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© EPEL, 2015
110, boulevard Raspail, 75006 Paris
epel.paris@wanadoo.fr
www.epel-edition.com
EPEL
I
Ainsi Dieu
L’OXYMORE DE DIEU
Il est fort possible, aussi, que le fil d’un Dieu catholique
faufile insidieusement le frayage de Jacques Lacan et les
doublures de son enseignement. Je ne crois pas, bien sûr,
qu’il s’agisse d’un fil d’amour ou de tendresse comme
dans le journal d’Odile, l’héroïne de Goethe, qui rendrait
l’ensemble cohérent. Je crois plutôt qu’il s’agit d’un
démêlé, d’une dé-marque interminable avec la doctrine
chrétienne (la figure d’une hainamoration, peut-être) d’une
perpétuelle navette entre sa fabrique théorique et les
dogmes canoniques de cette religion, à la façon dont Freud,
citant Faust, parle de la surdétermination du rêve où des
pelotes de pensées, des fils multiples se meuvent sur le
métier et glissent invisibles. Ça va, ça vient, ça fait nœud,
ça se lie ou ça se délie, ça s’entortille ou ça se dénoue. Il
y a sans cesse reformulation et redéfinition des noms de
Dieu : Dieu est inconscient, Dieu croit-il en Dieu ? Sa mort
6 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
PHALLOPHANIES
Par ailleurs, si le Nom-du-Père, à consonance reli-
gieuse, sembla recouvrir, un temps, de manière phallogo-
centrique, procréation du sens et signification du phallus,
sa pluralisation fragmentera cette congruence, telle la
babélisation joycienne des langues. Le phallus sera
découplé du Nom-du-Père. La majuscule de la lettre Φ
qui marquait la présence réelle de sa valeur symbolique
(ceci est le phallus) sera réécrite en minuscule (φ). Sa
représentation s’inclura plutôt dans le tableau foucaldien
d’un « ceci n’est pas une pipe ». Ce phallus qui s’érigeait
8 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
CONFITEOR
Ceci représente le cross-cap ou
autrement dit la mitre. Ce qui donne
une actualité singulière, si vous me
permettez un peu de fantaisie, aux
représentations des évêques morts sur la
plage de Cadaquès. Quoi de plus beau,
semble avoir deviné Dalí, qu’un évêque
statufié, pour représenter ce qui nous
importe ici, à savoir le désir.
Jacques LACAN, L’Objet de la
psychanalyse, séance du 30 mars 1966.
NOM DE DIEU !
La citation mise en exergue témoignerait de cette
voie parodique, de la même façon que lorsque Jacques
Lacan présente6 la découpe topologique de l’objet a, il
fait contrefaçon de la formule consacrée au sacrement de
l’Eucharistie, en énonçant selon le dogme de la présence
réelle :
La partie résiduelle, la voici. Je l’ai construite pour vous, je
la fais circuler. Elle a son petit intérêt parce que, laissez-
moi vous le dire : ceci est petit a. Je vous le donne comme
une hostie, car vous vous en servirez par la suite, petit a,
c’est fait comme ça.
C’est une scène de séminaire qui pourrait évoquer
le rassemblement ecclésial de disciples autour d’une
communion où les élèves se passent et se repassent,
sous les espèces d’une figure topologique, la manne7
providentielle, la substantifique rondelle, « réelle » au
risque même (conséquence de cette langue liturgique)
de la substantifier dans l’incarnation de l’être. Bien que
Lacan ait vivement critiqué l’incorporation comme mode
identificatoire d’un groupe fondu dans un corps mystique,
ici, on a l’impression d’assister à la transmission d’un maître
qui donne la bonne parole, administre à ses thuriféraires
comme un viatique, pour des siècles et des siècles, fait son
testament universel. L’image de cette transubstantiation,
son esprit, « descend », surimpressionne, contamine
même ce que Jacques Lacan est en train d’avancer sous les
13. Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1957. C’est
ainsi qu’est traduite l’oraison de ce vieux monsieur qui doit sûrement s’être
endormi comme une marmotte !
Ainsi Dieu 21
elle oui ou non ? Ou bien elle n’est pas une chose relative…
Question insidieuse. Alors tout est permis ?
C’est justement le côté insidieux de cette insistance
interrogation sur la mort de Dieu qui ne cesse de faire
question. Ce Dieu nié, cette négation de Dieu que
Jacques Lacan se plaît à supposer comme s’étant faite
à l’insu de la divinité, ne nous laisse pas plus avancés
qu’avant de le savoir, nous laisse encore paradoxalement,
oxymoriquement triomphants et niais, Gros-Jean comme
devant ! Même s’il a été déclaré mort, demeure toujours
cette hantise de l’insu. Cette proclamation serait-elle
encore un faux-fuyant, une protection contre le risque de
l’amour, les limites du désir que Jacques Lacan appelle :
castration ? Il s’emploiera également à démarquer cette
qualification de la notion religieuse de circoncision.
CIRCONCISION/CASTRATION
Dans cette veine-là, certains exégètes bibliques18 ont
pu interpréter que la demande de circoncision adressée
au quasi-centenaire Abraham au moment où Dieu rend
également fertile Sara (malgré ses 90 ans) représente
un tournant de l’alliance. Ça les fait rire (autre forme
du trait d’esprit) même s’ils s’en défendent par crainte
de la réaction de Dieu : ils auront donc une proliférante
descendance entre homme et femme, mais à la différence
de la Genèse où Ève a la cote d’Adam19, est modelée,
CHUTE
La topologie de l’objet a, en tant que cause du désir,
rompt avec la thèse d’un désir essentialiste soutenu par
un Dieu spinozien cause de soi. La version écrite selon la
topologie des surfaces a autant fait valoir la cause formelle
de sa logique que son rapport à la tripe causale. Circoncire
ce p’tit bout de chair21 n’est pas une opération du Saint-
Esprit qui le ferait tomber du ciel, cette séparation
passe par la matière de lalangue où ça cause. Peut-être
pourrait-on faire remarquer que… dans cet arrière-plan
TROMPERIE/GARANTIE DE L’AUTRE
C’est vers la fin du séminaire intitulé Les Écrits
techniques de Freud (séance du 23 juin 1954) que le père
Beirnaert fait remarquer à Jacques Lacan combien ses
développements précédents sur la parole et le symbolique
recoupent le dialogue de saint Augustin avec son fils
Adéodat. Lacan lui donne la parole et, avec élégance,
relève le gant de cette confrontation. En effet, dans ce texte
De magistro27 ces deux-là devisent sur les rapports entre
les signes et les choses et interrogent leur improbable
correspondance biunivoque : peut-on se passer des
signes pour accéder aux choses signifiées ? Oui, mais, ces
signes, épuisent-ils la totalité de la référence, produisent-
ils une parole pleine ? Et puis, quelle qualité référentielle
est vraiment visée ? N’y a-t-il pas un hiatus irréductible
entre la matérialité sonore du signifiable et la réalité
ontologique du signifié ?
La phrase qui est examinée dans le cadre de cette
« dispute » provient d’un vers de Virgile tiré de l’Énéide
(livre II, vers 659) :
Si nihil ex tanta Superis placet urbe relinqui.
« Si d’une telle ville, il plaît aux Dieux qu’il ne reste rien. »
La discussion achoppe sur la possibilité de donner un
juste renvoi, une signification précise à ces trois mots :
si, nihil, ex. Faute de localisation certaine, Adéodat et
Augustin ne peuvent tour à tour conclure que le doute
exprimé par le si et le rien qui passe dans le nihil ne peuvent
qu’émaner de l’âme, traduire un certain état d’âme. Quant
au ex, il faut encore en passer par la signification latine
27. Saint Augustin, « Le maître », dans Œuvres I, traduction par Sophie
Dupuy-Trudelle, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1998, p. 361-408.
Ainsi Dieu 33
DE SURCROÎT
Ne vous mettez donc pas en peine,
disant : qu’aurons-nous à manger ou
à boire ? Qu’aurons-nous pour nous
vêtir ? […] Tout cela vous sera donné
par surcroît.
Évangile selon saint Matthieu, VI-33
LE PARI DE PASCAL :
QUAND L’OBJET a A RAFLÉ LA MISE
Oui, mais il faut parier. Cela n’est
pas volontaire. Vous êtes embarqué.
Cela est admirable. Oui, il faut gager,
mais je gage peut-être trop.
Blaise PASCAL
A O ∞
–a O
Pour Contre
Je
A O,∞ a, – ∞
– a, O a, O
Ainsi Dieu 47
PHALLOPHANIES CHRISTIQUES49
Comment les représentations de cette « présence
réelle », de cette zone phallique du corps du Christ, fils de
Dieu qui s’est fait chair (mais avec le paradoxe mystérieux
que cette incarnation fut le fruit d’une supposée défloraison
virginale par poussée interne encéphallique de la tête
christique), ont pu être traitées à travers différents tableaux
du Moyen-Âge ou de la Renaissance ? Jusqu’où va la
limite sexuée ou l’extrême-sexuel de cette incarnation qui
se donne à voir dans les scènes de crucifixion ou de mise
au tombeau ? On peut suivre ici, dans la mise en regard
de ces deux figurations, la tension de cette problématique.
Dans un manuscrit irlandais du VIIIe siècle, se trouve cette
Crucifixion, œuvre d’un artiste irlandais de l’Évangélaire
de saint-Gall, qui figure le corps du Christ recouvert
tout entier d’un colubium (tunique à manches courtes).
Cette enluminure propose un entrelacs (que redouble à
la marge une bordure entrelacée) dont les nœuds, par
leur entrecroisement, capitonnent sens dessus dessous, le
voilement intégral de la chair du Christ.
« La présence réelle »
ou
Ceci n’est pas une pipe
Φ
3. Maurice Bouvet, « Incidences thérapeutiques de la prise de conscience
du pénis dans la névrose obsessionnelle féminine », dans La Relation d’objet,
p. 49-75.
64 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
HOSTIE LE PHALLUS
Dans une première phase, nous dit Maurice Bouvet,
elle se mure dans un long silence entrecoupé de réflexions
d’une grande hostilité adressée à son analyste : c’est
humiliant et dégradant de parler aux médecins ou aux
hommes, ils se moquent entre eux des symptômes de leurs
malades. De plus, l’analyste lui demandait un sacrifice
monétaire qui l’empêchait d’avoir suffisamment d’argent
pour acheter ses toilettes et se livrer à ses coquetteries
féminines. Bref, par le prix à payer pour son analyse, il la
privait du plaisir de plaire… même si les hommes, ajoutait-
elle, pourraient en être pour leurs frais, en se laissant trop
facilement séduire par ses atours. Elle pourrait les faire
souffrir en leur faisant payer leur désinvolture. Ce « se
faire humiliante/humiliée » entrait en résonance avec la
situation de son père (brigadier de gendarmerie) qu’elle
jugeait dégradante et qu’elle ne cessait de lui reprocher.
Ce père, par ailleurs, ne s’était pas privé également de
la discréditer auprès de ses compagnes. Un rêve vient
scander un deuxième moment transférentiel :
Je suis dans le service hospitalier où je travaille, ma mère
vient dans le service. Elle dit du mal de moi à la surveillante.
Je suis furieuse et je sors. Je rentre dans la boutique d’un
savetier qui se trouve en face de l’hôpital et à qui j’achète
une paire de chaussures. Puis, tout d’un coup, ouvrant la
fenêtre, je me mets à injurier violemment ma mère et le chef
de service.
Il se trouve que ce cordonnier présente les traits de
son analyste qui, tout en gardant cette interprétation
par-devers lui, suppute que ce rêve est à entendre
comme le désir d’une possession phallique ! C’est peut-
« La présence réelle » 65
8. Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe, Paris, Fata Morgana, 2010.
72 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
ECCE HOMO
La présence réelle de ce grand Φ ne demeurera pas
inentamée même si, dans un premier temps, son aura
référentielle se maintient malgré l’ombre portée d’un
manque. C’est le témoignage9 des Précieuses que Jacques
Lacan convoquera pour introduire cette opération de
fragmentation et de brisure.
Ce pourquoi j’invoquais le témoignage des Précieuses
qui restent pour moi un modèle, les Précieuses qui, si
je puis dire, définissent si admirablement l’Ecce Homo
– permettez-moi d’arrêter là le mot – l’excès au mot – l’ecce
homo de l’amour, parce que, elles, elles ne se risquent pas
de prendre le phallus pour un signifiant. «Φ donc ! » : ce
n’est qu’à briser le signifiant dans sa lettre qu’on en vient à
bout au dernier terme.
Le mouvement des Précieuses, dans son souhait de
purifier10 l’obscénité du langage, d’épurer la langue
trouble des fictions ou intrigues galantes (faites de parade,
de semblant11 ou de mascarade), se réclamait du culte du
Un phallus athée
où il est situé. Oui, ils sont là, ils sont bien là, en chair…
et en os ! Pourtant, pour résoudre l’énigme, il vous suffirait
peut-être d’extraire du tableau, parmi le tas d’instruments
de mesure à votre portée (cadrans, équerres ou compas)
celui qui vous permettrait de calculer très précisément la
justesse de l’angle, l’exact point de vue sous lesquels vous
pourriez en donner l’interprétation…
Ce double portrait des Ambassadeurs fut exécuté à
Londres par Hans Holbein le Jeune (1497-1543) alors
qu’il avait fui la réforme en quittant Bâle où il travaillait
dans l’atelier de son père. Il est daté de 1533. Ce tableau
lui fut commandé par Jean de Dinteville, noble français,
soucieux d’immortaliser son image alors qu’il était à
l’époque ambassadeur de François Ier auprès d’Henri VIII
d’Angleterre. La commande eut lieu au moment où son
ami l’évêque de Lavaur, Georges de Selves, lui rendit
visite. Elle était destinée à fixer sur la toile le moment
officiel de cette rencontre. Les deux pouvoirs sont ainsi
représentés :
En « robe courte » pour le détenteur du pouvoir politique
dont la stature s’avère particulièrement imposante. Sa
silhouette est recouverte d’une pelure d’hermine à manches
bouffantes sur chemises à crevés de soie rouge. Jean
de Dinteville arbore par ailleurs le collier de l’ordre de saint
Michel, une très haute distinction de la noblesse française.
DE LA VANITÉ RÉFÉRENTIELLE
Ce dernier passage de Lacan, qui semble conclure
la séance, ouvre plutôt de nouvelles perspectives en
élargissant résolument le champ de la réflexion sur la vanité.
En élargissant le cadrage de cette référence phallique, on
peut interroger toutes les formes que pourraient revêtir
les pièges tendus par le pouvoir référentiel et sa toute-
puissance (assignations sexuées, pressions des mythes
culturels, religion de l’image ou culte du divin gode…).
Un phallus athée 89
- φ OU LE PHALLUS FLAPI
Lors de la séance du séminaire sur L’Angoisse du
19 décembre 1962, Jacques Lacan ne résiste pas au
plaisir de livrer à son auditoire l’une de ses trouvailles,
survenue par l’heureux hasard d’une lecture. Il est tombé
LE FASCINUS
On peut voir à Herculanum un superbe bronze,
représentant un gladiateur brandissant un glaive, dont la
force provient du « suspens » de ce tranchant. À qui serait
destinée cette menace ? À ce phallus érigé, oui sûrement,
mais alors serait-ce une auto-castration ? Curieux non ?
Ce phallus dressé (il n’est pas sans l’avoir) est remarquable
par la forme hybridée qu’il soutient : il figurerait plutôt
l’image du désir de la femme (elle n’est pas sans l’être)
devenue menaçante dans son exigence et figurée, tout
au bout du même organe, sous les traits d’une chienne
à la gueule grande ouverte, possiblement dévorante. Les
clochettes pourraient tintinnabuler pour retrancher cette
Un phallus athée 95
DU PAS-TOUT
L’approche freudienne de la différence des sexes
reposait sur une logique de l’attribut déterminant l’appar-
tenance à une classe. L’avoir ou pas, telle était la question
dichotomique à trancher, entraînant par voie immédiate
de conséquences la thématique de la privation, du
manque et de la castration. Jacques Lacan fit d’abord
bouger les lignes en rompant avec ce répartitoire exclusif
et excluant : il n’est pas sans l’avoir, elle n’est pas sans l’être
apparaissent comme des formules qui laissent un suspens,
une marge, une indétermination quant au « lieu » de ce
phallus et à son économie. Cette annonce du pas sans
modalise la logique binaire du manque en inaugurant,
en amorçant une autre répartition : elle nous ferait passer
d’un concept fixe de l’attribution, charriant avec elle un
binarisme fort rigide, à une souplesse distributive du
phallus en tant que concerné par la jouissance dans cette
bipartition. Pourtant, Judith Butler critique cette formule
en considérant que cette réciprocité entre l’avoir et l’être
ne ferait que reconduire la dialectique hégélienne, le jeu
de dépendance entre le maître et l’esclave.
Par conséquent, « être » le phallus revient toujours à « être
pour » un sujet masculin qui cherche à renforcer et à
98 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
qui nous serait donné à voir. Elle jouit. Oui mais… dans
quel contexte et sous quelle forme apparaît l’expérience
mystique de sainte Thérèse ?
TRANSVERBÉRATION
De la même manière que Daniel Paul Schreber dédie ses
mémoires à la science et convie les autorités religieuses à
constater sur son corps les vicissitudes qu’il a traversées,
les écrits de sainte Thérèse d’Avila sont adressés : sur le
commandement et avec la permission de ses confesseurs,
le Livre de la vie témoigne de son expérience mystique afin
d’authentifier la véracité de ses ravissements, de prouver
qu’ils ne sont pas une émanation démoniaque et surtout
que les extases dont elle faisait état n’étaient pas le fruit
d’une imagination déréglée. Car les simulatrices ou les
illuminées étaient à l’époque légion7. Ces témoignages
étaient donc reçus avec précaution sous l’aura d’un grand
soupçon. Lesdites saintes pouvaient tromper leur monde,
tout autant qu’être abusées par le démon. À tel point que
les confesseurs leur donnaient quelques recommandations
pour conjurer et chasser ces fameux démons : soit brandir
la croix, se signer ou encore, si ça ne suffisait pas… leur
faire la nique8 ! Drôle de prescription particulièrement
7. Madeleine de la Croix, abbesse du couvent des clarisses de Cordoue,
fut arrêtée en janvier 1544 et sera condamnée à finir sa vie dans un couvent.
Elle simulait des visions et prétendait uniquement se nourrir de pain
eucharistique. Marie de la Visitation, prieure du couvent dominicain de
Lisbonne, montrait ostensiblement les stigmates de plaies au côté, en forme
de croix, qu’elle se faisait en réalité elle-même.
8. Dar higa, en langue espagnole, c’est « faire la figue » en signe de
moquerie. On met le pouce entre deux doigts qui apparaît à peine lorqu’on
entrouvre lesdits deux doigts et en serrant toute la main en même temps.
106 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
10. J. Lacan, Encore, séance du 20 février 1973 : « J’ai déjà parlé d’autres
gens qui n’étaient pas si mal non plus, côté mystique, mais qui se situaient
plutôt du côté de la fonction phallique, Angelus Silesius par exemple :
confondre son œil contemplatif avec l’œil dont Dieu le regarde, ça doit bien,
à force, faire partie de la jouissance perverse. »
Le phallus et son au-delà 109
MATHÈME/MYTHÈME
Il est singulier de remarquer que l’écriture, dite
« mathème », des formules de la sexuation n’est elle-
même pas-toute, qu’elle se double par exemple d’un
11. J. Lacan, Encore, séance du 8 mai 1973 : « C’est en cela que je
rejoins le baroquisme dont j’accepte d’être habillé, tout est exhibition de
corps évoquant la jouissance, croyez en le témoignage de quelqu’un qui
revient d’une orgie d’églises en Italie. À la copulation près. […] Nulle part,
comme dans le christianisme, l’œuvre d’art ne s’avère de façon plus patente
pour ce qu’elle est de toujours et partout, obscénité. »
12. Ibid., « La doctrine chrétienne ne parle que de l’incarnation de Dieu
dans un corps et suppose bien que la passion soufferte en cette personne ait
fait la jouissance d’une autre. »
110 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
16. Jean Allouch, Schreber théologien. L’Ingérence divine II, Paris, Epel,
2013, p. 107-108.
112 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
5. Judith Butler, Ces corps qui comptent, Paris, Amsterdam, 2009, p. 94-
99.
6. Christian Marmonnier, Gode’s story. L’histoire du sex toy, Paris, Seven
Sept, 2008.
En finir avec Dieu ? 119
PLAISIR/DÉSIR
Dans un article concernant la correspondance8 qu’il
échangeait avec Michel Foucault, Gilles Deleuze revient
sur leur divergence quant à la façon d’entendre le mot
LE NŒUD JOYCE/LACAN
Si l’expérience relatée par Guillaume Dustan a pu
tourner à la réitération d’apprentissages, l’itinéraire de
James Joyce commenté par Jacques Lacan questionne
également le tissage, le nouage entre sa mise en jeu
corporelle et son écriture. Peut-on soutenir, dans le vice
encore entretenu d’une logique de la vicariance, que son
œuvre fut d’artifice et son art compensatoire ? Cette thèse
ne reste-t-elle pas parasitée par l’association abusive
entre Nom-du-Père et phallus qui lie la carence de l’un
par rapport à l’autre ?
9. Guillaume Dustan, Plus fort que moi, dans Œuvres I, Paris, P.O.L,
2013, p. 324-325.
122 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
La perversion de la trinité
DE LA CHOSE
Très étonnamment ou paradoxalement, le séminaire
que Jacques Lacan a intitulé L’Éthique de la psychanalyse
(novembre 1959-juillet 1960) tente de fonder une position
éthique sur une considération érotique : cet abord s’écarte
de la sache, de la res juridique, morale ou surmoïque,
pour approcher das ding, cette chose qui fait justement
limite d’être inaccessible, impossible. Ne demeurerait
que le désir de tourner autour de son vide, qu’il s’agisse
d’amour courtois, d’érotisme ou de pratique artistique :
l’objet, dans sa trivialité la plus absurde (un macaroni,
le vase du potier, la collection des boîtes d’allumettes à
la Prévert) cerne un trou, une vacuole et peut être élevé
à la dignité (dingnité) de la chose, selon le calembour
(résonance trans-langues) dont use Lacan. L’art n’imite
pas, ne représente pas la réalité, il révèle, rend visible la
choséité, au-delà même de l’objet.
C’est ici qu’entre en jeu la fonction éthique de l’érotisme.
Le freudisme n’est en somme qu’une perpétuelle allusion
à la fécondité de l’érotisme dans l’éthique, mais il ne la
formule pas comme telle. […] Les techniques dont il s’agit
dans l’amour courtois sont des techniques de la retenue,
de la suspension, de l’amor interruptus. […] Dans cet acte
d’amour, cette fusion, nous ne pouvons jamais savoir s’il
126 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
POST-SCRIPTUM
Le passage au public d’un problème prête parfois
à conséquences, dans l’après-coup. Il se trouve qu’un
heureux hasard de lecture m’a fait tomber ou retomber
sur une autre version que Lacan donne de ces rapports
entre psychanalyse et perversion. Mais cette fois-ci, par le
truchement d’un troisième terme, si l’on peut dire :
Vous m’avez entendu très souvent énoncer ceci, que la
psychanalyse n’a même pas été foutue d’inventer une
nouvelle perversion. C’est triste. Si la perversion, c’est
l’essence de l’homme, quelle infécondité dans cette pratique.
Eh bien, je pense que, grâce à Joyce, nous touchons quelque
chose à quoi je n’avais pas songé19.
Cette citation répond à une singulière interrogation
de Jacques Lacan : la fécondité de la psychanalyse est
questionnée au regard du fait que : « Freud n’a jamais
réussi à concevoir la sexualité autrement que perverse. »
Il y aurait donc une drôle de gageure à vouloir que la
psychanalyse transgresse sa conception traditionnelle du
sexuel par l’élégance d’une langue qui gante autrement
la pointure des organes. Et là, surgit le nom de James
22. J. Joyce, Finnegans Wake, op. cit., p. 88 et 469 : « Dans cette charade
de la Scheherazade des mille et une finesses, le tranche-mot de la certitude
qui identifierait le corps du livre ne tombera jamais. […] Et ma chère, il allait
continuer de gribouiller tout un écorchis de la race humaine bien née, bien
élevée, il allait souffrir de la plume pour elle, il serait son souffre-encreur,
il allait faire jeu de tous les mots pour elle, mi-sérieux et sourcil froncé d’un
côté et de l’autre tout sourire et douceur. »
23. Ibid., p. 37-38.
La perversion de la trinité 143
25. Façon de faire résonner le bon mot de Jean Allouch sur la « trans-
cendance » lors du colloque L’Amour Lacan qui s’est tenu à Paris, les 9 et
10 juin 2012.
26. Philippe Sollers, « Joyce et Cie », dans Théorie des exceptions,
Paris, Gallimard, 1985, p. 98 : « Et c’est cette saturation des variétés poly-
morphiques, polyphoniques, polygraphiques, polyglottiques de la sexualité,
cette déprise de la sexualité, cette ironisation ravageante de vos désirs les plus
viscéraux, répétés, qui vous laissent, avouez-le, embarrassés devant Joyce. »
146 PAS TRÈS CATHOLIQUE, LACAN ?
L’Enfant supposé
Paris, Epel, 2006
L’Équivoque interprétative
Lormont, Le Bord de l’eau, 2014