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es débats actuels en économie

monétaire
Pascal Le Merrer, PRAG en économie à l’ENS Lettres et Sciences humaines de Lyon (69) 

L’économie monétaire a longtemps été marquée par les querelles doctrinales entre classiques,
keynésiens et monétaristes, mais depuis les années 1980, les théories centrées sur l’offre et la
demande de monnaie ont été relayées par des analyses qui se focalisent sur les questions de
crédibilité, de règle, de transparence, d’asymétrie d’information, d’identifications des canaux de
transmission de la politique monétaire, de stratégies de réduction des risques
macroéconomiques. Peut-on en déduire l’émergence d’un nouveau paradigme en économie
monétaire ? C’est une question importante car ces nouvelles analyses influencent la conduite
des politiques monétaires dans une période où la politique budgétaire semble en retrait. On
attend donc beaucoup de la conduite de la politique monétaire aujourd’hui, non seulement la
stabilité des prix mais la gestion des tensions financières et l’accompagnement des mutations
structurelles…
Comme le rappelle Jérôme Boyer « La pensée monétaire trouve sa sève dans l'histoire des
faits et des débats monétaires et bancaires. Bien que ni les classiques au dix-neuvième siècle,
ni les néo-classiques aujourd'hui, ne parviennent à intégrer correctement la monnaie dans leurs
théories économiques, on n'ignore pas tout de la monnaie. La connaissance existe, cependant
elle est autant historique qu'analytique. Dans le domaine de la monnaie, l'expérience et les
leçons du passé comptent. Les banquiers et les politiques ont dû gérer la monnaie, les
économistes la penser, malgré son extériorité aux théories dominantes du marché » [1].
Cet effort pour penser les phénomènes monétaires et financiers a pris une importance
particulière à partir des années 1970 avec la crise du SMI, l’accélération de l’inflation, les
innovations financières, la crise de la dette des PED puis les multiples crises financières des
années 1990. On constate aujourd’hui que les économistes sont convaincus qu’une nouvelle
pensée monétaire émerge, ainsi, Joseph Stiglitz et Bruce Greenwald annoncent dans leur
dernier livre un « nouveau paradigme » en économie monétaire : « Cet ouvrage peut-être
considéré comme une contribution à une nouvelle science économique institutionnelle » [2].
De son côté, Jean-Paul Pollin commençait sa conférence présidentielle en 2004 lors du
Congrès de l’AFSE en se donnant pour objectif de montrer que « les travaux récents sur des
règles de taux d'intérêt ont renouvelé la théorie de la politique monétaire au point que l'on
puisse parler d'une véritable refondation. Car, ce ne sont pas seulement la nature des
instruments ou les conditions de mise en œuvre de la régulation monétaire qui se trouvent
reconsidérés. Plus profondément, c'est la façon dont on conçoit le rôle de la monnaie dans la
formation et la maîtrise de l'équilibre économique » [3].
Ce n’est donc pas seulement la théorie monétaire, mais la conduite de la politique monétaire
qui est repensée comme le montre l’exemple d’Alan Greenspan qui, pendant les dix-huit
années à la direction de la réserve fédérale américaine, a réalisé un basculement de la logique
monétariste à l’action discrétionnaire centrée sur la communication, la gestion du risque et
l’anticipation des changements structurels.
Il nous faut donc suivre les étapes du renouvellement de la macroéconomie monétaire pour
préciser comment ont évolué les approches des canaux de transmission de la politique
monétaire afin d’identifier la place aujourd’hui de la monnaie dans la macroéconomie.
Le renouvellement de la macroéconomie
monétaire
La critique de la théorie keynesienne de la demande de monnaie
Keynes, dans la Théorie Générale, présente une théorie monétaire en rupture avec la théorie
quantitative de la monnaie qui trouve son expression la plus complète dans l’ouvrage d’Irving
Fisher de 1911, The Purchasing Power of Money (Le pouvoir d’achat de la monnaie).
Rappelons que la théorie quantitative de la monnaie est une théorie de la demande de
monnaie. Elle explique la quantité de monnaie détenue pour un niveau donné de revenu global.
Pour cette théorie, le taux d’intérêt n’a pas d’effet sur la demande de monnaie.
Irving Fisher développa une approche en terme de revenu qui est résumée dans « l’équation
des échanges » : MV = PY (M : offre de monnaie ; V : vitesse de circulation de la monnaie ; P :
niveau général des prix ; Y : le produit global), avec V constante. Il en résulte que la variation du
niveau général des prix résulte d’une modification de la quantité de monnaie.
La demande de monnaie Md = 1/V x PY avec 1/V = k (le taux de liquidité de l’économie) qui est
constant. Donc la demande de monnaie est déterminée par le niveau du revenu nominal.
Pour Keynes, la vitesse de circulation de la monnaie n’est pas constante, car la demande de
monnaie est influencée par le taux d’intérêt. Cette théorie de la demande de monnaie conduit à
écrire la fonction de la préférence pour la liquidité Md/P = f (i, Y) avec Md/P qui est la demande
d’encaisses réelles ; le taux d’intérêt i est relié négativement à la demande d’encaisses réelles
alors que le revenu réel Y est relié positivement à cette demande d’encaisses réelles. Donc, si
le taux d’intérêt augmente, les agents économiques détiennent moins d’encaisses réelles pour
un niveau de revenu donné ce qui augmente la vitesse de circulation de la monnaie.
Dans le prolongement des analyses de Keynes, William Baumol et James Tobin construisent
dans les années 1950 des modèles de demande de monnaie où les encaisses monétaires
détenues par les agents non financiers sont influencées par le taux d’intérêt. Si ces modèles
améliorent l’explication de la demande de monnaie pour motif de transaction et de précaution,
ils n’arrivent pas réellement à progresser pour justifier la demande de monnaie pour motif de
spéculation.
Mais en 1956, Milton Friedman énonce une nouvelle théorie de la demande de monnaie dans
un article intitulé « The Quantity Theory of Money : a Restatement » (La théorie quantitative de
la monnaie : une reformulation). Friedman ne part pas comme Keynes des motifs de la
demande de monnaie, mais de la théorie de la demande d’actifs. Pour cette théorie, la
demande de monnaie des agents est fonction de leur richesse et du rendement des autres
actifs comparés à la monnaie. La demande d’encaisses réelles est donc fonction de la richesse
(le revenu permanent), du rendement anticipé des différents actifs et du taux d’inflation anticipé
(si ce dernier augmente cela réduit la demande de monnaie car on préfère détenir des actifs qui
ne sont pas dépréciés par l’inflation). Pour Milton Friedman, contrairement à Keynes, les
variations de taux d’intérêt ont peu d’effets sur la demande de monnaie et les fluctuations de la
demande d’encaisses sont faibles (la vitesse de circulation de la monnaie est alors facilement
prévisible). Finalement, Friedman retrouve le résultat de la théorie quantitative : la monnaie est
le principal déterminant de la dépense globale.
Les travaux empiriques sur la demande de monnaie montrent que l’influence du taux d’intérêt
n’est pas négligeable mais avec une intensité variable selon les pays. Enfin, on constate que la
demande de monnaie dans les pays développés est de plus en plus instable depuis 1973 (rôle
des innovations financières).

Anticipations rationnelles et nouveaux keynesiens


Robert Lucas publie en 1976 un article « Econometric Policy Evaluation : a Critique » où il
montre que les modèles économétriques (fondés sur des équations estimées à l’aide de
procédures statistiques) ne peuvent pas évaluer correctement les effets des politiques
économiques car les agents adaptent leurs anticipations lorsque le comportement des variables
anticipées est modifié. S’il y a un changement de politique économique, les agents utilisent
différemment l’information pour prévoir l’avenir, ce qui va entraîner une modification de la
relation entre les anticipations et le comportement économique des agents ; résultat, les
équations du modèle économétrique ne seront plus valables car le comportement des agents
aura changé.
Une même politique économique pourra avoir des effets différents. Par exemple, si les agents
anticipent qu’une hausse du taux d’intérêt de court terme (politique monétaire restrictive) est
temporaire, l’effet sur le taux de long terme sera faible et inversement si les agents pensent que
cette hausse sera durable.
Cette approche sera développée par les nouveaux classiques (Thomas Sargent, Robert Barro,
Edward Prescott, Neil Wallace, Patrick Minford…) qui vont construire des modèles avec prix et
salaires parfaitement flexibles. Ces modèles montrent que si la politique économique est
anticipée par les agents, elle n’a pas d’effet sur le produit global (proposition d’inefficacité de la
politique économique). Un effet réel ne peut venir que d’une politique économique non
anticipée. Par exemple, une politique monétaire expansionniste peut engendrer une baisse du
produit global : si les agents ont anticipé une politique monétaire plus expansionniste que celle
effectivement mise en œuvre, la demande globale augmentera moins que ne le pensent les
autorités monétaires, les offreurs ayant anticipé une hausse des prix, l’offre globale se déplace,
ce qui peut conduire à un équilibre offre globale – demande globale à un niveau de prix plus
élevé avec un niveau de produit global inférieur au niveau initial. Conclusion : les politiques
discrétionnaires sont inefficaces, voire néfastes car elles créent une incertitude source d’erreur
d’anticipation ce qui engendre des fluctuations indésirables de l’activité économique. La
recommandation serait donc d’adopter une règle de politique économique pour améliorer sa
crédibilité.
Les nouveaux keynésiens (Joseph Stiglitz, Lawrence Summers, Gregory Mankiw, Olivier
Blanchard, David Romer, George Akerlof…) ont accepté l’hypothèse d’anticipations rationnelles
mais en rejetant la parfaite flexibilité des prix et des salaires. Ils vont identifier les facteurs de
rigidité des prix et des salaires : contrat de travail de longue durée, coût d’ajustement de prix
pour les entreprises…. Ils vont montrer, à la différence des nouveaux classiques, que même
une politique économique anticipée aura un effet réel sur le produit global. Ils reconnaissent
toutefois qu’une politique non anticipée sera plus efficace. Cette efficacité joue à la fois en cas
de politique de relance, mais aussi en cas de politique de lutte contre l’inflation. Si, par
exemple, le gouverneur de la Banque centrale engage une politique monétaire restrictive afin
de diminuer le niveau de la demande globale qui n’est pas anticipée par les agents
économiques, on a une réaction de l’offre globale qui passe en dessous de son niveau
d’équilibre de long terme et on obtient une désinflation coûteuse en terme d’activité
économique. Si cette politique est anticipée, une partie des salaires et des prix s’ajustent ce qui
permet finalement d’obtenir une désinflation plus forte avec un plus faible ralentissement de
l’activité économique.
Les nouveaux keynésiens montrent, comme les nouveaux classiques, qu’une politique de lutte
contre l’inflation a un coût minimal en terme d’activité économique quand cette politique est
anticipée et crédible. La différence est dans le dosage de la politique monétaire mise en œuvre,
les nouveaux classiques optent pour la «douche froide» afin de casser les anticipations
inflationnistes alors que les nouveaux keynésiens défendent une approche graduelle pour
réduire l’inflation sans déprimer l’activité économique. Le problème est alors de créer de la
crédibilité en se limitant à une action progressive fondée sur un principe type règle de Taylor
[4].

Canaux de transmission et efficacité de la


politique monétaire
CANAUX DE TRANSMISSION ET CREDIBILITE DE LA POLITIQUE MONETAIRE
Les études empiriques ont montré que les taux d’intérêt ne constituent qu’un canal parmi
d’autres à travers lequel la politique monétaire influence la demande globale (voir annexe 1).
Aujourd’hui, on constate de fortes interactions entre le crédit et le prix des actifs financiers, c’est
devenu un canal important de la monnaie à l’économie aussi les économistes s’intéressent de
plus en plus à ce canal du crédit. Patrick Artus, dans un article consacré aux analyses
monétaires du nouveau président de la Réserve Fédérale, précise : « les évolutions du marché
du crédit ont une importance considérable dans l’explication des cycles économiques. La
détérioration des conditions sur le marché du crédit bancaire (défauts, hausse du poids de la
dette, baisse de la valeur des actifs et du collatéral, insuffisance des liquidités, difficultés des
banques), est l’un des facteurs centraux des dépressions économiques aussi bien dans les
années 30 qu’aujourd’hui. Il est donc important que les taux d’endettement ne soient pas
excessifs, que le système bancaire ne soit pas sous-capitalisé. Sur le marché du crédit, les
asymétries d’information jouent un rôle central ; dans les crises, ces asymétries accroissent très
fortement le coût de la distribution de crédit, et rendent difficile la « rencontre» des prêteurs et
des emprunteurs ; de plus, la valeur des garanties hypothécaires joue, avec les asymétries
d’information, un rôle central, et cette valeur chute dans les crises, générant un mécanisme
fortement procyclique» [5].
Il faut préciser que ces canaux de transmission jouent de manière différente et avec des
intensités variables selon les économies. L’économie de la zone euro est moins sensible aux
variations des taux directeurs que celle des Etats-Unis et dans la zone euro, la France est
parmi les économies où la politique monétaire a l’impact le plus faible (faible endettement des
ménages et des entreprises qui lorsqu’ils sont endettés, le sont plutôt à taux fixes). De plus, les
établissements bancaires ne répercutent que partiellement les variations des taux directeurs
dans la fixation des taux de crédits.
On voit que la question monétaire se centre sur le rôle du crédit, la solvabilité du système
bancaire et la stabilité du système financier ; est-ce à dire que l’économie monétaire ne
s’intéresse plus à la monnaie ?

VERS UNE MACROECONOMIE SANS MONNAIE ?


De théories centrées sur l’offre et la demande de monnaie, les analyses en économie
monétaire se sont focalisées dans les années 1980 sur les questions de crédibilité et de
flexibilité avec le débat sur les règles monétaires à instaurer (voir les analyses sur le banquier
conservateur de K. Rogoff [6]). Les recherches se sont ensuite orientées sur le problème des
règles de taux à partir du travail de Taylor [4], l’idée étant qu’il était possible d’assurer à la fois
un ancrage nominal (cible d’inflation) par le contrôle des taux d’intérêt et la stabilisation
macroéconomique (cible de croissance potentielle). Dans cette perspective, la politique
monétaire est optimale quand la perte provenant de la réduction d’activité est compensée par le
gain résultant de la réduction d’inflation qu’elle provoque. La politique du banquier central est
alors de type discrétionnaire : il fixe la règle optimale (choix du modèle), il détermine la cible
d’inflation (présente, future, sous-jacente), il doit intégrer les délais de réaction, les formes
d’anticipation, l’horizon des prévisions et enfin choisir le rythme d’ajustement du taux directeur.
Progressivement, les débats sur l’efficacité de la politique monétaire qui étaient centrés sur la
question de la crédibilité se sont tournés vers la question de la transparence. On a insisté sur la
nécessité d’introduire de la souplesse dans la conduite de la politique monétaire pour tenir
compte des différents chocs qui pouvaient survenir dans l’économie. Les problèmes qui ont pris
une importance croissante sont ceux de la réactivité de la Banque centrale, de la clarté de sa
stratégie, des procédures de contrôle des décisions et de l’adéquation entre les objectifs et les
résultats effectifs.
Pour Jean-Paul Pollin, on a assisté, à travers l’évolution que nous venons d’évoquer, à une
refondation de la théorie de la politique monétaire qui « conduit aussi à voir autrement
l'intégration de la monnaie dans les théories de l'équilibre. Puisqu'il n'est pas besoin de
maîtriser la quantité de monnaie en circulation pour contrôler le niveau général des prix (donc la
valeur de l'unité de compte), il n'y a aucune raison de continuer à expliquer la formation des
grandeurs nominales par la juxtaposition d'une offre et d'une demande de monnaie. L'évolution
des prix est déterminée par les conditions que fixe la Banque Centrale pour l'échange
intertemporel d'unités de compte. L'équation de ce comportement de la Banque Centrale suffit
pour modéliser l'équilibre monétaire. On ne voit donc pas l'intérêt qu'il y a à discuter sur l'utilité
de la monnaie ou sur les contraintes qu'elle fait peser sur les échanges. La contrainte qui mérite
d'être modélisée est celle qui tient à la liquidité limitée (et plus particulièrement à la capacité
limitée d'endettement) dans un monde d'information imparfaite » [3].
Dans un article au titre provocateur, «Keynesian Macroeconomics without LM Curve» [7], David
Romer propose même de se passer de la courbe keynésienne de demande de monnaie (LM)
au profit d’un nouveau modèle d’équilibre global (voir annexe 2).
L’analyse monétaire aujourd’hui se centre donc sur des questions comme le rôle du canal du
crédit, le contrôle de l’inflation prévue (débat sur l’inflation targeting : objectif intermédiaire
d’inflation future prévue), la surveillance du prix des actifs, la réduction des risques
macroéconomiques, la transparence de la politique mise en œuvre, la réduction des asymétrie
d’information, la gestion du cycle économique.
Il faut ajouter que la question monétaire a été, en particulier avec la politique monétaire d’Alan
Greenspan relié très directement à la croissance économique. On sait que la croissance à long
terme des pays n’est pas exogène, elle peut être de manière robuste reliée à un certain nombre
de variables explicatives : le taux d’investissement, l’investissement en capital humain, le taux
d’épargne. La croissance est donc endogène, et répond aux politiques économiques. Ceci
donne bien un rôle aux politiques monétaires non seulement sur l’inflation de long terme mais
aussi sur la croissance de long terme. Si l’absence d’anticipation d’inflation, la bonne santé des
banques, la faible variabilité de l’économie, le maintien de ce fait de taux d’intérêt réels bas
permet de stimuler l’investissement, il en résultera, comme à partir du milieu des années 90,
des gains de productivité qui permette d’élever la croissance soutenable, c’est-à-dire une
croissance tendancielle plus forte sans risque de tensions inflationnistes.
Comme le rappelle Michel Aglietta, Alan Greenspan était persuadé que la politique monétaire
doit être attentive aux changements structurels pour tirer parti des évolutions qui influencent la
croissance potentielle. Il identifie très tôt une augmentation de la croissance potentielle alors
que « le CBO , et un certain nombre d'économistes, n'ont modifié leurs estimations de la
progression de la productivité du travail aux États-Unis qu'en 2000 et 2001, Greenspan était
parvenu à ce diagnostic dès novembre 1995, malgré le scepticisme des autres membres du
comité de politique monétaire (FOMC). La détection d'un tel changement structurel a eu des
implications importantes en termes de conduite de la politique monétaire. En effet, si les gains
tendanciels de productivité se révèlent être sous-estimés, l'économie peut se trouver en
situation de sous-emploi en dépit d'un niveau apparemment satisfaisant du taux de chômage. Il
convient donc de baisser les taux d'intérêt de telle sorte que le taux de chômage puisse
diminuer et se rapprocher de son niveau d'équilibre, qui lui-même diminue avec les gains de
productivité. Si la politique monétaire avait été passive, l'inflation aurait diminué de manière
excessive sans bénéfice pour l'économie, car le taux d'intérêt réel aurait monté ; le coût du
capital aurait été plus élevé et les entreprises auraient moins investi dans les technologies
innovantes. Cet épisode illustre un point fondamental de la doctrine monétaire. Contrairement
au credo monétariste qui sévit en Europe, on ne doit pas séparer le court terme du long terme,
la stabilisation conjoncturelle du changement structurel. Greenspan est parvenu à ce diagnostic
parce que l'attention portée aux changements structurels est le fondement de sa philosophie de
banquier central » [8].

Conclusion
Il y a un paradoxe apparent entre une économie monétaire qui a été au centre du renouveau
des analyses économiques alors que la question de la quantité de monnaie perdait tout intérêt.
On constate que ce renouvellement de la théorie monétaire s’est accompagné d’un recentrage
de la politique économique sur l’action de la politique monétaire tandis que la politique
budgétaire semblait inspirée de plus en plus de défiance. Il ne faudrait toutefois pas tout
attendre d’une régulation monétaire qui peut accompagner une politique structurelle ambitieuse
mais ne peut en aucun cas la remplacer.

Bibliographie
 [1] Boyer J., La pensée monétaire. Histoire et analyse, Editions Les Solos, 2003
 [2] Stiglitz J. et Greenwald B., Economie monétaire. Un nouveau paradigme, Economica,
2005
 [3] Pollin J-P., «Théorie de la politique monétaire. Esquisse d’une refondation »,
Conférence du président au 53e Congrès de l’AFSE, 2004
 [4] Taylor J., "Discretion versus Policy Rules in Practice", Carnegie Rochester
Conference Series on Public Policy, 1993
 [5] Artus P., «Que nous apprennent les écrits académiques de Ben Bernanke ? », Flash
CDC-IXIS, n°2006-45, 2006
 [6] Rogoff K., "The Optimal Degree of Commitment to an Intermediate Monetary
Target", Quarterly Journal of Economics, 1985
 [7] Romer D., “Keynesian Macroeconomics without LM Curve”, Journal of Economic
Perspectives, 14 (2), 2000
 [8] Aglietta M. et Borgy V., «Héritage Greenspan : le triomphe de la politique
discrétionnaire », La lettre du CEPII, N°251, décembre 2005

Annexes
Annexe 1 : Les canaux de transmission de la politique monétaire à l'activité
réelle
Les évolutions de la politique monétaire se traduisent par des variations des taux directeurs qui
se diffusent à l'ensemble des taux d'intérêt. Les mouvements de taux d'intérêt affectent à leur
tour les conditions d'équilibre de nombreux marchés ainsi que les revenus et la situation
patrimoniale des agents économiques. Cette annexe résume brièvement les principaux canaux
de transmission des chocs de politique monétaire à l'activité réelle.
1. Le canal du prix des actifs (y compris le canal du taux d'intérêt)
 Le canal traditionnel des taux d'intérêt
Une politique monétaire expansionniste se traduit par une augmentation de l'offre de
monnaie qui modère les taux d'intérêt réels d'équilibre sur le marché de la monnaie. Elle
réduit le coût du capital pour les entreprises et favorise ainsi une augmentation des
dépenses d'investissement dont la profitabilité se trouve améliorée. Par ailleurs, elle
modère la charge d'intérêt pour les ménages emprunteurs et soutient donc leur revenu et
leur consommation (à épargne inchangée). Ce canal correspond à la conception
keynésienne la plus traditionnelle de la politique monétaire, mais joue à la fois sur la
demande et sur l'offre.
 Le canal du taux de change
En régime de taux de change flexible et avec mobilité internationale des capitaux, une
baisse des taux d'intérêt se traduit toutes choses égales par ailleurs par une dépréciation
du taux de change effectif réel de la monnaie nationale. Cette dépréciation soutient les
exportations nettes et par conséquent la production globale.
 Le canal du Q de Tobin
Une baisse des taux d'intérêt est susceptible d'avoir un effet favorable sur le cours des
actions dans la mesure où le prix d'une action correspond à la valeur actualisée des
dividendes futurs. Toutes choses égales par ailleurs, cette augmentation du prix des
actions diminue le coût des fonds propres pour les entreprises et soutient leurs
investissements (à l'instar du canal traditionnel mais via un mécanisme différent, la
hausse des cours boursiers rendant les émissions d'actions plus attractives).
 Les effets de richesse
La consommation des ménages peut aussi tirer profit d'une baisse des taux d'intérêt :
l'augmentation du prix des actifs financiers ou immobiliers résultant d'une baisse des
taux d’intérêt augmente la valeur de leur patrimoine et soutient leur consommation. Dans
un modèle où les ménages cherchent à lisser leur consommation sur le cycle de vie, ils
dépensent plus lorsque leur richesse augmente.

2. Le canal du crédit
La présence de contraintes de liquidité peut venir renforcer et amplifier les effets de la politique
monétaire.
 Le canal strict du crédit ou canal du crédit bancaire
Dans une économie bancarisée, les changements de taux directeurs modifient les
conditions de refinancement des banques sur les marchés financiers. En particulier, un
durcissement des conditions de refinancement des banques pèse sur leur activité de
création monétaire, sur leur production de crédit à l'économie et donc sur
l'investissement des entreprises et la consommation des ménages.
 Le canal large du crédit ou canal du bilan (théorie de l'accélérateur financier)
Les canaux de transmission de la politique monétaire à l'activité réelle dépendent aussi
de la qualité de la structure du bilan des agents économiques. Une hausse des taux aura
des effets dépressifs sensiblement plus importants si les agents privés sont auparavant
déjà très endettés et peu solvables. Ainsi, l'impact défavorable d'un durcissement
monétaire sur la capacité des entreprises à rembourser leurs dettes (canal du taux
d'intérêt) et sur le coût de leur capital (Q de Tobin) est renforcé par un redressement de
la prime de risque que les banques font peser sur les nouveaux emprunteurs. Les
comportements sur les marchés financiers liés à une évolution du risque peuvent
accentuer les effets sur l'activité de la politique monétaire.
Ventilation des canaux de transmission de la politique monétaire par secteur institutionnel

Canal du prix des actifs


Canal de Canal du taux Canal du taux de Canal du Q de Effets
transmission d’intérêt change Tobin richesse
Entreprises
Agents concernés Extérieur Entreprises Ménages
Ménages

Canal du crédit
Canal large du crédit
Canal de Canal du crédit bancaire ou canal strict du
(théorie de l’accélérateur
transmission crédit
financier)
Entreprises
Agents concernés Entreprises
Ménages

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