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TABLE

J.-B. Pontalis Bornes ou confins? 5

I
Sândor Ferenczi Principe de relaxation et néocatharsis. 19
Ronald Fairbairn Les facteurs schizoïdes dans la personnalité. 35
Suivi de A propos de Fairbairn par J.-B. Pontalis. 56
W. R. Bion Différenciation de la part psychotique et de la part non psychotique
de la personnalité. 61
D. W. Winnicott Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de
l’enfant. 79

II
Hanna Segal D’un système délirant comme défense contre la résurgence d’une
situation catastrophique. 89
Jean Bergeret Limites des états analysables et états-limites analysables. 107
Olivier Flournoy Les cas-limites : psychose ou névrose ? 123
Joyce Mc Dougall Le psyché-soma et le psychanalyste. 131
M. Masud R. Khan La rancune de l’hystérique. 151

III
Denise Braunschweig
et Michel Fain Du démon du bien et des infortunes de la vertu. 161
J.-C. Lavie Absence de quoi ?... Beaucoup de bruit pour rien. 179
Georges Favez La résistance de l’analyse. 193

IV
Anna Freud Difficultés survenant sur le chemin de la psychanalyse. 203

André Green L’analyste, la symbolisation et l’absence dans le cadre analytique. 225


Table, par auteurs, des numéros I à X. 259
Denise Braunschweig et Michel Fain

DU DÉMON DU BIEN
ET DES INFORTUNES DE LA VERTU

« Analysabilité » (ou plutôt à ses limites) titrait le thème qui nous fut proposé,
mais ce mot, diabolique à prononcer, nous amena discutant de ce travail à le baptiser
« Anna Lisa », sans trop prévoir consciemment que nous infléchissions ainsi une cer­
taine démarche : d’Anna (O.) à Léonard (’O) en passant par la « lyse » d’un sourire
ambigu; ou encore : d’un fantasme hystérique d’enfantement au choix sexuel exclusif
d’un double, aux dépens de la loi de perpétuation de l’espèce. Nous voici donc enclins
par le Malin à traiter ce sérieux sujet comme une affaire de diablerie. Le Malin pour­
tant possède plus d’une malice dans son « sac » et tend souvent ses pièges sous un
masque de vertu habilement fardé des plus louables intentions. Freud, lui, s’embar­
quant pour les Amériques et parlant dans une boutade célèbre d’y apporter la peste,
se vantait certes quelque peu à sa façon — mais sûrement pas d’être, comme inventeur
et promoteur de la psychanalyse, un nouveau Rédempteur offrant de donner le bonheur
sur terre à d’éventuels adeptes. En 1937, il écrit « Analyse terminée, analyse inter­
minable », texte qui représente le bilan de son expérience psychanalytique, directe et
indirecte, et un commentaire soucieux et questionneur de ce bilan. En 1966, la Société
psychanalytique de Paris a organisé un colloque autour de la relecture d’« Analyse
terminée, analyse interminable 1 » — et déjà les propos tenus à l’époque tendaient à
substituer au problème posé par l’interminabilité de l’analyse celui des limites de
l’analysabilité. Nous ne voudrions pas aujourd’hui, en 1974, accepter sans discussion
préalable un déplacement qui semble écarter a priori l’aporie temporelle au profit d’une
évaluation, en quelque sorte spatiale, d’une étendue, d’un champ d’application, d’un
bornage de la thérapeutique psychanalytique.
En 1966, Ch. David n’a pas hésité à intervenir sur ce point précis du temps dans
la vie psychique, corrélatif du temps de la cure. Il a attiré l’attention sur une contradic­

1. En relisant « Analyse terminée, analyse interminable », Revue française de psychanalyse,


XXXII, 1968, n° 2.
IÔ2 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

tion apparente entre les vues métapsychologiques de Freud quant à l’intemporalité


spécifique des processus primaires de l’inconscient et ses conceptions de la théorie
de la technique psychanalytique qui supposent une évolutivité, une possibilité de
remaniements, en un mot de changement1 donc de soumission à un certain ordre
temporel des contenus de l’inconscient en fonction d’événements divers parmi lesquels
figure en bonne place l’interprétation fournie par le psychanalyste quand, activé
par la répétition transférentielle, un conflit psychique se manifeste en séance, soit
sous une forme verbalisée, soit sous celle d’un obstacle à la verbalisation, obstacle que
l’objectif premier sera de faire exprimer au patient et d’interpréter en fonction de
son passé.
En résumé, et sans entrer dans le développement d’un article d’une grande
complexité, Freud donne comme facteurs (non limitatifs d’ailleurs) d’interminabilité
de l’analyse, d’une part, l’inanalysabilité de certains obstacles : résistances qu’il cherche
à dénombrer et dont les plus redoutables seraient fonction de la force pulsionnelle;
d’autre part, l’insuflisance de la répétition transférentielle quant à l’actualisation de
certains conflits inconscients. C’est-à-dire que la limite temporelle d’une analyse pour­
rait être indéfiniment repoussée soit par un excès d’intemporalité des contenus refoulés,
interminablement maintenus inconscients par une résistance équivalente à une répéti­
tion agie; soit par un excès de temporalité qui ferait de la survenue d’un événement
concret, actuel, la condition d’émergence d’un conflit inconscient. Cependant, dit
Freud, il n’est pas concevable qu’un analyste se montre délibérément désagréable à
l’égard de son patient pour que les virtualités de réponse agressive et les forces qui
maintiennent celle-ci refoulée se manifestent dans l’analyse, permettant ainsi la
remémoration de souvenirs traumatiques de l’enfance ou la reconstruction de ces
traumatismes passés à partir de la réactivation des traces mnésiques qu’ils ont laissées.
Ainsi, tout ce préambule avait pour objet d’intégrer, dans une discussion qui
concerne les limites de l’analysabilité d’un individu donné, la prise en considération,
dans l’examen en totalité de son fonctionnement mental, du facteur temporel. Il vaut
la peine, pensons-nous, d’y insister dans la mesure où cette notion de temporalité —
intemporalité est susceptible, selon qu’elle est ou non prise en compte, de nous per­
mettre de distinguer de perspectives psychothérapiques, même si elles ont pour
tenants des psychanalystes qui les déclarent psychanalytiques, des perspectives qui
s’efforcent de ne négliger aucun des aspects des trois grands chapitres de la méta­
psychologie freudienne : topique, dynamique, économique. De ces trois points de vue,
c’est le premier qui se trouve le plus souvent négligé par les possédés du « démon du
bien » auquel nous faisions allusion, ceux qui, justement, lorsqu’ils parlent de régres­
sion dans le cours du processus psychanalytique, évoquent volontiers la régression

i. Cf. l’excellente étude de ces positions dans l’évolution des idées freudiennes par D. Wid-
lôcher, Freud et le problème du changement, P.U.F., 1970.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 163

libidinale et la régression du moi, toutes deux inséparables d’une conception géné­


tique de l’appareil psychique, mais rarement, pour ne pas dire jamais, une régression
topique, la seule qui comporte vraiment ce facteur temporel et met en question l’in-
temporalité des processus primaires. Bien sûr, les psychanalystes qui ne rejettent pas
a priori une conception structurale du psychisme sont beaucoup plus disposés à s’y
intéresser, ce qui n’est paradoxal qu’en apparence.
En 1966, au « pessimisme freudien » de 1937, pessimisme blessant, à l’époque
déjà, pour les espoirs marqués par un reste de mégalomanie infantile, des nouveaux
adeptes de la jeune science psychanalytique, il fut objecté que le processus psychana­
lytique était par essence interminable; la fin d’une analyse ou son terme, l’atteinte de
son but, devait ainsi être assimilé à l’acquisition par l’individu de la capacité 1 de
poursuivre seul, en l’absence d’un auditeur concret (le psychanalyste), et privé du
protocole de la cure, son auto-analyse. Cette réponse à la question posée par Freud à
ses successeurs en 1937 (Freud pensait en elfet n’avoir pas lui-même, en dépit de la
complexité de sa réflexion, résolu le mystère de l’interminabilité de certaines analyses)
nous paraît aujourd’hui se réduire à un déplacement du champ de l’illusion. Menacée
du dehors et du dedans par une évolution historique qui semble dépasser le Malaise
dans la civilisation, pour devenir une « crise » de civilisation, la psychanalyse, repré­
sentée par des psychanalystes dont le domaine de la toute-puissance est menacé d’un
rétrécissement, tend, elle, à être transformée en idéologie par ces mêmes psychana­
lystes. C’est pourquoi, semble-t-il, ceux-ci ont réagi au cours de ces dernières années
selon deux modes apparemment opposés : d’une part, certains, croyant enrichir l’héri­
tage freudien, ont tenté d’intégrer à celui-ci des données provenant de « sciences »
hétérogènes à la démarche psychanalytique comme la psychologie expérimentale
(l’observation en particulier), l’ethnologie et surtout la linguistique; d’autre part, et
sans doute est-ce dans cette optique qu’il nous est demandé de faire le point aujour­
d’hui en 1974, fixer des limites à l’analysabilité correspondait dans une certaine mesure
à un désir de récupérer la toute-puissance perdue en en restreignant le champ d’appli­
cation. De ce double mouvement contradictoire résultent cependant deux consé­
quences qui, dans la pratique, ont un effet positif : d’un côté, l’aspect verbal de la
cure, où les mots, leur liaison entre eux, leur liaison et leur déliaison avec des repré­
sentations de choses, leur décomposition ou, au contraire, leur arrangement syntaxique,
a repris pour beaucoup l’intérêt que Freud lui avait toujours témoigné au niveau de
l’interprétation et de la métapsychologie; d’un autre côté, à une restriction du champ
de la psychanalyse stricto sensu a répondu une tendance à l’élargissement du champ
de ses applications en particulier au domaine de la psychose, de la psychosomatique
et de la « psychanalyse » des enfants 2.
1. Capacité assimilée elle-même à une fonction du moi.
2. Le constat d’inanalysabilité tend à étendre les indications de la psychothérapie, laquelle
n’est pas dans son essence spécifiquement psychanalytique.
164 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

Compte tenu de ces faits, que pouvons-nous penser en 1974 des renoncements
de Freud en 1937 à ses ambitions thérapeutiques antérieures? les deux grands obstacles
auxquels il s’était heurté étaient selon lui : la résistance du ça (commandant en fait
celle du moi et du surmoi), résistance due à la force pulsionnelle, autrement dit à
l’instinct de mort opposant aveuglément la compulsion de répétition à toute tentative
de libération libidinale; deuxièmement, une certaine impuissance du « moteur »
transférentiel; et, réunissant ces deux grands obstacles, ce qu’il a appelé le roc du
biologique et plus précisément le refus de la passivité (féminité) chez l’homme; et le
refus, chez la femme, de renoncer à son envie (narcissique) du pénis. L’expression
« roc du biologique » étonne sous la plume de Freud, comme si lui-même refusait de
renoncer à sa croyance selon laquelle le complexe psychique de castration était suscep­
tible, en fonction de la thérapeutique psychanalytique, de donner lieu, du moins en ce
qui concernait ses effets pathogènes, à des sublimations. Mais revenons-en à la notion
de résistance, inséparable, pour Freud en 1937, de celle de force pulsionnelle. A. Green
a écrit dans le Discours vivant1 que c’est sa mise en échec, par la constatation chez
certains patients d’une réaction thérapeutique négative, qui a conduit Freud à modifier
sa théorie des instincts et à reconnaître le ça, lieu d’affrontement des instincts de vie
et de mort, en tant qu’instance de la personnalité. Ici, il ne s’agit plus d’interminabilité,
qui, tout autant que la fuite dans une apparente guérison, peut se rencontrer au cours
de l’analyse des hystériques (ou des névrosés de transfert en général dont le noyau
est le conflit œdipien : l’hystérie d’angoisse); les hystériques, quelle que soit leur souf­
france affichée, renoncent difficilement aux compromis névrotiques qui leur per­
mettent de mener une vie de plaisir inconsciente; mais là règne Ëros avec les trans­
gressions qu’il inspire, il s’agit du domaine premier des découvertes psychanalytiques,
celui de l’interprétation, des retours, sous forme de rejetons — comparables aux
formations oniriques du refoulé secondaire. La réaction thérapeutique négative n’est
pas explicable par des phénomènes qui se dérouleraient entre les parties inconscientes
du moi et du surmoi, elle ne se laisse expliquer en effet ni par la névrose d’échec, ni
par le masochisme moral transféré dans la situation analytique 2. Cliniquement, la
réaction thérapeutique négative se manifeste, en résumé, par les caractères suivants : le
patient en cause a commencé par apporter du matériel analysable, par associer, par se
défendre, bref, par se comporter comme il convient sur le divan 3; alors le psycha­
nalyste de son côté fournit des interprétations, correctes en principe. Mais, curieuse­
ment, ces interprétations amènent un effet paradoxal : au lieu de donner lieu à un
enrichissement du discours, à des nouvelles remémorations, à des associations, à des

x. A. Green, le Discours vivant, coll. « le Fil rouge », P.U.F., 1973.


2. Cf. S. Freud, « le Problème économique du masochisme » (1924).
3. J. Mc Dougall a fait une description proche de ceci à propos de patients conformistes qui
le sont aussi sur le divan, description suivie d’une interprétation psychanalytique très fine de
cette situation : « l’Anti-analysant en analyse », in R. F. P., XXXVI, 2.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 165

récits de rêves, etc., on dirait qu’elles éteignent les réminiscences et effacent les
traces mnésiques du refoulé secondaire. Il n’y a plus d’hystérie dans le discours, plus
de manifestations évoquant le fonctionnement des fantasmes originaires, sans qu’appa­
raissent pour autant des signes permettant au psychanalyste de penser que la libido de
son patient a trouvé dans la vie de nouvelles possibilités d’investissement — bien au
contraire, on se trouve en présence d’un fonctionnement mental en voie de dégradation,
tournant à vide, répétitif, monotone.
Faut-il en déduire que la force pulsionnelle, celle de l’instinct de mort nommé­
ment, est responsable de la transformation de l’activité interprétative du psychanalyste
en entreprise de démolition? L’un de nous x, à partir de la remarque de Freud en 1937
sur l’impossibilité pour un psychanalyste d’être volontairement agressif avec un
patient, a tenté d’imputer des difficultés techniques, apparentées à la réaction théra­
peutique négative, à un excès de bienveillance dans la neutralité du psychanalyste. Cet
excès de bienveillance, outre l’effet d’un trop de présence s’opposant à la perception
d’un manque, stimulateur d’associations de représentations, aurait pu s’opposer à
l’issue, puis à l’utilisation, à des fins de désexualisation du masochisme, de la part de
pulsion de mort retenue au sein même de l’appareil psychique comme une source
d’énergie bloquée. Or, en écrivant ces temps derniers en collaboration un livre sur le
fonctionnement de l’appareil psychique12, nous avons été amenés, non sans discussion,
à renoncer aux facilités de théorisation offertes par le concept d’instinct (ou de pul­
sion) de mort. Il se trouve qu’en renonçant à cette facilitation des idées nous sont
venues qui trouvent également à s’appliquer dans une discussion focalisée aux limites
de l’analysabilité.
Naturellement, comme on peut toujours s’y attendre, c’est la lecture de Freud
qui nous a fourni les soubassements de ces idées. Il nous a suffi de rapprocher un
certain nombre de développements de quelques textes freudiens, rapprochement que
Freud a laissé à ses successeurs la liberté d’opérer. D’abord nous avons été frappés
par la métaphore de l’onyx, veiné de diverses manières, opposé au marbre blanc 3. Le
travail du rêve, tout comme le sculpteur d’une statue, est-il dit, s’il utilise une pierre
ni lisse ni unie, doit tenir compte de ses particularités. Cette métaphore est utilisée à
propos du rôle des sensations somatiques parmi les sources du rêve; mais suit immé­
diatement le chapitre sur les rêves typiques. (Une comparaison faite par Freud bien
plus tardivement et évoquant la brisure d’un cristal en fonction de ses lignes de cris­
tallisation montre que la même idée était restée prévalente dans l’esprit de Freud.)
Or, le rêve typique n° 2 : « mort d’un parent aimé », contient la description première de
l’une de ces veinures capitales pour l’organisation de l’esprit humain, celle du complexe
d’Œdipe. Son corollaire est le rêve incestueux : « bien des humains, dans leurs rêves,
1. D. Braunschweig, « Psychanalyse et réalité », in R.F.P., XXXV, 5-6.
2. D. Braunschweig et M. Fain, la Nuit, le jour, à paraître.
3. S. Freud, l’Interprétation des rêves.
i66 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

ont partagé la couche de leur mère ». Puis Totem et tabou vient expliquer l’univer­
salité de cette veinure par les traces phylogénétiques du meurtre du père primitif.
Plus tard, le même thème sera repris, dans Moïse et le monothéisme, et sera conduit
beaucoup plus loin. Freud y montrera en effet le rôle de la culpabilité résultant du
crime : d’une part, sur les progrès de la culture qui vise à effacer la discontinuité
créée par le meurtre; d’autre part, sur le retour du refoulé, en particulier sur l’iden­
tification inconsciente au père mort qui apparaît plus tard chez le fils. Entre Totem et
tabou et Moïse et le monothéisme se situent deux chapitres de la métapsychologie qui
ont attiré notre attention parce que, tout en se succédant, ils s’opposent et que néan­
moins ils témoignent du cheminement de la pensée de Freud; il s’agit du « Complé­
ment métapsychologique à la doctrine des rêves » et de « Deuil et mélancolie 1 ».
Dans le premier de ces textes, il est dit qu’au cours du sommeil la libido du moi
régresse à l’hallucination de désir, alors que la libido d’objet se replie sur le moi :
c’est le système sommeil-rêve. « Deuil et mélancolie » évoque aussi le repli de la
libido sur le moi par obligation de désinvestir l’objet perdu, repli qui s’accompagne
des reproches que l’instance critique fait au moi, identifié « narcissiquement » à cet
objet; les reproches de l’instance critique sont tels chez le mélancolique, dit Freud,
que le moi de celui-ci ne veut plus vivre. Cependant, Freud ne dit pas ce que devient
la libido du moi de l’endeuillé, ne régresserait-elle pas aussi, à l’abri du refoulement,
à l’hallucination de désir? N’a-t-il pas parlé ailleurs de la coexcitation sexuelle liée à
la douleur, tout spécialement en 1924 dans le Problème économique du masochisme', et
a-t-il oublié son commentaire du rêve typique n° 2? Pas nous, en tout cas. Le père
mort, nous ne sommes pas les seuls à le rappeler, c’est le surmoi, lequel n’aurait pas
de raison d’être, pérennisant la menace de castration si l’inceste n’était pas inscrit dans
l’homme comme une réalité vécue et un désir inconscient inextinguible. Freud a bien
parlé à divers endroits d’un sentiment inconscient de culpabilité, mais il l’a toujours
rattaché, en tant que besoin de punition, au désir incestueux, sans faire le rapproche­
ment que nous avons effectué entre culpabilité inconsciente (et non sentiment incons­
cient) et meurtre du père en tant que « désirant », auquel succède pourtant dans Totem
et tabou le totem avec ses interdits nécessaires à la conservation de l’espèce et la
nécessité périodique de resexualiser la relation au père assassiné, ou de s’identifier à
lui après avoir échoué à braver ses interdits.
Ainsi la culpabilité inconsciente est une trace mnésique phylogénétique dont la
veinure prend une forme particulière à chaque individu, quand son surmoi se met
en place au cours du deuxième temps de la menace de castration. Dès lors, la sauve­
garde du refoulement secondaire est assurée, tandis que la crainte pour le pénis se
déplace sur le corps entier au bénéfice des instincts de conservation 2, tout en gar­
1. S. Freud, Métapsychologie.
2. Cf. D. Braunschweig, « Intervention sur le rapport de J. Chasseguet-Smirgel : Essai
sur l’Idéal du Moi », in R.F.P., XXXVII, 5-6.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 167

dant des possibilités d’oscillation qui rendent le sexe psychiquement apte à porter
le désir et le désir capable de s’halluciner comme évanouissement du sujet dans la
jouissance. Cependant, cette hallucination ne peut laisser d’autre trace que celle du
rien que si elle n’est pas poussée jusqu’à l’achèvement; l’image mnésique, selon
Leclaire J, sert à alimenter l’hallucination de désir tout en la retenant de disparaître,
le rêve est alors mémorisable.
D’autres rêves ne le sont pas, l’hallucination menée jusqu’à son terme, tel un
acte sexualisé, est retournée directement dans l’inconscience. Nous avons rapporté
ce fait à une sexualisation de la fonction de censure 12. L’instinct de conservation qui
réclame la meilleure qualité possible du sommeil est ainsi satisfait en même temps que
le désir incestueux; mais alors, par cet acte qui conjugue au maximum de désexuali­
sation le maximum de sexualisation, le sujet a réellement fait disparaître le père et
son désir tout comme, momentanément, il a disparu lui-même. Si cette trace de non-
trace est agissante, ce n'est pas en tant que pulsion de mort mais parce qu'elle identifie le
sujet au vagin refoulé et irreprésentable de sa mère et parce qu'elle a pour contrepartie
la culpabilité inconsciente liée au père mort. En fait, il s’agit bien d’une régression à
la fois topique et temporelle, celle-là même dont nous avons signalé l’importance
pour apprécier les limites de l’analysabilité, régression dont il importe d’évaluer
l’importance.
Les auteurs anglo-saxons en général et post-kleiniens en particulier accordent
un rôle primordial à la mère et à la relation manifeste de l’enfant aux « seins » de
celle-ci (le bon et le mauvais), mais ils ne tiennent guère compte qu’en tant que
modulations de la personnalité réelle de celle-ci et en particulier de sa propre organi­
sation œdipienne : les conceptions qu’ils ont retenues de l’œuvre de Freud, tout spé­
cialement celle de l’antagonisme instinctuel entre la pulsion de vie et la pulsion
de mort et celle de l’étayage du désir sexuel sur l’expérience de satisfaction du besoin,
les ont conduits à thématiser des techniques, à notre sens plus psychothérapiques que
psychanalytiques, qui tendent à faire du psychanalyste, même sous ses aspects négatifs
(comme contenant de l’identification projective des parties mauvaises du moi du
sujet), une mère idéalement bonne et réparatrice des dégâts résultant des temps pri­
maires; ils se sont arrangés ainsi une espèce de toute-puissance interprétative assez
peu différente de celle que P. Castoriadis-Aulagnier signale dans un article assez
récent sur lequel nous reviendrons 3 chez la mère du schizophrène ou plutôt dans la
relation de celle-ci avec son enfant. Meltzer, à sa façon un peu naïve, résume bien ces
manières de voir que nous considérons comme inspirées par le « démon du bien »,

1. S. Leclaire, Psychanalyser et Démasquer le réel. Le Seuil, Paris.


2. Cf. notre intervention (à paraître) sur le rapport de J. Rallo Romero, M. T. Ruiz de
Bascones et C. Zamora de Pellicer, « les Rêves comme unité et continuité de la vie psychique »,
rapport présenté au XXXIVe Congrès des psychanalystes de langues romanes.
3. Piera Castoriadis-Aulagnier, « le Sens perdu », in Topique, n° 7-8.
i68 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

ou plutôt la démone, puisque l’insistance dans l’interprétation de la relation au sein


dénie constamment le refoulement primaire du vagin — zone érogène de la mèrel.
Meltzer, donc, croit à une « histoire naturelle » du développement de l’appareil
psychique, histoire naturelle que le processus psychanalytique serait capable de
reconstruire — grâce au transfert et à l’acceptation par le patient de sa dépendance
par rapport à l’objet narcissique, objet du besoin, que le psychanalyste se propose
d’être pour lui. Ainsi, pensent les kleiniens, peut s’instaurer la phase dépressive,
clef de voûte de l’accession génitale, sans trop s’inquiéter du fait que la dépression, en
effet caractérisée par la relation de dépendance à un objet du besoin, ne paraît pas
pouvoir être considérée comme le but le plus souhaitable à atteindre pour un psycha­
nalysé quelconque. Les kleiniens, il est vrai, croient à l’existence d’un moi2 dès
le début de la vie et à la précocité de son clivage défensif en bonnes parties à garder
et mauvaises parties à rejeter dans un contenant apte à les rendre bonifiées au sujet.
La notion freudienne de l’après-coup (notion temporelle et diachronique) n’est pas
prise en compte dans leur théorisation.
Notre démarche s’inscrit à l’inverse de la leur en ce sens que l’oscillation, et non
le clivage, nous l’avons repérée chez la mère : tantôt mère, tantôt femme; tantôt
rêvant la nuit, tantôt veillant le jour à la conservation de son bébé, tantôt vivant à son
contact érotique des identifications hystériques, tantôt refoulant sévèrement celles-
ci, ce qui constitue à la fois le contenu sans représentation de choses de l’inconscient
primaire (la pulsion vaginale), son contre-investissement et la potentialité de mise
en place des fantasmes originaires propres à organiser les contenus à venir du refoulé
secondaire.
Nous avons donc distingué au niveau de la mère deux représentations du bébé,
antagonistes et créatrices d’une différence originaire, au moins dans l’après-coup,
de toutes les autres différences : un bébé de la nuit, halluciné au cours du rêve, figura­
tion érotique du désir pour le pénis du père de cette mère, et un bébé du jour, bébé
réel qui, lui, satisfait le besoin d’être mère et donne la preuve tangible de l’amour
d’un couple auquel participe un père réel. Le bébé de la nuit, dans cette condensation
propre au travail du rêve, est un [péniscorpsenfantvagin] maternel, un enfant-chose
sans sexe propre et sans nom, une chosification du pénis du père œdipien de la mère.
Or, de jour, ce pénis chosifié est un « bébé réel » perceptible et accusant le manque
à percevoir le précédent, donc ainsi producteur chez la mère de pensées latentes ali­
mentant de nouveaux rêves qui donnent lieu à leur tour à des images mnésiques qui
vont doubler le bébé matérialisé. Cette oscillation prend toute sa force quand la femme
repoussant la mère fait place au désir de son partenaire sexuel. Freud, finalement, n’a
pas rapproché du clivage du moi le jeu de la bobine qui reprend en s’en détachant le

1. Cf. D. Meltzer, le Processus psychanalytique, Payot, 1971.


2. Au sens de la seconde topique freudienne.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 169

jeu femme-mère. Mais c’est là où l’organisation œdipienne de la mère vient jouer un


rôle de premier plan sur l’organisation topique de l’appareil mental de l’enfant.
L’organisation œdipienne de la mère joue sur plusieurs plans : banalement chez elle
le fantasme de désir œdipien est double : hétérosexuel et homosexuel. Son désir
érotique pour le pénis de son père a succombé au refoulement quand son surmoi
paternel s’est mis en place et plus tard c’est un autre, son partenaire sexuel, qui, selon
la loi, lui a révélé l’érogénéité de son vagin. Pourtant, l’affaiblissement du surmoi au
cours du sommeil a permis l’hallucination de désir de ce bébé de la nuit figurant
dans la condensation [péniscorpsvagin], la réalisation incestueuse avec son père. Par
suite, de jour, et au contact du corps érotique du bébé, elle lui a transmis des iden­
tifications hystériques à son désir inconscient pour le tiers manquant, lequel s’est
confondu avec le père réel quand la femme en elle a refait place au désir de celui-ci;
en même temps, le babil adressé à son bébé prenait valeur de récit phonématique
du rêve où il figurait comme « bébé de la nuit », tandis que son surmoi1 et la maté­
rialité du même bébé « de jour » pour le père réel qui lui transmettait son nom lui
faisaient craindre pour le [corpspénis] de ce bébé et plus encore pour son pénis réel
quand elle avait l’occasion d’observer chez lui des manifestations auto-érotiques,
aussitôt interprétées préconsciemment comme incestueuses. Cette dernière crainte
amène donc la mère, de façon banale, à faire alterner avec sa relation érotique et avec
ses identifications hystériques au bébé une action désexualisante qui comprend la
transmission verbale de ses inquiétudes et qui constitue le premier temps de la menace
de castration.
D’un autre côté, son désir homosexuel œdipien a fait l’objet de la part de sa
propre mère d’une censure dont la fonction est avant tout d’assurer le refoulement
originaire, de fournir les contre-investissements nécessaires à ce que la « pulsion
vaginale », que l’enfant soit fille ou garçon, ne sorte pas de l’inconscient primaire —
c’est-à-dire à ce que n’émerge pas chez cet enfant l’identification à la condensation
qui affecte le bébé de son rêve, identification d’où ne pourrait naître que l’irrépressible
désir de redisparaître en elle, de ne pas vivre. Cependant aussi, ce qui de jour n’est
ni pensable, ni représentable, ni nommable peut se passer la nuit au cours du rêve
où la sexualisation de la fonction de censure chez la mère fait disparaître le « bébé
de la nuit » dans l’inconscience du sommeil profond. Cette disparition du rêve qui
représente l’inceste de la mère-fille avec sa propre mère, en ne laissant que la
perception de l’encadrement par le manque à être perçu du « bébé de la nuit » chosi-
fié, prend ainsi sa fonction dynamique sur la pensée et se rattache au fantasme ori­
ginaire de castration. L’homosexualité féminine « normale » se trouve ainsi marquée
par le deuil du renvoi dans l’inconscience de l’inceste fille-mère. Mais c’est pour­
tant ce fond primaire de l’inconscient humain, avec son haut pouvoir d’attrait sur les

1. Le surmoi paternel de la mère.


170 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

contenus figurés du refoulé secondaire, qui constitue la force pulsionnelle redoutable


à laquelle Freud imputait ses échecs. Nous avons nommé, faute de mieux, « pulsion
vaginale » cette aspiration à se faire disparaître psychiquement en totalité, un des
aspects de la vie mentale attribuée par Freud à la pulsion de mort1. Il s'ensuit que
la restriction des limites de Vanalysabilité d'un sujet donné sera fonction de l'étendue
des transgressions mentales de sa mère dans le domaine de sa relation homosexuelle avec
sa propre mère, ainsi que d'un excès de désexualisation qui va de pair avec la crainte
éveillée par la disparition du « bébé de la nuit » pour le bébé réel (celui du jour). L’excès
de désexualisation n’opère pas de décondensation du [corpspénisbébéchose], il laisse
le danger de castration porter sur le corps entier menacé de disparition; il élève au
maximum la culpabilité inconsciente du sujet mis hors d’état de resexualiser le fan­
tasme de castration par un père réel et désirant2. Au pis, l’enfant d’une mère dont
l’homosexualité latente dépasse les limites habituelles est menacé de psychose; moins
gravement, il a toute chance de devenir homosexuel (ou pervers de quelque façon,
avec un fétichisme dominant); dans les limites banales se situent les névroses où l’équi­
libre se fait entre pulsion vaginale et culpabilité inconsciente à partir de la mise en
fonction des fantasmes originaires. C’est pourquoi nous avons, un peu légèrement,
déclaré nous situer entre Anna O., la grande hystérique, parlant ses fantasmes avec
son corps sexualisé et plein de l’hallucination du « bébé de la nuit », sans bébé réel; et
Léonard’O, l’homosexuel célèbre auquel Freud s’est intéressé, peignant l’[enfant-
corpspénis] entre les deux femmes : Anne et Marie, la mère et la fille.

Avant de revenir plus précisément au sujet qui nous préoccupe de la cure psy­
chanalytique en elle-même, et pour réduire à quelques notions simples les considé­
rations précédentes, disons seulement que la différenciation corps-pénis corrélative
du deuxième temps de la menace de castration (perception de la différence des sexes),
avec organisation autonome des instincts de conservation et mise en place du surmoi,
doit avoir été précédée d’une différenciation opérée par la mère, en fonction de sa
propre organisation œdipienne, de la nuit et du jour. Cela est indispensable pour que
la fonction du préconscient : la liaison et l’oscillation entre les représentations de
mots et des représentations de choses se prêtant à la figuration du double sens dans
les rêves, à la suite de pensées verbalisables mises en latence pendant la vie vigile,
s’effectue convenablement.

x. Nous retrouvons ici, bien qu’ayant suivi des voies différentes, un avis qui concorde
avec celui de R. Barande sur la « Pulsion de mort » comme non-transgression de l’inceste, R.
F.P., XXXII, 3. Cette aspiration trouve d’ailleurs dans le bouleversement topique corrélatif de
l’orgasme une brève réalisation.
2. C’est ainsi que Freud a décrit le masochisme féminin érogène chez l’homme.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 171

Cela rappelé, notons que pour nous les limites théoriques et utopiques de l’ana-
lysabilité pourraient se définir à un pôle par un « analysant » qui n’aurait besoin que
du protocole analytique et d’un auditeur dont il ne serait exigé que de ne pas rompre
le fil du discours analytique; et, à l’autre pôle, par un psychanalyste sans défaut,
capable de reporter à l’infini les limites de l’analysabilité. Cette capacité serait fonction
d’une technique permettant à la fois : de réduire les inconvénients d’une insuffisance
des contre-investissements primaires, de mettre en circuit les fantasmes originaires,
de donner toute sa place à l’inconscient secondaire en y favorisant le jeu du double
sens inhérent à la représentation de chose, séparée de la représentation de mot, mais
gardant cependant son lien avec le langage grâce à l’interprétation judicieuse des
pensées latentes, etc.
Autrement dit, les limites de l’analysabilité ne pourraient théoriquement être
étudiées que pour chaque situation psychanalytique, laquelle comporte, à un moment
donné de la vie et de la conjoncture des deux protagonistes de cette situation, des
variables qui n’appartiennent qu’à ce psychanalyste et à ce patient et à ce qui se joue
entre eux1. S’il est artificiel de séparer dans cette étude chacun d’eux, il est néanmoins
plus facile de parler du premier (du moins nous semble-t-il).
Laissons de côté les raisons en apparence objectives qui font que tel psychana­
lyste va décider de prendre en analyse tel demandeur qui se présente : le nombre
de ses patients, l’éventail de leurs organisations mentales 2, l’honnêteté et la bonne
éducation du consultant, ses moyens financiers, etc. Il faut parler alors du désir d’être
psychanalyste en général, du désir d’être le psychanalyste d’un certain patient en
particulier.
Le désir d’être psychanalyste renvoie non pas à une limite de l’analyse mais à
son interminabilité. Sur ce sujet nous ne pouvons que renvoyer aux travaux de
C. Stein 3 et à son enfant imaginaire; cet auteur montre sans relâche que l’auto-
analyse ne peut pas se pratiquer solitairement (comme cela avait été avancé au Col­
loque de 1966, par l’acquisition d’une fonction auto-analysante du moi), que le psy­
chanalyste a besoin pour analyser et s’auto-analyser en même temps de s’approprier
le thème de l’autre, de rerêver son rêve, et, dans un article « Sur l’écriture de Freud »,
Stein montre habilement que Freud ne procédait pas autrement, c’est-à-dire en utili­
sant ses capacités d’identification hystérique. Ainsi le désir d’être psychanalyste
procède-t-il du désir de faire parler son propre enfant imaginaire par l’intermédiaire
du discours de ses patients. On peut même aller plus loin, à la suite des théories

1. Cf l’article de R. Barande, «A la recherche du processus psychanalytique», in Interpré­


tation, oct.-déc. 1968, vol. 2, n° 4.
2. E. Glover, dans sa Technique de la psychanalyse, avait fait il y a plusieurs années une
sorte de catalogue de cet éventail.
3. C. Stein, l’Enfant imaginaire, Denoël, et « Sur l'écriture de Freud », in Études freu­
diennes, 7-8.
172 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

que nous avons proposées plus haut, et dire que c’est le désir de trouver le contenu
de sa propre identification primaire, contenu inaccessible pourtant, qui constitue
la motivation fondamentale du désir d’être analyste et de continuer à fonctionner
comme tel. Or l’identification primaire n’est finalement que le contenu du fantasme
inconscient de désir de la mère, fantasme auto-érotique, ou hallucination de son bébé
de la nuit. Vouloir donner forme à ce fantasme à travers l’inconscient d’un autre
pourrait bien être après tout un moyen mieux adapté que le délire d’influence, les
sentiments d’étrangeté, la projection paranoïaque, pour maintenir une décondensa­
tion réussie et mobile, c’est-à-dire réversible, de la condensation [péniscorps] trans­
mise par l’inconscient maternel du psychanalyste, un moyen de luxe en quelque
sorte pour que fonctionne la formule suivante : pénis corps.
Le désir d’être le psychanalyste de tel patient donné suppose évidemment
qu’un contre-transfert existe d’emblée. M. Neyraut1 a montré récemment que chaque
patient était l’objet de la part de son psychanalyste d’un désir particulier et il a fort
intelligemment défendu l’opinion que le transfert était secondaire, ou corrélatif,
au contre-transfert, à l’encontre des opinions généralement émises. De fait, ils sont
indissociables. Mais si l’on considère que le contre-transfert comme le transfert est
une répétition inconsciente qui découle d’une réactivation des traces mnésiques,
on peut se demander si la décision d’accepter la demande d’analyse de tel sujet ne
fait pas suite à un manque à percevoir, à une lacune non repérée consciemment dans
le discours de ce dernier au cours du ou des entretiens préliminaires. Cette lacune,
ce trou peut avoir donné lieu dans le préconscient du psychanalyste à des pensées
latentes activant des contenus inconscients et suivies la nuit suivante de rêves ou non
mémorisables. Le prétendant au divan est vraisemblablement déguisé dans de tels
rêves, mais par son aptitude à figurer dans l’hallucination de désir de l’analyste,
celui-ci se l’approprie « égoïstement ». Un fait de cet ordre peut évidemment débou­
cher sur une évolution satisfaisante au cours de l’analyse, mais il peut aussi laisser
subsister et se reproduire, au nom du principe de plaisir de l’analyste, des scotomes
par rapport aux lacunes du matériel. Si le psychanalyste fait ainsi l’économie d’une
somme importante de culpabilité inconsciente découlant de son activité interpréta­
tive désexualisante, il n’est pas certain que ce soit au bénéfice de la limite optimale
de l’analysabilité de son patient. Sans être bien sorcier, on peut prévoir que dans de
tels cas l’évitement interprétatif portera sur l’élaboration de l’angoisse de castration.
Un autre cas peut se présenter comme émouvant inconsciemment chez l’analyste
son ancien désir de faire comme sa mère un enfant à son père avec tous les aléas impli­
qués par une telle identification. L’un de ceux-ci et peut-être le plus important, c’est
que l’analyste risque de répéter dans son contre-transfert la condensation [corpspénis]
du rêve « bébé de la nuit » de la mère du patient, lequel deviendrait ainsi son « pénis

I. M. Neyraut, le Transfert, coll. « le Fil rouge », P.U.F., 1973.


DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 173
maternel1 » menacé de disparition, disparition qui lèverait le contre-investissement
primaire de sa propre « pulsion vaginale ». En conséquence il va craindre avant toute
chose que son patient ne disparaisse, ne le quitte, et, craignant l’émergence transféren­
tielle de fantasmes de désir susceptibles de provoquer cette fuite, il va tenir au patient-
[enfantpénis de son père] des propos cherchant à désexualiser tout fantasme érotique
l’incluant. Malheureusement, il reproduit en cela sans le savoir le premier temps de la
menace de castration qui, le second ayant été vécu, se resexualise et devient une
scène de séduction par la mère en conformité avec le fantasme originaire de séduction
de l’enfant par l’adulte. Le moi (seconde topique) du patient va donc durcir sa résistance
contre la poussée pulsionnelle primaire, celle qui est porteuse du discours pulsionnel
d’un analyste qui le considère comme son propre pénis menacé. Il en irait de même,
sans responsabilité inconsciente de l’analyste (si ce n’est celle d’avoir accepté ce
patient), si le patient présentait des aspects paranoïaques importants. Les mots, sexua-
lisés de façon primaire, visent pour un paranoïaque le vagin irreprésentable et lui font
revivre d’une façon insupportable ce dont il cherche à se défendre par ses projections,
c’est-à-dire son identification à cette condensation de son corpspénis au vagin maternel.
D’un autre côté, nous avons dit que l’une des qualités requises pour une technique
psychanalytique qui repousserait au plus loin les limites de l’analysabilité comporte­
rait en premier lieu la fourniture de contre-investissements primaires là où ils ont été
défaillants. Or le seul moyen, en transfert maternel, de renforcer ces contre-investisse­
ments consiste dans l’interprétation des identifications hystériques réciproques au
désir inconscient de l’autre pour le tiers manquant. Si le psychanalyste, mû par son
contre-transfert fait d’identifications à une mère refusant la femme, prétend être le
seul objet du désir, il tend du même coup à libérer la « pulsion vaginale » mais aussi, et
corrélativement, à détruire la bisexualité et le double sens. Il crée une situation compa­
rable à celle de la relation hypnotiseur-hypnotisé, exclut la fonction du préconscient
et son verbe « commandant » interdit la figurabilité des représentations de mots par des
représentations de choses; cela aboutit à une chosification-mortification du langage, à
un déplacement sur ce langage fixé, à une inversion du trajet des tensions d’excitation
qui auraient eu tendance spontanément à suivre les innervations correspondant aux
traces et images mnésiques. C’est à ce mode d’interprétation qu’on pourrait attribuer
la responsabilité de l’analyste dans une réaction thérapeutique négative. A la menace
de libération de la « pulsion vaginale » fait écho une désexualisation massive et par
suite un renforcement considérable de l’activité de la culpabilité inconsciente.
Plus généralement, on peut constater qu’un certain type d’interprétation, ou d’in­
terventions, dont l’inspiration trouve son origine dans des théories de l’analyse du moi,
et qui ne dissimulent pas leur intention d’obtenir un renforcement de ce moi (seconde
1. Nous ne parlons évidemment pas ici de quelque identification du psychanalyste à une
mère « supposée phallique » mais d’une appropriation par celui-ci de l'hallucination d’une mère
d’avoir, figuré par son enfant, le pénis de son père.
174 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

topique) et l’abandon de certaines défenses dans le but d’agrandir le domaine de ce


dernier \ contient l’exigence du psychanalyste que le sujet fasse le deuil de son hystérie,
de sa bisexualité et du désir en tant que tel. A la visée psychanalytique première dont
la condition était le renoncement à l’unicité narcissique et illusoire du « je » qui parle
(croyance entretenue par la psychologie classique) succède une démarche rétrograde
anti-analytique, à but synthétique. Il s’agit en quelque sorte d’expulser du narcissisme
primaire de l’individu le noyau auto-érotique de son hallucination bisexuelle de désir
organisée par rapport au fantasme originaire de scène primitive, au profit exclusif
d’un narcissisme secondaire fondé sur une relation à des objets réels qui n’alimente­
ront plus que la satisfaction des besoins. Ce deuil de l’hystérie, ou de la métaphore
qui comporte la constante oscillation entre la liaison des représentations de mots et
des représentations de choses et leur déliaison rendant la liberté aux images mnésiques
du refoulement secondaire de récupérer leur double sens primitif, leur capacité de
retournement pulsionnel, Freud semble s’y être résigné quand, à la suite du « Complé­
ment métapsychologique à la doctrine des rêves », il écrivit « Deuil et mélancolie » :
les identifications narcissiques constitutives du moi battant en brèche les identifications
hystériques, lesquelles permettaient au sujet de s’accommoder en organisant ses auto­
érotismes, des alternances de désinvestissements (succédant aux investissements) de la
part des objets qui avaient servi à la satisfaction des besoins.
En fait, à ce travail de deuil que le « psychanalyste du moi » exige de son patient,
celui-ci peut répondre de diverses manières : soit par une protestation érotique proche
de la coexcitation sexuelle du deuil, soit par un abandon de l’oscillation entre un sens
et son double inversé désormais impuissant à se figurer, soit par une paralysie de la
pensée, véritable conversion hystérique affectant la fonction intellectuelle, et se tra­
duisant par la sensation de vide, de trou dans le fonctionnement psychique. Mais le
sujet peut aussi revivre sa réduction à rien, à un manque à être perçu, identique au
manque à percevoir le pénis sur le pubis féminin quand le premier temps de la menace
de castration, en raison de défauts du contre-investissement primaire, est inapte à
reprendre pleinement sa valeur verbale de message désexualisant : alors le voici prêt
à faire, au moins dans le transfert, un délire de petitesse proche du délire du mélan­
colique où la différence entre « le grand et le petit » dépasse le seuil qui permet au
petit d’halluciner le désir de l’autre activé par cette différence. La régression à l’iden­
tification inconsciente au vagin irrévélable, qui place le sujet hors du discours, et qui
fait suite à l’exigence de « retour de la libido sur le moi », un moi réduit à une abstrac­
tion chosifiée (l’abstraction de la condensation [péniscorpsvagin]), ne peut être arrêtée
sur son chemin régrédient que par la haine, c’est-à-dire par une transformation de la
libido érotique en libido de conservation. Il faut alors maintenir la chose à tout prix,i.

i. Ce point de vue de technique psychanalytique est d’ailleurs en accord avec celui que
Freud défend dans la plupart de ses derniers écrits, en particulier dans l’Abrégé de psychanalyse.
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 175

ce qui correspond à ce que nous avons décrit ailleurs à propos de l’inhibition intellec­
tuelle 1 : la force d’attraction par la « pulsion vaginale » refoulée fait de l’image spécu-
laire une chose, c’est-à-dire une représentation qui ne peut se lier à une représenta­
tion de mot puisque cette dernière supposerait que la représentation de chose puisse
s’en délier et disparaître tout en suscitant l’émergence de la pensée. L’image corres­
pondante est celle d’un clitoris se retenant de disparaître dans le vagin situé derrière
lui. Ce qui assimile le fétiche non au pénis manquant de la mère mais à son clitoris.
La liaison mot-chose ne peut se concevoir que dans Yoscillation, celle-là même qui
régit en les compliquant les liens entre les pensées latentes et les images hallucinées
du rêve.
On voit que nous n’avons pu nous tenir à un plan séparant dans cette étude
ce qui reviendrait à l’un et à l’autre de deux protagonistes donnés.

Continuant dans la même voie, nous voudrions examiner un autre élément que
J.-L. Donnet et A. Green, dans leur livre l’Enfant de ça 2, donnent comme partie
prenante du contre-transfert : le savoir de l’analyste. Une lecture contiguë dans le
temps est venue s’articuler pour nous avec celle de ce livre et en résonance avec le
problème de l’« interprétation » psychanalytique, central dans une étude « aux limites
de l’analysabilité» : il s’agit de l’article de Piera Castoriadis-Aulagnier, «le Sens perdu3»,
article portant sur le livre de L. Wolfson, le Schizo et les langues 4. Le sens perdu, nous
l’entendons évidemment comme perte du « double » sens, garant de la conservation
de la différence cause du désir, de la différenciation nuit-jour, corps-pénis, de la
différenciation sexuelle. Il est intéressant de constater que, comme Freud travaillant le
cas du président Schreber sur un écrit de celui-ci, P. Castoriadis-Aulagnier appro­
fondit le rapport au verbe du schizophrène également sur un écrit, tandis que Donnet
et Green appliquent leur recherche à l’écrit qu’ils ont récupéré de la boîte à conserve
magnétophonique. Ces deux derniers auteurs le précisent, ils ont dû renoncer à leur
premier projet qui était un travail sur l’« écoute » de l’enregistrement; comme si, dans
les trois cas, une sorte d’analysabilité virtuelle n’avait pu être recréée qu’en fonction
de la restitution d’une certaine différence entre les mots « entendus » et les mots
« vus » (écrits), mots récupérant de ce fait une certaine figurabilité à défaut de celle,
renversable naturellement, des représentations de choses.

x. D. Braunschweig et M. Fain, « Intervention à propos du rapport de Danièle Flagey,


“ l’Inhibition intellectuelle ” », R. F. P., XXXVI, 5-6.
2. Aux Éditions de Minuit.
3. P. Castoriadis-Aulagnier, « le Sens perdu », in Topique, n° 7-8.
4. Paru chez Gallimard, 1970, coll. « Connaissance de l’inconscient ».
I76 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

Si Freud déclare d’emblée avant de s’engager dans l’étude du cas Schreber que le
paranoïaque se situe hors des limites de l’analysabilité dans la mesure où il est inapte
à faire confiance au psychanalyste, c’est-à-dire à établir un minimum de transfert de
base, Donnet et Green, de même que P. Castoriadis-Aulagnier, nous apportent des
renseignements plus précis quant aux raisons de ces limites. Nous citons des uns et
de l’autre des passages qui nous paraissent éloquents :
1) De l'Enfant de ça : « Z (l’enfant de ça), on l’a vu, renvoie aux limites fonction­
nelles de cette connivence du réel avec le symbolique sur laquelle repose la cure,
connivence faite d’écart et d’accord, d’un conflit dynamique où se joue l’analysabilité.
Son cas est à la fois trop réel et trop symbolique, et sa symbolique trop réalisée. Sa
situation est trop réelle pour qu’on ne soit pas tenté par sa référence au traumatique,
comme origine de sa « carence » symbolique; elle est trop symbolique pour qu’on ne
soit pas fasciné par la tentation d’une surinterprétation qui le délivre... »
Nous entendons bien par là que Z se présente comme un symbole chosifié, à
sens unique, chez qui l’oscillation entre la liaison-déliaison des représentations de
mots et des représentations de choses a été bloquée; et que cette constatation produit
chez le psychanalyste, du fait de son savoir, la tentation de surinterpréter. Il s’en garde
cependant en l’occurrence malgré la présence, signalée par les auteurs au cours de
tout entretien mené par un psychanalyste, d’un « projet thérapeutique ». La raison,
selon nous, en apparaît à un autre endroit du texte où Z est pris comme base à la
théorisation de la « psychose blanche ». « Ce qui ne peut se penser, ce qui est impen­
sable, tourne autour d’un secret indicible autant qu’impensable. Mais ce secret est
par ailleurs le secret de Polichinelle, tout le monde le connaît. » Polichinelle dans le
tiroir, pourrions-nous ajouter, comme les bonnes intentions des psychanalystes dans
le sac à malices sus-évoqué. Ce secret est celui de la silencieuse homosexualité fémi­
nine tout aussi réelle qu’impensable et indicible, parce que le vagin n’est ni pensable
ni dicible. Dans le cas de Z, le manque à percevoir la différence entre un père légitime
et un père géniteur bloque toute oscillation, Z est le fruit et le représentant d’un
inceste mère-fille achevé non pas dans un rêve, que la sexualisation de la censure
renvoie dans l’inconscience, mais dans un « non-dit » vigile, concret et présent. Or,
comme l’écrit P. Castoriadis-Aulagnier, c’est dans ces premiers échanges de « dits »
« non-dits » que la mère est la première « interprète » du nourrisson. Chez Wolfson,
la folie, sur-signification de la langue maternelle attachée à chaque chose, sans oscilla­
tion, message verbal d’un désir incestueux réciproque dont l’inachèvement n’était
pas rapportable au « nom du père », à la menace pour le pénis du garçon, cette folie
donc était le « prix à payer » pour la non-coupure dans la relation mère-fils.
2) D’après P. Castoriadis-Aulagnier, Wolfson ne peut se « guérir », c’est-à-dire
en fait parvenir à une dépression raisonnable qui lui permette de communiquer avec
les autres en utilisant ce « fameux idiome anglais », qu’en créant avec les mots-choses
sexualisés une œuvre véritable qui lui permette par des moyens compliqués, en retrou­
DU DÉMON DU BIEN ET DES INFORTUNES DE LA VERTU 177

vant des sons identiques dans d’autres langues, d’arriver à désexualiser les mots
de sa langue maternelle.
L’interprétation du psychanalyste ne doit donc pas être donnée au nom d’un
savoir qui ne peut être questionné, mis en doute, au nom d’une identification à un
instinct maternel assuré de tout comprendre des désirs et des besoins d’un enfant.
Celui-ci n’a pas alors d’autre ressource que de s’accrocher à son image spéculaire,
identifié lui-même à sa mère le regardant comme s’il était le pénis du père œdipien de
cette mère. Comme Narcisse, ce sujet serait contraint à ne plus fixer que son image-
chose pour échouer finalement à éviter de disparaître en se confondant avec elle.
P. Castoriadis-Aulagnier exprime cela d’une autre manière, mais avec des mots
que nous tenons à citer car nous les employons nous-mêmes : « Dans ce dernier cas,
écrit-elle, lorsque l’œuvre ne parvient pas à se libérer de la violence qu’impliquait
l’imposition d’une signification exhaustive des choses et des mots qui transformait la
totalité du champ sémantique en parole et message du désir maternel... l’œuvre a
pour seul but de chosifier sur la scène du monde, réduite à l’espace minimal pour que
coexistent un sujet et un miroir, l’objet “ a ”, et se sert de cet objet pour obturer toute
possibilité d’ouverture, crainte comme une faille par laquelle le flux narcissique se
déverserait pour se perdre dans le retour à la mer (à la mère). » Il nous semble que
P. Castoriadis-Aulagnier, à propos de l’œuvre qui rate son but, nous donne à la fois,
à son insu peut-être, une définition de ce qu’il est convenu d’appeler la sublimation,
et du même coup d’une certaine conception, qui n’est pas tout à fait exclue des idées
de Freud, de la psychanalyse. Un patient donné peut représenter pour un psychana­
lyste donné une « œuvre » inconsciemment auto-enfantée, au sein de laquelle ladite
« sublimation » de pulsions inacceptables à l’état cru ne sert qu’à colmater une faille
personnelle liée à son intolérance au conflit entre sa « pulsion vaginale » et sa « culpa­
bilité inconsciente »; l’œuvre en question ne peut alors qu’être ratée, fixée, mortifiée.
La tolérance au conflit est la condition même de la vie. La vie d’ailleurs comporte des
événements et ces événements, au sein d’une conjoncture, équivalent souvent à des
interprétations sauvages. Parmi celles-ci figurent les « acting » du psychanalyste (ses
absences entre autres), ceux-ci influencent directement le vécu phénoménologique du
sujet tandis que le psychanalyste, désireux de ramener la conjoncture à la situation
analytique, cherche à interpréter ce vécu en termes de névrose de transfert. Entre ces
deux modes d’interprétation se délimite aussi l’analysabilité d’un sujet donné en
fonction de sa structure et de l’habileté technique du psychanalyste.
Quelques mots resteraient à ajouter en rapport avec la deuxième partie de notre
titre pour préciser une pensée qu’implicitement nous n’avons cessé de développer,
celle qui concerne les infortunes de la vertu, c’est-à-dire les déconvenues d’un psy­
chanalyste bien intentionné (consciemment). Nous avons dit, en effet, que la qualité
du déplacement réversible pénis :<± corps, avec toutes les différences qu’il conditionne,
est à la base d’un fonctionnement sain de l’appareil mental et que cette qualité dépen­
i78 AUX LIMITES DE L’ANALYSABLE

dait d’une élaboration convenable de l’angoisse de castration à partir de la mise en


circulation de tous les fantasmes originaires (séduction, castration, scène primitive).
Cette élaboration peut être gravement entravée soit par l’importance de la condensa­
tion affectant le « bébé de la nuit » (l’homosexualité latente maternelle), soit par un
investissement libidinal insuffisant de la mère qui est restée trop femme et n’a pas
assuré correctement le refoulement originaire, soit par la faiblesse ou l’absence maté­
rielle du père réel. Par faiblesse du père, nous entendons une incapacité « vertueuse »
de ce dernier à tenir sa place entre le père castrateur et le père désirant, tout autant
qu’une défaillance chez la mère de son surmoi paternel. Cette défaillance perturbe en
particulier l’élaboration du roman familial de l’enfant. En tout cas, la voie psychanaly­
tique susceptible d’être utilisée pour défaire la condensation pathogène et atténuer la
crudité, inanalysable directement, du second temps de la menace de castration, c’est le
passage par le fantasme « on bat un enfant1 ». Ce fantasme est bien plus à construire 2
dans la situation analytique qu’à reconstruire quand les traces et images mnésiques
qui auraient dû lui correspondre sont en fait inexistantes ou quasi milles. Il importe
que le psychanalyste soit à même de faire place dans sa position contre-transférentielle,
et quel que soit son sexe, à une identification à un père sadique érotique qui bat,
châtre, viole, détruit en en jouissant l’enfant haï, le frère ou la sœur, réels ou imagi­
naires, du patient; et le patient lui-même, châtré, battu, peut ainsi accepter, si c’est un
homme, le fantasme féminin qui par identification lui permet de jouir du sexe de
l’autre, différent du sien; et, si c’est une femme, d’analyser l’homosexualité, si refoulée
et si pathogène, qui la lie à sa mère 3.
La notion de « force » ou de « faiblesse » du père, bien qu’apparaissant comme
un contenu manifeste, est une condensation. Il s’agit en fait d’une appréciation de la
pesée économique du contre-investissement. Rien ne peut s’inscrire dans l’appareil
psychique si ce n’est à l’encontre d’une pesée antagoniste. Dans cette brève contribu­
tion, notre ambition s’est limitée à donner un aperçu de notre conception de la
complexité et de la fragilité des facteurs actifs dans cette inscription.

DENISE BRAUNSCHWEIG ET MICHEL FAIN

1. Le lien de ce fantasme avec les trois grands fantasmes originaires apparaît avec une telle
force qu’on peut lui attribuer sans hésitation la valeur d’une forme typique des contenus dont
ces derniers fantasmes sont les médiateurs.
2. Nous rejoignons sur ce point l’opinion de S. Viderman quant à la construction en analyse :
S. Viderman, l’Espace analytique, Denoël, 1970.
3. Généralement dissimulée à l’abri de manifestations sado-masochiques tapageuses, sur­
tout hétérosexuelles.

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