pastorale liturgique
La Maison
Dieu
216
Proposer la foi
Renouveler
la pastorale
cerf
4e trimestre 1998
LA MAISON-DIEU
Revue trimestrielle
an.
du Centre National de Pastorale Liturgique
Directeur de la rédaction
P. Paul DE CLERCK
France::un
Etranger un
Le numéro
an F
Le numéro spécial
384
ABONNEMENTS 1998
90F
90F
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LAMAISON-DIEU
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SOMMAIRE
Claude DAGENS La proposition de la foi et la
liturgie de l'Église 7-19
La pastorale sacramentelle. Relecture et prospective :
Francis DENIAU Proposer la foi dans la pasto-
rale sacramentelle 21-37
Henri-Jérôme GAGEY La pastorale sacramentelle. De
la demande à la proposition 39-57
:
L'implication croyante dans les actions liturgiques
Michel SCOUARNEC Liturgie et évangélisation. Des
clivages surmontés 59-72
Recension
Livres recensés
799<S. 178-181
183-186
186-188
!
réflexions sur la pastorale sacramentelle, ses contraintes
et les objectifs que l'on souhaiterait atteindre Les efforts
réalisés en ce domaine depuis la dernière guerre sont
d'ailleurs mis ici en perspective par Francis Deniau. Le
propos de ce numéro de La Maison-Dieu est cependant de
contribuer à la recherche en ce domaine, de deux façons.
D'abord en articulant la pastorale sacramentelle à cette
manière nouvelle de situer l'Église au sein de la société
:
française (et, plus largement, occidentale) ; ce qui justifie
le sous-titre du numéro Renouveler la pastorale. Par sa
perspective d'ensemble, la Lettre est en effet susceptible de
lui donner une nouvelle impulsion.
Mais aussi en tirant parti des ressources propres aux
actions liturgiques. L'Initiation chrétienne tient ici une
place de choix, avec le chemin catéchuménal où la foi est
proposée nouvellement, avec aussi la structure dialectique
de la renonciation et de la profession de foi baptismales,
lieu emblématiqueduchoixpersonnel que requiert finale-
ment tout chemin de foi chrétienne.
Deux articles nous invitent à revenir sur l'expérience de
;
la proposition de la foi vécue dans les grands rassemble-
ments de jeunes, ces derniers temps l'un analyse le phé-
nomène, l'autre s'interroge sur la manière dont s'y vit le
sacrement de la réconciliation.
On espère que ces diverses réflexions contribueront à
éclairer les questions posées par la pastorale des sacre-
ments et de la liturgie, à laquelle tant de chrétiens vouent
le meilleur de leurs énergies.
La Maison-Dieu, 216, 1998/4,7-19
Claude DAGENS
LA PROPOSITION DE LA FOI
ET LA LITURGIE DE L'ÉGLISE
:
vitaux qui la constituent, afin que chacun puisse conduire
à la Source au don de Dieu qui veut se communiquer aux
hommes.
Or, il est évident que la vie liturgique de l'Église se situe
du côté de la Source, mais il est peut-être utile de susciter
une telle prise de conscience, en faisant apparaître les
conditions relativement nouvelles en raison desquelles la
liturgie peut aujourd'hui conduire à la Source.
:
amplement déployées ou réalisées dans la pauvreté, tient à
ce caractère essentiel le Dieu qui se révèle à nous ne veut
pas entretenir avec nous des rapports de séduction. Il est
Celui qui se donne et se révèle comme Don total, comme
Amour inconditionnel en acte d'Alliance. Tous les signes
de la liturgie chrétienne n'ont pas d'autre but que de mani-
fester cet Amour et cette Alliance et d'inviter les hommes
à y entrer librement.
Deux acclamations de la célébration eucharistique sou-
lignent cette ouverture de Dieu à notre humanité, en nous
appelant à lui répondre. «Il est grand le mystère de la
foi» : cette parole de louange, proclamée après la consé-
cration du pain et du vin, reconnaît le grand signe de la
venue de Dieu parmi nous dans le sacrifice du Christ, dans
munion, en disant
Seigneur
:
le don de son corps et de son sang. Et, peu avant la com-
autre phénomène :
La pastorale des jeunes témoigne de plus en plus d'un
l'appel à l'intériorité, l'apprentissage
intérieur de la conversion passe aussi par des grands ras-
semblements au cours desquels on écoute la Parole de
Dieu, on fait silence, on partage des intentions de prière,
on se rend disponible aux appels de Dieu. C'est l'expé-
rience proposée à Taizé depuis bien des années. C'est aussi
l'expérience de multiples pèlerinages ou rassemblements
de jeunes et d'adultes. Les Journées mondiales de la jeu-
nesse ont manifesté que cet appel à l'intériorité peut être
largement entendu.
On ne peut pas prétendre raisonnablement que tous les
participants à de tels rassemblements sont des familiers de
la foi et de la tradition chrétiennes. Pourtant, ils acceptent
volontiers cette initiation concrète à l'expérience chré-
tienne.
:
Deux pôles caractérisent presque toujours une telle ini-
tiation l'ouverture au don de Dieu, encouragée par le
silence et le recueillement, et l'hospitalité pratiquée
à l'égard des autres, surtout s'il y a des étrangers, des in-
connus, des gens de passage à accueillir au cours de tels
rassemblements.
De telles pratiques appellent à redécouvrir, dans des
le même que le centre de la Révélation chrétienne
la charité de Dieu, manifestée dans le Christ, et qui
:
conditions nouvelles, que le principe vital de la liturgie est
c'est
demande à être accueillie et pratiquée dans l'Église consti-
tuée comme Corps du Christ.
La liturgie façonne ainsi l'Eglise non pas comme un
,-
:
refuge, où une élite de spirituels viendrait se protéger des
menaces du monde, mais comme le Corps et le Sacrement
du Christ pour la vie du monde «signe et moyen de
l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre
humain» (Lumen gentium, n° 1).
L'Église qui célèbre et qui prie n'est donc pas différente
de l'Eglise qui va à la rencontre des pauvres et qui lutte
pour la défense de leurs droits. C'est l'expérience même
des communautés chrétiennes et des paroisses qui oblige
aujourd'hui à refuser un tel soupçon et une telle antino-
mie.
Quand des adultes ou des jeunes, en quête de raisons de
vivre et d'aimer la vie, demandent et reçoivent le baptême
ou la confirmation, le signe sacramentel manifeste publi-
quement leur dignité d'enfant de Dieu. Dire à quelqu'un :
» :
«Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint
Esprit ou bien « Sois marqué de l'Esprit Saint, le don
de Dieu », c'est reconnaître devant tous qu'il est connu de
Dieu et qu'il va acquérir sa pleine identité en vivant de sa
confiance.
La liturgie de l'Église révèle ainsi, dans son langage par-
ticulier, cette solidarité qui relie la cause de Dieu à celle
des hommes. Elle met en lumière ce qui est au cœur de la
:
mission de l'Église, à travers son témoignage et souvent à
travers ses combats manifester dans le monde, et parfois
en contradiction avec l'esprit du monde, la nouveauté du
don de Dieu.
:
Le signe liturgique, l'acte sacramentel ont dès lors
valeur et force d'appel le peuple de Dieu qui est témoin
de ce signe est invité à vivre solidairement de cette
Alliance de Dieu, qui passe par les gestes du sacrement,
mais qui passe aussi par des actes quotidiens de partage et
de service. La liturgie, dans sa profondeur, garde ainsi
l'Église entière en état de vigilance et d'évangélisation.
:
d'Amour plus fort que la mort. Le mystère pascal, actua-
lisé dans l'eucharistie, devient alors une source c'est l'ex-
périence même que font un certain nombre de chrétiens
quand ils viennent chercher et trouver dans ce sacrement
la force dont ils ont besoin pour tenir et pour lutter. A ce
niveau de profondeur, c'est-à-dire près de Jésus Christ, le
Serviteur humilié et aimant jusqu'au bout, s'opère la
réconciliation entre des contemplatifs et des militants.
C'est à la même Source que puisent les uns et les autres,
soit dans le combat spirituel, soit dans la défense active des
pauvres.
De telles expériences confirment les attentes exprimées
par des jeunes à l'égard de l'eucharistie. Il ne s'agit pas
seulement d'aménagements liturgiques à prévoir pour que
les assemblées soient plus animées et plus joyeuses, même
si cela est souvent nécessaire. Il s'agit de manifester
concrètement que l'eucharistie touche à la profondeur de
notre existence, qu'elle répond, dans le langage des signes
beaucoup de jeunes se les posent :
sacramentels, à des questions de vie et de mort telles que
Pourquoi vivre?
Pourquoi aimer la vie, même quand elle est dure?
le mal n'ait pas le dernier mot ?
?
Pourquoi ne pas se donner la mort Pourquoi espérer que
Ces questions nous évangélisent, en nous conduisant aux
racines de notre existence, là où l'eucharistie prend son
plein sens, puisqu'elle est l'acte du Christ qui, dans sa
mort, fait naître un monde délivré de la mort.
Il est évident que cette profondeur existentielle et spiri-
tuelle de l'eucharistie appelle une initiation. On ne peut
proposer l'eucharistie comme le centre de l'expérience
chrétienne qu'à la condition de baliser le chemin qui y
conduit. On l'a vu lors des Journées mondiales de la jeu-
nesse : la célébration de l'eucharistie était précédée par le
temps des catéchèses, elles-mêmes constituées d'un ensei-
gnement et d'un dialogue.
Il ne s'agit pas de transformer nos messes paroissiales
en catéchèses. Mais il s'agit de reconnaître qu'on ne par-
d'Emmaüs :
vient à une source ou à un sommet qu'en franchissant
d'autres étapes. Peut-être à la manière des pèlerins
;
sur la route où ils avancent péniblement, Jésus
commence par marcher avec eux et par les écouter puis
des hommes ;
il ouvre le livre de la Parole de Dieu et les initie à l'his-
toire du salut, au mystère de Dieu qui se dit dans l'histoire
c'est enfin à travers le signe du pain rompu,
au cours du repas, qu'ils le reconnaissent et qu'ils com-
prennent le mystère de la Croix victorieuse. La halte à
l'auberge est inséparable du compagnonnage sur la route
:
et de l'initiation à la révélation de l'Ecriture.
Il en va ainsi de la liturgie de l'Église comme sur le
chemin dEmmaüs, elle ne devient véritablement parlante
et mystagogique que si elle apparaît et si elle est effecti-
vement reliée à l'expérience humaine, vécue dans sa pro-
fondeur et inlassablement ouverte à la Révélation de la
venue de Dieu parmi nous.
Faut-il préciser le sens du terme mystagogique ? Il s'agit
à une double révélation :
évidement d'indiquer par ce terme que la liturgie conduit
celle du mystère de Dieu qui
s'ouvre à nous, et celle, aussi profonde, du mystère de
notre existence humaine appelée à accueillir le don de Dieu
pour en vivre et en témoigner.
tClaude DAGENS,
évêque d'Angoulême.
La Maison-Dieu, 216, 1998/4,21-37
Francis DENIAU
PROPOSER LA FOI
DANS LA PASTORALE SACRAMENTELLE
;
humains, traditions humaines ne doivent pas occulter la
Parole de Dieu de même, les pratiques qu'on peut bien
:
mettre en œuvre ne doivent pas cacher ce qui a le plus de
Poids dans la Loi la justice, la tendresse et la foi (Mt 23,
23). Comme l'avait déjà dit le prophète Michée à
ceux qui
s Interrogeaient sur la manière de se rendre Dieu favorable,
:
en étant tentés de recourir à des pratiques complexes, allant
jusqu'au sacrifice humain
« On t'a fait savoir, ô homme,
:
ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi rien
d'autre que pratiquer la justice, aimer avec tendresse, et
»
marcher humblement avec ton Dieu (Mi 6, 6-8).
Au moment le plus décisif, la veille de sa Passion, Jésus
reprend la bénédiction, l'action de grâce, pour le pain et le
vin. Mais ce n'est plus simple parole rituelle. On n'est plus
dans le rite ou le geste symbolique. On est dans la réalité
de la justice, de la tendresse et de la foi. Lui, Jésus, est en
passe de livrer son corps et son sang pour la vie de l'hu-
:
manité. Comme l'écrivait une enfant de CM2, sous un des-
: ;
sin représentant la Cène « C'est le plus grand miracle de
Jésus il fait de son corps du pain il fait de son sang du
! :
un paroissien avait écrit, en signe de protestation « Non
c'est l'inverse » En effet, nous sommes plus habitués à
:
vin. » Nous avions affiché ce dessin au fond de l'église, et
!
entendre les paroles «Ceci est mon corps, ceci est mon
sang » - et à dire que le pain devient le corps du Christ.
:
Mais la petite fille retrouvait, dans une perception de foi,
les paroles du discours sur le pain de vie « Mon corps est
la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. » Car
:
l'évangile de Jean cherche à indiquer la réalité présente
dans notre geste ecclésial le Christ Jésus livrant son corps
et son sang en nourriture pour l'humanité - et nous entraî-
nant avec lui dans ce don 1.
;
prudence, justice, force et tempé-
rance. La religion n'est qu'une des vertus annexes de la justice elle
rend à Dieu le culte qui lui est dû ; elle ne s'identifie ni aux vertus théo-
logales ni à la sainteté (Q 80 et 81). Au-delà des débats de
ce siècle sur
foi et religion, qui ont souvent été, particulièrement
en milieu catho-
lique, une interprétation caricaturale et hors contexte des réflexions
per-
tinentes de Karl Barth et de Dietrich Bonhoeffer, il serait intéressant de
revenir à cette interprétation de Thomas d'Aquin, qui n'est pas sans
intérêt
pour nos recherches contemporaines. On peut en rapprocher
Franz ROSENZWEIG Dieu n'a
: « pas créé la religion, mais le monde. »
3. La res sacramenti. En particulier, la res de l'eucharistie, qui est
ln Col 1 ; ;;
Sacramentum Ecclesiae unitatis (Comm. in Jo 6, lect. 6-7 in Mat 26
;
lect. 5 ; in 1 Co 10, lect. 4 11 lect. 4-5-6-7 12 lect. 3. ;
Somme Théologique 3a 67 art 2
q. co ; 73, 2 sed contra 73, 4 co ; 80,
;
4 co ; 80, 5 ad 2 82, 2
; arg. 3 ; 83, 4 co et ad 3 ; Supplementum, 71,
9 co et ad 3) Sacramentum caritatis (3a
q. 73 art. 3 ad 3 ; 74, 4 arg.
;
3 78, 3
;
arg. 6 ; 79, 4 arg. 1, 6 et ad 3 ; 80, 3 arg. 2 ; Supplementum,
40, 7 co).
le primat de la charité bien mis en lumière par Paul (1 Co
13). «Tout ce qui ne va pas à la charité est figure dira »
Pascal. Là encore, la réalité c'est la charité. Question tra-
ditionnelle du caractère fructueux des sacrements, peut-
être souvent occultée par les autres questions de validité et
de licéité4. En tout cas, l'ordination du sacrement non seu-
lement à la foi, mais à la charité dans la vie quotidienne,
demeure prioritaire. Peut-être est-ce le véritable critère qui
peut nous faire discerner si notre pratique sacramentelle
accepte de se laisser façonner par la vérité du Christ, ou
n'est que façon de faire trop humaine, qui peut même
cacher les enjeux véritables5.
Mais on risque aussi une autre impasse, qui oublierait la
portée théologale de la charité pour la ramener à un
dévouement humain, à un engagement généreux mais
coupé de sa source dans l'amour qui n'est pas d'abord le
nôtre, mais l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ et
communiqué dans l'Esprit. Faute de quoi, «je puis bien
avoir la foi jusqu'à transporter les montagnes. distribuer
tous mes biens aux pauvres. livrer mon corps aux
flammes. s'il me manque la charité, je ne suis rien»
(1 Co 13). «Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu (et »
pas davantage nos frères et nos sœurs !), « c'est Dieu qui
nous a aimés, et qui a envoyé son Fils. » (1 Jn 4, 10)6.
:
chant le chemin entre des appels contradictoires.
Entre exigence et ouverture les sacrements sont les
sacrements de la foi et ils n'ont de sens qu'à mener à une
VIe de charité. Sinon, ils risquent d'être voire
mensongers,
d'empêcher le chemin qu'ils devraient permettre. Mais qui
Peut prétendre vivre de la foi et être établi dans la charité
Ce serait s'exposer
?
aux reproches que Jésus adresse à cer-
tains des Pharisiens. Les sacrements sont aussi faits pour
les gens de
peu de foi et les analphabètes de la charité que
nous sommes.
:
Entre élite et masse historiens et sociologues notent
que le souci de la pastorale a souvent été de faire entrer la
masse dans la religion de l'élite. Mais dans l'Eglise, le rap-
port élite-masse ne peut s'entendre de la même manière
que dans une société ou une organisation 7.Dieu se donne
a chacun, et de préférence aux pauvres et aux petits.
7. Réflexions pertinentes à
ce propos de Maurice VIDAL, L'Église,
peuple de Dieu dans l'histoire des hommes, Paris, Centurion, coll.
«Croire et Comprendre», 1975. En sens inverse, la perception de
FEUERBACH,
pour qui le seul vrai chrétien est le moine - mais c'est
cohérent avec sa vision idéaliste de l'Essence du christianisme,
abstraction qui empêche de s'intéresser peuple de Dieu concret dans
1histoire. au
:
Entre ministres et sujets la démarche et la responsabi-
lité sont évidemment différentes, mais peut-être a-t-on trop
oublié que les ministres sont aussi sujets des sacrements.
Les questions que nous posons pour les autres valent aussi
pour nous, et nous ne nous en apercevons pas toujours.
Vatican II, dans le chapitre de Lumen gentium sur le Peuple
de Dieu, envisage l'exercice du sacerdoce commun dans
les sacrements (n° 11) : parmi les sacrements énumérés, il
le
ya sacrement de l'ordre. Or, souvent, les discours sur
le sacerdoce des baptisés fonctionnent comme si les
ministres ordonnés étaient à part. C'est oublier la dyna-
mique présentée dans tout le deuxième chapitre de Lumen
gentium 8.
:
Entre la confiance dans le travail de l'Esprit et la néces-
saire vérification ecclésiale à propos du baptême revient
dans les Actes l'expression « empêcher »
; c'est peut-être
la trace d'un débat, au temps de Luc, sur les conditions du
baptême, que le texte invite à trancher dans le sens de « ne
pas faire obstacle 9. » C'est faire confiance à l'Esprit déjà
!
l'Esprit ne va pas sans un discernement ecclésial l'Esprit
ne peut être prétexte à n'importe quoi C'est tout l'objet,
:
présent chez Corneille et les siens. Mais cette confiance en
:
Pour reprendre les termes du Rapport Dagens et de la
;
moments ;
Lettre aux catholiques de France, j'appellerai ces quatre
;
supposer la foi questionner la foi vivifier la
foi proposer la foi. Chacun contient sa part de vérité et
ses difficultés. Tous ont des prolongements qui marquent
-
la situation actuelle.
Supposer la foi
Situons ce premier temps entre la mise en pratique des
invitations de Pie X à la communion fréquente et à la com-
munion des jeunes enfants 12. jusqu'au milieu du siècle.
On est dans la suite du prodigieux effort qu'a été la
Réforme tridentine. Il s'agissait de fonder dans la foi des
pratiques qui s'en étaient éloignées - au point de provo-
quer les nécessaires critiques de la Réforme protestante,
dont le Concile se distancie dans les décrets doctrinaux,
mais dont il rejoint souvent les analyses dans les décrets
réformateurs 13. On est, de manière plus lointaine, dans la
suite de Latran IV, avec la confession et la communion pas-
cales. On hérite aussi de tous les efforts missionnaires des
XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Sans percevoir le plus souvent
:
13. À propos du sacerdoce ministériel, Gustave MARTELET a cette
jolie formule «Le Concile s'est borné à délimiter le champ dans
lequel il savait le trésor de l'Église enfoui, sans avoir les moyens de
l'inventorier à frais nouveaux. » Mais dans son œuvre réformatrice, le
Concile veille à la formation de prêtres capables d'annoncer la Parole
de Dieu et de conduire le Peuple de Dieu. Tout en refusant de faire
des ministres seulement des prédicateurs de l'Évangile et des pasteurs,
le Concile rejoint bien les exigences protestantes dans ces deux
domaines.
combien la situation sociale a changé, et avec elle les
conditions de l'évangélisation.
La foi est supposée. Le contrôle ecclésial vise plutôt la
moralité, avec la place du sacrement de pénitence14, qui
est resté couramment la porte nécessaire pour accéder à
;
1Eucharistie. Le baptême des petits enfants est la pratique
habituelle il amène normalement au catéchisme et à la
Première communion puis à la «deuxième commu-
-
nion », à la suite des distorsions amenées par les incitations
réformatrices de Pie X et à l'invention de la communion
«
solennelle ». Même s'il y a peu de « persévérance après,
cette pastorale de l'enfance est un acquis dont on hérite et
»
Qui se poursuit. Au-delà du cercle restreint des pratiquants
du dimanche, encore nombreux à l'époque, il ya le
grand
nombre des «pascalisants »au service de qui sont les
prêtres durant le carême et le temps pascal (et à qui se joi-
gnent d'ailleurs bien des personnes qui assistent à la messe
:
tous les dimanches, mais qui continuent à ne communier
qu'un fois l'an la réforme de Pie X mettra longtemps à
Passer dans la pratique). L'enquête de mariage vérifie l'état
libre des fiancés, mais
suppose la foi sans avoir à en parler.
Les enterrements civils sont,
comme le repas gras du
vendredi saint, l'affirmation provocatrice de petits groupes.
On est ainsi dans une chrétienté qui fonctionne. On ne
s aperçoit pas que cette chrétienté n'est plus celle d'un
:
temps où la foi marquait l'ensemble de la société les chré-
tiens ont tendance à former une «contre-société chré-
tienne » dans une société déjà largement sécularisée.
Chrétienté, mais chrétienté artificielle, et coupée de bien
des forces vives de la société. Cependant, à l'intérieur de
cet espace s'opère réellement une transmission de la foi et
une éducation à la charité.
Questionner la foi
Vers le milieu du siècle, on prend peu à peu conscience
:
qu'une certaine pratique peut aller sans la foi. On évoque
d'abord les demandeurs occasionnels mariage, baptême
des petits enfants, première communion comme motivation
homélie:
du catéchisme. Quelqu'un me disait récemment après une
;
« Tu parles comme si tous ceux qui étaient à la
messe du dimanche croyaient au Christ ressuscité ce n'est
pas le cas. » et apparemment certains sondages lui don-
nent raison.
Aussi estime-t-on impossible de supposer la foi. Il s'agit
plutôt de la vérifier, de l'éduquer, avec le souci que les
sacrements soient en vérité les sacrements de la foi. On se
;
soucie du rapport entre le baptême et la foi entre la foi et
le sacrement de mariage 15. «Ne pas brader les sacre-
ments » est en effet devenu primordial. La réflexion, situe
:
les demandeurs de sacrements et la proposition de l'Église
comme les partenaires d'un marché on parle d'offre et de
15. Foi et :
sacrement de mariage tel est le titre significatif d'un
ouvrage collectif publié aux éditions du Chalet en 1974. Voir aussi
LMD 127, 1976/1 : Questions actuelles autour du mariage.
demande Le souci est alors de « diversifier l'offre ». On
16.
Peut d'abord réfréner la demande, aider les demandeurs à
réaliser que ce qu'ils cherchent est différent de ce que pro-
Pose l'Église, et que rien ne les oblige à entrer dans
quelque chose dont ils ne veulent pas vraiment. Mais cela
ne suffit pas. On envisage alors de proposer une voie qui
sacramentelle :
se situe entre l'abstention pure et simple et la célébration
une première étape vers le baptême un ;
; :
accueil dans l'église après le mariage civil 17. On parle cou-
ramment d'une proposition à trois volets absence de toute
célébration ; accueil sacrement.
La difficulté vient de ce que l'inadéquation entre l'offre
et la demande, si elle est évidente aux yeux des ministres
et des responsables ecclésiaux, ne l'est pas du tout aux
Yeux des demandeurs. Ils ont eux-mêmes réinvesti le rite
à leur manière, et s'y trouvent bien. Par ailleurs, la volonté
de réforme ne prend pas assez en compte la profondeur
:
anthropologique du rite ici moins encore qu'ailleurs, on
ne réforme par décret. Et les distinctions proposées
demanderaient parfois un doctorat en théologie pour être
comprises. Alors, les demandeurs se rebiffent, ont l'im-
Pression qu'on ne leur propose qu'une contrefaçon, ou bien
l'acceptent en ne voyant simplement pas la différence 18.
Peut-être nous manquait-il, à l'époque, une anthropo-
logie qui prenne suffisamment en compte le corps,
temps;
Car cette diversité n'est pas le signe des malheurs des
;
elle existe dans toute l'histoire de l'Église elle a
toujours suscité des attitudes pastorales contradictoires,
comme en témoigne déjà au IIIe siècle la querelle entre
Hippolyte et Calliste. Alors, plutôt que de vérifier la foi, ne
vaut-il pas mieux tabler sur elle et chercher à la vivifier?
En ne considérant pas les personnes comme des individus
isolés, mais en les resituant dans l'ensemble de leurs rela-
tions sociales et ecclésiales, en comptant, comme on le fait
toujours dans le baptême d'un bébé, sur la foi de l'Église ?
Ainsi, lorsqu'on nous demande, pour le baptême d'un
bébé, «qu'il ait un espoir fondé que l'enfant sera édu-
y
qué dans la religion catholique »(canon 868), plutôt que
devérifier la bonne volonté des parents, mieux vaut tra-
»
vailler à « fonder l'espoir dans nos propositions et nos
façons de faire en Église 21.
»
demande de sacrement ? »,
:
21. « Fonder l'espoir est le thème d'un excellent article d'Albert
ROUET, à l'époque évêque auxiliaire de Paris
« Faut-il accepter toute
Études 373/3, septembre 1990, p. 239-248.
Bien sûr, il s'agira de faire du temps de préparation un
moment d'annonce ou d'approfondissement de l'Évan-
gile ; il s'agira de prendre au sérieux la liturgie de la Parole
réintroduite par Vatican II avant toute célébration sacra-
mentelle.
Il reste que ce troisième moment soulève aussi des dif-
ficultés. D'une part, le fossé reste grand, et certaines
demandes ne sont sans doute pas légitimes. Comment le
?
discerner D'autre part, nous assistons, peut-être surtout
après Mai 68, à de véritables ruptures dans la transmission
de la foi. Le troisième temps ne risque-t-il pas trop de
« supposer la foi» alors que ce n'est plus tenable ? Dans
:
les réunions de préparation au baptême, le souci souvent
exprimé aujourd'hui par les parents « Il ira au catéchisme
parfois comme
!
!
:
si ça lui plaît Nous lui laisserons toute liberté. » sonne
«Tout ça est si peu important pour la
vie » Est-il si crédible de fonder l'espoir?
ce troisième temps :
Ou bien faut-il aller encore plus loin dans la logique de
n'est-ce pas aussi l'Église et ses
ministres qui doivent se remettre en cause pour qu'une pro-
position soit crédible?
Proposer la foi
C'est donc aujourd'hui la perspective du Rapport
Dagens et de la Lettre aux catholiques de France. Notons
:
qu'elle s'enracine dans une expérience nouvelle de pasto-
rale sacramentelle celle du Catéchuménat, avec la décou-
verte de l'Église comme lieu de respiration et de liberté.
L'Église est porteuse d'une Parole et d'une Présence qui
donnent sens, qui permettent à la vie de prendre sens - et
cela dans les dimensions subjectives de l'existence. Alors
les sacrements retrouvent leur dimension de source, de
source vive (je me souviens d'une néophyte me parlant de
chrétiens de son entourage, engagés avec générosité et
volontarisme dans l'action sociale. Elle les admirait mais
parlait d'eux en termes de « chrétiens desséchés », à qui
manquait la source sacramentelle, et dont le dévouement
avait quelque chose de sec et de tendu). Ils nourrissent un
itinéraire très personnel, et en appellent à une Église.
Quelques invitations particulières sontdans le texte
Sortir de la perspective de l'offre et de la demande, qui a
:
décidément trouvé ses limites et prendre en compte la
densité humaine et chrétienne de - l'expérience de
raît dans la trame des documents : ceux et
de celles qui viennent à l'Église. Une autre nécessité appa-
celle de donner des
noms qui permettent de nommer l'expérience, d'initier en
livrant un langage. Il s'agit en quelque sorte d'alphabéti-
ser. « Comment relire sa vie à la lumière de l'Évangile si
l'on n'est pas d'abord alphabétisé à l'Évangile? »
demandait une accompagnatrice de la J.O.C., en ajoutant
« C'est une part du travail que nous avons à faire. »
:se
nous.
?
tion et l'eucharistie Toutes ces questions sont devant
Dans la ligne des deux rapports Coffy, la Lettre resitue
aussi la vie sacramentelle dans l'ensemble de la vie
ecclésiale, avec le témoignage de la foi et le service du
monde 22. C'est l'aboutissement de tout un dynamisme de
ces dernières années, et cela restitue la force ecclésiale des
sacrements.
Il reste que pour que les sacrements jouent pleinement
leur rôle dans cette perspective, demeure tout un travail
d'inculturation, qui ne vaut pas seulement pour l'Asie ou
»
l'Afrique, mais pour « la société actuelle en France. Il
me semble que nous sommes encore loin de ce que sup-
posent nos documents. Là aussi, le travail est devant
nous.
Pour conclure, suggérons quelques questions :
célébration des sacrements :
Proposer la foi à l'occasion de la préparation et de la
Quels moyens avons-nous
Quels moyens devons-nous inventer. et qui soient com-
patibles avec les forces disponibles ?
?
Comment repenser l'articulation des sacrements entre
eux? Réconciliation et eucharistie (la communion fré-
quente n'est plus aujourd'hui un problème, ni la pénitence
la porte obligée - mais ne risque-t-on pas parfois une insi-
gnifiance de l'un et de l'autre ?) ; mariage, réconciliation
et eucharistie, avec la question des divorcés remariés
sacrements de l'initiation dans la diversité des situations.
;
Comment articuler la source sacramentelle et une forme
de relation vivante à l'Église ?
:
Et bien sûr quel travail d'inculturation ? Nous avons à
prendre au sérieux, ici aussi, les articulations de la Lettre :
c'est la situation actuelle qui nous oblige à aller, de
manière renouvelée, au cœur de la foi.
t Francis DENIAU,
évêque de Nevers.
:
22. Elle en fait peut-être trop pourquoi leitourgia a-t-elle remplacé
koinônia dans la trilogie koinônia/marturia/diakonia ? La koinônia est
plus large, et aurait l'avantage de situer l'action liturgique dans l'en-
semble de la vie ecclésiale (voir rapport COFFY de 1981 et Conseil
œcuménique des Églises).
Tableau récapitulatif
1
par les autres
Église mino- humaine acceptées sans l'évaluer
ritaire, avec comme lieu positivement
destracesde defoi ou
consensus négativement
la foi comme
au cœur de la
foiàpartirde
la situation et
expérience
quifait
découvrir aux
culturation,
oùtousont
à se laisser
nommer apport propre des rencontres uns et aux enseigner
deschrétiens autresle
mystère
La Maison-Dieu, 216, 1998/4, 39-57
Henri-Jérôme GAGEY
LA PASTORALE SACRAMENTELLE.
DE LA DEMANDE À LA PROPOSITION
:
de la foi, vaut de la pastorale des sacrements, ainsi que le
précise notre texte il importe de mettre en œuvre « "une
",
pastorale de la proposition par laquelle l'Eglise ne craint
pas de prendre l'initiative, en invitant à faire la rencontre
du Christ dans les sacrements 2 ». Dans les pages qui sui-
vent, je voudrais dégager ce qui me paraît être en jeu dans
»
:
cette conception d'une « pastorale de la proposition dans
le domaine de la vie sacramentelle. Disons-le en deux mots
avant de le développer plus longuement parler d'une pas-
torale de la proposition en ce qui concerne les sacrements,
c'est d'abord prendre la mesure des difficultés sur les-
quelles bute ce que l'on peut désigner, par contraste,
comme une « pastorale de l'accueil des demandes
pastorale sacramentelle de l'accueil a été mise en place
».
Cette
dans l'Église de France dans la mouvance du concile
Vatican II, pour pallier l'inadaptation croissante des pra-
tiques héritées de la Réforme catholique, dans le cadre
d'une société moderne pluraliste. Mais cette pastorale de
l'accueil ne tient pas suffisamment compte du caractère
véritablement radical des évolutions culturelles en cours
dans notre société. Pour le dire brutalement, elle reste sans
doute plus solidaire qu'il ne semble à première vue de la
mentalité de chrétienté qui fait par ailleurs l'objet de si
vives critiques.
;
que l'Eglise célèbre, autre chose que ce que la foi de
l'Église confesse
ce peut être un déisme vague, une
appartenance nostalgique à une tradition pratiquement
réduite à un folklore,
ou encore le désir de ne pas se
brouiller
avec le reste de la famille. D'où le très profond
malaise de nombreux prêtres, mais aussi de laïcs et de
diacres, avec la pastorale multitudiniste des sacrements
« »
que l'Eglise maintient en vigueur. Ce décalage atteint en
effet la signification même de
ces célébrations, y compris
Pour ceux qui y participent avec foi.
C'est le cœur même de la démarche des plus motivés
qui se trouve atteint lorsqu'ils
se découvrent préparer puis
Participer à ces célébrations liturgiques qui sont, à leurs
yeux, de la plus haute importance, et qu'ils le font en com-
pagnie d'autres personnes dont le discours explicite autant
que le comportement pratique montrent assez qu'ils leur
attachent une bien moindre signification. D'où la question
souvent posée, il y a quelques décennies, de savoir si, dans
de telles situations,
nous ne galvaudons pas les merveilles
de la tendresse et de la grâce de Dieu. On a souvent mis
sur le compte exclusif de mauvaises querelles théologiques
(pastorale contre mission, Evangile contre ritualisme) la
désaffection d'une partie du clergé vis-à-vis de la pastorale
sacramentelle, parfois négligemment désignée comme « la
pastorale ordinaire », par opposition à une « pastorale mis-
sionnaire » de l'écoute et du partage. Il me semble que,
dans bien des cas, ces querelles théologiques étaient seu-
lement la justification a posteriori d'un profond découra-
gement, nourri par l'expérience faite par beaucoup, parti-
culièrement dans les quartiers populaires, que la pastorale
liturgique et sacramentelle était enfermée dans un quipro-
quo tel qu'elle s'en trouvait pratiquement dénaturée.
C'est pour tenter de sortir de cette relation pastorale qui
semblait comme viciée3, que fut mise en place la pasto-
rale de l'accueil et de l'accompagnement des demandes
sacramentelles déjà évoquée. Ses fruits ne furent certes pas
négligeables mais, par certains côtés, elle devait exacerber
:
le malaise qu'elle était censée adoucir. Abordons le pro-
blème par l'un de ses accès les plus habituels la pastorale
du baptême des petits enfants.
Il n'entre pas dans le cahier des charges de cet article de
reprendre les termes du débat sur le pédobaptisme 4. D'une
manière générale, on admet aujourd'hui qu'une enquête en
:
tradition plaide largement pour le maintien de cette pra-
tique, mais à une condition toutefois la tradition du bap-
tême des enfants doit en fait s'entendre du baptême des
enfants de chrétiens, dont très tôt il est apparu que, du fait
de leur appartenance à une famille chrétienne, ils ne sau-
raient légitimement être tenus à l'écart d'une vie dans
l'Alliance avec Dieu. Mais précisément, toute la difficulté
«
3. Voir Les sacrements livrés à l'incroyance » dans Parole et mis-
sion, n° 24, avril 1964, p. 189-257.
?
4. J.-C. DIDIER, Faut-il baptiser les enfants La réponse de la tra-
dition, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Chrétiens de tous les temps », 1967.
CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, « Instruction sur le bap-
tême des petits enfants », DC 77, 1980, p. 1107-1113. P. DE CLERCK,
« Le baptême des petits enfants entre la famille et
l'Église », Lumen
vitae42, 1987/1, p. 43-52.
est de définir ce que l'on entend par «enfants de chré-
tiens » dans la situation contradictoire qui est nôtre, carac-
térisée d'un côté par une rupture indéniable avec la chré-
tienté et, d'un autre, par le fait que la structure de
chrétienté persiste à déterminer les rapports entre l'Église
et la société globale. Bref, comment considérer de manière
adéquate ceux que l'on appelle les catholiques non-prati-
quants et qui parfois réclament pour eux-mêmes cette
appellation paradoxale.
5. «En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la voca-
tion dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine,
nous
devons tenir
que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu
connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. » GS 22, 5.
« Ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Évangile du Christ
et son Eglise, mais cherchent pourtant Dieu d'un cœur sincère et s'ef-
forcent,
sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa
volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte,
là peuvent arriver ceux-
au salut éternel. À ceux-là mêmes qui, sans faute de
leur part,
ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de
Dieu, mais travaillent,
a non sans la grâce divine, à avoir une vie droite,
divine Providence refuse pas les secours nécessaires à leur
salut. » LG 16/1. ne
vue qui nous occupe ici, leur premier bénéfice est certai-
nement d'interdire qu'on alimente la pastorale du baptême
par « la peur de l'enfer6 ». Par ailleurs, ces affirmations
conduisent du même pas à un approfondissement salutaire,
mais pas toujours aisé, du sens de l'activité missionnaire
de l'Eglise, particulièrement dans les pays où le christia-
nisme est minoritaire7.
- Elle l'est, d'autre part, parce que nous ne parvenons
tout simplement plus à adhérer à une conception quasi
« magique » de la vie chrétienne qui fut jadis populaire et
selon laquelle, par la seule vertu de l'accomplissement des
rites prescrits, les sacrements seraient censés rendre méca-
niquement favorables à leurs récepteurs les dispositions de
Dieu. Contre cette conception s'élevait déjà la prédication
des prophètes de l'Ancien Testament, reprise par Jésus et
les premières communautés dénonçant un rapport ritualiste
au culte.
Ces heureuses prises de conscience nous amènent à sou-
ligner le fait que le baptême est acceptation de l'offre de
grâce adressée par Dieu à l'humanité, et entrée dans son
Alliance. Mais, ce faisant, elles ne peuvent qu'accentuer
l'amertume de ceux qui font, au jour le jour, l'expérience
de célébrer tout autre chose. C'est pour lutter contre cet
état de fait que fut instaurée, en 1965, par les évêques de
France une pastorale du baptême des petits enfants.
Auparavant, dans la plupart des cas, cette pastorale se limi-
Y
Limites de l'opération
En fait, les réunions de préparation ont eu peu d'effica-
cité. Comment s'en étonner ?
Ce n'est pas en quelques
8 Elles sont reprises par le CIC de 1983, voir canon 851 : «La
célébration du baptême doit être dûment préparée. Par conséquent
les parents de l'enfant à baptiser, ainsi
[.]
que les personnes qui vont assu-
de ce sacrement des obligations qu'il
sieurs familles
et ;
mer la charge de parrains, seront dûment instruits de la signification
comporte en réunissant plu-
et, là où c'est possible, en leur rendant visite, le curé,
Par lui-même ou par d'autres, veillera à ce que, par des exhortations
Pastorales et surtout par la prière en commun, les parents soient conve-
nablement préparés.
»
9. Voir P. DE CLERCK, L'initiation chrétienne entre 1970 et 1977
LMD 132,
« »,
1977/4, p. 79-102 ; « Orientations actuelles de la pastorale
du baptême dans A. HOUSSIAU éd., Le Baptême, entrée dans l'exis-
»,
tence chrétienne, Bruxelles, Fac. Univ. Saint-Louis, 1983,
p. 113-146.
réunions qu'un retournement intérieur peut se produire.
Dans la mesure où les participants sont réellement des
chrétiens convaincus qui ont besoin d'être relancés dans
une vie de foi quelque peu assoupie, ou qui ont besoin de
prendre une conscience renouvelée de ce qu'implique cette
foi dans la situation nouvelle qui détermine leur existence,
ces réunions peuvent être réellement profitables. Les par-
ticipants y trouvent l'occasion de vivre une sorte de récol-
lection qui leur permet d'approfondir la signification de
leur démarche et d'en personnaliser le déroulement par le
choix des lectures, des chants, l'insertion de poèmes, etc.
Mais la masse des catholiques non pratiquants vivent le
plus souvent ces réunions comme des formalités que le
clergé leur impose sans que, pour leur part, ils en perçoi-
vent la nécessité intérieure. En effet, ce sont bien souvent
des gens qui ont perdu tout contact vivant avec l'Église et
qui, pour la plupart, ont à peine été initiés à la foi qu'elle
annonce. Mais, par la force des choses, cette situation
objective ne peut pas être ouvertement prise en compte. On
ne peut en effet les considérer autrement que comme des
chrétiens qui, selon une tradition qui fait loi dans l'Église
depuis des siècles, demandent à l'Eglise le baptême de leur
enfant. Comme le rappelle le CIC de 1983, c'est pour eux
un devoir 10, et pratiquement un droit, qui ne peut norma-
lement pas leur être refusé, sauf s'il semble totalement clair
qu'ils n'ont pas réellement l'intention de permettre à leur
enfant d'être pleinement initié au mystère de la foi 11.
Compte tenu de cette situation objective qui structure la
»
rencontre de préparation, les « demandeurs ont très natu-
rellement à rendre compte de leur démarche en répondant
10. «Les parents sont tenus par l'obligation de faire baptiser leurs
enfants dans les premières semaines ; ils iront trouver leur curé au plus
tôt après la naissance et même avant, afin de demander le sacrement
pour leur enfant et d'y être dûment préparés. » Canon 867 § 1.
11. «Pour qu'un enfant soit baptisé licitement, il faut [.] qu'il y
ait un espoir fondé que l'enfant sera éduqué dans la religion catho-
lique ; si cet espoir fait totalement défaut, le baptême sera différé, selon
les dispositions du droit particulier, et les parents informés du motif. »
Canon 868, 91,2.
:
à la question
? «Que demandez-vous à l'Église pour vos
enfants » Cette question leur sera d'ailleurs formellement
posée au début de la célébration. Or, cette question consti-
tue inévitablement un piège, pour les questionneurs
d'abord. En effet, si ces réunions se déroulent dans un
authentique climat de liberté et s'il est clair qu'il ne s'agit
pas alors de passer un examen destiné à évaluer les parents
afin de leur accorder ou non satisfaction, les réponses lais-
:
seront inévitablement paraître une grande distance inté-
rieure avec la foi de l'Eglise de l'affirmation d'un franc
agnosticisme à la confidence d'une confiance vague en une
force supérieure, éventuellement accompagnée d'une sin-
cère admiration pour la figure de Jésus. Le questionneur
obtient donc une réponse qui manifeste le décalage entre
la signification qu'il reconnaît pour sa part à l'événement
qu'il va célébrer et la signification que lui confèrent les
« demandeurs ». S'il ne s'en satisfait pas, il va être tenté
de se montrer rigoureux dans l'espoir de faire advenir un
propos plus conforme à ce que l'Eglise confesse. Mais la
maladresse des réponses qu'il obtiendra, maladresse d'au-
tant plus visible que la culture classique des participants
est faible, ne rend que plus criant ce décalage. Faut-il alors
pousser jusqu'au bout la logique du rigorisme et refuser le
baptême de leur enfant à des parents qui se montrent inca-
pables d'une confession de foi pleinement développée
Cette solution a été écartée pour des motifs légitimes.
?
Impossible rigorisme
La raison la plus souvent évoquée était qu'il n'existe pas
de «pistéo-mètres : l'habileté à tenir un propos ortho-
»
;
doxe que montrent les plus cultivés ne garantit aucunement
la sincérité de leur discours la maladresse des plus cultu-
rellement démunis ne signifie pas nécessairement qu'ils
sont étrangers à la vie chrétienne. On l'a souvent dit, le
ngorisme écarte les simples et fait la part belle aux doctes,
au risque d'éteindre la mèche qui fume. L'Évangile ne s'y
retrouve pas et d'autant moins qu'on privilégie alors une
conception très notionnelle de la foi, au détriment de la
simple foi implicite de la multitude dont le premier mot
fut, des siècles durant, un « amen » sincère. De plus, on se
trouve alors en délicatesse avec la tradition séculaire, à
laquelle le droit fait écho, dont la tendance n'était certes
de faire autrement :
pas de limiter l'accès des enfants au baptême. Impossible
les parents qui présentent leur enfant
viennent avec la conscience qu'ils'agit d'un « droit et,
»
même plus, d'un « devoir que l'Église leur impose. Leur
»
démarche est donc bien fondée. A quel titre pourrait-on
?
dire qu'ils ne sont pas chrétiens Chrétiens, ils le sont par
un baptême qu'ils n'ont pas renié.
Le refus de transformer l'Eglise en secte de « parfaits »,
avec la part d'illusion et/ou d'hypocrisie que cela comporte
nécessairement, conduit à faire contre mauvaise fortune
bon cœur. On maintient donc une pastorale multitudiniste
accueillante qui n'a que très rarement été mise en cause 12.
Une fois écartés les abus les plus criants, venant de per-
sonnes étalant ouvertement leur résolution de ne pas édu-
quer chrétiennement leur enfant, les rencontres de prépa-
ration fournissent l'occasion d'échanges souvent riches en
contenu existentiel sur la responsabilité que confère la
situation de parents, sur la joie que procure la venue d'un
petit dans une famille, sur le don de soi qui se trouve par
là mobilisé.
Prenant leur appui sur cette expérience spirituelle que
constitue l'accueil d'un enfant dans une famille, ceux qui
dirigent ces réunions s'efforcent alors de rejoindre chez les
participants la part d'attachement à la foi de l'Eglise qui
demeure vivante en eux pour mobiliser et, dans la mesure
du possible, revitaliser cet héritage auquel ils disent tenir,
malgré toutes les ambiguïtés de leurs propos. Puis, en tout
état de cause, on passe généralement à l'acte en engageant
;
avec laquelle ils pensaient avoir rompu. Mais en général le
sens des sacrements s'y perd ils sont en effet vite réduits
a n'être
que l'occasion offerte à des gens de célébrer une
étape décisive de leur existence et d'affirmer leurs convic-
;
tions fondamentales sur le sens de la vie mais le sens du
mystère qu'ils célèbrent reste hors de vue. Cette pastorale
de l'accueil laisse donc entiers les problèmes qu'elle était
censée résoudre. Elle est en effet basée sur un trop profond
malentendu.
;
d'une « pastorale de la demande ». En fait, sous la forme
d'une demande, c'est une réponse qui s'énonçait réponse
seconde par rapport à l'offre de salut première que l'Église
faisait résonner largement en vertu de son emprise sur la
société.
Dans une société pluraliste cette cohérence est brisée.
Cependant, quoi qu'il en soit des aménagements de surface
qui ont vu le jour depuis quelque trente années, la pratique
pastorale demeure fondamentalement soumise aux normes
» «
héritées. En particulier, les demandeurs » continuent à
travailler « de mémoire en se référant aux règles jadis en
vigueur dans une société globalement chrétienne, alors
qu'en fait, à peine et souvent mal initiés, ils ne sont plus
eux-mêmes des sujets de la chrétienté, formés et vivant en
elle.
Dans une société qui contribue à dissoudre les apparte-
nances sociales, le délabrement de l'initiation chrétienne
conduit à une situation telle que ceux qui adressent à
l'Église
une demande de baptême ne le font plus en
connaissance de cause de ce que l'Eglise propose.
Confrontés à des discours sur le sens et les exigences du
baptême chrétien, ils ne peuvent donc les entendre autre-
ment que comme l'énoncé de raides conditions dont ils
n'ont jamais eu l'occasion d'apprécier la signification pro-
fonde. Se sentant rejetés
ou incompris par une attitude
rigoriste, ils ne peuvent que retourner contre l'Eglise les
* accusations» qu'ils croient peser sur eux. Ils dénoncent
alors, selon un schéma courant, l'hypocrisie d'une institu-
tion qui les charge de lourdes exigences dont ils
soupçon-
nent que les « bons chrétiens », pour leur part, n'en sup-
portent pas le dixième.
A l'inverse, une attitude accueillante sera ressentie
immédiatement comme plus évangélique et, pour cette rai-
;
son, faudra-t-il sans doute toujours la préférer au
rigorisme mais, sur la longue durée, elle contribue tout
autant à la lente dissolution du sens des sacrements et du
mystère qu'ils donnent à célébrer. Très souvent la célébra-
tion se trouve comme « instrumentalisée », mise au service
de l'expérience spirituelle singulière du demandeur et de
l'accomplissement des conventions de son milieu. Mais,
une fois prise la décision de poser l'acte sacramentel, on
est engagé trop loin dans la mise en œuvre pour qu'il soit
encore temps d'engager un discernement sur une démarche
qui mêle des motifs trop hétérogènes.
Changer de terrain
C'est cette contradiction que la Lettre aux catholiques
de France s'efforce de prendre en charge lorsqu'elle sug-
gère de passer d'une pastorale de la demande à une pasto-
rale de la proposition. Parler d'une pastorale de la propo-
!
sition, ce n'est certes pas avoir l'ambition de remédier d'un
coup à cette situation Mais c'est travailler à ce que, autant
qu'il est possible, ceux qui se présentent le fassent avec
une plus claire conscience de répondre à une proposition
qui les précède et qui a quelque peu déjà retenti à leurs
oreilles selon ce qu'elle signifie.
Prenant le relais de Michel de Certeau, Danièle Hervieu-
Léger, sociologue bien connue du christianisme contem-
porain, a amplement souligné en diverses occasions que les
Églises instituées ont perdu la maîtrise des représentations
»
chrétiennes qui circulent désormais « librement dans la
culture, hors de leur contrôle. Ce constat est interpellant.
Le prendre au sérieux conduit nécessairement à se
demander comment reprendre l'initiative de manière que
les demandeurs soient quelque peu en mesure de faire la
différence entre, d'une part, la proposition chrétienne et,
d'autre part, le rite social d'intégration aux contours flous
qu'ils se représentent. Car telle est bien aujourd'hui la
condition nécessaire pour que, entre mouvement d'adhé-
sion et mouvement de refus, s'ouvre le chemin d'un tra-
vail de discernement et de prise de décision. Or, on doit
bien le dire, malgré toutes les critiques dont elle a fait l'ob-
« »
jet, la mentalité de chrétienté (pour reprendre la for-
mule en usage dans le jargon de la pastorale française) a
de beaux restes. Souvent, nous continuons de nous com-
;
porter sans tirer les conséquences de notre analyse de la
situation même parmi les catholiques les plus motivés,
l'appropriation personnelle de ce que signifie et implique
la vie chrétienne
se trouve largement en deçà de ce que
réclame l'état présent de notre culture pluraliste. Nous fai-
sons encore comme si chacun savait de quoi il retourne,
sans mesurer l'éclatement de la « mémoire chrétienne à
laquelle il se réfère.
»
Un signe parmi d'autres, pour s'en tenir au plus visible,
nous en est donné par le contenu des panneaux ou des bul-
letins paroissiaux informant de ce qui concerne le baptême
des tout-petits ou le mariage chrétien. Ils ont trop souvent
1allure d'une rubrique de renseignements administratifs
Portant à la connaissance du public les conditions à rem-
plir pour entreprendre une démarche dont tout semble lais-
ser entendre que chacun sait de quoi il s'agit. Le malen-
;
tendu trop prévisible n'éclatera donc que lorsqu'il sera trop
tard trop tard pour procéder à autre chose qu'à ce large
accueil dont nous avons assez dit les limites. En effet, rares
sont aujourd'hui ceux qui savent « de quoi il s'agit ». Évo-
quer une pastorale de la proposition des sacrements, c'est
donc, pour ce qui nous occupe ici, prendre conscience de
la nécessité qui s'impose d'inverser le
cours des choses
par quels biais, de la catéchèse des enfants et adolescents
:
Jusqu'aux médias chrétiens, parvenir à proposer les che-
mins de la vie chrétienne bien avant que ne soit engagée
l'ultime étape de la préparation liturgique ?
De ce point de vue, l'expérience des catéchuménats
mais connue :
ouvre des perspectives intéressantes. La chose est désor-
si, dans une église, il est clairement dit que
« se faire baptiser à tout âge, c'est possible », l'expérience
montre qu'il se trouve des gens pour demander à en savoir
davantage. Le dialogue qu'ils engagent avec ceux qui les
accueillent se trouve alors d'emblée structuré de manière
claire, de sorte que peut se nouer une dialectique féconde
entre, d'une part, l'expérience spirituelle personnelle qui,
a
avec toute ses ambiguïtés, les mis en recherche et, d'autre
part, la proposition que l'Église leur adresse pour en
accompagner le mûrissement.
Toute proportion gardée, la même chose vaut pour le
sacrement de confirmation. Malgré les difficultés que l'on
connaît concernant la définition de ce sacrement et de sa
place dans le développement organique de l'initiation chré-
tienne 15, la confirmation que plus rien ou presque ne
pousse à « demander », fait aujourd'hui, dans la pastorale
des jeunes, l'objet d'une proposition résolue. Ici, nul
;
besoin de se débattre avec des demandes ambiguës dans
l'espoir incertain de les corriger mais il s'agit de propo-
ser une chance nouvelle dans le développement de la vie
chrétienne.
Dans le même sens encore, on peut citer la Lettre aux
mentelle:
catholiques de France à propos de la réconciliation sacra-
«Dans des circonstances exceptionnelles et
pourtant relativement fréquentes (pèlerinages, rassemble-
ments de jeunes par des aumôneries ou des communautés
nouvelles, etc.) des initiatives analogues sont prises en ce
qui concerne la proposition du sacrement de réconcilia-
tion, qui cesse d'être présenté comme une exigence légale,
mais qui apparaît comme une chance de se reconnaître
pécheur, accueilli par le Christ et membre personnellement
réconcilié de son Corps 16. »
15. H. BOURGEOIS,
;
«La place de la confirmation dans l'initiation
chrétienne », Nouvelle revue théologique 115, 1993, p. 516-542 P. DE
CLERCK, « L'initiation et l'ordre des sacrements », Catéchèse n° 147,
p. 33-42 (voir dans Catéchèse n° 148, p. 33-42, et Catéchèse n° 149,
p. 121-125, les réponses respectives de H. Bourgeois et
M.- L. Gondal).
16. LES ÉVÊQUES DE FRANCE, op. cit., p. 92-93.
Prospective
Selon l'orientation prise dans ces pages, envisager une
pastorale de la proposition des sacrements, c'est donc, au
moins pour une part, chercher les voies et moyens pour
travailler en amont de la pastorale liturgique proprement
dite 17. En effet, c'est bien avant le temps de la préparation
au sacrement que nous avons à faire retentir la proposition
du mariage ou du baptême chrétiens (pour nous en tenir
:
aux exemples qui nous ont retenus). En d'autres termes,
nous avons à apprendre à dire à neuf « mariez-vous
« faites baptiser vos enfants », en tenant compte de ce que
ou »
le contexte présent de la culture
:
nous impose. De manière
moins provoquante, cela peut s'énoncer ainsi nous avons
aujourd'hui à reconstituer, dans l'Eglise d'abord sans
doute, mais aussi plus largement dans la culture, des repré-
sentations sociales du baptême et du mariage chrétiens suf-
fisamment identifiables pour qu'à tout le moins elles inter-
rogent l'expérience spirituelle dans laquelle se trouvent
engagés tant de fiancés ou de jeunes parents habités par un
fond de mémoire chrétienne.
Il y a tout un travail à faire pour réapprendre à tenir un
tel propos et à faire exister de telles représentations de
manière juste. De manière juste, c'est-à-dire non pas
comme on rappelle une obligation à satisfaire pour se
mettre en conformité avec les bons usages, mais comme
on propose une chance pour vivre en vérité. De manière
juste, c'est-à-dire encore, non pas en faisant rêver à un
:
demande et de l'offre, nous substituions la dialectique de
l'appel et de la réponse
Henri-Jérôme GAGEY.
La Maison-Dieu, 216, 1998/4,59-72
Michel SCOUARNEC
LITURGIE ET ÉVANGÉLISATION.
DES CLIVAGES SURMONTÉS
:
d'événements ; :
juger confrontation avec l'évangile
agir décisions, actions pour des changements positifs) est
;
La révision de vie (voir: évocation et analyse de faits,
:
risque aux frontières peut rencontrer un obstacle inat-
tendu il est souvent peu crédible et non représentatif de
sa propre institution. L'attitude et le langage de celle-ci
peuvent entretenir le soupçon chez ceux qui sont loin. « Ce
que tu dis de la foi, ce n'est pas ce que dit et fait ton
Eglise. » Il arrive alors qu'il éprouve un grand malaise
par rapport aux langues de bois officielles et qu'il réagisse
comme Jésus, en se montrant accueillant pour ceux qui
sont loin, et dur pour les gardiens de l'ordre et du temple.
:
la proposition :
6. Ibid.,p.37.
7. Ibid., p. 38.
8.Ibid.,p.12.
9. Ibid., p. 39.
10. Ibid., deuxième partie, p. 43 s., notamment p. 46-47.
11. Il n'est pas dans le propos de cet article de voir comment ce
»
recours à la catégorie de « mystère se situe par rapport à la tradition
théologique et liturgique (Dom Casel »)
et la « théologie des mystères ;
l'emploi du terme est ici déconnecté de toute référence à l'histoire des
religions et s'enracine dans la théologie patristique.
devant la montée d'une sorte de «déculturation
: litur-
gique. Toutefois, il faut aller plus loin la liturgie est au
»
service de la proposition de la foi, non seulement comme
annonce de l'Evangile, ce qu'elle est bien sûr, et que
d'autres aspects de la vie de l'Église - catéchèse, mouve-
ments d'Eglise, aumôneries, etc. - assurent également,
mais comme lieu où l'homme se reconnaît croyant, c'est-
à-dire concerné et engagé par la proposition qui lui est
faite. Car il en va de la nature de la foi chrétienne d'être
confessée dans les sacrements, célébrée dans la liturgie et
mise en œuvre dans une pratique éthique.
Dès lors, si la proposition de la foi passe par de mul-
tiples canaux, c'est par la liturgie et dans la liturgie
qu'elle deviendra effectivement reçue avant d'être
concrètement vécue. Pour Arnaud, le jeune baptisé des
JMJ, la proposition de la foi s'est inscrite dans le cadre
d'une aumônerie militaire, mais c'est bien dans la nuit de
Longchamp qu'elle a atteint son but, au cours de la célé-
bration du sacrement qui le faisait devenir membre vivant
de l'Eglise de Jésus Christ. Le mouvement même de la
Lettre aux catholiques de France pose la liturgie comme
partenaire privilégiée de la dynamique qu'elle entend sus-
citer. Comment ne pas se réjouir ici d'une «nouvelle
donne » qui accorde, si l'on ose dire, toute sa place à la
liturgie 12 ?
en semaine :
À titre d'exemple, évoquons la célébration de la messe
il est assez fréquent, au moins dans les
grandes villes, de multiplier les célébrations pour offrir une
grille horaire favorable au regard des rythmes de travail.
Ne conviendrait-il pas de chercher des modes de célébra-
tion plus diversifiés, en tirant du trésor de la liturgie des
propositions pour rejoindre, dans leurs particularités, des
catégories de personnes pour lesquelles l'eucharistie n'est
?
pas la voie royale d'une pratique liturgique On peut pen-
«
ser ici aux recommençants » ou aux personnes en
recherche, mais aussi aux catholiques en situation particu-
lière, comme les divorcés remariés.
7 novembre 1994 ;
juin 1994, quelques mois avant le premier Rapport Dagens, daté du
il était signé par Mgr Michel Moutel (t) comme
Dagens;
président et par les huit évêques de la Commission, dont Mgr Claude
:
dans une courte présentation, les évêques signataires s'ex-
pliquent sur la nature et la portée du texte « Au départ, la demande
du Conseil permanent portait sur des questions pastorales rencontrées
à l'occasion du baptême des petits enfants, de la confirmation des
jeunes et du mariage. Sans perdre de vue la visée pratique et pasto-
rale, bien au contraire, il nous a paru nécessaire de commencer par une
réflexion qui aide à inscrire la pastorale sacramentelle aujourd'hui dans
la mission évangélisatrice de l'Église. Ce chapitre dit l'orientation fon-
damentale et commande la suite », PRPS, p. 14.
20. PRPS, p. 19.
bouscule les usages reçus 21. Elle accepte de courir des
risques. La pratique des «expériences »
qui marqua la
période autour du concile Vatican II est donc nécessaire,
surtout dans un temps où se jouent des évolutions impor-
tantes. Cette pratique exige toutefois de la rigueur, aussi
bien dans la préparation que dans la présentation et l'éva-
luation, et requiert la capacité de prendre en compte le
caractère positif et instructif de l'échec.
En second lieu, et c'est là, semble-t-il, l'accent majeur
voulu par les membres de la Commission, les Points de
repère mettent en évidence le caractère missionnaire de
cette perspective 22. La dichotomie entre sacramentalisation
et mission qui avait dominé le débat des dernières décen-
nies, se trouve récusée. La liturgie n'est pas une activité
dont l'horizon se limite aux chrétiens pratiquants, suppo-
sés déjà évangélisés, par opposition à ceux du dehors que
l'on doit rejoindre par la mission. Elle est une proposition
qui rejoint les chercheurs de Dieu de tous les temps. C'est
21. Cette attitude est source de conflits lorsque les acteurs repré-
:
la Lettre aux catholiques de France pose un antidote de
poids la nécessaire circularité entre les trois grandes
modalités que sont le témoignage, le service et la liturgie40.
La proposition de la foi à travers la liturgie ne sera authen-
tique que si elle fait jouer cette circularité.
temps:
décisif et célébration des sacrements - définissent quatre
le temps de la première évangélisation, du caté-
chuménat, de la purification, et enfin de la mystagogie42.
:
La proposition de la foi dans la liturgie de l'initiation chré-
tienne est donc un cheminement dans le temps la liturgie
propose la foi comme un « vivre avec ».
Dans le dialogue qui ouvre la célébration de l'entrée en
catéchuménat43, après avoir demandé le nom des candidats
;
raire, voir RICA, p. 18, 32, 36, 58, 80, 96, 138 et 162.
43. OICA 75 RICA 80.
et les avoir appelés, la première question posée par le célé-
: :
brant est « Que demandez-vous à l'Eglise de Dieu », à
laquelle le candidat répond «La foi ». Le dialogue se
?
:
poursuit comme si la question devait rebondir pour susci-
:
ter déjà une mise en chemin « Que vous apporte la foi »
avec la réponse « La vie éternelle 44. » Cette interrogation
figurait déjà dans le Rituel romain avant Vatican II et
?
appartient au fond des rites baptismaux en Occident depuis
le Moyen Âge 45. Le rite de l'entrée en catéchuménat se
présente donc d'emblée sous le signe de la proposition de
la foi puisqu'il s'agit de répondre au candidat qui demande
la foi à l'Eglise. La réponse revêt cependant un caractère
paradoxal pour nos esprits modernes.
On ne propose pas d'emblée au candidat un exposé de
la foi à la manière d'un catéchisme, mais une première
adhésion, suivie d'un rite d'exorcisme et de renonciation
aux cultes païens, d'une signation du front et des sens, et
enfin de l'entrée dans l'Eglise 46. La première adhésion
enregistre la volonté du candidat de se mettre en chemin :
les trois formules proposées par le rituel se présentent
comme une invitation à laquelle le candidat répond « Oui :
44. Le rituel précise toutefois que « pour ce dialogue, le célébrant
peut employer d'autres formulations. Il accueillera les réponses des
:
candidats telles que la grâce du Christ, l'entrée dans l'Église, la vie
éternelle, etc. ».
45. Voir Ritualeparvum ad usum Dioecesium Gallicae linguae, auto-
risé par la Sainte Congrégation des rites le 28.11.1947, Tours, Marne,
1948, p. 11 ; pour l'histoire de cette interrogation, voir Th. MAERTENS,
Histoire et pastorale du rituel du catéchuménat et du baptême, Bruges,
Biblica, coll. « Paroisse et Liturgie. Collection de pastorale liturgique »,
56, 1962, p. 214-215 ; le questionnaire Quidpetis apparaît pour la pre-
mière fois dans un rituel anglais du XIIesiècle; il figure dans une ver-
sion longue comprenant une monition, dans le Pontifical de la Curie,
Ed. Andrieu, III,
p. 513 ; Th. Maertens estime que cet interrogatoire
aurait pu naître à l'époque où les baptêmes d'adultes étaient la règle,
mais qu'elle a été inventée pour « atteindre les parrains et les amener à
reprendre conscience de leur responsabilité », op. cit., p. 215.
46. OICA 76-77 ; RICA 81-82 (première adhésion) ; OICA 78-82 ;
RICA 83-87 (exorcisme et renonciation) ; OICA 83-87 ; RICA 88-92
(signation) ; OICA 90 ; RICA 95 (entrée dans l'église).
(je suis prêt) ». L'accent porte, non sur l'aspect doctrinal,
mais sur la conversion comme expérience d'illumination
et de connaissance de Dieu et du Christ.
Pour autant, le rituel n'oublie pas la dimension doctri-
nale de la confession de foi. Cet aspect est déjà présent
avant l'entrée en catéchuménat, au cours du « temps de la
»
première évangélisation durant lequel une présentation
appropriée de l'Évangile sera faite aux candidats 47. Il le
sera après cette célébration, pendant le catéchuménat, ce
« temps prolongé d'apprentissage de la vie chrétienne (par-
fois plusieurs années) comportant catéchèse et rites appro-
priés 48 ». Juste avant la célébration du baptême, les « tra-
ditions » (traditio) du Symbole et du Pater, qui
appartiennent au fond de l'initiation chrétienne depuis
l'Antiquité chrétienne49, manifestent la place de cette
dimension cognitive. Au terme du processus, dans le rite
baptismal lui-même, après la bénédiction de l'eau et une
»
ultime renonciation « à Satan », « à ses œuvres et « à ses
séductions 50 », la confession de la foi emprunte le cadre
:
d'un dialogue ternaire qui commence par le nom du can-
didat «N., croyez-vous en Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre 51 ? » La foi trinitaire appa-
raît donc ici moins comme corps de doctrine que comme
mise en présence, car elle précède immédiatement le rite
de l'eau « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ».
Il n'est pas sans importance de rappeler ici que dans cer-
tains documents de l'Antiquité, comme laTradition apos-
:
tolique par exemple, confession de foi et immersion dans
l'eau baptismale étaient liées l'évêque interrogeait le can-
;
47. OICA 11, RICA 67 le motif théologique de cette première
évangélisation est que «la foi et la conversion initiale naissent de
;
l'évangélisation conduite avec l'aide de Dieu », OICA 10 RICA 66
on retrouve ici le célèbre fides ex auditu de Rm 10, 17.
;
;
48. OICA 7 RICA 42.
49. Voir V. SAXER, Les Rites de l'initiation chrétienne du IIe au
VIe siècle. Esquisse historique et signification d'après leurs principaux
témoins, Spolète, Centro Italiano di studi sull'alto medioevo, 1988.
50. OICA 217;RICA 217-218.
51. OICA 219; RICA 220.
didat dans l'eau et le candidat était plongé après chaque
confession 52. Ce procédé rendait évident que la confession
trinitaire est une immersion dans la Trinité.
En définitive, la proposition de la foi dans la liturgie de
l'initiation chrétienne apparaît, sous le signe de l'expé-
rience, et donc de la durée. A travers un rituel qui se
déroule par étapes, le candidat est mis en position de
découvrir le caractère existentiel de la confession de foi.
L'enseignement de la foi qui est au cœur du parcours caté-
chuménal est intégré dans un ensemble de rites qui permet
d'en faire l'expérience, de se l'approprier dans une
démarche personnelle. La liturgie fait droit ici à une
compte :
requête que le Rapport Dagens cherche à prendre en
« L'exigence d'une appropriation personnelle (de
l'héritage, de la foi) est devenue impérative 53. »
La liturgie de la Parole.
:
l'épître aux Romains 55. La liturgie de la Parole ne se limite
pas à l'écoute des lectures la Présentation générale du
Missel romain précise, que si « la partie principale de la »
liturgie de laparole est « constituée par les lectures tirées
de la sainte Ecriture, avec les chants qui s'y intercalent »,
52. Voir V. SAXER, p. 116 ; sur les rites baptismaux des IVe-Ve siècles,
synthèse, p. 431.
53. LCF, p. 37. L'article de Ph. GUENELEY, dans ce même numéro,
développe plus amplement Le catéchuménat et la proposition de la
«
foi».
54. Présentation générale du missel romain (PGMR), 34.
55. Concile Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres,
4, voir Rm 10, 17.
elle comprend également trois éléments qui en sont comme
le développement et la conclusion 56 : l'homélie, considé-
rée comme nécessaire pour nourrir la vie chrétienne57 », la
prière universelle et la profession de foi. La thématique de
risque:
la «proposition de la foi» présente, en ce domaine, un
celui de privilégier l'aspect didactique de ce
moment de la célébration. La liturgie de la Parole en son
entier, y compris l'homélie qui, rappelle le concile
»
Vatican II, «fait partie de l'action liturgique 58, ne peut
être conçue à la manière d'un exposé théologique. C'est
un processus rituel par lequel l'Eglise propose la foi, sous
le mode de la célébration. La thématique conciliaire des
»
« deux tables exprime avec bonheur que l'aspect didac-
tique est inséparable du rite. Participer à un repas, c'est
satisfaire au besoin de s'alimenter et, tout autant, de vivre
avec d'autres une expérience de communion.
Lorsqu'on évoque la célébration eucharistique, c'est
naturellement la proclamation du Credo qui peut apparaître
comme le sommet de la proposition de la foi, puisque « le
Symbole, ou Profession de foi, dans la célébration de la
messe, vise à ce que le peuple acquiesce et réponde à la
parole de Dieu qu'il a entendue dans les lectures et par
l'homélie, et se rappelle la règle de foi avant de commen-
cer à célébrer l'Eucharistie59 ». La place et surtout la fonc-
tion du Credo méritent cependant quelques réflexions.
Du point de vue historique, il faut attendre le début du
XIe siècle pour que le Symbole soit reçu dans la liturgie
;
romaine60. Introduit à Constantinople, dès le VIe siècle,
dans le contexte du combat contre l'arianisme il apparaît
en Espagne à l'instigation du troisième concile de Tolède
:
en 589, au moment où les Wisigoths abandonnèrent l'aria-
nisme ; il est alors placé juste avant le Pater il s'agissait
56. PGMR33.
57. PGMR 41.
58. Concile Vatican II, Constitution sur la liturgie, 35 ; sur l'aspect
didactique de la liturgie, voir les n. 33-36.
59. PGMR 43.
60. R. CABIÉ, L'Eucharistie, dans A.-G. Martimort, LEglise en
prière, nouv. éd., Paris, Desclée, 1983, t. II, p. 149 et 162.
donc, au moment de la communion, de s'assurer de l'or-
thodoxie des participants. C'est à partir de l'Espagne
encore, à la fin du VIIIesiècle, et dans le contexte cette fois
de la lutte contre l'hérésie adoptianiste, que le Symbole de
Nicée-Constantinople est reçu dans la liturgie franque, à la
place que nous lui connaissons, et peu après, sous l'in-
fluence des théologiens de Charlemagne, avec la célèbre
incise Filioque.
La proclamation du Credo dans la liturgie est donc rela-
tivement tardive et, surtout, elle apparaît lors de crises
théologiques. Mais l'histoire de son introduction révèle
deux aspects remarquables du rapport entre liturgie et pro-
position de la foi. La participation à la liturgie dans son
expression la plus forte, à savoir la communion eucharis-
tique, implique la communion dans la foi. Mais parce que
«la foi vient de la prédication » » et que la prédication,
« c'est l'annonce de la Parole du Christ (Rm 10, 17), le
Credo se présente comme réponse à la Parole de Dieu,
entendue sous la double forme des lectures et de l'homé-
lie.
Le Missel romain insiste sur l'importance du chant dans
la liturgie en indiquant qu'en choisissant les parties qui
«
seront effectivement chantées, on donnera la priorité à
celles qui ont le plus d'importance, et surtout à celles qui
doivent êtres chantées par le prêtre ou les ministres, avec
réponse du peuple, ou qui doivent être prononcées simul-
tanément par le prêtre et le peuple 61. » Et lorsqu'elles évo-
quent le Credo, les rubriques indiquent que « le Symbole
doit être dit par le prêtre avec le peuple le dimanche et les
jours de solennités 62.» Du rapprochement de ces deux
textes, il faut conclure qu'il est normal que la Profession
de foi soit chantée et
non récitée. Par le chant, le peuple
chrétien est à même de percevoir l'aspect esthétique de la
proposition de la foi. La confession de foi n'est pas seule-
ment vraie et bonne, mais elle est aussi belle.
109;?
B. FISCHER, «Le Christ dans les psaumes », LMD 27, 1951/3, p. 86-
voir également A. GERHARDS, «Prière adressée à Dieu ou au
Christ Relecture d'une thèse importante de J. A. Jungmann à la lumière
de la recherche actuelle », dans Liturgie, spiritualité, cultures.Semaines
d'études liturgiques Saint-Serge 1982, Rome, CLV, 1983, p. 101-114.
67. DOM C. VAGAGGINI, Initiation théologique à la liturgie, adapté
de l'italien par Dom P. Rouillard, t. 1, Bruges, Apostolat liturgique,
Paris, Société liturgique, 1959, p. 135 s.
68. Ibid., p. 158 s. ; à propos de l'anaphore de la Tradition aposto-
:
lique, qui a servi de texte de base pour notre Prière eucharistique II,
;
C. Vagaggini écrit « Cette anaphore est conforme au scnéma trinitaire
[.]
traditionnel
:
», p. 159 en Orient, l'orientation strictement théo-
logique de la prière eucharistique n'est pas de règle l'anaphore
grecque de Grégoire de Nazianze est adressée au Christ, voir A.
GERHARDS, Die griechische Gregoriosanaphora, Munster, Aschendorff,
1984 ; sur la structure trinitaire des prières eucharistiques actuelles, voir
L.-M. CHAUVET, dans Agapè, L'eucharistie, de Jésus aux chrétiens
d'aujourd'hui, Paris, Droguet etArdant, 1981, p. 198-201.
69. Voir P.-M. GY, « La place du Christ et de son image dans la
prière eucharistique », LMD 210, 1997/2, p. 29-34 et «La liturgie de
l'Église, la tradition vivante et Vatican II Revue de l'Institut catho-
»,
lique de Paris, 1994, p. 29-37, spécialement p. 33-34.
70. Voir DOM VAGAGGINI, op. cit., p. 160:«Cette anamnèse
s'adresse au Père, terme de la prière et de la louange en même temps
que source première de tous les bienfaits passés et présents qui sont
ici rappelés ou demandés. Le Christ est le médiateur de notre action
de grâces parce qu'il a été le médiateur de notre Rédemption et parce
que l'action eucharistique est l'anamnèse de sa mort et de sa résur-
rection. Enfin le Saint-Esprit est celui en présence de qui s'accomplit
l'offrande de la sainte Église, celui que les croyants reçoivent en com-
muniant et grâce à qui ils peuvent louer le Père par le Christ. »
En second lieu, la proposition de la foi qui s'exprime
:
dans la prière eucharistique est prise dans un grand souffle
de louange la liturgie présente le dogme en habit de poé-
sie. Ce n'est pas un artifice destiné à séduire, mais cette
caractéristique a du poids, dans un contexte où tant de nos
contemporains témoignent une grande méfiance à l'égard
de tout ce qui, dans la présentation de la foi, leur semble
expression desséchée et rationalisante ou même dogma-
tisme. Cette caractéristique exigerait de donner toute sa
œuvre :
chance à la prière eucharistique, à travers sa mise en
le chant, le silence, la beauté des objets,l'accom-
pagnement musical sont autant d'éléments qui permettent
à l'assemblée chrétienne de percevoir la beauté de la pro-
position de la foi. Car la liturgie est plus à même que la
:
théologie de faire pressentir le ressort intime de la confes-
sion de foi chrétienne les chrétiens qui confessent la foi
en célébrant le mystère pascal sont habités par l'émer-
veillement devant les mirabilia Dei, celles de la création
bien sûr, et plus encore celles de la Rédemption, comme il
est dit par exemple dans l'une des préfaces du temps pas-
: «Vraiment, il est juste et il est bon de te glorifier,
:;
cal
Seigneur, en tout temps, mais plus encore en ces jours où
le Christ, notre Pâque, a été immolé en détruisant un
monde déchu, il fait une création nouvelle et c'est de lui
que nous tenons désormais la vie qu'il possède en pléni-
»
tude (Quatrième préface de Pâques).
Enfin, la prière eucharistique donne à la proposition de
la foi la forme d'un récit. La liturgie est le prolongement
direct de l'Écriture elle-même. La partie proprement
eucharistique de la messe est en continuité avec la liturgie
de la Parole. Il y a, si l'on ose dire, une sorte de « consub-
stantialité », dans la mesure où c'est le grand récit pascal
qui fournit le pôle unificateur. C'est vers la Pâque du Christ
que pointe la lecture chrétienne des Ecritures, y compris
celle de l'Ancien Testament. C'est dans la Pâque du Christ
que la geste eucharistique trouve son origine et sa dyna-
mique. Pour justifier le choix de la prière eucharistique IV
comme base d'un exposé de la foi, les évêques de France
notaient ainsi que « ce texte trace tout le plan du salut de
l'homme en Jésus Christ. De la création jusqu'au retour du
Christ, il fait mémoire de toutes les étapes de l'alliance, de
toutes les bénédictions accordées par Dieu aux
hommes 71 ». Et si la liturgie eucharistique propose la foi,
sous forme d'un récit, c'est afin de nous permettre d'en-
trer dans l'histoire du salut.
En résumé, la proposition de la foi telle qu'elle s'ex-
prime dans la liturgie eucharistique peut être tout entière
placée sous le signe de l'invitatoire qui introduit l'action
eucharistique : « Le Seigneur soit avec vous. Et avec votre
esprit. Élevons notre cœur. Nous le tournons vers le
Seigneur. Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. Cela est
juste est bon. » Nous retrouvons ici notre intuition selon
laquelle la proposition se dévoile déjà dans ses prémisses.
:
En effet, la proposition de la foi dans l'eucharistie se révèle
être une triple invitation au grand dialogue entre Dieu et
son peuple d'abord, à la louange et à l'action de grâce
ensuite, enfin à entrer dans le récit pascal par lequel Dieu
écrit l'histoire du salut et tisse l'alliance toujours déchirée
et sans cesse renouvelée. L'invitatoire est la couleur spé-
cifique de cette proposition. Il n'y a là rien d'étonnant :
dans la célébration eucharistique, le Christ nous invite à
son repas en se donnant lui-même en nourriture
« Heureux les invités au repas du Seigneur. »
:
L'ordination épiscopale.
Le rituel de l'ordination épiscopale 72 a été entièrement
révisé lors de la réforme liturgique 73 pour tenir compte de
;
72. Pontifical romain, L'Ordination de l'évêque, des prêtres, des
diacres, nouvelle édition, Paris, Desclée-Mame, 1996 il s'agit de
l'adaptation française de la deuxième édition du rituel latin parue en
rum;
1990 sous le titre De ordinatione episcopi, presbyterorum et diacono-
1968.
la première édition du rituel rénové avait été promulguée en
:
catégorie de « dépôt ». Au candidat, il est demandé dans le
dialogue initial « Voulez-vous garder dans sa pureté et son
intégrité le dépôt de la foi, selon la tradition reçue des
Apôtres, toujours et partout tenue dans l'Eglise 79 ? » Mais
:
la liturgie unit les aspects dogmatiques et relationnels de la
foi il s'agit bien du dépôt de la foi, mais en tant qu'il est
reçu dans la tradition, garantie par la succession
apostolique.
En définitive, l'ordination épiscopale propose la foi en
tant qu'elle est expérience de l'Esprit à l'œuvre dans
l'Eglise 80. Ceci vient éclairer la dimension pentecostale
d'une « pastorale de la proposition ». La liturgie de l'ordi-
; :
en vue de leur salut la force de Dieu, de même par les
confirmation;
sacrements, ils sanctifient les fidèles ils règlent la célé-
bration du baptême ils sont les ministres originaires de la
ce sont eux qui confèrent les saints Ordres
et règlent la discipline de la pénitence. Revêtus de la plé-
nitude du sacrement de l'Ordre, ils "portent la responsabi-
lité de dispenser la grâce du suprême sacerdoce", en par-
ticulier dans l'eucharistie qu'ils offrent eux-mêmes ou dont
:
ils veillent à ce qu'elle soit offerte. Car toute célébration
légitime de l'eucharistie est dirigée par eux en effet,
chaque fois que la communauté de l'autel se réalise, en
dépendance du ministère de l'évêque, se manifeste le sym-
bole de la charité et de l'unité du Corps mystique 85 ».
Conclusion
Le projet de cet article était de repérer les propositions
LE CATÉCHUMÉNAT
ET LA PROPOSITION DE LA FOI
Dieu? :
mènes en marche vers le baptême, le célébrant oose
» Le catéchumène répond :
la question suivante « Que demandez-vous à l'Eglise de
« La foi. » C'est dans
le but de satisfaire cette réponse que le catéchuménat
déploie toutes ses énergies, pour que ceux qui n'étaient que
des « rudes », des débutants, des commençants structurent
peu à peu leur foi en adhérant à la foi de l'Eglise.
Le catéchuménat propose un chemin de foi. Il est un
chemin d'initiation qui permet aux catéchumènes d'acqué-
rir une identité chrétienne. Au catéchuménat, le chemin de
la proposition de la foi est marqué par des étapes qui asso-
cient le développement de la foi dû à la catéchèse et les
célébrations liturgiques. Le temps du catéchuménat, avec
son enseignement catéchétique et la célébration des étapes
liturgiques, forme un tout. Ce qui est proposé par la caté-
chèse pour nourrir la foi des catéchumènes est alors célé-
;
bré dans les rites des étapes. Et ceux-ci permettent à la foi
de grandir ils constituent une initiation en acte pour la foi.
En regardant les différents temps et les principales
étapes célébrés au catéchuménat, nous verrons ce qui est
proposé de la foi et comment celle-ci se structure pas à pas.
2. RICA. 90.
3. RICA,71, 73,77.
Au cours de cette période, le catéchuménat propose des
célébrations de la Parole de Dieu. Celles-ci ont pour but
« de graver dans le cœur des catéchumènes l'enseignement
reçu à propos des mystères du Christ et de la manière de
vivre qui en découle, par exemple les exigences propres au
Nouveau Testament, le pardon des injustices et des injures,
le sens du péché et de la conversion, les devoirs que les
chrétiens ont à remplir dans le monde, etc. 4. » Ces
célébrations sont aussi une initiation à la prière et à la
liturgie.
L'écoute de la Parole de Dieu, réalisée par les catéchu-
mènes, les introduit à la connaissance des Ecritures, sans
laquelle il ne peut y avoir de connaissance du Dieu vrai et
de Jésus Christ. « C'est uniquement dans la révélation de
l'Ecriture, qui a son apogée en Jésus, que nous pouvons
connaître le Dieu vivant, Celui que ne nous révèle ni la
chair, ni le sang, ni les raisonnements, ni les habitudes, ni
les déductions de notre esprit5. » On ne peut parvenir à la
foi en Jésus Christ sans se référer aux Écritures.
« L'ignorance des Écritures, c'est l'ignorance du Christ »,
disait saint Jérôme, cité par la Constitution du Concile6,
Dei Verbum.
Les célébrations de la Parole de Dieu permettent aux
catéchumènes de nourrir leur foi, de lui donner chair,
consistance. Dieu ne leur parle pas de façon abstraite. La
Parole et l'Esprit travaillent et éclairent leur conscience.
Ces célébrations peuvent être accompagnées d'exor-
cismes ditsmineurs 7 et d'autres rites, comme les traditions
du Symbole de la foi et du Notre-Père 8, l'Effetah9 et l'onc-
tion 10. Considérés comme l'essentiel de la foi et de la
prière de l'Église, le Symbole de la foi et le Notre-Père
4. RICA, 107.
5. Cardinal C.-M. MARTINI, Se retrouver soi-même, Paris, Éd.
Brepols, 1997, p. 92.
6. Concile Vatican II, DV, n. 25.
7. RICA, 109.
8. RICA, 120, 175-186.
9. RICA, 120, 194-196.
10. RICA, 120-125.
transmis aux catéchumènes leur permettent d'entrer plus
avant dans la foi des chrétiens. « En recevant le Symbole
qui rappelle les hauts faits de Dieu pour le salut des
hommes, leurs yeux sont remplis de foi et de joie. En rece-
vant l'Oraison dominicale, ils prennent plus profondément
conscience du nouvel esprit filial qui leur fera donner à
Dieu le nom de Père, particulièrement au sein de l'assem-
blée eucharistique » Les exorcismes, de même que le
rite de l'onction avec l'huile des catéchumènes, font res-
sortir que la foi est un combat, elle n'est pas un chemin
facile. Les catéchumènes éprouvent des résistances à l'in-
térieur d'eux-mêmes et rencontrent des obstacles qui vien-
nent de l'extérieur. Ils découvrent que, dans le combat
qu'ils mènent pour grandir dans la foi, Dieu seul fortifie
leur foi, l'augmente, et que, en croyant en Jésus, « ils se
soumettent à l'Esprit de foi et de grâce 12». La dimension
du combat de la foi sera de nouveau développée dans la
célébration des scrutins.
Les scrutins
Trois célébrations de scrutins sont proposées aux caté-
chumènes durant le carême. Elles ont pour but d'aider les
catéchumènes à approfondir leur connaissance du Christ,
tout en découvrant leurs faiblesses et le besoin de la force
de Dieu. En entendant les trois évangiles qui leur sont pro-
posés, les catéchumènes découvrent plusieurs aspects du
Christ Rédempteur. Jésus est l'eau vive (voir évangile de
la Samaritaine, Jn 4, 5-42), il est la lumière (voir évangile
de l'aveugle-né, Jn 9, 1-41), il est la résurrection et la vie
(voir évangile de la résurrection de Lazare, Jn 11, 1-45).
Cette découverte du Christ, unique Rédempteur, permet
:
personnelle. Ils sont capables de répondre affirmativement
a la question posée « Crois-tu au Père tout-puissant, à son
?
Fils Jésus Christ et au Saint-Esprit » Ce qui était encore
impossible avant l'initiation devient réalisable après le
temps du catéchuménat. La foi a pris forme chrétienne en
particulier, en accueillant la dimension trinitaire de la
Révélation. Les catéchumènes ont découvert une diversité
:
chez les chrétiens, mais une diversité au cœur de laquelle
ils ont reconnu une foi commune. Ils sont alors « baptisés
dans cette foi que l'Église leur a transmise au nom de Dieu
et qu'ils ont embrassée 17 ». Le baptême est vraiment
sacrement de la foi.
En recevant le baptême, la confirmation et l'eucharistie,
les catéchumènes vivent
par les rites ce que la foi leur a
révélé sur la place centrale du Christ. Par la foi et les rites,
16.Ac4,12.
17. RICA, 207.
ils participent au mystère pascal du Christ. « Le rite de
l'eau signifie la participation mystérique à la mort et à la
résurrection du Christ18. » L'onction du saint chrême
accrédite les catéchumènes pour répandre la bonne odeur
du Christ. Entrés dans le peuple de l'Alliance réalisée par
Dieu, ils sont prêts à prier avec des frères en disant Notre
Père et à prendre part au repas du Seigneur.
Au terme de l'initiation chrétienne, la proposition de la
?
foi est-elle achevée pour les nouveaux baptisés Certes,
conduits par l'Esprit de Dieu sur le chemin de la foi,
accompagnés par l'Eglise avec sollicitude, les catéchu-
mènes finissent par réaliser une certaine articulation de la
:
foi
- sa forme trinitaire, avec la place de Dieu, créateur,
Père, qui prend l'initiative du salut, la place de Jésus
Christ, Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, la place de
l'Esprit sanctificateur. Ils découvrent une cohérence de
l'Évangile et la manière dont la Parole de Dieu éclaire leur
existence;dimension : ils besoin de l'Église
- sa ecclésiale ont eu
pour naître à la foi, pour devenir chrétiens. Ils ne sont
:
jamais seuls. C'est dans l'Eglise qu'ils auront à progresser
- sa forme sociale la foi des catéchumènes est une foi
;
qui agit, en ce sens qu'elle engendre des changements de
mentalités et de comportements qui sont parfois doulou-
reux. La foi naissante est marquée par la croix.
Mais au terme du parcours qui les a constitués chrétiens,
les nouveaux baptisés auront à vivre leur foi en Eglise,
avec les frères croyants, grâce au partage de la Parole de
Dieu, par la prière commune et la célébration de l'eucha-
ristie, par la pratique de l'Evangile dans les lieux de leur
vie quotidienne. Ils pourront bénéficier de ce que l'Eglise,
dont ils sont devenus membres, met à leur disposition pour
grandir dans la foi. Mais eux-mêmes sont capables d'ap-
porter du sang neuf dans le témoignage et la proposition
de la foi.
Philippe GUENELEY.
:
de couleur s'ouvre sur des images de bonheur simple, défi-
lant devant l'adolescent indécis sa famille, ses amis, une
fête de quartier, le club de sport. Retour au noir et blanc.
Le groupe s'impatiente.
« T'en prends ou t'en prends
?
pas » Le jeune hésite, il est tenté, mais les images revien-
:
nent. Il oscille jusqu'au moment où sa décision claque dans
:
un silence tendu « Non, j'en prends pas. » Le slogan s'af-
fiche alors « Aidez-les à trouver la force de dire non » !
De la mort à la vie.
:
tentation et fait sortir du doute. L'appel de la vie finit par
être le plus fort, mais rien ne coule de source il y a bien
prise de décision, renoncement et retournement vers
quelque chose de reconnu comme essentiel.
;
Le mouvement pascal de la vie, plus forte que la mort,
constitue le cœur des sacrements chrétiens la profession
de foi baptismale comprend une renonciation explicite et,
par toute sa symbolique, marque fortement le passage des
;
ténèbres à la lumière. Le Christ appelle à des ruptures radi-
cales croire en Lui conduit à de véritables choix. Mais le
climat actuel, globalement fait de syncrétisme et de tolé-
rance, n'est pas vraiment porteur. Tandis que la société,
marquée par le confort « New age », promeut le bricolage
éthique et religieux tous azimuts, sans véritable option ni
renonciation, la pastorale de l'Église est-elle actuellement
suffisamment sensible à cette dialectique éducative Le ?
chrétien sait-il identifier et brûler les idoles contempo-
raines? Jusqu'où juge-t-il sa foi chrétienne compatible
avec d'autres pratiques et d'autres croyances, et où com-
mencent, pour lui, les incompatibilités ?
Pour réfléchir à ces questions, la Lettre des évêques
s'offre comme un guide. On ne fera ici qu'en souligner
;
l'itinéraire. Il s'agit d'accueillir et de comprendre la situa-
tion actuelle, en laissant les évangiles l'éclairer par le com-
bat spirituel du Christ lui-même ensuite, de scruter la tra-
dition liturgique comme réserve de foi, en tant qu'elle met
en scène le mouvement de conversion et le franchissement
décisif. Dans une Église qui propose de croire, il est néces-
saire d'exprimer à frais nouveaux l'impact éducatif d'une
catéchèse liturgique reçue avec sa rude beauté et son invi-
tation au choix.
Une société en mal de renoncement
L'embarras duchoix.
Quand aucune transcendance ne s'impose plus de façon
unitaire, les individus affrontent seuls le grand pluralisme
des convictions. Telle est la condition de l'homme moderne
ou chacun bricole son espérance. Dans un climat où l'on a
tendance à tout se permettre, le christianisme s'offre,
optionnel et relatif, parmi les autres religions, sur les éta-
lages de l'hypermarché du sens et des spiritualités, à côté
de sectes et de bien d'autres prêts-à-penser ésotériques,
magiques, etc. En quelques décennies, la génération des cer-
titudes a donné naissance aux enfants du caddie 1 ». En ce
«
temps morcelé, en proie à un « zapping » permanent, les
jeunes « s'éclatent », ils sont effectivement en miettes, ne
sachant ni à qui ni à quoi se fier pour construire leur unité.
On avait imaginé un monde d'athéisme et c'est une vague
d'idoles qui submerge la société, pour la grande joie des
marchands. La mode, qui porte au pinacle le flou et l'ap-
proximatif, répugne à marquer des frontières trop nettes
entre ce qui serait à quitter et l'obj et du choix. « Mes parents
ne m'ont jamais rien interdit, j'ai dû trouver mes limites
»
deux cents professeurs, en ajoutant :
toute seule s'exclame une lycéenne de dix-sept ans devant
« Ouvrez les yeux
Nous, les jeunes, on est littéralement paumés 2. Par crainte
»
!
de manquer, ou de se tromper, la société a du mal à inscrire
dans ses choix une part de renoncement. La peur du mani-
chéisme ne pousse guère au courage du discernement.
Curieux de tout, ouvert et affamé, l'homme cherche à sai-
sir sans lâcher prise, à voir clair
sans oser traverser ses nuits,
a obtenir des résultats sans consentir à la patiente beauté du
chemin. C'est qu'il ne voit plus la grâce du passage.
je
L N. COPIN, Je doute, donc crois, Paris, Flammarion-DDB, 1996,
p. 32-61.
2. Journée pédagogique de l'Enseignement catholique à Limoges,
Il novembre 1997.
Donner du sens à la vie.
Dans un choix, quel qu'il soit, ce qui est en jeu, c'est
d'abord le sens. Au lieu de parler de perte de valeurs, ne
devrait-on pas plutôt s'étonner de leur surabondance ?
Mais les propositions s'entrechoquent et se contredisent les
unes les autres, ne faisant plus apparaître de chemin cohé-
rent. L'affirmation sans nuances de convictions inconci-
liables interdit de fait toute direction. C'est alors que l'es-
pérance vacille. Du sentiment d'absurde naît aisément la
plainte, « cette manière réticente de vivre, version dégra-
:
dée de la révolte, forme bavarde du renoncement3 ». Dire
» :
« j'ai mal dispense souvent de dire « je veux. » Dans
ressentiment ?
ce climat pessimiste, l'issue sera-t-elle inéluctablement le
Hannah Arendt prévoyait que l'homme
moderne aurait effectivement le choix entre le ressentiment
et la gratitude4, entre la lamentation bruyante, mais rési-
gnée, et l'humble et tenace courage de vivre. Dans ce
monde complexe, la simplicité joyeuse du sens ne s'offre
qu'à ceux qui s'obstinent à le mettre en œuvre et se déci-
»
dent « en actes et en vérité en faveur d'un avenir pos-
sible. « Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort
!
et malheur. Choisis donc la vie » (Dt 30, 19.) Une telle
:
décision en faveur du sens ne peut se prendre de façon soli-
taire vraiment humaine, elle se fera solidaire d'autres per-
sonnes ou de communautés liées à une Tradition qui offre
enpartage des raisons d'aimer, de croire et d'espérer.
L'Eglise accueille la quête de sens des hommes, elle leur
donne le Christ venu à la rencontre de chacun pour faire
retentir sa promesse de vie. La liturgie, qui ne connaît pas
la voie du ressentiment, emprunte la voie de l'action de
grâce comme passage du non-sens au bonheur de vivre.
Et aujourd'hui ?
Que signifieadhérer au Dieu de Jésus-Christ ?
:
Dans le bric-à-brac religieux, les interrogations s'en-
chaînent « Dieu existe-t-il ? Qui est-il, s'il existe ? »
;
Croire en Dieu, ce n'est pas seulement, selon un vague
déisme, admettre que Dieu existe c'est lui donner une
place dans sa vie, cesser de butiner et se poser. Jésus-Christ
appelle à des renonciations et à une décision, pas seule-
ment éthiques, pas seulement religieuses, mais les deux
ensemble, de manière inextricablement liée. On peut adhé-
rer aux valeurs humaines et au projet d'humanité inscrit
dans les évangiles, mais on ne devient de toute façon que
lentement chrétien, au prix d'une renonciation à son ima-
ginaire religieux passé, et d'un consentement à suivre le
Crucifié-Ressuscité. Le chrétien n'en finit pas de passer
par le Christ pour trouver le vrai Dieu. « Je suis la
porte. » (Jn 10, 9).
Le chrétien ne juge pas les autres voies ni les autres reli-
gions forcément mauvaises, fausses ou indignes. Le plus
souvent, aujourd'hui, il a essayé plusieurs de ces voies.
Simplement, il est saisi et reste saisi, à l'intime de lui-
même, par le Christ qui s'impose à lui et lui fait voir toute
la vie autrement. Acceptant de faire le deuil de ses certi-
tudes, il consent à se laisser conduire par Dieu là où il ne
sait pas. « Credo in Deum ». avec toute la force de l'ac-
cusatif directif qui ouvre un avenir et inaugure un voyage.
Mais on ne passe pas immédiatement ni facilement, ni
jamais une fois pour toutes de la peur à la confiance, autre-
ment dit de l'attitude religieuse païenne à l'acte de foi
chrétien. Quelle forme peut prendre, à notre époque, le
renoncement aux idoles?
:
9. Cette orthographe, non conforme à l'usage, veut souligner le
« a » privatif nous nous privons d'un tel dieu.
lui une soumission aveugle, une obéissance d'esclave ?
Nous sommes a-thées de ce Dieu-là. Jupiter le soleil et?
avec leurs ascendants
idoles-là.
?
la lune, les astres du ciel, cancer, vierge et autres balances
Nous sommes a-thées de ces
A-thées, résolument a-thées 10!
Ainsi peut s'élaborer un « contre-credo », une liste des
athéismes communs avec tous ceux, proches ou lointains,
qui disent ne pas partager la foi chrétienne. Partageant avec
eux un même combat pour la lumière et la dignité, un tra-
vail commun d'aplanissement du chemin s'effectue. La foi
n'est pas encore professée, mais les ténèbres sont rejetées,
la route défrichée, la question de la foi peut être posée. Si
?
Dieu n'est pas comme ça, qui donc est Dieu Si Dieu n'est
?
pas contre nous, qui est-il pour nous
;
ment parce qu'ils refusaient d'honorer les dieux des cités et de leur
offrir les sacrifices voir par exemple ATHÉNAGORE, Supplique au sujet
des chrétiens, B. Pouderon éd., Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chré-
»
tiennes 379, première partie : L'accusation d'athéisme, notamment
p. 111s. : « l'athéisme pratique ». [NDLR.]
Credo de la messe dominicale ; d'autre part les autres
sacrements sont donnés pour la route. Or, la route de notre
époque est une route d'incertitudes où on l'a vu le
- -
questionnement est un lieu à rejoindre. La pastorale litur-
gique s'appuie sur cet état d'indécision pour valoriser
pédagogiquement, tout au long de la vie chrétienne, le
franchissement des seuils de la foi. C'est la chance de la
vie sacramentelle de ressaisir l'ambiguïté complexe d'une
époque sans la juger ni la condamner, pour y annoncer la
foi dans des moments symboliques réussis. Tant de signes
liturgiques sont disponibles pour signifier le passage. Il
suffit de le vouloir et de faire attention. Voyons comment
la prière de l'Église et la célébration des sacrements, amar-
rées au kérygme, le déploient en autant de seuils à fran-
chir.
:
tir au détour biblique et symbolique. La mise à distance est
une nécessité pour la foi du peuple chrétien il s'agit pour
chacun de sortir de lui-même, d'accueillir l'imprévisible de
Dieu pour consentir à une Révélation qui ne vient pas de
lui, mais qui, venant de Dieu vers lui, réinforme son rap-
port au monde. Écouter, communier signifient obéir, se
laisser recréer sous le souffle de l'Esprit, s'abandonner et
:
de Jésus Christ ne cesse de conduire à l'autre et se réalise
dans l'accueil de l'autre. Voilà qui donne un cadre, et ses
limites, à la renonciation. Aucun manichéisme on n'a pas
à choisir le Christ ou rien, mais tout dans le Christ. La
mesure est et reste christologique. « Tout est à vous, mais
»
vous êtes au Christ et Christ est à Dieu (1 Co 3, 22-23) ;
« Par lui, avec lui et en lui », il n'y a de vérité que d'amour.
Mais nombreux sont les ennemis de l'amour, de la jus-
tice, de la paix, ceux qui tournent le petit et le faible en
dérision et refusent toute attitude de miséricorde. Faut-il
rejeter le pécheur ? L'acte de renoncement à soi et de
confiance en Jésus fait entrer à la suite du Serviteur souf-
frant, dans un combat spirituel permanent. C'est qu'il a
pris, lui, la place du dernier, du méprisé et de l'exclu. Le
combat à mener avec lui n'est pas un combat contre le
monde, mais un combat dans le monde, pour l'homme
image de Dieu. « C'est au moment où le Christ n'a plus
aucune apparence, qu'il apparaît sans beauté, sans éclat,
sans avenir, muet et rejeté des hommes, qu'il est l'Homme
par excellence. L'icône de l'Ecce Homo démasque toutes
nos fausses images de la dignité humaine qui reposeraient
exclusivement sur la beauté, l'autonomie, la santé, l'ave-
nir. »L'anamnèse de la mort et de la résurrection du
11
!
ressentiment et ouvre le pécheur à la gratitude. « La paix
soit avec vous »
« !
Père, il est juste et bon de te rendre grâces »
Isabelle PARMENTIER.
LaMaison-Dieu, 216, 1998/4, 127-138
Nicolas LOSSKY
PROPOSITION DE LA FOI
DANS L'ORTHODOXIE
:
Pères », comme disent tous les Conciles œcuméniques du
premier millénaire. En d'autres termes la foi catholique,
mais non pas au sens d'universalité qui n'est qu'une consé-
quence de la catholicité au sens premier, étymologique de
plénitude de la foi, « selon le tout » (katholou).
1
:
l'appel aux catholiques s'adresse tout autant aux ortho-
doxes. La question alors se pose pour eux dans quelle
mesure la visée de la Lettre est-elle atteinte dans la pasto-
rale habituelle de l'orthodoxie ?
Il n'est pas facile de répondre à une telle question et cela
pour plusieurs raisons. Elle comprend, en effet, plusieurs
questions et plusieurs niveaux. Il s'agit entre autres de pré-
ciser ce que l'on entend par « pastorale habituelle », par la
« visée » de la lettre, sans parler du sens du verbe
« atteindre».
:
perçue comme un pays catholique. L'orthodoxie en
France représente une micro-minorité les optimistes
comptent environ deux cent mille orthodoxes. Aux yeux
de cette micro-minorité aussi, la France reste essentielle-
ment un pays catholique. Ceci est plus ou moins
conscient, selon le degré d'information des orthodoxes.
Histoire et géographie.
:
damentale à laquelle ils ont été confrontés a été la sui-
vante si l'orthodoxie n'est pas avant tout russe, grecque,
serbe, roumaine, bulgare, arabe, etc., mais a une vocation
universelle de mariage avec n'importe quelle culture,
?
quelle est sa nature profonde Ces hommes et ces femmes
se sont aperçus que, pour trouver la réponse, il fallait
apprendre, guidés par le Saint-Esprit et par la connaissance
de l'histoire, notamment des sources vives, à distinguer
entre le fondamental et le secondaire.
On comprendra aisément que pour ces gens-là, ainsi que
pour leurs héritiers, aujourd'hui de plus en plus nombreux
parmi les orthodoxes de France, la proposition de la foi
pose presque exactement les mêmes questions que celles
que soulève la Lettre des évêques aux catholiques français.
Pour eux, l'essence de l'orthodoxie est « une vie nouvelle
en Christ et avec le Christ, mue par le Saint-Esprit3 », pour
la gloire du Père. Autrement dit, tout comme dans la Lettre,
proposer la foi dans la société actuelle consiste à vivre une
christologie trinitaire. Pour ces orthodoxes, comme pour
les évêques auteurs de la Lettre, la visée est donc claire,
même si elle n'est pas facile à atteindre par une conver-
sion permanente.
L'héritage.
Il s'agit donc d'une conception de l'héritage, ou de la
qualité d'héritier, très proche de ce qui se dégage de la
Lettre. L'héritage est par définition quelque chose qui doit
être reçu, et reçu au sens fort et actif. Un héritier est celui
qui fait fructifier l'héritage, par conséquent aujourd'hui,
dans la société actuelle, et non pas celui qui enferme la
richesse (ou le talent ?) dans la sécurité d'un coffre-fort, à
l'abri de la pollution générée par l'évolution de la société.
Dans cette perspective, naturellement, proposer la foi ne
peut en aucun cas être une simple présentation « répé-
titive ». Il est indispensable de faire preuve d'imagination.
L'histoire, en effet, présente chaque jour des défis nou-
veaux, sans précédent, auxquels il faut répondre, non pas
en récitant des phrases du passé, si belles et profondes
soient-elles, mais en approfondissant toujours plus cette
vie nouvelle en Jésus Christ, « le même hier, aujourd'hui
»
et à jamais (He 13, 8) avec l'aide du Saint-Esprit. C'est
le même Esprit qui a inspiré la nuée des témoins (He 12,
1) de tous les temps et Il n'a pas cessé de souffler à une
date quelconque du passé. Si l'Esprit ne soufflait plus
:»
aujourd'hui, il n'y aurait plus d'Eglise et la parole du
Christ « Je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du
monde (Mt 28, 20) serait démentie.
Faire preuve d'imagination ne signifie nullement trahir
ou corriger ce que nos Pères dans la foi ont dit avant nous.
;
entière car il ne parlera pas de lui-même ;
l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout
mais tout ce
qu'il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à
venir. Il me glorifiera, car c'est de mon bien qu'il prendra
pour vous en faire part. Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà
:»
pourquoi j'ai dit « C'est de mon bien qu'il prendra pour
vous en faire part (Jn 16, 13-15). L'imagination consiste
donc à écouter ce que l'Esprit nous dit aujourd'hui pour la
société actuelle et à devenir des membres responsables de
l'Eglise, chacun dans son charisme propre mais dans l'unité
du Corps (voir 1 Co 12) et pour l'édification de celui-ci.
Rôle de la liturgie
Les orthodoxes, en théorie, disposent de moyens consi-
dérables et d'une très grande richesse pour la proposition
de la foi aux générations qui viennent et à la société
actuelle. En effet, ils ont une tradition liturgique, souvent
fort ancienne, et dont le meilleur est d'une qualité théolo-
»
gique qui n'a pas pris une ride. « En théorie cependant,
parce que trop souvent encore, malgré les progrès dus à
des théologiens liturgistes comme le regretté père
Alexandre Schmemann, beaucoup d'orthodoxes n'ont pas
vraiment accès à ces richesses catéchétiques, ceci à cause
de déformations tardives dans la manière de célébrer.
On peut espérer une amélioration dans la proposition de
la foi chez les orthodoxes en France. En effet, leur situation
est en train de changer. Longtemps ils se sont ignorés les
»
uns les autres d'une « juridiction à l'autre. Récemment,
les évêques orthodoxes canoniques, c'est-à-dire en pleine
communion avec l'orthodoxie mondiale, ont reçu un statut
nouveau et se sont constitués en une Assemblée des évêques
orthodoxes de France, ce qui représente un pas important
en direction d'une synodalité et permet une concertation,
notamment pour la proposition de la foi offerte dans une
célébration liturgique de plus en plus « pastorale ».
En effet, les orthodoxes disposent, comme on l'a dit,
d'une tradition liturgique qui pourrait représenter la forme
la plus remarquable de catéchèse, de proposition de la foi.
Ceci, aussi bien dans les prières sacramentelles (baptême qui
comprend la chrismation/confirmation, eucharistie, mariage,
et bien d'autres encore, l'orthodoxie authentique n'étant pas
limitée par le fameux « septénaire » ramené du concile de
Lyon de 1274, puis du concile de Florence de 1438-1439 et
»
gardé jalousement par les « scolastiques orthodoxes !), que
dans l'hymnographie, celle des grandes fêtes et celle du
cycle mobile (les huit tons ou modes). Le sanctoral est sou-
vent moins édifiant car, à quelques exceptions près, il a ten-
dance à se conformer à un modèle quelque peu répétitif.
- ;
parable de la sollicitude pour la réalité, que ce soit par l'ac-
tion et le service où que l'on soit placé selon les dons
reçus - ou par la contemplation celle-ci n'est pas une fuite
de la réalité mais au contraire un dur chemin dont le but
est d'assumer toute la création en vue de réaliser « la plé-
»
nitude du Christ (Ep 4, 13). C'est ce que Vladimir Lossky
a appelé devenir « une hypostase de la nature commune,
de l'ensemble du cosmos créé 4 ». Hypostase signifie ici le
dépassement de l'individualisme.
Voilà donc à quoi est appelé à participer le fidèle dans
l'eucharistie. Malheureusement, beaucoup d'orthodoxes,
surtout si l'on compte au plan mondial, sont privés du
Les hymnes.
L'hymnographie de la tradition syro-byzantine, celle des
grandes fêtes et celles du cycle mobile, représente, elle
aussi, un enseignement catéchétique extrêmement riche,
tout en étant doxologique. La plupart des textes de cette
hymnographie sont inspirés des écrits, en particulier homi-
létiques, des Pères de l'Eglise. Souvent, les poètes com-
positeurs des hymnes ont purement et simplement cité des
phrases de tel ou tel Père, par exemple saint Grégoire de
Nazianze dont le style particulièrement poétique se prête
bien à l'utilisation liturgique.
Grâce à cette hymnographie, les fidèles devraient pou-
voir être imprégnés de théologie patristique. Les écrits des
Pères, comme on sait, sont pour la plupart un commentaire
des Saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testament. On
peut donc constater que, contrairement à ce que pensent
certains, la tradition liturgique orthodoxe est très largement
biblique, non seulement par les psaumes qui représentent
la charpente des offices, mais aussi par ces hymnes inspi-
rées des Pères commentant la Bible. Chaque hymne est en
outre une sorte de petit sermon à caractère évidemment
doxologique, mais n'est-ce pas ce que devrait être toute
prédication?
Si nous avons dit que les fidèles devraient recevoir une
proposition de la foi par l'hymnographie très théologique
- christologique et trinitaire - que leur offrent les offices,
en particulier ceux des grandes fêtes et des dimanches,
c'est que, malheureusement, ils ne l'entendent pas tou-
jours. En effet, trop souvent, surtout dans la manière russe
de célébrer, les paroles de l'hymnographie ne sont pas per-
çues par la communauté car elles se trouvent reléguées à
la seconde place, la primauté absolue étant accordée à la
« beauté» de la musique. Trop de praticiens de la musique
liturgique ne sont pas assez conscients du caractère spéci-
fique de celle-ci, par rapport à une musique dont le seul
but est de provoquer une réaction purement esthétique.
Trop de chantres, de compositeurs de musique « litur-
gique », de chefs de chœur sont plus attachés à l'harmo-
nie, qui peut devenir alors quasiment de type instrumental,
qu'aux paroles qui à la limite deviennent pour eux presque
une gêne. La musique prime absolument. Ceci est particu-
lièrement vrai dans la musique « russe » décadente,
beaucoup plus italienne et allemande que russe, et que
beaucoup d'Occidentaux appellent, à tort, musique « ortho-
doxe ». Dans l'orthodoxie authentique, la musique litur-
gique est liée aux paroles de manière telle que jamais elle
ne puisse devenir un écran, si beau soit-il. Le caractère
« théologique » de la musique liturgique consiste en cela
qu'elle ne peut être en contradiction avec le contenu de ce
qui est chanté, ni non plus détourner l'attention sur elle-
même (ou pire, sur le ou les exécutants qui « s'écoutent
chanter»). Le lien entre paroles et musique dans la litur-
gie doit être tel que les paroles chantent et que la musique
proclame. Alors, seulement, l'hymnographie, paroles et
musique, contribuera à proposer la foi et à former des
consciences responsables dans l'Eglise.
La morale
Il y a peu de temps encore, on aurait pu parler d'une cer-
taine différence entre catholiques et orthodoxes dans la
conception des uns et des autres de la morale chrétienne.
Dans le contexte catholique, on avait tendance à penser la
morale en termes de code auquel il fallait obéir, alors que,
dans le contexte orthodoxe, la morale était et demeure
quelque chose qui fait partie de la croissance en Christ et
dont par conséquent chacun est responsable en tant que
« conscience » de l'Église.
Les orthodoxes ne peuvent que se réjouir de voir dans
la Lettre des évêques aux catholiques de France une ten-
dance très nette à considérer la morale chrétienne comme
une conséquence naturelle de la foi proposée, qui n'est
autre que croissance en la vie en Christ. La Lettre suggère
nettement que proposer la foi dans l'Eglise, c'est former
des chrétiens conscients, adultes et responsables. Par
conséquent, des chrétiens qui sont l'Église, là où ils sont,
et qui sauront faire preuve d'imagination (éclairée par
l'Esprit Saint) face aux problèmes éthiques, toujours nou-
veaux - et donc échappant à un code tout fait - que pré-
sente et présentera sans cesse la société. Une telle concep-
tion de la « liberté de la morale » (titre d'un livre du
théologien orthodoxe grec Christos Yannaras) correspond
:
exactement à ce que devrait être l'orthodoxie.
Un dernier mot, très bref comment savoir que la visée
?
de la Lettre est atteinte dans la pastorale de l'orthodoxie
La proposition est une chose (et une chose obligatoire :
« Allez. de toutes les nations faites des disciples. »,
Mt 28, 19) ; le résultat, le fait d'atteindre, en est une autre.
; :
Seul Dieu est juge, puisque, ayant fait tout ce que nous
avons à faire, nous ne pouvons que dire « Nous sommes
des serviteurs inutiles nous n'avons fait que ce que nous
devions» (Le 17, 10).
Nicolas LOSSKY.
La Maison-Dieu, 216,1998/4,139-153
Paul LEGAVRE
RASSEMBLEMENTS ET PÈLERINAGES
QUELLE PROPOSITION DE FOI ?
:
L ES rassemblements de jeunes catholiques connaissent
une embellie en France depuis plusieurs années, au
r1
point de devenir un lieu privilégié de la proposition
de la foi pour toute une génération. Selon les options pas-
torales, on le déplorera ou on s'en réjouira. On peut aussi
vouloir comprendre ce qui en fait le succès et, partant,
repérer différentes composantes de la proposition de la foi
ainsi effectuée, ses tenants et ses aboutissants, ainsi que ses
forces et ses limites.
Avec quelques questions : comment joue la figure du
pèlerinage ? Quelles sont les composantes de ces proposi-
?
tions de la foi Notamment, en quoi les Journées mondiales
?
de la jeunesse (J.M.J.) sont-elles emblématiques d'une
démarche Comment ces propositions peuvent-elles aider
les jeunes catholiques à structurer une foi personnelle ?
Démarche ecclésiale
Un signe avant-coureur de ce renouveau aura été le suc-
cès croissant du « Frat ». La proposition francilienne 2 du
» 1
:
juillet 1997, p. 327-336.
2. Francilien qui a rapport à l'Ile-de-France
A (NDLR).
3. P. LEGAVRE, « L'Église de France et les J.M.J. », Études, juillet-
août 1997, p. 77-82.
Des pèlerinages
Ces propositions de la foi ont souvent en commun de se
présenter comme des pèlerinages. Il en va ainsi de la
marche étudiante vers Notre-Dame de Chartres.
Il aurait pu en être autrement pour les J.M.J. Pourtant,
Jean-Paul II en parle comme d'un pèlerinage à travers le
:
monde. On peut rapprocher ce vocabulaire de celui
employé par le frère Roger à Taizé le Concile des Jeunes,
avec ses sessions, avait mis en œuvre un imaginaire de la
communion et du débat d'idées, de l'échange d'expé-
riences. Ainsi, lors de l'ouverture du Concile des Jeunes
sur la colline bourguignonne, en août 1974, le clivage
Nord-Sud était très présent, selon une (bonne) dimension
politique. Peu à peu, les rencontres européennes de Taizé
se sont inscrites dans cette autre rhétorique du pèlerinage
de confiance, tandis que le discours de l'expérience spiri-
tuelle personnelle était toujours davantage mis en avant.
:
Des évolutions similaires ont marqué l'Eglise de
France après plusieurs décennies marquées par une atten-
tion très grande aux réalités vécues, notamment aux impli-
cations de la foi dans la vie des hommes en société, on
pourrait trouver quelque paradoxe à voir le terme de pèle-
rinage plébiscité par les étudiants catholiques et mis en
œuvre de façon résolue et réfléchie par les responsables de
la pastorale des jeunes. Comme si le fléau de la balance
entre idéologie et utopie avait basculé vers l'ailleurs de la
Jérusalem d'en haut. Paul Ricœur avait naguère opposé
l'idéologie, ce puissant facteur d'intégration sociale, à
l'utopie, davantage du côté de la subversion. Nous était
fournie là une clé de lecture suggestive de nos pastorales.
Il est toujours opportun de s'interroger sur ce qui, dans une
démarche de proposition de la foi, est fondateur de lien
social, et ce qui aussi pointe vers l'invention d'un autre
quotidien.
Un pèlerinage crée certes du lien social, mais d'abord
dans un espace ecclésial. Et si le pèlerinage peut être consi-
déré comme une parabole de la vie, où se concentrent les
interrogations et attitudes qui habitent le quotidien, c'est sur
le mode du déplacement et de l'écart, lesquels permettent un
retour sur soi devant Dieu. A ce titre, la marche à pied met
en œuvre le corps, ce grand maltraité de nos civilisations
urbaines, et fait entrer dans le temps lent de la pérégrination,
à l'opposé des vies éclatées et trépidantes qui sont aujour-
d'hui la norme. « Du Dieu qui vient par les pieds », comme
le disait joliment une étudiante à l'issue d'une marche d'été.
La nature - soleil, vent, pluie, paysages -, devient omnipré-
sente, entre émerveillement des paysages et redécouverte
d'une menace tutélaire. Les drames de la montagne, de la
mer, le rappellent, d'abord aux organisateurs. On a pu par-
ler de nomadisme spirituel des jeunes. En tout cas, les jeunes
catholiques aiment les pèlerinages4.
Mises en mouvement
L'une des grandes nouveautés des J.M.J. « qualité fran-
çaise » a consisté dans la volonté de l'Église de France
d'offrir, la semaine précédente, un accueil large dans tout
le pays. Chaque diocèse de France a pu recevoir de cinq
cents à mille cinq cents jeunes, du 14 au 18 août 1997.
Accueil et hospitalité, notamment dans les familles, ont
ainsi coloré de façon forte ce grand rassemblement.
L'Eglise de France dans son ensemble s'est mobilisée, avec
des conséquences importantes dans le rapport de l'Église
aux jeunes. Beaucoup de communautés chrétiennes
vieillissantes ont su appeler des jeunes et leur faire
confiance. La mise en mouvement impressionnante de
l'Église de France à cette occasion a manifesté la volonté
de la communauté catholique de ne pas baisser les bras
dans son rapport aux jeunes, ce qui est réjouissant. Du
même coup, plus que jamais, la question de la place des
jeunes dans l'Église est posée, car ce qui faisait fuir les
jeunes loin de beaucoup de paroisses n'a pas disparu.
:
l'Eglise et en recherche de sens et de foi. La J.O.C. le sait
bien elle a toujours misé sur les grands rassemblements
et sur la dynamique qu'ils provoquent pour atteindre
d'autres jeunes que ceux qui se retrouvent régulièrement.
Cela a joué aux J.M.J. Certes, la proposition de la foi ainsi
déployée sous divers aspects n'a pas atteint tous les jeunes
présents, ni au même degré.
Pourtant, quelque chose d'important a eu lieu. L'Eglise
1
Mondialisation
et désir d'une génération de faire corps
Les Journées mondiales de la jeunesse ont proposé à
plusieurs centaines de milliersde jeunes du monde entier
rassemblés en France, puis en Ile-de-France, d'entrer dans
« Maître, où demeures-tu?
la dynamique de la rencontre de Jésus.
»
Venez et voyez n'était pas
en effet seulement une phrase choc tirée de l'évangile de
:
Jean, mais la dynamique même qui a sous-tendu la propo-
sition de la foi en ses différentes dimensions catéchèses,
liturgies, rassemblements et échanges, dans un chemin
catéchuménal qui conduisait à l'adhésion au Christ en sa
passion et en sa résurrection.
La dynamique des J.M.J., plurielle, s'est donc située à
la convergence des Journées en diocèse ou sur les routes,
du Festival de la Jeunesse, de la vie sur les sites d'héber-
gement, des catéchèses et des liturgies, dans Paris en fête.
Cette foule de jeunes avait du goût pour la fête et la
communication interculturelle tous azimuts. Les J.M.J. ont
correspondu profondément à leur désir de se retrouver
ensemble pour partager une vision du monde, un monde
fraternel dans lequel les relations sociales ne seraient pas
subordonnées à la violence ou à l'intérêt de groupes
sociaux ou de nations. Il y a là comme un effet de « congré-
gation », d'une génération qui désire « faire corps ». Cette
dimension utopique est essentielle pour que du neuf
advienne dans la société. Mais comment ne pas vivre sur
le mode du rêve et de l'illusion cette aspiration fonda-
mentale, portée par chaque génération au moment de
prendre sa place et ses responsabilités dans la suite des
générations?
C'est pourquoi la pédagogie proposée a favorisé la ren-
contre interculturelle entre jeunes de l'Est et de l'Ouest, du
Nord et du Sud, dans les diocèses au premier chef. Cette
bonne confrontation au patrimoine culturel et religieux de
la France, pays hôte, a pu se poursuivre grâce au Festival
de la Jeunesse et à ses multiples animations, pendant la
semaine francilienne. Les sites d'hébergement, dans une
moindre mesure, ont été aussi un lieu de cette rencontre
interculturelle.
Cela a eu un effet de « réalité », où la mondialisation
vécue négativement par tant d'hommes, à cause de ses
effets dévastateurs, a pu être éprouvée comme une expé-
rience heureuse et pleine de sens. La dimension intercul-
turelle passionne les jeunes qui saisissent volontiers toutes
les occasions pour vivre une expérience heureuse et signi-
ficative de la rencontre de l'autre. Aussi ont-ils du goût
pour participer à des événements qui peuvent contribuer
à « humaniser la mondialisation », comme les camps-
chantiers de développement. Les Scouts de France, par
exemple, proposent aux compagnons de vivre au moins
une fois « ce temps fort». Ces vingt dernières années, l'as-
sociation Inde Espoir, animée par les jésuites, à partir des
aumôneries de grandes écoles, a emmené plusieurs milliers
d'étudiants dans des villages dalit (« intouchables ») du
sud de l'Inde. A Lourdes, quatre cent mille jeunes du
monde entier passent chaque année au village des jeunes
ou au Service-Jeunes.
:
active, qui avait fait ses preuves aux J.M.J. à Manille. Une
conviction forte animait les responsables une parole caté-
chétique ne peut pas « tomber du ciel ». D'où la nécessité
de permettre aux jeunes de réfléchir, de se situer par rap-
port aux questions qui faisaient l'objet d'un enseignement
puis d'un échange avec l'évêque 6,
à partir des questions
posées par les jeunes. Avant l'événement, nombre d'édu-
cateurs de la foi craignaient une désaffection. En fait, les
catéchèses ont été prises d'assaut par les jeunes Français.
Ces trois matinées, centrées sur la personne de Jésus et
sa rencontre, conduisaient au mystère pascal. C'est ce que
voulait permettre la dynamique des liturgies et rassemble-
ments. Et le samedi soir, à Longchamp, dix jeunes venant
de différentes parties du monde furent baptisés et confir-
més. Ils communièrent pour la première fois le lendemain,
dans la grande messe d'envoi, ouverte à tout le peuple de
Paris. Les célébrations avaient été conçues en sorte que les
jeunes perçoivent l'unité des sacrements de l'initiation et
vivent une actualisation de leur propre baptême, plongée
dans la mort avec le Christ, pour vivre de la foi au Christ
Ressuscité.
Ouvertes à toute une génération, les J.M.J. ont été une
gigantesque célébration de la foi, dans une démarche caté-
chuménale, à l'instar du renouveau catéchuménal d'enver-
gure que vit la France.
:
La liturgie, dans la proposition de la foi, doit faire corps
avec l'ensemble d'une démarche avant les grandes litur-
gies de Longchamp, il y a eu toutes ces paroles échangées
entre jeunes, sur leur vie et sur leur recherche de Dieu et
du Christ. La chaîne de la fraternité, dans le pèlerinage des
jeunes vers la veillée du samedi soir, a été un raccourci sai-
sissant d'un désir de changer le monde, dans une ouver-
ture fraternelle à tous. Ce désir, porté par tout ce qui a été
vécu les jours précédents, peut alors prendre corps et sens
dans la liturgie baptismale et ouvrir à un avenir avec le
Christ.
On retrouve ainsi, dans les dynamiques des J.M.J., une
combinaison éprouvée qui a fait le succès de multiples ras-
semblements de jeunes en France, ces dernières années.
Une dimension de partage, d'échanges, où circule entre
jeunes une parole fragile, interrogative, conduit à de
grandes liturgies, où beauté et rite permettent d'exprimer
une adhésion personnelle au Christ.
Le pèlerinage des étudiants à Chartres a toujours
« joué» de façon très ferme sur l'articulation de la vie des
« chapitres », petits groupes de partage pendant la marche,
et sur le déploiement de grandes liturgies. La rénovation
de ce pèlerinage, désormais situé chaque année aux
Rameaux, a su tirer parti de la célébration des Rameaux et
de la messe de la Passion. Encore fallait-il que ces célé-
brations ne soient pas « hiératiques », désincarnées.
L'important travail fait sur la qualité des chants, notam-
ment pour les harmonisations musicales, permet à la fois
de respecter la culture musicale des jeunes, mais aussi, par
la beauté, de servir la grandeur du mystère de la foi. Les
célébrations de la réconciliation, proposées sur les routes
la veille ou le matin, et où la majorité des jeunes vit une
démarche sacramentelle, sont pour un nombre impression-
nant le lieu d'une découverte de la confession et l'expé-
rience vive d'une communication de Dieu dans le sacre-
ment de réconciliation.
Pour ceux qui proposent ces rassemblements, il y a là
une foi en actes dans la liturgie et dans la capacité du rite
à atteindre de façon profonde ces jeunes chrétiens, au point
où chacun en est dans sa recherche de Dieu, tout en renon-
çant à mettre la main sur la relation à Dieu ainsi célébrée
ce qui advient entre Dieu et l'être humain qui se confie à
:
la démarche sacramentelle échappe aux organisateurs.
L'espace d'une adhésion personnelle au Christ ressuscité
est dégagé. Une réponse à la proposition de la foi qui a été
faite est autorisée. La déprise qui l'accompagne en est le
plus sûr gage de fécondité.
8. Ibid., p. 53.
9. P. LEGAVRE, « Vers les Journées Mondiales de la Jeunesse »,
Études, septembre 1996, p. 229-234.
10. M.-A. LE BOURGEOIS, « Proposer la fraternité
- évangélique »,
Christus 175, juillet 1997, p. 327-336.
11. Voir P. D'ORNELLAS, Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, «Mafolie
à moi, c'est d'espérer », Paris, CERP/Parole et Silence, coll. « Les
Cahiers de l'École Cathédrale », 1997.
rassemblements présentent une réelle dimension
d'échanges et d'intériorité.
Un travail universitaire récent sur les catéchèses des
J.M.J .12 souligne lui aussi l'écart entre les jeunes catho-
liques et l'institution, tel qu'il a pu être perçu lors de l'as-
semblée plénière des évêques de France consacrée au
thème « Proposer la foi aux jeunes dans la société
»
actuelle les 23 et 24 avril 1996. En outre, les questions
posées par les jeunes aux catéchèses recouvraient non seu-
foi, mais aussi des demandes de savoir-être « Comment
être sujet aujourd'hui, et sujet croyant » ? :
lement une demande de savoir portant sur le contenu de la
15.Ibid..D. 129.
16. É. GRIEU, « Expérience spirituelle et lien social », Christus 179,
juillet 1998.
LaMaison-Dieu, 216,1998/4,155-164
Dominique LEBRUN
La pratique
Bien qu'il semble que cette expérience soit partagée en
bien d'autres diocèses ou sanctuaires, il est sans doute utile
de rappeler le déroulement habituel de ces célébrations en
faisant quelques observations.
Déroulement de la célébration.
Tout en observant la structure et le déroulement du
Rituel, les célébrations pénitentielles du Fraternel sont
adaptées au grand nombre avec, visiblement, une recherche
:
continuelle de mieux faire. Voici une sorte de bilan publié
par les responsables eux-mêmes
« Ce n'est qu'à partir de 1985 que l'équipe d'animation
décide de faire vivre aux treize-quinze ans ce sacrement.
Il débute alors par la liturgie de la Parole sous le cha-
piteau. Puis les jeunes se rendent à l'extérieur auprès des
prêtres pour le temps de confession et reviennent peu à peu
remplir le chapiteau afin d'y vivre tous ensemble l'action
de grâces. Cela provoque un grand mouvement de foule.
Pour assurer plus de calme à cette célébration, l'équipe
d'animation décide en 1993 que la liturgie de la Parole a
lieu désormais en "village" [i.e. avec environ 400 jeunes].
Puis les groupes montent en silence par les grandes allées
centrales où les prêtres se trouvent répartis autour du cha-
piteau, chacun près d'une torche, pour la confession.
L'action de grâce conclut la soirée.
Depuis 1995, la réconciliation se vit totalement dans les
villages. La liturgie de la Parole puis les confessions s'y
Questions
Cette pratique a été évoquée positivement par la récente
Lettre aux catholiques de France comme un des exemples
d'une pastorale sacramentelle de la proposition de la foi :
« Dans des circonstances exceptionnelles et pourtant rela-
tivement fréquentes (pèlerinages, rassemblements de
jeunes par des aumôneries ou des communautés nouvelles,
etc.) des initiatives analogues sont prises en ce qui
concerne la proposition du sacrement de la réconcilia-
tion »6. Quelques voix critiques se font aussi entendre 7.
Contentons-nous de prolonger les observations notées.
Psychologie et foi.
Ces célébrations ont lieu en nocturne. Ce n'est pas rien
pour des adolescents. Elles commencent à la nuit tombante
et se poursuivent assez tard pour des jeunes qui, dans l'am-
biance du rassemblement, sont relativement fatigués.
Plusieurs confessions - en général tardives - se déroulent
ou s'achèvent dans les larmes. N'y a-t-il pas une certaine
prudence à avoir pour ne pas trop exposer un sacrement de
la foi aux à-coups d'une psychologie encore fragile ?
8. Voir note 3.
Le théologal et la morale.
:
Plus largement, l'enracinement théologal est souligné
fortement en ces termes nous confessons l'amour de Dieu
plus que nos péchés. L'expression est-elle sinon juste du
moins opportune dans le cadre du sacrement
Thévenot et Philippe Bordeyne, dans un même ouvrage
?
Xavier
collectif, ont relevé l'équivoque à opposer le théologal et
la morale et, ce qui est plus important pour notre propos,
:
:
à sous-évaluer l'attitude morale. Le premier affirme
« Toute réflexion théologique sur le péché doit donc sortir
»
du faux dilemme moral ou théologal 11et le second sou-
haite une « vigilance accrue pour signifier la portée éthique
;
10. Voir Paul ROUMANET, « De la Parole de Dieu dans la célébra-
tion individuelle », LMD 214, 1998/2, p. 129 l'auteur semble cepen-
dant restreindre quelque peu sa fonction en regrettant le choix du rituel
:
qui, dans la célébration individuelle, laisse une certaine latitude pour
situer une lecture explicite d'un texte biblique « Or, si l'annonce de
la Parole de Dieu doit amener le pénitent à la double confession de
l'amour de Dieu et du péché de l'homme, il semble qu'elle serait
mieux située avant l'aveu. »
11. X. THÉVENOT, «Quelques clarifications sur la théologie du
péché» dans Louis-Marie CHAUVET et Paul DE CLERCK, Le sacrement
du pardon, Paris, Desclée, 1993, p. 140.
d'une vie animée par le baptême, la confirmation et l'eu-
»
charistie 12. Ce point est particulièrement important
auprès des adolescents. Il y a une réelle manifestation de
la grandeur de l'homme à lui permettre de se tenir devant
son créateur dans la responsabilité avouée de ses actes. Ph.
:
Bordeyne, moraliste et aussi aumônier de lycée, en a cer-
tainement fait l'expérience «De nombreux examens de
conscience, pourtant très proches de la Parole de Dieu,
manquent de consistance morale [.]
Le regret de s'être
écarté de Dieu constitue un commencement de contrition,
et le désir de revenir à lui un commencement de conver-
sion, qui disposent vraiment à la réception du pardon sacra-
mentel. Mais l'ouverture de la célébration à la totalité de
la vie morale n'appelle-t-elle pas une vision plus précise
des points effectifs de conversion, afin que la grâce par-
donnante soit dûment invoquée pour repartir sur le che-
min 13 ? ».
»
regard sur les 15-25 ans dans op. cit., p. 124.
:
12. Ph. BORDEYNE, « Le difficile accès à la conscience morale un
En vente danslesarondeslibrairies
Christus - 14, rue d'Assas - 75006 PARIS Tél. : 01 44 39 48 48
Site internet : http://perso.wanadoo.fr/assas-editions/
CHRONIQUES
LES 50 ANS
DE L'INSTITUT LITURGIQUE DE TRÈVES.
LES VŒUX DU CNPL
:
P. Doncœur et Pius Parsch, sur qui on comptait, n'ont pu venir.
3. Compte rendu dans Herder-Korrespondenz, 1952, n. 4.
sa préoccupation capitale à Maria-Laach d'éviter les ques-
tions controversées sur lesquelles l'unanimité ne peut pas
encore s'établir. C'est pourquoi il a résolument abandonné
sur le canon de la messe des projets déjà élaborés du côté
allemand et dont le P. Jungmann nous avait déjà parlé à
Luxembourg, lorsqu'il constata que la prise de position de
Dom Botte laissait prévoir que la question n'était pas
:
encore mûre. » Et, quant à lui, Mgr Martimort me com-
mentait ainsi cette lettre «Ce différend nous poursuivra
tout au long des commissions du Concile et du
Consilium. »
Avec cette évocation du Concile et du Consilium, nous
comprenons bien l'importance qu'eut Vatican II et sa
:
réforme liturgique dans la vie de nos maîtres. On pourrait
en conclure ce que le P. Gy me disait «En essayant de
mettre par écrit quelques éléments de réponse à votre ques-
tion, je constate que ma mémoire risque de reconstruire
l'histoire à partir du Concile, comme si nos liens [entre
Trèves et Paris] avaient visé d'emblée le Concile. »
Poursuivant son propos, le P. Gy décrivait ainsi le fonde-
:
ment de nos liens tels qu'ils lui apparaissaient après les
deux premières rencontres «En réalité, à partir de notre
première rencontre à Luxembourg, puis de la deuxième à
Maria-Laach, nous étions mus par la conviction que nous
avions en commun des valeurs importantes, à savoir le
"mouvement liturgique" lui-même, pensé par Solesmes, le
Mont-César et le Maria-Laach d'Odon Casel. » A écouter
les divers acteurs de cette époque, nous sentons bien que
des forces contraires étaient à l'œuvre. Sans minimiser la
puissance des caractères en présence (c'est-à-dire en com-
bat, que certains autres plus paisibles tentaient de cal-
mer !), il y avait ce que le P. Gy appelle « des héritages
:
dont nous n'avions pas toujours envie de rechercher la syn-
thèse les racines dans la piété de l'époque baroque et le
mouvement liturgique français du XVIIe siècle et de
Guéranger ».
Durant la première décennie de nos relations, d'autres
rencontres annuelles eurent lieu. Le caractère international,
présent en 1950 et 1951, avait dès le début ouvert les
contacts entre Trèves et Paris à d'autres participants que
caractère encore plus international :
français ou allemands. Les rencontres suivantes eurent un
en 1952, au Mont
Sainte-Odile, en 1953 à Lugano, en 1954 au Mont-César
de Louvain, en 1955 au congrès liturgique national de
Munich, en 1956 juste avant le congrès d'Assise, en 1958
à Montserrat, en 1960 à Munich avant le congrès eucha-
ristique international. Les divers témoins de cette époque
soulignent l'importance qu'ont eues les rencontres inter-
nationales pour favoriser un travail commun durant le
concile et l'après-concile. Le P. Gy me le rappelait :
« Chose décisive pour le Concile, le milieu international
était, lorsque le Concile commence, le seul prêt à travailler
ensemble. » Présentant le volume de souvenirs de
Mgr Wagner, le P. Gy évoquait les tensions réelles mais sti-
mulantes : «Il y eut effectivement des tensions, qu'il est
sans doute trop tôt pour mesurer, et ici le point de vue de
Mgr Martimort ne sera pas moins important que celui de
Mgr Wagner. De toute façon il est clair que les points de
convergence et d'accord étaient beaucoup plus considé-
rables que les points de désaccord, et qu'ils forment la sub-
stance de la Constitution sur la liturgie 4. »
Un dernier témoignage, recueilli auprès de Mgr Mar-
timort, montre qu'il fait, lui aussi, une lecture globalement
positive des liens entre le CPL et l'Institut liturgique :
« Durant les travaux de la commission liturgique prépara-
toire, durant ceux de la commission conciliaire, je puis dire
que Mgr Wagner et moi avons travaillé la main dans la
main quotidiennement. Cette collaboration fut moins
:
étroite au sein du Consilium qui, après le Concile, devait
en appliquer les principes Mgr Wagner était responsable
des travaux sur la messe, j'étais moi-même chargé de la
liturgie des Heures, deux secteurs regroupant chacun plu-
sieurs sous-commissions ou cœtus et se réunissant séparé-
ment. »
Chers amis de Trêves, voilà quelques souvenirs de nos
premiers liens. Je voulais vous les offrir en cadeau d'an-
bougent :
crées cette année aux funérailles. Car les pratiques
les pompes funèbres viennent d'être libéralisées,
les personnes demandant la crémation se multiplient, les
laïcs sont de plus en plus nombreux dans l'Église à assu-
rer l'accompagnement des familles en deuil. C'est
pourquoi la Commission épiscopale de liturgie et de pas-
torale sacramentelle vient de publier des Points de repère
pour la pastorale des funérailles 1.Le sujet proposé était
donc bien actuel et, pour le traiter, l'ISL avait fait appel à
:
L-.M. Renier, J.-Y. Hameline, L.-M. Chauvet, J.-L. Angué.
Ces noms avaient attiré des auditeurs une soixantaine,
plus une vingtaine d'étudiants de l'ISL.
L.-M. Renier nous a retracé rapidement l'histoire de
l'approche de la mort au cours des siècles en Occident pour
aboutir à l'époque contemporaine avec la mort occultée et
;
funéraire. Mais elle n'est plus seule sur le terrain et ren-
contre d'autres agents elle ne peut prétendre à l'hégémo-
nie sur le rituel du deuil. Elle doit travailler en partenariat
:
avec d'autres. Au milieu des autres elle peut cependant
revendiquer sa propre spécificité dire le sens chrétien de
la vie humaine.
J.-Y. Hameline a développé des perspectives anthropo-
logiques sur les rites de la mort. On se trouve devant une
:?.
pratique universelle qui a contribué à l'humanisation de
l'homme. Devant un mort des questions se posent qu'est-
?
: :
ce qu'être ou n'être pas y a-t-il un coupable Entre
1890 et 1920, les études se sont multipliées Robert Hertz,
A. Van Gennep, S. Freud rites de passage et conduites de
deuil sont constitutifs de l'homme qui doit grandir et
abandonner des objets d'amour devant le choc de la réa-
lité. Les rites funéraires intègrent donc l'événement
biologique dans un cadre significatif, qui canalise l'émo-
tion par un agir social et permet un dépassement. Certes,
je résume en quelques mots les perspectives plus riches de
J. - Y. Hameline, mais il faudrait encore les développer dans
des analyses psychologiques, et montrer concrètement
comment le rituel catholique remplit cette fonction anthro-
pologique.
Il revenait à L-.M. Chauvet de nous parler de la prière
de l'Église pour les défunts. L'essentiel de sa conférence
était surtout historique, ce qui ne manque pas d'intérêt, et
culminait dans quelques affirmations doctrinales renvoyant
à saint Thomas dans le Supplément à la Somme théolo-
gique, question 71 : ce qui est en jeu, c'est la communion
des saints qui unit les fidèles vivants et morts dans la
mesure de la charité de chacun.
Dans le forum final, on est revenu sur cette prière pour
:
les défunts. Quand on a remis quelqu'un à la miséricorde
de Dieu, faut-il encore faire quelque chose notre inter-
cession doit-elle encore s'ajouter a la miséricorde de
Dieu ? Le protestantisme n'a-t-il pas raison de ne pas prier
pour les morts, en estimant que Dieu seul est juge et sau-
? :
veur Sans doute il y a une part d'imprécision dans notre
prière, mais on peut dire comme Marthe « Seigneur celui
que tu aimes est malade (mort) », et n'est-il pas nécessaire
que Dieu trouve en nos cœurs un écho de sa propre cha-
rité pour le défunt, dont Il peut se servir pour le sauver2 ?
:
Un point a retenu l'attention dans l'historique de
L.-M. Chauvet l'intercession pour les défunts a pris sou-
vent la forme de partage, car l'aumône couvre la multitude
?
des péchés. N'y a-t-il pas là une piste à exploiter
Avec J.-L. Angué on retrouvait les problèmes pratiques,
les «Chances et Risques des célébrations de funérailles
dans le contexte actuel ». Il regroupait ses réflexions
Les :
autour de cinq points
l'église
:paroissiale (souvent abandonnée
- lieux
dans des regroupements de paroisses), une chapelle d'hô-
;
pital, le funérarium ou le crématorium. On a tendance à
vouloir diminuer les distances à parcourir mais pour le
travail de deuil, des étapes différentes et un lieu symbo-
- :
lique sont souvent bénéfiques.
:
Le rituel il y a sans doute des améliorations à envi-
sager pour une prochaine édition des livres donner davan-
tage d'éléments au choix, faire un ouvrage plus digne pour
le lectionnaire, améliorer le fascicule de poche. Mais plus
le livre est complet, plus les utilisateurs doivent être for-
més pour le maîtriser.
2. Lire J.-D. BENOIT, «Prier pour les morts ou pour les vivants.
Valeurs complémentaires de l'eucologie catholique et de l'eucologie
réformée »,
LMD 101, 1970/1, p. 39-50.
- : :
La crémation on est en plein développement de la
pratique, avec des questions faut-il une célébration au cré-
? ;
matorium, que faire de l'urne Bien des auditeurs auraient
souhaité consacrer plus de temps à cette question on est
renvoyé au communiqué de Mgr Feidt du 9 mars 1987, et
au dernier numéro de La Maison Dieu (213) avec les
- Le :
articles de D. Hervieu-Léger, M. Hanus et J.-C. Hugues.
cimetière dernière étape rituelle que l'Eglise a
peut être trop facilement abandonnée, trop ancrée qu'elle
est dans une manière d'envisager les choses du côté du seul
prêtre.
- : :
La place des laïcs il faut reconnaître qu'on a mis du
temps à retrouver la vraie dimension ecclésiale celle de
la communauté, et pas seulement celle de la présidence.
Al'expérience on constate qu'en général les laïcs s'en
tirent bien et donnent un beau visage de l'Église.
J.-L. Angué a soulevé beaucoup de questions, parfois un
peu vite. Et il y en avait bien d'autres dans l'esprit des
auditeurs. Mais les carrefours ont permis à chacun de s'ex-
primer et de poursuivre l'analyse de ses pratiques. La pré-
sence d'étudiants de l'ISL venant des divers continents a
:
aussi donné la possibilité d'élargir notre horizon et d'illus-
trer le propos de J.-Y. Hameline si l'existence d'un rituel
de deuil est une pratique universelle, les usages locaux
varient selon les différences des représentations culturelles.
;
A la table ronde finale, beaucoup de remarques et ques-
:
tions sont remontées j'en retiens une le problème du lan-
gage utilisé. Dans un monde qui se construit sans Dieu,
comment dire l'espérance chrétienne, sans paraître utiliser
?
le mort pour faire passer nos idées Comment exprimer
un au-delà chrétien à un auditoire plus intéressé par le spi-
?
ritisme ou la réincarnation Souvent on n'ose pas dire que
;
le défunt est pécheur et a besoin de la miséricorde de Dieu,
on tronque Mt 25 pour ne dire que le positif comment
dire encore que Dieu est Sauveur ?
:
Mais on nous a proposé aussi un autre langage celui de
la musique. Et nous savons bien que dans un enterrement
le chant et l'atmosphère musicale sont des éléments impor-
:
tants. Fr. Marchai, qui prépare une thèse sur Musique et
théologie, a proposé une intervention «Ce qu'un musi-
cien chante de la mort. Un exemple : le Requiem de
M. Duruflé ». A travers ses introductions aux morceaux
musicaux, il nous a montré comment la musique passait du
tragique à l'espérance. Un enregistrement serait nécessaire
pour faire partager cette expérience, mais La Maison Dieu
n'en offre pas la possibilité.
A la fin P. De Clerck
nous conviait à nous retrouver l'an
prochain, les 14 et 15 avril 1999, pour un colloque sur
l'« Evolution des rapports entre liturgie et histoire
».
Bernard SOUDÉ.
RECENSION
:
ordonnés par les soins de Monique Brulin, forme plus qu'un bel
ouvrage c'est «de la belle ouvrage », comme aurait dit ma
grand-mère, avec le ton de voix admiratif de qui s'y connaît,
devant une tâche soigneusement achevée « comme il faut ; en»
langage plus convenu, disons qu'il s'agit d'une belle « œuvre ».
Les articles de J.- Y. Hameline sont généralement courts mais
denses. On a plaisir à retrouver dans ce recueil, au titre aussi
pertinent que beau, certains d'entre eux qui sont devenus des
« classiques », lus et travaillés par les étudiants. et les profes-
seurs. Ils ont été distribués en cinq plages, dont les titres bali-
:
sent bien le vaste espace ritologique que l'auteur a exploré plus
;
de trente ans durant 1 - Fondations ; 2 - Espace ; 3 - Site céré-
moniel ; 4 - Enveloppe sonore 5 - Itinéraire. La ritologie, ce
terme qui «rend un son si drolatique, comme si le vieux sup-
port étymologique, pas moins qu'indo-européen, je vous prie, se
rigolait doucement de voir accoupler comme cela, sans plus,
»
; :
l'âne rituel et la jument spéculative (p. 174, note), constitue
donc l'objet de l'ouvrage mais qu'on se rassure conduite par
un tel « ânier », la bête manifeste au moins autant d'intelligence
et de drôlerie que l'ânesse de Balaam !
Il ne saurait être question de rendre compte ici de chaque
article, ne serait-ce que parce que Hameline parle une langue
qui, tout en étant parfaitement compréhensible, est difficile à tra-
»
duire ou à « résumer : ses formules disent ce qu'elles disent,
»
«littéralement et dans tous les sens (pour paraphraser
Rimbaud) ; vouloir les retraduire, c'est souvent leur faire dire
autre chose que ce qu'elles entendent tout bonnement dire.
Mieux vaut donc s'arrêter quelque peu sur le style de l'auteur,
ou plutôt sur sa « manière ». Ses nombreux auditeurs ou lecteurs
savent que chacun de ses articles est le fruit d'une lente et
savante distillation personnelle de multiples lectures assimilées,
pensées et repensées jusqu'au point où puisse être enfin sécrété
quelque chose de neuf qui soit susceptible de leur ouvrir le désir
de prendre à leur tour la parole. On comprend que l'auteur,
comme il en a souvent fait l'aveu lui-même, saisi par « le ver-
tige de la page blanche », ait tant de mal à accoucher d'une écri-
ture dix fois remise sur le métier ; ou bien que, après avoir tenu
»
une conférence à partir de quelques pages de « notes sur les-
quelles on pouvait lire des notions, catégories ou concepts géné-
ralement couplés par opposition ou complémentarité, l'auteur ait
dû laisser à d'autres le soin de récrire ladite conférence en vue
:
d'une publication,. à moins que, sous d'insistantes « amicales
pressions », il n'ait accepté lui-même de le faire en ce cas, le
résultat n'est généralement qu'assez vaguement ressemblant
avec le discours tenu oralement, la pensée, toujours en travail,
continuant de faire son œuvre.
Pour pouvoir tirer profit des travaux de J.- Y. Hameline, le lec-
teur doit faire son deuil du désir d'un savoir achevé. Il lui faut
accepter d'entrer dans un itinéraire qui ne se veut qu'explora-
toire et dans un texte qui se défend d'être autre chose que pro-
visoire : Hameline est en effet une sorte de nomade de la pen-
sée, qui travaille sur des « paradigmes partiels », des concepts
»,
«à moyenne portée des «hypothèses courtes» (177-178).
Sans exclure l'inévitable part de complaisance «idiosyncra-
sique» à l'œuvre dans ces précautions littéraires ou oratoires, il
est clair, pour qui est un peu familier de sa pensée, qu'il n'y a
pas là simple stratégie de la part de qui voudrait paraître d'au-
tant plus savant qu'il avoue ne pas savoir grand chose. C'est en
effet l'objet même de la recherche, un objet appartenant à ce
qu'il est convenu d'appeler les «sciences humaines », qui
requiert d'être toujours « en cours », dans un constant travail de
distanciation et de dé-distanciation, de pression et de décom-
pression. Le penseur en effet ne doit pas être dupe de la part de
« bricolage» «
(Lévi-Strauss) ou, plus encore, de manœuvre
intellectuelle» (JYH, 12) par lequel il constitue et traite son
objet. On n'est donc pas étonné qu'il nous convie fréquemment
à aller voir avec lui «ce qui se passe dans la cuisine » (180).
Les précautions de l'auteur sont liées, par ailleurs, à l'extrême
pluralité de points de vue méthodologiquement partiels psy- :
complexité créée par la construction d'un objet qui requiert une
chanalyse, sociologie, histoire, linguistique. ; philosophie éga-
lement, mais plutôt sous les espèces de la phénoménologie,
notamment celle de Merleau-Ponty. Autant de domaines où l'au-
teur excelle souvent à faire saisir au lecteur, à l'aide parfois d'un
simple adjectif, d'une courte incise ou d'un paragraphe, l'inté-
rêt premier de telle idée de Freud ou de Winnicott, de telle
remarque de Weber, de telle insistance de Benvéniste ou de telle
:
formule de saint Augustin.
:
On le devine la manière de Hameline est inimitable. Mais
le jeu en vaut la chandelle dix pages bien lues de lui valent
parfois de gros ouvrages. Le fruit peut-être le plus précieux
d'une telle lecture n'est pas d'abord (même si aussi) dans le
contenu et ce qu'il nous donne à penser de manière générale-
:
ment neuve. Il est sans doute en amont, je veux dire dans la
démarche elle-même dans cette manière d'approcher son objet,
de le construire, d'en mettre au jour certains aspects sans jamais
«
pourtant réifier ce qui n'est guère, au fond, qu'une enveloppe
qu'elle soit sonore, visuelle ou posturale. L'importance accor-
»
»
dée à cette «enveloppe peut faire penser, mutatis mutandis,
aux écrits de M. Bellet. Qui a lu quelque ouvrage de ce dernier
sait que le savoir psychanalytique est un non-savoir. Il le sait
non pas d'abord au travers de déclarations matérielles de l'au-
teur, mais de par la forme même de son écriture, où l'objet psy-
chanalytique est littéralement coulé dans le style lui-même
style, de ce fait, assez déconcertant, mais parfaitement respec-
;
»
tueux de son objet puisque littéralement « conformé à lui. Sans
négliger la part d'exposé plus didactique dont le lecteur a éga-
lement besoin, JYH met fréquemment en œuvre cette sorte de
« fonction méta » (selon la belle expression de S. Breton) dans
»
son écriture même, médiation « formelle qui donne à voir le
« fond ». Fonction particulièrement bien appropriée à l'objet
même de la ritologie, dans la mesure où il s'agit d'un objet
caractérisé, d'une part, comme pragmatique, d'autre part,
comme instaurateur de sujets. Un peu comme chez M. Bellet
également, la théologie de J.- Y. Hameline se livre moins dans
des exposés formels comme tels qu'elle n'émerge de cette sorte
de « donation transcendantale » qui, dans la liturgie chrétienne,
anime les «configurations », les «enveloppes », les «disposi-
»
tifs», les « protocoles (121-122), institue cet « entre-temps»
(100) que la théologie chrétienne nomme «eschatologique»,
»
habite « l'espace intermédiaire (77) qu'institue l'aire rituelle,
»
ou encore «dispose le corps et le regard au régime «suffi-
»
samment bon qui convient en présence du Dieu caché (83). Le
» »
;
caractère «transitionnel (55 s.) du «site liturgique, on le
devine, met en mouvement le désir plus que la raison mais il
s'agit toujours d'un désir «contrôlé », d'un «investissement
d'énergies légères qui construisent (et consument sans détruire)
l'affectus piettis, sans forçage, ni truquage emphatique ou
pathétique, et qui sont la condition de toute suavitas et de toute
delectatio » (voir le De musica de saint Augustin) (78).
Ce faisant, J.- Y. Hameline entraîne le lecteur non seulement
vers la théologie mais vers la spiritualité, au sens le plus noble
:
de ce terme. Peut-être est-ce là d'ailleurs le premier bénéfice
qu'il retirera de cette Poétique du rituel au lieu de parler d'un
ton péremptoire du mystère pascal du Christ et de l'eschatolo-
gie, il apprendra, au prix sans doute d'un certain « deuil », en
lisant cette œuvre tout entière en « réserve », à se situer comme
sujet croyant sous le régime de l'« attente ». Est-il finalement
plus belle théologie chrétienne de la liturgie?
L.-M. CHAUVET.
LaMaison-Dieu, 216, 1998/4, 183-190
morale.
pénitence 214 35-50
BORDEYNE, Philippe. Examen de conscience et
vie 214 51-68
Olivier (de). Le ministère du prêtre dans
».
CAGNY,
la pratique actuelle de la confession privée. 214 103-127
CHAUVET, Louis-Marie. Sur quelques difficultés
actuelles au sujet de F« au-delà 213 33-58
rite.
France au xvifsiècle [note de lecture] 215 151-163
thodoxie.
LOSSKY,
MARTIMORT,
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Aimé-Georges. In memoriam, le
216 127-138
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MORLET,
NEAU,
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VORGRIMLER,
de pénitence chez Karl Rahner.
Herbert. La théologie du sacrement
214 7-33
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La Settimana Santa Liturgia e pietà popolare,
Palerme, Ed. Oftes, 1995, 334 p. (J. Evenou) 213 153-154
BECK, R., Histoire du dimanche de 1700 à nos
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(I.-H. Dalmais) 213 159-160
BERTONIÈRE, G., The Sundays of Lent in the
Triodion : The Sundays without Commemo-
ration, Rome, Pontificio Istituto Orientale,
coll. « Orientalia Christiana Analecta » 253,
1997, 216 p. (I.-H. Dalmais) 213 157-158
BOROBIO, D., La iniciaciôn cristiana. Bautismo,
educaciôn familiar, primera eucaristia, cate-
cumenado, confirmaciÓn, comunidad cris-
tiana, Salamanque, Ed. Sigueme, coll. « Lux
mundi » 72, 1996,624 p. (D. Lebrun) 214 157-158
BRAULT, I.-M., Célébrer la splendeur de Dieu. La
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CAVALOTTO, G., Iniziazione cristiana et catecume-
nato. Divenire cristiani per essere battezzati,
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Bologne, Ed. Dehoniane, coll. Catecumeni
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FERRARO, G., I sacramenti nella liturgia, Rome,
Ed. Dehoniane, 1997, 342 p.
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GRILLO, A., Teologia fondamentale e Liturgia.
Il rapporto tra immediatezza e mediazione
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KOLLAMPARAMPIL, A. G., The Life-Giving Pascal
Lamb (Great Week Celebrations in the East
Syrian Liturgy), Changanacherry, HIRS
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MANICARDI, E., RUGGIERO, F. (sous la dir. de),
Liturgia ed evangelizzazione nell'epoca dei
Padri e nelle Chiesa del Vaticano II (Studi in
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di unità. Le piu
MAZZA, E. (sous la dir.), Segno
antiche eucaristie delle chiese, Bose, Ed.
Qiqajon, 1996,408 p. (P. De Clerck) 213 154-155
MESSNER, R., NAGEL E., PACIK, R.,Bewahren
und Erneuern, Studien zur Messliturgie,
Innsbruck-Vienne, Tyrolia Verlag, 1995,
416 p.(J.-C. Crivelli) 213 145-149
RENIER, L.-M., Les Funérailles. Les chrétiens
face à la mort, Paris, Éd. de l'Atelier, 1997,
240 p. (J.-L. Angué) 215 173-175
TAFT, R. F.,Beyond East and West. Problems in
Liturgical Understanding (2e édition revue et
augmentée), coll. «Orientalia Christiana
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Dalmais) 213 158-159
VALENZIANO, C., Architetti di Chiesa, Palerme,
Ed. Epos, 1995, 406 p. (F. Debuyst) 213 151-152
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