Charlotte de Castelnau
Abstract
The power of the Spoken Word—Preaching in Peru: from Evangelism to Utopia. C. Estenssoro-Fuchs.
It is through the analysis of several sermons that this paper deals with the transformation of strategies used in the evangelization
and catechization of the indigenous popula tions of Peru in the course of the first century of colonial history (1532-1650). Contrary
to ceremonial centered forms of communication, recourse to the spoken word gradually imposed itself until it eventually became
the central element in religious discourse. This choice seems to be linked to the trials aimed at exterminating idolatry which
brought to light the dangers inherent in religious imagery. Finally, an analysis of the sermons of Francisco de Avila, the extirpator
(ca. 1593-1647), enables us to relate the contents of the sermons to certain Andean political myths.
Estenssoro-Fuchs Juan Carlos, de Castelnau Charlotte. Les pouvoirs de la parole. La prédication au Pérou : de l'évangélisation
à l'utopie. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 51e année, N. 6, 1996. pp. 1225-1257.
doi : 10.3406/ahess.1996.410918
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1996_num_51_6_410918
LES POUVOIRS DE LA PAROLE
La prédication au Pérou de évangélisation utopie
1225
Annales HSS novembre-décembre 1996 no pp 1225-1257
MISSION ET PREDICATION
1226
ESTENSSORO-FUCHS VANG LISATION DU ROU
Le doctrinero est en Amérique le curé une paroisse Indiens appelée doctrina le travail
principal du doctrinero est précisément enseigner la doctrina au sens de catéchisme Cette
synecdoque particulière au contexte missionnaire est difficilement traduisible en fran ais est
pourquoi on préféré garder le terme espagnol N.d.T.)
Le quechua la plus importante des langues générales était ni parlé ni compris par tous
les indigènes utilisation intermédiaires fut nécessaire pendant des décennies pour que la
prédication pût atteindre une part significative de la population Les jésuites racontent en 1577
comment ils eurent recours au grand cacique de Huarochiri après sa conversion ... il un
entendement étonnant je lui ai fait faire le dernier jour un sermon tous les gens du village en
leur prêchant dans leur langue particulière car les femmes de là-bas ne comprennent pas la
langue générale ... EGA 1958 II 231 reproduit dans ARGUEDAS 1966 245)
1227
MISSION ET PR DICATION
Connaître ces textes suffisait pour acquérir aux yeux des Espagnols le statut
de converti Mais utilisation de chants pour apprentissage ou la mémori
sation du catéchisme limitait la parole adressée aux Indiens un texte figé
Il avait pas réellement de communication encore moins de discours
échangés bien que ces chants aient emprunté la forme de dialogues fictifs
entrecoupés de questions et de réponses De surcroît il était impossible de
contrôler interprétation que les Indiens en faisaient cela ajoutait le
problème délicat de la traduction Bien on ait pas conservé de textes de
ces premiers livrets il semble que les traductions proposées transmettaient
des contenus hétérodoxes Il est même probable que le mot Dieu ait été tra
duit en langue indigène Sans constituer une preuve la présence une
digression sur Tunupa entrée Dieu dans le dictionnaire de la langue
aymara du jésuite Bertonio 1612 peut être considérée comme une mise en
garde contre une de ces premières traductions hétérodoxes Si Tunupa ne fut
pas le nom aymara de Dieu il le fut plus probablement apôtre Linca Gar-
cilaso affirme de son côté dans de nombreux passages de sa chronique iden
tification entre Pachacamac et le dieu chrétien et quand il fait parler au style
direct les Indiens convertis est ainsi ils appellent Dieu Garcilaso
1617 passim On connaît un peu mieux les difficultés rencontrées dans la
traduction des attributs du dieu chrétien tels que créateur ou tout-puissant
Ceux-ci furent empruntés tout indique aux épithètes des dieux andins6
Le contrôle sur la parole était trop limité La simple mémorisation du
texte de la doctrine ne suffisait pas Il était indispensable intégrer de fa on
active les Indiens aux cérémonies On habitude attribuer aux jésuites un
ensemble de pratiques dans lesquelles des traditions préhispaniques étaient
réutilisées Certes des exemples sont décrits dans les lettres annuelles et
autres documents jésuites Il faut remarquer toutefois elles correspondent
aux premières années de la présence de la Compagnie et elles décrivent
généralement des cérémonies qui avaient pas nécessairement été élaborées
par les jésuites ni ne faisaient partie de leur enseignement Au contraire il
agit ordinaire de célébrations que les Indiens leur présentaient au cours
de brèves missions ou de visites ils faisaient dans des doctrinas adminis
trées par autres ordres religieux ou par le clergé séculier Auparavant
anciens rituels avaient déjà été adaptés par les dominicains grâce la
simple substitution de objet du culte ou de son intégration aux fêtes catho
liques La prédominance du groupe dominicain monopolisant les fonctions
episcopales avait renforcé et transformé ces pratiques en un choix répandu
Garcilaso en donne un clair témoignage il relie la description de Vinti
Raymi celle de la Fête-Dieu célébrée Cuzco en 1554
Voir article de Gerald TAYLOR sur la racine cama 1974-1976 et étude de César ITIER
sur les prières pseudo-incaïques de la chronique de Juan de Santa Cruz Pachacuti dans PACHA-
CUTI 1993)
1228
ESTENSSORO-FUCHS VANG LISATION DU ROU
Sur la traduction du mot diable et les tensions avec le sens préhispanique de supay voir ar
ticle de TAYLOR 1980
1229
MISSION ET PR DICATION
De ces trois termes Cay pacha paraît être clairement un néologisme calqué sur le ici-
bas castillan este mundo en croire Garcilaso le terme préhispanique était plutôt hurin
pacha Garcilaso 1606 Lib II Cap VII La preuve que Cay pacha avait pas de signification
préhispanique précise apparaît dans le commentaire que Gonz lez Holgu 1608 rajoute au
mot monde dans son dictionnaire quechua Monde pour ceux qui sont dans le ciel Urupacha
lit le monde du dessous Monde pour ceux qui sont en enfer Hahuapacha lit le monde du
dessus Monde pour ceux qui sont dans ce monde Caypacha id 596 Il agit donc éviter
des confusions malencontreuses dans la catéchèse ou la prédication
1230
ESTENSSORO-FUCHS L-EVANGELISATION DU PEROU
Les textes des catéchismes et du manuel de confession du troisième concile seront réédités
partiellement ou totalement tout au long de la période coloniale Parmi les plus importantes
rééditions citons celle de 1773 Lima Oficina de la calle de San Jacinto qui fut commandée par
le concile de Lima célébré la même année Il eut autres rééditions et des adaptations des
dialectes du quechua des dates aussi tardives que 1867 ou 1872 Pour plus de précisions
sur ces éditions voir RIVET et CR QUI-MONFORT 1951
10 Bien que la forme latine de ces mots soit courante en espagnol on opte toutefois dans la
version castillane du Troisième catéchisme pour la forme aima et non anima
11 Le troisième concile justifie dans ce cas comme dans autres sa nouvelle traduction
Ruraqueman le Créateur Notons que dans le Credo on mis ruraquen celui qui fait et non
camaque La première raison est que ruraquen est synonyme de camaque ou camac dans le sens
de créateur comme dans la formule de glise elle dit Credo in unum Deum Patrem
omnipotentem factorem Coeli terrae La seconde raison est pour éviter amphibologie parce
que camaquen signifie aussi âme et Indien pourrait comprendre que Dieu est âme du monde
ce qui serait un grave inconvénient Dans les articles de foi on mis camac et est correct
parce que mis sous sa forme de participe il pas équivoque possible Tercero Cathecismo
1584 174 Voir ce sujet le travail de TAYLOR 1976 sur la racine cama en quechua
12 Sur usage du mot huaca dans la prédication voir plus bas
1231
MISSION ET PR DICATION
1232
ESTENSSORO-FUCHS VAN LI SATI DU ROU
cer tout soup on de lien avec les cultes ou les textes anciens et par là même
toute survivance Ces soucis formels qui révèlent la crainte de louer Dieu
avec des moyens démoniaques eurent une contrepartie répressive La prise
de parole que le troisième concile encourage implique le recul voire la sup
pression de la parole des Indiens Si on continue pratiquer encore les
anciennes danses pour la Fête-Dieu on interdit en revanche les chants qui
alors les accompagnaient Ramos 1621:154 Estenssoro 1992)
tentLes
également
livres Ore
sur le 1598
cérémonial
et 1607
et administration
et de Pérez Bocanegra
des sacrements
1631) quiinvitent
por
réfléchir au problème de la normalisation du rituel apparemment jamais
résolu de fa on officielle et définitive par glise coloniale péruvienne la
différence de celle de la Nouvelle-Espagne qui établit deux versions consé
cutives du Ritual mexicano Le Symbolu catholico indiano 1598 Ore fut
par disposition du synode imposé comme texte presque officiel mais seule
ment dans le diocèse de Cuzco Quant Bocanegra il justifiait en 1631
impression de son uvre en la présentant comme adaptation en quechua
du rituel romain de Paul 1614) ce est pratiquement que par hasard
il avait eu accès au texte du pontife Mais cette situation était pas seule
ment liée aux besoins particuliers des nouveaux convertis elle concernait
également les vieux chrétiens En 1636 par exemple les jésuites du Pérou
avaient pas encore réussi unifier le rituel pratiqué dans leurs différentes
églises et collèges
Des témoignages variés laissent entrevoir importance progressive que
prennent partir du troisième concile les sermons prêches aux Indiens La
chronique de Huaman Poma présente un riche échantillon des diverses
fa ons de prêcher depuis celle des curés qui connaissent peine le quechua
et ne peuvent dire que des inepties aux somptuosités oratoires du
père Molina grand connaisseur de la langue Outre les dénonciations du
manque de maîtrise linguistique on critique les contenus beaucoup de
curés profitent du sermon pour parler de leurs propres affaires De fait la
chaire fut utilisée pour prêcher les divers aspects de ce qui était une seule et
même chose la nouvelle foi et le nouveau régime politique social et écono
mique16 Mais Huaman Poma croit en efficacité des sermons Le dessin
illustre ce thème dans sa chronique représente un groupe Indiens
écoutant un prêtre dénon ant du haut de sa chaire adoration des huacas
Pendant il parle on voit les effets persuasifs un rayon de lumière repré
sentant le Saint-Esprit comme dans les fresques de Andahuaylillas étu
diées par Gisbert 1980 entre par la fenêtre et illumine un des Indiens
qui pleure émotion De leur côté dans ces mêmes années circa 1600) les
jésuites enorgueillissent du texte du troisième concile et de ses sermons
valuant évangélisation ils affirment auparavant il avait pas de
doctrine mais seulement de la barbarie et de la confusion Et cette époque
laissé quelques traces hui on voit des Indiens et des
1233
MISSION ET PREDICATION
Indiennes très vieux et très vieilles qui prient sans savoir ce ils disent
comme des perroquets Mateos ed. 1600 II 17 En 1600 évêque de
Quito écrit au roi en des termes similaires Il établit une distinction entre les
évangélisateurs de la vieille école auxquels il ne veut plus attribuer de nou
veaux bénéfices et les nouvelles générations formées dans son séminaire
Maintenant je ne me contente plus de doctrineros qui connaissent la
langue mais il faut ils prêchent et exposent évangile en langues indi
gènes Villalba 1978 78 Finalement les succès de évangélisation et du
prêche pouvaient même se mesurer par le recul progressif ou la disparition
des langues locales que parlaient certainement les vieux Indiens mentionnés
par les jésuites Cette disparition faite au profit de la diffusion dans toutes
les Andes de la langue générale un quechua standardisé) ainsi que les
politiques de déplacement de population pour le service minier mita et les
nouveaux circuits commerciaux sont origine de la géographie actuelle du
quechua17
Au début du 17e siècle alors que les méthodes proposées par le troi
sième concile paraissaient être instrument efficace une evangelisation
complète et par conséquent le moyen de surmonter les syncrétismes qui
résultaient des méthodes initiales tout fut brutalement remis en question
par la réapparition inattendue de idolâtrie Huarochiri juridiction de ar
chevêché de Lima auteur de ce coup de théâtre le prêtre séculier Fran
cisco de Avila révéla devant une administration coloniale et un clergé stu
péfaits que les Indiens étaient chrétiens en apparence Le débat était
rouvert En conséquence fut créée en 1611 une nouvelle institution desti
née extirpation des idolâtries parmi les Indiens fondée sur la pratique
des visites ecclésiastiques et ayant le pouvoir de juger et condamner les
accusés Cette date marque après le troisième concile un nouveau seuil
dans histoire religieuse des Andes origine de extirpation des idolâtries
donné lieu diverses interprétations une lutte pour arracher les survi
vances de la religion préhispanique Duviols 1971) un instrument de pres-
17 Les lois civiles tentèrent imposer dès 1576 que pour faciliter évangélisation les Indiens
parlent tous la langue générale de inca Toledo 1989 II 251 On ne connaît pas encore le
rôle ont pu jouer les prédicateurs catholiques dans la transformation de la langue générale ni
le degré influence sur la langue orale des normalisations linguistiques opérées par les prédica
teurs lors de élaboration des catéchismes des rituels et des sermons les textes des prières de
base et des chants étaient censés être sus de mémoire par tous ceux qui étaient passés par la caté
chèse Le mot taki anciennement danse et ensuite chant est un exemple concret où le langage
de la doctrine réussit imposer un déplacement sémantique ESTENSSORO 1992 Rappelons
aussi que dans le cas péruvien la différence du Mexique de la Mésoamérique et du Paraguay
le corpus écrits en langue indigène est au 18e siècle limité aux textes de catéchèse une
littérature de dévotion ou des fragments insérés dans des chroniques Hors de ce domaine
utilisation de écriture en quechua reste un phénomène rare que on commence tout juste
connaître voir TAYLOR 1985 et ITIER 1991 et 1992)
1234
ESTENSSORO-FUCHS VAN LI SATI DU PEROU
sion des doctrineros sur leurs ouailles Acosta 1982) établissement une
inquisition pour Indiens Gareis) ou encore une forme expansion du pou
voir de glise séculière soutenue par la Compagnie de Jésus face aux
autres ordres religieux Toutes ces lectures qui ont pour axe la consolida
tion au Pérou une glise que on pourrait qualifier de baroque contien
nent une part de vérité mais elles ne tiennent pas compte des aspects posi
tifs impliqués par extirpation Autrement dit au-delà de la menace de la
répression de la destruction du châtiment et du contrôle a-t-on cherché
implanter ou encourager de spécifique La question implique de définir
plus précisément ce que on cherchait détruire Quelques indices permettent
apporter des éléments de réponse cette double question
En février 1607 soit deux mois peine avant que les Indiens de sa doc
trina ne le dénoncent et entament un procès contre lui18 Francisco de
Avila occupe de la décoration de église de San Dami n19 Même si nous
ne savons pas exactement quel genre ornements il acheté et encore
moins si ces pièces correspondaient un goût maniériste ou déjà baroque20
il est certain Avilaavait le souci de rénover ou du moins enrichir
le décor religieux de cette église Parmi les accusations portées contre le
doctrinero Acosta 1979) il est pas fait mention de cet argent ce qui per
met de supposer il fût effectivement utilisé cette fin21
En autres occasions Avila agit de fa on complètement opposée mais
pas forcément contradictoire En 1613 au cours une de ses visites il
détruit les peintures sûrement murales des églises des villages de San
Pedro et de San Felipe Selon les Indiens celles de San Pedro avaient été
réalisées initiative de archevêque Mogrovejo le futur saint Toribio qui
avait présidé le troisième concile 1583 attitude iconoclaste de extirpa-
teur est donc pas seulement dirigée contre les idoles mais aussi contre des
images reconnues comme catholiques Il est pas impossible un incident
du même genre soit origine des accusations de 1607 contre Avila En
effet parmi les Indiens du village de San Juan qui selon les déclarations
furent les instigateurs de la procédure de dénonciation se trouvait Martin
Caspiraicu peintre de la huaraca de Chaucarima Celui-ci aurait induit
et pressé Alonso Chacyallivia du village de Tumna qui plus tard se
rétracta participer la mise en accusation Avila Caspiraicu auteur
possible des peintures des églises de San Pedro et de San Felipe devait faire
19 CeTraslado
18 procès de étélalonguement
provisi deétudié
la Real
par ACOSTA
Audiencia
1979)
ordenando pedido de Francisco de
Avila cura de la doctrina de San Dami al corregidor de Huarochir el env de 120 pesos al
administrador general de censos para que compre ornamentos para la iglesia de los fondos de
brica de la iglesia Copie de la provision de Audience Royale ordonnant au corregidor de
Huarochiri la demande de Franciso de Avila curé de la paroisse de San Dami envoi de
120 pesos administrateur général des censos pour il achète des ornements pour église sur
les fonds de la fabrique de celle-ci Lima 4-II-1607 AGN Juzgado de la Caja General de
Censos Leg.3 Nous remercions Alfredo Tapia de nous avoir signalé ce document
20 Les premières décennies du 17e siècle sont également un moment de transition vers le
baroque colonial tant en littérature que dans les arts plastiques et en musique
21 Parmi les accusations et la rétractation on mentionne seulement un voile acheté pour le
Christ de église pour une somme qui ne correspond pas la demande faite par Avila admi
nistration des censos ACOSTA 1979 13 et TAYLOR 1985 176-178)
1235
MISSION ET PREDICATION
... on découvert que les Indiens de ce village avaient fait faire une
image de Notre Dame et une autre de VEcce Homo afin de faire semblant de
célébrer des fêtes en honneur de ces images chaque année et sous ce
prétexte ils fêtaient ce jour-là idole Chaupinamoca ils prétendent être la
ur du dit Pariacaca et également celle une autre idole on appelle
Huaysuay de sorte que image de Notre Dame représentait idole femelle et
le Ecce Homo idole mâle et ils les avaient disposées sur le maître-autel de
église de leur village où ils les adoraient non pas comme ce elles repré
sentaient formellement mais comme étant lesdites idoles Il pas plus de
quatre ans ils firent ces images Avila 1611)
Il ne agit pas comme dans autres cas idoles cachées dans église
ou sous les brancards des processions Ces images peut-être des sta
tues semblent être orthodoxes un point de vue formel mais selon
Avila leur emploi serait un exemple quasi parfait de syncrétisme Les
22 Teresa Gisbert travaille actuellement sur Huaman Poma et son contexte visuel Dans deux
conférences prononcées Lima en 1991 et 1992 elle montré le lien unissant Huaman Poma
la première tradition de la peinture murale et ce que devaient être les écoles la charge des
ordres religieux
23 aucune personne chrétienne ne puisse toucher aucune image ni effacer parce
en voyant cela les infidèles ne croient plus et se désintéressent Au cours de année 1613 le
visiteur de église ordonna on efface dans le village de San Pedro de Huarochiri San Pedro
de Marna les peintures péché sacri[lège cause de cela les femmes eurent une si grande peur
immense elles ne voulurent plus pécher ni forniquer avec le curé parce il avait ordonné
effacer ce que le saint archevêque Mogrovejo avait fait peindre.Ce visiteur près du village de
San Pedro San Lorenzo ... deux fils métis avec deux Indiennes qui commencèrent se
comporter comme des friponnes ... il ne faut pas effacer Huaman Poma 1980 636-638
Les signes ... indiquent des lacunes dans le texte original
auteur est arrivé au village de San Felipe ... Ils pleurèrent tous et on lui montra église
hôpital la maison du curé le cabildo il le visiteur avait saccagé tout le village et église qui
était entièrement peinte auteur dit il lui semble que ces pauvres Indiens ont perdu cinq
mille pesos dans le temple et les bâtiments ... HUAMAN POMA 1980:1022)
1236
ESTENSSORO-FUCHS L-EVANGELISATION DU PEROU
1237
MISSION ET PREDICATION
24 unique précédent que nous connaissions de destruction de peintures et objets qui fai
saient partie de la décoration des églises est une ordonnance du vice-roi Toledo non reprise
dans les ordonnances générales Comme ce fut le cas pour les danses et la musique les premières
dispositions légales pour écarter des éléments indigènes qui avaient été incorporés la tradition
catholique dans les premières décennies de évangélisation furent une initiative des autorités
laïques et non religieuses ... lesdits indigènes adorent certains types oiseaux et animaux
... ils les tissent sur les devants et les dais des autels et les peignent sur les murs des églises ...
Je demande et ordonne on vous les apporte et on les saisisse ... cité dans GISBERT
1992:112)
25 image de saint Ignace laquelle nous faisons référence fut placée par le curé du village
de Huarochiri En 1610 dans une lettre adressée aux jésuites il affirmait il était tellement
fils de notre bienheureux père saint Ignace il avait plus de cinq ans il avait fait faire son
portrait sur le maître-autel avant sa béatification du moins avant elle ne soit publiée de
source sûre cité dans la lettre annuelle de 1610 signée Sebastian ARSI Peru 13-Litterae
annuae 1606-1612 On pas encore étudié de fa on systématique les politiques pas tou
jours très orthodoxes employées par la Compagnie de Jésus au Pérou égard des images
Les différentes fêtes et manifestations organisées pour promouvoir et célébrer la béatification de
ses membres constituent sans doute un cas limite Une lettre du tribunal de inquisition de Lima
la Cour Suprême 30-IV-1612 raconte que pour la fête Ignace de Loyola dans cette ville ils
firent une procession où ils portèrent une statue du bienheureux ils posèrent la fin sur le
maître-autel de église côté de évangile et de autre la statue de Fran ois-Xavier Le Tribu
nal fut informé afin il remédiât ce fait si insolite puisque ni le vice-roi on avait également
averti et qui avait pris aucune disposition ni Inquisition étaient au courant une telle béa
tification cité dans MEDINA 1956 II 8)
26 ai présenté quelques réflexions dans ESTENSSORO 1991 sur cette question mais cen
trées sur le 18e siècle tardif dans les Andes
1238
ESTENSSORO-FUCHS EVANGELISATION DU PEROU
27 Ce panorama devient plus complexe en ajoutant le point de vue de extirpateur qui ten
dait souligner aspect inverse est-à-dire la remise en question des images catholiques par les
Indiens qui retournaient les arguments employés contre leurs idoles Le huitième sermon que
on prêchait au cours des visites contre les idolâtries était dédié aux saints et aux images parce
ils disent que ce sont nos huacas et ils ont ce sujet comme sur autres de nombreuses
ignorances est ainsi que dans un village où il avait quatre images de saints très belles des
patrons de quatre confréries on se rendit compte que certains ne se recommandaient pas ces
saints et ne les priaient pas sous prétexte que étaient eux qui les avaient achetés et ainsi ils
allaient dans autres villages vers autres saints pour les raisons inverses ARRIAGA [1621
244-245 Ce témoignage parmi autres que nous citons laisse également voir la très forte rela
tion qui existe entre le pouvoir attribué une image son appartenance propriété mécénat fac
ture et sa valeur mercantile relation qui reste étudier
1239
MISSION ET PREDICATION
consiste pouvoir détecter les idoles cachées aux yeux des autorités locales
image que ces visiteurs présentent la Couronne pour obtenir des gratifi
cations Même ils ne sont pas conscients de pratiquer idolâtrie ni avoir
préservé un de leurs dieux les Indiens acceptent la qualification mais expri
ment leur besoin de pouvoir compter sur un saint intercesseur en réclamant
la substitution de idole par un autre réfèrent qui leur permettrait de
construire une image irréprochable légitime et orthodoxe étant donné
on leur enlevait ce saint ou il était huaca ou ce visiteur en savait plus que
les autres qui les avaient inspectés et qui ne le leur avaient pas enlevé et ils
voulaient faire une autre image un autre saint puisque celui-là était pas
un bon saint id 208)
Ces actions iconoclastes ne nous aident guère comprendre quel était le
projet de Francisco de Avila pour la nouvelle evangelisation qui imposait
acculturation totale des Indiens était plus possible dans la pratique
quant assimilation elle était pas pensable sur un plan politique De
plus les frontières culturelles qui maintenaient altérité devaient être pré
servées sans Indiens le système colonial ne pourrait plus exister Par
ailleurs il fallait redéfinir les termes du catholicisme indigène pour ne pas le
fragiliser davantage avec la répression Restait la question des moyens uti
liser ou privilégier avenir pour endoctrinement des indigènes La
solution préconisée par Avila aura pour élément primordial la prédication
usage de la parole
1240
ESTENSSORO-FUCHS LEVANGELISATION DU PEROU
Traité des vangiles29 une collection de 122 sermons en quechua avec ver
sion espagnole pour prêcher aux Indiens tout au long de année Il était
effectivement nécessaire de brûler des huacas mais cela ne suffisait pas il fal
lait trouver un moyen plus efficace de garantir le christianisme des Indiens
Tout cela est très bien de même que détruire cette méchante et perverse
pépinière du Démon et en laisser ni racine ni trace Cela été fait depuis
toujours et doit être poursuivi Mais le principal est la prédication qui balaie
et nettoie tout car elle persuade arrache détruit dissout dissipe et brûle et
par là elle construit et sème tout cela un seul coup Avila 1647 LXXXV)
29 Bien que la publication de ouvrage ait été achevée après la mort Avila le second
volume date de 1648) nous croyons en accord avec ACOSTA 1987) Avilaprêcha une par
tie de ces sermons alors il était curé de la paroisse indienne de San Dami ou dans les années
postérieures lors des visites extirpation
30 Cette mesure visait imposer la prédication une époque où tous les ordres ne lui accor
daient pas la même importance dans leur travail de catéchèse Dans une lettre de 1613 Avila
dénonce précisément les dominicains la Couronne disant que idolâtrie restait très présente dans
leurs doctrinas et la raison est ils prêchent moins aux Indiens AVILA 1613 74 Le clergé
séculier appliqua sans tarder les ordres écrits en effet on conservé un long dossier sur la visite
effectuée en 1617 dans archevêché de Lima pour vérifier la compétence en langue indienne que
on exigeait des curés Indiens AGN Sede eclesi sticos bunal eclesi stico leg 47 acte de
nomination de Hernando de Avendano comme visiteur et extirpateur idolâtries qui date de
février 1617 mentionne spécifiquement il doit contrôler que les doctrineros savent la langue dans
laquelle ils doivent prêcher et ils le font effectivement est pourquoi on lui donne la faculté
exiger que lesdits curés prêchent devant vous un sermon sur évangile de la fête ou du jour où
vous serez vous pouvez les forcer et contraindre reproduit dans DUVIOLS 1971 359)
31 Le cinquième point est la diligence et le soin des visiteurs vérifier que on prêche et il
semblé au dernier synode que les clercs qui ne connaissent pas très bien la langue devraient
être obligés de montrer au visiteur sous la forme écrite les sermons et les prônes prononcés entre
deux visites les jours obligatoires parce ainsi ils auront le souci apprendre et deviendront
rapidement de bons interprètes et prédicateurs Et je dis même au cas où ils ne peuvent pas
dire de mémoire leur sermon ils le lisent au peuple accommodant comme je ai dit aux
besoins du public et ainsi tous prêcheront ce qui est le moyen que Dieu toujours utilisé pour
implanter la foi Et manquer cette obligation est la principale accusation que les visiteurs puissent
porter contre les curés AVILA1616 332)
1241
IVIISSION ET PREDICATION
32 Cette formule suscita la réaction des théologiens de Madrid qui exigèrent elle soit rem
placée par la foi introduit par ouïe pour pouvoir approuver officiellement le texte du
concile AGI Audiencia de Lima 1594 17r et 52r)
33 Pour autres exemples voir article que en 1957 Georges Dumézil consacra la présen
tation de quelques sermons Avila
34 Ces sermons du Troisième catéchisme qui ont pu parfois servir de modèle ou du moins de
référence sont ceux qui sont consacrés aux fins dernières de homme thème jésuite et baroque
par excellence et celui dédié ivrognerie
1242
ESTENSSORO-FUCHS LEVANGELISATION DU PEROU
Notre premier père Adam est-il mort Oui Linca Manccocapac est-il
mort Oui Ton père est-il mort Ta femme Ton enfant Oui Mais
quoique leurs corps soient morts leurs âmes elles ne sont point mortes Cela
est chose vraie et objet de foi Avila 1:15)
35 Ce recours aux images et aux exemples de histoire naturelle est également présent dans
les sermons mexicains du moins ma connaissance Dans les textes du troisième concile
exemple le plus intéressant est sans aucun doute la comparaison faite entre le purgatoire et la
huayra âme serait un minerai plein de scories que le feu purifie Tercero Cathecismo 1585
741 Malgré son origine purement andine elle avait été officiellement acceptée De surcroît
après que le vice-roi Toledo eut organisé la mita minière la métaphore bien que technologique
était appropriée un public concerné par la mita Sur le thème de incorporation des techniques
minières andines dans le monde colonial voir le prologue de LANGUE et SALAZAR-SOLER 1993)
1243
MISSION ET PR DICATION
Mes frères mes urs ouvrez les yeux de entendement laissez libre
cours votre imagination pensez et faites comme si vous étiez en train de
regarder ceci Si en ce moment oh mon Dieu! vous voyiez sortir des
tombes de cette église les corps de tous ceux qui ont été enterrés ici Espa
gnols Indiens Noirs et parmi eux les archevêques le marquis Don Francisco
Pizarro les vice-rois les magistrats ... sortant par ces portes se bousculant
les uns les autres que diriez-vous
Que diriez-vous si vous voyiez venir des foules de gens de ce côté-là res
suscites entre ces murs et ces tombes là même où vous voyez maintenant
tant de crânes et os
Que diriez-vous si vous voyiez venir tous les Incas qui ont gouverné cette
terre qui furent Manccocapacc Sinchirocca LLoqque Yunpanqui Mayttaca-
pac Ccapacyupanqui Incarocca Inca Viracocha Pachacutec Incayupanqui
Huaynacapacc Hu scar Inca Atagualpa Inca puis leur suite leurs femmes
qui furent Coya Mama odio Mama Runtu et derrière eux leurs servants et
servantes que diriez-vous De fait tous vont ressusciter ce jour-là ainsi que
tous ceux qui sont nés Maures Indiens Turcs Persans Collas Ccanas Yun
cas Chimos et toutes les personnes ayant existé sans aucune ne manque
coutez maintenant tout ce que nous venons de dire que tous les
hommes vont ressusciter est un article de foi Et on le dit dans le Credo en
deux mots en affirmant Je crois en la résurrection de la chair id 21-22)
coutez aussi ceci vous serez ravis de entendre Voyez vos aïeux et vos
aînés tenaient aussi pour vrai que les morts allaient ressusciter id 22)
Comme il était usage on introduisait ce type de thèmes dans les ser
mons les Indiens attendaient une réfutation de leurs anciennes croyances
Mais anticipant une possible réaction de méfiance Avila simule alors incrédu
lité de son auditoire38
36 Le passage équivalent dans le sermon XXXI dédié aux fins dernières est bien plus
sobre lies hommes ressusciteront chacun dans son propre corps le même il avait de son
vivant est ce que nous tous fidèles chrétiens nous confessons dans le Credo en disant je crois
en la résurrection de la chair Tercero Cathecismo 766
37 Avila connaissait bien la chronique de Garcilaso où on trouve idée que les anciens Péru
viens croyaient en la résurrection Il existe la Bibliothèque nationale de Madrid un résumé de
cette chronique fait par AVILA BNM Ms 3169)
38 Je donne ici titre de comparaison afin que on puisse apprécier la rhétorique particulière
Avilale passage correspondant dans le sermon du catéchisme du troisième concile Et il ne faut
pas en douter car Dieu le dit de sa bouche et lui eu le pouvoir de faire le monde partir de rien
de créer les hommes en leur donnant une âme et un corps est lui qui le pouvoir de réunifier
âme au corps après elle en été séparée même si la mort eu lieu mille ans auparavant même
si le corps est devenu poussière mangée par la terre ou devenu cendre dans le feu même si les pois
sons de la mer ont mangé et même il été enseveli dans les profondeurs tout obéit Dieu lui sait
où se trouve chaque chose Il oublie pas et fait tout ce il veut Tercero Cathecismo 1585 767
1244
ESTENSSORO-FUCHS VANG LISATION DU ROU
Chacun parmi vous se sera dit en lui-même sans doute ce père nous
prend pour des sots car il veut nous faire croire que les corps de ceux qui sont
morts vont ressusciter alors que leur chair et leurs nerfs sont retournés la
terre que leurs os ont été brisés plusieurs de ces corps ayant été mangés par
les animaux et les oiseaux ou dans la mer et les rivières par les poissons Ces
corps comment pourront-ils se réunifier ou être reconnaissables ils
ont été consommés Ce que vous dites mon père ce est que par amour
pour vous que je dis que je le crois car en vérité en mon for intérieur je ris
Eh bien mes fils prenez garde Si vous disiez cela ce serait vraiment un
immense péché mortel et une hérésie et si vous mouriez sans avoir confessé
sans vous en être repentis vous seriez damnés jamais ibid 22-23)
1245
MISSION ET PREDICATION
39 On pourrait écrire une longue histoire sur la fa on dont on usé et abusé du mythe de
Inkarri Découvert Puquio par José Mar Arguedas dans les années cinquante le mythe
apparaît rapidement dans des versions différentes en divers endroits du Pérou Deux décennies
plus tard il est avec le mouvement du Taki Onqoy pour une lecture critique et historiographie
de ce mouvement voir RAMOS 1993) un des thèmes les plus étudiés par les sciences sociales au
Pérou anthologie préparée par Ossio 1973) laquelle ai emprunté expression idéologie
messianique du monde andin recueille les principales études et versions du mythe publiées
auxquelles il faudrait ajouter les livres de Ortiz Rescanier 1973 et Pease 1973 Dans les
mêmes années le gouvernement révolutionnaire des forces années 1968-1975 utilisa ainsi
que image du rebelle Tupa Amaru comme symbole national idée de la renaissance de
inca-roi donna son nom aux festivals de danses et musiques traditionnelles Inkarri organisés
alors par SINAMOS Système National de Mobilisation Sociale Voici un exemple du discours
des sciences sociales quelques années plus tard ...]dans les plus profonds recoins de la
conscience collective Là vit Inkarri le dieu vaincu du peuple invincible CURATOLA 1977 88-
89 Un article de URBANO 1977) qui est origine de expression utopie andine utili
sant le terme dans le sens de Mannheim) marqua une nouvelle étape En 1986 sous le titre
éloquent de la recherche un inca Buscando un in a) Alberto Flores Galindo mort pré
maturément peu de temps après établit histoire des utopies politiques après la conquête
Manuel Burga lui succède en 1988 avec Naissance une utopie mort et résurrection des
incas Nacimiento de una utop muerte resurrecci de los incas Travaillant sur la figure de
inca Burga et autres auteurs Manrique Montoya Portocarrero ont produit un discours où
se confondent souvent histoire et la volonté de définir une identité nationale partir de exis
tence une utopie andine Face cette lecture de gauche le mythe donne lieu depuis
quelques années des interprétations de psychanalystes et ethnohistoriens qui gravitent autour
de la notion de traumatisme de la conquête détournant expression formulée par Wach
tel)
40 Je remercie Iris Gareis de avoir signalé que le livre de Solorzano contenait une réfé
rence la résurrection de inca
1246
ESTENSSORO-FUCHS VANG LISATION DU ROU
Voyons le Grand Roi qui est en Castille pour commencer par le plus
grand de tous Ce Roi on dirait il est toujours comblé de plaisir et de
contentement est-il pas obéi et respecté extrême par tous Quand ils
adressent lui ne lui parlent-ils pas genoux humiliés et prostrés or et
argent ne coulent-ils pas flots chez lui Avila 1647 41)
Mais Avila va encore plus loin Il doit rendre son discours plus per
suasif et plus évident pour ses auditeurs Il leur parle alors de leur
propre situation de la fa on dont ils peuvent percevoir instabilité poli
tique de la Couronne espagnole et la fragilité de leur propre condition
coloniale
Ne voyez vous pas de vos propres yeux dans cette ville de Lima com
ment les dimanches sortent les soldats armés de leurs arquebuses et de
leurs piques Pourquoi croyez-vous on fait cela Parce que la nouvelle
court que des ennemis pourraient arriver et on peur ils nous sur
prennent démunis nous volent et nous expulsent de cette terre Avila
1647 42)
1247
MISSION ET PREDICATION
1248
ESTENSSORO-FUCHS L-EVANGELISATION DU PEROU
Tous les taquies que vous faites sont sacrifices chants et anciennes céré
monies du diable Toutes les soûleries que vous organisez sont des souvenirs
de vos huacas .. que ce soit en jouant du tambour ou en dansant ...] tout
été enseigné par les vieux sorciers Tercero Cathecismo 1585 638)
Avila quant lui mentionne ces pratiques avec une apparente indiffé
rence voire avec complicité Et cela parce que la cashua laquelle il fait
allusion mais surtout usage des guitares dans ces danses et beuveries ne
correspondent justement pas aux anciennes traditions alors identifiées
comme idolâtres mais bien aux pratiques des Indiens hispanisés ladinos et
acculturés est précisément ces Indiens-là que Huaman Poma dessine
dans sa chronique avec la guitare la main pour trait distinctif 1980 803
Face ivrognerie et au concubinage on pouvait alors fermer les yeux dans
un sermon il agissait par ce biais de ratifier une pratique culturelle les
danses publiques accompagnées de guitares en milieu urbain que on
avait stimulée afin de faire disparaître les anciens taki des Indiens
Tels étaient les éléments puissants les virtualités Avilatrouvait dans
la parole cette possibilité arracher anciennes croyances et dans le même
geste de procurer une nouvelle identité Il faut donc cesser de voir exclusi
vement en lui le répresseur extirpateur idolâtries pour intégrer son
labeur dans le cadre plus large des enjeux politiques culturels de la société
coloniale Il faut donc lui attribuer un nouveau rôle non moins innocent
que on pourrait définir en le paraphrasant comme celui qui détruit et
brûle des huacas dieux vivants pour les substituer par des Incas qui ressus
citeront la fin des temps extirpateur idolâtries et semeur utopies
1249
MISSION ET PR DICATION
1250
ESTENSSORO-FUCHS L-EVANGELISATION DU PEROU
44 Pour une analyse approfondie un de ces sermons voir DUVIOLS 1971 qui privilégie
exclusivement les sermons Avendano pour caractériser la prédication des extirpateurs
1251
MISSION ET PR DICATION
hualpa 1742) les Indiens parlent une alliance quasi naturelle avec les
Anglais pour lutter contre les Espagnols45 Le chef Tupa Amaru octroie
dans ses bans le titre Inca-roi Inkarri 1780 Ces traits messianiques sont
relativement connus Hidalgo 1983 Flores Galindo 1988 Sala Vila 1990
Phelan 1994) mais leur origine pas été nécessairement étudiée
même si plusieurs entre eux articulent autour de figures de la religion
catholique sainte Rosé de Lima saint Jacques apôtre ou de thèmes escha-
tologiques chrétiens
Le cycle des fins dernières était un point récurrent du message transmis
aux Indiens On le retrouve aussi bien dans les collections de sermons que
dans les peintures de nombreuses églises de doctrinas et de paroisses
indiennes Gisbert 1980 Estenssoro 1990 La présence dans la biblio
thèque un prédicateur comme Avendano de uvre de Joachim de Flore
du De Antichristo de Maluenda et du De Christo revelatie Acosta ainsi que
des commentaires de Viegas et Ales sur Apocalypse Guibovich 1993
est révélatrice ces lectures ont dû se refléter dans ses autres sermons restés
inédits Il devait avoir des uvres semblables dans la bibliothèque Avila
qui était bien plus considérable46 Pour les lettrés ces sujets étaient de fait liés
la vie coloniale ils ne séparaient pas les croyances indigènes de ce ils
estimaient être histoire universelle Solorzano le grand juriste situe es
poir du retour des Incas dans le cadre de la venue de Antéchrist et cite
entre autres Maluenda Pineda et del Rio auteurs qui figuraient également
dans la bibliothèque du visiteur Avendano Solorzano 1648 291 Cela
peut fournir une piste supplémentaire pour déterminer sinon origine de la
croyance du moins de sa lecture espagnole importance acquise dans
diverses régions des Andes par certaines images et idées imprégnées de
catholicisme ne peut se comprendre que par le biais de appareil colonial
Mais les contradictions finiront par se montrer La nouvelle identité indigène
prit corps et se traduisit en un mouvement cohérent qui partir de la fin du
17e siècle unit autour de valeurs et de figures communes inspiration
incaïque les caciques andins Rowe 1954 Les révoltes du siècle suivant
seront chargées de cet amalgame éléments catholiques économie morale
et de figures du passé inca élément indigène apparaîtra essentiellement
comme un discours sur histoire transformé en utopie en projet avenir Si
cette présence implique il bien eu assimilation appropriation et rééla
boration des le ons de la doctrine est ce même discours religieux qui conti
nuait nourrir les attentes époque même des révoltes des protestations
émanant tant des autorités ecclésiastiques que des fonctionnaires de la Cou
ronne attaquent aux pratiques des doctrineros et de ce que on pourrait
appeler un certain bas clergé présent dans les villages Il faut rappeler que
depuis 1750 et la suite des pressions des élites indigènes et métisses les
Indiens étaient admis recevoir les ordres sacerdotaux La présence de ces
nouveaux prêtres employés comme doctrineros dut sans doute avoir des
répercussions sur le plan religieux En plein milieu des troubles le quatrième
45 Voir la note 40
46 Sur la bibliothèque Avila qui comptait le nombre non négligable de 3108 volumes voir
le travail de HAMPE 1993 qui malheureusement en présente pas inventaire
1252
ESTENSSORO-FUCHS VANG LISATION DU ROU
1253
MISSION ET PREDICATION
ABREVIATIONS
LEXIQUE
Cashua danse collective en cercle et avec les mains entrelacées
Cumbi tissu traditionnel avec des dessins figuratifs très apprécié pour la grande qualité de sa
facture
Curaca cacique chef de groupe ethnique
Haylli chant et danse de triomphe liés tant aux rites agraires du labour la guerre
Huaca divinité objet ayant une valeur sacrée et par extension temple ou édifice préhispanique
Huayra technique préhispanique pour affiner le minerai argent
Mita travail obligatoire par roulement pour le bénéfice des mines organisé grande échelle
partir de la décennie 1570 par le vice-roi Toledo
Taki taqui danse préhispanique accompagnée de chant
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