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La Marche
à rebours
La laïcité au fond du gouffre
La Marche
à rebours
La laïcité au fond du gouffre
Il m’aura fallu longtemps, je crois, avant de réaliser combien les re-
ligions avaient envahi nos vies. L’évidence ne m’était jamais appa-
rue aussi claire que lorsque récemment, j’eus à prendre l’avion pour
Londres depuis Tel-Aviv. Il y avait parmi les passagers un groupe
de jeunes hommes ultra-orthodoxes de retour de pèlerinage. Ces re-
ligieux avaient passé plusieurs jours sur les tombes des tzadikim. Il
n’avait pas fallu longtemps pour que le petit groupe se mette à prier
comme si personne ne les entendait. Leurs chants, tristes et mélan-
coliques, s’élevaient dans les airs. Ils avaient tant d’amour pour Dieu…
Et si peu de respect pour les autres !
Les passagers ne s’étaient pas fait prier, eux, pour aller s’en plaindre à
l’hôtesse. Il n’était pas normal, disaient-ils, qu’on empêche les voya-
geurs de se reposer. L’hôtesse avait paru choquée de ces réactions :
« Ce sont les croyants ! Ils prient Dieu ! » avait-elle lancé à l’un d’eux,
un peu trop insistant. Il lui semblait inadmissible que l’on puisse ve-
nir se plaindre auprès d’elle à ce sujet. Dans son regard se lisait la
désapprobation de cette femme pour ces passagers ingrats. Ses yeux
semblaient condamner leur manque de tolérance à l’égard des « saints
hommes » assis à l’arrière de l’avion.
La réponse est à chercher, à mon sens, dans cette notion qui interdit
tout questionnement sur les religions, ce fameux « respect » qui em-
pêche la curiosité de se satisfaire. Au siècle passé, la religion restait
un phénomène banal, et somme toute, assez ordinaire de la vie.
L’héritage des Lumières n’y était pas pour rien. Non seulement, la
religion n’était pas une question sensible comme elle l’est devenue
aujourd’hui, mais elle s’était en grande partie éclipsée, pour une part,
du fait de notre mode de vie. On pouvait ainsi discuter librement de
religions. Les mosquées, les temples, et les monastères accueillaient
leurs fidèles, et il aurait été impensable pour un croyant de manifes-
ter en public ses croyances en dehors des rares occasions où cela lui
était permis, lors des processions, ou des prières collectives à la fin du
Ramadan.
Histoire de la laïcité
Il ne faut jamais oublier que la laïcité est d’abord un combat. Un
combat qui commence en 1789, à la Révolution française. À l’époque,
les sans-culottes voient d’un très mauvais oeil les relations de l’Église
avec l’Ancien Régime. Ils reprochent aux catholiques de vou-
loir chercher le soutien du pape et de la monarchie absolue. Ces
liaisons dangereuses coûteront cher à l’Eglise au moment de la
Terreur. Les révolutionnaires n’hésiteront pas à massacrer plus de
10 000 membres du clergé pour ne pas avoir reconnu la République.
La Révolution aura fini par triompher de l’Eglise, mais à quel prix ?
La lutte qui opposera les tenants de l’Église aux partisans de la laïcité
continuera de faire rage pendant plus de deux siècles après.
Il aura fallu une révolution pour faire apparaître les deux principes
fondamentaux de la laïcité : la liberté religieuse et la séparation de
l’Église et de l’État. Arrivé au pouvoir le 18 Brumaire, Napoléon s’im-
pose comme un héritier de ces deux valeurs. Pris en tenaille entre
différentes influences, Bonaparte fera le choix du pragmatisme. Dès
le début du Consulat, le jeune empereur acquiert la conviction que les
masses ne se laisseront jamais gouverner sans le soutien de la reli-
gion, cette vieille lanterne, que le peuple avait appris à chérir depuis
tant de siècles ! En 1801, la France conclut le Concordat avec le Saint-
Siège en la personne de Pie VII. Cet accord restera en vigueur jusqu’à
l’adoption de la loi de 1905. À l’époque, des accords similaires furent
passés avec les protestants et les juifs. Les musulmans, encore peu
présents sur le territoire, furent épargnés.
Tous ces « en même temps » me semblent aller dans le mauvais sens :
sous peu, on pourra choisir de vivre non pas selon les lois de la Ré-
publique, mais sous celles de la charia ! Je tiens à préciser que, à titre
personnel, je serais tout aussi écoeuré à l’idée de vivre sous des lois
catholiques… quoique je préfère encore vivre selon la charia... mais à
Dubaï !
Extrême-gauche : France Insoumise
et Jean-Luc Mélenchon
La laïcité, mes chers camarades communistes s’en font encore une
autre idée. À les écouter, la laïcité ne servirait à rien d’autre qu’à di-
viser les opprimés et à les détourner de la seule lutte véritable, celle
pour la justice sociale. Affaiblie par le capitalisme, la société se frag-
menterait, selon eux, en différentes communautés, manipulées par
les extrémismes de tous bords au péril de la lutte des classes. Ces
vieilles idées, héritées de Karl Marx et aucunement remises en ques-
tion à la suite des boucheries soviétiques, me laissent comme un goût
amer.
Laïcité socialiste
Les socialistes sont plus timorés. Pendant son mandat présidentiel,
François Hollande s’était lui-même décrit comme un partisan de la
« laïcité d’abstention » selon laquelle, chacun devrait pouvoir vivre sa
religion dans son espace privé. Il avait opposé l’esprit religieux et celui
de la démocratie, mais il s’est bien abstenu de retoucher la moindre
ligne à la loi de 1905.
Quelque peu naïfs, le programme de Hollande affirme que « toutes les
religions avaient la capacité de s’inscrire dans le cadre commun » - un
constat qui me semble, pour le moins, assez éloigné de la réalité. Il
suffit de regarder le christianisme, cette religion considérée comme
pacifique, et notamment ses avatars américains, pour comprendre
que ce fameux « cadre commun » n’est qu’une illusion de perspective.
L’islam est une religion tout aussi étrangère à la vie en communauté,
comprenant les incroyants, ou ceux qu’une petite fraction de l’islam
considérerait comme des hérétiques. Aux mains des extrémistes, la
religion se transforme en un terrible vecteur d’exclusion pour les per-
sonnes concernées. Ainsi, ce ne sont pas les musulmans qui intègrent
la société républicaine, mais plutôt certains Français qui se voient
entraîner dans le cadre de vie musulman.
Les Républicains
Pour la droite conservatrice et catholique, les origines chrétiennes
de la France appartiennent au patrimoine spirituel de la France. Le
quinquennat de Nicolas Sarkozy illustra à la perfection ce combat
politique et identitaire mené par la droite depuis plusieurs années.
Au cours de son mandat, l’ancien président a tenu à mettre en avant
les mérites d’une « laïcité positive ». Son but ? Mieux lutter contre les
ennemis du christianisme. Nicolas Sarkozy, en parlant bien évidem-
ment du christianisme seul, regrettait la séparation de la nation et de
l’Église. Il brocardait l’instituteur qui, selon lui, ne pourrait jamais
remplacer, le bon vieux curé de campagne. Il ne s’était pas même pri-
vé d’invoquer les fameuses « racines chrétiennes » de la France : « La
France est le fruit de ses racines chrétiennes. Notre devoir est de faire
en sorte que la France reste la France ! »
Les propos
Europe, christianisme et islam
Ce petit tour d’horizon politique aura au moins permis de comprendre
une chose : le christianisme a bel et bien imprimé sa trace dans notre
identité jusqu’à nos jours. Il me semble difficile de ne pas en voir en
la société d’aujourd’hui un rejeton de cette vieille civilisation occi-
dentale abreuvée à la culture judéo-chrétienne. C’est dans le contexte
du christianisme occidental que sont nés les premières formes de sé-
cularisation et de philosophie moderne. Si l’on peut croire ou ne pas
croire, on le doit à cette histoire complexe et paradoxale. La laïcité
est l’oeuvre de la société européenne et de sa cohabitation, plus que
tourmentée, avec le christianisme.
Disons-le une bonne fois pour toutes : je ne vois pas comment nous
allons nous tirer de cette situation. Depuis deux décennies, notre
monde subit des mutations profondes : d’un monde, où on luttait
pour l’égalité sociale, l’écologie ou encore l’accès à l’éducation pour
tous, nous voici désormais confronté au retour des vieilles idéologies
religieuses. Rempli de haine pour l’ancien, ce nouveau monde impose
ses luttes, ses intolérances et ses doutes. J’en viens à me demander,
parfois, si je ne suis pas nostalgique du temps où les intellectuels an-
nonçaient encore de la « mort de Dieu ».
Les athées auront toujours du mal à vivre avec des croyants; leurs
valeurs sont trop différentes. Les uns ont foi en la suprématie de la
raison, les autres, en leurs sentiments. Les premiers demandent la
séparation de l’Église et de l’État, les autres, le droit de vivre leur
foi librement. Tandis que les athées réclament le droit de s’exprimer
comme ils le veulent, les croyants veulent pouvoir crier au blasphème
dès qu’ils l’entendent.
Punir ces gens - ce dont rêvent, ou plutôt délirent les hommes poli-
tiques à longueur de journée - est impossible. Comment punir ceux
qui, non seulement ne craignent pas la mort, mais l’accueilleraient
avec joie ? Il ne serait pas non plus possible de punir les organisateurs
de ces attentats. Ils se disent, comme les autres prêts à mourir mar-
tyrs, même s’il fallait y laisser sa barbe. L’État ne cesse de durcir le
ton, mais ses menaces sonnent creux tant ses valeurs sont intradui-
sibles dans le langage des djihadistes.
Mais le pire, c’est encore le soutien dont bénéficient les djihadistes,
ces soi-disant « loups solitaires », auprès de dizaines de millions de
personnes. Malgré les actes terroristes sanglants et la cruauté abys-
sale de Daech, le nombre de personnes candidats aux djihad ne tarit
pas. Selon les informations des services de renseignement, des cen-
taines de milliers de comptes et des dizaines de milliers de sites des
organisations terroristes seraient encore actifs sur Internet.
Mon manifeste
Il est interdit d’interdire
Comme Emmanuel Macron, je propose de « réclamer le droit de ne
pas être politiquement correct ».
Que faire ?
La foi doit (re)devenir une affaire privée, un choix personnel n’en-
gageant en rien la communauté, ni les valeurs communes. Il faut
s’engager en faveur d’un État absolument laïque et purger l’espace
public de toutes les religions, que ce soit l’islam, le christianisme ou
le bouddhisme. Au diable les traditions historiques, les racines, ou la
mémoire des peuples !
Mais que faire ? Ou, plus précisément comment faire ? À mon sens,
lutter contre les dérives extrémistes doit passer par une lutte pa-
cifique contre l’idée selon laquelle Dieu serait le sens et le but ul-
time de la vie. La religion doit être exclue de la liste des priorités
de la vie, au moins pour les enfants et les adolescents. Elle doit ces-
ser d’être l’une des premières choses qu’ils puissent apprendre des
médias. Nous devons insister auprès de nos enfants qu’il faut re-
garder non pas le Ciel inatteignable mais la Terre où ils vivront.
Je suis convaincu qu’une personne « purifiée » de tout sacré serait
bien plus heureuse et saine. C’est cela, la mission que devrait pro-
poser l’Éducation nationale en pleine conformité avec la loi 1905 !
Comme nous l’avons déjà vu, les religions monothéistes se parent
d’une dimension bien spéciale, et exigent le respect au nom de la spi-
ritualité, de la morale et de la promesse mensongère d’une vie après
la mort. Ces trois prétentions ne démontrent rien, ne prouvent rien,
et ne sauraient, à ce titre, être respectées comme telles.
J’aurais aimé que le Paradis existe, mais j’en doute. Tous les sacri-
fices et toutes les privations peuvent s’avérer vains. L’ardente foi dans
l’existence du Paradis n’est pas un espoir mais la négation de la vie.
Une fois que cette foi inébranlable en Dieu le Juge sera oubliée, la
jeunesse radicalisée pourra revenir sur Terre. Si nous arrivons à nous
mettre d’accord sur doctrine forte, c’en sera fini du terrorisme : les
fleurs empoisonnées ne pousseront plus sur un rocher.
L’État n’a pas le choix : il doit traiter tous les cultes religieux avec la
même fermeté. Les autorités publiques doivent cesser de se rendre à
des cérémonies et de s’exprimer sur le respect des « sentiments reli-
gieux » et la « religion de nos aïeux ». C’est ainsi que nous serons en
droit de ne pas respecter la religion de nos « nouveaux » citoyens qui
héritent d’une autre religion et d’une autre histoire. En revanche, si
l’on se plie à limiter la critique et à instaurer un respect obligatoire
envers les religions, sous prétexte de leur discrimination ou autre,
toute liberté de la parole et toute égalité disparaîtront. Il y a bien plus
d’égalité et bien moins d’hypocrisie régnant aujourd’hui sur notre so-
ciété, lorsque le respect n’est pas obligatoire et qu’on décide indivi-
duellement de respecter ou de ne pas respecter.