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« Disposant de grands pouvoirs, le Conseil constitutionnel doit à tout prix éviter de s’ériger
en gouvernement des juges. », François Mitterrand exprime ainsi la crainte qui vise le contrôle de
constitutionnalité depuis ses débuts, ici en faisant référence à l’organe qui en est responsable en
France. Le contrôle de constitutionnalité consiste à s’assurer que les dispositions législatives soient
bien conformes à la Constitution ou au bloc de constitutionnalité. Il peut s’effectuer de différentes
manières, on distingue généralement la juridiction constitutionnelle américaine et européenne,
l’une s’exerce a posteriori et par voie d’exception, l’autre a priori et par voie d’action. Il s’agit
d’une instance juridique qui s’exprime sur le processus législatif. C’est cet élément qui a fait
craindre à François Mitterrand le dévoiement du Conseil constitutionnel en gouvernement des
juges. Il se place ainsi dans la longue tradition française d’opposition au contrôle de
constitutionnalité, accusé de chercher à réglementer la loi, l’expression de la volonté générale
selon Rousseau et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les
révolutionnaires de 1789 craignaient l’arbitraire des juges et refusaient de laisser à une instance
non élue la capacité de trancher sur les lois votées par les représentants de la nation, élus par le
peuple. C’est donc jusqu’à cette époque que l’on peut remonter le légicentrisme français, bien
qu’il s’inscrive également dans une tradition européenne. Ce légicentrisme est même
paradoxalement consacré par une des Constitutions qu’a connues la France, l’article 3 de la
Constitution de 1791 dispose « [qu’il] n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi.
Le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance ». Cette
conception s’impose en France et en Europe pendant le XIXème siècle ; c’est donc aux Etats-Unis
que la première cour constitutionnelle voit le jour. Il s’agit de la Cour Suprême, qui se dote elle-
même de la compétence du contrôle de constitutionnalité, lors du fameux arrêt Marbury v.
Madison rendu le 24 février 1803. Il faut attendre un siècle avant que pareille cour ne voie le jour
en Europe avec la création en 1920 de la première cour constitutionnelle en Autriche, selon le
modèle de Kelsen, appelé modèle européen. En France, le Conseil constitutionnel est créé sous la
Vème République avec la Constitution du 4 octobre 1958, c’est la première fois que la France se
dote d’une véritable cour constitutionnelle, après l’échec du Comité constitutionnel sous la IVème
République. Malgré une opposition des parlementaires en 1958, certains ayant déjà été
parlementaires sous la IIIème puis la IVème République, il s’impose peu à peu parmi les
institutions de la Vème République. Cependant, après plus de 60 ans d’existence, de jurisprudence
et de réformes constitutionnelles, ses compétences et pratiques du contrôle de constitutionnalité
ont profondément changé. Afin de rendre compte de ces évolutions successives, il convient de
s’interroger sur plusieurs éléments.
Comment s’exerce le contrôle de constitutionnalité en France et sur quoi se base-t-il ? Comment
s’articulent le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité en France ? Dans quelle
mesure l’introduction de la Question Prioritaire de Constitutionnalité a-t-elle bouleversé l’exercice
du contrôle de constitutionnalité en France ? Pour y répondre, nous verrons tout d’abord le
contrôle de constitutionnalité lorsqu’il est exercé a priori par le Conseil constitutionnel (I.) ; puis
nous verrons dans quelle mesure la réforme constitutionnelle de 2008 a bouleversé le contrôle de
constitutionnalité en France sous la Vème République avec l’a posteriori (II.).
La QPC a certes eu un très fort impact sur le contrôle de constitutionnalité en pratique, mais il
convient de noter que le débat sur le contrôle a posteriori remonte à bien plus longtemps que le
comité Balladur en 2007. De plus, certaines pratiques déjà en place pouvaient parfois se substituer
à un contrôle de constitutionnalité a posteriori.
Tout d’abord, on peut remonter l’une des premières discussions censées aboutir à l’instauration
du contrôle a posteriori à 1968/1969, nous dit Guillaume Boudou. Des échanges entre Gaston
Palewski, alors président du Conseil constitutionnel, Pierre Chatenet, membre de celui-ci et Roger
Frey, ministre chargé des relations avec le Parlement, évoque une révision instaurant un article 61
bis qui permettrait au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution
de textes lui étant présenté par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation dans le cas d’instances
engagées devant eux. L’idée est ensuite reprise en 1989 avec la réforme engagée par le président
du Conseil constitutionnel de l’époque Robert Badinter, puis en 1993 avec une proposition du
Comité pour la révision de la Constitution et enfin en 2007 avec la proposition 74 du comité
présidé par Edouard Balladur, qui servira de base à la réforme constitutionnelle de 2008. Dans la
pratique, avec le contrôle de l’abrogation implicite, le Conseil d’Etat compare une loi précédant la
Constitution à cette dernière pour s’assurer qu’elle n’y contrevient pas, il s’agit donc d’un contrôle
de constitutionnalité dans le temps. La Cour de cassation a quant à elle reconnu que ce n’était pas
son rôle le 18 novembre 1985. Cependant, elle et le Conseil d’Etat ont réaffirmé leur compétence
en termes de contrôle de conventionalité, avec l’arrêt Jacques Vabre en 1975 et Nicolo en 1989
respectivement. Il était ainsi possible de remettre en question une loi devant une juridiction en
remettant en question sa conventionnalité et sa conformité aux traités internationaux, ce qui a fait
office de contrôle de constitutionnalité, du moins en termes de droits fondamentaux, existant à la
fois dans le droit supranational et constitutionnel. La question des droits fondamentaux demeure
un élément essentiel de la juridiction constitutionnelle selon l’idéaltype de Jouanjan et la QPC a
permis une grande avancée dans la justiciabilité de la Constitution sur ce sujet mais la France est
encore loin des mécanismes les plus poussés que sont le recours en amparo espagnol ou la
Verfassungsbeschwerde allemande. Le contrôle de constitutionnalité dans le cadre des droits
fondamentaux peut également servir à légitimer un projet ou proposition de loi, on le voit de
manière très actuelle avec l’annonce de la saisine du Conseil constitutionnel sur le projet de loi sur
Albéric de Carrère
la sécurité globale par le Premier ministre Jean Castex, afin de faire taire les critiques s’élevant
contre l’atteinte aux droits fondamentaux.