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80-1/2 (2010)
Création littéraire et archives de la mémoire
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Tal Tamari
La littérature française en traduction
bambara : l’exemple du Comte de
Monte-Cristo
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Référence électronique
Tal Tamari, « La littérature française en traduction bambara : l’exemple du Comte de Monte-Cristo », Journal
des africanistes [En ligne], 80-1/2 | 2010, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 01 juin 2013. URL : http://
africanistes.revues.org/2470
*
Chargée de recherche au CNRS, CEMAF, 9 rue Malher, 75004 Paris ; chargée de cours à
L’Université libre de Bruxelles, Institut de Sociologie, avenue Jeanne 44, 1050 Bruxelles.
1
Par exemple : Bailleul s.d., Traoré 1989, Diarra et Zoeomé 1997. Certaines langues
maliennes, dont le mandingue, le soninké et le peul, avaient déjà été transcrites en caractères
arabes avant la colonisation. Cependant, pour autant qu’on le sache aujourd’hui, cette
production écrite était peu abondante, à la différence par exemple du peul au Fouta Djalon
(Guinée) ou du mandingue en Sierra Leone. (Le mandingue est un ensemble de langues ou
parlers, le plus souvent mutuellement compréhensibles, incluant notamment le malinké et le
bambara). Plusieurs populations maliennes, dont les Bambara, les Bozo et les Dogon,
possédaient des systèmes de signes développés.
2
Des tentatives analogues ont sans doute eu lieu dans d’autres pays. Au Sénégal, L’Aventure
ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Kane a été traduite en peul (2005). Le romancier
sénégalais Boubacar Boris Diop écrit tant en wolof qu’en français.
3
Revue fondée en 1979, publiée par l’Institut des Sciences Humaines, Bamako. Nous avons
particulièrement apprécié la traduction en bambara, réalisée par Abdoulaye Barry (1992),
d’une méditation du poète ukrainien Nikolaï (ou Mikola) Bazan à propos des sculptures de
Michel-Ange (1974, pp. 43-45).
4
Pratiques bien analysées par Bouwman (2005).
5
Cette étude est fondée sur trois entretiens avec Bakary Tangara (Koulikoro, avril 2005 ;
Banamba, mai 2006 et janvier 2009) ainsi que sur des interviews de plusieurs personnes
actives à la radio ou à la coopérative culturelle Faso Kanu et d’auditeurs ordinaires, et sur
l’audition de cassettes. Nous souhaitons particulièrement remercier Mamadou Simpara,
député de Banamba, ainsi que Samba Coulibaly, premier directeur de la radio (entretien à
Bamako en avril 2009). Radio Faso Kanu a reçu l’appui, à différents moments, de l’Aide à la
Presse (Ministère de la Communication et des Nouvelles Technologies), des ONG Plan
International et Fonds de Développement en Zone Sahélienne (FODESA), ainsi que le
soutien régulier de grands commerçants originaires de la ville. Nous remercions Aline
Présumey, alors assistante technique à l’AFLAM (Appui à la filière du livre au Mali ;
programme de coopération franco-malien), d’avoir attiré notre attention sur cette radio et les
activités de Bakary Tangara en particulier.
6
Décret interministériel du 7 avril 1992. Schulz (2001) et Leguy (2007) analysent les rôles
socioculturels de la radio et particulièrement son impact sur la transmission et l’évolution de
la littérature orale (respectivement dans les Cercles de Kita et de Koutiala).
7
Contes merveilleux ou contes populaires, mettant souvent en scène des animaux (par
exemple, hyène et lièvre), mais aussi des humains et des êtres surnaturels. Le plus ancien
recueil de contes bambara est celui de Moussa Travélé (1923) ; il en existe également
beaucoup d’autres.
8
Cette ville, également située dans la Région de Koulikoro, est l’un des hauts lieux de la
culture malinké (étroitement apparentée à celle des Bambara). Tous les sept ans, des griots
Diabaté se réunissent pour réciter l’histoire des Keita, qui ont régné sur l’ancien empire du
Mali (de 1230 à 1600 environ). Voir par exemple Meillassoux (1968).
9
Opération lecture publique (OLP ; 1977-2001), prolongée par le projet de coopération
franco-malien Appui à la filière du livre au Mali (AFLAM ; 2001-2007) et donnant lieu à la
création en 2001 du Centre National de Lecture Publique. Mamadou Konoba Keita (devenu
par la suite directeur de la Bibliothèque Nationale), Fatogoma Diakité et Dominique Vallet
ont été les principaux responsables de l’OLP et de l’AFLAM.
10
Cassette industrielle éditée avant 1985.
des œuvres d’artistes locaux, mais surtout des pièces en vogue au plan
national. Il considère que la demi-heure musicale est comme une invitation
à suivre le récit en famille et une préparation à son écoute attentive. Il
estime que l’écoute collective permet une meilleure assimilation et
compréhension du récit que l’écoute individuelle et qu’elle stimule
l’échange de vues.
En débutant son programme, Bakary Tangara a d’abord visé un public
de personnes non lettrées ou récemment alphabétisées en langue nationale ;
ce public devrait comporter dans son esprit une majorité de femmes et
d’enfants. A sa grande surprise, cependant, le programme a également
suscité un vif intérêt chez les personnes lettrées et notamment chez les
fonctionnaires en poste à Banamba. Certains auditeurs lui ont indiqué des
thèmes ou des ouvrages qu’ils souhaitaient particulièrement voir traités.
Beaucoup d’auditeurs ont lu les ouvrages après les avoir entendus à la radio.
D’autres, qui les connaissaient déjà, ont estimé qu’ils les comprenaient
mieux à la suite de son émission. Bakary Tangara estime que la plupart des
foyers de Banamba ainsi que des villages qui captent bien la radio écoutent
régulièrement son programme.
Toutes les prestations narratives sont enregistrées sur cassettes audio :
le plus souvent en direct, pendant l’émission, quelquefois à l’avance
(lorsque l’animateur prévoit de voyager, par exemple). Avant chaque
enregistrement, l’animateur étudie le texte à présenter, choisit les passages à
traduire intégralement ou à condenser, et prépare la traduction ou
l’interprétation de certains mots ou phrases particulièrement difficiles. Il
décide aussi de l’événement ou de la scène sur lequel il achèvera l’émission,
de manière à maintenir le suspense et à inciter les auditeurs à écouter
l’épisode suivant. L’enregistrement s’effectue alors qu’il a le livre ouvert
devant lui : il lit mentalement le texte dans la langue d’origine et prononce
une traduction non écrite et non mémorisée à l’avance. L’unité choisie pour
la traduction est en général la phrase ou une subdivision importante de la
phrase11.
Les ouvrages présentés dans le cadre de l’émission révèlent un goût
éclectique, et aussi la volonté de plaire à un public diversifié. Ainsi, Bakary
Tangara a présenté des romans d’auteurs maliens, dont Wangrin de Amadou
Hampâté Bâ (paru en 1973), la trilogie de Kita et L’Assemblée des djinns de
Massa Makan Diabaté (1979-1982, 1985) et L’Archer bassari de Modibo
11
Ainsi, comme dans la traduction des livres arabes traditionnellement pratiquée par les
marabouts, celle-ci est improvisée. La pratique de traduction de Bakary Tangara diffère
cependant de celle des marabouts, en ce sens qu’elle produit un discours homogène dans une
langue nationale, alors que la leur consiste en une alternance, fondée sur les unités
syntaxiques, entre la langue de départ et la langue d’arrivée.
12
Pour un bon survol de la littérature malienne d’expression française, voir l’étude de Le
Potvin (2005). La revue Notre Librairie a consacré un numéro spécial à la Littérature
malienne, orale et écrite (1984, réimprimé en 1986).
13
Ainsi : Edmond Dantès, le protagoniste du roman : Adama [Adam] ; celui-ci, dans sa
qualité de comte de Monte-Cristo : montekirisito masakè (littéralement : roi de Monte-
Cristo) ; l’abbé Faria : Faraba ; Mercédès : Maryama [Marie] ; Haydée : Hawa [Eve] ;
l’armateur Morrel : Musa [Moïse] ; Fernando Mondego : Fuseni [Husayn] ; Danglars :
Dawuda [David] ; Caderousse : Gawusu (prononcer : Gaoussou). Même le nom du procureur
est conforme à un principe de correspondance phonique, car l’initiale de la première partie de
son nom de famille correspond à celle du nom bambara. L’animateur a estimé qu’il était
indispensable de respecter ce principe, afin que ses auditeurs lettrés puissent accéder
facilement au livre.
18
Par exemple, dans les passages présentés en annexe, l’Abbé Faria est qualifié de
tubabumori (prêtre ; litt. « marabout des blancs ») aussi bien que de karamòkò (« lettré »,
« clerc » ; terme typiquement employé dans un contexte musulman), et on y rencontre le
terme nansara jamana (« Europe » ; litt. « pays des chrétiens [ou des Nazaréens] »). Notons
toutefois que le terme tubabumori peut aussi s’appliquer à des ecclésiastiques africains.
19
Massaquoi 1911. Momolu Massaquoi (vers 1870-1938), auteur de cet article et de la
traduction de L’Iliade, était un prince vai, éduqué aux Etats-Unis. Il a par ailleurs traduit des
LE COMTE DE MONTE-CRISTO :
PROCEDES D’ADAPTATION ET DE TRADUCTION
Nous présentons quelques extraits de la traduction (ou plutôt, de
l’adaptation) de deux chapitres du Comte de Monte-Cristo (deuxième série
d’émissions, 2003) : 13 minutes sur les 60 consacrées aux chapitres 16 et
17, « Un savant italien » et « Dans la chambre de l’abbé », précédés d’un
résumé du chapitre 15 (« Le numéro 34 et le numéro 27 »).
L’étude de ces extraits permet de mieux cerner les centres d’intérêt de
l’auditoire. L’animateur développe largement, voire amplifie, les passages
consacrés à la vie intérieure des personnages. Il accorde aussi beaucoup
d’importance à la description de leurs gestes et physionomie. Il traite
longuement des procédés de fabrication des outils dans les conditions
difficiles de la prison, mais contracte légèrement les discussions relatives à
la politique et aux différents domaines du savoir : les références à la valeur
fondamentale de la liberté et à l’utilité du savoir sont néanmoins conservées,
de même que la critique du morcellement politique (de l’Italie au début du
XIXe s.). Les noms de la plupart des savants et hommes politiques cités par
Dumas sont omis, mais le nom de Napoléon, ainsi qu’une référence
générale aux rois de France, sont conservés.
passages du Coran et de la Bible en vai. Cette langue est l’une des formes régionales du
mandingue, très proche des différents parlers bambara et malinké.
20
Ainsi, on nous a dit, pendant un de nos séjours à Tombouctou (février-mars 2006), qu’un
lettré récemment décédé traduisait les Mille et une nuits en songhay, pour un public
important, chaque après-midi pendant plusieurs décennies. Un lettré de Ségou (ville de
langue bambara) traduit depuis quelques années (correspondant à nos séjours de 2003-2008)
des romans de chevalerie arabes pour un cercle d’amis ; ces ouvrages se trouvent dans les
bibliothèques de plusieurs autres lettrés de la ville. Une jeune amie résidant à Bamako a
entendu les contes de mansa Haruna (le roi Haruna, c’est-à-dire Harun al-Rashid, donc les
Mille et une nuits) racontés par sa mère, en songhay, mais elle les relate elle-même en
bambara. Mervyn Hiskett (1967) perçoit une influence de certaines sources littéraires arabes
sur plusieurs contes et récits haoussa.
22
Signification et étymologies déjà établies par Charles Bailleul (1996, 2000, 2007).
23
filozofi (philosophie) ; papiye (papier) ; lim (lime) ; lewuye (levier) ; pensi (pince) ; siso
(ciseaux) ; kaso (cachot) ; paturuyi (patrouille) ; santineli (sentinelle) ; sorodasi (soldat) ; li
(lit) ; tabali (table) ; werenda (véranda) ; aleman (allemand) ; angilèn (anglais) ; esipanyòli
(espagnol) ; gèrèki (grec) ; italiyèn (italien). Les Français et leur langue sont habituellement
désignés par un terme plus ancien : tubabu (vraisemblablement emprunté à l’arabe tabib,
« médecin »). Le terme livru (livre) apparaît une seule fois dans ce discours, l’animateur lui
préférant en général le mot plus ancien gafe. Il y a également une seule occurrence de sino
(sinon), conjonction extrêmement fréquente dans le discours bambara ordinaire.
Références bibliographiques
ABRAHAMS, Peter, 1954, 1956, Tell Freedom. Londres, Faber and Faber.
(Rééditions.) Trad. de M. KLOPPER et D. SHAW-MANTOUX : Je ne suis pas un
homme libre. Tournai, Casterman. (Rééditions).
BA, Amadou Hampâté, 1973, L’étrange destin de Wangrin, ou les roueries d’un
interprète africain. Paris, Union générale d’éditions. Réédition avec des
documents complémentaires : Paris, Bourgois, 1992 ; Paris, Union générale
d’éditions, 1993.
BADIAN, Seydou, 1962, La Mort de Chaka, pièce en cinq tableaux. Paris, Présence
africaine. (Rééditions).
BAILLEUL, Charles, 1996, 2000, 2007, Dictionnaire bambara-français. 2ème éd., 2ème
éd. revue et 3ème éd. : Bamako, Donniya. (1ère éd. : [Angleterre], Avebury
Publishing, 1981).
24
En mandingue comme dans la plupart des langues africaines, il n’existe pas de genre
grammatical.
TRANSCRIPTION
jinè don wa ? bunadamaden don wa ? Adama, ale ma a sòrò k’a dòn. a ye
delili kè. a ko, e maa min, ni e mankan bè yanni nò, n b’i deli, cogo bèe lajèlen na, i
k’i yèrè jiran n na hali bi. a y’i kanto dugu jukòrò, a ko, yeli, i ka kòlòsilikèla taara
wa ? Adama ko a ma, ko a taara, a tè na ni su tè. uuri tan ni fila de bè anw bolo,
anw bè se ka anw ka cogo kè. a ko, nin tè baasi ye. n bè se ka n ka baara kè dè !
Adama ko, o kè o yòrònin bèe lajèlen na, n b’i deli. o fòra yòrò min na, dugukolo
tintin min bè Adama ani a tigi cè, ni a jòlen don k’o yòrò kòlòsi, i k’a dòn, o sinna
ka yuuruli daminè. a y’i bila kò fè. o tuma na, o yòrònin bèe lajèlen, bògò ni kaba, u
bè ka jigin cogo min na dingè kònò, u bè ka jigin ten, u bè ka jigin. o tuma, Adama
de hebekulen jòlen bè k’a lajè. o yòrònin bèe lajèlen, bunadamaden kunkolo nana
ka na bò, ka na kamankun bò, o tuma, ka na bunadamaden yèrè kuturu, Adama, a
nana ka n’o ye. aa ! i k’a dòn, Adama dabali banna. baro fòlò, a bilala yen.
o tuma, bi baro, a bè sigi kurukun kan, o ye italiyènkaw ka dònnibaa ye.
Adama, a nana ka girin, ale min bè kelen na sigili la, n’a bè kelen na hami na, a ye
nin maaninfin ye, a girinna ka o bolo poron. a y’a poron, aa ! ka a sama ka a bè na
sin a ma. o tuma, ka tilen k’a lajè, yeelen bè dòn a ka kaso kònò, k’a lajè. aa ! nin ye
maa ye, maa min bè n’a dacogo fana tun ye a danmako ye. maa kundama hakè tun
don, kunsigiw bèe lajèlen, u bèe lajèlen jèlen don, si jè don, nka a nyè, o b’a cogo
la, a nyèsiw fana ka bon, bonsi fana, i k’a dòn, o ka jan, o bè na fò disi la. nka ni i
y’a lajè, kamalen yèrè, a fasalen bè. o tèmènnen kò fè, nka ni i y’a lajè, i b’a dòn
k’a fò, maa min dòn, nin tè maa ye ko a bè kè kòo ye ka kè maa ka na na. a y’a lajè,
o tèmènnen kò fè, i k’a dòn k’a fò, tiyèn na, ka na se a tenda ma, fò kamalen wòsi
bè a nyèda la. a ka fini, aa ! Adama ma se ka fini, ka a cogo don, sabu finiw bèe
lajèlen, a farafaralen bè, i n’a fò maa tè fini min miiri n’i ka maa ye. ni i y’a lajè
fana, bunadamaden min n’a bòra dingè kònò ka sin Adama ma sisan, a bè san bi
wòorò ni san duuru hakè o la, nka ni i y’o lajè cogo o cogo, hali bi, a n’a galabu bè
nyòon fè. o tèmènnen kò fè, Adama y’a lajè, kamalen yèrè jòlen don ka Adama lajè.
o tuma na, a ye Adama fo a ka bunadamadenya foli la. sabu olu maa fila, u bè
kelennasigi min na, alu tè nyòon kala ma. Ala kòni, a ye nyankata kelen da u fila
bèe lajèlen kan, u tun bè o la u nyògòn lajè.
èe ! a ko, o tuma na, anw ka ko daminè o daminèyòrò la. a ka, k’a fò, kaso
kòlòsilikèbaaw kana dòn k’a fò anw bòra yanni nò. ni i y’a ye k’a fò anw tora anw
dama na fò o cogo ka kè maaw kana dòn k’a fò e ni ne, anw ye nyòon ye. o tuma, a
sòròla k’i nyèsin dingè ma, ka kabakurun ta, ka a sama ka bò. Adama ka dabali
banna. o tuma, ka tila ka kabakurun don dingè kònò. Adama nana ka na cèkòròba
ye cogo min na, k’a ye k’a fò nin fanga b’o la, o ye Adama dabali ban. aa ! a ko o
tuma na, Adama y’a nyininka, ko yeli, nin ko nin kèra cogo di ? a ko Adama ma, ko
baarakèminènw tè e bolo wa ? o tuma, e tun bè baara kè cogo di ? òo ! Adama ko o
tuma na, yela baarakèminènw bè e bolo wa, e ye baarakèminènw fana sòrò cogo
di ? aa ! cèkòròba, a nana y’i kanto Adama ma, a ko, n ye dò dila n yèrè ye, fò n ma
lim de sòrò. sino, fèn o fèn n ka kan k’o nyini, ni o ye kèmèsu, pensi, ani lewuye, n
ye u bèe dila n yèrè ye. aa ! Adama ko o ma o yòrò la, a ko, e ka baarakèminènw
nununw, e ka olu sòrò kaso kònò, a ko, fò n ka olu ye, a bè ka n dabali ban, i ka
baarakèminènw, n b’a fè k’o ye. o yòrònin bèe lajèlen, cèkòròba, a nana ka na siso,
ni anw b’a fò kèmèsu, k’o jiran a la. o tèmènnen kò fè, a ye muru dò jiran a la, o n’o
kalaw. èe ! Adama y’a nyininka, ko o tuma, e ye nin bèe lajèlen dila cogo di ? èe ! a
ko, n ka li, o nègè dò, n ye o de ta, n ye o dingè de sen fana ni o de ye fò ka na se e
cogo la, dingè min b’a la, ni a ka jan, i n’a fò i b’a dòn ne ni e cè bè cogo min na.
Adama kabara. e sera ka nin baara bèe lajèlen kè ni nin ye ? aa, cèkòròba, a y’i
kanto Adama ma, a ko, sabali k’i kan jigin, sabu, tuma dòw la, kaso kòlòsilibaaw, u
bè se ka na ka na u beleke ka anw kan lajè. èe ! Adama ko, u b’a dòn k’a fò anw
kelenw don, maa tè yan. èe ! cèkòròba ko a ma, ko n den, a ko, i kòlòsi, i jan to i
yèrè la, o kòrò ko ka nyi, i kan jigi. Adama, hali bi, a kabakoyara, a ko, e ye nin
baara bèe lajèlen kè ni ninw minènw ye fò ka se yan ? èe, a ko, o de ye n ye nin de
kè ka bò n ka kaso kònò ka se e ka yòrò la yan, n ye nin baara k’o ye. nka n filila n
ka jatew la, sabu, jatekèminènw tè n bolo ka o ko lajè. fili de y’a to n sera yanni nò.
òo ! n filila min kèra, n kelekura, o de nana ka kè ten, ni o tun tè, n ye nganiya min
siri, o ye ka dingè sen ka bò n ka kaso kònò ka finyè sòrò ka taa. aa ! a ko, n ka
baara bèe lajèlen tiyènna. sabu ka da a kan, yòrò min filè nin ye, n bè e ka kaso
kònò yan, a ko, bòyòrò fana tè yan dè, n bè ka na bila werenda min kòrò, bòyòrò tè.
Adama ko, o ye tiyèn ye, a ko, i bè werenda min na nin ye, o fana bè taa kasobon
wèrè la, waa kasobon naani dè bè yanni nò. èe ! a ko, nin tè baasi ye. a ko, nin ye
kabakun ye. nin ye san tan baara, san tan baara ni dugujukòròsennamaaw tan bè se
baara minnu kè, a ko, o ye o ye. a ko, waa nin, kaso sigilen don, o fara de kan. a ko,
ni anw y’a ta yòrò o yòrò, anw bè taa don dugujukòròso min na fana, konnègè bè
olu fana na, maa tè se ka bò. o tuma na, a ko, nin kèra baara ye. o tora o cogo la ten.
aa ! i k’a dòn, Adama, ale kòni dabali banna. nin cèkòròba dunan min bòra dugu
jukòrò ka se ale ma, cèkòròba yèrè ye kabakofèn ye, a bòyòrò fana ye kabakofèn
ye, o ye Adama dabali ban. o tuma na, a tilala ka a nyininka, a ko, Adama, a ko,
yèlèn nin tabali kan dè. Adama yèlènna. òo ! a y’a dòn a ka cèkòròba a bè na min
kè, i kò da kogo la, k’i bolo fila kòròta. o ka na a lajè. Adama tun t’a dòn k’a fò,
hali bi, ale ni maa min nyòon na, a tè tògò dòn a la. o yèlènna ale yèrè kèrè fè. o
tuma, ka Adama dabali ban. sabu cèkòròba don, nka a galabu b’a la, o ye Adama
dabali ban. o tuma na, u yèlènna k’u nyèmada. u ye waati nin kè dòròn, cèkòròba bè
na ka a kunjigin. aa ! a ko, n sikira min na, o ko ye tiyèn ye. a jiginna Adama kèrè
fè tabali kan k’i sigi. èe ! Adama ko o ma, e kunjiginna mun na ? sabu ka da a kan,
a y’a ye cèkòròba fari fara. cèkòròba miirila ka miiri, a ko, ni e ka kasobon seleke
naani na dè, a ko, n nana ka bò o de kan. a ko paturuyi bè tèmèn o yòrò la, santineli
bè yanni nò. èe ! cèkòròba ko o yòrò la, a ko, n ye sorodasi ka minènw ye sisan, ka
a ka marifaw nununw ye, o de y’a to n ye kunjigin. Adama ko, a kèra cogo di ? èe !
a ko, n yèrè kòni, n b’a dòn sisan k’a fò n bòlicogo tè, ka n to nin kaso kònò. n bòra
kasobon dò kònò ka don kaso wèrè kònò. aa ! Adama, o dabali banna. èe ! maa kura
nin, a nana ka na a fò, a ko, ni Ala ko cogo min, a bè kè ten.
[…]
a ko, n tun hakili b’a la, k’a fò, n ni Ala ka danfènw bè nyòonw na. a ko, nka
sisan, a kèra o de ye. a ko, ni ne kèlen ka nin dingèba sen, ka sen, a ko n y’o de sen
o kama, k’a fò n bè na Ala ka danfèn min ye bunadamaden de ye ka olu faa waasa n
ka bòli, a ko, n tè na se o kè. èe ! Adama ko, o tuma na, èe, a ko, yeli, mun b’i bal’o
la ? a ko, n’o ye Faraba ye, a y’i kant’a ma, a ko, mun y’a to e yèrè ma sòn i ka
kòlòsilikèbaa faa don dò ka bòli ni i yèrè ye ? aa ! Adama ko, o ma jigin n kònò. èe!
cèkòròba ko o ma, o tè. a ko, sabu, ka da a kan, maa min y’i mara ka nyè,
bunadamaden wèrè, adamaden nin, i b’a bonya, a ko o de don. a ko, i kana a yèlèma
ka ko gèlèya nana. a ko, ni i ye a lajè, hali kungokònòwaraw, ni i y’u kètò ye ka joli
bòn, u bè o daladumuni de nò fè, kungokònòbaganw, u tè joli bòn abada k’a fò joli
bònni ka di u ye. a ko, maa tè se ka nin ko kè.
[…]
a ko, n tun bè sèbènni kè, n tun bè kalan fana na. Adama nana a nyininka, o
tuma, u tun bè papiye ani kalamu di e ma ka o baara kè wa ? èe, cèkòròba, n’o ye
Faraba ye, a ko, o ma di n ma, n ye dò dila n yèrè ye. Adama ko, o tuma na, e ye
papiye dila i yèrè ye ka kalamu dila i yèrè ye ? dabaji fana, i y’o fana dila i yèrè
ye ? a ko, òhòn. Adama, a nana ka na cèkòròba filè, i k’a dòn a dabali banna.
kabako cèkòròba tun don a bolo. nka a nana ka na miiri. cèkòròba min bè yanni nò,
ni a bè se ka daba dila a yèrè ye, ka papiye dila a yèrè ye, ka kalamu dila a yèrè ye
kaso kònò, a ko, o fana, o ye cèw cè dò ye. cèkòròba, a nana dòn k’a fò, Adama
kamanaganna. èe, a ko, n den, a ko n y’a jir’i la waati min na ni e taara n ka yòrò
min na, n y’a jir’i la k’a fò n ye baara minnunw kè nin waati kònò na, o tuma i n’a
dòn k’a fò min don. n ye nin baara bèe lajèlen kè, sabu cèbakòrò, i mana kè yòrò o
yòrò, i k’i sigi o cogo la ten. a ko, n ye fasirili kè sèbènko dò kan. Adama k’i y’o
ke ? a ko, n y’o kè dèrè ! a ko, finunw minnu bè n bolo, n ye olu yèlèma ka kè
papiye ye, ka sèbènni kè olu kan. a ko o tuma na, yeli, e ye nansaraw ka subaa
dònni dònbaa dò ye wa ? a ko, aa, n bè dòoni dòn o la. a ko, n ye dònnibaa caman
ka kalan kè. aa ! o ko, o tuma na, dòoni, Adama ko o ma, dòoni kalan tè se ka nin
nyè dè ! a ko, yeli, gafew b’i bolo dè ? cèkòròba ko a ma, a ko n ka jamana kan, n’o
ye Rom jamana ye, a ko n ye jateminè kè, a ko livru minnu bè n bolo, n’o ye gafew
ye, a bè se ba duuru nyòon na ma. o bè n ka gafemaraso kònò. n ye olu kalan k’u
kalan, o de kosòn, n ye fèn caman si dòn o kònòna, sabu kalan de bè se ka maa
nafa. a ko, ka don kaso la yanni nò, ni i ye hakililajakabò, ni i y’o fèn minnu kalan, i
k’a dòn, o kalan nana ka na kè maa magonyèfèn kalan ye. magonyèkalan min b’a
la, nin ye n dèmè ka magonyèfèn dila. èe ! Adama nana a nyininka, ko, n ka
cèmògò, o tuma, i bè kanw caman mèn wa ? òo, a ko, o yòrò la, a ko n bè kanw
duuru mèn, kanw duuru min bè fò anw ka jamanaba kònò, n’o ye alemanw ka kan
ye, tubabubilenw ka kan, italiyènw ka kan, angilènw ka kan, esipanyòliw ka kan,
ani gèrèki fana, n b’o fana dò mèn, ani gèrèki kòròlen ani a kura bèe lajèlen. a ko, n
bè nununw bèe lajèlen fò, n bè gèrèki kura de kan sisan. Adama nana a nyininka, a
ko i b’i kalan de la na nin waati fana k’i to kaso kònò nin cogo nin na wa ? èe ! a
ko, n y’o kè dèrè ! n ye dònni min kè sanni n ka don kaso kònò, n ye olu fara
nyòonw kan, o tuma na, u bè n dèmè o baara la. òo ! n yèrè ye n dama na dònnisira
wèrè bò, o dònni fana kònòna, dakurunnyè ba kelen nyòon na b’o la.
[…]
o yòrònin bèe lajèlen, Faraba, a ko, tiyèn na Adama, a ko n nimisara. n
nimisara sabu ka d’a kan, n ye kuma min f’i ye, n nimisara. Adama ko mun na ? a
ko, n nimisara mun na, sabu n ye fèn don i dusu la, fèn min b’a la, n’o bè i n’a fò
tanyòonbò. a ko tiyèn na, n y’o don i dusu la, a ko, n nimisara o yòrò la. Adama
yèlèla. a ko, anw ka barow wèrè kè. cèkòròba nin, a nana k’a lajè ka waatinin kè. o
tuma na, o yòrònin bèe lajèlen, u nana ka baro wèrè daminè. cèkòròba, maa min
don, a bè kuma dòn kosèbè. waa, maa min don, sègèn, a b’o dòn. maa min don fana,
a bè se ka maa hakili ka don ko caman na. Adama nana ka na i sigi k’a lamèn, a bè
ka kuma minnu fò ka u bèe lajèlen lamèn. kuma kòni, a bòra fènw caman kan, ka na
se ale yèrè ka dòntaw ma ka na se fènw wèrèw ma, a tè fènw minnu dòn. cèkòròba,
a nana ka kuma a bèe lajèlen na. Adama, a ko, nin tè baasi ye, a ko nin min bè yanni
nò, nin cèkòròba nin, n ye ale bolo, yeelen de bòlen fò ale ka don kalan na nin fè.
aa ! a ko, ba Faraba, a ko, e ka kan ka n kalan. a ko, ni e ye n kalan, ko ka na n bò
kònòna miiri la, kelenna sigili la fana, a ko, nin bèe lajèlen na, e b’i kelen na, n b’i
kelen na. ni e ye n kalan, o na n ka waati tèmèn, ani waati tèmèn e yèrè kan.
TRADUCTION
Etait-ce un esprit surnaturel ? Etait-ce un être humain ? Adama ne parvenait
pas à le déterminer. Il supplia : « Vous que j’entends, je vous en supplie vraiment, à
présent montrez-vous ». De sous terre, on lui répliqua : « Votre gardien est-il
parti ? » Adama répondit : « Il est bien parti, il ne reviendra pas jusqu’au soir. Nous
avons douze heures devant nous, nous pouvons vaquer à nos affaires ». « Tant
mieux. Je pourrai effectuer mon travail. » Adama dit : « Je vous en supplie, mettez-
vous à l’œuvre ». Adama, qui observait la scène, avait à peine prononcé ces paroles
et {sache que} voici que la monticule de terre commença à se défaire. Adama
recula. Puis, tout d’un coup, terre et cailloux se mirent à tomber dans l’excavation,
ils chutaient, / chutaient ainsi / dans le tunnel. Stupéfait, debout, Adama contempla
la scène. Soudain, il vit paraître la tête d’un être humain, puis ses épaules, puis
l’être humain tout entier. Ah ! {Sache que} Adama s’étonna au plus haut point.
{Lors de notre causerie précédente, nous en sommes resté là.}25.
{Notre causerie d’aujourd’hui portera essentiellement sur un savant italien.}
Adama – lui qui était si solitaire, lui qui méditait seul – se précipita vers lui ; il vit
cette personne, il se précipita pour saisir sa main. Il la saisit, tirant [cette personne]
de manière à faire face à elle ; puis, il se dressa de manière à l’examiner à la [faible]
lumière qui pénétrait dans son cachot. Ah ! Cette personne, elle était d’une
constitution assez particulière. Elle était de taille moyenne ; tous ses cheveux
étaient blancs – une chevelure blanche ; mais son œil était vif. Ses sourcils étaient
épais ; {sache que} sa barbe était longue, {qu’}elle descendait jusqu’à sa poitrine.
Mais si tu l’observais attentivement, [tu constaterais qu’] elle était maigre. Si tu
continuais à l’observer, tu te rendrais compte que cette personne n’était pas comme
26
le sel destiné à la sauce . Ensuite, le regard d’Adama se posa sur le front de
l’homme : {sache, qu’en vérité} une sueur, telle celle d’un homme jeune, paraissait
sur son visage. Adama ne pouvait pas distinguer la nature de ses vêtements, qui
étaient tout déchirés : tu ne voudrais pas voir l’un de tes proches porter de tels
25
Résumé du chapitre 15.
26
C’est-à-dire : sans personnalité distinctive. On pourrait donc également traduire : « qu’elle
n’était pas dépourvue de personnalité distinctive ».
vêtements. Si tu l’observais, cet être humain qui venait d’émerger du tunnel pour
faire face à Adama, tu lui donnerais soixante-cinq ans environ ; mais [tu
constaterais qu’] il était encore solide. Adama continuait à l’observer, alors que
l’homme, debout, contemplait Adama. Puis, il salua Adama cordialement. Car ces
deux personnes, placées en détention solitaire, ne se connaissaient pas. Mais comme
Dieu leur avait imposé la même peine, elles s’examinaient mutuellement.
Puis, l’homme dit : « Remettons les lieux en leur état initial, de manière à ce
que les surveillants ne sachent pas que nous sommes sortis d’ici et qu’ils pensent
que nous sommes restés chacun de son côté ; qu’ils ne sachent pas que, vous et moi,
nous nous sommes rencontrés ». Puis, il se dirigea vers le tunnel, prit la grosse
pierre, la souleva et la fit sortir. Adama s’étonna. Puis, l’homme remit cette pierre à
sa place. Adama, en l’observant, comprit qu’il avait encore beaucoup de force ; [de
nouveau,] il s’étonna. Puis, Adama le questionna : « Comment avez-vous pu faire
cela ? » Le vieillard répondit : « Vous n’avez pas d’outils ? ». Oh ! Adama lui dit :
« Vous avez des outils ? Comment les avez-vous obtenus ? » Ah ! Le vieillard lui
répondit : « Je m’en suis fabriqué quelques-uns. A l’exception d’une lime, j’ai tout
ce dont j’ai besoin : ciseaux, pinceaux ainsi qu’un levier, je les ai tous fabriqués
moi-même ». Ah ! Aussitôt, Adama lui dit : « Vos outils, ceux que vous avez eus en
prison, ils m’intriguent, je voudrais les voir ». Immédiatement, le vieillard apporta
un ciseau – {dans notre langue, cela se dit également ciseaux} – et le lui montra27.
Ensuite, il lui montra un couteau, ainsi que ses manches. / Eeeh ! / Adama le
questionna : « Comment avez-vous fabriqué tous ces objets ? ». Le vieillard
répondit : « J’ai pris un élément métallique de mon lit, c’est aussi avec cela que j’ai
creusé le tunnel. C’est ce qui m’a permis de sortir de mon cachot et de parvenir
jusqu’à vous. Ce tunnel est long, comme la distance qui me sépare de vous. »
Adama s’étonna : « Comment avez-vous pu accomplir tout ce travail ? » Ah ! Le
vieillard lui répliqua : « Baissez votre voix s’il vous plaît, sinon cela pourrait nous
valoir une visite surprise des gardiens ». / Eeeh ! / Adama rétorqua : « Ils savent que
nous sommes seuls, qu’il n’y a personne ici [hormis chacun de nous dans sa
cellule]. » / Eeeh ! / Le vieillard lui répondit : « Mon enfant, faites attention, c’est la
prudence qui permet d’aller loin. Baissez votre voix. » Adama, toujours perplexe,
dit : « Vous avez accompli tout ce travail, de manière à parvenir jusqu’ici, avec ces
[seuls] outils ? » / Eeeh ! / « J’ai fait cela afin de m’échapper de mon cachot et je
suis arrivé jusque chez vous ici, j’ai oeuvré dans ce but. Mais je me suis trompé
dans mes calculs, car je n’ai pas d’instruments appropriés. C’est à la suite d’une
erreur que j’ai abouti ici. C’est mon erreur, l’erreur que j’ai faite, qui explique cela ;
sinon, j’avais la ferme intention de creuser un tunnel afin de sortir de mon cachot et
retrouver la liberté. Mais maintenant, tout mon travail est gâché, car ce lieu – votre
cachot que voici – n’offre pas d’issue, j’ai abouti sous une véranda qui n’a pas
d’issue ». Adama dit : « C’est vrai, cette véranda mène à un autre cachot : il y a
quatre cachots par ici ». Le vieillard déclara : « Tant pis. C’est le rocher. Il faudrait
dix ans, dix ans de travail à dix mineurs spécialisés pour accomplir ce travail, car
cette prison est plantée sur un rocher. En outre, de quelque côté que nous nous
27
On pourrait également écrire, en conservant l’un des termes employés dans le discours
d’origine, voire les deux : « le vieillard apporta un siso (ciseau) – {dans notre langue, cela se
dit également kèmèsu} ». Le terme kèmèsu est emprunté à l’arabe miqassun. L’animateur
nous a expliqué qu’il a employé les deux termes parce que certains auditeurs ignorent l’un ou
l’autre.
28
L’animateur interprète ici le début du chapitre 16, « Un savant italien » : « Dantès prit dans
ses bras son nouvel ami […] Vous voyez bien qu’il est impossible de fuir par votre cachot »
(pp. 137-139 de l’édition « Bouquins »).
29
L’animateur résume le passage : « Un instant, répondit l’abbé ; vous n’avez pas su, mon
cher compagnon, de quelle espèce est mon courage […] Mais l’homme, au contraire,
répugne au sang ; ce ne sont point les lois sociales qui répugnent au meurtre, ce sont les lois
naturelles » (pp. 143-144).
« Alors vous avez fabriqué du papier et des stylos par vous-même ? Avez-vous
également préparé de l’encre ? ». « Bien entendu. » Adama, interloqué, contempla
le vieillard. Ce vieillard était de l’ordre du miracle. Puis, il se mit à réfléchir : cet
homme, qui savait fabriquer du papier, des stylos et de l’encre dans son cachot, était
sûrement un homme d’exception. Le vieillard comprit l’embarras du jeune homme.
/ Eeeh ! / « Mon enfant, lorsque vous me rendrez visite, je vous les montrerai, je
vous montrerai les œuvres que j’ai réalisées pendant ce temps. J’ai fait tout ce
travail parce que quelles que soient les circonstances, un homme se doit de réagir.
J’ai composé un livre. » « Vous avez fait cela ? » « Tout à fait ! J’ai transformé mes
vêtements en papier afin de pouvoir écrire là-dessus. » « Alors, vous êtes l’un des
grands savants d’Europe ? » « J’ai un petit savoir. J’ai étudié auprès de plusieurs
maîtres. » Ah ! Puis, Adama dit : « Un peu de savoir ne peut pas suffire à cela.
Alors, vous avez des livres ? » Le vieillard répondit : « Dans mon pays, c’est-à-dire
à Rome, j’estime que j’avais environ cinq mille volumes dans ma bibliothèque. Je
les ai étudiés longuement, si bien que je connais une grande partie de leur contenu,
car l’étude est utile à la personne. Si, en se retrouvant en prison, on s’efforce à
réfléchir, {sache que} ce qu’on a appris peut s’avérer utile. Cette étude m’a aidé à
obtenir ce dont j’avais besoin ». Adama l’interrogea : « Mon père, alors vous
comprenez plusieurs langues ? »30. Oh ! « Je comprends cinq langues, cinq langues
qui se parlent dans plusieurs de nos grands pays : l’allemand, le français, l’italien,
l’anglais, l’espagnol, et aussi le grec – je comprends quelque chose au grec ancien
comme au grec moderne. Je parle ces langues ; j’apprends actuellement le grec. »
« Vous avez étudié pendant ce temps passé en prison ? » / Eeeh ! / « Parfaitement !
J’ai réuni [dans mon esprit] tout ce que je savais avant d’entrer en prison, cela m’a
aidé dans mon travail. Je me suis développé une méthode d’étude personnelle, ce
savoir porte sur environ mille mots. »31.
[…]
A cet instant, Faraba déclara : « En vérité, Adama, je le regrette. Je regrette ce
que je vous ai dit ». Adama répliqua : « Pourquoi ? » « Je le regrette parce que j’ai
introduit le sentiment de vengeance dans votre cœur. En vérité, je l’ai introduit dans
votre cœur, je le regrette. » Adama rit. Il dit : « Parlons d’autres choses ». Le
vieillard était venu [avec l’intention de] lui rendre une brève visite, afin de voir
comment il se portait. Ils s’engagèrent dans une autre conversation. Le vieillard
s’exprimait avec éloquence. C’était également un homme qui avait beaucoup
souffert et qui savait pénétrer dans la pensée d’autrui. Adama s’installa pour
l’écouter, pour entendre toutes ses paroles. Le vieillard parla de beaucoup de
choses : de celles qu’Adama connaissait comme de celles qu’il ignorait. Adama se
dit : « Ce n’est pas si mal. Cet homme qui se trouve ici est une source de lumière, il
faut que j’étudie avec lui ». Ah ! Il dit : « Mon père Faraba, il faut que vous
m’enseignez, cela me fera sortir de mes mauvaises pensées et de ma solitude. De
plus, cela va me faire passer le temps, cela vous fera passer le temps aussi ». Le
vieillard sourit. Ah ! « Mon enfant, en ce monde, l’étude peut être longue comme
30
Cèmògò, de même que ba (plus loin), est une forme respectueuse d’adresse à l’égard d’un
homme âgé, très souvent assimilé au père de l’intéressé ; c’est pourquoi nous avons traduit
par « père ». Il ne s’agit donc pas ici d’un terme d’adresse à l’égard d’un ecclésiastique. On
pourrait peut-être également traduire par « maître ».
31
« J’écrivais ou j’étudiais […] je ne serai pas éloquent, mais je me ferai comprendre à
merveille et cela me suffit » (pp. 145-146).
elle peut être brève. Si je devais vous enseigner les mathématiques, la physique,
l’histoire et nos langues, ah ! en deux ans, je ne pourrai vous en apprendre que les
rudiments ! » Adama dit : « Deux ans ? Je pourrai apprendre tout cela en deux
ans ? » Ah ! « Vous pourriez en apprendre les principes. Mais quant au reste, cela
ne pourra se faire, il faudrait que vous l’appreniez par vous-même. » / Eeeh ! / « Je
veux faire des études de philosophie : [la réunion des] éléments dispersés de
l’intelligence. » Faraba lui rétorqua : « On ne peut pas étudier cela : il s’agit de
réunir tous les savoirs afin de hisser son esprit vers un autre plan. C’est comme si
32
les prophètes marchaient sur des nuages de pluie brillants ». Adama répondit :
« Ce n’est pas grave. Vous voulez m’enseigner quelle matière ? Parce que je veux
commencer l’étude tout de suite ». « Toutes les matières ? » « Parfaitement. » Puis,
ils se turent. Mais à partir de ce jour, ces deux personnes, le vieillard et le fils qu’il
s’était découvert dans une cellule de prison, établirent l’emploi de temps pour
33
l’étude qu’ils devaient entreprendre dès le lendemain .
32
Traduction assez littérale d’une phrase d’Alexandre Dumas : « […] la philosophie, c’est le
nuage éclatant sur lequel le Christ a posé le pied pour remonter au ciel », elle-même inspirée
des Actes des Apôtres, I, 9 : « Quand il eut dit cela, ils le virent s’élever ; puis une nuée vint
le soustraire à leurs regards ». (Note de Claude Schopp, éd. Bouquins, p. 157).
33
Chapitre 17 : « Je suis fâché de vous avoir aidé dans vos recherches et de vous avoir dit ce
que je vous ai dit […] dès le soir, les deux prisonniers arrêtèrent un plan d’éducation qui
commença de s’exécuter le lendemain ». (Ed. Bouquins, pp. 157-158.)