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Préface
1 L’ultime réalité
2 Sois ce que tu es
JEAN KLEIN
UNE PRÉSENCE
Alain PORTE
1
L’ULTIME RÉALITÉ
Celui qui est établi dans cette toile de fond qu’est le Soi, le
sait, mais non de la façon dont on sait quelque chose d’objectif.
Il est un foyer de lumière qui éclaire les choses sans être
affecté par elles.
Cet état est un état d’« Être », un ultime contentement et la
Joie permanente.
II
CONFÉRENCES DONNÉES À
« L’HOMME ET LA CONNAISSANCE »,
PARIS
Évidemment… Rien que le fait que je suis ici, rien que cela
devrait vous suffire.
J’essaie.
Non.
Donc le monde est sensorialité… Alors pourquoi parler des
objets, il n’y a qu’à parler des sensations. Si l’objet est
sensation, le champ d’expérience est la sensation. Pouvez-vous
imaginer une pomme autrement qu’en la voyant, la touchant,
ou la goûtant ? Non, n’est-ce pas, ce n’est pas possible !
Donc, ce que vous appelez objet « extérieur » n’est en fait
que perception, et même ce qu’on appelle « le monde
intérieur » n’est encore, au point de vue du Vedânta, qu’un
objet puisqu’il est perçu. Reconnaissez donc qu’il n’y a pas
d’autre réalité que celle de l’ultime « Percipient ».
Non.
Oui, c’est très important pour les personnes qui sont ici
pour la première fois.
De base, non !
Tous les objets sont là pour révéler notre nature. Les objets
agréables nous procurent une extension, donc on doit les
accueillir. Mais en quoi les objets désagréables comme la
souffrance physique ou morale, peuvent-ils nous épanouir, au
lieu de nous mener à la dégradation et même parfois au
suicide ?
Oui, en principe…
Est-ce que l’emploi des mots dans l’analyse que l’on fait de
soi-même peut être une aide ?
C’est exact, mais il faut que les hommes soient des hommes,
et que les femmes soient des femmes, c’est-à-dire qu’il ne faut
pas vouloir éviter les choses fortes pour s’habituer à des
mièvreries qui mènent à la peur…
La réponse ?…
… un éclair de compréhension ?
Certainement ! Absolument !
C’est cela…
Je vous remercie.
Je voudrais savoir d’où viennent nos pensées et nos
émotions ? Si notre psychisme ne vient pas de nous, d’où
vient-il ?
Ah voilà !…
Cette confection de la personnalité peut aller très loin. Il y a
des gens qui ont une admirable personnalité confectionnée,
mais ce n’est pas là l’Expérience dont nous parlons ici.
C’est préférable !…
… mais si malgré tout j’essaie d’écouter quatre ou dix
entretiens, je ne sais pas si je fais un travail aussi bénéfique
que si brusquement vous me donniez l’ordre de sortir de la
pièce !
Complètement !
SOIS CE QUE TU ES
Le Soi qui est présent dans tous les êtres apparaît par
erreur comme lointain.
Mais quand cette erreur a été dissipée par la Connaissance
véritable, le Soi est reconnu comme ayant toujours été
présent…
comme un collier que l’on croyait perdu et que l’on
retrouve à son cou.
Shankarâcharya
I
Et sans choix ?
Sans choix.
Et sans but ?
Quel but pourriez-vous viser puisque l’objet de votre
recherche est inconnu ? Vous pouvez seulement vous dire
ceci : « En m’observant, je suis bien forcé de me rendre à
l’évidence que je suis chaque jour prisonnier de mille désirs
jamais satisfaits ou dont la satisfaction ne m’apporte aucune
joie définitive. »
Il me semble donc qu’au lieu de courir sans fin d’un désir à
un autre, il vaudrait mieux s’arrêter pour examiner la
véritable nature du désir. Si votre examen aboutit, vous
comprendrez la nature du but véritable visé par tout désir. Ce
que désire véritablement tout désir, c’est le non désir. Le non
désir est un état dans lequel on ne demande absolument rien.
C’est donc un état de suprême richesse, de Plénitude qui se
révèle comme Joie et Paix. Vous savez alors que vous ne
cherchez rien d’autre au fond que Plénitude et Paix absolue.
Vous voyez, maintenant que vous avez compris la nature
intime du but ultime, que celui-ci en réalité n’est pas un but,
c’est-à-dire une fin vers laquelle on tend, puisque la Plénitude
ne peut être que la conséquence d’une détente et d’un
abandon. Ce n’est pas en amassant qu’on obtient la Libération,
mais en s’installant dans un « état d’Être » qui est en réalité le
nôtre et dans lequel nous vivons constamment sans le savoir.
Le voudrions-nous que nous ne pourrions vivre un seul instant
hors de cet état.
Celui qui vise l’ultime Réalité ne met aucun accent sur les
choses du monde, car cela lui semblerait complètement vain
puisqu’il a reconnu l’irréalité des choses. Il s’intéresse
davantage au magicien qu’à ses sortilèges et à ses prouesses.
Le monde pointe vers Celui qui le perçoit, il chante son ultime
« Percevant ». Celui qui est établi dans le Soi ne s’intéresse
aucunement aux théologies et aux cosmologies. La
construction d’une hypothèse cosmogonique du type de celle
qui regarde le monde comme « un jeu divin » est une
spéculation mentale, due à l’ignorance du mental, qui
méconnaît la véritable nature de l’Ultime. Les « Shastras », et
je pense en particulier à Gaudapâda, affirment
catégoriquement que « La création est de la nature même du
Resplendissant, car Il est seul existant, à l’exclusion de tout
autre ».
L’ultime Réalité est elle-même la multiplicité, la diversité.
Vouloir expliquer le monde et son origine est un gaspillage
d’énergies, qui détourne de la perspective de l’Expérience
essentielle.
CONFUSION DU
SUJET AVEC L'OBJET
ASSERVISSEMENT À L’EGO
Dans quel sens employez-vous ce terme la conscience
régulatrice ?
LA SENSATION CORPORELLE
Entend-on un son ?
Oui, il est incontestable que celui qui est obligé de goûter des
vins a une sensibilité de la langue plus aiguisée que celle de
l’homme qui ne boit que de l’eau fraîche, bien qu’il y ait aussi
une palette de goûts dans l’eau fraîche. Celui qui évalue
différentes sortes de tissus laine, soie, nylon, coton, etc., a le
sens tactile beaucoup plus développé.
Bien sûr, le sens du toucher est plus fort dans la main que
dans les autres parties du corps, mais c’est uniquement dû à
l’utilisation que nous en faisons, car nous avons cette sensation
tactile sur tout le corps.
Notre cerveau qui est en perpétuel état de préhension,
comme une éponge compressée, s’ouvre vraiment lorsque
l’attention se dirige vers la tête qui devient immense, vacante.
Ce sont des éléments que nous devons mettre au point. De
nombreuses approches existent pour y arriver, mais la
démarche que je vous indique semble plus réaliste car il ne
reste que l’objet sensation, la pensée n’intervient plus, le corps
présente un tel intérêt, une telle richesse que nous sommes
subjugués. La véritable concentration intervient quand
personne ne se concentre.
LA RÉPONSE SILENCIEUSE
ET GÉNÉRALE
L’ART
La description que vous donnez de notre monde intérieur,
psychologique, et de notre nature, me paraît avoir quelques
rapports avec l’univers de la création artistique. Jadis, me
semble-t-il, il y avait en Orient une technique basée sur ce
que vous venez de dire. L’artiste apercevait d’un seul coup
l’œuvre qu’il portait en lui, puis, il lui donnait une expression
extérieure. Maintenant, et en Occident, l’accent paraît mis
sur les objets sensoriels, sur la plastique de l’art. Que pouvez-
vous nous indiquer à ce sujet ?
Absolument.
LA VOIE DIRECTE
Le moi a sa source dans la conscience unitive, car, sans cela,
comment pourrait-on pressentir ce que l’on ne connaît pas ?
L’ultime désir est d’être le Soi et, comme je viens de vous le
dire, dans les moments de joie parfaite, de non-désir, la notion
d’un moi – comme d’ailleurs de toute autre chose – n’est pas
présente. Attribuant très souvent le motif de cette joie à un
objet nous consolidons de plus en plus la conviction dans
laquelle nous nous complaisons, que cet état est à acquérir, à
posséder, à cultiver.
Lorsque la perspective de la vérité nous est montrée, que le
discernement prend naissance, ces idées inexactes
disparaissent, il se fait un lâcher-prise, le chercheur cessant
d’orienter son désir vers l’extérieur, et du fait qu’on ne peut
rien trouver, la notion du moi se meurt, se fond dans sa source.
Cette félicité vécue, non duelle, ne se fixe pas dans le temps ; le
mental ne peut comprendre que ce qui lui est inhérent, mais la
vérité le transcende et ne peut donc être vécue sur ce plan, ni
être saisie au niveau du langage. Tout pointe alors vers
l’ultime sérénité ; c’est le blocage de la pensée qui empêche
l’éveil.
Objectivez sur le vif celui qui est enchaîné, avec lequel vous
êtes identifié par ignorance (avidyâ). Il est parfaitement
perceptible, laissez-lui seulement le temps de se présenter
devant vous dans toute son ampleur, surtout ne l’y
contraignez pas, ne le forcez pas, laissez-le s’épanouir sans
vouloir vous culpabiliser, le fuir ou le modifier : il se crée entre
vous et lui un décollement, une sensation d’espace. Quand cela
s’impose à vous souvent, tôt ou tard il meurt par manque de
carburant, étant donné que c’est vous qui le faisiez vivre en
l’entretenant, en le projetant. Il se meurt en vous puisqu’il est
une parcelle de vous, il est vous, lucidité silencieuse, votre Soi.
Soyez-le.
Maintenant, je vous mets en garde. Cet ultime équilibre est
vide de perceptions, il n’est donc ni une pensée, ni une
sensation. Vous savez pleinement, totalement quand vous êtes
dans ce vécu, mais pas comme vous connaissez une chose ;
donc, ne tombons pas dans le piège de vouloir le concevoir
comme un objet.
LE TÉMOIN
Dans l’état non duel, qui à proprement parler n’en est pas
un, il n’existe plus ni sujet percevant, ni objet perçu ; la
créativité s’y déploie sans entraves. On entre dans un état
déterminé et on en sort ; cela présuppose donc un non-état
comme arrière-plan commun et support de toutes situations
particulières. Le manque de lucidité nous fait croire que la
félicité que nous connaissions dans cet arrière-plan est l’effet
d’un processus et nous lui attribuons une cause que nous
situons hors de nous. Une aperception instantanée, une juste
vision dissout tous les thèmes producteurs de sensations
mentales et fait apparaître le non-état comme sans motif,
existant par soi et en soi. Le chercheur comme tel se volatilise,
seul survit ce qui était à l’origine de sa quête, le cherché, le
trouvé, événement que l’on peut désigner par le terme
illumination.
L’écouté trouve son épanouissement total et sa résorption
dans une écoute non dirigée, non orientée, c’est l’ultime savoir,
un savoir vécu. Tout ce qui se présente à cette écoute tend
vers la réalité, inconnaissable sur le plan conceptuel, mais bien
connue par chacun de nous, par exemple dans
l’émerveillement ou l’étonnement.
Le véritable motif de notre existence est d’être, seule
perspective contenant une promesse de joie, de liberté, de
paix. Beaucoup de démarches y tendent et l’une plutôt que
l’autre convient à notre tempérament, mais la voie adoptée
doit viser ce vécu réel ; nous ne devons pas perdre de vue que
l’ultime félicité n’est pas une expérience mentale, psychique.
La démarche par l’intellect le plus subtil, le plus ouvert, finit
par apparaître comme étant impuissante, sans issue, tournant
en rond dans le même connu. La réflexion intérieure en quête
de la vérité n’est pas une démarche dialectique mais une prise
de conscience effective. Ce qui est ainsi vécu est au-delà de
toute représentation, couleurs, formes, sensations, durée, est
dépourvu de tout contenu conceptuel, correspond à ce que
nous sommes dans le non-temps et se révèle comme éternité
dans une perception transcendante.
L’essence de l’homme échappe aux qualifications que lui
confèrent ceux qui l’entourent dès qu’il cesse de s’identifier
avec la définition de cet environnement, il se découvre unique
et libre. La liberté totale, vécue, est exempte de tout concept
tel que l’image d’un moi, elle est transcendante. La création de
cette image est, comme tout autre objet, une formation
suscitée par des facteurs accidentels et dépend d’un sujet
ultime et immuable : la pure conscience. La privation de
liberté est uniquement éprouvée par un moi imaginaire, en son
absence un pareil manque ne saurait s’installer, la pensée en
elle-même échappe alors aux routines de l’expérience sensori-
motrice.
L’attention silencieuse contient plus que le connu, elle est le
support du connu et elle est au-delà. L’investigation au sujet
du « Qui suis-je ? » est toujours motivée par un déséquilibre,
une rupture, et cette enquête trouve son ultime
éclaircissement par l’intégration dans le « je suis »,
inexprimable, ineffable, impensable.
Cette expérience est instantanée, mais son approche peut se
faire par étapes successives ; les énergies sont dans ce cas
canalisées peu à peu dans cette direction. Chaque déblocage
entraîne une plus grande lucidité, un dépouillement et
achemine vers ce qui est vécu comme parfait équilibre, sans
attente, sans la moindre tension pour atteindre quelque chose.
Pour qui le monde est-il un problème, pour qui existent le
plaisir, la douleur, le désirable, l’indésirable ? Pour le moi qui
n’est qu’un artifice social, une fiction. Au moment où cela est
clairement vécu, cette entité fantomatique et son problème se
volatilisent.
L’ego désire mener choses et circonstances selon ses
fantaisies, mais son existence n’est qu’une ombre qui a besoin
d’un corps pour la faire vivre. Une vision juste lui enlève
successivement toutes les caractéristiques dont il s’était
faussement emparé et il se résorbe dans son essence qui est
présence, lucidité.
LA PERCEPTION
L'APPROCHE
LE VÉCU
LE MAÎTRE SPIRITUEL
Exactement.
C’est un concept.
Et un concept ?
Et une pensée ?
Une image soulevée par la mémoire visuelle, auditive,
tactile, etc., un objet.
Bhagavad-Gîtâ. IV-18.
VERS LA PLÉNITUDE
L'UNION OMNIPRÉSENTE
LA LIBÉRATION
Moi.
Je ne le désire pas…
Mais, il est là !
C’est fondamental ?
Oui.
Thayumanavar
QUI-SUIS-JE ?
Votre entourage est une idée que vous avez, une notion. De
même, vous êtes un objet pour vous-même. Vos relations avec
ceux qui vous entourent sont également des relations d’objet à
objet, d’un état, d’un psychisme à un autre état, à un autre
psychisme ; cela se passe sur un plan d’action et de réaction,
de sympathie/antipathie. Par ailleurs, quand vous dites
j’existe, ce mot pointe vers la perception d’un non-état, ni
corporel, ni mental. Ce non-état est « être » indéterminable
par une pensée ou un sentiment ; vous l’avez en identité avec
les autres, votre essence est la même. Notre environnement
ne se limite pas à la forme et au nom, ce ne serait pas une vue
juste. Au moment où vous voyez un arbre, une fleur, le
percept, le concept ne sont pas seuls présents : cette autre
chose est toute présence que vous avez en partage avec eux,
dans la même unité. La forme, le nom proviennent
directement de cet arrière-plan, de cette essence. C’est une
réalisation instantanée, et elle ne peut être atteinte par la
pensée.
LE VRAI « JE »
LE SILENCE
LA MÉDITATION
Je n’ai pas à vous redire qu’un moi, en tant que sujet qui
médite sur telle ou telle chose, implique un effort constant en
vue d’un résultat, c’est une concentration et nous ne pouvons
évidemment projeter que ce que nous connaissons déjà. Cela
doit cesser pour que l’inconnu devienne connu. Tout
changement que nous voulons provoquer, toute intention est
cérébralité, c’est un artifice qui fait partie de ce qui est à
changer et qui provient directement de la structure anxiété,
peur, désir. Le mental est imprégné par l’éducation, la culture,
la civilisation, il fonctionne d’après certains modèles qu’il imite.
La méditation est une écoute sans choix, une lucidité totale
dans laquelle les inhibitions dues aux motifs, aux ambitions
s’évanouissent. Le motif fait partie de la structure peur/désir.
C’est tout simplement un « prendre note » de ce qui se
présente.
Dans les états de veille ou de rêve, nous sommes assujettis
par l’activité ou l’inactivité du mental ; dans le sommeil
profond, celui-ci est au repos, ainsi que l’idée d’être une
personne ; c’est une vacuité non motivée, comme entre deux
pensées, deux percepts. Nous sommes dans le vécu, dans un
état d’acceptation, de pure constatation, sans récapitulation,
sans anticipation.
Dans cette conscience unitive, entièrement dégagés, décollés
de ce qui se présente, nous nous trouvons ouverts à une vie
créative. L’intelligence en découle, le corps et le mental en sont
des instruments, libres bien entendu alors de tout
antagonisme.
La pensée, l’émotion sont enracinées dans le passé, elles
sont liées à la personne ; la pensée intentionnelle comporte
toujours une tension vers quelque chose.
Lorsque nous sommes dans l’état méditatif, l’attention n’est
ni centrée, ni périphérique, elle est multidimensionnelle, non
dirigée sur un foyer, elle ne s’épuise jamais et ne s’enlise pas
dans les ornières de la mémoire. La non-acceptation crée des
excitations, des stimulants d’émotion qui troublent l’équilibre
de notre être ; au contraire, l’acceptation entraîne un équilibre
chimique dans le corps, actualise les énergies virtuelles et
donne libre cours à celles qui ont été appliquées par le moi à la
personne. Elle est la base d’une observation, d’une
constatation qui permet de comprendre la nature des
émotions, la manière dont les réflexes se mettent en
mouvement, leur influence sur nos perceptions, ainsi que nos
réactions avec autrui ou autres situations. La véritable
humilité en résulte. Il se produit alors un accord et la
transformation arrive d’elle-même, sans tension cérébrale.
C’est une acceptation sans volonté, sans résistance. Toute
tension surgit de la fraction, de la contrainte dans lesquelles
aucune constatation n’est possible. Nous sommes coupés,
isolés de la réalité ; un fragment ne peut voir que ce qui est
partiel, c’est un déséquilibre et l’action qui en provient ne peut
qu’en créer d’autres.
Aller à la découverte de notre véritable nature vient
directement du Soi et n’est pas dû à une réaction, à un échec
dans la vie. Si la recherche est provoquée par des ambitions
déçues, des frustrations de l’existence, elle ne servira qu’à
accumuler des visées dans un monde objectif. L’acceptation
nous ouvre à la toute-possibilité, libère les énergies.
Platon, Lettres
ENTRETIENS INÉDITS
AVEC JEAN KLEIN
6 OCTOBRE 1991
7 OCTOBRE 1991
Si vous êtes identifié avec les objets, vous l’êtes aussi avec
l’espace/temps et vous vivez différemment la durée sur la
plan psychologique et sur le plan chronologique, astronomique.
Il en est de même dans le rêve, les événements ne se
déroulent pas de la même manière que dans l’état de veille
tant que vous restez à ce stade.
Tout est mémoire. La vision n’en est pas une, mais celle-ci
est liée à la vision, elle y trouve sa potentialité. L’observateur
et l’observé ne font qu’un, et l’observé a sa réalité dans
l’observation. Lorsqu’on a compris la nature de l’objet, et
même dans son observation, celui-ci se réfère inévitablement
au sujet. À un moment donné, il s’épuise et révèle le sujet.
Vivez cela totalement, mais surtout sans le rendre objectif, et
vous verrez que toute chose vous quitte. Il est plus juste de
dire : se résorbe dans ce que vous êtes profondément, car en
réalité, il n’y a pas de lieu où aller, mais un retour sur vous-
même.
Je crois qu’on est parfois cette présence sciemment, mais
on a le réflexe de l’objectiver, une sorte d’auto-satisfaction :
« ça y est, j’y suis ! », ce qui détruit immanquablement tout.
Comment échapper à cet automatisme ?
8 OCTOBRE 1991
13 SEPTEMBRE 1992
Merci.
V
16 SEPTEMBRE 1992
Vous avez tout d’abord une perception qui vous fait penser à
un manque. Cette perception s’est présentée sous la forme
d’une contraction, elle se localise quelque part dans votre
corps. Lorsque vous l’explorez, l’entourez, peu à peu
l’exploration cesse. Vous la regardez, et à ce moment-là elle se
perd. Un peu comme un jour vous ressentiez un mal de tête :
vous prenez le médicament approprié, et la douleur s’évade.
Mais voilà, nous laissons la souffrance s’échapper, mais nous
oublions aussi sa demeure, sa demeure dans notre conscience.
Nous ignorons le « Je suis ». Débarrassés de la souffrance,
nous l’ignorons. Or, un dernier geste est important, celui qui
permet de voir la substance qui transforme, qui transmute.
Ramener quelque chose à son essence est une transmutation,
mais cela passe par le feu !
Merci.
VI
17 SEPTEMBRE 1992
Merci.
VII
18 SEPTEMBRE 1992
C’est sur le vif qu’il faut vous rendre compte que vous avez
ce réflexe, et lorsque vous le constatez de cette façon, il
n’apparaît plus : vous n’en êtes plus le complice. Vous sentez :
« Je suis en réaction », cette réaction ne surgit qu’au moment
où vous en êtes complice, et qui est ce vous ? C’est le moi, la
personne. Dès que vous prenez conscience de cette situation,
vous êtes derrière la barrière, vous transcendez le problème,
et il s’élimine, se vide, se libère.
19 SEPTEMBRE 1992
Monsieur Klein, s’il vous plaît, vous nous dites souvent que
la présence se trouve entre deux pensées, ne pourrait-on dire
plutôt : entre la pensée et l’absence de pensée ?
Tout ce qui est perçu n’a pas de réalité en soi parce qu’ayant
besoin d’un connaisseur pour être connu, tandis que le sujet,
lui, ne peut jamais l’être ! Alors la question se pose ; comment
le reconnaître puisqu’il est impossible de le saisir ?
N’étant plus dans le domaine de notre langage, on suggère
une intuition, une aperception… Soyez très lucide, c’est
essentiel à ce moment-là. Vous savez que tant qu’il vous
semble y avoir quelque chose à atteindre, cette conception
ouvrira les chakra, le Moi sera en lumière, mais ensuite…
cette avidité bloque l’énergie, et vous en restez là ! Vous
saisissez alors réellement qu’il n’y a rien à atteindre (Vos
lunettes sont sur votre nez, pourquoi les chercher partout ?).
Il se fait un transfert d’énergie – si l’on peut employer le mot
transfert – de l’objet vers le sujet. Tout s’abandonne, tout
lâche prise. Toutes les fonctions sont restituées à leur emploi
normal.
Constatez cette avidité, par exemple en allant dans une salle
de jeux à Montecarlo. On suit la boule avec une tension
extrême, et quand elle tombe à la juste place, « Ouf ! », quel
soulagement… Vous voyez alors combien vous étiez
entièrement impliqué ! (entre parenthèses, je n’ai jamais été
dans un casino à Monte-Carlo).
Merci.
IX
20 SEPTEMBRE 1992
Peut-on se dire que tout ce qui nous arrive est juste, que la
vie n’est jamais injuste. Certaines personnes sont privilégiées
par rapport à d’autres : l’un est malade, l’autre bien portant.
Avons-nous le choix ?
ISBN 978-2-35118-036-5
[1]
Jean Klein, Qui suis-je ? La quête sacrée. Le Relié poche, 2007, page 173.
[2]
Sinon dans la perspective indiquée par la note 1 de cette préface.
[3]
Roger Godel, Essais sur l’Expérience libératrice, Almora, 2008.
[4]
Image divine qu’un Hindou choisit comme support de méditation. Litt. « forme préférée
»