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GEORGES VILLE
LA GLADIATURE EN OCCIDENT
DE DOMITIEN
ÉCOLEPALAIS
FRANÇAISE
1981
FARNESE
DE ROME
- École française de Rome - 1981
ISBN 2-7283-0010-0
Cette série est celle où l'École publie les thèses de ses anciens
membres : comme le livre de Pierre Grenade, Essai sur les origines du
Principat, le présent volume est un ouvrage posthume.
Lors de sa mort accidentelle le 6 septembre 1967 sur une route du
sud de l'Espagne, alors qu'il rentrait d'une mission archéologique en
Tunisie et en Algérie, Georges Ville laissait, avec une énorme
documentation figurée, un fichier, des notes et un gros manuscrit à peu
près terminé sur la gladiature1. Il y travaillait depuis des années : dès
l'École normale, il était l'élève de William Seston, qui fut pour lui plus
qu'un maître; c'est sous sa direction amicale et attentive qu'il a rédigé
La gladiature en Occident des origines à Domîtien. C'est le livre que
nous publions ici.
Un autre volume sera réservé à l'étude iconographique. Il
comprendra le texte, rédigé par Georges Ville, d'une étude chronologique
sur l'armement des gladiateurs, ainsi qu'une partie de la
documentation figurée; la pièce principale en sera un corpus des bas-reliefs
gladiatoriens antérieurs à la mort de Domîtien, dont la préparation
était très avancée.
Les historiens de Rome et tous les amis de l'École ont souvenir de
la plaquette Georges Ville (1929-1967) qui fut consacrée à sa mémoire
en 1972 par des amis fidèles : ils connaissent aussi les présentations de
son uvre faites durant ces dernières années par son ami Paul Veyne
(Les gladiateurs dans L'Histoire, 1978 et Religion et politique : comment
ont pris fin les combats de gladiateurs dans les Annales, 1979).
Ce n'est donc pas à moi qu'il revenait d'écrire cette préface. Mais
W. Seston et P. Veyne ont pensé l'un et l'autre qu'il serait plus facile,
ou moins difficile, au directeur de l'École de se limiter ici aux
quelques lignes nécessaires. Il est vrai que j'ai peu connu Georges
1 Ce manuscrit et les dossiers de Georges Ville ont été déposés aux Archives du
Collège de France.
VIII PRÉFACE
Georges Vallet
Autres abréviations :
Broughton : T. R. S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic,
Cleveland, 1951.
CIE : Corpus inscriptiomun Etruscarum.
CIL : Corpus inscriptionum Latinarum.
Colini-Cozza : A. M. Colini et L. Cozza : Ludus Magnus, Rome, 1962.
CVA : Corpus vasorum antiquorum.
DAS ou Dici Ant. : Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et
romaines.
Della Corte, Case : M. Della Corte, Case ed abitanti di Pompei, 2e édition,
Rome, 1954.
Dessau : H. Dessau, Inscriptiones Latinae selectae, 2e édition.
EE : Ephemeris epigraphica.
Espérandieu : E. Espérandieu, Inscriptions latines de Gaule (Narbonnaise),
Paris, 1929.
Faccenna : D. Faccenna, Rilievi gladiatorii, Ballettino della Commissione
archeologica comunale di Roma, LXXVI, 1956-1958, p. 37-75 et pi. I-VIII.
Friedlànder : Darstellungen aus der Sittengeschichte Roms, 9e édition, Leipzig,
1920.
Garcia y Bellido : A. Garcia y Bellido, Lapidas funerarias de gladiadores de His-
pania, Archivio espanol de arqueologia, XXXIII, 1960.
Garrucci : E. Garrucci : Graffiti de Pompei, 2e édition, 1856.
Giordano : Carlo Giordano, Spettacoli nell'anfiteatro di Nola e l'origine della
città di Comiziano alla luce di documenti pompeiani, «Città e Turismo»,
1961, Azienda A.C.S.T., Pompei, 8 pages (graffiti inédits). L'exemplaire
que possédait Georges Ville de cette plaquette peu répandue appartient
aujourd'hui à la bibliothèque de l'Institut d'archéologie de l'Université
de Provence (Aix-en-Provence).
X TABLE DES ABRÉVIATIONS
/G : Inscriptiones Graecae.
ILA ou Inscr. lâl Af. : R. Cagnat et A. Merlin, Inscriptions latines d'Afrique,
Paris, 1923.
Inscr. lai Tun. : A. Merlin, Inscriptions latines de la Tunisie, Paris, 1944.
Inscr. Rom. Trip. : J. M. Reynolds et J. B. Ward Perkins : The inscriptions of
Roman Tripolitania, British School at Rome, s.d.
Lafaye : G. Lafaye, article Gladiator du Dictionnaire des antiquités de
Daremberg et Saglio, vol. II, 2, p. 1563-1599.
Mau : A. Mau, Pompeji im Leben und Kunst, 2e édition, Leipzig, 1908.
Meier : P. J. Meier, De gladiatura Romana quaestiones selectae, Bonn, 1881.
Overbeck-Mau : J. Overbeck et A. Mau, Pompeji in seinen Gebâuden, 4e
édition, Leipzig, 1884.
Reinach, Peintures : S. Reinach, Répertoire de peintures grecques et romaines,
Paris, 1922.
Reinach, Reliefs : S. Reinach, Répertoire de reliefs grecs et romains, 3 vol.,
Paris, 1912.
Reinach, Vases : S. Reinach, Répertoire des vases peints grecs et étrusques,
Paris, 1908.
REPW : Pauly et Wissowa, Real-Encyclopddie der klassischen Altertum-
swissenschaft.
Robert, Gladiateurs : Louis Robert, Les gladiateurs dans l'Orient grec,
Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes, fase. 278, 1940. «Robert,
Gladiateurs, 78» renvoie à la page 78 de ce livre; «Robert, Gladiateurs, n°78»
renvoie au numéro 78 du corpus des documents.
Robert, Hellenica : L. Robert, Hellenica, recueil d'épigraphie, de numismatique
et d'antiquités grecques, Paris, depuis 1940, 13 volumes parus.
Schneider : K. Schneider, article Gladiatores de l'encyclopédie de Pauly et
Wissowa, Supplementband III (1918), col. 760-784.
??? : Titilli Asiae minons.
Ville, Coupes : G. Ville, Les coupes de Trimalcion figurant des gladiateurs et une
série de verres sigillés gaulois, dans Hommages à Jean Bayet, 1964, p. 722-
733.
Ville, MEFR : G. Ville, Les jeux de gladiateurs dans l'Empire chrétien, Mélanges
d'archéologie et d'histoire publiés par l'Ecole française de Rome, LXXII,
I960, p. 273-335.
Ville, Zliten : G. Ville, Essai de datation de la mosaïque de Zliten, dans La
mosaïque gréco- romaine, Colloques internationaux du C.N.R.S., Paris,
1965, p. 147-155.
Wuilleumier-Audin : P. Wuilleumier et A. Audin, Les médaillons d'applique
gallo-romains de la vallée du Rhône, Annales de l'Université de Lyon, III,
22, Paris, 1952.]
Notre esprit s'occupe parfois à des combats de
gladiateurs; eh bien, au milieu même de ce spectacle qui
devrait nous divertir, il arrive qu'une légère ombre de
mélancolie se glisse en nous.
I - Origine Osco-Samnite
1 La vieille thèse de Planck - origine celte des jeux de gladiateurs, Ueber den Urs-
prung der romischen Gladiatorenspiele, Ulmer Gymn. Programm, 1866, p. 11, n'est pas
soutenable et n'a pas été reprise; on a proposé aussi de retrouver à travers une
médiation étrusque une origine hittite : V. Miiller, JDAI, 1927, p. 28; cf. F. Matz, Gnomon,
1940, p. 199 et K. A. Neugebauer, JDAI, AA, 1940, col. 610; je montrerai plus loin que les
Etrusques n'ont pas été les initiateurs de la gladiature italienne, ce qui paraît exclure
toute incidence sur celle-ci d'une gladiature hittite supposée; je dis «supposée», car
l'existence en Asie Mineure, au IIe millénaire avant notre ère d'une institution
comparable aux combats de gladiateurs italiens me paraît douteuse; mais l'examen de ce
problème sort de mon propos.
2 Henzen, Explicatio musivi in villa Burghesiana asservati, Rome, 1845, p. 74-75;
point de vue repris par Friedlànder dans les premières éditions de sa Sittengeschichte
(1er éd., II, p. 186, n. 3; 2e éd., II, p. 216, n. 2, etc . . . ); Lafaye, p. 1563; etc . . .
3 Weege, Oskische Grabmalerei, JDAI, 1909, p. 134-135; la même année, mais un
peu avant, F. Marx, Neue Jahrbiicher fiir klassische Altertum, Geschichte und deutsche
Literatur, 1909, p. 555, dans une étude sur le développement de la maison romaine,
avait au passage, envisagé une possible origine campanienne pour les gladiateurs.
4 Par Friedlànder, qui se rallia à ce point de vue, p. 50; J. Heurgon, Recherches sur
l'histoire, la religion et la civilisation de Capone préromaine, Paris, 1942, p. 431-432.
5 H. von Brunn et G. Kòrte, Rilievi delle urne etnische, III (1915), p. 192-193;
Schneider, Real-Encykl., Suppl. III, col. 760; L. Malten, p. 328; etc . . . ; J. Heurgon a adopté
une position moyenne, représentative de ceux qui combinent les thèses étrusques et
Osco-samnites, admettant que les jeux de gladiateurs trouvèrent en Campanie « un
terrain d'élection» où ils s'émancipèrent et prirent leur forme définitive (Capone, p. 431).
2 LES GLADIATEURS
6 P. Ducati, Etruria antica, 1927, p. 170; B. Nogara, Gli Etruschi e la loro civiltà,
Milan, 1933, p. 252; M. Pallottino, La civilisation étrusque, Paris, 1949, p. 189-190; id.,
Etniscologia, Milan, 3e éd., 1955, p. 285.
7 Henzen, p. 75; cf. F. De Ruyt, Charun, p. 191-192; à côté de Charun,
l'amphithéâtre connaissant un Mercure (Tertullien, locc. citt.) qui devait, avec un fer rouge,
s'assurer que les morts du ludus meridianus ne simulaient pas; ce Mercure est bien
évidemment l'Hermès psychopompe grec, et non point le Turms Aita étrusque qu'a proposé
H. Fuhrmann, Atti d pont. Ace. rom. di arch., sr. Ili, Memorie, vol. IV, 1934-1938, p. 193;
cette association affaiblit encore la portée de l'argument tiré de la présence de
Charun.
8 Dans la première version - l'Adv. Nat. -, Tertullien situe la parution de son
masque au ludus meridianus : risimus et meridiani ludi de deis lusum quo Ditis Pater, Jovis
frater, gladiatorum exsequias ... ; et comme on sait par ailleurs que les auteurs
emploient parfois le terme gladiator pour désigner tous les acteurs de l'arène (cf.
G. Ville, MEFR, 1960, p. 283), on pourrait être tenté de limiter l'emploi du Charun à ce
ludus meridianus qui n'a évidemment rien à faire avec la gladiature primitive.
9 Ceci dit, il n'est pas contestable que l'emprunt est étrusque et il est possible que
les Romains aient emprunté, non pas le modèle (qu'ils auraient transformé en mas-
DES ORIGINES ? LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 3
que), mais le masque lui-même : cf. F. De Ruyt, Charun, p. 191 et J. D. Beazley, Etruscan
Vase-painting, Oxford, 1947, p. 62-63; cette hypothèse nous oblige toutefois à envisager
la survivance du Charun comme masque jusqu'au début de l'Empire.
10 Cf. Ernout-Meillet, Dict. étym., s. v. lanista, qui ne se prononcent pas sur la
validité de cette dérivation, qu'ils tiennent seulement pour possible à cause du suffixe - a
et de l'existence d'un nom propre étrusque Lani.
11 La gladiature dui se passer de lanistes, tant qu'on se contenta de faire
combattre des prisonniers de guerre.
12 K. A. Neugebauer, Berliner Museen, 1940, p. 7-17 et JDAI, AA, 1940, col. 608-611.
13 F. Matz, Gnomon, 1940, p. 199.
14 Lafaye, p. 1588; cette armatura est attestée seulement par un texte d'Artémi-
dore, II, 32, et une inscription de Lyon, CIL XIII 1997 = Dessau, ILS, 5097; c'est à tort
que l'on a voulu reconnaître un dimachairos sur un relief d'Amisos (L. Robert, n° 79) :
D. Faccenna, Rilievi, p. 40, n. 7, a montré qu'il s'agissait d'un provocator, opposé à un
autre provocator; si le vainqueur tient une épée dans chaque main, c'est qu'il s'est
emparé de celle de son adversaire ; par ailleurs il me paraît douteux que le graffito de
Pompei, CIL IV 2508, mentionne un dimachairos opposé à un hoplomaque.
4 LES GLADIATEURS
15 K. A. Neugebauer, JDAI, AA, 1940, col. 610: «Eine Ubersicht uber das Vorkom-
men der Schurztracht im archaischen Etrurien legt im Zusammenhang mit der auffal-
ligen Bewaffnung der Statuetten ihre Deutung als Wettkàmpfer bei Leichenspielen
nahe ».
16 Ces statuettes sont, à mon avis, des ex-voto, qui reproduisent probablement la
statue de culte d'un dieu guerrier dont le sanctuaire était localisé à Arezzo (cf. G. Ville,
Annuaire de l'École pratique des Hautes Études, IVe Section, 1966-1967, p. 208).
17 G. Q. Giglioli, L'arte etrusca, Milan, 1935, pi. LIX, 1.
18 Ce qui n'exclut pas l'hypothèse d'A. Hus, Recherches sur la statuaire en pierre
étrusque archaïque, Paris, 1961, p. 509, n. 3, qui me paraît toutefois peu probable et
selon laquelle il pourrait s'agir d'un combat faisant partie de jeux funéraires, mais à
condition de ne pas voir là un combat gladiatorien (lutte à mort entre deux
prisonniers), mais plutôt un duel simulé entre deux nobles guerriers.
19 Cf. Y. Béquignon, Gladiateurs grecs archaïques, RA, 1941, II, p. 256-259 qui donne
quelques exemples; convaincu toutefois de la validité de l'hypothèse de Neugebauer,
et ne pouvant naturellement l'étendre du monde étrusque au monde grec, Y.
Béquignon suppose (ce qui paraît insoutenable) que les Grecs ont imité un type
iconographique étrusque en le dépouillant de sa signification originelle.
DES ORIGINES À LA FIN DU II«= SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 5
20 On considère le plus souvent que le jeu doit se terminer par la mort de l'un des
participants; déjà, au moment de la découverte de la tombe des Augures, 0. Keck,
Annali dell'Inst., p. 15, avait cru qu'il s'agissait d'un supplice; de même G. Becatti et
6 LES GLADIATEURS
F. Magi, p. 16, parlent de supplice; cf. encore, entre autres, M. Pallottino, Etruscologia,
p. 285; J. Heurgon, loc. cit.; et A. Baldi, Aevum, 1961, p. 132-133; toutefois, une disson-
nance chez von Stryck : «ein sehr spannendes und amusantes Kampfspiel». Voir les
références chez G. Becatti et F. Magi, Monumenti della pittura antica scoperti in Italia,
fase. Ili, 4 : Le pitture delle tombe degli Auguri e del Pulcinella, Rome, 1955.
21 J'ajoute que le rapprochement du jeu de Phersu avec l'armatura des andabates
(G. van Hoorn, Phersu en andabata, Med van ned hist. Inst. te Rome, 1923, p. 63-72)
paraît sans fondement : les techniques et les époques sont trop différentes.
22 A Tarquinia: Tombe des Augures (540-530) : boxe; Tombe des inscriptions (530-
520) : boxe, lutte, course de chevaux; Tombe du Polichinelle (530-520) : athlètes, apoba-
tes (?) ; Tombe des Olympiades (525-520) : lancement du disque, course à pied, course de
chars; Tombe du Mourant (510-500) : course de chevaux (?); Tombe sans nom (VIe
siècle) : boxe; Tombe des Biges (490) : boxe, lutte, saut à la perche, lancement du disque,
courses de chevaux (?), course de chars, desultores, pyrrhique; Tombe du Lit funèbre
(480-460) : lutte, lancement du disque, course de chevaux, course armée (ou
pyrrhique?); Tombe du triclinium (480-460) : apobates; Tombe du Fondo Querciola (470-450) :
course de chars; Tombe Francesca Giustiniani (470-450) course de chars; Tombe des
Pyrrhichistes (époque classique) : pyrrhique, courses de chevaux (?) ; Tombe du Citha-
rède (époque classique) : course de chevaux. A Chiusi : Tombe du singe (480-460) : boxe,
lutte, lancement du javelot, course de chars, desultores, apobates, pyrrhique; Tombe del
Colle (ou Casuccini) (480-460) : boxe, lutte, course de chars, pyrrhique; Tombe del
Poggio al Moro (ou Deposito de Dei) (475-450) : boxe, course à pied, lancement du disque,
saut, acrobates, course de chars, pyrrhique; Tombe 1734 (époque classique) : boxe,
lutte, course de chars. Pour les tombes de Tarquinia, on verra plus particulièrement
M. Pallottino, Mon. Ani, 1937, col. 296 sq., à quoi on ajoutera R, Bartoccini, C. M. Lerici,
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 7
M. Moretti, La tomba delle Olimpiadi, Milan, 1959; pour les tombes de Chiusi : R.
Bianchi Bandinelli, Le pitture delle tombe arcaiche a Chiusi, Rome, 1938 (Monumenti della
pittura antica scoperti in Italia).
23 E. Paribeni, / rilievi chiusini arcaici, Studi Et., 1939, p. 185 sq. (étude des
représentations agonistiques); p. 196 sq. (datation); le répertoire offre un panorama à peu
près complet des programmes de jeux funèbres ; boxe, lutte, lancement du javelot et
du disque, course à pied, course de chars, acrobatie, course armée, pyrrhique.
24 Trouvé à Vulci; au British Muséum; J. D. Beazley, Etruscan Vase-painting,
Oxford, 1947, p. 2-3, pi. II- Ha : course de chars, boxe, lancement du disque, course à
pied (?), pyrrhique (?).
25 Mon. Inst. , V, pi. XXV : boxe, lutte, course de chars.
26 P. Ducati, Le pietre funerarie felsinee, Mon. Ani, 1910, col. 685 sq.; A. Grenier,
Bologne villanovienne et étrusque, Paris, 1912, p. 452.
27 Je n'ai naturellement pas tenu compte d'images agonistiques isolées dont la
signification funéraire est problématique.
28 A. D. Trendall veut bien me dire qu'à son avis les dates de Sestieri pourraient
être rajeunies quelque peu; mais cette marge ne constitue pas une réelle objection
pour notre argumentation.
8 LES GLADIATEURS
33 On tient habituellement Varron pour la source commune de ces trois textes (cf.
par exemple L. Malten, Leichenspiel und Totenkult, dans MDAI (R), XXXVIII-XXXIX,
1923-1924, p. 329-330; E. Castorina, éd. de Tertullien, De Spect., p. 248, qui renvoie à
K. Werber, Tertullians Schrift De Spectaculis in ihrem Verhaltnis zu Varros Rerum
divinar um libri, Prog. Gymn. Teschen, 1896, p. 30 sq. - qui, faut-il ajouter, considère qu'il
s'agit seulement d'un emprunt de seconde main - et J. Buchner, Tertullian, De
Spectaculis, Kommentar, Wurzbourg, 1935, p. 117; ce n'est qu'une possibilité, sans plus :
Servius ne se réfère à Varron que pour le début de son commentaire au vers III, 67 de
l'Enéide : Varrò quoque dicit mulieres in exsequiis et luctu solitas ora lacerare ut sanguine
ostenso inferis satisfaciant, quare edam institutum est ut apud sepulcra et victimae
caedantur; tout le reste de la note servienne est indépendant de l'introduction Varrò dicit; il
est probable que Tertullien et Servius se réfèrent à une vulgate dont il n'est pas
possible de déceler l'origine.
34 Je ne connais pas d'autre mention, à Rome, d'un prétendu sacrifice humain
funéraire; [c'est une invention, très probablement hellénistique, destinée à procurer
un aition à la gladiature.]
10 LES GLADIATEURS
35 Cf. par exemple A. W. Persson, The royal Tombs at Dendra near Midea, Lund,
1931, p. 68-70. Toutefois G. Mylonas, Ancient Mycenae, Princeton, 1957, p. 87 et 112,
montre quelque scepticisme : « At best we can only suppose that in very rare case and
for particulars reasons a favorite slave or a captured enemy [les deux formes
fondamentales du sacrifice humain funéraire] was killed over the grave of the master. But
the practice seems to be foreign to Mycenaean custom». Scepticisme peut-être
excessif, si l'on considère que cette pratique est attestée par l'archéologie à Chypre, encore
au premier millénaire avant notre ère, où elle serait une lointaine dérivation
mycénienne : cf. V. Karageorghis, Nouvelles découvertes dans la nécropole royale de Chypre,
dans Le rayonnement des civilisations grecques et romaines sur les cultures périphériques,
p. 305-313 (et plus particulièrement p. 308-311); cf., p. 313, un parallèle barbare de la
fin du VIe siècle en Roumanie, près d'Istria. Hors du monde méditerranéen, on songe
aux tombes royales de l'Ur prédynastique ou à la tombe sous pyramide récemment
fouillée à Palenque.
36 Cf. F. Schwenn, Die Menschenopfer bei Griechern und Romern, Giessen, 1915,
p. 59-71, et F. Cumont, Lux perpetua, Paris, 1949, p. 30-33.
37 On en connaît deux exemples en Etrurie : le massacre des prisonniers grecs par
les Caerétans après Alalia (Hérodote I, 167); celui des prisonniers romains par les Tar-
quiniens en 358 (Tite-Live, VII, 15, 10 : trecentos septem milites Romanos captos Tarqui-
nienses immolarunt; cf. aussi VII, 19, 3, id pro immolatis . . . ); la valeur funéraire de ces
deux immolations (on a remarqué qu'à deux reprises Tite-Live emploie le verbe
immolare; cf. J. Gagé, MEFR, 1962, I, p. 95, 97) n'est pas explicitement indiquée, mais elle est
probable; on pourra aussi rappeler la fréquence dans l'iconographie étrusque du
thème du massacre des prisonniers troyens sur la tombe de Patrocle : J. D. Beazley,
Etruscan Vase-painting, p. 90; cf. J. Heurgon, La vie quotidienne, p. 263. Sur le problème
plus général du sacrifice humain chez les Étrusques, cf. R. Pfeiffer, Sitzungsberichte
Bayer. Akad, 1934, 10, p. 12 sq. Il existe une abondante littérature sur le sacrifice
humain à Rome, mais elle est pour l'essentiel consacrée à l'énigme des enterrés vifs du
Forum boarium; on trouvera la bibliographie chez C. Bémont, MEFR, 1960, p. 134, n. 2.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 11
fice est double : il fait couler près du tombeau un sang qui entretient
et exalte la survie de l'âme; il exprime avec clarté un faisceau de
croyances relatives à l'outre-tombe qui se résume dans ces trois
propositions : la survie de l'anima désincarnée est précaire; le sang est
pour elle un aliment de vie; le sang humain est le plus approprié pour
assurer cette nutrition de l'âme38; nous ne nous attarderons pas sur
cette théologie; les anciens en avaient gardé le souvenir et les
modernes, à leur suite, ont tenté de mettre en lumière d'autres
manifestations moins claires que l'immolation du prisonnier près de la tombe39.
Mais le sacrifice du captif possède une seconde valeur; l'anima,
on le sait, continue d'éprouver, outre les besoins physiologiques, des
besoins psychologiques : le sacrifice du prisonnier est ainsi une
satisfaction morale qui est donnée au mort, une vengeance exercée pour
lui contre ceux qui l'ont tué. Cette idée, ou plutôt cette métaphore, est
si naturelle que par deux fois nous voyons la métaphore se réaliser :
lorsque, après Philippes, Antoine fait tuer Hortensius sur la tombe de
son frère et, l'année suivante, lorsqu'Octave ordonna le massacre, près
d'un autel de César, devenu curieusement substitut de la tombe, de
trois cents sénateurs et chevaliers faits prisonniers dans Pérouse et
Cf. encore, sur le problème du sacrifice humain romain, G. Dumézil, REL, XLI, 1963,
p. 87-89; M. Leglay, Saturne africain, Paris, 1966, p. 324. On ne confondra pas cet usage
avec le sacrifice d'un prisonnier aux dieux après une victoire; usage attesté pour les
Etrusques par une scholie d'Ovide à Ibis, 465 : Tyrrheni obsidentes Liparium castrum
promiserunt Apollini, si faceret eos victores, fortissimum Liparensium ei sacrificare.
Habita autem Victoria promissum reddiderunt, immolantes ei quendam Theodotum; on a
voulu rattacher à ce sacrifice, à mon avis sans raison, l'exécution de prisonniers de
guerre à l'issue du triomphe romain (cf. Beseler, Hermes, 1909, p. 352 sq., d'après
R. Pfeiffer, Sitzungberichte der Bayer. Akad der Wissenschaften, philosophisch-hist.
Abteilung, 1934, Heft 10, p. 12-14).
38 F. Cumont, Lux perpetua, Paris, 1949, p. 30-32; J. Bayet, Histoire politique et
psychologique de la religion romaine, Paris, 1957, p. 75.
39 Ainsi la coutume, pour les femmes de se lacérer le visage au cours des
funérail es : Servius, ad Aen. III, 67; Cicéron, De leg., II, 59 (qui rappelle la prohibition de cet
usage par la loi des XII Tables); Festus, 338 L; ou la coutume de répandre des fleurs
coupées sur la tombe : Servius, ad Aen., V, 79, flores ad sanguinis imitationem (cf.
F. Cumont, op. cit., p. 31, 45); ou la libation du vin - succédané du sang (?) - sur le
tombeau (cf. K. Kircher, Die sakrale Bedeutung des Weines, Giessen, 1910, p. 12 sq.); ou
l'usage de boire le sang chaud d'un gladiateur tué dans l'arène (J. Bayet, loc. cit.). Ce
sont peut-être des survivances ou des dérivations de cette théologie du sang qui
revivifie l'âme du défunt; la lacération du visage et la sparsion de fleurs pourpres étaient
déjà interprétées ainsi par les anciens (la première par Varron, cité par Servius, la
seconde par Servius; cf. supra); toutefois le rapport de ces usages avec le sacrifice
sanglant ne saurait être considéré comme certain.
12 LES GLADIATEURS
qui furent tués, selon Suétone, hostiarum more40. Quand une mort
venge une autre mort, c'est une image très naturelle que de la
considérer comme un « sacrifice » aux mânes, ou à la divinité, du premier
mort. [Cela ne prouve aucunement que des sacrifices humains ont
existé dans l'Italie archaïque, cela prouve encore moins que la
gladiature soit un sacrifice modifié. Tout indique, au contraire, qu'elle est
un jeu funèbre, un de ces ludi funèbres que l'Italie pratiquait.
Déblayons, pour le principe, quelques confusions, qui ne
sauraient arrêter longtemps le lecteur.] Bien des siècles après la
disparition d'éventuels sacrifices funéraires d'êtres humains en Italie, il est
arrivé, exceptionnellement et secondairement, que, dans certaines
provinces de l'Empire, la gladiature ait servi de substitut à des
sacrifices humains indigènes41; c'est une suite de la romanisation et du reste
Saturne africain, Paris, 1966, p. 340; à Rome, enfin, l'exécution d'un damnafus dans
l'arène procure le sang humain dont on continue d'asperger la statue de Jupiter Latia-
ris jusqu'à la fin du IIIe siècle ou le début du IVe siècle : G. Ville, MEFR, 1960, p. 283-7 :
dans tous les cas, l'atténuation du sacrifice humain apportée par l'arène se situe à un
niveau moral (on évite de faire mourir un innocent) et non point religieux : la divinité
continue de réclamer du sang et des vies d'hommes.
42 D'où la vengeance de Spartacus, qui contraignit les prisonniers romains à se
battre à leur tour pour les obsèques de plusieurs chefs de la révolte (Florus, II, 8) ; on
retrouve ce mobile, humilier l'adversaire, dans la naumachie qu'organise Sextus
Pompée avec des prisonniers, en 40, dans le détroit de Sicile, de telle sorte que les hommes
de leur parti peuvent assister au spectacle : Dion Cassius, XLVIII, 19, 1, qui ajoute que
Sextus le faisait ?? t?? t?? '???f?? ?at??e???. De même, en 117, les Juifs de Cyrène
contraignent des Grecs et des Romains à se battre comme gladiateurs : Dion Cassius,
LXVIII, 32, 2 (tirant par là vengeance des grands munera que Titus avait organisé avec
des prisonniers juifs après la fin de la première révolte); au cours de la IIe guerre
punique, lorsque Hannibal, au dire de Valère-Maxime, IX, 2, ext., 2, faisait lutter entre
eux des prisonniers romains jusqu'à ce qu'il n'en restât qu'un, ce n'était, semble-t-il,
qu'une manière cruelle et distrayante de liquider des prisonniers.
43 Diodore XXXVI, 10, 2 : suicide, selon certaines sources, des esclaves de Sicile
qui s'étaient rendus au proconsul Aquillius et que celui-ci voulait faire paraître dans le
cirque comme bestiaires (il s'agissait peut-être d'une exécution pure et simple par les
bêtes, et non point d'une thériomachie) ; Sénèque, Ad Luc, LXX, 20 : suicide d'un
prisonnier germain qui devait paraître dans une venatio (ad matutina spectacula) ; j'ajoute
que ce prisonnier ne devait pas nécessairement périr au cours du munus, puisqu'il
.
était formé dans une école de venatores (in ludo bestiariorum); ibid, 25-7 : suicide d'un
Barbare au cours d'une naumachie : quare, inquit, non . . . omne ludibrium jamdudum
effugio? Ici encore il ne semble pas que la victime ait dû mourir obligatoirement
pendant ou après le spectacle; Symmaque, Lettres, II, 46 : suicide de 29 prisonniers saxons
qui devaient participer à un munus organisé par son fils. On n'inclura pas dans cette
liste le suicide d'un damnatus que rapporte Sénèque, Ad Luc, LXX, 23, alors qu'on le
conduisait au spectacle pour y être exécuté (ad poenam). Toutefois, on opposera à ces
refus l'enthousiasme que Polybe, III, 62 et Tite Live, XXI, 42, prêtent aux montagnards
prisonniers auxquels Hannibal, en un munus improvisé dont il veut faire une leçon
pour ses soldats, propose de combattre entre eux sous les yeux de son armée; cf. aussi
Dion Cassius, XIV, 57, 4.
14 LES GLADIATEURS
44 Malten, Leichenspiel und Totenkult, dans MDAI(R), XXXVIII, 1923, sur l'origine
de la gladiature italique, p. 329-330, établit une continuité entre le combat simulé
d'Ajax et de Diomede, aux ludi funèbres de Patrocle, et la gladiature, p. 304-305 et 328-
329 : « Wir haben in den Gladiatorenkâmpfen am Grabe ein weiteres Glied in der
Kette, die wom ? laiift; nur: hier ist die letzte Konsequenz erhalten geblieben; dièse
Kàmpfer fiihren den Kampf bis, zum letzen, den Tode des einen Gegners, durch ».
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 15
qu'il l'ait méritée par lui-même, soit qu'il l'ait méritée par son
argent»; il n'est pas douteux, ajoute Pline (N.H., XXI, 5), que, par les
mots de «couronne gagnée par son argent», la loi n'ait entendu une
couronne gagnée par ses esclaves ou ses chevaux. Voilà comment les
choses se passaient primitivement dans le Cirque de Rome : on se
croirait à Olympie et il n'y manque qu'un Pindare, pour célébrer les
propriétaires des chevaux, des cochers et des chars.
Et puis Rome divergea, se sépara de la Grèce : les citoyens ne
descendirent plus dans le Cirque pour les jeux publics. Ils ne prirent pas
davantage part, autant que nous le sachions, aux jeux privés
funéraires; en revanche, ils continuèrent à envoyer leurs esclaves prendre
part à ces jeux funèbres : telle est l'origine de la professionalisation de
la gladiature. Et, comme on n'a aucun scrupule à faire tuer un esclave,
telle est également l'origine du changement de fonction qui fera
bientôt, de la gladiature, un simple spectacle. En somme, la gladiature a
pour chiquenaude initiale la dévalorisation sociale des jeux à Rome.
Bientôt apparaîtra un revendeur spécialisé, le lanista, qui procurera
des gladiateurs à ceux qui veulent donner un munus; à moins que les
éditeurs de munus, au lieu de se servir chez ce commerçant,
n'achètent eux-mêmes des esclaves qui ont la vocation de se battre.
C'est alors que la gladiature a cessé d'être un combat qui s'arrête
au premier sang, comme dans l'Iliade : elle est devenue un combat à
mort, mais elle l'est devenu de deux manières qu'il faut bien
distinguer : tantôt un combattant est tué au combat par son adversaire, au
lieu d'être seulement blessé, tantôt un combattant qui a demandé sa
grâce est égorgé sur l'ordre de l'éditeur, au lieu d'être gracié. Ce sont
là deux choses différentes. Les Romains avaient gardé le souvenir des
combats qui, comme dans l'Iliade, ont lieu jusqu'au premier sang
seulement, vulneribus tenus (Tite-Live, XLI, 20); c'est à l'éditeur de
décider si le gladiateur est vraiment blessé et mérite d'être renvoyé hors
de l'arène (missio) ou s'il abuse et se prétend plus gravement touché
qu'il ne l'est. Bref, la conception première des combats est de
s'arrêter avant mort d'homme : l'éditeur décide seulement si les gladiateurs
ont fait honnêtement leur travail et sont vraiment allés jusqu'au
premier sang; somme toute, dans X Iliade, quand le public des Achéens
supplie Diomede de s'arrêter, il n'agit pas autrement que le public
romain : l'auteur de l'Iliade affecte de croire que les spectateurs ont
dû arrêter un combattant trop ardent, mais peut-être n'est-ce là
qu'une manière courtoise de présenter les choses, conformément à la
dignité de l'épopée. Peut-être qu'en réalité Diomede ni Ajax n'avaient
pas le droit de s'arrêter de combattre avant que le public ne leur ait
18 LES GLADIATEURS
1) Les probables46
49 Ici encore, je réunis les références. L'hydrie du Museo Campano est au Corpus
vasorum, Italie, XI, p. 6, pi. X, 1. Le lécythe du Louvre, inédit, est à l'inventaire, ED 316,
N 3540 844 : deux combattants, qui s'affrontent, l'un avec la lance et l'autre avec un
javelot; ils coiffent un casque à paragnathides, frontal et couvre-nuque et portent une
aspis décorée; ils sont nus, mais chaussent des sandales dont les lacets s'enroulent
jusqu'au milieu du mollet. Quant à l'hydrie du Louvre, elle est également inédite et
provient de la collection Campana (inventaire Campana, n° 3196); deux combattants
s'affrontent sur un sol irrégulier; ils sont nus et armés d'un casque conique, de cnémi-
des et d'une aspis; celui de gauche brandit un javelot et celui de droite tend vers lui
une longue lance dont le fer a une forme curieuse, crucifère; derrière eux, un
troisième combattant, immobile, armé comme eux, semble attendre. L'hydrie de Varsovie
(inv. 126) provient de la Basilicate; elle est au Corpus vasorum, Pologne, I, pi. 51,2.
L'amphore de Naples a été publiée par Heydemann, Griechische Vasenbilder, n° 1771;
les deux combattants ont une aspis et une lance à double pointe, mais l'un a un casque
en forme de pt'/o5 et l'autre, un casque à frontal et couvre-nuque. L'hydrie de
Washington est inédite (National Muséum, catal. n° 429913; négatif de la Smithsonian
Institution, MNH 550 B); les deux adversaires sont casqués; l'un porte une chlamyde
flottante, une vaste aspis et une lance, le second, une courte tunique sans manches,
ceinturée autour de la taille, un bouclier lucanien et un javelot. Le vase Tischbein IV, 27
est reproduit chez S. Reinach, Vases peints, II, p. 327, 4. L'amphore de l'ancienne
collection Errera à Bruxelles est maintenant au musée du Cinquantenaire, inv. n° A 3550;
une petite photographie en a paru en 1930 dans l'Enciclopedia Italiana, s. ?. «Campani
(vasi)». Le skyphos de l'ancienne collection Preyss est passé dans le commerce des
antiquités et je le connais grâce au négatif n° 62.1416 du Deutsches archàol. Institut de
Rome. Celui de Leningrad est inédit (inventaire «vase n° 1670») et provient de la
collection Campana.
50 J'ai hésité avant d'omettre plusieurs documents : entre autres, deux hydries
campaniennes du British Muséum (CVA, Angleterre, 2, pi. 8, 3 ; pi 8, 8) ; un cratère
lucanien du Vatican (A. D. Trendall, Vasi dipinti, I, p. V, d); deux skyphoi du musée de
Naples (Inv. 82764 et 82765 : Heydemann, 920 et 878); un skyphos de Wiirzburg, chez
E. Langlotz, Martin von Wagner Muséum, Griechische Vasen, Munich, 1932, n° 878,
pi. 250; etc . . . il ne nous paraît pas utile de détailler les raisons pour lesquelles ces
vases nous paraissent passer le seuil de probabilité et nous ne cachons pas que cette
exclusion contient sans doute une part d'arbitraire.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 23
large : les textes ne visent que Capoue; les tombes ont été trouvées à
Paestum (huit), Capoue, Albanella et Altavilla Silentina (une chaque
fois); nos vases, et il ne faut naturellement considérer que le lieu de
fabrication, sont campaniens. Ceci dit, il est certain que la gladiature
n'a pas dû attendre la fin du IIe siècle pour déborder de ce cadre
étroit; mais on ne saurait préciser davantage.
Ces combats, dont on a vu l'origine funéraire, conservent cette
destination pendant tout le IVe siècle - la preuve en est apportée par
les peintures tombales dont la création s'étale sur tout ce temps; sans
doute la conservent-ils - comme à Rome - jusqu'à la fin de la période
que nous considérons51; mais, dès le IVe siècle, une formule laïcisée
vient peut-être doubler la gladiature religieuse : en 310, selon Tite-
Iive (IX, 40, 17), les Capouans organisaient déjà des combats de
gladiateurs au cours de leurs banquets (gladiatores, quod spectaculum
inter epulas erat); dans le tableau des vices de Capoue, au moment du
ralliement de la ville à Hannibal, Silius Italicus écrit (Pun., XI, 51-54) :
Quin edam exhilarare viris convivia caede / mos olim, et miscere epulis
spectacula dira / certantum ferro, saepe et super ipsa cadentum / pocula
respersis non parco sanguine mensis; ce que confirme Strabon (V, 4,
13).
On a supposé que Strabon avait puisé ce renseignement dans le
passage du livre VII des Histoires de Polybe, perdu partiellement, qui
est cité par Athénée (XII, 528a), et où l'historien faisait le tableau de la
t??f? et de la p???t??e?a des Capouans52; il n'est pas impossible que
le texte de Silius Italicus remonte à cette même source ou à la vulgate
qui en dépend; et on peut se demander si Tite-Live, dont la référence
à cet usage n'est qu'une simple proposition incidente, une glose
personnelle introduite dans le récit53, n'a pas projeté à la fin du IVe siècle
un usage seulement attesté pour la fin du IIIe; ces réserves faites, il
51 Encore au Ier siècle avant notre ère et sporadiquement aux deux premiers
siècles de notre ère, on donne en Italie des munus in honorem mortuorum; cependant il
est probable que, tout en gardant sa destination funéraire, le munus a vu
progressivement s'affaiblir sa signification funéraire.
52 Cf. J. Heurgon, Capoue, p. 433, n. 1.
53 L'historien rapporte ce que Romains et Capouans firent des armes prises aux
ennemis après la guerre samnite : Et Romani quidem ad honorem deum insignibus armis
hostium usi sunt; Campani, a superbia et odio Samnitium, gladiatores, quod spectaculum
inter epulas erat, eo ornatu armarunt, Samnitium quoque nomine compellarunt; ce texte,
dont il faut recevoir toutes les données avec prudence et sur lequel je reviendrai,
contient au moins une erreur par omission : en 310, les jeux ne se limitent pas aux
combats inter epulas; il est clair que la note livienne n'a d'autre fin que d'opposer rhé-
toriquement la cruelle frivolité des Capouans à la pietas romaine (ad honorem deum).
DES ORIGINES À LA FIN DU 11« SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 25
n'en reste pas moins possible que la laïcisation se soit déjà produite
en 310; à cette date, 80 ans au moins se sont écoulés depuis le premier
munus.
Nous ne savons rien de ces combats inter epulas, si ce n'est que le
nombre des paires était proportionnel à la dignité des convives
(Strabon).
Les combats funéraires avaient lieu près de la tombe, ce
qu'attestent les textes précités de Servius (Ad Aen., X, 519) et de Tertullien (De
Spect., XII, 3) et que confirment deux vases et plusieurs peintures
tombales qui tantôt figurent la tombe comme un cippe54, tantôt
comme une colonne55.
C'est pour cela que les gladiateurs étaient appelés bustuarii56 ; le
mot trouvait à Capoue57 sa justification dans le fait que le munus, qui
à Rome même se déroulait sur le Forum, avait lieu devant le bustum,
plus tard devant son substitut58.
5) se rapporte plutôt, à cause de sa date, au munera municipaux qu'à ceux de Rome; cf.
encore le munus que Spartacus donna pour les chefs de la révolte tombés au combat;
Florus, III, 20 : captivosque circa rogum jussit armis depugnare.
59 Arbrisseau : Sestieri, fig. 12, 14, 19, 22; tronc d'arbre : vase Tischbein IV, 27; c'est
pour cette raison que le paysage accidenté dans lequel se déroulent deux combats -
sur l'amphore Errera - m'a paru restreindre, mais non point exclure la possibilité
d'une exégèse gladiatorienne; cette remarque vaut aussi pour l'hydrie du Louvre; sur
l'hydrie du Museo Campano, une grosse pierre ovale se trouve entre les deux
combattants; il se pourrait toutefois que, dans l'intention du peintre, elle ne situe pas un
paysage, mais qu'elle joue le même rôle qu'un bloc cubique, qu'on retrouve dans la
gladiature romaine, situé semblablement au point où les gladiateurs engagent le combat;
ainsi sur la mosaïque de Bignor : J. M. C. Toynbee, Art in Roman Britain, Londres, 1962,
n° 191, pi. 225.
60 Les gladiateurs sont associés à d'autres ludi sur les tombes publiées par Weege
(boxe), Marzullo (boxe), Sestieri (boxe et chars) et sur le vase Tischbein I, 10
(acrobatie). Références plus haut, notes 48, 49 et 55. La tombe de Capoue, Weege n° 14, est
dans JDAI, 1909, p. 107 et pi. II.
61 Sur de nombreux vases italiotes, nous voyons que les guerriers osco-samnites
étaient souvent armés de deux ou trois javelots : deux javelots, Heydemann, Griechi-
sche Vasenbilder (1870), n° 860, 870, 1903; Furtwàngler, n° 3159; S. Reinach, Rép. des
vases peints, «Millin» II, 30 (?), 50 (?); CVA, Allemagne, XIX, pi. 109; Angleterre, XII, pi.
XXIX, 6a; A.D. Trendall, Vasi dipinti, II, pi. XXX, h, (?, 10); pi. XXX, i (?, 11), etc ... ; on
trouve aussi des guerriers armés de deux javelots sur des peintures tombales : Weege,
n° 6, p. 8; n° 30 = Mon. dell'Inst., Vili, pi. 21; etc...; trois javelots: Heydemann,
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 27
n° 1917; Sestieri, fig. 40-41. Il n'est pas impossible, quoiqu'aucune image ne permette
de l'assurer, que des aides se soient trouvés derrière les combattants et leur aient
tendu des javelots pendant la lutte; sur le problème du javelot et de la lance dans la
panoplie osco-samnite, cf. Weege, p. 156-158.
62 Cette double utilisation du javelot est normale; elle nous est confirmée - pour
le pilum il est vrai, mais cela revient au même - par des sources textuelles : Plutarque,
Vita Caes., 45; Vita Pomp., 69; Vita Ant., 45; Vita Cam. 40 (d'après REWP, s.v. pilum;
A. Schulten; cf. aussi Dici ant. s.v. pilum, p. 484 : A. J. Reinach).
63 L'épée n'est pas inconnue dans l'iconographie militaire osco-samnite; elle est
toutefois bien moins fréquente que le javelot et la lance ; citons d'abors le personnage
dont nous éclairerons bientôt le rôle sur le vase Tischbein I, 60; cf. aussi Furtwângler,
n° 3159; S. Reinach, Rép. Vas. peints, Milligen 5; CVA, Angleterre, II, IVEa, pi. 9, 7; de
même sur un cratère inédit du Louvre, inv. ED 116; etc ... ; on remarquera que, sur
ces quatre derniers exemples, il ne s'agit pas d'une épée droite, mais d'un véritable
28 LES GLADIATEURS
sabre, avec un seul tranchant, à l'inverse du vase Tischbein I, 60, et des skyphoi Preyss
et de Leningrad (qui prêtent aux lames une forme très légèrement spatulée); c'est de
même une épée légèrement courbe - avec un manche en forme de tête d'animal - que
figure une peinture de Gnathia, au musée de Naples (Weege, n° 49); sur le problème
de l'épée droite ou courbe dans l'armement osco-samnite, cf. Weege, JDAI, 1909, 138.
64 Sestieri, p. 76, n. 22; ce me paraît toutefois peu probable; on comprendrait mal
dans cette hypothèse que, dans l'iconographie gladiatorienne, les pennes soient tantôt
blanches, tantôt noires; sur ces pennes, cf. Weege, p. 154-156; P. Couissin, Armes,
p. 262-263; J. Heurgon, p. 424; il y a, sur ce décor des casques, qui paraît très tôt avoir
appartenu à la koiné italienne, plusieurs textes antiques qui ont égaré les Modernes;
on verra bientôt, à ce propos, ce qu'il faut penser d'un passage de Varron et du terme
geminae cristae dont on se sert habituellement pour qualifier ces pennes (on en
connaît des exemples en Etrurie dès le Ve siècle, ainsi à la tombe des Biges à
Tarquinia, vers 490; cf. F. Weege, Etruskische Molerei, Halle, 1921, Beilage II; F. Poulsen,
Etruscan tomb paintings, Oxford, 1922, fig. 22; ces peintures sont à peu près invisibles
aujourd'hui : M. Pallottino, La peinture étrusque, Genève, 1952, p. 63 avec pi.).
65 Sur ce casque, souvent dépourvu de décor, cf. P. Couissin, Armes, p. 146;
P. Wuilleumier, Tarente des origines à la conquête romaine, Paris, 1939, p. 189-190.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 29
66 Weege, p. 144-146, ne paraît pas tenir cette aspis, si fréquente sur les peintures
vasculaires et tombales, pour italiote; il la néglige, dans sa typologie de l'armement
osco-samnite, au profit d'un bouclier ovale qui n'apparaît que sporadiquement; or
l'examen des peintures de vases confirme sans peine que les deux boucliers qui
apparaissent dans la gladiature sont aussi les deux boucliers les plus fréquemment attestés
dans l'armement militaire; il ne semble pas en outre qu'il faille faire du second une
particularité lucanienne, comme fait Weege, p. 146; on retrouve ce bouclier aussi bien
sur des documents lucaniens que campaniens (ainsi sur notre nochoé du Vatican, où
il coexiste avec des aspides); il s'agit en fait de deux armes de conception très
différente : l'aspis, comme le montrent quelques spécimens mis au jour dans des fouilles,
est un lourd bouclier en bronze; le bouclier conique - comme l'a bien vu Weege - est
une claie d'osier doublée de cuir ou de peau, donc une arme beaucoup plus légère; je
croirai volontiers que les Osco-samnites ont indifféremment employé ces deux
boucliers au cours du IVe siècle; les inconvénients et les avantages de l'un et de l'autre
devaient s'annuler et le choix était commandé par des raisons contingentes ou
personnelles; cette indifférence se retrouve dans la gladiature.
67 Weege, p. 152-154; les gladiateurs avec ou sans cnémides vont pieds-nus, avec
des exceptions toutefois : sur le lécythe du Louvre, où les deux combattants portent
des sandales maintenues par des lacets blancs noués autour de la jambe, sur
l'amphore Errera et peut-être sur le vase Tischbein IV, 27; sur d'autres documents
vasculaires que je ne connais que par des photographies, je ne saurais dire.
68 Weege, p. 146-152.
30 LES GLADIATEURS
été notée sur le vase; on peut penser que la rareté de cette protection
dans l'armement gladiatorien osco-samnite s'explique par les fins
mêmes du combat : il n'est pas utile de trop protéger les adversaires,
s'il est nécessaire ou souhaitable que l'un d'eux meure à la fin du duel.
Les combattants sont indifféremment nus ou habillés; dans ce
cas, le costume se limite à un pagne qui peut être une sorte de slip
(tombes Sestieri 1 et 4) ou même une pièce d'étoffe arrondie,
généralement frangée et laissant les fesses nues : tombes Weege 42 (?), FA
1959 (?), hydrie du Museo Campano, amphore Errera (?); on trouve
aussi un court jupon à plis verticaux (tombe Weege 33, vase Tischbein
I, 60), dont je me demande, toutefois, étant donné que les documents
où il figure ne nous sont connus que par des dessins, si les images que
nous en avons correspondent bien à la réalité; dans quelques cas, les
gladiateurs portent la tunique en forme de justaucorps, généralement
fort courte, surtout dans le dos (on verra par exemple le combattant
de droite sur l'hydrie de Caivano) ; celle-ci est pourvue (tombe Weege
14) ou non (hydrie de Caivano) de manches courtes; c'est à ce
vêtement que s'apparente la tunique de l'hydrie de Washington; à
l'exception des slips, blanc ou noir uni (tombes Sestieri 1 et 4), il s'agit
toujours de vêtements de couleur, décorés d'appliques. Plusieurs fois
nous rencontrons des chlamydes (vases du Vatican, Errera, Leningrad
et Washington).
Tous les combattants qui ne sont pas nus ou en slip portent le
large ceinturon, noté de la même couleur que les casques et les
cnémides (à l'exception de l'hydrie de Washington) ; la tombe Marzullo 3
nous le montre pourvu de la boucle en forme de ganci, propre à
l'Italie du Sud69.
De cette revue sommaire se dégagent trois traits fondamentaux :
1) Cet équipement ne se distingue en rien de celui que portent
les guerriers contemporains, tel que nous le font connaître les fouilles
et les peintures de tombes et de vases; les modes de combat sont
aussi identiques70.
pl. XVI, a; II, pi. XXX, h, i; pi. XXXVII, a; pi. LUI, c; Albizzati, cité note 55, p. 175,
fig. 24; p. 190, fig. 40; p. 192, fig. 41; E. Gabrici, Mon. Ani, 1913, pi. XCV, 1-4; pi. XCVI, 2,
5; fig. 236, 238; etc ... ; non seulement on rencontre les mêmes armes, les mêmes
costumes - ou absence de costume, mais encore les mêmes modes de combat : à la lance,
au javelot, avec ou sans casque, etc.
71 Boucliers coniques et aspides sur la peinture tombale Sestieri 3 et sur
l'amphore du musée de Naples; ou casques de type différent, ainsi sur l'amphore du
Musée de Naples ou l'hydrie de Washington; sinon, seuls les décors diffèrent : vases du
Vatican, du Museo Campano, et Tischbein IV, 27; sur ce dernier vase on remarquera
aussi que l'un des combattants porte une chlamyde et son adversaire, un justaucorps;
il en va de même sur l'hydrie de Washington (chlamyde et tunique); de même, sur la
peinture tombale Weege 33, l'un des adversaires porte un jupon et l'autre un
justaucorps (mais la reproduction moderne est-elle fidèle?); sur la peinture tombale Sestieri
1, l'un des gladiateurs est vêtu d'un slip, l'autre est nu; etc ... ; naturellement on ne
tiendra pas compte des variantes portant sur la lance ou le javelot, ces deux armes
ressortissant au même type de combat; cf. p. 27.
32 LES GLADIATEURS
75 Pour E. Gabrici, Mon. Ant, 1913, col. 693, c'était un arbitre, interprétation que
me paraissent condamner les quatre peintures tombales précitées; ceci dit, on ne
saurait exclure absolument qu'il s'agisse ici du défunt assistant à son propre munus, selon
un principe iconographique dont nous avons peut-être un exemple, en Étrurie, à la
Tombe du Singe de Chiusi - image de la morte assise sous une ombrelle et spectatrice
de ses propres ludi (R. Bianchi Bandinelli, Mon. del. piti ant. scop. in liai, I, La piti
etrusca, Clusium, I, Le piti del. tombe arch., Rome, 1939, p. 13, pi. IV); on a souvent mis
en lumière, dans l'iconographie vasculaire italiote, la confusion du monde des morts et
des vivants ; il n'est pas rare, en particulier, que le défunt assiste et même participe aux
cérémonies funèbres qui sont données en son honneur; cf. J. Heurgon, Capoue, p. 427;
on rapprochera par exemple une hydrie de Caivano (O. Elia, NSA, 1931, p. 598-599,
fig. 14) qui figure un guerrier assis près d'un monument qu'O. Elia et J. Heurgon (locc.
citi) ont interprété comme son s?µa tombal; toutefois, sur l'hydrie de Cumes,
l'absence de toute image de tombe m'empêche de retenir cette interprétation.
76 Sur les peintures tombales, la musique est toujours réservée aux combats de
boxe (tombes Marzullo 1, Sestieri 2 et 3).
77 II n'est pas impossible - mais moins probable - que la scène figurée sur le côté
droit du vase, en haut, soit aussi une demande de missio; nous aurions en ce cas une
fin de combat, ce qui anticipe curieusement sur une tendance de l'iconographie
gladiatorienne qui se fera jour à partir du début de l'Empire.
34 LES GLADIATEURS
78 C'est ainsi que sont portés les coups de grâce sur les deux longs côtés d'une
tombe de Paestum - aujourd'hui disparue, Weege, n° 31; Bull. arch. nap., IV, pi. V-VI;
on remarquera en particulier l'extrême ressemblance entre cette dernière scène et
l'image de notre vase : le guerrier vainqueur a saisi de sa main gauche la chevelure de
son adversaire et s'apprête à lui porter de dos, de la même manière, le coup de lance
mortel (et il s'agit bien d'un coup de grâce; le vaincu qui est agenouillé a déjà reçu
dans le cou un javelot qui suffit à le mettre hors de combat).
79 Sur les peintures tombales Marzullo 1 et Sestieri 2, l'arbitre brandit sa
couronne comme s'il allait la placer sur la tête de l'un des combattants : « con la mano
destra solleva una corona rossa sul capo del secondo gladiatore, che evidentemente è
il vincitore » (Sestieri, p. 76, à propos de la seconde tombe citée) ; mais il est bien
évident que le combat n'est pas achevé et qu'il n'y a pas encore de vainqueur; je pense
que l'arbitre fait de la main droite, en direction des combattants, le même geste -
banal - d'encouragement que l'arbitre des tombes Weege 33 et Sestieri 3; on ne peut
exclure toutefois qu'il s'agisse - ce qui est habituel en iconographie - d'une image
anticipante.
80 Décrites par Tite-Live, IX, 40, 1-4.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 35
IV - LA GLADIATURE ÉTRUSQUE
Milan, 1836, p. 101, pi. LXVI; Henzen, p. 73; Lafaye, p. 1564, n. 1; Weege, JDAI, 1909,
p. 134, n. 29 (« eventuell ») ; C. C. van Essen, Did Orphie Influence on Etruscan tomb pain-
tings exist? Studies in Etruscan Tomb Paintings, I, Amsterdam, 1927; id, La tomba del
Cardinale, Stud El, 1928, p. 106, n. 1 («questo non è impossibile»); mais, si les trois
combats du pilastre A sont gladiatoriens (van Essen, Studi El, 1928, p. XXV) - ce qui
me paraît difficile, car deux de ces combats opposent deux hommes à un troisième -
il faudrait que les scènes homologues du pilastre B le fussent aussi (van Essen, op. cit.,
pi. XXIV); or on ne saurait interpréter comme un combat de gladiateurs l'épisode B
IV 2, où deux guerriers transportent un de leur camarade blessé, ou encore l'épisode B
IV 3, où un guerrier armé d'une seule épée fait face à un groupe de six guerriers, tous
armés d'un bouclier; ces remarques valent aussi pour les monomachies figurées, ibid,
pi. XIX, n° 2-3; pi. XXXIII, n° 148-149; en vérité l'exégèse de la tombe du Cardinal
reste à faire. Le pagne et le manteau des combattants me semblent un vêtement
conventionnellement héroïque.
83 von Stryck, Studien iiber die etrusk. Kammergrâber, Diss. Miinchen, 1910, p. 102;
contra (antérieur au précédent), A. Frova, La morte e l'oltre-tomba nell'arte etrusco, Il
Rinnovamento, 1908 (fas. 2), p. 341; F. De Ruyt, Charun, p. 56, fig. 25; c'est une
interprétation semblable que von Stryck (ibid.) a proposée pour une scène assez voisine peinte
à la Tombe Bruschi à Tarquinia et aujourd'hui perdue, Mon. dell'Inst., VIII, pi. 36.
84 F. Messerschmidt, Nekropolen von Vulci, Berlin, 1930 (JDAI, Ergànzungsheft
XII), p. 133-134, pi. II; cf. J. Gagé, De Tarquinies à Vulci, MEFR, 1962, (I), p. 86-86; on
avait vu dans ces trois guerriers des danseurs armés; F. Messerschmidt fait observer
que l'un des guerriers a jeté son bouclier et paraît fuir devant un autre qui le poursuit
l'épée haute; ce qui est indiscutable; mais la suite de l'argumentation ne me convainc
pas : « Die Bezeichnung Gladiator statt Krieger verdient auch aus dem Grunde den
Vorzug, dass die Krieger uber der linken Schulter noch eine « Perlenkette » tragen, die
den Schwertriemen in der Mitte der Brust kreuzt ». A mon avis le décor du vêtement
de Vel Saties est à rattacher aussi à l'iconographie du combat légendaire.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 37
85 L'urne de Pérouse avec l'arbitre est au musée de Florence, inv. n° 86711 et elle
provient de la même tombe que les inscriptions 3524 à 3528 du Corpus inscriptionum
Etruscarum. L'urne de Pérouse sans arbitre est chez Conestabile, pi. LXXXVIII, 3, dans
l'article de Lafaye, fig. 3568 et chez Brunn et Kòrte, Rilievi, III, n° 128,2. Le sarcophage
de Tarquinies, au musée de Tarquinia, est inédit; les deux couples de combattants, aux
deux extrémités, ont le même bouclier long et rectangulaire que les combattants des
deux urnes susdites; les uns et les autres sont peut-être des galli étrusques; le couple
de combattants, au centre, est armé de petits boucliers ronds. Sur l'urne de Pérouse
au grand vase (Brunn et Kòrte, Rilievi, III, n° 128, 1), les deux combattants ont encore
ce bouclier long; ce qui me gêne est que l'un au moins des combattants a le fourreau
au côté : les gladiateurs, ou du moins les gladiateurs romains, combattent sans
s'embarrasser d'un fourreau.
86 L'urne de Pérouse avec la Furie ou Lase est dans les Rilievi, III, p. 193, fig. 45 et
chez U. Tarchi, L'arte etrusco-romano nell'Umbria e nella Sabina, Milan, 1936, pi. LXX
(photo); elle est dans le cloître de l'église S. Pietro; les combattants ont un casque à
paragnathides, une aspis, un epée, une chlamyde et très certainement une cuirasse; le
détail le plus intéressant est qu'ils combattent derrière une balustrade faite d'entretoi-
ses en losanges; il ne s'agit donc pas d'une scène de guerre, mais d'un spectacle. Quant
à l'urne au Charun, elle est dans les Rilievi, III, p. 192, fig. 46, et est commentée par
F. De Ruyt, Charun, p. 30-31.
87 Cf. par exemple la série de représentations que F. De Ruyt a rassemblées sous
la rubrique « Charun séparant le défunt de sa famille » (Charun, p. 33-44) ; de même, la
série qui figure le mort partant pour les Enfers accompagné d'un cortège où se mêlent
des démons funéraires : R. Lambrechts, Essai sur les magistratures des républiques
étrusques, Bruxelles, 1959, n° 5, p. 131; n° 6, p. 133; F. De Ruyt, p. 23-31, a réuni une
série de représentations où l'on voit apparaître Charun au moment où un homme va
mourir.
38 LES GLADIATEURS
88 Kòrte, Rilievi, III, p. 190-191, en reconnaissant des gladiateurs romains sur cette
urne a vu l'objection : « non vedo ragione alcuna perché esso rilievo deve essere
ascritto ad un'epoca posteriore » (que la seconde moitié du IIIe siècle). Or cette urne
s'intègre si parfaitement dans l'évolution de la gladiature romaine au cours du Ier
siècle avant notre ère, qu'il est absolument impossible, comme a fait Kòrte, de la dater
du IIIe siècle.
89 Ces urnes appartiennent en effet aux dernières phases des ateliers de Pérouse
et de Chiusi; sans vouloir entrer dans le problème très discuté, et qui est loin d'être
DES ORIGINES À LA FIN DU II* SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 39
95 P. Bienkowski, op. cit., n° 82, p. 126, fig. 130 (Kòrte, Rilievi, pi. CXX, 5); on
notera en particulier la remarquable identité de ce pagne - figuré sur une urne de
Chiusi - avec celui que portent les combattants de l'une de nos urnes; on remarquera
toutefois que ce pagne est porté aussi, sur le sarcophage de Tarquinia, par les
gladiateurs au bouclier rond.
96 Que nous avons sur l'urne au grand vase : P. Bienkowski, op. cil, n° 67, p. 106-
108, fig. 114 (Kòrte, Rilievi, p. 148-149, fig. 25, pi. CXIV, 4); Bienkowski, n» 68, p. 108-109,
fig. 115 (Kòrte, p. 145, fig. 22, pi. CXIIL 1); Bienkowski, n» 69, p. 109-110, fig. 116-117
(Kôrte, p. 147-148, fig. 24, pi. CXTV, 3); etc.
97 Non pas qu'il s'agisse des galli romains, connus par l'épigraphie et la littérature
- et, comme on verra, quelques images; mais d'une armatura étrusque, qui, de la même
manière que les galli romains, mais sans se confondre avec eux, dériverait de captivi
gaulois.
98 II est possible que la différence de caractérisation soit fonction de données
locales - elle est plus nette à Tarquinia qu'à Pérouse; ou chronologiques - l'urne au
vase serait antérieure aux autres documents; mais, là encore, nous n'avons pas de
preuve pour étayer les points de vue possibles; ces variantes peuvent n'avoir aucune
signification.
DES ORIGINES À LA FIN DU 11« SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 41
près; car, s'ils se battent à l'épée et sont à peu près nus (ils ne portent
qu'une chlamyde), ils portent une coiffure en forme de pileus qui est
plus probablement un casque qu'un bonnet.
L'armement de ces catégories est relativement réduit; nos images
nous montrent qu'à cette légèreté de l'équipement correspond une
légèreté équivalente de la technique : on observera les grands gestes
que les combattants font avec leur épée et surtout, sur le sarcophage
de Tarquinia, l'inversion du jeu de jambes par l'un des gladiateurs (à
gauche dans le couple de droite) - trait que nous retrouverons encore,
en Toscane, au début de l'époque suivante. Avec ces gladiateurs
légers, les combattants de l'armatura suivante forment un
remarquable contraste.
4) Les gladiateurs à la cuirasse (?); coiffés d'un casque à
paragnathides, ils se protègent derrière une vaste aspis; ils se battent à
l'épée; je ne saurais dire s'ils sont pourvus d'ocreae; ils n'ont sûrement
pas de manicae; à la même époque ou peu après, le monde romain
connaît des gladiateurs cuirassés que j'identifierai avec des samnites;
sommes-nous en présence de samnites étrusques? Cela me paraît fort
possible.
sans cuirasse (?), à l'aspis et à la cuirasse; son arbitre n'a pas la rudis
de ses homologues postérieurs, mais il n'est plus costumé à la grecque
et surtout nous le voyons intervenir dans la lutte : il apparaît entre les
combattants, et non pas derrière eux; ces traits ne ressortissent pas à
la géographie, mais à la chronologie : à la fois par ses armes, comme
on verra bientôt, et par son organisation, la gladiature étrusque que
ces quelques documents nous font connaître est proche de la
gladiature romaine, à laquelle elle va bientôt s'assimiler.
V - LA GLADIATURE ROMAINE
100 Outre le texte de Servius, (ad Aen. III, 67), commenté p. 9, trois autres textes
nous ont conservé le souvenir de cet événement : Tite Live, Epil, XVI : D. Junius Bru-
tus munus gladiatorium in honorem defuncti patris primus edidit; Valère-Maxime, II, 4,
7 : gladiatorium munus primum Romae datum est in Foro boario, App. Claudio, Q. Fulvio
consulibus; dederunt Marcus et Decimus, fili Bruti Perae, funebri memoria patris cineres
honorando; Ausone, Gryphus ternarii numeri, 36-37 : tris primas Thraecum pugnas tribus
ordine bellis Juniadae patrio inferias misere sepulcro; dans ce dernier texte, la mention
des Thraeces est purement métonymique (au reste Ausone, Tetrasticha, XVIII, 2, parle,
à propos de Commode, de Threcidico . . . gladio, alors que cet empereur tirait avec les
armes des secutores : cf. Dion Cassius, LXXIII, 22; Script. Hist. Aug., Comm. XV, 8); on
remarquera qu'il y a divergence sur la personne des éditeurs du munus (nepos :
Servius; Marcus et Decimus fili : Valère-Maxime; cf. Ausone : Juniadae); Tite-Live ne parle
que d'un fils; sans doute la version de Valère-Maxime qui nous donne les prénoms, et
surtout qui précise le lieu de l'édition, est-elle la plus exacte.
101 Ausone est seul à nous l'apprendre.
102 Tite-Live, XXIII, 30, 15 : ??. Aemilio Lepido, qui consul augurque fuerat, filii très,
Lucius, Marcus, Quintus ludos funèbres per triduum et gladiatorum paria duo et viginti in
foro dederunt.
103 Tite-Live, XXXI, 50, 4 : et ludi funèbres eo anno per quadriduum in foro mortis
causa M. Valerli Laevini a Publio et Marco filiis eius facti et munus gladiatorium datum ab
iis; paria quinque et viginti pugnaverunt.
DES ORIGINES À LA FIN DU II" SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 43
104 Tite-Live XXXIX, 46, 2-3 : P. Licinii funeris causa visceratio data, et gladiatores
centum viginti pugnaverunt et ludi funèbres per triduum facti, post ludos epulum; in quo
cum toto foro strato triclinio essent . . .
105 Tite-Live, XLI, 28, 11 : Munera gladiatorum eo anno aliquot, parva alia data;
unum ante cetera insigne fuit, T. Flaminini, quod mortis causa patris sui cum visceratione
epuloque et ludis scaenicis quadriduum dédit; magni tum muneris ea summa fuit, ut per
triduum quattuor et septuaginta homines pugnarint.
106 Polybe, XXXI, 28, 5-6 : après la mort de Paul-Emile, Scipion abandonna sa part
d'héritage à son frère Fabius; ce dernier voulant donner un munus, Emilien accepta
d'en payer la moitié; sur un incident qui se produisit à l'occasion de ce munus, cf.
Térence, Hec, 39-41.
107 Pour le munus de Lucanus, cf. Pline, N.H., XXXV, 47; pour celui des Metelli, cf.
Lucilius, Marx 676 = Warmington 637; celui de 122, cf. Plutarque, C. Grac, XII, 3-4;
celui des Flacci, cf. Lucilius, Marx 149 = Warmington 172; enfin le munus de 101 nous
est rapporté par Plutarque, Mar., XVII, 2 : une prophétesse assise aux pieds de la
femme de Marius lui annonce à l'avance le nom des gladiateurs vainqueurs.
108 Tite-Live, XXXIX, 42, 5-12 : en 184, au cours de leur censure, Caton et L. Vale-
rius chassèrent du Sénat L. Quinctius Flamininus pour avoir, quand il était consul
(192), alors qu'il se trouvait en Gaule Cisalpine, tué au cours d'un banquet un noble
boien, pour complaire à son mignon, lequel faisait valoir qu'il avait quitté Rome pour
le suivre sub ipsum spectaculum gladiatorium (Tite-Live rapporte cette anecdote
44 LES GLADIATEURS
113 Tite-Live, XXIII, 30, 15; XXXI, 50, 4; Pline l'Ancien, N.H., XXXV, 47; Plutarque,
C. Grac, XII, 3-4; Pseudo-Asconius, Ad Cic. in Caec, XVI, 50. Florus, I, 38 (III, 3), 20-21,
nous confirme indirectement cet usage en nous apprenant qu'au cours d'un munus
donné pendant l'été 101 de mystérieux jeunes gens remirent au préteur, devant le
temple de Castor, une lettre lauree, le jour même de la victoire de Verceil, et qu'au même
moment une clameur s'éleva dans la foule qui assistait à un munus gladiatorien;
l'anecdote n'a de sens que si l'on suppose que le munus était donné non loin du temple
de Castor - c'est-à-dire sur le Forum : ce cadre distingue le munus romain du munus
campanien, lequel, on l'a vu, paraît se dérouler dans la nécropole.
114 Nous le savons par Festus, 134b, 22 : Maeniana appellata sunt a Maenio censore
(en 348 avant notre ère) qui primum in foro ultra columnas projecit, quo ampliaretur
superiora spectacula (on comprendra, par spectacula, «les places pour les
spectateurs»); on peut donc conclure de ce passage que le forum, depuis une date antérieure
à 348, servait de cadre à des spectacles, à des ludi.
115 Cf. la n. précédente; Pline l'Ancien - citant Varron - nous apprend que ces
maeniana étaient entièrement décorés par un grand tableau de Sérapion : maeniana, inquit
Vano, omnia operiebat Serapionis tabula sub veteribus; cf. Ebert, REWP, s.v. maenianum
(1928).
116 Plutarque, Vita C. Gracchi, 12; on ne saurait dire si, par ?????*>, Plutarque veut
dire que les tribunes formaient un cercle, quasi-préfiguration de l'amphithéâtre, ou
seulement, de façon vague, qu'elles entouraient toute la place.
117 Nous songeons au privilège des Maenii : voir plus loin, ch'ap. VII, section 5,
paragraphe B.
118 Deux mentions de durée : Tite-Live, XLI, 28, 11, et Pline l'Ancien, N.H., XXXV,
47 : per riduum; on prendra garde que les durées données par Tite-Live, XXIII, 30, 15 :
per triduum; XXXI, 50, 4 : per quadriduum; XXXIX, 46, 2 : per triduum, s'appliquent à
l'ensemble des ludi funèbres et non au seul munus; or nous avons la preuve que le
munus ne s'étale pas sur toute la durée des ludi, puisque nous savons par Tite-Live
(XLI, 28, 11) que les ludi funèbres donnés par T. Flamininus durèrent quatre jours,
alors que son munus, qui eut lieu au même moment, n'en dura que trois; toutefois, si
en trois jours on fait combattre 30 paires (Pline l'Ancien) ou 37 (Tite-Live), nous
pouvons penser que des munera de 22, 25 et 60 paires ne s'achèvent pas en un seul jour.
Peut-on supposer, à partir des indications susdites, une moyenne de 10 à 13 paires par
46 LES GLADIATEURS
Aux munera sont souvent associés des ludi funèbres119, qui ont
partiellement lieu sur le forum120; à ces ludi peuvent s'ajouter une vis-
ceratio et un epulumX2X.
Jusqu'à la fin de la période et au-delà, les jeux gardent un
caractère exclusivement privé; quand les éditeurs nous sont connus, ce
sont toujours les fils du destinataire122; on admet couramment que les
munera ont été officialisés en 105 123; j'ai essayé de montrer ailleurs
(MEFR, 1960, p. 306) que le texte d'Ennodius sur lequel on se fondait,
ne faisait que reproduire un thème de la propagande tardive en
faveur des gladiateurs et que, ce faisant, il falsifiait une donnée de
l'annalistique, que Valére Maxime (II, 3, 2) nous a transmise sous sa
forme authentique : le consul P. Rutilius en 105 emprunta des doctores
au ludus de C. Aurelius Scaurus - fait sans exemple à cette date - pour
entraîner des soldats124.
jour? Quant aux petits munera que Tite-Live évoque en 174 (XLI, 28, 11 : parva), nous
ne pouvons que faire des suppositions à leur propos.
119 Cf. les textes cités aux n. 100 à 105, auxquels on ajoutera Tite-Live XXVIII, 21,
10 (munus donné par Scipion l'Africain à Carthagène en 206) : gladiatorum spectaculo
ludi funèbres additi.
120 Tite-Live, XXXIX, 46, 2; naturellement, il s'agit seulement de jeux athlétiques -
essentiellement de combats de boxe, dont nous savons le succès à ce moment
(Térence, Hec, 33), et sans doute, à partir du IIe siècle, de scaenici.
121 Première mention d'un munus un epulum et une visceratio en 183 (Tite-Live,
XXXIX, 46, 2-3); seconde mention en 174 (id., XLI, 28, 11).
122 Munus en l'honneur de Brutus Péra (cf. n. 100), donné par ses deux fils; de
M. Aemilius Lépidus, donné par ses trois fils (Tite-Live, XXIII, 30, 15) ; de M. Valérius
Laevinus, par ses deux fils (Tite-Live, XXXI, 50, 4); du père de T. Flamininus, par celui-
ci (Tite-Live, XXXIX, 46, 2-3). Tite-Live, XXXIX, 46, 2-3, ne mentionne pas l'éditeur du
munus de P. Licinius : simple oubli? Lucanus donna son munus à son grand père, qui
l'avait adopté; Pline, N.H., XXXV, 52 : is avo suo a quo adoptatus erat; pour Paul-Emile,
on a vu que seul son fils Fabius envisageait d'offrir un munus en son honneur et que
Scipion, son frère, consentit à l'aider en prenant la moitié des frais à son compte
(Polybe, XXXI, 28, 5-6; cf. p. 43, n. 106); Polybe présente le geste de Scipion comme un
acte de générosité remarquable, ce qui fait supposer que l'usage le laissait totalement
libre de s'associer au munus de son frère : sans doute cela s'explique-t-il par sa
renonciation à l'héritage paternel (qu'il fit justement en faveur de Fabius).
123 Hypothèse formulée par P. Biicheler, Die staatliche Anerkennung der Gladiato-
renspiels, Rh. M., 1883, 476-479, et admise par tous; toutefois Schneider, Real-Encykl,
Supplb. III, col. 762 : « Nichtsdestoweniger dauerten aber die von Privatleuten gegebe-
nen munera als Bestandteil der Leichenfeier fort, wàhrend wir von den staatlichen bis
zum Ende der Republik sozusagen nichts mehr hòren ».
124 Un thème que l'on voit apparaître à plusieurs reprises est celui de la valeur
éducative du munus (Cicéron, Tusc, II, 17; Pline le Jeune, Pan., XXXIII, 1); ce thème
est repris dans une digression de l'Histoire Auguste, Max. et Balb., VIII, où sont réunis
DES ORIGINES À LA FIN DU II«= SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 47
ration du risque et des conséquences » ; cf. Donat, ad locum : Parato ad periculum : hoc
est, ita perdite ac temerario, ut non sibi caveant dummodo vulnerenl
128 Tite-Live, XXXIX, 42, 11 : L. Quinctius (cf. p. 43, n. 108) dit à son mignon : «Vt5
tu, . . . quoniam gladiatorium spectaculum reliquisti, jam nunc gallum morientem videre»;
le trait ne prend toute sa valeur que si l'on suppose un jeu de mots sur le double sens
de gallus; cette parole, que Tite-Live emprunte au discours de Caton, n'a peut-être pas
été prononcée, mais elle prouve dans tous les cas qu'à cette date existait une armatura
de gladiateurs galli (interprétation déjà proposée par Meier, De gladiatura Romana
quaestiones selectae, Bonn, 1881, p. 35; Lafaye, p. 1587).
129 Lucilius (IV, 149-158, éd. Marx = Warmington, IV, 172-181) évoque le combat
entre le samnes Aeserninus et un grand champion (qu'on supposera aussi être un sam-
nés à cause de l'apparition homogène des samnites), Pacideianus; autre mention du
samnes chez Lucilius, éd. Marx, 1273-4 = Warmington, IV, 182-183.
130 On lit dans les Pauli excerpta de Festus, 144, 12 : Murmillonica scuta dicebant
cum quibus de muro pugnabant. Erant siquidem ad hoc apta; Muller (IV, 27) a attribué
l'expression murmillonica scuta à Lucilius; rangé par Marx parmi les dubia, ce fragment
est exclus par Warmington, à juste titre à mon avis.
DES ORIGINES À LA FIN DU II* SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 49
131 Mommsen, Gesch. d. rom. Miinzwesens, p. 154; pour la date, cf. E. A. Sydenham,
The coinage of the Roman Republic, Londres, 1952, p. LX, 49.
132 Même si Pline l'Ancien ne dit pas explicitement que cette tabula fut un compte
rendu figuré, cela peut se déduire de l'expression munera exponi, et de ce que Pline
(ibid.) évoque ce fait comme le précédent le plus ancien aux fresques dont un
affranchi de Néron fit décorer les portiques d'Antium et qui furent bien un compte rendu :
publicas porticus occupavit pictura, ut constat, gladiatorum ministrorumque omnium
veris imaginibus redditis. [Voir, p. 195, n. 42, un autre portique à peintures],
133 Cf. Tite-Live, XXVIII, 21 et Valère-Maxime, VIII, 11, ext. 1; Silius Italicus, Pan.,
XVI, 527-548; Zonaras, IX, 9; ce qui frappa surtout les imaginations et que Tite-Live
rapporte longuement fut le combat que deux frères, au cours de ce munus, se livrèrent
de principatu civitatis; c'est cette anecdote que Valère-Maxime a seulement retenue.
134 Diodore, XXXIII, frag. 22; Appien, H.R, VI, 75; on remarquera que le munus a
lieu après les obsèques, près de la tombe, ?p?. t?? t?f?? (Appien), p??? tf t?f?
(Diodore).
50 LES GLADIATEURS
135 [Le vase de Liria (musée de Valence) est publié dans ì'Historia de Espana éditée
par R. Menendez Pidal, vol. I (Espana prerromana), 3, Madrid, 1954, p. 626 pi. - Pour
d'autres costumes de guerriers, voir, sur le même vase, un guerrier - ou chasseur - à
droite eritre deux cavarlers; cf. en outre fig. 565 (vase de Archena); fig. 582, à l'extrême-
droite (Liria); fig. 592 (ibid.); fig. 606 (Olivia- Valence) ; etc.]
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 51
136 Echo lointain chez J. Lydus, De mens., III, 46 : ?t? '??µa???, µet? t? ????sa? t???
?f????, ?a? ta e?e??e? ????a ?p? t?? '??µ?? ???µ???? . . .
137 Drexel, chez Friedlànder, Sittengeschichte, 9e édition, vol. IV, p. 269, suppose que
les lions de M. Fulvius Nobilior en 186 furent seulement exhibés; l'hypothèse est
possible, mais toutefois gratuite; elle est suggérée à F. Drexel par le texte de Pline, N.H.,
VIII, 16, 53, où il est dit que Scaevola fut le premier (vers 100) à présenter un combat
contre plusieurs lions (leonum simul plurium pugnam); mais il ne fait aucun doute que
princeps porte seulement sur la pluralité simultanée des lions engagés dans un même
combat; ce qu'au reste F. Drexel i\e conteste pas.
54 LES GLADIATEURS
138 Ce rite est attesté seulement par Ovide, Fastes, TV, 681-682 :
Cur igitur missae vinctis ardentia taedis
terga feront volpes. . .
cf. H. Le Bonniec, Le culte de Cérès, p. 115-123 : «On voit avec raison dans cette venatio
la survivance d'un rite italique très ancien ».
139 Nous connaissons assez mal ce rituel des Floralies; nous savons par Ovide,
Fastes, V, 371-2, que les animaux qui figuraient étaient des lièvres et des chevreuils :
Cur tibi prò Libycis claudantur rete leaenis
imbelles caprêae sollicitusque lepus?
Deux textes qui mentionnent le lièvre se rapportent sans doute à ce rite : Plaute, Persa,
435 et Martial, VI, 67, 4.
140 Servius, Ad Aen., II, 140 : . . . ludi Taurei . . . , qui ex libris fatalibus a rege Tarqui-
nio Superbo instituti sunt, propterea quod omnis partus mulierum maie cedebat; alii ludos
Taureos a Sabinis propter pestilentiam institutos dicunt, ut lues publica in has hostias ver-
teretur; on remarque que la venatio préliminaire au sacrifice est seulement supposée.
141 Tab. Eug., Ib, 40-44; Vlla, 51-54; Vllb, 1-4; cf. J. W. Poultney, The Bronze Tables of
Iguvium, Baltimore, 1959, commentaire ad locos; cf. aussi J. Heurgon, Etude sur les
inscriptions osques de Capoue dites Iuvilas, Paris, 1942, p. 83-84.
DES ORIGINES À LA FIN DU IIe SIÈCLE AVANTNOTRE ÈRE 55
142 Pline, N.H., VIII, 17, 64 : senatus consultum fuit vêtus, ne liceret Africanas in Ita-
liam advehere; contra hoc tulit ad populum Cn. Aufidius tribunus plebis permisitque cir-
censium gratta importare; sur l'identité du tribun, cf. Broughton, I, p. 420 et n. 6;
l'hypothèse de G. Rotondi, Leges publicae populi Romanae, Milan, 1912 (cf. G. Niccolini, / fasti
dei tribuni della plebe, Milan, 1934, p. 420), qui revient à placer à la fin du IIe siècle le
sénatus-consulte et le plébiscite, est peu vraisemblable, à un moment où la venatio
était entrée dans les murs depuis au moins 80 ans; alors que ce conflit est tout à fait
normal au moment où la venatio cherche à s'imposer à Rome; on remarquera dans le
texte de Pline l'emploi impropre de circensium, dû au fait que la venatio avait lieu in
circo; on retrouve une impropriété semblable chez Tite-Live, XLIV, 18, 8, et ailleurs.
56 LES GLADIATEURS
peut ne contenir qu'une injure sans fondement; cela dit, réunir des
gladiateurs deux ans à l'avance n'a rien d'invraisemblable; Clodius
pouvait dans l'intervalle les utiliser pour soutenir son action
politique.
17 - En 57, P. Vatinius est candidat à l 'édilité pour 56; qu'il
s'agisse bien de l'édilité est attesté par Cic, Pro Sest, LXIV, 135, et
surtout In Val, VII, 16, qui est une allusion à l'échec de Vatinius à cette
magistrature : te aediliciam praetextam togam, quam frustra confeceras,
vendidisse; on peut négliger une scholie de Bobbio, ad Pro Sest, LXIV,
134 : cum maxime ambirei ad optinendum tribunatum, puisqu'on sait
que Vatinius fut tribun en 59 (cf. Broughton, II, p. 190); c'est en
songeant à cette édilité que Vatinius s'était procuré des gladiateurs; Cic.
Pro Sest, LXIV, 134 : familiam gladiatoriam, credo, nactus est specio-
sam, nobilem, gloriosam. Norat studia populi, videbat clamores et
concursus futuros ... ; sur l'origine de ces combattants, cf. un
développement de Cicéron, ibid., qui est peut-être purement gratuit.
Cicéron, dans YOratio in toga candida (in Ascon, 78), dit que
Q. Gallius promit des gladiateurs au peuple (5 : Populo . . . pollicere-
tur); dans le Pro Sest, LXVIIL 124, le munus, selon lui, est donné au
défunt (13 : Q. Metello cui dabatur); cette contradiction à propos du
destinataire pose le problème fondamental de la signification du
munus à cette époque; nous l'aborderons par une étude sémantique
de ce mot.
Quelle est l'origine de sa signification gladiatorienne? Dans
l'antiquité, Tertullien et Servius avaient déjà donné leur solution; Tertul-
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 73
lien (De spect, XII, 1) : Munus dictum est ab officio, quoniam officium
etiam muneris nomen est. Officium autem mortuis hoc spectaculo facere
se veteres arbitrabantur; Servius (Ad Aen., III, 67) : quod muneri missi
erant (les captivi envoyés pour le munus de Brutus Pera), inde munus
appellatum ; l'explication de Servius, évidemment fantaisiste, peut être
négligée d'emblée; celle de Tertullien: munus = officium mortuorum,
paraît s'imposer a priori, tant elle coïncide avec les origines connues
de la gladiature, et les modernes l'ont acceptée sans discussion1; or
elle ne peut être maintenue.
On se souvient qu'Ap. Claudius Pulcher comptait se présenter à
l'édilité pour 56 (14-15) et qu'il avait réuni une troupe de gladiateurs,
ainsi qu'un mobilier important pour les ludi qu'il devait offrir à cette
occasion - dont une statue qui décorait la tombe d'une courtisane de
Tanagra; or, dit Cicéron, De dom., XLIII, 111 : Hoc (cette statue)
quidam homo nobilis (Ap. Claudius) . . . ad ornatum aedilitatis suae depor-
tavit Etenim cogitarat omnes superiores muneris splendore superare.
Itaque omnia signa, tabulas, ornamentorum quod superfuit in fanis et
communibus locis, ex tota Graecia atque insulis omnibus, honoris populi
Romani causa, sane frugaliter, domum suam deportavit; ces uvres
d'art que Cicéron appelle ornatus aedilitatis (la liaison etenim le
prouve), c'est ce grâce à quoi Ap. Claudius compte donner un munus
splendide qui lui permettra de surpasser tous ses prédécesseurs : il
est clair qu'il ne s'agit pas ici de combats de gladiateurs (cet ornatus
serait incompréhensible), mais des ludi de son édilité; ces uvres
d'art doivent décorer la ville ainsi que le théâtre lors des scaenici (et
peut-être le cirque pour les circenses)2; on devine un emploi de
munus, se rapportant à ce qu'un magistrat offre au peuple à l'occasion
de ses ludi; mais on peut préciser davantage et dégager un emploi du
mot plus restreint.
Reportons-nous au munus offert par Murèna en 65 (7); on observe
une équation surprenante : le texte de Cic, Pro Mur., XXVI, 53, prae-
3 Le terme générique employé est toujours celui de ludi, qui ne peut s'appliquer à
des combats de gladiateurs, sauf à basse époque (P. J. Meier, Ath. Mitt, 1890, p. 165;
G. Lafaye, p. 1564, n. 11; G. Ville, MEFR, 1960 p. 330; j'ajoute que ce sens se
rencontre chez Tertullien, De Spect., XII, 7); les précisions du Pro Murena ne concernent que
des ludi scaenici, en particulier la scaena argentea qui fit une forte impression sur les
futurs électeurs et dont Pline, N.H., XXXIII, 16, 53, a aussi fait mention.
4 Peut-être avons-nous ce sens chez Cicéron, Ad Ait., TV, 17, 2 (cf. 20) et Ad fam., XI,
16, 3 (cf. 24): quand munus signifie «combats de gladiateurs», Cicéron précise
toujours par un déterminant, si le contexte est équivoque; mais, comme ici l'interlocuteur
est au courant, cette précision a pu être sous-entendue; par contre, nous avons
incontestablement ce sens dans deux passages du De officiis; en II, 16, 57 : P. Crassus . . .
functus est aedilicio maximo munere (pour cette édilité cf. Broughton, I, p. 568), où, de
toute évidence, le mot ne s'applique qu'aux ludi d'édilité de ce dernier; et en II, 17, 59 :
L quidem Philippus . . . gloriari solebat se sine ullo munere adeptum esse omnia quae
haberentur amplissima, où la traduction «sans avoir donné aucun spectacle» ne fait
aucun doute; c'est encore sur ce sens que Cicéron joue à deux reprises dans les Verri-
nes; en 1, 12, 36 : hoc munus aedilitatis meae . . . polliceor, où l'on remarquera aussi la
valeur forte de polliceor; et en II, 1, 5, 14 : non vereor ne . . . ullum munus aedilitatis
amplius aut gratius populo Romano esse possit; c'est enfin ce sens que nous avons, de
toute évidence, dans la lettre Ad fam., XI, 16, 3 : cf. 24, cf. aussi / et 12.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 75
5 On peut encore éclairer, par ce qui vient d'être dit, le sens de munera dans Cic,
De off., II, 18, 63 : Atque haec benignitas etiam rei publicae est utilis, redimi e servitute cap-
tos, locupletari tenuiores . . . Hanc ego consuetudinem benignitatts largitioni munerum
longe antepone.
6 Marx, 676: a Metello... munere («du munus métellien»); Warmington, 637,
adopte un texte différent et préférable : a Metellorum . . . munere; Marx, 149 =
Warmington, 172 : Flaccorum mune(re); dans ce second passage, munus n'est qu'une
correction, mais qui ne paraît faire aucun doute.
7 Pro Sul., XIX, 54: munus Fausti (cf. 10); Pro Sest., LVIII, 124: munus Scipionb
(cf. 13).
8 De harusp. resp. XXVI, 56 : munera . . . gladiatoria; De off., II, 16, 55 : gladiatorum
muneribus.
9 Auguste, Res Gestae, XXII, 1; Tite-Live, Epit. XVI; XXXI, 50, 4; XLI, 20; Vitruve,
V, 1, 2; X, 3; 28, 1 1 ; Val-Max., 1, 7, 8,; 11, 4, 7; Veli Pat., II, 56, 1; 100, 2; Sénèque, De
brev. vit., XVI, 3; Pline, N.H., III, 11, 45; VIII, 2, 4; XXV, 7, 52; Pline utilise aussi une
autre détermination (XXXIII, 3, 53) : munere patris funebri; cf. XXXVI, 15, 116; ou la
détermination par le nom de l'éditeur : VIII, 2, 4-5.
76 LES MUNÉRAIRES
spectacle lui-même14 : il est significatif que la lex Tullia ait gardé cette
formulation, malgré ses ambiguïtés. Sous l'Empire, l'emploi subsiste,
mais concurrencé par munus (surtout à l'ablatif, qui paraît n'être plus
qu'une survivance15 un peu archaïsante); si donc gladiatores est en
régression à partir du moment où munus progresse, il est probable
que celui-là est antérieur à celui-ci; et, de toute manière, le
développement de cet emploi de gladiatores ne peut s'expliquer que parce que la
langue a dû suppléer à la carence d'un mot propre; c'est dire que
l'absence seule de munus avec ce sens peut expliquer l'emploi de
gladiatores avec le sens de «spectacle gladiatorien».
D'où l'on voit que le langage a promu au rang de générosité par
excellence les spectacles qu'un magistrat ou un privât us offrait au
peuple à des fins dont nous verrons maintenant qu'elles étaient le
plus souvent électorales; et, parmi ces spectacles, il a privilégié les
combats de gladiateurs comme cadeau-spectacle par excellence;
munus est devenu «cadeau fait à l'électeur»; par un paradoxe qui
mérite d'être signalé, mais qui linguistiquement ne fait aucune
difficulté, ce processus est arrivé à son terme alors qu'à Rome le munus
était depuis longtemps dépouillé de ce privilège, c'est-à-dire sous
l'Empire.
14 Pro Sest., LIX, 126; Ad Att., II, 1, 1; Ad fam., XVI, 20; Pro Mur., XXXII, 67 : Pro
Sest., LXIV, 135; Phil I, XV, 36; IX, VII, 16; Ad Att., I, 1, 5; 16, 11; II, 19 3; 24, 3; IV, 11,
1; VI, 3, 9; Ad fam., X, 32, 3; XVI, 20.
15 Thesaurus, s.v. gladiator, p. 2007-2008.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 79
20 Ce point a été parfaitement vu par L. Ross Taylor, Party politics in the âge of
Caesar, Berkeley, 1949, p. 30-31; elle pense que Yeditio d'un munus funèbre au cours de
l'édilité était décidée lorsqu'était envisagée une candidature au consulat.
82 LES MUNÉRAIRES
2) In Vat, XV, 37 : cum mea lex dilucide vetet biennio, quo quis
petat petiturusve sit, gladiatores dare, nisi ex testamento praestituta die.
3) Schol. Bob., ad Pro Sest, loc. cit. : Perscribebatur inter cetera,
ne candidatus inter biennium quam magistratum petiturus esset munus
populo ederet
Il faut supposer que Cicéron abrège chaque fois sa loi; pour avoir
le texte complet, il suffit d'en contaminer les deux versions - je garde
la transcription au style indirect : . . . biennio quo quis petierit, petat,
petiturusve sit gladiatores dare, nisi ex testamento praestituta die.
Le terme final de l'interdiction est probablement le jour de
l'élection; ce ne peut être en effet celui du dépôt de la candidature entre
les mains du président des comices, car il n'est pas concevable que la
loi cesse de jouer alors qu'il reste une période plus ou moins longue
avant le vote; ce ne peut être non plus le jour de l'entrée en charge,
comme pense Mommsen23 (ou le 1er janvier de l'année qui suit
l'élection), car la littéralité du texte (petat, petierit, etc . . . ) paraît s'y
opposer, tout comme la logique : dès que le magistrat est designatus, les
manifestations de son ambitus cessent d'être gênantes. Pour le terme
initial, on peut hésiter entre deux possibilités : faut-il compter à
rebours deux ans pleins à partir du vote, ou considérer que la loi vise
seulement l'année astronomique au cours de laquelle a lieu l'élection
et l'année qui la précède? Cette seconde hypothèse me paraît la
bonne et c'est ainsi que j'entends le bienno quo de Cicéron et la
formule inter biennium du Scholiaste24; donc, lorsque quelqu'un désire
briguer une magistrature, il lui est interdit de donner un munus entre
le 1er janvier de l'année précédant l'année de l'élection, et la date de
l'élection elle-même25.
Pour le reste, les choses sont claires : la loi prévoit une exception
pour les editiones testamentaires (on remarque qu'elle ne dit rien sur
la personne du testateur et sa parenté avec l'éditeur), mais à condition
que le testament en ait fixé la date : ainsi faut-il entendre praestituta
die; cette clause ménageait des scrupules religieux qui pouvaient
subsister encore; mais, par l'obligation de la date, elle empêchait que
ceux-ci ne pussent servir trop facilement à tourner la loi. Enfin, seuls
sont visés les combats de gladiateurs; les exemples que j'ai réunis
prouvent amplement que dare gladiatores est synonyme de dare
munus gladiatorium et ne saurait s'appliquer à une venatio, même
gladiatorienne; on peut tenir maintenant que, dans sa discussion avec
Vatinius (Pro Sest, LXIV, 135) à propos de ce point, Cicéron est de
mauvaise foi sur la signification d'un texte qui émane pourtant de lui.
26 Pline, Ep., VI, 34, 1 : cujus (la femme de son correspondant Maximus) memoriae
ant opus aliquod aut spectaculum debebatur; le même Pline, Ep. V, 11, 1-2, félicite son
grand-père par alliance d'avoir offert, à la ville de Corne, un très beau portique en son
nom et au nom de son fils défunt (qui était le beau-père de Pline). Pour limiter nos
exemples au cercle de Pline, on citera encore CIL, V, 745, de Corne : c'est la dédicace,
peut-être par Pline, d'un temple dédié à YAeternitas de Rome et d'Auguste et qui fut
commencé par son père, au nom d'une Caecilia, défunte, qui devait être la sur de
Pline.
27 II est probable (bien qu'on ne puisse toutefois l'assurer) que les munera
testamentaires visés par la lex Tullia de ambitu étaient ceux qui faisaient de Yeditio d'un
munus la condition de l'entrée en possession de l'héritage; j'ajoute que le praestituta
die de la loi ne doit naturellement pas être entendu comme une date absolue, mais
une date par rapport au jour du décès.
28 Ce Staberius exigea par testament que ses héritiers gravent sur son tombeau le
montant de la succession, les condamnant, s'ils ne le faisaient pas, à donner au peuple
un munus avec 100 paires de gladiateurs, un epulum «au goût d'Arrius», et une
distribution de blé - ce que récoltait l'Afrique en un an; Horace, Sat, II, 3, 84 :
Heredes Staberi summam incidere sepulcro;
ni sic fecissent, gladiatorum dare centum
damnati populo paria atque epulum arbitrio Arri,
frumenti quantum metit Africa . . .
Porphyrion ad hune loc, ne dit rien de plus qu'Horace; il est très probable que Stabe-
86 * LES MUNÉRAIRES
mort s'assurait par avance qu'une libéralité posthume serait bien faite
en son nom et qu'un dernier favor viendrait honorer sa mémoire.
Il semblerait que le favor d'un munus testamentaire dût tout
entier revenir au mort; et il est significatif que Staberius conçoive
Yeditio en son nom d'un munus de ce type comme une menace et une
sanction à l'encontre d'héritiers négligents. Mais il est clair aussi, dans
le cas des deux autres probables munera testamentaires connus, que
leurs éditeurs, Milon et Curion, entendaient confisquer l'essentiel du
favor, ne serait-ce que par l'éclat exceptionnel donné au munus et par
l'empressement mis à en assumer la charge; outre que, dans le cas des
Curions, le père a pu mettre quelque bonne volonté à permettre à son
fils cette appropriation. Il va sans dire que, lorsque aucun testament
n'imposait Yeditio, la confiscation devait être encore plus aisée et, à la
fin de la République, à peu près totale : lorsque l'éditeur était un
homme politique, les conditions de la compétition pour les honores
ne permettaient pas qu'il en fût autrement.
Au demeurant, il en était presque toujours ainsi : si l'on excepte le
munus (ou plutôt la menace de munus) des héritiers de Staberius, les
seuls munera que nous connaissions à la fin de la République ont été
offerts par des hommes engagés dans la carrière des honneurs; sans
doute sommes-nous loin de connaître toutes les editiones, mais il est
significatif que nos sources n'en prêtent aucune à ces riches
chevaliers romains que la banque, la ferme des impôts et le grand
commerce auraient mis en mesure de financer sans peine un munus à
Rome.
Dans toute générosité faite par un vivant au nom d'un mort (sauf
dans le cas limite du don strictement imposé par celui-ci et réalisé
sans aller au-delà de ses volontés), il est inévitable qu'une part du
favor aille au vivant; inversement, alors même que le vivant a
confisqué l'essentiel de ce favor, il en reste toujours un peu pour le mort :
c'est là tout ce qui subsiste (et qui tend vers zéro) de la vocation
funéraire du munus à la fin de la République29.
rius n'était pas un homme politique; la mention d'Arrius nous permet d'avoir une idée
de la date : il s'agit de Q. Arrius, ami de Cicéron, qui donna en 59 un très brillant
epulum funéraire (Cicéron, In Vat., XII-XIII, 30-32); le testament de Staberius est donc
postérieur à cette date; il est probable qu'il n'en est pas trop éloigné, car il suppose
que Yepulum d'Arrius est encore présent dans les esprits; il est certainement antérieur
à la mort de César; le munus est d'ampleur assez considérable; la quantité de blé à
distribuer n'est qu'une hyperbole - d'Horace?
29 II resterait, pour élucider complètement la nature du munus à la fin de la
République, à analyser le rapport exact qui s'instaure entre l'éditeur et son public; nous
considérerons ce problème à propos du munus municipal.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 87
30 Je ne mentionnerai pas là le décret qui aurait été pris en 44, avant les ides de
Mars, et qui aurait enjoint à tous les munéraires d'offrir à César une journée de leur
munus, car cette mesure est certainement postérieure à la mort du dictateur et revêt,
de ce fait même, une signification funéraire.
31 C'est à un munus que Sulla rencontre sa dernière femme Valeria; Plutarque,
Sul, XXV, 3 (la localisation au théâtre est une inadvertance de Plutarque). Autres
faits: En 64, une Vestale donne des places à Murèna pour un munus; Cicéron, Pro
Mur., XXXV, 73 : locum suum gladiatorium concessit; en 61, Cicéron est acclamé
gladiatoribus (Cicéron, Ad Att., I, 16, 1 1 ; sur la valeur de l'expression, cf. p. 66, 67) ; en avril ou
mai 56, Cicéron évoque deux munera récents (duobus his muneribus) où parurent des
combattants qui avaient été vendus par Atticus et lui-même : Cicéron, Ad Att., IV, 4a, 2;
88 LES MUNÉRAIRES
8, 2; cf. p. 271 ; il est possible que les mêmes aient encore vendu des gladiateurs en 45 :
ibid., XIII, 37, 4; en 51, Cicéron, Ad fam., II, 8, 1, se plaint que Caelius n'écrive que pour
lui raconter des choses qu'il juge frivoles, telles des gladiatorum compositiones (qui se
rapportent, selon toute apparence, aux munera offerts cette année-là); entre 47 et 44,
Cicéron, Ad fam., XVI, 20, autorise Tiron à assister à un munus (tu potes kalendis spec-
tare gladiatores); en 44, après la mort de César, les citoyens manifestèrent
gladiatoribus : Cicéron, Phil, I, 15, 36; cf. encore //, 19, 21.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 89
Caes., VI, 5. Pline, N.H., XXXIII, 16, les confond avec le munus funèbre
que César donna cette année-là (cf. 23), mais nous renseigne sur leur
déroulement : omni apparatu harenae argenteo usus est, ferasque etiam
argenteis hastis incessivere tum primum noxii; Suétone emploie le
pluriel venationes; je montrerai que la venatio des édiles est un appendice
de leurs ludi; César, au cours de son édilité curule, donna les ludi
Romani et les ludi Megalenses ;- faut- il penser qu'il donna chaque fois
une venatio ? Ce n'est pas nécessaire, car venationes s'emploie au
pluriel pour désigner un ensemble de chasses données dans une même
circonstance: cf. Cic, Ad fam., VII, 1, 3 (voir 40); Suétone, Caes.,
XXXIX, 4 (voir 45); id, New, IV, 3 (voir 68-69); de l'exemple cicéro-
nien, on peut déduire que le singulier venatio peut s'appliquer à une
phase de spectacle ininterrompue qui durait une demi-journée (ce qui
ne veut pas dire que le mot a toujours ce sens restrictif); dans ces
conditions, nous ne pouvons dire si César donna une ou deux
venationes.
34 - En 61, le 23 septembre, l'édile curule L. Domitius Ahenobar-
bus (cf. Broughton, II, p. 179) donna une venatio dont Pline, N.H., VIII,
36, nous a conservé une description et la date : annalibus notatum
est . . . Domitium Ahenobarbum aedilem curulem ursos Numidicos cen-
tum et totidem venatores Aethiopas in circo dedisse; miror adjectum
Numidicos fuisse, cum in Africa ursum non gigni constet; cf. Solin,
XXIX, 10; sur la dernière remarque de Pline, qui est injustifiée, cf.
F. Drexel chez Friedlànder, Sittengeschichte, 9e édition, vol. IV, p. 270.
35 - En 59, lors de son premier consulat, César donna des
spectacles, dont une venatio, et fit d'importantes largesses (Appien, B.C., II, 2,
13). Appien présente le vote du grand commandement de César (lex
Vatinia d'avril 59; cf. J. Carcopino, César, p. 727-728) comme une
conséquence de ces générosités, ce qui nous permet de dater la
venatio, si la remarque est exacte, des premiers mois de 59.
légende amplifia vite cette misericordia et Pline, N.H., VIII, 7, 21, écrit :
sed Pompeiani (les éléphants), amissa fugae spe, misericordiam vulgi
inenarrabili habitu quaerentes supplicavere, quadam sese lamentatione
complorantes, tanto populi dolore, ut oblitus imperatoris ac munificen-
tiae honori suo exquisitae flens universus consurgeret dirasque Pompeio,
quas ille mox luit, imprecaretur; Dion Cassius, XXXIX, 38, 2-5, plus
réservé sur la misericordia du public décrit la mort pathétique des
bêtes blessées et rapporte la légende d'un serment qu'on aurait fait
aux éléphants, avant qu'ils montent sur les vaisseaux, qu'on ne leur
ferait aucun mal. Dans les quatre premières journées, il y eut aussi
d'autres animaux : on égorgea 410 panthères (Pline, N.H., VIII, 17, 64);
on présenta un chaus, appelé rufius par les Gaulois, notre loup-cer-
vier, qu'on vit pour la première fois, Pline, VIII, 19, 70 et 22, 84; des
singes d'Ethiopie (??p??), animal qui ne parut plus à Rome par la
suite (ibid.), un rhinocéros (VIII, 20, 71).
32 Ce lien avec l'édilité est encore attesté, un peu après la fin de la période, par
Varron, De re rust., III, 13, 3. Voir page 123, n. 42.
33 Ajoutons à ceci qu'en 95 Sulla, selon ses dires, fut battu à la preture (29) parce
que la foule voulait le contraindre à revêtir auparavant l'édilité, pour qu'il donne une
venatio.
34 Ce silence est normal à propos des circenses, que Murena a obligatoirement
organisés et qui font partie de la routine, si l'on peut dire, des ludi Apollinares; il ne le
serait pas pour une venatio.
96 LES MUNÉRAIRES
35 L. R. Taylor, A. J. Ph., 1939, p. 194-202, a établi que Cicéron avait été édile
plébéien et non édile curule (cf. Broughton, II, p. 132; p. 136, n. 5; H. Le Bonniec, Le
culte de Cérès à Rome, Paris, 1958, p. 350-352); dans le Pro Murena, XIX, 40, évoquant
les trini ludi qu'il organisa durant sa charge, il ne souffle mot de venatio; or le fil de
son raisonnement est le suivant : bien que j'aie donné trois fois des jeux au cours de
mon édilité, j'ai éprouvé quelque inquiétude, lorsque je fus candidat au consulat, en
pensant à l'éclat des scaenici de mon compétiteur Antoine; il est clair que, s'il avait
donné une venatio, il la mentionnerait; au reste, dans le De off., II, 17, 59, il tire vanité
de ce que son édilité lui coûta peu : sane exiguus sumptus aedilitatis.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 97
(Ad fam., VIII, 8, 10), fait explicitement, de la venatio, une partie des
ludi ; quae ad ludos ei advectae erant Africanae. Mais ce rapport entre
ludi et venationes quasi régulières doit être précisé.
Nous connaissons le jour où furent données deux venationes : le
23 septembre 61, par l'édile curule Domitius Ahenobarbus (34), et, au
début de la période précédente, le 14 juillet 44, par le préteur urbain
Brutus (63); il est clair que, dans le premier cas, nous sommes au
moment des Ludi Romani et, dans le second cas, des Ludi Apollinares;
précisons : la venatio de Brutus doit avoir lieu postridie ludos
Apollinares, «le lendemain des Jeux Apollinaires»; ces ludi durent sept jours,
du 7 au 13 juillet, et la venatio est offerte le 14; les Ludi Romani se
déroulent du 4 au 19 septembre : la venatio de Domitius, donnée le 23,
a donc lieu quatre jours après leur achèvement; sans doute faut-il
expliquer par Yinstauratio de plusieurs journées qu'elle n'ait pas eu
lieu tout de suite après.
Ceci éclaire parfaitement la place de la venatio dans les ludi : ils
comportent un programme fixe de scaenici (au début) et de circenses
(à la fin); par exemple, les seize journées des Ludi Romani se
décomposent ainsi : 4-12 septembre, scaenici; 13 septembre, epulum; 14
septembre, probatio equorum; 15-19 septembre, circenses (Habel, REPW,
loc. cit.); sous peine de sacrilège, les édiles ne peuvent pas modifier
cette disposition ni, par conséquent, offrir de venatio avant la fin des
ludi37; s'il est possible d'extrapoler la distinction que fait le
commentaire des Ludi Saeculares entre ludi sollemnes et ludi honorant, on
peut dire que la venatio appartient toujours au programme des ludi
honorant; cf. 70, et p. 12338.
Appendice facultatif et récent, il ne semble pas qu'elle participe à
leur sacralité; une évolution est en cours, dont le terme évident ne
peut être, à plus ou moins long terme, que l'insertion de la venatio
dans le programme officiel de ces ludi, comme cela s'était passé pour
le théâtre, avec une ou plusieurs journées obligatoirement réservées à
son édition; mais cette évolution n'aboutira pas : la venatio était
destinée à rester le spectacle le plus purement profane du monde romain;
au moment où les ludi allaient la sacraliser en l'annexant totalement à
37 En 42, lors des ludi Ceriales, les édiles plébéiens offrirent un munus à la place
des circenses, conduite qui semble avoir été considérée par les contemporains comme
sacrilège; cf. 46.
38 Un texte de Superaequum (CIL, XI, 3314), très tardif (année 271), nous montre
une innovation locale qui est en fait une curieuse survivance de cette formule : . . . hic
ob honorem aedilitatis L. Vibi Ru[ti]li, fili sui, eq. R., at Deam Pelinam primus huic loco
venationem edidit, deinceps ludos sol[l] emnes.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 99
46 - En 42, les édiles plébéiens, nous dit Dion Cassius, XLVII, 40,
6, offrent à Cérès, au lieu de courses de chars, des combats de
gladiateurs. Cette substitution eut lieu lors des ludi Ceriales d'avril, qui ne
comportaient qu'une seule journée de circenses, le 19 avril (cf. H. Le
Bonniec, op. cit., p. 315-319); ce qui donne la date de ce munus dont
on peut penser qu'il ne dura qu'un seul jour; Dion Cassius, LXVII, 40,
1, signale, que cette innovation passa rétrospectivement pour un
prodige annonciateur de la bataille de Philippes; il ne voit dans ce fait
qu'un s?µe??? produit par une action humaine fortuite, mais il est
probable qu'on y vit aussi une « faute religieuse » (Le Bonniec, op. cit.,
p. 329).
47 - Avant Actium, Marc-Antoine entretenait à Cyzique des
gladiateurs pour un munus qu'il voulait donner à l'occasion du triomphe
qui suivrait sa victoire sur Octavien; Dion Cassius, LI, 7, 2. Ces
gladiateurs restèrent jusqu'au bout fidèles à Antoine.
48 - Par Dion Cassius, LI, 22, 4-9, nous connaissons les spectacles
qu'Octavien donna en août 29 pour l'inauguration de Yaedes lulii : une
Troja, des circenses, une venatio (cf. 65) et un spectacle gladiatorien,
qui comporta deux parties : 1) des monomachies, où combattit entre
autres un sénateur nommé Q. Vitellius; 2) un combat gregatim, au
cours duquel des prisonniers daces et suèves furent mis aux prises et
100 LES MUNÉRAIRES
23 avril 27 (cf. REPW, s.v. Ti. Julius Caesar, n° 154) et son premier
mariage (à une date inconnue, mais tôt sans doute, car il avait été
fiancé étant encore enfant : ibid.); Suétone ajoute que Tibère donna
aussi des jeux (dédit et ludos, sed absens); rien ne prouve qu'il s'agisse
de ludi funèbres et la précision sed absens suggère qu'il n'en donna
qu'une fois - sans doute dans une circonstance qui nous échappe;
munera et ludi furent magnifiques; Livie et Auguste les financèrent
(Suétone, ibid. : cuncta magnifice, impensa matris et vitrici); malgré
cette contribution d'Auguste, je ne pense pas qu'il faille compter ces
deux munera parmi les sept dont Auguste dit, dans les Res gestae,
XXII, 1, qu'il les donna au nom de ses fils et de ses nepotes.
* 53 - En 23, Marcellus donna, selon Velleius Paterculus, II, 93, 1,
un très magnifique munus d'édilité (magnificentissimo munere
aedilitatis) ; mais j'ai montré qu'ici aussi il fallait très probablement entendre
munus dans le sens général de spectacles, et les sources qui nous font
connaître ceux-ci n'évoquent que des scaenici (Properce, III, 18, 11-20;
Dion Cassius, LUI, 31, 2-3); la mention d'un vélum qui fut suspendu
durant tout l'été au-dessus du forum pourrait faire penser à un grand
munus (Dion, loc. cit.), si Pline, N.H., XIX, 6, 24, ne nous disait que ce
fut sine ludis, et seulement ut salubrius litigantes consistèrent.
qu'à défaut du Forum on eut recours aux Saepta; Dion ne dit pas qui
fut l'éditeur; la liste des munera donnés par Auguste en son nom
propre étant close, il ne fait aucun doute que le munus fut offert par lui
au nom de ses fils - le troisième de cette seconde série (Res gestae,
XXII, 1); il y a un lien évident, dont la raison exacte m'échappe, entre
cela et le fait que tous trois ne revêtirent pas la tenue de deuil; cf.
encore 56, à propos d'un rapport possible avec Suétone, Aug., XLIII,
13.
filius; reste Drusus, qui n'entre ni dans cette catégorie, ni dans celle
des nepotes. L'omission des mots et pnvigni, qui allège le texte d'un
détail oiseux, ne fait pas de difficulté majeure (de toute manière, le
p??? de Dion Cassius, s'il suggère autre chose que le nomine des Res
gestae, paraît le recouvrir, et nous connaissons par ailleurs les trois
munera qu'Auguste donna en son nom propre). Il nous faut donc
trouver au moins deux noms pour les nepotes; si l'on entend ce dernier
mot dans son sens strict, il ne peut s'agir que de Drusus II et de
Germanicus, tous deux fils - le dernier adoptif- de Tibère; nous
connaissons un munus qu'ils donnèrent de concert, mais ce fut en 15, après la
mort d'Auguste (79); dès lors deux hypothèses sont possibles : 1)
Germanicus et Drusus II ont donné du vivant d'Auguste un munus financé
par lui et nous n'en aurions pas trace dans nos sources; 2) ce munus,
offert par Auguste au nom des nepotes, est celui de Germanicus et de
Claude (qui serait ainsi le dernier dans la série de ceux qu'Auguste ne
donna pas en son propre nom); assurément la désignation de Claude
comme nepos serait surprenante; mais il n'est pas absurde que, dans
une rédaction volontairement rapide, Auguste ait appelé ainsi le nepos
(dans le sens, il est vrai bien rare, de «neveu») de son fils adoptif et
son propre petit-neveu (Claude étant le petit-fils de sa soeur Octavie);
la difficulté n'est guère plus grande que celle à quoi aboutit l'omission
de la parenté de Drusus, et l'éclat que paraît avoir eu ce munus, dont
la venatio fut particulièrement remarquable (cf. 76), s'expliquerait
mieux ainsi. En outre, il serait normal qu'Auguste ait fait pour Drusus
ce qu'il fit pour Agrippa et qu'il ait financé le munus que ses fils
donnèrent en son honneur. Je ne vois pas le moyen de choisir entre ces
deux hypothèses.
62 - A la fin du récit des événements de 11, Dion Cassius
rapporte que les chevaliers romains reçurent le droit de se faire
gladiateurs; les combats où ils furent engagés eurent un succès si grand
qu'Auguste assista au munus, où il parut aux côtés des préteurs qui
l'avaient organisé (il s'agit du munus qui était donné annuellement
par deux préteurs tirés au sort). Le texte de Dion peut s'appliquer à
l'année 11, mais aussi aux années qui suivirent (Dion Cassius, LVI, 25,
7-8). Voir page 119.
qui était préteur urbain en 44 et qui à ce titre avait la charge des ludi
Apollinares, envisageait de donner une venatio en supplément à ceux-
ci au lendemain de leur célébration (postridie) - donc le 14 juillet;
Brutus, qui avait dû quitter Rome en avril 44 à cause des dangers qu'il
y courait (REPW, s.v., n° 53), avait confié à d'autres l'organisation de
ces ludi (Cic, Ad Att., XV, 12, 1), en particulier à Atticus, qui paraît
avoir joué un rôle important dans leur préparation (Cic, Ad Att, XV,
18, 2; XVI, 5, 1); il chargea son collègue C. Antonius de leur
présidence (Appien, B. C, III, 23 : ?p?? ????t??, et Dion Cassius, XLVII, 20,
2, qui confond toutefois Brutus et Cassius); mais les ludi furent
donnés en son nom : Cic, Ad Att, XV, 11, 2, constituit . . . ut ludi absente se
fièrent suo nomine (pour une procédure semblable, cf. 73). C.
Antonius (ou peut-être ceux qui avaient organisé les jeux), comme il paraît
ressortir des lettres à Atticus, XVI, 4, 1 et XVI, 1,1, avait employé dans
l'annonce de leur ouverture (?), qui était le 7 juillet, l'expression nonis
Juliis (et non point QuintilibusÎ); d'où l'émoi de Brutus (conturbatus)
et sa lettre. Si on lit le texte de Cicéron dans la version des manuscrits
(que je donne), il faut entendre que Brutus allait écrire à Rome pour
que l'annonce de la venatio soit faite le troisième jour avant les ides
de juillet - le 13 juillet -, c'est-à-dire la veille même de la venatio; ce
qui n'a rien d'anormal : nous verrons que, lors des ludi Saeculares de
17 (70), l'annonce de la venatio eut lieu aussi la veille de Yeditio; mais,
si l'on considère le contexte, il est clair que ce n'est pas cela que
voulait dire Brutus : il n'entendait pas seulement faire part à Cicéron
d'une expression dont il userait dans sa lettre - ce qui serait une
réplique anodine à la manuvre de C. Antonius employant Juliis sur
l'affiche des ludi; il lui fait part de la formule dont il demanderait l'emploi
sur l'affiche elle-même qui annoncerait la venatio. Beaucoup
d'éditeurs ont compris ainsi, qui ont corrigé le texte et ajouté in devant 77/
à la suite de Wesenberg (correction toutefois rejetée par Orelli) :
«qu'ils affichent la venatio pour le troisième jour avant les ides de
Quintilis»; mais ont introduit par là une absurdité dans le texte, en
faisant annoncer à Brutus, pour le 13 juillet, une venatio dont il vient
d'être dit qu'elle doit avoir lieu le 14 juillet. En réalité, la lettre de
Cicéron devait porter : «pour la veille des ides de juillet»; mais,
contrairement à l'usage le plus fréquent, le texte devait être, non pas :
in pridie idus Quintiles, mais : in II idus Quintiles; ce qui explique la
confusion, paléographiquement très justifiable, entre IN II et III.
J. Carcopino, Scrit in on. di B. Nogara, Cité du Vatican, 1937, p. 66-68,
a réuni plusieurs exemples où l'emploi de H à la place de pridie a
entraîné une faute que le contexte ou la tradition manuscrite
permettent de rectifier; ainsi, pour un cas proche du nôtre : Ad Att- 1, 16, 13,
108 LES MUNÉRAIRES
où les éditeurs donnent : comitia in ante diem VI Kal. Sext. dilata sunt,
mais où la leçon d'un manuscrit madii Kal. oblige à restituer : in a. d.
II Kal. Sext. Pour cette venatio, Brutus avait acheté de nombreuses
bêtes; il voulut que toutes fussent utilisées, sans en garder ou
revendre aucune (Plutarque, Brut, 2-3). Sur l'éclat que revêtirent ces jeux,
cf. encore Cic, Ad Att., XV, 18, 2 (ludorum sumptuosorum); Phil., X, 3, 7
(ludos prò sua populique Romani dignitate apparatos); Appien, B.C., III,
3, 23, 24 (T?a? . . . p???te?est?ta?) ; leur succès fut grand (Cic, Phil.,
I, 15, 36; II, 13, 31; X, 4, 8), avec toutefois des réserves (Cic, Ad Att.,
XVI, 5, 1; Appien, loc. cit.); sur Yambitus de l'éditeur qui espérait, par
ces ludi, modifier en sa faveur les sentiments de la masse romaine, cf.
Appien, B. C, III, 3, 23 (à ces références qui se limitent à l'essentiel,
on ajoutera, à propos des scaenici, Cic, Ad Att, XVI, 2, 3 et 5, 1).
venatio, des Daces combattirent contre des Suèves (Dion Cassius, LI,
22); des Daces seuls il est dit qu'ils avaient été faits prisonniers, mais
il ne fait aucun doute que les Suèves sont aussi des prisonniers de
guerre. A première vue, on pourrait penser qu'il s'agit du second acte
du munus où combattit le sénateur Q. Vitellius (cf. 48); mais, dans
l'énumération de Dion, on a vu que ces combats gregatim se plaçaient
immédiatement après la venatio (laquelle les séparait justement du
munus en question); nous avons donc une formule semblable à celle
que César inaugura 17 ans plus tôt, lors de la venatio de ses triomphes
(45), où un grand combat gregatim clôtura un spectacle de cinq jours.
66 - En 25, le préteur P. Servilius (qui n'est pas autrement connu
(REWP, s.v., n° 26) donne une grande venatio; Dion Cassius, LUI, 27, 6.
Il est probable que Servilius était préteur urbain et qu'il donna sa
panégyrie à l'occasion des ludi Apollinares (la cura ludo rum ne sera
confiée aux préteurs que trois ans plus tard).
67 - En 20, les édiles célèbrent l'anniversaire d'Auguste (23-24
septembre; pour ce double anniversaire, cf. J. Gagé, op. cit., p. 181)
par des circenses et une venatio, donnés à titre privé : Dion Cassius,
LIV, 8, 5.
68 -* 69 - On a vu le difficile problème posé par le munus que
donna L. Domitius Ahenobarbus (54); le problème est plus compliqué
encore pour ses venationes - car Suétone, Nero, IV, 3, emploie le mot
au pluriel : venationes et in circo et in omnibus urbis regionibus dédit; il
n'est pas impossible qu'il y ait eu un ensemble de chasses, données, en
partie au Circus maximus, en partie dans les différents quartiers de la
ville, pour une occasion unique (en ce cas l'emploi du pluriel serait
tout à fait normal : cf. 32); pour un complexe de venationes
semblables, cf. 73; cette occasion a pu être, au cours de la preture de 19, la
participation à la cura ludorum ; en ce cas, la venatio de Domitus serait
un appendice qu'il aurait donné à ses ludi; compte tenu de la
réglementation de 22, il aurait bénéficié d'une autorisation pour dépenser
plus que ses collègues et pour dépasser le plafond prévu. Mais, si le
pluriel venationes désigne plusieurs munificences différentes et que
Domitius ait donné au moins une autre venatio, il est clair qu'il faut
rapporter l'indication de Suétone à une ou à des circonstances qui
nous échappent : par exemple, à l'anniversaire de l'empereur lors de
la preture; ou encore au munus n° 54, dont la venatio serait un
appendice et qu'il faudrait, en ce cas, placer à une date postérieure à 19;
d'autres possibilités encore sont imaginables.
70 - En 17, les ludi Saeculares comprirent des ludi sollemnes, qui
furent donnés pendant tout le triduum, et des ludi honorarii, qui
110 LES MUNÊRAIRES
logue à celle que nous avons vue pour Brutus (63); 2) les spectacles
pour l'anniversaire d'Auguste (23-24 septembre; cf. 67); ils comprirent
des circenses et des venationes : une au cirque, les autres en
différentes parties de la ville (cf. 68 pour une formule semblable) ; on inférera
de la dernière phrase que Yeditio de ces spectacles n'était pas exigée
par un texte législatif; nous n'en connaissons pas l'éditeur, qui fut un
des préteurs, mais sûrement pas Drusus - bien que Dion paraisse le
suggérer -, car celui-ci est encore en Germanie en septembre (Dion,
LIV, 33). A moins qu'une procédure analogue à celle des ludi ait été
suivie et que les spectacles aient été offerts en son nom, pendant son
absence.
inconditos meatus edidere saltantium modo; vulgare erat per auras arma
jacere non auferentibus ventis, atque inter se gladiatorios congressus
edere aut lascivienti pyrriche concludere; postea et per funes incessere,
lecticis etiam ferentes quaterni singulos puerperas imitantes plenisque
homine tricliniis accubitum iere per lectos ita libratis vestigiis, ne quis
potantium attingeretur; on remarquera toutefois que Pline n'évoque
qu'une démonstration d'animaux savants; y eut-il aussi des chasses?
on ne saurait dire, mais c'est probable, s'il y eut bien une venatio
annexée au munus susdit. Elien, De nat an., II, 11, nous a laissé une
description circonstanciée de l'épisode des éléphants : T?a? ?pet??e?
'??µa???? ? Ge?µa????? ? ?a?sa?. Suit une évocation du dressage, trop
longue pour être citée, mais où on remarque que les numéros décrits
par Elien, danse et banquet, ne correspondent que partiellement, dans
le détail, à ce que rapporte Pline : danses diverses, combats
gladiatoriens simulés, funambules, transport d'un éléphant en litière,
installation dans une salle de banquet; on retrouve cependant l'essentiel : la
danse et la banquet. Elien nous donne le lieu - le théâtre ; même si ce
renseignement est exact, ce qui est probable, il n'exclut pas que ce
spectacle ait constitué un épisode du munus de 6; encore ce cadre
suggère-t-il qu'il s'agit plutôt d'un épisode de scaenici. A propos
d'éléphants funambules, cf. 81 et 105.
Il semble bien que Yhonos debitus, qu'Ovide met sur le même plan que
le templum, comprenne aussi des ludi, qui sont évoqués au vers
suivant. Dès lors, on peut proposer ceci : le 12 mai 2 avant J.-C, Auguste,
consul pour la treizième fois, fait les premiers ludi Martiales; un séna-
tus-consulte et une loi chargent les consuls de leur célébration
annuelle; seuls ces ludi sont appelés ludi Martiales (Suétone, Claude,
IV, 1) ou Areia (Dion Cassius, LVL 27, 4; 46, 4; on remarquera que ce
dernier, à propos des ludi du 1er août, se garde d'employer ce mot); le
1er août suivant est dédié le temple de Mars Ultor et, par la suite, des
ludi beaucoup plus modestes commémorent cet anniversaire. Donc
en 12, conformément au sénatus-consulte et à la loi, le consul
Germanicus (vraisemblablement avec son collègue C Capito) célèbre les
Areia du 12 mai sur le Forum d'Auguste - c'est-à-dire devant le temple
de Mars Ultor; les circenses constituaient la partie obligée du
programme (sans doute faut-il entendre l'épithète sollemnes au vers 597
d'Ovide, comme dans le commentaire des ludi saeculares; cf. 70); ces
ludi ne comportaient pas de spectacle théâtral (Ovide); la venatio fut
un supplément hors programme et facultatif; il en fut de même lors
de Yinstauratio dans le cadre rituel du circus Maximus. On ne sait si les
deux consuls co-éditèrent la première venatio; il semble que
Germanicus offrit seul la seconde; peut-être Auguste en fit-il les frais (Res
gestae, XXII, 3; cf. p. 122)? Pour dater du 12 mai les Areia de
Germanicus, on pourrait invoquer encore un argument météorologique; le
circus Maximus était inondé par le Tibre le jour de leur célébration; or à
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 1 15
avait lâchée sur Androclès; la suite nous apporte une donnée décisive
pour l'identification du munéraire : ??a t????? e???? oî ?e?µe???
e?p??tt??ta?, ?a? ? d?d??? ta? ??a? ?a?e? t?? ??d?????a ?a? t? p??
µa????e?- ?a? ????? ?? t? p????? d?a??e?, ?a? t? saf?? ? d?µ??
µa???te? e?e??????? ??ß??s?? ?fe?s?a? ?a? t?? ??d?a ?a? t?? ????ta.
Le personnage qui fit venir Androclès pour entendre son histoire était
donc l'éditeur; or Aulu-Gelle nous a dit que ce même personnage fut
«Caesar», d'où l'on voit que la venatio fut offerte par un empereur; on
sait d'autre part qu'Apion vint à Rome à l'extrême fin du règne
d'Auguste ou au début du règne de Tibère; ce que l'on sait des
editiones sous le règne de ce dernier permet de penser que cette venatio fut
offerte par Auguste; celle-ci, ainsi que la venatio évoquée par Pline,
font partie des 26 venationes qu'Auguste offrit au cours de son règne,
au témoignage de ses Res gestae, XXII, 3.
41 G. Lafaye, p. 1569; Schneider, implicitement, col. 764; Dio, loc. cit., dit : ?a? t???
µe? st?at????? t?? pa?????e?? p?sa? p???ta?e?. Bien que le terme panégyrie puisse à
l'occasion désigner chez Dion une fête comportant plusieurs spectacles (cf. 50), je
pense qu'il ne s'applique ici qu'aux ludi (pour un emploi identique, id., LIV, 17, 4), et
non point aussi aux munera; un mot de Cassius à Brutus avant les ides de mars,
rapporté par Plutarque, Brut., X, 3, doit être tenu pour apocryphe à cause de son
anachronisme : pa?? µe? t?? ????? st?at???? ep?d?se?? ?a? ??a? ?a? µ???µ?????.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 121
guïté que Yeditio des préteurs n'a été établie que postérieurement;
mais sans doute n'en avons-nous qu'on résumé; j'ajoute que cette
règle ignore les munera testamentaires à jour fixé, que la lex Tullia de
ambitu avait pris en considération 41 ans plus tôt.
3) La troisième disposition est la seule dont l'application à
Yeditio régulière ne heurte pas la logique; mais nous ignorons si le
munus des préteurs lui est effectivement soumis, ce qui est tout à fait
possible; nous verrons aussi que les munera impériaux lui échappent
totalement; il était politique, pour Auguste, de se soumettre à la
première règle et aisé d'obtenir du Sénat une dispense de la troisième.
42 C'est aux venationes de ce type qu'il faut rapporter un texte du De re rust, III, 13,
3, de Varron (publié en 35) : non minus formosum mihi visum sit spectaculum quam in
circo maximo aedilium sine Africanis bestiis cum fiunt venationes; naturellement les
édiles sont mentionnés ici, non comme les seuls éditeurs de venationes, mais comme les
plus fréquents.
124 LES MUNÊRAIRES
scaenici, Suétone dit : (Auguste) «donna des munera non seulement sur le Forum [qui
est le cadre normal traditionnel pour le combat de gladiateurs] et dans l'amphithéâtre
[qui est, en se plaçant au point de vue de ses lecteurs contemporains, le cadre normal
du combat de gladiateurs, comme de la venatio], mais encore au cirque et dans les
Saepta [cadre surprenant pour l'un et l'autre spectacle, aux yeux d'un contemporain
de Suétone - mais non point toutefois d'un contemporain d'Auguste]; et, à l'occasion,
le munus ne comporta qu'une venatio» [comprenons : il donna des venationes
indépendantes de tout combat de gladiateurs; ce que confirment les Res gestae, XXII, 1 et 3, où
Auguste s'attribue 26 venationes pour huit spectacles gladiatoriens seulement];
ajoutons, en confrontant, avec ce texte de Suétone, le passage qu'Auguste, dans ses Res
gestae, a consacré à ses venationes, que celles-ci eurent lieu sur le Forum, au cirque et à
l'amphithéâtre : donc les Saepta ne virent que des combats de gladiateurs; je signale
en outre - ce que ne disent ni Auguste, ni Suétone mais allait de soi pour leurs
lecteurs - qu'il n'y eut jamais de combats de gladiateurs proprement dits dans le cirque.
Une difficulté demeure : comme on verra infra, sur les huit mimera d'Auguste, un seul
peut-être fut suivi d'une venatio; or, si Auguste donna parfois (aliquando) un munus ne
comportant qu'une venatio, il faut sous-entendre, semble-t-il, qu'il en donna plus d'une
servant d'accompagnement à un munus; mais il y a une troisième possibilité : le munus
sans venatio; la difficulté vient de ce que Suétone décrit avec une exactitude littérale
une réalité augustéenne, mais qu'il le fait à la lumière de la réalité de son temps, avec
un mot, munus, qui peut signifier «combat de gladiateurs avec venatio», tout en
continuant à désigner aussi le spectacle gladiatorien seul et, à la limite, la seule venatio. Car,
sous l'Empire, munus devient souvent un simple synonyme de venatio : le mot désigne
un spectacle ne comprenant que des chasses. Ce sens (munus = venatio) est par
exemple normal chez Saint Augustin : Sermo XIX, 6; LI, 1; Enar. in Psalm., XXXIX, 10; CXL-
VII, 7; les munera visés dans ces textes, compte tenu du contexte historique, ne sont en
effet que des venationes; on trouve même chez saint Augustin, Contra Acad, I, 1 (2),
l'expression munera ursorum.
128 LES MUNÉRAIRES
que les munera où ces faits eurent lieu furent organisés par
l'empereur et qu'ils furent donnés d'abord aux Saepta, «qu'il fit creuser et
remplir d'eau, pour y mettre un seul bateau», puis dans une
construction improvisée, pour laquelle Caligula fit raser quelques édifices; «il
dédaigna, en effet, l'amphithéâtre de Taurus ». Il est donc possible que
Caligula n'ait donné que deux munera; le premier, qui est notre 82,
eut lieu aux Saepta; le second, où se serait passée l'anecdote du
chevalier, se placerait dans l'édifice improvisé. On ne saurait dire s'il faut
rattacher au premier ou au second l'épisode des spectateurs livrés
aux bêtes; mais cet épisode pourrait aussi appartenir à un troisième
munus, donné aux Saepta ou dans l'édifice improvisé. Reste le
creusement d'un bassin aux Saepta : sans doute un projet avorté de spectacle
aquatique, qui rendit les Saepta impraticables pour le munus pendant
un temps et explique la construction de l'édifice improvisé (puisque
l'empereur dédaigna, cette année- là seulement - cf. 91 -,
l'amphithéâtre de Taurus). Sur le cadre des munera de Caligula, cf. Suétone, Cal.,
XVIII, 1, qui contredit Dion, et 9/.
qui avaient critiqué l'un de ses munera (maie de munere suo opinatos);
une autre fois, ibid., XXVTI, 1, à cause de la cherté de la viande, il fit
dévorer, par les fauves « destinés à un munus » (dont il était l'éditeur,
puisqu'il devait nourrir les bêtes), des noxii raflés au hasard dans une
prison; ibid., XXVI, 8, un jour de munus, comme le soleil était brûlant,
il fit retirer les vela, interdit au public de sortir et présenta un
programme dérisoire (preuve encore qu'il était l'éditeur) : gladiatorio
munere, reductis interdum flagrantissimo sole velis ... ; il semble que la
plaisanterie dura du matin au soir, car nous avons, dans un ordre qui
n'est qu'à demi chronologique, les trois épisodes d'une journée
complète : le matin, les bêtes; à midi, les pégniaires; l'après-midi, les
gladiateurs. Plusieurs anecdotes de Suétone nous montrent Caligula dans
un rôle de président, et donc très probablement, mais pas forcément,
d'éditeur : ainsi Cal. XXVII, 9 : c'est l'épisode du chevalier condamné
aux bêtes (cf. 68); XXX, 7, le public lui réclame le brigand Tetrinius
(pour qu'il soit livré aux bêtes); XXXV, 4, il contraint un spectateur
pris sur les gradins de se battre. Il faut toutefois observer que Caligula
a pu intervenir ainsi dans des munera donnés par d'autres; j'omets les
anecdotes où il n'agit que comme spectateur; on ne retiendra pas non
plus le munus offert par lui (edente se) et évoqué par Suétone, Cal.,
XXXV, 2, car il n'eut pas lieu à Rome, mais à Lyon.
92 - Caligula donna aussi, au cours de circenses, des venationes
qui ne se limitèrent pas aux deux évoquées supra (82 et 87) ; Suétone,
Cal.; XVIII, 5 : Edidit et circenses plurimos a mane ad vesperam, inter-
jecta modo Africanarum venatione, modo Trojae decursione.
93 - Claude, en 41, donna un spectacle de circenses (comprenant
aussi un missus de chameaux), au cours duquel eut lieu une venatio de
300 ours et 300 Africanae (Dion Cassius, LX, 7, 3). On remarquera que
ce programme reproduit, avec des chiffres inférieurs, celui des
venationes de Caligula en 37 (82) et en 39 (87); cf. en outre 102.
94 - Dans le récit des événements de 42, Dion Cassius, LX, 13, a
inséré un paragraphe sur les munera de Claude; la phrase initiale
porte sur leur abondance, sur le goût de Claude pour ce genre de
spectacle, sur le nombre des hommes qui y périrent, soit en
combattant, soit tués par les bêtes; elle peut se rapporter à tout le règne. La
suite, qui relate les châtiments des esclaves et affranchis qui, sous
Tibère et Caligula, avaient dénoncé leurs maîtres, nous ramène
nécessairement au début du règne; «le plus grand nombre fut livré aux
bêtes au cours de ces munera»; ils furent si nombreux, que la statue
d'Auguste qui se dressait sur les lieux de Yeditio fut déplacée, pour ne
pas rester voilée tout le temps (comme elle l'était lors des exécutions).
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 135
dansée par des enfants venus d'Asie. Pour les venationes de Claude,
mêlées à des circenses, cf. 102.
97 - En 46, au cours d'un munus, le gladiateur Sabinus, ancien
commandant de la garde germaine de Caligula, fut vaincu et demanda
sa grâce, que l'empereur et le public voulaient refuser; mais
Messaline, dont Sabinus était l'amant, obtint que Claude accorde la missio :
Dion Cassius, LX, 28, 2 : t?? Saß??? ? t?? t?? ?e?t?? ?p? t?? Ga???
???a?ta (sur ces «Celtes» qui sont en fait des Germains, cf. p. 293); le
rôle du prince dans l'affaire et la participation au munus de Sabinus,
qui est selon toute probabilité un gladiateur impérial, supposent que
Claude en fut l'éditeur.
98 - En 47, à l'occasion de Yovatio qu'il accorda à Plautius pour
ses victoires de Bretagne, Claude donna un munus où combattirent de
nombreux «affranchis étrangers» (?), ainsi que des prisonniers
bretons; beaucoup y périrent, ce dont il se faisait gloire : Dion Cassius,
LX (Boissevain : LXI), 30, 3; il s'agit d'un fragment des excerpta Vale-
siana que l'on place sans certitude, mais avec une très grande
probabilité, après la mention de Yovatio, en le rattachant ainsi
implicitement à elle.
99 - En 49 ou avant, Claude qui avait fiancé sa fille à L. Silanus
donna un munus au nom de celui-ci, pour le désigner aux sympathies
de la foule; Tacite, Ann., XII, 3, 2 : gladiatorii muneris magnificentia
protulerat ad studia vulgi.
100 - En 54, au moment de son mariage avec Octavie, Néron
donne des circenses et une venatio pour le salut de Claude; Suétone,
Nero, VII, 9 : Nec multo post duxit uxorem Octaviam ediditque pro
Claudi salute circenses et venationem; les jeux furent-ils offerts, non
seulement vers le temps du mariage mais à l'occasion du mariage ? On
ne sait. Sans doute Claude en assura-t-il le financement, selon le
principe augustéen.
101 - Munera donnés par Claude à une date et pour des raisons
inconnues : Suétone, Claude, XXI, 8 : Gladiatoria munera plurifariam et
multiplicia exhibuit; sur la fréquence des munera de Claude, cf. 94;
Suétone développe ensuite l'adverbe plurifariam (« de types variés ») :
anniversarium in castris praetorianis sine venatione apparatuque, jus-
tum atque legitimum in Saeptis; ibidem extraordinarium et breve die-
rumque paucorum quodque appellare coepit «sportulam», quia, primum
daturus, edixerat «velut ad subitam condictamque cenulam invitare se
populum»; on prendra garde que les singuliers anniversarium, justum,
etc., équivalent à des collectifs : il y aurait une contradiction dans le
texte, si multiplicia renvoyait seulement à trois munera; et surtout,
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 137
la masse des participants nobles qui y furent engagés (si 400 sénateurs
y combattirent comme gladiateurs, d'autres contre des bêtes, sans
compter ceux qui parurent comme garçons de piste, on peut penser
que tous les sénateurs qui étaient en état de le faire descendirent dans
l'arène), et dans le fait que, très probablement, il n'y eut que des
nobles dans les rôles de gladiateurs ou de bestiaires : s'il y avait eu de
véritables combats de gladiateurs, il serait surprenant qu'il n'y ait pas
eu mort d'homme et, si Suétone parle de noxii, sans doute est-ce
parce que, voulant donner un munus complet, Néron devait présenter
aussi des exécutions le matin ou à midi et qu'il ne pouvait faire
paraître des aristocrates comme damnati; le rôle de ces derniers fut tenu
par d'authentiques condamnés, auxquels on fit grâce pour la
circonstance. Suétone a retenu que, parmi les sénateurs et les chevaliers
engagés, il y en avait qui avaient une fortune et une réputation
intactes; cette remarque est ambiguë : Suétone paraît croire que les autres
participants n'étaient pas dans ce cas et que seuls des aristocrates
sans fortune et sans réputation descendaient habituellement dans
l'arène. Mais ce serait oublier qu'il était honorable pour un noble de
faire des armes ou d'affronter des bêtes à l'amphithéâtre, si c'était
pour la gloire et sans se compromettre avec l'arène professionnelle; à
moins que Suétone ait voulu dire - très maladroitement, à force de
concision - que cette fois, contrairement à ce qui se passait
couramment sous le règne de Néron, des nobles honorables participèrent à
un munus. Suétone, XII, 5, signale d'autres spectacles, qui furent
offerts après le munus (?) : des pyrrhiques et la représentation des
mythes de Pasiphaé et d'Icare; le munus et les autres spectacles
durèrent plusieurs jours, ce qui se déduit de la phrase de Suétone, XII, 6,
où est décrite l'attitude de Néron, qui (bien qu'éditeur) présida
rarement, mais, la plupart du temps, regarda couché, à partir d'une loge,
puis du haut du podium qu'il avait fait découvrir. On ne saurait dire si
l'amphithéâtre fut construit pour Yeditio de ces spectacles ou s'ils
furent au contraire organisés pour son inauguration.
les femmes (v. 26-27; 80-82) : ce sont les plus hautes - et les plus
éloignées du podium, d'où le regret du v. 80. Les chevaliers et les tribuni
paraissent siéger à part, à des places réservées (v. 28-29); il ne s'agit
pas des tribuni aerarti du Ier siècle avant notre ère, comme on croit
parfois (cf. R. Verdière, éd. de Calpurnius, coll. Latomus, XIV, n. 581),
mais de tribuns militaires (A. Stein, Der romische Ritterstand, Munich,
1927, p. 24, n. 1); l'épithète nivei s'applique à leur tenue de parade (cf.
Tacite, Hist., II, 89, 3 : praefecti castrorum tribunique et primi centurio-
num candida veste), L'ambiguïté des expressions et la carence de nos
sources sur les places des ordres privilégiés à l'amphithéâtre (cf.
p. 434) ne nous permettent pas de tirer quoi que ce soit de ces deux
vers pour la date de la VIIe Bucolique et du spectacle qu'elle relate
(Verdière, op. cit., p. 39; mais cf. infra). Pour la description de
l'amphithéâtre, v. 47-56, on prendra garde que certains éléments
appartiennent au décor permanent, d'autres, à celui du jour (cf. ///);
de la venatio, le narrateur a retenu surtout la variété des animaux qui
y parurent (omne genus, v. 57) : des lièvres blancs, des sangliers
cornus (babirussas), un élan, des zébus, des aurochs, des bisons, des
phoques qui combattirent contre des ours, des hippopotames; ces
animaux étaient amenés sur l'arène par des trappes qui s'ouvraient au
milieu de la piste (v. 70-72). Néron ne donna-t-il cette fois-là qu'une
venatio? C'est possible, et celle-ci ne dura peut-être qu'un seul jour;
mais il se peut aussi qu'il ait donné un munus complet et que
Calpurnius n'ait décrit que le plus intéressant : le cadre et les bêtes. Nous ne
pouvons faire que des suppositions sur la date; une chose est sûre
toutefois : il ne s'agit pas, comme on a cru (cf. R. Verdière, op. cit.,
p. 38), des spectacles qui furent donnés en 57, après l'achèvement de
l'amphithéâtre; car on ne pourrait comprendre que Calpurnius ait
préféré parler de quelques animaux rares, et non point de la
naumachie ou de la participation au munus de tout le sénat : dans ce texte
où l'empereur est flagorné de bout en bout, on n'aurait pas omis le
clou de son spectacle.
/// - Munera donnés par Néron à une date et pour des raisons
inconnues; Suétone, Nero, XI, 1, résume ainsi les spectacles de
Néron : Spectaculorum plurima et varia genera edidit, juvenales,
circenses, scaenicos ludos, gladiatorium munus; munus est au singulier, et, de
fait, dans les § XI-XIII qui développent ce sommaire, Suétone ne
décrit qu'un seul munus, celui de 57 (104); mais il est clair que munus
doit ici être entendu comme un collectif générique qui explicite
genera (cf. 101); on connaît, du reste, plus d'un munus offert par
Néron (103, 104, 105, 109). Sans compter d'autres allusions qui ne se
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 143
récit, plus complet que celui de Suétone, est plus confus et paraît
comporter de notables variantes.
Dion commence par quelques faits qui peuvent se rapporter aux
deux munera (§ 1-2) : il y eut à la fois des combats homme contre
homme et gregatim (je ne pense pas que ces derniers se limitèrent à
l'attaque du fortin qui suivit la seconde naumachie : Dion la désigne
de ce même mot - pézomachie, au singulier - que nous avons ici au
pluriel; cf. infra) ; dans les venationes, on vit combattre des grues et
quatre éléphants; on tua 9.000 bêtes, carnivores et herbivores (le
chiffre de 5.000 donné par Suétone est seulement celui des bêtes qui
furent tuées en une seule journée au cours du second munus;
Eutrope, VII, 14 : amphitheatrum aedificavit et quinque milia ferarum in
dedicatione ejus occidit, et aussi la Chronique d'Eusèbe, ont indûment
étendu ce chiffre à toutes les venationes de l'inauguration); des
femmes de rang inférieur participèrent à ces chasses (cf. aussi Martial, De
Spectaculis, VI, VIb et infra). Dion décrit ensuite un spectacle
aquatique donné dans le Colisée inondé (§ 2); mais on verra infra que ce
programme aquatique ne se limita sûrement pas à des numéros de
dressage exécutés par des taureaux, des chevaux ou d'autres animaux
apprivoisés; puis eut lieu une première naumachie (§ 3; au § 2, le
mot a déjà été employé au pluriel).
Cette première naumachie au Colisée est omise par Suétone; or
rien, a priori, ne permet de mettre en doute la version de Dion; grâce
à Martial, il est possible de résoudre cette difficulté. La conclusion de
l'épigramme XXVTII du Liber de spectaculis, qui se rapporte à la
naumachie du bois des Césars (cf. p 145) suggère assurément que ce fut la
seule donnée par Titus :
hanc norint unam saecula naumachiam;
mais une autre épigramme du même livre, XXIV, n'en évoque pas
moins une autre naumachie :
Si quis ades longis serus spectator ab oris
cui lux prima sacri muneris ista fuit,
ne te decipiat ratibus navalis Enyo
et par unda fretis : hic modo terra fuit.
Non credis? Spectes, dum laxent aequora Martem.
Parva mora est Dices : «Hic modo pontus erat».
Cette naumachie n'eut pas lieu au bois des Césars, puisqu'il est dit
que l'eau fut retirée en peu de temps (parva mora) et qu'on suggère en
outre (v. 1 et 2) que des spectateurs venus à temps purent voir là,
avant la naumachie, des spectacles donnés sur un sol sec (terra), et
non point une plate-forme; on a remarqué en outre que pour Martial
146 LES MUNÉRAIRES
Au v. 3-4 est une allusion à la venatio; les gladiateurs sont omis ici
parce qu'ils furent apparemment éclipsés par l'éclat des chasses (cf.
toutefois v. 9 et infra); ignotas est une allusion au fait que les animaux
présentés sur la plate-forme étaient des animaux terrestres, donc
inconnus aux divinités de l'eau, Thétis et Galatée; les v. 5-6 évoquent
avec quelque préciosité les circenses; les v. 7-8, les préparatifs de la
naumachie et la plate-forme qui permet au dieu de la mer d'avancer à
pied au-dessus de l'eau; on remarquera toutefois qu'il n'y a aucune
allusion directe à ce plancher : tout le sel de l'épigramme consiste en
ceci que Martial évoque les premiers spectacles comme s'ils se
déroulaient directement au-dessus de l'eau. Au v. 9-10, qui résument les cir-
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 147
font songer au grand massacre de bêtes (5.000 en un seul jour) qui eut
lieu au cours de cette seconde partie de la fête; puis sont évoqués
tous les spectacles sur la plate-forme, ainsi que la naumachie finale
(XXVIII; cf. supra), le combat des gladiateurs Priscus et Verus
(XXIX), et, pour finir, un épisode de la venatio : la poursuite d'une
antilope par des chiens (XXX).
148 LES MUNÉRAIRES
nos sources mentionnent des épisodes de chasses (82, 85, 86, 91, 94,
101, 103, 104, 105, 106, 111, 112, 113, 115, 121); nous retrouverons
bientôt cette situation hors de Rome. La langue entérine cet état de fait, et
il est désormais possible de dire munus, même si l'on ne veut évoquer
que des épisodes de venatio; ainsi Pline l'Ancien, N. H., XXXIII, 16, 40
(cf. 8 et 32), ou Sénèque, Ad Luc, VII, 70, 20 (cf. 85); Suétone, un peu
plus tard, va jusqu'à écrire munus pour désigner un spectacle où il n'y
eut que des chasses (cf. p. 126, n. 44).
Dans ces conditions, le munus où ne paraissent que des
gladiateurs est l'exception - tel le munus anniversarium que Claude donne
au camp des prétoriens (90), comme est exceptionnelle une venatio
sans gladiateurs - telles les chasses que Vespasien donna dans les
théâtres en 75 pour l'inauguration du temple de la Paix, et peut-être à
d'autres moments de son règne (114).
Naturellement, nous ne comptons pas là la venatio donnée
comme appendice, non pas à un munus, mais à des ludi, selon la
tradition républicaine. Cette venatio subsiste pendant un temps : il est
possible que le futur empereur Galba ait donné sous le règne de Tibère
une venatio comme complément personnel et facultatif à sa
contribution aux Ludi Florales (81), dont il dut assumer, au cours de sa
preture, une part de Yeditio, conformément à la législation augustéenne.
C'est le seul exemple qui se rapporte aux ludi traditionnels, mais
la célébration des natales impériaux nous en apporte d'autres : en 15,
des circenses et une venatio sont offerts, comme à l'époque
précédente, pour le natalis d'Auguste (80); en 39, les préteurs célèbrent de
même le natalis de Caligula (90) : s'il faut prendre à la lettre le texte
de Dion Cassius qui donne ce renseignement, il y aurait eu un
changement depuis l'époque précédente et la célébration serait passée de
l'un des préteurs à tout le collège; on ne saurait dire la date de cette
éventuelle réforme, ni même si elle est postérieure à la mort
d'Auguste; nous ne savons pas non plus si la venatio - qui fut toujours
facultative pour le natalis d'Auguste, à la fois de son vivant et après sa
mort - était obligatoire pour celui de Caligula; Dion dit seulement,
avec son imprécision coutumière, que la célébration de ce natalis par
des circenses et une chasse était habituelle sous son règne. En 39, il fut
décidé de plus (cf. 87) que l'on célébrerait les natales de Tibère (qui,
vivant, refusa toujours cet honneur) et de Drusilla «comme pour
Auguste » : donc avec des circenses obligatoires et une venatio
facultative45. Plus tard, Claude ne voulut pas que l'on fête son anniversaire
4P J'omets les spectacles offerts en cette même année 39 par Caligula pour le
natalis de Drusilla, qui comprirent à la fois venatio et circenses (87), car ces spectacles
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 157
exceptionnels n'entrent pas dans le cadre des fêtes natalices célébrées par des
magistrats.
46 Je laisse de côté les spectacles d'amphithéâtre (prisonniers juifs opposés entre
eux ou livrés à des bêtes) donnés par Titus en 69 à Cesaree pour le natalis de Domitien
(Flavius Josèphe, VII, 3, 37) et à Béryte pour celui de Vespasien (ibid, VII, 3, 39;
toutefois, là, l'insertion des spectacles d'amphithéâtre dans les fêtes du natalis est
seulement implicite) : il s'agit de célébrations exceptionnelles, par lesquelles Titus cherchait
à liquider spectaculairement une partie de ses innombrables prisonniers. Une grande
venatio offerte pour l'anniversaire d'Hadrien doit aussi être écartée: SHA, Had, VII,
12 : gladiatorium munus per sex dies continuos exhibuit et mille feras natali suo edidit;
comme on voit, il s'agit de la partie vénatorienne d'un grand munus offert par le
prince à l'occasion de son anniversaire (cf. 95).
158 LES MUNÊRAIRES
47 Dès son inauguration, le Colisée était pourvu d'une partie au moins de ses
souterrains (bien qu'on pût cependant inonder la piste pour les spectacles aquatiques),
comme l'atteste l'épigramme où Martial évoque l'apparition d'Orphée, Lib. de spect,
XXIb.
48 SHA, Hadr., IX, 9 (Hadrien en l'honneur de sa belle-mère); Marc. Aur., VIII, 2
(Marc Aurèle et Vérus en l'honneur de leur père); sur la vocation non funéraire des
jeux de gladiateurs à l'époque impériale, cf. G. Ville, MEFR, 1960, p. 276-278.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 159
vers 49, des munera donnés ad rogum, mais il est probable que cette
mention doit être considérée comme un simple anachronisme; on
peut penser que le munus funèbre disparut sous Tibère, pendant
l'éclipsé que subit le munus libre, et qu'il ne reparut plus à Rome, au
moins pour les particuliers. Parallèlement, la nouvelle sacralisation
inventée par Auguste - l'offrande à Minerve du munus régulier des
préteurs - disparaît quand, à une date difficile à préciser, le munus
régulier n'est plus donné aux grandes Quinquatries de mars, mais en
décembre.
On pourrait supposer que Domitien, dont on sait la dévotion à
Minerve, ait essayé, en privé, de restaurer ce munus; Dion Cassius,
LXVII, 1, 2 affirme que, pendant les Quinquatries, il organisait,
«chaque année, pour ainsi dire », des agones de poètes, d'orateurs et de
gladiateurs à Albano, dans son palais; toutefois Suétone, Dom., IV, 11,
précise que ces spectacles étaient offerts par les membres, tirés au
sort, d'un collège créé par Domitien en l'honneur de Minerve et parle,
contrairement à Dion, de scaenici et de chasses, mais omet les
gladiateurs : Celebrabat et in Albano quotannis Quinquatria Minervae, cui col-
legium instituerai, ex quo sorte duçti magisterio fungerentur ederentque
eximias venationes et scaenicos ludos superque oratorum ac poetarum
certamina. Il est malaisé de dire s'il s'agit d'une confusion de Dion ou
d'un oubli de Suétone : les gladiateurs ne constituaient peut-être
qu'une partie mineure de la fête et Suétone, à sa manière habituelle,
résumant au maximum, les omettait pour cette raison; mais Dion,
voyant mentionnée une venatio, a pu penser qu'il s'agissait d'un
munus; j'inclinerai plutôt vers cette seconde hypothèse; en sa faveur,
nous montrerons bientôt que Yeditio donnée aux Quinquatries était
probablement un lusus juvenum, auquel la participation de
gladiateurs était inconcevable.
En quittant mars et Minerve, le munus questorien prend place en
décembre, mois de Saturne (peut-être sous Caligula). Faut-il penser
qu'il reçoit, de ce fait, une vocation saturnienne? J'ai essayé de
montrer (G. Ville, MEFR, 1960 p. 289-290) que les textes qui font état de
celle-ci se rapportaient à une sacralisation spontanée, officieuse et
tardive. La liaison entre la gestion de Yaerarium Saturni et Yeditio du
munus régulier des préteurs, puis des questeurs, sur laquelle A. Piga-
niol s'est fondé (Recherches sur les jeux romains, p. 126-136) pour
affirmer que cette vocation existait dès l'origine, ne représente en
vérité qu'une coïncidence administrative très approximative; liaison
d'autant moins probante qu'au moment où le lien s'établit entre la
gestion du Trésor de Saturne et Yeditio qui aurait été consacrée à ce
dieu, le munus se plaçait en mars et non point en décembre.
160 LES MUNÉRAIRES
49 Sous le règne d'Auguste, des ludi votivi furent donnés pour le retour du prince
en 17 et 7 avant notre ère; chaque fois ces ludi furent offerts à Jupiter Très Bon et
Très Grand; CIL, VI, 385 : TL Claudius . . . ludos votivos pro reditu imp. Caesaris . . . Jovi
optimo maximo fecit ... ; cf. CIL, VI 386.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 161
50 Dans Cal., XXXVIII, 8, Suétone relate cette vente, succinctement et sans date :
auctione proposita reliquias omnium spectaculorum subjecit ac venditavit, exquirens per
se preda et usque eo extendens ut quidam immenso coacti quaedam emere ac bonis exuti
venas sibi inciderent; suit (§ 9) l'histoire d'Aponius auquel furent adjugé 13 gladiateurs
pour 9 000 000 HS; Dion Cassius, LIX, 14, 1-5, plus complet que Suétone, contient
quelques erreurs; on se reportera à son texte, que nous allons discuter en détail
(l'autorisation de dépasser, pour cette vente, le nombre de paires légal est mentionnée en LIX,
14, 3). Pour retrouver la réalité qui se cache derrière les inconséquences de Dion, il
faut considérer trois points : 1) l'objet de la vente; 2) les acheteurs; 3) les raisons de
l'achat; la difficulté vient de ce que Dion ne rapporte qu'incomplètement et, partant,
contradictoirement, les points 1 et 3 : 1) c'est par pure inadvertance qu'il mentionne
seulement la vente des gladiateurs, alors que nous savons par Suétone que le prince
vendit tout ce qui restait de l'instrumentum de ses spectacles. 2) Participèrent aux
enchères « les consuls, les préteurs et les autres » ; entendons : magistrats et
non-magistrats; la suite prouve, d'autre part, qu'il s'agit de gens qui résident à Rome; parmi eux,
les uns achetèrent de bon gré, les autres, sous la contrainte; à ces premiers acheteurs
s'ajoutèrent des gens venus à Rome spécialement pour la vente aux enchères. 3)
Passons sur les motivations politiques - plaire à l'empereur ou se mettre en sécurité, qui
ne valent pas seulement pour ceux qui vinrent exprès à Rome; parmi ces derniers,
ajoute Dion, certains avaient besoin de gladiateurs : ceci doit s'entendre aussi des
acheteurs de Rome, pour tout ce qui était mis en vente, que ce soit pour une editio
libre ou obligée; or Dion ne considère que deux editiones (qu'il évoque seulement pour
des achats faits sous contrainte par des gens de Rome) : des circenses et le munus
restauré des préteurs; sans prendre garde que sa mention de courses de chevaux, à
l'occasion desquelles certains sont contraints d'acheter des gladiateurs, est absurde;
en fait, il est probable que Dion part d'une source qui devait énumérer ici les deux
editiones obligatoires de Rome : le munus prétorien et les ludi traditionnels et nouveaux,
dont il ne retient que les ludi circenses et dont on sait que la cura incombait aussi aux
préteurs (à quoi s'ajoutaient des ludi exceptionnels que Caligula exigeait de ses
consuls et de ses préteurs : Dion Cassius, LIX, 5, 3).
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 163
53 Je ne peux suivre A. Piganiol, Recherches sur les jeux romains, p. 131-32, quand il
suppose que les questeurs étaient d'abord tenus d'offrir un munus, qu'ils prirent
l'habitude de financer à la place le pavement des routes, et que Claude rétablit
l'obligation dans sa forme première; cette hypothèse se concilie trop mal avec la littéralité
des deux textes susdits. Je ne suis pas non plus le même auteur, ibid, p. 132-33, quand
il lie Yeditio obligatoire à l'administration de l'aerarium de Saturne : 1) s'il est vrai
qu'en 23 cette cura fut confiée à deux préteurs et qu'en 22 Yeditio obligatoire d'un
munus fut confiée peut-être à deux préteurs, il n'y a pas de preuve que ces deux
couples de préteurs sont les mêmes; 2) si l'administration du trésor passa aux questeurs
sous le règne de Claude, ce fut en 44, non en 47, et elle ne fut pas confiée à tout le
collège, mais à deux questeurs seulement (Dion Cassius, LX, 24, 2-3; pour ce nombre, cf.
166 LES MUNÉRAIRES
doute imposée aux questeurs sous le règne de Claude, peu avant 47;
ce qui explique que nous ne soyons pas autrement informés à son
propos; de là, aussi, l'erreur ou l'omission de Tacite.
Cette mesure, prise par sénatus-consulte, le fut à l'instigation de
Claude (Suétone lui en accorde la paternité), très certainement contre
le gré du sénat : en répartissant sur tout le collège les frais de Yeditio
et en diluant ainsi Yambitus que celle-ci susciterait, elle n'avait, pour
le pouvoir, que des avantages sur Yeditio des deux préteurs; mais,
pour l'aristocratie sénatoriale, elle n'était plus qu'une taxe,
l'équivalent d'une summa honoraria perçue à la seconde étape du cursus
honorum5*.
On comprend, dans ces conditions, que le sénat ait profité, au
début du règne de Néron, des bonnes dispositions du prince pour
demander et obtenir en 55 son abrogation; Tacite, Ann., XIII, 5, 1-2 :
. . . multaque arbitrio senatus constituta sunt, . . . ne designatis quaesto-
rïbus edendi gladiatores nécessitas esset; quod quidem adversante
Agrippina, tamquam acta Claudii subverterentur, obtinuere Patres; ce texte
toutefois fait difficulté, car, en 47, ce sont les questeurs en charge qui
doivent donner un munus, non point les questeurs designati (tout
comme, au reste, un peu plus tard, quand l'obligation aura reparu);
une inadvertance de Tacite serait peu compréhensible, si l'on
considère qu'il a vu l'institution fonctionner durant toute sa carrière.
Le texte est corrompu à cet endroit : on lit dans les manuscrits :
ne designatis quidem quaestoribus ... ; le quidem qui n'a guère de sens
à cet endroit est généralement omis par les éditeurs. Je vois toutefois
un moyen de sauver le designatis de Tacite. Nous savons, par le calen-
aussi Suétone, Claud, XXIV, 4 : detractaque Ostiensi et Gallica provincia, curam aerarli
Saturni reddìdit, qui semble suggérer que la cura du trésor remplaça ces deux
provinces); 3) comme le reconnaît A. Piganiol, p. 133, n. 1, la cura aerarti fut, dès le règne de
Néron, confiée à des praefecti aerarti. J'ajoute que le lien qui unit à partir de ce
moment les questeurs et Yaerarium Saturni (cf. M. Leglay, Saturne africain, p. 462) me
paraît trop vague pour prouver quoi que ce soit.
54 Rappelons que l'aspect pécuniaire de cette obligation fut atténué par Sévère
Alexandre (la personne du prince confirme le caractère en partie pro-sénatorial de la
mesure) : SHA, Sev. Alex., XLIII, 3-4 : quaestores candidatos ex sua pecunia jussit munera
populo dare, sed ita ut post quaesturam praeturas acciperent ... ; arcarios vero instituit
qui de arca fisci ederent munera eademque parciora; désormais le fiscus prit à sa charge
les frais entraînés par le munus des questeurs pour une partie d'entre eux, qui étaient
appelés toutefois à une carrière moins brillante que leurs collègues. Remarquons que
cette mesure d'Alexandre Sévère paraît entraîner Yeditio de deux munera séparés, celui
des candidati et celui des arcarti, alors qu'avant il nous a semblé que le collège des
questeurs éditait un munus collectif.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 167
55 Voici les jours donnés par le calendrier de Philocalus : 2, 4, 5, 6, 8, 19, 20, 21, 23,
24 décembre; ce calendrier de 10 journées en deux ensembles, réparties également au
début et à la fin du mois, remonte-t-il tout entier au Ie siècle? On ne saurait dire.
L'ÉDITION DES GLADIATEURS ET DES BESTIAIRES 169
56 Suétone, Cal, XXXII, 5; LIV. 2; cf. p. 444; Dion Cassius, LIX, 5, 5, laisse entendre
à tort qu'il s'agissait de gladiature réelle.
170 LES MUNÉRAIRES
p. 212); c'est en partie à elle qu'il faut attribuer l'importance, sous son
règne, de la participation des hautes classes à l'arène et la forme
scandaleuse qu'elle prend parfois, comme montre l'épisode de Gracchus
(///). Les difficultés financières ne furent pas un obstacle à ces
munera extraordinaires, qui s'ajoutèrent à des munera plus communs,
mais nombreux (cf. 107, 108, 111) et, à partir d'une date qui nous
échappe, aux munera questoriens rétablis.
Si Galba avait régné plus longtemps, aucun doute que le munus
impérial aurait connu une éclipse semblable à celle qu'il avait subie
sous Tibère; au contraire, les quelques mois du règne de Vitellius
laissaient espérer une générause politique d'editio (cf. 113).
Avec Vespasien, Yeditio impériale redevient, semble-t-il, ce qu'elle
était sous Tibère; l'attitude de l'empereur est toutefois
contradictoire : malgré son esprit d'économie et sa pecuniae cupiditas (Suétone,
Vesp., XVI, 1), il entreprend la construction d'un grand amphithéâtre
de pierre au milieu de la ville, à quoi Auguste avait seulement pensé
(ibid, IX, 1); il est vrai que les motivations de cette entreprise ont dû
dépasser largement le seul problème de Yeditio des munera; il se
montre généreux dans l'édition de ses spectacles (ibid., XIX; Dion Cassius,
LXV, 10, 3 : ta? pa?????e?? p???te??stata d?a?e??), mais il n'aime pas
la gladiature (Dion Cassius, LXV, 15, 2); il laisse tomber en désuétude
le munus des questeurs; sauf des chasses, qu'il offrit en 75 pour la
dédicace du temple de la Paix, et peut-être à d'autres moments de son
règne (/ 14), on ne connaît de lui aucun munus.
Les spectacles grandioses par lesquels Titus inaugura le Colisée
sont trop exceptionnels pour que nous puissions inférer à partir d'eux
ce qu'aurait été la politique de l'empereur, s'il avait régné davantage;
l'empereur aimait la gladiature : Dion, LXVI, 15, 2 en donne pour
preuve qu'il livra un combat à armes mouchetées à Réate, lors d'une
fête de la Juventus locale, et nous savons par Suétone, Tit, VIII, 5, qu'il
était partisan des petits boucliers : studium armaturae Thraecum prae
se ferens. Donna-t-il d'autres munera? Des indications de Suétone
pourraient le faire penser, mais je crois plutôt qu'il faut les rapporter
toutes au munus inaugural de 8*0 (115).
A l'avènement de Domitien, le munus renoue avec la tradition de
Néron; l'empereur, qui est aussi partisan des longs boucliers, use de
tout son pouvoir pour soutenir ses favoris, comme montre l'anedocte
du parmularius qu'il fit livrer aux chiens (cf. 126) ou le parallèle que
Pline établit entre Trajan et lui59; il donna souvent des spectacles
61 Cf. encore, dès 35, Varron, De re rust., II, 1 : munus movere maluerunt in theatro
ac circo; Horace, Ep., I, 7, 58-59 : gaudentem .../... ludis; Quintilien, I, 6, 45 (qui ne se
rapporte pas, il est vrai, à la passion pour les spectacles) : tota saepe theatra et omnem
circi turbam exclamare barbare scimus; Tacite, Hist., I, 32, 1; 72, 4; II, 21, 7; deux fois
Juvénal n'évoque que le cirque : X, 81 (le célèbre panem et circenses) et XI, 53; parfois
cependant, mais plus rarement, la gladiature est associée aux ludi; Sénèque, Cons. ad
Helv., XVII, 1 : ludis interim aut gladiatoribus animum occupamus; Tacite, Dial., XXIX,
3 : . . . hujus urbis vida, . . . histrionalis favor et gladiatorum equorumque studia.
CHAPITRE III
refuser la subvention à laquelle ils ont droit5; ils sont tenus, de leur
bourse, à une contribution personnelle d'au moins 2000 sesterces.
La constitution d'Urso reproduit ou adapte de nombreuses
dispositions légales romaines6; comme à Rome, elle impose à des
magistrats l'organisation de spectacles publics et leur fait donner une
subvention à cette fin; mais elle innove sur un point capital : elle exige
qu'ils participent à leur financement et fixe pour cela une somme
minimale. A Rome, Yambitus avait toujours rendu une telle disposition
superflue; moins riche que la capitale, la colonie ne pouvait espérer
que la seule compétition pour les honores assurât Yeditio régulière de
spectacles variés et décents. En outre, les décurions peuvent, s'ils le
jugent bon, imposer ou autoriser Yeditio réglementaire d'un munus;
alors qu'à Rome Yeditio funéraire, avant la fin de la République, avait
dispensé le législateur de recourir à cette mesure et qu'à partir de
l'Empire le munus régulier, nouvellement créé, fut toujours séparé
des ludi traditionnels.
D'autres colonies et des municipes ont dû posséder, pour Yeditio
régulière de leurs spectacles, des règlements analogues; on a retrouvé
à Pompei l'affiche de deux munera qui furent offerts en 55-56 par le
duovir quinquennal Cn. Alleius Nigidius Maius7 :
CIL IV 7991 : Cn. Allei Nigidi Mai / quinq(uennalis) sine impensa
publica glad(iatorum) par(ia) XX et eorum supp(ositicii) pugn(abunt)
Pompeis.
CIL IV 1179 = Dessau 5143: [C]n. Allei Nigidi / Mai quinq(ennalis)
gl(adiatorum) par(ia) XXX et eor(um) supp(ositicii) pugn(abunt) Pompeis
Vili, VII, VI k(alendas) dec(embres) (etc.)
5 Cf. CIL TV 7991 et infra; un texte d'Ostie, de l'époque de Marc-Aurèle, CIL XIV
375, décrit très précisément cette procédure : . . . [i]n ludos cum accepisset public(e)
lucar, remisit et de suo erogationem fecit; cf. CIL XIV 376, relatif au même personnage,
mais beaucoup plus vague : . . . ludos omnes quos fecit amplificava impensa sua.
6 On l'a vu à propos de la législation sur Yambitus.
7 Cette date est attestée par la tabula cerata CXLVIII de Caecilius Jucundus : cf.
G. O. Onorato, Iscrizione pompeiane. La vita pubblica, Florence, 1957, n° 92, p. 155.
178 LES COMBATS DE GLADIATEURS
10 CIL TV 1 189 (cf. G. O. Onorato, op. cit., n° 96) et 1 190; pour la date, on dispose de
l'acclamation qui suit ce dernier programme et paraît écrite de la même main :
Omnibus Nero[n(ianis) munjeribus féliciter; compte tenu de cette date, on peut penser que la
venatio fut une partie du munus. L'expression elle-même est difficile; on pourrait
penser à: «Bonne chance pour les munera (où paraissent des gladiateurs) Neroniani»,
mais l'ellipse est bien dure; on est tenté d'en rapprocher l'expression muneri[bus]
Augustorum (CIL TV 7994), ce qui contredirait la présente hypothèse; mais j'avoue
n'être pas en mesure de donner à ces mots un sens plausible dans leur contexte.
11 CIL TV 4999: M. Casellium Marcellum, aedilem bonum et munerarium magnum;
nous savons que ce personnage posa sa candidature à l'édilité pour l'année 58-59 (cf.
G. O. Onorata, op. cit., p. 163); un programme très mutilé, CIL TV 1204, ne se rapporte
sans doute pas à ce munus, car, sur tous les programmes, le nom du munéraire est au
génitif; il faut donc séparer le nom et l'annonce, comme avait vu Mommsen.
12 CIL X 688; le personnage fut flamini Romae Ti. C[aes. Aug.] : aedilitate
spectaculum gladiaftorum et] circensium edidit . . . , [quinjquennalitate sua ludos spl[end(idos)
edidit]. Mommsen (à la suite de Nissen, Pompeianische Studien, Leipzig, 1877, p. 111 et
118), restitue: gladia[torum] circensium; mais les arguments de Nissen ne sont pas
convaincants et la restitution est inacceptable : ce n'est pas parce que des gladiateurs
ont pu paraître dans le cirque (en fait : contre des bêtes) que l'on peut dire, dans ce
cas, gladiatores circenses; on a remarqué que notre personnage donna lors de son duo-
virat (quinquennal) des ludi scaenici, variant ainsi les spectacles de ses magistratures,
selon un principe que nous avons vu suivre à Pompei par A. Clodius; toutefois, faute
de connaître les dispositions de la constitution de Sorrente, on ne saurait dire si, pour
les editiones des édiles et des duoviri, on choisissait parmi les trois grands types de-
spectacles : ludi, circenses ou gladiateurs. On est tenté pourtant de rapprocher ce texte
de la constitution d'Urso; dans cette colonie, en effet, les Ilviri sont tenus à quatre
jours de spectacles (ludi scaenici ou munus) pendant quatre jours consécutifs (quadri-
duom), tandis que les édiles sont tenus d'une part à trois jours de spectacles (ludi
scaenici ou munus) et à un dies en l'honneur de Vénus qui aura lieu au cirque (circenses)
ou sur le forum (scaenici ou gladiateurs) : notre magistrat de Sorrente aurait pu
parfaitement faire ses editiones dans le cadre de ce règlement d'Urso : édile, il donne un
munus de trois jours et un jour de circenses; et, Ilvir, quatre jours de ludi scaenici.
180 LES COMBATS DE GLADIATEURS
16 CIL IX 2235 : L. Mummius, L f., C. Manlius, C. /., pr(aetores) duovir(i), pro ludeis
turris duas d(e) dfecurionum) s(ententia) faciundas coeraverunt; un autre texte, mutilé
(CIL IX 2230 et add.), mentionne une substitution semblable.
17 CIL IX 4903.
18 CIL X 845 : M. Oculatius, M. f. Verus Ilvir pro ludis; la place de l'inscription dans
le pavement de l'odèon suffit à signaler ce par quoi le magistrat a remplacé les ludi; à
l'amphithéâtre, sur le podium, 854 : G. Atullius, C. f. Celer, Hv(ir), pro lud(is) lufminibus),
cun(eum) f(aciendum) c(oeravit) ex dfecreto) dfecurionum); d'autres Hviri ont construit
un, deux ou trois cunei (854-857); pour le développement lu(minibus), cf. 857a et c où
l'on a lum(inibus), et surtout un texte de Lanuvium, où il est dit d'un magistrat; lumina
ludos . . . fecit (CIL XIV 2121); deux autres magistrats firent construire ou reconstruire
diverses parties des thermes dits de Stables ex/ea pequnia quod eos e lege / in ludos
aut in monumento / consumere oportuit; faciun(dum) / coerarunt eidemque probarufnt)
(CIL X 829).
19 . . . us, M. f., / ex d(ecreto) dfecurionum) viae substructionem / ex pecun(ia)
lud(orum) faciendforum) / curfavit) idemq. prob(avit). A cette liste, il convient d'ajouter
une inscription qui fait état de l'érection d'une statue (?) à Tibère en 36/37 : . . .
L Scribonius, L f., Vot., Celer, aedil(is) ex dfecreto) d(ecuriunum) pro ludis (CIL VI 903);
cette inscription provient d'Anzio : CIL VI, page 3070.
20 L'amphithéâtre et l'odèon remontant à l'époque de Sulla, on peut penser que
l'installation du pavement de l'un et des gradins de l'autre sont immédiatement
postérieurs; il faut observer toutefois que l'on construit des gradins encore sous l'Empire,
comme le prouve CIL X 853 : Mag(istri) pag(i) Augfusti) f(elicis) s(uburbani) pro ludfis) ex
diecreto) dfecurionum); quant au texte des thermes stabiens, son orthographe le situe
encore à l'époque républicaine (G. O. Onorato, n° 46, p. 133 : «l'iscrizione databile al
primo periodo della colonia romana»).
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 183
21 Mommsen, CIL IX, p. 205 : «propter sermonis vetustatem ante Caesaris mortem
scriptum videtur». Voir la note 16.
22 A Urso, l'incongruité du formulaire n'implique pas une date forcément tardive.
Voici toutefois l'exemple d'une cité où nous avons lieu de supposer qu'en 4 de notre
ère le munus n'était pas encore intégré dans Yeditio des magistrats : la ville de Pise
décida que le 21 février serait à l'avenir jour de deuil et que Yeditio de spectacles serait
interdite ce jour-là (CIL XI 1421) : . . . neve qui ludi scaenici circensesve eo die fiant spec-
tenturve . . .
184 LES COMBATS DE GLADIATEURS
28 Le mot serait un néologisme créé par Auguste : Quintilien, VIII, 3, 34; le sens de
munerarius, «qui a donné un munus» est admis par tous; il s'appuie sur des textes :
Sénèque le Père, Cont., IV, pr., 1 ; Suétone, Dom., X, 3, etc ... ; dans les inscriptions, un
texte de Forum Popili, CIL XI 575 : . . . gratum edat munus tuus munerarius . . . , le
confirme; des formulations comme munerarius bis ou ter, montrent qu'il ne s'agit pas
d'une epithète générale, et un texte de Bénévent, CIL IX 1663 : munerarius bidui,
atteste la signification spectaculaire que l'étymologie permet de préciser; on trouve
aussi, dans une inscription de Pouzzoles, CIL X 1795, et sur un graffito de Pompei, CIL
TV 1084 (munifico quater), munificus au sens de munerarius : tentative locale, que la
langue n'a pas généralisée (par contre, dans un texte de Lucérie, il semble que nous ayons
un emploi de munificus étranger à ce sens technique : CIL IX 804, . . . quae[stori, IJIviro
q(uin)q(uennali), cur(atori) [mun(eris) m]u[n]ifico ... ; même emploi non technique, à
Allifae, CIL IX 2350, du superlatif munificentissimus, à propos toutefois d'un
personnage qui manifesta sa munificence dans des editiones gladiatoriennes); c'est un autre
synonyme qu'il faut voir dans le munidator d'une inscription de Madaure, CIL VIII
3681, si l'on accepte le sens de munerarius, qui est probable; on trouve encore munera-
tor chez Florus, III, 29, 9 (si cette leçon est bonne : on trouve aussi dans la tradition
manuscrite, «munerarius» qui est la lectio facilior); quant à l'expression curator
muneris, elle n'est jamais synonyme de munerarius, comme ont cru Mommsen, Ephemeris
epigraphica, VIII, p. 402 et G. Lafaye, p. 1569. Sur une évolution parallèle du grec
f???t?µ?? et f???d????, cf. L. Robert, p. 276-280.
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 187
c'est un libellé semblable que nous avons à Philippes (CIL, III, 659) :
Hvir et munerarius Philippis, et à Bénévent, à la fin du IIe ou au IIIe
siècle (CIL IX 1540) : vir principalis, duumvir et munerarius. Ces textes
permettent d'interpréter d'autres inscriptions où le titre munerarius
suit immédiatement la mention d'une charge municipale et
caractérise dans une certaine mesure sa gestion29. Dès lors, si Yeditio d'un
munus réglementaire (ou dérivé du munus réglementaire) donne droit
à ce titre, c'est que cette générosité est sentie par tous comme un
geste aussi libre de toute obligation qu'exceptionnel. Lorsque l'édi-
teur-magistrat indique qu'il donna son munus ex liberalit(ate) sua (à
Antioche de Pisidie), on peut penser qu'il souligne une chose évidente,
bien plutôt qu'il n'indique son refus de la subvention dérisoire de sa
cité.
A cela s'ajoute que le munus doit échapper le plus souvent à sa
collégialité initiale - ce qui était au demeurant juridiquement possible
dès l'origine; les textes que nous avons réunis suggèrent chaque fois
que l'éditeur fut seul à offrir son munus. Dès le Ier siècle et peut-être
même dès l'origine, le statut réel de ce munus dépasse son statut juri-
30 D'autres textes mentionnent des munera faits par des magistrats : à Allifae, CIL
IX 2350-2351; Cumes, après la fin du Ier siècle (le personnage fut curateur de cité), CIL
X 3704; ce personnage aurait pu échapper aux honores et aux munera; mais, praeposito
amore patriae, et honorem aedilitat(is) laudabiliter administravit et diem felicissimium) III
Id(us) Jan(uarias) natalis dei patri n(ostri) venatione dents bestis et UH feris dent(atis) et
UH paribus ferro dimicantib(us) ceteroque honestissim(o) apparatu largiter exhibuit. Sur
d'autres textes, la concomitance est seulement possible: à Compsa, CIL IX 981; à
Aeclanum, id, 1175, à Bovianum, id, 1565; à Paduli (chez les Hirpini), Année épigr.,
1899, 207; à Cures, CIL IX 4976; à Venafrum, CIL X 4897; à Fundi, id, 6243; à Ostie, CIL
XIV 376; à Préneste, id, 2991 ; à Jerez de la Frontera, CIL II 1305; à Lepcis Magna, Insc.
Rom. Trip., 567; à Sabratha, id, 117; à Sousse, ILA, 58; à Hippone, CIL VIII 5276.
31 Sur les seviri, les seviri augustales et les augustales, l'étude fondamentale reste
celle de A. von Premerstein, Diz. epigra di antichità romana, s.v. Augustales (1895); cf.
encore L. Ross Taylor, Augustales, seviri Augustales, seviri, TAPA, 1914, p. 231-253; A. D.
Nock, Seviri and Augustales, Mélanges Bidez, 1934, p. 627-638; G. E. F. Chilver, Cisalpine
Gaul, Oxford, 1941, p. 198-207; sur les charges qui leur incombent, en particulier en
matière de spectacle, cf. von Premerstein, p. 834-839.
32 A Véies, CIL XI 3781, l'inscription a été gravée en 34 de notre ère; un sévir
augustalis élève un autel (à Tibère?) pro impensa ludorum; ibid, sous Auguste, CIL XI
3782 : les seviri font une dédicace à Auguste pro ludis (?); à Falérie, sous Auguste, CIL
XI 3083, les quatre magùtri des augustales pavent une route pro ludis.
33 CIL IX 808; ce texte remonte au Ier siècle et très certainement à la première
moitié de ce siècle (cf. infra); l'emploi de munus sans l'épithète gladiatorium surprend
un peu; on peut penser que l'inscription cite littéralement la lex coloniale, dans
laquelle, comme à Urso, munus trouvait, grâce au contexte, une détermination impli-
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 1 89
cite. On est toutefois tenté de rapprocher ce texte de trois autres documents qui
intéressent deux seviri et un augustalis : CIL XI 3011, près de Viterbe, T. Calpurnius, Gallae
filius, Libycus, augustalis, munere functus ... ; CIL XI 2653, à Colonia Saturnia : . . . ob
muneris (sic) seviratus, ex dfecreto) d(ecurionum) s(ua) p(ecunia) p(osuit) ... ; CIL XI 6161,
à Suasa : C. Iulius Tertius, sexvir, Cereri sacr(um) et populo prandium muner(e) functus
dédit; dans ces trois cas, munus ne signifie naturellement pas combats de gladiateurs
mais charge ou office. On prendra garde au sens précis de l'expression, qui n'est point
celui que nous avons dans un texte espagnol postérieur (CIL II 5514, à la fin du IIe
siècle, à Barcelone) où un personnage fait un legs à la cité ea condicione ... ut liberti
mei . . . quos honor seviratus contigerit ab omnibus muneribus seviratus excusati sint ... :
ces munera seviratus sont les charges qui ressortissent au sévirat, alors qu'ici le munus
seviratus est le sévirat lui-même; a-t-on le droit de songer à ce même sens pour
l'inscription de Luceria? Je ne le crois pas; sans doute peut-on, stricto sensu, entendre pro
munere : «pour s'acquitter de son office»; ou bien même si l'on veut donner au mot le
sens qu'il a à Barcelone : « pour s'acquitter d'une (ou « de la ») charge ressortissant à
son sévirat»; mais ces traductions rompent par trop avec l'usage courant de pro, «à la
place de », pour être reçues.
190 LES COMBATS DE GLADIATEURS
34 Ce mot n'apparaît pas sur la pierre; même si ce titre n'est pas officiellement
porté à Trebula Suffenas, il ne fait aucun doute que nos personnages assument les
mêmes fonctions que des magistri augustales qui apparaissent ailleurs (cf. CIL XI 3083
= Dessau 5373, à Faléries; 3200 = Dessau 89, à Nepet); cf. déjà Henzen, Insc. lat. sel,
7165.
35 On rejettera naturellement l'interprétation de L. Ross Taylor, p. 21, qui fait de
[C]apito un duovir; cf. J. H. Oliver, p. 486-487.
36 A la ligne 10, je développe honor(em) piublice) d(ederunt); L. Ross Taylor:
honor(e?) p(ublice) d(ato?); J. H. Oliver : honor(aria) p(ecunia) d(ata); il est clair que nous
devons voir dans l'abréviation honor. p. d. l'équivalent de honorem edederunt de la
ligne 18 : ce qui exclut, pour le sens, les développements de J. H. Oliver et, pour la
forme, ceux de L. Ross Taylor; on entendra, par honos : «cérémonie religieuse»
(sacrifice, procession, etc . . . ) ; pour ce sens, cf. Thesaurus, s.v. honos, col. 2924-5.
37 Je ne pense pas qu'on puisse entendre //// primi comme un titre (ainsi fait J. H.
Oliver, p. 485), mais les «quatre premiers (de la liste)»; L. Ross Taylor, p. 18 : «UH
primi refers to the four regular officiais, excluding the praeco ».
38 Ces phrases sont construites sur un schéma unique : sujet (exprimé ou sous-
entendu), compléments, verbe; d'où ma ponctuation et l'interprétation du texte qui en
découle; L. Ross Taylor ponctue après edederunt (1. 19); ce qui la conduit à faire de
eorum sevir[i] le sujet de dederunt (1. 23); toutefois, p. 18 : «Another possibility is to
take //// primi as the subject of dederunt» - ce qui est ma solution; J. H. Oliver
ponctue : honorem edederunt; . . . fecerunt UH primi; il écrit, p. 487 : «For me at least it is
192 LES COMBATS DE GLADIATEURS
Il ressort de ces textes que des cités ont dû imposer, à leurs sévirs
et à leurs augustales, Yeditio d'un munus, tantôt en l'imposant à
l'exclusion de tout autre spectacle - et nous avons un et peut-être deux
exemples de cette formule; tantôt en laissant le choix, à la curie ou
aux intéressés, entre plusieurs spectacles, dont le munus (comme
nous avons vu à Urso pour les magistrats de la cité). A Trebula
Suffenas, cette editio était collégiale; naturellement, les éditions separatim
devaient être admises : la plupart des textes que nous avons réunis
laissent supposer que l'éditeur fut seul à offrir son munus. C'est que
cette editio dut évoluer comme celle des magistrats et se rapprocher
de Yeditio libre, d'autant plus que les conditions de fortune étaient,
chez les affranchis, plus disparates que chez les magistrats : à côté de
ce personnage de Venafrum qui donna un munus lors de ses deux
sévirats, combien d'affranchis eussent été en peine pour financer le
sixième d'un munus convenable! Nous voyons un sévir de Crémone
prendre, à l'époque flavienne, le titre de munerarius, qui consacre
Yeditio d'un munus qu'il fit l'année où il revêtit le sévirat (CIL V,
4399) : il est fier de l'avoir édité; donc il aurait pu ne pas l'éditer.
Aucun document n'atteste que les prêtres du culte impérial
municipal aient également été soumis à une editio réglementaire; l'argu-
stylistically difficult to construe //// primi as the subject of dederunt»; pour les deux
dernières lignes, ma restitution est, à peu de choses près, celle de Henzen, in Henzen-
Orelli : eorum seviri [munus] / familia gladiat(oria) [ediderunt] (le i final de sévir [i],
avait été lu par erreur) : l'ablatif de moyen familia gladiat(oria) équivaut à l'épithète
gladiatorium; L. Ross Taylor hésite entre deux solutions : dederunt eorum sevir[i; pugnavit]
/ familia gladiat(oria), «with the name of owner of the familia in the genitive»; avec
une ponctuation différente : dederunt; eorum sevir[orum] / familia gladiat(oria)
[pugnavit] : dans la première hypothèse, on ne signalerait pas le nom de l'éditeur, ce qui est
bien surprenant; on ne voit pas, dans la seconde, à quoi rapporter eorum; en outre, ces
deux restitutions ne font que transposer au passé le formulaire des programmes
pompéiens - lequel est toujours au futur, jamais au passé, et remplit une fonction tout à
fait différente.
39 On peut penser que les cités ont essayé de répartir entre plusieurs editores
possibles les différents spectacles; ainsi, à Urso, nous avons vu que les ludi scaenici sont
confiés aux Hviri et aux édiles, tandis qu'une partie des circenses est confiée aux édiles
(éventuellement) et aux magistri ad fana tempia delubra (§ CXXVIII).
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 193
rum, dont nous parlerons plus loin (CIL XI 6377), prouve qu'il s'agit
d'un munus Valentinianum ou pecunia Valentiniana.
- A Pavie; seconde moitié du IIe siècle/IIIe siècle; CIL V 870; un
affranchi qui reçut les ornamenta du décurionat est curator muner(is)
Tulliani : le munus fut fondé par un certain Tullius et le curateur, qui
se nomme Tullius Achilleus, fut affranchi aussi par un Tullius.
- A Lucus Augusti (Narbonnaise) ; CIL XII 1585: Sex. Venecio
Juventiano, flamini Divi Augfusti), item flamini et curatori muneris
gladiatori Villiani, . . . ordo Vocontior(um) ex consensu et postulatione
populi ob praecipuam ejus in edendis spectaculis liberalitatem.
- A Béja; IIIe siècle; VIII 1225; un ancien magistrat fut cur(ator)
muner(is) Lup . . .
Quatre textes doivent être ajoutés à cette liste, qui nous ramènent
aux origines de fondation :
- A Auximum; CIL IX 5854 : [ . . . testamejnto dédit ex quorum
r[editu munus gladiatori] um colonis Auximatibus dar[etur ad quod] . . .
paria sena alternis annis emere[ntur . . . quae] . . . k(alendas) Junias
Auxumi pugnarent; la somme, laissée par un personnage dont les
noms et qualités ont disparu dans la cassure de la pierre, doit
permettre tous les deux ans Yeditio d'un munus où paraîtront six paires de
combattants; la date de Yeditio est même prévue.
- A Pisaurum; CIL XI 6377; un ancien magistrat, Titius Valenti-
nus, lègue à sa cité 1.000.000 HS, . . . ita ut per sing(ulos) annos, ex ses-
tertiorum (quadringentorum millium) usuris, populo epulum die natali
Titi Maximi fili ejus divideretur et, ex sestertiorum (sescentorum millium)
usuris, quinto quoque anno munus gladiatorium ederetur ... ; nous
connaissons l'un des curateurs de ce munus quadriennal (cf. supra).
- Sur le territoire de Saluzzo (qui relevait sans doute de Pollen-
tia); époque d'Antonin le Pieux; CIL V 7637; un personnage inconnu
(le haut de la pierre manque) a légué ou donné de l'argent pour des
divisiones; le reste de la somme doit servir à Yeditio annuelle d'un
munus et à la construction de saepta lignea (pour lui servir de cadre) :
. . . [pecuniam ...]... reliquam consentiente pleb(e) in munus
gladiatorium [e]t saepta lignea impendere.
- A Thessalonique, en 141; L. Robert, 11; après une formule
rituelle : ?p?? s?t???a? des empereurs, suit l'annonce d'un munus et
d'une venatio, qui doivent durer trois jours et seront donnés d'après le
testament d'Herennia . . . Hispané, à en croire une restitution qui a
paru à bon droit très suspecte47. La testament a été ratifié par un vote
47 L. Robert, p. 78, n° 4.
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 199
munus); ces curateurs faisaient Yeditio tout comme s'il s'était agi d'un
munus public; ils se recrutent de la même manière, peuvent exercer
plusieurs curae (Grumentum), complètent la somme allouée (Amiter-
num, Lucus Augusti) ; la périodicité de ce munus (comme nous l'avons
supposé pour le munus public) n'est point forcément annuelle, mais
biennale à Auximum, quadriennale à Pisaurum et Bénévent;
naturellement, le curateur pouvait être tenu de respecter telle condition exigée
par le donateur - la date, par exemple (Auximum, Pollentia). Ces
munera de fondation ont pu apparaître très tôt - avant même les
munera publica : le munus Catinianum remonte au début de l'empire.
D) LE MUNUS LIBRE
3881, cf. 1187; ajoutons un graffito qui annonce le munus d'un autre nolanais : G.
Giordano, Spettacoli nell'Anfiteatro di Nola e l'origine della città di Comiziano alla luce di
documenti pompeiani, Pompei, 1961, p. III-IV.
51 Pour la date, voir Mommsen au CIL : « litterae bonae sunt, neque abhorrent a sae-
culo primo ». Mais, pour l'établissement du texte, mieux vaut se rapporter à Buecheler,
Carmina epigraphica, n° 417, qu'au CIL V, 5049.
52 L. Robert, 104; remarquons que ce texte est très ancien; il remonterait selon
E. Kalinka, ??? 508, au début du Ie siècle avant notre ère; la venatio décrite est encore
la venatio indigène, fortement diversifiée, et que nous sommes probablement à un
moment où Yeditio ne se fait pas encore, en Asie Mineure, pendant l'exercice des
sacerdoces impériaux.
202 LES COMBATS DE GLADIATEURS
53 CIL P 1578 = X 4727 = Dessau, 6297; les Papii sont les membres de la gens de
l'éditeur et de son père.
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 203
dans le De brevitate vitae (XX, 5), Sénèque évoque ceux qui prennent
leurs dispositions pour l'après-vie : quidam vero disponunt etiam illa
quae ultra vitam sunt, magnas moles sepulcrorum et operum publico-
rum dedicationes et ad rogum munera et ambitiosas exsequias. Enfin, en
106-107, Pline le Jeune (VI, 34, 1-3) félicite son ami Maximus d'avoir
cédé aux instances des Véronais et promis un munus en l'honneur de
sa femme. Mais, si l'on considère ces textes, il est probable que le
second, à sa date de 49, est un pur anachronisme, comme témoigne la
mention du rogus57; et je montrerai que le troisième représente un
processus de dégradation à peu près parvenu à son terme. Tout se
passe comme si s'éteignait lentement, à partir de l'Empire, une
institution qu'on peut supposer avoir été florissante dans les cités à la fin de
la République, comme elle l'était à Rome au même moment; on peut
dans ces conditions se demander quelle fut hors d'Italie la diffusion
de ce munus funèbre : sans doute se limita-t-elle à quelques editiones
sporadiques?
C'est à Rome aussi, au Ier siècle avant notre ère, que G?? voit
apparaître le munus donné pour l'inauguration d'un monument :
sinon en 56, pour la dédicace du théâtre de Pompée (il y eut du moins
une grande venatio dans le programme des spectacles), en tout cas en
29, pour celle de Yaedes Julii; en province, le premier munus inaugural
connu - mais ceci n'est dû qu'à la précarité de nos sources - ne
remonte qu'au troisième quart du Ier siècle de notre ère : sous Néron
ou Vespasien, un programme pompéien annonce un munus - qui ne
comprend en fait qu'une venatio et des athlètes - dû au grand
numéraire Cn. Alleius Nigidius Maius : Dedicatione / operis tabularum Cn.
Allei Nigidi Mai Pompeis idibus Junis; / pompa, venatio, athletae spar-
siones vela erunt5*. Le même personnage donna un autre munus pour
toute récente : Et habet unde. Relictum est illi sestertium tricenties : decessit illius pater
male. Mais ce n'est qu'une possibilité, car la mort du père est évoquée ici pour dire
que Titus est grâce à elle en possession de l'héritage et qu'il a les moyens de bien faire
les choses.
57 II est clair qu'au milieu du Ie siècle, il y avait fort longtemps que le munus
funèbre n'avait plus lieu ad rogum; on trouve chez Pline l'Ancien, XXXVI, 15, 120, à propos
du munus donné par Curion à son père, l'usage rhétorique d'une image semblable :
. . . vere namque confitentibus populus Romanus funebri munere ad tumulum patris ejus
depugnavit universus.
58 CIL IV 7993; G. O. Onorato, n° 93; ce programme, qui est à peu près complet, a
permis de restituer correctement 1777; à ce même munus se rattachent aussi 1178 et
3883; sur cet opus tabularum, cf. A. Maiuri, L'ultima fase edilizia di Pompei, Rome, 1942,
p. 35 sq. et M. Della Corte au CIL, qui reconnaissent le tabularium; pour A. W.
Van Buren, AJPh., 1947, p. 391, il s'agirait de tabulae pictae qui décoraient le théâtre;
1177 porte muneris, là où l'on attendrait operis : confusion du dealbator ou mauvaise
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 205
62 CIL TV 3882;
63 3884; G.
G. O.
O. Onorato,
Onorato, n°
n° 101.
95 : D. Lucreti / Satri Valentis flaminis Neronis
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 207
68 A supposer que le sacerdoce impérial des cités ait revêtu une importance
comparable en Occident à celle qu'il paraît avoir en Orient; on prendra garde, d'autre part,
que, parmi les munera africains des IIe-IVe siècles dont la concomitance avec l'exercice
d'une magistrature est possible, il en est qui peuvent avoir été des editiones flaminales;
voir par exemple CIL VIII 1888.
69 CIL TV 7989 : Pro salute Neronis Claudi Caesaris aug. Germanici, Pompeis, Ti
Claudi Veri venatio athletae et sparsiones erint (sic) V, III k(alendas) Mart(ias); cf.
id, 1181, qui est une annonce, très mutilée, de la même venatio, et peut-être IV 3822.
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 209
M. Della Corte, commentant IV 7989, le rapproche d'un autre edictum, trouvé à gauche,
IV 7988; ce second texte est très mutilé et on ne peut accepter les restitutions hardies
de l'éditeur.
70 Tacite, Ann., XIII, 44, 1; cf. n. 74.
71 CIL X 6012; pour l'interprétation de ce texte, cf. ce qui est dit sur Yindulgenfia
du prince.
72 Défense, après la catastrophe de Fidènes, de donner un munus à qui n'a pas au
moins 400 000 HS (Tacite, Ann., IV, 63, 2). Il ne fait pas de doute que le sénatus
consulte s'applique à toutes les formes d'editio : on voulait, par cette exigence, écarter
de Yeditio des hommes qui risquaient, par manque de moyens financiers, de mettre en
danger la sécurité des spectateurs; ce qui valait surtout pour les cités sans
amphithéâtre, où le munéraire devait faire les frais du cadre. Suétone, Claud, XXVIII, 1, dans un
§ consacré à l'attitude de Claude à l'égard de ses affranchis, dit que l'empereur
accorda, à l'affranchi Harpocras, spectacula publiée edendi jus. Mommsen, E. E. VIII,
p. 400, n. 2, entend : « in municipiis scilicet », considérant en outre que les affranchis ne
peuvent donner de spectacles officiels; je ne le pense pas; j'ai montré qu'il existait une
editio réglementaire, et donc publique, des seviri, seviri augustales et augustales, qui
étaient le plus souvent des affranchis; en fait, Claude dut autoriser son affranchi à
donner, à Rome, un spectacle (à son habitude, Suétone généralise à partir d'un fait
unique), soit de ceux dont Yeditio régulière incombait aux magistrats, soit - autre sens
de publiée - « aux frais de l'Etat » ; quoi qu'il en soit, seule une editio à Rome, compte
tenu du contexte, est compréhensible.
73 Cf. L. Robert, 63 et 139; pour l'interprétation, cf. infra; pour d'autres formes de
réglementation, on se reportera naturellement au grand texte d'Italica, CIL II 6278 =
Dessau 5163; ajoutons que le fondateur d'un munus en Cisalpine, sous Antonin le
Pieux, précise que Yeditio aura lieu dum ea quae legibus plebisve scitis senatusque
consultis cauta comprehensaque sunt serventur (CIL V 7637 ; cf. p. 198).
74 Tacite, Ann., XIII, 44, 1 (en 58) : Non referrem vulgarissimum senatus consultum
quo civitati Syracusanorum egredi numerum edendis gladiatoribus finitum permitteba-
tur ... ; c'est à ce genre de délibérations frivoles que Pline fait écho dans le
Panégyrique de Trajan, LIV, 4 : De ampliando numero gladiatorum . . . consulebamur.
75 CIL V 5124; X 1211 (c'est à tort que j'ai interprété ailleurs ce dernier texte
comme impliquant, outre l'autorisation, une subvention impériale); 6012; XI 6357;
210 LES COMBATS DE GLADIATEURS
semblables ont dû exister dès le Ier siècle. En tout cas, le sens des
restrictions est ambigu; on peut proposer diverses raisons qui ont dû
jouer toutes : désir de fixer des limites à Yambitus municipal, de
ménager les fortunes curiales; peur de voir réunies de trop grandes masses
de combattants ou de bêtes; préoccupation humanitaire enfin
(limitation des combats sine missione) ou lutte contre un luxe coûteux.
En règle avec les interdits impériaux, l'éditeur devait encore
obtenir l'autorisation de sa cité, c'est-à-dire de la curie, ne fût-ce d'abord
que pour avoir la permission d'utiliser des lieux publics, forum ou
amphithéâtre; il est probable aussi que Yeditio libre elle-même fut
soumise, dès le début, à un décret préalable des décurions; à quoi
s'ajoute l'observation des leges gladiatoriae propres à chaque cité76.
Une inscription espagnole de Carmo (CIL II 1380) dit qu'un
personnage fut investi d'une quattuorviralis potestas pour donner un
munus (muneris edendi causa); Mommsen en a conclu que tout
éditeur libre devait revêtir pour cela une sorte de pro-magistrature (E.
E., VII, p. 399-400); mais cet hapax me paraît plutôt faire état d'une
faveur exceptionnelle, faite par une cité à son munéraire, que d'une
procédure obligée.
La curie pouvait ne pas limiter son intervention à l'octroi d'une
autorisation; elle exerçait souvent sur l'éditeur libre, comme sur tout
donateur en puissance, de fortes pressions qui se conjuguaient avec
celles du populus; l'épigraphie, après le Ier siècle, nous révèle celles-ci
par des euphémismes transparents77; les incidents de Pollentia et la
L. Robert, 63 et 139; cf. aussi, avec un formulaire différent, CIL X 1211, etc.; cf.
Mommsen, E. E. VII, p. 400; G. Lafaye, p. 1567; L. Robert, p. 274.
76 Sous le règne de Claude, à Magnésie du Méandre, L. Robert, 152, un personnage
est loué pour avoir donné un jour de munus supplémentaire «contre le décret» (de la
cité qui réglementait Yeditio); L. Robert, 152 : pa?? t? ??f?sµa; id, p. 281.
77 [A Minturnes (CIL X 6012 = Dessau, 5062), un magistrat est honoré «quod
munus glad., post honor(em) II vir(atus), splendidiss(imum), postul(ante) populo
q(uando) process(us) editio celebrata est, ex indulg(entia principis) . . . libenter susce-
perit»; après un duumvirat splendide (c'est-à-dire accompagné de jeux pour lesquels
notre magistrat a largement dépassé le minimum légal ou a fait mieux que ses
prédécesseurs), notre magistrat donne en outre un munus dans lequel il dépasse le
maximum autorisé par le sénatus-consulte d'Italica : pour pouvoir le dépasser, il a sollicité
l'autorisation (indulgentia) de l'empereur. Ce munus, spectacle privé et bénévole, lui
avait été demandé par là foule lorsque, duumvir entrant en fonction, il avait fait son
entrée solennelle (processus; on comparera le processus des consuls romains : H. Stem,
Le calendrier de 354, étude sur son texte et ses illustrations, Paris, 1953, p, 158) et il a
agréé bénévolement la demande, ce qui constituait une pollicitation. A Formies (Aép.,
1927, n° 124), un personnage est honoré «quod is, ob honor(em) biselli, HS XXV
(milia) rei p. obtulerit, ex quib(us) familia glad. ex postulatu universor(um) per ipsum
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 211
edita est». Comparer petente ordine et populo (CIL II 3221=6339); secundum petitionem
municipum (CIL II 3364); postulante universo populo (ILT n°412); d'où, inversement,
des formules telles que citra ullius postulationem (CIL IX 1619) ou spontanea liberalitate
(S. Gsell, Inscriptions latines de l'Algérie, I, 2138).]
78 Suétone, Tib., XXXVII, 5; Pline le Jeune, VI, 43, 1-3 : tanto consensu rogabaris, ut
negare non constans, sed durum videretur.
79 Voir par exemple J. Carcopino dans les Mélanges Alfred Ernout, Paris, 1940,
p. 39-50.
212 LES COMBATS DE GLADIATEURS
80 Flavius Josèphe, Bell. Jud, VII, 2, 23-24 et 3, 37-39. Outre les bêtes et les combats
d'homme contre homme, d'autres prisonniers furent brûlés. Le natalis de Domitien, où
se placèrent certains de ces supplices, est le 24 octobre; celui de Vespasien, le 17
novembre. Pour les massacres dans les villes de Syrie, Josèphe, VII, 5, 96.
81 Tacite, Hist, II, 67, 2; II, 70, 1; III, 32. Dion Cassius, LV, 1, 3.
82 Tacite, Annales, XV, 34, 2.
83 Mommsen dans E.E., VII, p. 403-405; Lafaye, p. 1570; L. Robert, Gladiateurs, 273.
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 213
97 Je ne pense pas qu'il faille entendre (comme fait Mommsen, loc. cit. ; cf.
G. Lafaye, p. 1567) le mot circumforanus (ou circumforaneus) dans un passage de
Suétone, Vit., XII, 2 (Vitellius vend un de ses esclaves qui s'était enfui et qu'il avait repris :
. . . circumforano lanistae vendidit dilatumque ad finem muneris repente subripuit),
comme l'épithète du laniste organisateur de munera payants; il s'agit simplement d'un
laniste «ambulant», par opposition au laniste installé à demeure; le récit de Suétone
est très elliptique : le laniste a acheté l'esclave, puis il l'a engagé ou vendu pour un
munus; mais il n'est pas nécessaire d'imaginer qu'il fut l'organisateur de celui-ci.
98 Sur le lusus juvenum, on verra H. Demoulin, Les collegia juvenum dans l'Empire
romain, Mus. Bel, 1897, p. 206-214; M. Rostovtseff, Etude sur les plombs antiques, Rev.
Num., 1898, p. 458-461; DAS, s.v. «Juventus» (C. Jullian, 1900); M. Della Corte, luventus,
Arpino, 1924, p. 29-41. M. Rostovtseff, loc. cit., considère que lusus juvenum peut
signifier juvenalia, ce qui est l'opinion habituelle, mais que le plus souvent lusus a dans
cette expression le sens d' «école»; il4se fonde surtout sur CIL XII 533 où un juvenis
(cf. p. 217) est dit : ... docili lusu juvenum bene doctus, ce qu'il traduit : un lusus qui
« s'approprie facilement l'enseignement » ; il est clair que cette interprétation est
inacceptable et que lusus ne s'est jamais confondu avec ludus; d'autant que le sens de ce
vers est clair même en gardant à lusus sa valeur habituelle : « Bien instruit dans le
savant jeu de la jeunesse»; sur ce sens de docilis, cf. Thesaurus, V, col. 1709, 1. 20 sq. (la
fin de cette note sur des indications de P. Veyne).
99 Dion Cassius, LXV, 15, 2. Sans doute s'agit-il de Caecina Alienus (cf. M.
Rostovtseff, RM, 1900, p. 223-228); Dion Cassius rapporte cet épisode parmi les événements de
75 et il est probable que c'est à cette date qu'il eut lieu, c'est-à-dire à un moment où
Titus n'était plus un juvenis.
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 217
exception. Sur une inscription d'Aix (CIL XII 533), un jeune homme
dit: harenis Pulcher et ille fui, variis circumdatus armis, «dans l'arène
j'ai été aussi le fameux Pulcher, qu'on a vu ceint d'armes variées » ; ce
qui, succédant à la mention de la part que prit ce jeune homme au
lusus juvenum, doit se rapporter à des skiomachies qu'il a dû disputer
en cette circonstance100. Une inscription de Spolète mentionne un
C. Cominius Fortunatianus, sévir augustalis, qui est dit pinn(irapus)
juvenum, et ce titre énigmatique, qui semble appartenir au monde de
l'arène, désigne peut-être un doctor; il se rapporterait donc à un
apprentissage des armes gladiatoriennes par les juvenes, qui trouvait
sa consécration dans une exhibition, comme celle qui est rapportée à
propos de Titus101. A Paestum, dans un texte, il est vrai, très postérieur
à l'époque qui nous occupe - il est daté de 241 -, un affranchi, M. Tul-
lius Primigénius, qui fut aussi augustalis, est honoré d'une statue par
les juvenes, qui le nomment « leur summarudis » (summarudi suo) : je
croirai volontiers que ce personnage était l'arbitre des skiomachies de
leurs juvenalia 102. Une tessere municipale, probablement du Ier siècle,
relative à des juvenes, porte au revers l'image schématique d'un
amphithéâtre, avec le nom de son constructeur : L. Sextilius s(ua)
p(ecunia) f(ecit). Une inscription de Lucus Feroniae (CIL XI 3939),
postérieure au Ier siècle (les seviri augustales y sont formés en collège),
mentionne un M. Silius Epaphroditus, patron de la Juventus dont il
fut deux fois le magister : il est honoré par le collège, quod amphithea-
trum s(ua) p(ecunia) fiecit) dedicavitque. Ces deux documents suggèrent
aussi un rapport entre l'arène et les juvenes, avec leur lusus juvenum,
encore qu'il puisse ici s'agir seulement de venatio103.
Au lusus juvenum pouvaient en effet être annexées des chasses.
On connaît une venatio offerte à l'occasion de juvenalia, dans la villa
de Domitien, l'Albanum, sur les Monts Albains, où le consul Glabrio
tua un lion : cette editio, qui paraît avoir eu lieu tous les ans, aux
Quinquatries, est un cas, un peu particulier de cette pratique104. A une épo-
102 Aep. 1935, 27; A. Marzullo, Atti del terzo Congresso naz. di stud rom, I, 1934,
p. 599, pi. LXIII, fig. 1; M. Della Corte, Athenaeum, 1934, p. 337; ce dernier a tort de
faire de notre personnage un «maestro di scherma» du collège, ce que n'est jamais le
summa rudis; dans leur dédicace, les juvenes motivent leur geste : ob plurima beneficia
ejus in se collecta, ce qui fait songer à un bienfaiteur plutôt qu'à un employé; d'autre
part, le possessif suo implique qu'il est présenté sur la pierre comme l'arbitre des
juvenes, et non point comme un arbitre de gladiature (ce qu'il peut avoir été aussi, et qu'à
mon avis il a probablement été); on supposera donc un arbitre bénévole, qui a pu par
ailleurs rendre au collège d'autres services que celui-là.
103 L'assimilation que fait M. Della Corte, luventus, p. 33-36, de certains gladiateurs
liberi, qui apparaissent dans des graffiti pompéiens, avec des juvenes, ne peut
naturellement être admise, tout comme l'interprétation qui est proposée, p. 33-34 de quatre
annonces de spectacles, qui, parce qu'elles ne mentionnent qu'une venatio (et des
athlètes), et non point des combats de gladiateurs, pourraient se rapporter au
juvenalia de la Juventus de Pompei.
104 Cette venatio de Domitien eut lieu en 89 : Dion Cassius, LXVII, 14, 3, dit que le
consul tua un lion. Juvénal, IV, 99-101 : Profuit ergo nihil misero quod comminus ursos /
figebat Numidas Albana nudus barena / venator ... ; le désaccord de Juvénal et de Dion
(ce dernier confirmé par Fronton, cf. infra) ne fait pas difficulté : Acilius Glabrio dut
participer avec d'autres amateurs et des juvenes à une venatio où l'on tua des lions, des
ours et sans doute d'autres animaux. Fronton, Ad M. Caes., 37, dans un thème de
controverse qu'il propose au futur Marc-Aurèle, évoque cette venatio; Materiam misi
tibi; res seria est : consul populi Romani posita praetexta manicam induit, leonem inter
juvenes Quinquatribus percussit populo Romano spedante ... ; allusion comprise par
l'élève, qui toutefois doute de son interprétation : Num illud dicis in Albano factum sub
Dominano? La présence du peuple romain (populo Romano spedante) à cette editio
privée doit s'entendre comme une majoration de Fronton en vue du sens qu'il veut don-
LES « VENATIONES » HORS DE ROME 21 9
ner à sa controversia; plus dedicate est l'assimilation, que fait Fronton, des juvenalia du
domaine de l'Albanum {inter juvenes) avec les spectacles que Domitien faisait
organiser dans cette même villa pour les Quinquatries (Quinquatribus) et que nous
connaissons par Suétone et Dion Cassius; faut-il accepter cette assimilation? Que Suétone ne
parle pas de juvenalia est un argument pour une distinction entre ceux-ci et Yeditio des
Quinquatries, et il n'est pas impossible que Fronton ait confondu les deux fêtes; on
peut remarquer aussi - mais l'argument n'est pas décisif - que Dion évoque sans les
confondre, dans le même chapitre LXVII, les ?ea??,s?e?µata où parut Glabrio et les
?a?a???a?a qui correspondent aux Quinquatries décrites par Suétone (sur la présence
de gladiateurs aux Panathénées de Dion, ce qui excluerait l'assimilation à des
Juvenalia, cf. p. 159, où l'on montre qu'il s'agit très probablement d'une confusion). Mais,
d'autre part, on a trouvé une tessere de plomb (M. Rostovtseff, Rev. Num., 1898, p. 276,
n° 19; ibid., 1899, p. 125, n° 92) qui semble se rapporter aux juvenalia de Domitien; elle
porte au droit IWEN AVG et au revers ALBAN avec un buste de Minerve; à la rigueur,
la dévotion toute particulière de l'Empereur pour cette divinité pourrait suffire à
expliquer la présence de cette image; mais il est plus raisonnable de considérer qu'elle
rend très probable la célébration, aux Quinquatries, des juvenalia de l'Albanum (on
remarquera qu'il n'est pas possible de voir dans ces juvenalia la continuation ou la
reprise des juvenalia de Néron : ceux-ci avaient lieu en effet le 18 Octobre; or, à cette
date, Glabrio n'était plus consul, puisqu'il fut consul ordinaire et qu'il y eut cette
année-là deux couples de suffecti : A. Degrassi, / fasti consulari dell'impero romano,
Rome, 1952, p. 27; ce qui toutefois n'exclut pas, au moins quant au programme
théâtral, une influence des Juvenalia de Néron sur ceux de Domitien) ; il resterait, dans ces
conditions, à expliquer la relation entre Minerve et les juvenalia : on peut penser que
Domitien a voulu organiser dans sa villa, sur le modèle des lusus juvenum municipaux
(et en songeant peut-être aussi aux Juvenalia crées par Néron), des juvenalia réservés
aux juvenes de l'aristocratie impériale; or les juventutes étaient normalement placées
sous la protection d'une divinité (cf. C. Jullian, loc. cit.); il est donc probable que le
lusus juvenum était aussi offert à ce dieu patron : d'où l'on voit qu'il était normal que
Domitien fasse offrir ces juvenalia à Minerve et place leur célébration aux
Quinquatries - entendons : aux Quinquatries majeure des 19-23 mars; la date et cette vocation
ont pu faire oublier qu'il s'agissait de juvenalia (Suétone et Dion), ce que rappelait par
contre la participation d'un consul à la venatio (Dion). Rostovtseff, ibid, 1898, p. 459,
rapporte la tessere susdite à la. Juventus de Bovillae; il considère que celle-ci est le col-
legium dont parle Suétone, Dom., IV, 11 (cf. p. 159), et que c'est à ses magistri
qu'incombe Yeditio des spectacles des Quinquatries, c'est-à-dire - identification admise
par Rostovtseff - des juvenalia : ce n'est guère possible : on voit mal la Juventus de
Bovillae célébrant ses juvenalia dans une villa impériale (et pourquoi la mention
ALBAN sur des tessères dont Rostovtseff montre qu'il ne s'agit pas de jetons
d'entrée ?) ; outre que les magistri, qui seraient en ce cas des citoyens d'une petite ville,
même assistés par le trésor de cette ville, auraient du mal à financer un programme de
spectacles bien lourd pour eux (en particulier les eximias venationes dont parle
Suétone, où paraissent même des lions); en réalité, ce collège n'est pas un collegium juven-
tutis municipal, mais un collège de dévots de Minerve qui devait se recruter dans
l'aristocratie romaine (il faut ajouter que Rostovtseff lui-même, Rev. Num., 1898, p. 287,
constate que les juventutes n'apparaissent jamais comme collegia avant le IIe siècle).
Voir p. 269, n. 92.
220 LES COMBATS DE GLADIATEURS
107 Ce traditionnalisme a, il est vrai, la vie dure : en Afrique, dans un texte de 187,
une même editio est décomposée en munus gladiat(orum) et venat(ionem);
décomposition analogue sur un texte tardif d'Allifae : CIL IX 2350-2351 (cf. p. 205) où deux
munera sont évoqués ainsi : «tant de paires de gladiateurs et une venatio de tel type»;
même chose à Cumes, CIL X 3704 etc.
222 LES COMBATS DE GLADIATEURS
plutôt une editio restreinte, pour raisons d'économie par exemple, que
le maintien de la forme d'editio ancienne. Par contre, on voit subsister
la venatio indépendante - ainsi celle offerte par Cn. Alleius Nigidius
Maius (CIL IV 1177-1178; 3883; 7993) pour la dédicace de l'opus
tabularum et celle donnée par Ti. Claudius Verus (CIL IV 1181 et 7989); cette
venatio indépendante se maintient pendant tout le Haut-Empire, pour
s'épanouir, au IVe siècle, particulièrement en Afrique.
Le munus pompéien (ou la venatio indépendante) comporte
souvent des athlètes; nous retrouvons à Rome, sous Caligula, une
pratique semblable; elle disparaît dans le courant du siècle; nous
reprenons ce point à propos des autres appendices du munus : la pompa et
les sparsiones.
A la fin du IIe siècle avant notre ère, il y avait tout lieu de penser
que l'Italie entière avait adopté les combats de gladiateurs - pour la
venatio, on ne saurait rien dire; hors d'Italie, nous n'avons trouvé
trace que d'une diffusion sporadique, sauf peut-être en Espagne. Or
les deux siècles qui suivent voient la gladiature (et la venatio) se
répandre dans tout le monde romain. Le processus ne s'engage
sérieusement qu'avec l'Empire, car deux faits capitaux interviennent à ce
moment : d'une part, la déduction de colonies transmarines par César
et Auguste, qui constituent à travers le monde d'intenses foyers de vie
italienne (on a vu la modeste colonie de Cnossos, à une date proche
de sa fondation, autoriser des magistrats à donner un munus à la
place des ludi prévus par sa constitution); et, d'autre part, l'échange
qui se produit entre Rome et les élites provinciales : l'octroi, aux plus
riches, de la civitas et des privilèges qui y sont attachés, en échange de
l'acceptation politique et culturelle du fait romain, amène à Yeditio la
minorité qui justement y est financièrement apte. A cela s'ajoute peut-
être, au moins dans quelques provinces, une pénétration en
profondeur qui n'est pas forcément un fait de romanisation : l'adoption de la
gladiature ne s'insère pas, au moins à l'origine, dans le processus de
romanisation, mais constitue l'emprunt pur et simple d'une
institution conforme au goût du public local et soutenue par une mode; la
nature particulière de cette démarche fait que la gladiature reçoit une
forme originale et nationale : c'est dans cette perspective qu'il faut
comprendre la gladiature ibérique, que nous avons cru pouvoir
supposer grâce à une image vasculaire (cf. p. 49), ou la gladiature
gauloise, que nous connaissons grâce aux textes célèbres de Tacite sur la
LES «VENATIONES» HORS DE ROME 223
révolte gauloise de 21. Il est probable que ces formes indigènes ont dû
se fondre, à cause des progrès de la romanisation, dans les formes
romaines; mais on ne saurait dire quand ni comment, tant nos
sources sont décevantes : sans Tacite, auràit-on osé imaginer que les ludi
d'Autun possédaient assez de gladiateurs authentiquement gaulois
pour constituer le fer de lance d'une armée insurrectionnelle? Aussi
ne peut-on faire fonds sur un argument ex silentio pour supposer que
cette romanisation de la gladiature a eu lieu très tôt; même la
généralisation, dans le stock de poinçons sigillés de La Graufesenque, de
thèmes gladiatoriens spécifiquement romains ne signifie pas grand,
chose, car ces décors sont à peu près tous empruntés à des lampes
d'importation. Et l'on sait par ailleurs qu'à la fin du règne de Marc
Aurèle les Gaulois pouvaient voir encore, peut-être même au
Confluent, ces trinqui qui appartenaient à la pure tradition nationale
et auxquels ils paraissent avoir tenu beaucoup (cf. p. 235, n. 18).
Ailleurs en Occident, nous ne disposons, pour jalonner cette
diffusion, que d'éléments rares et peu utiles, car la plupart sont bien
certainement postérieurs à l'apparition des premiers gladiateurs; c'est ainsi
qu'en Narbonnaise la gladiature n'a certainement pas attendu les
premiers documents figurés (reliefs de Narbonne : fin du règne
d'Auguste), les premières épitaphes gladiatoriennes (époque juiio-
claudienne) ou les premiers amphithéâtres en pierre (Arles et Nimes,
entre Néron et Trajan)108. En quelques lieux, toutefois, il arrive qu'un
document vienne confirmer l'hypothèse d'une diffusion rapide de la
gladiature en Occident, même en dehors des colonies et des vieilles
provinces romanisées : ainsi au Magdalensberg.
En Orient aussi, nos sources confirment que la pénétration de la
gladiature en milieu grec ou hellénisé est chose faite au le début de
l'Empire; nous avons rencontré des comptes rendus de munus à
Athènes (figurés), à Thasos (écrits), et des éditeurs à Ancyre de Galatie dès
le règne d'Auguste. Dès la même époque, nous savons que des
venationes ont lieu en Orient à Mytilène et à Mylasa, sans compter les
venationes indigènes. Voir p. 208.
108 R. Etienne, La date de l'amphithéâtre de Nîmes, dans les Mélanges André Piganiol,
Paris, 1966, p. 985-1010 : entre 75 et 95; G. Lugli, La datazione degli anfiteatri di Arles e
Nimes in Provenza, Riv. Ist. naz. Are. Stor. Arte, 1964-1965, p. 145-199 : Arles : Néron-Ves-
pasien; Nîmes : Domitien- Trajan.
224 LES COMBATS DE GLADIATEURS
I - Origine et condition
1 II n'est pas impossible que cette pratique ait commencé dès l'époque
républicaine, mais nos sources sont muettes à ce propos : je me suis demandé si la
contradiction, à propos des bestiaires engagés en 55 dans l'éléphantomachie de Pompée (Pline,
N. H., VIII, 7, 19 : Gaetulis ex adverso jaculantibus, et Sénèque, De brev. vit., XIII, 6 :
commissis more proelii noxiis hominibus) ne pouvait se résoudre en supposant que ces
Gétules étaient des «insoumis», que l'on pouvait à la rigueur assimiler à des latrones;
mais il est plus probable qu'il faut les rapprocher des jaculatores qui furent en 93
envoyés par Bocchus à Sulla pour tuer les lions que celui-ci présenta lors de la venatio
de ses ludi (cf. p. 89); ou encore des 100 venatores éthiopiens que l'édile L. Domitius
Ahenobarbus présenta en 61 pour une semblable circonstance; le terme dont se sert
Dion Cassius, XXXIX, 38, 2 : « des hoplites », n'apporte rien pour la solution de ce
problème; on peut donc penser qu'il y eut des Gétules et des noxii ou encore que la
mention de ces derniers repose seulement sur une confusion de Sénèque. Par contre, il est
probable que, lors du combat gregatim qui clôtura la venatio offerte par César en 46
(cf. p. 93), parurent des prisonniers, mais les textes ne précisent pas ce point; tout
comme dans les combats, eux aussi gregatim, offerts par Domitien à son retour de la
guerre dacique.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 229
2 Josèphe, Bell. Jud, VI, 9, 418; sur le sens de ?e?t????, cf. L. Robert, p. 36, n. 2.
3 Pour Cesaree de Philippe, Josèphe, VII, 2, 23-24, signale que le combat fut livré
gregatim; on peut penser qu'il en fut de même à Cesaree et à Béryte, bien que Josèphe
ne précise pas ce point.
4 Sénèque, Ad Luc, VIII, 70, 26 signale qu'un barbare se suicida avec la lance qu'il
avait reçue pour combattre : il est clair qu'il ne possédait auparavant aucune arme et
n'avait reçu aucune formation dans un ludus, mais se trouvait simplement détenu
dans l'attente de la naumachie à laquelle on le destinait : ce qui concerne beaucoup
plus probablement un prisonnier de guerre qu'un esclave.
5 Ces prisonniers ne pouvaient être graciés; dans son discours aux assiégés de
Masada, le chef Eléazar déclare que ceux de ces prisonniers qui avaient été à demi
dévorés par les bêtes, mais étaient encore vivants, étaient à nouveau offerts aux bêtes :
Josèphe, BJ, VU, 8, 373.
6 Ce qui se tire de trois textes qui se complètent plutôt qu'ils ne se contredisent :
Florus, II, 8, 9 (pour désigner le destinataire de ces combats, Florus emploie le pluriel
ducum; mais il s'agit probablement d'une généralisation); Appien, BC, I, 14, 117, signale
que Spartacus sacrifia 300 prisonniers en l'honneur de Crixus; on peut supposer qu'il
230 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
mais, malgré la relative imprécision des termes, je pense qu'il n'en est rien : Fadius est
un ancien soldat qui s'est fait gladiateur (je ne crois pas qu'il soit nécessaire de
comprendre que Balbus l'a contraint à cela; depressus exprime seulement la déchéance
inhérente à ce nouveau métier); lors de son munus, Balbus, par la procédure
habituelle de Yaudoratio, l'engagea pour deux combats, mais sans lui verser de prime, ce
qui n'est de la part de Balbus qu'un abus pur et simple, tout comme le traitement
infligé à Fadius après le refus d'une troisième audoratio; il est possible que la
condition d'ancien soldat de Pompée, peut-être fait prisonnier, ait été pour Balbus la
justification de cette attitude. [Pour combussit, voir p. 248 (uri flammis)].
10 On ne peut toutefois, exclure que ce Germain ait été amené à Rome à la suite de
la traite aux frontières.
11 Tacite, Hist., II, 61, 3 : Captus eo proelio Marrie us; ac mox feris objectis quia non
laniabatur stolidum volgus inviolabilem credebat, donec spedante Vitellio interfectus est;
les mots feris objectis sont une variation sur le tour normal objectus feris; cf. le texte de
Varron, Ménippées, fr. 24 Buecheler, intéressant par sa date ancienne : noxios objicitis
bestiis. Tacite semble suggérer que Vitellius fut seulement spectateur et non point
éditeur du munus où eut lieu l'exécution, mais on ne saurait exclure qu'il ait été aussi
éditeur.
232 GLADIATEURS, BESTIAIRES. «DAMNATI»
14 Cette vente pourrait être inférée, à l'époque impériale, de la IXe des Declamatio-
nes majores de (Pseudo)-Quintilien : parlant de sa vie au ludus, le héros de celle-ci dit
(XXI) ; morabar inter sacrilegos, incendiarios et, quae gladiatoribus una laus est, homici-
das (et le contexte prouve bien qu'il s'agit d'un ludus privé) ; or ces trois catégories de
criminels sont toutes susceptibles d'être condamnés au ludus; on pourrait penser que
c'est à ce titre qu'ils s'y trouvent. Mais il est plus probable que le déclamateur évoque,
par trois exemples majeurs, les perditi homines, pas forcément condamnés, qui
composent dans l'opinion courante une partie des pensionnaires des ludi. Le même
déclamateur (V) fait dire à son héros : et inter debita noxae mancipia contemptissimus tiro gladia-
tor; les debita noxae mancipia ne sont pas non plus des damnati ad ludum, mais,
[comme le prouve l'allusion à la procédure juridique de la noxa, des esclaves capables
de tout, que leur maître a revendus à un laniste pour n'être pas civilement
responsable de leurs méfaits éventuels].
15 Ainsi la condamnation d'un chevalier qui avait offensé la mère de l'empereur
(Dion Cassius LXI, 10, 4; celle d'Esius Proculus condamné à se battre impromptu
(Suétone, Cal., XXXV, 4); c'est à une condamnation de ce genre, qui frappa en 39 de
nombreuses personnes, que fait allusion Dion Cassius, LIX, 13, 2 (cf. p. 132); ce fut aussi le
sort, en 38, d'une foule de gens dont Dion Cassius, LIX, 10, 1 dit que le prince « les fit
se battre comme gladiateurs», «les contraignit à se battre homme contre homme et
gregatim » ; on remarquera toutefois, en ce dernier cas, que Dion ne parle pas
explicitement de condamnation; l'usage de la contrainte, à l'égard d'innocents non condamnés,
est attesté par ailleurs.
234 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
16 La damnatio ad ludum venatorium est évoquée par Ulpien au Digeste, XLVIII, 19,
8, 11-12; Ulpien se demande si le damnatus ad ludum doit être servus poenae et opte
pour l'affirmative; il ne mentionne que la condamnation au ludus venatorius; on
supposera, comme Mommsen, EE, VII, p. 409, n. 5, que la damnatio ad ludum gladiatorium
a été supprimée par les compilateurs (c'est une suppression semblable qui explique
l'omission des gladiateurs dans d'autres passages du Digeste, où ne sont cités que des
venatores : XXI, 5, 3, 5, Callistrate et XLVIII, 6, 10, Ulpien); on peut supposer que la
condamnation à l'un ou l'autre ludus apparaissait ici comme formellement
équivalente. La suite du commentaire d'Ulpien me demeure inconpréhensible : magis est ut hi
(c'est-à-dire : les damnati ad ludum gladiatorium) quoque servi efficiantur; hoc enim
distant a ceteris, quod instituuntur venatores aut pyrrhicharii aut etiam quam voluptatem
gesticulandi vel aliter se movendi gratia; Ulpien nous dit, ce qui est peu croyable, que
des damnati ad ludum, peine qui équivaut aux travaux forcés dans les mines, peuvent
être fait pyrrhichistes, danseurs, etc.)
17 Mommsen, op. cit., p. 925 et n. 3; le texte de Firmicus Maternus, VII, 8, cité par
Mommsen : gladiatores efficient, sed qui damnati ad hoc exitium transferantur, veut dire
que, la mort étant le lot habituel des gladiateurs, les hommes en question mourront
comme gladiateurs, mais dans la catégorie de ceux à qui cette condamnation a été
imposée à la suite d'une condamnation; sur la damnatio ad gladium ludi, cf. encore
SHA, Vita Macr., XII, 11; G. Ville, MEFR, 1960 p. 326-329.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 235
nom18, pareille mise à mort dans l'arène, à l'épée, d'un damnatus sans
défense existe déjà à l'époque de Claude et de Néron19.
La rareté des allusions à ce châtiment s'explique sans doute par
son caractère assez peu spectaculaire; mais il est probable aussi que
son extension fut moindre que celle de la damnatio ad bestias20.
3) La damnatio ad bestias : elle est appliquée, on l'a vu (cf.
p. 231), depuis le IIe siècle avant notre ère. Réservée d'abord au
châtiment exceptionnel, mais non point obligé, des déserteurs et des
transfuges, elle fut étendue, à une date inconnue, aux condamnés de droit
commun; en 43, Balbus fait livrer aux bêtes plusieurs citoyens
romains (cf. p. 183); ce qui, malgré l'illégalité de la procédure (cf.
Mommsen, Strafrecht, p. 926, n. 3), est une forme de damnatio ad bes-
21 Sous Auguste, exécution du brigand sicilien Sélouros : Strabon, VI, 6, 273 : ???
t?? '??µ?? ??ep?µf?? S??????? t?? . . . ?? ?? t? àyopçt µ???µ???? a????? s??est?t??
(?. e. : sur le forum au cours d'un munus) e?d?µe? d?aspas ???ta ?p? t?? ??????. Sous
Auguste ou dans la première partie du règne de Tibère, histoire d' Androclus : Aulu-
Gelle, V, 14, (cf. p. 115); sous Caligula, condamnation de nombreuses personnes de
condition (Suétone, Cal, XXVII, 5), dont un chevalier romain (ibid., XXVII, 9); au
cours d'un munus, sous le même règne, le public réclame que soit livré aux bêtes le
latro Tetrinius : ibid, XXX, 7; sous Claude, en 42, condamnation aux bêtes des esclaves
et des affranchis qui avaient conspiré contre leurs maîtres, dénoncé faussement ou
porté de faux témoignages: Dion Cassius, LX, 13, 2; en certains cas, l'empereur
aggrave la poena légitima en la transformant en damnatio ad bestias : Suétone, Claude,
XIV, 3; dans le texte de Suétone, Claude, XXXIV, 6, dont je cite une partie supra, je me
demande s'il ne faut pas supposer, à cause du rapprochement avec meridianis, que le
mot de bestiaris signifie « condamnés aux bêtes » (bestiaris meridianis adeo deledabatur,
ut et prima luce ad spectaculum descenderei); sous Néron, en 57, des noxii (dont certains
sont probablement des damnati ad gladium ludi et d'autres, ad bestias) paraissent dans
un munus, sans être toutefois mis à mort : Suétone, Nero, XII, 2; en 64, lors d'un munus
de Néron, un condamné aux bêtes se suicide lors de son transport à l'amphithéâtre
(Sénèque, Ad Luc, VIII, 70, 23); qu'il s'agisse d'un damnatus est prouvé par le contexte
(eodem vehiculo quo ad poenam ferebatur) et, de même, que cette damnatio soit ad
bestias (quidam ad matutinum spectaculum missus); le condamné était détenu in ludo
bestiario (ibid., 22) ; mais les conditions de son suicide me paraissent exclure qu'il s'agisse
d'un damnatus ad ludum bestiariorum plutôt que d'un damnatus ad bestias; d'autre part,
bien que Sénèque rapporte, dans la même lettre VIII, 70, deux autres cas de suicide
qui encadrent celui du damnatus, que le premier soit celui d'un Germain et le
troisième, celui d'un « barbare », rien ne permet de penser que notre suicidé était aussi un
prisonnier de guerre (d'autant que Sénèque, ibid, 25, suggère qu'il s'agissait en fait
d'un esclave : vides quemadmodum extrema quoque mancipia ... ; toutefois, on ne peut
assurer toutefois que Sénèque s'astreigne à une rigoureuse précision dans le choix de
ces termes); lors de l'inauguration du Colisée, en 80, ont lieu des exécutions par les
bêtes : Martial, De spect, VII- VII; sous Domitien, le cas du père de famille arraché de
sa place sur ordre de l'Empereur et livré aux chiens, représente une véritable
damnatio ad bestias, prononcée, séance tenante, pour un acte d'impiété à l'égard du prince
(Suétone, Dom, X, 3); on ne sait pourquoi ce dernier choisit de faire mourir l'homme
par les chiens, mais il ne fait guère de doute qu'il en mourut : Suétone rapporte ce fait
dans une liste de condamnations à mort. A quoi s'ajoute, sous le règne de Néron, l'épi-
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 237
sode imaginaire de la condamnation aux bêtes par son maître d'un dispensator surpris
avec sa patrone : Pétrone, XLV, 7-10. Sénèque mentionne pareille damnatio, vers 41,
dans le De ira, III, 6 (bestiarum immanium caveae) et, vers 63-64, dans une lettre Ad
Luc, II, 14, 4 (turbam ferarum quam in viscera inmittat humana); Lucain, X, 517,
énumère les châtiments qu'aurait mérité Pothin et qui sont les trois formes aggravées de
la peine de mort : non cruce, non flammis rapuit, non dente ferarum. Ces condamnés
sont désignés en épigraphie par le mot de noxii (cf. CIL IX 3437 = Dessau 5063;
Dessau 5063 a) ou de ?at?d???? (cf. L Robert, 157, à Aphrodisias; id p. 320). Sous
Caligula l'empereur aurait fait arracher des spectateurs à leur place et les livrer sur le
champ aux bêtes parce qu'on manquait de condamnés : Dion Cassius, LIX, 10, 3; mais
il s'agit peut-être d'une contamination de deux autres histoires (cf. p. 131); en tout cas,
et acte de cruauté extravagante ne saurait être considéré comme une damnatio ad
bestias. De la damnatio ad bestias, on peut rapprocher la crémation, lorsqu'elle est subie
dans l'arène : Suétone, Cal., XXVII, 8 : Atellanae poetam ob versiculum media amphithea-
tri barena igni cremavit; Juvénal, ?, 155-157, et Schol. ad hune locum; on remarquera
qu'en 64 Néron fit appliquer aux chrétiens la peine de crémation dans des conditions
analogues, mais au cours d'un ludicrum circense : Tacite, Ann., XV, 44, 7-8.
22 Mommsen, op. cit., p. 926-927; ce dernier, p. 927, n. 2, entend à contre-sens le
texte de Suétone, Claude, XIV, 3 : in majore fraude convictos, legitimam poenam super-
gressus, ad bestias condemnavit; Mommsen y voit une manifestation de la liberté du
juge à infliger cette peine; or c'est le contraire que veut dire Suétone : le paragraphe
d'où cette remarque est extraite rapporte des cas où le prince en jugeant se conforme
à l'équité contre la lettre de la loi.
238 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
26 On date cette loi de 19 de notre ère (REPW, s.v. Lex Petronia, Leonhard Weiss,
1924); son libellé pose un problème, car, à la lettre, la formule ad depugnandas bestias
tradere paraît se rapporter, non point à une condamnation ad bestias, mais à la
livraison-vente à un laniste pour combattre les bêtes comme bestiaire; mais cette
interprétation peut être éliminée d'emblée : il serait invraisemblable que le contrôle du
magistrat sur la vente de l'esclave destiné à la venatio ait précédé d'un siècle le contrôle de
sa vente pour gladiature, alors que cette seconde vente représente une mesure
beaucoup plus dure pour l'esclave; d'autre part, l'impropriété des mots ad bestias
depugnandas (pour ad bestias) a un équivalent dans le texte d'Aulu-Gelle cité supra :
Introducila erat inter complures ceteros ad pugnam bestiarum datas servus viri consularis.
27 Androclus, esclave fugitif, fut repris : Aulu-Gelle, ibid. : Is (son maître) statim rei
capitalis damnandum dandumque ad bestias curavit.
28 Un certain Titus s'apprête à donner un munus : Jam . . . habet . . . dispensatorem
Glyconis, qui deprehensus est cum dominant suam delectaretur ; Glyco . . . dispensatorem
ad bestias dédit.
29 Je n'ai considéré cette damnatio ad bestias que dans la mesure où son exécution
se déroule dans le cadre du munus (ou de la venatio indépendante); j'ai donc omis les
chrétiens que Néron fit mourir dans ses jardins, après l'incendie de Rome (Tacite,
Ann., XV, 44, 7-8). La damnatio est surtout connue par des textes essentiellement
juridiques, postérieurs à l'époque qui nous occupe, qui ne valent pas nécessairement pour
celle-ci; aussi les ai-je négligés; pour une description plus complète, cf. Mommsen,
Strafrecht, p. 925-928; id, Eph. Ep., VII, p. 407-408.
30 Lignes 57-58 : cum maximi principes oratione sua praedixerint fore damnatum ad
gladium procurator eorum (lacune) nisi plure quam sex aureis ... ; il s'agit ici de damnati
ad gladium ludi, mais il ne fait guère de doute que ce qui vaut pour ceux-ci (dans le
cas, il est vrai, où ils sont utilisés comme trinqui) vaut aussi pour les damnati ad bestias;
nous avons confirmation de cette pratique dans un passage d'Apulée, Met., X, 23 : un
munéraire cherche une femme pour une représentation un peu particulière, mais ne
240 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
qu'ils ont dû payer pour les avoir que les munéraires mentionnent
parfois les noxii qu'ils ont présentés au public. De même, l'esclave
condamné aux bêtes par son maître est vendu à un munéraire : ce que
révèle incidemment Modestin au Digeste, XLVIII, 8, 11, 1 (servo sine
judice ad bestias dato, non solum qui vendidit, veruni et qui comparavit),
à propos de la lex Petronia. Il est même probable que cette loi (qui ne
concerne que la condamnation aux bêtes et non, ce qui pourrait
surprendre, la crucifixion) a été prise parce que des maîtres pouvaient
être tentés d'abuser d'un châtiment qui était aussi une bonne affaire.
La condamnation au ludus est une manière commode de
procurer des gladiateurs aux munéraires, puis à l'empereur, tout en
constituant une peine sérieuse. La damnatio ad gladium ludi et ad bestias a
une autre signification : dans le cas d'un latro célèbre (tel que ce Tétri-
nius que la foule réclama à Caligula), elle associe le public à
l'exécution d'une peine qui est aussi une vengeance; sa valeur rejoint celle de
la liquidation, dans l'arène, des prisonniers d'une guerre ou d'une
révolte : rebelles et latrones pouvaient se confondre, du moins dans la
langue et dans l'idéologie officielle. Pour les criminels ordinaires, elle
aggrave la peine de mort et accroît l'exemplarité de son application;
elle la transforme aussi en voluptas publique - laquelle, avec le
progrès des techniques de l'exécution, devient vite l'aspect primordial de
la damnatio ad bestias.
C) Les esclaves.
trouve personne, malgré la somme offerte; il se procure alors à vil prix (vilis) une dam-
nata ad bestias. Quant à la damnata elle-même, ce spectacle ne devant pas en principe
entraîner sa mort, on supposera qu'elle devait être égorgée aussitôt après, ou réservée
pour une véritable exécution par les bêtes; j'ajoute que ce texte et la table d'Italica, qui
prévoit pour la vente d'un damnatus ad gladium ludi un minimun de 2000 HS,
suggèrent que le fisc devait vendre les condamnés à des prix raisonnables - prix variables,
laissés à l'appréciation de l'administration, auxquels Marc-Aurèle fixe une limite
inférieure, ?
31 Surtout lorsqu'il s'agit de barbari acquis dans cette intention par la traite aux
frontières; dans tous les cas, cette pratique suppose qu'une contrainte devait souvent
être exercée contre l'esclave : Sénèque le Père, Cont, X, 4, 11 : lanista qui cogit juvenes
ad gladium; cette contrainte est du même ordre que celle exercée sur la jeune esclave
destinée à la prostitution : ibid : leno qui cogit invitas pati stuprum ; nous retrouvons le
parallélisme de ces deux contraintes dans la mesure d'Hadrien, citée infra.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 241
32 Gaius, I, 4, 13 : Lege itaque Aelia Sentia cavetur, ut qui servi a dominis poenae
nomine vindi sint, quïbusve stigmata inscripta sint, deve quibus ob noxam quaestio tor-
mentis habita sit et in ea noxa fuisse convidi sint, quive ut ferro aut cum bestiis depugna-
rent traditi sint, inve ludum custodiamve conjedi fuerint, et postea vel ab eodem domino
vel ab aliis manumissi, ejusdem condicionis liberi fiant, cujus condicionis sunt peregrini
dediticii; on pourrait penser que le législateur distingue l'esclave livré pour un munus
(ferro) ou une venatio (bestiis), et celui qui est remis au ludus; mais cette mention du
ludus n'est peut-être qu'une interpolation de Gaius, reprenant ce qui précède; le
rédacteur de la lex Aelia Sentia prétendait, par la formule : ut ferro . . . traditi sint,
signifier toutes les manières possibles de livrer un esclave pour l'arène.
242 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
sans difficulté, vu la disposition des mots sur le graffite); aussi est-il raisonnable de
suivre la solution de Mau, en considérant qu'elle révèle, plutôt qu'une habitude, un
abus, qu'explique la relative incertitude qui règne dans cette forme d'épigraphie; IX
4920 : cinq combattants sur le compte rendu de Venafrum sont dits Cass. - il s'agit
probablement du laniste Cassius mentionné à Pompei; une tessere trouvée en Espagne
(CIL II 4963 et 6246; cf. p. 200) mentionnerait, selon Hùbner, un gladiateur et son
dominas : . . . Borea Canti ... : lecture très improbable d'un document difficile, pour lequel
je ne vois pas de solution.
40 Un exemple sur un document postérieur, de Termini Imerese, en Sicile (CIL X
7364) : Callis[t]o [t]hraecr Treb(oni) fecit Speces eques cons(ervo).
41 L'inscription parallèle, CIL IX 466 = Dessau 5083 a, mentionne de la même
manière une autre série de lanistes : Arr(ius), Avil(lius), Don(atus), Munil(ius), Ner(?;
cf. p. 279, n. 118), Ofil(lius; tout comme dans Avillius, le / géminé dans l'orthographe de
ce nom est facultatif), Pis(o). Il n'est pas nécessaire, dans la première liste, de supposer
que Salvius Capito et le Salvius mentionné avec les lanistes ne font qu'un; ni que le
gladiateur qui dépend de ce dernier est un esclave, que le munéraire a condamné à la
gladiature - ce que suppose A. Mau, p. 37 (cf. Dessau); Mommsen fait de Capito un
laniste : les domini seraient des propriétaires d'esclaves qui lui auraient loué ces
derniers. Cette explication contredit les règles que nous avons analysées supra; et je
montrerai ailleurs [que l'inscription est l'épitaphe qu'un munéraire a élevée à ses
gladiateurs qu'il a fait tuer dans son munus : ce munéraire est Capito lui-même.]
246 GLADIATEURS, BESTIAIRES. «DAMNATI»
44 Manilius, IV, 225-226 : nunc caput in mortem vendunt et funus harenae / atque
hostem sibi quisque parât cum bella quiescunt; Pseudo-Acron, ad Hor., Sat. II, 7, 58 : qui
gladiatores emunt . . . quibus se vendunt; ibid, 59 : qui se vendunt ludo, auctorati vocan-
tur; audoratio enim dicitur venditio gladiatorum; cf. encore Tite Live, XXVIII, 21, 2:
liberorum qui venalem sanguinem habent; etc.; un vers elliptique de Properce, IV, 8, 25,
concerne Yauctoratio des bestiaires : qui dabit immundae venalia fata saginae -
j'entends : « qui vendra sa vie pour un engraissement immonde », celui de la bête qui
éventuellement le dévorera, plutôt que le sien, comme on entend parfois - cf. in éd.
Butler-Barber, Oxford, 1933, commentaire ad h. vers.; [pour un emploi analogue de
sagina, cf. Apulée, Met, IV, 13, 4 : noxii suis epulis bestiarum saginas instruentes; cf.
aussi, sur le passage d'Apulée, E. Norden, Kunstprosa, vol. 1, Nachtrage, p. 21 en fin de
volume, ad pag. 385 (souvenir de Gorgias).] On prendra garde que le passage de
Juvénal, VIII, 192-199 : quanti sua funera vendant / quid referti vendunt nullo cogente
Nerone ... ne concerne que Yauctoratio pour des rôles théâtraux dangereux, au cours
de ludi : v. 194 : nec dubitant celsi praetoris vendere ludis; cf. J. H. Quincey, Mnemosyne,
1959, p. 139-140; je ne suis pas, pour funera (qu'on rapprochera de Manilius, IV, 225,
cité supra), l'interprétation de J. G. Griffith, ibid, 1962, p. 256-261.
45 Ainsi Sénèque, Ad Luc, IV, 37, 2 : Ab illis qui manus harenae locant : ibid, XI, 87,
9 : utrum se ad gladium locet an ad cultrum : cf. aussi Tertullien, Ad nat., I, 14, 1 ; De pat.,
VII, 12.
46 Déclaration peut-être évoquée par Artémidore, V, 58, qui toutefois ne
mentionne pas l'autorité auprès de laquelle elle est faite : ?pe????at? e?? µ???µ?????. Cf.
L. Robert, p. 287; toutefois, je me demande si Artémidore vise ici très précisément cet
acte juridique, et non pas de façon plus générale, toute la procédure de Yauctoratio :
« il s'engagea dans les gladiateurs ».
248 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
50 Le Pseudo-Quintilien, Dec. maj., IX, 8, évoque une procédure qui, sans être
semblable, n'est pas sans analogie : un homme obtient d'un munéraire, juste avant le
combat, de se substituer à un gladiateur esclave : has pro te in pugnam vicarias dabo (on
sous-entendra opéras); la Dec. min. 302 évoque aussi la possibilité d'une procédure de
rachat : quaero, an si creditor post datam pecuniam opéras remisisset, diceres eum
gladiatorem fuisse? Il va sans dire que le possesseur du contrat, munéraire ou laniste, était
libre de consentir à ce rachat, et parfois ne devait-il céder que sous de fortes
pressions, comme le suggère Artémidore, V, 58 : « d'aucuns s'employèrent pour lui, et il fut
libéré» (cf. L Robert, p. 287); on remarquera toutefois que ce qui est obtenu du
laniste, ce n'est point qu'il revende le contrat, mais qu'il accorde au gladiateur sa libe-
ratio (cf. p. 326).
51 A propos de ces auctorati, nos sources mentionnent le laniste : Juvénal, XI, 8; ou
le ludus : Sénèque le Père, Cont., X, 4, 18; Quintilien, VIII, 5, 12; Tacite, Hist., II, 62, 4;
Juvénal, VIII, 199; IX, 20; Schol ad Juv., XI, 8; Pseudo-Acron ad Hor., Sat., II, 7, 59;
Pseudo-Quintilien, Dec. CCCII; etc.
52 On ne confondra pas cet audoramentum avec le prix de vente du gladiateur par
le laniste (vente de l'homme, s'il s'agit d'un esclave, ou du contrat, s'il s'agit d'un audo-
ratus), ni avec la récompense que recevait le gladiateur après une victoire.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 251
fois des esclaves et des auctorati, qui peuvent être liberti, l'opposition de ces deux
termes (familia lanisticia et liberti) est à la lettre, absurde; a priori, on ne pourrait exclure
que Pétrone ait voulu opposer une familia gladiatorienne servile à des combattants
libres, fussent-ils ou non membres d'une familia lanisticia; mais l'expression de cette
opposition n'aurait pas fait difficulté - il pouvait dire : « servi et liberti » (ou liberi) ;
alors que l'expression d'une opposition plus subtile (gladiateurs de familia, libres ou
esclaves, d'une part, et de l'autre, auctorati indépendants) risquait davantage de
provoquer une formulation absurde à la lettre : et c'est ce qui est arrivé; pour l'assimilation
de tous les gladiateurs de familia, libres ou esclaves, on rapprochera Tite-Live, XXVIII,
21, 2, à propos des jeux de Scipion, en Espagne, en 206 (mais la remarque vaut aussi
pour l'époque de l'auteur) : Gladiatorum spectaculum fuit, non ex eo genere hominum, ex
quo lanistis comparare mos est, servorum de catasta ac liberorum qui venalem sanguinem
habent. Reste un autre problème : pourquoi Pétrone dit-il liberti et non point liberi? je
penserais que, dans le cas particulier évoqué par le personnage de Pétrone, il s'agit de
liberi qui sont - simple précision supplémentaire - des liberti, étant entendu qu'il
pourrait aussi bien s'agir d'ingénus; mais cette différence n'est pas oiseuse : je montre infra
que les liberti, dans la gladiature, avaient de grandes chances d'être d'ex-gladiateurs
esclaves, qui avaient reçu rudis et pilleus de leur ancien maître, laniste ou munéraire;
ce qui fait que parler de liberti revient, sinon à dire, du moins à suggérer qu'il s'agit en
réalité de rudiarii (ce qui expliquerait aussi qu'il ne soient plus sous la dépendance
d'un laniste, mais qu'ils négocient eux-mêmes leurs contrats avec les munéraires).
Dion Cassius, LX, 30, 3, signale la présence d'« affranchis » étrangers dans le munus
donné pour le triomphe de Plautius; je vois mal comment il faut entendre cette
information, qui repose peut-être sur une confusion.
S8 Sur des graffiti pompéiens, nous devons parfois nous contenter d'un simple
nomen; ainsi, au-dessus de l'image d'un gladiateur, on lit Sabidia / Abonius (CIL TV
8712); je n'entends pas la première ligne; la seconde est un nomen qui doit se
rapporter au gladiateur et que l'on retrouve en Cisalpine (CIL V 3120; ce serait un nom
celtique; cf. A. Holder, Altkelt. Sprachschatz, s.v.); Asisius (4329), cf. P. Asisius (4374); Atilius
(4344), mais M. Attilius (Giordano, p. II); Galeriufs); Minucius (3544-3546); Ogulnius
(4309); Rupil(lius) (4331); Servilius (2451); Sextius (2451), mais L Sextius Eros (4286);
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE. PSYCHOLOGIQUE 253
fit à attester la liberté; des textes orientaux révèlent ce libre statut par
la mention de la filiation, comme pour ce combattant de Salonique
qui a fait sa carrière à la fin de la période qui nous occupe (L. Robert,
12) : ?e???f??? S??et?? ?a?eda?µ???a), ou ces venatores de Mylasa qui
honorent le grand-prêtre qui les a engagés (L. Robert, 175).
Naturellement, on se gardera de tenir les mots d'uxor, de conjux ou de maritus
pour un indice de liberté, car les esclaves usent le plus souvent de ces
termes à la place du mot propre, contubernalis59.
Lorsqu'un combattant libre ne possède pas la civitas, ou a pris un
nom de guerre, il fait état de sa condition, là où les gladiateurs
esclaves signalent leur dépendance, par le mot liber, en grec e?e??e??? -
l'un et l'autre mots pouvant être abrégés de différentes manières60 :
cette mention, qui n'est nullement l'abréviation de liber(tus), semble
être de règle pendant toute la période qui nous occupe; au point que
son absence, au moins en Occident (cf. p. 246), est l'indice probable
d'un statut servile.
esclaves; à Aigai d'Aiolide (L. Robert, 256), cinq liberi pour quatre
esclaves; sur deux comptes rendus pompéiens, nous trouvons
respectivement dix-neuf et huit esclaves pour sept et deux servi (CIL IV 2508
et 1182); sur ces deux textes tous les combattants appartiennent à la
familia impériale. Sur deux listes où ne sont mentionnés que des
gladiateurs privés, à Férentum et à Venouse (Notizie degli Scavi, 1911,
p. 24, et CIL IX 465-466), nous avons neuf et dix-huit esclaves pour
trois (?) et dix hommes libres. Ces textes s'étalent sur la première
moitié du Ier siècle de notre ère; ils sont trop peu nombreux pour justifier
une interprétation statistique, d'autant plus que tous sont mutilés; on
peut toutefois affirmer, sans grand risque d'erreur, que, dans la
première moitié du Ier siècle de notre ère, les combattants esclaves
étaient sensiblement plus nombreux que les gladiateurs libres64.
En était-il de même des venatores? On pourrait en douter: à
Mylasa, sous le règne d'Auguste, dix-huit bestiaires honorent la
mémoire d'un grand-prêtre impérial (L. Robert, 175) : quinze au moins
sont libres, et peut-être tous, si l'on considère, comme fait L. Robert,
p. 330, que trois de ces chasseurs, qui ne mentionnent pas leur
filiation comme leurs collègues, sont libres, eux aussi; il serait toutefois
hasardeux de conclure, de ce seul texte, à une sociologie de la venatio,
radicalement différente de celle de la gladiature.
Cet engagement, qui fut pour les contemporains, comme pour les
historiens qui suivirent, l'un des scandales de l'époque, n'est qu'un
aspect de la participation des membres des deux ordres privilégiés
aux spectacles publics; il n'est pas attesté avant César et il est peu
probable que l'on ait vu, à l'époque républicaine, paraître dans l'arène
un sénateur ou un chevalier - du moins comme tel65.
64 C'est une impression analogue que font les graffiti pompéiens, que l'imprécision
de cette matière ne permet pas de vérifier avec rigueur; cette proportion des liberi et
des esclaves dure-t-elle après le milieu du Ier siècle? C'est très possible, mais
invérifiable; L. Robert, p. 287, observe à propos des épitaphes, qui sont dans leur grande
majorité des IIe et IIIe siècles : « La plupart des épitaphes de gladiateurs donnent
l'impression de gladiateurs libres, ayant femme et argent qui leur assurent une
sépulture, à part et avec stèle à relief et épigramme ». Mais c'est justement parce qu'ils sont
libres et ont une famille qu'ils ont reçu leur épitaphe (id., p. 293).
65 On ne peut exclure que des chevaliers ou des sénateurs chassés de leur ordre
aient fini au ludus; cependant le combat livré à Mylasa par L. Antonius contre un
thrace n'eut très probablement pas lieu dans un munus, mais en privé (Cicéron, Phil.;
V, 7, 20; VI, 5, 13; VII, 6, 17); on remarquera que l'adversaire était un des familiers de
256 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
L. Antonius : cum ornasset Thraecidicis comitem et familiarem suum; et, malgré Cicéron
qui dit : illum miserum fugientem jugulavit, il y a tout à penser que cette mort ne fut
qu'un accident au cours d'une séance d'escrime. Par ailleurs, l'épithète gladiator dont
Cicéron est généreux à l'égard de plusieurs adversaires politiques est toujours une
injure, qui ne traduit aucun engagement dans la gladiature.
66 Ce personnage fut donc exclu du Sénat; mais le fait qu'il soit mentionné parmi
les membres des ordres privilégiés qui parurent au munus de 46 suggère qu'il ne s'agit
pas véritablement, quelle qu'ait été la raison de son exclusion du Sénat, d'un déclassé :
sans doute, exclu du Sénat sine infamia, appartenait-il à l'ordre équestre.
67 Celui-ci, qui était chevalier romain, fut invité par César à jouer un de ses
propres mimes; ensuite César lui rendit l'anneau d'or de chevalier qu'il avait
implicitement perdu : Sénèque le Père, Cont., VII, 3, 9 : Laberium divus Iulius ludis suis mimum
produxit, deinde equestri illum ordini reddidit; jussit ire sessum in equestria; Suétone,
Caes., XXXIX, 3 : Decimus Labérius eques Romanus mimum suum egit donatusque quin-
gentis sestertiis et anulo aureo sessum in quattuordecim e scaena per orchestram transiit;
cf. Macrobe, Sat, II, 3; 10; ce dernier, toutefois, place in fine ludorum l'octroi de
l'anneau d'or et l'installation de Labérius dans les rangs des chevaliers. Voir plus bas,
note 71. L'épisode est expliqué par E. Meyer, Caesars Monarchie und das Prinzipat des
Pompeius, p. 387.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 257
LXI, 9, 1); deux ans plus tard, en 57, 400 sénateurs et 600 chevaliers
furent engagés dans un extraordinaire munus blanc, tandis que
d'autres membres de ces deux ordres paraissaient dans l'arène
comme bestiaires ou même comme ministri (Suétone, Néron, XII, 3).
Mais Néron ne s'est tint pas là, car, sous son règne, la
compromission des aristocrates avec l'arène parvint à un point jamais atteint :
déjà, en 53, 30 chevaliers combattirent comme gladiateurs (Dion
Cassius, LXI, 9, 1); en 59, des chevaliers «connus» paraissent comme
bestiaires et comme gladiateurs à une (ou plusieurs) chasses données
dans le Circus Maximus (Dion Cassius, LXII, 17, 3; Tacite, Ann., XIV,
14, 9 : Notos quoque équités Romanos opéras arenae promittere sube-
git)bS; en 63, au cours de plusieurs munera donnés cette année-là
(Tacite, Ann., XV, 32, 3), plusieurs sénateurs et des femmes de haut
rang descendirent dans l'arène. C'est encore sous le principat de
Néron, mais à une date inconnue, que le Salien Gracchus combattit
comme rétiaire (Juvénal, II, 143-148; VIII, 199-210). Et c'est pour ce
règne que vaut la remarque de Sénèque, Ad Luc, XVI, 99, 9: Aspice
illos juvenes quos ex nobilissimis domibus in harenam luxuria project69.
Ces textes, par leur ton, et les quelques exemples qu'ils nous
apportent, révèlent que l'engagement des sénateurs et des chevaliers, ainsi
que de leurs femmes, était devenu une pratique tout à fait courante; il
va sans dire qu'une conduite que le prince favorise et parfois
provoque, quand il ne l'impose pas (cf. infra), est devenue licite et
n'entraîne plus, pour ceux qui s'y livrent, l'exclusion de l'ordre et
l'infamia.
68 Ces chevaliers durent participer, bien que Tacite ne le dise pas, au munus
donné par Néron en l'honneur d'Agrippine; l'expression opéras arenae promittere ne
semble pas avoir de signification particulière, mais est une manière de dire que des
chevaliers furent engagés comme gladiateurs; Tacite ne parle que de chevaliers, à
l'inverse de Dion (qui cite, en facteur commun, la participation des membres des
ordres équestre et sénatorial à la fois au théâtre, au cirque et à l'arène), ce qui fait
supposer que les sénateurs ne parurent qu'au théâtre et peut-être au cirque (Tacite, XIV,
14, 7, confirme, pour le théâtre, la participation des membres de cet ordre : nobilium
posteros familiarum egestate venalis in scaenam deduxit) ; j'ajoute qu'on peut, à propos
de l'engagement des femmes, faire un semblable raisonnement.
69 C'est probablement sous Néron que combattait la grande dame que Juvénal I,
22-23, évoque sous le nom de Mevia (Schol. ad h. loc. : matrona) : Mevia Tuscum figat
aprum et nuda teneat venabula mamma; sur le nom, cf. S. Lancel, Mél. Bayet, Collection
Latomus, LXX, 1964, p. 362; c'est aussi dans ce passé qu'il faut rejeter l'intention,
supposée à une autre dame, amatrice d'armes, de paraître dans l'arène : ibid., VI, 250-
251 :nisi si quid in ilio pectore plus agitât veraeque paratur harenae.
260 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
70 Sous Marc-Aurèle, l'Histoire Auguste, Vita Marci, XII, 3, signale des engagements
de nobles : cum quemdam Vetrasinum famae detestandae honorem petentem moneret ut
se ab opinionibus populi vindicaret, et ille contra respondisset multos, qui secum in
barena pugnassent, se praetores videre, patienter tulit.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 261
71 Autre preuve, indirecte, que Néron usa de contrainte : Juvénal écrit, en VIII,
193, à propos de Yauctoratio pour les fôles de théâtre dangereux : vendunt, nullo
cogente Nerone. Hors du règne de Néron, le seul exemple de pression sur un homme
de condition pour l'amener à participer à un spectacle public est 1'« invitation » de
César à Labérius pour qu'il accepte de jouer l'un de ses mimes : Macrobe, Sat, II, 7 :
Laberium . . . Caesar . . . invitavit Sed potestas non solum, si invitet, sed etiam si suppli-
cet, cogit. En fait, Macrobe ne fait que commenter le prologue de Labérius, qu'il cite, et
où ce dernier déplore la « nécessité » qui, à la fin de sa vie, l'a amené à monter sur une
scène : Ego bis trecenis annis actis sine nota / eques Romanus lare egressus meo /
domum revertar mimus; à vrai dire ces pressions paraissent avoir été très bénignes:
Ecce in seneda ut facile labefecit loco / viri excellentis mente clemente edita / submissa
placide blandiloquens oratio? Etenim ipsi Du negare cui nihil potuerunt, / hominem me
denegare quis posset pati? De toute manière, Labérius ne refusa pas son cachet de
500 000 HS. Quant aux autres nobles qui participèrent aux spectacles de César, ils
semblent tous avoir été volontaires et avoir offert spontanément leur concours. Voir plus
haut note 67. Comparer la conduite de Balbus à Gadès : Cicéron, Ad Fam., X, 32,2.
262 GLADIATEURS, BESTIAIRES, « DAMNATI»
72 Nicolas de Damas (époque d'Auguste) rapporte (in Athénée, IV, 154 a) qu'un
homme avait ordonné par testament que l'on fit combattre plusieurs très belles
femmes qui étaient en sa possession.
73 Sur une improbable participation des femmes de l'aristocratie au munus
funèbre d'Agrippine, en 59 : Dion Cassius, LXII, 17,3.
74 Des enfants noirs parurent aussi à ce munus; on ne peut exclure qu'ils s'y
battirent, mais il est plus probable qu'ils remplirent des tâches de ministri, que l'on confiait
parfois à des enfants (cf. p. 377); Nicolas de Damas, in Athénée, IV, 154, a (cf. supra),
rapporte qu'un homme avait ordonné par testament que l'on fit combattre aussi
plusieurs jeunes garçons qu'il aimait, mais que «le peuple» annula ce testament. Cette
mention du démos est surprenante; faudrait-il penser à un testament comitial?
264 GLADIATEURS, BESTIAIRES. « DAMNATI »
G) Origine géographique.
75 L'archéologie n'a livré qu'un seul document sur l'engagement des femmes : une
stèle d'Halikarnasse (L. Robert, 184), qui remonte probablement au IIe siècle de notre
ère et qui figure deux femmes au combat, avec leurs noms; sur la foi d'un texte de
Dion Cassius, LXXVL 16, 1, on croit que Septime-Sévère interdit (en 200) que l'on fit
combattre des femmes (cf. G. Lafaye, p. 1577); il est probable qu'il n'en est rien: un
agôn gymnique eut lieu cette année-là (??µ????? est une correction évidente de Bois-
sevain pour ???a???? que donnent les manuscrits) ; des femmes qui y étaient engagées
y provoquèrent des troubles; «pour cette raison, poursuit Dion, il fut interdit aux
femmes de toute origine de livrer des combats gladiatoriens»; à la lettre, c'est une
absurdité, car on voit mal comment des troubles survenus de façon indubitable au stade ont
pu provoquer une mesure relative aux combats de l'amphithéâtre; il ne fait guère de
doute que la mesure de Septime-Sévère n'a pu concerner que l'engagement des
femmes dans les agones gymniques.
76 Deux textes de Martial suggéreraient que l'on a vu avant 89 des nains dans
l'arène comme gladiateurs (XIV, 213, publié en 84-85) : devise pour la parma : Haec
quae saepe solet vinci, quae vincere raro / parma tibi scutum pumilionis erit; comme
bestiaires (I, 43, 9-10, publié en 85-86) : Nudus aper, sed et hic minimus qualisque necari / a
non armato pumilione potest.
77 A Cordoue, Gardia y Bellido, n° 2 : Cerinthus, Ner(onianus) . . . nat(ione) Grae-
cus; à Cadix, id, n° 13 : Germanus . . . Jul(ianus) . . . [natijone Graeca; à Cordoue, id,
n° 4 : Faustus, Ner(onianus) . . . Alexfandrinus); ce dernier est un verna né au ludus
impérial d'Alexandrie; n° 3 : Amandus . . . Ner(onianus) . . . Placent(tae); n° 5:Ingenuus
Galliciafnus) . . . natione Germanus; à Cadix, id, (nom corrompu) natione Bessus; à
Cordoue, id, n° 11 : Amabilis . . . nat(ione) Gall(us); cet Amabilis qui a élevé une stèle à un
autre combattant, Alipus, n'est pas désigné comme gladiateur, mais cette qualité ne
fait guère de doute; Garcia y Bellido pense qu'il s'agit de l'épouse de cet Alipus, mais
la comparaison avec les parallèles espagnols et le fait qu'en Gaule le nom Amabilis est
toujours porté par des hommes me paraissent exclure cette interprétation; n° 7 :
Sagitta . . . natione Hispanus.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 265
78 A Orange, CIL XII 1245 : nat(ione) Arab(us); ce texte très mutilé peut ne pas être
l'épitaphe d'un gladiateur; à Nîmes, CIL XII 3324 : lib(er) Faustus . . . n(atione) Arabus;
3323 : Beryllus . . . lib(er) . . . nat(ione) Graecus; 3329 : Aptus, nat(ione) Alexsandrinus; à
Orange, CIL XII 5837 : Primus lib(er) Asiaticus; à Nimes, CIL XII 3332 : Q. Vettio
Gracili . . . natione Haspan(o); 3325 : Columbus Serenianus . . . nat(ione) Aedus; 3327 :
L. Pompeius . . . n(atione) Viennessis; Espérandieu, Inscriptions, 436 : Ursio Lugfdunen-
sis).
79 L'origine est signalée par un ethnique (cité, province ou nation), précédé de
natione, qui peut être abrégé et même omis; deux gladiateurs esclaves se disent verna
d'une cité (n. 181); on remarquera que même les gladiateurs «libres» mentionnent
leur province, et non leur origo juridique - ce qui s'explique par l'éloignement de celle-
ci.
80 Ce voyage surprend, la ville d'Alexandrie étant bien davantage, semble-t-il,
exportatrice, qu'importatrice de combattants.
81 On prendra garde que, dans les deux listes espagnole et gauloise données supra,
des gladiateurs libres, faisant état de cette condition par la mention d'un nomen et
d'un praenomen ou par le mot lib(er), peuvent appartenir à la familia de l'empereur;
mais nous savons que plusieurs de ces combattants, tel Ingenuus de Cordoue ou
Colombus de Nîmes (qui est un Serenianus), appartiennent à des lanistes.
266 GLADIATEURS, BESTIAIRES, «DAMNATI»
A) Les spéculateurs.
Juvenalia de Néron en 59; cf. de même Dion Cassius, LXII, 18, 3-20, 5, qui est toutefois
moins probant; mais il ne s'agit point de l'arène, mais du théâtre, dont des aspects
étaient intrinsèquement immoraux : usque ad gestus modosque haud virilis; quin et femi-
nae inlustres deformia meditari ... ; et il faut compter aussi avec le rigorisme
polémique de Tacite. Ce qui est infamant dans la gladiature n'est pas l'activité meurtrière
elle-même, mais le caractère public de l'exhibition : il en était de même des
comédiens.
POINT DE VUE JURIDIQUE, SOCIOLOGIQUE, PSYCHOLOGIQUE 27 1
B) Les lanistes.