Ramadhan à Tlemcen, autres temps, autres mœurs PAR BEKKAÏ ALLAL
Assurément, nulle ville en Algérie, mieux
que Tlemcen, n’aura maintenu les coutumes, PAR G.MORAD les fêtes religieuses et en général toutes les cérémonies publiques et privées dans le ca- dre ancien, avec toute la philosophie et toute Envoûtement la pratique qui se rattachent aux choses de l’Islam. Tlemcen, n’est-elle pas la ville de la Dans le feuilleton «Liqa tradition, la cité aux trente-trois minarets? maa el qadar», qui N’est-elle pas habitée, entourée et gardée meuble nos soirées par une gamme fort étalée de saints et de depuis le début du mois mausolées? Nul étonnement, dès lors, à ce de ramadhan, ce n’est que toutes les fêtes et cérémonies ici don- pas le personnage de naient lieu à mille scènes délicieuses de Hanane, la victime couleur locale, en l’occurrence durant le mois expiatoire d’un fatal sacré de Ramadhan. Et pour cause! Le mois hasard et heureuse de Ramadhan était le plus grand évènement typique, les festins organisés dans le site bu- sorbets «charbet» concoctés à base de ci- rescapée de trois de la vie quotidienne tlemcenienne. Plusieurs colique d’El Ourit. tron, d’extraits d’eau de rose et de sucre te- incroyables et effroyables mois à l’avance, on en parlait. Dès Radjeb, Il arrivait enfin ce mois tant attendu. Aupa- naient lieu de limonade traditionnelle. Le épreuves, à savoir un nos vieilles mères comptant sur leur doigts ravant, on faisait ses provisions de thé, café, ragoût aux marrons «qastal» était un plat très triste accident de disaient: «le mois prochain, c’est chaâbane, épices, condiments et conserves (tomates et prisé, aux côtés des pruneaux ou des raisins voiture, une tentative le suivant Ramadhan, nous jeûnerons, santé poivrons); le mortier avec son pilon («mehrez») secs en guise de «z’yada» .On préparait même d’assassinat et d’un et paix sur nous». était à l’honneur pour la mouture des à cette occasion des couronnes de interminable coma de Quinze jours avant l’arrivée du Ramadhan, («qraïss») pour l’obtention de l’indispensable gimblette,»kaâq». Quant à la fameuse cinq ans, qui finira par on se prêtait à la traditionnelle «Chaâbana» «yebzar». La traditionnelle «m’quatfa» «z’labia», elle provenait de chez Tounsi de la être lobotomisée afin (en référence au mois de Chaâbane) à tra- n’échappait pas aussi à ce rituel. Cette sorte rue Belle Vue ou de chez Benaouda Kaid d’être réduite au silence. vers des visites familiales «roulantes» dites de «langues d’oiseaux»était préparée une se- Slimane, installé à la rue Benziane (là où Non, c’est le fidèle «darate», marquées par le copieux couffin maine à l’avance ou quelques heures avant l’auteur de ces lignes est né et a grandi). téléspectateur qui sera, de légumes qu’on offrait à cette occasion la cuisson, filée avec le bout des doigts ex- Quant à la «hrissa» (spécialité chamia), une malgré lui, soumis à une aux parents nécessiteux, notamment les veu- perts des grands-mères,les «drihmate» ou seule adresse pour l’acheter: le kiosque de telle trépanation du ves. Les aubergines étaient très prisées, en «tarechta», cohabitant en alternance avec la David (un commerçant de confession juive) cerveau à force de se voir vertu de l’adage tlemcenien «el brania fi dar chorba. Le pain de seigle «zra’» et «matlou» situé sur la place de la Mairie, nous dira le instiller à chaque épisode el klouch fama» (c’est un honneur que de étaient préparés à la maison .Les galettes de libraire El Hadj Sari Djillali. Pour la confise- une sacrée dose de manger un ragoût d’aubergine chez la fa- pain de mie décorées d’anis» sanoudj» et rie orientale «halwet miliana» (halva turc), superstition. A chaque mille Klouche), se rappellera feu Ba’Hammou badigeonnées de safran «zaafrane» étaient on allait s’approvisionner chez les Tabet Aouel épisode, c’est à une Abbas lors d’une émission radio (Tlemcen expédiées au four «ferrane» du quartier chez (Moulay Ali, Benseghir et Belhadj) à El véritable opération FM) «Tilimcen ayam zamene». Ce vieil arti- les ammi Hassane, Si Boumedienne, Ben Kazi, Medress (rue Pomaria). d’envoûtement à laquelle san évoquera également, avec son accent kherris, Mesli, Chouiekh ou Boufeldja... Les A suivre ... le téléspectateur a droit. Le scénario justifiera, avec tant de sans-gêne et de facilité, toutes les A 95 ans, elle saute en parachute couleuvres que le scénario voudra nous Une femme de 95 ans et une enfant de 10 ans ont sauté samedi faire avaler par le cours en parachute au-dessus du Mont-Saint-Michel afin de récolter des inexorable et imprévisible fonds pour les enfants du Cachemire, victimes du tremblement de de la fatalité. Et tous les terre en 2005, selon une photographe de l’AFP sur place. abracadabrants concours «C’était merveilleux. Je suis prête à recommencer. Je n’ai pas de circonstance qui eu de palpitations au coeur ni d’angoisses dans mon estomac», émaillent les épisodes a déclaré Blanche Olive à l’aéroport de Bréville-sur-mer, près de comme relevant de Granville (Manche), où elles ont atterri. L’âge de Mme Olive fait l’augure divin. On nage de ce saut de 4.000 mètres un record de France, le précédent en plein cirage. Malek, le datant du 60e anniversaire du débarquement en Normandie, lors- héros du feuilleton, qu’un vétéran américain de 90 ans avait sauté au-dessus des médecin polyvalent d’une côtes normandes, selon une des associations qui organisait l’opé- extrême sagacité et d’une ration. générosité exemplaire La fillette, de nationalités française et pakistanaise, qui a sauté (comme on aurait bien avec Mme Olive, est la fille du président de l’association. Elles voulu rencontrer de tels étaient accompagnées d’un instructeur. L’opération fait partie échantillons dans nos d’une série d’actions spectaculaires en France, organisée égale- institutions hospitalières!), ment par l’association humanitaire Verticale Pôle, pour récolter est doué en outre d’un des fonds et construire des écoles au Cachemire, après le trem- sixième sens qui blement de terre de 2005 qui avait fait 73.000 morts dans le l’autorisera à situer, six ans Nord du Pakistan. après et par l’infaillibilité de son seul instinct Ils ont dit de l’argent Cassez-vous la tête avec un : paternel, sa fille qu’il n’a jamais vue et, tenez-vous bien, dans une mégapole Bourdet, Édouard «L’argent c’est comme les femmes: pour le garder, il faut S u d o k u N°16 aussi grouillante que Blida. s’en occuper un peu ou alors... il va faire le bonheur de A la fin de chaque épisode, quelqu’un d’autre» Les Temps Difficiles on en sort tout groggy, Dumas (Fils), Alexandre mais cependant impatient «N’estime l’argent ni plus ni moins qu’il ne vaut: c’est un et curieux de savoir quelles bon serviteur et un mauvais maître» extravagances nous réserve Euripide le prochain. Le grand écart «Ne parle pas d’argent ; je n’adore pas un dieu qui se donne opéré par le réalisateur si vite au dernier des drôles» Gacem Djaffar ne semble Franklin, Benjamin pas avoir porté ses fruits. «Si vous voulez savoir la valeur de l’argent, essayez donc La conversion de la d’en emprunter» comédie loufoque au Rousseau, Jean-Jacques drame social n’aura pas «On a de tout avec l’argent, hormis des cœurs et des bons été heureuse. Le citoyens» téléspectateur aurait Shaw, George Bernard certainement préféré une «A quoi sert l’argent s’il faut travailler pour en avoir?» énième comédie bouffonne Tolstoï de Nas Mlah City à un «L’argent ne représente qu’une nouvelle forme d’esclavage feuilleton aussi impersonnel à la place de l’ancien esclavage personnel» pleurnichard et biscornu. Vespassien «L’argent n’a pas d’odeur» e-mail : contact@voix-oranie.com
N°2403 - Lundi 1er Octobre 2007
11 Les mille et une nuits Ibn al-Nafis , le découvreur de la circulation sanguine Histoire du pêcheur Alaâ Uddine Ali Ibn Abi al ture qu’Ibn Sina au plan de Xème et XIème nuits Hazm al Qurashi, surnommé l’autorité scientifique et de La nécessité donne de l’esprit. Le pêcheur Ibn Al Nafis, plus connu dans la connaissance médicale. s’avisa d’un stratagème. la littérature arabe sous le L’on raconte même qu’il - «Puisque je ne saurais éviter la mort, nom de Al Qurashi, faisait connaissait par cœur le dit-il au génie, je me soumets donc à la autorité dans les domaines Canon d’Ibn Sina et était volonté de Dieu. Mais, avant que je choi- de la jurisprudence, de la imprégné des livres de Ga- sisse un genre de mort, je vous conjure par logique, de la théologie ainsi lien. Il avait la réputation le grand nom de Dieu qui était gravé sur le que dans les écrits médicaux. d’être très étourdi, souvent sceau du prophète Salomon, fils de David, Ibn Al Nafis naquit vers 1213 perdu dans des pensées de me dire la vérité sur une question que dans les environs de Damas profondes, avec par mo- j’ai à vous faire». en Syrie. Il apprit la méde- ments le besoin d’écrire Quand le génie vit qu’on lui faisait une cine auprès de Dakhour, des centaines de pages adjuration qui le contraignait de répondre médecin-chef de l’hôpital al dans une solitude absolue. positivement, il trembla en lui-même, et Nouri, ainsi qu’auprès de On sait encore qu’il était très dit au pêcheur: grands maîtres tels que pieux et qu’il devint très ri- - «Demande-moi ce que tu voudras, et Amraan l’israélite et Radi Ed- che. Sa plus grande contri- hâte-toi....» Dine al Réhabi. Il avait à sa bution en matière médicale Le jour venant à paraître, Schéhérazade disposition une immense bi- est son approche personnelle se tut en cet endroit de son discours. bliothèque qui comportait qui comporte des commen- - «Ma sœur, lui dit Dinarzade, il faut con- entre autres les ouvrages d’al taires sur des travaux an- venir que plus vous parlez, et plus vous fai- Razi, Ibn Sina et Maïmonide. ciens auxquels il a apporté tes de plaisir. J’espère que le sultan, notre Il a enseigné, à son tour, la sa propre évaluation origi- seigneur, ne vous fera pas mourir qu’il n’ait médecine et supervisé un nale. entendu le reste du beau contre du pêcheur. pavillon de l’hôpital al Nouri. Adoptant la dissection - Le sultan est le maître, reprit Il se rendit au Caire, en comme méthode de travail, Schéhérazade; il faut vouloir tout ce qui lui Egypte, à l’âge de 25 ans Ibn al Nafis a abouti à sa du sang seulement. grossières erreurs (deux ré- plaira». environ, à la demande du découverte originale ma- Il a été le premier à dé- seaux distincts: depuis le foie Le sultan, qui n’avait pas moins d’envie Sultan, où il passa le reste jeure: crire correctement les pou- et le cœur, ce qui interdit que Dinarzade d’entendre la fin de ce conte, de sa vie. En tant que mé- 1. Découverte de la circu- mons, les bronches et de l’in- toute notion de circulation). différa encore la mort de la sultane. decin-chef de l’hôpital al lation sanguine dans les ar- teraction existant entre les Ibn al Nafis réfute les erreurs Schahriar et la princesse son épouse pas- Nassiri, il transmit son sa- tères coronaires; vaisseaux et le sang; bien de ses prédécesseurs: le sèrent cette nuit de la même manière que voir à de nombreux spécia- 2. La circulation sanguine avant Miguel Servet auquel dogme galénique sur la com- les précédentes, et, avant que le jour pa- listes parmi lesquels le fa- vers les poumons pour les est généralement attribué munication interventriculaire rût, Dinarzade les réveilla par ces paroles, meux chirurgien Ibn al Quff fournir en air et non en ali- cette découverte. et la description de la circu- qu’elle adressa à la sultane: al Masihi. Il enseigna égale- ments; Ibn al Nafis révélait la pre- lation pulmonaire. Il a éga- - «Si vous ne dormez pas, ma sœur, je ment à l’école de l’hôpital 3. Inexistence d’air ou de mière description de la cir- lement compris le rôle des vous prie de reprendre le conte du pêcheur. El Mansouri (Mansuriya) au sédiments dans les artères culation pulmonaire, après artères coronaires dans l’ir- - Très volontiers, répondit Schéhérazade; Caire. Ses contemporains pulmonaires (comme le pré- celle avancée par Galien au rigation du muscle je vais vous satisfaire, avec la permission lui donnaient la même sta- tendait Galien), et présence IIème siècle et entachée de cardiaque. du sultan». Le génie, poursuivit-elle, ayant promis de dire la vérité, le pêcheur lui dit: -«Je voudrais savoir si effectivement vous Chacun connaît la signification du «Septième art»: étiez dans ce vase; oseriez-vous en jurer le cinéma bien évidemment. Mais que représente le par le grand nom de Dieu? «troisième» ou le «neuvième» art. Parlons du Sixième - Oui, répondit le génie, je jure par ce aujourd’hui: grand nom que j’y étais, et cela est très véritable.
L a poésie - En bonne, foi, répliqua le pêcheur, je ne
puis vous croire. Ce vase ne pourrait pas seulement contenir un de vos pieds : com- La poésie (la graphie ancienne était la différenciant ainsi de la prose, char- hommes. S’ajoutera sans doute en ment se peut-il que votre corps y ait été poésie) est un genre littéraire très an- gée de l’expression commune que l’on même temps le jeu sur les mots avec renfermé tout entier? cien aux formes variées qui privilégie qualifiera de prosaïque. les comptines, les berceuses et autres - Je te jure pourtant, repartit le génie, l’utilisation des vers et dans lequel l’im- Le mot poésie évoluera encore vers créations ludiques qui donneront par que j’y étais tel que tu me vois. Est-ce que portance dominante est accordée à la un sens plus restrictif en s’appliquant exemple le nonsense anglo-saxon. La tu ne me crois pas, après le grand serment «forme», c’est à dire au signifiant. La aux textes en vers qui font un emploi poésie est marquée par l’oralité et la que j’ai fait? poésie est un art du langage qui fait privilégié des ressources rhétoriques, musique de ses origines puisque la - Non vraiment, dit le pêcheur, et je ne une utilisation maximale des ressour- sans préjuger des contenus : la poésie recherche de rythmes particuliers, vous croirai point, à moins que vous ne me ces de la langue: le travail sur la forme sera descriptive, narrative et philoso- comme l’utilisation des vers, et d’ef- fassiez voir la chose». démultiplie la puissance du message phique avant de faire une place gran- fets sonores, comme les rimes, avait Alors il se fit une dissolution du corps du et fait de la poésie, la quintessence dissante à l’expression des sentiments. une fonction mnémotechnique pour la génie, qui, se changeant en fumée, s’éten- de l’expression littéraire. En effet, première expression litté- transmission orale primitive. Cette fac- dit comme auparavant sur la mer et sur le Le mot poésie vient du grec (poiein) raire de l’humanité, utilisant le rythme ture propre au texte poétique fait que rivage, et qui, se rassemblant ensuite, com- qui signifie «faire, créer»; le poète est comme aide à la mémorisation et à la celui-ci est d’abord destiné à être en- mença de rentrer dans le vase, et continua donc un créateur de mots, un inven- transmission orale, la poésie apparaît tendu plutôt qu’abordé par la lecture de même par une succession lente et teur de formes expressives, ce que d’abord dans un cadre religieux et so- silencieuse. égale, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien révèlent aussi les termes du moyen âge cial en instituant les mythes fondateurs du dehors. Aussitôt il en sortit une voix qui trouvère et troubadour. Dans l’Antiquité grecque, toute ex- dans toutes les cultures que ce soit avec l’épopée de Gilgamesh, (3ème Solution Sudoku N°15 dit au pêcheur: - «Hé bien, incrédule pêcheur, me voici pression littéraire est qualifiée de poé- millénaire avant J.C.) en Mésopota- dans le vase; me crois-tu présentement?» tique, qu’il s’agisse de l’art oratoire, mie, les Védas, le Ramayana ou le Le pêcheur, au lieu de répondre au gé- du chant ou du théâtre: tout fabricant Mahabharata des Indiens, la Bible des nie, prit le couvercle de plomb, et, ayant de texte est un poète comme l’exprime Hébreux ou l’Iliade et l’Odyssée des fermé promptement le vase: l’étymologie. Les philosophes grecs Grecs. - Génie, lui cria-t-il, demande-moi grâce cherchent à affiner la définition de la Parallèlement à cette poésie épique à ton tour, et choisis de quelle mort tu poésie et Aristote dans sa Poétique des origines constituée de textes longs veux que je te fasse mourir. Mais non, il identifie trois genres poétiques: la poé- et narratifs, existe une poésie liturgi- vaut mieux que je te rejette à la mer, dans sie épique, la poésie comique et la que qui renvoie à la célébration divine le même endroit d’où je t’ai tiré, puis je poésie dramatique. Plus tard les théo- par le poète inspiré dont les sociétés ferai bâtir une maison sur ce rivage, où je riciens de l’esthétique retiendront trois ritualiseront les textes sous forme de demeurerai, pour avertir tous les pêcheurs genres : l’épopée, la poésie lyrique et psaumes, d’hymnes, de sourates... qui viendront y jeter leurs filets de bien pren- la poésie dramatique (incluant la tra- Dans un espace plus sécularisé se dé- dre garde de repêcheur un méchant génie gédie comme la comédie), et l’utili- velopperont aussi, en prenant appui sur comme toi, qui as fait serment de tuer celui sation du vers s’imposera comme la le chant, l’élégie et la tragédie qui qui te mettra en liberté». première caractéristique de la poésie, expriment le cœur et le destin des A suivre...