Vous êtes sur la page 1sur 14

CATÉGORISATION DE VERBES ASSERTIFS

d’un point de vue logique à un point de vue interactionniste

Valérie St Dizier De Almeida et Pierre Beust


GREYC CNRS UPRESA 6072
Université de Caen
Bd Maréchal Juin -14050 Caen Cedex
Tél : 02 31 56 73 98, Fax : 31 56 58 14
Mail : valerie@info.unicaen.fr ; beust@info.unicaen.fr

Résumé : L’article rapporte une recherche qui vise la conception d’une base de connaissances
évolutive pouvant constituer une partie de l’amorce d’un agent logiciel voué à la gestion des
interactions homme-machine. Si en DHM (Dialogue Homme-Machine), la catégorisation des
actes de langage se fonde essentiellement sur la taxonomie initialement proposée par Searle qui
permet de distinguer les actes de langage selon leur but illocutoire : assertifs, directifs,
commissifs, déclaratifs, nous pensons qu’il faut également que le système puisse faire la
distinction entre une simple information et une réprimande par exemple. Les travaux de
Vanderveken traitant des verbes illocutoires fournissent des éléments permettant d’opérer ce
type de distinction : ce sont les caractéristiques des composants de la force illocutoire des actes
de langage (Vanderveken, 1988). Dans son ouvrage, Vanderveken représente sous une forme
arborescente des relations entre verbes illocutoires. Cette forme de représentation est
difficilement exploitable pour le DHM (Dialogue Homme-Machine). Nous présentons ici une
catégorisation des verbes illocutoires assertifs obtenue grâce à la méthode Anadia. Cette
catégorisation (peu coûteuse du point de vue informatique car fondée sur des propiétés
suffisantes, mais non nécessaires) constitue une base performante pour l’interprétation et la
génération des énoncés.

Mots clés : Dialogue homme-machine, Verbes illocutoires, Catégorisation.

1
1. Introduction

Notre objectif est de participer à la conception de l’amorce d’une machine qui puisse gérer
une interaction verbale à la manière d’un humain. L’amorce est définie à partir d’un modèle de
la gestion des interactions langagières entre agents développé dans Nicolle et St Dizier De
Almeida (1998). Ce modèle que nous ne présentons pas ici intègre les résultats de différents
travaux : entre autres, un modèle de dialogue (Lehuen, 1997, Gérard et Nicolle, 1998), un
modèle de la temporalité (Gosselin, 1996), un modèle de la référence (Beust et Nicolle, 1998).
Le projet ici s’articule autour de la conception d’un modèle de l’interprétation sémantico-
pragmatique pour la relance interactionnelle. Dans ce cadre, nous proposons de fournir une
catégorisation des verbes illocutoires assertifs tels qu’ils sont définis dans Vanderveken (1988).
Ces verbes illocutoires sont d’un grand intérêt dans une perspective TAL (Traitement
Automatique des Langues) car ils sont porteurs d'informations tant pour déterminer la valeur
sémantique en terme de procès des énoncés que leur valeur pragmatique. Nous nous référons
en particulier au chapitre VI de l’ouvrage de Vanderveken “Les actes de discours” (1988) au
cours duquel l’auteur applique l’appareil logique de la sémantique générale - qu’il développe
dans les chapitres précédents - à l’analyse lexicale des principaux verbes de la langue française.
Vanderveken (1988) définit différents verbes de type assertif en utilisant comme formalisme de
description les composants de la force illocutoire. Les définitions de verbes en ces termes nous
intéressent dans le sens où chaque composant peut renvoyer dans le modèle Anadia - que nous
présenterons dans les grandes lignes - à des attributs susceptibles d’esquisser des catégories de
verbes. L’objet de cet article est de s’approprier de façon pertinente les propositions de
Vanderveken dans le contexte du DHM. En d’autres termes, il s’agit de montrer comment il est
possible de passer de la description faite par Vanderveken des verbes assertifs à une
catégorisation utile pour la gestion des interactions, et en particulier des interactions homme-
machine. Précisons que si nous nous focalisons sur les verbes illocutoires assertifs, ce n’est parce
que nous pensons que leur étude est suffisante à la gestion des interactions verbales, mais
simplement qu’ils peuvent constituer un point de départ intéressant dans cette perspective.
Dans une première partie, nous définissons le cadre théorique. Dans une seconde, nous
présentons les données à catégoriser (les verbes illocutoires assertifs) et dans une troisième, la
méthode de catégorisation utilisée. Enfin, nous restituons et commentons la catégorisation des
verbes à laquelle nous parvenons.

2. Cadre théorique

A la différence des modèles classiques en TAL qui cherchent à calculer le sens d’un énoncé
par des méthodes logiques de représentation des connaissances ou à remplir des bases de
données à partir d’informations littéralement exprimées dans les énoncés, notre objectif quant à
l’interprétation des énoncés consiste à déceler à partir des différents niveaux d’analyse des
énoncés (syntaxique, sémantique, pragmatique), des contraintes qui délimitent dans une
certaine mesure le champ des interprétations possibles pour un énoncé donné. Ces contraintes,
délimitent un potentiel de sens (Brassac, De Almeida, Grégori et Saint-Dizier, 1996 ; Brassac et
Stewart, 1996).
Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons aux verbes illocutoires assertifs tels qu’ils
sont définis dans Vanderveken (1988). Ces verbes sont intéressants dans une perspective
TAL/DHM car ils constituent des indices qui véhiculent des informations tant sémantiques que
pragmatiques. Ces informations qui résultent d’un travail interprétatif sur la base d’indices
linguistiques lorsqu’elles sont mises en adéquation avec les éléments contextuels, forment des
contraintes permettant de délimiter un potentiel de sens.

3. Données à catégoriser

Il s’agit dans une perspective DHM, de fournir une catégorisation des verbes illocutoires
assertifs adaptée à l’interprétation et à la génération d’énoncés.

2
3.1. Les arbres illocutoires de Vanderveken

Vanderveken (1988) a mis à jour des relations d'engagement et d'implication entre verbes
illocutoires de la langue française. Il représente ces relations au moyen d'arbres qu'il nomme
arbres illocutoires. Les relations entre verbes dépendent des composants de la force illocutoire
qui caractérisant chacun d’eux. Les composants de la force sont définis dans la partie 2.2.
L'arbre ci-après (Vanderveken, 1988 : 175) représente les relations entre différents verbes
assertifs dégagées par Vanderveken (les branches qui apparaissent en pointillé représentent
d'autres alternatives d'arbres possibles dues au fait - c’est l’auteur qui l’annonce - qu'une même
analyse sémantique peut donner lieu à plusieurs arbres).

Figure 1 : Arbres des verbes illocutoires assertifs de Vanderveken

3.2. Les composants de la force illocutoire

Les composants impliqués dans la constitution de la force illocutoire des actes de langage
ont été définis par Searle et Vanderveken (1985). Ils distinguent au total sept composants :
1- le but illocutoire : il traduit l'aspect intentionnel de l'acte, ce qui est visé lors de
l’accomplissement de l’acte. Le but détermine aussi la direction d’ajustement de l’acte - le
rapport entre le contenu propositionnel et le monde. Cinq types de but ou force illocutoire sont
développés :
* les assertifs : leur but est d’engager le locuteur (à des degrés divers) à la vérité de la
proposition exprimée, à ce que quelque chose soit effectivement le cas (direction d’ajustement :
les mots s’ajustent au monde),
* les directifs : leur but est d’obtenir que l’auditeur fasse quelque chose (direction
d’ajustement : le monde s’ajuste aux mots),
* les commissifs : leur but est d’engager le locuteur à l’accomplissement d’une action future
(direction d’ajustement : le monde s’ajuste aux mots),
* les expressifs : leur but est d’exprimer l’état psychologique du locuteur (la direction
d’ajustement est vide),
* les déclaratifs : leur but est de changer l’état du monde par l’énonciation même de ce type
d’actes (la direction d’ajustement est double : les mots s’ajustent au monde et le monde s’ajuste
aux mots)
2- le mode d'accomplissement : il détermine la manière dont le locuteur doit atteindre le but
; « le mode d’accomplissement (...) détermine comment son but doit être accompli sur le
contenu propositionnel lors de l’accomplissement d’un acte ayant cette force « (Vanderveken,
1988 : 113),

3
3- les conditions de contenu propositionnel : ce sont les contraintes syntaxico-sémantiques
qui pèsent sur l’expression linguistique de la proposition représentant les conditions de
satisfaction de l’acte,
4- les conditions préparatoires : elles représentent les états de chose que le locuteur
présuppose ou tient pour vrais lors de l’accomplissement de l’acte ; elles concernent des
propriétés du locuteur, de l’auditeur, de leurs relations et du monde,
5- les conditions de sincérité : elles déterminent le mode des états mentaux que le locuteur
devrait avoir s'il voulait accomplir sincèrement un certain type d'acte,
6- le degré de puissance : il détermine l'intensité avec lequel le but illocutoire est atteint, il
est fonction de l’engagement du locuteur,
7- le degré de force : il mesure le degré d'expression d'états psychologiques.

3.3. La définition des verbes illocutoires assertifs

Pour les besoins de la catégorisation nous avons, à partir de la présentation de Vanderveken,


répertorié les composants caractérisant chaque verbe. Les définitions des verbes assertifs
auxquelles nous parvenons figurent en annexe.

4. La méthode de catégorisation : Anadia

La méthode Anadia constitue une assistance à la construction, à partir d’un ensemble d'objets,
de catégories qui aient de bonnes propriétés algébriques. Pour être optimale, une représentation
catégorielle n'a pas besoin d'être complète, elle doit être suffisante pour différencier toutes les
entités qui sont visées comme différentes. La méthode de catégorisation mise en place dans
Anadia est basée sur l’interdépendance entre les représentations de chaque entité. Il ne s’agit pas
de décrire l’essence de chaque entité mais de proposer une grille qui permette de faire les
différences pertinentes pour interpréter ou produire des énoncés langagiers. Les concepts mis en
jeu dans le modèle sont les suivants:
Attribut : propriété que l'on peut ou non attribuer à une chose. Un attribut est spécifié par les
valeurs possibles de la propriété (par exemple, l'attribut lié à l'état physique d'une matière est
décrit par les valeurs solide, liquide, gazeuse).
Registre : ensemble d'attributs.
Table : combinatoire des valeurs des attributs d'un registre.
Sélection : places de la table reconnues valides (on peut les nommer et en donner des exemples)
Topique : graphe des relations entre les places sélectionnées. La relation entre deux places est
un nombre de différences de valeurs d'attributs. La topique la plus intéressante est la topique
des différences sur une valeur d'un attribut, qu'on appelle "différence à un trait près". Les
topiques révèlent la structure du domaine initial relativement aux attributs considérés. Si toutes
les places ont été sélectionnées, la topique des différences à un trait près est un graphe complet
et tous les attributs choisis sont indépendants et pertinents.
L'intérêt d'Anadia n'est pas uniquement son résultat en terme de représentations
systémiques mais consiste également dans le processus interactif mis en place pour y parvenir,
via notamment le choix des attributs, la formation des registres (c'est à dire considérer les
attributs au bon niveau) et la reconnaissance des catégories effectives. Ces dernières imposent
une réflexion fructueuse sur les concepts d'un domaine avant d'en concevoir un modèle. Les
répercutions de ces choix sont directement analysables en terme de propriétés algébriques du
modèle qu'Anadia permet de réaliser. Parmi ces propriétés on peut par exemple citer les notions
de dépendance et de subordination des attributs (Nicolle et Beust, 1997) et l'importance des
catégories vides dans la table (Beust, Delépine, Nicolle, Coursil, 1996).

5. Application à la catégorisation des verbes assertifs

5.1. Problématique

Situés dans une perspective interactionniste en DHM, nous ne pouvons nous satisfaire des
arborisations de Vanderveken développées dans une perspective logique et figée. En effet, les
arbres de Vanderveken ne reflètent pas une catégorisation fonctionnelle - i.e. exploitable dans le

4
cadre de la gestion des interactions homme-machine - , mais ils découlent d’un travail logique.
Dans les arbres illocutoires, “un verbe est le successeur immédiat d’un autre verbe si et
seulement si la force illocutoire qu’il nomme peut être obtenue à partir de la force nommée par
l’autre par l’ajout de nouvelles composantes ou l’augmentation du degré de puissance”
(Vanderveken, 1988 : 174). Ainsi, les arborisations sont une représentation d’un travail logique
qui n’a a priori pas d’équivalence avec une arborisation qui rendrait compte d’une
catégorisation qui soit efficace et exploitable dans une perspective DHM interactionniste.
Quoi qu’il en soit les définitions de Vanderveken fournissent des éléments sur ce qui peut
distinguer des groupes de verbes et sur les similitudes qu’entretiennent entre eux les verbes
illocutoires assertifs. Les distinctions et similitudes sont exprimées dans les termes de la logique
illocutoire, c’est à dire en termes de composants de la force. C’est donc dans ce formalisme que
nous proposons des attributs dont les valeurs vont permettre de dissocier des catégories de
verbes.

5.2. Application de la méthode Anadia

La méthode Anadia nous a conduit à rejeter plusieurs formes de catégorisation qui ne


répondaient pas aux critères précédents : trop de catégories vides étaient générées et/ou des
mêmes attributs avaient besoin d’être réutilisés à de nombreuses reprises pour générer de
nouvelles catégories. Après avoir éliminer les catégorisations ne respectant pas de bonnes
propriétés algébriques, nous n’avions à faire le choix que parmi deux catégorisations. L’une
partait de l’attribut premier « mode d’accomplissement ou degré de puissance » et l’autre de
l’attribut « conditions préparatoires ». Pour faire un choix parmi ces deux catégorisations, nous
avons éprouvé les catégorisations relativement à l’objectif DHM qui est de fournir des catégories
autorisant un même type d’enchaînement conversationnel. Nous observons que le mode
d’accomplissement et le degré de puissance sont des composants qui présentent comme
particularité de se modifier au gré des relations sociales, des contrats d’interaction. Partant, c’est
la catégorisation reposant sur les attributs premiers « conditions préparatoires » que nous avons
retenue.

5.3. Le catégorisation retenue

Les attributs utilisés renvoient à des conditions préparatoires de la force illocutoire.


L’attribut de niveau 0 permet de scinder les verbes de type assertif en trois catégories. Cet
attribut renvoie à la qualité de l’état de choses représenté dans le contenu propositionnel de
l’acte de langage qui contient le verbe. L’état de choses représenté peut être mauvais, bon ou
neutre. Ainsi l’attribut possède trois valeurs : bon - mauvais - neutre. Sur la base de ces valeurs,
voici comment se distribuent les verbes assertifs (cf. Annexe A) :

BON : vanter - se vanter - louer (catégorie A)

MAUVAIS : critiquer - dénoncer - confesser - réprimander - blâmer - accuser - se lamenter -


se plaindre - admettre/reconnaître - avouer (catégorie B)

NEUTRE : contester - maintenir - assurer - certifier - déclarer - suggérer - relater - rappeler -


informer - témoigner - attester - jurer - confier - proclamer - asserter - penser - conjecturer - dire
- prédire - insister - soutenir - notifier - s’objecter - contredire - démentir (catégorie C)

La catégorie B peut se scinder en trois autres catégories. L’attribut en question concerne la


relation que les interlocuteurs entretiennent avec le contenu représentationnel véhiculé par P.
Cet attribut possède trois valeurs qui sont les suivantes : P concerne A (A = le locuteur) - P
concerne B (B = l’allocutaire) - P concerne une personne qui est ni A, ni B. Voici comment les
verbes de la catégorie B se distribuent relativement aux valeurs de l’attribut mentionné :

P CONCERNE A : confesser - se lamenter - se plaindre - admettre/reconnaître - avouer


(catégorie B1)
P CONCERNE B : blâmer - accuser (catégorie B2)

5
P CONCERNE X : réprimander - dénoncer - critiquer (catégorie B3)

Concernant la catégorie C, sa distribution repose sur la combinaison des valeurs de deux


attributs. L’un des deux attributs concerne la connaissance qu’a l’allocutaire de P. Cet attribut
possède trois valeurs : B sait P - B n’a pas à l’esprit P - on ne sait pas. L’autre attribut renvoie au
co-texte de P. Cet attribut possède deux valeurs : P est en contradiction avec le co-texte, P n’est
pas en contradiction avec le co-texte.
La combinaison des valeurs de ces deux attributs produit six catégories sur lesquelles se
distribuent les verbes de la catégorie C. Sur ces six catégories, une seule est vide.

B SAIT P - P NON CONTRADICTOIRE : maintenir - assurer - certifier (catégorie C1)


B SAIT P - P CONTRADICTOIRE : contester - s’opposer (catégorie C5)
B N’A PAS À L’ESPRIT P - P NON CONTRADICTOIRE : déclarer - suggérer - relater -
rappeler - informer - témoigner - attester - jurer - confier - proclamer (catégorie C2)
B N’A PAS À L’ESPRIT P - P CONTRADICTOIRE :
ON NE SAIT PAS - P NON CONTRADICTOIRE : asserter - penser - conjecturer - dire -
prédire - insister - soutenir - notifier (catégorie C3)
ON NE SAIT PAS - P CONTRADICTOIRE : s’objecter - contredire - démentir (catégorie C4).

La catégorisation des verbes assertifs avec la méthode Anadia a permis de dégager un


arbre de catégories de profondeur 2 (cf. Figure 2). Cet arbre représente une hiérarchie et à
chacun de ses niveaux correspond une table et une topique (cf. Annexe). Ces tables et topiques
constituent des structures de représentations systémiques. Les tables fournissent les
justifications des propriétés intrinsèques de chaque catégorie (on en déduit des représentations
componenetielles des contenus sémantiques des verbes) et les topiques apportent les relations
en terme de différences entre les catégories voisines. L'ensemble de ces représentations est une
modélisation informatique d'un système de valeur associé aux verbes illocutoires assertifs.

Figure 2 : Représentation graphique de la distribution des verbes

Les attributs qui permettent de distinguer des groupes de verbes renvoient en termes de
composants de la force illocutoire à des conditions préparatoires. Les distinctions entre verbes
d’une même catégorie sont relatives à des différences au niveau du degré de puissance ou du
mode d’accomplissement.

5.4. Commentaires

Chaque verbe assertif prend place dans une catégorie dont on connaît les propriétés. Celles-ci
nous fournissent d’une part une première représentation du contenu sémantique hors-contexte
du verbe et d’autre part des indications sur les états mentaux des interlocuteurs.
Cette représentation va permettre une propagation de propriétés sémantiques dans le co-
texte de l'énoncé. Le résultat de cette propagation sera examiné au niveau de la mise en
évidence d'isotopies. Par exemple, dans un énoncé de la forme Jean se vante de X, au regard de
la catégorisation, on sait que le verbe vanter possède une propriété qui dénote un état de chose
bon (cf. catégorie A). Cette propriété va être la cause d'une isotopie dans l'énoncé si elle
s'exprime également dans le contenu sémantique de X. On met ainsi en évidence l'importance
de cette propriété dans le contenu propositionnel de l'énoncé. Si l'état de chose bon ne
s'exprime pas dans le contenu de X,, il n'y a pas d'isotopie. On peut alors considérer que la
précision sur la nature de l'état de choses constitue une attente sémantique non satisfaite (dans
le cas où il y a isotopie elle est immédiatement satisfaite). L'isotopie est ici un indice qui ne
concerne plus uniquement le contenu propositionnel mais également le but illocutoire
(l’absence d’isotopie peut constituer l’indice par exemple d’une procédure humoristique).
Ce modèle présente également un intérêt dans les situations interlocutoires dans lesquelles le
verbe illocutoire n’apparaît pas explicitement. Si les valeurs de certains attributs sont présents

6
dans le co-texte alors le système pourra affecter l’acte de langage à la catégorie correspondante.
Par exemple, soit l’énoncé P : “Paul n’est pas malade, je l’ai vu hier”. Si dans les éléments du
co-texte il existe l’énoncé Q “Paul est malade” qui entre en contradiction avec P, alors l’énoncé
P sera affecté à la catégorie C4 dans laquelle on trouve les verbes illocutoires suivants :
s’objecter - contredire - démentir.

6. Conclusion

La catégorisation des verbes assertifs à laquelle nous parvenons fournit une première
ébauche d'un système de valeur qui constitue une amorce pour un système de gestion de la
langue naturelle. Cette amorce réalisée avec la méthode Anadia présente différents avantages :
(i) les distinctions entre catégories forment la structure de cette amorce. Un lien entre deux
catégories est toujours justifié par une différence sur un attribut. La structure présente ainsi
l'avantage d'être calculée par la machine et non donnée de façon had-hoc, (ii) comme elle est
calculable et non prédéterminée, elle est évolutive. En effet, de nouveaux verbes pourront être
affectés à des catégories déjà existantes et de nouveaux attributs pourront repartitionner des
catégories pour en extraire de nouvelles, (iii) elle permettra - puisque se modifiant au gré des
interactions - la mise en place d'un espace signifiant partagé entre l'homme et la machine : les
nouvelles répartitions catégorielles émaneront des interactions homme-machine. C'est pourquoi
la catégorisation proposée est interactionniste.
L'exploitation de cette catégorisation par un système de gestion de la langue naturelle est
double. D'une part, elle fournit des indications pour l’interprétation des énoncés contenant un
verbe illocutoire assertif en renseignant sur la valeur sémantique et pragmatique des énoncés et
d'autre part, elle fournit un matériel - les composants de la force illocutoire - permettant
d’orienter la phase de production des énoncés.
Notre objectif à présent vise à répertorier les procédures d'enchaînement associables à
chacune de ces catégories. Pour cela, nous nous référerons à des travaux menés en théorie des
actes de langage (Trognon et Brassac, 1992 ; Trognon et Ghiglione, 1993 ; Trognon et Saint-
Dizier, à paraître) et en ethnométhodologie linguistique (Garfinkel, 1967 ; Goffman, 1974 ;
Levinson, 1983) et nous procéderons également à l’analyse d’interactions authentiques obtenues
par la mise en place de dispositifs susceptibles de faire apparaître les enchaînements recherchés.
Une telle approche d’investigation a été mise en œuvre par St Dizier De Almeida (1996, 1997) et
De Almeida (1996, 1997) : il s’agissait, à partir de l’analyse d’interactions authentiques, de
répertorier des procédures d’assistance pour la première et des procédures de prise de décision
pour le second et d’y associer les indices textuels et contextuels caractérisant les circonstances
d’apparition de chacune d’elles.

7. Références

Beust P., Delépine L., Nicolle A., Coursil J. (1996). Anadia, a Relevance Examination Tool for
Representations, Third European Congress on System Science, Rome, October 1996.
Beust P., Nicolle A. (1998). La référence dans un modèle interactionniste de la signification, In La
référence, statut et processus, sous la direction de N. Le Querler et E. Gilbert, Presses
Universitaires de Rennes, 1998, p. 269-289.
Brassac C., De Almeida J., Grégori N., Saint-Dizier V. (1996). La théorie des actes de langage en
IAD : utilisations et limites. In J.P. Müller and J. Quinqueton (Eds.), IA distribuée
et systèmes mutli-agents. Paris : Hermès, 229-249.
Brassac C., Stewart J. (1996). Le sens dans les processus interlocutoires, un observé ou un co-
construit. Actes des Cinquièmes Journées de Rochebrune ”Du social au
collectif”, Rochebrune, janvier 1996, 85-94.
De Almeida J. (1996). Conception ascendante de l’organisation socio-cognitive d’un système multi-
agents. Actes du 6ème colloque de l’ARC, Villeneuve d’Ascq, 131-136.
De Almeida J. (1997). Emergence de l’organisation fonctionnelle d’un système multi-agents. Thèse de
l’Université Nancy 2. (Décembre 1997).
Garfinkel H. (1967). Studies in Ethnomethodology. Englewood Cliffs, NJ : Prentice Hall.
Gérard F., Nicolle A. (1998). Bistro : un modèle de dialogue intégrant la manipulation de concepts,
RECITAL'98, Le Mans.

7
Goffman E. (1974). Les rites d’interaction. Paris : Editions de Minuit.
Gosselin L. (1996). Sémantique de la temporalité en français, un modèle calculatoire et cognitif,
Louvain-la-neuve : Duculot.
Lehuen J. (1997). Un modèle de dialogue dynamique et générique intégrant l'acquiisition de la
compétence linguistique, Thèse de l'université de Caen.
Levinson (1983). Pragmatics. Cambridge : Cambridge University Press.
Nicolle A., Beust P. (1997). Anadia, une méthode de construction de représentations, Colloque de
l'association Ferdinand Gonseth "Les modèles de représenation : quelles
alternatives ?", Neuchâtel.
Nicolle A., St Dizier De Almeida V. (1998). Vers un modèle des interactions langagières, In Analyse
et simulation de conversations : de la théorie des actes de discours aux systèmes
multiagents, S. Delisle, B. Chaïb-Draa et B. Moulin (eds.), InterÉditions, Lyon.
St Dizier De Almeida V. (1996). Un modèle théorico-empirique pour la conception d’un système
informatique d’assistance interactif. Thèse de psychologie de l’Université Nancy 2.
St Dizier De Almeida V. (1997). Modélisation d’une assistance interactive pour améliorer l’accessibilité
d’un logiciel. Revue Sciences et Techniques Educatives, 4/1, 13-39.
Searle J.R., Vanderveken D. (1985). Foundations of Illocutionary Logic. Cambridge : Cambridge
University Press.
Trognon A., Brassac C. (1992). L’enchaînement conversationnel. Cahiers de Linguistique Française,
13, 76-107.
Trognon, A., Ghiglione, R. (1993). Où va la pragmatique. Grenoble : PUG.
Trognon A., Saint-Dizier V. (1998). The conversational organisation of misunderstandings : the case of
a tutorial dialogue. Journal of pragmatics (à paraître).
Vanderveken, D. (1988). Les actes de discours. Bruxelles : Mardaga.

8
ANNEXES

DÉFINITION DES VERBES ILLOCUTOIRES ASSERTIFS.

AFFIRMER (NIER) :
asserter P (non P)

DÉCLARER :
asserter
publiquement (mode d’accomplissement)
dans l’intention perlocutoire de faire connaître (but illocutoire)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

PENSER :
asserter P
faiblement (degré de puissance de la force)
le locuteur croît faiblement en P (conditions de sincérité)

SUGGÉRER :
faire venir à l’esprit P
sans l’asserter explicitement (degré de puissance)
l’allocutaire n’a pas P à l’esprit (condition préparatoire)

CONJECTURER :
asserter P
faiblement (degré de puissance)
P relève de probabilités (condition préparatoire)

DIRE :
asserter P
assez fortement (degré de puissance)

PRÉDIRE :
asserter P
P renvoie à un état de choses futur (condition sur le contenu propositionnel)
le locuteur doit avoir de bonnes raisons de croire en P (condition préparatoire)

RELATER :
asserter P
en présupposant que l’allocutaire n’est pas au courant de P (condition préparatoire)

RAPPELER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
en présupposant que le public ait pu oublier P (condition préparatoire)

SOUTENIR :
asserter
publiquement (mode d’accomplissement)
le locuteur a des raisons de croire en P (condition préparatoire)

INSISTER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
avec persistance (mode d’accomplissement)
le locuteur a des raisons de croire en P (condition préparatoire)

9
MAINTENIR :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
avec persistance et fermeté (mode d’accomplissement)
le locuteur a des raisons de croire en P (condition préparatoire)
le locuteur a déjà affirmé P (condition préparatoire)

ASSURER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
avec l’intention de convaincre (but illocutoire)
le locuteur a des raisons de croire en P (condition préparatoire)
le public a des doutes quant à la vérité de P (condition préparatoire)

CERTIFIER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
le locuteur a des raisons de croire en P (condition préparatoire)
dans le but que le public soit certain de la vérité de P (but illocutoire)
le public a des doutes quant à la vérité de P (condition préparatoire)

INFORMER :
asserter P
en présupposant que l’allocutaire ne sait pas P (condition préparatoire)

NOTIFIER
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
de manière officielle (mode d’accomplissement)
le public ne devrait pas être au courant (condition préparatoire)

TÉMOIGNER - ATTESTER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
en invoquant une position de témoin (mode d’accomplissement)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

JURER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
par serment (mode d’accomplissement)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

S’OBJECTER :
asserter P
avec Q incompatible avec P et Q déjà énoncée (condition préparatoire)

CONTREDIRE :
asserter P
avec P le contraire de Q (condition préparatoire)
Q déjà énoncée (condition préparatoire)

DÉMENTIR :
asserter P
avec P le contraire de Q (condition préparatoire)
Q déjà énoncée par l’allocutaire (condition préparatoire)

10
l’allocutaire sait que Q n’est pas vrai (condition préparatoire)

CRITIQUER quelqu’un :
asserter P
en exprimant de la désapprobation (condition de sincérité)
P concerne une personne (condition préparatoire)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

LOUER :
asserter P
en exprimant de l’approbation (condition de sincérité)
P concerne une personne (condition préparatoire)
P renvoie à un état de choses bon (condition préparatoire)

CONTESTER :
asserter P
avec P en contradiction avec Q (condition préparatoire)
ce qui est affirmé peut être mis en doute (condition sur le contenu propositionnel)
ce qui est affirmé a déjà été revendiqué (condition préparatoire)

S’OPPOSER :
asserter P
avec P en contradiction avec Q (condition préparatoire)
ce qui est affirmé peut être mis en doute (condition sur le contenu propositionnel)

BLÂMER :
asserter P
une personne est responsable de P (condition sur le contenu propositionnel)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

ACCUSER :
asserter P
en public (mode d’accomplissement)
une personne est responsable de P (condition sur le contenu propositionnel)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

DÉNONCER :
asserter P
en public (mode d’accomplissement)
une personne est responsable de P (condition sur le contenu propositionnel)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

RÉPRIMANDER :
asserter P
en invoquant une position d’autorité (mode d’accomplissement)
une personne est responsable de P (condition sur le contenu propositionnel)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

ADMETTRE - RECONNAÎTRE :
asserter P
P représente un état de choses qui concerne le locuteur (condition préparatoire)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

AVOUER :
asserter P
en exprimant de la honte (condition de sincérité)

11
P concerne le locuteur (condition préparatoire)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

CONFESSER :
asserter P
en reconnaissant que l’on est responsable de P (condition sur le contenu propositionnel)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

CONFIER :
asserter P
non publiquement (mode d’accomplissement)
à quelqu’un de fiable (condition préparatoire)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

PROCLAMER :
asserter P
publiquement (mode d’accomplissement)
de manière solennelle et officielle (mode d’accomplissement)
le public n’est pas au courant (condition préparatoire)

SE PLAINDRE :
asserter P
le locuteur n’est pas satisfait de P (condition de sincérité)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

SE LAMENTER :
asserter P
avec grande tristesse (condition de sincérité)
le locuteur n’est pas satisfait de P (condition de sincérité)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

VANTER :
asserter P
avec fierté (condition de sincérité)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

SE VANTER :
asserter P
avec fierté (condition de sincérité)
en se vantant soi même (condition de sincérité)
P renvoie à un état de choses mauvais (condition préparatoire)

12
ATTRIBUTS, TABLES ET TOPIQUES

1) Attribut, table et topique du niveau 0:

2) Attribut, table et topique de la catégorie B:

13
3) Attributs, table et topique de la catégorie C:

14

Vous aimerez peut-être aussi