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INTERNATIONALE ARTHURIENNE,
22nd CONGRESS OF THE
INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY
Rennes 2008
Actes Proceedings
Réunis et publiés en ligne par
Denis Hüe, Anne Delamaire et Christine Ferlampin-Acher
1 Richard TRACHSLER, Clôtures du cycle arthurien, Genève, Droz, 1996, chapitre VI, « Sortir du Cycle.
d’abord les vers sur les Neuf Preux puis les compilations consacrées au
motif, on essaiera de voir ce qui peut apparaître comme un savoir
canonique autour de la figure d’Arthur entre histoire et fiction, pour enfin
examiner en quoi l’insertion des données arthuriennes dans la série des
Neuf Preux infléchit leur signification.
2Voir par exemple Dominique BOUTET, Charlemagne et Arthur ou Le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992.
3C’est le cas par exemple dans les ballades XII, XCIII, CCVII, CCXXXIX, CCCLXII, CCCCIII et
CCCCXXXII d’Eustache Deschamps (EUSTACHE DESCHAMPS, Œuvres complètes, éd. du Marquis DE
QUEUX DE SAINT-HILAIRE, Paris, Firmin Didot, 1878) ou encore dans la Prise d’Alexandrie de
Guillaume de Machaut (GUILLAUME DE MACHAUT, La Prise d’Alexandrie ou Chronique du roi Pierre Ier de
Lusignan, éd. Louis DE MAS LATRIE, Genève, Fick, 1877, p. 2-3, v. 48-62).
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ARTHUR PARMI LES NEUF PREUX,
ANNE SALAMON
mais nous restreindrons ici notre propos aux textes français et à trois textes
plus particulièrement qui donnent une version étoffée en quelques vers des
hauts faits de chaque héros. La version du Dit des Neuf Preux contenue dans
les manuscrits BNF fr. 11464 et fr. 5930 illustre bien l’ancrage historique du
motif, mais elle ne donne pas d’autre détail que le titre d’Arthur, son
royaume et la date de sa mort 4 :
Le premier des trois crestiens
Estoit Artus li vaillans,
Roy de la Grant Bretaigne estoit
Et moult de prouesse faisoit.
Il mourut apreis le temps
De l’Incarnacion cinq cens ans.
6 Pour une étude des vers sur les Neuf Preux dans les Vœux du Paon, voir Glynnis M. CROPP, art. cit.
7 Li Chevaliers as Deus Espees. Altfranzösischer Abenteuerroman, éd. par Wendelin Foerster, Halle, 1877, v. 37-
112, et Les Fragments du Roman de Tristan, Poème du XIIe siècle, éd. Bartina H. WIND, Genève, Paris, 1960
(fr. 2 : le Mariage), v. 649-780, cf. Anita GUERREAU-JALABERT, Index des motifs narratifs dans les romans
arthuriens français en vers (XIIe-XIIIe siècles), Droz, Genève, 1992, P 672.1, p. 164, « Fur made of beards of
conquered kings ».
8 Marco PICCAT « Le scritte in volgare dei Prodi e delle Eroine della sala affrescata nel castello di La
L’Histoire des Neuf Preux et des Neuf Preuses (ÖNB, cod. 2577-2578)
nous est parvenue dans un manuscrit unique conservé à Vienne 9 . Elle a été
composée par Sébastien Mamerot à la demande de son seigneur Louis de
Laval entre 1460 et 1468. Le second texte, intitulé Le Triomphe des Neuf
Preux, a été imprimé pour la première fois à Abbeville par Pierre Gérard en
1487 et réimprimé à Paris par Michel Le Noir en 1507. La dernière est
conservée dans un manuscrit du XVIIIe siècle, vraisemblablement la copie
d’un original du XVe siècle. Il est conservé à la BNF sous la cote fr. 12598 10
et commence ainsi : « Cy aprés s’ensieut l’Istoire des neuf preux princes et
seigneurs qui en leur temps ont maintenu vaillamment et chevallereusement
les arme(e)s ».
Ces trois textes sont différents et distincts les uns des autres,
pourtant ils doivent tous trois correspondre, parallèlement, à un besoin
9 Voir Tabulae codicum manuscriptorum praeter Graecos et Orientales in Bibliotheca Palatina Vindobonensi
asservatorum (Cod. 1 - Cod. 19500), 10 t., Vienne, 1864–1899, réimp., Graz, 1965 et Otto PÄCHT, et
Dagmar THOSS, Französische Schule I, 2 tomes, Vienne, Österreichische Akademie der Wissenschaft,
1974, p. 68–79.
10 Ces trois textes sont inédits. Ils font cependant l’objet de brèves notices dans les ouvrages suivants :
Louis-Ferdinand FLUTRE, Li Fait des Romains dans les littératures française et italienne du XIIIe siècle au XVe
siècle, Paris, Hachette, 1932, p. 178-187 ; David J. A. ROSS, Alexander Historiatus. A guide to Medieval
Illustrated Alexander Literature, London, The Warburg Institute, 1963, p. 124-127 ; Marc-René JUNG, La
Légende de Troie au Moyen Âge : analyse des versions françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Bâle,
Tübingen, Francke, 1996, p. 606-610, p. 610-613, p. 628-629 ; Richard TRACHSLER, op. cit., p. 294-313 ;
Frédéric DUVAL, La traduction du Romuleon par Sébastien Mamerot: étude sur la diffusion de l'histoire romaine en
langue vernaculaire à la fin du Moyen Age, Genève, Droz, 2001, p. 201-203. On trouvera également une
édition compète des parties arthuriennes du Triomphe et du ms. 12598 ainsi qu’une édition partielle de
celle composée par Sébastien Mamerot dans l’ouvrage de Richard Trachsler (p. 401-417, p. 465-500,
p. 419-464). Je prépare en outre une édition critique du texte de Sébastien Mamerot dans le cadre de ma
thèse sous la direction de Gilles Roussineau.
12 Ibid., p. 403.
Sébastien Mamerot souligne à plusieurs reprises sa réticence à quitter Geoffroy de Monmouth (fol.
13
37v, 58r, 60v) : « Geffroy de Numemutense […] lequel j’ay ensuyvi a mon pouoir, pou excedant son
hystoire si non en tant qu’il touche les fais de la Table Roonde sur lesquelz me arresteray ung pou cy
aprés, y estant conme tyré par force, complaisant ou tendant complaire aux jensnes cuers nobles. »
« Je suis contraint pour donner congnoistre que par ignorance ne trespasse les fais de la Table Ronde,
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ACTES DU 22e CONGRES DE LA SOCIETE INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008
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c’on dit avoir esté de tresgrant renommee, declairer ung pou son institucion selon aulcuns vielz livres en
françoys. »
« [...] desquelz se sont fais divers grans volumes que plusieurs afferment vrays, contre lesquel[z] ne veulx
luitter. »
14 Richard TRACHSLER, op. cit, p. 298-313.
15 Robert DE BORON, Merlin, éd. Alexandre MICHA, Genève, Droz, 1980, § 24.
16 cf. WACE, Arthur dans le Roman de Brut, éd. Ivor ARNOLD et Margaret PELAN, Paris, Klincksieck,
1962, v. 1191-1212.
17 fol. 59r-v : « Mais au dernier Merlin dit a l’arcevesque qu’il le couronnast et qu’il estoit vray filz et vray
hoir du roy Uther Pandragon, ce qu’il fit veant tout le peupple. Mais le roy Loth et aultres luy menerent
depuis forte guerre, de laquelle le roy Artus obtint victoire par le conseil, [59c] confort et ayde du sage
Merlin. »
18 Richard TRACHSLER, « Les lois de la Table Ronde », Studi francesi, 1997, vol. 40, n°120, p. 567-585.
19 Un peu plus loin, une autre allusion est faite au personnel romanesque, rétablissant l’équivalence entre
le texte de Geoffroy de Monmouth et les romans (fol. 69r) : « Keux, le maistre d’ostel (lequel est appellé
le seneschal es volumes de la Table Roonde, de Lancelot et de Tristan), et Beduerus, le [69b] bouteillier
(qui par pareille mutacion y est nommé Lucans le bouteillier) ».
20 op. cit., p. 303-306.
Suite Vulgate est souvent proche du Roman de Brut. Il consiste même pour la
guerre contre les Romains en un dérimage de Wace déplacé pendant la
jeunesse d’Arthur. L’auteur n’a donc eu qu’à le remettre à sa place dans le fil
de la chronique et à compléter Wace par les parties romanesques
équivalentes.
Cette contamination des deux textes peut être observée dans
certains détails. Bien que la guerre contre les Romains soit racontée
principalement selon Wace, ce seront Gauvain, Yvain et Sagremor, les
personnages du roman, qui iront porter les messages d’Arthur aux Romains
et non Gauvain, Gerins de Chartres et Bos d’Ossinefort. Un autre exemple
dans la suite de ce passage permet d’illustrer l’ajustement des deux textes. A
ce moment du récit chez Wace, Merlin a déjà disparu depuis longtemps,
tandis qu’il est encore aux côtés d’Arthur dans la Suite Vulgate. L’auteur du
Triomphe fait disparaître le prophète comme Wace et Geoffroy, c’est-à-dire
qu’il cesse comme eux de le mentionner. Or il insère l’épisode du Chat de
Lausanne depuis le roman, où Arthur part affronter le monstre sur
l’injonction de Merlin. Afin de rester cohérent avec le texte de Wace où
Merlin a disparu, il se sent donc contraint de le remplacer par le « conseil »
d’Arthur 23 . Par conséquent, la combinaison et la soudure entre les deux
textes se fait avec un minimum de heurts et de tensions, ce qui ne signifie
pas que le texte ne présente pas quelques « ratés » (de fils incestueux,
Mordret redevient à la fin du Triomphe le neveu d’Arthur conformément aux
chroniques) 24 , mais l’auteur du Triomphe s’accommode des deux traditions,
sans les considérer comme irréconciliables ou exclusives l’une de l’autre. Il
écrit d’ailleurs au moment de la fondation de la Table Ronde 25 : « Et furent
en ce temps faictes les proesses des chevaliers errans, dont tant de livres en
sont fais et en prose et en rime que ce semblent fables, mais aucune vérité y
est a entendre et vraye histoire. »
On le voit chaque compilation possède un aspect très particulier et
chacune offre une lecture particulière de la légende arthurienne. De la
version la plus « historique » à la version la plus romanesque, chacune traite
à sa manière les tensions entre réalité, légende et fiction, en essayant de les
résoudre comme dans le Triomphe ou en les exposant comme Sébastien
26 Michel PASTOUREAU, Les chevaliers de la Table Ronde, Lathuile, Éditions du Gui, 2006, p. 30.
27 Ibid., p. 19.
28 On pourra citer la compilation bien connue étudiée par Cedric E. PICKFORD et conservée dans le
manuscrit BNF fr. 112 (L’évolution du roman arthurien en prose vers la fin du Moyen Age d’après le manuscrit 112
du fonds français de la Bibliothèque nationale, Paris, Nizet, 1960) ou encore évidemment celle de Malory en
Angleterre.
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ACTES DU 22e CONGRES DE LA SOCIETE INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008
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Age », MLN, vol. 116, n°4, sept. 2001, p. 630-643 et « Fama et les Preux : nom et renom à la fin du
Moyen Âge », Médiévales 24, printemps 1993, p. 35-44.
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ARTHUR PARMI LES NEUF PREUX,
ANNE SALAMON
Les supports, les modes d’apparition et les utilisations du motif des
Neuf Preux sont divers et les types de textes dans lesquels il apparaît
hétérogènes : entre une liste sèche de noms fonctionnant presque comme
une allégorie, les seules mentions des « Neuf Preux » ou au contraire les
vastes développements des compilations, il n’est pas possible de rendre
compte dans cette communication de la richesse de ce thème et de
l’ensemble de ses manifestations textuelles. Cependant, les compilations,
qui redonnent chair à chaque héros et les placent au centre de leur propos,
permettent d’apporter un éclairage particulier sur chaque héros et sur le
motif dans son ensemble. En effet, elles se distinguent de toutes les
occurrences de la liste des Neuf Preux où ces derniers ne sont cités que
comme exemples ou référents dans une comparaison, que le but visé soit la
déploration d’une gloire passée ou l’exaltation d’un contemporain digne de
figurer dans ce panthéon de la gloire militaire, et nous permettent
d’apercevoir ce qui peut apparaître derrière chaque nom. La faveur d’Arthur
dépasse largement la faveur qu’a pu connaître le motif des Neuf Preux,
toutefois l’examen des parties arthuriennes de ces textes nous permet
d’entrevoir une étape et quelques mécanismes de la constitution ou du
réinvestissement d’un mythe littéraire.