25 | 1995
S'approprier la langue de l'autre
Marie-Thérèse Vasseur
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/praxematique/3083
DOI : 10.4000/praxematique.3083
ISSN : 2111-5044
Éditeur
Presses universitaires de la Méditerranée
Édition imprimée
Date de publication : 1 février 1995
Pagination : 53-77
ISSN : 0765-4944
Référence électronique
Marie-Thérèse Vasseur, « Le rôle de l’interlocuteur natif dans l’interaction exolingue et l’apprentissage
de la compréhension. », Cahiers de praxématique [En ligne], 25 | 1995, document 3, mis en ligne le 01
janvier 2015, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/praxematique/
3083 ; DOI : https://doi.org/10.4000/praxematique.3083
Introduction
reprises : Vion & Mittner 1988 & Vasseur 1989). Dans le cadre de cette
réflexion sur la distinction procédé-fonction, Bange introduit la notion
de « double focalisation » des échanges exolingues (1987) qui se pola-
risent tantôt sur le sens communiqué, tantôt, quand il y a difficulté, sur
les outils linguistiques.
Le questionnement sur les relations intercomprehension-acquisition
entrepris dans le rapport du programme européen de recherche sur
l'acquisition d'une langue seconde par des adultes soutenu par la Fonda-
tion Européenne de la Science (Perdue 1988 et 1992) aboutit au constat
d'une extrême complexité et variabilité dans les parcours de dévelop-
pement de la compétence en comprehension.
La recherche se poursuit actuellement dans les deux sens :
1) approche interactionniste : autour d'un approfondissement de la
réflexion sur la relation interaction-acquisition : affinement du concept
de SPA (Séquences Potentiellement Acquisitionnelles, Py 1990) puis
introduction du concept de SLASS (Second Language Acquisition
Support System)(Dausendschön-Gay & Krafft 1991) à partir du LASS
(Language Acquisition Support System) de Bruner.
Autour ensuite d'une redéfinition et d'un développement du concept
d’apprentissage, c'est-à-dire du « chaînon intermédiaire entre commu-
nication et acquisition » (Bange 1992), du choix, non nécessairement
explicite, du non-natif de contrôler son usage et son appropriation des
moyens de communication de l'autre (Vasseur 1993).
2) traitement isolé de chacun des deux points de vue : d'un côté le
point de vue du sujet apprenant : Py propose un modèle théorique avec
focalisation sur l'apprenant (1993) ; de l'autre, le travail conjoint, recen-
tration sur la complexité du travail de co-construction du sens et de sa
contextualisation par les deux partenaires, l'interaction verbale ou non
verbale, exolingue (Gumperz & Roberts 1991, Bremer 1992, Roberts,
Bremer, Vasseur & al. sous presse).
Ce va-et-vient que l'on peut observer entre les deux entrées :
interaction/ acquisition, le travail des deux partenaires ou le travail
personnel de l'apprenant, montre bien la difficulté qu'il y a, (par le fait
même de leur emboîtement), à les dissocier l'une de l'autre, mais aussi
la difficulté qu'ont les chercheurs à traduire au niveau cognitif le travail
qui se fait au niveau interactif (Véronique 1992). Les chercheurs
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relativement discret pour que l'autre ne perde pas trop la face en étant
brutalement confronté à son incompétence. Parmi les attitudes et dispo-
sitions qui permettent de conserver ce fragile équilibre, on citera les
précautions suivantes :
– éviter d'interrrompre
– éviter de rire, de s'énerver
– donner le temps pour réagir
– permettre les prises de parole…
– tu as encore déménagé ?…
– c'est loin ?…
– c'est un bel appartement ?…
– c'est mieux que l'autre ?…
– pourquoi ?…
– une aide à la référence. Il offre au non-natif les mots qui lui man-
quent.
– une aide à la mémorisation. Il lui répéte les mots nouveaux, comme
dans l'exemple III : « tout ça on va le dire en commission…vous avez
compris ce qu'est la commission ?,…ce papier, il va aller devant une
commission + une commission c'est d'autres gens…. »
– une aide à la catégorisation, à la différenciation. Il précise ou se fait
préciser des indications référentielles, spatiales par exemple : « près
de chez vous,… à Fon/près de Fontenay » ou « dans Paris + mais pas
à l'extérieur de Paris ? ». (annexe II)
– une aide sur la combinatoire, en proposant des modèles : « combien
d'heures de transport vous pouvez faire ?… combien d'heures. ?…
combien d'heures vous pouvez faire ? »… (annexe II)
2. 1. Le type d'échange
Selon les types d'échange, les rôles sociaux des partenaires se distri-
buent de façon variable et variée, en fonction des scripts et des cadres
de participation déterminés, autour de la relation et de l'enjeu d'inter-
compréhension. On peut distinguer une gestion différente de ces deux
axes dans les principaux types d'échange :
1) Dans la conversation familière : la tension peut être assez faible :
l'enjeu de compréhension est moins important, la compréhension
exhaustive n'est pas indispensable. Par contre, les relations interperson-
nelles se prêtent souvent mieux à l'offre et à la demande de clarifica-
tion/explication et à des initiatives, mais ce n'est pas automatique.
2) L'entretien (avec chercheur, enquêteur, journaliste), différent de
la conversation (comme l'ont souligné Arditty & Levaillant 1987), se
caractérise par un guidage plus contraignant, un objectif plus centré sur
la production de données, avec des consignes parfois très directives et
des séquences de vérification qui peuvent avoir de fréquents effets
secondaires d'ordre pédagogique. Dans cette perspective, l'auto-
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– questions directes pour vérifier ses intuitions sur des mots qu'il pense
difficiles (ex. chez Abdelmalek : une commission tu comprends ?)
– recherche indirecte en facilitant la perception (en répétant plus lente-
ment, en articulant etc…), en essayant d'éliminer de ce qui risque de
faire problème (substitution un mot à un autre, reformulation)
– recherche de problèmes discursifs et pragmatiques en rappelant les
points précédents et en explicitant leurs liens avec le nouveau point
abordé, avec l'objectif de l'échange.
Il y a alors réelle inversion des rôles et, si l'on peut parler de contrat
pédagogique, il s'agit bien d'un contrat qui part de questions que se pose
le « candidat-apprenant », de demandes qu'il exprime plus ou moins
explicitement et auxquelles répond le natif qui sait écouter ces
demandes. Ce dernier joue alors le rôle d'accompagnateur d'apprentis-
sage, rôle qui n'est pas réservé aux enseignants et que d'ailleurs les
enseignants ne jouent pas toujours. Le non-natif candidat-apprenant,
dans les échanges qu'il a avec les natifs de bonne volonté, en classe ou
ailleurs, peut, à l'occasion de séquences d'étayage auto-déclenchées, se
donner les meilleures conditions de constitution de savoirs et de savoir-
faire communicatifs nouveaux.
On conclura par quelques remarques générales :
l'un et de l'autre, les objectifs à plus long terme qu'ils se sont donnés,
et, en particulier pour le non-natif, l'objectif d'apprentissage. Ces
conduites langagières et métalangagières, du natif et du non-natif,
sont observables, reproductibles et donc susceptibles d'être apprises.
– L'apprentissage fait passer le non-natif des objectifs à court terme de
l'intercompréhension aux objectifs à long terme de l'acquisition.
Conclusion
1) Il est important que les natifs soient conscients des rôles qu'ils
peuvent jouer auprès d'un non-natif surtout s'il est débutant. Dans notre
univers où les mouvements de personnes et de population deviennent
extrêmement nombreux et fréquents, il y a là un enjeu décisif de forma-
tion. Il faut que les natifs concernés par les contacts avec les étrangers
soient sensibilisés et formés à :
Annexe
S : excuse me only for information how much one ticket the *corriera da
Londra a* Birmingham,
excusez-moi seulement pour l'information combien pour un ticket le car de
Londres à Birmingham
N : from London to Birmingham ?
de Londres à Birmingham ?
S : yeah ouais
N : yeah what ?
ouais quoi ?
S : er how much the price ?
euh combien le prix ?
N : what do you want to go by ?
comment voulez vous aller ?
S : next week
la semaine prochaine
N : on what ? + on what ? bus ? train ? what ?
comment ? + comment ? en bus ? en train ? comment ?
S : birmingham
N : yeah but what do you want to travel on ? donkey ?
ouais mais comment voulez-vous voyager ? à dos d'âne ?
S : anyone
n'importe qui
N : any /(laughs)
n'importe /(rires)
S : yeah/ ouais
N : is it coach ? + coach or bus ?
c'est le car ? + le car ou le bus ?
S : coach [coach]
car car
N : [one way ? ] / coach
aller ? / car
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S : yeah / ouais
N : one way ? /aller ?
S : yeah ++ one way / ouais ++aller
N : (laughs)(rires)
S : me la devi spiegare questa* you eh ?
vous devez me l'expliquer celle-là vous hein ?
N : what you want to go on ? horse back ? and you said any one
comment voulez-vous y aller ? à (dos de) cheval, et vous avez répondu
« de n'importe qui »
S : anyone no problem
n'importe qui pas de problème
N : (laughs
S : you know what I mean ?
vous savez ce que je veux dire ?
N : yeah yeah oh I like that (laughs)
ouais ouais…oh j'adore (rires)
S : very funny / très drôle
N : London Birmingham (laughing)
Londres Birmingham (riant)
S : one person
une personne
N : mhm (+++++++) (very long pause whilst consulting information
sheet)……London Birmingham one way ?
hm (+++++++) (très longue pause pendant qu'il consulte la fiche de
renseignements)
S : yeah/ ouais
N : four fifty
quatre cinquante
S : four / four pound and fifty ?
quatre / quatre livres et cinquante ?
N : four pounds and fifty pence four pounds and fifty pence alright
quatre livres et cinquante pence quatre livres et cinquante pence tout-à-fait
S : thank you very much indeed
merci beaucoup vraiment
N : alright
S : goodbye
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue 73
b : vous / vous êtes convoqué aujourd hui à l'assedic ? est ce que vous savez
pourquoi ?
a : ? pourquoi ? euh pasque moi lé chômage ++ demandé comme la loi de
l'assedic pasque moi jamais hein entrer l'assedic
b : bon alors là vous a / vous êtes convoqué aujourd hui + parce que + vous
avez euh / vous avez eu un an de chômage\
a : \ oui oui un an de chômage
b : un an + bon + et au bout d'un an les droits sont arrêtés
(et l'employé demande à A. de lister les entreprises qu'il a contactées)….
b : ? mario ?
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a : ouais
b : bon + vous savez que euh + tout ça on va le dire en commission
a : ouais ouais commission
b : hein ? vous avez compris ce que c'est la commission ?
a : commission
b : moi aujourd'hui je note tout ce que vous me dites + hein
a : ouais
b : puis après je vais l'écrire sur un papier
a : (rires)
b : et ce papier il va aller devant une commission + une commission c'est
d'autres gens \
a : \ ah d'autres gens
b : d'autres gens + qui vont lire ce que j’ai écrit
a : voilà d’accord
b : alors il faut bien dire tout ce que vous avez fait pour chercher du travail +
parce que eux ils vous auront pas vous en face \
a : \ face
b : ils auront que le [ papier ]
a : [ pier ] oui
b : vous comprenez ?
a : oui
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES