au bout de 'trois jours de siège, du château
d'Hoo.gstraeten (3'2), 'conduisit ses soldats entre Hérenthals et
Malines pour leur accorder un peu de repos (33).
130
Saint-Winoc. Dixmude fut évacuée par les Français le' 5 avril:
quant à Bergues-Saint-Winoe, la garnison française, invitée par le
duc d 'Anjou à s'en aller et à mettre la ville à la disposition des
États, répondit qu'elle ne bougerait pas aussi longtemps que ceux-ci
ne lui auraient pas payé la solde qui lui était due.
·En vain, le duc attendait-il à Dunkerque l'arrivée des députés
des États Généraux qui devaient mettre sur pied le nouveau traité
que le Taciturne voulait qu'on signât avec lui. Marnix, invité à aller
séjourner à Dunkerque auprès du duc pour entamer cette négocia-
tion, avait refusé (35). Après la Furie française, il :s'était retiré de la
vie politique et était allé se fixer dans ses domaines de Zélande (36).
En réalité, les États Généraux, tiraillés en sens divers, étaient
incapables de trouver une solution (37).
De France, malgré les efforts incessants de Catherine de
Médicis, il ne pouvait plus venir aucun secours. Élisabeth d' Angle-
terre devait se borner à presser les Étate des Pays-Bas d'activer les
négociations promises (38).
Dans la seconde moitié de juin, Anjou perdit finalement
patience. Il adressa une lettre aux États Généraux, où il donna libre
cours à son amertume.
Il y disait qu'il avait attendu, dans une ville menacée par la
peste et où il souffrait de toutes sortes d'incommodités, les effets des
promesses, si souvent répétées, de lui envoyer des députés pour
négocier. Il ne parvenait pas à comprendre quelle pouvait être la
raison de ce grand retard, dans une affaire où les intérêts des États
étaient engagés et qui devait leur tenir à cœur.
A présent, il ne pouvait plus patienter davantage: il devait
quitter Dunkerque et se rendre là Cambrai, où on l'appelait pour la
défense de cette ville (39). C'est là que les États devraient envoyer
'(35) P. 'BOR, O. C., 2" stuk, fo 369.
{36) J. D. M. CORNELISSEN,IIfedewerk-ers van den Prins, dans Prins WiUem van Oran je
1588-1988, p. 253.
1(37) Des avvisi d'Anvers, du 2 avrrl 1583, affi.rment que, du côté des Flamands, des
réformés surtout, on croit que « tous l-es accords avec Alençon ne sont là que pour lui
arracher les villes qu'il a entre les mains pour, après, le faire danser' à notre guise ou
sinon le renvoyer dans son pays, comme Mathias ». Orange proüte ibeaucoup de cette
idée. (Correspondance de lIfoesyenbroucq avec Farnèse, à A. F. N., Corte (arnesiane, Fuuuira,
fasclo 1646).
(38) KERVYNDE LETTENHOYE,O. C., t. VI, pp. 410 ...419; P. BOR, O. c., 2" stuk, fO. 367...370,
(39) A ce moment, l'ambassadeur de Tassis écrivit de Paris à Farnèse que Cambrai
devait être dans une situation critique, car Balagay avait fait demander du secours
(Correspondance de Tassis avec Farnèse en 1583, à A. F. N., Carte (arnesiane, Fiandra,
fascio 1646).
131
les députés qu'il attendait depuis si longtemps. Il espérait d'ailleurs
y rencontrer la reine-mère et de cette entrevue il se promettaitbeau-
coup de bien pour la cause commune (40).
Le jour où il écrivit cette lettre, il quitta Dunkerque. Il savait
que le prince de Parme était sur le point de l'assiéger (41) : un de
ses familiers, Charretier, qu'il avait envoyé auprès d'Élisabeth
d'Angleterre pour implorer son secours, avait été capturé en mer
par les corsaires de Gravelines et livré au sire de IJa Motte, qui
s'empressa d'en avertir le prince de Parme. Tous les papiers de
Charretier étaient tombés entre les mains des Espagnols (42). Enfin,
la nouvelle était parvenue à Dunkerque de la déroute de Biron à
Steenbergen.
Redoutant le pire, Anjou résolut de s'échapper avant que Far-
nèse n'apparût. Il confia la ville à la garde de son lieutenant Chamois
et, en s'embarquant, fit cyniquement ce singulier adieu: « J'ay
laissé mon jeu de paulme en charge à M. de Chamois; s'il ne me le
garde bien, son 'col saura combien son cul poise » (43).
Ge n'est pas à Cambrai que se rendit le duc: il se dirigea en
hâte sur Calais.
Au moment où Anjou disparaissait ainsi de façon ignominieuse,
le prince d'Orange se voyait obligé de quitter Anvers et de se retirer
en Zélande. Sa politique francophile lui avait valu l 'hostilité de
plus en plus accusée du peuple, que l'attitude peu sincère et
ondoyante d'Anjou avait fini par exaspérer. A Anvers, on n'hono-
rait déjà plus le prince comme un sauveur, on se défiait de lui. Un
jour qu'il était sorti de la ville, on l'obligea à y rentrer, parce que
le bruit s'était répandu qu'il voulait se fortifier dans la citadelle.
Quelques jours après, les bourgeois en armes accoururent à cette for-
teresse pour l 'y chercher : c'est à grand 'peine que les colonels de
la ville parvinrent à calmer ces exaltés.
{40) MULLERet DIEGERICK,o. C., t. V. pp. 222-227.
(H) Le service de renseignements ou d'espionnage du prince d'Orange était en effet
bien organisé. Paolo Rinaldi le constate et s'en étonne: « Par' cosa stranissima questa che
gr inimicl habbmo a penetrare i secreti intrinsechi de chuort del duoa Alessandro et deI
suo consigller ;e in ogmte qualunque cosa piccola 6 181I1audeche la sia corne rani, l'una
della dua Ibisogna. ohe sla, 6 <l'hel'Oranges sia negromante 6 che habbe un diavolo seco che
l'obedlsca et ravorlsoa in tutte le sue attion! et gli dlscopre 1lutt' 1 eecr:eti... » (Liber
reiatumum, r- f35).
{42) Sur cet épisode, voir la correspondance échangée entre La Motte et Farnèse dans
MULLER et DIEGERlaK, o. C., t, V, pp. 206~2i4. Charretier fut mis en Iiberté sans rançon
par les Espagnols à condition de servir dorénavant la cause de l'Espagne' près du duo
d'Anjou, Cfr aussi KERVYNDE LETTENHOVE,0, C" t. VI, !l'P. 413-419.
(43) KERVYNDE LE'ITENHOVE,0, C" t. VI, p. 42f, note 3.
f32
Le prince comprit qu'il valait mieux s'en aller. Le 22 juillet, il
quitta Anvers, faisant savoir à la reine d'Angleterre « que les
affaires de pardeça n 'étalent pas en trop 'bon état» {44).
Un catholique inconnu d'Anvers composa à cette occasion cette
chanson satirique, qui, sous la satire même, met en relief tout ce
qu'il y avait de tragique dans ce départ :
133
CHAPITRE IX.
134
PL. IX
1=====' L A "1\
over 4.000 men strong ... They lie in four dlvisicns, the ûrst [rying west o,f the gallowes,
where they have made a battery to prevent ships commg into the harbour. They lie also
under the dyke by the Doerneçœi, near Cleen-Sinten, and on the coast in the dunes by
Plerpepas ; the fourtih lying by Stendamme » Chamois aux bourgmestres de Nieuport.
Dunkerque, if juillet i583 (Foreign Calendar, 1583-1584, n= il.
135
de Flandre, mais les Gantois, refusant obstinément tout envoi de
troupes françaises, menacèrent de tout mettre en œuvre pour l'em-
pêcher (6).
Entretemps, Farnès-e, averti de ce que ses lieutenants avaient
exécuté la mission préparatoire qui leur avait été confiée, partit de
son quartier général de Lierre, le 5 juillet, accompagné de sa cour
et de 12 compagnies de cavalerie de sa 'garde. Il laissa en Brabant
M. de Hautepenne avec deux régiments d'infanterie wallonne et un
peu de cavalerie et ordonna au marquis de Richebourg de prendre le
chemin de Dunkerque avec le reste de l'armée.
Cependant, la marche de ce dernier fut retardée un instant par
une mutinerie qui éclata parmi les soldats allemands de Charles de
Mansfeltet du baron de Anholt, qui maltraitèrent leurs officiers
et prirent le chemin du Luxembourg (7).
Le 7 juillet, à son passage à Mons, le prince de Parme, enten-
dant la rumeur d'après laquelle le duc d'Anjou se serait apprêté il.
secourir Dunkerque (8), envoya en avant le 'Commissaire général de
la cavalerie légère avec 8 compagnies, et poursuivit lui-même sa
route par Tournai, Lille et Saint-Omer. Le 10 juillet, il était devant
Dunkerque (9).
Il Y trouva les troupes de Montigny, de Mondragon et de Varem-
bon en difficulté de se ravitailler, L'absence d'eau douce obligeait les
:;,=,:da:~ à creuser des puits dans le sable. Il était impossible de se
;;rü{:TI.ref du bois ou de la paille, les gens de Dunkerque ayant, en
prévision d'un siège, brûlé tous les villages des environs. Les pre-
miers jours, on dut chercher les vivres par mer, à Gravelines, et
aussi à Bourbourg, mais cette commodité relative fut entravée par
l'ennemi, qui envoya quatre gros navires en face du port de Grave-
lines pour empêcher les entrées et les sorties des barques espa-
gnoles ;(10).
Aussitôt arrivé devant la place, Farnèse profita de la présence
des dunes qui entouraient la ville pour y poster quelques pièces de
canon: le feu de celles-ci obligea les vaisseaux ennemis qui se trou-
136
valent dans le port à s'enfuir précipitamment. Il fit alors planter un
grand nombre de pilotis en travers du chenal qui conduisait vers la
mer, et les relia par de grosses cordes et des chaînes, auxquelles il
attacha des tonneaux pour interdire tout passage aux vaisseaux qui
auraient pu tenter de ravitailler la ville. Des deux côtés du chenal,
on installa plusieurs pièces d'artillerie de grand calibre (11).
Ayant reconnu que la place était le plus vulnérable du côté du
port, c'est là que, le 16 juillet, le prince de Parme mit ses canons en
batterie, au nombre de dix-huit, Une heure avant l'aube, le bombar-
dement commença et se poursuivit pendant dix heures consécutives.
Il visait surtout le ravelin qui se dressait à gauche du chenal vers
la mer, la courtine de l'enceinte, et une tour qui servait de défense à
un autre ravelin (12).
Pendant le bombardement, Farnèse ordonna à 1.000 Espagnols,
1.000 Wallons et 1.000 Allemands de se tenir prêts pour l'assaut et
leur indiqua comme objectif le ravelin et sa tour de défense, d'où
l'on pourrait facilement s'introduire dans la place. Lorsque Moudra-
goneut constaté qu'une bonne brèche avait été pratiquée, le prince
fit avancer ses troupes et disposer sa cavalerie en ordre de bataille.
A cette vue, Chamois, qui ne se fiait guère aux habitants et qui,
dautre part, s'avait qu'aucun secours ne pouvait arriver, demanda à
parlementer (13). Après une brève conférence, le prince accorda à
la garnison de sortir librement, les soldats ne gardant que leur épée:
aux bourgeois fut concédé un pardon général. Les 800 soldats fran-
çais de Chamois, ainsi que leur chef, sortirent de Dunkerque et s'en
allèrent, sous bonne escorte, dans la direction de Calais.
Aussitôt, le prince de Parme fit entrer deux compagnies espa-
gnoles et deux compagnies wallonnes et installa comme gouverneur
de la ville le sergent-major Francisco Aguilar d'Alvarado, un offi.cier
expérimenté et énergique (14). Les habitants furent mécontents de
voir que le vainqueur leur imposait la présence de soldats espagnols
et qu'il renouvela le magistrat (15). Toutefois, en ceci Farnèse ne
(11) Mémoires sur le marquis de v arembon, p. 46; Lettre du commandant Chamois
aux bourgmestres de Nieuport, Dunkerque, 11 juillet 1583 (Foreign Calendar, 1588-1584,n- 1).
(12) Farnèse à sa mère, Dunkerque, 15 juillet 1583 (A. F. N., Carte tomesume, Fiandra,
fascio 1723).
(13) Liber relationum, fo 134; Libro de las cosas de Flandes. fo 243; S'mADA, o. C.,
t. III, p. 380; Mémoires sur le marquis de varembon, pp. 46-47; Edouard Batten au
lieutenant gouverneur du chateau de Douvres, Oravelines. 12 juillet 1583' {Fo1'eign caten-
dar, 1583-1584,n- 21).
{14) Ibidem.
(15) Liber relationum, [0 134·°.
137
violait 'aucune promesse, puisqu 'il avait été entendu que le bénéfice du
Traité d'Arras ne serait accordé qu'à ces villes qui se rendraient
d'elles-mêmes et qui se réconcilieraient sans obliger les Espagnols
à entreprendre un siège.
Ainsi fut réalisé un des points du programme d'offensive de
Farnèse : le premier des ports de Flandre en possession des rebelles
était tombé entre ses mains. Aussi, le 16 juillet, le prince expédia un
courrier en Espagne pour notifier sa victoire au Roi : il avait,
disait-il, en moins de dix jours, réduit à l'obéissance les habitants
d'un portet d'une ville, riches par le commerce et par la pêche; de la
sorte, il fermait de ,cecôté l'entrée de la Flandre aux Français et, en
rendant aux Dunkerquois la libre navigation avec l'Espagne, facili-
terait l'arrivée en cet endroit de renforts en hommes et en argent (16).
Farnèse n"éprouva qu'un seul regret: il n'avait pu s'emparer
de la personne du duc d'Alençon (17). La prise de cette ville « mit
toute la Flandre en grande humeur»; on soupçonna, et on accusa
même, la garnison d'avoir vendu la place aux Espagnols. On refusa
de payer les ,Suisses et les Français du maréchal de Biron, auxquels
on devait, aux uns deux tiers de paie, aux autres, huit mois de solde.
Et, plus que jamais, les bourgeois des villes flamandes refusèrent de
laisser entrer les soldats français dans leurs murs. La confusion
engendra partout comme une sorte de désespoir (18).
Aussi, le prince de Parme voulut-il profiter du désarroi de ses
adversaires, Quoiqnil neût en ce moment que 6.000 hommes en cam-
pagne (19), il décida de poursuivre l'exécution du programme qu'il
s'était tracé. Après Dunkerque, ce devait être le tour de Nieuport.
Déjà, le 18 juillet, l'armée se mit en marche et couvrit rapidement
les cinq lieues qui la séparaient de ce nouvel objectif. Avant de par-
tir, le prince de Parme avait établi en face de Bergues-Saint-Winoc
une forte garnison dans un fort pris à l'ennemi, pour éviter toute
surprise de la part des Français occupant cette ville. D'autre part)
{16) STRADA,o. C., t. III, pp. 380-381; Lilier relationum, f' .135, Le duc d'Anjou, très
peiné de la perte de Dunkerque, rejeta la faute sur les Etats Généraux (Le duc aux Etats,
St-Quentin, 22 juillet 1583, dans HRGEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t, VIII, p, 230).
'(17) Farnèse à sun père, 20 juillet 1583 (Ao F. No, Carte [armesume, Fiandra, rascto
1661). Le prince avait exprimé, dans une lettre à sa mère, I'espolr de capturer le duc
(Louvain, 5 Jumet 1583, dans A. F. No, Carte forneeum», Fiandra, rasoio 1723).
(18) Le maréchal de Biron au roi de France, Berg-op-Zoom, 21 Jumet 1583 (MULLER
et DIEGERICK,0, C" t, V, pp. 293 svv.) ; Le même à la reine-mère, même date (ibidem"
pp. 298 svv.).
i(19) Farnèse à Marguerite de Parme, Lierre, 5 juin 1583 (A. F. N., Carte îarnesume,
Fiandra, rascio 1723); Farnèse au Roi, Lierre, 20 juin 1583' (Ibidem, rascto 1647).
138
il envoya vers Furnes une force importante de cavalerie pour empê-
cher tout secours de ce côté. A l'arrivée des Espagnols, 20 navires
chargés d 'hommes et de bagages s'échappèrent du chenal de Nieu-
port et partirent dans la direction de la Zélande. Cependant, quatre
d'entre eux furent retenus par la marée basse et capturés: on y
trouva une grande quantité de soie et des objets de valeur (20).
Au moment où ~'armée espagnole approcha de 'la ville, les 'habi-
tants se préparaient à rompre les digues pour inonder la contrée.
Une troupe darquebusiers à cheval les chargea et les obligea à
rentrer précipitamment (21).
Le 22'juillet, l'artillerie de siège arriva. A cette vue, le courage
des bourgeois de Nieuport faiblit, ils avaient d'ailleurs été travaillés
par le bourgmestre de Dunkerque, que Farnèse leur avait envoyé
pour les engager à se rendre, en faisant valoir les conditions miséri-
cordieuses que le prince avait 'accordées lors de la prise de cette ville.
Enfin, les habitants He rendaient compte qu'ils ne devaient attendre
aucun secours (22). Anjou se bornait à faire des promesses et se
trouvait d'ailleurs, impuissant, à Calais. Le prince d'Orange se
débattait contre le mauvais vouloir des Anversois et l'inertie des
États et ce n'était certes pas en ce moment, à la veille de son départ
d'Anvers, qu'il aurait pu organiser efficacement le dégagement de la
place.
Aussi, dans la nuit de Sainte Marie-Madeleine (23 juillet), Nieu-
port se rendit à merci (23). Farnèse accorda les mêmes conditions
qu'à Dunkerque. Les officiers et soldats sortiraient sans tambour,
armes et 'bagages. Les bourgeois obtinrent le pardon qu'ils sollici-
taient, à condition que les hérétiques séjournant dans la ville par-
tissent après six mois, vendant leurs biens ou les emmenant avec
eux (24).
Aussitôt que les compagnies flamandes, qui avaient formé la
garnison de la place, furent sorties, Farnèse les remplaça par deux
139
compagnies wallonnes et une compagnie allemande (25). On remar-
quera combien strictement il observa sa parole: Nieuport e 'étant
rendue sans résistance: on ne lui imposa pas la présence de soldats
espagnols.
Le 23 juillet, à 6 heures du soir, quelques heures à peine après
la reddition de Nieuport, la garnison espagnole du fort de Halluin
entendit l'ennemi qui occupait Menin tirer une forte salve. Soupçon-
nant que cette démonstration était destinée à fêter l'arrivée de ren-
forts ou d'argent pour payer la garnison, les Espagnols envoyèrent
quelques-uns des leurs pour se rendre compte de ce qui se passait. A
leur grand étonnement, ces émissaires constatèrent que Menin avait
été abandonnée par sa garnison, qui y avait laissé six pièces d'artil-
lerie et une quantité considérable de munitions.
Aussitôt quatre compagnies wallonnes allèrent occuper la place
abandonnée. Elles y apprirent que la garnison ennemie était partie
vers Bruges, à la demande du prince d'Orange, parce qu'on y crai-
gnait un soulèvement des catholiques, très excités à la nouvelle de la
prise de Dunkerque (26).
C'est ainsi que, par un enchaînement curieux des événements, le
prince de Parme rentra en possession de cette ville de Menin, qui
avait été la première forteresse des « Maleontents », qui avait été
reprise par '1 'ennemi et dont les États des provinces wallonnes
avaient désiré depuis si longtemps la reconquête.
Cette occupation de Menin assurait désormais la sécurité de
Lille, de Courtrai, de Douai, de Tournai et d'Orchies (2-7) et conso-
lidait heureusement les premières victoires de Farnèse en Flandre.
Aussitôt après la prise de Nieuport, le prince de Parme envoya
Mondragon avec 1.000 soldats de son terçio et de la cavalerie vers
Ostende, La Motte avec une partie du terçio de Pedro de Paz et des
compagnies wallonnes vers Furnes, le châtelain Olivera avec le
terçio italien de Mario Oardoino, deux régiments de Wallons et de
la cavalerie vers Dixmude, pour essayer de s'en emparer sans trop
de sacrifices. Furnes se rendit tout de suite, sans combat, et la gar-
nison obtint d'en sortir avec armes et bagages (28).
{25) Libro de las cosas de Flandes, fo 244vo•
{26) Libro ae las casas de Flandes, fO 245; G. de Licques à Mar.guerite de Parme,
Tournai, 24 juillet 1583 (A. F. N" Carte (arnesiane, Eiaauira, fascio 1706); Marguerite d'e
Parme au duc Ottavio, 1er août 1583 (A. F. N., Carte (arnesiane, Fiandra, rascio 1626);
lI1émoi1'es sur le marquis de Varembon, pp. 49-50; Stokes à Walsingham, 'Bruges, 17
juillet, stilo Angliae, dans Foreign caienaa», 1583-1584,n° 31,
(27) Paolo Rinaldi dans son Liber retationum, fo 138.
'(28) Liber relationum, fo 137vo; Libro de las cosas de Fla.nàes, fo 246n•
140
A Ostende, Mondragon se rendit immédiatement compte qu'il
était vain d'essayer un coup de main (29).
En effet, le prince d'Orange avait pris les mesures nécessaires
pour que l'ennemi ne pût facilement s'emparer de cette ville. Depuis
le début de juillet, les marins de la flotte que les États entretenaient
sur la côte de Flandre étaient en pleine mutinerie et réclamaient
âprement les arriérés de leur solde. Une conférence tenue à Bruges
pour les calmer n'avait donné aucun résultat et avait même menacé
de tourner au tragique. Lorsque Farnèse eut pris Dunkerque, le
prince d'Orange s'était ému de cette situation et avait averti les
États de Hollande et de Zélande du danger qui les menaçait. C'était
grâce à cette mutinerie dans la flotte que le Prince de Parme avait
pu si facilement s'emparer de Dunkerque et de Nieuport, aucune
opposition ne lui ayant été faite par mer (30).
'Lorsque, en 1579, La Motte s'était emparé de Gravelines, les
magistrats de Dunkerque, Nieuport et Ostende s'étaient concertés
avec le nouveau gouverneur de Dunkerque et surintendant de' la
Flandre occidentale, le vice-amiral de Zélande 'I'reslong. Celui-ci
avait commencé par installer à Dunkerque le Oonseil d'Amirauté de
Flandre dont les États Généraux avaient décrété l'érection. Il avait
aussi équipé trois navires de guerre et un « jacht » pour garder la
côte. En 1583, le butin ramené par ces bateaux, qui faisaient la
course, avait suscité la convoitise de Ohamois et de la garnison fran-
çaise de Dunkerque et le jour où le lieutenant d'Anjou s'était emparé
de la ville par ordre de son maître, il avait mis l'embargo sur les
navires des États Généraux se trouvant dans le port. Lorsque ces
navires eurent été libérés par suite du traité provisoire conclu avec
Anjou, le 26 mars, par les États, ils ne trouvèrent rien de plus pressé
que d'aller se poster entre Dunkerque et Gravelines pour faire la
chasse aux bâtiments qui venaient ravitailler Chamois et la garnison
française! Quand Farnèse mit le siège devant la place, ils n'étaient
intervenus en rien (31).
De telles tragi-comédies devaient cesser. C'est à la Hollande et
à la Zélande, à défaut de la Flandre, que le 'I'aciturne confia la défense
(29) En prévision de l'arrivée des Espagnols, les habitants avaient inondé les cam-
pagnes. Blankenberghe et Bruges avaient sulvi cet exemple (Stokes à Walsingham,
Bruges, 14 juillet 1583, dans Foreign CGilendar, 1583-1584, no 27).
(30) P. BoR, o. C., 2° StUK, r- 398-399,
(31) H. MALO, Les corsaires dunkerquois et Jean Bart, I, pp. 181-182,
141
de la côte (32). C'est ce qui explique que lorsque les Espagnols
s'approchèrent d'Ostende, ils virent en mer une trentaine de vais-
seaux ennemis réunis là pour secourir la ville. Cinq de ces bateaux
étaient occupés à débarquer des munitions, des victuaille-s et des
soldats de renfort (33). Comme Farnèse ne possédait pas de flotte, il
donna ordre à Mondragon d'abandonner l'entreprise d'Ostende et
d'aller rejoindre Olivera iL Dixmude (34).
Un trompette fut envoyé aux habitants de cette ville pour leur
demander de se rendre. Il rapporta la réponse que, si on promettait
la vie sauve, les bourgeois dépêcheraient un capitaine de la garnison
et un membre du magistrat pour amorcer les pourparlers. Au bout de
peu de temps, l'accord fut conclu. Le prince concéda aux habitants de
Dixmude et à la garnison les mêmes conditions de reddition qu'à
Dunkerque et à Nieuport. Le 2 août, la ville était en possession des
Espagnols (35).
Ainsi, en peu de temps, quatre places importantes du .sud de la
Flandre avaient été prises sans grandes pertes pour le prince de
Parme (36). La reddition rapide des trois dernières s'explique sur-
tout par les conditions clémentes que Farnèse avait accordées lors de
la prise de Dunkerque. Depuis la reddition de Tournai, il n'avait pas
changé de' ligne de conduite: allier l'énergie à la douceur, inspirer
confiance par l'observation scrupuleuse de ses promesses et attirer
les hésitants par l'absence de toute sévérité inopportune. C'est ce que
le cardinal de Granvelle avait fait remarquer dans une lettre adressée
à Marguerite de Parme : « Le prince a gagné du crédit, disait-il,
parce qu'il a toujours inviolablement observé ce qu'il a promis aux
(32) P. BOR. O. C., 2· stuk, fo 399: « Also die van Vlaanderen de saleken seer weinlg
seheenen ter herte te neemen, also mosten de saeken bij die van Holland en Zeland
beneerstigt en bij der hand genomen werden ». - Sur ùe rôle du prince d'Orange dans
le premier essai de créer une flotte des « rebelles », voir J. C. M. WAR.NSlNCK,DYJ eerste
poging van den prins tot vorming eener zeemactü, dans Prins Willem van Oron je, pp'.85 svv.
(33) Stokes à Walsingham, Bruges, 20 juillet 1583, sUlo Angliae, dans Foreign Calen-
dar, 1583-1584, n° 37.
(34) Libro de las cosas de naoae«, to 246; Liber reUt.tionum, fo 137vo; Mémoires sur
te marquis de Varembon, pp. 50-51.
1(35) Libro de las cosas de Ftasuies, fo 246vo; Liber relationum, fo 138; Farnèse à un
ministre du Roi, Camp de Dixmude, 2 aoüt 1583 {B. N. P., ms, espagno'l 182, ,fo 344v.)~ -
Le texte de la capitulatioo de Dixmude dans le Bulletin de la Commission royale d'his-
toire, 3" sér., t. XIII, 1872, pp, 79-80. A propos de Dixmude, l'auteur dies Mémoires sur le mar-
quis de Varembon (P. 51), dit: « laquelle n'estant autrefois qu'un village non clos, avait
esté, durant ces révoltes, rorttûéeet Tendue tenable contre la force d'une armée ».
(36) « ln two months is recovered a mostgoodly country, fraught wlth goodly towns,
aooomodated with many good ports, to far beyond expeotatlon l>. J, Jernegan à Walsing-
ham, Gravelines, 3 aout 158a, dans Foreign Ca.lenda3', 1583-1584, nO 43.
142
habitants et, si ses prédécesseurs dans le gouvernement avaient agi
ainsi, nos affaires seraient en meilleurs termes aujourd'hui. » (37).
143
soit qu'il fût mal vu des États à cause de son mariage avec Louise de
Coligny (41), soit qu'il craignît l'invasion de la Hollande et de la
Zélande, il s'était retiré dans cette dernière région. Les forces des
rebelles étaient affaiblies, à cause de la défiance qu'on montrait à
l'endroit des Français, et parce que leurs troupes étaient éparpillées.
Or, pour profiter d'une si belle occasion, Farnèse ne disposait que' de
6.000 hommes, obligé qu'il était d'employer une bonne partie de son
armêe à garder les villes conquises. Cependant, si le Roi voulait
envoyer d'Espagne les soldats et l'argent nécessaires, le prince de
Parme croyait pouvoir promettre que, dans un an, tout le Brabant
serait conquis. Il serait même préférable d'envoyer en une fois tout
le secours qu'un Roi aussi puissant que celui d'Espagne pouvait
donner, au lieu de fournir cet appui « goutte à goutte C'était le ».
meilleur moyen d'en finir vite et de faire durer la guerre le moins
longtemps possible.
, Richardot devait surtout insister pour obtenir un secours immé-
diat important et la promesse formelle d'un envoi régulier d'argent
tous les mois) pour mettre fin à la situation intenable où lé prince se
trouvait (42).
~'" --:
144
dunkerquois, réfugiés à Gravelines pendant l'occupation des rebelles,
étaient revenus. Le 1er septembre 1583, le prince de Parme promulgua
un statut provisoire pour les ports reconquis, qui concernait à la fois
1a navigation commerciale et l'a marine de guerre. On reprit au ser-
vice' du Ro'i les capitaines, maîtres et mariniers réfugiés à Grave-
lines ou ailleurs et on leur prescrivit de résider à Dunkerque ou à
Nieuport. Le commerce maritime était déclaré libre, sous condition
de passeports que Farnèse seul pourrait délivrer. Enfin, un siège
d'amirauté fut érigé à Dunkerque pour juger des prises que l'on
ferlait en mer et percevoir le droit du dixième (43).
Le moment était maintenant venu de se rendre maître du reste
de la Flandre et particulièrement des trois grandes villes d'Ypres,
de Bruges et de Gand. La réduction de la 'citadelle calviniste de Gand
était l'objectif suprême. Mais, comme Farnèse l'avait exposé naguère
'au Roi, il ne disposait pas des moyens nécessaires pour 's'emparer de
ces grands centres populeux et bien fortifiés.
Comme l'a noté M. Terlinden, dans son Histoire militaire des
Belges (44), « ces villes, constatant l'inefficacité de leurs vieilles
murailles, se sont entourées d'enceintes bastionnêes en terre, conçues
d'après les plus récents progrès de l'art de la fortification. Ces rem-
parts dits « à la huguenote » ont le triple avantage de s'élever plus
vite que ceux en maçonnerie, de coûter moins cher et de mieux résis-
ter aux projectiles pleins, seuls connus à cette époque, qui s'enfoncent
dans la terre sans faire brèche. 'C'est ainsi qu'en moins de deux ans,
de 1577 il. 1578, Gand s'était entourée d'une enceinte répondant à
toutes Iesnécessitês de la poliorcétique moderne et n'ayant coûté que
280.000 florins. »
Le prince de Parme, qui souffrait continuellement du manque
de sapeurs et de pionniers, dont l'artillerie n'était pas des mieux
fournie, dont les munitions étaient souvent insuffisantes faute d'ar-
gent pour s'en procurer, ne pouvait s'attaquer de front à des places
si considérables.
Comme il l'avait fait pressentir à Philippe II, il était décidé à
les réduire par la famine et à faire Tine guerre d'ingénieur. (45) Il
couperait toutes les communications avec ces villes,' barrant les
rivières et les cours d'eau par des ponts garnis de canons et de sol-
(43) 'P. BOR, o. C., 2' stuk, fo 400; H. MALo, Les corsaires dunkerquois et Jean Bart,
1, pp. i83-i84,
(44) Pages i12-ii3.
(45) Cf'r TERLINDEN, o. C., p. H3.
145
dats, par des forts munis d'une bonne garnison, par des fossés qui
rendent le trafic impossible en arrêtant les chariots et la circulation
des convois de vivres. Il ravagerait les campagnes au temps de la
moisson ou s'empresserait de récolter celle-ci avant que les habi-
tants des villes n'aient le temps de l'engranger. Il isolerait les
grandes agglomérations en prenant les petites villes situées dans
leurs environs. Il aurait 'à sa disposition une armée de manœuvre,
peu nombreuse mais rapide, qui, se portant facilement d'un endroit
à l'autre, harcèlerait partout les forces ennemies, les tenant en
haleine, dispersant leur attention, les empêchant de porter secours
au moment voulu.
C'est contre Ypres que ce système fut employé d'abord. Les
troupes de Farnèse apparurent devant la ville au mois d'août. A un
quart de lieue des remparts, sur la route de Bruges, on commença la
construction d'un fort, tout autant pour tenir en respect la garnison
de la place que pour barrer les routes qui conduisaient vers Gand
et le Nord de la Flandre. De la sorte, on interceptait à la fois tout
envoi de secours et on rendait vain tout effort pour ravitailler les
assiégés. Les travaux de fortification ne se firent pas sans difficulté:
ici encore, les soldats durent remplacer les sapeurs absents et 'S'exé-
cutèrent sans trop de mauvais vouloir, attirés par la promesse d'une
bonne récompense. Le prince de Parme avait d'ailleurs lui-même mis
le premier la main à l'ouvrage, pour donner l'exemple et entraîner
ses hommes. Dans le fort furent logés 800 fantassins, la plupart
wallons, et quatre compagnies de cavalerie, ainsi que huit pièces
d'artillerie de gros calibre. Cette garnison fut pourvue de vivres pour
six mois. A la tête de cette petite armée, Farnèse plaça Antoine
Grenet, seigneur de Werp, qui s'était toujours distingué par son cou-
rage et son loyalisme (46).
Les cavaliers établis dans le fort se mirent bientôt à parcourir
tous les environs, rompant les ponts, coupant les routes, mettant en
fuite les partis ennemis qui s'aventuraient jusque-l'à. Bientôt, les
assiégés se trouvèrent à l'étroit et on pouvait espérer que la famine
les pousserait après quelque temps à se rendre (47). Le 11 août déjà,
146
PLAN DU FORT CONSTRUIT P:\R FARNÈSE DEVANT YPRES
(Ms, 19611 cie la Bibllothèque Ro-yale de Belgique, fo 55-)
le prince de Parme écrivit à sa mère: « Malgré le peu de soldats dont
je dispose ici, mais qui font tout 'leur possible pour faire face à la
situation, j'aUrai bientôt Ypres en mon pouvoir » (48).
(48) A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, rascto 1644. Ofr Mémoires sur le marquis de
Varembon, pp. 51-52. Le 29 aoüt, Farnèse répondit par un refus à la demande d'un cer-
tain nombre d'habitants de la ville, qui souffraient de la faim, et qui le priaient de leur
délivrer un passeport pour pouvoir partir (Correspondance de Granvelle, t. X, p, 599),
(49) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 3M.
147
les plus grands risques à la suite des complots qu'à Parme le comte
Claudio Landi et les siens tramaient contre eux. Ottavio était peu
estimé par ses vassaux et ses voisins ne lui témoignaient aucun res-
pect. Tout cela provenait de la conviction que tous avaient que le Roi
n'entendait pas favoriser les Farnèse. Le prince de Parme, de son
côté, n'avait jamais procuré aucun bénéfice à ses parents : il ne leur
avait causé que des ennuis et leur avait occasionné de fortes
dépenses pour l'assister dans sa carrière militaire et lui permettre
de tenir son rang. « Votre Illustrissime Seigneurie, disait le prince
à Granvelle, considérera quels sont aujourd 'hui mes chagrins et mes
regrets en voyant que la vie de mon père, celle de mon fils, le sort
de ma maison dépendent du bon plaisir de Sa Majesté. »
'C'est pourquoi il avait décidé d',a:dresser à Philippe II une
humble supplique pour le conjurer de restituer à son père la citadelle
de Plaisance.
Les ducs de Savoie et de Florence n'avaient-ils pas été large-
ment récompensés' Pourquoi, d'ès lors, Alexandre Farnèse ne pou-
vait-il pas rappeler ses services, surtout que sa famille avait coûté
si peu au trésor royal? On connaissait assez la situation des Pays-Bas
et l'état dans lequel 'le prince les avait trouvés. Depuis la réconoilia-
tion des provinces wallonnes, Farnèse avait instamment demandé
son congé: le Roi le lui avait refusé. Depuis lors, il n'avait jamais
perdu courage au milieu des situations les plusdiffidles et n'avait
songé qu'à satisfaire son maître. « Et plus j'ai rencontré d'obstacles
et de difficultés, notait-il, plus mes services méritaient quelque encou-
ragement, moins j'ai été secondé et assisté. Mais, Dieu aidant, les
affaires ont pris une assez bonne tournure et tout fait prévoir une
heureuse issue, s'il est pourvu à temps aux remèdes requis. »
En attendant ce résultat heureux, le prince se trouvait engagé
dans une campagne longue et pénible, et il ne pouvait donc rien
faire pour son vieux père infirme. « Aussi, disait Farnèse, compre-
nant les obligations qu'un fils affectionné a envers son père, désirant
consoler sa vieillesse et 'assurer sa tranquillité à la fin de ses jours,
voulant quitter sans remords ce monde quand il plaira au Seigneur
de m'appeler à lui, j'ai pris la ferme résolution de supplier instam-
ment Sa Majesté d'accorder à mon intercession cette grâce et cette
faveur à mon père. » (50)
1.48
Quel fut l'effet produit par cette lettre émouvante où le prince
de Parme parlait à cœur ouvert et montrait à la fois sa grandeur
d'âme et son sentiment du devoir? L'effet fut nul: Granvelle ne put
que le déplorer en disant que, malgré toutes ses instances, le Roi
différait toujours de prendre une résolution au sujet de cette affaire.
« Nous ne savons nous résoudre, ni exécuter nos décisions à temps»
constatait-il avec mélancolie et découragement (51).
- +; -
('51) P. FEA, La »ertenza per la restitusume aet castello di Piacenza...• loc. oit .• pp, 168-169.
(52) MULLER et DIEGERICK, o. c., t. V, p. 332, en note.
149
Bourbourg, de Bergues-Saint-Winoc, de Furnes, de Dunkerque, de
Dixmude et de Nieuport, qui avaient intérêt à voir supprimer ce
repaire de pillards qu'avait constitué Bergues,et qui avaient offert
100.000 livres, se portèrent garantes de cet engagement de Far-
nèse (53).
Au moment de l'occupation de Bergues, qui couronnait heureu-
sement les conquêtes faites dans le Sud de la Flandre, de nouvelles
intrigues étaient ourdies par le duc d'Anjou et le prince de Parme
se vit obligé de partager toute son attention entre les affaires mili-
taires et les manœuvres politiques.
(53) Sur cette question, voir MULLER et DIEGERICK, o. C •• t, V. p. 333, en note, et Cor-
respotuionce de Granvelle, t, X, p'p. 605, 607, (Capitulation de Bergues) et 628; Llbro de
las cosasde Flandes, ro 247; Farnèse à un minlstre du Roi, Camp devant Ypres, 27 sep-
tembre 1583 (B. N. P" ms, espagnol 182, r- 353).
(1) Ces intrigues ont été exposées par KEIWYN DE LE'ITENHOVE au tome VI de Les
Huguenots et les Gueux, pp. 467 svv., mais de façon inexacte et incomplète. L'auteur ne
tient aucun compte de la chronologie des événements 'et embrouille tout. Il en résulte
qu'il présente les faits dans une perspectrve absolument fausse, Toube cette histoire
est à refaire. C'est 00 que nous essayons de réaliser dans le présent chapitre.
151
duc se mettrait avec toutes ses forces au service du Roi catholique.
Une somme de 300.000 écus lui serait payée pour ses frais de
guerre (2).
Ces propositions étaient, faut-il le dire, inacceptables pour Phi-
lippe II. Celui-ci ne pouvait les considérer comme sérieuses. Il était
cependant important de ne pas y opposer un refus catégorique et de
faire traîner les négociationsen longueur] afin de laisser Anjou hési-
tant et d'empêcher S'aréconciliation rapide avec les États Généraux.
Alexandre Farnèse, qui, par Tassis, avait été tout de suite mis
au courant de ces tractations secrètes (3), estima qu'il devait écrire
dans ce sens à Philippe II. Celui-ci fit répondre que les propositions
du prince français étaient ridicules. Ne fallait-il pas craindre, en
outre, qu'il se servirait de ces négociations pour prétendre, auprès
des États Généraux, que les Espagnols, à prix d'argent, lui avaient
offert la paix On pouvait se contenter de présenter de l'argent à
î
1(2) PHIWPPSON, Ein Ministerium unter Philipp II, pp. 390-391; Mormon à Granvelle,
Tournai, 29aoOt 1583 (Correspondance de Granvelle, t, X, p. 339),
(3) Correspondance de J. B. de Tassis avec Farnèse I(A. F. N., Carte farnestane, Fiandra,
fascio 1643).
(4) PHILIPPS'ON, o. c., pp, 391-392; KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp, 485-487,
(5) GranveLle à Idiaquez, Madrid, 6 mai 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, P. 177),
(6) PHILIPPSON, o. c., p. 393.
152
engager trop directement ces négociations et de se borner à gagner
Ricci, qui, n'étant pas Français, semblait pouvoir être facilement
attiré (7).
(7) KERVYN DE LETTENHOVE, O. c., t. VI, p. 487. - Philippe II à Tassis, 5 mai 1583
{Correspondance du cardinal de Granvelle, t. X, pp. 494-495). Philippe II espérait que
Rleci présenterait le projet de conquête de l'Angleterre comme étant une suggestion
personnelle.
(8) KERVYN DE LETI'ENHOVE, O. c., t. VI, pp. 466-467.
1(9) Voir MULLER ET DIEGERICK, O. C., t, V, pp. 345 et SVV., en note; Correspondance de
Granvelle, t. X, les pièces publiées en appendice.
~10) KERVYN DE LETI'ENH()VE, 0, C., t. VI, pp, 467-468.
{11) PHILIPPSON, o. c.,pp. 395 svv.
(12) KERVYN DE LETI'E?\'HOVE, 0, C., t, VI, pp, 469-470,
153
C'est à Ribemont que le duc d'Alençon avait donné rendez-vous
à ses troupes pour le 25 juillet. Depuis plusieurs semaines, des
hommes d'armes s'étaient concentrés autour de Ham, de Saint-
Gobain et de Bapaume. Cependant) la maladie et la faim avaient
réduit ces troupes à 600 ou 700 fantassins et 400 ou 5,00 cavaliers.
D'autre part, près de Vaucelles se trouvaient campés les débris de
l'armée de Biron qui avait combattu à SteeIibergen : trois compagnies
d'infanterie. Pour augmenter ses forces, Anjou avait fait appel aux
reîtres du palatin Casimir et avait fait lever 7,000 hommes en Alle-
magne par le duc des Deux-Ponts (Zweiibrücken) (13).
Voyant son fils décidé à risquer une nouvelle aventure, Cathe-
rine de Médicis résolut de ne pas l'abandonner. EUe supplia le Roi
de France de l'aider : Cambrai ne devait-elle pas rester une ville
française t Elle demanda au Roi d'adjoindre à l'armée d'Alençon
vingt compagnies d'ordonnance: Henri III lui en accorda dix. TI ne
voulait certes pas la guerre avec l'Espagne, mais il estimait qu'il
pouvait soutenir l'expédition pour conserver Cambrai.
Les compagnies d'ordonnance, commandées par Puygaillard, ne
seraient d'ailleurs pas jointes aux forces d'Anjou, mais se conten-
teraient de les « costoyer », sous prétexte de les surveiller, en réalité
pour prêter secours, s'il en était besoin (14).
La duplicité d 'Henri III se révélait donc sous la même forme
que pendant la première expédition d'Anjou à Cambrai.
Fin août, l'armée du prince français était prête. Rochepot,
Chamois et Saisseval la commandaient (15).
154
de s'acheminer vers la frontière française 'avec s'on terçio, avec deux
régiments wallons et sept compagnies de cavalerie et de se joindre
aux troupes de Montigny, afin d'empêcher l'entrée d'Alençon et des
Français (17).
Le sentiment des chefs des troupes espagnoles à la frontière
était que le Roi de France soutenait Anjou: ils avaient vu passer
les bandes d'ordonnance de Puygaillard et tous s'attendaient à de
sérieux engagements. Ils espéraient aussi en venir aux mains le
plus tôt possible 'avec les Français, dont la duplicité les exas-
pérait (18).
Le 2 septembre, 'Onapprit que le duc d'Anjou venait d'entrer à
Cambrai avec vingt compagnies d'ordonnance. L'événement fit sen-
sation et le prince français s'empressa de le signaler au prince
d'Orange. Dans dix jours, disait-il, il aurait sous ses ordres 8.000
fantassins et 1.800 cavaliers et il espérait commenc-er de suite la
campagne contre les Espagnols. Il se plaignit vivement de ce que,
depuis son départ de Dunkerque, les États ne lui eussent écrit la
moindre lettre, mais il déclara que, malgré tout, il ne dépendrait pas
de lui que leurs affaires ne « reprissent vigueur» 1(19).
* *" •.•
155
C'était encore l 'Italien Ricci qui s'était mis en rapport avec
Farnèse. Ces tractations seerètes eurent lieu au mois d'août, au
moment même où Anjou préparait sa marche sur Cambrai. Ricci
proposa, de la part de son maître, à Alexandre Farnèse, comme prix
de son désintéressement ultérieur 'au sujet des affaires des Pays-
Bas, la cession au prince français de Cambrai et du Cambrésis, le
paiement d'une somme de 200.000écus, et le mariage avec une infante
dEspagne, à laquelle on donnerait une « petite dot », le duché de
Milan par exemple (21).
Alexandre Farnèse, sollicité de donner une réponse urgente, se
garda bien de se découvrir: il promit d'y penser, « résoudre estant
aultre chose que d'y donner advis » (22).
Or, Catherine de Médicis,au cours d'une conversation avec son
fils, avait eu connaissance de ces négociations avec Farnèse. Elle les
approuva, désirant surtout, comme elle le dit à son confident Gondi,
que, une fois Cambrai ravitaillée, le duc d'Anjou ne s'engageât plus
avec les États Généraux des Pays-Bas et abandonnât cette aventure.
Elle désirait que Farnèse répondît au plus tôt aux offres du duc
d'Anjou, afin que cette affaire fût conclue avant celle qu'elle négo-
ciait elle-même à Madrid au sujet du mariage espagnol. En effet, elle
ne voulait pas que ces deux tractations fussent liées. Le duc
d'Anjou ne savait pas, en effet, que sa mère traitait de son côté avec
Philippe II en vue de son mariage avec l'infante et il devait continuer
à l'ignorer (:23). Vit-on jamais diplomatie plus subtile et plus com-
pliquée?
En tout cas, le prince de Parme suivit la ligne de conduite
adoptée jusque-là en de semblables circonstances : pour tenir le
prince français en haleine, il ne donna pas de réponse immédiate,
jugeant que par là il retardait sa réconciliation avec les Etats
Généraux.
Sur le fond de la question, nul doute ne pouvait subsister dans
son esprit :ce qu'Anjou demandait était impossible. Ce qui méritait
d'être examiné, c'était la proposition de trêve, qui aurait comme
effet d'éloigner temporairement le danger français et de permettre
la continuation de la campagne de Flandre.
156
Anjou entra à Cambrai avant que Farnèse n'eût pu donner une
réponse.
Aussi, déjà le lendemain de cette entrée, nous constatons qu'une
négociation est en cours par l'intermédiaire de Balagny. Celui-ci fit
proposer par Mlle de Clermont, belle-sœur du sire de Gougnies, gou-
verneur du Quesnoy, une suspension d'armes, dans le but d'amener
la conclusion d'une trêve entre le duc d'Anjou et le prince de Parme.
Farnèse, saisi de l'affaire par Gougnies, fit répondre que si le
duc voulait négocier, il n'avait qu'à s'adresser directement à lui.
Cependant les tractations continuèrent par les mêmes intermédiaires.
Farnèse ne fit aux propositions d'armistice qu'un accueil assez froid:
il se déclara prêt à traiter directement avec Anjou « tant il aimait
de voir la paix et la concorde entre les princes chrétiens et de consta-
ter qu'il y avait bonne intelligence) correspondance et confraternité
entre eux ». Ce fut tout. Pourquoi cette froideur? Farnèse devait
se rappeler son expérience antérieure, lorsque, ayant conclu un
accord avec Anjou après la « Furie française », le duc révéla tout au
prince d'Orange, en faisant croire que c'était le prince de Parme qui
avait fait les premières ouvertures. Ge dernier nentendait proba-
'blement pas être trompé une seconde fois. De plus, il se rendait
compte que ces essais de négociation pourraient bien n'être qu'une
autre tentative d'opérer une pression sur les États Généraux des
Pays-Bas, afin de les forcer à hâter la conclusion du nouvel accord si
impatiemment attendu par Anjou.
C'est sans doute pour ce motif que, malgré toute 1'utilité de la
conclusion d'une trêve à propos de Cambrai, il tint la décision en
suspens. Le duc d'Anjou ne se laissa pas rebuter par la réserve de
Farnèse. Non seulement, il fit renouveler par Balagny les instances
déjà faites, mais il envoya un de ses gentilshommes, Chaulny, vers
le sire de Gougnies, l'invitant à se rendre à Cambrai muni d'un sauf-
conduit. Farnèse autorisa Gougnies à répondre à cette invitation. Le
gouverneur du Quesnoy se mit en route, mads, arrivé à Cambrai, il
constata que le duc d'Anjou était déjà parti (24).
* *' *
Après son entrée à Cambrai, Anjou avait attendu en vain le
secours qu'il espérait de France. L'argent qu'on lui avait promis à
(24) Voir au sujet de cette affaire les documents publiés par MULLER et DIEGERIGK,
o. t, V, pp. 405 à 415, en note, et dans la Correspondance
C., de Granvelle, t. X, pp. 609,
658, 659.
157
1
Paris ne vint pas. Les reîtres du palatin Casimir restèrent chez eux,
devant la perspective de ne pas être payés. Bientôt dans les troupes
du duc, le dénuement et la famine sévissent. Désobéissant à leurs chefs,
les soldats se répandent dans les campagnes, et s 'y livrent à des entre-
prises de pillage et d'incendie. Beaucoup sont attaqués par les sol-
dats de Farnèse et tués. Le 7 octobre, les principaux chefs français
vinrent réclamer la solde de leurs hommes, sous peine de voir l'armée
se débander. Anjou leur demanda de patienter cinq jours. A Cam-
brai, les bourgeois, il, bout de patience et de ressources, parlaient
d'ouvrir les portes de la ville au prince de Parme.
Bientôt la nouvelle se répandit que les Wallons du sire de Gou-
gnies et les Espagnols de Pedro de Paz se portaient vers Cateau-
Cambrésis pour fermer toute retraite éventuelle aux Français. Puy-
gaillard, le chef des bandes d'ordonnance françaises, estima le
danger si grand qu'il fit changer les hommes d'armes de casaque,
en vue d'une bataille imminente, afin que Farnèse ne pût se rendre
compte qu'il avait en face de lui des troupes de Parmêe rêgulière du
Roi et que celui-ci pût continuer à feindre sa neutralité dans le con-
flit (25). Bientôt, tout se disloqua. Le 14 octobre, un des familiers
d'Anjou estimait que, depuis le départ de Dunkerque, « on avait
continué de gâter tout, conduisant les affaires si mal qu'on a perdu
toute réputation» (26).
Cependant, Farnèse, apprenant que le duc dAnjcu tramait
quelque dessein contre Cateau-Cambrésis et qu'il avait préparé de
l'artillerie pour la bombarder, avait donné immédiatement ordre à
toutes les troupes espagnoles des environs de se porter vers la place
menacée (27). Lui-même abandonna la région d'Ypres et marcha avec
une partie de son armée vers Roulers, où il arriva le 16 octobre (28).
Il y apprit que le duc d 'Anjouvaprès avoir tenu les portes de Oam-
brai fermées pendant deux jours, pour qu'on ne surprît pas ses
desseins, avait quitté la ville et s'était retiré en France avec le reste
de son armée (29). De Bapaume, Paul de Noyelles écrivit à Farnèse:
1(25) KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 477-479.
(26) Pibrao à Des Pruneaux, Cambrai, 14 octobre 1583 (MULLER et DIEGERlCiK,o. C.,
t. V, p. 400).
(27) Voir les documents dans MULLER et DIEGERIaK, o. C., t. V, pp. 383-387.
(28) Libro de las cosas de Flandes,fo 248 TO
MULLER et iDIEGERICK,0, c., t. V, p. 383,
;
en note.
(29) Ibidem. - Après leur essai malheureux à Oateau-Cambrésls, les troupes du duo
d'A,lenç{)n avaient battu 'en retralte, protégées pail' les bandes d'ordonnance du Roi
de France. Cfr les lettres die Renty (Montigny) et de Noyelles à Farnèse, publiées
par MULLERei DIEGERICK,o. C., t. V, pp. 389.{l94.
:1.58
« Son armée s 'est rompue entre Ribemont et le Châtelet, chacun s'en
étant allé à sa chacune! » (30). Le prince de Parme apprit en même
temps de quelle burlesque façon s'était terminée « la gloœieuse
aventure ». Anjou, avant de partir, avait offert un banquet au magis-
trat et aux principaux bourgeois de Cambrai. Des mauvais plaisants
- qui? on ne le sait - avaient noirci le manche des couteaux dont
les convives devaient se servir à table. « Je laisse penser à Votre
Altesse, ajoute Noyelles, quel crève-cœur ils devaient avoir tous,
voyant ainsi leurs mains noires et sales é de quelle part iis devaient
le prendre! » (31).
Alençon quitta Cambrai le 15 octobre, et, par Laon, alla
rejoindre son frère, le Roi de France. Les Pays-Bas ne devaient plus
le revoir.
• •••
C'est précisément à ce moment que le sire de Gougnies, autorisé
par Farnèse à approcher Anjou pour la négociation de la trêve, se
présenta à Cambrai. Balagny offrit de mener le négociateur chez le
duc, à Laon. Gougnies en informa immédiatement Farnèse, en lui
faisant savoir qu'on demandait une suspension d'armes de quelques
jours ou, du moins, un sauf-conduit pour les délégués (32). Il pria
le prince d'y consentir. Trop tard 1 En ce moment même, Anjou
révélait aux États Généreux et au prinee d'Orange ses tractations
avec Farnèse, mais en présentant, encore une fois, les choses comme
si le prince de Parme avait fait les premières ouvertures (33).
On peut se demander pour quel motif le duc d'Anjou avait
amorcé et poursuivi pendant si longtemps cette négociation en vue de
la trêve. Nous sommes enclin à penser que, pendant quelque temps,
il fut sincère en faisant cette demande. Rs 'était imaginé, après
lavoir ravitaillé Cambrai, pouvoir paraître en Flandre en vainqueur
et faire des conquêtes. Il espéra peut-être pouvoir garder Cambrai
et les autres dépouilles par cet accord négocié avec l'e prince de
Parme. TI voulut peut-être reprendre, en les diminuant, I'exposê des
conditions qui avaient ~té transmises naguère par Ricci.
159
Lorsqu'il apparut que ces visions de victoire allaient se changer
en désastre et qu'il devrait quitter Cambrai, l'abandonnant à Balagny,
qui y vivait depuis 'longtemps déjà comme unesorte de prince indé-
pendant et souverain (34), il comprit que du côté de Farnèse et de
l'Espagne, plus aucun profit n'était à escompter. il 'se retourna alors
de nouveau vers les États Généraux avec l'avantage de pouvoir opé-
rer sur eux une pression en leur révélant les prétendues propositions
du prince de Parme. Il ne fit que répéter le jeu qu'il avait déjà adopté
une première fois, après ~'échec de la Furie fra;nçaise.
Dans cette deuxième négociation avec Anjou, Farnèse ne se
départit pas de la prudence qu'il avait déjà montrée en de semblables
occasions. Il ne rompit pas le contact aussi longtemps qu'il pouvait
espérer écarter de la sode la menace que constituait l'intervention
militaire du duc. N'avait-il pas raison d'agir ainsi, puisque, par
deux fois, des troupes régulières françaises avaient coopéré avec
les forces d' Anjou ~ La grande crainte du prince de Parme
avait toujours été qu'un succès éclatant d'Anjou ne déclen-
chât un jour la participation ouverte d'Henl'i III à la guerre. De ce
point de vue, il avait eu raison de ne pas repousser l'idée des trac-
tations.
Mais là où il nous paraît avoir été imprudent, c'est lorsqu'il
autorisa Gougnies à se rendre à Cambrai. Il crut peut-être compro-
mettre par là en public son adversaire et l'obliger à abattre son
jeu, mais ce fut le contraire qui arriva. La visite de l'envoyé de
Farnèse permit, en effet, au duc d'Anjou de prétendre que le prince
de Parme venait le solliciter et de raconter les faits comme si l'arri-
vée de Gougnies constituait le tout premier début des négociations.
C'est ainsi qu'il présenta sa version au prince d'Orange et aux États
Généraux. Il prétendit tout ignorer des intentions de Farnèse et
ne pas 'avoir pris connaissance « des articles qu'Il proposait ». Il en
profita pour dire que, malgré ces avances de l "adversaire, il ne con-
treviendrait en rien an traité provisoire qu'il avait conclu avec les
États le 26 mars.
(34) Sur ce, point, voir KER.VYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 4'70-473.
160
un dernier point : l'intervention du duc de Guise et le projet de con-
quête de l 'Angleterre.
Durant les années 1581 à 1584, c'est la France qui servit de
théâtre aux grandes menées des catholiques anglais en vue de provo-
quer une invasion en Angleterre et de détrôner Élisabeth. C'est
autour du duc de Guise, parent de l'infortunée reine d'Écosse, Marie
Stuart, que se pressaient les émigrés anglais. On négociait avec le
régent d'Écosse Lennox; les catholiques d'Écosse auraient aidé à
envahir l'Angleterre par le Nord, à délivrer Marie Stuart et à pro-
clamer Jaeques VI héritier présomptif de la couronne britannique.
Au mois de juin 1583, lorsque le roi d'Ecosse eut récupéré sa
liberté, les instances des catholiques anglais se firent plus pressantes.
Le Dr. William Allen essayait de provoquer une intervention armée
immédiate (35). Le duc de Guise envoya à Rome l'Anglais réfugié
Parsons avec un plan d'invasion de l' Angleterre, entreprise à la-
quelle Alexandre Farnèse, comme gouverneur général des Pays-Bas,
devait collaborer (36).
Après avoir reçu le projet du duc de Guise, le pape Gré-
goire Xlff le communiqua à Philippe II, en L'invitant à le réaliser
le plus tôt possible.
Le roi d'Espagne y vit à la fois un moyen pour enlever l' Angle-
terre à l'influence du protestantisme et pour mettre fin 'au secours
qu'Elisabeth accordait aux rebelles des Pays-Bas. Mais il avait des
objections d'ordre politique et pratique à faire valoir. Il décida de
consulter le prince de Parme (37). Il le pria d'examiner le plan et de
donner son avis, en grand secret.
Le prince de Parme y répondit le 30 novembre. A S'on avis, le
corps expéditionnaire devait être composé de 30.000 fantassins, de
1.000 lanciers et de 3.000 autres cavaliers. Il serait difficile de compter
sur le concours militaire des catholiques anglais, car ils étaient étroi-
tement surveillés. Pour être sûr du résultat, il faudrait donc employer
uniquement les forces du Roi d'Espagne.
{35) Sur tout ceci voir J, KRETSCHMAR,Die lnvasionspro}ekte der Katolischen Miichte
gegen Englandzur Zeit Elisabeths, pp, 97 svv.: R, LECHAT, ,Les ,réfugiés ,anglais
aux Pays-Bas, p. 14~; J. RÜBSAM,Johann Baptista von Taxis, pp. 63-66; PHILlPPSON, o. c.,
pp, 485-487. ~
(36) Le plan est publié dans Spanish Caieïuiar, 1583, pp. 503 svv. Il 'est analysé !par
PHILIPPSON, o. C., pp. 485-486.
(37) Granvelle à Don Juan de Idlaquez, Madrid, 23 septembre i5!83 (Correspondance
de Granvelle, t. X, pp. 367-369) ; Philippe II au prince de Parme, Madrid, 12 septembre f583
CA, G, Rn Copies de Simancas, vol, 15, non folioté),
161
Farnèse jugeait qu'en elle-même l'entreprise était digne de Phi
lippe II, mais qu'il fallait garder le secret. Il recommandait surtout
de laisser dormir le projet jusqu'à ce que l'on eût fait aux Pays-Bas
des progrès plus considérables, En effet, il fallait prévoir que, au
lieu de conquérir l'Angleterre, on perdrait beaucoup en Flandre.
Si on exécutait le plan, il faudrait partir des côtes de Flandre
et non d'Espagne. Oomme, après avoir débarqué sur le sol anglais, on
aurait à combattre, Farnèse estimait nécessaire la présence de 2.000
sapeurs ou pionniers, afin de pouvoir se retrancher tout de suite dans
les endroits que l'on aurait conquis et il jugeait qu'il fallait aussi de
la cavalerie, pour une avance rapide. Il croyait, pour le surplus, que
les négociations pour réaliser le projet ne devaient pas se faire par
voie de Rome, car le secret serait vite éventé. Pour conduire l'expédi-
tion, des hommes expérimentés étaient nécessaires, comme, par exem-
ple, Mansfelt, Mondragon ou Robles de Billy. Le marquis de Riche-
bourg et le 'baron de Montigny ne semblaient pas pouvoir être utiles
dans une expédition de ce genre. « D'après l'expérience que j'ai récoltée
dans des conversations avec des Anglais qui m'ont souvent parlé de
choses semblables, dieait Farnèse, ils trouvent qu'une pareille entre-
prise devrait se faire sous le patronage du Pape, avec les armées de
Sa Majesté le Roi d'Espagne, et elle devrait avoir pour but la
libération de Marie Stuart, l 'héritière légitime du royaume d' Angle-
terre. Sinon, je crois qu'aucun Anglais catholique ne marchera. » (38)
A sa lettre, le prince de Parme ajoutait un relevé exact des ports,
des débarcadères, des chemins et des rivières, dont la connaissance
était nécessaire à ceux qui auraient débarqué, ainsi qu'un rapport
sur les ports de la côte de Flandre et sur la côte 'anglaise (39).
'Somme toute! Alexandre Farnèse ne se montrait pas très enthou-
siaste quant au fond même du projet. Avec raison, il redoutait
qu'une telle entreprise ne fît tort à ses opérations militaires en
Flandre et ne l'empêchât de réaliser son plan d'offensive.
L'aventure subséquente de l'Invincible Armada devait montrer
combien il avait raison. Quoi qu'il en soit, le secret transpira. Grâce
à son système d'espionnage parfaitement organisé (40), Walsingham
'(38) Farnèse au Roi, T·oumai, 30 novembre 1583 (A. G. R.. Copies de Simancas, vol. 15.
non folioté). ...•
(39) Relaçion de la informaçion que se tiene de los puertos de Dunkerque y Néuport
y de la costa que se posee deste Gravelingas y 'dicho Neup0'T't y de la de lngala~erra,
clans A. G. R., Copies de Simancas. vol. 15, in fine.
(40) J. KRETSCHMAR, o. C., pp, 102-103.
162
fut mis au courant de ce qui se tramait. Le projet des Guise dut, pour
le moment, être abandonné (41).
C'était sous l'impression de la nouvelle entreprise d'Alençon à
Cambrai et de ses efforts pour gagner l'aide d'Élisabeth, que Phi-
lippe II, jusque-là hésitant sinon hostile au sujet de ces projets sur
l'Angleterre, avait donné ordre à son ambassadeur à Londres, Ber
nardino de Mendoza, de lui communiquer son avis sur le rôle des
Guise et sur leurs plans d'invasion (42).
De sorte que cette consultation de Farnèse suree même sujet se
rattache en réalité aux dernières intrigues ourdies par le duc
d'Anjou à propos des affaires des Pays-Bas.
(41) Ibidem, pp. 104-105; KERVYN DE LETrENHOVE, O. C., t. VI, pp, 505-509,
>(42) J, KRETSCHMAR 0, C., p, 96,
163
CHAPITRE XI.
164
Cela avait provoqué à Bruxelles une véritable panique. Le gou-
verneur de la ville, van den Tympel,s 'était rendu en toute hâte en
Zélande, auprès du prince d'Orange, pour implorer du seCOUTS (4).
Enfin, le 2'2septembre, par trahison, les soldats espagnols du colonel
de Tassis s'étaient emparés de Zutphen (5).
A cette nouvelle, leprince de Parmeav:aitenvoyé le terçia de
Pedro de Paz, deux régiments wallons avec de la cavalenie, le corps
d'armée de M. de Hautepenne et les régiments de Berlaymont et de
Manderscheidt vers la Gueldre, pour soutenir Verdugo et pour y
attendre I'oecaslon favorable de frapper quelque coup à l'impro-
viste (6).
Pendant que ces troupes s 'acheminaient vers le Nord, Farnèse,
avec le reste de son armée, entreprit les premières opérations néces-
saires pour isoler Gand. Il s'avança dans l'a direction du pays de
Waes : il était depuis quelque temps en tractations secrètes avec le
bailli de cette région, Servais VianSteelant. C'était un pays riche en
pâturages} où ses soldats trouveraient en outre de quoi se nourrir
convenablement.
Tàndis que ces négociations étaient encore en cours, le prince
de Parme s'empressa de ·se rendre maître du Sas de Gand. Le pont
près du Sas, que l'ennemi avait détruit, ayant été rapidement rétabli,
les soldats espagnols passèrent de l'autre côté du canaâ, au nord de
Gand, et, le 22 octobre, chassèrent la cavalerie qui y avait pris posi-
tion.Les troupes de Farnèse purent s'avancer, sans rencontrer
d'obstacles, jusqu'à L'Ecluse.
Ainsi, Gand et Bruges étaient déjà menacées par le Nord (7).
En même temps, sur l 'ordre de Farnèse; le colonel de Mondragon
était parti de Roulers, avec une force assez considérable d'infanterie
et de cavalerie, dans la direction d'Eecloo et s'était rendu maître de
cette ville. Mondragon avait des instructions sévères qui lui prescri-
vaient de bien traiter la population rurale de la région d'Eecloo, afin
de l'induire à ne pas prendre la fuite et à rester chez elle. Mais les
(6) Lillro de las cosas de Flari(i,es, fo .248vo; P. BOR. O. C., 2· stuk, fo 402.
'(7) Librode las cosas de Flandes, fO 248vo; STRADA, o. C., t. III, p. 385; Mémo!re~ sur
le marqui» de Varembon, p, 52; BOR, 0, C" 2" stuk, fa. 401; Thomas Dayley à Walsi'l1gham.
29 octobre 1583 (Foreign Caienâar, 1583-1584, n° 176, p. 151). Cfr J. H. KERN'KAMP, De hande!
op den vijand, t. J, 1572-1588, p. 139, 14{)-141.
165:
soldats espagnols ne purent s'abstenir de se livrer au pillage. Dtautre
part, les Gantois, qui exerçaient dans cette région une véritable
terreur, avaient fait parvenir aux paysans Tordre de se réfugier à
Gand et à Bruges. Les, ruraux y obtempérèrent et abandonnèrent
leurs. maisons, en emmenant avec eux ce qu'ils avaient de plus pré-
cieux: Ils laissèrent cependant derrière eux une quantité suffisante
de victuailles pour que les soldats du prince de Parme pussent se
nourrir pendant tout l'hiver (8).
La prise dEeeloo et de la région environnante complétait la
manœuvre d'isolement de Gand et de Bruges, elle gênait désormais
de façon appréciable les rapports et les communications entre ces
deux villes (9).
Bientôt l'occupation du pays de Waes allait isoler Gand du
côté est et nord-est. Ce fut à la fin d'octobre que les négociations
secrètes avec le bailli Servais de Bteelant l'ivrèrent cette région au
prince de Parme. Depuis juin 1579, le dictateur gantois Hembyze
avait réussi à étendre sa domination sur ce riche pays: il avait immé-
diatement démis les catholiques qui exerçaient la fonction de magis-
trat dans' les smalle wetten et les avait remplacés par des calvi-
nistes (10). Les succès militaires du prince de Parme et son avance
vers le Nord de la Flandre avaient provoqué la, panique dans cette
région et le bailli de Steelant finit par en ouvrir l'accès aux troupes
espagnoles. De plus, il livra au prince de Parme le château de Rupel-
monde, dont il avait la garde et le commandement. Au moment de la
reddition, cinq navires armés qui stationnaient sur l'Escaut devant
le château refusèrent de suivre Steelant dans sa trahison et, avant
de lever l'ancre, canonnèrent l'infanterie espagnole d'Antonio de
Olivera qui s 'avançait pour prendre possession de la forteresse (11).
L'occupation de Rupelmonde par Farnèse fut un rude coup pour
les Gantois. Le prince de Parme avait ainsi rendu très difficile le
passage des navires de guerre et des convois de ravitaillement qui,
f66
par l'Escaut, auraient pu se rendre d'Anvers à "I'ermondaet de là
à Gand (12).
Coupés de toutes leurs communications ordinaires vers Anvers,
vers Terneuzen et vers Bruges, les Gantois voyaient se dresser le
spectre de la famine qui allait bientôt les tenailler. L'occupation du
pays de Waes et du château de Rupel'monde avait dailleurs conduit
à celle des deux villes d'Axel et de Hulst. La population elle-même
avait demandé spontanément d 'y placer une garnison et de remplacer
le magistrat calviniste par des catholiques (13).
TI ne restait plus d'accès libre à la ville de Gand que par la Lys,
du côté de Courtrai, et par la Dendre, du côté d 'Alost.
Pour couper les communications avec Courtrai par le COUl'S
de la Lys, le prince de Parme, à l'aide de trois pièces d'artillerie
qu'il avait fait venir de Tournai, par l'Escaut,s'empara du château
de Nevele, au nord-est de Deynze (14). Pour compléter Pencercle-
ment de Bruges par le nord-ouest, le mar-quis de Richebourg fut
envoyé, avec quelques troupes et l'artillerie qui avait servi à Nevele,
contre le château de Middelbourg, situé entre Damme et Ardenbourg.
A peine les premiers coups de canon furent-ils tirés, que les 140
Anglais du régiment de Morgan qui l'occupaient se rendirent (15).
D'autre part; le marquis de Varembon s 'aehemina avec quelques
compagnies bourguignonnes contre Oedelem, dont le château était
occupé par des soldats des États qui avaient combattu à Haarlem et
à Zierikzee, à l'époque du duc d'Albe et de Requesens. Se presentant
au point du jour devant le château avec 300 fantassins bourguignons
et 70 cavaliers, Varembon les logea en divers endroits à l"abri de
taillis et de buissons. Puis, il fit battre les tambours et sonner les
trompettes pour donner à l'ennemi l'illusion que les assiégeants
étaient en grand nombre. TI fit ensuite pénétrer une trentaine de ses
hommes dans la cour du château et sommer l'ennemi, qui s 'était
retranché dans le corps de logis principal, de se rendre, sous menace
de faire pendre tout le monde aux créneaux, si l'on attendait la mise
en position des pièces darcillerie. Trompée par ce stratagème, la
garnison capitula (16).
(12) Libro de las cosas de Plasuies, 100. olt.
{l3) Libro de las cosas de Flandes, fo 249; P. BOR, O. C., 100. clt.; STRADA, o. C"
t. III, p. 386.
{140 Libro de las cosas de nanae«; fo 249vo•
{15) Mémoires sur le marquis de Varembon, fo 53; Ltbro de las cosas de Flandes,
fo 249vo•
{16) Mémoires sur le marquis de Vœrembon, pp. 53-64.
1&'7
Satisfait de l'ensemble de ces opérations; qui avaient réalisé à la
lettre une partie du grand plan d'offensive qu'il avait exposé au Roi
en 1581, le prince de Parme envoya ses troupes en quartier
d'hiver (17).
.. "
Les opérations de Farnèse dans le Nord de la Flandre avaient
jeté un peu partout la panique chez l'ennemi. La prise du château de
Rupelmonde avait fort inquiété les Anversois : des ordres furent
donnés pour commencer la construction de forts à la Tête de Flandre,
en face de Rupelmonde et en d'autres endroits encore (18). L'arrivée
de 1.500 réfugiés du pays de Waes, suivis de leurs familles et chargés
de ce qu'ils avaient de plus précieux, avait ébranlé la confiance des
Anversois et matérialisé pour la première fois à leurs yeux le danger
de l'approche des Espagnols. La prise de Rupelmonde leur fit d 'ail-
leurs craindre que Farnèse ne troublât la navigation entre Bruxelles
et Malines et n'isolât complètement Vilvorde (19). Enfin, la perspec-
tive de voir l'es troupes ennemies installées pendant tout l'hiver dans
le pays de Waes les remplit d'anxiété (20). Déjà, on parlait d'e
rappeler la garnison qui occupait Hérenthals, après avoir mis le feu
à cette ville, et de lui confier la défense des forts autour d'Anvers (21).
De Bruges, l'agent anglais Stokes transmettait à Londres des
craintes non moins vives. La prise du château de Middelbourg par
les Espagnols avait mis en grand danger la sécurité de L'Ecluse
et de Damme et les Brugeois savaient que si ces deux places tom-
baient aux mains de l'ennemi, le ravitaillement de la ville devien-
drait impossible et que la reddition de leur cité ne serait plus qu'une
question de jours (22).
Enfin, en Zélande même, soufflait un vent de découragement.
Buzenval, passant par Middelbourg pour se rendre en Allemagne, y
avait rencontré Marnix de Sainte-Aldegonde et avait été frappé par
{17) STRADA, O. C., t. III, p. 386; Mémoires sur le marquis de Varembon, pp. 52-53.
(18) Fremyn à Walsingham, Anvers, 29 octobre 1583 '(loc. cit.); P. Bizarrf à Wal-
singham. Anvers, 30 octobre 1583 (loc. cit.).
(19) Des avvisi d'Anvers, datées du 24 décembre 1583, signalent que des Espagnols
de Rupelmonde montent la ga-rde sur l'Escaut, pour empêcher tout passage entre Ter-
monde, Malines, Vilvorde et Bruxelles (H. VAN Hou'ITE, Un journal manuscrit intéressant
(1557-1648),dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 1926, t. LXXXIX,p. 403).
(20) Lettre citée de P. Blzarri,
(21) Prernyn à Walsingham, lettre citée.
(22) Stokes à Walsingham, 6 novembre 1583 (lOG. cU.).
l 'expression tragique de son visage: « On pouvait y lire Pangoisse
créée par l'état malheureux des affaires du pays, où tout allait
sens dessus dessous ». Les Zélandais étaient si remplis de terreur
par l'arrivée soudaine des Espagnols au Nord de Bruges et de
Gand qu'ils « ne voyaient même pas la porte de derrière, qui
leur offrirait le moyen de s'échapper: immobilisés par la stupeur,
ils attendaient chez eux la venue de l'ennemi, et ils semblaient n'avoir
gardé leur maison que pour y recevoir ceux qui allaient tout de suite
les en expulser ». Buzenval ajoutait: « La situation dans ces îles de
Zélande est devenue telle que, si l'ennemi avait tourné ses regards de
ce côté au rieu de pénétrer en Flandre, je me demande s'ils n'au-
raient pas envoyé des vaisseaux de l 'autre côté de l'Escaut pour le
recevoir! » (2'3) Buzenval certifiait à Walsingham qu'il n'exagérait
en rien : « J'ai vu l 'homme le plus important de Zélande, Marnix,
qui 'lll'aparlé de cette misère en des termes qui sont beaucoup plus
forts que ceux que j'emploie pour vous écrire. Cela m'a peiné de le
voir assis, les bras croisés, en un moment où il y a urgente nécessité
de bons pilotes pour guider <levaisseau, si désemparé au milieu des
flots et de la tempête! »
Et Buzenval terminait sa missive peu encourageante par ces
mots: « Après avoir bien examiné l"ensemble de la situation, je ne
trouve que peu qui soit de nature à me réconforter. Nous n'avons
pas les moyens d'arrêter les victoires du Roi d'Espagne; nous
sommes maintenant ses voisins immédiats et il est à craindre que
nous n'éprouvions bientôt les manifestations de sa force et de sa
grandeur! »
Des trahisons menaçaient d'ailleurs d'éclater un peu partout.
Depuis longtemps, des tractations secrètes étaient engagées entre
le prince de Parme et le comte Guillaume van den Bergh, gendre du
Taciturne, gouverneur de la Gueldre pour les États. Par lettre du
25 août, van den Bergh s'était engagé à livrer Zutphen et le reste
de la Gueldre aux armées espagnoles dès que celles-ci se seraient
approchées de cette région. Les entreprises de Farnèse dans le Sud
de la Flandre ne lui avaient pas permis d'exécuter ses desseins. Mais
entretemps, nous l'avons vu, 'I'assis avait réussi à s'emparer de
Zutphen. Le prince de Parme ayant alors repris les négociations
avec van den Bergh, la trahison de celui-ci fut découverte et le
169
15 novembre, le comte fut arrêté. Parmi les papiers de son secré-
taire, on trouva la minute de la lettre du 25 août adressée à
Farnèse (24).
Presque au même moment où se fit l'arrestation de van den
Bergh, la garnison d'Alost livra cette ville au prince de Parme. Ce
qui restait du régiment anglais de Norris avait été placé sous les
ordres du colonel Morgan, On avait d'abord songé à envoyer ces
soldats en garnison à Dixmude" mais cette ville se rendit à Farnèse
avant qu'on eût pu la secourir. Les Étll/ts leur demandèrent alors de
tenir garnison à Alost, où les compagnies flamandes et allemandes
n'étaient pas en nombre suffisant: les Gantois s'étaient engagés à
pourvoir au paiement de la solde des Anglais. Au lieu de tenir cette
promesse, les Gantois semblent avoir essayé d'expulser ces soldats
de la ville d 'Alost, comme s 'ils avaient été des ennemis, et de les
remplacer par des compagnies de calvinistes à la solde dHembyzc.
Toutefois, les Anglais ne se laissèrent pas faire et restèrent à Alost.
Bientôt, ils endurèrent une misère noire, personne ne se préoccupant
de les aider, De Gand, il ne fallait plus rien attendre: à Anvers,
où le colonel Morgan s'était rendu, on se contentait de faire de belles
promesses, Vers le 15 novembre, les Anglais firent savoir au magis-
trat dAnvers que, si on ne leur envoyait de l'argent endêans les
quatre jours, ils sadresseraieut au prince de Parme.
DE rait, lE capitaine italien Orfeo Galiano, quiavait la garde du
château de Liedekerke près d 'Alost, informé du mécontentement des
Anglais, s'était mis en rapport avec le sergent-major et les capi-
taines, qui les commandaient en l'absence de leur chef Roger Wil-
liams, Galiano avait réussi à obtenir la promesse que les Anglais
ouvriraient une des portes d'Alost aux Espagnols et qu'ils laisse-
raient massacrer, sans intervenir, les quelque 300 Flamands et
Allemands qui formaient le reste de la garnison. Le prince de Parme
fit remettre aux capitaines anglais une lettre promettant bon traite-
ment et le versement de 30.000 écus.
Au jour convenu, 1,000 fantassins et 200 cavaliers, qu'on av.ait
fait venir des garnisons de Philippeville, de Courtrai et d'Audenarde,
avec la complicité du capstaine unglais Pigot, surprirent Alost. Ils
se préparaient à attaquer l'autre partie de la garnison qui n'était
point dans le secret, lorsque ces soldats, qui avaient eu vent de ce
{24) P,BOR, O. c., 2" stuk, fO 402; Lettre de Evrard van Reidt au comte Jean de Nassau,
Buck, 19 décembre 1583, dans GROEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t. VIII, pp. 288-296;
MOTTLEY, La révolution des Pays-Bas au XVI' siècle, t. VI, p. 192.
170
qui se préparait, réussirent il, sortir de la ville par une autre porte
et se retirèrent sur Gand ('25).
ICette prise d'Alost couronna les manœuvres d'encerclement de
Gand. Maître du cours de la Dendre, le prince menaçait directement
Termonde et pourrait bientôt couper toute communication entre cette
ville et Gand, tout en l'isolant plus complètement encore du côté
d'Anvers.
•
'.!<
•
Pendant que Farnèse avait regagné Tournai pour y passer le
reste de l'hiver, ses troupes avaient établi leurs quartiers dans le
pays d'Eecloo et dans celui de Waes. A l'arrivée des Espagnols dans
la région d'Eecloo, les populations rurales avaient pris la fuite. Elles
adressèrent bientôt une requête au prince de Parme pour lui exposer
que, dans la région située entre Gand et Bruges, elles avaient été
naguère dépouillées par les soldats français du duc d'Anjou et par
les bandes de mercenaires au service des rebelles, et que, pour éviter
la ruine totale, elles avaient dû se mettre à la disposition des ennemis
du Roi. Elles suppliaient le prince de Parme de leur pardonner, les
autoriser à réintégrer leurs demeures, sans devoir payer de rançon,
et de leur faire délivrer des sauf-conduits pour faciliter leur retour.
Farnèse apostilla cette requête dans le sens désiré par ces mal-
heureux. Tout en leur faisant remarquer qu'ils avaient eu tort de
s'enfuir à l 'approche de l'armée royale, il leur fit comprendre qu'il
n'entendait user à leur endroit que de « douceur et bon traictement »
et les invita à rentrer chez eux, leur promettant de ne leur imposer
aucune taille ni rançon. (26)
Le prince s'était d'ailleurs transporté en personne à Eecloo pour
éviter que ses troupes ne transformassent cette région riche en bétail
et en fourrage en un véritable désert. Il donna des ordres sévères
pour la distribution des vivres et pour le maintien de la discipline
et organisa un système bien ordonné de contributions, qui devait lui
permettre de ménager quelque peu ses finances. (27) Quant au pays
(25) Foreign Ctüendar, 1583-1584, pp. XIX-XXI; Lettre de Norris à Walslngharn. Anvers,
26 novembce.sazo Angliae (Foreign coienâo« cité, n°
271); Libro de las cosas de Flandes,
fo 250.0; P. BOR, O. C., 2" stuk, t» ([03; STRADA, o. C., t. III, pp, 386-387,
'(26) Requête avec apostüle du prince de Parme, datée d'Eecloo, ([ novembre 1583, dans
KERVYN DE VOr..KAERSBEKE et DIEGERlQK, Documents historiques inl?dits concernant les
troubles des Pays-Bas, t, II, p. H7, n° CCCCXCIII.
(27) P. FEA, O. c., p. 161.
171
de Waes, Farnèse devait en apprécier toute la richesse et la fécondité
et prendre là aussi des mesures pour ne pas tarir trop vite les res-
sources qu'il pouvait en tirer. Fremyn navaid-i! pas écrit à Walsin-
gham: « En somme, le pays de Waes servira à l'ennemi de magasin
de victuailles pour cet hiver » (28). Aussi, Farnèse résolut de ne
pas charger ce pays par la présence d'un grand nombre de soldats:
moyennant une contribution de 100.000 écus par mois, il s'engagea
à laisser les populations vaquer tranquillement à leur besogne. Il
y suivit le même système qu'il avait déjà employé à EecJoo où, après
avoir relâché 600 riches fermiers que ses soldats avaient enfermés
dans l'église, il leur ordonna de procéder aux semailles et de labourer
leurs champs, avec promesse de ne point les laisser molester par
ses troupes. Cette attitude bienveillante lui valut, au dire de ses
ennemis eux-mêmes, l'affection de toute la population pauvre de la
contrée {29).
Cependant, les ehefs des troupes des Etats avaient compris
quelle aubaine la possession du pays de WaeB constituait pour les
Espagnols. Ils ne manquèrent point de mettre en œuvre tous les
moyens pour essayer de les en expulser. Une flotte de 30 navires de
petit tonnage quitta la Hollande sous les ordres du comte de Hohen-
lohe et apparut devant Terneuzen, où des soldats furent débarqués.
Ceux-ci percèrent des digues; inondant ainsi une partie du pays de
\\"aes et provoquant l'extension de la nappe d'eau jusque près de
Gand. A la nom-elle de cette expédition ennemie, Farnèse retourna
à Eecloo et ordonna de transférer le bailli van Steelant dans les
prisons de Tournai, en le menaçant de le faire pendre. Le prince
avait probablement soupçonné le bailli de l'avoir trahi (30).
De leur côté, les Anversois avaient percé des digues sur la rive
gauche de l'Escaut, près d 'Anvers, pour mettre de ce côté le pays
de Waes sous eau (3I). Ils s'efforcèrent aussi de maintenir les com-
munications fluviales avec Termonde et Gand et y réussirent dans
une certaine mesure, malgré la présence des Espagnols au château
de Rupelmonde. L'amiral 'I'reslong avait envoyé sur l'Escaut sept
172
navires de guerre, avec lesquels on se préparait à bombarder ce
château, dont les hautes murailles, n'étant pas protégées par des
flanquements du côté du fleuve, pouvaient être assez facilement
approchées par des vaisseaux ennemis (32).
* *' *
173
~ Le prince ne pouvait pas non plus avoir confiance en son
conseil, parce qu'il était composé de ces seigneurs flamands qu'on
nomme les Malcontents, et ce nom seul suffit pour expliquer la
méfiance qu'ils devaient inspirer. Cependant, le Roi voulait qu'on
leur confiât les charges principales.
» Le prince ne pouvait pas non plus avoir confiance dans le pays,
car, de lui-même, il était porté à la désaffection, et il était de plus
accablé par la guerre qui se faisait chez lui et qu'on lui faisait de
l'extérieur, avec, comme résultat, des dommages infinis de toutes
parts. il y avait, enfin, la conduite du prince d'Orange, dont, sans
aucun doute, la mort aurait détaché la plupart des gens du parti des
rebelles.
» Pour vaincre tant de difficultés, il aurait été nécessaire qu'aux
forces de terre se fût jointe une puissante flotte. Mais: le Roi ne s'y
est jamais résolu, parce qu'il ne possédait que le port de Gravelines,
qui est un port si peu favorable, que les bancs de sable et la marée
rendent si peu apte à la navigation, si Icelle-ci n'est faite par les
naturels du pays) et ceux-ci ne voulaient pas s'y prêter.
» Aussi, les ministres du Roi, depuis longtemps fatigués de cette
guerre et considérant comme définitivement perdu l'argent qu'on y
consacrait, avaient exprimé depuis bien des années déjà l'espoir
que Sa Majesté abandonnerait cette entreprise, en en démontrant
l'impossibilité, et affirmant qu 'il n'est pas juste, pour défendre un
membre, d'exposer la perte de tout le corps. ils représentaient au
Roi comment, depuis des années, on avait extrait d'Espagne deux
millions et demi par an ...
» Mais Sa Majesté n'a jamais voulu abandonner l'entreprise, Elle
sait que les Pays-Bas, situés au centre de l'Europe, sont très impor-
tants, non seulement pour la conservation, mais pour la sécurité des
affaires: on peut facilement, en ce pays, rassembler une armée
d'Allemands, de Wallons et d'autres habitants du pays, avec laquelle
on peut pénétrer jusqu'au cœur de la France. De plus, ce pays, à
cause de son commerce, est plus riche que n'importe quel autre ...
» Le Roi résolut finalement de s'en tenir à la guerre défensive
et de mettre tout en œuvre pour conserver les deux provinces d'Artois
et de Hainaut, qui se trouvaient en son pouvoir, lorsque, par une
disposition spéciale de Dieu, arriva, au mois de février 1583, cet
événement notable d'Anvers (la Furie fra;nçaise). Alors, Sa Majesté
conçut de nouveau l"espoir de pouvoir s'arranger avec les États" et
174
Elle autorisa le prince de Parme à leur faire quelques concessions
concernant l'exercice de la religion, en se réservant d'y remédier
plus tard. Mais comme on ne parvint pas à se mettre d'accord et que
bientôt après eurent lieu la défaite du maréchal de Biron, la prise
de Dunkerque et d'autres places maritimes, ce qui devait inquiéter
les Français et les empêcher de secourir les rebelles, le Roi s'est
résolu à la guerre... Il est décidé à Y employer toutes ses forces,
d'autant plus qu'il est maintenant débarrassé de la guerre du Por-
tugal. » (34)
C'est sous l'empire des sentiments révélés par l'ambassadeur
Zane que Philipe II s'était décidé à donner satisfaction au moins
partielle aux demandes qu'Alexandre Farnèse lui avait adressées
par l'intermédiaire du président Richardet. Celui-ci revint d'Espagne
fin décembre 1583, porteur d'une lettre autographe du souverain. Le
Roi y annonçait au prince de Parme que, l'expédition aux lies de
Terçeira étant terminée, il envoyait vers les Pays-Bas toute l'infan-
terie espagnole dont il pouvait disposer, sous le commandement de
Pedro de Tassis, nommé commissaire ~énéral. Ces régiments for-
maient un total de 5.400 hommes, répartis comme suit : 20 compa-
gnies du régiment de Lopez, 13 du régiment de Bobadilla et 18 du
régiments d'Inigues. C'était du moins le chiffre officiel de ces forces,
car lorsqu'on procéda à leur revue, à Cadix, avant leur embarque-
ment pour la Flandre, on constata, comme toujours, que l'effectif réel
ne correspondait pas aux listes de compagnie (35).
Richardet, on se le rappellera, n'avait pas été chargé uniquement
de solliciter des renforts de troupes: il avait aussi demandé l'aug-
mentation et l'envoi régulier des subsides militaires. Sur ce point
également, Philippe II avait essayé de satisfaire Alexandre Farnèse.
TI avait donné l'ordre de prendre, sur le dernier arrivage d'or de la
flotte des Indes, un million et de le déposer dans la forteresse de
Milan. De cette somme, 300.000 ducats seraient envoyés tout de suit«
au prince de Parme pour qu'il en disposât à son gré. Les 700.000
ducats restants serviraient à pourvoir, par un subside mensuel de
130.000 ducats, aux besoins de l'armée (36).
175
En faisant connaître ces décisions à Farnèse, Philippe II lui
notifiait que les habitants de Cologne et le prince-évêque Ernest de
Bavière l'avaient supplié de les aider contre l'archevêque apostat
Truchsess, dont les agissements avaient provoqué la guerre dans
l'Élootorat : le prince de Parme devait mettre tout en œuvre pour
soutenir les catholiques dans ce conflit (37).
"
(37) Ibidem.
(38) Sur ces événements, vole J, HANSSEN dans j'introduction des Nuniuiiurberictüe aus
Deutschland, 1572-1585, T, t, Der Kamp{ um Kmn, 1576-1584, Berlin, 1892; MAX LOSSEN,
Der KOlniSche Krieg, t. II. MUinich-Leipzi-g, 1897.
176
nir Truchsess dans le devoir. D'autre part, l'Electeur palatin, le
comte Adolphe de Neuenahr, le duc des Deux-Ponts, Jean-Casimir,
frère de l'Electeur palatin, et tous les seigneurs fidèles à la Confes-
sion d'Augsbourg poussaient l'apostat vers la révolte ouverte.
Les rebelles des Pays-Bas y virent immédiatement une excel-
lente occasion de créer des embarras au roi d'Espagne. On pouvait
espérer, grâce à la présence de nombreux réfugiés calvinistes fla-
mands et wallons à Cologne, que cette ville deviendrait le centre d'une
agitation dangereuse et que les catholiques seraient obligés de céder
devant les efforts combinés de leurs ennemis (39).
Farnèse avait eu immédiatement une vision très nette de ce
danger. On pouvait s'attendre à ce que son attention toujours en
éveil ne négligeât point la question de Cologne. Il lui importait de
ne pas laisser se créer aux frontières orientales des Pays-Bas des
foyers d'agitation et des centres de conspiration calviniste.
Il l'avait bien montré déjà en octobre 1581, lorsque, les protes-
tants ayant provoqué des troubles à Aix-la-Chapelle, il avait donné
l'ordre à quelques-unes de ses troupes d'entrer dans cette région et
de porter éventuellement aide aux catholiques (40).
Il ne put donc pas se désintéresser des affaires de l'Élec.torat.
Mais ces troubles surgissaient malheureusement à un moment qui
n'était pas du tout favorable. Vers la fin de 1582, on se le rappel-
lera, le prince de Parme se savait menacé par l'invasion d'impor-
tantes forces françaises sous les ordres de Biron et il avait son
attention attirée surtout du côté des frontières méridionales de la
Flandre. Il n'hésita cependant point à détacher une petite partie de
ses troupes pour les mettre à la disposition du sénat et du chapitre
de Cologne. Il le fit avant toute intervention du roi d'Espagne et
sans avoir reçu, jusque là, des ordres dans ce sens (41). C'est qu'il
s'était rendu compte.comme il le disait lui-même, que cette affaire de
Cologne « prenait d 'heure à autre une plus grande importance» (42).
177
La difficulté que soulevait le projet de faire intervenir des troupes
espagnoles dans l'Électorat de Cologne était sérieuse et devait être
examinée avec soin. Si, lors de l'intervention à Aixla-Chapelle en
1581, Farnèse avait pu invoquer d'anciens accords conclusentre cette
ville et la maison de Bourgogne (43), il était plus difficile et plus
délicat de justifier l'apparition de troupes de Philippe II dans l'Élec-
torat eolonais. Comment les princes de l'Empire, comment l'empe-
reur Rodolphe accueilleraient-ils cette politique 1
Le prince de Parme montra, dans la solution de ces difficultés, une
habileté et une prudence qui rappellent ses manœuvres à l'époque de
la réconciliation des provinces wallonnes. Il avait à Cologne un obser-
vateur zélé et intelligent, le conseiller de Frise Herman de Moezyem-
broucq, qui l'informait régulièrement de ce qui se passait dans l'Élec-
torat. Ayant appris qu'au début de janvier devait se tenir à Cologne
une diète de la noblesse pour aviser à la situation, Farnèse s'empressa
d'y envoyer le comte Charles d'Aremberg, qui était prince du Saint-
Empire et qui, en cette qualité, pouvait prendre part aux délibérations
sans exciter la susceptibilité des nobles, du sénat et du chapitre
colonais. Il avait chargé Aremberg, à la fin de novembre 1582, de se
rendre à Cologne et d'offrir au chapitre et au sénat de Cologne ses
conseils et son appui (44). Cette première démarche avait excité la
colère du comte Herman Adolphe de Solms et d'autres partisans de
'I'ruchsess qui, dans la réunion capitulaire du 16 décembre, avaient
demandé les raisons de cette intervention étrangère (45). Le chapitre
et le sénat de Cologne remercièrent cependant Penvoyê du prince de
Parme pour ses offres, sans s'engager plus avant (46). Entretemps,
la situation devint plus facile pour Farnèse, du fait que le 15 janvier,
l'Empereur lui-même, probablement sous l'influence du pape Gré-
goire XIII, avait fait savoir au gouverneur général des Pays-Bas
qu'il comptait sur son aide pour le cas où Truchsesset ses partisans
entreprendraient quelque chose contre la religion catholique et l'état
de l'Empire (47).
178
Aussi, le 21 janvier 1583, le prince de Parme remit au comte
d'Aremberg des instructions détaillées en vue de sa participation à la
diète qui allait se tenir à Cologne, le 27 du même mois. Le comte ne
devait pas y paraître comme représentant de Farnèse, mais comme
prince du Saint-Empire. TI devait justifier, si besoin était, l'interven-
tion de Philippe II, que le nonce à Madrid, Taberna, avait sollicitée
avec la plus grande instance (48). Le roi d'Espagne n'était-il pas
« uni et confédéré » avec le Saint-Empire, comme 'chef du cercle de
Bourgogne t L'Empereur et le Roi n'avaient-ils pas les mêmes enne-
mis 7 Aremberg devait expliquer que le seul but de l'offre de secours
de Farnèse était de maintenir la religion catholique et déclarer que,
sitôt le danger passé, les troupes espagnoles se retireraient, lais-
sant à l'Electorat de Cologne ses anciennes franchises et toutes ses
libertés. Pour les besoins de la cause, Aremberg pouvait invoquer les
anciens traités d'assistance mutuelle que, dam les siècles passés,
Cologne avait conclus avec les ducs de Brabant.
Passant ensuite aux points d'ordre pratique, Farnèse engageait
Aremberg à communiquer avec le duc de Clèves, dont les bonnes dis-
positions étaient connues ; il lui prescrivait de rechercher quels étaient
à Cologne les principaux agents du duc d'Anjou, du Taciturne et
des autres rebelles et d '0 btenir leur expulsion; de cultiver l'amitié
des bons catholiques, pour en recevoir de l'aide.
Reprenant les directives qui avaient abouti à de si hons résultats
au moment de la réconciliation des Wallons, Farnèse chargeait Arem-
berg de remettre des lettres à certains particuliers influents, pour la
collaboration desquels il s'engageait à obtenir de Philippe II des
récompenses éclatantes. Enfin, pour ne pas éveiller les craintes du
chapitre de Cologne, Aremberg devait donner au chorévêque, Fré-
déric de Saxe-Lauenbourg, qui espérait succéder lui-même à
'I'ruchsess, l'assurance que le roi d'Espagne n'enlèverait pas à
l'assemblée capitulaire son droit de libre élection (49).
Tandis qu'allait s'ouvrir la diète de Cologne, le prince de Parme
se sentit les mains plus libres. Au moment où, à Madrid, If> cardinal
de Granvelle avait encore laissé entendre au nonce 'I'aberna qu'il ne
fallait pas trop compter sur l'effort de Farnèse, qui ne disposait que
de peu de soldats et de peu d'argent et qui était menacé d'une inter-
(48) Le cardinal de Côme au nonce Taberna, Borrre, 3 janvier 1583 (Nuntiaturberichte ...,
t. 1. p. 342).
(49) Instruction de Farnèse pour le comte d'Aremberg, 21 [anvler 1583 (Correspon-
dance de Granvelle, t. XI, p. 428).
179
ventiou française (50), la situation venait de prendre aux Pays-Bas
une tournure nouvelle. La Furie [ramçoise et ses conséquences funestes
pour Alençon avaient débarrassé le prince de Parme des soucis que
lui causait 'cet adversaire: il pouvait maintenant envisager avec plus
de tranquillité la participation de ses troupes là la lutte contre
'I'ruchsess.
En prévision d'une demande de secours) il donna l'ordre aux
régiments d'Aremberg, de Charles de Mansfelt, de Manderscheidt et
de Licques de se loger dans la région d'Aix et de Oornelimunster (51),
d'où, en quelques heures, ils pouvaient atteindre le territoire de
l'Électorat.
Le 3 février, Aremberg se présenta devant la diète, en qualité
de prince de l'Empire, se réservant de ne découvrir sa qualité d'émis-
saire du gouverneur général des Pays-Bas qu'au moment opportun
et décisif (5'2). Le chapitre de Cologne était encore irrésolu. Il avait
peur de s'engager dans des dépenses trop considérables s'il mettait
sur pied des forces pour résister à 'I'ruchsess, D'autre part, il ne
fallait guère songer à faire appel en ce moment aux troupes du duc
de Clèves; elles n'étaient pas prêtes. Les chanoines craignaient surtout
de laisser entrer les forces espagnoles : consentiraient-elles à s'en
aller, une fois la situation rétablie 1 (53)
Pour sonder les intentions du prince de Parme, ils lui envoyèrent
Werner de Salm, cornte de Reifferscheidt : celui-ci devait demander
si le gouverneur général était prêt à donner son assistance, et à
quelles conditions, au cas où le chapitre la réclamerait (54). De plus,
Aremberg fut interrogé à son tour; il s'empressa de promettre que,
lorsque tout serait rentré dans I'ordre, les forces espagnoles quitte-
raient immédiatement l'Électorat (55).
Devant ces assurances, le sénat et le chapitre n 'hésitèrent plus :
ils demandèrent formellement le secours armé du prince de Parme (56).
Aussitôt, le comte d'Aremberg reçut l'ordre de faire avancer ses
troupes jusqu 'à trois lieues de Cologne et de Bonn. A la fin de février,
(50) Le nonce Taberna au cardlnaû de Côme, Madrid, 27 janvier 1583 tNuntuitur-
berictüe ..., t. I, p. 376).
(51) Correspondance de Granoeüe, t. X, p. 437. Cfr LaSSEN, o. c., t. II, pp.132-133.
(52) Correspondance de üronoeue, t. X, p. 437; Minutlo Minucci au cardlnai de Côme,
Cologne, 8 février 1583 (Nuntïatw'berichte"" t. I, p. 003).
(53) Minutio Minucci au cardinal de Oônre, Cologne, 3 Iévrler 1583 (Nuntïaturberichte ...,
t. I, p. 390); Aremberg à Farnèse,8 février 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 443).
{54.) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 445.
(55) Ibidem, p. 417,
(56) Ibtdem, P. 445,
180
la participation des soldats de Farnèse à la guerre qui allait dévaster
l'Électorat êtait ainsi effective (57).
Nous n'avons pas à retracer ici les péripéties de cette guerre.
Nous devons nous borner à examiner jusqu'à quel point ces événements
influencèrent la politique générale du prince de Parme aux Pays-Bas.
Il était à prévoir que les princes de l'Empire ne toléreraient
pas sans protester la participation des troupes de Philippe II.
L'Empereur fut bientôt saisi de la question par l'Electeur palatin et
par l'Electeur de Mayence, et des ambassadeurs de ces deux princes
s'en vinrent trouver le comte d'Aremberg. Celui-ci s'entendit
reprocher d'avoir, en tant que prince du Saint-Empire, introduit
en territoire allemand des troupes étrangères. Il fut porté à sa con-
naissance que l'Electeur palatin, en sa qualité de général du cercle
du Rhin, le sommait de se retirer immédiatement (58).
Aremberg répondit qu'il était venu dans l'Électorat de Cologne
à la suite d'ordres formels et qu'il n'en partirait point sans d'autres
ordres formels de la part de son chef, le prince de Parme. De son
côté, le chapitre de Cologne fit valoir, pour justifier sa conduite, que,
puisque 'I'ruchsess était assisté par le prince d'Orange et les rebelles
des Pays-Bas, les catholiques colonais pouvaient bien s'appuyer sur
les troupes d'un prince catholique (59),
Peu de temps après, Bucho Aytta, prévôt de Saint-Bavon de
Gand, que Farnèse avait envoyé à Cologne pour être son agent auprès
du chapitre, fut entrepris à son tour par les ambassadeurs des deux
Electeurs. Il justifia la présence des troupes de Farnèse en faisant
observer qu'elles n'avaient pas été appelées par le chapitre en tant
que troupes étrangères, mais en tant que forces d'un prince de
l'Empire. Farnèse était, sans doute, prêt à les rappeler dès que le
chapitre n'en aurait plus besoin, mais ce point intéressait uniquement
les gens de Cologne et Bucho estimait qu'on n'avait de comptes à
rendre à personne à ce sujet (60).
Le prince de Parme, qui savait qu'à Madrid le nonce 'I'aberna
ne cessait d'insister auprès de Philippe II pour que les forces espa-
gnoles des Pays-Bas soutinssent aussi énergiquement que possible les
181
catholiques de Cologne, et qui recevait dans ce sens des ordres répétés
du Roi, ne s'émut point des représentations des deux Electeurs de
de l'Empire. Il leur adressa cependant, ainsi qu'aux ducs de Wur-
temberg et de Juliers, une lettre pour justifier la pré-sence de ses
soldats (61).
Mais bientôt l'Empereur Rodolphe II lui-même, poussé par les
Electeurs déjà cités et par les princes protestants, fit faire des repré-
sentations à Alexandre Farnèse (62). Celui-ci attribua à cette
démarche le même sens que le nonce Malaspina, qui estimait qu'elle
n'avait été faite que pour ne pas indisposer les princes protes-
tants (63). Aussi, le prince de Parme se contenta de répondre évasi-
vement (64).
Jusque-là, les troupes d'Aremberg avaient participé à la lutte en
entreprenant le siège de quelques localités et en culbutant les soldats
à la solde de Truchsess : elles opéraient en liaison avec les troupes
du chapitre de Cologne, 200 reîtres et 500 cavaliers allemands sous
les ordres du duc Frédéric de Saxe-Lauenbourg, et 600 arquebusiers
liégeois commandés par le comte de Reifferscheidt (65).
Mais voici que, au mois d'avril, Farnèse décida, comme nous
l'avons vu, de se rendre maître d'Eindhoven et rappela de Cologne
les troupes de Charles de Mansfelt, ainsi que le comte d'Arem-
berg (66). Le motif de ce rappel ne fut pas porté à la connaissance du
chapitre de Cologne, qui s'imagina que ces soldats avaient été retirés
pour obtempérer aux désirs de l'Empereur. Les émissaires pontifi-
caux dans l'Électorat versèrent dans la même erreur: ils insistèrent
vivement auprès de Farnèse pour qu'il fît revenir ses troupes (67).
En ce moment,en effet; on constatait la présence dans l'Électorat de
soldats français et il n'était question que des préparatifs militaires
faits par le palatin Casimir. Aussi, le chapitre réclamait-il à cor et à
cri le retour d'Aremberg avec ses hommes et il snppliait Farnèse de
donner des ordres à Verdugo pour que celui-ci prêtât au moment
voulu le concours d'une partie de son armée (68).
(61) Correspondance de Granvelle, t. X, p. 459.
(62) Lettre datée de Vienne, 8 mars 1583 (Correspondance de Granvelle, t. X, p. 460),
(<63) Le nonce Malaspina au caedlnal légat André d'Autriche, 12 avril 1583 (Nuntia-
turbenctue ..., t. I, p. 492).
(64) Lettre du 2q; mars 1583 (Correspondance de Granvelle, 1. X, p. 470).
{65) Aremberg à Farnèse, 3 juin 1583 (Correspondance de Granvelle, t, X, p. 522).
(66) Aremberg à Farnèse, 21 avril 1583 (Correspondance de Gmnvelle, t. X, p. 485).
(67) Le nonce Malaspina au cardinal de Côme, 21 avril 1583 (Nuntiaturberichte ....
t, I, p. 514).
(68) Nuntiaturberichte ..., t. I, p. 486 et p. 488,
182
Le moment était bien mal choisi. Le prince de Parme projetait
précisément le siège de Dunkerque et l'attaque des forces de Biron
dans le Brabant septentrional. Il se contenta de promettre de l'aide
dès qu'il serait sûr que ses soldats pourraient rendre « quelque
service notable» (6'9). De fait) au début de mai, on constate qu'Arem-
berg se trouve de nouveau dans l'Électorat, avec le régiment de Don
Juan Manrique et deux compagnies de cavalerie (70).
La présence de ces troupes allait d'ailleurs causer au prince de
Parme des ennuis considérables. Nous savons qu'à cette époque, le
défaut d'argent se faisait durement sentir aux Pays-Bas et que des
mutineries étaient prêtes à éclater. La même situation existait dans
l'Éle<ltorat. Déjà au début de juin, la cavalerie légère que Farnèse y
avait envoyée et qui se composait dAlbanais et d'Italiens, était en
proie à des disputes journalières (71).
Peu de temps auparavant, le lieutenant d'Aremberg avait laissé
ses soldats piller plusieurs villages et avait ainsi excité la colère des
habitants contre les troupes royales (72). Aremberg lui-même signa-
lait au prince de Parme que sa petite armée était fort « mal en
point » par suite du manque de solde. Les cavaliers ne pouvaient
même pas faire ferrer leurs chevaux, acheter des munitions, se pro-
curer les uniformes nécessaires. Un grand nombre 'se trouvaient
« tout nus» (73).
En ce moment, la situation politique semblait s'être considéra-
blement améliorée dans l'Électorat par suite de l'élévation à l'épis-
copat et à la dignité électorale d'Ernest de Bavière, évêque de Liége,
candidat très recommandable que le chapitre avait choisi à la place
de 'I'ruchsess, excommunié et déposé par Grégoire XIU.
Mais la situation militaire n'avait subi de ce fait aucun change-
ment. Ernest de Bavière avait autant besoin d'être secouru que
jadis le sénat et le chapitre. Le nouvel élu fut d'ailleurs vite irrité
de voir que les soldats espagnols, loin de l'aider, continuaient
à refuser tout service jusqu'au moment où on les payerait, et
à piller et saccager son territoire (74). A quoi lui servait
183
un tel secours? Il se voyait forcé davancer lui même l'argent néces-
saire pour payer ces troupes étrangères, au risque d'encourir la
disgrâce de l 'Empereur. Celui-ci avait fait notifier par un de ses
commissaires à Colo.gne que tous les chefs de guerre devaient se
retirer du territoire impérial, sous peine d'encourir son indigna-
tion (75).
A Rome, on avait ,été averti de l'indiscipline des soldats d'Arem-
berg et le nonce 'I'aberna s'en était plaint à Madrid, auprès de Phi-
lippe II. Des échos du mécontentement royal parvinrent au prince
de Parme, qui, à son tour, fit de durs reproches au comte d'Aremberg.
Mais que pouvait faire ce dernier Il avait manifestement perdu
î
184
C'est vers ce temps-là que le président Richardot, à son retour
d'Espagne, vint, une fois de plus, rappeler au prince de Parme. com-
bien Philippe II désirait que l'on portât secours à Ernest de Bavière.
Cette reeommandation était superflue. Le siège de Bonn avait déjà,
commencé et les troupes de Farnèse, sous Aremberg et Don Juan
Manrique, y prenaient une part' importante.
Le 28 janvier, la ville capitula et se rendit à Ernest de Bavière.
Ainsi se termina une phase importante de cette lutte dans l'Électorat
de Cologne (81).
A propos de l'intervention de Farnèse dans ceconfiit, il importe
de raconter ici un incident, dont Paolo Rinaldi, dans son Liber rela-
tionum, nous a conservé le souvenir.
A la demande de la Diète impériale, l'empereur Rodolphe. II
envoya au prince de Parme le comte de Schwarzemberg, pour lui
faire connaître les plaintes de divers princes allemands au sujet des
ravages commis par ses troupes en Allemagne. Les dommages étaient
évalués pa:r les intéressés à deux millions d'Dr. Le prince de Parme
dut s'entendre fixer un terme de deux mois pour se défendre et se
disculper devant la Chambre impériale, faute de quoi il serait con-
damné à payer les déprédations de son armée. Sans se laisser entraî-
ner à un mouvement de colère, Farnèse reçut I'ambassadeur Schwar-
zemberg avec beaucoup d'affabilité. Il le chargea d'un message pour
la Diète, qui consistait en l'affirmation suivante: si lui, prince de
Parme, était entré en territoire impérial avec les soldats de Sa
Majesté catholique, il l'avait fait parce que des seigneurs allemands,
ennemis jurés du Roi, son martre, et de l'Empire, avaient prêté leur
aide à des rebelles. Il avait dû passer outre à tous scrupules, et cela
pour obéir au Pape, à l'Empereur et à Philippe II, et pour aider
Ernest de Bavière. Farnèse ajouta que si les seigneurs allemands
ne s'amendaient pas, il les traiterait à l'avenir encore plus mal que
par le passé.
De plus, il adressa à Rodolphe II une lettre personnelle, le priant
d'accepter ses excuses pour ce qui s'était passé. Ce qu'il avait
fait,disait-il, il l'avait fait dans l'intérêt et par ordre du Roi
d'Espagne, et non pas dans son intérêt propre. Il se déclarait con-
vaincu que, en plaçant la question sur ce terrain, I'Empereur et lui
devaient s'entendre tout de suite. Pour le surplus, il mettait au ser-
vice de Rodolphe sa personne, ses enfants et toutes ses ressources.
(81) Cfr LOSSEN, o. C., t. II, PP. 462-473.
180
L'Empereur accepta la leçon et l'ambassadeur Schwarzemberg,
qui avait passé à la cour de Farnèse des moments très agréables,
s'en retourna chez son maître en exaltant les qualités du prince de
Parme (82).
186
PL. XI
----
187
reddition furent d'abord très dures. Les Yprois les discutèrent âpre-
ment avec le sire de Werp et, plus d'une fois, il semblait qu'on fut
sur le point de rompre les pourparlers (93). Finalement, Iesassiégée,
après avoir obtenu des adoucissements au projet de capitulation, cédèrent.
Les habitants d'Ypres s'engageaient à rendre la ville au prince
de Parme, et à la remettre au eire de Werp, qui avait eu la direction
du siège, pour y faire entrer telles troupes qu 'il plairait au Roi et à
y établir un magistrat catholique. Ils devaient payer six mois de
solde il, la garnison du fort qui les avait bloqués et un mois de solde
aux .soldats dés autres places qu'on avait dû appeler au secours pour
réduire la ville. Une somme de 100.000 florins était exigée pour se
racheter du sac..De plus, les Yprois étaient obligés de livrer au prince
de Parme M. de Marquette, gouverneur de la place, - naguère un
des plus intrépides compagnons de Louis de Nassau - le chef du
consistoire calviniste et quatre d'es principaux séditieux, dont la vie
serait à la merci du vainqueur. Les églises et les couvents ruinés
devaient être restaurés. A ces conditions, Farnèse accordait aux
habitants un pardon général. Qua.nt à la garnison, qui comptait
encore plus de 700 soldats, elle put sortir de la ville, sans drapeaux
et sans armes, exception faite pour l 'épée, et tous deva.ient jurer de
ne plus jamais se battre contre le Roi d'Espagne (94).
Cet accord se :fità la date du 7 avril 1584 (95).
Le gouverneur de la ville put se racheter moyennant une somme
considérable. Quant au chef du consistoire et aux quatre séditieux
livrés au prince de Parme, les membres du Conseil de guerre espa-
gnol auraient voulu les envoyer au supplice, pour les punir des per-
sécutions qu'ils avaient naguère organisées contre les catholiques
d'Ypres. Mais le prince de Parme leur sauva la vie, en les autorisant
à obtenir leur liberté moyennant le rachat de quatre prisonniers
espagnols (96).
Ypres et dans les environs de 1578 à.1584, dans les Asuüectes pour servir à l'histoire ecclé-
siastique âe la Belgique, 3" sér., t. IX, pp, 5'5-88.
1(93) Antoine de Grenet à Farnèse, Ypres, 28 mars 1584 ,(Correspondance dé Granvelle,
t, XI, pp, 52fr526); Edw, Burnham à Walsingham, Bruges, 23 mars, style d'Angleterre,
1584 (Foreign Calendar, ELiSabeth, 1583-1584, U 499).
O
188
PL. XII
189
elles n'étaient pas encore coupées de toutes communications avec le
1\ord et avec Anvers, et leur ravitail:lement n'était pas encore devenu
impossible.
En décembre 1583, la garnison du château de Rupelmonde avait
surpris un convoi de victuailles, escorté de deux compagnies de cava-
l-erie, qui avait quitté Termonde pour Gand. Une galiote espagnole,
stationnant sur l'Escaut,avait capturé un vaisseau de 'I'ermonde qui
revenait d'Anvers, chargé de vivres (100). Un peu plus tard, un
convoi de trente vaisseaux réussit à se rendre d'Anvers à Termonde
et à Gand, malgré la surveillance étroite que les Espagnols exerçaient
sur le fleuve près de Rupelmonde (lOI). En janvier 1584, dix-huit
barques parvinrent de nouveau à amener à Gand une notable pro-
vision de vivres (102).
C'est ce qui détermina Farnèse à établir un poste à Wetteren,
comprenant une garnison de 1.000 fantassins et de 500 cavaliers,
sous le commandement d'Antonio de Olivera (103).
Les conséquences de cette mesure se firent bientôt sentir à Gand,
d'autant plus que J'ingénieur militaire Piattiavait construit à Wet-
teren un pont qui barrait l'Escaut et fait établir sur la rive du fleuve
un fort, qui tenait sous le feu de ses canons taus les vaisseaux
passant par cet endroit (104).
Entretemps, de graves événements s'étaient passés à Gand
même.
190
États Généraux et instauré un régime à tendances républicaines. Les
deux dictateurs avaient déclenché une violente persécution contre les
catholiques, organisé en ville un nouveau mouvement Iconoclaste et
installé le calvinisme comme religion officielle. Ces excès avaient hau-
tement vexé le prince d'Orange, qui y voyait un grave danger pour
le maintien de « la généralité» (105). Pendant le séjour à Gand du
palatin Casimir, sous la protection de Ryhoveet dHembyze les
prédicants calvinistes Moded et Dathenus avaient entrepris une
campagne d'agitation contre les catholiques. Le 13 novembre 1578,
Hembyze appuyé sur la fraction ultra-radicale des métiers, avait fait
rejeter la proposition de Religionsfried du prince d'Orange.
A ce moment, Ryhove semble avoir été effrayé des conséquences
de cette politique. Un revirement subit s'opéra chez lui et il commença
à se faire le champion des modérés. TI essaya même, mais en vain, de
s'emparer de la personne d 'Hembyze. TI engagea alors le prince
d'Orange à se rendre à Gand pour mettre un terme aux folies déma-
gogiques. Le 2 décembre 1578, Guillaume de Nassau arriva. Aussitôt
les prédicants Moded et Dathenuss 'enfuirent. La Religions.fried
fut acceptée et un modus vivendi entre calvinistes et catholiques fut
conclu. Mais à peine le prince d 'Orange eut-il quitté la ville que
Hembyze reprit le dessus et essaya d'instaurer une véritable dicta-
ture. Le Taciturne revint le 2 août 1579 et provoqua la chute du
tribun gantois. Celui-ci fut accablé d 'humiliations et s'enfuit en
Allemagne, où il se réfugia auprès du palatin Casimir (106).
La disparition d 'Hembyze avait fait de Ryhove le premier per-
sonnage de Gand. TI se montra un partisan décidé de la politique du
prince d'Orange et défendit chaleureusement la proposition d'alliance
avec le duc d'Alençon. TI en fut récompensé par sa nomination de
grand -bailli de Gand.
Bientôt, les conquêtes d'Alexandre Farnèse, c'est-à-dire la prise
de Tournai et d'Audenarde et ses 'coups de main sur Gand ren-
dirent courage aux catholiques de la ville. Toute la bourgeoisie riche,
les principaux marchands, les grands propriétaires, la noblesse
patricienne étaient restés fidèles à l'ancienne religion et formaient
une partie très considérable de la population. Celle-ci était en réalité,
191
dominée par une minorité calviniste, recrutée en grande partie parmi
le peuple et tous les déshérités de la fortune.
Sous l'influence du sire de Ohampagney, frère de Granvelle, que
les Gantois tenaient captif, mais qui jouissait cependant d'assez de
liberté pour fomenter des complots, la bourgeoisie catholique com-
mençaà relever la tête. D'autre part, des dissensions sérieuses
divisèrent les calvinistes eux-mêmes, iL l'occasion de l'intervention
du duc d'Anjou, dont beaucoup se montrèrent de.sadversaires irré-
conciliables. On comprend que la lamentable aventure de la Furie
française vint considérablement augmenter la force €t l'influence
de ce parti. Ryhove, qui s'était fait l'avocat enthousiaste du prince
français, et Guillaume d'Orange, qui avait appelé ce dernier aux
Pays-Bas, perdirent bientôt toute leur popularité.
Le 18 juin 1583, il y eut iL Gand, dans la demeure de Ryhove, une
réunion des États de F'landre, où se manifesta violemment le mécon-
tentement.
Devant la persistance du Taciturne à soutenir le duc d'Anjou et
la fidélité de Ryhove à cette même politique, les délégués de Gand, le
bourgmestre Jacques van der Haghen et le pensionnaire dé Somere
excitèrent la commune contre le prince d''Ürange et les Français. Le
pasteur calviniste Jean Spiegel'e fut envoyé chez -le palatin Oasimir
pour inviter Hembyze à revenir et à reprendre en main la direction
de Gand. Ryhove essaya d'introduire dans la ville uue partie de la
garnison de Termonde afin de pouvoir résister' à ses adversaires. Ge
fut en vain. Le 24 octobre 1583, Jean de Hembyze rentra en triom-
phateur! (107) Son ennemi Ryhove, surpris par ce retour et.craignant
pour sa vie, réussit, dans des circonstances extrêmement difficiles, à
s'enfuir à cheval de Gand et à gagner Termonde, où il se mit à. la
tête de la garnison de cette ville (108).
, L"e retour d 'Hembyze s'était fait au moment où la .situation
devenait particulièrement grave. Oomme nous 1'avons exposé plus
haut, lé bai'llide Waes avait livré cette région au prince de Parme.
le Sas de Gand fut pris par les Espagnols, l'occupation d'Eooloo
perIes-troupes de Farnèse coupa toute communication avec la mer,
(107) V, FRIS, o. ~., P'P. 233-235. Sur la personnaüttéüe Ryhoveet de Hembyze et leur
politique voir CH. RAHLENBll:Œ{, Hembyze, dans Biographie nationale, t. IX. 1886-1887, 001.
14.-15 et P. FRFlDERICQet H. VAN DER -LINDEN, Kethuüe (Fr.ançois de la), s'de Ryhove,
ibidem, t. X, 1888-1889, coi. 707-734.
{108) Ces événements sont racontés de façon pittoresque par R)'frN)Velui-même dans
son Apologie, publiée par KERVYNDE LETTENHOVE,Documents iné.àits relatifs à l'histoire du
XVIe siècle, PP. 350-352.
Alost se rendit bientôt à son tour. Mais Hembyze ne semble pas
s'être 'soucié beaucoup de ces événements extérieurs. Il était rentré
à Gand brûlant du désir de se venger de ses ennemis, parmi lesquels
il comptait le prince d'Orange et tous ses partisans. Nommé premier
échevin de la Keure et appuyé par ses fidèles, qui étaient entrés
dans l'échevinage, il fit arrêter et mettre en accusation tous ceux
qu'il considérait comme ses adversaires. Parmi ceux-ci se trouvait
un patricien influent, Josse Borluut, seigneur de Boucle, et plusieurs
autres bourgeois de qualité (109).
Fou d'orgueil, Hembyze se croit désormais tout permis. Il fait
frapper monnaie à ses armes. Déjà septuagénaire: il épouse la jeune
et jolie Anne van Heurne. Il règne à Gand comme un véritable sou-
verain. Il reprend ses violences contre les catholiques, il ordonne
d'aller de maison en maison pour s'enquérir des opinions religieuses
des habitants, il fait arrêter et chasser de la ville les prêtres, il
autorise Dathenus, qui était revenu avec lui du Palatinat, à recom-
mencer ses prêches calvinistes dans l'église de Saint-Bavon (110).
'S'il a conservé ses sentiments anti-français, il reste cependant,
semble-t-il, tout aussi farouchement opposé aux Espagnols. Dans
l'acte daccusation que, par son ordre, on dresse contre Josse BOT-
Iuut n'ordonne-t-il pas d'inscrire le fait que celui-ci a reçu plusieurs
lettres de l' « ennemi » et qu'il a laissé lire en présence des doyens
des missives du prince de Parme et du seigneur de Masnuy, gouver-
neur d'Audenarde, engageant les Gantois àse réconcilier avec le
Roi? (111)
Et cependant! Ce qui possède surtout Hembyze, c'est la haine
du prince d'Orange et des Français, c'est la fureur de voir le Taci-
turne continuer à prôner l'alliance avec le duc d'Anjou. Pour se
venger du prince d'Orange, il est prêt à traiter avec les Espagnols.
Champagney, qui connaissait très bien Hembyze, résolut de le tenter
et de l'amener à se réconcilier avec le Roi. De sa prison, il lui écrivit
plusieurs lettres dans ce sens (112). Hembyze saisit cette occasion
193
de perdre ses ennemis et se prépara à faire des démarches secrètes
auprès du prince de Parme. Mais pour cacher sa trahison, il com-
mença dabord par persécuter les catholiques, comme nous venons de
le montrer (113).
En ce moment parut à Gand un libelle, intitulé: Vertoog gedaen
den ingesetenen van Gent, oerklarende waerom de reconciiuüie, so
wel meiien Spangiaerden ols Francoisen, nietraedsaem en zij (114).
Aussi anti-espagnol qu 'anti-français, cet écrit n'émanait certaine-
ment pas des partisans du prince d'Orange. A la suite de cette publi-
cation, le 30 janvier, le magistrat résolut d'envoyer une délégation
aux princes allemands et aux villes libres d'Allemagne pour essayer
d'obtenir du secours de ce côté. Le palatin Casimir devait être parti-
culièrement sollicité dans ce sens. Mais l'étoile de celui-ci avait beau-
coup pâli et la délégation gantoise revint sans avoir obtenu le moindre
résultat. I.J'historien Bor fait remarquer à ce propos que cette mis-
sion n'avait été qu'une feinte, imaginée par ceux qui voulaient
réduire le peuple au désespoir et l'amener ainsi à entrer en négocia-
tions avec le prince de Parme. Sans les nommer} Bor met ici en cause
Hembyze et ses partisans (115).
Quoi qu'il en soit de ce détail, certes important, mais difficile à
contrôler, c 'est un fait certain qu'en ce moment Hembyze avait déjà
résolu d'entrer en rapports avec Alexandre Farnèse.
><
• •
A la fin de janvier 1583, un an auparavant, le prince de Parme
avait profité de la Furie f'ran:çaise pour adresser aux Gantois une
lettre afin d'appeler leur attention sur lia trahison du duc d'Anjou et
de les engager à se réconcilier avec Philippe II, en s'inspirant de
l'exemple des provinces wallonnes (116). Ryhove, qui était à ce
moment-là encore maître à Gand avait fait brûler la lettre de Far-
nèse en présence du tambour espagnol envoyé comme parlementaire,
et comme celui-ci réclamait une réponse, te dictateur gantois lui avait
dit : « Faut-il une autre réponse 1 Dites au prince de Parme que je
194
saurai brûler autant de lettres en une heure que tous ses secrétaires
pourraient en écrire en toute une année » (117). Les partisans de la
paix, qui commençaient déjà à s'agiter, avaient vivement reproché
à Ryhove cette attitude (118).
Depuis lors, le prince de Parme n'avait plus essayé d'entrer en
contact avec les Gantois. Mais, au début de février 1584, il fut averti
par le marquis de Richebourg, qui se trouvait avecl 'arniêo à Eecloo,
que Hembyze avait essayé de se mettre en rapport avec les Espa-
gnols. Le maître d 'hôtel du marquis, envoyé au château d'Eversteyn,
à une demi-lieue de Gand, pour y traiter de la rançon d'un marchand
fait prisonnier ,avait vu arriver le capitaine anglais York, dont
Hembyze avait fait son lieutenant. York avait communiqué en secret
au maître d 'hôtel que la population de Gand était disposée à faire
la paix et qu'il serait bon que Farnèse envoyât quelque personnage
de qualité pour faire connaître les conditions qu'il avait à offrir (119).
Richebourg en avertit immédiatement le prince de Parme. Celui-ci
autorisa son lieutenant à faire comprendre que l'on était prêt à
entrer en négociations et qu'on attendait l'envoi de députés de Gand,
auxquels les aauf-conduits et les garanties nécessaires seraient
accordés (120).
Le marquis de Richebourg adressa alors une lettre à Hembyze
lui-même, pour le prier d'obtenir des Gantois I'envoi de quelques-uns
de leurs députés à Tournai afin d'y négocier en toute liberté. Si
Hembyze ne pouvait parvenir à persuader ses concitoyens d'3igir de
la sorte, il était prié de faire oonnaître « ce qui se pourrait faire ».
Richebourg laissa entendre aussi au tribun gantois que, si l'on arri-
vait à quelque résultatcFamêse lui accorderait un bon traitement et
lui donnerait des preuves de sa reconnaissance (121).
Avant d'entreprendre cet essai de contact avec les Espagnols,
Hembyze avait pris toutes ses précautions. Le 6 février, il avait fait
démettre de leurs fonctions certains colonels et certains capitaines
trop ultra-calvinistes, de même que des conseillers et le procureur
général, et les avait fait remplacer par des catholiques (122). Sous
195
son inspiration, un écrit fut publié; qui prônait la réconciliation avec
le roi d'Espagne, moyennant c-ertaines clauses de sauvegarde (123).
Sans dissimuler plus longtemps; Hembyze nomma un conseil,
chargé d'aviser aux meilleurs moyens d'arriver à une pacification,
dont firent partie I'échevin Jean Utenhove, ainsi que Pierre Dathenus
et d'autres ministres (124). Champagney, le conspirateur catholique,
fut mis en liberté.
Pour commencer les négociations avec les Gantois, Farnèse avait
envoyé les sauf-conduits nécessaires au seigneur de Masnuy-Saint-
Pierre, gouverneur d'Audenarde, qui était en rapport avec Josse
Borluut. Une lettre très aimable du prince de Parme adressée à Hem-
byze fut remise au capitaine espagnol Hernando de Segura, qui était
réputé très habile et qui parlait plusieurs langues.
Le contact ayant été finalement établi, Masnuy et Segura d'une
part, Hembyze d'arutre part, convinrent de se rencontrer, accom-
pagnés de 100 cavaliers, à Mont-Saint-Amand. Après un court
échange de vues, Hembyze proposa aux représentants de Farnèse
d 'entrer à Gand,sous prétexte qu'autrement on ne pourrait traiter
sérieusement une affaire aussi importante. Masnuy et Segura y con-
sentirent, non sans avoir-exigé que, pour garantir leur sécurité, des
otages gantois fussent envoyés à Audenarde. Ils acceptèrent alors de
se rendre à Gand et furent logés dans la maison d 'Hembyze (125) .•
La collace de Gand décida de nommer des délégués pour traiter
avec le prince de Parme, à Tournai. Le 9 mars, on rédigea les lettres
de créance pour ces négociateurs, qui étaient Antoine Heyman, éche-
vin de la Keure, et Charles Utenhove, seigneur de Hoogewalle (126).
Le 10 mars, Hembyze lui-même écrivit une lettre à Farnèse pour le
remercier et pour proclamer que l'entreprise de pacification que le
prince voulait 'entreprendre était « chose héroïque, digne de la per-
sonne de Son Altesse, de sa maison et du rang que .Ie Dieu tout-
puissant lui avait fait tenir en ce monde » (127). Le prince de Parme
s'empressa de répondre à Hembyze, le louant de ses excellentesinten-
(123) Ce Iibelle étalt intitulé: Ilfiddeten ende conditiën âoor de uietcke de tngesetene
der vereenichde provincien met de ftfajesteyt van den Coninck van Spagnien,haeren
naturlijcken heere, met goeder conscientie, mils behoirlijcke uerseeckerheut, soudé mogen
accorâeren: llest·ana,lyS'é 'en détail parBoa, o. e., 2" stuk, fOI 4{)7-'409.
{124) Correspondance âe ûranoet;«, t. XI, pp. XIII-XIV.
(125) Nous suivons ici le récit du Libro de las casas de Euuuies, dont l'auteur a utilisé
les lettres mêmes dJ'Alexandre Farnèse (Libro, fos 253""-254.rO).
(126) Correspondance de GranveUe, t. XI, p. lt79.
'(127) Correspondance de. Granve~te, t. XI, PI>. lt&1-lt82..
tiens, et de son désir de s'employer en « si sainte négociation s.: Il
termina en faisant très habilement entendre que le tribun gantois
pouvait compter sur sa reconnaissance particulière au point de vue
« de sa personne et de son avancement» (128).
Bientôt, les délégués de Gand arrivèrent à Tournai chez le' prince
de Parme. Ils demandèrent la concession des points suivants : 1° On
leur indiquerait l'endroit où les négociations devraient se poursuivre ;
2° pendant les tractations, il y aurait une trêve 'Consentie de part et
d'autre; 3° on leur accorderait,moyennant des garanties, la libre
communication par le Sas avec la Hollande et la Zélande. Les délê-
gués insistèrent surtout sur ce dernier point, en faisant valoir qu'ils
obligeraient les éléments les plus séditieux et les partisans du prince
d'Orange à s'embarquer sur les premiers bateaux qui partiraient de
Gand vers le Nord. Ainsi, disaient-ils, le peuple accepterait plus faei-
lement de faire la paix avec Farnèse (129).
Le prince de Parme' répondit tout de suite aux propositions des
Gantois. Il ne fit aucune difficulté à leur accorder l'armistice, à
admettre qu'on ne ferait pas de prisonniers de part et d'autre et
qu'on s'abstiendrait d'infliger des dommages graves à l'adversaire.
11 devait, toutefois, être entendu que les soldats espagnols pourraient
chercher leur nourriture et le fourrage pour les chevaux là où il serait
possible d'en trouver. Quant au commerce, Farnèse I'autorisa à con-
dition qu'il se fît uniquement avec les régions soumises au Roi, et
non avec les rebelles. Il se montra très ferme sur ce point, car il se
rendit compte que, s'il permettait aux Gantois 'de se ravitailler en
Hollande et en Zélande, il leur fournirait par là même le moyen de
lui résister plus longtemps.
Les deux députés gantois s'en retournèrent ensuite faire rapport
à Hembyze. Oomme ils avaient été très bien reçus par le prince de
Parme, qui s'était montré très généreux à leur égard, le dictateur de
Gand, après en avoir parlé avec le capitaine Se.gura, entraîna le
magistrat à décider la continuation des négociations (130).
• lI- •
197
une habileté consommée de gagner le tribun et de corrompre autant
de monde qu'il pouvait. Farnèse lui avait donné des lettres person-
nelles pour Hembyze, ainsi que des cadeaux à distribuer, en secret,
à ses partisans. Il avait fait préparer des «chaînes d'honneur », en or
ou en autre métal précieux, qu'il se proposait d'offrir à Hembyze et
à ceux qui joueraient le rôle principal dans les négociations. Segura
flattait l'orgueil du tribun en lui disant que Farnèse avait l'intention
de recourir « à sa sagesse et à ses conseils » et il ne cessait de
l'exciter contre les ministres calvinistes fidèles au prince d'Orange,
en suggérant de les expulser de la ville. De la flatterie, il passa
à l'intimidation. « J'ai dit aussi à Hembyze, écrivit-il au prince de
Parme, de se dépêcher et de gagner les faveurs du Roi puisqu'il a
tout en mains, et que, s'il ne le fait, il se verra, au moment où il n'y
songera pas, dépouillé de son autorité et dans une plus grande
détresse que jamais. Je lui ai dit de bien croire qu'Orange ne s'en-
dort pas. Cela l',a fait réfléchir, et je pense qu'il se décidera. » (131)
On le voit, le prince de Parme avait en Bégum un excellent
collaborateur, qui était fin psychologue et négociateur averti. « En
définitive, disait encore le capitaine, il est bon de caresser le popu-
laire, mais sans excès, sinon ces gens attribueraient ces avances non
pas à la bonté et à la clémence de Votre Altesse, mais à leur
mérite, se voyant dans une ville aussi bonne, aussi grande,et aussi
forte» (132).
Se doutant bien de ce qui se préparait, le prince d'Orange cher-
cha à s'emparer de Termonde, où Ryhove ne semblait pas pouvoir
compter sur la fidélité de la garnison écossaise. A cet effet, d'accord
avec Ryhove, le Taciturne voulut essayer d'introduire dans la place
des gens de guerre qui seraient plus dévoués que les Écossais et par
lesquels on aurait remplacé ceux-ci. York, le lieutenant d 'Hembyze,
fut immédiatement prévenu par les soldats de Termonde. Il y envoya
son lieutenant; Seton, pour traiter avec ceux-ci des moyens de lui
remettre cette place. Le capitaine écossais Stewart promit à York
de lui livrer Termonde, en même temps que la personne de Ryhove,
dans la nuit du 20 mars.
Comme il n'était pas possible de laisser Hembyze dans l'igno-
rance de ce complot, Segura et York: le mirent au courant et l'entraî-
nèrent ,à participer à son eœêcution. L8>sscrupules du tribun Lurent
(i3i) Hernando de Segura à Farnèse, Gand, i5 mars i584 (Correspondance de Gran-
veUe, t. XI, pp. 485-487).
(i32) Ibidem.
198
immédiatement calmés lorsqu'on lui montra que c'était là, pour lui,
une occasion unique de se venger de Byhove et de s'emparer de
sa personne. Il fut donc décidé que York quitterait Gand avec 800
hommes, dont 300 soldats écossais et 500 bourgeois. Farnèse, mis
au COUTantdu complot, devait envoyer de son côté le baron de Mon-
tignyaveo 600 soldats, dont 200 Espagnols et 400 d'autres nations.
A la dernière minute, à la demande de Segura, qui propos/ait d'em-
pêcher Hembyze de prendre Termonde pour lui, le nombre des
soldats de Farnèse fut augmenté (133). Au jour fixé, 500 soldats de
Farnèse se réunirent au fort de Wetteren, sous le commandement de
Montigny, marquis de Renty, en lequel Hembyze avait beaucoup de
confiance. Au moment où, à Gand, York et ses hommes préparaient
deux barques, ainsi que les échelles et le matériel nécessaires à l'en-
treprise, ces préparatifs furent découverts par des partisans du
prince d'Orange, qui se mirent à crier à la .trahison et à provoquer
une émeute populaire (134).
L'entreprise sur Termonde échoua. Le peuple, furieux, s'em-
para de l 'Hôtel de ville. Hembyze, accusé de trahison, fut arrêté et
jeté en prison. Le capitaine York subit le même sort (135).
Le prince' d'Orange avertit tout de suite son frère Jean de Nassau
du triomphe de ses partisans à Gand : « Dieu nous a fait la grâce
de faire échouer de si détestables pratiques » (136).
Il jubilait trop tôt. En effet, si Hembyze venait de disparaître,
les Gantois ne cessèrent point pour cela de traiter avec Farnèse. A
la _place dHembyze, ils mirent Jean Utenhove, qui était, lui aussi,
contreOrange et pour la paix (137). Cette nomination indique à elle
seule qu'en ce moment, le parti de la paix devait être fort et en majo •.
ritê, ou bien que les intrigues des agents du prince de Parme avaient
eu un résultat extraordinaire. En tout cas, en mettant Farnèse au cou-
rant de ce qui s'était passé, les échevins de Gand insistèrent sur le
fait que l'incarcération dHemhyze n'avait rien changé à leurs sen-
(133) Hernando de Segura à Farnèse, üanù., 16 mars 1584. {Correspondance de Gran-
velle, t. _XI,pp. 4.89-4.91); Alexandre Farnèse au Roi, Tournai, 13 .avrü 158ft (A. G. R••
Copies de Simancas, vol. 16, non folioté) ; Libro de las cosas de. Ftancles, fo 255'0.
(134.) Farnèse au Roi, lettre citée; Libro de las casas de rtonae», fo 255'0;, Le marquis de
Renty à Alexandre Farnèse, ;Wetteren, 24. mars 1581t tcorreeponaance de Granvelle, t. XI.
pp. 505-507).
(135) Farnèse au Roi. lettre citée; Libro de las cosas de Pumaee, 1 255vo; V. FRIS,
0
0, C" p. 236. - Sur l'arrestation d'Hemhyze, voir le récit clrconetancié de BOR, 0, CIO 2· stuk,
1 1t20.
0
199
timents et à leur désir de négocier et ils le prièrent de bien vouloir
faire établir les passeports nécessaires pour les députés qu'ils allaient
lui envoyer (138).
Alexandre Farnèse ne se contenta point de ces bonnes paroles.
Il écrivit au magistrat de Gand pour lui expliquer que les Espagnols
n'avaient eu, dans l'affaire de Termonde, d'autre but que d'empêcher
«la séparation de cette ville du comté de Flandre» et qu'ils n'avaient
décidé de prendre part à l'expédition que pour appuyer les troupes
des Gantois.
Il les avertit en même temps que, puisqu'ils semblaient avoir
emprisonné les otagesespagnols - Segura, le frère de .M.de Masnuy
et un capitaine espagnol, - il avait donné l'ordre aux gouverneurs
de toutes les villes obéissant au Roi de ne pas laisser sortir un seul
bourgeois de Gand de leurs murs, avant de recevoir d'autres instruc-
tions (139).
Cependant, à Gand même, la situation n'était pas aussi grave
que Farnèse SH l'était un instant imaginé. Les représentants du prince
n'avaient pas été arrêtés: on avait simplement limité la liberté dont
ils avaient joui jusque là. Le bas peuple s'était rapidement calmé.
Seuls, quelques ministres calvinistes essayaient encore de soulever la
colère de la masse. Utenhove avait hérité de l'autorité d'Hembyze.
Il avait continué à entretenir les rapports avec le capitaine Segura et
s'occupait de la nomination des députés qui devaient traiter avec le
prince de Parme {lm).
Comme la désignation de ces députés se fit trop longtemps
attendre à son gré, Farnèse résolut denvoyer aux Gantois le pré-
sident Richardot pour les presser daller de l'avant et lem dire
que, si la négociation n'avançait pas plus rapidement, il dénoncerait
l'armistice et aurait recours à la force, «encore que son inclination
naturelle fût de les traiter avec douceur» (141).
Pendant que le prince de Parmee 'efforçait d"amener ainsi les
Gantois à venir à résipiscence, il avait déjà réussi à nouer des rap-
ports avec les dirigeants de Bruges. Désormais, les deux négociations
allaient se dérouler de concert.
«< * *
{138) Ibidem.
{139) Lettre du 25 mars 1584 (Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 510-511); Lettres
de Farnèse au magistrat de différentes vllles, Tournai, 25 mars 1584 (ibidem, pp. 512-513),
(140) Hernando de Segura à Farnèse, Gand, 26 mars 1584 (Correspondance de Gran-
velle, t. XI, pp. 513-514).
(141) Farnèse au Roi, Tournai, 13 avril 1584 (Loo. cit.),
200
A Bruges résidait depuis quelque temps déjà Charles de Croy,
prince de Chimay et fils du duc dAerschot (142). Faible et capricieux,
il était dominé par sa femme, Marie de Brimeu, protestante
farouche (143), et par son agent Louis d'Ennetières (144). Sous leur
influence, il avait fini par se faire calviniste, malgré les reproches de
son père (145). Aussi, le 5 août 1583, il avait été revêtu, par les bourg-
mestres et échevins de Bruges et du Franc de Bruges, du titre de
gouverneur et capitaine général de toutes les villes, places et forts
de leur ressort et nommé colonel de 20 enseignes de gens à pied (146).
On avait pleine confiance en lui : il avait eu de bonnes relations avec
le prince d'Orange et il semble bien que naguère il avait été question
de lui faire épouser la fille du prince, Marie de Nassaur Ié'Z). Le 5 sep-
tembre 1583, les villes de Gand et d'Ypres l'avaient chargé du gou-
vernement de toute la province de Flandre (148). Il occupait d'One
une situation très en vue dans le milieu des rebelles.
Cependant, il apparut bientôt qu'il n'était plus 'd'accord avec la
politique du prince d'Orange. En juillet 1583, il s 'oppcse à ce qu'on
fasse appel aux troupes de Biron et se montre un ennemi décidé de
l'alliance avec le duc d'Anjou (149). Il s 'adapte facilement à la men-
talité des quatre Membres de Fûandre, dont les sentiments anti-
français deviennent de plus en plus violents. Cependant, à ce moment,
il ne songe pas à se rapprocher des Espagnols et les agents anglais
établis à Bruges sont d'avis que, si la Flandre n'a pas encore fâit
la paix avec Farnèse, c'est au prince de Chimay qu'on le doit (150).
(142) Voir, pour cette pérlcde de la vie de Oharles deCroy, Ie livre de la princesse
PIERRE DE CARAMAN CHIMAY,Recueil de lettres missives escrtptes àet par Charles ae Croy,
1598-1584 (Bruxelles, Kiessling; 1913) et celui de la comtesse M. DE VILLERMONT,Le duc
Charles de Croy et d'Arschot I(Tamines, 1923).
(143) Cette influence est bien mise en lumière par la comtesse M. DE VILLER.MONT, Le
duc Charles de Cray et d'Arschot, pp. 54 svv,
(144) d'Ennetières avait été officier du duc d'Arschot à Chimay et était maintenant
capitaine de la garde du prince de Ohimay.'
1(145) Voir la lettre de Philippe II au duc d'Arschot, 31 octobre 1583, publiée par
E, DoNY, Lettres de Philippe II et de Marguerite de Parme à Philippe de Croy, troi-
sième duc d'Aerschot, dans Iles Bulletins de ta Commission roya~e d'histoire, t. LXXXI,
1912, pp. 455-456.
(146) Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. XXXV-XXXVI; Stokes .à Walsingham,
Bruges, 14 juillet 1583, Stylo Anglie, dans Foreign Ctüetuia», Busaoett», 1598-1594, n- 27.
(147) Sur ce projet de mariage, voIr I'Intéressante étude de TROSÉE, Très invrai-
ssmbtaôle ï, dans HiStorische Stuttiën, pp. 190-207.
{148) Correspondance de Granvelle, t. XI, p. XXXVI.
1(149) Stokes à Walsingham, Bruges, 28 juillet 1583, stylo Anglie I(Foreign Calendar,
Elisabeth, 1598-1594, n° 49).
(150) Gilpin à Walsingham, Middelhourg, 26 août 1583 {Foreign catenaa», Elisabeth,
1588-1594, n° 101). .
201
Aussi, son crédit est grand et on attend de lui l'unité de direction
au milieu des tendances contradictoires qui commencent à se dessiner
de plus en plus chez les « rebelles » flamands. Les uns désirent
une république démocratique, les autres sont pour l'autocratie. Tel
groupe incline vers la paix avec les Espagnols, tel autre voudrait
renouer les rapports avec le duc d'Anjou. Enfin, les partisans du
prince d'Orange et de sa politique sont encore nombreux. On espère
que le prince de Ohimay pourra donner les directives nécessaires (151).
En tous cas, au début de 1584, il organise l'envoi de secours à Ypres
- nous en avons parlé plus haut - et rien ne laisse supposer chez
lui le moindre désir de cesser la lutte <contre Farnèse. Il fait
d'ailleurs bonne garde à Bruges et expulse de la ville tous les sus-
pects (152).
Mais voilà que des plaintes s'élèvent. On se met à critiquer la
politique du prince de Chimay, on estime que ses ennemis parviennent
trop facilement à le tromper, à lui imposer leurs créatures, à trafiquer
des offices publics en leur faveur (153). Il commence à être de moins
en moins obéi (154). En janvier 1584, le conflit éclate ouvertement
entre lui et les magistrats de Bruges : sa politique antifrançaise leur
devient odieuse et ils désirent Je voir partir (155). Bientôt, les garni-
sons de Damme et L'Ecluse se mutinent, parce qu'elles ne sont plus
payées: c'est à grand'peine que Ohimay parvient à les ramener au
de-voir (156).
Cette situation de plus en plus inquiétante finit par impressionner
très fortement le faible Charles de Croy, Au début de mars 1584,
il apprit que Hembyze s'était mis en rapport avec Farnèse et que
les représentants de celui-ci étaient entrés à Gand. Il eut à ce sujet
un entretien avec l'agent anglais Stokes et se montra fort bouleversé
par ces nouvelles. Il songea à faire partir sa femme et à l'envoyer
en Angleterre (157).
Caressait-ilce projet parce qu'il jugeait la situation de plus en
(151) Fremyn à Waâslngnam, Bruxelles, 9 septembre 1583 (Foreign çoienao», loc. olt.,
n° 109). ".
(152) Avvisi àe Flasuire, Flessingue, 20 octobre 1583, (Foreign caienaor, loc, clt.,
no 170).
(153) Foreign Caletuiar, loc. cit., n- 175.
(154) Foreign Caletuiar,loc. cit., nOS 203, 219, 237, 263, 319.
(155) Stokes à Walsingham, Bruges, 6 janvier, stilo Anglie, dans Foreign Calenàar;
loc. clt., n- 358.
{156) Stokes à Walsingham, Bruges, 22 février 1583, sUlo Anglie, dans Foreign çatenaar,
100. clt., no 434.
(157) Stokes à Walsingham, Bruges, 28 février 1583, stilo Anglie, dans Foreign caienaar,
100. clt., n° 452.
202
plus menaçante ou voulait-il se débarrasser de la princesse, dont les
sentiments protestants n'étaient que trop connus, parce que, à ce
moment-là, il avait déjà secrètement décidé de se réconcilier avec les
Eapagnols î
(158) Burnharn à Walsingham, Fl-essiDigue,4 mars 1583 (Foreign Coietuto», loc. clt.,
n° 459).- Sur la réconciliation du prince d-e Chimay, orr M. DE VILLERMONT, o. C., pp. 67-80.
Nous ne suivons pas l'exposé de cet auteur, qui s'inspire surtout des Mémoires du prince
rie Ohimay, sans en faire une critique sérieuse, et qui ignore la plupart des documents
que nous employons,
(159) Burnham à Walslngharn, Bruges, 9 mars, stilo Anglte, dans Foreign caienaar,
loc. clt., n° 468.
(160) Lettre de Delft, 22 février 1584,dans GROEN VAN PRINSTERER, Archives ..., t, VIII,
p.317. .
203
nature à impressionner fortement les Brugeoiset les Gantois qui
résistaient encore (161).
Les 'soldats du marquis de Richebourg, qui continuaient à bloquer
Bruges, firent prisonnier le familier du prince de Chimay, d'Enne-
tières, au moment où il se rendait à Damme. Emmené en présence
de Riehebourg, d'Ennetières, pris de peur, avait spontanément déclaré
que son maître était prêt à rendre « un grand et signalé service à
sa Majesté» (162). Farnèse, immédiatement averti de ce fait, fit venir
le prisonnier à Tournai. Connaissant toute l'influence que d'Enne-
tières exerçait sur Charles de Crey, le prince dé Parme l'engagea
à insister auprès de son maître en faveur, de la réconciliation avec
le Roi. Le prisonnier promit de le faire, mais exigea comme condition
que lui-même obtiendrait le pardon de son attitude de rebelle. Far-
nèse donna l'assurance qu'il en serait ainsi (163).
Le prince de Ohimay se laissa facilement gagner, d'autant plus,
à l'en croire, qu'il venait de découvrir que le Taciturne avait ourdi
un complot contre lui et désirait :se débarrasser de lui par l'assas-
sinat. Il voyait aussi la main d'Orange dans le fait que le comman-
dant de L'Ecluse venait de se révolter et que la princesse de Chimay,
sa femme, avait cherché un refuge à L'Ecluse même (164).
Ennetières retourna rapidement à Tournai pour mettre Farnèse
au courant des bonnes intentions de Charles de Croy : il sollicita de
la part de son maître la même suspension d'armes que celle qui avait
été accordée aux Gantois.
Le prince de Parme répondit affablement, parlant du désir qu'il
avait « de vostre bien et l'affection que je porte à mon cousin, le
duc vostre père» [le duc d'Aerschot], mais il ne concéda point tout
de suite ce que Chimay demandait. Il savait qu'il était le maître de la
situation et qu'il pouvait poser ses conditions. Tout en soulevant
des objections, il voulut bien accorder que les paysans pussent en
204
toute liberté cultiver leurs ter.res dans la region de Bruges, mais il
ne consentit point là la 'conclusion immédiate d'une trêve. Il suggéra
très hahilementà Chimay de faire mieux, c'est-à-dire de ne pas se
contenter d'un armistice, mais d'aller jusqu'au bout et de conclure
« une paix ferme et stable ». TI lui envoya en même temps les passe-
ports pour les délégués que les Brugeois enverraient pour
négocier (165).
Le duc d'Ael~schot, dès qu'il fut informé des dispositions de son
fils, lui écrivit de son côté pour l'engager à se réconcilier tout de
suite avec le Roi. « Si vous désirez me contenter, lui dit-il, et jouir
de ma bénédiction, montrez en cette conjoncture que' vous avez de
bonnes entrailles et que vous vous souvenez du lieu d'où vous venez.
Dans ce cas, je vous serai hon père et je vous traiterai comme mon
enfant » (166).
Si la double insistance de Farnèse et du duc d'Aerschot était de
nature à ébranler Chimay, sa décision fut encore activée par les
preuves manifestes d 'hostilité de la part du Taciturne. Aussitôt que
celui-ci avait été certain de la trahison de Chimay, il avait envoyé le
gouverneur de la Zélande 'avec 1.500 soldats pour se rendre à
L'Ecluse et, de là, tenter un coup de main sur Bruges. On devait
s 'emparer de la personne de Charles de Croy et l'emmener prisonnier
en Zélande (167).
Le complot, toutefois, échoua. Farnèse en profita pour suggérer
à Chimay de mettre fin aux embûches qu'ou dressait contre lui. Ce
conseil fut suivi. L'ancien bourgmestre Casembroot et d'autres
membres du magistrat furent jetés en prison et remplacés par des
partisans de la paix (168). Bruges imitait Gand! Elles devaient finir
par travailler de concert.
Inspiré par Chimay, le magistrat de Bruges désigna des délégués
pour négocier avec Farnèse et décida de les envoyer à Gand, pour
s'entendre avec les délégués de cette ville et présenter, de commun
accord, leurs demandes 'au prince de Parme (169).
(165) Farnèse à Chimay. 23 mars 1584 (Bulletins de la Commission royale d'histoire,
loc. oit.• pp, 507-509).
1(166)Le duc d'Aerschot au prince de Chimay, Tournai. 22 mars 1584 (Bulletins de la
Commission royale d'histoire, loc, ctt., p. 507.
1(167)Relation d'Edward Burnham, avril 1584 (Foreign Caieïuiar, susooeu; 1588-1584,
n- 564); E. VAN METEREN, Historie der Nederlantscher ...• M. elt .• fD 225"°,
{168) Farnèse au Roi. 13 avril 1583 {Loc. cit.); Le marquis de Ri·chebourg au président
Richardet, Eecloo, 29 mars 1584 (Bulletins âe la Commission royale d'histoire, loc, clt.,
~lp. 509-510); Libro de las cosas de Flandes. fD 256".
(169) Farnèse au Roi. 13 avril 1584 (Loc. cit,); Le marquis de Boubalx à Blohardot,
lettre citée; Libro de las coea« de Flan<tes, fD 256vD i Liber relationum. fD 141.
C'est ce que Farnèse avait redouté. Il craignait l'entente entre
Gand et Bruges, il aurait voulu engager des négociations séparées
avec chacune des deux villes. Il soupçonna même là-dessous une
manœuvre inspirée par le Taciturne.
« Il est de toute évidence, écrit-il au cardinal de Granvelle,
qu'Orange ne désire qu'un arrangement général, comme il tâche de
l'obtenir par tous ses subterfuges et artifices diaboliques. Les con-
ditions de paix,en pareil cas, seraient si dures, iniques et indignes,
que non seulement 'Onne pourrait pas les discuter, mais même les
écouter. Une paix générale, je ne la trouverais convenable que dans
un seul cas : ce serait que les populations, connaissant sa tyrannie
et après s'être soulevées, le massacrassent ou le livrassententre les
mains de Ba Majesté, et voulussent alors par la même occasion s'en-
tendre avec nous. Traiter en particulier, voilà ce qu'il faut et à quoi
nous devons tendre ... » (170).
Richardot, qui avait été dépêché aux Gantois pour les menacer
de la rupture de l'armistice (171) s'ils ne se pressaient pas de con-
tinuer les négociations, retourna à Audenarde pour y attendre les
événements (172). Bientôt trois délégués se présentèrent chez le prince
de Parme, un de Gand, un de Bruges et un du Franc de Bruges. Il ne
pouvait s'agir ici que d'une simple prise de contact et de conversa-
tions orales préliminaires. 1fais Farnèse devina tout de suite qu'on
se proposait de lui faire des propositions extravagantes qu'il ne lui
serait pas possible d'accepter (173). TI fit comprendre aux délégués
qu'il ne tolérerait aucune manœuvre dilatoire et que, si on essayait
d 'y avoir recours, il retirerait toutes ses concessions et agirait contre
Bruges et Gand avec la dernière rigueur (174). Les trois délégués lui
firent alors connaître que d'autres députés, pourvus d'instructions
officielles, viendraient bientôt les rejoindre (175).
(170) Farnèse à Granvelle, Tournai, 14 avril 1584 (Correspondance de Granvelle,
t. XI, p. 18).
(171) Voyez ses instructions dans Correspondance de Granvelle, t. XI, pp. 539-541,
Sur le rôle de Bichardot, voyez V. BRANTS, Un ministre belge au XVII" siècle, lac. cit.,
pp. 32 svv.
1(172) Les échevins, consaux <et doyens de Gand au sire de Masnuy-St-Pierre, Gand,
29 mars 1584 (Correspondance de Granvelle, t. Xl, pp. 533-534).
1(173) Voir Correspondance de Granvelle, t. Xl, note 1.
(174) Farnèse au marquis de Bichebourg, Tournai, fi avril 1584 (Correspondance de
Granvelle, t. XI, p. 551).
(175) Farnèse au Roi, 'ï'oumai, 13 avril 1584 {Loc. cit.).
Les Gantois n'inspiraient guère confiance au prince: il savait que
le nombre de séditieux était grand chez eux et que prês de 150 pré-
dicants calvinistes unissaient leurs efforts pour contrecarre-r les
essais de paix. TI savait aussi que la disette seule pouvait avoir
raison de l'obstination des ultra-calvinistes: à Bruges, où la majorité
catholique était plus considérable et plus agissante, la situation sem-
blait quelque peu meilleure (176).
Les 13 et 14 avril, les délégués officiels du prince de Chimay, du
Franc de Bruges et de la ville de Gand arrivèrent à la cour du prince
de Parme à Tournai (177). Ils furent reçus avec générosité et traités
avec magnificence: le prince de Parme, nous le savons, 8 'y entendait
pour créer l'atmosphère nécessaire à des négoeiaëions de ce genre.
Aussi, les députés des villes flamandes furent-ils agréablement impres-
sionnés (178). Toutefois, un des délégués de Gand, probablement le
pensionnaire Taeyaert, très orangiste et francophile (179), prit la
parole 'au nom de tous pour prononcer une harangue élégante et
habile. Ïl' parla avec émotion de la beauté et de la grandeur de s'a
ville natale, et se mit à flatter le prince de Parme, dont il rappela
les multiples promesses de paix. n termina en sollicitant la conces-
sion, pour une période limitée, d'un endroit de la ville où l 'on pour-
rait célébre'! le culte calviniste. TI laissa au.ssientendre que Ies
Gantois refusaient d'admettre la présence d'une garnison dans la
citadelle : ils voulaient bien laisser une telle garnison s'installer non
loin de la forteresse. Le mot citadelle devait être proscrit, car il
sonnait mal à leurs oreilles!
Oontenant son indignation, F-arnèse répondit : « Le Roi, mon
seigneur et le vôtre, est catholique et décoré du titre de Roi catho-
lique. Moi, j'appartiens à une famille de princes chrétiens, j'exp'Ûse
ma vie pour la foi catholique et je ne veux pas salir mon nom en
autorisant des gens à vivre d'une façon non-catholique. C'est pour
ces principes que la guerre entre nous a commencé et c'est avec ces
principes qu'elle doit finir. Aussi longtemps qu'elle durera, ce sera
(i76) Ibidem.
(i77) C'étaient, pour le prince de Chimay, Louis d'Ennetières et 'Bernard de Wincker;
pour Gand, Ie oonseiller Josse de Braekele et Je pensionnaire 'ï'aeyaert: pour 'Bruges,
Vincent Sioen. mattre Jean Nieulandt et Jean Martins; pour le Franc de Bruges, Charles
de Marlvooede, Roland Courtewille 'et Phiilippe le Cherf.
(i78) Liber relationum, fo 141ro; Farnèse au Roi, Tournai, 2i mai i584 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. i6, non folioté).
{i79) Correspondance de üranoeue, t. XI. p. 552. En i580, Il fut au nombre des com-
missaires des Etats Généraux qui allèrent offrir au duo d'Anjou la souveraineté des
Pays ...Bas.
207
pour châtier les mauvais et réconforter les bons. Il nous faut la cita-
delle pour des misons de sécurité. Si nous n 'y plaçons pas la garnison,
il faudra vous imposer un plus grand nombre de soldats: il en résul-
tera. pour vous une augmentation de frais et plus d'occasions de
disputes entre mes hommes et vos bourgeois» (180).
Battus sur ce point, les délégués n'insistèrent pas pour le moment.
Ils présentèrent alors les articles) sous condition desquels ils étaient
prêts à se réconcilier avec le Roi.
Flncompagnie du marquis de Renty, du président Richardot et
du secrétaire Le Vasseur, Farnèse examina ces propositions et les
trouva « impertinentes et exorbitantes » (181).
Ces articles présentés en commun par Bruges et Gand témoi-
gnaient, en effet, d'une inconscience extraordinaire ou d'une audace
sans limites, étant donné les circonstances du moment. On réclamait
le maintien de l'amance avec les princes étrangers, et notamment
avee le duc d'Anjou. Les aliénations de biens ecclésiastiques faites
pendant l'es troubles demeureraient valables. Les Gantois et les
Brugeois pourraient présenter, pour le Conseil d'Était, la candidature
de deux personnages qui avaient été du parti des rebelles et qui
seraient de religion calviniste, L'exercice de la « nouvelle religion»
demeurerait dans l'état où il était. Lescalvinistes pourraient aller,
venir et demeurer librement partout, et, à l'heure de la mort, ne
seraient assistés que par ceux qu'ils solliciteraient. Les prédicants
calvinistes continueraient à jouir des biens ecclésiastiques confisqués.
Les mariages faits « à la calviniste » seraient réputés légitimes. Tous
les soldats étrangers devraient quitter le pays quinze jours après la
publication du traité. Le prince d 'Oral1!ge et le prince d'Épinoy
seraient compris dans ce même traité.
Devant des prétentions aussi extravagantes, Farnèse garda son
calme. Il mit la question en délibération au Conseil d'É,tat, dont tous
les membres furent invités à donner leur avis. Tous se rendirent
compte que les Gantois et les Brugeois s'étaient inspirés, pour formu-
ler leurs propositions, des articles du Congrès de Cologne de 1579 :
il était évident qu'on ne pouvait perdre son temps à les discuter (182).
(180) Ceci d'après Paolo Rinaldi (Liber reiauonum, fOS 141ro-141vo), qui fut présent à
la 'scène et qui nota ûa réponse de Farnèse.
(181) Farnèse au Roi, Tournai, 21 mai 1584 (Loc. cit.),
(182) Sommaire des articles présentés, avec les délibérations du Conseil d'Etat et
l'avis de Farnèse, 18 avril 1584 (BuUetins de 'la Commission royale d'histoire, 3e série,
t. IV, pp. 5i1-516).
Le prince de Parme fit comprendre aux délégués gantois et bru-
geoiscombien leurs propositions étaient inadmissibles. Ils s'excusè-
rent en disant qu'ils avaient été forcés de les formuler ainsi,
pour contenter les adversaires de la paix, avec lesquels il fallait
décompter (183).
Sans s'arrêter un instant à un essai de nouvelle discussion, le
prince leur fit alors communiquer les propositions qu'il avait à faire
lui-même (184). Il offrait d'abord un certain nombre d'avantages
pareils à ceux du Traité d'Arras : oubli du passê, sauvegarde des
privilèges, promesse de ne pas imposer de garnison, à moins que la
sécurité ne l'exigeât, suppression des impositions, exactions et gabelles
créées ou infligées durant les troubles; rentrée en possession des biens
meubles et immeubles. Les calvinistes qui voudraient exercer leur
culte pourraient librement se retirer en un endroit de leur choix, dis-
poser de leurs biens meubles et immeubles ou les faire administrer
par une personne de confiance. Les aliénations des domaines de Sa
Majesté seraient nulles e,t sans valeur. Les ecclésiastiques et les
bourgeois restés fidèles au Roi rentreraient en possession de leurs
biens immeubles et pourraient en tous cas en revendiquer la restitu-
tion. Les acquéreurs de ces biens seraient dédommagés par un moyen
qu'on trouverait, Ce traité serait confirmé par le Roi endéans trois
ou quatre mois,
Avant de communiquer ces propositions, le prince de Parme
avait tenu à soumettre à une assemblée d'ecclésiastiques certaines
questions très épineuses que les délégués de Bruges, du Franc et de
Gand avaient soulevées. Pendant la période de domination calviniste,
beaucoup de religieuses avaient été chassées de 'leur couvent et
obligées de se marier avec leurs bourreaux et séducteurs. Des habi-
tants avaient conclu des mariages avec des parents très proches,
union interdite par l'Eglise. Dans les deux villes de Gand et de
Bruges et Tes. villages de leur ressort, il y avait ainsi quelque
50.000 individus, qui s'inquiétaient en ce moment des conséquences
209
possibles de leur union illégitime. Ils exigeaient ou tâchaient d'obte-
nir la certitude que les enfants masculins nés ou à naître de ces
unions ne seraient pas déshérités ou dépouillés des biens de leurs
parents, sous prétexte que, du point de vue catholique, ils étaient
enfants illégitimes. Il se posait encore un autre problème: celui des
baptêmes et celui des sépultures (185).
Farnèse avait réuni, dans le but d'éclaircir ces questions, les
évêques de Bruges, de Ruremonde et de Tournai, un certain nombre
de théologiens et des juristes du Conseil d'État (186). TI était, en
effet, fort scrupuleux pour tout ce qui concernait les questions reli-
gieuses et les problèmes de foi ou de discipline ecclésiastique (187).
Après une discussion qui dura quatre heures, les théologiens arri-
vèrent à des conclusions satisfaisantes (188).
Les délégués flamands se rendirent compte à quel point les pro-
positions du prince de Parme étaient modérées et ils s'étaient déclarés
d"accord. Mais, comme ils n'avaient pas d'autorité pour conclure un
traité de réconciliation, ils dépêchèrent certains d'entre eux respecti-
vement à Gand et à Bruges pour faire rapport. C'étaient ces délégués
qui étaient revenus pour poser la question des mariages, des
baptêmes et des sépultures non conformes aux prescriptions de
l'Église catholique.
Finalement, l'accord sembla s'être établi. Les députés de Bruges
et du Franc restèrent à la cour de Farnèse et envoyèrent l'un d'entre
eux pour rendre compte des dernières propositions. A ce moment, le
duc d'Aerschot sollicita du prince de Parme l'autorisation de se
rendre auprès de son fils à Bruges, pour l'engager à en finir. Malgré
les craintes que Farnèse exprima au sujet du danger auquel le duc
allait s'exposer, celui-ci. partit. Aerschot fut très bien reçu à Bruges,
mais il n'eut plus à intervenir: on s'était déjà mis d'accord pour
accepter les propositions du prince de Parme (189).
Quant aux députés de Gand, ils rentrèrent tous chez eux, con-
{185)Ces détails sont donnés par Paolo Rinaldi dans son Liber relationum, fD 141; voir
aussi la lettre de Farnèse des 21 mai 1584,déjà oItée.
(186) Lettre du 21 mai 1584.
'(187) « No querlendo en ninguna manera oonsentir oosa Indeoente "Y repugnante à
nuestra sancta fe oatolioa "Y é. nuestra madré la Iglesta, ni alla conscienola de Vuestra
Magestad ni é. la mia » (Lettre citée du 21 mai 158~).
(188) Ibidem.
{189) Lettre de Farnèse du 21 mai 1584 (Loc. cU.); Liàer relationum, fo 143. Voir
les lettres échangées 'en oe moment entre Farnèse et les Brugeois, dans les Bulletins'
de la CommisSion royale d'histoire, s- sér., t. IV, pp. 520-522,
210
vaincus qu'il n'y avait pas d'autre moyen de sortir des difficultés
que de ratifier le projet offert par Farnèse.
Après leur départ, celui-ci poussa un soupir de soulagement: il
'avait veillé jour et nuit pendant ces discussions ardues et, comme il
l'écrivit au Roi, il y « avait dépensé toute l'intelligence que Dieu lui
avait donnée. Comme il est difficile, remarquait-il, de traiter avec des
gens de pareille sprte, qui réclament tout le temps l'exercice de leur
religion et qui ne cessent de contrecarrer tout ce qUB l'on met en
avant! » (190).
Le 4 mai déjà, le magistrat de Bruges et les bourgmestres et
échevins du Franc donnèrent commission à leurs députés pour traiter,
sur la hase des propositions faites par Farnèse.
C'est en vain que le prince d'Orange, par l'intermédiaire d'un
trompette de l'amiral Treslong envoyé à Bruges,avait, par lettres
pressantes, essayé de retenir le prince de Chimay et le magistrat sur
la route de ~a défection. Ses missives n'eurent plus aucun effet {191).
Le jour de Pentecôte, 20 mai 1584, Bruges et le prince de Chimay
signèrent le traité, après que Farnèse eut encore fourni une déclaration
expresse au sujet de la question des mariages, des baptêmes e.'t
des sépultures. Aprèss 'être défendu de toucher en quoi que ce fût
aux points qui regardaient l'autorité ecclésiastique, il avait promis
d'écrire au Roi, pour obtenir le plus de satisfactions possibles. Les
calvinistes -et tous les Brugeois en général ne seraient pas molestés
à cause des mariages et des baptêmes irréguliers. La question des
sépultures, à faire en dehors de la ville et non en « terre sainte », fut
aussi réglée de façon convenable (192).
Plus rien ne faisant obstacle à la réconciliation, les députés du
prince de Chimay, de Bruges et du Franc avaient fait le pas décisif.
2H
c: Le Saint Esprit, écrivit Farnèse à Philippe II, m'a aidé en son
jour de fête! » (193).
La capitulation de 'la grande ville flamande se faisait aux condi-
tions suivantes. Bruges et le F'rano seraient exemptés' de garnison, à
moins que la nécessité n'en fût démontrée et, dans ce cas, la garnison
serait composée de soldats du pays.
Les gabelles, impôts, taxes occasionnés par les troubles seraient
abolis. Il rr'en serait pas créé de nouveaux sans le consentement des
intéressés. Ceux qui voudraient vivre selon la religion calviniste
pourraient librement se retirer là où ils le désireraient et même retour-
ner lorsque bon leur semblerait, à condition qu'ils n'aient pas ,été en
pays ennemi et que le magistrat veuille les recevoir. Dans ce cas, ils
auraient la libre jouissance de tous leurs biens meubles et immeubles.
Le prince de Parme promettait aussi le départ des soldats étrangers
« hors de Flandre» dès que ce pays serait réduit entièrement, par la
force ou par voie de réconciliation. Les villes et les châtellenies de
Flandre encore en état de rébellion, qui voudraient accepter le traité
et s'y soumettre, seraient autorisées à le faire; à condition de s'y
décider endéans les quinze jours après la publication de I'accord à
Bruges (194).
Les députés de Bruges et du Franc ayant offert de rester auprès
de Farnèse comme otages, pour garantir la bonne exécution de la
convention, le prince leur déclara qu'il se contentait de leur parole
et de leur serment et les laissa partir (195),
Un traité particulier fut conclu avec le prince de Chimay, auquel
Farnèse accorda l'oubli du passé, même s'il s'agissait de crimes de
lèse-majesté divine et humaine. Tous ses biens lui étaient maintenus
ou rendus, nonobstant toutes saisies faites auparavant (196). La
succession à tous les fiefs, titres et biens du duc dAersohot, son père,
lui étaJ.t garantie en cas de décès de celui-ci. La princesse de Chimay,
quoique calviniste, ne serait pas inquiétée et pourrait librement
(193) Lettre du 21 mai 1584 (Loc. cit.) , - Lettre de Cosimo Masi à J.":B. Pico, 28 mai
1584 (A. F. P., Carteggio tarnesiano, Paesi Bassi, carteggio 1584-1589).
(194) Texte du traité dans les Bulletins 'de la Commission royale d'histoire, 3· sér.,
1.. IV, pp. 527-58'7, où l'on trouvera les autres articles qu'il est inutile de reprendre Ici
dans le détail, - Sur I'importance du traité pour la suppression des Instituüons révolu-
tionnaires créées par les Flamands, voir R. VAN ZUYLEN VAN NYEVE.LT, Notice sur le Lan-
draed ou Raed van de teae« van vtaenâeren, dans les Mélanges Charles Moeller, t, II,
np, 263-264,
(195) Bulletins cités, lac. cu., pop. 538-539; Liber j'e~ationum, fo 144r".
(1%) Traité de réconciliation avec le prince de Chimay, dans les Bulletins de la Com-
mission royale d'histoire, 100. cit., pp. 539-543.
212
demeurer avec son mari. Enfin, dans le traité conclu avec Charles de
Oroy étaient compris tous les gens de sa maison, et nommément
Louis d'Enn€tières, auquel Farnèse garda donc fidèlement sa pro-
messe de pardon (197).
On le voit, le prince de Parme s'était montré fort généreux et
avait appliqué, une fois de plus, cette politique de clémence qui lui
avait déjà valu tant de succès.
TI semble avoir redouté un instant d'avoir dépassé les limites de
la générosité,car il insista fortement auprès du Roi pour que celui-ci
fît connaître s'il approuvait la conduite suivie et l'étendue des con-
cessions faites (198).
Aussitôt après la reddition de Bruges, le prince y établit un
nouveau magistrat et s'empressa de prier l'évêque, Remy Drieux,
de donner tous ses soins au rétablissement du culte. A la place du
prince de Chimay, le duc dAerschot fut nommé gouverneur de la
ville et de son ressort. Oonformément à sa promesse, Bruges même
fut exemptée de garnison, mais on plaça des soldats à Damme, qui
s'était réconciliée en même temps.
On assista ensuite à la sortie des huit compagnies écossaises du
colonel Boyle; dont la solde dut être payée par les bourgeois avant le
départ. Sur le désir exprimé par ces soldats, Farnèse les prit à son
service (199), comme ill 'avait déjà fait à maintes repeises en d'autres
circonstances similaires.
• *, ,..
La prise de Bruges n'était pas seulement importante en elle-
même; elle venait au bon moment pour permettre à Farnèse d'isoler
plus complètement encore les Gantois récalcitrants.
Que s'était-il passé à Gand après le retour des délégués envoyés
chez le prince de Parme?
Déjà pendant le séjour de ces négociateurs à Tournai, la ville
avait passé par des moments dexeitation et de trouble. Dans
l'intention de renverser à Gand le gouvernement favorable à la paix,
lie prince d'Orange avait engagé les partisans qu'il avait dans la cité
à ouvrir une des portes à Ryhove, qui, dans ce but, avait quitté Ter-
(197) Cette restitution fut faite par un acte du prince de Parme, daté du Camp de
Beveren, le 7 janvier 1585. Ofr EM. DONY, Les archives du chateau de Chimay, dans les
Bulletins de la Commission royale d'histOire, 1922, t. LXXXVI, p. 78.
(198) Lettre du 21 .mat 1584 {Loc. cit.).
U99) Même lettre; Libro de las cosas de Fùuuies, fo 258ro; STRADA, o. C., t. III,
pp. 405-406.
213
monde avec des troupes, soit seize compagnies d'infanterie et de
cavalerie. Arrivé devant Gand, le 15 avril, Ryhove envoya le capi-
taine Schuddematte vers la Keizerspoort, pour s'y entendre avec les
partisans d'Orange et livrer passage aux conspirateurs.
L'émissaire de Ryhove fut arrêté, en même temps que ses com-
plices, par ordre de Charles Utenhove, qui faisait bonne garde (200).
Malgré l'échec de ce complot, les adversaires de la paix avaient
été très excités par cet incident. Aussi, Utenhove et Farnèse s'enten-
dirent, le premier, pour expulser ces séditieux de la ville, le second,
pour les laisser sortir sans qu'ils fussent refoulés par ses soldats,
chargés du blocus de la cité (201).
Trois compagnies, dont on n'était pas sûr, furent cassées et
chassées de Gand (202). Farnèse les autorisa à partir, par le Sas de
Gand, pour la Zélande (203). Tout semblait donc annoncer bientôt
une bonne fin des négociations.
Lorsque les députés des Gantois revinrent en ville pour faire
rapport sur les propositions détaillées du prince de Parme, le 5 mai,
les partisans de la paix se réunirent en grand nombre devant l'Hôtel
de ville, en criant : « Où sont ceux qui ne veulent pas de la réconci-
liation 1 Nous voulons la paix, coûte que coûte! ». Aussitôt un mou-
vement de réaction se produisit chez les calvinistes. Us prirent les
armes, coururent aux remparts, se rendirent maîtres d'une des
portes. Puis, leurs troupes envahirent le marché et l'Hôtel de
ville: aussitôt, les « espagnolisants » prirent la fuite (204). Vain-
queurs, les calvinistes forcèrent le magistrat à emprisonner leurs
adversaires. Maîtres de la situation, ils avisèrent immédiatement les
États Généraux et le prince d'Orange de leur intention de rester
fidèles à la cause de « la généralité » (205). Leurs commissaires
(200) Le capitaine Segura à ,Farnèse, Gand, le 18 avril 158i (Correspondance de Gran-
veüe, t. XI, pp. 563-564): Apologie de Ryhove, loc .. cit., pp. 359-360; Libro de las coscs
de Eumdes, fo 256vo; .Farnèse au Roi, 21 mal 1584 {Loc. cit.); Charles Utenhove au marquis
de Richebourg, Gand, 18 avril 1584 et le même à Farnèse, même. date (Correspondance de
Granvelle, t, XI, pp. 566-567).
{201) Utennove à Paenèee, Gand, 18 avril 1584 et Farnèse aux officiers de son armée,
Tournai, 19 avril 1584 (Correspondance de Granvelle, t, XI, pp. 566-567 et 570).
(202) Les échevins et consaux de Gand à Farnèsë, GaUd, 21 avril 158i (Correspon-
dance de Granvelle, 1, XI, p, 574),
(203) F'arnèse au capitaine Segura, 25 avril 1584 (Correspondance de Granvelle, t. XI,
p. 577).
1(204) P. BOR, O. c., 2e&tuk, fG 420,
(205) Voir la lettre du maglstrat de Gand au prlnee d'Orangeen date du 24 mai 1584
:GROEN VAN PRINSTEREIi.,Archives ..., t. VIII, pp. 400-403), et les félicitations des Etats
Généraux aux Gantois pour avoir rompu les négociations avec le prince de Parme (Bulle-
tins de la Commission royale d'histoire, 3e série, t. XIII, pp. 94-97). Cette lettre 'est datée
d'Anvers, 17 mal 1584,
214
s'étant réunis à Termonde avec Ryhove, il fut décidé qu'on leur
enverrait du secours (206). Bientôt sept enseignes de fantassins et
deux cornettes de cavalerie, venant d'Anvers et de Bruxelles, entrè-
rent à Gand (207).
,,(206) Lfln'o ,de ws cosas ~ FlanMs, fO. 267vo-'258; P. BOR, O. C., 2° stuk, fo 420;
Liber reiauonum, fo i44vo• '
215
Dieu selon leur conscience :., ainsi que' le maintien de tous leurs privi-
lèges. Oomme ils se rendaient bien compte que ces exigences étaient
inacceptables, ils exprimaient l'espoir qu'un jour Dieu toucherait le
cœur du Roi « afin qu'il ait pitié de S'onpauvre peuple et lui accorde
ce qui, selon tout droit divin et humain, ne peut lui être refusé» (211).
Les otages espagnols résidant à Gand furent remis en liberté ,
les otages gantois retenus à Audenarde rentrèrent iaussi. C'était
L'échec de la négociation: Gand restait fidèle à la cause des rebelles.
La décision du prince de Parme fut aussitôt prise. Il fit ren-
forcer le pont et le fort de Wetteren, afin d'empêcher l'arrivée de
tout nouveau secours, puis il envoya des masses d'infanterie et de
cavalerie battre l'estrade pour intercepter tous les convois se diri-
geant vers la cité menacée. Les paysans qui, à la faveur de l'armis-
tice et du libre trafic, s'étaient remis à cultiver leurs terres, furent
refoulés dans la ville, d'où personne ne pouvait désormais plus
sortir (212).
Ne disposant pas d'assez de troupes pour se rendre maître par
la force de la grande cité flamande, le prince de Parme allait resser-
rer impitoyablement le blocus, un instant levé, et attendre qu'elle
tombât, comme un fruit mûr} dans les mains du Roi d'Espagne.
Une plume catholique - nous ne savons si elle était gantoise -
écrivit à ce moment les vers d'une chanson satirique où, s'adressant
à « Lieven :) tLiécin, le nom sous lequel on connaissait les Gantois),
on prophétisait, malgré tout, la fin prochaine:
(211) Le magistrat de Gand à Farnèse, 26 mai 1584 {A. G. R" Copies de Simancas,
vol. 16, non folioté)...·
(212) Libro de las cosas ae Flandes, fO 258vo; Liber relationum, fo 145.
(213) VAN VLOTEN, NederU~ndsche Geschiedzangen, t. II, pp, 289-290.
216
PL. XIII
CHAPITRE XII.
1(1)Dans une lettre à Marnlx, van den Tympel reconnaît qu'il n'a plus « aucune
estouffe »; il ûul demande s'il ne voudrait pas mieux traiter avec Farnèse « pour retenir
en partie la religion, si on n..e peut la maintenir du tout. La consclenoe permet-elle d'en-
tralner le peuple au préoipioe de tous -les malheurs? ÎI (KERVYN DELETTENHOVE, Les Hugue-
nots et les Gueux, t. VI, p. 573). nans une lettre à Des Pruneaux, van den Tympel parle
de « ce peuple, qui se commence à ennuyer de noz longueurs » (MULLERet DIEGERlC'K"
o. c., t. V, p. 707),
(2) Foreign Calendar, Elisabeth, 1583-1584, n° 40.
217
m'ayant remis soubs le joug du devoir, dont nous sommes obligés à
la patrie. » (3)
En janvier 1584,Marnix avait essayé de surprendre Lierre, après
avoir noué des intelligences avec un capitaine de la garnison de cette
ville. TI était parti d'Anvers avec 800 fantassins et trois cornettes
de cavalerie, pour se présenter devant Lierre pendant la nuit. Mais,
étant donné la pluie torrentielle sous laquelle se :fitl'expédition et le
retard avec lequel arrivèrent au lieu de rendez-vous plusieurs déta-
ehements de soldats retirés des places de la région d'Anvers, Mar-
nix et ses hommes n'apparurent devant la ville que lorsqu'il faisait
déjà jour. Les Espagnols, avertis de ce qui se tramait, avaient rapi-
dement renforcé la garnison et préparé une embuscade. Marnix, se
rendant compte qu'il s'exposait à un échec,donna à ses soldats l'ordre
de battre en retraite. Les Espagnols se lancèrent à sa poursuite, mais
furent arrêtés dans leur élan par la résistance de l'arrière-garde.
Sous une pluie battante, et par des chemins transformés en bourbier,
'Où il fallut marcher dans la fange jusqu'à mi-jambe, les hommes de
Marnix parvinrent à regagner Anvers (4).
Lors du baptême de Frédéric-Henri de Nassau à Delft, le 12 juin
1584, Marnix assista au banquet donné à cette occasion. Le Taciturne
y avait convié son ancien confident pour s 'y entretenir avec lui des
affaires de la généralité ». En présence de Martini, greffier d'An-
(j;
(5) TH. JUSTE, Guillaume le Taciturne, pp. 33'4-335; Libro de las cosas de Flandes,
ro fl59; MOTrLEY, Histoir.e des Provinces-Unies des Pays-Bas, trad. Rordy, 1l. I, pp, 188-190.
218
internationale s'était également éclaircie, à la suite de la mort du duc
d'Anjou, survenue à Château-Thierry, le 9 du même mois (6).
Le prince de Parme estima que 1'heure était venue de faire les
préparatifs pour assiéger Anvers, d'autant plus qu'une partie du
subside des 300.000 écus promis par Philippe II venait de lui par-
venir (7).
Dans le grand plan d'offensive de Farnèse, Anvers était le point
de mire principal. Réservant pour plus tard la prise d'Ostende,
parce qu'il n'avait pas à sa disposition une flotte suffisante pour
empêcher celle des rebelles de ravitailler la place et d'y débarquer
des renforts, il devait 'concentrer ses efforts contre l'espèce de qua-
drilatère de villes fortes, constitué par Gand, Anvers, Malines et
Bruxelles, dont Termonde et Vilvorde étaient comme des positions
d'appui secondaires.
Gand étant bloquée 'par les forces qu'il avait disposées dans les
environs, il prit la décision d'attaquer directement Anvers. En met-
tant le siège devant cette ville, il rendait par le fait même très difficile
le ravitaillement de Malines et de Bruxelles et pouvait empêcher.
toute expédition de secours vers ces deux places. En coupant toute
communication entre Anvers et Gand, il aggravait encore l'isolement
dans lequel cette dernière ville venait d'être mise. En somme, toutes
les opérations militaires qu'il avait menées jusqu'ici n'avaient été,
dans son esprit, que des travaux d'approche en vue de se rendre
maître de la métropole commerciale des Pays-Bas (8).
L'arrivée de nouvelles troupes venait à point pour lui permettre
de réaliser ses plans, que la dispersion nécessaire des forces dont il
disposait n'avait pas permis jusqu'ici d'exécuter. En effet, une partie
de son armée occupait les villes et les forteresses conquises depuis
1579. Une autre partie guerroyait en Frise, sous les ordres de Ver-
dugo et de son lieutenant, Jean-Baptiste de Tassis. Le comte d'Arem-
berg et Don Juan Manrique soutenaient avec leurs troupes les efforts
du prince archevêque de Cologne, Ernest de Bavière, dans l'Électorat.
(6) KEllVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. VI, pp, 527-528,
(7) Farnèse à un mlnistre du Roi, Tournai, 16 juin et Bruges, 2 juil1et1584 (8. N. P"
ms . espagnol 182, fO. 372vO et 373'0).
(8) P. FEA, 0, C" p. 171. - « Spero ottenerlo etgli altri che dependono da esso come
saria d'Anversa, Bruseües, vûvoroe, et flnalemente Malines, 'I'erremonda et Gante.i., ~
Lettre de Farnèse,'Beveven, 26 jumet 1584 (A, F, N" Carte farnesiœne, Puuuira, rasoto
1707), - « Que es de tanta tmportançla pm atajarse de una vez no solamente a Anveres,
que es la oabeça y que tanto convjene procurar OiPrimar_., mas Mallnas, Vilvorde, Brusse-
las y 10 de mas", ~ Farnèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 jull1et 1584 (8, N, POl ms,
espagnol 182, r- 374··).
219
bans la province de Gueldre et la région de Zutphen évoluait la cava-
lerie dAppio Conti et de Biagio Capizucchi (9). Dans les provinces
wallonnes, et plus particulièrement l'Artois et le Hainaut, le régiment
du marquis de Renty surveillait les mouvements des Français et
parait aux coups qu'essayait de porter Balagny, le gouverneur de
Cambrai. TIne restait, comme armée en campagne disponible pour la
Flandre et le Brabant, que quatre terçios et quelques compagnies (10).
Les nouveaux renforts qui arrivèrent au début de juillet 1584 aux
Pays-Bas comprenaient 700 cavaliers et 6.000 fantassins espagnols
et italiens (11). Comme les trois terçios partis d'Espagne n'étaient
pas à effectif complet - nous l'avons dit plus haut -, Farnèse
regroupa toutes les forces disponibles de son armée de campagne et,
au lieu des sept terçios qu'elles auraient pu constituer, en forma cinq.
L'ensemble de ces troupes ne dépassait pas 10.000 fantassins et 1.700
cavaliers (12). C'est avec cette petite armée qu'on allait entreprendre
le siège d'une des plus grandes et des plus fortes villes existant alors
en Occident.
* * *
A cette époque, Anvers avait un circuit de cinq milles, dont les
trois quarts sur terre ferme (13). Elle était entourée d'un système de
murailles en pierres de taille, pourvu de dix gros bastions qui se
flanquaient les uns les autres. Devant les remparts s'étendait un
fossé large et profond, alimenté par les eaux de l'Escaut. Ce système
(9) Correspondance d'Apple Conti avec Farnèse, avril 1584 (A. F. N .. Carte [arnesume,
Fumara, fascio 1670).
>(10) S'fRADA, o. c., t. IV, p. 2,
o(U) A la têtJe de ces troupes de secours se trouvait le veedor général D. Pedro de
Tassis. Elles comprenalent une compagnie de chevau-légers sous D. Diego Sarmiento, une
compagnie de lanciers, sous Antonio de Montuya, une compagnie de chevau-Iégers italiens
et albanais sous Juan Vicencio ; lieux compagnies de Janciers sous D. Luis de Castro et
Felipe de Seria. L'infanterie espagnole était répartle entre trois terçios, celui du maître
de camp D. Lopez de Pigweroa, celui du maître de camp Agustln Iûiguez, celut du maître
de camp D. Francisco de Bobadilla. Il y avait dieux cornpagnles d'infantlerie italienne,
sous A.lfonso de Tassis et. Solplon Vitale de 'I'assis, de 400 hommes chacune (Libro de las
cosas de Plandes, fo 259).
(12) STRADA, o. C., 100. cit, - Farnèse, dans une Iettre au cardinal Farnèse, datée de
Beveren, 26 juillet 1584. affirme lui-même que pour entreprendre le slège d'Anvers,
il ne lui reste que 10.000 hommes disponibl-es. {A. F. N., Carte [ornesume, Euuuira, fascio
1707). - « No me halle en todo condiez mill nombres en campana» (F'arnès'e à un minis-
tre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584, dans B. N. P., ms. espagnol 182, loc, cU.).
(13) A cette époque, Anvers devait compter près de 100.000 habitants. Une relation
Italienne, contempora1ne du siège, conservée à. la Bibliothèque ambrosienne de Milan,
signale qu'il y avait dans la ville plus de 50.000 hommes de 25 à 50 ans. (Correspondance
du cardinal de Granvelle, t, XII, p. 348). C'est au chiffre de 100.000 habitants que s'a;rrêtie
aussi MOTTLEY, Histoire des Provinces-Unies des Pays-Bas, t. I, p. 191.
220
de fortification avait été construit sur les ordres de Charles-Quint,
en 1543. Au Sud de Dette enceinte, qui prenait la forme d'un arc de
cercle, dont la corde était formée par le rivage le long de l'Escaut
- le W er] -~ se dressait la citadelle pentagonale que le duc d 'Albe
avait fait construire en 15,68 et qui était un modèle du genre.
Le long des deux rives de l'E.,;c,aut s'échelonnaient, principale-
ment au Nord de la ville, des travaux de défense extérieurs très bien
conçus et, à première vue, imprenables. Sur la rive gauche du fleuve,
en race de la ville, une forte redoute bastionnée couvrait celle-ci du
côté de la Flandre. Au Nord de la place, l'Escaut était jalonné, le long
des digues qui couraient à droite et à gauche du fleuve, de toute' une
série d'ouvrages fortifiés : sur la rive gauche, les forts du Doel, de
Liefkenshoek et de Toulouse; sur la rive droite, ceux de Lillo, du
Boerschans et du Boerinnenschans. Un système d'écluses permettait
d'inonder une grande partie de la région au Nord d' Anvers, de façon
à empêcher l'approche de l'ennemi par voie de terre et à faciliter à
des navires sans grand tirant d'eau et à des barques plates le ravi-
taillement de la place (14).
Aussi, lorsque le prince de Parme avait soumis à son conseil de
guerre le projet d'assiéger Anvers, la plupart de ses officiers
l'avaient éeouté vavec stupéfaction. TI n 'y eut que Mondragon et
Camillo Capizucchi qui, connaissant l'ingéniosité de Farnèse, n'éle-
vèrent point d'objections. Tous les autres, aussi bien les officiers
flamands que les officiers espagnols et italiens, estimèrent que leur
chef allait témérairement risquer sa rêputation dans une entre-prise
inexécutable. Lrarmée n'était-elle pas trop petite pour assaillir la
ville à la fois du côté du Brabant et du côté de la Flandre? Comment
fermer l'Escaut et empêcher le secours qn 'on enverrait, par le fleuve,
de Hollande et de Zélande? Comment aussi, sans flotte, résister effi-
cacement à Pescadre de l'amiral Treslong, dont on avait déjà pu
mesurer l'audace et l'esprit d'entreprise? N'Mait-il pas contraire à
tous les principes de l'art militaire de laisser derrière soi des 'forte-
resses comme Gand, Termonde, Bruxelles, Malines, Vilvorde, insuffi-
samment masquées, et dont pouvaient partir à tout instant des expé-
ditions destinées à troubler les travaux du siège et à mettre en péril
toute l'entreprise? (15).
{14) Cu. TERLINDEN, Le siège d'Anvers par Alexandre Farnèse, Loc. cit., pp. 6-7.
(Hi) SrnAnA, o. C., t. IV, pp. 3-5.
Le prince de Parme, en exposant au conseil son plan d'attaque,
réussit cependant à convaincre les plus sceptiques. Le siège d'Anvers
fut décidé (16).
;; * ;;
Farnèse, qui avait dans Anvers même un certain nombre d'es-
pions qui le renseignaient régulièrement sur ce qui se passait dans
la ville, savait que les défenseurs hésitaient en ce moment à exécuter
les mesures indispensables de défense que le prince d'Orange avait
exigées dans son entretien avec Marnix et le greffier Martini à Delft.
Le Taciturne, qui avait appris de bonne SOUTce- car son ser-
vice d'espionnage était encore mieux organisé que celui de son
adversaire - quelles étaient les intentions du prince de Parme, avait
démontré à Marnix et à Martini la nécessité urgente de prévenir la
surprise que les Espagnols préparaient. TI exposa à ses interlocuteurs
qu'Anvers se trouvant sur un cours d'eau, l'ennemi pouvait jeter
un pont sur l'E'seaut et fermer ainsi le passage à toute expédition
deseeours ou de ravitaillement. Farnèse navait-il' pas barré [a Meuse
lors du siège de Maeetricht l N'avait-il pas coupé tout de suite Bruges
et Gand de leurs communications avec la Hollande et la Zélande'
Mais, s'il n'était pas impossible de jeter un pont sur l'Escaut, il
était cependant certain qu'on ne pouvait en jeter un SUTune mer
ou sur un océan. Or, on pouvait transformer la région entourant
Anvers en une nappe d'eau très étendue, dont la présence rendrait
impossible l'exécution du barrage que Farnèse avait en vue. Isolée
comme sur une île par suite des inondations qu'on provoquerait,
Anvers garderait ses communications libres avec la Hollande et la
Zélande et serait imprenable.
Les basses terres des bords de l'Escaut étaient protégées contre
l'envahissement de l'eau par un système très complet de digues, qui
s'échelonnaient le long des deux rives du fleuve jusqu'à l'embouchure
de celui-ci. D'autres digues Muraient obliquement à travers les pâtu-
rages de Flandre et de Brabant pour les préserver de toute inonda-
tion possible. Une des plus importantes de ces digues était le Blauw-
garendijk au nord d'Anvers. Entre le Blauwgarendijk et la ville
s'élevait une contre-digue, le Kouwenstein, qui 'allait rejoindre le fort
de Lillo. Dans la région du Blauwgarendijk le pays était 'bas, rempli
de petites criques et de marécages formés en cet endroit par l'ancien
lit de l'Escaut. Le prince d'Orange fit remarquer que, si on perçait
{16) STRADA, o. C., t. IV, pp, 5-8.
222
le Blauwgarendijk, une telle masse d'eau se répandrait à l'intérieur
des terres que la digue de Kouwenstein en serait elle-même sub-
mergée. Par la nappe d'eau ainsi formée, les flottes de Zélande pour-
raient facilement se frayer un chemin pour amener à Anvers tout le
secours nécessaire. Comment, dans ces conditions, le prince de Parme
pourrait-il employer l'arme de la famine ~
Marnix et Martini, qui prévoyaient l'opposition que cette mesure
de salut public provoquerait de la part de gens uniquement préoccupés
de leurs intérêts particuliers, firent observer qu'on pourrait peut-être
percer, de préférence, la digue de Saftingen, sur la rive gauche, où
les Anversois n'avaient aucun dommage personnel à craindre. Mais
le prince d'Orange persista à recommander le percement du Blauw-
garendijk comme étant la mesure qui s'imposait et la seule effi-
cace (17).
Aussitôt rentré à Anvers, Marnix convoqua une assemblée du
magistrat et leur fit connaître les renseignements et les avis du
prince d'Orange. Beaucoup refusèrent de croire à 1'existence d'un
danger sérieux, mais ils consentirent cependant au percement du
Blauwengarendijk. Marnix se rendit en cet endroit avec quelques
ingénieurs de la ville.
Mais alors se manifestèrent des oppositions farouches, qui
mettent en lumière le défaut capital de l'organisation des grandes
communes des Pays-Bas et qui nous montrent comment la politique
démagogique, suivie depuis si longtemps déjà, avait complètement
vicié l'entendement de la foule et emprisonnait les chefs respon-
sables. La gilde des bouchers d 'Anvers s 'opposa à l'exécution d'es
mesures réclamées par le Taciturne. Ses délégués apparurent à la
réunion du magistrat pour faire observer que dans la région qu'on
voulait inonder paissaient annuellement 12.000 bœufs. Etait-ce la
bonne façon de pourvoir au ravitaillement d 'Anvers que de détruire
ces troupeaux? Quel dommage 'les bouchers n:'alllaient-ils pas en
souffrir L'inond'ation changerait en un désert de sable les belles
î
(22) Lettre de Farnèse au Roi, 15 [ulllet 1584 (Loc. cit.); Libro de las cosas de
Flandes, r- 260'°.
(23) STRADA, o. C" t. IV, p. 9; Libro de las coses de FlCKlides, loo, ctt,
225
extérieurs de la rive gauche du fleuve. Enfin, Pierre-Ernest de Mans-
felt et Mondragon eurent pour mission de gagner la rive droite de
l'Escaut, de contourner Anvers par l'Est et de s'attaquer aux forts
extérieurs de cette rive. ils avaient avec eux 4.500 fantassins et huit
compagnies de cavalerie (24). De sorte que l'ensemble des troupes qui
allaient entreprendre cette tâche difficile ne dépassait pas 8.000 fan-
tassins et 1.200 cavaliers.
Que pouvaient y opposer les Anversois ~
Déjà depuis la fin de 1581, le magistrat d'Anvers avait pris
toutes ses précautions en prévision d'un siège. Par mesure spéciale,
et avec l'autorisation des États de Brabant, tous les habitants, à
l'exception des marchands appartenant aux colonies étrangères,
furent tenus à une contribution hebdomadaire d'une livre de gros
de Flandre au maximum et de cinq sous au minimum (25). En juillet
1582, une escadre de navires de guerre fut organisée, pour défendre
l'Escaut et le Hont, et pour protéger les négociants trafiquant avec
la ville (26). Cette même année, le magistrat fit l'acquisition du navire
de guerre appelé La Fortune et de deux chaloupes, d'un autre, appelé
Le Cocq (Den Haen) , et d"un navire de forme spéciale, appelé
cromsteuen, toujours dans le même but (27). Bientôt s 'y ajouta un
quatrième navire, La riau« (De Trouw) (28). En janvier 1584,
cette flottille fut placée sous les ordres de l'amiral Jacob J MO bsen,
un marin courageux et expérimenté (29).
De plus, depuis 1583, les deux navires de guerre et la chaloupe,
que le bailli du pays de Waes avait à sa disposition sur l'Escaut,
et qui n'avaient pas voulu suivre cet officier publie dans sa trahison,
après s'être échappés de Rupelmonde à l'arrivée des Eepagnols,
étaient entrés au service du magistrat d'Anvers (30). Celui-ci avait
en outre à sa disposition une grande galiote et quelques petites, qui,
en temps de paix,étaient utilisées pour les réceptions et les festivités
sur le fleuve, et qui furent armées dès que Je danger d'une attaque
1(24) STRADA, O. C., t, IV, PP. 9-10. - Pour tout ce qui concerne le siège d'Anvers, nous
renvoyons au livre de F. BARADO y FONT, SUio de Amberes 158"-1585, et plus particu-
lièrement aux pages 184-320.
'(25) P. GÉNARD, Rekening van de verdediging der Schelde qeâuretute het beleg der
stad in 1583-85, dans Verslagen en medeàeelingen der Koninklijke Vlaamscttë A ka-
demie, 1895. pp. 449-453.
{26) P. GÉNARD, O. C., loc. cit., pp, 453-473.
{27) P. GÉNARD, O. C., ûoc. cit. pp, 473svv.
(28) P. GÉNARD, O. C., IDe. cit., p. 479.
(29) P. GÉNARD, O. C., IDe. cit •• pp. 483 svv,
(30) P. GÉNARD, o: C., loc. rot•• pp. 497 svv •• 510.
226
ennemie se dessina, à la suite de l'occupation du pays de Waes par le
prince de Parme (31). Un nombre assez considérable de barques
furent employées pour améliorer le service de surveillance sur
l'Escaut. Enfin, en octobre 1584, un nouveau navire de guerre,
Orange (Den Orange), vint renforcer l'escadre de Jacobsen (32).
Dans la ville se trouvait une forte garnison de soldats français
sous le sieur de 'I'êligny, fils de La Noue, et de soldats anglais, S011S
les ordres du colonel Balfour. Pour augmenter le nombre de ces
troupes régu'lières, le magistrat d'Anvers envoya le sieur de Gryse
à Londres} pour solliciter le secours d'Élisabeth et pour lever dans ce
pays, aux frais des consistoires wallons et flamands de la Grande-
Bretagne, 1.500 Anglais. Le sieur de Pré fut envoyé en France pour
en ramener un nombre égal de soldats français. Dans le pays même,
les Anversois avaient réussi à réunir 80 enseignes de gens de pied et
16 cornettes de cavalerie, soit en tout quelque 8.000 à 9.000 hommes.
Il fallait y ajouter, enfin, les 80 enseignes de la milice bourgeoise et
les corps spéciaux ou serments, c'est-à-dire encore 7.000 à 8.000
hommes. 'I'outefois, exception faite des serments, groupant des
hommes exercés et aguerris, et de l'enseigne, appelée « Ies jeunes
compagnons » - élite de la jeunesse anversoise -- cette milice bour-
geoise n'était pas capable de tenir tête, en rase campagne, aux régi-
ments de Farnèse.
On pouvait encore compter sur le concours des « rebeHes » du
Nord, dont les forces étaient concentrées à Berg-op-Zoom:
6 enseignes d'infanterie et 16 cornettes de cavalerie, commandées par
le comte de Hohenlohe et le sieur de Villers. Enfin, ce qui était parti-
culièrement important, dans le Bas-Escaut se trouvait une forte
escadre hollando-zélandaise, sous les ordres de l 'amiral Treslong (33).
Cependant, les chefs des rebelles ne pouvaient être comparés à
Farnèse. Marnix, le bourgmestre d' Anvers,était un rusé diplomate
et un fin politique, mais il ne possédait point de qualités guerrières.
L'amiral Treslong, vieux gueux de mer, qui avait pris part à la
prise de la Brielle sous le gouvernement du duc d 'Albe, était, certes,
un marin hardi, mais il était très indiscipliné. il avait toujours
désapprouvé l'alliance avec Anjou, et comme il savait que Marnix
227
restait partisan de cette aUiance, il ne le portait point dans son cœur.
TI ne montrerait aucun empressement à exécuter les ordres reçus
pour secourir Anvers (34).
Quant au comte Philippe de Hohenlohe} noble allemand d'an-
cienne lignée et de rang princier, c'était un vrai ty,pe de soudard,
brave jusqu'à la témérité, se battant pour le plaisir, mais souvent en
état divresse complète. TI ignorait la discipline et manquait totale-
ment de Té-flexion(35). Seul Téligny, le fils de La Noue, qui avait
hérité des remarquables qualités de son père, et l'Anglais B.alfour,
vieux capitaine expérimenté, étaient des adversaires qu'il ne fanait
pas dédaigner.
228
"CI
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~
......,
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VUE D'ENSEMBLE DElS INONDATIONS PROVOQUÉES PAR LES DÉFENSEURS D'ANVERS
Plan dressé par I'arctutccte Le Poivre
(Ms. 19611 (le la 'Bibliolhèque Royale de Belgique, fo 61.)
;...- ....•. _.-
229
la garnison avant que le fort ne fût assailli. Ils réussirent à y faire
entrer l'enseigne d'élite des « Jeunes compagnons» et environ cent
hommes des serments i ils envoyèrent chercher du secours à Ter-
monde et à Terneuzen; une enseigne de Français sous les ordres du
capitaine gascon Gau réussit à se jeter dans la redoute à la dernière
minute. Enfin, quatre enseignes d'Ecossais furent rappelées en hâte
d 'Hérenthals et vinrent grossir le nombre des défenseurs. Téligny
prit la direction de la défense"
Malgré de furieuses sorties faites par les assiégés, Mondragon
réussit à hisser sur la digue un certain nombre de pièces d'artillerie)
qui bombardèrent le fort. Celui-ci reçut bientôt d'Anvers, par
l'Escaut, deux canons de gros calibre, qui se mirent à contrebattre le
feu des Espagnols. Un essai de pénétrer dans la redoute par la brèche
y pratiquée à la suite du bombardement ne réussit point. Enfin, les
assiégés ouvrirent les écluses voisines. L'eau de l'Escaut pénétra
à l'intérieur des terres et isola complètement Ies vasaaillants, qui
se réfugièrent sur les digues. La retraite était devenue inévitable.
Dansees circonstances tragiques] les soldats de Mondragondonnè-
rent toute la mesure de leur sang-froid et de leurcourage, A travers
l'inondation, ayant de l'eau jusqu'aux épaules; ils roulèrent leurs
canons à la vue de l'ennemi et parvinrent à gagner le village de Sta-
broek, où le prince de Parme leur avait donné l'ordre de se retirer.
L'aventure leur avait coûté quelque 250 hommes et la perte de deux
valeureux capitaines, Luis de Tolède et Pedro de Padilla (45).
Farnèse fit non seulement occuper Stabroek par Mondragon,
mais aussi les villages de Berendrecht et de Zantvliet, et construire
des redoutes autour du fort de Lillo pour l'isoler : à Oordam, à la
jonction de la contre-digue de Kouwenstein et sur le Blauwgarendijk.
On pouvait espérer qu'ainsi, coupés de toute communication avec
Anvers et avec la Hollande et la Zélande, les défenseurs de Lillo ne
tiendraient plus longtemps (46).
Entretemps, un événement important venait de se produire en
Campine. Pour secourir Lillo, les États avaient retiré la garnison
écossaise d 'Hérenthals et confié cette ville à la garde des habitants.
L'officier italien Nicolo Cesis, qui avait été avec Farnèse à la bataille
(45) Farnèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (B. N. P., ms, espagnol 182,
fo 374vO); Mondragon au prince de Parme, camp de Lillo, 19 'et 20 juillet 1584 (A. F. N.,
Carte tarnesume, Fiandra, fascio 1657); P. BOR, O. C., 2" 3tuk, fo 468; E. VAN METEREN,
0, c., fo 231; STRADA, 0, c., t. IV, pp. 13-14.
{46) E. VAN METEREN, a C., fo 231; P. 'BOR, O. c; 2· stuk, fo 468,
230
de Lépante et à celle de Steenbergen, et qui parcourait en ce moment
la région à l'Est d'Anvers avec une partie de la cavalerie légère,
profita de cette circonstance. Il noua des intelligences avec les habi-
tants de la ville et parvint à se faire ouvrir les portes de la place (47).
De sorte que, par cette acquisition imprévue, les troupes de Mondra-
gon se trouvaient merveilleusement protégées sur le flanc droit et
n'eurent plus aucune crainte de surprise du côté de la Campine.
Si l'attaque des positions avancées de la rive droite de l'Escaut
avait subit momentanément un échec, par contre, sur la rive gauche,
le marquis de Richebourg atteignit rapidement ses objectifs.
Le6 juillet, Richebourg, accompagné des maîtres de camp Pedro
de Paz et Mario Cardoino et de leurs terçios, ainsi que des enseignes
d'Anglais qui s'étaient enrôlés dans l'armée de Farnèse après la
prise d'Alost, attaqua les forts de. la presqu'île de Doel, la plupart
bâtis sur la digue qui courait le long de cette presqu'île. Celui de
Saint-Antoine, surpris à l'improviste, se rendit. Celui de Ter- Venten,
à l'approche des Espagnols, fut abandonné par sa garnison. Les
soldats de Richebourg se dirigèrent alors vers celui de Liefkenshoek,
construit sur la digue même qui bordait l'Escaut. TI était garni de
800 hommes et bien pourvu d'artillerie. Le trompette que Richebourg
envoya aux occupants de ce fort, pour les sommer de' se rendre, fut
ignominieusement renvoyé. Les Espagnols installèrent alors leurs
batteries, mais ne purent passer à l'attaque. Sur ces entrefaites,
Farnèse arriva lui-même de son camp de Beveren et fit offrir une
dernière fois des conditions avantageuses de reddition. La réponse
fut, encore, négative. Impatienté, et craignant l 'êehec de ses plans, le
prince de Parme ordonna alors de passer à l'assaut et d'emporter la
position; les soldats reçurent comme instruction de ne point faire de
quartier . Une première attaque fut énergiquement repoussée par les
défenseurs. Les soldats italiens se firent alors précéder de chariots de
foin humide, auquel ils mirent le feu. Un vent violent poussant la
fumée vers les assiégés et les aveuglant, les assaillants en profitèrent
pour se lancer en avant. Ils pénétrèrent dans le fort et taillèrent en
pièces la majeure partie des occupants. Certains de ceux-ci furent
atteints et tués au moment où ils fuyaient sur la digue de l'Escaut,
d'autres se noyèrent en voulant se sauver à la nage. Deux barques
armées s'étant portées à leurs secours, l'une d'entre elles fut prise,
l'autre s'échappa au milieu d'une volée de coups darquebuse, Confor-
{47l STRADA, o. c.• t. IV, pp. 14-15; CARNERO, Historia de las guerras civiles .•., p. 18:1,
231
mément aux ordres donnés, les prisonniers furent tous massacrés ou
noyés. Le vaillant commandant du fort, Jean Pettin, natif d'Arras,
fut tué de la propre main du marquis de Richebourg. S'il faut en
croire l 'historien van Meteren, qui donne la version du parti des
États, Farnèse se serait montré très irrité de cette cruauté et l'aurait
reprochée au marquis, lui disant: Troppo cotera, signor marchese,
èquesta! (c'est trop de colère, marquis 1) (48). Les pertes de la garni-
son se chiffrèrent à 400 tués et environ 200 noyés. Dans le fort, les
Espagnols trouvèrent sept drapeaux et uneconsidéra'ble somme
d'argent. La veille de l'assaut, en effet, les commissaires payeurs
d'Anvers étaient venus distribuer la solde à la garnison (49).
La même nuit, les troupes de Richebourg marchèrent vers les
forts situés plus au Nord dans la presqu'île de Doel, celui de Den
Oort et celui de l'écluse de Saftingen. Ils trouvèrent Den Oort aban-
donné : le commandant du fort avait embarqué son artillerie, tué le
'bétail qui servait au ravitaillement de ses hommes, incendié les
barques amarrées près de la redoute et mis le feu aux munitions. Au
fort de 8aftingen, on fit la même constatation : la garnison s'était
embarquée pour la Zélande,après avoir détruit tout ce qui ne pouvait
être emporté (50).
« La raclée de Liefkensheek a fait Timpression nécessaire» écrit
Farnèse au Roi, le 15 juillet, Il pouvait se réjouir. En peu de jours,
le marquis de Richebourg s'était rendu maître des principales
défenses des Anversois sur la rive gauche du fleuve.
Mais il avait encore un autre motif de contentement. Le jour
même où Liefkenshoek fut pris (10 juillet), Balthasar Gérard tuait le
prince d'Orange à Delft, d'un coup de pistolet.
{48) Farnèse au Roi, Beveren, 15 juillet 1584 (Loc. cit.); Farnèse à un ministre du
Roi, Beveren, 26 juiHet 1584 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 374VO); Liber retauonum,
fe 146; Libro de las cosas de naoaes, fQ 260"0; STRADA, o. C., t. IV, pp. 12~13; E. VAN
METEREN, O. C., fo 468.
(49) Le même épisode est raconté par CARNERO, Historia des las guerras civiles ...,
p. 185, et par CAMPANA, Della guerra di Fumâra, 2a parte, fos 5,fvo_52ro.
(50) Farnèse au Roi, Beveren, 15 juillet 1584 {Loo. clt.) ; Libro de las cosas de rtanaes,
fO. 260vo-261ro; Famèse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (Loc. cit.); STRADA,
o. o., t. IV, p. 13.
232
CHAPITRE XIII.
laissent fouler à deux pieds par les papistes leur, propre frère 7 »
Le bon peuple de Flandre, pour avoir mis en eux son espoir, se
trouve maintenant « sous la cruelle patte de l'Espagnol ».
Hi l'on n'apprécie pas les conseils du prince, on n'a qu'à s'en
prendre à soi-même, car on contraint Guillaume à chercher les moyens
qui se trouvent à sa portée, d'autant plus qu'il n'y a aucune appa-
rence d'en trouver d'autres. « Avant de me critiquer, rétorque le
prince, qu'ils regardent la poutre qui est dans leur œil et non le fétu
qui est en celui d'autrui. Des calomnies et des faux rapports, j'en ai
bien entendu déjà jusqu'ici, mais des raisons solides, point.
» Si les États Généraux me demandent si je vois du secours
ailleurs, je ne puis les tromper : je dis non. »
Les théologiens calvinistes prétendent que l'alliance avec la
France est « contre la parole de Dieu ». Mais, d'abord, tous les
Flamands n'appartiennent pas à la religion réformée. Ensuite, toutes
les raisons du monde ne pourraient convaincre de telles gens. N'a,..tcon
pas vu les théologiens de l'Église wallonne de Nieuport s'exprimer
dans le même sens et parler haut et fort pour exhaler leur méconten-
tement Dès qu'ils virent le trompette de l'ennemi leur adresser
î
une sommation, il n'en resta plus que trois de résolus: les autres
obligèrent la garnison à sortir et se rendirent honteusement.
'Les théologiens calvinistes disent qu'il n'est pas licite de s'allier
avec ceux qui ne 'sont pas de la religion réformée 7 Les textes des
Ecritures qu'ils citent à ce propos n'ont pas le sens qu'ils leur
prêtent. « Je dis plus. Lorsque, par le jugement des États Généraux,
non point assemblés une fois, mais plusieurs fois; non point rapide-
234
ment, mais après mûre dêlibération, 'après avoir cherché partout
ailleurs, après être abandonné de tout le monde et même de ceux de
de la religion réformée ..., quand je dis que par une telle assemblée
une chose serait jugée nécessaire, j'estimerai ce jugement, puisque
aujourd'hui les prophéties ont cessé, n'être autre chose qu'une dêcla-
ration de la volonté de Dieu ».
Et, plein d'amertume, le prince continue :.« De notre temps les
princes d'Allemagne ont conclu une alliance avec le roi de France, la
reine d'Angleterre, le roi d'Ecosse; les cantons suisses en ont fait
autant... Les Polonais ont choisi un roi papiste, les Electeurs un
empereur catholique.; Je ne vois pas que les théologiens écrivent
contre ceux-là. Pourquoi s'adressent-ils à moi et non aux autres » î
235
français, tout serait perdu. Seuls les marchands d'Amsterdam ainsi
que Hooft et ses partisans continuèrent leur résistance. A mesure
que le danger grandit, le prince d'Orange insiste pour qu'on presse
les négociations: «sur son salut éternel », il déclare aux Etats Géné-
raux qu'il n 'y a plus d 'autre moyen d'en sortir; il défend sa poli-
tique auprès d'Elisaheth d 'Angleterre, à laquelle il envoie le colonel
Norris, En avril, les délégués des États apportent de la part d'Anjou
des propositions acceptables: le duc ne refuse pas de prendre comme
lieutenant général le prince d'Orange, qui le remplacerait en son
absence. Comme les gouverneurs de Bruxelles) de Malines et de
Termonde, à l'approche menaçante des soldats de Farnèse, s'étaient
de leur propre autorité adressés au prince français pour en obtenir
du secours, celui-ci leur promet l'envoi d 'une armée de 17.000hommes.
Mais déjà par deux fois Anjou, dont la santé ruinée baissait
de plus en plus, avait été pris de crachements de sang. En prévi-
sion de Ha mort et poussés par le danger grandissant, les États
avaient été jusqu'à décider de continuer, en cas de décès} les négo-
ciations avec le roi de France lui-même. L'une après l'autre, toutes
les provinces jusqu'ici opposées à l'alliance notifiaient au Taciturne
qu'elles étaient prêtes à accéder au traité que l'on préparait. Sou-
dain, le 10 juillet, la nouvelle se répand que le duc d'Anjou vient de
mourir ... Dans son testament, il avait légué au roi de France tous ses
droits sur les Pays-Bas (4).
Cette mauvaise nouvelle ne prit pas le Taciturne au dépourvu :
immédiatement, il se mit en rapport avec Henri III et Catherine de
Médicis pour continuer avec eux les tractations commencées. Il ne
devait pas les voir aboutir. Un mois après le décès de François de
Valois, il suivit celui-ci dans la tombe.
{4) Nous avons suivi Ici l'exposé de BLOK, Wtuem de Eerste, prins van Oranje , t. II,
pp. 200-205.
236
Farnèse des entreprises sur Flessingue, Dunkerque et d'autres villes
en possession des rebelles, mais ses suggestions avaient été reçues
'avec peu de confiance. Le prince de Parme les jugeait inexécutables
et se défiait d'ailleurs de la légèreté et de la fougue du conspirateur.
Celui-ci, après avoir visité le sire de La Motte à Gravellines et, à
Paris, l'ambassadeur espagnol 'l'assis, s'était rendu à la cour de
Philippe II, auquel il proposa de tuer le prince dOrange. Son offre
ayant été acceptée par le Roi, Ordono partit pour Anvers, où le
Taciturne se trouvait encore, mais le complot fut découvert. L'Espa-
gnol fut condamné à mort le 2 mars et exécuté le lendemain (5).
Il n'est pas certain qu'on puisse accepter comme authentique
l'histoire racontée par Bor, van Meteren et d'autres historiens du
parti des États, et d'après laquelle, le 13 avril suivant, on fit périr
à Flessingue un riche marchand, nommé Hansz, qui aurait nourri à
l'endroit du prince d'Orange une haine féroce et qui aurait inventé
plusieurs moyens de le faire périr (6).
Dans l'été de 1583, se place ensuite le complot de Francisco
Paredes. Celui-ci, 'Originaire de Medina deI Campo, en Espagne,
après une querelle qu'il eut à Maestricht avec Francisco de Eraso,
craignant la colère du prince de Parme, avait quitté son maître et
s'était retiré à Cologne. Fait prisonnier, au cours d'un voyage vers
Dusseldorf, par des cavaliers de l'armée des États, il fut emmené à
Utrecht. Le prince d'Orange lui ayant offert d'entrer à son service,
il accepta. Il y avait encore trois autres Espagnole qui, pour des
motifs d'ordre personnel, avaient pris du service dans l'armée des
rebelles : Vanegas, Diego de Fonseca et Diego Alonso.
Soit que le remords les travaillât, soit qu'ils redoutassent une
mort atroce s'ils tombaient entre les mains de leurs compatriotes,
Paredes et les trois autres officiers décidèrent de trouver un moyen
de se faire pardonner leur trahison. Ils imaginèrent de livrer
Flessingue au prince de Parme, et de mettre la main sur le prince
d'Orange et sur Marnix de Sainte-Aldegonde. Paredes, sous pré-
texte de régler en France une question d 'héritage,obtint un passeport
du Taciturne et réussit à approcher à Paris l'ambassadeur espagnol.
Il lui exposa son plan et réclama, comme récompense en cas de
réussite, des lettres de pardon d'Alexandre Farnèse pour lui-même et
pour seatrois compatriotes transfuges. Paredes parvint à inspirer
(7) GACIIARD, o. C., lac. cit., pp. LXXXII-LXXXVII j RÜBSAM, Jnh,ann Baptista van Taxis,
pp. 60-62.
238
le prince d'Orange. Il se rendit même auprès de ce dernier et lui
répéta ces fausses déclarations (8).
C'est au mois de juillet 1584 que se place l'attentat de Balthazar
Gérard.
N,é à VuHlafans, petit bourg dans le bailliage de Dôle, Gérard
était le neuvième enfant de parents très catholiques et très attachés
au Roi. A l'âge de douze ans, il avait révélé son caractère exalté
lorsque, entendant parler des excès des rebelles des Pays-Bas et de
l'appui que leur donnait le prince d'Orange, il avait déclare qu'il
tuerait ce dernier. En 1577, lorsqu'il apprit la rupture entre Don
Juan et les États, Gérard,se trouvant dans une maison particulière
de Dôle, avait lancé avec force contre une porte une dague qu'il avait
en main, en s'écriant : « Je voudrais que ce coup-là eût été porté au
cœur du prince d'Orange! » Depuis lors, il semblait s'être calmé.
L'édit de proscription lancé par Philippe II réveilla sa haine. En
février 1583,il décida de se faire l'exécuteur de la sentence royale et
partit dans ce but pour les Pays-Bas. Arrivé à Luxembourg, il y
apprit la nouvelle de l'attentat de Jauregui et, comme en ce moment
le 'bruits 'était répandu que le Taciturne était mort, Gérard s'en était
réjoui, parce que justice était faite et qu'il ne devait plus s'exposer
lui-même au terrible danger que comportait la tentative. Il s'engagea
alors au service de son cousin, qui était secrétaire du comte Pierre-
Ernest de Mansfelt.
Lorsqu'il apprit que le Taciturne avait échappé à la mort, il prit
la ferme résolution, quel que pût en être le prix, de se faire l'exécu-
teur de la sentence de proscription. Il suivit donc le comte de Mans-
felt à Parmée, pendant les campagnes de 1582 et de 1583, espérant
toujours qu'un jour le camp espagnol s 'approeherait assez près de la
résidence du prince d'Orange pour qu'il pût mettre son projet à
exécution. Mais après la reddition de Diest, le 26 mai 158il, Mansfelt
avait abandonné sa charge de maître de camp général et avait regagné
son gouvernement du Luxembourg. Ce fut pour Gérard une forte
déception. TI essaya, par tous les moyens) de s 'êehapper de son ser-
vice, mais sans y réussir.
(8) Voir la correspondance entre Je marquis de Richeboutg et Farnèse, publiée par
GACHARD,Correspoïuionce de Gutllaume le Taciturne, t, VI, pp. 121-125. La version des
historiens des Etats, chez Bor 'et van Meteren et dans la: Relation officielle de l'assassinat
du prmce d'Orange, publiée par GACHARD,o. C., loc. clt., pp. 129-'131. Le capitaine Gotte
mourut en juin 1584 d'une blessure reçue lors d'une sortse faite par la garnison de Lillo.
Voir aussi la version flamande de I'atratre, publiée par P. FREDERICQ,Het nederlandsch
proza in de zeetienaeeuussctie pamfletten, 100. oit., pp. 198-200. ElILereprésenté les faits
comme BOr et van Meteren.
239
En mars 1584, il n'y tint plus. Il abandonna sa charge à l'insu du
comte de Mansfelt etraeonta à 'son cousin, qui voulait l'en dissuader,
qu'il allait se rendre en Espagne. Des scrupules l'ayant assailli en
route, pendant son voyage vers les Pays-Bas, il alla trouver le régent
du collège des jésuites à Trèves et lui fit connaître le secret qu'il
gardait depuis si longtemps.
Ce jésuite, à en croire la confession faite par le meurtrier, aurait
essayé de le dissuader d'exécuter son projet) à cause des périls aux-
quels il allait s 'exposer et lui aurait dit que, pour le reste, lui et ses
confrères de la compagnie de Jésus n'aimaient pas de se mêler de
telles affaires (9). Il lui conseilla aussi de se mettre en rapport avec
le prince de Parme, ce qui n'est pas étonnant, étant donné la protec-
tion que celui-ci accordait aux jésuites des Pays .... Bas.
Gérard se rendit donc à Tournai, à la cour du prince. Il y arriva
le 21 mars 1584 et fut reçu. il remit à Farnèse un écrit, où, exprimant
son étonnement de ce que, depuis la tentative de J auregui, plus aucun
vassal du Roi n'eût repris cette tentative pour son compte, il annon-
çait sa décision inébranlable de l'entreprendre lui-même. IIne s'expli-
quait pas sur le plan qu'il avait conçu, mais il offrait de le faire
connaître à Farnèse, si celui-ci approuvait son entreprise.
Au début, le prince de Parme n'attacha pas grande importance
aux propositions de Gérard : celui-ci, petit de taille et frêle, ne sem-
blait pas appelé à exécuter un coup si difficile et de telle impor-
tance (10). Mais, fidèle à sa coutume et ne se décidant qu'après
examen sérieux, Farnèse chargea le conseiller d' Assonville de sou-
mettre le conspirateur à un interrogatoire serré. Cette enquête fut
concluante. Aux objections que fit d'Assonville, Gérard avait vieto-
(9) D'après le récit officiel du meurtre, rédigé par Pierre Loiseleur de Villiers, le [ésuite
de Trèves aurait encouragé Gérard et iJui aurait promis de prier pour lui. La confession
authentique de Balthazar Gérard ne dit point pareille chose. Nous nous en tenons à ce
qu'elle dit, car nous sommes oonvaincu que Villrers, dansJ.e récit officiel du meurtre,
a fait les mêmes Interpolations que celles qu'il pratiqua au sujet des déposltious du
Père '!1emmerman lors de l'attentat de 1582 (Cfr A. DE MEYER, Le procès de l'attentat
commis contre Guillaume le Taciturne, prince d'Orange, déjà cité). La question mérIterait
une étude approfondie, Ge n'est pas Ici I'endroit pour la faire. Voir surtout BAKHUIZENVAN
DEN BRINK, De confessie van den moordenaar, dans Cartons voor de geschiedenis van den
Nedertandschen Vrijheidsoorlog, 2· partie, pp. 213-248, et R. FRUIN, De ouâe verhalen
van den moord op prins Wiltem l, dans De Tachtigjarige Oorlog, [t. II], pp. 147-2i9.
Ces deux auteurs ne' sont pas du même avis au sujet du passage concernant le jésuit~
de Trèves et Ie frère Ghéry.
(10) « Ledlot jeusrre homme., passé trois ou quatre mots, m'avait communiqué sa
résolution, de laquelle, pour dire la vérité, je tenols peu de compte, pour ce que la dispo-
sitioo du personnalge ne me semblott promettre emprmse de. st grande importance... ~
Farnèse au Roi, 12 aoüt 1584 (GACHARD,o. C" loc, clt., p. 200), - c De que, al pelnclplo
240
œieusement répondu et avait montré une détermination tellement
farouche qu'il n'était pas possible de ne pas le prendre au sérieux. Il
avait affirmé avec force qu'il avait offert à Dieu le sacrifice de sa vie,
afin de venir à bout de ce « monstre et peste publique » et que, s'il
pouvait débarrasser le pays d'un tel tyran, il souffrirait volontiers
le martyre. Il était absolument convaincu que Dieu l'avait choisi
pour être l'exécuteur de la sentence de Philippe II : aussi rien ne
pourrait le détourner de son entreprise.
'Farnèse comprit que, cette fois, il avait devant lui l'homme
capable de le débarrasser du Taciturne" Il le fit exhorter à persévé-
rer dans son dessein et lui fit garantir, par d'AssonviHe, pour lui ou
ses héritiers, les récompenses promises par l'édit de proscription.
Puis, il le laissa partir (11).
Nous n'avons pas, à exposer id en détail tous les développe-
ments ultérieurs de cette affaire, qui sont d'ailleurs connus. Seule, la
fin importe, et la voici.
Après avoir manqué une première fois l'occasion de tuer le
prince d'Orange, auprès duquel il avait réussi à se faire introduire,
à Delft, il fit une seconde tentative, le 10 juillet 1584. Il se procura
un pistolet et résolut de tirer sur le Taciturne, soit lorsqu'il se ren-
drait au prêche, soit quand il irait se mettre à table pour dîner, ou
en sortirait. Il alla se poster au Prinsenho], près de la porte de la
salle où le prince prenait son repas.
L'assassin avait pu s'entretenir quelques instants avec Orange
avant le dîner et lui avait demandé la délivrance d'un passe-port dont
il avait besoin. Lorsque Guillaume reparut après le repas} Gérard,
ISOUS prétexte de lui rappeler sa requête, s 'avança. Sortant alors de
Le Libro de las cosas de FlWtdes dit: « Lo que puedo certiûear es que en dicho Balthasar'
Gerardo fue a hablar al Principe !dieParma y a darle cuenta de 10 que tenia determlnado
y aunque al prtnclpro dudo deque pudiese saltr Don su intincton, Inrorrnado quien era 10
encamlno a nazer el effecto ...» (F' 261").
;(H) Nous avons utilisé, pour raconter cette première partie de l'histoire du complot,
l'exposé de GACHARD,O. C., 10c. clt., pp. XC-X:OIX 'et les documents publiés par celut-oi,
ibidem, pp. 126-201. Il semble que le prince {je Parme se rendit compte qu'en ordonnant
à Gérard d'exécuter l'attentat, il aurait commis une action dont lé caractère devait lul
répugner. D'après la confession de Gérard, i'l aurait fait dire au conspirateur « qu'il
ne I'accuserolt point s'il en fus-i'aJtta·lnct sur le falot, puisqu'il ne Iuy commandoit à ce:
faire, mais s'il le felst, que ce fust in nomme domini :Ii (BAKKUIZENVANDEN BRINK, O. G,
lac. clt., p. 244).
241
.A. l'instant même, le prince d'Orange se sentit frappé à mort.
Chancelant, il eut encore la force de murmurer: « Mon Dieu! ayez
pitié de mon âme! Mon Dieu, ayez pitié de ce pauvre peuple ».
Transporté sur un lit dans la salle à manger, H y rendit bientôt le
dernier soupir (12).
(12) GACHARD,O. C., 100. cit., pp. CVI-CIX. IiI. n'y a aucune raison de douter de l'au-
thenticité des dernières paroles attribuées au prince. Voir A. A. VAN ScHEINEN, Willem
van Oranje, pp. 286-288, et surtout R. FRUIN, De ouâe verhalen van den moorâ op prins Wil-
lem l, loc. cit., pp. 173-177.
(13) « Havlan ydo ya otoosantes dei [C.-à-d. -Gérard] sdn conoscerlos ni sanerlos
unos de lcsotros, que eran todos Franceses, Loreneses, Ingleses y Escozeses y del pals,
por no poder emplear en seme jante oaso Espafiol ni ltaliano por ser en qualquler hablto
tan oonoscido. ~ Farnêse à un ministre du Roi, Beveren, 26 juillet 1584 (Loc. cit.),
\(14) GACHARD,o. c., 100. clt., p, CLXVII,
242
probablement interceptés (15) : « Dieu daigna opérer que celui dont
on aurait pu l'attendre le moins réussît le coup et qu'ainsi fût abattu
un homme si pernicieux et qui pouvait causer tant de mal à la chré-
tienté, à son saint service et à celui de Votre Majesté ».
Le prince écrit le même jour, dans les mêmes termes, à son père,
à sa mère et au cardinal Farnèse (16). Quelques jours après, il
annonça à Philippe II qu'il prenait des informations au sujet des
père et mère de Balthazar Gérard qui, arrêté après le crime, avait
été condamné à mort et exécuté dans des supplices atroces «J e me
vais informant des parents du deffunt, duquel j'entens les père et
mère estre eneores vivans, pour par après supplier Vostre Majesté
leur faire la mercède qu'une si généreuse résolution mérite» (17).
Hi Balthazar Gérard accomplit son crime pour des raisons où
la cupidité n'eut absolument rien à voir, mais avec la conviction qu'il
débarrassait la terre d'un « monstre », les membres de sa famille
n'eurent point ce désintéressement. Plusieurs frères de Gérard
s'empressèrent de réclamer à Alexandre Farnèse les 25.000 écus et
les lettres de noblesse, offerts par l'édit de proscription de 1580 à
celui qui tuerait le Taciturne ou à ses héritiers. Le prince de Parme
appuya leur requête auprès du Roi, en faisant valoir les considéra-
tions suivantes : 1° il y avait eu promesse solennelle; 2° il fallait
honorer la mémoire du défunt Gérard, puisqu'il avait exécuté son
dessein avec tant de générosité et de détermination, sans se soucier
de la mort; 3° il avait enduré de cruels supplices avec une constance
qui avait suscité l'admiration de ses ennemis eux-mêmes; 4° il fallait
consoler la mère, les frères et les sœurs de Gérard; 5° I'autorité des
princes et l'exemple pour des cas analogues qui se présenteraient
encore dans l'avenir, l'exigeaient ainsi» (18).
'Cependant, le prince de Parme n'avait pas de quoi payer ces
25.000 écus. Il proposa alors de donner l'équivalent en terres, situées
en Bourgogne, et prises parmi celles que le prince d'Orange y avait
possédées, mais qui avaient été confisquées (19).
On eût souhaité pour la gloire d'Alexandre Farnèse qu'une telle
proposition n'eût jamais été faite, Mais n'oublions pas qu'il serait
(15) Ce fut le cas des lettres que Cornelis Aerssens, greffier des Etats Généraux,
envoya, le lendemain de l'attentat, au magistrat de Bruxelles (GACHARD,00 Co, 100. ciu"
op. 186-188 et note).
(16) A. F. No, Carte tamesume, Fiandra, fascio 1707.
(17) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 201.
((8) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 221.
((9) GACHARD,o. C., loc. clt., p. 222,
243
parfaitement erron-é de juger les faits du XVI" siècle avec notre
mentalité d 'aujourd 'hui.
Pour le prince de Parme et ses partisans, pour tous les catho-
liques des Pays-Bas, le Taciturne était un rebelle contre son souve-
rain, qui avait été justement condamné à mort et qui pouvait être
tué sans scrupule (20). Quelle fut l'oraison funèbre que Granvelle
fit entendre après l'assassinat' « Alençon et Orange sont bien où ils
sont» (21). Ce fut tout, et de la part d'un homme qui savait par-
donner à ses ennemis et qu'on ne pourrait représenter comme sangui-
naire, ce bref commentaire est d'autant plus significatif.
Si pour les États Généraux réunis à Delft en 1584, le prince
d'Orange était « ung père de la patrie» (22), pour Farnèse, pour le
parti du Roi (23) et pour les catholiques, il était « un tiran et un
persécuteur» qui « n'avait eu ni repentance de ses fautes, ni com-
passion du pauvre peuple, ni de plusieurs millions d'âmes qu'il avait
envoyés et envoyait journellement aux enfers » (24).
Si l'on veut comprendre, aujourd 'hui, comment un prince che-
valeresque comme Alexandre Farnèse pouvait se réjouir sincèrement
de voir son principal adversaire périr à la suite d'un lâche assassi-
nat, rien de tel que de lire ce qu'on disait du Taciturne dans l'en-
tourage immédiat du gouverneur général des Pays-Bas. Paolo Rinaldi
:20: « Queda dicho an.es corno rue dec.arado por rebelde por sentençta de juezes
competentes el Principe de Oranges, :- condenado a muerte, pero faltava quien la execu-
tase. l> CAR-"TRO,Historia de las querras ciriles._ .. p. 152. - Remarquable aussi, au point
de vue de cette conception, est le début d'une chanson de tendance catholique qui fut
répandue lors de l'assassinat d'Orange. Le voici :
Lof 1 Balthazar Geerarts, die, door Gods providentie,
's Conincks sententie hebt gheexecuteert,
Over den tiran, Oralgne, boas van Inventle,
Wyens resttlentte ln Belgis noch regneert,
(VAN VLOTEN, Neâerlaauisclu: oesctueasonoe»; t, II, p. 285),
(21) ,Compa:l'ez la lettre du nonce d'Espagne, 'I'aberna, au cardinal secrétaire d'Etat
Gallio: « Quattro :gloml sono con molto piacere unlversale s' hebbe nove della morte deI
prtnotpes d'Oranges.; » Madrid, 6 aoüt 1584 (BRaM et HENSEN, Romeinsche bronnen ...,
p. 660. n° 843)_
(22) Expression die la lettre écrite par les Etats Généraux à leurs députés en France,
Delft, 10 [ulllet 1584 I(GACHARD,0_ co, loc. ctt., p. 181).
(23) En J'apprenant, Don Juan de Idlaquez écrit de la COUTdu Roi à Granvelle: « Notre
Seigneur doit vouloir un grand blen à IaFiandre, puisqu'Il a ôté du ohemln I'lnfâme pierre
d'achoppement » {Correspondance de Granvelle, t, XI, p. 58)_
«24) Expresslons reprises à Renon de France, président d'Artois, dans son Histoire
des causes de la désunion, révoltes et altérations des Pays-Bas_ - « Por liberar la patria
de las m'an os de un hombre quebrantador de la fee, y traydor a su Principe, y que con
que achaque y son de liberlad privo de la etema à tantas y tan ynnurnerable multitud
. de animas y à los euerpos de la temporal y btenes de la rortuna. » CAR.NERO, Historia de
las guerras civiles ...• p. 182.
244
nous a laissé du prince d'Orange un portrait qui doit répondre à
l'idée que s'en faisaient les officiers et les soldats de Farnèse.
Le voici :il est tracé sous l 'impression même du moment où lanou-
velle de L'attentat de Gérard arriva au camp de Beveren:
« En ce qui regarde ses actions humaines, le prince d'Orange fut
un des hommes prudents et des grands négociateurs de notre temps.
Très grand par le conseil et par l'esprit, il remplira les siècles
futurs de l'écho de ses actions. Il était de tant de subtilité et d'acuité
d'entendement qu'un homme peut l'être. Il était d'aspect agréable et
très adroit, fort dans l'art de persuader, apparaissant aux peuples
de ce pays, toujours, comme clément et libéral, très étranger à toute
attitude d'orgueil et d'ambition. Il leur démontrait et leur faisait
comprendre que tout ce qu'il faisait, il le faisait uniquement dans
leur intérêt, pour leur liberté et leur repos, afin de les délivrer de
la tyrannie, des rapines et de la licence des ministres du Roi
d'Espagne ... Il modérait l'insolence de ses partisans, usant de bonnes
paroles, intervenant comme médiateur et tenait la main à ce qu'ily ,
eût justice bonne et expéditive. Pour faire punir certains assassins,
il fut très sévère, mais il avait l'art de cacher que ces ordres venaient
de lui. Pour maintenir son hégémonie, il se :fittantôt luthérien, tantôt
calviniste, selon le désir populaire, pour attirer les gens à lui et
toujours il leur fit comprendre qu'il voulait chasser les Espagnols,
que ce peuple des Pays-Bas hait mortellement... Il les a maintenus
en son pouvoir et s'en est fait aimer et estimer selon sa volonté, et
il a fait échec aux forces du Roi son maître, du plus grand et du plus
puissant prince qui soit aujourd'hui en ce monde, et il l'a obligé à
gaspiller un trésor formidable ...
» Toutefois, ces qualités et cette valeur du prince d'Orange ont
été obscurcies par beaucoup de défauts et de scélératesses. Il a
payé par l'ingratitude les bienfaits reçus de l'Empereur Charles-
Quint, qui, d'étranger qu'il était, l'avait fait son vassal et lui avait
donné de grandes richesses et de belles situations, qui avait consenti
à ce qu'il héritât de la maison de Chalon et d'autres familles riches,
'succession qui lui valut la possession de beaucoup de terres que,
sans le consentement de l'Empereur, il n'aurait jamais pu avoir.
Ainsi, il était devenu le seigneur le plus riche et le plus puissant du
pays. Par la suite, le roi Philippe, qui l'aimait, lui avait donné le
gouvernement de Hollande, de Zélande et de Bourgogne, mais la
fortune est capricieuse et fait ce qu'elle veut. Il ne put satisfaire
245
son ambition. A Charles-Quint et à Philippe, il répondit par l'ingra-
titude, en trahissant de façon scélérate. Il se révolta non seulement
contre son Roi et contre le Pontife romain, mais contre le Christ et
ses saints. Par avarice, il a fait dépouiller les églises, voler tous les
objets sacrés. Comme un cruel parricide, il a consenti à ce que les
siens se rougissent les mains en versant le sang de pauvres prêtres
et de religieux innocents, pour s'emparer de leurs biens et de leurs
bénéfices et il a dit qu'on pouvait exercer n'importe quelle religion,
sauf la religion catholique, apostolique et romaine, et qu'on pouvait
vivre à sa guise. Tout cela pour gagner la faveur du peuple. Dans
ce but, il a toujours fait grand cas de la plèbe et des masses pOpUI-
laires, et pas beaucoup de la noblesse, qu'il cherchait il, rendre
impopulaire, pour qu'elle ne pût s'opposer à 'son omnipotence et à
sa dictature.
» En somme, les faits l'ont montré, Orange avait peu de foi et
encore moins de religion, se montrant toujours un ennemi impla-
cable de la foi catholique et de la tranquillité, quoique, dans sa façon
de faire, il parût à tout le monde fort humain et bienveillant, Mais
il trompa la naïveté des hommes, toujours avides de nouveauté,
mettant dans les gouvernements et les administrations ses élèves,
tous mauvais et scélérats, auxquels il d-onnait sa confiance...
;) Il a eu le châtiment d'une mort méritée pour sa propre puni-
tion; le Seigneur n'a pas voulu lui laisser le temps de se raviser,
après lui en avoir donné auparavant tant d'occasions, afin que ses
adhérents et ses compagnons ne pussent s'en réjouir. Ainsi eux et
lui, dans leur mépris de la religion divine et humaine et comme res-
pensables de la mort et des misères de tant d'hommes innocents,
étaient condamnés à encourir le châtiment de Dieu, d'ont la justice
est toujours prête, et qui est l'inévitable fléau des rebelles de cette
espèce. » (25)
'Tels étaient les sentiments et les idées d'un officier italien, fami-
lier de Farnèse, humain et modéré et qui exprime ici, sans aucun
doute, la mentalité de tout l'entourage du prince de Parme. Faut-il
dès Iors s'étonner que ce dernier n'eût pas un mot de regret au sujet
de la mort de celui dont il fut l'ami dans sa jeunesse et qui se dressa
plus tard en face de lui, adversaire redoutable, sur le chemin de la
guerre et de la politique!
2.46
A nos yeux, la joie du prince de Parme à la. nouvelle du meurtre
de Guillaume de Nassau imprime une vilaine tache sur sa mémoire,
mais elle est de son temps (26).
{26) Dans un long rapport à Philippe Il, l'agent pontifical Minutie Minucci dit:
« Alcuni sono in Ftandra, Ii quali, conscii a. se medesimi d'havere troppo sfaociatamènte
oftiesa la maestà dei Re, non solo nella reb elli one, ma in altri fatti e dettl impudentlssLmi
et seeleratlsslmi, diffidano deüa clemeaza di Sua Maestà catolica, como diffidava Cain
et Juda di quella di Dio omnlpotente, non potendo persuadersl che la rniserioordia divlna
fosse maggiore che l'iniquità loro; la qua1e biastema fu di plù grave peccato che non
ru I'amazzare il fralello 0 tradtre Il Salvatore. Capo di questa squadra è Orànges.c;
(BROM et HENSEN, Romeinsche bronnen ..., p. 647, n- 841). - A lire, l'étude très Inté-
ressante de J. S. THEISS'EN, 1Je prins van Oran je in de Nederltuutsclu: geschiedschrijving'
dans Prins Wülem van Oran je, pp. 32i~342.
247
LISTE DES PRINCIPAUX TRAVAUX CONSULTÉS
POUR LA COMPOSITION DU TOME III
C. CAMPANA.
- Della guerra di Fiandra, Vicence, 1002.
ANT. CARNERO,- Historia ide las guerras civiles que haavido en los Estados
de Flandes (1559-1009), Bruxelles, 1625.
249
A. DE ~IEYER.- Le procès de l'attentatcommisconke Guillaume le Taci-
turne, prince d'Orange, 18 mars 1582. Etude critique de documents inédits.
Bruxelles, 1933.
250
V. FRIS. - Histoire de Gand. Bruxelles, 1930.
R. FRUIN.- De oude ver-halen van den moord op prins Willem I,. dans « De
Tachtigjarige oorlog », t. H, P'P. 147-219. La Haye, 1900.
GAOHARD.
- Analectes belgiques, 3" cahier. Bruxelles, 1830,
E. GOSSART.
- Les Espagnols en Flandre. Histoire ,e~poésie. Bruxelles, 1914.
251
KERVY~DELEirTENHOVE.
- Les Huguenots et les Gueux. T. VI. Bruges, 1885.
252
Vicomte CH. TERLINDEN.
- Histoire militaire des Belges. Bruxelles, s. d.
A. A. VANSOHELVEN.
- Willern van Oranje, Haarlem', 1033.
Wilhelmus van Nassouwe, uitgegeven ter gelegenheid van het IV· eeuw-
f eest der geboorte van Prins Willem van Oranje. Middelbourg, 1933.
253
TABLE DES PLANCHES
Pages
L - Alexandre Farnèse Frontispice
(Portrait par G. R. Saive, à. la Pinacothèque de Parme.)
V. - Siège d'Audenarde, . . 72
Attaque du ravelin de la porte de Bruxelles (Est). (Ms. 19611 de la Biblio-
thèque Royale de Belgique, fo 48.)'
256
TABLE ANALYTIQUE DES MATI:mR,ES
Avant-propos 5
.CHAPITRE lor
257
acceptées. - Le 29 novembre 1581, une partie dies troupes de Farnèse occupe les rem-
parts de Tournai, 35. - Les seigneurs wallons vont rendre visite à la prlncesse d'Epinoy
à la citadelle. - Désespoir de la princesse, 36. - Elle refuse toute faveur de la part de
Farnèse. - Son départ. - Elle emporte dans ses bagages des objets du culte et des
meubles précieux. - Sur la plainte des propriétaires, Farnèse fait ramener et restituer
ces objets, 37. - Elntrée victorieuse du prince de Parme à Tournai, 38. - Rôle du prince
pendant le siège. - Importance de la prise de la ville, 39. - Répercussion de cet événe-
ment à Gand, Bruxelles 'et Anvers. - Dislocation de l'armée des Etats, 40. - Discours du
prince d'Orange aux Etats Généraux à Anvers, 41. - Farnèse établit son gouvernement à
Tournai. - Il met fin à l'indiscipline des chefs wallons, 43.
OHAPITRE II
CHAPITRE III
258
CHAPITRE IV
Force des armées en présence en avril 1582. - Décision de Farnèse d'assiéger Aude-
narde. - Raisons de cette décision, 66. - Préparatifs pour l'entreprise, 67. - Elntreprises
de l'armée des États à Lens et Namur. - Surprise d'Alost, 68. - Opérations préliminaires
au siège d'Audenarde, 69. - Arrivée de Farnèse devant la ville. - Force de résistance de
celle-ci. - Opinion de La Noue, 70. - Premières mesures de Farnèse, 7f. - Attaque du
ravelin de la porte de Bruxelles, 72. - Echec. - Le prince de Parme attaque du côté
de la porté de GandJ, 73. - Succès de ces premiers ·efforts. - Farnèse risque d'être tué à
la suite d'un accident, 74. - Les Espagnols se rendent maître du ravelln de la porte de
Gand, 75. - Mutinerie des régiments allemands. - Farnèse, grâce à son courage et son
esprit de décision, y met rapidement fin, 76. - Le siège continue par la sape et la mine,
77. - Un essai local d'assaut ne réussit pas. - Ce qui entretient le courage des défen-
seurs d'Audenarde. - Nouvel assaut des Espagnols, 79. - Ils parviennent à s'installer
sur les murs, mais sont arrêtés par des défenses supplémentaires. - Arrivée au secours
des troupes bourguignonnes de Varernhon, 79. - Découragés, les défenseurs entament les
négociations avec Farnèse. - Reddition d'Audenarde le 5 juillet 1582. - Conditions de la
capitulation. - Entrée triomphale du prince de Parme, 80. - Arrivée aux Pays-Bas des
premiers contingents espagnols. - Leurs eff·ectifs. - Arrivée dé volontaires italiens de
qualité, 81. - Effectifs dé l'armée de Farnès-e vers la fin de 1582., 82. - Annonce d'une
nouvelle invasion des troupes du duc d'Anjou, 83.
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
259
Farnèse va camper près de Messines. - Construction d'Un fort à Haluin, 96. - Projets
du prince d'Orange, 97. - Prise de L'Eoluse par les Français de Cambrai. - Prise 00
Cateau-Cambrésis par Farnèse. - Coup de main des troupes d'Alençon sur Louvain, 98. -
Situation critique des troupes de Farnèse par suite du manque de vivres, et d'argent, 99. -
Souffrances des Espagnols. - Indiscipline et désertions des Italiens, 100. - Farnèse essaie
autant que possible de loger ses trempes en « pays ennemi », lOi. - Siège de Ninove. -
« La faim de Ninove », lOi. - Prise de Ninove et vdes châteaux de Gaesbeek et de
Liedekerke. - Farnèse conduit son armée à Assche. - Nouvelles de l'invasion prochaine
de troupes françaises, sous le maréchal de Biron, 103. - Refus des États' des provinces
réconciliées de laisser les troupes espagnoles loger dans les villes, 104. - Plainte de
Farnèse au RQi, 105.
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
260
Reddition et occupation de Dunkerque, 137. - Importance de la prise de la ville. -
L'armée du prince de Parme marche tout de suite sur Nieuport, 138. - Reddition de
cette ville, 139. - Prise de Menin. - Reddition de DIxmude, 140. - Echec de Mondragon
à Ostende. - La flotte des États et son action, 141. - Reddition de Dixmude. - Comment
s'expliquent ces rapides victoires, 142. - Difficultés financières. - Mission du président
Biohardot en Espagne, 143 - Organisation de l'amirauté de Dunkerque, 144. - Projets de
Farnèse sur Ypres, Bruges et Gand. - N'ayant pas assez de soldats pour les emporter de
force, le prince décide de les bloquer et de les affamer, 145. - Organisation du blocus
d'Ypres, 146. - Farnèse demande au Roi de restituer à son père Ottavio la citadelle de
Plaisance, 147. - La demande reste sans effet, 149. 0-Reddition de Bergues-St-Wmoo, 149.
GHAPI'rRE X
CHAPI'l'REl XI
261
Gand à Tournai, chez le prince de Parme, 197. - Mission de Segura à Gand. - Projet des
Espagnols sur Termonde, 198. - Participation d'Herabyze. - Découverte du complot par
les « Orangistes » et arrestation dHembyze, 199. - Le nouveau magistrat continue les
négociations avec Farnèse, 200. - Négociations avec Bruges. - Charles de Croy, prince de
Chimay, gouverneur de Bruges, 200. - Il est prêt à abandonner les États, 2.02.. - Farnèse
réussit à circonvenir le prince de Chimay, 2.03. - Bruges ,et Gand décident, de concert,
de négocier avec Farnèse, 205. - Craintes de celui-ci, 206. - Les députés de Gand. de
Bruges et du Franc chez Farnèse, 2.07. - Difficulté des négociations, 208. - Conditions de
Farnèse, 2.09. - On arrive à un accord, 210. - Bruges se réconcilie, 2.11. - Traité avec le
prince, de Chimay, 212. - Occupation de Bruges. - Complot de Byhove pour s'emparer
de Gand, 213. - Défaite des partisans de la paix et vtotoire des calvinistes à Gand. -
Gand décide de rester fidèle à « la généralité », 214.. - Colère et menaces de Farnèse, -
Les Gantois persistent dans leur résolution, 215, - Rupture des négociations et mesures
de Farnèse pour renforcer le blocus de la ville. - Une chanson prophétique, 216.
CHAPITRE XII
CHAPITRE XIII
262
Acheué d'imprimer
le trente juin mil neuf cent trente-quaire
par l'Imprimerie Veuve Monnom
à Bruxelles
pour la Librairie Nationale d'Art et d'Histoire
à Bruxelles et Paris.
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