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Sur les concepts de narrateur et de narratologie non communicationnelle

Article  in  Litterature · January 2011


DOI: 10.3917/litt.163.0108

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Rabatel Alain
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³ ALAIN RABATEL, UNIVERSITÉ DE LYON 1-IUFM, ICAR, UMR 5191,
CNRS, UNIVERSITÉ LYON 2, ENS-LYON

Sur les concepts


de narrateur
et de narratologie
non communicationnelle

La parution d’un certain nombre d’articles ou d’ouvrages (parmi


lesquels, en France, les publications de Gilles Philippe, depuis une dizaine
d’années1, le livre de Sylvie Patron, 2009) en faveur d’une narratologie
non communicationnelle et d’une absence de narrateur dans les récits
hétérodiégétiques invite à revenir sur ces questions. Je le ferai en me
situant comme linguiste qui a travaillé sur des textes narratifs et qui a
repris, en les modifiant, les notions de « phrases sans parole » (Banfield,
1995) à propos des perceptions représentées ainsi que les concepts
d’énonciateur et de point de vue de Ducrot (1984), sans jamais les con-
fondre ni accréditer la thèse d’énoncés non communicationnels, puisque
j’ai constamment insisté, bien au contraire, sur l’« effet-point de vue », de
nature argumentative indirecte, associé aux diverses modalités du point de
vue (PDV)2. Le paradigme énonciatif radical dont je me réclame – c’est-
à-dire qui ne sépare pas l’énonciation de la référenciation, ou, pour le
dire, autrement, qui ne limite pas la recherche des traces de l’énonciateur
aux seules marques de personne et aux coordonnées spatio-temporelles
(Rabatel, 2008) – infirme la thèse d’une absence de communication,
quand bien même il est évident que certains modes de textualisation
empathiques n’empruntent pas les formes de la communication ordi-
naire… Autant dire d’emblée que je défendrai la thèse qu’il n’est pas de
1. Voir son introduction à Langue française, n° 128, 2000.
2. La possibilité, pour un énonciateur, d’indiquer son PDV sur l’objet de discours passe
par diverses modalités (Rabatel, 2001, 2008) : le PDV peut être communiqué explicitement
(PDV asserté) ou exprimé indirectement, par empathie envers un tiers dont il épouse le
centre de perspective (PDV embryonnaire) et dont il peut développer les perceptions (PDV
représenté). Lorsqu’il y a communication explicite d’un PDV, le narrateur parle en son nom
propre ou utilise toutes les formes du discours rapporté direct ou indirect pour attribuer le
PDV à un locuteur/énonciateur second. Dans les autres cas, le PDV est rendu par des pro-
cédés empathiques qui coréfèrent à des énonciateurs seconds non locuteurs, la voix du locu-
108 teur/énonciateur premier imitant cognitivement des attitudes, des façons de voir, de sentir,
de penser qui ne sont pas les siennes – qu’il peut partager émotionnellement, idéologique-
LITTÉRATURE ment ou non. Pour une approche qui précise les relations entre PDV et position énonciative,
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 voir Rabatel (2011).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

texte narratif sans narrateur, pas davantage sans destinataire, thèse qui
n’en signifie pas moins qu’il existe bien des discours non adressés – qui
sont loin de se réduire aux fictions et au comme si –, sans que cette
absence d’adresse directe ne doive être interprétée en un sens non
communicationnel, pour peu que la dimension communicationnelle soit
redéfinie. Je le ferai à la lumière du concept d’effacement énonciatif – qui
n’est qu’un simulacre d’effacement – et d’autres simulacres de la même
veine, qu’il s’agisse du simulacre de l’argumentation non argumentative,
ou encore du simulacre de la « rhétorique de la non-rhétorique » (Latour,
2010, p. 99) qui oppose naïvement, parfois, les écrits scientifiques aux
textes rhétoriques plus subjectifs. Comme si l’élimination des marques les
plus apparentes de la subjectivité n’était pas, malgré tout, la marque d’une
intention (subjective), sur le mode du simulacre d’une « communication
non communicationnelle » associée aux diverses visées pragmatiques
exercées sur les destinataires directs, indirects ou additionnels des
messages !
Mais avant d’aborder ce débat, il est bon de voir ce qui est censé le
fonder en théorie, notamment la thèse de l’absence du narrateur en il dans
le dernier ouvrage de Patron (2009). Or, s’il est indéniable que le narra-
teur en il n’a pas le même mode de manifestation discursif qu’un narra-
teur en je, cela ne plaide pas pour autant en faveur de l’inconsistance de
la notion de narrateur. C’est pourquoi il paraît hasardeux de conclure de
cet « effacement » du narrateur dans certains récits à l’absence du narra-
teur, et, de cette prétendue absence, à l’existence d’une narratologie non
communicationnelle, qui paraît parfois une façon commode de recycler
les thèses sur la spécificité des textes littéraires (de fiction), leur « littéra-
rité » essentielle, leur « autotélie » radicale, faisant en sorte que les textes
littéraires ne seraient pas véritablement adressés, à la différence des textes
« fonctionnels ».
Cette thèse commande le déroulement de l’examen qui sera mené
ici, à la lumière des cadres théoriques énonciatifs-pragmatiques, dis-
cursifs et interactionnels : dans un premier volet consacré aux diffé-
rences entre narration en je et en il et aux modes de gestion de
l’information narrative, je présenterai rapidement quelques-uns des
principaux problèmes soulevés par les travaux d’Hamburger et Kuroda
qui servent de socle aux thèses de la « narratologie non communica-
tionnelle3 ». Faute de place, je ne présenterai pas ici les travaux de
Banfield, davantage connus du lecteur français4. L’objectif de cette
présentation est de faire émerger quelques-unes des limites de ces
3. Le terme ne me convient guère, je préfère parler d’une conception interactionnelle de la
narration, pour souligner le dialogue fondamental au cœur des processus de production et de
réception des textes. Mais on ne gagne rien à vouloir discuter en rejetant tous les termes du
débat. Va donc pour « narratologie communicationnelle ».
109
4. Voir notamment Boré (2010) pour une présentation équilibrée des avancées et limites LITTÉRATURE
de la théorie de Banfield. N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

approches, qui rendent nécessaire de déplacer certains termes du


débat. Ce déplacement sera effectué dans un deuxième volet : j’y montrerai
que les textes analysés par Hamburger, Kuroda ou Banfield relèvent,
malgré leurs spécificités, d’une dimension énonciative particulière –
mais néanmoins bien réelle, et donc aussi communicative, au sens
dialogique5 du terme, à travers des entrelacements de PDV qui se
répondent, s’opposent, se superposent, et dont la complexité appelle
un dialogue d’une autre nature, entre le texte et son lecteur interprétant.

À PROPOS DE QUELQUES LIMITES DES THÉORIES


NON COMMUNICATIONNELLES DU RÉCIT

Narration en il et narration en je
Le statut du narrateur hétérodiégétique
La notion de narrateur apparaît selon Patron au début du
XIXe siècle,lorsqu’en 1804 Anna Laetitia Barbauld affirme qu’il y a trois
manières de raconter une histoire, la première (et la plus courante) nar-
rative ou épique dans laquelle « l’auteur raconte lui-même toutes les
aventures de ses héros » (Don Quichotte, Tom Jones) ; la deuxième où
« le héros des aventures raconte sa propre histoire », en se faisant narra-
teur (La Vie de Marianne) ; la troisième correspondant au roman épisto-
laire (La Nouvelle Héloïse) (Patron, 2009, p. 12). Bref, malgré l’autorité
de la chose jugée, le narrateur serait un concept qui renvoie au roman en
première personne, et plus précisément au fait que dans ce cas le narra-
teur, qui n’est pas l’auteur, est un personnage à qui l’auteur a délégué le
pouvoir de raconter. En aucun cas le narrateur ne serait un concept per-
tinent pour les récits en il dans lequel il n’est pas besoin d’un narrateur,
puisque c’est l’auteur qui raconte. Selon Patron, le débat a été
embrouillé par les confusions de Genette (1972, 1983) entre une narra-
tion à la première personne, au sens où la narration est assurée par un je,
avec le fait que narration à la première personne signifie « récit dans
lequel le personnage principal est une première personne qui raconte
elle-même son histoire » – ou une histoire dont il a été le témoin (Spielhagen,
1883). Genette ferait la même confusion pour narration à la troisième
personne (il) alors qu’il s’agit d’un « récit dans lequel le personnage est
une troisième personne dont l’auteur nous raconte l’histoire » (Patron,
5. Est dialogal ce qui fait l’objet d’un dialogue externe (= interaction, voir Kerbrat-
Orecchioni, 1996) entre deux ou plusieurs locuteurs. Est dialogique ce qui exprime plusieurs
110 points de vue (vs monologique = un seul PDV). Ainsi un monologue ou un dialogue
peuvent-ils être dialogiques ou monologiques. Je distingue la polyphonie – intrication des
LITTÉRATURE voix – et le dialogisme – intrication de points de vue qui ne passent pas forcément par des
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 discours identifiables (voir Rabatel, 2008, II, chap. 1).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

2009, p. 15-16 et 35). C’est pourquoi il n’est pas impossible que le récit
à la troisième personne comprenne un je narrateur – contrairement à
l’avis d’Ehrlich (1990, p. 6)6.
La façon dont Patron pose le problème revient à dire qu’un per-
sonnage désigné à la troisième personne ne peut être le narrateur du
récit. Certes ! Le narrateur des récits de fiction est fictif c’est-à-dire
fictionnel (fictionnal) (Gabriel, 1979 et Patron, 2009, p. 38-39, 112-
113) au sens où il s’agit d’un personnage de fiction, ce qui vaut pour
les narrateurs en je, mais aussi pour les narrateurs en il au sens où le
conçoit Patron – mais non Genette, dans la mesure où le narrateur en
il, selon ce dernier, est un narrateur anonyme. Si l’on peut parler de
narrateur anonyme en il, il vaut mieux dire, comme en anglais, qu’il
s’agit d’un narrateur fictif (fictive) c’est-à-dire supposé par la théorie,
comme le postule Booth avec son concept d’auteur impliqué. C’est en
fonction de cette différence que Patron insiste sur la différence entre
une narration en il et en je : dans une narration en je, le je est un per-
sonnage qui raconte sa propre histoire tandis que dans une narration
en il, une voix raconte l’histoire d’un tiers, voire de plusieurs, et, le
plus souvent, cette voix est une voix anonyme. C’était aussi le point
de vue de Chatman en 1978, et c’est à partir de cette distinction qu’il
oppose récits narrés et non narrés7 :
« Le terme “narrateur” […] devrait servir uniquement à la désignation de
quelqu’un – personne ou présence – qui raconte l’histoire à un auditoire, dès
lors que sa voix ou que l’écoute de l’auditoire se trouvent évoquées de façon
minimale. Un récit qui ne donne pas le sentiment de cette présence, dans
lequel il y a manifestement eu un travail pour l’effacer, peut raisonnablement
être appelé “non narré” (nonnarrated ou unnarrated) » (Chatman, 1978,
p. 33-34).
Cette distinction est importante, mais elle n’épuise pas le débat.
En effet, si « fictif » renvoie à une instance présupposée par le texte,
en sa matérialité narrative, ce qui est fictif repose sur un mode de tex-
tualisation objectivant, en sorte qu’il est toujours possible de recons-
truire les traces de cette instance à partir de ce mode de textualisation.
6. Ainsi, dans les romans de Conan Doyle, le narrateur en je est Watson, mais le person-
nage principal est Sherlock Holmes. De même dans certains romans d’Agatha Christie :
dans ABC contre Poirot (The ABC murders), le narrateur en je est Hastings. Dans tous les
cas, le traitement réservé au personnage principal, Holmes ou Poirot, s’apparente à celui qui
est réservé à un personnage à la troisième personne dans les narrations hétérodiégétiques.
Ces exemples prêchent pour notre paroisse, dans un débat connexe, celui du volume de
savoir attribué au personnage et démontrent que le personnage-narrateur à accès aux pensées
des tiers. Voir Rabatel, 1997, chapitre 12, et 2010, « Droit de réponse », http://marieannepa-
veau.over-blog.com
7. Parmi lesquels il range les romans par lettres, les récits entièrement dialogués, le mono-
logue intérieur autonome, les monologues dramatiques, ainsi que les récits en il avec énon-
ciation historique. Il distingue ensuite les récits avec narrateur manifeste (overt) – dans les
111
sommaires, les descriptions non focalisées, les commentaires – et caché (covert), comme LITTÉRATURE
dans les récits en focalisation interne (Patron, 2009, p. 65-76). N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

Qu’est-ce donc à dire, sinon que cette instance fictive n’est pas
incarnée comme l’est un je-narrateur et a fortiori un je-narrateur qui
est aussi un personnage, mais qu’elle a malgré tout une réalité
textuelle. Car de même qu’on a montré que le PDV existait par la
construction des objets du discours, y compris en l’absence de men-
tion explicite de la source (du « sujet » du PDV), dès lors que le mode
de donation des référents comporte suffisamment d’indices pour se
faire une image de la subjectivité (primaire ou seconde) à l’origine des
choix de la référenciation (Rabatel 1997, 1998), de même, les choix de
la narration permettent de construire l’image des intentions, des
valeurs des sources internes au texte, c’est-à-dire des sources repré-
sentées. Cela vaut bien sûr pour les sources secondes, mais aussi pour
la source primaire, capable d’enchâsser d’autres énonciateurs dans ses
dires. Or cette source citante première est d’abord une source représentée
par l’énonciateur extradiégétique qu’est le sujet parlant. Autrement dit, la
source d’énonciation primaire est une source d’énonciation énoncée,
représentée, avant même d’être énonçante, représentante (Rabatel,
2008). D’une certaine façon, on retrouve là la distinction établie par
Martin 1983 entre l’auteur (instance énonçante) qui imagine une fic-
tion et le narrateur qui raconte (source d’énonciation primaire,
énoncée/énonçante), qui est l’instance accréditant la vérité des
énoncés de l’univers fictionnel. Cette dissociation des instances, fon-
damentale pour traiter de la validité de l’univers fictionnel, dans les
limites instaurées par l’auteur, vaut autant sinon davantage pour les
récits en il que pour les récits en je et plaide en faveur de l’existence
d’un narrateur dans les récits hétérodiégétiques.
Des modes de gestion de l’information narrative
La « confusion » de Genette, largement partagée, tient au fait
que la question fondamentale se situe en amont. Il est plus important
de déterminer au préalable si la façon de raconter passe par la voix
représentée d’un auteur, ou par son absence : dans le premier cas, la
représentation de la voix de l’auteur passe par une narration directe, et
donc par des narrateurs (en première ou en troisième personne) tandis
que dans le deuxième cas, l’absence de représentation passe par la
voix des personnages, comme dans les genres théâtraux les plus tradi-
tionnels (comédie, tragédie, drame) ou dans le roman épistolaire. Dans
ce cas, parler de représentation ne signifie ici pas plus que cela, mais
pas moins : il y a une voix qui raconte, qui assure la régie narrative, et
cette voix, qui assure un travail très différent de ce que fait l’auteur en
écrivant des pièces de théâtre, il est légitime de lui donner le nom de
112 narrateur. Telle est la donnée énonciative fondamentale. Il est certes
important de savoir si cette voix est incarnée en un personnage ou
LITTÉRATURE
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 non, et cela permet de distinguer entre la narration en je et la narration
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

en il avec narrateur anonyme8. Mais il n’en reste pas moins que ce qui
rassemble ces deux notions est plus important que ce qui les distingue,
et c’est pourquoi, dans Coming to Terms : The Rhetoric of Narrative
in Fiction and Film (1990), Chatman revient sur sa thèse du récit
unnarrated.
« Certains narratologues – parmi lesquels je m’inclus – ont […] affirmé que
le narrateur avait disparu, que certains récits littéraires étaient tout simple-
ment “non narrés”. Mais je pense maintenant que cette affirmation est une
contradiction dans les termes. Par définition, tout récit est narré – c’est-à-dire
présenté narrativement – et cette narration ou cette présentation implique un
agent, même si celui-ci ne montre aucun signe de personnalité humaine »
(Chatman, 1990, p. 115, apud Patron, 2009, p. 77).

Chatman a raison de ne pas prendre au pied de la lettre l’idée de


récit non narré. Il y a certes tout un discours littéraire ou narratolo-
gique qui a théorisé la montée en puissance des personnages et la dis-
parition de l’auteur. Mais l’autonomisation des personnages (avec la
montée en puissance du point de vue, du discours indirect libre, du
monologue intérieur et la dilution des formes traditionnelles des
récits)9 ne doit pas faire oublier qu’il y a toujours une voix narratrice/
auctoriale qui met en scène les personnages ; cette voix, qui corres-
pond à celle de l’auteur interne à l’œuvre, est toujours là, et c’est en
ce sens que j’ai intitulé (dialogiquement) une des parties d’Homo nar-
rans « le narrateur e(s)t ses personnages ». Bref, la disparition de
l’auteur n’est pas à prendre au pied de la lettre, il y a effacement, mais
c’est bien lui qui organise cet effacement. Booth réagit contre cette
disparition de l’auteur : « Nous ne devons jamais oublier que si
l’auteur peut dans une certaine mesure choisir de se déguiser, il ne
peut jamais choisir de disparaître » (Booth, 1983, 1996, p. 20). Or, la
façon dont l’auteur se déguise, c’est soit d’utiliser une narration en je,
soit en il, soit de supprimer totalement l’instance de narration, dans les
genres qui sont narratifs (au plan du type de texte), avec une situation
8. Je mets l’accent sur le narrateur anonyme car des récits tels que ceux évoqués dans la
note 6 sont loin d’être les plus caractéristiques du genre. De plus, le fait que dans ces cas
extraordinaires les personnages soient traités comme dans les narrations hétérodiégétiques
avec narrateur anonyme confirme que le personnage qui dit je n’est pas un je plein et entier,
mais fonctionne comme un il ou un nom propre, ce qui est également corroboré par l’usage,
dans ces cas là, d’une énonciation historique. On peut néanmoins traiter ces textes avec nar-
rateur en je comme des récits homodiégétiques et distinguer dans un deuxième temps des
récits en je avec énonciation personnelle ou historique. Il ne faut toutefois pas conclure que
les récits en je avec énonciation personnelle ne concerneraient que les récits en je au sens où
Patron le revendique, ni que les récits en je avec énonciation historique ne concerneraient
que des récits dans lesquels le narrateur raconterait l’histoire de tiers.
9. James refuse la narration en je tout comme la narration omnisciente au profit de la
focalisation interne : tout en racontant du PDV d’un personnage, le narrateur reste celui qui
organise le récit, même s’il se fait discret au point que « l’histoire semble se raconter d’elle-
113
même » (Lubbock, 1926, 1972, p. 113, 1921, 1970, p. 72-73, apud Patron, 2009, p. 18). LITTÉRATURE
Voir également Raimond (1968). N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

très hybride, pour le roman par lettres, selon le statut que l’on donne
aux données para- et péri-textuelles10.
En sorte que le curseur ne paraît pas mis au bon endroit par
Patron, en dépit des différences entre narration en il et en je. La dis-
tinction fondamentale passe entre la diegesis et la mimesis platoni-
ciennes : ce qui est premier, c’est le choix de raconter directement ou
médiatement. C’était le point de K. Friedemann (1965), dont Patron
relativise l’analyse :
« C’est avec l’ouvrage de Friedemann qu’est introduit le thème de la
médiation narrative, associée à la présence d’un narrateur, et opposée à
l’absence de médiation qui est censée caractériser le drame. On peut néan-
moins considérer que la médiation permet de penser en termes de narra-
teur une opposition qui peut être décrite de façon beaucoup plus adéquate
en termes de mode de textualisation » (Patron, 2009, p. 18).

Mais c’est finalement réintroduire au plan conceptuel ce qui est


refusé au plan du lexique, sauf à minorer fortement la notion de « mode
de textualisation » ou à jouer sur les mots, car, en définitive, parler de
mode de textualisation, n’est-ce pas une autre façon de dire mode de ges-
tion de l’information narrative ? Aussi le curseur doit-il être positionné
comme suit :11

MODES DE GESTION DE L’INFORMATION NARRATIVE (VERSION 1)


Voix représentée (explicite) de l’auteur Voix non représentée (implicite) de l’auteur11

Narration médiate
Narration directe via l’unique parole des personnages

Narration en je Narration en il Roman épistolaire genre dramatique, etc.

Toutefois, comme un tableau se lit de gauche à droite, la version 1


pourrait laisser penser que l’opposition narration en il/je est fondamen-
tale ; ce n’est pas ce qu’on vient de dire, moyennant quoi il est préférable
d’inverser les données :
10. Un roman par lettres existe-t-il sans paratexte ou sans péritexte qui nous dit par maints
subterfuges ou détours que ceci n’est pas un roman (habituel) ? La voix narrative se masque
derrière une instanciation extradiégétique, voire extra-narratoriale représentée, comme si
cette voix n’avait qu’une fonction testimoniale indépendante de la fiction. Mais il n’en est
rien, cette voix pose les cadres du pacte de croyance, et cet effacement est l’extrême subter-
fuge par lequel le narrateur masque sa présence. C’est là une différence fondamentale entre
un roman épistolaire et une correspondance… C’est pourquoi, dans les encadrés, la place du
roman épistolaire permute avec les genres dramatiques : car le roman par lettres reste un
114 roman, avec un narrateur présent au moins dans le paratexte, même s’il paraît abdiquer au
seuil de la correspondance.
LITTÉRATURE 11. Abstraction des données paratextuelles : titre, dédicace, introduction, avant propos,
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 didascalies.
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

MODES DE GESTION DE L’INFORMATION NARRATIVE (VERSION 2)


Voix non représentée (implicite) de l’auteur12 Voix représentée (explicite) de l’auteur

Narration médiate
Narration directe
via l’unique parole des personnages

Genres dramatiques roman épistolaire, etc. Narration en je Narration en il

Même s’il s’efface, l’auteur est toujours là, comme il appert avec le
phénomène de double énonciation, qui est loin de ne valoir que pour le
théâtre. Mais ses modes de manifestation diffèrent, en effet. Toutefois,
s’il y a bien une différence ontologique fondamentale entre une narration
en je, avec un je incarné dans un personnage, et une narration en il, dans
laquelle le narrateur est anonyme, il n’en reste pas moins que cette dis-
tinction n’est pas fondamentale au plan énonciatif, dans la mesure où dans
les deux cas les informations sont assurées par une voix identifiable, dont
on peut reconstruire les valeurs soit à partir de l’instanciation de la per-
sonne (en je) soit à partir de la façon dont la référenciation indique les
choix d’un énonciateur, et cela concerne la narration en il comme la nar-
ration en je. Au demeurant, il n’y a pas lieu de durcir outre mesure
l’opposition ontologique entre un je incarné dans un personnage et un il
anonyme, car il n’est pas rare que le je ne soit qu’une voix faiblement
incorporée et qu’à l’inverse le narrateur anonyme soit si bavard (à l’instar
du narrateur anonyme balzacien) qu’on puisse se faire une idée très
arrêtée des valeurs à partir desquelles il j(a)uge ses personnages et les
situations. Quelles que soient les différences sémio-linguistiques entre
narration en il et en je, il me semble plus important d’insister sur les res-
semblances que sur les dissemblances, puisque ces dernières sont moins
significatives que les premières : c’est pourquoi j’ai rarement écrit sur la
notion de narrateur, davantage sur celle de figure de l’auteur (Rabatel,
2007a, 2008), figure qui pouvait être donnée soit directement soit média-
tement (à travers la voix d’un il ou d’un je) et qu’il est toujours possible
de reconstituer à partir de son incarnation ou à partir des jugements de
valeurs associés à sa façon de raconter et de représenter le drame et ses
acteurs.
Allons plus loin. Si l’on peut (et, selon moi, doit) affirmer à juste
titre l’existence d’un auteur y compris dans les cas d’effacements
variables – narration médiate sans narrateur représenté, narration en il
avec traces discrètes du narrateur, narration en je dans lequel le je est
réduit à un pur rôle de gestion de l’information (ABC contre Poirot)13 –, 115
12. Voir note précédente. LITTÉRATURE
13. Voir supra la fin de la note 8. N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

alors il y a une contradiction à affirmer (à juste titre) la thèse de la pré-


sence constante d’un auteur (y compris en cas d’effacement), et à poser
une narratologie non communicationnelle dans les cas d’effacement : car
la façon dont la communication se manifeste est certes variable et ne se
réduit pas aux formes de communication adressée, tout comme varie le
mode de gestion du rapport auteur/personnage sous l’angle de la régie
narrative, mais, tout aussi bien, la dimension communicative varie, en se
manifestant directement ou indirectement, tout en étant néanmoins tou-
jours (plus ou moins) présente. Certes, dans la narration en il (dans la
conception de Genette comme dans celle de Patron) le mode de fonction-
nement du langage est déconnecté des réquisits de la communication
ordinaire, mais le choix des stratégies d’expression n’opère pas indépen-
damment d’une visée communicationnelle et argumentative élargies.

Une narratologie non communicationnelle ?


La théorie non communicationnelle est censée rendre compte des
spécificités des énoncés narratifs en il qui expriment des états de choses
sans qu’ils soient soumis à un acte communicatif14. Le récit de fiction ou
un certain type de récit de fiction, en il, et la communication seraient des
catégories mutuellement exclusives. Ainsi, la question du « qui parle ? »
n’aurait pas de pertinence, personne ne « parlerait » (Patron, 2009, p. 24).
Poser le problème en ces termes relève à mon sens d’une simplification
abusive. J’ai montré, à propos des marques de focalisation, que la ques-
tion décisive n’était pas « qui perçoit ? » mais « comment les choses sont-
elles perçues ? », « comment la perception est-elle exprimée ? », dans la
mesure où les choix de référenciation seuls sont de nature à manifester
linguistiquement la source de la perception, même si le sujet n’est pas
explicite, dans la mesure où on peut le reconstruire à partir des choix de
référenciation de l’objet, l’objet étant toujours perçu par un sujet (que ce
sujet soit un personnage connu, inconnu, un actant collectif). Un tel rai-
sonnement vaut aussi pour ce débat, parce que la conception énonciative
la plus globale du langage implique de ne pas limiter la présence des
énonciateurs aux marques de personne (ou du syncrétisme du je/ici/main-
tenant qui se laisse penser sous la notion d’appareil formel de l’énoncia-
tion, voir Philippe, 2002 et Rabatel, 2005) et de ne pas réduire la
communication aux marques explicites de l’interlocution directe.
À la lumière de cette remarque, je reviendrai sur les travaux de
deux théoriciens dont les textes sont mis à contribution pour étayer la
thèse de la narratologie non communicationnelle. Et pour que le lecteur
comprenne bien d’où je parle, je rappelle que si j’ai nombre de conver-
116 14. Parmi les états de choses, on doit inclure selon Banfield le discours indirect libre,
LITTÉRATURE énoncé purement fictif, non prononcé, « phrase sans parole » imaginée par le narrateur ou un
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 autre personnage.
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

gences avec ces auteurs (comme d’ailleurs avec Banfield), dans la façon
d’analyser les phénomènes empathiques dans les récits, je n’en tire pas
les mêmes conclusions. Oui, ces textes présentent d’indéniables spécifi-
cités méta-représentationnelles. Non, ces spécificités ne sont pas telles
qu’elles doivent conduire à l’idée d’une narratologie non communica-
tionnelle, voire à l’idée de textes fictionnels littéraires non communica-
tionnels. Tout au contraire, ils ne peuvent être interprétés que dans le
cadre d’un dialogue interne et externe (Rabatel, 2010a et b) plaidant en
faveur d’une redéfinition des contours de la communication. Dans cette
affaire, mon souci est de limiter les oppositions théoriques trop tran-
chées et forcées, dès lors qu’elles sont contre-intuitives et contre-
productives.
Hamburger
Hamburger pense le récit à côté des approches communicationnelles
(centrées sur la relation locuteur/récepteur) en s’intéressant à la relation
entre le sujet et l’objet. Le sujet d’énonciation historique (das historische
Aussagesubjekt) « dont la personnalité individuelle est fondamentalement
en cause » s’oppose au sujet d’énonciation théorique (das theoretische
Aussagesubjek) dont « l’individualité de la personne qui énonce n’est pas
en cause » (1986, p. 48-49). Le sujet d’énonciation pragmatique (das
pragmatische Aussagesubjekt) se différencie des précédents par l’utilisa-
tion de modalités de phrases autres qu’assertives, car, pour Hamburger,
l’assertion n’est pas une modalité orientée vers l’action à la différence des
théoriciens des actes de langage15. Cette typologie recouvre partiellement
l’opposition récit/discours de Benveniste. Mais ce qui l’intéresse, c’est la
relation sujet/objet, d’où la distinction entre les récits de fiction (dans les-
quels l’objet n’existe pas indépendamment du sujet) et les récits non fic-
tifs (dans lesquels l’objet existe indépendamment du sujet).
Or cette thèse repose sur des arguments qui ne sont pas tous
solides : sur ce plan, comme les choses ne sont pas nouvelles, j’irai vite.
1. L’opposition entre fiction et communication est sommaire ; non seu-
lement parce que des énoncés fictifs, contre-factuels, etc., sont légion dans la
communication ordinaire, mais encore parce que les jeux de décentration,
avec notamment les positions et postures énonciatives, sont aussi possibles
dans les discours et interactions ordinaires (voir Rabatel, 2007b et 2011).
2. Hamburger oppose de façon forcée la fiction en je dans laquelle
le narrateur fictif est soumis aux lois logiques de l’énoncé de réalité à la
15. Hamburger utilise tantôt narrateur avec ou sans guillemets, tantôt des formules
concurrentes : « auteur-narrateur » (des Erzählers qua Autor), « auteur » (Autor), « auteur/
poète épique » (epischen Dichter), « le poète qui raconte » (erzählenden Dichter », « je
épique » (epische Ich). Finalement, elle abandonne le terme pour les narrations à la troi-
sième personne au profit de l’auteur et réserve le narrateur (fictif) pour la narration à la pre-
mière personne – même si dans la première partie elle utilisait le terme avec des guillemets
117
pour renvoyer à l’auteur des récits, mais en méconnaissance des différences de rapport à LITTÉRATURE
l’Aussage (Patron, 2009, p. 169-171) N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

fiction en il, qui n’implique pas le sujet de l’Aussage. Cette opposition


radicale ne tient que parce qu’elle exclut pour le récit en je les marques de
la fiction en il : pas de monologues attribués à des tiers, pas de DIL à la
troisième personne, pas de verbes de processus intérieurs à la troisième
personne, limitation de la présentation des actions et paroles en fonction
de la situation du je, avec ses capacités de remémoration limitées : Patron,
(2009, p. 174-176) rappelle ces critiques, sans toutefois en tirer les consé-
quences (Rabatel, 1997, p. 252ss). Les travaux sur l’écriture de l’histoire
ont bien montré que les verbes de pensée et de parole étaient couramment
utilisés pour décrire les pensées des personnes. Certes, ces pensées
doivent par surcroît s’appuyer sur des preuves, mais une chose est la dif-
férence de fiducie et du régime de la preuve, autre chose la thèse d’opéra-
tions ou de marques linguistiques réservées à la fiction. Même l’argument
selon lequel la vérité racontée n’a pas besoin de correspondre aux états du
monde mérite d’être relativisé car il n’en va pas de même pour un récit de
témoignage et pour un récit de fiction pure, surtout lorsque les témoi-
gnages renvoient à des drames récents et importants. Fondamentalement,
la thèse d’Hamburger est objectiviste. Or, sans tomber dans le relativisme
qui consisterait à penser que les objets n’existeraient pas indépendamment
des sujets qui les disent et les pensent, il n’en reste pas moins que la façon
dont les mots s’actualisent en discours comporte inévitablement des traces
d’opérations énonciatives porteuses de PDV plus ou moins subjectifs ou
dont la subjectivité n’est plus perçue en raison de leur naturalisation.
3. La distinction radicale entre le prétérit épique (qui peut se traduire
en français par le passé simple ou l’imparfait) et le prétérit ordinaire est
forcée. Que le passé simple ne soit pas un temps du passé comme dans
des récits communicationnels est discutable : d’abord le même effet de
présent textuel du récit se retrouve dans les récits en je (ce n’est donc pas
une spécificité de la narration en il) ; ensuite le passé simple y garde le
plus souvent, en sus de la valeur textuelle atemporelle indiquant le dérou-
lement des événements, une valeur de passé. Autrement dit, certes, le pré-
térit épique équivaut à un « présent » en ce sens qu’il est le temps de base
de la narration, mais cette valeur textuelle n’altère pas sa valeur passée, ni
celle de facticité, qui accrédite l’apparence d’une réalité vécue.
Je résume : il y a chez Hamburger nombre d’intuitions profondes et
puissantes. Ma réserve tient moins à ce qu’elle met en lumière qu’à sa
façon de noircir les ombres, et, du coup, d’obscurcir certaines données, au
nom d’une approche binaire des phénomènes, comme si les choses étaient
univoques – et en cela, Hamburger me semble bien loin d’Aristote.

118 Kuroda
Kuroda oppose le style reportive (ou objective) des récits à la
LITTÉRATURE
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 première personne au style non objective des récits à la troisième per-
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

sonne. Le premier se caractérise par un point de vue unique : « C’est


la description d’une série d’événements internes à la conscience d’un
personnage unique, ou reflétés dans cette conscience. » Le second se
caractérise par la possibilité d’accéder à plusieurs PDV : « Il peut
passer d’un sujet de conscience à un autre, pour représenter ce que
contient ou reflète une conscience différente. Parfois des points de vue
différents interfèrent, parfois aussi le point de vue reste indistinct »
(Kuroda, 1979 [1973], p. 243-244). Dans les récits en il, le narrateur
empathise avec les autres personnages, joue sur la conscience mul-
tiple, sans pour autant être omniscient.
La description que Kuroda fait des relations narrateur/personnages à
travers la question de l’empathie, autrement dit du point de vue, est appré-
ciable, mais elle repose sur une conception normative et fausse du récit en
je car :
1. Sa définition ne vaut que pour le monologue intérieur le plus
systématique.
2. Elle érige un critère typologique (concernant des textes écrits
d’après une seule perspective) en une donnée énonciative fondamentale
qui mérite d’être relativisée. En effet, s’il est vrai que les récits en je
reposent sur un centre de perspective (et donc sur la focalisation interne),
il faut bien reconnaître que si le récit en je repose sur un centre de pers-
pective, cela n’empêche pas qu’à certains moments le centre de perspec-
tive « unique » (que pour ma part je préfère caractériser comme
« dominant ») puisse se mettre à la place d’un autre, par des relais de
focalisation (interne)…
3. Elle interdit contre toute évidence la capacité d’un je à empathiser
sur d’autres personnages et confond cette possibilité avec la fiabilité que
le lecteur peut accorder à ces savoirs (Rabatel, 1997, p. 237-275 ; 2001,
p. 165ss ; 2008, p. 23-24).
4. Elle cantonne le je à une vision et à un savoir nécessairement
limités en déni de toutes les expériences que l’on peut faire, et notamment
des perceptions itératives qui augmentent le volume de savoir et l’histori-
cité des perceptions ou de tout autre procès mental (Rabatel, 2000, p. 93-
96, 2008, II, chapitre 12) et que rappelle bien Latour, dès lors qu’on ne
réduit pas la perception à un phénomène intemporel unique et qu’on
prend en compte les multiples voies du savoir. Cette conception du PDV
ne relève en rien d’un choix extérieur aux textes, mais s’appuie au con-
traire sur l’observation modeste et tenace des textes, de leur matérialité
discursive – mais aussi, elle implique une rupture avec des conceptions
ontologisantes et phénoménologiques de quatre sous16 :
16. Je n’ignore pas combien la conception de Kuroda fait de la résistance, et repose sur une doxa
inoxydable. Sur ce point, il m’est souvent arrivé de me consoler en pensant aux propos grinçants
119
de Max Planck : « La vérité ne triomphe jamais, mais ses adversaires finissent toujours par LITTÉRATURE
mourir. » N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

Qu’est-ce qui vous fait penser qu’« adopter un point de vue » signifie « être
limité » ? ou être spécialement « subjectif » ? […] Si vous pouvez avoir dif-
férents points de vue sur une statue, c’est parce que la statue elle-même est en
trois dimensions et vous permet, oui, vous permet de tourner autour. Si une
chose rend possible cette multiplicité de points de vue, c’est qu’elle est très
complexe, intriquée, bien organisée, et belle, oui, objectivement belle.
[…] Ne croyez pas à toutes ces foutaises sur le fait d’être « limité » à votre
propre perspective. Toutes les sciences ont inventé des moyens pour se
déplacer d’un point de vue à un autre, d’un cadre de référence à un autre. […]
C’est ce qu’on appelle la relativité. […] Si je veux être un scientifique et
atteindre à l’objectivité, je dois être capable de naviguer d’un cadre de réfé-
rence à l’autre, d’un point de vue à l’autre. Sans de tels déplacements, je serais
limité pour de bon dans mon point de vue étroit (Latour, 2006, p. 210-213).
Bref, l’empathie n’est pas réservée à la fiction à la troisième personne, on la
retrouve dans les fictions en première personne et hors des fictions (Berthoz
et Jorland, 2004 ; Rizzolatti et Sinigaglia, 2008 ; Tisseron, 2010 ; de Waal,
2010), en raison de deux phénomènes linguistiques généraux : la disjonction
locuteur/énonciateur, qui permet de penser le dialogisme (alors que le locu-
teur est chez Kuroda plutôt homogène) comme un dialogue réel ou intérieur
entre soi et les autres (hétéro-dialogisme, ou saisie de l’autre que soi) ou entre
soi et soi (auto-dialogisme, ou saisie de l’autre de soi). Ces mouvements repo-
sent sur le fait que les énonciateurs sont rarement prisonniers d’un seul PDV
dans leur façon d’appréhender les choses, qu’ils changent de position énon-
ciative, pour leur propre compte ou pour celui des autres. Les phénomènes de
PDV, de discours rapportés ou représentés, au sens large du terme, la caté-
gorie du médiatif (Desclés et Guentcheva, 2000) sont autant de procédés qui
permettent de penser l’hétérogénéité radicale des discours sans qu’il soit
nécessaire de postuler un narrateur omniscient ni de réserver ces mécanismes
interprétatifs à la narration à la troisième personne. Ils s’appuient plus profon-
dément sur la dynamique imitative par laquelle nous nous construisons notre
intériorité et aussi, dans le même temps, des sentiments d’appartenance qui
tissent la trame des relations socioculturelles.
5. Enfin, les caractéristiques inverses du récit en je, qu’on s’attendrait
pourtant à retrouver dans le récit en il, ne sont pas exactement au rendez-vous :
d’abord parce que si les récits en il multiplient souvent les centres de perspec-
tives, ils ne le font pas toujours : le récit en il peut adopter la perspective du
héros principal ou privilégier la perspective surplombante du narrateur. Le cri-
tère de la multiplicité des centres de perspective n’est pas définitoire. De plus,
si les récits en il font alterner les centres de perspective (comme c’est le cas
dans Madame Bovary, Le Rouge et le Noir), ils le font en appui sur la focali-
sation interne, qui n’est plus dès lors définitoire du récit en je17.
120 17. Bien sûr, la conclusion qui en est tirée est que la multiplicité des focalisations internes équi-
vaut à un récit à narrateur omniscient (Todorov, 1973, p. 61). Transmuer des focalisations
LITTÉRATURE internes en focalisation zéro omnisciente relève d’une alchimie bien peu scientifique. Voir
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 Rabatel (1997, p. 72).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

Cette présentation critique des thèses non communicationnelles de


la narration laisse entrevoir, en creux, ce que sera le deuxième volet de la
réflexion : à partir d’un exemple attesté, l’analyse de la matérialité lin-
guistique de la référenciation dégagera les traces d’énonciateurs centres
de perspective (narrateur et personnage, essentiellement), dont le dialo-
gisme interne invite à un dialogisme externe entre le texte et son lecteur.

II

LES LIMITES DE L’OPPOSITION


« COMMUNICATIONNEL
VS NON-COMMUNICATIONNEL » À L’AUNE
DE L’APPROCHE ÉNONCIATIVE
ET DIALOGIQUE DES RÉCITS

Ainsi qu’on vient de le voir, il n’est pas de texte narratif sans narra-
teur, y compris dans les récits en il avec narrateur anonyme et cela plaide
en faveur d’une analyse des textes de fiction qui ne relève pas d’un cadre
non communicationnel, parce que les arguments avancés par Hamburger
(1953), Kuroda (1973) ou Banfield (1982) forcent l’opposition entre
textes communicationnels et non communicationnels. Dans ce deuxième
volet, je voudrais préciser en quel sens des discours non adressés relèvent
d’une approche communicationnelle, pour peu que cette dimension soit
redéfinie à la lumière des simulacres de l’effacement énonciatif ou d’une
« communication non communicationnelle ».
D’un point de vue pragmatico-énonciatif, je reviendrai d’abord sur
certaines spécificités énonciatives et empathiques du mode de référencia-
tion des textes allégués en faveur des thèses non communicationnelles,
avant d’envisager plus globalement la question à partir de la source, puis
du destinataire de ces énoncés, plaidant pour une redéfinition des approches
communicatives, dans le prolongement de l’analyse pragmatique des dis-
cours. Les textes de fiction littéraires présentent certes des caractéristiques
particulières, mais ils partagent néanmoins avec nombre de textes
ordinaires des stratégies d’effacement énonciatif (émetteur, destinataire,
construction objectivante du référent) pour produire des effets d’évidence,
d’immédiateté, de vérité, de création de monde, des stratégies de double
énonciation et de dialogisation interne dont l’interprétation requiert un
processus dialogique et dialogal, de nature responsive (Bakhtine, 1984),
dès lors que le lecteur actualise et interroge le texte pour le comprendre et
se comprendre (Barbéris, 2001, article « texte/textualité », Rabatel,
2010a). C’est pourquoi, et ce sera le terme de ce parcours, sans rien retirer 121
à l’hypothèse selon laquelle les textes dits expressifs relèvent aussi d’une
LITTÉRATURE
dimension communicative au sens large, je mettrai l’accent pour finir sur N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

les limites de l’opposition « communicationnel » vs « non communica-


tionnel », trop étriquée pour rendre compte de la complexité des phéno-
mènes langagiers.

Les calculs dialogiques des énonciateurs


dans la construction de la référence
Les théories non communicationnelles d’Hamburger, Kuroda, Banfield
analysent des phénomènes très spécifiques dans lesquels le langage repré-
sente par la voix d’un narrateur des « discours » qui n’ont pas été effecti-
vement prononcés (c’est le sens que Banfield donne à ses phrases sans
parole). L’analyse de ce genre de textes m’a permis de montrer combien,
derrière l’apparente monodie de la voix narratoriale, se cachent des sub-
jectivités indépendantes des marques traditionnelles qui leur sont accolées
(le syncrétisme du je/ici/maintenant). D’où ma thèse de la pré-réflexivité
de fragments infra-verbalisés que sont les discours indirects libres ou les
points de vue (PDV), par rapport à la réflexivité du dialogue standard.
Ces énoncés sont doublement dialogiques : hétérodialogiques, en ce que
le locuteur/énonciateur premier fait place par mimétisme cognitif à la sub-
jectivité d’un énonciateur second ; auto-dialogique en ce que les énoncia-
teurs ne cessent de dialoguer avec les autres comme avec eux-mêmes
pour mieux se comprendre et comprendre les lieux, milieux et événe-
ments qu’ils traversent et agir en conséquence, comme le montre le
constant va-et-vient entre PDV infra-verbalisés, pensées et paroles.
L’expressivité ou la dimension méta-représentationnelle de ces phrases
sans parole (ou énoncés infra-verbalisés) ne supprime pas leur dimension
communicationnelle, même si celle-ci est à l’arrière-plan et prend une
forme différente (Rabatel, 2008, p. 355-359, 417-420, 440-446, 464-469).
Je n’ai personnellement jamais accordé beaucoup d’importance aux
conséquences théoriques du fait que ces textes sont des textes non
adressés et ne sont pas des prédications ; le débat sur les assertions feintes
ou sur les mondes possibles n’autorise pas à conclure que ces textes sont
non communicationnels, sauf à réduire exagérément la communication à
l’adresse directe et à un allocutaire saturé (Philippe, 2007), sauf, surtout,
à sous-estimer d’abord la dimension textuelle-pragmatique de la référen-
ciation. On a coutume de définir la fiction par le comme si (Searle, 1982 ;
Genette, 1991 ; Patron, 2009). Il est vrai que, d’une façon générale, et par
rapport au discours scientifique ou au discours quotidien, la fiction n’a
pas de portée pratique immédiate, n’est pas liée à un problème (état de
choses) à régler. À l’instar du jeu, le discours littéraire (et notamment le
discours narratif de fiction) est dans le comme si, envisage des mondes, de
122 nouvelles façons de voir, de sentir, de penser, de nouvelles modélisations
qui sont des moyens indirects de connaissance et de correction du modèle
LITTÉRATURE
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 social de la réalité (Patron, 2009, p. 101). En ce sens, la référentialité n’est
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

pas « le critère ultime de pertinence du discours littéraire » (Bange, 1981,


p. 102). Mais cela n’enlève rien à la pertinence de la notion de référence :
ainsi que le dit Jacques, « quand un discours est imaginaire [Jacques parle
des fictions] il ne cesse pas d’être référentiel » (Jacques, 2002, p. 55).
Simplement cette référentialité est de nature « suspensive », selon le mot
de Jacques, s’appuyant sur une dialectique de refiguration/configuration/
(pré-)figuration qui cherche moins à raconter ce qui s’est passé qu’à
décrire des possibles : en ce sens, « la référence au monde s’inaugure dans
le texte sans s’achever » (ibid., p. 66-67). Sa suspensivité rend compte du
pouvoir de refigurer le monde que possède l’écriture de fiction.
Je voudrais argumenter en faveur d’une conception plus riche de la
référenciation à partir d’une réflexion sur la complexité du sens dit/
montré à la lumière de la disjonction locuteur/énonciateur. Je n’entrerai
pas dans une discussion savante sur l’opposition dire/montrer chez
Wittgenstein (1921), je rappelle que l’opposition est reformulée d’un
point de vue linguistique en des sens très différents selon les linguistes.
Pour Berrendonner (1981, p. 121), le fait de dire, de parler, repose
d’abord sur un geste locutoire : « L’énonciation est geste, c’est-à-dire,
qu’elle a le statut sémiotique de symptôme : sa valeur signifiée s’exhibe
sans se dire, sans s’autodésigner. » Selon Berrendonner, il semble y avoir
une barrière stricte entre le dire et le montrer : « La valeur primitivement
“constative” ou “assertive” de tout énoncé est portée par l’acte locutoire
d’actualisation de cet énoncé, considéré comme symptôme gestuel »
(ibid.). Cette définition repose sur le choix de faire de l’actualisation des
discours une marque gestuelle, externe au contenu propositionnel. Si en
revanche on considère l’actualisation comme un phénomène qui ne se
contente ni de proférer ni même de situer l’énoncé par rapport à la situa-
tion d’énonciation (en référence à l’appareil formel de l’énonciation),
mais qu’on y intègre l’ensemble des phénomènes énonciatifs de construc-
tion de la référence – même s’ils ne se laissent pas analyser en termes
d’appareil formel (Barbéris, 2001, articles « subjectivité », « subjectivité
dans le langage », Rabatel, 2005) –, alors la barrière entre dire et montrer
est beaucoup moins nette que ne le prétend Berrendonner, comme on ten-
tera de le montrer, puisqu’elle traverse la référenciation. Perrin, comme
Nølke, propose une situation intermédiaire, en mettant en valeur des
expressions à sens montré qui échappent à un jugement de véridiction
puisqu’elles ne font pas partie du contenu propositionnel :
« Est montré tout ce qui n’est pas dénoté, conceptualisé et élaboré proposi-
tionnellement dans le langage. Ainsi défini négativement, par opposition à ce
qui est dit, le sens montré relève à la fois d’informations situationnelles,
notamment de la gesticulation locutoire et autres symptômes contextuels dont 123
parle Berrendonner, associés au fait même de dire, à l’acte de véridiction qui
LITTÉRATURE
s’y rapporte ; mais cela concerne aussi une part essentielle de la signification N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

des mots et des phrases, une certaine dimension du sens linguistique, en par-
ticulier dans le cas de certaines expressions plus ou moins spécialisées à cet
effet. Les expressions que Nølke appelle montrées, les expressions à sens
montré pour être plus précis, ne sont pas vériconditionnelles » (Perrin, 2008,
p. 159).

Ces expressions renvoient à des traces de monstration, à travers


l’énonciation et la référenciation, et sont donc non soumises à la véridic-
tion du contenu propositionnel (ibid., p. 164). De Berrendonner à Nølke et
Perrin, on passe d’un sens montré en situation à un sens montré dans le
discours, ce sens montré-là étant conventionnel et codé linguistiquement.
C’est pourquoi ces expressions ne se bornent pas aux interjections, mais
comprennent, selon Perrin, des formules, les registres, les styles, qui
mêlent inextricablement le dit et le dire, tout comme les adverbes de
phrase, difficilement paraphrasables de façon univoque, compte tenu de
leur place et donc de la variation de leur point d’incidence, qui influe sur
la prise en charge de l’assertion… Relèvent encore des expressions à sens
montré des effets citatifs, à l’instar du discours indirect libre, avec des élé-
ments étrangers à leur forme propositionnelle (relatifs à la subjectivité de
celui qui les énonce, ainsi que le dit Banfield), ou encore les énoncés
exprimant un PDV représenté (Rabatel, 1998).
Cela rapidement posé, prenons un exemple de PDV représenté,
associant des perceptions et des mouvements de pensée sous-jacents ou
explicites qui les accompagnent :
(1) Quand le commis est sur le point de partir, Léopoldine se glisse vers
la porte. Étrange ! Elle se sent incapable de lui serrer la main ; mais elle
trouve un bon poste d’observation dans l’étable en pierre et regarde par
une fenêtre. Elle le voit passer, un peu court et épais, alerte pourtant, avec
une barbe blonde, son aîné de huit ou dix ans ; elle ne le trouve pas anti-
pathique… (Knut Hamsun, L’Éveil de la glèbe, Le Livre de Poche,
« Biblio », p. 253).

(1) rapporte la description très alerte du commis en installant


Léopoldine comme centre de perspective. La narration épouse dès le pre-
mier plan les gestes de la jeune fille, et sature ces derniers d’une inten-
tionnalité certaine : d’emblée, elle est attirée par cet homme un peu plus
âgé qu’elle, qui l’intimide sans qu’elle comprenne pourquoi et qu’elle
cherche néanmoins à voir18, pour mieux le regarder, sans oser s’approcher
de lui… La description physique est celle d’une jeune fille qui juge et
jauge ; elle est saturée de perceptions accompagnées de jugements tantôt
un peu dépitées (« un peu court et épais »), tantôt appréciatives (« alerte
pourtant, avec une barbe blonde »). Les perceptions sont accompagnées
124 18. Comme l’indique le mais argumentatif, conclusion R de P : « Ne nous approchons pas
LITTÉRATURE de lui. » Conclusion anti-orientée Non R de Q : « Ne nous éloignons pas trop pour pouvoir
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 l’observer. »
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

d’énoncés ambivalents (« Étrange ! », « Elle ne le trouve pas antipa-


thique ») qui sont certes prononcés par le narrateur hétérodiégétique – un
narrateur un peu ironique, devant ce jeu des regards cachés et des senti-
ments –, mais qui met en scène des mouvements de pensée qu’il impute à
Léopoldine, dont il imite cognitivement et émotionnellement le PDV.
Ainsi la narration à la troisième personne passe par le filtre perceptif de
Léopoldine, érigée en énonciateur, même si elle ne dit rien et donne un
certain nombre d’informations sur un jeune homme, sur les réactions de la
jeune fille regardant ce jeune homme, sur le regard du narrateur regardant
la jeune fille regarder… Comment faire fonctionner la problématique
dire/montrer dans un tel cas ? Il n’y a pas d’assertion, mais un énoncé
constatif, donc il est difficile de faire fonctionner un jugement de véridic-
tion sur cette scène qui comprend une description en mouvement. Il y a
pourtant des contenus propositionnels, mais ils sont complexes à restituer
compte tenu du fait que l’on peut distinguer deux contenus propositionnels
anti-orientés sur le commis [commis-être-court-épais] vs [commis-être-alerte-
beau (barbe blonde)19] un ensemble de contenus propositionnels anti-orientés
sur les réactions mêlées de Léopoldine : [Léopoldine-s’éloigner-commis]
= [Léopoldine-être-intimidée] vs [Léopoldine-regarder-commis] = [Léopol-
dine-être-attirée]. Le fait d’hésiter entre des contenus propositionnels avec
des verbes d’action et des verbes d’état traduit la difficulté de ce genre
d’exemple, banal au demeurant20, dans lequel des énoncés de faire sont
aussi des indices d’un état du sujet… Cette ambivalence peut-elle être
reformulée entre dire (faire) et sens montré (être/ressentir) ? On pourrait
répondre par l’affirmative, mais la réponse serait superficielle, d’une part
parce qu’elle présuppose une coupure nette entre faire et ressentir, d’autre
part parce que, du côté du sens montré, les choses sont très complexes.
D’abord, parce que nous sommes dans un énoncé à la troisième personne,
que Léopoldine ne dit rien – mais bien sûr elle pense, et même elle n’en
pense pas moins, comme le disent les verbes de pensée (« se sent »,
« trouve », répété deux fois, la seconde occurrence narrativisant son
jugement), qui introduisent un sujet de conscience distinct du locuteur.
Ensuite, parce que si sens montré il y a (et c’est le cas), il y en a au moins
deux : l’un concernant le point de vue de Léopoldine, l’autre celui du nar-
rateur. Car le texte ne fait pas que faire ressentir l’attirance de Léopoldine
et ses calculs pour ne pas trop la dévoiler, il fait aussi ressentir, dans les
mêmes énoncés, une distanciation amusée du narrateur, qui n’est pas dupe
de l’attitude calculée de Léopoldine, qui correspond à une manière
19. L’âge est difficile à interpréter hors contexte : l’hypothèse est que, dans les sociétés
paysannes de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, l’homme était souvent plus âgé
que son épouse ; ici, la différence n’est pas énorme, et comme le commis a encore la barbe
blonde, il ne fait pas trop vieux, donc paraît beau…
20. C’est pourquoi l’analyse ne peut se contenter d’extraire des contenus propositionnels
125
sans prendre en compte leur forme d’expression : car c’est elle, à travers la référenciation, LITTÉRATURE
qui fournit de nombreux indices sur le PDV. N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

habituelle de faire, évoquée avec une sorte de connivence tendrement


ironique.
Le mode de donation de la référence dénotée comporte dès le
dictum des termes lexicaux et grammaticaux et un réseau d’oppositions
lexicales, sémantiques et rhétoriques qui montrent, rendent sensible, par
une énonciation empathique, les sentiments du centre de perspective.
Autrement dit, le dictum n’est pas seulement objectif, même s’il peut être
dit « objectif » en ce sens que le lecteur se représente le personnage tel
qu’il est vu au plan physique, et abstraction faite des sentiments qu’il pro-
voque chez Léopoldine, et que même les sentiments peuvent être dits
« objectifs » parce que la narration les représente fidèlement, tels qu’ils
sont éprouvés. Autrement dit encore, l’énoncé peut se lire comme contenu
propositionnel (c’est son recto) et comme monstration du PDV intéressé
et désirant de Léopoldine (c’est son verso) : la métaphore du recto et du
verso voudrait bien sûr, à travers la référence à Saussure, exprimer
l’indissociabilité de ces deux aspects, et renvoyer à l’idée que le sens
montré « n’est pas réservé à certains termes » mais concerne la totalité
des énoncés, en dépit du fait que ces énoncés ne sont pas des énonciations
(au sens que Berrendonner donnait plus haut à cette notion – des
« phrases sans parole », dit Banfield), puisque la référenciation montre
les réactions du sujet modal sur l’objet de discours.
Ainsi ces PDV, selon leur sens montré, sont à interpréter comme des
énoncés auto-dialogiques infra-verbalisés, des embryons de monologues
intérieurs pré-réflexifs, dans lesquels la source énonciative se parle à elle-
même et essaie d’ajuster pensées, comportement et perceptions. C’est
ainsi qu’on ne réduit pas la mimesis à une simple reproduction de l’objet,
indépendante des relations (communicationnelles) entre locuteur et récep-
teur, pour emprunter le vocabulaire d’Hamburger. La mimésis a certes
une dimension référentielle de construction d’un effet de réel, mais cet
effet est toujours soumis à une dimension cognitive et argumentative : il
s’agit de « (se) donner à voir », donc aussi de « (se) donner à penser », et
cela vaut pour son auteur comme pour les destinataires (Bange, 1981,
p. 97). Cette dimension cognitive de la mimésis rejoint les travaux du
psychologue Paul Harris (2007), qui, en accord avec Vygotski (1934),
traite du monologue intérieur non comme l’indice d’un stade primitif de
développement (comme le pense Piaget) mais comme trace de la ren-
contre d’un obstacle cognitif et des efforts réflexifs du sujet parlant et de
ses aptitudes à jouer, dans le prolongement de l’activité de jeu symbolique
qui permet à l’enfant, très tôt, d’investiguer d’autres mondes possibles tout en
126 conservant la plupart des principes organisateurs du monde réel. Cette
conception est largement compatible avec ma propre conception de
LITTÉRATURE
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 l’autodialogisation des perceptions, de leur pré-réflexivité, témoignant,
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

aux plans langagier et anthropologique, de l’intrication entre perception


infra-verbalisée et parole intérieure (Rabatel, 2008, II, chapitre 4 et 5).
J’insiste sur le fait que ces fragments « non représentatifs21 »,
« expressifs » relèvent malgré tout d’une tension interne dialogique, et
que ce dialogisme là, s’il n’a rien de dialogal, n’autorise guère à conclure
en faveur d’une théorie non-communicationnelle, sauf à réduire la
communication à une structure d’échanges directs entre je et tu, sauf aussi
à réduire la dimension communicationnelle de la narration en sous-
estimant la part argumentative de la narration, qui est loin de se limiter à
la visée argumentative directe exprimée directement dans le dialogue
adressé d’un je à un tu.
Au demeurant, les mécanismes si particuliers de construction de la
référence dans le contexte précédent peuvent se retrouver sous des formes
approchantes dans la communication ordinaire. Quel meilleur exemple
pourrait-on prendre que celui d’une communication adressée (certes dans
le cadre d’un meeting électoral, avec sa scénographie et ses relations
interlocutives si particulières) telle qu’elle émerge dans certains discours
de Nicolas Sarkozy lors de la dernière campagne électorale pour l’élection
présidentielle. Ce qui m’intéresse ici, c’est la façon par laquelle Nicolas
Sarkozy construit le conflit, son adversaire et les termes du débat, en
imputant à ses adversaires des valeurs indues, avec une mauvaise foi sou-
vent mise en avant par les historiens (De Cock et al., 2008 ; Offenstadt,
2009) ou les linguistes, tels Calvet et Véronis, qui citent l’exemple
suivant :
(2) Je veux le dire à tous les adeptes de la repentance qui refont l’histoire et
qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions dans lesquelles
ils vivaient, ni de ce qu’ils éprouvaient. Je veux leur dire : de quel droit les
jugez-vous ? Je veux leur dire : de quel droit demandez-vous aux fils de se
repentir des fautes de leurs pères, que souvent leurs pères n’ont commises que
dans votre imagination ? (Nicolas Sarkozy, Toulon, 7 février 2007, apud
Calvet et Véronis, 2008, p. 147).

Calvet et Véronis concluent :


« On ne sait pas très bien qui il vise, et qui se repent (à part peut-être Jacques
Chirac, qui a eu dans ce domaine des actes de mémoire fort remarqués), mais
peu importe. Dans un de ses artifices rhétoriques favoris, il répond à ces
repentants après les avoir sans doute inventés » (Ibid., p. 148).
21. Ce terme est malheureux. Car tout texte a une dimension représentative, référentielle,
même si elle n’est pas la seule, j’y reviendrai plus en détail en conclusion. Quoi qu’il en soit,
il me semble indispensable de « rendre au texte de fiction sa référence », comme le dit
Jacques (2002, p. 47, et plus largement tout le chapitre III), en considérant la référence sous
son empan énonciatif : il ne s’agit pas seulement de parler de (au moyen d’expressions clas-
siquement référentielles) il s’agit aussi de parler sur : la prédication fait aussi partie du mode
127
de donation de la référence et participe aussi de l’orientation que l’énonciateur donne à son LITTÉRATURE
dire. N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

De fait, il s’agit de poser un adversaire, de lui imputer des PDV qui


conviennent à ses propres intérêts de champion d’une droite décom-
plexée, comme dans cette autre déclaration, dont il faut bien convenir
qu’elle impute à la gauche des positions totalement inexistantes, mais qui
permettent à son auteur de draguer les voix des intégristes et de l’extrême
droite :
(3) Il n’y a qu’une histoire de France et non pas deux, parce qu’il n’y a qu’une
seule France. […] La gauche qui proclame que l’Ancien régime ce n’est pas
la France, que les croisades ce n’est pas la France, que la chrétienté ce n’est
pas la France, que la droite ce n’est pas la France, cette gauche-là je l’accuse
de communautarisme historique (Nicolas Sarkozy, Saint-Quentin, 25 janvier
2007, apud De Cock et al., 2008, p. 65).

Parler d’imposition ou d’imputation de points de vue, c’est dire plus


que lorsque l’on dit qu’un locuteur attribue un point de vue à l’autre. Cela
sous-entend que cette attribution fait, en quelque manière, violence à
l’autre. Parler d’imposition/imputation des points de vue de l’autre, plutôt
que d’imposition des points de vue à l’autre met en relief une logique
conflictuelle de (re)formulation des positions de l’interlocuteur souvent
en congruence avec une tendance à la délocution exploitée par le locuteur/
énonciateur citant pour son propre avantage.
En (2) et en (3), Nicolas Sarkozy s’adresse à un interlocuteur col-
lectif (la « gauche » ou les « adeptes de la repentance »), alors que ce der-
nier n’est pas là pour répondre (et pour cause !) ; c’est que l’adresse est en
réalité fictive, car le véritable destinataire du message est l’assistance.
Nicolas Sarkozy veut montrer son courage et son audace intellectuelle, et
rien de mieux pour le faire, que ces mouvements de tribune où l’on pro-
voque un adversaire en forcissant le trait d’autant plus aisément qu’il ne
peut pas répondre, tandis que le public communie dans cette mise en
scène. On est donc dans une situation de trope communicationnel (Kerbrat-
Orecchioni, 1996, p. 19). Moyennant quoi les interlocuteurs adressés des
deux extraits sont équivalents à des énonciateurs non locuteurs – exacte-
ment comme Léopoldine dans l’exemple (1) – auxquels on impute un
PDV sans leur permettre de répondre quoi que ce soit : on feint de leur
parler, mais c’est en fait d’eux qu’on parle : c’est leur absence de réponse
qui est le signe de leur absence de sérieux, c’est leur lâcheté, leur étroi-
tesse d’esprit et leur conformisme que Nicolas Sarkozy leur impute et
cette critique est partagée avec ceux qui sont venus l’entendre sur le mode
de l’évidence, puisque l’accusé n’est même pas mis en demeure de
s’expliquer. Ainsi la cause est-elle ou plutôt se donne-t-elle pour
entendue…
128 Ce phénomène d’imputation des PDV, qui opère ici dans un cadre
communicatif très prégnant n’est pas si différent que celui qui consiste à
LITTÉRATURE
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 attribuer à Léopoldine des sentiments, dans la mesure où ce qui les ras-
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

semble, c’est l’aptitude du locuteur/énonciateur premier à s’adresser à X


en parlant de Y. De tels mécanismes d’imputation de PDV opèrent, et
dans la communication adressée, et dans des formes de communication
non adressée : dans les deux cas, L1/E1 parle de Y à X. Bien des para-
mètres situationnels distinguent ces exemples, mais on remarquera une
similitude entre le meeting et le roman : la communication entre l’émet-
teur et les destinataires (directs ou indirects) opère en parlant sur les
autres, ce qui en est dit ayant des enjeux qui dépassent les énonciateurs
auxquels on impute des PDV. Ces enjeux concernent le sur-énonciateur
(le narrateur ou le candidat) et les sur-destinataires (lecteurs réels censés
se conformer à l’image du lecteur modèle, électeurs censés se conformer
aux valeurs qu’on donne à partager), ce qui complexifie l’adresse.

Pour une conception pragmatico-énonciative


et interactionnelle de la narration
La question du destinataire
La démultiplication des destinataires enrichit l’approche communi-
cationnelle initialement conçue comme des relations unilatérales et abs-
traites entre un émetteur et son double spéculaire, le récepteur. Les
notions de destinataire, de récepteur, d’allocutaire ou d’interlocuteur ne
sont pas équivalentes, même si elles se chevauchent (Rabatel, 2010b). Le
message est adressé par un émetteur à un récepteur, l’allocution met aux
prises un locuteur et un allocutaire, le dialogue un locuteur et un interlo-
cuteur. Il n’y a pas d’équivalence stricte, ni de relation d’implication :
l’allocutaire ne doit pas nécessairement répondre et s’ériger en interlocu-
teur. Le destinataire englobe l’allocutaire, l’interlocuteur et le récepteur,
mais la réciproque n’est pas vraie : un destinataire peut ne pas avoir à
répondre au message, du moins par une réponse verbale directe et immé-
diate, s’il s’agit d’un ordre ou d’un message indirect. Le récepteur (non
intentionnel) d’un message n’en est pas le destinataire, l’allocutaire non
plus, dans les tropes communicationnels. De même que certains destina-
taires ne sont pas considérés comme des interlocuteurs, certains locuteurs
peuvent s’ériger en interlocuteurs d’un discours qui ne leur était pas
adressé.
Le destinataire, c’est aussi, à l’autre bout du spectre communicationnel-
interprétatif, celui qui se positionne comme sur-destinataire. Le processus
de compréhension demande au lecteur/spectateur non pas seulement de se
mettre à la place de chacun des locuteurs, de comprendre leurs raisons,
non pas seulement de se mettre à la place de l’auteur, de comprendre et de
réactualiser l’œuvre, ses motivations, en les articulant avec celles du met-
teur en scène ou du dramaturge, mais encore d’avoir à répondre aux ques- 129
tions sous-jacentes aux actions, aux paroles et aux choix de régie. Cette
LITTÉRATURE
conversion oblige à transformer un texte qui ne m’est pas directement N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

adressé, et qui, à ce titre, pourrait ne relever que d’une expressivité pure,


en un texte vivant au cœur d’un processus communicatif dialogique – à
défaut d’être pleinement dialogal – qui, pour être différé, intériorisé, dia-
logisé, n’en existe pas moins. Bref, pour que le texte me parle, je dois
l’actualiser par le dialogue que je noue avec lui, à travers la dialectique
des questions et des réponses à laquelle texte et lecteur(s) participent22.
Ces différentes formes et fonctions profilent l’analyse du destinataire vers
des cadres interactionnels, argumentatifs, énonciatifs et interprétatifs qui
concourent chacun à rendre compte d’une facette de la globalité anthropo-
logique de la notion de destinataire, et de la solidarité de chacune de ces
facettes : il existe des co-destinataires, lorsque l’on s’adresse à plusieurs
destinataires à égalité, des archi-destinataires, lorsque la pluralité des
destinataires particuliers est subsumée par un méta-destinataire (e.g.
l’homogénéisation plus ou moins idéalisée d’un auditoire collectif), des
sur-destinataires (e.g. un destinataire surplombant adressé ou érigé, cor-
respondant à un idéal du moi ou à une posture de sur-énonciation, de
domination, de place haute, voire aux sur-destinataires externes que sont
le public, le lecteur) et des sous-destinataires (c’est typiquement le cas du
destinataire adressé du trope communicationnel, qui n’est pourtant pas
celui auquel en réalité le discours s’adresse). Or ces approches complexes
du destinataire, par-delà la notion de l’interlocuteur du dialogue, rejail-
lissent aussi sur des formes de communication indirectes en appui sur des
formes d’argumentation elles-mêmes indirectes (Amossy, 2001).
La dimension argumentative de la narration
Dans un article déjà ancien, P. Bange, s’interrogeant sur les liens
entre argumentation et fiction, posait comme cadre fondamental de sa
réflexion le postulat que la fiction doit être appréhendée dans le cadre
d’une théorie communicationnelle qui concerne toute la littérature, et pas
seulement la fiction. Tout énoncé, même un énoncé expressif, « non réfé-
rentiel », en comme si, est toujours enchâssé dans un acte communicatif.
La dimension argumentative du récit résulte de la superposition, voire de
l’enchâssement des structures narratives dans des « structures discursives
ou rhétoriques qui prennent en charge les premières dans l’énonciation, et
qui ont une fonction persuasive […]. Par rapport aux structures narratives,
la prise en charge énonciative peut conduire à plusieurs discours,
construits selon des perspectives ou des points de vue différents, mettant
en jeu le Bericht rapide ou la szenische Dartsellung statique, etc. »
(Bange, 1981, p. 93). La narration a une valeur argumentative parce
qu’elle intègre des échanges tournant autour de valeurs, de faits, d’argu-
ments, mais encore parce que l’ensemble du matériau narratif est soumis
130 à une logique interprétative inférentielle en vue de produire certains
LITTÉRATURE 22. Voir la pensée interrogative – ou érotétique – de Jacques (2002, p. 9-10, 228) et le
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 dépassement de la posture herméneutique devant le texte dans Rabatel (2010a).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

effets. Bref, à côté d’une visée argumentative explicite, il existe une


dimension argumentative implicite qui n’emprunte certes pas les voies de
l’argumentation « logique », mais qui se présente comme la dimension
argumentative fonctionnelle de tout discours, à laquelle les textes narratifs
(et plus largement les textes littéraires) n’échappent pas, dans la mesure
où toute forme de communication verbale peut être ramenée à un
« schéma d’argumentation sous-jacent » (Bange, 1981, p. 96), qui n’est
pas sans rappeler l’hypothèse performative généralisée de Ross 1970, et
qu’on retrouve chez Amossy (2001), avec la distinction entre dimension
argumentative indirecte et visée argumentative directe.
On pourrait aussi établir une relation entre l’hypothèse performative
de Ross et la prise en compte du niveau générique. Car même si l’on
devait créditer la thèse anti-communicationnelle au niveau de courts
extraits (on a vu que je n’y souscris pas puisque l’effacement de l’auteur
est un simulacre, celui du destinataire aussi, et que la représentation du
monde fictif n’est pas réservée à la fiction) il n’en reste pas moins qu’au
niveau des textes littéraires (car ce sont eux qui alimentent l’essentiel de
la thèse de la non communicabilité), l’argument communicationnel ne
peut pas ne pas être fortement pris en compte au plan de la scène géné-
rique. Les analyses sociocritiques et l’analyse du discours littéraire
(Maingueneau, 2004) montrent avec éloquence que les textes portent la
trace des stratégies de positionnement dans le champ. C’est à ce niveau
aussi que se joue une part de la dimension communicationnelle des textes
littéraires non adressés. Mais il faut aller plus loin, car les tenants de la
thèse de discours non communicationnels ont bien compris que la thèse
était faible si elle ne se cantonnait qu’à certains textes littéraires. D’où les
efforts de G. Philippe pour tenter d’élargir le domaine, tant du côté des
textes sans auteur que de celui des textes sans adresse.
Des textes ordinaires non communicationnels ?
Des limites de la dichotomie textes communicationnels
vs non communicationnels
Philippe 2007 pose que des discours autres que littéraires, soit
l’endophasie et les brouillons, relèveraient de cette représentation sans
communication qui ne serait donc pas spécifique aux textes littéraires de
fiction. Mais le manque de preuve directe nuit à l’argumentation par
l’endophasie et ce que dit Philippe des brouillons – qu’il appelle aussi
« notes de brouillon » et parfois « notes » (de cours ?) – (Philippe, 2007,
p. 11) est peu clair : car il y a des différences importantes entre des notes
de cours qui proviennent d’un discours autre et un brouillon personnel.
Mais, dans les deux cas, si le scripteur a de la peine a relire ses notes ou
son brouillon, à reconstituer leur « trajet cognitif initial » (ibid.), cela tient 131
soit au fait qu’il n’a pas suffisamment pris en compte l’intention commu-
LITTÉRATURE
nicative de l’autre ou la sienne propre, n’a pas suffisamment pensé à sa N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

cible ou à son objectif (déficits hétéro- ou auto-dialogiques). La non-prise


en compte de ces paramètres affecte la communication, pèse sur la cons-
truction de l’objet (sa référenciation), même lorsque les données sont
objectives, car leur organisation dépend d’un parcours explicatif tributaire
d’un ou de plusieurs points de vue, fût-ce ceux de cadres notionnels qui
structurent l’objet de connaissance. Cette remarque confirme à ce niveau
très général de l’organisation et de la planification des discours ce qui a
été entraperçu à propos des phénomènes d’imputation de PDV dans des
énoncés non littéraires (avec des extraits de Nicolas Sarkozy) : la dyna-
mique dialogique est partout à l’œuvre, sous des formes variées et invite
à prendre au sérieux le dialogue infra-verbalisé par lequel le producteur
construit ses énoncés, dialogue que le récepteur ou le destinataire ali-
mente à l’autre bout de ce type très particulier d’interaction qu’est la lec-
ture interprétante.
Mais il faut aller plus loin. Est-il pertinent de penser les textes et les
discours à partir d’une dichotomie « non communicationnel » vs
« communicationnel » ? Pour ma part, si j’ai tenté de rendre compte de
formes de dialogisme proches de celles analysées par Hamburger, Kuroda
ou Banfield à l’aide de la théorie du PDV et de l’empathie, je n’ai jamais
voulu les penser comme des formes de narratologie non communication-
nelles, ni comme des formes « communicationnelles23 », même si je suis
plus proche des conceptions communicationnelles de la narratologie.
Pourquoi ? L’opposition est très appauvrissante, les termes du débat ne
gagnent rien à être ainsi posés ! La langue ne fait pas que communiquer,
même si elle sert fondamentalement à cela. Klinkenberg souligne qu’il y
a bien de la différence entre une communication de type scientifique et
une communication affective, dans laquelle la langue ne mobilise pas les
mêmes ressources ; l’auteur moque ceux, « à l’âme d’ingénieur sans
doute », pour qui le langage ne servirait qu’à communiquer : il sert aussi
à exprimer, à persuader (par des moyens communicationnels et par
d’autres qui ne relèvent pas de cette dimension stricto sensu, ni même lato
sensu) ; il sert aussi à l’action, et dans certains cas il est une action même,
par sa nature pragmatique instituante – qu’il s’agisse de faire en disant
(Austin), et plus largement d’agir en utilisant des actes de langage/de dis-
cours, qu’il s’agisse aussi de la faculté d’inventer des mondes, pas seule-
ment fictionnels, voire de créer des codes nouveaux. Dans d’autres cas
encore, le langage, et plus précisément les langues, sont des institutions,
jouant un rôle majeur dans l’identité des locuteurs, et cela déborde la
dimension communicationnelle (Klinkenberg, 2001, p. 14-16). On
n’oubliera pas davantage que la langue sert aussi de moyen mnémotech-
nique pour se rappeler et tout autant pour mettre en ordre des savoirs
132 23. Ni même, mais c’est un autre débat, comme des modes de textualisation purement nar-
LITTÉRATURE ratologiques, tant les phénomènes de PDV sont transverses à tous les genres, ou peu s’en
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 faut (voir Rabatel, 2008, I, p. 79).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

(fonctions certainement plus prégnantes au Moyen Âge, dans nos cul-


tures, mais qui jouent encore un rôle notable dans des sociétés sans écri-
ture (Eco, 2010, p. 50). Plus fondamentalement, il semble que les
expériences de remise en cause de la linéarité et de l’indissociabilité du
signifiant et du signifié (à travers les jeux de mots sur les signifiants pho-
niques ou graphiques, les anagrammes, les énantiosèmes24, les phéno-
mènes de créativité lexicale, etc.) jouent sur des processus d’ajustement
des dires qui sont beaucoup plus complexes que la conception dominante
du langage ordinaire (voir Calvet, 2010, notamment p. 52-55, 109-110,
169-172, 180-182, 191) et qui permettent de penser le jeu de l’inconscient
dans la langue, comme l’a montré à plusieurs reprises notamment
M. Arrivé (2005 ; 2008) dans ses travaux sur Saussure et les problémati-
ques de l’inconscient dans le langage, considéré dans sa globalité.
En sorte que ce que j’ai appelé plus haut de façon toute imparfaite
la dimension expressive du langage ne doit être considéré que comme une
approximation, afin de faire entendre que ladite expressivité met en œuvre
des moyens de communication empathiques distincts de la communica-
tion scientifique dont parlait Klinkenberg ou de la communication
adressée en face à face. Mais cette différence ne doit pas faire oublier
leurs points communs et surtout cette donnée fondamentale, que les textes
expressifs sont aussi à d’autres niveaux des textes qui communiquent en
mineur par les imputations et superpositions de PDV et donc aussi des
textes avec lesquels le lecteur s’érige en instance dialogante. Ceux qui me
lisent savent que je mets souvent à contribution la notion de cumul, plutôt
que les dichotomisations qui, dans l’ordre du discours, ne me semblent
pas aussi opératoires qu’en phonologie, en phonétique ou en morphologie.
Dès qu’on entre dans le domaine de la syntaxe, les oppositions discrètes,
très claires en langue, perdent un peu de leur clarté en discours. Mais on
a absolument besoin d’elles. Dans l’ordre de l’agencement rhétorique des
discours, l’analyse ne gagne pas toujours à opposer systématiquement ce
qui s’avère complémentaire à d’autres niveaux.

Barthes (qui théorisa la mort de l’auteur) est pourtant un de ceux qui


appela à le penser dans la machinerie textuelle : « Mais dans le texte,
d’une certaine façon, je désire l’auteur, j’ai besoin de sa figure (qui n’est
ni sa représentation, ni sa projection) comme il a besoin de la mienne »
(Le Plaisir du texte, 1973, p. 45-46). J’ajouterai qu’il vaut mieux aussi

24. C’est-à-dire les mots de sens opposé, tels « hôte », « remercier ». La notion peut être
133
étendue à des expressions – à l’instar de la « bonne grippe », en réalité une grosse ou une LITTÉRATURE
méchante grippe qui est tout sauf « bonne » – et rejoindre les phénomènes d’antiphrase. N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011
³ COMMENT DIRE LE SENSIBLE ? RECHERCHES SEMIOTIQUES

désirer son destinataire, en tout cas toujours se le représenter, y compris,


et peut-être même surtout, dans les cas d’effacements.
Il est raisonnable de conclure que l’instance du narrateur en il ou en
je n’est qu’une technique, certes signifiante, qui ne prend sens, dans les
usages pragmatiques des textes et des discours, qu’en référence à l’ins-
tance qui les surplombe. C’est pourquoi j’ai l’habitude d’utiliser la notion
technique de locuteur/énonciateur premier, pour renvoyer tantôt au narra-
teur, tantôt à l’instance que je nomme la figure (textuelle) de l’auteur, dis-
tincte du sujet parlant. La notion de figure de l’auteur est plus englobante
que celle de narrateur, car elle concerne tous les textes, littéraires ou non,
indépendamment du statut d’écrivain : un écrivant – étudiant rédigeant sa
thèse, scientifique ou collectif publiant un article25 – manifeste dans son
texte une figure d’auteur. Car en dernière instance et à la fin des fins, il y
a bien un auteur qui, quoiqu’il ne communique pas, s’exprime à travers
ses choix de sélection et de combinaison comme à travers ses choix de
référenciation. Sa présence peut prendre des formes variées (médiates ou
directes, en il ou en je), révélant les conceptions et positions de la figure
de l’auteur. C’est pourquoi je partage l’idée qu’il existe un ethos aucto-
rial, montré par l’écriture, les thèmes, la mise en discours, le style26, la
scénographie énonciative interne (Amossy, 2009, p. 5-6)27, en lien avec la
conception large de l’argumentation, sans oublier la dimension sociolo-
gique du positionnement dans le champ. Partant du fait premier et consti-
tutif de l’interaction, on ne peut abstraire le discours littéraire des règles
fondamentales de tout discours, même si l’on ne doit jamais oublier que
la langue en discours peut viser plusieurs fins qui ne sont pas mutuelle-
ment exclusives, sans que cela signifie qu’on adopte automatiquement la
thèse d’une intentionnalité de la communication qui contrôlerait de bout
en bout le message.
Ainsi, ce parcours, commencé avec la question de savoir s’il existe
des textes narratifs sans narrateur, poursuivi avec la discussion sur l’exis-
tence d’une narratologie non communicationnelle, voire de discours non
communicationnels aboutit à la triple conclusion qu’il existe toujours un
narrateur, mais sous des modes de textualisation très différents. Ce raison-
nement vaut également pour les approches non communicationnelles, qui
25. Pour une réflexion sur la fonction auteur dans le domaine scientifique, je renvoie à
Rabatel 2007c et 2010d. Il est certain qu’une discussion approfondie sur les notions de
figure de l’auteur, d’auteur, d’écrivain, d’auctorialité serait nécessaire, mais ce n’est pas
centralement mon objet, c’est pourquoi je ne développe pas davantage…
26. Cette question déborde l’analyse des récits ou de la fiction : voir notamment Monte
(2010) pour l’étude des textes poétiques.
27. L’ethos auctorial est l’image que « chaque discours construit de celui qui en est le
signataire et le responsable » (Amossy, 2009, p. 7). Il est différent de l’auteur réel, différent
134 aussi de l’implied author de Booth si on le rapporte à des normes et à des valeurs relative-
ment externes au texte. « L’ethos auctorial est un effet du texte, il vient préciser une dimen-
LITTÉRATURE sion de l’échange verbal. Il désigne la façon dont le garant du texte désigné par un nom
N˚ 163 – SEPTEMBRE 2011 propre construit son autorité et sa crédibilité aux yeux du lecteur potentiel » (ibid.).
SUR LES CONCEPTS DE NARRATEUR ET DE NARRATOLOGIE ³

reposent sur une approche réductrice de la communication alors que les


problématiques énonciatives et interactionnistes ont fait évoluer les
choses, sur une prise en compte insuffisante des phénomènes dialogiques
à l’œuvre dans les textes, et, enfin, sur une approche binaire des faits de
discours qui est coûteuse au plan théorique comme à celui de l’expérience
intuitive des pratiques de scripteur et de lecteur.

Bibliographie

AMOSSY Ruth [2001] (2006), L’Argumentation dans le discours, Paris,


Armand Colin.
AMOSSY Ruth (2009), « La double nature de l’image d’auteur », Argu-
mentation et analyse de discours, III, http://aad.revues.org/
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ARRIVÉ Michel [1994] (2005), Langage et psychanalyse, linguistique et
inconscient, Paris, PUF, Limoges, Éditions Lambert-Lucas.
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