« Industrialisation et développement »
Introduction .......................................................................................................................................3
Conclusion ........................................................................................................................................ 20
Bibliographie .................................................................................................................................... 23
2
Introduction
3
l’industrie depuis l’indépendance du pays, en 1956. Le second, celui du processus, analyse les
résultats effectifs de ces politiques.
4
Chapitre I : Les trajectoires industrielles visées : entre
volontarisme et opportunisme
Section 1 : La volonté de rupture (1956-1972)
À l’indépendance, l’État cherche à organiser une « rupture dans les relations nouées
avec l’ancienne métropole »1, mais sans y parvenir.
Le secteur industriel est resté entre les mains des dirigeants français, qui n’investissent
plus dans leur activité, précipitant le déclin des petites et moyennes entreprises. À l’exploitation
des ressources minières à destination de la métropole ont succédé des investissements
industriels « tardifs » et « faibles », en dehors des matériaux de construction2 : le Maroc exporte
la quasi-totalité de son minerai à l’état brut3. Pour sortir le pays d’une relation de dépendance,
l’industrialisation par substitution des importations4 est retenue, mais sans exclusive. Les
nouveaux pouvoirs indépendants procèdent aussi bien par alliance avec le secteur privé, en
soutenant les « initiatives hasardeuses » de la bourgeoisie fassie de Casablanca et d’anciens
membres de l’Union nationale des forces populaires5, qu’en investissant directement dans
l’économie. Les efforts de pénétration des milieux d’affaires marocains dans le domaine
industriel restent toutefois timides, leur pouvoir économique provenant d’abord du commerce
d’importation et de la spéculation. L’État s’engage dans le développement d’une industrie de
base6et participe également au développement d’entreprises stratégiques, dont la rentabilité ne
peut être assurée que par une situation de quasi-monopole, à l’image de la raffinerie de produits
Pétroliers ou de l’assemblage de véhicules automobiles7.
Poussé en 1958 par la fuite massive de capitaux après la sortie de la zone franc et par le
manque de substituts nationaux, l’État fait preuve de volontarisme et de pragmatisme en tentant
d’imposer un principe d’économie mixte. L’investissement privé étranger associé à
l’investissement public est encouragé.
1
Jaidi, L. (1992), « L’industrialisation de l’économie marocaine. Acquis réels et modalités d’une remise en cause », Le Maroc actuel, Paris, CNRS
Éditions, p. 91-117.
2
Belal, A.-A. (1980), L’Investissement au Maroc (1912-1964) et ses enseignements en matière de développement, Casablanca, Les Éditions
Maghrébines.
3
Les super-phosphatiers français, Kulhmann ou Saint-Gobain, clients principaux de l’exploitation du minerai par l’Office chérifien des phosphates
(OCP), s’opposent efficacement à l’idée évoquée dès 1953 d’une usine de traitement d’importante capacité (Oualalou, 1974).
4
Une industrialisation par substitution aux importations (ISI) est un modèle de développement économique « autocentré » qui consiste à réduire la
part d'importations afin de développer le potentiel industriel d'un pays.
5
Marais, O. (1964), « La classe dirigeante au Maroc », Revue française de science politique, vol. XIV, n° 4, p. 709-737.
6
Les industries de base fournissent des produits semi-finis destinés aux autres activités industrielles situées en aval. Quant aux industries de
transformation, elles fabriquent des produits finis, soit des biens d’équipement, soit des biens de consommation.
7
Respectivement l’ENI (50 % capital public) et la Somaca (50 %).
5
Des conventions régissent l’implication et les devoirs de chaque associé. Mais, au plan
politique, l’étroite coalition d’acteurs portant cette orientation industrialiste s’avère de trop
faible pouvoir. Les milieux d’affaires européens, contestés dans leurs intérêts historiques
monopolistes, expriment quant à eux leur colère8. À compter de 1964, un nouveau mouvement
de rapatriement des capitaux étrangers s’opère vers l’Europe, et les IDE décroissent. Le premier
Plan quinquennal (1960-1964) fait ainsi l’objet d’une seconde version dès la fin de l’année
1961. Aux tensions économiques s’ajoutent les tensions politiques, avec la réactivation de la
crise du Rif en 1959.
L’ambition industrialiste des premières années d’indépendance est ajustée dans les
Plans de 1965-1967 et de 1968-1972. Reléguée au troisième rang des priorités, derrière
l’agriculture et le tourisme, elle est réorientée vers les industries légères de substitution aux
importations, principalement l’agroalimentaire, le plastique et les articles de ménage.
L’ensemble de ces disposition set la remise en cause du premier Plan dès le début des années
1960 encouragent le développement d’une industrie de transformation à destination du marché
domestique ; développement qui sera cependant rapidement saturé par l’exiguïté du marché
intérieur.
8
Vermeren, P. (2006), Histoire du Maroc depuis l’indépendance, Paris, La Découverte.
9
En particulier, l’OCP bénéficie d’un plan d’expansion et la production de produits intermédiaires issus des phosphates (acides phosphoriques
entrant dans la production d’engrais) est visée.
10
Créée en 1966 par décret royal, l’entreprise publique doit favoriser le développement de l’industrie par prise de participations.
6
saturée set la satisfaction des besoins nationaux en produits alimentaires de base et en produits
stratégiques11.
Face à l’étroitesse du marché intérieur déjà éprouvé, une logique d’attraction d’IDE
verticaux se dessine dès la décennie 1970, l’État cherchant alors à adosser l’expansion
industrielle du pays sur la demande externe : les mesures de soutien à l’exportation s’étendent
aux activités manufacturières et aux unités de petite dimension. Le Maroc veut ainsi capter les
opportunités d’investissements qu’ouvrent, au Nord, le redéploiement spatial des industries de
première spécialisation et la croissance des activités de sous-traitance.
Mais c’est une tout autre disposition du Code des investissements du13 août 1973 qui
marque cette séquence : celle qui traduit la loi du 2 mars1973 relative à la marocanisation12.
Elle contraint la participation maximale du capital étranger dans une société de droit interne,
fixe par voie réglementaire une liste d’activités qui ne peuvent être exercées que par des
personnes physiques ou morales marocaine set instaure des limitations aux bénéfices des
entreprises non marocaines. Face aux contestations sociales et politiques grandissantes de
l’héritage colonial, l’État est ainsi contraint de corriger une répartition des revenus défavorable
aux nationaux en contrôlant le pouvoir des capitaux étrangers sur le processus de
développement économique13 et en élargissant quelque peu sa base de soutien.
Si la marocanisation reste limitée dans les faits, elle relance indéniablement la lente
constitution d’un capital privé marocain engagé depuis l’indépendance, à l’appui de protections
douanières et de la substitution aux importations. Elle favorise aussi la reconversion de certains
cadres de l’administration, tandis que l’ascension d’une nouvelle génération d’industriels
élargit la base sociale historique de l’entrepreneuriat marocain, qui s’ouvre désormais, au-delà
des couches traditionnelles aisées, à la classe moyenne14. Mais elle entraîne surtout la formation
de groupes familiaux aux activités diversifiées15dont l’influence est consolidée par l’obtention
concomitante de postes clés dans l’administration, dans les banques nationales et dans les
organisations de producteurs. En situation de quasi-monopole, ces groupes privés, fortement
connectés au pouvoir central par l’activation de liens personnels et familiaux, orientent et
11
Jaidi, L. (1992), « L’industrialisation de l’économie marocaine. Acquis réels et modalités d’une remise en cause », Le Maroc actuel, Paris,
CNRS Éditions, p. 95.
12
Loi n° 1.73.2 10 du 2 mars 1973 relative à la marocanisation active l’article 15 de la Constitution qui permet de limiter, en le contrôlant, le droit
de propriété des étrangers (El Aoufi, 1990). En cela, elle renforce l’état de droit en venant couvrir un état de fait tout aussi prégnant (Belghazi,
1999).
13
Belghazi, S. (1999), « L’expérience de privatisation au Maroc », colloque du Ce droma, Liban, université Saint- Joseph de Beyrouth,
www.cedroma.usj.edu.lb/pdf/priva/Belgha.pdf.
14
El Aoufi, N. (1992), La Régulation du rapport salarial au Maroc, Rabat, Éditions de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,
2 vol.
15
Le groupe Karim Lamrani (ancien Premier ministre et PDG de l’OCP), Benjelloun, Kettani, Chaâbi, Guessous, Agouzzal, etc.
7
structurent durablement la dynamique économique du pays, au côté de la famille royale16qui
choisit de prendre le contrôle d’importantes sociétés étrangères17.
La chute des prix du phosphate, à partir de 1975, fait apparaître les contradictions de la
croissance économique marocaine et de son économie politique stator-centrée18: l’État
accumule les déséquilibres budgétaires et les dettes au moment où les marchés de destination
entrent en crise, et les premières mesures du Plan de transition (1978-1980) n’y changent rien.
En 1983, la Banque mondiale et le FMI enjoignent les autorités marocaines de s’engager
dans un programme standard de réformes. La stabilisation macro-budgétaire et l’ajustement
structurel vont alors tenir lieu de cadre unique de la réforme, institutionnelle et économique,
tant pour la politique agricole que pour la politique industrielle. La loi de marocanisation, qui
contraint l’admission des IDE à une participation locale, ne sera abrogée qu’en 1993, mais son
application est assouplie par les codes commerciaux de 1982 et 1983, puis de 1984et 1986, qui
activent un « appel aux capitaux extérieurs ». La réforme promeut les activités d’exportations
de produits industriels et l’amélioration de leur compétitivité-coût par une réduction de la
protection douanière, tandis que la dévaluation progressive de la monnaie et une série de
mesures bancaires et fiscales doivent faciliter l’accès des entreprises aux financements et
améliorer leur compétitivité.
Dans cette troisième séquence (1978-1998), la politique industrielle s’efface au profit
d’un horizon encore lointain : la mise en conformité de l’économie marocaine avec les standards
de qualité et de compétitivité des marchés externes, qui prend la forme classique de programmes
de privatisations, d’ouverture économique et de mise à niveau des entreprises.
L’examen minutieux de leur mise en œuvre19moins le retrait de l’État de la régulation
sociale et économique qu’une convergence, contre-intuitive mais bien réelle, entre les modes
profonds de gouvernement au Maroc et les principes de la gouvernementaliste néolibérale
décrits par Foucault (1979)20. En pratique, le pouvoir central se redéploye et se réorganise sous
16
Le groupe français Omnium nord-africain (ONA) en 1980.
17
Berrada, A., Saadi, M.S. (1992), « Le grand capital privé marocain », Al Asas, n° 49.
18
Collectif (2006), Le Maroc possible. Une offre de débat pour une ambition collective, rapport du cinquantenaire, Casablanca, Les Éditions
Maghrébines.
19
Najem, T.P. (2001), “Privatization and the State in Morocco. Nominal Objectives and Problematic Realities”, Mediterranean Politics, vol. VI, n°
2, p. 51-67.
20
Foucault, M. (1979), Naissance de la biopolitique. Cours au collège de France, Paris, Seuil.
8
les formes prescrites, c’est-à-dire marchandes, privatisées, décentralisées et déléguées. On parle
de « privatisation » ou de « décharge » pour qualifier ces transformations de l’action publique
par un système politique inchangé21.L’État s’arrange des objectifs nominaux de la réforme en
consolidant l’alliance établie avec les milieux d’affaires au moment de la marocanisation.
À l’opposé du mouvement de déconcentration du capital attendu, il résulte des
privatisations une concentration du capital économique et commercial autour des grands
groupes familiaux marocains qui détiennent une part importante des moyens financiers
nécessaires au transfert du capital vers le privé. Des groupes étrangers, obligés de céder une
part de leur capital au moment de la marocanisation, profitent de cette même politique de
privatisation pour réinvestir quelques secteurs clés comme le tourisme ou les
télécommunications.
C’est toutefois de la combinaison d’un nouveau régime commercial orienté vers
l’exportation et du redéploiement spatial des chaînes de valeur mondiales que proviennent les
transformations les plus significatives dans l’industrie et dans le secteur privé marocain.
De très nombreuses PME marocaines sont créées suite à la mise en place, par la
Communauté européenne, du Trafic de perfectionnement passif (TPP)22, un dispositif
commercial qui favorise le développement d’une sous-traitance au sud de la méditerranée (puis
à l’est de l’Europe), l’amont de la filière à plus forte valeur ajoutée restant dans les pays
d’origine.
Au Maroc, la disposition favorise surtout la création d’entreprises de sous-traitance dans
la confection, à tel point que la structure des exportations du pays s’en trouve modifiée. Les
entreprises familiales qui se lancent dans cette forme internationalisée du « travail à façon23»
sont issues de catégories sociales relativement modestes. Au sein de la puissante Amith24dont
elles prennent le contrôle, elles contestent les intérêts protectionnistes déclinants des grands
fabricants de tissus et dénoncent les pratiques clientélistes, pour défendre auprès de l’État une
autre vision de la politique industrielle, fondée sur le clustering, l’intégration verticale et la
formation25.
21
Catusse, M. (2009), “Ambiguous Privatization and the Emerging Social Question”, in D. Pioppi, L. Guazzone, The Arab State and Neo-liberal
Globalization. The Restructuring of State Power in the Middle East, Ithaca, Ithaca Press, p. 185-216.
22
Il s’agit d’un régime douanier d’exportation temporaire en vue de faire « ouvrer, monter ou transformer » un produit dans un pays tiers et de
réimporter les produits ainsi obtenus en exonération partielle ou totale de droits de douane. Dans le cas marocain, ce régime concerne
principalement la France dans le cadre de quotas sur le textile habillement et sera pleinement intégré à l’Accord multifibres III (1982-1986)
(Andreff et al., 2001).
23
L’expression renvoie historiquement à une relation de travail entre un artisan qui possède son outil de production et un commanditaire, le
donneur d’ordre, qui commercialise le modèle. Elle désigne ici une relation de sous-traitance simple où l’amont de la production (la conception et
l’approvisionnement) et l’aval (la vente) restent aux mains du donneur d’ordre en position dominante.
24
L’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement est la première association professionnelle créée au Maroc en 1960.
25
Cammett, M. (2007), “Business- Government Relations and Industrial Change. The Politics of Upgrading in Morocco and Tunisia”, World
Development, vol. XXXV, n° 11, p. 1889-1903.
9
Aussi, et au moment où se confirme une insertion régionale subordonnée et limitée
(sous-traitance simple) dont le dépassement forme le but et la principale difficulté de la stratégie
industrielle marocaine, se dessinent les premiers contours d’une politique industrielle proactive,
contractuelle et sectorielle, sur fond d’engagements réciproques de l’État et des milieux
d’affaires : le contrat programme présenté par l’Amith au gouvernement, en 2000, préfigure
l’institution graduelle d’un nouveau modèle de relations États-entreprises, fondé sur la
réciprocité, l’intégration sectorielle (le passage de la sous-traitance à la cotraitante) et l’objectif
d’augmentation de la valeur ajoutée locale. En échange d’une amélioration du climat des
affaires, principalement portée par des mesures fiscales, les membres de l’association des
industries textile et de l’habillement s’engageaient à créer 125 000 emplois sur trois ans26.
L’État le refusera toutefois, et ne signera un accord-cadre avec les représentants du secteur
qu’en 2002.
Le processus d’ouverture engagé dans les années 1980 s’accélère au cours des deux
décennies suivantes.
La signature de l’accord d’association avec l’Union européenne en 1996 succède à celle
de la Zone de libre-échange arabe (1981) entrée en vigueur en 1998. Elle est complétée durant
les dix années suivantes par six accords de libre-échange (ALE) bilatéraux, par la déclaration
d’Agadir27et le GAFTA28. Au moment où le Maroc redéfinit sa politique industrielle et cherche
à développer les bases d’une régulation du rapport salarial29, il s’affirme en tant que plate-forme
d’exportation (cinquante-cinq pays concernés) vers les marchés développés ou émergents dont
l’industrie, souvent très compétitive, augure de termes de l’échange peu favorables aux
industriels marocains30.Inspiré des travaux de Porter dans les années 1990 et de l’expérience
mexicaine des zones franches d’exportation – ainsi que de celles de Shenzhen (Hong Kong) ou
de Kaesong (Corée du Sud) –, le Plan émergence (2005-2009)prolonge les réformes
institutionnelles et les nouveaux arrangements entre l’État et la sphère des intérêts privés,
26
Cammett, M. (2007), “Business- Government Relations and Industrial Change. The Politics of Upgrading in Morocco and Tunisia”, World
Development, vol. XXXV, n° 11, p. 1889-1903.
27
Signé entre le Maroc, l’Égypte, la Tunisie et la Jordanie, à Rabat le 25 février 2004, l’accord est entré en vigueur le 27 mars 2007.
28
Le Greater Arab Free Trade Area signé en 1997, en vigueur depuis le 1er janvier 2005, créé une zone de libre-échange entre dix-neuf des vingt-
deux pays de la Ligue arabe et un marché de plus de trois cents millions de personnes.
29
El Aoufi, N. (2000), « L’impératif social au Maroc : de l’ajustement à la régulation », Critique économique, n° 3, p. 63-79.
30
IRES (2013), Les accords de libre-échange conclus par le Maroc : quelles incidences sur la compétitivité globale du Maroc ? Rabat.
10
amorcés par le gouvernement de « l’alternance31». Le Plan promeut en particulier des zones
franches d’exportation dans des secteurs tournés vers l’exportation pour lesquels le Maroc
dispose, après expertise, d’avantages comparatifs : l’offshoring32, l’automobile, l’aéronautique,
l’électronique, l’agroalimentaire, les produits de la mer et l’artisanat industriel, auxquels
s’ajoutera le textile habillement sous la pression de la puissante Amith. Ces sept moteurs de
croissance, dits « métiers mondiaux du Maroc » (MMM), doivent représenter 70 % de la
croissance économique à partir de 2015. Cette stratégie industrielle (2005-2009) se décline en
contrats d’engagements entre l’État et les représentants des secteurs clés, et en investissements
infrastructurels, avec un objectif général de création de 240 000 emplois directs en 2015, soit
440 000 emplois au total. Dans la foulée de ce premier Plan, le contrat de programme Pacte
national pour l’émergence industrielle (2009-2015) reprend la logique de coordination et de
contractualisation des actions de l’État et des opérateurs économiques33. Chaque secteur-cible
bénéficie d’un cadre fiscal et d’un système d’aide incitatif, d’un programme de formation
spécifique, d’un dispositif de promotion à l’international, et du développement ou de la création
de plateformes industrielles intégrées. Le développement de parcs industriels de nouvelle
génération, dits « P2i », puis de six agropoles, donne lieu à la démultiplication d’une offre
foncière industrielle, dédiée ou généraliste. Le ciblage sectoriel demeure inchangé, mais il s’agit
d’innerver de façon volontariste l’espace national de pôles industriels, au-delà du seul littoral.
Le récent Plan d’accélération industrielle (PAI, 2014-2020) s’inscrit quant à lui dans une toute
nouvelle configuration critique – qu’il intègre sans toutefois modifier en profondeur la
trajectoire prise au début de la décennie2000. La référence à l’émergence laisse alors
symboliquement place aux « écosystèmes industriels performants34». La politique industrielle
s’affiche dorénavant comme un outil au service de la constitution de chaînes de valeur
complètes. L’ouverture économique et les accords de libre-échange, dont certains sont en cours
de négociation, ne sont pas remis en cause, mais un principe de compensation et de transferts
de technologie – à l’image des règles de compensation pratiquées par les grands émergents –,
associé à une logique dite de « substitution » aux importations, doit s’appliquer aux
négociations avec les investisseurs internationaux. Le PAI répond en cela à la critique adressée
31
« L’alternance », en mars 1998, désigne l’arrivée à la tête du gouvernement du secrétaire général de l’USFP suite aux élections législatives de
1997. L’expérience prend fin en 2002 avec la nomination de Driss Jettou à la primature, dont le parcours d’industriel puis de ministre, hors des
partis politiques, lui vaut le qualificatif de « technocrate ».
32
L’offshoring désigne ici des services de support administratif et de gestion délocalisés, tels que la relation client, la gestion d’infrastructures, le
développement de logiciels, le Maroc cherchant à prendre le leadership dans le Near shore francophone et hispanophone.
33
Le contrat de programme est conclu entre l’État, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et le Groupement professionnel
des banques du Maroc.
34
D’où la dénomination du PAI 2014-2020 « d’émergence aux écosystèmes performants ».
11
à la stratégie d’ouverture du pays (en particulier à l’encontre des accords de libre-échange) par
les représentants du patronat marocain35.
Les « écosystèmes industriels » deviennent ainsi l’outil d’une mise en œuvre
coordonnée des divers dispositifs publics de soutien aux secteurs exportateurs, dans le but de
produire et d’assembler localement les pièces et composants qui aujourd’hui encore sont
importés. En incitant à la coopération entre acteurs concurrents, l’État cherche à accroître
significativement les volumes produits au Maroc, pour favoriser in fine de nouveaux
investissements et diminuer le contenu en importations des produits exportés.
La dynamique d’ouverture commerciale des années 1990 et 2000, combinée à la
neutralité du PAI vis-à-vis du tissu productif marocain et de l’investissement domestique,
conduit de fait à privilégier l’attraction des IDE et l’implantation de nouvelles entreprises
multinationales dans des secteurs à fort potentiel d’exportation, plus que la dynamisation des
PME et TPME existantes.
La croissance extensive de la participation aux CVM doit se traduire par une
augmentation de la valeur ajoutée locale des exportations (montée en gamme) et par la
diversification des produits exportés. L’industrialisation de l’économie dépend alors de la
capacité de la politique industrielle à accroître les liens de ces secteurs tournés vers l’exportation
avec l’ensemble du tissu productif marocain, et à obtenir le soutien suffisant des milieux
d’affaires locaux.
35
La publication, le 28 mars 2014, de l’étude commanditée par la CGEM, « Les leviers de la compétitivité des entreprises marocaines », juste
avant les Assises de l’industrie marocaine où le nouveau ministre de l’industrie présentait son PAI, a donné à voir cette tension entre gouvernants
et gouvernés et la réalité du débat au sein des milieux patronaux marocains. L’actuel ministre de l’industrie, nommé en octobre 2013, est l’ex-
président du groupe Saham, mais aussi de la CGEM de 2006 à 2009.
12
branches et touche les trois grands secteurs de l’économie (primaire, secondaire, tertiaire) pour
se confondre avec le développement économique.
Dans une acception plus stricte, celle qui nous occupe ici tant elle continue de faire
débat36, l’industrialisation notifie le rôle-clé de la production manufacturière dans le processus
général. Elle donne lieu et renvoie à l’augmentation de la part de la production industrielle dans
la richesse annuelle créée et dans l’emploi.
36
Les tenants d’un changement structurel par la croissance des activités manufacturières, tel que Dani Rodrik, font face à ceux qui pensent
trouver dans les services industrialisés le prochain relais de croissance (Ghani, O’Connell, 2014 ; Mouhoud, 2012) d’économies enfermées dans
une trappe à revenu intermédiaire (Agénor et al., 2012).
37
En 1955, le rapport relatif entre la valeur de la tonne importée et exportée est de 5,5 après avoir été de 3,8 en 1938. Ces données sont issues
des statistiques marocaines (recensement général de la population en 1951-1952, vol. II et III ; tableaux économiques du Maroc, 1915-1959),
citées par Cerish (1964, p. 162 et 175).
38
Oved (1961), ex-chargé de mission au commissariat général au Plan, qualifie « d’euphorique » la période de développement industriel du
Maroc jusqu’en 1952.
39
Piveteau, A., Askour, K., Touzani, H. (2013), « Les trajectoires d’industrialisation au Maroc. Une mise en perspective historique », document
de travail, n° 2.
13
combiné d’industrialisation par substitution aux importations, de soutien à l’exportation, et de
marocanisation. Malgré cela, en termes de poids relatif, la diminution du secteur primaire
profite au secteur tertiaire, à la différence de ce que l’on a observé dans les pays industriels. Le
changement structurel se fait ainsi de l’agriculture vers les services, dans des activités à faible
productivité. Le secteur tertiaire passe de 35 % du PIB en 1955 à 42 % en moyenne entre 1965
et 1971, et à plus de 48 % avant que le Maroc ne s’engage dans un Programme d’ajustement
structurel (1983-1993).
L’évolution de la composition sectorielle du PIB sur la période 1980-2016 confirme
cette tendance. Le poids du secteur secondaire dans l’économie marocaine n’augmente pas, voir
baisse légèrement, depuis le début des années 1980, contrairement à ce qu’on a observé dans le
même temps dans les économies émergentes, en particulier celles du sud-est asiatique40.
En prix constants, la baisse de la contribution des industries de transformation à la
richesse annuelle créée signale une désindustrialisation prématurée. Cette contribution passe de
21 % en 1980 à 18 % en 2016. Le changement structurel attendu des nouveaux métiers
mondiaux du Maroc (MMM) ne se produit pas, bien que les secteurs de nouvelles
spécialisations, spécialement l’automobile ou l’aéronautique, présentent un dynamisme bien
réel.
Évolution de la composition sectorielle du PIB marocain (1976-2012)
Source : HCP41
40
Lectard, P., Piveteau, A. (2015), « Les voies inattendues de l’industrialisation tardive. Variété des profils exportateurs et discontinuité du
changement structurel en Asie de l’Est », Mondes en développement, n° 1, p. 15.
41
Sources : HCP, comptes nationaux 1980-2016 (base 2017). Données provisoires 2014, 2015, 2016 (prix chaînés base 2017).
https://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=AFCO/AFCO_266/AFCO_266_0097/AFCO_id9782807391734_pu201802s_sa06_art06_img001.jpg
42
Benabdeljalil, N., Lung, Y., Piveteau, A. (2016), « L’émergence d’un pôle automobile à Tanger (Maroc) », Cahiers du GREThA/Working
Papers of GREThA, n° 4.
14
exportations consécutif à l’implantation de « superstars » exportatrices dans des secteurs
technologiquement avancés fait figure, pour de récents travaux d’économie du développement,
de déterminant essentiel de la diversification et de la réussite industrielle pour des pays dont les
marchés étroits sont peu sophistiqués. Cela suppose cependant que la politique industrielle
parvienne à créer des liens en amont avec les entreprises locales43 et que des liaisons
technologiques entre industries permettent l’augmentation de la productivité dans de nouveaux
secteurs44.Manifestement, ces conditions d’intégration ne sont pas encore réunies au Maroc.
Les PME locales peinent ainsi à intégrer les CVM, comme l’ont montré Benabdeljalil
et al. (2016)45 dans le cas de l’automobile. Cette réalité s’est traduite au sein de l’Association
marocaine pour l’industrie et le commerce automobile (Amica) par une bataille de leadership
entre les équipementiers du « Nord », sortis vainqueurs, connectés aux marchés mondiaux et
aux donneurs d’ordre internationaux, et les équipementiers du « Sud », fournisseurs historiques
de la Somaca qui se sont développés à l’abri de protections du marché domestique. Autour de
la nouvelle usine de Renault, les dynamiques de clustering renvoient à ce jour à une version
faible du cluster et des interdépendances sectorielles nécessaires au processus
d’industrialisation de l’économie46. Les pôles exportateurs émergents, soutenus par la politique
industrielle, n’ont pas les effets d’entraînement escomptés sur le reste de l’économie nationale,
à l’image du mauvais rapport entre l’effort d’investissement et la croissance économique
mesuré par l’Incrémental Output Ratio (ICOR)47. Dans les deux cas, les modalités d’ancrage
des investissements à la vie économique locale sont en cause. Et, à tout le moins, le poids des
nouveaux secteurs dynamiques en termes d’emplois et d’exportations reste insuffisant pour
transformer structurellement l’économie marocaine ; que l’on appréhende la transformation
structurelle par la valeur ajoutée comme on vient de le faire, ou par la création d’emplois,
comme dans le point suivant.
43
Freund, C., Moran, T. (2017), “Multinational Investors as Export Superstars. How Emerging-Market Governments Can Reshape Comparative
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46
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47
Agénor, P., El Aynaoui, K. (2015), Maroc : stratégie de croissance à l’horizon 2025 dans un environnement international en mutation, OCP
Policy Center, Rabat.
15
Évolution du taux de croissance de la production industrielle (2000-2017)
Source : HCP48
48
Sources : HCP, Indice de la production industrielle.
https://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=AFCO/AFCO_266/AFCO_266_0075/AFCO_id9782807391734_pu2018-02s_sa05_art05_img002.jpg
49
Voir L’Économiste, « Emploi dans l’industrie : Lahlimi réagit à la polémique », 3 avril 2018.
16
Entre 1999 et 2016, le Maroc est passé de 46,2 à 38 %d’actifs occupés dans l’agriculture,
de 20,3 à 21,1 % dans les activités industrielles (y compris le BTP) et de 33,4 à 40,8 % dans les
services. Cela interroge la profondeur du processus d’industrialisation au sens large, dont
l’évolution du taux de salariat rend compte. Sur la période 1999-2010, ce taux oscille entre35
et 40 %.
Deux sous-périodes sont clairement repérables. De 1999 à 2005, il passe de 39 à 36 %.
Depuis 2005 et le lancement de la stratégie d’émergence industrielle, l’indicateur suit une pente
inverse, pour atteindre 46 % du total de l’emploi en 201550. L’analyse du rapport salarial met
donc en évidence le paradoxe suivant : la nature « extensive » du régime d’industrialisation en
longue période (1956-1990) cohabite avec une salarisation restreinte51. Cette configuration dite
« sous fordiste » se définit par la coexistence de deux modalités d’organisation du travail, l’une
de type taylorien et fordiste renvoyant aux grandes firmes qui établissent des contrats de travail
salarié, et l’autre, plus empirique, non taylorienne et déconnectée du cadre légal, caractéristique
des petites et moyennes entreprises où l’emploi informel est plus fréquent52. La faible
salarisation de l’économie marocaine au cours des vingt dernières années suggère la persistance
de ce trait de longue période. Dans le cas d’une économie en développement comme le Maroc,
elle soulève la question des liens complexes entre l’informalité des modes de mise au travail53,
la recherche de compétitivité et la conversion au modèle exportateur54. La mise en place des
écosystèmes industriels intègre cette problématique en proposant d’accompagner de façon
pragmatique le passage des TPME de l’informel au formel avec la création d’un statut d’auto-
entrepreneur, l’ajustement de la fiscalité, une couverture sociale et des financements dédiés.
La part de l’emploi manufacturier (industries de transformations par opposition aux
industries d’extraction), faible, n’augmente pas sur l’ensemble de la période. Hors BTP, elle
représente 40 % du total de l’emploi industriel.
Que l’on retienne l’effectif permanent ou total, l’industrie manufacturière absorbée
invariablement 5 % de la population active, soit environ 220 000 personnes en 1980, 600 000
en 2011, et 625 000 en 2014, selon les données du HCP. En revanche, au début de la décennie
50
HCP, Banque mondiale (2017), Le marché du travail au Maroc : défis et opportunités, novembre 18, https://www.hcp.ma/file/195496/.
51
El Aoufi, N. (1992), La Régulation du rapport salarial au Maroc, Rabat, Editions de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,
2 vol.
52
El Aoufi, N. (1995), « Trajectoires nationales au Maghreb », in Boyer R. et Saillard Y. Théorie de la régulation, L’Etat des savoirs, La
découverte, Paris, p. 459-466.
53
Une étude récente du cabinet Roland Berger, réalisée pour la CGEM sur données HCP et entretiens, estime le poids de l’économie informelle
dans le PIB non agricole en 2014 à 21 % (11,5 % pour le HCP en 2011), avec de fortes variations selon les secteurs d’activités (par exemple 54
% dans les industries du textile et du cuir), à 10 % des importations et à 41 % des actifs occupés hors secteur primaire (CGEM, Roland
Berger,2018,
54
OCDE (2017), Examen multidimensionnel du Maroc, vol. I, Évaluation initiale. Les voies de développement, Paris, Éditions de l’OCDE.
17
2010, la contribution des cinq grands secteurs de transformation est en passe d’être altérée. Les
effectifs des secteurs émergents dans les industries mécaniques et métallurgiques et les
industries électriques et électroniques augmentent, alors que les activités textile set cuir,
premières pourvoyeuses d’emplois industriels au Maroc (42 % de l’emploi industriel en 2014
et 20 % de la valeur ajoutée des industries de transformation), subissent des pertes importantes
depuis 2005. Le HCP estime à119 000 emplois ces pertes entre 2008 et 2014, suite au
ralentissement de leurs activités et aux effets de la crise économique internationale, la
déconnexion entre les performances à l’exportation et l’emploi étant systématique depuis 2007
(HCP, 2015)55.
55
HCP (2015), « La hausse des exportations du textile a-t-elle soutenu l’emploi de la branche en 2014 ? », https://www.hcp.ma/
attachement/552788/.
56
El Ouahabi Sanae, Analyse Économique Du Secteur Industriel Au Maroc, p184 http://dx.doi.org/10.19044/esj.2018.v14n7p168
18
l’Industrie, de 2015 à 2017, les écosystèmes industriels ont permis de créer 288 126 emplois
bruts formels sur les 500000 annoncés à l’horizon202057. Pour la statistique nationale, entre
2015 et 2017, 7 000 emplois nets ont été créés dans l’industrie.
En fait, la contribution des industries à la création nette d’emplois baisse depuis le milieu
des années 1980. Elle est négative au cours de la période 1999-2005 et modestement positive
sur la période 2005-2010 (8 %). De 1982 à 2010, les industries ont contribué à 11 % de la
croissance d’emplois et à 17 % de la croissance de la valeur ajoutée, signe d’une légère
amélioration de la productivité apparente. Mais, selon les estimations du HCP, sur la période
1999- 2014, le capital disponible par travailleur s’est accru en moyenne de 4,9 % par an, alors
que la productivité totale des facteurs (PTF) diminuait de 2,4 % par an, la valeur ajoutée par
travailleur reculant de 0,8 % par an58. La faiblesse de la PTF dans l’industrie provient de la
perte d’efficience des activités traditionnelles et des petites et moyennes entreprises. Il convient
cependant de noter que, tout en restant faible, l’amélioration sensible de la productivité du
travail depuis 2010 provient des performances enregistrées par le secteur manufacturier59, ce
qui confirme son rôle spécifique dans le développement économique du Maroc, mais encore
insuffisant.
57
En mars 2018, selon le MIICEN, quarante-neuf écosystèmes industriels dans quatorze secteurs avaient fait l’objet d’un contrat d’engagement
ou de performance, ce qui représentaient à terme 447 896 emplois, dont 20 % dans l’automobile (sept écosystèmes), 24 % dans le textile (six
écosystèmes), 13 % dans l’offshoring (cinq écosystèmes), 8 % dans le cuir (trois écosystèmes), 5 % dans l’aéronautique (quatre écosystèmes),
etc.
58
OCDE (2017), Examen multidimensionnel du Maroc, vol. I, Évaluation initiale. Les voies de développement, Paris, Éditions de l’OCDE.p75.
59
Idem p111.
19
Conclusion
60
OCDE (2017), Examen multidimensionnel du Maroc, vol. I, Évaluation initiale. Les voies de développement, Paris, Éditions de l’OCDE.p142
61
La référence récente au modèle en « vol d’oies sauvages » d’Akamatsu par le secrétaire d’État à l’investissement en rend compte.
62
Palméro, S., Roux, N. (2010), « Dynamiques sectorielles et emploi au Maroc », L’Année du Maghreb, VI | 2010, p. 443-487.
63
Lee, J.-W., Kiseok Hong, K. (2010), “Economic Growth in Asia. Determinants and Prospects”, ADB, Working Paper, n° 220, September.
64
Park, D., Park, J. (2010), “Drivers of Developing Asia’s Growth. Past and Future”, ADB, Working Paper, n° 235, November.
20
convient à ce titre d’évoquer la dimension de plus en plus régionalisée des chaînes de valeur
depuis la crise de 200865 et leur rôle majeur dans la diffusion de la croissance industrielle en
Asie. Alors que l’insertion internationale du Maroc s’opère principalement par les flux Nord-
Sud et qu’en l’absence d’IDE régional, chaque pays de la région est relié « verticalement » aux
chaînes de valeurs régionales, il paraît raisonnable d’étudier, comme le font Jaïdi et Msadfa
(2017)66 dans un article récent consacré à l’automobile et à l’aéronautique, la possibilité de
construire des chaînes de valeur régionales. Cela revient à déplacer la question traditionnelle de
l’intégration régionale en termes de demande et d’effets prometteurs de l’expansion de la taille
des marchés vers celle, plus pragmatique, des stratégies d’offre.
Dans le cadre d’extension des CVM à de nouveaux domaines de l’activité productive
(l’informatique et l’électronique par exemple), la politique étatique n’est qu’un déterminant
d’une politique industrielle qui se donne pour objectif la construction d’arrangements
performants avec les stratégies commerciales des grands groupes étrangers. La politique
industrielle se déporte ainsi de la politique macro-économique vers l’organisation industrielle :
vers la gestion de la relation entre les entreprises leaders des CVM et les entreprises nationales
à faible valeur ajoutée67. Or, jusqu’à présent, le Maroc affiche « une structure industrielle à
deux vitesses, dont les composantes évoluent en sens opposé » 68 suggérant une transformation
productive comparable à celle du secteur industriel mexicain des années 2000. D’un côté, des
segments d’activités très dynamiques, tirés par des grandes entreprises leaders orientées vers
les marchés mondiaux et construisant des positions compétitives pour profiter des accords de
libre-échange. De l’autre, des secteurs traditionnels déclinants, historiquement connectés aux
sphères du pouvoir, dont les entreprises, faiblement compétitives, sont en perte de performance,
alors qu’elles continuent d’absorber une part importante de l’emploi industriel. Les
performances des premières, faiblement reliées au reste de la structure productive marocaine,
sont annulées par les contre-performances des seconds, ce qui renvoie à la désarticulation de la
structure de production et à un manque de liaisons technologiques entre secteurs d’activités
évoluant dans des mondes de production différents.
65
Milberg, W., Jiang, X., Gereffi, G. (2014), “Industrial Policy in the Era of Vertically Specialized Industrialization”, in J.M. Salazar- Xirinachs, I.
Nübler, R. Kozul-Wright, Transforming Economies. Making Industrial Policy Work for Growth, Jobs and Development, International Labour Office,
Genève, p. 151-180.
66
Jaidi, L., Msadfa, Y. (2017), « La complexité de la remontée des Chaînes de valeur mondiales : Cas des industries automobile et aéronautique
au Maroc et en Tunisie », No. 1710, OCP Policy Center
67
Milberg, W., Jiang, X., Gereffi, G. (2014), “Industrial Policy in the Era of Vertically Specialized Industrialization”, in J.M. Salazar- Xirinachs, I.
Nübler, R. Kozul-Wright, Transforming Economies. Making Industrial Policy Work for Growth, Jobs and Development, International Labour Office,
Genève, p. 173.
68
OCDE (2017), Examen multidimensionnel du Maroc, vol. I, Évaluation initiale. Les voies de développement, Paris, Éditions de l’OCDE.p73
21
Le modèle exportateur marocain des années 2000 présente donc de nombreuses limites
qui freinent le processus d’émergence industrielle et rendent encore hypothétique la promesse
d’emplois au centre du contrat politico-économique du Maroc. Une alternative pour la politique
industrielle consisterait à la réassocier aux objectifs de long terme d’une politique de
développement visant l’éducation, la formation, l’amélioration du capital humain, l’innovation
et la R&D, le développement des infrastructures et l’approfondissement des capacités
institutionnelles. En cherchant à articuler plus systématiquement les deux processus,
d’industrialisation et de développement, la politique industrielle pourrait alors bénéficier d’une
base de soutien élargie, économiquement plus efficace que celle qui prévaut dans la relation
traditionnellement établie entre pouvoirs centraux et milieux d’affaires.
L’enjeu industriel pour le Maroc est celui du passage d’une spécialisation simple vers
des composants plus complexes, des tâches de montage à la production de modèles, de
l’exécution aux activités de recherche et de développement. Il s’agit d’échapper à une
spécialisation autour des activités de fabrication, facilement externalisa les, aux rendements
d’échelle faibles et intensives en main-d’œuvre peu qualifiée, vers laquelle la nouvelle division
internationale du travail pousse les économies du Sud. Dans ce contexte, les choix faits en
matière de politique industrielle sont reconnus pour être déterminants face aux deux
manifestations contradictoires de la mondialisation.
22
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