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24 Reportage
L
’une des productions cul-
turelles dont l’Afrique peut ASPECTS
MATÉRIELS ET
être fière aujourd’hui est
sans doute son architecture. Au cen-
tre du rayonnement des grands roy-
aumes africains (Ghana, Tom-
bouctou, Gao), l’architecture occu-
pait une place de choix. Les idéo-
logues de la colonisation européen-
ne ont refusé d’admettre l’africanité IMMATÉRIELS
du Great Zimbabwe à cause de sa fab- 1. Une architecture qui A. LA PIERRE, UNE BASE
DE L’ARCHITECTURE
uleuse architecture qui témoignait
d’un savoir technique exceptionnel en
utilise les matériaux et Les massifs montagneux des monts
Mandara ont permis la mise en place
matière de construction1. À côté de les savoir-faire locaux d’un style architectural essentielle-
ses architectures monumentales L’architecture montagnarde des ment bâti en pierres. Son utilisation
exposées dans les ouvrages et monts Mandara du Cameroun atteste dans le bâti a certainement à voir avec
manuels scolaires, l’Afrique dispose d’une grande maîtrise technique et la rareté de l’argile rouge et à la
aussi d’autres œuvres architecturales d’une parfaite adaptation à l’environ- pénurie d’eau dans la région, surtout
plus ou moins originales mais peu nement. Les principaux matériaux de que le travail architectural se déroulait
connues. Longtemps qualifiés de « construction sont la pierre, le bois et en saison sèche. Dans l’entreprise de
vernaculaires » par les chercheurs l’argile directement issus des éléments construction, les Podokwo, groupe
occidentaux parce qu’étant le produit du milieu naturel3.
d’une culture traditionnelle locale, ÎÎÎ
l’architecture montagnarde des
monts Mandara2 du Cameroun fait
1 L’édification du Great Zimbabwe est pourtant antérieure à l’arrivée des Européens dans cette région. Ce site témoigne
d’un savoir technique hautement appréciable que les idéologues coloniaux se refusaient à admettre comme d’orginie africaine.
Ils attribuèrent plutôt sa construction aux Arabes ou aux Phéniciens. La question de savoir qui est a érigé Great Zimbabwe
partie de ces productions architec- a suscité des véritables batailles rangées dans les années 1970. Ceux qui ne cessèrent d’affirmer qu’il était africain furent
maltraités et emprisonnés. Pour plus de détails sur cette question, se référer à Malaquais Dominique, 2001, pp. 13-15.
turales qui restent à être connues du 2 Les monts Mandara du Cameroun sont une région montagneuse dans laquelle vivent divers groupes ethniques, en particulier les Mada,
les Mouktélé, les Guemdjek, les Podokwo, les Kapsiki, les Bana, les Gudé, les Mafa, les Vamé-brémé, les Ouldémé, les Molkwo…
public africain. Ces montagnes ont été appelées Monts Mandara par les géographes allemands en raison de la présence du royaume du même nom installé à leur pied.
En 1991, la population de cette région avait une densité de 150 habitants au km2, l’une des plus élevées au Cameroun.
Les différentes ethnies ot mis en place une culture architecturale presque identique en dépit de légères différences
en ce concerne l’organisation intérieure de l’habitat. Pour plus de détails, voir Seignobos Christian, 1982.
3 Sur l‘utilisation des matériaux locaux de construction, voir Chetima Melchisedek, 2006, pp. 41-50.
Revue trimestrielle éditée par le Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences
n° 03 Novembre/Décembre 2008/Janvier 2009
Article thématique 25
G réalisé par Melchisedek CHÉTIMA
Doctorant - Département d’Histoire - Université de Ngaoudéré (Cameroun)
ÎÎÎ ethnique des monts Mandara, sculp- n’est pas sélectionné pour les besoins de C. L’ARGILE :
taient remarquablement la pierre qu’ils constructions car sa longévité pourrait PRIORITÉ À LA
utilisaient pour bâtir des édifices être réduite sous l’action néfaste des TERRE TERMITIÈRE
imposants. La construction en pierre insectes xylophages et de l’humidité. En L’argile est un autre
avait atteint un si haut degré de perfec- revanche, le bois qui ne cède que diffi- élément caractéristique
tionnement et de qualité artistique cilement est doté d’une ténacité qui lui de l’architecture tradi-
qu’elle constitue aujourd’hui le patri- permet de résister longtemps aux tionnelle dans les
moine culturel le plus apprécié des piqûres de certains insectes. Ce sont ces monts Mandara du
monts Mandara. Pour obtenir les pier- arbres qui sont sélectionnés pour les bois Cameroun. Étant à la
res de construction, il fallait d’abord de la charpente et pour les perches de disposition de tous, la
débiter les grands blocs rocheux. La soutènement. Ainsi, quoiqu’étant le plus terre est le plus ancien
casse des pierres constituait un travail abondant dans la région, le Ziziphus des matériaux de con-
communautaire. C’est l’occasion de se mauritania n’était pas l’arbre de struction et reste très présente dans le
rencontrer avec les autres habitants du prédilection pour les besoins de con- monde et surtout en Afrique. Parmi les
village, de prodiguer des conseils aux struction. Les montagnards lui préfèrent réalisations en terre, on peut citer les
jeunes, de régler les différends entre le Terminalia brownii à cause de son car- cases-obus des Musgum à l’Extrême-
les membres de la communauté, de actère résistant6 (fig. 2). Nord du Cameroun, les lamidats peuls
manger ensemble et de renforcer les À cause de son importance, il était du Nord-Cameroun, les célèbres cases
liens de solidarité4. Avec les pierres, strictement interdit d’abattre un arbre à traditionnelles dans les monts Mandara,
les montagnards construisaient la case des fins autres que celle d’obtenir des les mosquées et villes du Mali (Djenné,
du père, les case-vestibules, les enclos bois d’œuvre pour l’architecture et pour Tombouctou et Gao). Au Moyen Orient
à bétail. Ils édifiaient surtout des le chauffage des structures pendant la et au Maghreb, on peut citer les médinas
grands murs encerclant toute la con- saison fraîche. L’aménagement des mas- et les architectures islamiques. En
cession. C’est le cas du mur podokwo sifs en terrasse participe de cette volonté Europe également l’architecture de terre
et mofu (figure 1). Les Mafa, les d’assurer la continuité des espèces végé- était présente. C’est le cas des bourrines
Mouktélé et les Ouldémé construisent tales7. La terrasse protège en effet les vendéennes et de nombreuses fermes et
plutôt de petits murets reliant les dif- arbres de l’érosion agressive sur les habitations en Espagne, au Portugal et en
férentes structures (case à coucher et pentes abruptes. Cependant, en raison de Italie. Aujourd’hui, une centaine de bâti-
cuisine) entre elles de façon à former la démographie galopante et de la ments et monuments en terre sont
une concession. Matériau le plus abon- rigueur du climat, les espèces végétales inscrits sur la Liste du Patrimoine mon-
dant dans l’aire géographique podok- performantes se raréfient de plus en plus. dial par l’UNESCO. On doit surtout s’é-
wo, la pierre est par conséquent le plus Ce qui amène à cerner les problèmes liés tonner de comment, dans un environ-
employé et elle conservera ce mono- à l’environnement dans la modification nement aussi montagneux que celui des
pole jusqu’au moment où les Podokwo du style architectural dans les monts monts Mandara, la terre s’est-elle
vont descendre en plaine5. Mandara. L’écologie pose en effet le inscrite comme un des matériaux les
problème d’accès aux ressources végé- plus prisés pour la construction ?
B. LE BOIS : UNE SÉLECTION POUR tales qui se raréfient avec l’avancée du On rencontre plusieurs catégories de
LA LONGÉVITÉ DES ŒUVRES, désert et de la sècheresse combinée à sols dans les monts Mandara, mais
DES PROBLÈMES DE DURABILITÉ l’accroissement démographique. Néan- toutes ne se prêtent pas au travail archi-
L’arbre joue un rôle important au sein moins, les communes rurales, le Projet tectural. Seul le sol composé d’un
de la société podokwo. La vie chez le de Développement de la Région des mélange d’argile rouge et de sable était
montagnard est étroitement liée à la monts Mandara (PDRM) et La Deutsche sélectionné. Les différents peuples
plante, d’où la place de choix qu’elle Gesellschaft für Technische Zusamme- accordent surtout la priorité à la terre ter-
occupe dans cette société. Le couvert narbeit (GTZ) (Coopération Technique mitière qui contient un mélange d’argile
végétal procure par exemple alimenta- Allemande) mènent depuis un certain et de sable nécessaire pour assurer à la
tion, parure, remède, outils agricoles et nombre d’années des actions de reboise- case une grande longévité. Les sols
mobiliers intérieurs. Dans le travail ment. Mais le problème demeure encore argileux sans un mélange de sable
architectural, les bois servent à confec- entier. La dégradation de l’environ- provoquent le fendillement du mur. De
tionner les hangars et entrent dans la fab- nement végétal va favoriser l’usage de même les sols sableux se détrempent
rication des mobiliers intérieurs des nouveaux matériaux de construction assez rapidement sous l’effet des eaux
cases (siège, lit en bois, mortier…). comme les planches et les bois de pluie. Ces deux types de sols (sol
L’arbre fournit surtout des perches qui disponibles dans les magasins. Ils vont argileux et sol sableux) n’étaient par
constituent la charpente de la toiture. Un ravir au bois traditionnel la primauté conséquent pas utilisés dans l’architec-
certain nombre d’essences sont sélec- dans la confection des toits des dif- ture.
tionnées à cette fin et sont traitées en tail- férentes structures. ÎÎÎ
lis. L’instrument de test pour la sélection
des bois d’œuvre archi-
tecturale est la hache. En 4 Dans la plupart des sociétés africaines en général, l’architecture constituait un travail communautaire ; tous pouvaient être architectes sans exception. Si l’entreprise de construction
est exclusivement réservée aux hommes dans les monts Mandara, les femmes se retrouvent aussi sur les lieux de construction pour encourager les bâtisseurs, préparer la bière du
effet, lors de l’abattage, le mil et remplir des fonctions d’appui tel que le puisage d’eau. Sur le sens des travaux communautaires autour de l’architecture, voir Chetima Melchisedek, 2006.
5 Cette descente fut particulièrement encouragée par l’administration locale dans les années 1970, dans le but de rendre accessibles aux montagnards certaines facilités et services
bois qui cède facilement publics : l’école, les centres de santé et l’eau potable. Plusieurs chefs traditionnels ont été contraints de descendre en plaine afin de servir d’exemples à leurs populations respectives.
Seul le chef d’Oudjila fut encouragé à rester dans les montagnes en raison de l’activité touristique qui se pratiquait dans sa localité. Pour plus de détails, voir Boutrais Jean, 1973.
6 Seignobos Christian et Iyebi-Mandjek Olivier, Atlas de la province de l’Extrême-Nord, Paris Ed. IRD, p.38
à l’action du bûcheron 7 Les terrasses sont les caractéristiques de tous les paysages des Monts Mandara. Partout dans ces montagnes se succèdent ces petites terrasses, de bas en haut, ressemblent à de
petits murets en pierres et dont la hauteur correspond à la raideur de la pente. L’objectif de la terrasse est de lutter contre l’érosion du sol,
la disparition des espèces végétales et de garantir la fertilisation du sol. Selon nos informateurs, les terrasses seraient l’héritage des peuples plus anciens et rappelleraient ainsi une
occupation ancienne des Monts Mandara. Le lecteur pourra se référer à Yengué Jean-Louis et Génin Alain, 2006, p. 2 et à Louléo Jean, 1988, qui abordent en détails
ces cultures en terrasses, témoins d’un savoir-faire agricole vieux de plusieurs siècles.
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