Vous êtes sur la page 1sur 4

PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences

n° 03 Novembre/Décembre 2008/Janvier 2009

24 Reportage

Architecture traditionnelle dans les monts Mandara


du Cameroun

L
’une des productions cul-
turelles dont l’Afrique peut ASPECTS
MATÉRIELS ET
être fière aujourd’hui est
sans doute son architecture. Au cen-
tre du rayonnement des grands roy-
aumes africains (Ghana, Tom-
bouctou, Gao), l’architecture occu-
pait une place de choix. Les idéo-
logues de la colonisation européen-
ne ont refusé d’admettre l’africanité IMMATÉRIELS

du Great Zimbabwe à cause de sa fab- 1. Une architecture qui A. LA PIERRE, UNE BASE
DE L’ARCHITECTURE
uleuse architecture qui témoignait
d’un savoir technique exceptionnel en
utilise les matériaux et Les massifs montagneux des monts
Mandara ont permis la mise en place
matière de construction1. À côté de les savoir-faire locaux d’un style architectural essentielle-
ses architectures monumentales L’architecture montagnarde des ment bâti en pierres. Son utilisation
exposées dans les ouvrages et monts Mandara du Cameroun atteste dans le bâti a certainement à voir avec
manuels scolaires, l’Afrique dispose d’une grande maîtrise technique et la rareté de l’argile rouge et à la
aussi d’autres œuvres architecturales d’une parfaite adaptation à l’environ- pénurie d’eau dans la région, surtout
plus ou moins originales mais peu nement. Les principaux matériaux de que le travail architectural se déroulait
connues. Longtemps qualifiés de « construction sont la pierre, le bois et en saison sèche. Dans l’entreprise de
vernaculaires » par les chercheurs l’argile directement issus des éléments construction, les Podokwo, groupe
occidentaux parce qu’étant le produit du milieu naturel3.
d’une culture traditionnelle locale, ÎÎÎ
l’architecture montagnarde des
monts Mandara2 du Cameroun fait
1 L’édification du Great Zimbabwe est pourtant antérieure à l’arrivée des Européens dans cette région. Ce site témoigne
d’un savoir technique hautement appréciable que les idéologues coloniaux se refusaient à admettre comme d’orginie africaine.
Ils attribuèrent plutôt sa construction aux Arabes ou aux Phéniciens. La question de savoir qui est a érigé Great Zimbabwe
partie de ces productions architec- a suscité des véritables batailles rangées dans les années 1970. Ceux qui ne cessèrent d’affirmer qu’il était africain furent
maltraités et emprisonnés. Pour plus de détails sur cette question, se référer à Malaquais Dominique, 2001, pp. 13-15.
turales qui restent à être connues du 2 Les monts Mandara du Cameroun sont une région montagneuse dans laquelle vivent divers groupes ethniques, en particulier les Mada,
les Mouktélé, les Guemdjek, les Podokwo, les Kapsiki, les Bana, les Gudé, les Mafa, les Vamé-brémé, les Ouldémé, les Molkwo…
public africain. Ces montagnes ont été appelées Monts Mandara par les géographes allemands en raison de la présence du royaume du même nom installé à leur pied.
En 1991, la population de cette région avait une densité de 150 habitants au km2, l’une des plus élevées au Cameroun.
Les différentes ethnies ot mis en place une culture architecturale presque identique en dépit de légères différences
en ce concerne l’organisation intérieure de l’habitat. Pour plus de détails, voir Seignobos Christian, 1982.
3 Sur l‘utilisation des matériaux locaux de construction, voir Chetima Melchisedek, 2006, pp. 41-50.

Revue trimestrielle éditée par le Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences
n° 03 Novembre/Décembre 2008/Janvier 2009

Article thématique 25
G réalisé par Melchisedek CHÉTIMA
Doctorant - Département d’Histoire - Université de Ngaoudéré (Cameroun)

ÎÎÎ ethnique des monts Mandara, sculp- n’est pas sélectionné pour les besoins de C. L’ARGILE :
taient remarquablement la pierre qu’ils constructions car sa longévité pourrait PRIORITÉ À LA
utilisaient pour bâtir des édifices être réduite sous l’action néfaste des TERRE TERMITIÈRE
imposants. La construction en pierre insectes xylophages et de l’humidité. En L’argile est un autre
avait atteint un si haut degré de perfec- revanche, le bois qui ne cède que diffi- élément caractéristique
tionnement et de qualité artistique cilement est doté d’une ténacité qui lui de l’architecture tradi-
qu’elle constitue aujourd’hui le patri- permet de résister longtemps aux tionnelle dans les
moine culturel le plus apprécié des piqûres de certains insectes. Ce sont ces monts Mandara du
monts Mandara. Pour obtenir les pier- arbres qui sont sélectionnés pour les bois Cameroun. Étant à la
res de construction, il fallait d’abord de la charpente et pour les perches de disposition de tous, la
débiter les grands blocs rocheux. La soutènement. Ainsi, quoiqu’étant le plus terre est le plus ancien
casse des pierres constituait un travail abondant dans la région, le Ziziphus des matériaux de con-
communautaire. C’est l’occasion de se mauritania n’était pas l’arbre de struction et reste très présente dans le
rencontrer avec les autres habitants du prédilection pour les besoins de con- monde et surtout en Afrique. Parmi les
village, de prodiguer des conseils aux struction. Les montagnards lui préfèrent réalisations en terre, on peut citer les
jeunes, de régler les différends entre le Terminalia brownii à cause de son car- cases-obus des Musgum à l’Extrême-
les membres de la communauté, de actère résistant6 (fig. 2). Nord du Cameroun, les lamidats peuls
manger ensemble et de renforcer les À cause de son importance, il était du Nord-Cameroun, les célèbres cases
liens de solidarité4. Avec les pierres, strictement interdit d’abattre un arbre à traditionnelles dans les monts Mandara,
les montagnards construisaient la case des fins autres que celle d’obtenir des les mosquées et villes du Mali (Djenné,
du père, les case-vestibules, les enclos bois d’œuvre pour l’architecture et pour Tombouctou et Gao). Au Moyen Orient
à bétail. Ils édifiaient surtout des le chauffage des structures pendant la et au Maghreb, on peut citer les médinas
grands murs encerclant toute la con- saison fraîche. L’aménagement des mas- et les architectures islamiques. En
cession. C’est le cas du mur podokwo sifs en terrasse participe de cette volonté Europe également l’architecture de terre
et mofu (figure 1). Les Mafa, les d’assurer la continuité des espèces végé- était présente. C’est le cas des bourrines
Mouktélé et les Ouldémé construisent tales7. La terrasse protège en effet les vendéennes et de nombreuses fermes et
plutôt de petits murets reliant les dif- arbres de l’érosion agressive sur les habitations en Espagne, au Portugal et en
férentes structures (case à coucher et pentes abruptes. Cependant, en raison de Italie. Aujourd’hui, une centaine de bâti-
cuisine) entre elles de façon à former la démographie galopante et de la ments et monuments en terre sont
une concession. Matériau le plus abon- rigueur du climat, les espèces végétales inscrits sur la Liste du Patrimoine mon-
dant dans l’aire géographique podok- performantes se raréfient de plus en plus. dial par l’UNESCO. On doit surtout s’é-
wo, la pierre est par conséquent le plus Ce qui amène à cerner les problèmes liés tonner de comment, dans un environ-
employé et elle conservera ce mono- à l’environnement dans la modification nement aussi montagneux que celui des
pole jusqu’au moment où les Podokwo du style architectural dans les monts monts Mandara, la terre s’est-elle
vont descendre en plaine5. Mandara. L’écologie pose en effet le inscrite comme un des matériaux les
problème d’accès aux ressources végé- plus prisés pour la construction ?
B. LE BOIS : UNE SÉLECTION POUR tales qui se raréfient avec l’avancée du On rencontre plusieurs catégories de
LA LONGÉVITÉ DES ŒUVRES, désert et de la sècheresse combinée à sols dans les monts Mandara, mais
DES PROBLÈMES DE DURABILITÉ l’accroissement démographique. Néan- toutes ne se prêtent pas au travail archi-
L’arbre joue un rôle important au sein moins, les communes rurales, le Projet tectural. Seul le sol composé d’un
de la société podokwo. La vie chez le de Développement de la Région des mélange d’argile rouge et de sable était
montagnard est étroitement liée à la monts Mandara (PDRM) et La Deutsche sélectionné. Les différents peuples
plante, d’où la place de choix qu’elle Gesellschaft für Technische Zusamme- accordent surtout la priorité à la terre ter-
occupe dans cette société. Le couvert narbeit (GTZ) (Coopération Technique mitière qui contient un mélange d’argile
végétal procure par exemple alimenta- Allemande) mènent depuis un certain et de sable nécessaire pour assurer à la
tion, parure, remède, outils agricoles et nombre d’années des actions de reboise- case une grande longévité. Les sols
mobiliers intérieurs. Dans le travail ment. Mais le problème demeure encore argileux sans un mélange de sable
architectural, les bois servent à confec- entier. La dégradation de l’environ- provoquent le fendillement du mur. De
tionner les hangars et entrent dans la fab- nement végétal va favoriser l’usage de même les sols sableux se détrempent
rication des mobiliers intérieurs des nouveaux matériaux de construction assez rapidement sous l’effet des eaux
cases (siège, lit en bois, mortier…). comme les planches et les bois de pluie. Ces deux types de sols (sol
L’arbre fournit surtout des perches qui disponibles dans les magasins. Ils vont argileux et sol sableux) n’étaient par
constituent la charpente de la toiture. Un ravir au bois traditionnel la primauté conséquent pas utilisés dans l’architec-
certain nombre d’essences sont sélec- dans la confection des toits des dif- ture.
tionnées à cette fin et sont traitées en tail- férentes structures. ÎÎÎ
lis. L’instrument de test pour la sélection
des bois d’œuvre archi-
tecturale est la hache. En 4 Dans la plupart des sociétés africaines en général, l’architecture constituait un travail communautaire ; tous pouvaient être architectes sans exception. Si l’entreprise de construction
est exclusivement réservée aux hommes dans les monts Mandara, les femmes se retrouvent aussi sur les lieux de construction pour encourager les bâtisseurs, préparer la bière du

effet, lors de l’abattage, le mil et remplir des fonctions d’appui tel que le puisage d’eau. Sur le sens des travaux communautaires autour de l’architecture, voir Chetima Melchisedek, 2006.
5 Cette descente fut particulièrement encouragée par l’administration locale dans les années 1970, dans le but de rendre accessibles aux montagnards certaines facilités et services

bois qui cède facilement publics : l’école, les centres de santé et l’eau potable. Plusieurs chefs traditionnels ont été contraints de descendre en plaine afin de servir d’exemples à leurs populations respectives.
Seul le chef d’Oudjila fut encouragé à rester dans les montagnes en raison de l’activité touristique qui se pratiquait dans sa localité. Pour plus de détails, voir Boutrais Jean, 1973.
6 Seignobos Christian et Iyebi-Mandjek Olivier, Atlas de la province de l’Extrême-Nord, Paris Ed. IRD, p.38
à l’action du bûcheron 7 Les terrasses sont les caractéristiques de tous les paysages des Monts Mandara. Partout dans ces montagnes se succèdent ces petites terrasses, de bas en haut, ressemblent à de
petits murets en pierres et dont la hauteur correspond à la raideur de la pente. L’objectif de la terrasse est de lutter contre l’érosion du sol,
la disparition des espèces végétales et de garantir la fertilisation du sol. Selon nos informateurs, les terrasses seraient l’héritage des peuples plus anciens et rappelleraient ainsi une
occupation ancienne des Monts Mandara. Le lecteur pourra se référer à Yengué Jean-Louis et Génin Alain, 2006, p. 2 et à Louléo Jean, 1988, qui abordent en détails
ces cultures en terrasses, témoins d’un savoir-faire agricole vieux de plusieurs siècles.

Revue trimestrielle éditée par le Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences
n° 03 Novembre/Décembre 2008/Janvier 2009

26 Reportage

royaumes comme le Baguirmi et le


Bornou. L’altitude permettait ainsi aux
montagnards d’observer tout mouve-
ment dans les plaines et de deviner tout
ce qui s’y déroulait afin d’informer la
population en cas d’incursions en direc-
tion des montagnes. Ainsi, convenait-il
de hisser sa demeure au plus haut de la
colline et prévoir l’entrée principale de
sa concession à un endroit où les regards
se perdent dans l’espace et permettent
ÎÎÎ L’extraction d’argile se fait au moyen 2. Une architecture qui une vue assez large de celle-ci. L’or-
d’une pioche. La technique de transfor- ganisation intérieure de l’habitat elle-
mation est celle du modelage en vue révèle le mode de vivre et même renvoie à ce contexte d’insécuri-
d’obtenir le torchis. La terre est ainsi té. On ne pénètre dans une concession
mélangée à de l’eau à laquelle on ajoute d’habiter des population aussi grande soit-elle que par une case-
de la paille ou de la bouse. Ce mélange Une autre vertu de l’architecture tradi-
tionnelle dans les monts Mandara est vestibule qui constitue le lieu de repos
d’argile et de paille est longuement du chef de famille. Après la traversée du
malaxé pour dégraisser l’argile et éviter qu’elle reste intimement liée à son envi-
ronnement culturel. Avant toute entrepri- premier vestibule, le visiteur fait face à
aux cases les fendillements après une série de vestibules s’apparentant à
séchage. La paille constitue ainsi le se de construction, des rites et sacrifices
étaient réalisés sur le site pour respecti- un long couloir étroit et obscur. À cette
dégraissant et donne au mur plus de tenu étroitesse des couloirs s’ajoutent les
contre les averses. vement en vérifier l’habitabilité et
implorer les divinités locales de protéger dénivellations du sol qui compliquent
L’utilisation du torchis dans l’archi- davantage les déplacements. Un non-ini-
tecture était variée. Mais elle servait les membres de la future concession.
Ces rites et sacrifices sont suivis de tié aura certainement besoin d’être guidé
surtout à construire les greniers et les avant d’accéder à l’intérieur de la
cases des épouses. Le domaine de prières pour implorer les dieux d’accor-
der la prospérité et la longévité aux concession.
l’homme était construit en pierres Le mode d’habiter obéit lui aussi à la
soudées entre elles par des couches membres de la future concession.
L’habitat montagnard est donc fonda- logique de sécuriser les femmes, les
d’argile. Ce choix des matériaux en enfants et les récoltes. La case du père
fonction du genre n’était pas gratuit. mentalement religieux et représente le
lieu prisé pour le culte. Il existe à cet est toujours située à l’entrée de la
La pierre dans l’imagerie montagnarde concession pour lui permettre de jouer
était symbole de l’éternité, du pouvoir effet des cases cérémonielles dans
chaque concession montagnarde. Chez son rôle de vigile. Il est toujours muni de
et de l’autorité tandis que l’argile était ses matériels de guerre qu’il utilise pour
symbole de la soumission, de la docil- les Ouldémé, un autel réservé aux
ancêtres est installé au pied du grenier de se défendre des agressions extérieures.
ité et de la servilité. Dans cette per- L’aire des greniers et le quartier des
spective les femmes et les enfants en l’homme. Les ancêtres sont enterrés à
l’entrée de la concession protégeant épouses sont situés au fond de la conces-
bas âge ne pouvaient habiter dans une sion et par conséquent les non-initiés au
case en pierres. « Les femmes sont ainsi ceux qui y vivent. Chez les
Mouktélé et Vamé-brémé, on aperçoit domaine ne peuvent pas facilement y
fragiles comme de l’argile, c’est arriver sans se faire attraper par le chef
pourquoi elles doivent habiter dans des les traces d’eau de farine et de vin offert
en libation aux ancêtres au pied des gre- de famille ou par ses fils pubères. Il res-
cases d’argile », nous confient sort que l’histoire occupe une place de
régulièrement nos informateurs lors niers de l’homme. Chez les Podokwo,
c’est plutôt la bouse du bœuf sacrifié aux choix dans l’architecture montagnarde
des enquêtes de terrain. des monts Mandara, une architecture qui
Matériau fragile certes, la terre con- ancêtres qu’on aperçoit sur le mur du
grenier. On trouve aussi dans toutes les devient dès lors une donnée éducatrice,
stitue cependant une matière de pre- édificatrice sur l’histoire des différentes
mière nécessité et reste hautement ethnies des cases contenant des pots
ancestraux dans lesquels sont recueillies communautés. Elle permet aux popula-
apprécier des montagnards. Elle tions d’entretenir leur passé, de le revisi-
présente l’avantage d’être utilisable à les “âmes” des ancêtres à leur décès. Si
vous posez la question à un petit enfant ter et de le revitaliser.
plusieurs reprises. Par exemple, en cas
d’écroulement d’une structure, on peut sur la valeur de ces pots, il vous répon-
récupérer le torchis, l’humecter à nou- dra « ceci est mon grand-père, cela est 3. Une architecture en
veau et le dégraisser en y ajoutant un mon bisaïeul… ». voie de disparition
mélange de paille. Par ailleurs, la terre Parce qu’elle est traditionnelle, l’ar- La première menace qui pèse sur l’ar-
s’est imposée comme matériau de chitecture dans les monts Mandara est chitecture traditionnelle dans les monts
prédilection à cause de ses caractéris- aussi dotée d’un potentiel d’historicité et Mandara est la descente en plaine. Cette
tiques naturelles. Elle fait écran ther- raconte l’histoire des différentes ethnies descente a été particulièrement influen-
mique et joue le rôle de “climatiseur et leur mode d’organisation de l’espace. cée par la politique de l’État qui voulait
naturel”. C’est pourquoi les cases des La situation en altitude des habitations faire bénéficier les montagnards de cer-
épouses offrent un abri où il fait beau renseigne sur le contexte d’insécurité qui taines facilités (l’école, les centres de
temps et où l’air est respirable (fig. 3). prévalait dans la région avec les razzias santé, l’accès à l’eau potable…). Or la
esclavagistes que menaient certains plaine n’offrait pas les éléments rocheux
ÎÎÎ
Revue trimestrielle éditée par le Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences
n° 03 Novembre/Décembre 2008/Janvier 2009

Article thématique 27
G réalisé par Melchisedek CHÉTIMA
Doctorant - Département d’Histoire - Université de Ngaoudéré (Cameroun)

ÎÎÎ indispensables pour la construction de ce


qui va entraîner l’abandon des cases en
pierres. La descente en plaine a entraîné
la disparition de plusieurs localités dans
les monts Mandara. C’est le cas de cer-
tains villages Guemzek dans lesquels il
ne reste que des ruines et vestiges archi-
tecturaux. Beaucoup arguent cependant
que c’est le caractère éphémère des
matériaux locaux par rapport aux maté-
riaux dits modernes qui est à l’origine de
l’abandon des habitats traditionnels.
L’utilisation du bois et des tiges de mil
nécessite un travail de réfection réguliè- louer les services de spécialistes en vue tionnelle de la disparition. Les projets de
re tous les 3 à 5 ans alors qu’une de se construire une « belle » habitation. réhabilitation pourront d’ailleurs limiter
construction qui utilise les tôles ondulées Aujourd’hui, toutes les élites (politiques, l’exode rural des jeunes en intégrant l’ar-
s’avère durable et nécessite moins d’en- économiques et intellectuelles) construi- chitecture traditionnelle dans les projets
tretien. Certains matériaux locaux tels sent des maisons “modernes”. Les popu- de développement rural. La Convention
que la pierre demandent un travail épui- lations, influencées par l’attitude des de l’UNESCO sur le Patrimoine imma-
sant alors que les parpaings sont de tra- élites, abandonnent elles aussi leurs mai- tériel signée en 2003 s’est donnée pour
vail simple et moins épuisant. sons de montagne pour habiter en plaine ambition de protéger les aspects immaté-
On ne saurait cependant conclure hâti- dans des constructions modernes. Cette riels du patrimoine. Or, la disparition de
vement que les matériaux locaux sont situation va dans un proche avenir son- l’architecture traditionnelle africaine
moins performants par rapport aux maté- ner le glas de l’architecture traditionnel- entraînera la fin du rayonnement de la
riaux modernes. L’agréable fraîcheur des le dans les monts Mandara. culture immatérielle qui lui reste intime-
cases traditionnelles en pleine saison ment liée. G
sèche n’est-elle pas appréciable ? La CONCLUSION
lente déperdition de la chaleur produite à La sauvegarde de l’architecture tradi-
l’intérieur en période de fraîcheur n’est- tionnelle africaine est une nécessité
urgente. Il convient de saluer à cet effet
elle pas aussi une qualité ?
les actions que mène le programme
RÉFÉRENCES
Une autre menace que subit l’architec-
ture montagnarde des monts Mandara Africa2009 à travers l’organisation des BIBLIOGRAPHIQUES
est l’exode rural. Toutes les localités se stages et des actions d’éducation et de
sont vidées de leurs jeunes gens à la sensibilisation en direction de tout le Boutrais Jean, 1973, La colonisation
recherche d’une vie idéale en ville. Dans public8. Africa2009 devra davantage de la plaine par les montagnards du
un contexte où la transmission du savoir élargir son champ d’action vers les aca- Nord-Cameroun (monts Mandara),
architectural se fait à travers le geste et la démiciens. Il devra par exemple mettre Paris, Ed. ORSTOM.
parole (savoir par imitation), l’architec- en place une banque de données et une Chetima Melchisedek, 2005, « Pa-
ture se trouve paralysée et voit sa fin à revue de publication et de vulgarisation trimoine architectural podokwo dans le
l’horizon se dessiner. qui permettront aux chercheurs africains Mayo-Sava du XIXe-XXe siècles »,
La modernité et l’accroissement du de publier leurs travaux de recherche. mémoire de maîtrise d’histoire, Uni-
pouvoir d’achat des populations sont L’École du Patrimoine Africain (EPA) versité de Ngaoundéré.
deux autres facteurs qui menacent la sur- est elle aussi engagée dans cette initiati- Louléo Jean, 1988, « Évolution des
vie de l’architecture traditionnelle dans ve de sauvegarder et de valoriser les systèmes agraires mafa : le cas de
les monts Mandara. Ils ont favorisé le biens mobiliers et immobiliers dont est Soulédé », mémoire de maîtrise de
cloisonnement du savoir architectural en dépositaire l’Afrique. TERRA 2008 de géographie, Université de Yaoundé.
attribuant aux seuls spécialistes ce qui concert avec Africa2009 et le Centre Malaquais Dominique, 2001, Archi-
appartenait à toute la communauté. International d’Etudes pour la Conser- tecture, pouvoir et dissidence au Ca-
Quant au tourisme, son rôle est plutôt vation et la Restauration des Biens meroun, Paris, Éd. Karthala/Presses de
ambiguë et controversé. Il favorisa dans Culturels (ICCROM) a tenu une confé- l’UCAC.
un premier temps la sauvegarde de l’ar- rence en février 2008 à Bamako sur les Seignobos Christian et Iyebi -
chitecture traditionnelle dans plusieurs atouts de l’architecture de terre et sur la Mandjek Olivier, 2000, Atlas de la pro-
localités en particulier chez les Kapsiki nécessité de les valoriser dans le but d’en vince de l’Extrême-Nord, Paris, Éd.
et les Oudjila. L’architecture locale et faire un élément moteur du développe- IRD.
d’autres productions et manifestations ment. Seignobos Christian, 1982, Nord-
culturelles constituaient en effet une À l’échelle mondiale, des efforts sont Cameroun, montagnes et hautes terres,
matière touristique importante. Mais le aussi menés par les diverses instances Roquevaire, Éd. Parenthèses.
développement du tourisme a, plus tard, internationales. La déclaration d’Istan- Yengué Jean-Louis et Génin Alain,
produit des effets inattendus. Il a accru le bul sur les Établissements Humains rati- 2006, « Les paysages des Monts
pouvoir d’achat des chefs traditionnels et fiée en 1996 par plusieurs États Mandara (Nord du Cameroun): aspect
de leurs populations qui vont acheter les membres de l’UNESCO témoigne de naturel d’une production humaine ou
nouveaux matériaux de construction, cette prise de conscience collective sur la nature sauvage préservée ? », in
nécessité de sauver l’architecture tradi- Interactions Nature-Société, analyse et
modèles, La Baule, UMR 6554 LETG.
8 Africa2009 est un programme dont l’ultime but est de sauvegarder la production architecturale. Africa2009 organise à cet effet des séminaires et con-
férences à l’intention des professionnels du patrimoine. C’est dans cette perspective que s’est tenu en 2005 un séminaire, sur le thème : « Conservation
et valorisation de l’architecture traditionnelle en Afrique subsaharienne ». Pour plus de détails sur ce programme, consultez le site www.africa2009.net.

Revue trimestrielle éditée par le Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Vous aimerez peut-être aussi