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Il y aurait ainsi une contradiction entre la liberté philosophique qui est reconnue
aux professeurs de philosophie et l'existence dans le programme des classes
terminales d'une liste de 57 auteurs dont l'usage aurait un caractère impératif qui
viendrait entraver cette liberté. Cette contradiction est inexistante. En effet la
liste des auteurs du programme n'est, relativement à l'enseignement dispensé par
le professeur, ni prescriptive, ni limitative : celui-ci n'a l'obligation d'enseigner ni
tous les auteurs de cette liste, ni aucun d'entre eux en particulier et il lui est en
revanche loisible d'avoir recours à tous ceux qui, absents de la liste, lui paraissent
correspondre aux besoins de son enseignement. C'est ce que le texte du
programme précise de façon parfaitement explicite : « Bien entendu, le professeur
peut aussi utiliser pour les besoins de son enseignement des extraits d'écrits dont
les auteurs ne figurent pas sur cette liste »(3). Il peut expliquer non seulement des
textes de philosophes comme Duns Scot, Politzer, Deleuze, Althusser, Rawls,
Patocka, qui ne figurent pas sur la liste, mais encore des textes de sociologues, de
juristes, de physiciens, de poètes, de théologiens, dès lors qu'ils peuvent lui
permettre de poser et d'examiner des problèmes philosophiques. La liste des
auteurs a une double fonction. D'une part, le texte proposé dans le troisième des
sujets de baccalauréat, le « sujet-texte », doit être extrait de l'une des œuvres de
l'un de ces 57 auteurs. Cela n'entrave en rien la liberté du professeur puisque pour
préparer ses élèves à l'épreuve d'explication de texte du baccalauréat, il n'a ni le
pouvoir, ni le devoir d'étudier en classe ces 57 auteurs de la doctrine desquels la
connaissance n'est pas requise pour réussir cette épreuve (4). D'autre part l’œuvre
(les deux œuvres en terminale littéraire) qui fait l'objet d'un commentaire suivi
doit être obligatoirement choisie parmi celles d'un auteur de la liste. La limitation
ici apportée à la liberté du professeur est infime et n'a pas le moindre caractère
idéologique puisque, comme Mme Pereira le remarque elle-même, la liste est
« ouverte aux différentes traditions philosophiques : sceptiques, matérialistes,
empiristes, idéalistes, rationalistes... ».
Cependant il y aurait, selon Mme Pereira, trois « limites » qui « encadrent son
enseignement » : le rationalisme qu'il doit professer, le dogmatisme et le
relativisme (ou scepticisme) dont il doit au contraire « préserver » les élèves. Or,
observe-t-elle, une philosophie rationaliste qui rejette à la fois le scepticisme et le
dogmatisme, ce ne peut être que le criticisme kantien qui est la philosophie de « la
Troisième République naissante » et qui fonde toujours les valeurs transmises par
la « religion républicaine ».
Du reste Mme Pereira admet un peu plus loin que « le professeur de philosophie
ne limite pas son enseignement à celui de Kant » et elle cite un extrait du
programme officiel : « une culture n’est proprement philosophique que dans la
mesure où elle se trouve constamment investie dans la position des problèmes et
dans l’essai méthodique de leurs formulations et de leurs solutions possibles ».
Puis s'étant demandé comment le professeur doit présenter ces solutions, elle
apporte la réponse suivante : « Pour éviter que ne s’installe le relativisme, il s’agit
alors de présenter les philosophes comme complémentaires dans un cours ou au
cours d’une dissertation » et elle l'assortit d'un exemple : dans un cours où on
exposerait les théories d'Adam Smith et de Marx, il faudrait montrer qu'elles sont
complémentaires, c'est-à-dire « qu'ils ont tous les deux en partie raison » et
terminer en exposant « la position sociale-démocrate de John Rawls ». Mais d'où
vient cette réponse ? Ni du programme officiel, ni du rapport de l'inspection
générale, ni de l'ouvrage coordonné par Françoise Raffin. Elle est du cru de Mme
Pereira. Non seulement elle n'a aucune valeur institutionnelle, mais elle est
récusée par l'institution comme on s'en assurera en lisant les rapports des jurys des
concours de recrutement où se trouve régulièrement dénoncée, tant pour la leçon
que pour la dissertation, la méthode qui consiste à faire défiler les doctrines et à
juxtaposer les auteurs :
Ainsi donc la doctrine que Mme Pereira croit être celle de l'institution est
précisément celle qui est rejetée par l'institution. Et elle l'est pour les raisons
indiquées plus haut : faire défiler, à propos d'un problème philosophique, les
conceptions d'Adam Smith, de Karl Marx et de John Rawls, c'est conjuguer les
effets du dogmatisme et du relativisme vulgaires qui aboutissent, chacun à sa
manière, au refus de penser.
Pour former des esprits autonomes exerçant de façon réfléchie leur jugement,
ce que Mme Pereira considère comme « un idéal assez kantien » (on aimerait
savoir quels sont parmi les 57 auteurs du programme ceux qui ont prôné
l'hétéronomie de l'esprit et l'exercice irréfléchi du jugement) il faut introduire les
élèves à la connaissance des grands textes de la philosophie. Mais, commente
Mme Pereira, « il s'agit là encore de ne pas historiciser les problèmes car les
problèmes philosophiques sont éternels et que sans cela (sic) nous serions de
nouveau soumis à l'écueil du relativisme ». Là non plus aucune référence n'est
donnée pour indiquer la source de cette prétendue directive qui enjoindrait aux
professeurs de « ne pas historiciser » les problèmes philosophiques posés par les
grands textes qu'ils portent à la connaissance de leurs élèves. Le programme ne
dit rien de tel. En revanche, en proposant diverses démarches qui permettent de
traiter conjointement le programme de notions et l’œuvre ou les œuvres qui font
l'objet d'une lecture suivie, il dit ceci : « le commentaire d'une œuvre peut à son
tour être développé à partir d'une interrogation sur une notion ou sur un ensemble
de notions qu'il permet aussi d'appréhender dans certains moments historiques et
partir de la définition d'Althusser selon laquelle la philosophie est « une lutte des
classes dans la théorie ». Point n'est besoin d'une grande imagination : cet
enseignement existe. Les professeurs ont le droit d'enseigner la philosophie de
cette manière et certains usent de ce droit. S'il s'agissait en revanche de
transformer ce droit en devoir, on pourrait soupçonner que le discrédit jeté sur la
philosophia perennis est corrélatif de la volonté d'instaurer une philosophie
officielle. C'est là quelque chose que les professeurs de philosophie, dans leur
immense majorité, et quelles que soient leurs convictions, ne sont pas près d'
accepter.
André Perrin
(écrire à cet auteur)
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