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Collection ergothérapies

Ergothérapie en pédiatrie
Coordination A. Alexandre,
G. Lefévère, M. Palu & B. Vauvillé
Solal éditeur, Marseille - 2010 A. ALEXANDRE
G. LEFÉVÈRE

CHAPITRE 17

ANALYSE DE L’ACTIVITÉ
EN ERGOTHÉRAPIE
OU POURQUOI CRÉER
SES PROPRES JEUX ?

En reprenant l’étymologie de « ergothérapie », nous constatons qu’il s’agit


d’une thérapie par l’activité. Nous pouvons alors nous interroger sur la nature
de cette activité et sur la manière de la qualifier de thérapeutique ou non.
Nous verrons qu’une activité devient thérapeutique si elle fait sens par rap-
port au projet de soin de l’enfant suivi en ergothérapie. En effet, l’activité ne se
décide pas au hasard, ou uniquement pour faire plaisir$ derrière l’activité que
nous proposons, il y a une recherche et une réflexion. C’est cette démarche
intellectuelle que nous allons aborder dans ce chapitre.
Ainsi, comment déterminer si une activité est ou sera thérapeutique ?
L’analyse d’activité répond à cette problématique et a pour objectif de « décor-
tiquer » une occupation en déterminant les fonctions qu’elle met en jeu, tant au
niveau de la sensori-motricité que des compétences cognitives.
L’ergothérapeute se doit d’exercer son sens de l’analyse dans un but d’ob-
servation évaluative, mais aussi pour choisir les jeux et les exercices qui per-
mettront à l’enfant de progresser dans son accompagnement thérapeutique.
Nous verrons qu’il existe plusieurs pistes de réflexion pour analyser correc-
tement une activité, nous aborderons aussi l’intérêt majeur de l’analyse d’acti-
vité en rééducation ergothérapeutique et enfin, nous donnerons des exemples
et des idées pour étayer nos propos.

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ANALYSE DE L’ACTIVITÉ EN ERGOTHÉRAPIE
DÉFINITION DE L’ANALYSE D’ACTIVITÉ

Dans le langage courant, analyser une activité c’est déterminer ce qu’une


personne a besoin de « faire » pour la pratiquer et la réussir. En nous attachant
à une définition plus spécifique à l’ergothérapie, nous reprendrons tout d’abord
les propos de Morel-Bracq [2006], ergothérapeute, qui écrit que « cette analyse
cherche à mettre en évidence les interactions entre la personne, l’activité et
l’environnement et les relations entre l’activité et la santé ainsi que le potentiel
thérapeutique de l’activité ».
De même, Watson et Wilson [2003] postulent que « l’analyse d’activité a été
utilisée comme une approche pour déterminer si une activité avait du sens pour
le patient ($) et pouvait ainsi être utilisée pour l’aider à atteindre les objectifs
thérapeutiques concernant le développement ou la récupération de ses capa-
cités. L’analyse d’activité permet aux ergothérapeutes de déterminer le poten-
tiel thérapeutique ou la valeur d’une activité et de sélectionner et aménager
l’activité pour traiter une incapacité ou une limitation fonctionnelle ».
Nous retrouvons dans ces deux définitions les notions fondamentales d’in-
teraction et de potentiel thérapeutique, qui mettent fortement en avant le fait
qu’une activité doit être choisie en fonction du patient, de son âge, de ses
goûts, de ses besoins (interaction) et aussi en fonction de ce qu’elle est, de ce
qu’elle nécessite, de ce qu’elle produit (potentiel thérapeutique).
Par ailleurs, en creusant un peu le sens accordé au terme « analyse d’ac-
tivité », nous retenons qu’il est double et fonction de l’approche privilégiée :
• Lorsque l’activité prévue est un objectif en soi (par exemple, savoir atta-
cher ses lacets), nous observons D’ABORD l’enfant dans sa manière de
procéder, et nous réfléchissons ENSUITE autour du « comment l’amélio-
rer » afin de développer avec lui des stratégies pour rendre sa procédure
plus efficace. C’est l’analyse PERSONNALISÉE de l’activité que déve-
loppe Crepeau [2003], c’est-à-dire l’analyse d’une activité pertinente dans
la vie de l’enfant.
• En revanche, quand l’activité prévue est un moyen (par exemple, jouer au
Puissance 4® pour comprendre les notions spatiales de verticale, hori-
zontale et oblique), nous nous positionnons D’ABORD dans une phase de
réflexion sur l’activité elle-même : peut-elle me servir de moyen pour arri-
ver à mon objectif plus lointain ? Nous sommes dans l’analyse descriptive
et ergonomique de Crepeau [2003], en analysant l’activité pour elle-même,
avec son processus et ses exigences.
Ainsi, nous devons accorder une valeur forte au lien étroit qui doit exister
entre l’activité réalisée et l’enfant. Nous devons faire coïncider ses besoins et
les exigences de l’activité.

PLUSIEURS MODÈLES DE GRILLES D’ANALYSE DE L’ACTIVITÉ

Il existe de multiples façons d’analyser une activité, selon la procédure de


« décorticage » que nous voulons suivre. Le principe est d’avoir une trame en
tête et de la décliner pour une tâche précise. Nous citerons ici 5 trames pos-

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sibles qui diffèrent selon les auteurs et leur utilisation, mais qui s’accordent
toutes dans leur logique de classement des jeux et des activités selon les com-
pétences qu’ils développent.

Le système E.S.A.R. (1985)


Le classement E.S.A.R. [Garon et al., 2002] est un système québécois
d’analyse et de classification des jeux, fréquemment utilisé dans les ludo-
thèques. Il est aussi un outil d’analyse du comportement ludique : il permet de
différencier les jeux en fonction des habiletés et des apports de chacun. Inspiré
de l’approche piagétienne, le mot E.S.A.R. est un acronyme de chacune des
catégories ludiques, le développement du jeu de l’enfant suivant le même
ordre :
E comme jeux d’Exercices : jeux sensoriels et/ou moteurs au plaisir et effets
immédiats (ex. : hochet$)
S comme jeux Symboliques pour faire semblant, imiter (ex. : dinette$)
A comme jeux d’Assemblage pour associer des éléments pour donner un
tout (ex. : Lego$)
R comme jeux à Règles qui impliquent des gagnants et de perdants (ex. :
Monopoly$).
Le système d’origine comporte 4 facettes auxquelles se sont ajoutées deux
nouvelles facettes complémentaires (facettes E et F) :
Facette A qui reprend les quatre catégories du système E.S.A.R.
Facette B qui situe le jeu par rapport aux habiletés cognitives qu’il requiert,
habiletés en lien avec les stades piagétiens (conduite sensori-motrice$)
Facette C qui décrit les habiletés fonctionnelles mises en jeu (exploration,
reproduction$)
Facette D qui présente les habiletés sociales (activités individuelles, asso-
ciatives$)
Facette E qui reprend les habiletés langagières (langage réceptif oral$)
Facette F qui constitue un répertoire des jeux permettant de manifester ses
émotions (confiance$) et les interactions entre les personnes.
Le système de classification E.S.A.R. pourrait être appliqué à l’ergothérapie
pour classer les jeux dont nous disposons et éventuellement créer une base de
données informatique de ces jeux. Dans ce but, chaque jeu serait annoté
comme suit : catégorie de jeux à laquelle il appartient, habiletés qu’il requiert et
celles qu’il fait travailler.

Le P.R.P.P. (Perceive, Recall, Plan and Perform)


Le P.R.P.P. n’est pas à proprement parler un système d’analyse d’activité au
sens où ses auteurs ne l’ont pas créé avec une visée rééducative (choix d’ac-
tivité, adaptation de l’activité au patient) mais dans un but évaluatif de mises en
situation de vie quotidienne.
Ses auteurs, ergothérapeutes australiens [Chapparo, 2010], ont ainsi déter-
miné un classement en modules cognitifs et l’utilisent pour déterminer les
points forts et les points faibles d’un patient lors d’une activité.
Ainsi, les 4 modules principaux sont l’attention et la perception (Perceive),
la Mémoire (Recall), la planification et la résolution de problèmes (Plan) et
l’exécution du plan d’action (Perform).

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Chacun des 4 modules se décline en cascade et nous obtenons une qua-
rantaine de compétences. Une activité peut ainsi être décortiquée au moyen de
la trame des 4 modules et sous-modules.

Le modèle de N. Sève-Ferrieu
Cette ergothérapeute française a choisi de développer en 2005 un moyen
d’analyser les activités pour des patients hémiplégiques selon une modalité
cognitive. Il s’agit de définir 6 modules neuropsychologiques habituellement
lésés et de proposer ensuite des activités qui stimulent électivement le ou les
modules déficients. Elle développe ainsi la mémoire, l’attention, la somatogno-
sie, le langage et la programmation gestuelle. Chaque module comprend des
sous-items très détaillés. Ainsi, même si cette approche est destinée aux ergo-
thérapeutes exerçant auprès de patients adultes hémiplégiques, le principe
d’analyse de l’activité au moyen d’un tableau décomposant des modules cogni-
tifs est tout à fait transposable en pédiatrie.

La grille d’analyse du G.E.P.P.E.


(Groupe d’Echange des Pratiques Pédiatriques en Ergothérapie)
Fort de ces modèles préexistants, un groupe d’ergothérapeutes franciliens
exerçant exclusivement en pédiatrie a créé en mars 2006 un système de grille
d’analyse de jeu qui comporte 8 domaines de compétences. Ainsi, nous retrou-
vons les compétences habituellement observées chez les enfants, à savoir :
sensori-motrices, visuo-spatiales, praxiques, exécutives, logico-mathéma-
tiques, langagières, sociales et narcissiques. A la fin de chaque fiche un espace
est laissé libre pour pouvoir y noter des propositions d’adaptations du jeu
(règles du jeu, matériel$). Ainsi, chaque jeu peut être analysé, nous disposons
alors d’une fiche pratique d’analyse par jeu permettant de choisir correctement
une activité en fonction des objectifs thérapeutiques de la séance.

INTÉRÊTS DE L’ANALYSE D’ACTIVITÉ


Nous ne sommes ni animateurs ni éducateurs et nous ne donnons pas un
jeu à un enfant uniquement pour qu’il joue, s’amuse, s’occupe. Nous proposons
une activité qui ressemble à un jeu pour étayer sa rééducation, pour l’amener
à aimer, à participer activement et à prendre du plaisir lors de sa rééducation.
Et quoi de plus plaisant que d’adopter un support ludique ou une attitude
ludique !
Les séances de rééducation demandent de la participation et des efforts. Le
support ou la situation ludique éliminent le blocage ou la crainte de l’échec qui
sont parfois rencontrés dans les situations plus guidées. Le rééducateur peut
ainsi négocier un équilibre entre le “jeu” et le but à atteindre.
Pour trouver ce juste équilibre et être ainsi plus efficaces dans notre réédu-
cation, nous devons réaliser une ANALYSE D’ACTIVITÉ pour ne proposer que
des activités qui vont correspondre aux besoins de l’enfant. Analyser une acti-
vité nous permet ainsi de : $

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CONNAÎTRE?

$ les fonctions sensori-motrices, cognitives et sociales mises en jeu par


une activité. Nous savons parfaitement faire une analyse cinésiologique d’un
geste, c’est-à-dire réfléchir à la mise en action des muscles et articulations,
dans leurs composantes de force, vitesse, orientation, précision$ Pour être
complet dans notre analyse d’une activité, il nous faut dans le même temps pro-
céder à une analyse neuropsychologique.
Par ailleurs, afin de connaître au mieux toutes ces fonctions, il faut avoir
joué soi-même, regardé jouer, fait jouer avec le matériel pour se familiariser et
se l’approprier avant de le proposer à un enfant et qu’il soit profitable.

ADAPTER?

$ le jeu aux capacités de l’enfant avec qui nous travaillons. En effet, le


choix d’un matériel de jeu est essentiel pour travailler électivement une fonc-
tion. Parfois, ce jeu nécessite d’adapter le plan de travail pour travailler le
membre supérieur de telle ou telle manière$, de changer la taille et/ou la forme
des pions en graduant la difficulté$, de changer les règles en les simplifiant ou
en augmentant la difficulté progressivement.
L’enfant avec un handicap moteur sévère ne peut jouer seul spontanément
et développer les différentes composantes du jeu qui favorisent son développe-
ment harmonieux. L’ergothérapeute a un rôle primordial dans la conception et la
réalisation d’aides techniques facilitant l’accès au jeu. Grâce à l’adaptation de
matériel de jeu ou à la réalisation d’aides techniques en facilitant l’accès, il aide
l’enfant à gagner un peu plus d’indépendance et d’autonomie dans le jeu. A titre
d’exemple, nous pouvons citer la naissance en 1996 du Réseau Nouvelles
Technologies (R.N.T.) – service de l’Association des Paralysés de France – qui
vise à présenter des solutions de contrôle de l’environnement matériel.
L’adaptation du jeu est une modalité à retenir pour que les enfants handi-
capés éprouvent le sentiment de mieux maîtriser leur environnement.
Face aux difficultés d’un enfant, l’ergothérapeute doit suppléer une fonction
lacunaire et chercher des solutions pour que l’enfant puisse entamer ou pour-
suivre son action.
Par exemple, pour qu’un enfant hémiplégique puisse couper d’une seule
main, nous proposerons de fixer une paire de ciseaux sur un socle en bois. La
plupart de ces aides techniques sont disponibles dans le commerce spécialisé.
Pour un enfant paralysé cérébral présentant des difficultés de préhension et
des mouvements parasites, nous pourrons percer des trous sur un plateau de
jeu pour permettre l’encastrement des pions, proposer des pions différents
(hauteur, diamètre, poids$), des dés grossis et des accessoires (porte-cartes,
gobelet pour lancer les dés$).
Pour ceux qui ne possèdent pas un contrôle suffisant de leurs quatre
membres, nous pouvons envisager d’adapter une licorne avec un embout
aimanté et des pions avec une punaise métallique. Aussi, avec un enfant ayant
une déficience intellectuelle, il est bénéfique de simplifier les consignes, de les
décomposer, de s’appuyer sur des compétences acquises pour qu’il puisse
accéder au jeu (choisir des dés de couleur plutôt que des points sur les dés).

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Pour un enfant déficient visuel, il est nécessaire de contraster les couleurs,
d’augmenter les informations prises par les autres sens (discrimination tactile
par des matières, les reliefs ou auditives par les sons$).
Enfin, pour un enfant myopathe, nous chercherons des plateaux de jeu de
faibles dimensions (jeux de voyage)$
Pour les ergothérapeutes, permettre à une personne en situation de han-
dicap de réaliser dans son environnement des activités qui sont importantes
pour elle peut être thérapeutique en soi. Cela permet d’améliorer son bien-être
et sa qualité de vie.
Pour l’enfant, jouer est important, c’est ainsi qu’il s’éveille, se valorise,
découvre, grandit. Alors, quand il est entravé dans son jeu par un handicap,
l’activité ludique peut être effectuée autrement, en utilisant des outils particu-
liers, des positions particulières ou en modifiant les règles ou les étapes afin
d’éviter échec et frustration. L’ergothérapeute a entre autres pour mission de
permettre à un enfant handicapé de vivre des situations de jeu, pour lui per-
mettre de développer chez lui les dimensions de plaisir, de sens social, de sym-
bolisme, d’éveil sensori-moteur$
L’utilisation de jeux et de matériels de jeux attirants est une des voies à rete-
nir pour accentuer leur désir d’explorer l’environnement et maîtriser les habile-
tés sociales. La plupart des enfants manifestent dans le jeu de la curiosité, de
la spontanéité, certaines initiatives et du plaisir, pas toujours manifestés dans
des activités analytiques. En faisant découvrir à l’enfant le plaisir de l’action, en
l’aidant à développer une attitude ludique (cf. aussi Chapitre 5), grâce aux
adaptations proposées, nous contribuons à lui assurer un quotidien plus satis-
faisant.

RÉÉDUQUER?

$ le plus efficacement des fonctions spécifiquement atteintes. Le jeu se


place alors au service d’un objectif analytique du plan de traitement.
En premier lieu, décortiquer une activité pourra faire émerger une compé-
tence à stimuler chez un enfant. Prenons l’exemple de la manipulation d’un
joystick nécessaire à l’utilisation d’un fauteuil roulant électrique (F.R.E.). Le
maniement correct du joystick requiert de la part de l’enfant entre autres une
compréhension de la notion “d’action réaction”, l’acquisition de la notion de
direction et une maitrise gestuelle fine. Avant de démarrer l’apprentissage du
maniement du F.R.E., nous avons alors recours à des activités similaires met-
tant en jeu les notions qui doivent être maîtrisées. Dans ce cas, chez l’enfant
jeune, l’ergothérapeute met en place un contacteur sur un jouet du commerce
afin que l’enfant perçoive la résultante de son action : presser sur le contacteur
met en route le jouet. Puis, il place le contacteur sur un F.R.E. pour que l’enfant
se rende compte que chaque pression donne lieu à un déplacement. La notion
de direction peut être apprise grâce à des exercices sur papier, des petits logi-
ciels ou encore “la tortue logo”. Il place alors 4 contacteurs (un par direction)
sur le fauteuil. La familiarisation avec un joystick au travers de jeux vidéo per-
met d’acquérir la maîtrise fine du bâtonnet directionnel et de l’intégrer sur le
F.R.E. C’est ainsi que l’apprentissage du F.R.E. est abordé dans un premier
temps comme un jeu avant d’être perçu comme un moyen de déplacement.

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Par ailleurs, l’analyse d’une grande variété de jeux permet de répertorier
ceux qui travaillent la même fonction. Prenons l’exemple d’un enfant dys-
praxique ayant compris la méthode de décomposition d’un dessin en unités
graphiques pour sa reproduction. Il faut maintenant qu’il automatise cet appren-
tissage en le mettant à profit dans diverses activités. Nous pouvons alors lui
proposer au fil des séances des reproductions sur quadrillages, des animaux à
dessiner grâce à la collection de livres “J’apprends à dessiner” de Ph.
Legendre, des cartes à recopier comme dans le “Dessinetto” ou “Mal mal”, un
jeu de société comme le “Listen Up” ou le “Pictionnary”$ Ainsi, nous ne pro-
posons jamais le même support d’exercices, mais l’objectif reste identique. Ni
l’enfant ni le thérapeute ne se lassent, et la compétence s’acquiert au fil des
séances et s’automatise.
Enfin, il peut être utile d’apprendre à l’enfant à analyser lui aussi une activité
afin de déterminer si elle requiert des compétences sur lesquelles il sait être en
difficulté. Par exemple, un enfant présentant des troubles visuo-spatiaux qui
sait reconnaître une dimension de repérage topologique dans des activités cou-
rantes comme se repérer sur un calendrier, se repérer dans les étagères de son
placard, sur un plan de quartier$ saura quelle stratégie mettre en place pour
contourner ses difficultés.

ANALYSE D’UN JEU : LE “RUSH HOUR”


OU “JEU DES EMBOUTEILLAGES”

Dans le commerce, ce jeu (Figure 1) se trouve au rayon des “casse-tête” ou


“jeux de logique”. Il s’agit de placer des véhicules sur le plateau comme indiqué
sur la carte de défi, puis de faire glisser les voitures et les camions vers l’avant
ou vers l’arrière afin de libérer la voiture rouge de l’embouteillage sans jamais

Figure 1. Jeu Rush hour.

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soulever les véhicules du plateau. Si nous utilisons la grille d’analyse de jeu du
G.E.P.P.E., nous nous apercevons que ce jouet met en exergue beaucoup voire
trop de fonctions simultanément (selon la cotation : 0 = compétences peu ou
pas du tout sollicitées / 1 = compétences moyennement sollicitées / 2 = com-
pétences très sollicitées) : pour le jeu du Rush hour, nous mettonspour les fonc-
tions : sensori-motrices = 1 / visuo-spatiales = 2 / praxiques = 1 / exécutives = 2
/ langagières = 0 / logico-math. = 0 / sociales = 0 / narcissique = 1.
Avec ce jeu, nous pouvons donc travailler la motricité fine par le déplace-
ment des véhicules, le repérage spatial par le positionnement des véhicules sur
le plateau comme indiqué sur la carte, l’organisation spatiale par les déplace-
ments des véhicules dans l’espace, les fonctions de planification et d’inhibition
pour la programmation du scénario de déplacement et la confiance en soi par
la satisfaction de la réalisation de défis de difficulté croissante.
Toutefois, lorsque nous travaillons en rééducation, la “loi de l’effort unique”
guide nos pas et s’applique tant dans la gestion de la motricité que dans les
domaines cognitifs. Si nous voulons stimuler une des notions précitées, nous
devons impérativement réduire l’impact énergétique et attentionnel qu’engen-
drent les autres.
En rééducation, pour travailler exclusivement le versant repérage spatial,
nous pourrons utiliser ce support de jeu non pas pour faire sortir la voiture
rouge, mais uniquement pour placer correctement les véhicules sur le plateau.
Nous pourrons aussi faire fabriquer à l’enfant de nouvelles cartes de position-
nement des véhicules, nous lui ferons coder les positionnements comme à la
bataille navale (tableau à double entrée$).
Si nous souhaitons travailler électivement le versant planification spatiale,
nous changerons les règles du jeu : nous fabriquerons des cartes où seuls 3 ou
4 déplacements seront nécessaires pour faire sortir la voiture rouge, le théra-
peute placera les véhicules, les déplacera, mais ce sera l’enfant qui program-
mera les 4 déplacements en visualisant mentalement le résultat.
Nous voyons dans cet exemple qu’un jeu du commerce peut être utilisé
comme outil de rééducation, mais pour qu’il soit efficace, une analyse d’activité
est indispensable pour déterminer l’ensemble des compétences qu’il requiert,
afin de simplifier toutes celles qui ne constituent pas l’objectif de rééducation.

CHOISIR UNE ACTIVITÉ POUR UN ENFANT


Quelles sont les activités que nous pouvons proposer à un enfant suivi en
rééducation ? La réponse à cette question est double : nous pouvons choisir
d’utiliser les jeux du commerce en les adaptant, ou bien créer nous-mêmes nos
propres jeux ou activités pour répondre à un besoin auquel ne répondent pas
les jeux du commerce.

PROBLÉMATIQUE DES JEUX DU COMMERCE

Déjà, en 1988 [Michelet, 1988], lors d’un congrès du C.D.I. (Centre de


Documentation sur l’IMC), un exposé s’intitulait « Jeu handicapé, mais je joue »
et laissait entrevoir les grandes difficultés à trouver des jouets pour les enfants

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handicapés. La notion de dépassement du handicap moteur apparaissait.
Effectivement, quand nous jetons un œil aux rayonnages de magasins de jeux,
nous nous rendons vite compte que tous ne sont pas accessibles aux enfants
handicapés (accès aux règles, mais aussi capacité de prendre les pions$).
Que ce soit des entraves motrices, visuelles ou perceptives, il est de notre
devoir de les surmonter ou même détourner$ ceci dans le but de permettre
aux enfants de jouer seuls ou avec leurs pairs. Nombreux sont les parents qui
questionnent les professionnels sur ce qu’ils peuvent proposer comme jeux :
une étude canadienne a montré que les parents tiennent compte des sugges-
tions de l’ergothérapeute en terme de choix de jeux mais aussi en terme d’ac-
cessibilité [Grondin et al., 2007] « L’ergothérapeute est un intervenant de choix
car il possède les connaissances sur le jeu, l’occupation et le développement
de l’enfant. »
En rééducation, nous nous retrouvons confrontés à une problématique un
peu similaire : les jeux du marché sont nombreux, variés, attractifs, colorés mais
sont faits pour des enfants valides, indemnes de toute déficience. Alors, ils sol-
licitent toutes les fonctions motrices et cognitives en même temps, sans
d’ailleurs que ces enfants s’en aperçoivent. Lorsque nous voulons les utiliser
comme support lors de nos séances, pour la rendre ludique, les difficultés
s’amoncèlent, le thérapeute s’empêtre dans des explications pour tenter de
faire accéder l’enfant au jeu dans son entier, l’enfant se sent perdu, le jeu n’a
plus ni valeur thérapeutique, ni valeur re-narcissique !
Même le commerce dit “spécialisé” vend des jeux qui sollicitent plusieurs
fonctions simultanément. C’est de toute façon inévitable : les fonctions céré-
brales fonctionnant en réseau, il est très difficile de solliciter une aire cérébrale
sans réveiller ses collègues ! Le jeu de dominos en est un exemple flagrant :
derrière une apparence de simplicité, il fait appel à de multiples compétences :
la recherche visuelle sur la table, la connaissance des constellations, la com-
préhension du symbolisme et la notion de nombre de 1 à 6, le respect d’une
consigne et d’une règle sociale (notion de chacun son tour).
L’ergothérapeute a donc tout le loisir de piocher dans les catalogues des hyper-
marchés ou des magasins spécialisés, tout en gardant à l’esprit que le jeu ne reste
qu’un support de rééducation, il doit bénéficier d’une réflexion, d’une analyse ciné-
siologique et neuropsychologique pour l’adapter aux besoins de l’enfant.

POURQUOI ET COMMENT CRÉER SES PROPRES EXERCICES

Nous l’avons vu, les jeux du commerce ont l’avantage d’être variés, colorés,
attrayants, aux normes$ mais ne sont pas adaptés aux enfants handicapés,
car souvent trop complexes dans leur manipulation ou le raisonnement qu’ils
requièrent.
Alors, l’ergothérapeute, souvent surnommé “Mac Giver” ou “Bricolo-
(wo)man”$ doit déployer des trésors d’imagination et de créativité pour créer
LE jeu qui conviendra à Fabien, L’activité qui fera progresser Xavier dans sa
rééducation.
L’imagination et la créativité sont deux qualités indispensables pour tout
ergothérapeute, d’autant plus en pédiatrie car l’enfant n’a pas encore
conscience qu’il doit travailler, faire des efforts pour être acteur de sa rééduca-

259
tion, il ne se motive que par l’aspect attractif des supports d’exercice proposés.
Alors, pour répondre aux objectifs que nous fixons dans le plan de traitement,
nous détournons les règles d’un jeu, nous inventons des exercices, des activi-
tés, des jeux.
Ce travail ne se fait pas sans effort et sans temps$ Après avoir déterminé
la fonction à solliciter spécifiquement, un processus de créativité se met en
route : quel est l’un des centres d’intérêt de l’enfant pour qui je crée ce jeu ?
Comment utiliser ce centre d’intérêt pour l’amener à travailler la fonction en
question ? Quel support vais-je créer ? Quel contexte ? Quelles règles ? Quelle
évolutivité dans le temps ?...
Nous déterminons souvent des personnages, des couleurs, des décors$
qui seront le théâtre de notre séance. La phase de réflexion achevée, pas-
sons à la fabrication : ciseaux, colle, carton et crayons de couleur pour les
uns, images informatiques, imprimante et plastifieuse pour les autres !
Chacun sa méthode, pourvu que le résultat plaise à l’enfant et satisfasse
notre objectif !
Pour mener à bien cette démarche de réflexion et de conception, il faut du
temps$ car nous n’avons ni un seul enfant à suivre ni un seul objectif à atteindre
pour lui. Toutefois, plus nous devenons à l’aise avec la création d’activité, plus elle
va vite et s’avère efficace. De plus, une partie du matériel peut servir pour un
autre enfant, en changeant quelque peu le décor selon ses centres d’intérêt !

EXEMPLES DE CRÉATION D’ACTIVITÉ


POUR DEUX ENFANTS DIFFÉRENTS

Nous avons vu que le processus de création nécessite des idées, du temps


et du matériel$ mais est-ce que le jeu n’en vaut pas la chandelle pour sollici-
ter chez l’enfant des compétences sans qu’il s’ennuie, se lasse ou se braque,
trouvant l’activité trop scolaire, trop guidée, trop “pas drôle” !
Laëtitia a 9 ans, elle présente une hémiplégie droite, séquelle d’une ménin-
gite survenue à l’âge de 6 ans. En centre de rééducation, elle a été relatérali-
sée à gauche. Actuellement suivie en service de soin à domicile, elle est sco-
larisée en intégration individuelle en CE2 dans l’école du quartier.
En ergothérapie, parmi les objectifs à atteindre, nous sélectionnons celui de
la stimulation de la dextérité manuelle fine, des différentes coordinations et de
la manipulation des outils scolaires$ Afin de ne pas ennuyer Laëtitia par un tra-
vail trop analytique, différentes activités manuelles sollicitant les compétences
visées lui sont proposées : elle aime beaucoup les accessoires vestimentaires
colorés, multi-matières, fun et design. Nous lui proposons donc la réalisation
d’un porte-clés en mousse. Elle décide de créer un petit chat gris. A chaque
séance, elle consacre le dernier quart d’heure à cette réalisation. Elle doit choi-
sir et peindre une perle de 2 cm de diamètre constituant la tête, y dessiner la
moustache, y passer un fil de fer plié en deux parties égales, préalablement
passé avec l’attache porte-clés. Ensuite, elle trace des cercles de différents dia-
mètres avec un gabarit de formes style pochoir, les découpe, les perce en leur
centre et les enfile sur le fil de fer pour constituer le corps. Pour finir, elle doit
mettre un fil de fer transversal sur lequel elle enfile de plus petits cercles de
mousse pour faire les pattes avant et arrière, et la queue (Figure 2).

260
Figure 2. Réalisation de Laëtitia.

Au travers de cette activité, nous sollicitons non seulement les coordinations


et la motricité fine$ mais aussi les manipulations des outils scolaires pour tra-
cer, découper, peindre, enfiler$ Dans le cas de Laëtitia, la main gauche sert de
main de fonction alors que la droite est suppléante.

Karl a 8 ans, il présente une dyspraxie de développement, il est scolarisé en


CE2 dans l’école de son quartier. Il a commencé ses premières séances de
rééducation il y a 2 mois, avec son entrée au service de soin à domicile.
Aujourd’hui, notre objectif est la rééducation de son écriture manuscrite, les tra-
jectoires de ses lettres étant chaotiques. Pour ce faire, une des stratégies
consiste à verbaliser la succession des unités graphiques qui composent une
lettre, un mot. Il faut donc développer un vocabulaire spatial spécifique des uni-
tés graphiques et des trajectoires. Pour développer et ancrer l’utilisation de ce
vocabulaire, nous avons créé un jeu qui correspondait à l’une des passions de
Karl : l’archéologie. Karl dispose d’un plan pour se rendre de l’entrée d’un sou-
terrain à une pièce secrète contenant de l’or. Le plan est un quadrillage et le
chemin est matérialisé par une succession d’unités graphiques sur ce qua-
drillage. Le thérapeute et Karl jouent chacun leur tour à être le chercheur d’or
qui se déplace dans le souterrain ou l’assistant de Karl qui lui dicte la succes-
sion des unités (trait couché qui avance, trait oblique qui monte et recule, pont
en avant$) (Figure 3). Ainsi, Karl a appris très vite les mots de vocabulaire et
le sens associé, gagné par la motivation de découvrir de l’or (matérialisé par
des boutons dorés).

261
Figure 3. Exercice de prégraphisme pour Karl.

CONCLUSION
Il nous semble important d’insister sur l’importance pour l’ergothérapeute de
connaître le principe de l’analyse d’activité et de l’appliquer systématiquement.
Analyser la tâche permet d’adapter le plus précisément possible une activité,
un jeu, un exercice à un objectif précis du projet de soin de son patient.
Cette manière de concevoir la rééducation de l’enfant pourrait laisser pen-
ser que nous nous positionnons en marge du modèle ludique [Ferland, 2003].
Il n’en est rien$ Ce sont deux modalités rééducatives complémentaires que
nous adoptons et que nous adaptons selon l’âge de l’enfant suivi, la sévérité de
son handicap et l’objectif de notre plan de traitement.
Ecouter la demande des parents et prendre le temps de les conseiller avec
notre regard d’ergothérapeute permet aussi l’intégration de plus d’activités
ludiques dans le quotidien de l’enfant, d’ouvrir vers un répertoire d’activités et
de jeux plus grand et permet aux parents de reconnaître les compétences de
leur enfant, ses intérêts, le bien-être que l’activité ludique lui procure$
Alors, que ce soit pour aider un enfant à utiliser du matériel qui n’est pas
adapté à son handicap ou pour l’aider à acquérir une compétence sensori-
motrice ou cognitive complexe, l’ergothérapeute crée ses propres jeux, ses
propres activités et les adapte aux possibilités et aux centres d’intérêt de son
patient. Il doit se sentir en droit de prendre du temps pour créer ses propres
activités, jeux et exercices, c’est à ce prix que sa rééducation sera efficace et
sa valeur thérapeutique reconnue.

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Le site du Réseau Nouvelles Technologies : http://rnt.over-blog.com/
Le site de formations et logiciels pour l’éducation spécialisée : http://www.logi-
comfrance.com

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