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MICHEL PERALDI (DIR.). D'UNE AFRIQUE À L'AUTRE. MIGRATIONS
SUBSAHARIENNES AU MAROC

Laurent Lardeux

De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »

2011/3 n° 239 | pages 161 à 163


ISSN 0002-0478
ISBN 9782804168766
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-3-page-161.htm
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Robert Boyer
Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?1

Les très nombreux livres sur la crise ignorent le


continent africain. Même si l’Afrique et la crise
ouverte en 2008 ont été traitées par de nombreu-
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ses revues, à commencer par Afrique contempo-
raine 2 , et par les derniers rapports de la CNUCED
(Conférence des Nations unies sur le commerce et
le développement) ou de la BAD-OCDE (Banque
africaine de développement, Organisation de
coopération du développement économique), elle
demeure l’Arlésienne des ouvrages des économis-
tes. Le dernier ouvrage d’un des plus grands éco-
nomistes français en est le témoignage. Il rejoint
hélas les différents écrits sur l’économie mondiale,
tels ceux du CEPII qui, à part quelques références
à l’Afrique du Sud, ignore l’Afrique qui comptera
pourtant en 2050 un quart de la population mondiale, connaît aujourd’hui de
profondes transformations et, convoitée, diversifie ses partenaires.
Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?, rédigé par Robert Boyer
entre  2008 et  2011, était particulièrement attendu. L’école de la régulation a
permis de comprendre les régimes américains et européens. Permet-elle de
comprendre en profondeur la crise qui se déploie dans le cadre du capitalisme
mondial, de la globalisation financière, de la mise en place d’un monde multi-
polaire et des nouvelles interdépendances Nord/Sud et Sud/Sud ? Nous ne le
pensons pas. Elle juxtapose les capitalismes nationaux avec un bouclage sur
l’État-nation plutôt qu’elle n’analyse la manière dont les sociétés s’insèrent
selon différentes échelles dans plusieurs espaces.
Robert Boyer propose une puissante interprétation de la crise finan-
cière actuelle. Son ouvrage prend en compte les origines lointaines de la crise
liées aux déréglementations à outrance, à la disjonction entre la finance et
l’économie productive. Les mouvements spéculatifs représentent l’essentiel des
transactions financières. Ils utilisent différents produits financiers, dont les
produits dérivés (1986) avec d’importants effets de leviers. Le cycle ultralibéral
a remplacé depuis les années 1980 le cycle keynésien. L’Europe, de l’Acte unique
jusqu’au traité de Lisbonne (2007), a été le cheval de Troie de la concurrence et
de la déréglementation, au lieu de constituer un lieu de contrepoids aux forces
du marché. Aujourd’hui, on observe une inversion du cycle de la dette. La finan-
ciarisation du capitalisme est le phénomène central. La bourse est devenue la
mesure de la performance des entreprises avec la fuite en avant d’une écono-
mie de crédit. La contrainte du ROE (Return on Equity) s’est faite aux dépens

1. Economica, 2011. 2. N°231, 2009.

 147
des investissements productifs de long terme. On note une frilosité, voire une
connivence, des pouvoirs politiques face aux pouvoirs financiers. L’approche
de la régulation est pertinente pour comprendre en profondeur cette crise. La
récurrence des crises est un trait essentiel de l’histoire du capitalisme. La crise
majeure et structurelle, ouverte en 2008, marque l’irréversibilité d’une histoire
dont on peut tirer des leçons mais qui ne se répète pas.
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Les politiques jouent un rôle déterminant dans la genèse des formes
institutionnelles. Le mode de régulation pouvant piloter un régime d’accumu-
lation a une adéquation limitée dans le temps et l’espace. Les grandes crises, de
rupture ou de grande transformation, sont généralement précédées par de peti-
tes crises. La crise est un « épisode au cours duquel se rompent les régularités
antérieures et s’ouvre une période fort incertaine d’affrontement tant d’intérêts
que de visions du monde économique, social et politique » (p. 13). Elle traduit
l’épuisement d’un régime économique. La crise actuelle est interprétée par
Robert Boyer comme la montée en puissance d’un pouvoir financier qui s’est
substitué au modèle fordiste. Le régime monétaire et financier occupe la place
hiérarchisée qu’avait le rapport salarial à l’« âge d’or du fordisme ». Boyer dis-
tingue sept formes de capitalisme : le cœur du capitalisme financiarisé (États-
Unis, Royaume-Uni), les capitalismes financiers dominés (États baltes, Irlande
et Islande), les capitalismes industrialistes (Allemagne, France), les économies
rentières (Russie, Arabie Saoudite, Venezuela), les capitalismes développemen-
talistes des pays continents (Chine, Inde, Brésil), les économies désarticulées
avec des configurations hybrides (Argentine, Mexique), les économies préindus-
trielles (Afrique). Il illustre les modèles permettant de les comprendre par qua-
rante figures et vingt-quatre tableaux très pédagogiques. Il met in fine l’accent
sur les stratégies nationales et le rôle du politique. La sortie de crise suppose
la primauté du politique sur la finance, de nouveaux compromis institutionna-
lisés, une insertion internationale dans un « régime multipolaire négocié ». Il
s’agit de revenir sur la liberté de mobilité internationale des capitaux, de taxer
les f lux de capitaux internationaux et surtout de contrôler les pouvoirs finan-
ciers et leurs liens avec les pouvoirs politiques. « Les sorties de crise sont filles
du politique et non pas du (fragile) savoir des économistes » (p. 14). La stabilité
financière doit redevenir un bien public. On ne peut évidemment qu’adhérer à
ces propositions et admirer la clarté de la présentation et la connaissance en
profondeur du cœur du système financier et de ses liens avec les institutions
des pays de l’OCDE.
Nous pensons toutefois que l’ouvrage demeure occidentalo-centré en
s’intéressant à l’épicentre de la crise et au cœur du capitalisme. Il ignore lar-
gement certaines dimensions de la crise, à commencer par le basculement de
la richesse et de la puissance vers les pays émergents ou par l’épuisement du
régime d’accumulation face aux contraintes environnementales. Les dimen-
sions de la mondialisation, telles la globalisation financière, l’internationalisa-
tion de la production et des chaînes de valeurs mondiales sous le contrôle des
FMN (firmes multinationales) ou la révolution des nouvelles technologies de

148  notes de lecture Afrique contemporaine 239


l’information et de la communication sont largement absentes. Les trois quarts
de la population de la planète sont traités en quelques pages, exception faite de
la Chine qui, à l’instar du Japon, est un pays où le rôle du politique dans un État
fort donnent sens aux travaux centrés sur les États. Comment peut-on trouver
dans un ouvrage savant des stéréotypes sur une « Afrique préindustrielle » et
« de prédation » où dominerait la faible attractivité des investissements, alors
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que les Afrique sont plurielles, convoitées, en croissance économique et attirent
de manière croissante des capitaux ? La typologie nous paraît discutable et fait
abstraction des interdépendances asymétriques entre les économies. La biblio-
graphie est très révélatrice de la faible prise en compte des Sud.
Robert Boyer mésestime la mondialisation du capitalisme productif et
financier, le déplacement de centres de gravité vers les pays émergents et le rôle
croissant des relations tricontinentales (Asie, Afrique, Amérique latine), mais
également le rôle des paradis fiscaux et de la finance transnationale. Le capi-
talisme financier a été aussi déterminant dans l’émergence de nouvelles puis-
sances. Celles-ci sont devenues, largement grâce aux multinationales des pays
de l’OCDE, concurrentes de l’appareil productif des pays de l’OCDE. Elles ont
accumulé des excédents de change. C’est l’épargne des émergents qui finance
en partie la consommation des pays de vieille industrialisation. Les pays indus-
triels ont, selon des niveaux différents, maintenu le niveau de vie en accumulant
des dettes. La crise actuelle ne peut être comprise en se limitant au cœur du
système des pays capitalistes développés, ce que fait malheureusement Robert
Boyer dans son ouvrage. Vue des Sud, qui connaissent globalement des crois-
sances fortes accompagnées de grandes inégalités, la crise apparaît sous un
autre éclairage. Robert Boyer sous-estime la nouvelle économie politique mon-
diale révélant, au-delà des connivences, la disjonction entre les pouvoirs écono-
miques largement mondialisés et les pouvoirs politiques demeurant largement
nationaux. Il intègre mal les tendances de long terme concernant notamment
les variables démographiques, scientifiques et technologiques ou environne-
mentales et l’impasse écologique à long terme du mode de développement du
premier monde industriel et du second monde émergent.
Une théorie de la régulation intégrant la mondialisation, les interdé-
pendances asymétriques entre les États-nations, les déplacements de centres
de gravité du capitalisme et les enjeux planétaires est-elle possible ? Peut-on
espérer qu’un des plus grands penseurs français relativise les typologies de
sociétés industrielles et de leurs crises, pour aborder la dimension planétaire
du capitalisme intégrant une grande hétérogénéité de sociétés ? Même si l’Afri-
que se trouvait uniquement aux marges, n’est ce pas en partant également des
marges que l’on peut comprendre le système monde ? Philippe Hugon 3

3. Philippe Hugon est professeur directeur de recherché à l’IRIS et


émérite, agrégé en sciences membre du comité de rédaction
économiques, classe exceptionnelle d’Afrique contemporaine.
à l’université de Paris-X/Nanterre,

 149
Marie-Magdeleine Chirol
Gaston Kaboré. Conteur et visionnaire du cinéma africain 4

Aujourd’hui à la tête de l’institut de formation


Imagine à Ouagadougou, Gaston Kaboré a été
l’un des pionniers du cinéma du Burkina Faso.
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Son premier long-métrage, Wend Kuuni, sorti en
1982 (il avait 31  ans) est un film fondateur qui
a contribué à faire connaître le cinéma africain
à travers le monde. Trente ans plus tard, Marie-
Magdeleine Chirol, universitaire française exer-
çant au Whittier College (Californie), consacre un
ouvrage à ce cinéaste qui n’a que quatre longs-
métrages à son actif, mais dont l’œuvre est restée
marquante de plusieurs points de vue.
Gaston Kaboré a été l’un des principaux
artisans de l’essor du cinéma de la Haute-Volta,
puis du Burkina Faso. Placé, à 27 ans, à la tête du Centre cinématographique
national, il a donné l’impulsion qui a permis à son pays de devenir, pour long-
temps, l’un des porte-drapeaux du cinéma africain. Les douze années pendant
lesquelles il a dirigé la Fédération panafricaine des cinéastes coïncident avec
un âge d’or pendant lequel les sources de financement se sont multipliées, per-
mettant à plusieurs films africains d’atteindre un véritable rayonnement inter-
national. À la même époque, la cinémathèque de Ouagadougou a vu le jour,
grâce à ses efforts.
Si l’ouvrage de Marie-Magdeleine Chirol est avant tout consacré aux
films de Gaston Kaboré, ces œuvres ne peuvent pas être séparées de la carrière
d’un créateur qui a été, par ailleurs, organisateur, bâtisseur et formateur et
qui insiste sur la responsabilité qui pèse sur les épaules d’un cinéaste. « Faire
un film, c’est un acte grave », a-t-il confié en 1997, année de sortie de son der-
nier long-métrage. Pour lui, un réalisateur a une mission à accomplir : il peut
contribuer à la transmission d’un patrimoine culturel ; il peut « tenir en éveil la
conscience de ses concitoyens ».
Pour autant, les longs-métrages de Gaston Kaboré ne sont pas des œuvres
militantes, ni des films à thèse. Pour transmettre son message, il préfère le
conte à la démonstration. Marie-Magdeleine Chirol consacre quatre chapitres
à l’analyse de ces quatre long métrages. Wend Kuuni et Buud Yam mettent en
scène, à quinze ans d’intervalle, le même personnage, en quête de son origine
et de son identité. Wend Kuuni est un film singulier dont la construction fait
appel à plusieurs f lash-backs dont l’un est lui-même situé à l’intérieur d’un autre
f lash-back. Pour Marie-Magdeleine Chirol, cette histoire d’un enfant frappé de

4. Presses universitaires de Lyon,


2011.

150  notes de lecture Afrique contemporaine 239


mutisme à la suite de la mort de sa mère a permis à Gaston Kaboré d’élabo-
rer un nouveau langage cinématographique où le non-dit, l’ellipse ou le hors-
champ donnent encore plus de force à ce que le cinéaste lui-même décrit comme
une « histoire très simple qui tient avec je-ne-sais-quoi » mais dont la force
trouve justement son origine dans sa simplicité. « Mon parti pris, explique-t-il,
était d’épurer au maximum : que derrière une grande simplicité demeure une
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profondeur. »
Avec Buud Yam, Gaston Kaboré a repris, en 1997, le thème de la quête
d’une identité oubliée. Ce film, récompensé par le grand prix du Festival pana-
fricain du cinéma, illustre à nouveau la capacité du cinéaste à raconter une
histoire universelle en restant profondément enraciné dans sa propre culture.
À propos de ce film, on peut regretter que ne soit pas évoqué dans l’entretien
accordé à Marie-Magdeleine Chirol par le cinéaste, l’extraordinaire succès du
film au Burkina Faso (plus de cinq cent mille entrées en salles, record jamais
approché depuis).
Zan Boko est le seul long-métrage de Gaston Kaboré qui se situe dans
une Afrique à la fois urbaine et contemporaine. Mais le thème de l’identité et des
racines culturelles y est tout aussi présent que dans les autres œuvres du cinéaste
car on assiste à la destruction d’un village et à la dépossession de ses habitants,
victimes de l’expansion de la capitale. Cette histoire symbolique évoque, selon
Marie-Magdeleine Chirol, « la disparition […] d’un terroir, d’un patrimoine,
d’une culture ».
À côté de ces trois films nés d’une démarche très personnelle, les autres
œuvres de Gaston Kaboré (y compris Rabi, long-métrage cofinancé par la BBC
et projeté en ouverture du sommet de la Terre en 1992 à Rio) peuvent apparaî-
tre comme des films de commande, à quelques exceptions près. La plupart, en
effet, ont été tournés à l’initiative d’autorités locales ou internationales et véhi-
culent explicitement un message (La Vie en fumée vise à promouvoir la cuisine
au gaz pour limiter le déboisement ; Roger le fonctionnaire dénonce l’incurie
et la corruption dans l’administration). D’autres films s’efforcent seulement de
provoquer une prise de conscience (Chronique d’un échec annoncé est une mise
en garde contre les habitudes de clientélisme qui empêchent les responsables
politiques de poursuivre l’intérêt général).
Mais, même pour ces films que l’on pourrait qualifier d’« outils de sen-
sibilisation », Gaston Kaboré réfute la notion d’œuvre de commande. Pour lui,
les documentaires européens coproduits et donc commandités par des chaînes
de télévision ne laissent pas plus de liberté à leurs auteurs. Il revendique, par
ailleurs, le fait d’avoir lui-même proposé des sujets à des organismes publics
dont il partageait les objectifs de développement.
L’ouvrage de Marie-Magdeleine Chirol, qui comporte une analyse des
principales œuvres de Gaston Kaboré et des fiches descriptives de tous ses autres
films, s’achève sur un entretien avec le cinéaste. Gaston Kaboré y souligne son
attachement à la transmission du savoir et appelle de ses vœux la production
de « milliers de films » en Afrique pour que des jeunes puissent exprimer leur

 151
talent, raconter leur continent, « interroger leur réalité et […] exprimer leur
vision ». Pierre Barrot 5

Abdelwahab Meddeb
Printemps de Tunis. La métamorphose de l’Histoire 6
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Abdelwahab Meddeb est un intellectuel tuniso-
français, auteur de nombreux ouvrages, parmi
lesquels La Maladie de l’islam, écrit au lendemain
des attentats du 11 septembre 2001. Professeur à
Nanterre, animateur de l’émission Culture d’is-
lam sur France Culture, directeur de la revue
Dédale, cet intellectuel tunisien est un homme
de savoir à cheval entre rives et cultures de la
Méditerranée. Avec Printemps de Tunis, la méta-
morphose de l’histoire, il nous propose un journal
de bord de la révolution tunisienne, vue depuis
Paris et Tunis, écrit au fil des trois premières
semaines de février  2011. Il ne s’agit pas d’un
essai, mais du récit presqu’au jour le jour du pre-
mier embrasement de ce qui est rapidement devenu le printemps arabe. Trente-
trois chapitres courts et un post-scriptum, couchés sur le papier avec l’urgence
de l’histoire en train de s’emballer, dont quelques titres, repris ici hasard – « Par
surprise » ; « La responsabilité de Bourguiba » ; « Sur la Toile » ; « Face à l’isla-
misme » ; « Vision en Medina » ; « L’épreuve démocratique » – illustrent le va-
et-vient entre les faits relatés, les réf lexions sur l’islam et l’islamisme et les
enjeux de la transition démocratique.
L’intérêt – comme la limite – de ce journal est qu’il est écrit au cœur de
cet événement historique pour le Maghreb, le monde arabe, mais aussi l’Europe
du Sud (On est frappé – c’est l’auteur de cette chronique qui s’exprime ici – par
l’importance qu’ont prise les révolutions arabes dans l’actualité au cours des
derniers mois, jusqu’aux sit-in d’indignés en Espagne et au Portugal).
Cet événement a pris l’auteur « par surprise », au même titre que la plu-
part des intellectuels et politiques arabes, européens et l’essentiel de la bour-
geoisie tunisienne. Abdelwahab Meddeb nous faire revivre le fil des événements
et la manière dont il les a vécus, entre le 17 décembre 2010, date du suicide de
Mohamed Bouazizi, et la fin de mois de février 2011, alors que le pays peinait
encore à trouver une solution institutionnelle et gouvernementale acceptable
pour le conduire vers une transition démocratique.

5. Ancien producteur de la série France au Nigeria (2002-2006). Il est version française, et James Currey,
télévisée Taxi Brousse, Pierre Barrot l’auteur (avec T. Oladunjoye et al.) de 2008, pour la version anglaise.
est également l’ancien attaché Nollywood. Le phénomène vidéo au 6. Cérès, 2011, pour la Tunisie et
audiovisuel de l’ambassade de Nigeria (L’Harmattan, 2005, pour la Albin Michel, 2011, pour la France.

152  notes de lecture Afrique contemporaine 239


Ce sont les mots et les pensées d’un homme qui voit avec bonheur, soula-
gement, mais aussi angoisse et incertitude, le destin de son pays basculer, décrit
la manière dont il vit et comprend les événements et les réactions qu’ils suscitent,
tente d’en comprendre les ressorts – chômage des jeunes diplômés, népotisme
décomplexé, rôle d’Internet – et de définir les conditions d’une transition démo-
cratique réussie. Il ne s’agit pas d’une description à proprement parler des faits,
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mais d’une réf lexion à chaud sur ces événements, sur la manière dont ils ont été
diffusés, à travers Al Jazeera ou Internet, sur les parallèles historiques qu’on
peut esquisser, des réf lexions politiques ou philosophiques qu’ils suscitent.
Printemps de Tunis n’est pas un ouvrage dans lequel l’auteur cherche à
démontrer une thèse philosophique, historique ou politique. L’intérêt de ce court
essai réside non pas tant dans la profondeur des réf lexions – Meddeb n’a ni le sou-
hait ni l’espace pour les approfondir – mais dans le cheminement de la réf lexion,
les surprises et les interrogations de l’auteur. On partage avec lui l’incertitude du
lendemain postrévolutionnaire et des désillusions à venir comme la persistance
d’un chômage des jeunes que seul le retour de la croissance permettra de réduire.
On vit ses espoirs d’une démocratie arabe apaisée et intégrée au monde ; le souhait
de replacer l’événement dans l’histoire de la région, en élargissant par exemple
son témoignage à l’actualité égyptienne, et dans les enjeux du début du xxie siè-
cle, notamment la démocratisation du sud et de l’est de la Méditerranée. On entre
avec lui dans les débats qui ont animé alors l’élite intellectuelle tunisienne, qu’elle
vive en Tunisie et à l’étranger, et alors que le pays continue de tâtonner : quels
outils pour la transition démocratique, le rôle de l’islam, la construction d’une
nouvelle constitution pour le pays, le lien entre élites et bourgeoisie des villes
côtières et populations laissées pour compte de l’intérieur du pays ?
La révolution tunisienne est à la fois inédite et comparable aux autres
révolutions. Abdelwahab Meddeb constate que l’essentiel de ses références his-
toriques, de la Révolution française à la chute du mur de Berlin, en passant
par la révolution des Œillets, sont « occidentales ». Il soutient que la révolution
tunisienne est la première révolution démocratique dans un pays arabe musul-
man. « Le 14 janvier nous révèle que liberté et démocratie ne sont pas exclusive-
ment assimilables à une genèse chrétienne », que la démocratie est un « acquis
universel dont jouit tout humain ». C’est aussi une révolution de la « périphérie »
contre l’épicentre. Meddeb montre en effet que les événements ont débuté dans
une zone oubliée, marginale. Elle est partie de Sidi Bouzid, une région enclavée,
et a peu à peu rallié Tunis, épicentre politique et économique du pays. De même
la Tunisie n’était en aucun cas au cœur de l’actualité politique : initiée dans un
pays certes très intégré à sa région mais écartelé entre monde arabe et Europe,
la révolution a embrasé la rive sud et est de la Méditerranée, et semé le doute au
nord. Enfin, elle n’a pas été portée par les élites et les médias mainstream, mais
par une population jeune, laissée pour compte et en réseau.
Révolution première dans le monde arabe, partie des marges, puis
relayée à coup de tweets et de posts sur les murs des profils Facebook de dissi-
dents d’abord et de tous ensuite, elle a ainsi pris à revers nombre d’intellectuels

 153
et de politiques, les élites qui s’étaient coupées de leur jeunesse. On doit avec
Meddeb regretter la lenteur et la faiblesse des réactions des pays occidentaux,
certainement en raison d’une grille de lecture trop figée et visiblement obsolète
d’un monde arabe qui serait (qu’on aurait souhaité) condamné à un autorita-
risme paternaliste et finalement protecteur pour l’Europe.
Printemps de Tunis souligne aussi que la révolution est un échec pour les
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islamistes fondamentalistes, à l’instar des autres révolutions du monde arabe.
Partie d’un acte de « don de soi », le suicide par immolation d’un homme, elle a
été portée par une population qui revendiquait dignité et liberté, non par des
principes religieux. Échec également du principe du régime autoritaire rempart
contre l’islamisme.
Après l’Europe de l’Est, l’Amérique latine, c’est au tour du monde arabe
d’entrer dans l’aventure démocratique et de participer à la métamorphose de
l’histoire. Mais les enjeux sont majeurs : quelle constitution, quelle laïcité et
quel lien entre la chose publique et la religion, quels choix de partage des riches-
ses, quelle place pour la femme ? Autant de questions que Meddeb eff leure sans
les approfondir, et invite à poursuivre le débat pour accompagner ce moment
d’histoire exaltant. Cyrille Bellier 7

Pierre Vermeren
Le Maroc de Mohammed VI. La transition inachevée 8

Dans Le Maroc de Mohammed VI, publié pour la


première fois à l’automne 2009, Pierre Vermeren,
maître de conférence à l’université de Paris-1/
Panthéon-Sorbonne, estimait que, globalement,
le royaume avait réussi sa transition, même si,
dix ans après la mort de Hassan II, celle-ci restait
inachevée sur le plan politique. De fait, le pays a
évité la guerre civile et le chaos économique et
s’est sensiblement transformé, y compris dans les
zones rurales largement oubliées par le père du
jeune souverain. L’ouvrage se terminait également
par ces quelques mots prémonitoires : « Et com-
bien de temps encore la jeune génération accep-
tera-t-elle d’avoir devant elle un avenir bouché ? »
Prémonitoires puisqu’en 2011, la jeunesse marocaine, via le Mouvement
du 20  février 9 , forme marocaine des révoltes anti-autocratiques du monde

7. Cyrille Bellier est le directeur 9. Le Mouvement du 20 février est un séparation des pouvoirs, et appelle
adjoint de l’Agence française de mouvement contestataire de à la vigilance citoyenne comme lors
développement à Tunis. jeunesse en opposition face au du référendum du 1er juillet 2011
8. La Découverte, 2011. Postface régime chérifien. Il revendique de sur le projet de nouvelle constitution
inédite de Pierre Vermeren. profonds changements politiques et marocaine.
sociaux au Maroc, comme la

154  notes de lecture Afrique contemporaine 239


arabe, a fini par manifester fermement mais pacifiquement son ras-le-bol
devant l’immobilisme politique du régime. Le règne avait pourtant démarré
sous les meilleurs auspices avec, par exemple, la mise à l’écart de Driss Basri,
redoutable ministre de l’Intérieur, homme de confiance et bras droit d’Has-
san  II, la fin de certaines traditions pesantes (réforme de la moudawana), la
libération de la parole, l’indemnisation de nombreuses victimes des « années
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de plomb » (1975-1991). « Deux ans d’état de grâce », selon la formule de Pierre
Vermeren.
Si la transition marocaine semblait bien partie, très vite, comme le rap-
pelle l’auteur dans une longue introduction, les mauvaises habitudes reprennent
le dessus. Des journaux sont condamnés et le capitaine Mustapha Adib, ancien
capitaine de l’armée de l’air marocaine, est jeté en prison pour avoir dénoncé
la corruption de sa hiérarchie. Simultanément, en mars  2000, est publié Le
Manifeste berbère, un texte important qui met en cause les fondements histori-
ques et culturels de l’État marocain. Le régime souff le le chaud et le froid.
Les attentats de mai  2003 font quarante-cinq morts à Casablanca et
marquent un tournant dans le règne : les « sécuritaires » reprennent la main
allant même jusqu’à jouer les sous-traitants pour l’Amérique en « interrogeant »
un certain nombre d’islamistes radicaux arrêtés en Afghanistan ou en Irak.
Néanmoins, fin 2003, Mohammed VI prend une dernière initiative importante :
profitant de l’affaiblissement des islamistes locaux, il impose une réforme de la
moudawana – le code de statut personnel – favorable aux femmes.
Au fur et à mesure que l’on avance dans la première partie du livre
consacrée au système politique à et ses difficultés à « évoluer », Mohammed VI
apparaît de plus en plus comme un « bon roi », en « empathie » avec les faibles,
mais dont la bonne volonté est sans cesse contrariée par les conservatismes de
tous bords et par un entourage satisfait du statu quo. Vermeren analyse dans
les moindres détails tout ce qui compte dans le royaume : le roi, bien sûr, les
conseillers, les amis, les grandes familles, les hauts gradés de l’armée et de la
police, les parlementaires, les opposants ralliés au pouvoir.
Davantage centrée sur la société marocaine, son identité profonde,
ses aspirations et ses rejets, la seconde partie du livre est sans doute celle qui
convainc le plus. Les pages consacrées aux jeunes « en quête d’avenir » retien-
nent particulièrement l’attention : « En quatre générations, le Maroc s’est trans-
formé à une vitesse record […]. Les ruptures sociologiques et anthropologiques
subies par les jeunes illustrent cette marche forcée. De nombreux maux, qu’elle
a du mal à nommer, affectent cette société bouleversée », souligne justement
Pierre Vermeren. Les passages traitant de la langue parlée – le darija – et des
problèmes considérables posés par l’usage ou non de l’arabe classique, langue
sacrée mais que maîtrise mal la majorité des Marocains, sont particulièrement
instructifs sur l’état de la société et le divorce entre la jeunesse et les élites
traditionnelles.
Mine de renseignements, ce livre accorde parfois une importance exces-
sive à des discours royaux qui se sont révélés creux. Quel que soit l’habillage qu’il

 155
entendait donner au départ à sa manière de gouverner (p. 54), Mohammed VI
a vite montré dans l’exercice du pouvoir qu’il était le fidèle héritier de son père.
De même, les innombrables informations fournies sur la nomenklatura du
régime s’adressent davantage aux (rares) bons connaisseurs du sérail qu’à un
public élargi, fût-il éclairé. À trop vouloir entrer dans les détails, l’auteur com-
met même quelques petites erreurs, dont on peut donner quelques exemples :
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Hassan Abouyoub n’est pas diplômé de l’IEP Grenoble (p.  84) mais de l’EM
Lyon Business School. Ce n’est pas Mohammed Berrada mais Hamid Berrada
qui travaillait à Jeune Afrique (p.  123). À l’opposé, certains points, comme le
rapport au pouvoir des patrons « rétifs » (p.  86), auraient mérité davantage
qu’une demi-ligne.
On peut aussi relever quelques jugements discutables. Ainsi, l’auteur se
montre-t-il indulgent avec les ex-opposants récupérés par le régime. Nombre
d’entre eux se sont gravement déconsidérés en reniant les idées qu’ils défen-
daient jeunes et, surtout, en se faisant, toute honte bue, les avocats du régime.
On voit mal en quoi « leur parcours mérite respect » (p. 146). Mohammed  VI,
note encore P. Vermeren, n’a modifié les cadres de la sécurité militaire « qu’avec
une extrême prudence » (p. 64). Un portrait de Mohammed VI, profondément
marqué par ses rapports difficiles, voire exécrables, avec son père, aurait aussi
été le bienvenu. Dans quelle mesure expliquent-ils son comportement atypi-
que de chef d’État allergique aux réunions internationales ? Qui est vraiment
Mohammed VI ? Que veut-il ? Le lecteur reste sur sa faim.
Néanmoins, ce livre très dense, trop sans doute même pour un public
averti, apporte bien des réponses aux questions que se posent ceux qu’intéresse
ce pays complexe. Mais l’on regrettera avant tout que l’éditeur n’ait pas attendu
quelques mois de plus pour sortir une édition complétée. Dès mars  2011, les
échéances importantes – rapport de la commission de révision constitutionnelle
et référendum – avaient été annoncées pour le début de l’été. Or, le livre, imprimé
en mai  2011, fait malheureusement l’impasse sur l’importante année  2010 –
événements graves au Sahara et révélations de Wikileaks, et n’évoque que très
rapidement en postface le Mouvement du 20 février. Ignace Dalle10

10. Ignace Dalle est journaliste et Hassan II, entre tradition et marocaine de l’indépendance à nos
écrivain. Ancien correspondant de absolutisme (Fayard, 2011) et de Les jours (Fayard, 2005).
l’AFP à Rabat. Il est l’auteur de Trois Rois. Histoire de la monarchie

156  notes de lecture Afrique contemporaine 239


Saïbou Issa
Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier
dans le bassin du lac Tchad11

La fragilité des régimes subsahariens tient tout


autant à une violence au quotidien qu’à des mou-
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vements rebelles et à des coups d’États. Même si la
première ne parvient que rarement, par une ins-
trumentalisation politique, à renverser les gouver-
nants, elle n’en pèse pas moins à chaque instant
sur les sociétés et les économies concernées, selon
un processus comparable à ce que l’on observe
aussi de longue date en Amérique latine. En chif-
fres absolus, ce poids ne cesse même d’augmenter
pour l’Afrique, avec l’effet croisé d’une progression
démographique sans équivalent ailleurs dans le
monde et de la multiplication des armes de guerre,
utilisées pour des usages qui vont également de la
chasse au banditisme. C’est à juste titre que le CAD
de l’OCDE a lancé depuis quelques années une
réflexion d’experts du développement sur la « réduction de la violence armée »,
désignées le plus souvent sous son acronyme anglais AVR (Armed Violence
Reduction)12 .
Cependant, la plupart du temps, il manque encore sur ce sujet des
contributions de spécialistes africains, abordant d’une manière scientifique ces
problèmes dans leur propre pays et les régions environnantes. C’est pourquoi
le livre sur les « coupeurs de route » de l’historien Saïbou Issa, professeur à
l’université de Maroua, dans l’extrême-nord du Cameroun et dans une aire cor-
respondant géographiquement au bassin du lac Tchad, est une exception parti-
culièrement bienvenue. Ce livre, fruit d’une recherche appuyée à la fois par une
instance scientifique panafricaine, le Codesria de Dakar, une fondation privée
américaine (Harry Guggenheim de New York) et une université européenne
(Centre d’études africaines de Leyde) témoigne également de l’intérêt d’une
organisation souple et pluri-acteurs de coopération Nord-Sud et Sud-Sud, à la
fois pour la collecte et le traitement des données de terrain tout autant que des
documents d’archive.
Ce livre est exemplaire également dans son approche de la probléma-
tique, qui est celle de la longue durée historique à l’intérieur d’un champ géo-
graphiquement et culturellement cohérent, au-delà de la création d’entités
coloniales puis d’États indépendants membres de l’ONU. L’auteur souligne
d’emblée qu’il aborde une activité prédatrice immémoriale. La première phrase

11. Karthala, 2010.


12. OECD Publishing, 2009.

 157
du premier chapitre : « On ne peut dater avec exactitude l’apparition du bandi-
tisme rural dans les steppes et les savanes du bassin tchadien » (p. 21) ne laisse
aucun doute. Ceux qui douteraient de la difficulté à éradiquer un système où le
« vol », affirme Saïbou Issa, est apparu aux explorateurs du xix e siècle comme
« avant tout un phénomène culturel » (p. 23), devront revoir leurs présupposés
à la lecture de ce livre s’ils veulent éviter de construire, comme trop souvent
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dans les projets de développement, des châteaux de cartes de la transformation
sociale. L’histoire locale importe tout autant que la conjoncture économique
mondiale et Saïbou Issa nous le rappelle à son tour dans le large cadre géogra-
phique qu’il examine, mais qu’il a tendance parfois à réduire implicitement au
seul domaine intérieur camerounais.
La thèse qu’il défend sur ce cas précis, après avoir examiné les faits en
identifiant notamment un « passage systématique à la clandestinité » du « ban-
ditisme de grand chemin » avec l’arrivée du colonisateur européen (p. 39), est, en
conclusion, celle d’une nouvelle mutation du phénomène après les années 1980,
caractérisée par une « professionnalisation du vol » et une « industrialisation
du banditisme » (p. 260-261).
Selon Saïbou Issa, après une accalmie (1970-1980), tenant en particu-
lier à l’exécution de leaders du banditisme, un contexte régional plus difficile
économiquement et politiquement aurait « créé des conditions favorables d’une
résurgence d’un banditisme de grand chemin aussi bien rural que frontalier
avec la transmigration des bandits entre le Cameroun, le Nigeria, la RCA et le
Tchad » (p. 262). Avec bien d’autres, l’auteur plaide donc pour une approche inte-
rétatique de « coopération en matière de sécurité », plutôt que pour celle, plus
traditionnelle, de seul maintien de l’ordre dans un cadre national poreux. Pour
lui, cependant, cette dernière n’aurait pas été sans résultats ces derniers temps,
du fait de l’« expertise militaire » d’unités spéciales comme celles qui ont été
déployées au Nord-Cameroun contre le banditisme, mais qui ont aussi contribué
à déplacer le problème avec une mutation de l’activité criminelle vers les prises
d’otage (p. 262-263).
On ne saurait donner tort à cette analyse. La seule réserve, exprimée
d’ailleurs par l’auteur lui-même, qui estime modestement n’avoir écrit qu’un
« long prologue » (p. 261) sur une question immense, étant le caractère restant
trop rapide et général de telles conclusions. On relèvera également des faibles-
ses ou des lacunes déparant quelque peu l’ouvrage : caractère encore allusif
de certains passages sur le contexte camerounais contemporain (p.  167-172,
notamment) ou encore formules à l’emporte-pièce manquant d’objectivité (sur
la « violence tous azimuts » de Kirdis dont les « techniques d’attaque s’apparen-
tent au terrorisme » sous la colonisation, p. 223), mais aussi absence de section
sur les sources d’archive dans la bibliographie et tendance, enfin, à l’anachro-
nisme avec notamment cette expression, répétée tout au long du livre sans être
rigoureusement définie, de « banditisme de grand chemin » qui convient bien
mal aux époques les plus anciennes où, précisément, il n’y avait pas de « grands
chemins ». Ce sont là des fautes mineures dans un travail pionnier, extrêmement

158  notes de lecture Afrique contemporaine 239


riche en données factuelles comme en analyse (sur le prestige social tiré du vol,
notamment) et que tout spécialiste travaillant sur la violence armée en Afrique
se devra d’avoir consulté avec soin. François Gaulme13

Nadia Khiari
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Willis from Tunis. Chroniques de la révolution14

Willis est un vrai chat, qui doit son nom au hasard


du visionnage, le jour de son adoption, du film
Bernie. Après quelques aventures privées, mises
en ligne sur Facebook pour une vingtaine d’amis
de ses maîtres, il est entré en politique le soir du
13  janvier  2011, quelques minutes après l’ultime
discours officiel du président de la République de
Tunisie et quelques heures avant sa fuite du pays,
chassé par la rue.
La première vignette montre un groupe
de souris en train de se réjouir de la baisse du
prix du fromage, surveillé du coin de l’œil par un
Willis roublard, reprenant le célèbre « Je vous ai
compris », qui venaient d’être prononcé à plusieurs reprises à la télévision, en
ponctuation d’une litanie de promesses : baisse du prix des produits de première
nécessité, liberté de la presse, libéralisation de la scène politique, retrait annoncé
de la vie publique.
Depuis ce jour, Willis n’a plus quitté Facebook, sur lequel il compte
aujourd’hui quinze mille amis. Dans un pays où ce réseau social possède deux
millions de comptes actifs, sur une population d’un peu plus de dix millions
d’habitants, Willis a très vite gagné en notoriété. Six mois après sa première
apparition, celle-ci ne se dément pas, même si le rythme de publication se
limite aujourd’hui à une vignette par jour, contre deux à trois, au plus fort des
événements.
Willis est la création de Nadia Khiari – enseignante à l’École des beaux-
arts de Tunis, après des études à Aix-en-Provence et à Tunis – qui a d’abord vu
dans ces rendez-vous quotidiens, une façon de lutter contre le stress. Ses lecteurs,
eux aussi affectés par le climat de tension et d’incertitude qui a suivi le 14 janvier,
ont rapidement reconnu à Willis les mêmes vertus thérapeutiques. À chaque sor-
tie d’une nouvelle vignette, les messageries s’emballaient, relayant la pensée du
jour, bien au-delà du cercle des seuls inscrits sur Facebook.

13. François Gaulme est chargé de l’Agence française de développement


mission à la cellule « Prévention des (gaulmef@afd.fr).
crises et sortie de conflits » de 14. Publié à compte d’auteur, 2011.

 159
Willis, chroniqueur de la révolution, est bien sûr beaucoup plus qu’une
thérapie. Drôle, sarcastique, tendre, grinçant, ses coups de patte – griffes
dehors ou rentrées – font mouche à tous coups. Le matou a un sacré talent pour
croquer le caractère des Tunisiens, leurs qualités et leurs travers, leurs peurs et
leurs fiertés. Surtout, il a su faire rire aux heures les plus sombres et déclencher
quotidiennement sur le « mur » de Facebook, des dialogues vifs et au ton très
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libre, jouant ainsi un rôle social et politique reconnu.
Willis ne sera, certes, pas lu de la même manière par ceux dont il a
accompagné l’intimité au quotidien dans les jours qui ont suivi le 13 janvier et
par ceux qui le découvrent plus tard et hors contexte. Les premiers ont forcé-
ment une affection tendre pour le matou, même si chacun a son Willis ; le mien
a été mis en ligne le 17  janvier, au troisième ou quatrième jour d’une pénurie
totale de pain, cruauté suprême pour qui connaît un peu les Tunisiens : « J’ai de
la tabouna et de la bonne », nous glisse Willis, entre-ouvrant son manteau de
dealer. L’une des vignettes les plus emblématiques du « moment » de la révolu-
tion a été mise en ligne le même jour : elle illustre l’organisation des barricades
pour la protection des quartiers, au lendemain de l’effondrement du régime ; on
y retrouve ce mélange rare de solidarité, de responsabilité collective, de convi-
vialité et de franche rigolade, qui a permis aux Tunisiens de composer avec
l’angoisse et la peur.
Les autres – ceux qui ont suivi de loin la révolution tunisienne – y trou-
veront aussi leur compte, avec de nombreuses vignettes de portée plus générale,
politique ou sociale. Au chapitre des vignettes politiques, on peut citer celle
du 30 janvier, jour du retour d’un leader islamiste en exil : « Soldes : pour cinq
rasoirs achetés, un barbu offert » ; ou celle du 18  janvier, jour de l’accueil en
héros de Baby Doc à Haïti : « Mon Dieu, faites qu’il n’y ait pas de tremblement de
terre en Tunisie. » D’autres vignettes croquent le désarroi des gens, comme celle
du 17 janvier, après l’instauration de l’état d’urgence, qui interdit tout regrou-
pement de trois personnes et plus : « Vous m’approchez surtout pas ! » dit un
adulte à deux enfants restés sur le trottoir d’en face… « Mais, papa ? » répondent
les enfants ; ou bien celle du 20 janvier, en forme de prière d’un parent d’élève
aux enseignants : « Reprenez les cours je vous en supplie ! Je suis enfermé avec
mes gosses depuis une semaine. Si ça continue je les livre à la milice. »
Willis, c’est aussi une belle occasion de réf léchir sur le rôle politique
d’Internet et des réseaux sociaux qui s’y expriment. Ceux-ci ont été, dans la
Tunisie de fin 2010 et début 2011, des forums qui ont libéré la parole et mobilisé
les énergies. Ils ont fait naître un sentiment d’appartenance collective. Couplés
aux téléphones mobiles – autre ingrédient « révolutionnaire », dont la Tunisie
n’a pas l’exclusivité – les réseaux sociaux ont joué un rôle décisif, en ce qu’ils ont
permis à tous ceux qui s’y connectaient de prendre conscience de leur nombre
et, partant, de chasser la peur : « Plus jamais peur ! » est probablement un des
slogans les plus forts de la nouvelle Tunisie. Dans l’expérience tunisienne, les
réseaux sociaux ont permis à une vaste communauté – majoritairement jeune,
mais pas seulement – d’avoir une représentation d’elle-même et, du même coup,

160  notes de lecture Afrique contemporaine 239


de modifier sa posture et son action. Willis, malin comme un chat, a su pleine-
ment profiter de cette opportunité. René Goudiard15

Michel Peraldi (dir.)


D’une Afrique à l’autre. Migrations subsahariennes au Maroc 16
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L’ouvrage, dirigé par Michel Peraldi17 et réalisé
par le centre Jacques-Berque18 en partenariat avec
l’ONG CISS (Cooperazione Internazionale Sud
Sud), réunit une série d’articles qui se proposent de
déconstruire l’imagerie communément entretenue
du transit des migrants subsahariens au Maroc en
croisant des approches sociologiques, anthropolo-
giques et historiques. Comme le souligne Michel
Peraldi en introduction de l’ouvrage, opérer un
décentrement du regard sur cette « fiction politi-
que » n’est pas chose aisée tant les médias et les
acteurs politiques, voire humanitaires, ont très
largement contribué depuis une dizaine d’années
à surexposer les filières migratoires de l’Afrique
vers l’Europe et à négliger, consécutivement à cette surexposition, l’inscription
sociohistorique des migrations entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Sans nier l’accroissement des migrations subsahariennes au Maroc depuis le
début des années 2000, chaque contribution se pose à contre-courant d’un cer-
tain nombre d’idées reçues en remettant en perspective les mobilités effectives
des pays africains et l’inscription sociale et spatiale des migrants dans les cen-
tres urbains du Maroc.
Mettre en perspective les migrations subsahariennes au Maroc suppose
d’abord de les placer dans leur contexte historique en faisant apparaître les
maillages sociaux, anciens et nouveaux, dans lesquels ces migrations s’inscri-
vent. C’est précisément l’enjeu du premier chapitre de l’ouvrage dans lequel
Nazarena Lanza révèle la profondeur historique de ces migrations, plus parti-
culièrement entre le Sénégal et le Maroc, et met en lumière le rôle du commerce

15. Agroéconomiste de formation, administrateur du Fonds français humaines et sociales au Maroc est
René Goudiard a occupé de multiples pour l’environnement mondial une Unité mixte des instituts français
fonctions au sein de l’Agence (FFEM). à l’étranger (UMIFRE 2). Cette unité
française de développement; comme 16. Karthala, 2011. associe une structure opérationnelle
directeur d’agence au Mali et en 17. Anthropologue, directeur de du Centre national de la recherche
République centrafricaine de 1985 à recherche au CNRS, directeur entre scientifique (CNRS), actuellement
1994. En 2008, il prend la direction 2005 et 2010 du Centre Jacques– l’Unité de service et de recherche
de l’agence de Tunis, qui représente Berque pour le développement des (USR) 3136, et un Institut français de
dans le pays, l’AFD, sa filiale secteur sciences humaines et sociales. recherche à l’étranger (IFRE).
privé, Proparco, et le fonds 18. Fondé en 1991, le Centre
environnemental FFEM. Il a été Jacques-Berque pour le
également, durant huit ans, développement des sciences

 161
caravanier, de l’islamisation ou encore des confréries soufies pour rendre compte
du rôle et de l’inf luence de cette histoire dans les échanges contemporains entre
le Maroc et l’Afrique subsaharienne. De cette structuration sociohistorique des
migrations subsahariennes au Maroc découle de nouvelles formes d’installa-
tion contemporaine des migrants dans les principales villes marocaines, et
plus particulièrement dans certains « quartiers africains », tel Takaddoum à
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Rabat. Comme le montrent Michel Peraldi et Jean-Louis Edogué Ntang dans
le second chapitre, une « organisation provisoire de fortune » tend en effet à
s’opérer entre migrants dans ce type de quartier pour faire face aux épreuves de
marginalisation sociale et spatiale dont ils font l’objet dans un contexte marqué
par un durcissement des mesures de sécurité aux frontières et par un ref lux des
migrants dans ce quartier.
La marginalité subie peut aussi constituer un ressort pour l’action.
Comme c’est notamment présenté par Meryem Kettani et Michel Peraldi dans
le troisième chapitre, les migrants subsahariens tendent en effet à occuper
une gamme sans cesse plus élargie d’emplois et de « niches économiques ». Le
Maroc, devenu « société d’immigration » aux frontières f loues et aux dynami-
ques imprévisibles et complexes, donne ainsi à voir des processus de restruc-
turation et de segmentation du marché du travail (téléservices, presses écrites,
petits commerces, BTP), où différentes catégories de migrants se distinguent
selon les nationalités, les statuts sociaux et professionnels occupés et l’ancien-
neté de la migration. Cette inscription des migrants subsahariens sur le marché
du travail marocain contribue également à dessiner une société urbaine de plus
en plus cosmopolite marquée par l’apparition de « lieux d’Afrique » (restaurants
africains, boîtes de nuit) qui vont jouer le rôle de sas d’entrée dans des réseaux
transnationaux (Federica Infantino, quatrième chapitre). Mais les migra-
tions subsahariennes au Maroc ne proviennent pas seulement de travailleurs
migrants plus ou moins insérés dans des niches économiques, ou de domesti-
ques sénégalaises recrutées par divers réseaux transnationaux qui organisent et
réglementent ce type de migration (Nazarena Lanza, sixième chapitre). Elles se
rapportent également, comme le montre Federica Infantino dans le cinquième
chapitre, aux étudiants, dont le nombre augmente de façon constante depuis les
années 2000. Devant cette diversité de situation migratoire et en raison de la
présence active et durable des migrants subsahariens au Maroc, la question du
rôle politique des ONG se pose dans des contextes où elles tendent de plus en
plus fréquemment à devenir des « partenaires » des organisations nationales et
internationales au service des politiques migratoires entre l’Europe et l’Afrique.
C’est précisément l’enjeu de la conclusion de l’ouvrage dans laquelle Valentina
Arnò et Massimiliano Di Tota proposent une réf lexion éclairante sur la posi-
tion parfois schizophrénique des ONG, tiraillées entre le désir sécuritaire des
bailleurs européens de contenir les migrations à l’intérieur de l’espace africain
en finançant prioritairement des programmes d’aide au retour, et la nécessité
de favoriser l’insertion de ces migrants en facilitant l’accès à leur droit, à leur
citoyenneté et, peut-être plus largement, à leur altérité.

162  notes de lecture Afrique contemporaine 239


Le lecteur appréciera tout particulièrement la richesse descriptive des
situations, diverses et variées, relatées dans cet ouvrage, mais aussi l’originalité
de l’angle choisi : il s’agit ici de rendre compte des migrations Sud-Sud là où les
projecteurs sont trop souvent placés sur les déplacements du sud vers le nord.
La démarche ethnographique qui guide la plupart des chapitres permet ainsi
d’être au cœur des projets de vie, et non de départ, de ces migrants et d’obser-
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ver de près l’installation durable de ces individus au Maroc. On peut toutefois
regretter que la dimension politique de la migration subsaharienne au Maroc
et les évolutions et dynamiques contemporaines des relations entre les orga-
nismes d’aide aux migrants et l’État marocain ne soient pas davantage abordés
dans cet ouvrage riche et enrichissant. Laurent Lardeux 19

Nicole Andrianirina, Jérôme Ballet, B. Nirina Rabevohitra, Patrick Rasolofo


Madagascar dans la tourmente. Analyses socioéconomiques
de la crise en zones rurales 20

Depuis décembre 2008, la République de Mada-


gascar est entrée dans une crise politique qui s’est
traduite par le départ, en mars 2009, du président
Marc Ravolomanana et par la constitution d’une
Haute Autorité de transition (HAT) dont le pré-
sident est Andry Rajoelina. Les crises politiques
malgaches, qui ont la particularité de se déclarer
le plus souvent au sein de la classe dirigeante, ne
sont pas exceptionnelles, comme en témoignent
les plus récentes, celles de 2002 et 2004-2005.
Comme le rappelle Madagascar dans la
tourmente, elles ont pour caractéristique « d’être
déconnectées de la vie de la population qui se
débrouille pour survivre ». Les auteurs ont voulu
aller plus loin que ce constat en s’intéressant aux
effets socioéconomiques de la crise actuelle sur la population rurale qui repré-
sente environ 70 % de la population totale du pays. Ces conséquences font l’ob-
jet de la première partie de l’ouvrage intitulée « De la crise institutionnelle aux
impacts sur les ménages », traitée suivant une approche originale. Au lieu de
partir de considérations macroéconomiques et sociales, ils ont mené, au cours
des mois de juillet à septembre 2009, des enquêtes et des interviews sur le ter-
rain. La collecte et le traitement des données ont été effectués par les systèmes

19. Laurent Lardeux est docteur en l’université de Franche-Comté


sociologie à l’université Lyon-2 (laurent.lardeux@univ-lyon2.fr).
(Modys UMR 5264) et ATER à 20. L’Harmattan, coll. « Éthique
économique », 2011.

 163
d’information existants à Madagascar, notamment le Réseau des observatoires
ruraux (ROR).
L’intérêt de cette étude réside notamment dans la manière dont l’impact
de la crise est appréhendé. Dans chaque domaine d’impact retenu, comme les
revenus et les dépenses des ménages, la scolarité et l’accès aux soins, l’insé-
curité, les auteurs ont étudié les relations entre l’administration et la popula-
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tion, la perception des ménages et leur comportement d’ajustement. Parmi ces
comportements, le recours à l’emprunt et à la décapitalisation sous différentes
formes (vente d’animaux, de petit matériel) est particulièrement bien analysé.
On suit le cheminement par lequel la population déjà pauvre s’enfonce dans la
pauvreté, parfois même jusqu’à l’extrême.
Les résultats de l’enquête traduisent la complexité du pays et la rési-
lience de ses habitants. Ils confirment cependant une évolution préoccupante.
La faiblesse de la perception enregistrée dans les régions pauvres montre que
le niveau de pauvreté des ménages est tel que leur résignation s’est transformée
en une sorte d’insensibilité à toute crise politique ou économique qui réduit
à néant, chaque fois, le peu qu’ils ont accumulé par leur travail. Par ailleurs,
tout en fournissant une appréciation la plus objective possible d’une réalité sur
une période donnée, ces résultats révèlent les problèmes structurels de l’écono-
mie et de la société malgache, ainsi que les différences de culture et de niveau
de développement entre les régions du pays, sans oublier la combinaison avec
d’autres événements, tels que les accidents climatiques.
Tout en présentant un égal intérêt, la deuxième partie de l’ouvrage inti-
tulée « analyses des impacts sur les filières » est d’une facture plus classique.
L’enquête, tout en essayant de mesurer les impacts de la crise politique sur qua-
tre filières de production (lait, riz, vanille, bois de rose) est l’occasion d’explorer
leur fonctionnement.
La production laitière malgache caractérisée par une production glo-
balement faible et dominée par un système d’élevage extensif de petites unités
ne constitue pas a priori une filière à part entière. Cependant, elle présente un
intérêt particulier, dans la mesure où celle-ci était dominée par le groupe Tiko
de l’ancien président Ravalomanana. Sa chute politique a entraîné celle de son
groupe qui a eu pour conséquence une baisse brutale des revenus des produc-
teurs intégrés dans son réseau et des suppressions importantes d’emploi en rai-
son de la fermeture de l’usine. Une restructuration de la filière est néanmoins
en cours et conduit à un développement de systèmes de collecte de lait plus
modernes. L’analyse aurait pu être utilement complétée par un recensement des
prix du lait en milieu urbain.
Le chapitre intitulé « La politique du riz à cinq cents ariary et la désor-
ganisation de la filière » fait pénétrer le lecteur dans le fonctionnement de
la première filière économique nationale, constituant près de 30  % du PIB
et employant 80  % de la population agricole. Il décrit la forte segmentation
de la filière qui se superpose aux disparités régionales en termes de produc-
tion, d’approvisionnement et de prix. Il décrit, un peu succinctement, l’effet

164  notes de lecture Afrique contemporaine 239


contre-productif (baisse du prix au producteur et augmentation du prix au
consommateur) créé par la politique gouvernementale lancée en mars  2009,
consécutivement au changement de régime politique. La conséquence directe
de cette opération a été une « désorganisation complète » de la filière, affirma-
tion qui aurait mérité d’être plus explicitée.
L’étude de l’impact de la crise politique sur les producteurs, les prépara-
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teurs et les exportateurs de vanille est l’occasion d’une découverte de l’histoire
relativement récente de cette filière. On y apprend que, dans les année  1990,
la dérégulation (plan d’ajustement structurel et libéralisation des échanges)
voulue par la Banque mondiale et le FMI a provoqué une désorganisation de
la filière en accroissant sa vulnérabilité aux chocs et aux revirements du mar-
ché international. La crise profonde actuelle résulte de la conjonction de trois
facteurs : la chute des prix au niveau international, l’instabilité politique du
pays et le désengagement de certains opérateurs qui se sont tournés vers la
filière plus lucrative du bois de rose. Afin de contribuer à résoudre cette crise,
le gouvernement a pris, en juillet 2009, une mesure qui visait à réguler les prix
en fixant un prix minimum de la vanille à l’exportation. En raison de la concur-
rence internationale entraînant le marché à la baisse, la politique du prix plan-
cher n’a profité qu’à quelques opérateurs.
Le dernier chapitre du livre intitulé « L’explosion de l’exploitation illé-
gale de bois de rose : la législation en faveur des trafiquants » est particuliè-
rement percutant. Il décrit la façon dont deux arrêtés interministériels pris
en janvier et septembre 2009 ont permis d’exporter « légalement » du bois qui
a été coupé de manière illégale. Ainsi, près 39  500  tonnes de bois précieux
auraient été exportés dans ces conditions. De plus, cette exploitation illégale
s’est concentrée dans les aires protégées de la région Sava. Les auteurs du livre
rappellent fort à propos les dommages écologiques provoqués par ces coupes,
tels qu’une perte de la diversité génétique des espèces ciblées et l’impact négatif
sur la régénération naturelle de l’espèce sans oublier d’autres effets comme le
braconnage et l’altération du microclimat.
La crise politique persistant à ce jour, les auteurs de ce livre devraient
être encouragés à renouveler cette enquête en y incluant un focus sur les prix
recensés dans les régions et sites retenus. Afin que cette étude puisse pren-
dre une dimension macroéconomique, il pourrait être suggéré de l’étendre au
milieu urbain, à condition qu’il existe un dispositif statistique adapté.
Bref, la lecture de ce livre instructif, rigoureux dans la méthode, hon-
nête dans l’analyse, est recommandée. L’intérêt et l’utilité de l’ouvrage seront
d’autant plus réels que, la crise perdurant, une suite pourrait y être donnée avec
une deuxième enquête focalisée non seulement sur les zones rurales, mais aussi
sur les villes. Nicolas-Yves Le Clec’h 21

21. Nicolas-Yves Le Clec’h


travaille à l’Agence française
de développement.

 165
Jean-François Dupaquier
L’agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi,
ex-espion rwandais 22

Ce livre d’entretiens du journaliste Jean-François


Dupaquier, spécialiste du Rwanda, avec Richard
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Mugenzi, témoin clé du génocide des Tutsis du
Rwanda de 1994 à Gisenyi, plonge le lecteur au
cœur de la guerre entre les Forces armées rwan-
daises (FAR) et le Front patriotique rwandais
(FPR) à partir de 1990, puis de l’enclenchement
de la logique génocidaire et des manipulations
autour de l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana, le 6 avril 1994. Bien qu’ayant déjà
témoigné plusieurs fois 23 , Mugenzi décrit pour la
première fois par le menu la guerre psychologi-
que menée par les FAR sous l’impulsion d’Anatole
Nsengiyumva et Théoneste Bagosora 24 .
Mugenzi est recruté dès 1990 comme opérateur au centre d’écoute de
Butotori (Gisenyi). Son travail consiste à écouter, traduire et transcrire les com-
munications du FPR pour le compte de l’État-major des FAR. Mais progressi-
vement, à partir de 1992 notamment, sa tâche consiste à recopier et insérer
des messages fabriqués par ses supérieurs dans les transcriptions de messa-
ges interceptés. Ces faux messages servent avant tout à galvaniser le moral des
troupes, mais s’inscrivent également dans une propagande d’ensemble visant
à justifier la poursuite de la guerre à tout prix contre le FPR, à criminaliser la
population civile tutsie présentée comme « complice » et les opposants hutus
qualifiés de « traîtres ». Peu nombreux au départ, leur nombre s’accroît considé-
rablement jusqu’à devenir essentiels à la conduite de la guerre puis du génocide
à partir d’avril 1994. Certains de ces faux messages se retrouvent dans le jour-
nal extrémiste Kangura qui vise à conditionner la population en évoquant des
plans d’extermination des Hutus par le FPR.
Les messages retranscrits par Mugenzi le 7 avril 1994 (publiés en annexe
de l’ouvrage) sont au cœur des controverses sur l’attentat contre Habyarimana,
car ils ont servi au juge Bruguière et aux responsables du génocide jugés à Arusha
pour incriminer le FPR. Cette thèse, désormais très en vogue, notamment en

22. Karthala, 2010. rwandaise Mutsinzi sur ce même patron du renseignement militaire
23. Mugenzi a déjà témoigné à partir attentat. puis commandant du secteur
de 1998 pour le Tribunal pénal 24. Bagosora, commandant de la opérationnel de Gisenyi à partir de
international pour le Rwanda base militaire de Kanombe à Kigali, juin 1993. Tous deux ont été
d’Arusha, puis dans le cadre de puis directeur de cabinet au ministère condamnés à la prison à vie le
l’enquête du juge français Jean-Louis de la Défense à partir de 1992, est 18 décembre 2008 par le TPIR pour
Bruguière sur l’attentat du 6 avril considéré comme le principal génocide et crimes contre l’humanité
1994, et enfin devant la commission organisateur du génocide. Anatole (verdict dont ils ont fait appel).
Nsengiyumva fut le tout-puissant

166  notes de lecture Afrique contemporaine 239


France, se retrouve singulièrement affaiblie à l’aune des révélations de Mugenzi.
Si le témoin dit vrai, alors la thèse de la responsabilité des extrémistes des FAR
regroupés autour de Bagosora redevient la plus plausible. Mugenzi affirme en
effet que les messages de revendication de l’attentat par le FPR n’ont jamais
été interceptés mais lui ont été dictés par Nsengiyumva ce jour-là. La manipu-
lation visait à faire porter le chapeau de l’attentat au FPR (et aux Belges) afin
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d’amener l’armée et la population à adhérer aux mots d’ordre d’extermination
des Tutsis et d’éradication de l’opposition hutue, autrement dit à justifier le
coup d’État en cours de Bagosora et le déclenchement du génocide 25 .
Si Mugenzi se contredit parfois, il n’est jamais caricatural. Il décrit
avec soin les clivages aussi bien au sein des FAR (faction extrémiste autour de
Bagosora et Nsengiyumva face aux militaires sudistes totalement marginalisés
à Gisenyi, sentiment de trahison des militaires à l’égard de la classe politique,
tentatives d’attentat contre Habyarimana avant le 6  avril) que des militaires
français, entre ceux, « conseillers du président Habyarimana qui lui étaient
attachés » et ceux « aveuglés par la haine des Tutsis. Ceux-là, ils étaient dans
l’équipe des officiers qui collaboraient avec le groupe de Bagosora » (p. 286).
Il ne joue jamais au témoin omniscient, n’évoquant que les événements
de Gisenyi, là où il était pendant quatre ans, ou des événements de Kigali et
d’ailleurs mais tels qu’ils ont été perçus à Gisenyi. Cette perspective, à la fois
excentrée par rapport à la capitale mais au cœur de la faction extrémiste des
FAR, qui se sent chez elle dans cette région clé, loin de toute présence de la com-
munauté internationale, rend son témoignage d’autant plus précieux. Son récit
ne porte pas seulement sur son travail d’écoute et de trucages, mais rend compte
avec précision de l’atmosphère à Gisenyi depuis 1990, l’implication croissante
des milices et les premiers massacres, les débuts du génocide et l’arrivée des
mercenaires de Paul Barril, la débâcle de juin  1994, la composante à ce jour
secrète dans ses détails de l’opération Turquoise à Gisenyi, la poursuite après le
génocide de la collaboration des instructeurs français avec les FAR en exil au
Congo autour du camp de Mugunga.
Le récit de Mugenzi souligne le rôle clé joué par Nsengiyumva mais
invite bel et bien à réinterroger le rôle des militaires français auprès de leurs
homologues des FAR. Si Nsengiyumva n’a semble-t-il pas attendu ses conseillers
français pour organiser la désinformation, leurs réunions régulières à Gisenyi
pour mettre au point les opérations militaires, y compris le volet de la propa-
gande, posent inévitablement question. Mugenzi lui-même suivit en 1992 des
séances de formation par des spécialistes français apportant leur expertise sur
les « astuces » et « bobards » de la « guerre psychologique ». Or cette formation
coïncide avec les premiers faux messages (p.  232) ou du moins leur intensifi-
cation (p.  83). Au final, Mugenzi refuse cependant de trancher : il affirme à

25. Mugenzi mentionne néanmoins certains mouvements de troupe le que des camps opposés, « pires
(p. 264-268) la possibilité que le FPR 6 avril 1994. Les phrases sibyllines de ennemis » ou « pire adversaires »,
ait été au courant de la préparation de Nsengiyumva à propos de l’attentat aient été prévenus, voire alliés de
l’attentat comme en témoignent semblent d’ailleurs presque indiquer circonstance.

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la fois que la désinformation ne pouvait être qu’une œuvre franco-rwandaise
concertée – et ce dès la fausse attaque de Kigali en octobre 1990 (p. 222-223 et
231-232) – et qu’il ne faut pas sous-estimer la ruse de Nsengiyumva (p. 83-84).
Malgré quelques précisions en introduction, de plus amples éclaircis-
sements sur le statut du témoignage de Mugenzi auraient été bienvenus. Tout
d’abord, pourquoi n’a-t-il pas dénoncé la manipulation de Nsengiyumva dans ses
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témoignages précédents ? Est-ce uniquement, comme il l’affirme, parce qu’on
ne lui a pas demandé plus de détails dans le cadre des enquêtes judiciaires ? Il
précise également qu’il s’est beaucoup documenté durant la dernière décennie
(p. 328). Par conséquent, bien qu’il prenne souvent le soin de préciser l’origine de
ses informations, la distinction entre ce qui relève de son expérience à Gisenyi et
ce qu’il a appris par la suite par ses conversations avec des amis, au TPIR ou dans
des livres, est parfois ténue.
Dans plusieurs passages, ce n’est pas son témoignage qui est sollicité mais
ses réactions à des événements ou à des informations que lui livre Jean-François
Dupaquier. Mugenzi sort donc de son rôle de témoin à strictement parler, pour
livrer son point de vue, son analyse, souvent intéressante car bien informée, mais
qu’il faudrait peut-être distinguer plus clairement du reste du témoignage. On
doit par ailleurs se fier à sa seule mémoire pour déterminer quels messages ont
été réellement interceptés et quels messages ont été dictés par Nsengiyumva. Or,
vu l’importance capitale de ses déclarations sur la manipulation autour de l’at-
tentat, sa parole devra inévitablement être recoupée par d’autres témoignages
ou preuves. Enfin, parfois les encadrés en début de chapitres vont plus loin que
les propos de Mugenzi dans leur volonté d’imposer systématiquement le schéma
explicatif de la « guerre révolutionnaire ».
La lecture de ce témoignage n’en reste pas moins indispensable pour
l’histoire locale du génocide au nord-ouest du Rwanda et incontournable pour
la compréhension des origines militaires de la désinformation, qui continue sous
d’autres formes, autour du conflit, de l’attentat et du génocide. Étienne Smith 26

26. Chercheur postdoctorant au


Committee on Global Thought,
Columbia University.

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