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Journal des africanistes

80-1/2  (2010)
Création littéraire et archives de la mémoire

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Tal Tamari
La littérature française en traduction
bambara : l’exemple du Comte de
Monte-Cristo
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Référence électronique
Tal Tamari, « La littérature française en traduction bambara : l’exemple du Comte de Monte-Cristo », Journal
des africanistes [En ligne], 80-1/2 | 2010, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 01 juin 2013. URL : http://
africanistes.revues.org/2470

Éditeur : Société des africanistes


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Tous droits réservés
*
Tal TAMARI

La littérature française en traduction


bambara :
l’exemple du Comte de Monte-Cristo
Résumé
Bakary Tangara, instituteur de formation et directeur d’école, anime depuis 1996 une
émission à Faso Kanu (une radio libre de la ville de Banamba) consacrée principalement à la
présentation en bambara, l’une des langues nationales du Mali, des ouvrages littéraires
composés ou déjà traduits en français. Il interprète les œuvres d’auteurs aussi bien africains
qu’européens, ainsi que des récits merveilleux choisis dans la littérature universelle. Nous
analysons plus spécialement son adaptation du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas
(1ère éd. : 1844-46), qui a suscité un intérêt exceptionnel auprès de son auditoire. Nous
traitons des facteurs expliquant cet intérêt, des interprétations de l’œuvre et de ses
personnages proposées par l’animateur et ses auditeurs, des processus d’adaptation et de
traduction, ainsi que, de manière plus générale, des rôles de la traduction dans la culture
malienne.
Mots-clefs
Mali, bambara, Banamba, radios libres, genres littéraires, Alexandre Dumas

French Literature in Bamana Translation: The Example of The Count


of Monte Cristo
Abstract
Bakary Tangara, a trained schoolteacher and elementary school director, has since 1996
assured a programme, broadcast by Faso Kanu (an independent radio station based in the city
of Banamba), devoted primarily to the presentation in Bamana, one of the national languages
of Mali, of literary works composed in or translated into French. He presents the works of
both African and European writers, as well as tales of the supernatural drawn from world
literature. Special attention is given to his adaptation of The Count of Monte Cristo by
Alexandre Dumas (first ed.: 1844-46), which aroused exceptional interest in his audience.
Thus, we analyse factors accounting for this interest, the radio host’s and his listeners’
interpretations of the narrative and its protagonists, the processes of adaptation and
translation, and more generally, the roles of translation in Malian culture.
Keywords :
Mali, Bamana, Banamba, independent radio stations, literary genres, Alexandre Dumas

*
Chargée de recherche au CNRS, CEMAF, 9 rue Malher, 75004 Paris ; chargée de cours à
L’Université libre de Bruxelles, Institut de Sociologie, avenue Jeanne 44, 1050 Bruxelles.

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Depuis l’indépendance, le Mali a accordé une grande importance à


l’écriture des langues nationales, ainsi qu’à leur traduction en français et
inversement. Aussi ce pays a-t-il développé et défini par décret des
alphabets officiels pour ses différentes langues, créé des instituts spécialisés
et des commissions qui ont élaboré des dictionnaires, grammaires et
manuels, et introduit les langues nationales dans l’enseignement. Des
œuvres de littérature orale ont été recueillies, transcrites dans les langues
d’origine et traduites en français. Une masse importante de documents, en
général de caractère technique ou appliqué (touchant notamment à
l’agriculture et à la santé) a été traduite, dans le cadre du journal mensuel
Kibaru (litt. : « Les nouvelles » ou « Les informations » ; fondé en 1972) ou
dans d’autres publications. Un certain nombre de livres pour enfants ont été
traduits du français en bambara, ou conçus en bilingue : contes de Charles
Bailleul et d’Ismaïla Samba Traoré, albums et bandes dessinées publiés par
les éditions Le Figuier1. Quelques œuvres littéraires ont également été
traduites : Le Petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry en bambara (1989),
Les Fables de La Fontaine en bambara, peul, soninké, songhay et tamachek
(1999).2 Quelques poèmes, composés dans différentes langues européennes,
ont été traduits dans le cadre de la revue culturelle Jama [Le Peuple],
entièrement rédigée dans les langues nationales3. Le programme de radio
dont nous traiterons ici représente une tentative, sans doute unique, de
traduire une sélection importante de la littérature française et internationale
en une langue nationale, en l’occurrence le bambara.
Bien que ce programme se situe certainement dans le cadre des
interactions entre les langues nationales et le français, il est bon de se
souvenir qu’il existe une tradition beaucoup plus ancienne de traduction au
Mali : dans le cadre de l’enseignement islamique avancé, les marabouts
traduisent oralement dans leurs différentes langues, selon des méthodes bien

1
Par exemple : Bailleul s.d., Traoré 1989, Diarra et Zoeomé 1997. Certaines langues
maliennes, dont le mandingue, le soninké et le peul, avaient déjà été transcrites en caractères
arabes avant la colonisation. Cependant, pour autant qu’on le sache aujourd’hui, cette
production écrite était peu abondante, à la différence par exemple du peul au Fouta Djalon
(Guinée) ou du mandingue en Sierra Leone. (Le mandingue est un ensemble de langues ou
parlers, le plus souvent mutuellement compréhensibles, incluant notamment le malinké et le
bambara). Plusieurs populations maliennes, dont les Bambara, les Bozo et les Dogon,
possédaient des systèmes de signes développés.
2
Des tentatives analogues ont sans doute eu lieu dans d’autres pays. Au Sénégal, L’Aventure
ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Kane a été traduite en peul (2005). Le romancier
sénégalais Boubacar Boris Diop écrit tant en wolof qu’en français.
3
Revue fondée en 1979, publiée par l’Institut des Sciences Humaines, Bamako. Nous avons
particulièrement apprécié la traduction en bambara, réalisée par Abdoulaye Barry (1992),
d’une méditation du poète ukrainien Nikolaï (ou Mikola) Bazan à propos des sculptures de
Michel-Ange (1974, pp. 43-45).

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précises, des ouvrages au contenu religieux ou profane composés en arabe


(Tamari 2002, 2005, sous presse).
Remarquons également que les traductions impliquant une interaction
entre l’écrit et l’oral, ou entre deux ou plusieurs langues parlées, sont
sûrement plus fréquentes que celles qui ne portent que sur les formes
écrites. En ce qui concerne l’oral, le processus de traduction est omniprésent
et incessant. Ainsi plusieurs programmes de la radio nationale, fondés
(comme dans le cas que nous examinerons ici) sur un support écrit en
français, sont donnés dans une langue nationale. Hommes politiques et
prêcheurs musulmans préparent des notes respectivement en français et en
arabe, mais font leurs discours dans une langue nationale. Dans les familles
comme dans les bureaux et lors des réunions amicales, les conversations
alternent entre deux ou plusieurs langues, en fonction des sujets et de
l’identité des participants4. Des traductions orales appropriées sont souvent
fournies à l’intention des personnes qui ne maîtrisent pas l’une de ces
langues.

UN PROGRAMME DE RADIO A BANAMBA5


Bakary Tangara, instituteur de formation et actuellement directeur
d’école, anime un programme littéraire, appelé baramuso bulon (litt. : « le
vestibule de l’épouse préférée ») dans le cadre de la radio libre Faso Kanu
(« L’amour de la patrie »), qui a son siège à Banamba, ville importante et
chef-lieu d’un cercle (population totale : environ 160.000 habitants) de la
Région de Koulikoro (Mali). Banamba fait partie des dugu wolonfila (« les
sept villages ») fondés au début du XIXe s. par des Soninké de culture
musulmane dans une zone de peuplement bambara alors particulièrement
attachée aux croyances et pratiques ancestrales. La langue bambara est
fortement majoritaire à Banamba-ville, mais le soninké domine dans
certains villages et l’on rencontre également des familles parlant le peul.

4
Pratiques bien analysées par Bouwman (2005).
5
Cette étude est fondée sur trois entretiens avec Bakary Tangara (Koulikoro, avril 2005 ;
Banamba, mai 2006 et janvier 2009) ainsi que sur des interviews de plusieurs personnes
actives à la radio ou à la coopérative culturelle Faso Kanu et d’auditeurs ordinaires, et sur
l’audition de cassettes. Nous souhaitons particulièrement remercier Mamadou Simpara,
député de Banamba, ainsi que Samba Coulibaly, premier directeur de la radio (entretien à
Bamako en avril 2009). Radio Faso Kanu a reçu l’appui, à différents moments, de l’Aide à la
Presse (Ministère de la Communication et des Nouvelles Technologies), des ONG Plan
International et Fonds de Développement en Zone Sahélienne (FODESA), ainsi que le
soutien régulier de grands commerçants originaires de la ville. Nous remercions Aline
Présumey, alors assistante technique à l’AFLAM (Appui à la filière du livre au Mali ;
programme de coopération franco-malien), d’avoir attiré notre attention sur cette radio et les
activités de Bakary Tangara en particulier.

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Radio Faso Kanu émet principalement en bambara, mais aussi en soninké et


en peul.
Les radios libres (c'est-à-dire celles qui ne dépendent pas de l’Etat)
furent autorisées au Mali à partir de 1992 6. Radio Faso Kanu fut fondée sous
sa forme actuelle en 1995, comme organe de la coopérative culturelle de
même nom ; actuellement, elle peut être captée sur presque tout le territoire
du cercle. Une autre radio libre, Badenya (« L’entente familiale »), diffuse
principalement sur Banamba-ville. Le programme littéraire baramuso bulon
fut inauguré en 1996 et continue jusqu’à présent.
L’animateur, Bakary Tangara, fit ses études fondamentales (neuf
premières années d’étude) à Ségou et à Markala (Région de Ségou) avant
d’être inscrit à l’Institut Pédagogique d’Enseignement Général (IPEG) de
Sikasso (1974-1976). Nommé instituteur en 1976, il a toujours exercé dans
le Cercle de Banamba. Depuis 1982, il enseigne dans les écoles de la ville.
Baramuso bulon est diffusé chaque soir, du lundi au samedi, de 19h à
20h. La première demi-heure est consacrée à la musique (chansons et pièces
instrumentales, choisies par Bakary Tangara), la narration occupe la
seconde demi-heure de l’émission. L’animateur explique comment il a été
amené à concevoir ce programme ; il se réfère aussi bien au souvenir de
contes entendus lorsqu’il était enfant qu’à son expérience pédagogique et à
son goût pour la lecture, la musique et le théâtre.
Enfant, il a été élevé par sa grand-mère maternelle. Il l’a écoutée, ainsi
que son grand-père et une grand- tante, raconter des contes (nsiirin)7. Cette
activité avait généralement lieu entre le crépuscule et la tombée de la nuit,
pendant que les mères de famille vaquaient à la préparation du dîner ; il a
voulu conserver le même horaire pour son émission à la radio. Il se rappelle
aussi comment, souvent, de grands enfants disaient des contes aux plus
petits. Beaucoup plus tard, en 1995, il suivit une formation en langue
nationale de 45 jours, à l’Institut de Formation des Maîtres de Kangaba8.
Lors des quelques jours consacrés aux contes, il prit conscience de leur
valeur pour le développement des capacités de mémorisation et de

6
Décret interministériel du 7 avril 1992. Schulz (2001) et Leguy (2007) analysent les rôles
socioculturels de la radio et particulièrement son impact sur la transmission et l’évolution de
la littérature orale (respectivement dans les Cercles de Kita et de Koutiala).
7
Contes merveilleux ou contes populaires, mettant souvent en scène des animaux (par
exemple, hyène et lièvre), mais aussi des humains et des êtres surnaturels. Le plus ancien
recueil de contes bambara est celui de Moussa Travélé (1923) ; il en existe également
beaucoup d’autres.
8
Cette ville, également située dans la Région de Koulikoro, est l’un des hauts lieux de la
culture malinké (étroitement apparentée à celle des Bambara). Tous les sept ans, des griots
Diabaté se réunissent pour réciter l’histoire des Keita, qui ont régné sur l’ancien empire du
Mali (de 1230 à 1600 environ). Voir par exemple Meillassoux (1968).

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raisonnement de l’enfant. Plus tard la même année, il suivit un autre stage


de dix jours, organisé cette fois-ci dans la ville de Banamba, afin de devenir
« formateur de formateurs » en langue nationale. Il s’intéressait depuis
longtemps à l’écriture en langue nationale, ayant été initié à sa pratique par
un collègue dès 1976.
Son goût de la lecture s’était développé dès ses années de collège, sous
l’impulsion d’un cousin qui devait faire plus tard des études de philosophie
à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako, puis assurer des responsabilités
importantes dans le domaine de l’éducation. Il a ainsi découvert plusieurs
ouvrages de la « Bibliothèque verte », puis des romans pour adultes, dont Je
ne suis pas un homme libre [Tell Freedom] du Sud-africain Peter Abrahams
(paru en 1954). Depuis il fréquente régulièrement les bibliothèques et
s’achète aussi des livres à titre personnel. C’est à la Bibliothèque de lecture
publique de Banamba, placée sous la responsabilité de Mamadou Simpara
(devenu par la suite député de Banamba) et financée par un programme de
la coopération franco-malienne9 qu’il a pris connaissance d’un grand
nombre des ouvrages qu’il allait présenter dans le cadre de son émission.
Son intérêt pour la musique s’est manifesté lors de ses études à l’IPEG
de Sikasso. Il a appris à jouer de la guitare en 1977, auprès d’un collègue
fonctionnaire. Vers 1990, il a appris à jouer de l’orgue. Depuis 1984, il est
le principal responsable de la troupe de théâtre du Cercle de Banamba dont
il a dirigé également l’orchestre. Il s’intéresse particulièrement au chant.
Plusieurs de ses élèves ont obtenu des prix à la Semaine culturelle de
Koulikoro (organisée tous les deux ans ; les manifestations régionales
préparent la Biennale nationale, l’un des événements marquants de la vie
culturelle au Mali depuis l’indépendance). Certains de ses anciens élèves
sont devenus musiciens ou comédiens professionnels.
L’indicatif du programme baramuso bulon est composé d’un extrait de
la chanson de même titre due à la griotte Wanndé Kouyaté, originaire de
Madina Sacko, village du Cercle de Banamba10, et des paroles
d’introduction prononcées par Samba Coulibaly, premier directeur de la
radio Faso Kanu. Dans cette chanson, la griotte recommande à l’épouse
préférée de veiller aussi au bien-être de la mal-aimée, car leurs situations
respectives pourraient évoluer, et plus généralement, elle prône des relations
familiales harmonieuses. Pour la demi-heure musicale, l’animateur choisit

9
Opération lecture publique (OLP ; 1977-2001), prolongée par le projet de coopération
franco-malien Appui à la filière du livre au Mali (AFLAM ; 2001-2007) et donnant lieu à la
création en 2001 du Centre National de Lecture Publique. Mamadou Konoba Keita (devenu
par la suite directeur de la Bibliothèque Nationale), Fatogoma Diakité et Dominique Vallet
ont été les principaux responsables de l’OLP et de l’AFLAM.
10
Cassette industrielle éditée avant 1985.

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des œuvres d’artistes locaux, mais surtout des pièces en vogue au plan
national. Il considère que la demi-heure musicale est comme une invitation
à suivre le récit en famille et une préparation à son écoute attentive. Il
estime que l’écoute collective permet une meilleure assimilation et
compréhension du récit que l’écoute individuelle et qu’elle stimule
l’échange de vues.
En débutant son programme, Bakary Tangara a d’abord visé un public
de personnes non lettrées ou récemment alphabétisées en langue nationale ;
ce public devrait comporter dans son esprit une majorité de femmes et
d’enfants. A sa grande surprise, cependant, le programme a également
suscité un vif intérêt chez les personnes lettrées et notamment chez les
fonctionnaires en poste à Banamba. Certains auditeurs lui ont indiqué des
thèmes ou des ouvrages qu’ils souhaitaient particulièrement voir traités.
Beaucoup d’auditeurs ont lu les ouvrages après les avoir entendus à la radio.
D’autres, qui les connaissaient déjà, ont estimé qu’ils les comprenaient
mieux à la suite de son émission. Bakary Tangara estime que la plupart des
foyers de Banamba ainsi que des villages qui captent bien la radio écoutent
régulièrement son programme.
Toutes les prestations narratives sont enregistrées sur cassettes audio :
le plus souvent en direct, pendant l’émission, quelquefois à l’avance
(lorsque l’animateur prévoit de voyager, par exemple). Avant chaque
enregistrement, l’animateur étudie le texte à présenter, choisit les passages à
traduire intégralement ou à condenser, et prépare la traduction ou
l’interprétation de certains mots ou phrases particulièrement difficiles. Il
décide aussi de l’événement ou de la scène sur lequel il achèvera l’émission,
de manière à maintenir le suspense et à inciter les auditeurs à écouter
l’épisode suivant. L’enregistrement s’effectue alors qu’il a le livre ouvert
devant lui : il lit mentalement le texte dans la langue d’origine et prononce
une traduction non écrite et non mémorisée à l’avance. L’unité choisie pour
la traduction est en général la phrase ou une subdivision importante de la
phrase11.
Les ouvrages présentés dans le cadre de l’émission révèlent un goût
éclectique, et aussi la volonté de plaire à un public diversifié. Ainsi, Bakary
Tangara a présenté des romans d’auteurs maliens, dont Wangrin de Amadou
Hampâté Bâ (paru en 1973), la trilogie de Kita et L’Assemblée des djinns de
Massa Makan Diabaté (1979-1982, 1985) et L’Archer bassari de Modibo

11
Ainsi, comme dans la traduction des livres arabes traditionnellement pratiquée par les
marabouts, celle-ci est improvisée. La pratique de traduction de Bakary Tangara diffère
cependant de celle des marabouts, en ce sens qu’elle produit un discours homogène dans une
langue nationale, alors que la leur consiste en une alternance, fondée sur les unités
syntaxiques, entre la langue de départ et la langue d’arrivée.

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Sounkalo Keita (1983 ; auteur établi au Sénégal), ainsi que la pièce de


théâtre La Mort de Chaka (consacrée au leader zoulou du début du XIXe s.)
de Seydou Badian (1962)12. Mais il a présenté également l’Odyssée, des
ouvrages de science fiction de Jules Verne, des romans policiers d’Agatha
Christie, Chacal (Day of the Jackal) de Frederick Forsyth (1971), des récits
d’espionnage et d’action de Gérard de Villiers, et Les Trois mousquetaires
d’Alexandre Dumas (1844). Il a également présenté des ouvrages portant
sur l’histoire du Mali, qui ont suscité de très vifs débats parmi les auditeurs.
Il envisage de préparer une série d’émissions philosophiques, portant sur le
concept de la cité.
Trois œuvres ont connu un succès exceptionnel et, en conséquence, ont
été diffusées deux fois : Les contes et légendes du Niger de Boubou Hama,
contes songhay recueillis, puis recomposés, par cet auteur nigérien ; les
Mille et une nuits (deux sélections différentes, fondées sur deux éditions
différentes : 1979, 1991-1996) ; et surtout, Le Comte de Monte- Cristo.
Cette œuvre a été présentée en 2000, puis en 2003. A la demande de
nombreux auditeurs, l’animateur envisage de la reprendre une troisième
fois, et aussi de préparer une traduction écrite de certains passages. La
seconde version, un peu plus longue, a été racontée sur une période de
plusieurs mois, correspondant à environ 50 heures d’enregistrement. Pour la
première version, l’animateur a contracté de nombreux passages du livre ;
pour la seconde, il a souvent préféré une traduction phrase par phrase. Dans
les deux cas, et conformément à sa pratique générale, il a privilégié les
dialogues. Les stratégies d’adaptation et de traduction des deux versions
diffèrent aussi sur un autre point : pour la seconde version, il a choisi des
noms bambara pour les principaux personnages du roman. En général, ces
prénoms ont été choisis en fonction de leur ressemblance phonique avec les
noms du roman français ; cependant, un personnage, le procureur Gérard de
Noirtier de Villefort, reçoit un prénom symbolique : nama, désignation de la
hyène dans les contes, animal représenté comme à la fois rusé et égoïste (si
bien que sa ruse finit généralement par se retourner contre lui-même) 13.

12
Pour un bon survol de la littérature malienne d’expression française, voir l’étude de Le
Potvin (2005). La revue Notre Librairie a consacré un numéro spécial à la Littérature
malienne, orale et écrite (1984, réimprimé en 1986).
13
Ainsi : Edmond Dantès, le protagoniste du roman : Adama [Adam] ; celui-ci, dans sa
qualité de comte de Monte-Cristo : montekirisito masakè (littéralement : roi de Monte-
Cristo) ; l’abbé Faria : Faraba ; Mercédès : Maryama [Marie] ; Haydée : Hawa [Eve] ;
l’armateur Morrel : Musa [Moïse] ; Fernando Mondego : Fuseni [Husayn] ; Danglars :
Dawuda [David] ; Caderousse : Gawusu (prononcer : Gaoussou). Même le nom du procureur
est conforme à un principe de correspondance phonique, car l’initiale de la première partie de
son nom de famille correspond à celle du nom bambara. L’animateur a estimé qu’il était
indispensable de respecter ce principe, afin que ses auditeurs lettrés puissent accéder
facilement au livre.

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Toutes les œuvres précitées – romans et récits historiques – sont


considérées comme des maana. En effet, ce terme peut s’appliquer aussi
bien à des récits considérés comme véridiques qu’à d’autres considérés
comme imaginaires, aussi bien à des récits narrés par des griots ou d’autres
conteurs expérimentés ou professionnels qu’à des discours ou débats,
éventuellement à bâtons rompus, produits par une ou plusieurs personnes.
Bakary Tangara indique que, de manière générale, les maana diffèrent des
contes (nsiirin) par leur longueur, les contes ne dépassant pas quinze ou au
maximum vingt minutes14.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO : LA FASCINATION DU RECIT15


Animateur et auditeurs étaient fortement intéressés par la dimension
morale du roman. Ils éprouvaient de la sympathie pour Edmond Dantès
jeune, mais la plupart considéraient qu’il avait porté trop loin sa volonté de
vengeance, en particulier à l’égard de Mercédès, à qui, selon eux, il n’avait
rien à reprocher16. C’est cette volonté de vengeance, selon l’animateur, qui
l’empêchait de retrouver le bonheur ; comme beaucoup d’auditeurs, il
imagine une suite dans laquelle Edmond épouserait Haydée17. Le caractère
de surhomme de Monte-Cristo attire cependant quelques-uns. Beaucoup
d’auditeurs soulignent les éléments (à leur sens) miraculeux ou merveilleux
du récit, ce qui concorde bien avec leur engouement pour les Contes de
Boubou Hama et les Mille et une nuits. Un auditeur compare même le comte
à Izé-Gani, personnage surnaturel des récits de Boubou Hama. D’autres
insistent sur le rôle du destin dans Monte-Cristo comme dans Wangrin ; ce
concept est fondamental dans la religion musulmane comme dans les
14
Dans notre expérience, la longueur moyenne des nsiirin racontés en milieu villageois est
de trois à cinq minutes ; toutefois, certains sont beaucoup plus longs. Si les maana sont
généralement assez longs, nous avons cependant entendu appliquer ce terme, dans quelques
cas, à des discours très brefs (par exemple, des anecdotes incluses dans un discours plus
long : cf. Tamari 2007, particulièrement pp. 81-82). Nous estimons donc qu’en général, la
traduction du terme maana par « épopée » (cf. Johnson, Hale et Belcher 1997, p. xix ;
Belcher 1999, pp. 91, 217) ne se justifie pas. Sa traduction par « récit », voire simplement
« narration », nous semble plus adéquate.
15
Le Comte de Monte-Cristo est aussi l’un des plus célèbres romans d’Alexandre Dumas
pour le public occidental. Outre de très nombreuses éditions, traductions et adaptations
théâtrales, on dénombre plus de trente adaptations filmiques (voir par exemple l’édition
« Bouquins », 2003, pp. 1403-1419, le site www.plume-noire.com, ou la documentation
réunie au château d’If).
16
Cf. l’analyse des concepts de pardon, de revanche et de réconciliation dans la presse
malienne par Ingse Skattum (1998).
17
On décèle l’impact des feuilletons (importés le plus souvent du Brésil) diffusés par la
télévision nationale (Office de la Radiodiffusion et de la Télévision du Mali [ORTM]), qui
connaissent un succès considérable auprès des Maliens de tous âges, et singulièrement auprès
des jeunes (15-30 ans).

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 159

croyances de certains milieux traditionnels. L’attitude de l’abbé Faria, avec


sa maxime « Attendre et espérer » (en bambara : ka munyu : « patienter en
supportant les difficultés »), qui dans son cas n’équivaut pas à une simple
résignation, est perçue comme admirable.
Les auditeurs estiment que Le Comte de Monte-Cristo, et aussi les
autres œuvres du programme, répondent à leurs préoccupations
personnelles, et que leurs héros ressemblent, au point de vue moral, à des
individus qu’ils connaissent dans leur propre milieu. La forte relation établie
par les auditeurs entre ces récits et leur milieu local, et plus généralement
leur fort investissement émotionnel, s’expriment notamment par le fait que,
souvent, ils adoptent le nom d’un personnage comme sobriquet, ou
l’attribuent à l’un de leurs proches. Des auditeurs identifient l’animateur
Bakary Tangara aux protagonistes de certains récits : ainsi, il a été connu, à
différents moments, sous les noms de Monte-Cristo, Wangrin et Pencroff
(de L’Ile mystérieuse de Jules Verne, 1874-1875) ; quelques-uns lui ont
conservé l’un ou l’autre de ces sobriquets. Ainsi les auditeurs ne perçoivent
pas les héros des romans européens comme fondamentalement différents
d’eux-mêmes. Certains vont jusqu’à déclarer anw bèe ye kelen ye (« Nous
sommes tous les mêmes »), même si leur altérité est, quelques rares fois,
marquée dans les récits eux-mêmes18. Cependant, les auditeurs s’intéressent
à la description des milieux autres que le leur, et l’exotisme du roman de
Dumas, avec ses évocations de la France (Paris et Marseille), de l’Italie et
de l’Orient (Egypte, Turquie et Algérie) a sans doute été un facteur dans son
succès.
Nous inférons, du choix des ouvrages présenté dans le cadre du
programme baramuso bulon, que l’action bien charpentée, l’intrigue riche
en péripéties, en aventures et en suspense du roman, ont compté pour
beaucoup dans l’appréciation du public banambais. En revanche, la plupart
des auditeurs ignoraient qu’Alexandre Dumas était en partie d’ascendance
africaine : ce fait n’a donc pas compté dans leur intérêt. Ils n’étaient pas non
plus sensibles au caractère, spécifiquement catholique, du point de vue
religieux présenté dans son ouvrage.
Un facteur personnel a également déterminé l’intérêt de l’animateur
pour Monte-Cristo : l’un de ses propres amis, jeté en prison à la suite d’une
fausse accusation en 1983 et libéré seulement en 1991, illettré au départ, est
sorti sachant lire et écrire le français et l’arabe, ayant étudié ces deux

18
Par exemple, dans les passages présentés en annexe, l’Abbé Faria est qualifié de
tubabumori (prêtre ; litt. « marabout des blancs ») aussi bien que de karamòkò (« lettré »,
« clerc » ; terme typiquement employé dans un contexte musulman), et on y rencontre le
terme nansara jamana (« Europe » ; litt. « pays des chrétiens [ou des Nazaréens] »). Notons
toutefois que le terme tubabumori peut aussi s’appliquer à des ecclésiastiques africains.

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langues auprès d’autres prisonniers. Notons aussi que la vie de Bakary


Tangara lui-même n’est pas sans analogie avec celle d’Edmond Dantès,
dans la mesure où il a toujours su profiter des opportunités d’apprentissage
informel qui se sont offertes à lui.
Les œuvres d’Alexandre Dumas ont rencontré un écho particulier
auprès d’autres Maliens également. Ainsi, un écrivain connu nous indiquait
que son frère aîné, infirmier, racontait ces récits à ses cadets. Une boîte de
nuit de Bamako porte le nom de Monte-Cristo.
Notons que les œuvres traitant de la prison tiennent une certaine place
dans la littérature malienne. On peut citer le roman d’Ibrahima Ly, Toiles
d’araignée (paru en 1982), et récemment, plusieurs récits traitant des
expériences d’incarcération sous la première république de Modibo Keita
(1960-1968) et la seconde de Moussa Traoré (1968-1991) : G. Samaké
(1998), Dembélé (2003), Sangaré (2005), S. Samaké (2007), A.S. Traoré
(2008). L’animateur compare l’emprisonnement d’Edmond Dantès à la
longue captivité de Kounta Kinté, relatée dans Racines (Alex Haley, Roots,
1976), autre œuvre présentée dans son programme.
Remarquons également que la prison peut être un lieu pour la
remémoration, la composition ou recomposition des récits, et l’occasion
aussi de les raconter à autrui. Ainsi, une amie, prisonnière politique au
Pérou dans les années 1990, nous a indiqué qu’elle avait pris connaissance
du Comte de Monte-Cristo en prison, cette œuvre lui ayant été racontée par
une autre détenue. L’écrivain et homme politique Lamine Kamara (ancien
ambassadeur de la Guinée en France) a pris connaissance du récit qui a servi
de trame à son roman Safrin (1991) dans l’une des geôles du régime de
Sékou Touré ; dans son récit encore inédit Kaso la (litt. : « En prison »), que
nous avons eu le privilège de lire en manuscrit, il se remémore tant les
narrations des prisonniers que leurs tentatives de conserver ces pensées et
récits par écrit, avec des instruments et sur des supports de fortune.
Cette ouverture à d’autres cultures est sans doute caractéristique de
beaucoup de sociétés africaines, ou, en considérant les faits d’une autre
façon, on pourrait dire que certaines œuvres littéraires ont une vocation à
l’universalité. Nous pensons particulièrement à la population vai du Libéria
et de la Sierra Leone, qui avait développé, vraisemblablement vers 1830, un
syllabaire pour transcrire sa langue. Des récits de caractère littéraire – textes
traditionnels oraux, ou textes étrangers traduits – furent proposés comme
exercices de lecture et d’écriture aux apprenants les plus avancés. L’Iliade
fut l’objet d’un accueil particulièrement ému19.

19
Massaquoi 1911. Momolu Massaquoi (vers 1870-1938), auteur de cet article et de la
traduction de L’Iliade, était un prince vai, éduqué aux Etats-Unis. Il a par ailleurs traduit des

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 161

Les Mille et une nuits et les romans de chevalerie arabes ont


progressivement trouvé une place dans la littérature orale de l’Afrique
occidentale. Récits de tradition orale à l’origine, amplifiés lors de leur mise
par écrit, ils sont parvenus en Afrique occidentale dans certains cas à la suite
d’une transmission orale, mais le plus souvent lors d’une transmission
écrite, pour être de nouveau diffusés par voie orale : les lettrés traduisent à
haute voix ces récits pour leurs amis, et ceux-ci les transmettent à leur tour,
éventuellement dans une langue autre que celle dans laquelle ils les avaient
initialement entendus20.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO :
PROCEDES D’ADAPTATION ET DE TRADUCTION
Nous présentons quelques extraits de la traduction (ou plutôt, de
l’adaptation) de deux chapitres du Comte de Monte-Cristo (deuxième série
d’émissions, 2003) : 13 minutes sur les 60 consacrées aux chapitres 16 et
17, « Un savant italien » et « Dans la chambre de l’abbé », précédés d’un
résumé du chapitre 15 (« Le numéro 34 et le numéro 27 »).
L’étude de ces extraits permet de mieux cerner les centres d’intérêt de
l’auditoire. L’animateur développe largement, voire amplifie, les passages
consacrés à la vie intérieure des personnages. Il accorde aussi beaucoup
d’importance à la description de leurs gestes et physionomie. Il traite
longuement des procédés de fabrication des outils dans les conditions
difficiles de la prison, mais contracte légèrement les discussions relatives à
la politique et aux différents domaines du savoir : les références à la valeur
fondamentale de la liberté et à l’utilité du savoir sont néanmoins conservées,
de même que la critique du morcellement politique (de l’Italie au début du
XIXe s.). Les noms de la plupart des savants et hommes politiques cités par
Dumas sont omis, mais le nom de Napoléon, ainsi qu’une référence
générale aux rois de France, sont conservés.

passages du Coran et de la Bible en vai. Cette langue est l’une des formes régionales du
mandingue, très proche des différents parlers bambara et malinké.
20
Ainsi, on nous a dit, pendant un de nos séjours à Tombouctou (février-mars 2006), qu’un
lettré récemment décédé traduisait les Mille et une nuits en songhay, pour un public
important, chaque après-midi pendant plusieurs décennies. Un lettré de Ségou (ville de
langue bambara) traduit depuis quelques années (correspondant à nos séjours de 2003-2008)
des romans de chevalerie arabes pour un cercle d’amis ; ces ouvrages se trouvent dans les
bibliothèques de plusieurs autres lettrés de la ville. Une jeune amie résidant à Bamako a
entendu les contes de mansa Haruna (le roi Haruna, c’est-à-dire Harun al-Rashid, donc les
Mille et une nuits) racontés par sa mère, en songhay, mais elle les relate elle-même en
bambara. Mervyn Hiskett (1967) perçoit une influence de certaines sources littéraires arabes
sur plusieurs contes et récits haoussa.

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162 Tal TAMARI

L’animateur crée un monde qui est, à plusieurs égards, familier aux


auditeurs. Ainsi, on notera la forte prégnance du merveilleux dans ce texte :
à deux reprises, Adama (Edmond Dantès) hésite pour savoir si Faraba
(l’abbé Faria) est un homme ou bien un être surnaturel ; à trois reprises,
l’abbé est qualifié de « miraculeux » (kabako) ; le sens premier de subaga
(qui dans ce passage comme dans certains autres contextes contemporains
signifie « grand savant » ou « scientifique ») est « sorcier ». La relation
entre maître âgé et jeune disciple, qui se développe entre les deux
personnages, correspond à une figure fortement valorisée dans les milieux
maliens traditionnels. Les protagonistes expliquent volontiers leurs actions
en imaginant que la volonté de Dieu y est à l’œuvre.
L’étude de ces extraits permet également d’identifier quelques-uns des
procédés impliqués dans la transposition du récit en langue bambara. La
plupart des phrases sont assez librement recomposées, mais quelques-unes
sont traduites presque mot à mot. Le narrateur emploie systématiquement
l’accompli, alors que naturellement, les dialogues emploient aussi
l’inaccompli (souvent surdéterminé par des marques indiquant le présent, le
futur ou le déroulement d’une action en cours). Certaines constructions
servent à introduire des images ou à mieux préciser certains points : i n’a fò
(« on dirait », « comme»), ka da a kan (« c’est-à-dire ») ; d’autres servent à
préciser la succession des événements (o tuma et o tuma na : « puis »,
« ensuite ») ou à insister sur leur (presque) simultanéité (o yòrònin et o
yòrònin bèe lajèlen : « à cet instant », « en ce moment », « rapidement »).
Si donc la structure narrative de ce discours est tout à fait particulière,
nous estimons que dans l’ensemble, son style n’est que légèrement plus
soutenu que celui des échanges ordinaires. On relève, cependant, une
certaine recherche lexicale. Ainsi, le terme hebekule, qui exprime
l’étonnement et que l’animateur considère comme un mot ancien devenu
rare, est perçu par beaucoup d’auditeurs (et notamment ceux à qui nous
avons fait écouter la cassette à Bamako) comme un terme employé
principalement dans le cadre des radios libres. Ils perçoivent également
hakili carinniw (litt. : « éclats » ou « éléments dispersés » de l’intelligence,
sous-entendu : ces éléments réunis), qui dans ce discours désigne la
philosophie, comme une expression caractéristique des radios libres21.
Gafemaraso (nom composé ; litt. : « maison pour garder les livres » ;
21
Dans son sens concret, carinni peut désigner par exemple un éclat de bois (jiri carinni) ;
verbo-nominal carin, « disperser, se disperser ». Hakili est un nominal provenant de l’arabe
c
aql, « esprit, intelligence ». Environ vingt pour cent du vocabulaire du mandingue et de
plusieurs autres langues ouest-africaines provient de l’arabe. Nous inférons des chroniques et
géographies composées dans le monde musulman à l’époque médiévale que dans l’empire du
Mali à son apogée, l’arabe avait une place comparable à celle du français dans le Mali
d’aujourd’hui.

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 163

certains disent gafemarayòrò : « lieu pour garder les livres ») est un


néologisme, proposé par des enseignants et animateurs culturels, en attente
d’un agrément par les instances officielles. Le discours comporte aussi une
expression ancienne a bè kè kòo ye ka kè maa ka na na, litt. « être comme le
sel [qui fond] dans la sauce », c’est-à-dire sans personnalité distinctive ; et
aussi un dicton (nsana) : i jan to i yèrè la, a kòrò ka nyi, litt. « Sois prudent,
la suite sera satisfaisante ». L’animateur considère que le plus proche
équivalent de ce dicton en français est : « Qui veut aller loin ménage sa
monture ». Un autre mot encore mérite commentaire : hakilijakabò (ici,
hakililajakabò) : « réfléchir de manière approfondie sur un problème
donné » : verbo-nominal dont les constituants signifient littéralement :
« donner l’aumône de l’intelligence (ou de l’esprit) »22.
En dépit des sujets traités, l’incidence des mots d’étymologie française
dans ces extraits est nettement plus faible, à notre avis, que dans la
conversation ordinaire en milieu urbain. Les seuls termes d’origine française
rencontrés dans ces extraits sont ceux désignant des objets et institutions
introduits par l’Occident, ainsi que les différentes langues de l’Europe23.
Il y a aussi très peu de répétitions dans ce discours oral, une
caractéristique peut-être liée au parcours scolaire de l’animateur, qui les
évite sciemment.
Les exclamations sont employées, avec le plus heureux effet à notre
avis, dans ce discours. Selon l’animateur, ces mots expriment un contenu
qui, en français, est rendu par la structure de la phrase, et à l’écrit, aussi par
le point d’exclamation. Il considère que deux de ces exclamations( aa et òo)
se rapprochent, tant par leur sens que par leur sonorité, d’exclamations
françaises ; il nous a recommandé d’omettre de notre traduction la troisième
(èe), qui n’a pas d’équivalent en français. Il estime que l’emploi des
exclamations, dans le discours bambara, est indispensable pour soutenir
l’intérêt des auditeurs et guider leurs réactions. Nous rapprocherions
également cette dernière fonction de la diffusion des rires et autres réactions
des auditeurs imaginaires dans le cadre de certaines séries télévisées (le
canned laughter de la télévision américaine). Ces réflexions de l’animateur
Bakary Tangara nous confortent dans notre position selon laquelle il est en

22
Signification et étymologies déjà établies par Charles Bailleul (1996, 2000, 2007).
23
filozofi (philosophie) ; papiye (papier) ; lim (lime) ; lewuye (levier) ; pensi (pince) ; siso
(ciseaux) ; kaso (cachot) ; paturuyi (patrouille) ; santineli (sentinelle) ; sorodasi (soldat) ; li
(lit) ; tabali (table) ; werenda (véranda) ; aleman (allemand) ; angilèn (anglais) ; esipanyòli
(espagnol) ; gèrèki (grec) ; italiyèn (italien). Les Français et leur langue sont habituellement
désignés par un terme plus ancien : tubabu (vraisemblablement emprunté à l’arabe tabib,
« médecin »). Le terme livru (livre) apparaît une seule fois dans ce discours, l’animateur lui
préférant en général le mot plus ancien gafe. Il y a également une seule occurrence de sino
(sinon), conjonction extrêmement fréquente dans le discours bambara ordinaire.

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164 Tal TAMARI

général préférable d’omettre la plupart des exclamations lorsque l’on traduit


en une langue européenne.
En bambara, le terme a ko (« il [ou elle] dit »)24 introduit la quasi-
totalité des phrases d’un discours rapporté. Nous l’avons rendu par le terme
qui nous semblait le plus adéquat dans un contexte donné (selon les cas : « il
dit », « il répondit », « il rétorqua » …) ou simplement par des guillemets.
Les apostrophes de l’animateur à l’intention de ses auditeurs, ainsi que
certaines de ses comparaisons et descriptions, emploient le pronom de la
seconde personne du singulier ; ce pronom peut être rendu en français, selon
le contexte, par « tu », « vous » ou l’impersonnel « on ». Nous avons opté
pour la première solution, dans la mesure où il nous semble que l’animateur
souhaite établir comme un contact personnel et immédiat avec chacun de
ses auditeurs, et que le vouvoiement n’est que très exceptionnellement
employé dans le français parlé au Mali. Cette volonté de contact direct, qui
indique que le médium de la radio conserve en réalité plusieurs traits de
l’oralité traditionnelle, se dégage à notre sens non seulement de la structure
du récit traduit, mais du fait que, comme indiqué plus haut, l’animateur
préfère enregistrer ses narrations au moment même de la diffusion. En
outre, il côtoie personnellement plusieurs de ses auditeurs : anciennes
connaissances ou personnes rencontrées grâce à son programme.
Les expériences littéraires de Bakary Tangara doivent tout au moins
nous convaincre que la langue mandingue – peut-être aussi parce qu’elle
s’est développée, depuis des siècles, en symbiose avec des langues de
tradition écrite – peut exprimer les notions les plus abstraites et rendre les
récits les plus complexes.

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éd. revue et 3ème éd. : Bamako, Donniya. (1ère éd. : [Angleterre], Avebury
Publishing, 1981).

24
En mandingue comme dans la plupart des langues africaines, il n’existe pas de genre
grammatical.

Journal des Africanistes 80 (1-2), 2010 : 151-175


LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 165

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166 Tal TAMARI

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 167

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Bamako, Sahelienne / Jamana.
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EXTRAITS (TRANSCRIPTION ET TRADUCTION FRANÇAISE)


DE L’ADAPTATION BAMBARA DU COMTE DE MONTE-CRISTO
Nous présentons ici des extraits de l’enregistrement de deux séances
consécutives consacrées au roman : le résumé du chapitre 15, « Le numéro
34 et le numéro 27 », suivi de l’adaptation ou de la traduction de certains
passages des chapitres 16 et 17, « Un savant italien », « Dans la chambre de
l’abbé ». L’animateur, Bakary Tangara, nous a expliqué que chaque fois
qu’il l’estimait indispensable à l’intelligence du récit, il résumait la séance
précédente.
En présentant le texte dans la langue d’origine, nous souhaitons
souligner davantage sa qualité d’œuvre littéraire, tout en contribuant à la
documentation portant sur la langue bambara. La transcription est conforme
aux conventions officielles au Mali (version simplifiée, ne marquant pas les
tons). Les mots empruntés en français sont soulignés.
Dans la traduction, nous avons appliqué les conventions suivantes :
crochets { } : incises (très souvent des apostrophes) à l’intention de
l’auditoire, ne relevant pas du récit ;
crochets carrés [ ] : éléments implicites dans le discours bambara,
explicités dans la traduction ;
barres diagonales / / : exclamations n’ayant pas d’équivalent en
français, et répétitions inutiles dans un écrit ;
Aussi, cette traduction peut être lue de deux façons :
(a) intégralement, afin de prendre connaissance de la structure
rhétorique du discours bambara ; (b) en omettant les éléments placés entre
barres diagonales ou entre crochets, en vue d’une expérience plus
satisfaisante sur le plan esthétique, et peut-être aussi plus proche de
l’expérience subjective du locuteur bambara.
Cependant, une véritable traduction littéraire jouerait davantage sur les
contenus implicites, linguistiques et culturels, de chaque langue, afin de
proposer des formulations aussi naturelles que possible. Nous avons préféré,
dans ce cas précis, donner accès à la structure du texte même au lecteur non
bambarisant.

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168 Tal TAMARI

TRANSCRIPTION
jinè don wa ? bunadamaden don wa ? Adama, ale ma a sòrò k’a dòn. a ye
delili kè. a ko, e maa min, ni e mankan bè yanni nò, n b’i deli, cogo bèe lajèlen na, i
k’i yèrè jiran n na hali bi. a y’i kanto dugu jukòrò, a ko, yeli, i ka kòlòsilikèla taara
wa ? Adama ko a ma, ko a taara, a tè na ni su tè. uuri tan ni fila de bè anw bolo,
anw bè se ka anw ka cogo kè. a ko, nin tè baasi ye. n bè se ka n ka baara kè dè !
Adama ko, o kè o yòrònin bèe lajèlen na, n b’i deli. o fòra yòrò min na, dugukolo
tintin min bè Adama ani a tigi cè, ni a jòlen don k’o yòrò kòlòsi, i k’a dòn, o sinna
ka yuuruli daminè. a y’i bila kò fè. o tuma na, o yòrònin bèe lajèlen, bògò ni kaba, u
bè ka jigin cogo min na dingè kònò, u bè ka jigin ten, u bè ka jigin. o tuma, Adama
de hebekulen jòlen bè k’a lajè. o yòrònin bèe lajèlen, bunadamaden kunkolo nana
ka na bò, ka na kamankun bò, o tuma, ka na bunadamaden yèrè kuturu, Adama, a
nana ka n’o ye. aa ! i k’a dòn, Adama dabali banna. baro fòlò, a bilala yen.
o tuma, bi baro, a bè sigi kurukun kan, o ye italiyènkaw ka dònnibaa ye.
Adama, a nana ka girin, ale min bè kelen na sigili la, n’a bè kelen na hami na, a ye
nin maaninfin ye, a girinna ka o bolo poron. a y’a poron, aa ! ka a sama ka a bè na
sin a ma. o tuma, ka tilen k’a lajè, yeelen bè dòn a ka kaso kònò, k’a lajè. aa ! nin ye
maa ye, maa min bè n’a dacogo fana tun ye a danmako ye. maa kundama hakè tun
don, kunsigiw bèe lajèlen, u bèe lajèlen jèlen don, si jè don, nka a nyè, o b’a cogo
la, a nyèsiw fana ka bon, bonsi fana, i k’a dòn, o ka jan, o bè na fò disi la. nka ni i
y’a lajè, kamalen yèrè, a fasalen bè. o tèmènnen kò fè, nka ni i y’a lajè, i b’a dòn
k’a fò, maa min dòn, nin tè maa ye ko a bè kè kòo ye ka kè maa ka na na. a y’a lajè,
o tèmènnen kò fè, i k’a dòn k’a fò, tiyèn na, ka na se a tenda ma, fò kamalen wòsi
bè a nyèda la. a ka fini, aa ! Adama ma se ka fini, ka a cogo don, sabu finiw bèe
lajèlen, a farafaralen bè, i n’a fò maa tè fini min miiri n’i ka maa ye. ni i y’a lajè
fana, bunadamaden min n’a bòra dingè kònò ka sin Adama ma sisan, a bè san bi
wòorò ni san duuru hakè o la, nka ni i y’o lajè cogo o cogo, hali bi, a n’a galabu bè
nyòon fè. o tèmènnen kò fè, Adama y’a lajè, kamalen yèrè jòlen don ka Adama lajè.
o tuma na, a ye Adama fo a ka bunadamadenya foli la. sabu olu maa fila, u bè
kelennasigi min na, alu tè nyòon kala ma. Ala kòni, a ye nyankata kelen da u fila
bèe lajèlen kan, u tun bè o la u nyògòn lajè.
èe ! a ko, o tuma na, anw ka ko daminè o daminèyòrò la. a ka, k’a fò, kaso
kòlòsilikèbaaw kana dòn k’a fò anw bòra yanni nò. ni i y’a ye k’a fò anw tora anw
dama na fò o cogo ka kè maaw kana dòn k’a fò e ni ne, anw ye nyòon ye. o tuma, a
sòròla k’i nyèsin dingè ma, ka kabakurun ta, ka a sama ka bò. Adama ka dabali
banna. o tuma, ka tila ka kabakurun don dingè kònò. Adama nana ka na cèkòròba
ye cogo min na, k’a ye k’a fò nin fanga b’o la, o ye Adama dabali ban. aa ! a ko o
tuma na, Adama y’a nyininka, ko yeli, nin ko nin kèra cogo di ? a ko Adama ma, ko
baarakèminènw tè e bolo wa ? o tuma, e tun bè baara kè cogo di ? òo ! Adama ko o
tuma na, yela baarakèminènw bè e bolo wa, e ye baarakèminènw fana sòrò cogo
di ? aa ! cèkòròba, a nana y’i kanto Adama ma, a ko, n ye dò dila n yèrè ye, fò n ma
lim de sòrò. sino, fèn o fèn n ka kan k’o nyini, ni o ye kèmèsu, pensi, ani lewuye, n
ye u bèe dila n yèrè ye. aa ! Adama ko o ma o yòrò la, a ko, e ka baarakèminènw
nununw, e ka olu sòrò kaso kònò, a ko, fò n ka olu ye, a bè ka n dabali ban, i ka
baarakèminènw, n b’a fè k’o ye. o yòrònin bèe lajèlen, cèkòròba, a nana ka na siso,
ni anw b’a fò kèmèsu, k’o jiran a la. o tèmènnen kò fè, a ye muru dò jiran a la, o n’o
kalaw. èe ! Adama y’a nyininka, ko o tuma, e ye nin bèe lajèlen dila cogo di ? èe ! a
ko, n ka li, o nègè dò, n ye o de ta, n ye o dingè de sen fana ni o de ye fò ka na se e

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 169

cogo la, dingè min b’a la, ni a ka jan, i n’a fò i b’a dòn ne ni e cè bè cogo min na.
Adama kabara. e sera ka nin baara bèe lajèlen kè ni nin ye ? aa, cèkòròba, a y’i
kanto Adama ma, a ko, sabali k’i kan jigin, sabu, tuma dòw la, kaso kòlòsilibaaw, u
bè se ka na ka na u beleke ka anw kan lajè. èe ! Adama ko, u b’a dòn k’a fò anw
kelenw don, maa tè yan. èe ! cèkòròba ko a ma, ko n den, a ko, i kòlòsi, i jan to i
yèrè la, o kòrò ko ka nyi, i kan jigi. Adama, hali bi, a kabakoyara, a ko, e ye nin
baara bèe lajèlen kè ni ninw minènw ye fò ka se yan ? èe, a ko, o de ye n ye nin de
kè ka bò n ka kaso kònò ka se e ka yòrò la yan, n ye nin baara k’o ye. nka n filila n
ka jatew la, sabu, jatekèminènw tè n bolo ka o ko lajè. fili de y’a to n sera yanni nò.
òo ! n filila min kèra, n kelekura, o de nana ka kè ten, ni o tun tè, n ye nganiya min
siri, o ye ka dingè sen ka bò n ka kaso kònò ka finyè sòrò ka taa. aa ! a ko, n ka
baara bèe lajèlen tiyènna. sabu ka da a kan, yòrò min filè nin ye, n bè e ka kaso
kònò yan, a ko, bòyòrò fana tè yan dè, n bè ka na bila werenda min kòrò, bòyòrò tè.
Adama ko, o ye tiyèn ye, a ko, i bè werenda min na nin ye, o fana bè taa kasobon
wèrè la, waa kasobon naani dè bè yanni nò. èe ! a ko, nin tè baasi ye. a ko, nin ye
kabakun ye. nin ye san tan baara, san tan baara ni dugujukòròsennamaaw tan bè se
baara minnu kè, a ko, o ye o ye. a ko, waa nin, kaso sigilen don, o fara de kan. a ko,
ni anw y’a ta yòrò o yòrò, anw bè taa don dugujukòròso min na fana, konnègè bè
olu fana na, maa tè se ka bò. o tuma na, a ko, nin kèra baara ye. o tora o cogo la ten.
aa ! i k’a dòn, Adama, ale kòni dabali banna. nin cèkòròba dunan min bòra dugu
jukòrò ka se ale ma, cèkòròba yèrè ye kabakofèn ye, a bòyòrò fana ye kabakofèn
ye, o ye Adama dabali ban. o tuma na, a tilala ka a nyininka, a ko, Adama, a ko,
yèlèn nin tabali kan dè. Adama yèlènna. òo ! a y’a dòn a ka cèkòròba a bè na min
kè, i kò da kogo la, k’i bolo fila kòròta. o ka na a lajè. Adama tun t’a dòn k’a fò,
hali bi, ale ni maa min nyòon na, a tè tògò dòn a la. o yèlènna ale yèrè kèrè fè. o
tuma, ka Adama dabali ban. sabu cèkòròba don, nka a galabu b’a la, o ye Adama
dabali ban. o tuma na, u yèlènna k’u nyèmada. u ye waati nin kè dòròn, cèkòròba bè
na ka a kunjigin. aa ! a ko, n sikira min na, o ko ye tiyèn ye. a jiginna Adama kèrè
fè tabali kan k’i sigi. èe ! Adama ko o ma, e kunjiginna mun na ? sabu ka da a kan,
a y’a ye cèkòròba fari fara. cèkòròba miirila ka miiri, a ko, ni e ka kasobon seleke
naani na dè, a ko, n nana ka bò o de kan. a ko paturuyi bè tèmèn o yòrò la, santineli
bè yanni nò. èe ! cèkòròba ko o yòrò la, a ko, n ye sorodasi ka minènw ye sisan, ka
a ka marifaw nununw ye, o de y’a to n ye kunjigin. Adama ko, a kèra cogo di ? èe !
a ko, n yèrè kòni, n b’a dòn sisan k’a fò n bòlicogo tè, ka n to nin kaso kònò. n bòra
kasobon dò kònò ka don kaso wèrè kònò. aa ! Adama, o dabali banna. èe ! maa kura
nin, a nana ka na a fò, a ko, ni Ala ko cogo min, a bè kè ten.
[…]
a ko, n tun hakili b’a la, k’a fò, n ni Ala ka danfènw bè nyòonw na. a ko, nka
sisan, a kèra o de ye. a ko, ni ne kèlen ka nin dingèba sen, ka sen, a ko n y’o de sen
o kama, k’a fò n bè na Ala ka danfèn min ye bunadamaden de ye ka olu faa waasa n
ka bòli, a ko, n tè na se o kè. èe ! Adama ko, o tuma na, èe, a ko, yeli, mun b’i bal’o
la ? a ko, n’o ye Faraba ye, a y’i kant’a ma, a ko, mun y’a to e yèrè ma sòn i ka
kòlòsilikèbaa faa don dò ka bòli ni i yèrè ye ? aa ! Adama ko, o ma jigin n kònò. èe!
cèkòròba ko o ma, o tè. a ko, sabu, ka da a kan, maa min y’i mara ka nyè,
bunadamaden wèrè, adamaden nin, i b’a bonya, a ko o de don. a ko, i kana a yèlèma
ka ko gèlèya nana. a ko, ni i ye a lajè, hali kungokònòwaraw, ni i y’u kètò ye ka joli
bòn, u bè o daladumuni de nò fè, kungokònòbaganw, u tè joli bòn abada k’a fò joli
bònni ka di u ye. a ko, maa tè se ka nin ko kè.
[…]

Journal des Africanistes 80 (1-2), 2010 : 151-175


170 Tal TAMARI

a ko, n tun bè sèbènni kè, n tun bè kalan fana na. Adama nana a nyininka, o
tuma, u tun bè papiye ani kalamu di e ma ka o baara kè wa ? èe, cèkòròba, n’o ye
Faraba ye, a ko, o ma di n ma, n ye dò dila n yèrè ye. Adama ko, o tuma na, e ye
papiye dila i yèrè ye ka kalamu dila i yèrè ye ? dabaji fana, i y’o fana dila i yèrè
ye ? a ko, òhòn. Adama, a nana ka na cèkòròba filè, i k’a dòn a dabali banna.
kabako cèkòròba tun don a bolo. nka a nana ka na miiri. cèkòròba min bè yanni nò,
ni a bè se ka daba dila a yèrè ye, ka papiye dila a yèrè ye, ka kalamu dila a yèrè ye
kaso kònò, a ko, o fana, o ye cèw cè dò ye. cèkòròba, a nana dòn k’a fò, Adama
kamanaganna. èe, a ko, n den, a ko n y’a jir’i la waati min na ni e taara n ka yòrò
min na, n y’a jir’i la k’a fò n ye baara minnunw kè nin waati kònò na, o tuma i n’a
dòn k’a fò min don. n ye nin baara bèe lajèlen kè, sabu cèbakòrò, i mana kè yòrò o
yòrò, i k’i sigi o cogo la ten. a ko, n ye fasirili kè sèbènko dò kan. Adama k’i y’o
ke ? a ko, n y’o kè dèrè ! a ko, finunw minnu bè n bolo, n ye olu yèlèma ka kè
papiye ye, ka sèbènni kè olu kan. a ko o tuma na, yeli, e ye nansaraw ka subaa
dònni dònbaa dò ye wa ? a ko, aa, n bè dòoni dòn o la. a ko, n ye dònnibaa caman
ka kalan kè. aa ! o ko, o tuma na, dòoni, Adama ko o ma, dòoni kalan tè se ka nin
nyè dè ! a ko, yeli, gafew b’i bolo dè ? cèkòròba ko a ma, a ko n ka jamana kan, n’o
ye Rom jamana ye, a ko n ye jateminè kè, a ko livru minnu bè n bolo, n’o ye gafew
ye, a bè se ba duuru nyòon na ma. o bè n ka gafemaraso kònò. n ye olu kalan k’u
kalan, o de kosòn, n ye fèn caman si dòn o kònòna, sabu kalan de bè se ka maa
nafa. a ko, ka don kaso la yanni nò, ni i ye hakililajakabò, ni i y’o fèn minnu kalan, i
k’a dòn, o kalan nana ka na kè maa magonyèfèn kalan ye. magonyèkalan min b’a
la, nin ye n dèmè ka magonyèfèn dila. èe ! Adama nana a nyininka, ko, n ka
cèmògò, o tuma, i bè kanw caman mèn wa ? òo, a ko, o yòrò la, a ko n bè kanw
duuru mèn, kanw duuru min bè fò anw ka jamanaba kònò, n’o ye alemanw ka kan
ye, tubabubilenw ka kan, italiyènw ka kan, angilènw ka kan, esipanyòliw ka kan,
ani gèrèki fana, n b’o fana dò mèn, ani gèrèki kòròlen ani a kura bèe lajèlen. a ko, n
bè nununw bèe lajèlen fò, n bè gèrèki kura de kan sisan. Adama nana a nyininka, a
ko i b’i kalan de la na nin waati fana k’i to kaso kònò nin cogo nin na wa ? èe ! a
ko, n y’o kè dèrè ! n ye dònni min kè sanni n ka don kaso kònò, n ye olu fara
nyòonw kan, o tuma na, u bè n dèmè o baara la. òo ! n yèrè ye n dama na dònnisira
wèrè bò, o dònni fana kònòna, dakurunnyè ba kelen nyòon na b’o la.
[…]
o yòrònin bèe lajèlen, Faraba, a ko, tiyèn na Adama, a ko n nimisara. n
nimisara sabu ka d’a kan, n ye kuma min f’i ye, n nimisara. Adama ko mun na ? a
ko, n nimisara mun na, sabu n ye fèn don i dusu la, fèn min b’a la, n’o bè i n’a fò
tanyòonbò. a ko tiyèn na, n y’o don i dusu la, a ko, n nimisara o yòrò la. Adama
yèlèla. a ko, anw ka barow wèrè kè. cèkòròba nin, a nana k’a lajè ka waatinin kè. o
tuma na, o yòrònin bèe lajèlen, u nana ka baro wèrè daminè. cèkòròba, maa min
don, a bè kuma dòn kosèbè. waa, maa min don, sègèn, a b’o dòn. maa min don fana,
a bè se ka maa hakili ka don ko caman na. Adama nana ka na i sigi k’a lamèn, a bè
ka kuma minnu fò ka u bèe lajèlen lamèn. kuma kòni, a bòra fènw caman kan, ka na
se ale yèrè ka dòntaw ma ka na se fènw wèrèw ma, a tè fènw minnu dòn. cèkòròba,
a nana ka kuma a bèe lajèlen na. Adama, a ko, nin tè baasi ye, a ko nin min bè yanni
nò, nin cèkòròba nin, n ye ale bolo, yeelen de bòlen fò ale ka don kalan na nin fè.
aa ! a ko, ba Faraba, a ko, e ka kan ka n kalan. a ko, ni e ye n kalan, ko ka na n bò
kònòna miiri la, kelenna sigili la fana, a ko, nin bèe lajèlen na, e b’i kelen na, n b’i
kelen na. ni e ye n kalan, o na n ka waati tèmèn, ani waati tèmèn e yèrè kan.

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 171

cèkòròba yèlèla. aa ! a ko, n den, a ko, diyènkalan, a ko, a ka jan, a ka surun. a ko ni


ne ye e kalan, jatekalanw ni fisiku kan, ka na se ko kòròw ma, ka na se anw ka
kanw fòli ma, aa ! a ko, ni o kèra, san fila kònò, n tè na se ka foyi f’i ye u daminèw
kò. Adama ko, san fila ? a ko, yeli, n bè se ka nin bèe dege san fila kònò wa ? aa, a
ko, bakurunba degeli kòni, i bè se ka o kè. a ko, nka a to, o tè na se k’o kè, i yèrè na
se ka o baara kè i yèrè ye. èe ! a ko, n’o fèn bè, i n’a fò, filozofi ka kalanw, ni o ye
hakili carinniw ye, a ko, n b’a fè ka o de kalan. èe ! o yòrònin bèe lajèlen, Faraba, a
ko o ma, ko, min ye filozofi kalan ye, a ko, maa tè se ka o kalan koyi, o ye kalan
bèe lajèlen faralen nyògòn kan walasa ka hakili yèrè se yòrò dò la. a ko, fèn dò, a bè
i n’a fò kabanògòw sanuman min bè yanni nò, ni taama kèra a kan nabi nyumanw
fè. Adama ko, nin tè baasi ye. a ko, i b’a fè ka n dege mun na ? a ko, sabu n b’a fè
ka kalan daminè i bolo kabini sisan. a ko, kalan bèe lajèlen ? a ko, òhòn. o yòrònin
bèe lajèlen, u ye baro bila. nka kabini o don, nin maa fila, cèkòròba ani a ye den
min sòrò a yèrè ye kasobon kònò sa, o tuma na, u kòni tora ten ka u ka kalanko ka a
boloda, o tuma, ka o daminè o dugujè.

TRADUCTION
Etait-ce un esprit surnaturel ? Etait-ce un être humain ? Adama ne parvenait
pas à le déterminer. Il supplia : « Vous que j’entends, je vous en supplie vraiment, à
présent montrez-vous ». De sous terre, on lui répliqua : « Votre gardien est-il
parti ? » Adama répondit : « Il est bien parti, il ne reviendra pas jusqu’au soir. Nous
avons douze heures devant nous, nous pouvons vaquer à nos affaires ». « Tant
mieux. Je pourrai effectuer mon travail. » Adama dit : « Je vous en supplie, mettez-
vous à l’œuvre ». Adama, qui observait la scène, avait à peine prononcé ces paroles
et {sache que} voici que la monticule de terre commença à se défaire. Adama
recula. Puis, tout d’un coup, terre et cailloux se mirent à tomber dans l’excavation,
ils chutaient, / chutaient ainsi / dans le tunnel. Stupéfait, debout, Adama contempla
la scène. Soudain, il vit paraître la tête d’un être humain, puis ses épaules, puis
l’être humain tout entier. Ah ! {Sache que} Adama s’étonna au plus haut point.
{Lors de notre causerie précédente, nous en sommes resté là.}25.
{Notre causerie d’aujourd’hui portera essentiellement sur un savant italien.}
Adama – lui qui était si solitaire, lui qui méditait seul – se précipita vers lui ; il vit
cette personne, il se précipita pour saisir sa main. Il la saisit, tirant [cette personne]
de manière à faire face à elle ; puis, il se dressa de manière à l’examiner à la [faible]
lumière qui pénétrait dans son cachot. Ah ! Cette personne, elle était d’une
constitution assez particulière. Elle était de taille moyenne ; tous ses cheveux
étaient blancs – une chevelure blanche ; mais son œil était vif. Ses sourcils étaient
épais ; {sache que} sa barbe était longue, {qu’}elle descendait jusqu’à sa poitrine.
Mais si tu l’observais attentivement, [tu constaterais qu’] elle était maigre. Si tu
continuais à l’observer, tu te rendrais compte que cette personne n’était pas comme
26
le sel destiné à la sauce . Ensuite, le regard d’Adama se posa sur le front de
l’homme : {sache, qu’en vérité} une sueur, telle celle d’un homme jeune, paraissait
sur son visage. Adama ne pouvait pas distinguer la nature de ses vêtements, qui
étaient tout déchirés : tu ne voudrais pas voir l’un de tes proches porter de tels

25
Résumé du chapitre 15.
26
C’est-à-dire : sans personnalité distinctive. On pourrait donc également traduire : « qu’elle
n’était pas dépourvue de personnalité distinctive ».

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172 Tal TAMARI

vêtements. Si tu l’observais, cet être humain qui venait d’émerger du tunnel pour
faire face à Adama, tu lui donnerais soixante-cinq ans environ ; mais [tu
constaterais qu’] il était encore solide. Adama continuait à l’observer, alors que
l’homme, debout, contemplait Adama. Puis, il salua Adama cordialement. Car ces
deux personnes, placées en détention solitaire, ne se connaissaient pas. Mais comme
Dieu leur avait imposé la même peine, elles s’examinaient mutuellement.
Puis, l’homme dit : « Remettons les lieux en leur état initial, de manière à ce
que les surveillants ne sachent pas que nous sommes sortis d’ici et qu’ils pensent
que nous sommes restés chacun de son côté ; qu’ils ne sachent pas que, vous et moi,
nous nous sommes rencontrés ». Puis, il se dirigea vers le tunnel, prit la grosse
pierre, la souleva et la fit sortir. Adama s’étonna. Puis, l’homme remit cette pierre à
sa place. Adama, en l’observant, comprit qu’il avait encore beaucoup de force ; [de
nouveau,] il s’étonna. Puis, Adama le questionna : « Comment avez-vous pu faire
cela ? » Le vieillard répondit : « Vous n’avez pas d’outils ? ». Oh ! Adama lui dit :
« Vous avez des outils ? Comment les avez-vous obtenus ? » Ah ! Le vieillard lui
répondit : « Je m’en suis fabriqué quelques-uns. A l’exception d’une lime, j’ai tout
ce dont j’ai besoin : ciseaux, pinceaux ainsi qu’un levier, je les ai tous fabriqués
moi-même ». Ah ! Aussitôt, Adama lui dit : « Vos outils, ceux que vous avez eus en
prison, ils m’intriguent, je voudrais les voir ». Immédiatement, le vieillard apporta
un ciseau – {dans notre langue, cela se dit également ciseaux} – et le lui montra27.
Ensuite, il lui montra un couteau, ainsi que ses manches. / Eeeh ! / Adama le
questionna : « Comment avez-vous fabriqué tous ces objets ? ». Le vieillard
répondit : « J’ai pris un élément métallique de mon lit, c’est aussi avec cela que j’ai
creusé le tunnel. C’est ce qui m’a permis de sortir de mon cachot et de parvenir
jusqu’à vous. Ce tunnel est long, comme la distance qui me sépare de vous. »
Adama s’étonna : « Comment avez-vous pu accomplir tout ce travail ? » Ah ! Le
vieillard lui répliqua : « Baissez votre voix s’il vous plaît, sinon cela pourrait nous
valoir une visite surprise des gardiens ». / Eeeh ! / Adama rétorqua : « Ils savent que
nous sommes seuls, qu’il n’y a personne ici [hormis chacun de nous dans sa
cellule]. » / Eeeh ! / Le vieillard lui répondit : « Mon enfant, faites attention, c’est la
prudence qui permet d’aller loin. Baissez votre voix. » Adama, toujours perplexe,
dit : « Vous avez accompli tout ce travail, de manière à parvenir jusqu’ici, avec ces
[seuls] outils ? » / Eeeh ! / « J’ai fait cela afin de m’échapper de mon cachot et je
suis arrivé jusque chez vous ici, j’ai oeuvré dans ce but. Mais je me suis trompé
dans mes calculs, car je n’ai pas d’instruments appropriés. C’est à la suite d’une
erreur que j’ai abouti ici. C’est mon erreur, l’erreur que j’ai faite, qui explique cela ;
sinon, j’avais la ferme intention de creuser un tunnel afin de sortir de mon cachot et
retrouver la liberté. Mais maintenant, tout mon travail est gâché, car ce lieu – votre
cachot que voici – n’offre pas d’issue, j’ai abouti sous une véranda qui n’a pas
d’issue ». Adama dit : « C’est vrai, cette véranda mène à un autre cachot : il y a
quatre cachots par ici ». Le vieillard déclara : « Tant pis. C’est le rocher. Il faudrait
dix ans, dix ans de travail à dix mineurs spécialisés pour accomplir ce travail, car
cette prison est plantée sur un rocher. En outre, de quelque côté que nous nous

27
On pourrait également écrire, en conservant l’un des termes employés dans le discours
d’origine, voire les deux : « le vieillard apporta un siso (ciseau) – {dans notre langue, cela se
dit également kèmèsu} ». Le terme kèmèsu est emprunté à l’arabe miqassun. L’animateur
nous a expliqué qu’il a employé les deux termes parce que certains auditeurs ignorent l’un ou
l’autre.

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 173

dirigerions, nous aboutirions dans un souterrain qui ferme à clef : on ne pourrait en


sortir ». Puis il dit : « C’est un vrai problème. » Il resta [quelque temps à réfléchir]
ainsi. {Sache que} Adama s’étonna au plus haut point : ce vieillard, cet étranger qui
venait d’émerger de sous terre afin de parvenir jusqu’à lui, ce vieillard tenait du
miracle ; son apparition également tenait du miracle. Puis, le vieillard lui demanda :
« Grimpez sur cette table ». Adama grimpa, [puis,] comprenant les intentions du
vieillard, il plaça son dos contre le mur et souleva ses deux bras, afin que le
vieillard puisse observer [la scène]. Adama ignorait encore le nom de cette
personne en la compagnie de laquelle il se trouvait. Le vieillard grimpa à côté
d’Adama, qui s’étonna [de nouveau] : le vieillard était en pleine forme, Adama en
fut intrigué. Puis, ils grimpèrent, afin de scruter [les lieux]. Un instant plus tard, et
voici que le vieillard baissa la tête. Oh ! Il déclara : « Je m’en suis bien douté ». Il
descendit sur la table, à côté d’Adama, et s’assit. / Eeeh ! / Adama lui dit :
« Pourquoi avez-vous baissé la tête ? », car il s’était rendu compte de la déception
du vieillard. Celui-ci réfléchit longuement, puis il dit : « Parce que j’ai abouti sur
les quatre coins de votre cachot. Une patrouille passe par ici, il y a des sentinelles.
A l’instant, j’ai vu des soldats avec leurs fusils : c’est pourquoi j’ai baissé la tête ».
Adama poursuivit : « Et alors ? » / Eeeh ! / Le vieillard répondit : « A présent, je
sais qu’il n’y a pas d’issue pour moi et que je finirai mes jours dans cette prison. Je
ne suis sorti de mon cachot que pour entrer dans un autre cachot ». Ah ! Adama
s’étonna. / Eeeh ! / Puis, l’inconnu déclara : « Quel que soit le décret de Dieu, il se
réalise »28.
[…]
[Le vieillard] dit : « Je croyais que j’étais en conflit avec les créatures [mais
pas avec Dieu]. Mais à présent, la situation est devenue autre. Si [vous voyez que]
j’ai creusé ce tunnel, si j’ai longtemps creusé, je l’ai fait dans ce but [la liberté].
Mais tuer l’une des créatures de Dieu, un être humain, afin que je puisse m’enfuir –
je ne l’admets pas ». Adama lui répondit : « Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous empêche
de le faire ? » Faraba lui rétorqua : « Et vous, pourquoi n’avez-vous pas tué votre
geôlier de manière à vous enfuir et retrouver la liberté ? » Ah ! Adama répondit :
« C’est tout simplement que cette idée ne m’est jamais venue ». / Eeeh ! / Le
vieillard lui rétorqua : « Ce n’est pas la raison. C’est que la personne qui vous
gardait convenablement – cet être humain, ce fils d’Adam – vous éprouviez du
respect pour elle. Ne déformez pas cette réalité pour dire qu’il y avait un obstacle.
Réfléchissez à ce que même les bêtes carnivores ne sont qu’à la recherche de leur
nourriture ; les fauves ne tuent jamais par plaisir. Une personne ne peut agir
ainsi »29.
[…]
Il déclara : « J’écrivais, j’étudiais également ». Adama l’interrogea : « Ils vous
donnaient du papier et des stylos pour cela ? » Le vieillard, c’est-à-dire Faraba,
répondit : « Ils ne m’en ont pas donné, j’en ai fabriqué moi-même ». Adama lui dit :

28
L’animateur interprète ici le début du chapitre 16, « Un savant italien » : « Dantès prit dans
ses bras son nouvel ami […] Vous voyez bien qu’il est impossible de fuir par votre cachot »
(pp. 137-139 de l’édition « Bouquins »).
29
L’animateur résume le passage : « Un instant, répondit l’abbé ; vous n’avez pas su, mon
cher compagnon, de quelle espèce est mon courage […] Mais l’homme, au contraire,
répugne au sang ; ce ne sont point les lois sociales qui répugnent au meurtre, ce sont les lois
naturelles » (pp. 143-144).

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174 Tal TAMARI

« Alors vous avez fabriqué du papier et des stylos par vous-même ? Avez-vous
également préparé de l’encre ? ». « Bien entendu. » Adama, interloqué, contempla
le vieillard. Ce vieillard était de l’ordre du miracle. Puis, il se mit à réfléchir : cet
homme, qui savait fabriquer du papier, des stylos et de l’encre dans son cachot, était
sûrement un homme d’exception. Le vieillard comprit l’embarras du jeune homme.
/ Eeeh ! / « Mon enfant, lorsque vous me rendrez visite, je vous les montrerai, je
vous montrerai les œuvres que j’ai réalisées pendant ce temps. J’ai fait tout ce
travail parce que quelles que soient les circonstances, un homme se doit de réagir.
J’ai composé un livre. » « Vous avez fait cela ? » « Tout à fait ! J’ai transformé mes
vêtements en papier afin de pouvoir écrire là-dessus. » « Alors, vous êtes l’un des
grands savants d’Europe ? » « J’ai un petit savoir. J’ai étudié auprès de plusieurs
maîtres. » Ah ! Puis, Adama dit : « Un peu de savoir ne peut pas suffire à cela.
Alors, vous avez des livres ? » Le vieillard répondit : « Dans mon pays, c’est-à-dire
à Rome, j’estime que j’avais environ cinq mille volumes dans ma bibliothèque. Je
les ai étudiés longuement, si bien que je connais une grande partie de leur contenu,
car l’étude est utile à la personne. Si, en se retrouvant en prison, on s’efforce à
réfléchir, {sache que} ce qu’on a appris peut s’avérer utile. Cette étude m’a aidé à
obtenir ce dont j’avais besoin ». Adama l’interrogea : « Mon père, alors vous
comprenez plusieurs langues ? »30. Oh ! « Je comprends cinq langues, cinq langues
qui se parlent dans plusieurs de nos grands pays : l’allemand, le français, l’italien,
l’anglais, l’espagnol, et aussi le grec – je comprends quelque chose au grec ancien
comme au grec moderne. Je parle ces langues ; j’apprends actuellement le grec. »
« Vous avez étudié pendant ce temps passé en prison ? » / Eeeh ! / « Parfaitement !
J’ai réuni [dans mon esprit] tout ce que je savais avant d’entrer en prison, cela m’a
aidé dans mon travail. Je me suis développé une méthode d’étude personnelle, ce
savoir porte sur environ mille mots. »31.
[…]
A cet instant, Faraba déclara : « En vérité, Adama, je le regrette. Je regrette ce
que je vous ai dit ». Adama répliqua : « Pourquoi ? » « Je le regrette parce que j’ai
introduit le sentiment de vengeance dans votre cœur. En vérité, je l’ai introduit dans
votre cœur, je le regrette. » Adama rit. Il dit : « Parlons d’autres choses ». Le
vieillard était venu [avec l’intention de] lui rendre une brève visite, afin de voir
comment il se portait. Ils s’engagèrent dans une autre conversation. Le vieillard
s’exprimait avec éloquence. C’était également un homme qui avait beaucoup
souffert et qui savait pénétrer dans la pensée d’autrui. Adama s’installa pour
l’écouter, pour entendre toutes ses paroles. Le vieillard parla de beaucoup de
choses : de celles qu’Adama connaissait comme de celles qu’il ignorait. Adama se
dit : « Ce n’est pas si mal. Cet homme qui se trouve ici est une source de lumière, il
faut que j’étudie avec lui ». Ah ! Il dit : « Mon père Faraba, il faut que vous
m’enseignez, cela me fera sortir de mes mauvaises pensées et de ma solitude. De
plus, cela va me faire passer le temps, cela vous fera passer le temps aussi ». Le
vieillard sourit. Ah ! « Mon enfant, en ce monde, l’étude peut être longue comme

30
Cèmògò, de même que ba (plus loin), est une forme respectueuse d’adresse à l’égard d’un
homme âgé, très souvent assimilé au père de l’intéressé ; c’est pourquoi nous avons traduit
par « père ». Il ne s’agit donc pas ici d’un terme d’adresse à l’égard d’un ecclésiastique. On
pourrait peut-être également traduire par « maître ».
31
« J’écrivais ou j’étudiais […] je ne serai pas éloquent, mais je me ferai comprendre à
merveille et cela me suffit » (pp. 145-146).

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LA LITTERATURE FRANÇAISE EN TRADUCTION BAMBARA 175

elle peut être brève. Si je devais vous enseigner les mathématiques, la physique,
l’histoire et nos langues, ah ! en deux ans, je ne pourrai vous en apprendre que les
rudiments ! » Adama dit : « Deux ans ? Je pourrai apprendre tout cela en deux
ans ? » Ah ! « Vous pourriez en apprendre les principes. Mais quant au reste, cela
ne pourra se faire, il faudrait que vous l’appreniez par vous-même. » / Eeeh ! / « Je
veux faire des études de philosophie : [la réunion des] éléments dispersés de
l’intelligence. » Faraba lui rétorqua : « On ne peut pas étudier cela : il s’agit de
réunir tous les savoirs afin de hisser son esprit vers un autre plan. C’est comme si
32
les prophètes marchaient sur des nuages de pluie brillants ». Adama répondit :
« Ce n’est pas grave. Vous voulez m’enseigner quelle matière ? Parce que je veux
commencer l’étude tout de suite ». « Toutes les matières ? » « Parfaitement. » Puis,
ils se turent. Mais à partir de ce jour, ces deux personnes, le vieillard et le fils qu’il
s’était découvert dans une cellule de prison, établirent l’emploi de temps pour
33
l’étude qu’ils devaient entreprendre dès le lendemain .

32
Traduction assez littérale d’une phrase d’Alexandre Dumas : « […] la philosophie, c’est le
nuage éclatant sur lequel le Christ a posé le pied pour remonter au ciel », elle-même inspirée
des Actes des Apôtres, I, 9 : « Quand il eut dit cela, ils le virent s’élever ; puis une nuée vint
le soustraire à leurs regards ». (Note de Claude Schopp, éd. Bouquins, p. 157).
33
Chapitre 17 : « Je suis fâché de vous avoir aidé dans vos recherches et de vous avoir dit ce
que je vous ai dit […] dès le soir, les deux prisonniers arrêtèrent un plan d’éducation qui
commença de s’exécuter le lendemain ». (Ed. Bouquins, pp. 157-158.)

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