Éducation et socialisation
Les Cahiers du CERFEE
48 | 2018
L’École entre valeurs et savoirs : quel développement critique possible ? - Varia
Dossier - L’École entre valeurs et savoirs : quel développement critique possible ?
L’éducation à l’environnement :
l’idée de neutralité entre
simplisme, positivisme et
relativisme
C V
https://doi.org/10.4000/edso.2950
Résumés
Français English
Cet article vise, à travers une étude de cas, à questionner l’approche de l’éducation à
l’environnement. Il cherche à identifier et à comprendre les difficultés de positionnements des
enseignants, souvent pris entre « moralisme » et « relativisme ». Les difficultés de conception et de
mise en place de ces enseignements pourtant préconisés par les Instructions officielles, dans le cadre
des disciplines scolaires n’expliquent pas tout. En particulier, la tentation d’esquiver les débats et
controverses en classe semble renvoyer, dans certains cas, à une vision positiviste des sciences ou
alors à une certaine conception de ce que devrait être un « savoir élémentaire ». Enfin, le cadre de la
laïcité scolaire peut induire chez l’enseignant une attitude de neutralité stricte, peu compatible avec
une éducation à la citoyenneté. Ainsi, comment permettre aux enseignants de s’engager, avec une
relative sérénité dans la mise au travail des problèmes environnementaux tout en se prémunissant à
la fois de l’illusion de neutralité et de la tentation d’endoctriner ?
This paper aims, through case studies, to question the approach of environmental education. It seeks
to identify and understand difficulties on teachers’s approach, often caught between "moralism" and
"relativism". Difficulties in the design and implementation of these teachings, however,
recommended by the official instructions, in the context of school curriculum disciplines (Lange,
2011, Victor & Lange, 2012), do not explain everything. Precisely, temptation to avoid classroom
debates and controversies seems to refer, in some cases, to a positivist view of science or to a
questionable conception of what "elementary knowledge" should be. Otherwise, the framework of
secularism (laïcity) can induce for the teacher an intention of strict neutrality, hardly compatible
with citizenship education. In short, how to enable teachers to engage with a relative serenity in the
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
implementation of environmental problems while guarding both illusion of neutrality and
temptation to indoctrinate young pupils.
Entrées d’index
Mots-clés: Neutralité, valeurs, laïcité, controverse, questions environnementales
Keywords: neutrality, values, secularism, controversial, environmental problems
Texte intégral
1 Cet article vise à questionner les avantages et limites de différentes approches
d’éducation à l’environnement concernant la question de la biodiversité. Dans les manuels
scolaires de l’école primaire abordant cet enseignement, nous avons pu en inventorier
trois (Voisin & Lhoste, 2015). La première tend à « sensibiliser » les élèves en s’appuyant
sur leurs émotions afin de faire naître un intérêt militant (approche interprétative). La
seconde vise à faire acquérir des gestes « éco-citoyens » avec ou sans élucidation des
enjeux et raisons (sociale, scientifique, économique ou encore prudentielles) qui
permettraient d’en comprendre le bien-fondé (approche éco-prescriptive). Une troisième
concerne l’étude d’un problème environnemental donné en tentant de croiser différents
points de vue (approche socialement critique). Ces différentes tendances s’appuient sur
des textes institutionnels1 qui nous semblent entretenir un certain « flou » et « autoriser »
la poursuite simultanée de ces différentes finalités, ce qui peut poser problème. Ce ne sont
pas les seules difficultés. Parmi les questions relatives à l’environnement, la biodiversité
est un concept considéré comme « triplement vif » (Legardez & Simonneaux, 2006), car
en plus d’être discuté scientifiquement (à propos des inconnues ou des savoirs non
stabilisés) et socialement (à propos des stratégies de protection), il l’est également sur son
enseignement à l’école. Certaines recherches ont déjà mis en évidence que malgré les
injonctions ministérielles, les enseignements prévus restent difficiles à mettre en place.
Ainsi, Jean-Marc Lange (2011, 2014) ou Laurence Simonneaux (2013) ont montré que leur
aspect controversé est bien souvent écarté ou « refroidi » dans les pratiques enseignantes
alors que tout l’enjeu éducatif serait, selon nous, d’explorer certaines de ces controverses
et d’en débattre avec les élèves. Cette étude vise à se centrer plus spécifiquement sur ce
dernier point. Nous chercherons à dégager quelques repères pour l’éducation à
l’environnement en nous appuyant sur l’analyse des difficultés de positionnements des
enseignants pour tenter d’en comprendre les raisons.
2 Nous présenterons des extraits d’une étude de cas sur l’enseignement de la biodiversité
à l’école primaire au cycle 3 où nous constaterons aussi que l’enseignant « évite » les
controverses. Plusieurs raisons pourraient l’expliquer. La première renverrait à une vision
« positiviste » des sciences. Par « positivisme », nous entendons ici une conception de la
science selon laquelle, elle n’a pas à se préoccuper des enjeux de valeurs liés aux objets
d’études (Lecourt, 1974). Cela peut également s’expliquer par des conceptions portant sur
ce que serait un savoir « élémentaire ». Un savoir élémentaire relève de l’ordre des
fondements par distinction avec celui des commencements (Astolfi, 2008 ; Trouvé, 2010).
Selon nous, un savoir élémentaire dans ce cadre, consisterait à faire explorer un problème
environnemental donné en croisant différents points de vue et en menant un travail sur les
idéologies. Mais trop souvent l’élémentaire se réduit au rudimentaire, au prétexte qu’il
faut bien, pour commencer, se centrer sur des fragments de savoirs factuels, non
questionnés. Enfin, l’éducation à la citoyenneté peut parfois être considérée comme un
espace de neutralité en raison du cadre scolaire laïc. La volonté de rester neutre, de ne pas
vouloir influencer les positions relèverait d’une « dichotomie du fait et de la valeur »
(Pinto, 2011). Entre neutralité stricte, simplisme et relativisme comment permettre aux
enseignants de s’engager, avec une relative sérénité dans la mise au travail des problèmes
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
Analyses préalables
3 En matière de biodiversité, les attentes des programmes officiels semblent cibler l’étude
de milieux gérés par l’homme (MEN, 2008, p. 24)2. La biodiversité et son importance sont
incluses dans le volet d’étude des vivants dans leur environnement, ce qui implique une
approche de cette notion ne se limitant pas à un regard exclusivement écologique et/ou
biologique. Des analyses épistémologiques, philosophiques et didactiques menées en
amont (Voisin, 2017), nous ont permis de cibler, parmi toutes les difficultés liées à
l’enseignement de la biodiversité, des problèmes d’enseignement-apprentissage (Fabre &
Orange, 1997). D’une part, le caractère complexe et non stabilisé des connaissances
scientifiques (complexité, inconnues et controverses scientifiques pour la définition de la
biodiversité) rend difficile l’identification de contenus d’enseignement. D’autre part, la
poursuite de finalités éducatives juxtaposées peut poser question du point de vue de leur
compatibilité. Certaines tendances pédagogiques visent à « sensibiliser » les élèves en
« jouant » sur leurs émotions. D’autres s’efforcent de promouvoir des comportements ou
gestes « éco-citoyens » sans nécessairement en questionner le bien-fondé. Ces deux
tendances s’exposent au risque de conformisme. Pour d’autres approches, la discussion
sur ces questions est renvoyée à la sphère subjective, au motif qu’il n’y aurait pas
d’objectivité possible dans les débats scientifiques sur ces questions, ce qui incline au
relativisme, tendant à considérer que toutes les opinions et positions se valent et à une
certaine dédisciplinarisation de ces enseignements (Orange-Ravachol, 2014).
4 Enfin, le concept de biodiversité dépasse le cadre strictement biologique et scientifique.
Il requiert des éclairages politiques, géographiques ou encore éthiques, ce qui impose de se
pencher sur les conditions de dialogue des différentes disciplines nécessaires au travail sur
un problème environnemental sans nier leurs spécificités pour autant. La façon de
concevoir les articulations disciplinaires peut là encore se comprendre selon différentes
modalités (adisciplinarité, transdisciplinarité ou interdisciplinarité). Nous ne pourrons
détailler les trois problèmes que nous venons d’évoquer rapidement, mais nous renvoyons
le lecteur à la carte de synthèse en annexe 1, qui présente le fruit de ces analyses.
Présentation de la méthodologie
5 Afin de mener cette étude, nous avons cherché des professeurs des écoles primaires
volontaires (tous cycles) pour participer à notre recherche et nous permettre d’observer
une séquence sur la biodiversité. Confrontés à un grand nombre de refus, nous avons
demandé aux enseignants s’ils voulaient bien nous en donner quelques raisons de manière
informelle. La plupart des réponses faisaient état d’un sentiment de « malaise » par
rapport à cet objet d’étude dont ils sentaient qu’il pouvait être « piégeant », trop complexe
ou « flou ». Nous avons, choisi de présenter l’étude de cas d’un enseignant de cycle 3.
L’enjeu est d’illustrer quelques difficultés liées à la prise en charge des controverses
scientifiques et politiques inhérentes à cette question de l’enseignement de la biodiversité,
mais aussi de comprendre les raisons des choix didactiques des enseignants. Cela nous a
conduits à privilégier :
des élèves et les traces écrites ont été prélevés systématiquement lors des séances
observées.
une recherche de signification, donc une méthodologie qualitative visant
l’élucidation des raisons des choix des enseignants, inférées à partir d’entretiens
semi-directifs intégralement retranscrits (avant et pendant la séquence). Nous
avons croisé ces données avec des observations de la pratique effective de classe
(des extraits de séances ou de productions d’élèves) afin d’articuler « subjectivité et
objectivité » (Baluteau, 2013) et en tentant d’éviter certains risques3 qui pourraient
biaiser la recherche. La conception des questions et la conduite des entretiens sont
particulièrement sujettes à de tels dangers et cette recherche n’y échappe sans
doute pas même si nous avons essayé d’en limiter les effets.
6 Les différentes recherches, évoquées rapidement dans notre première section, nous ont
permis d’identifier des catégories d’analyses sur lesquelles nous appuyer. Nous avons
rapidement présenté ces catégories dans la sous-partie précédente. Liées à notre cadre de
recherche, elles visent à recueillir des données sur la nature du savoir (sur l’objet d’étude,
mais aussi les « pratiques » scientifiques et les différents registres disciplinaires), les
finalités éducatives (valeurs, missions de l’école, etc.) et les modalités pédagogiques
d’enseignement. Nous les avons synthétisées sous la forme d’une carte visible en annexe 1.
Nous précisons que la focale choisie est nécessairement réductrice (elle n’analyse pas les
gestes professionnels par exemple ou les silences dans les discours) et ne permet, ni ne
tente, de rendre compte de toutes les dimensions de la pratique pourtant importantes. Les
analyses ont été menées en deux temps :
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Éléments d’analyses
7 Nous avons mené ces analyses en deux temps. Nous avons commencé par des analyses
macroscopiques sur les objectifs et enjeux de l’enseignement de la biodiversité pour cet
enseignant. Puis nous avons poursuivi par des analyses microscopiques visant à mieux
comprendre des écarts constatés lors de notre premier temps.
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concept. Cela nous semble, et nous souhaitons le préciser dès à présent, tout à fait
compréhensible. Il s’agit là d’un concept très complexe, qui est lié à de multiples
dimensions (scientifique, sociétale, éthique), de multiples disciplines (biologie,
géographie, philosophie…) et pose de nombreux problèmes (celui de la prise en charge des
controverses et de la multiréférentialité par exemple) y compris à des enseignants ayant
pourtant une formation scientifique initiale (comme c’est le cas pour cet enseignant du
primaire). En nous appuyant sur ces premiers éléments, il nous semble que l’on pourrait
en induire un dualisme entre activités humaines et nature (dans une approche plutôt
« naturaliste ») dans la représentation de l’enseignement de la biodiversité, dualisme qui
pourrait être entretenu par une assimilation du travail sur le rapport des hommes à leur
environnement à la notion de développement durable. L’enseignant semble renvoyer le
développement durable à un pôle industriel et technique alors que la biodiversité est
plutôt référée à la « nature » (EP25, 29). Autrement dit, l’étude des vivants de notre
environnement proche semble isolée des problèmes environnementaux liés à l’impact des
activités humaines. Il semble distinguer deux types d’entrées :
10 Nous proposons, pour cette étude, de nous focaliser sur un moment de l’entretien pour
illustrer et discuter des difficultés potentielles liées à ce dualisme entre l’enseignement de
savoirs considérés comme « purs » et le travail sur les valeurs (discussion sociétales) dans
l’éducation à l’environnement.
Présentation de l’épisode
12 Le premier extrait provient de la fin de la troisième séance en classe (voir figure 1). Il
s’agit d’un atelier où les élèves doivent trouver un titre à des affiches choisies par
l’enseignant6 , présentant des aspects de la biodiversité. Nous allons nous concentrer sur le
moment de travail autour de la photographie d’un renard dans son milieu naturel. Le titre
de cette affiche est volontairement caché par l’enseignant, les élèves doivent en imaginer
un et le justifier. À l’issue de ce premier moment, l’enseignant dévoile le titre de l’affiche et
donne à lire un article présentant le renard comme étant « plutôt une espèce
envahissante ». Une discussion débute ensuite entre les élèves sur l’utilité des espèces puis
de l’homme, ce dernier étant finalement considéré comme « un envahissant » ne servant à
rien. L’enseignant clôt alors rapidement la discussion en ces termes : « on n’est pas on ne
va pas en discuter on ne va pas faire de la philosophie parce que moi je veux vous
emmener vers de la science, je veux vous emmener sur le terrain pour regarder ce qu’il y
a dans le sol ». La référence à la philosophie comme la discipline, où une telle discussion
pourrait être poursuivie, par distinction d’avec la science, laquelle requiert d’aller « sur le
terrain pour regarder ce qu’il y a dans le sol », nous laisse entrevoir une possible
représentation « positiviste » des sciences au sens de D. Lecourt (1974)7. Afin de mettre à
l’épreuve cette interprétation, nous avons ciblé nos analyses microscopiques sur les
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éléments de cet épisode où l’enseignant donne des explications sur la gestion des moments
de discussion.
volonté de ne pas sortir du scientifique sur des séances qui sont fléchées
« sciences » et non pas « philosophie ». La possibilité de faire des séances
spécifiques, en permettant à chacun de s’exprimer et de comprendre les points de
vue des autres, est plutôt réservée à des séquences avec une entrée
« développement durable » (PS9-52, 58). Les quelques occurrences à ce sujet nous
invitent à poursuivre la réflexion sur la représentation de l’enseignement des
sciences que se donne cet enseignant. Quelle est la distinction entre développement
durable et biodiversité ? Quels sont les liens entre Sciences et controverses ? Quels
sont les statuts des savoirs en fonction de ces différents ancrages ?
« peur » de manquer d’arguments ou de ne pas arriver à apporter la solution.
Cette première « peur » est associée à une seconde qui est la « peur » de trancher
ou donner son avis. La difficulté formulée par cet enseignant est qu’il souhaite
ouvrir la discussion pour « initier certaines notions » (PS3-52) ou pour que les
élèves soient capables « d’un peu plus d’imagination » (PS3-40) sans perdre une
posture scientifique.
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16 Enfin, nos analyses du contexte de l’énonciation montrent que cette recherche
n’échappe pas aux limites inhérentes à notre manière de conduire l’entretien8. Si nous
avons tenté de reconstruite l’architecture d’un raisonnement, ici plutôt homogène, à partir
d’énoncés plutôt développés et complets, nous n’avons pas encore abordé certains
exemples d’incohérences dans les locutions de l’enseignant. Prenons un exemple pour
illustrer cela dans le fragment PS3-63. À ce moment de l’entretien, l’enseignant explique
qu’il avait décidé de rebondir sur des termes employés par les élèves tels que « mauvaise
herbe » ou « ordure ». Les questions du chercheur visent à orienter l’interlocution sur
l’explicitation d’un moment de fermeture du débat. L’enseignant explique son choix par le
lien avec la notion d’utilité ou de fonction des plantes. L’enjeu est ici d’amener les élèves à
changer leurs regards sur ce qu’on appelle communément, les « mauvaises herbes ». Or, ce
travail potentiellement intéressant, et qui semble important pour lui, ne va pourtant pas
être véritablement mené, mais reporté au fur et à mesure de la séquence.
17 Lorsque l’enseignant décide de l’aborder en neuvième séance, il ferme rapidement la
discussion. Il se trouve confronté à une résistance des élèves sur la place et l’utilité de
l’homme, qu’il ne parvient pas à lever. Lors d’autres prises de parole, il justifie le choix de
revenir sur certains termes (comme celui de « d’utile » ou de « nuisible ») par la volonté
de rebondir sur certains mots-clés du savoir visé (PS3-61). Cette notion d’utilité ou de
fonction n’apparaît pourtant, pas dans les cahiers d’élèves. La « biodiversité » est définie
comme la « diversité des êtres vivants (végétaux et animaux) dans un milieu ». La notion
de classification comme moyen d’inventorier et classer les données récoltées (les
échantillons prélevés lors des sorties pour observer les vivants dans l’environnement
proche des élèves) prend en revanche, une grande place. Cela semble aller dans le sens
d’une incohérence ou une contradiction entre ce que l’enseignant formule à ce moment et
ce qui a été fait en pratique.
18 Il serait intéressant de pouvoir poursuivre cette réflexion pour tenter d’interpréter des
raisons à ce « glissement » de la biodiversité vers la classification du vivant. L’enseignant
ne cherche finalement pas à développer tant que cela, cette notion de fonction ou d’utilité
et c’est même ce sur quoi il semble éprouver des difficultés. Nous pouvons noter de plus, la
formulation d’une explication légèrement similaire lorsque l’enseignant évoque la
difficulté de mener ces discussions, en raison d’une grande sensibilité des élèves (PS9-74)
qui élargissent rapidement à « l’aspect moralisateur » (PS9-44). Il serait donc intéressant
de pouvoir discuter d’une perspective d’explication que serait la présence d’obstacles chez
les élèves sur la conception du rapport homme-environnement et qui pourrait expliquer
ces résistances.
Synthèse
19 Cet enseignant semble se situer dans une vision que l’on pourrait qualifier de
« positiviste » de la discipline biologie. Il distingue ce qui relève des sciences et de la
philosophie ou l’éthique et semble privilégier une approche « naturaliste » pour l’étude de
la biodiversité dans sa classe. Il dit vouloir s’engager dans l’enseignement de la
biodiversité en tant qu’éducation à l’environnement, mais l’intention didactique (formulée
dans l’entretien PS3) d’aborder plutôt cet aspect en fin de séquence (c’est plus cohérent)
n’est cependant pas réellement concrétisée. L’enseignant éprouve des difficultés à
s’engager, par volonté d’impartialité. Les choix de transposition didactique semblent
plutôt aller vers une insistance sur la démarche empirique (aller sur le terrain, récolter et
exploiter des données) et le savoir visé concerner l’acquisition de « connaissances »
(inventorier, classification, relations alimentaires) qui nous semblent rester de nature
propositionnelle (Astolfi, 2008)9. L’enseignant explique mettre de côté la controverse
(enjeu environnemental) en raison de sa trop grande complexité ou faute de trouver un
exemple parlant (EPS9). Son choix d’entrer par « les savoirs » lui semble plus cohérent,
car pour lui, sensibiliser c’est montrer la richesse puis la fragilité de la biodiversité.
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
Cependant, l’exercice d’évaluation finale sur les loups, ainsi qu’un autre moment lors d’un
entretien (PS9), semblent montrer que, malgré l’importance accordée aux savoirs dans
cette séquence, le statut du savoir visé n’est peut-être plus le même lorsqu’il se positionne
dans une approche « biologique » ou dans une autre de discussion au sujet des problèmes
environnementaux. Ainsi, en regardant ce que l’enseignant valide comme bonne réponse
dans l’exercice d’évaluation sur les retours des loups en France, nous constatons que les
connaissances relatives au retour des loups en France ne sont finalement pas un critère de
réussite à cet exercice. Ces différents éléments nous amènent à nous pencher sur la notion
de « positivisme » pour tenter de mieux comprendre les difficultés de cet enseignant.
Discussion
20 Nous partageons donc le constat du difficile engagement des enseignants dans la prise
en charge de la controverse. Cependant, les raisons à cette résistance nous semblent, dans
le cas étudié, provenir d’une représentation distinguant les savoirs scolaires scientifiques
considérés comme neutres (collecte, classification et interprétation des données), des
opinions philosophiques (rapport entre l’homme et son environnement) ou des positions
concernant le développement durable (impact des activités humaines selon un pôle
technique).
aux choix. Le modèle « positiviste » est plus particulièrement défini comme une
focalisation « sur l’enseignement des connaissances disciplinaires de référence,
présentées comme non controversées, en supposant qu’elles permettront de faire des
choix citoyens responsables en « connaissance de cause ». » (Simonneaux, 2013, p. 57). Si
la diversité de ces engagements peut s’expliquer par la conviction écologique et/ou le
doute épistémologique de l’enseignant » (Ibid.), L. Simonneaux ajoute qu’il lui semble
difficile de dire précisément quelles convictions amènent tel type de réponse possible ou
influencent les configurations didactiques. C’est le travail sur lequel nous avons tenté de
commencer à nous pencher (chez les enseignants du primaire) bien que de telles
interprétations restent en effet délicates et sujettes à discussion.
23 Les idées qui semblent se dégager sont que la science est toujours une « science
humaine » (Astolfi, 2005, p. 70) et que toute réflexion au sujet de ses contenus ou de son
épistémologie doit être replacée dans un contexte historique. Pour Chevallard également,
un moyen de pallier ce « positivisme » des scientifiques et des didacticiens (de certains
pour nuancer), réside dans la construction d’une vision de la discipline comme un « objet
historico-social » (Chevallard, 2014).
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
28 Une perspective serait donc de passer d’une neutralité « d’abstention » (par le rejet, le
contournement ou le relativisme) à une neutralité de « problématisation » (Fabre, 2016),
ce qui supposerait un travail explicite sur les enjeux et raisons tout en conservant la
diversité des positions. Les difficultés pour l’enseignant seraient alors celles de
l’identification du problème le plus pertinent à travailler pour ses élèves (difficulté entre
autres soulevée par l’enseignant lors de l’entretien PS9), et celle de la gestion de la
« bonne distance » entre les savoirs et celle de la gestion fine de l’interaction pédagogique
(Alpe, 2006 ; Fabre, 2014).
Conclusion
29 Malgré les centrations de nos analyses (sur la focale épistémologique, la présentation
d’une seule étude de cas, l’analyse d’une partie seulement des pratiques des enseignants
observées), malgré leurs limites (dans la conception et la conduite des entretiens,
l’interprétation des représentations qui reste toujours délicate), trois points semblent se
dégager de cette recherche.
30 Tout d’abord, la distinction entre l’enseignement de la biodiversité et l’éducation à
l’environnement n’est pas si évidente. Dans cette étude de cas, l’enseignant nous explique
à différents moments les liens qu’il peut voir entre les deux, liens qui restent finalement
assez flous (l’enseignement de la biodiversité est-il une partie du développement durable ?
Y a-t-il une face « approche biologique » et une autre « éducation à l’environnement » ?
Doivent-elles être traitées simultanément ou séparément ?). La difficulté réside au moins
en partie dans le fait que les finalités, valeurs et concepts se rejoignent. S’agit-il d’une
question de focale, d’entrée ou d’une réelle différence ? Évitons ensuite tout malentendu.
En mobilisant le positivisme pour expliquer l’évacuation de la controverse sur le cas
étudié, nous ne voulons pas dire que les disciplines scolaires seraient fondées sur une
épistémologie positiviste), mais seulement que le positivisme est une représentation
possible de la science et des savoirs académiques chez les enseignants. Si l’on est ainsi,
l’éducation à l’environnement nous semble constituer une belle opportunité pour travailler
https://journals.openedition.org/edso/2950 11/17
15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
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Annexe
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15/12/2020 L’éducation à l’environnement : l’idée de neutralité entre simplisme, positivisme et relativisme
Notes
1 Les programmes de l’éducation nationale pour le primaire, le code de l’éducation et les circulaires
de généralisation de l’éducation au développement durable.
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2 Nous nous sommes référés aux anciens programmes car c’étaient ceux en vigueur lors du recueil
de ce corpus.
3 limiter les effets du déclaratif, les asymétries de rapport dans les entretiens (Baluteau, 2013), le
risque de surinterprétation, de biais ou encore d’effet topaze pour en donner quelques exemples.
4 Que l’enseignant définit comme le fait d’être « attentif à cette biodiversité […] et ensuite veiller à
ce que à ce que ça ne soit pas altéré / par les activités humaines » (EP 22).
5 Selon la formulation de l’enseignant dans ses documents de préparation.
6 Il s’agit d’affiches extraites d’une collection d’affiches (21 affiches pour comprendre la
biodiversité) présentant des photographies prises par Yann Arthus Bertrand et un collectif de
photographes, relayées par l’éducation nationale et destinées à sensibiliser un large public sur
l’importance de la biodiversité.
7 Dominique Lecourt parle d’une tradition française épistémologique en raison d’un trait commun :
« leur « position » commune en philosophie », « dans leur « non-positivisme » radical et délibéré »
(Lecourt, 1974, p. 7). Cette position se caractérise par le rejet de deux présupposés : celui de
l’absence d’idéologie (qui resterait bien présente) et celui de l’autonomie de la science dans sa
capacité à trouver ses propres fondements en elle-même (Lecourt, 1974, p. 10).
8 Ces limites figurent en rouge sur le schéma et concernent des possibles biais. Elles peuvent
consister en des questions un peu trop directives, des possibles effets de contexte ou de nombreuses
relances pour creuser un point, ce qui peut parfois aller jusqu’à une rupture du contexte
d’énonciation.
9 Yann Lhoste propose une association entre propositionnalisme des savoirs et perte du lien entre
savoir et problème : « Nous considérons que les savoirs scientifiques, entendus comme produits de
l’histoire culturelle de l’humanité sont porteurs de nouvelles façons de voir, de comprendre, le
monde vivant et le fonctionnement de la Terre. Le processus de réification des savoirs scientifiques
à l’école conduit à transformer ces productions culturelles en simples outils pour résoudre des
exercices scolaires. Ces considérations nous conduisent à associer le propositionnalisme des
savoirs scolaires à la perte de sens des savoirs à l’école et à la contestation des disciplines scolaires
qui les portent. » (Lhoste, 2017, p. 49‑50).
10 « Puisque l’école est un lieu de simulation, l’importance est bien de comprendre les problèmes
qui sont posés, c’est-à-dire de percevoir leurs enjeux et de voir comment, à partir d’une même
question, il peut y avoir plusieurs manières de la construire et de la résoudre. Ce qui me paraît
décisif, c’est donc la construction des problèmes. » (Fabre, 2014, paragr. 25)
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Titre Figure 3 - Reconstruction du raisonnement sur la gestion des débats
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Auteur
Carole Voisin
Doctorante au CREN (ED CEI), Nantes ; chargée d’enseignement à l’ESPE de Saint-Lô (50)
Droits d’auteur
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