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Propos introductifs

Maryvonne Hecquard-Théron
p. 7-8

C’est un grand honneur pour moi de prendre à cet instant la


parole.
2Je voudrais d’abord remercier les éminentes personnalités qui
ont bien voulu participer à cette rencontre et y apporter leur
précieuse contribution.
3Mes remerciements s’adressent aussi à tous les collègues, aux
jeunes chercheurs et aux étudiants, qui en dépit de leurs charges
ont contribué à la préparation de ces journées et ont tenu à être
présents.
4Ces quelques mots sont aussi prononcés au nom du président
de l’IFR, Jacques Larrieu.
5Après les premières journées de l’IFR consacrées à “ La légitimité
des juges”, déjà organisées en partenariat avec le tribunal de
commerce de Toulouse, les secondes aux “ Facultés de droit,
inspiratrices du droit ?”, les suivantes à “La propriété”, puis l’an
dernier à “La sécurité des personnes et des biens ”, j’ai le plaisir
pour la cinquième fois, au nom de l’IFR, non d’ouvrir le colloque,
le Président de l’Université vient de le faire, non d’introduire
précisément les interventions –je ne saurais empiéter et bien
incapable de le faire, sur les compétences de Corinne Saint-
Alary-Houin– mais simplement de situer les débats qui nous
réunissent.
6Je suis d’autant plus à l’aise pour évoquer leur intérêt que l’idée
du sujet n’est pas mienne, mais émane à la fois de collègues et
d’un souhait du tribunal de commerce.
7Ce colloque se veut, et doit être, exemplaire pour plusieurs
raisons :
8Exemplaire d’abord parce que vont se confronter les approches
d’universitaires et de praticiens. Le temps est révolu où évoluait
d’un côté la réflexion des universitaires planant dans un monde
d’idées coupées trop souvent du réel, et de l’autre les praticiens
affrontant au quotidien le réel et subissant les “caprices” du
législateur. L’une des ambitions de l’IFR est précisément de
croiser les deux types d’approche, de faciliter les échanges entre
praticiens et universitaires et je pense que le programme que
vous avez sous les yeux est une illustration de cette volonté.
9Exemplaire ensuite par le thème retenu. Nombreuses sont les
manifestations consacrées au bicentenaire du code de commerce
et je sais que pour certains d’entre vous c’est faire bien
d’honneur à ce texte qui n’en mérite pas tant. Et pourtant, il
fonctionne… (eppure si muove), et gouverne les échanges
commerciaux depuis deux siècles, de réformes en ajustements,
d’interprétations et d’adaptations jurisprudentielles en remises en
cause supra-nationales.
10Je suis convaincue que la rencontre de Toulouse aura son
utilité.
11Exemplaire enfin par la dimension pluri-disciplinaire
délibérément choisie. Peutêtre la publiciste que je suis devrait-
elle être complexée par rapport aux connaissances que suppose
une discipline qui a priori lui est étrangère. Pourtant, fut-ce de
manière paradoxale, le droit des affaires est devenu un lieu de
rencontre privilégié entre droit public et droit privé. Les
personnes publiques, de manière ouverte ou déguisée font du
commerce, les opérateurs privés sollicitent les interventions
publiques pour que soient fixées de nouvelles règles du jeu, pour
une modernisation du droit.
12A nous juristes, de montrer que le droit français, par sa
capacité d’adaptation permet de “faire des affaires”, pour
reprendre en français les termes d’un rapport nous mettant hors
des rangs des systèmes compétitifs.
AUTEUR
Maryvonne Hecquard-Théron
Professeur à l’Université de Toulouse. Directeur de l’IFR Mutation des Normes Juridiques
(Faculté de Droit, TACIP, UT1)

Présentation du colloque
Corinne  Saint-Alary-Houin
p. 9-11

1Lorsque l’IFR a choisi, il y a trois ans, de commémorer le


bicentenaire du Code de commerce, –même si, dès l’origine, ce
colloque a été construit en partenariat avec le président Jacques
Raibaut et le Tribunal de commerce de Toulouse– nous n’avions
pas imaginé que cette célébration serait aussi organisée par la
Conférence générale des tribunaux de commerce à Paris et dans
de nombreuses villes de Province pour montrer les liens entre ce
Code et la pérennité de la juridiction consulaire.
2Notre intention commune était, bien plus, de saisir l’occasion
des deux cents ans du Code de commerce de 1807 pour dresser
un bilan de l’évolution de la matière commerciale et pour tracer
ses perspectives d’avenir, sujet dont je voudrais vous montrer
l’intérêt avant d’en définir les contours et de vous exposer la
méthode utilisée pour l’aborder.
31. A vrai dire, pour mener à bien cette entreprise, il a fallu, au
cours de nos premiers échanges, convaincre les sceptiques et
démontrer la pertinence du sujet.
4Certains considéraient, en effet, qu’il n’y avait pas lieu de
célébrer un “mauvais code”, vilipendé par tous, qualifié souvent
de code de “boutiquiers”, de “code né vieux” parce qu’il n’avait
pas su imaginer la révolution industrielle, l’essor du capitalisme
et parce qu’il demeurait lacunaire laissant à l’écart, notamment, le
fonds de commerce, les valeurs mobilières ou la propriété
industrielle. Il ne s’agissait là, pour reprendre l’expression de
Ripert que “d’une succession de lois particulières faite dans un
ordre quelconque” incapable de rivaliser avec le majestueux Code
civil.
5D’autres contestaient le caractère fédérateur d’un tel sujet alors
que l’ambition de l’IFR est de valoriser l’interdisciplinarité
juridique. Affaire de “commercialistes”, le bicentenaire du Code
de commerce ne concernerait pas la communauté des juristes
dans son ensemble…
6Que dire aussi d’un code actuellement vidé de sa substance
d’origine dont ne demeure en vigueur qu’une centaine d’articles
et qui est détrôné par l’actuel Code de commerce, fruit de la
codification effectuée en l’an 2000 ? De quel code traiter ? Du
code de 1807 ? Il en reste peu de choses. Du code actuel ? Ce
n’est qu’une codification à droit constant qui, au demeurant avait
déjà fait l’objet d’un colloque organisé par le Centre de théorie du
droit et le Centre de droit des affaires en 2001.
7Cependant ce premier moment de doute passé, après de
nombreuses discussions, il nous est apparu que ce bicentenaire
constituait, au contraire, un champ de réflexion et de recherche
exceptionnel. Quelle aubaine pour les enseignants-chercheurs
que nous sommes d’analyser ce passage d’un “Code à l’autre”,
d’avoir sous les yeux un terrain d’investigation portant sur deux
cents ans !
8En outre, au-delà de cette simple observation de l’évolution des
normes juridiques, ce qui est bien l’objet de notre IFR, le
bicentenaire se révélait être un excellent prétexte pour apprécier
le développement et les limites du droit commercial.
9Enfin, les critiques de la Banque mondiale à l’égard du Droit des
affaires français jugé, dans ses rapports Doing business, moins
apte que le droit anglo-saxon à permettre les échanges
commerciaux a achevé de lever nos doutes. Il y avait bien là un
sujet et d’une grande actualité. Le Président de la République lui-
même n’a-t-il pas estimé, il y a quelques jours, qu’il fallait
moderniser le droit des affaires ?
10Qu’en est-il du Code de commerce, deux cents ans après ?
11C’est une véritable question de Droit qui est posée à tous les
juristes, historiens, publicistes et privatistes.
122. La légitimité du sujet acquise, restait à en définir
les contours. Très vite, l’accord a été trouvé sur la nécessité
d’adopter une démarche progressive et scientifique :
13Dans un premier temps, l’objectif poursuivi a été –et c’est
l’objet de cette matinée– de resituer le Code de commerce à son
époque, en 1807, en montrant comment il s’est propagé dans les
idées et dans l’espace. C’est “l’histoire du Code” qui appelle une
première réflexion sur l’opportunité de la codification de l’activité
commerciale.
14Dans un deuxième temps, il nous a semblé utile de rechercher
si, au-delà d’un texte imparfait, l’esprit du Code de commerce et,
au travers lui du droit commercial, soucieux de rapidité et de
sécurité, n’a pas pénétré les autres branches du Droit. Cette
“influence du Code” sera testée, bien sûr, au regard du droit civil,
mais aussi du droit public, du droit du travail ou du jeune droit de
l’environnement. Elle nous conduira aussi –et la question est très
actuelle– à identifier la place du droit pénal dans la vie des
affaires.
15Ce travail de retour sur le Code effectué, la logique nous a
conduit à le projeter dans l’espace en le confrontant aux
systèmes étrangers. Cette projection est envisagée, en quelque
sorte de l’intérieur et à l’extérieur.
16De l’intérieur, demain matin, en caractérisant la spécificité de
certaines institutions commerciales nationales, par rapport à des
solutions retenues par des droits étrangers afin, par cette
approche comparatiste, de démontrer la modernité du Code.
17Après de nombreux échanges ont été retenus deux sous-
thèmes qui nous ont semblé très caractéristiques du droit
français :
 l’organisation du patrimoine du chef d’entreprise et la recherche
de sa dissociation. D’où l’étude du bail commercial, du fonds de
commerce, des formes unipersonnelles des sociétés ou du
patrimoine professionnel.
 les liens entre le droit commercial et le tribunal de commerce,
d’où la démonstra- tion de l’évolution de la mission confiée à cette
juridiction qui d’un juge du commerce, est devenu un juge de
l’économie et qui trouve sa légitimité dans son rôle de soutien aux
entreprises en difficulté par le biais de leur anticipation.

18A l’extérieur, en évaluant, le rayonnement du code à l’étranger


ce qui suppose, par un mouvement d’aller et de retour de prendre
acte de l’internationalisation des sources du droit commercial et
des situations qu’il régit, mais aussi de démontrer que cette
internationalisation s’est traduite par le rayonnement du code à
l’étranger au travers des exemples du Japon et du monde
hispanique et que certaines règles du droit français peuvent le
rendre attractif dans un contexte de concurrence entre systèmes
juridiques.
19Le travail était colossal. D’où une réflexion sur la méthode à
adopter.
203. Pour atteindre ces objectifs ambitieux que nous nous
sommes fixés, il fallait définir une méthode et nous avons
imaginé de “varier les genres” en associant à toutes les étapes du
raisonnement les professionnels intéressés : magistrats de
carrière, juges consulaires, avocats, commissaires aux comptes,
experts-comptables, administrateurs judiciaires, chefs
d’entreprises, juristes d’entreprises et en leur demandant de nous
faire part de leur vision de praticiens sur le sujet traité.
21En outre, l’approche comparative destinée à révéler la
modernité du code a été conduite dans des ateliers qui se sont
tenus tout au long de l’année universitaire et qui ont réuni une
trentaine de chercheurs, universitaires et doctorants. Chaque
responsable d’atelier fera un compte rendu des réflexions du
groupe.
22Enfin le colloque se termine par une table-ronde sur
l’attractivité économique et les limites du droit français mêlant
universitaires et praticiens.
23Tel est l’intérêt de ce colloque, ses contours et la méthode
suivie… Reste maintenant à concrétiser ces projets. Souhaitons
que ce colloque nous permette de “marquer un essai” !…
AUTEUR
Corinne Saint-Alary-Houin
Professeur à l’Université de Toulouse
Directrice du Centre de droit des affaires (Faculté de Droit, CDA, UT1)

La naissance du Code de
commerce napoléonien
Fabien  Valente

p. 15-36

Déjà au XIX  siècle, certains pensaient que “c’est à propos de la


e

législation commerciale qu’on a dit avec grande raison que les


lois anciennes étaient la source des nouvelles, et qu’elles seules
pouvaient en faciliter l’étude et en préparer l’intelligence” 1. C’est
particulièrement vrai pour le Code de commerce napoléonien
dont les origines sont à présent bien connues2.
 3 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 275.

 4 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, L.G.D.J., Paris,


13ème éd., 1989, t. 1er, p. 1 (...)

 5 F. BESLAY, op. cit., p. 53.

2La question de la généalogie du Code de commerce de 1807 est


également importante au regard des critiques le plus souvent
sévères dont il a fait l’objet, puisqu’on a régulièrement souligné
son “caractère passéiste”3 en dénonçant des emprunts excessifs
au droit de l’Ancien Régime. Cette opinion quasi-unanime dans la
doctrine commercialiste était notamment celle de G. Ripert et R.
Roblot pour qui “le plus grave défaut du Code a été de reproduire
presque servilement le droit du passé, alors qu’en 1807, on
pouvait déjà prévoir la révolution industrielle” 4. Mais cette
démarche des rédacteurs du Code, si elle n’est pas contestée, n’a
pas pour autant été unanimement critiquée et on a aussi pensé
que “si le Code de commerce n’était guère qu’une édition
corrigée des ordonnances, cette circonstance fut l’une des causes
de la popularité du Code de 1807”5.
3On peut présenter sommairement la généalogie de Code de
commerce de 1807 en six étapes.
 6 E. GLASSON, Le premier Code de commerce, Mémoires de l’Académie
des Sciences morales, L. XVIII, 18 (...)

4Initialement, le Code de commerce de 1807 est issu des grandes


ordonnances de Colbert qui datent de la seconde moitié du
XVII  siècle, en particulier de l’ordonnance de mars 1673 sur le
e

commerce que l’on présente comme “le premier Code de


commerce”6 et qui est restée la base du droit commercial en
vigueur jusqu’au Code de commerce napoléonien.
 7 A. VANDENBOSSCHE, Un projet de Code de commerce sous la Régence,
Economica, coll. Droit des affair (...)

5Ce texte a ensuite fait l’objet d’une première tentative de


réforme entreprise en 1716 par les syndics de la Chambre de
commerce de Normandie7.
 8 L’expression “Code marchand” désigne communément l’ordonnance de
mars 1673 sur le commerce et est (...)

 9 H. LEVY-BRUHL, Un projet de Code de commerce à la veille de la


Révolution, le projet Miromesnil (1 (...)

6Puis, quelques années avant la Révolution, en 1778, le Garde des


Sceaux, Hue de Miromesnil, entreprend une seconde tentative de
réforme du Code marchand8 qui sera enterré avec l’Ancien
Régime9, jusqu’à ce que Napoléon Bonaparte décide d’inscrire
dans son œuvre de codification un texte ayant pour objet le droit
commercial.
 10 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée par
le Gouvernement le 13 Germinal an (...)

7En avril 1801, il nomme à cette fin une commission qui lui
présente huit mois plus tard un projet de code communément
appelé le projet Gorneau, du nom de son président10.
8Ce projet est ensuite envoyé par le Ministre de la Justice aux
tribunaux de commerce et le Ministre de l’Intérieur aux chambres
et aux conseils de commerce pour qu’ils l’étudient et
transmettent leurs observations dans un délai de deux mois. Les
tribunaux d’appel et le Tribunal de cassation ont également été
consultés à l’initiative du Ministre de la Justice Abrial qui a
remplacé Cambacéres lorsque ce dernier est devenu deuxième
consul.
 11 Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse
raisonnée des observations du Tribunal (...)

 12 Ces deux projets étaient encore inconnus avant 1992. Ils sont
mentionnés pour la première fois et (...)

9Trois membres de la commission de l’an IX, Gorneau, Legras et


Vital-Roux ont alors pour mission de modifier le projet Gorneau
en fonction de toutes les observations recueillies et leur travail
donne naissance au second projet Gorneau encore appelé le
projet Gorneau révisé11. Il faut noter que deux villes, Paris et
Lyon, ont fait mieux que de formuler des remarques plus ou
moins nombreuses sur ces projets et ont chacune proposé un
projet complet de Code de commerce12.
10Mais en raison des intérêts supérieurs que représente le Code
civil, le projet Gorneau révisé va dormir au Conseil d’Etat pendant
environ cinq ans.
11Finalement, en 1805-1806, le commerce français et surtout
parisien connaît une grave crise financière, qui entraîne la
multiplication des faillites. Pour mettre un terme à ces désordres,
Napoléon exige la reprise de l’étude du projet de Code de
commerce, c’est-à-dire du projet Gorneau révisé, au Conseil
d’Etat. Après discussion du 4 novembre 1806 jusqu’en août
1807, le projet de Code de commerce suit le même circuit
législatif que le Code civil et est promulgué par une loi du 13
septembre 1807 qui le rend applicable à compter du 1  janvier er

1808.
12Le Code de commerce de 1807 trouve donc principalement ses
fondements dans l’ancien droit, bien sûr modifié en certains
points par la Révolution (1), mais le processus de codification du
droit commercial ne sera relancé qu’au début de l’Etat
napoléonien, durant lequel il sera enfin concrétisé (2).

I – L’ANCIEN DROIT MODIFIE


PAR LA REVOLUTION :
PRINCIPAL FONDEMENT DU
CODE DE COMMERCE
NAPOLEONIEN
 13 Expression utilisée par J.-M. CARBASSE, Introduction historique au
droit, coll. Droit fondamental, (...)

13Les ordonnances de Colbert, contrôleur général des finances


sous Louis XIV, véritables “ordonnances de codification” 13 sont à
l’origine du Code de commerce napoléonien, et en particulier,
comme nous l’avons vu, l’ordonnance de mars 1673 sur le
commerce, qui fera l’objet de deux tentatives de réformes sous
l’Ancien Régime.

A – Les ordonnances de codification de


Colbert
 14 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la
Révolution de 1789, par JO (...)

 15 Ibid, t. 19, p. 92-107.

 16 Ibid, p. 282-366.

14Colbert commence son œuvre législative, qui comprend six


textes, en 1667 avec l’ordonnance sur la procédure civile dont
l’appellation exacte est Ordonnance civile touchant la réformation
de la justice14. Ce texte est suivi de l’ ordonnance sur le droit
forestier d’août 1669 puis de l’ordonnance criminelle de 1670.
Trois ans plus tard paraît l’ordonnance de mars 1673 sur le
commerce, dont le titre officiel est : “édit du roy servant de
règlement pour le commerce des négocians et marchands, tant
en gros qu’en détail”15. L’Ordonnance de la marine16 est donnée
en août 1681 à Fontainebleau et enfin, le Code noir, qui
réglemente l’esclavage, notamment dans les îles françaises
d’Amérique paraît en 1685.
 17 Le 13 frimaire an X correspond au 4 décembre 1801.

 18 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée par


le Gouvernement le 13 germinal an (...)

 19 J.-G. LOCRE, Esprit de Code de commerce, Paris, 1807, t. 1, p. 9.

15Pour se rendre compte de l’influence de certains de ces textes


sur le Code de commerce, on peut citer le rapport sur le projet de
Code de commerce présenté par Chaptal, le ministre de
l’Intérieur, aux consuls de la République le 13 frimaire an X 17 :
“Dans leur ensemble, la plupart des décisions qu’il renferme ont
été extraites de l’Edit de 1673, de l’Ordonnance de 1681, et de
divers règlements qui sont intervenus postérieurement ; on a
même conservé l’expression littérale de ces lois, lorsqu’on a
reconnu qu’elle était précise et non surannée” 18. Plus tard, Locré
confirmera que “beaucoup des dispositions du Code sont prises
presque textuellement aux ordonnances de 1673 et de 1681”19.
16C’est donc en premier lieu l’ordonnance de mars 1673 qui est
l’ancêtre du Code de commerce de 1807.
 20 Préambule de l’ordonnance de mars 1673, Ibid, p. 93.

 21 Voir J. HILAIRE, op. cit., p. 67.

 22 Jacques Savary (1622-1690) a été employé chez un procureur au


Parlement, puis chez un notaire au C (...)
17La préparation de ce texte répondait à un double objectif : on
voulait uniformiser le droit au moyen de la codification mais
surtout, il fallait “des règlements capables d’assurer parmi les
négociants la bonne foi contre la fraude” 20, autrement dit de
réformer les abus. L’“ordonnance sur le commerce de terre”, ainsi
désignée par ses contemporains 21 va alors être établie sur la base
de deux mémoires rédigés en 1670 par Jacques Savary 22, à la
demande de Colbert.
18Le premier mémoire est un exposé des abus pratiqués dans le
commerce et est présenté à Colbert en août 1670, quant au
second mémoire, il se présente comme un projet de règlement
donnant des solutions aux abus dénoncés.
 23 Le Vieux (André), ancien échevin, grand juge de la juridiction
consulaire de Paris en 1671 ; Bache (...)

 24 Sur les incertitudes de la composition de la commission chargée de


préparer l’ordonnance, voir H. (...)

 25 Le conseiller d’Etat Pussort, président de la commission employait


cette expression pour désigner (...)

19Le projet de Savary a ensuite fait l’objet d’un examen par une
commission appelée Conseil des réformes, auprès du Conseil de
la Justice, présidée par le conseiller d’Etat Henri de Pussort, oncle
de Colbert. Cette commission chargée de préparer l’ordonnance
sur le commerce est composée de treize membres : Pussort,
Gomont, Savary, Le Vieux, Bachelier, Bellinzani, Foucault, Bilain,
Ragueneau, Auzanet, Pelletier de la Houssaye, Hotman de
Fontenay et Voysin23. Savary nous apprend dans la préface
du Parfait négociant qu’un dénommé Robert Poquelin a été
amené à formuler des observations lors de la rédaction définitive
de l’ordonnance. Selon Levy-Bruhl, celui-ci aurait remplacé Bilain
décédé en 167224. Quelles que soient les incertitudes sur la
composition de cette commission, l’ordonnance sur le commerce
encore appelée “Code Savary”25 fut donnée à Versailles en mars
1673.
20C’est un texte bref, de quinze pages in-8°, qui comprend un
préambule et douze titres pour un total de 122 articles : Titre I :
“Des Apprentis, Négociants et Marchands, tant en gros qu’en
détail” ; Titre II : “Des Agents de banque et Courtiers” ; Titre III :
“Des livres et registres des négociants, marchands et banquiers” ;
Titre IV : “Des sociétés” ; Titre V : “Des lettres et billets de change,
et promesses d’en fournir” Titre VI : “Des intérêts du change et du
rechange” ; Titre VII : “Des contraintes par corps” ; Titre VIII : “Des
séparations de biens” ; Titre IX : “Des Défenses et Lettres de
répit” ; Titre X : “Des cessions de biens” ; Titre XI : “Des faillites en
banqueroutes” ; Titre XII : “De la juridiction commerciale”.
 26 Dans certains territoires rattachés plus ou moins tardivement à la
couronne de France, les disposi (...)

 27 Voir notamment : BORNIER, Conférences des nouvelles ordonnances


de Louis XIV, Paris, 1681 ; TOUBEA (...)

 28 J.-L. LAFON, Les députés du commerce et l’Ordonnance de mars 1673.


Les juridictions consulaires, p  (...)

21Ainsi composée, l’ordonnance de mars 1673 est la première


tentative de codification du droit commercial en Europe, que les
commissaires rédacteurs ont fixé en tentant aussi de l’unifier sur
l’ensemble du Royaume26. Mais ce texte a très rapidement fait
l’objet de nombreux commentaires, en grande majorité très
critiques à son égard, qui ont dénoncé d’une façon générale le
fait que l’ordonnance de mars 1673 était inadaptée aux besoins
réels du commerce, notamment en matière de sociétés et de
faillite27. D’ailleurs, dès 1702, le Conseil du commerce avait
décidé que les députés du commerce devaient travailler sur un
projet de réforme du Code marchand28.
 29 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée par
le Gouvernement le 13 germinal an (...)

 30 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit, p. 133.

 31 A. BOISTEL, Précis du cours de droit commercial professé à la Faculté


de droit de Paris, Thorin, P (...)

 32 J.-B. DELAPORTE, Commentaire sur le Code de commerce, Garnery,


Paris, 1812, p. 379.

22Aucun grief n’a par contre été formulé à l’encontre de


l’ordonnance d’août 1681 sur la marine, second texte cité par
Chaptal dans son rapport, qui précise même : “L’Ordonnance de
1681 nous a servi de guide et de modèle. Les principes du
commerce maritime y sont si habilement établis, si clairement
exprimés, qu’elle est invoquée chez les nations comme une
autorité qui doit guider toutes les jurisprudences. En portant une
attention respectueuse à cette loi, en examinant avec soin toutes
les parties qui la composent, nous n’avons eu le mérite que d’en
extraire ce qui appartient au commerce, et d’en approprier les
expressions aux circonstances où nous sommes” 29. La grande
Ordonnance de la marine30 était en effet considérée comme le
chef d’œuvre législatif de Louis XIV31 et le conseiller d’Etat
Begouen, en s’adressant au Corps législatif, a demandé : “Où
pouvait-on trouver un fonds plus riche en lumière et en
sagesse ?”32.
 33 A. BOISTEL, op. cit., p. 8.

 34 VALIN, avocat puis procureur du roi à La Rochelle, a publié son


commentaire de l’ordonnance de 168 (...)
23Valin, “tenu en grande estime par les rédacteurs du Code de
commerce”33et auteur du commentaire le plus célèbre sur
l’ordonnance de 1681 s’exprimait ainsi à son propos : “Elle est
sans contredit la plus belle de toutes celles de Louis XIV, qui a
pourtant mérité le titre de législateur de la France, à la faveur des
Ordonnances de 1667, 1669, 1670 et 1673”34.
24Les dispositions de l’ordonnance de 1681 relatives au droit
commercial maritime ont donc logiquement été reprises dans le
Livre II du Code de commerce de 1807, qui comporte environ 250
articles.
 35 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la
Révolution de 1789, par JO (...)

 36 Il s’agit des articles 1 à 9 et l’article 11 du Titre XVI de l’ordonnance


d’avril 1667.

 37 Voir H. LEVY-BRUHL, Un projet de Code de commerce à la veille de la


Révolution, le projet Miromesn  (...)

25Enfin, même si elle n’est pas citée dans le rapport de


Chaptal, l’ordonnance d’avril 1667 sur la procédure civile a joué
un rôle non négligeable dans le processus de codification du droit
commercial, car un certain nombre de ses dispositions
concernant “la forme de procéder devant les juges et consuls des
marchands”35 sont reprises par le Titre VIII du projet Miromesnil
intitulé De la manière de procéder devant les juges et consuls 36.
Or ce texte était connu des rédacteurs du projet de l’an IX puis du
Code de commerce de 1807, par l’intermédiaire de Gorneau qui
avait été consulté par les membres de la commission
Miromesnil37.
26Par conséquent, même si certaines des dispositions de
l’ordonnance d’avril 1667 ne sont pas présentes dans le Code de
commerce, comme c’est le cas avec celles des ordonnances de
mars 1673 et d’août 1681, elles sont néanmoins intervenues à un
certain moment directement dans le processus de codification du
droit commercial. En effet, les articles concernés de l’ordonnance
d’avril 1667 sont repris par le projet Miromesnil et par le projet
Gorneau, mais ils sont absents du Livre IV du Code de commerce
qui traite de la juridiction commerciale, car l’article 28 du Titre III
de ce Livre, intitulé “De la forme de procéder devant les tribunaux
de commerce” renvoie au Titre XXV du Livre II de la première
partie du Code de procédure civile.
27De fait, l’ordonnance civile touchant la réformation de la justice
est restée en vigueur jusqu’à la promulgation du Code de
procédure civile de 1806, à l’instar des ordonnances de mars
1673 et d’août 1681 qui ont constitué la base du droit
commercial en vigueur jusqu’au Code de 1807, malgré la volonté
du législateur de réformer rapidement le Code marchand.

B – Les tentatives de réforme du Code


marchand
 38 I. ALAUZET, Commentaire du Code de commerce et de la législation
commerciale, Cosse, Marchal, Pari (...)

 39 F. BESLAY, op. cit., p. 39.

 40 Ibid, p. 48.

 41 J.-B. DELAPORTE, op. cit., p. 469.

28Les ordonnances de 1673 et 1681 sont donc restées en vigueur


jusqu’au Code de commerce de 180738, mais comme le fait
justement remarquer F. Beslay, “il ne faut accepter cette idée
qu’avec de grandes réserves. Les ordonnances ne traversèrent
pas les cent vingt-six et cent trente années qui séparent 1673 et
1681 de 1807 sans subir de profondes modifications” 39. Il
n’empêche “qu’au moment où le projet de Code de commerce de
l’an IX était soumis à l’analyse de Gorneau, Legras et Vital-Roux,
suite aux observations de tribunaux, les juridictions consulaires
appliquaient toujours, à titre provisoire, les ordonnances de 1673
et de 1681 auxquelles le commerce était habitué” 40 et que plus
tard, toutes les opérations de commerce qui se sont faites avant
la promulgation du Code, toutes les lettres de change et billets
souscrits avant le 1  janvier 1808, ont dû être réglés et jugés
er

conformément à l’ordonnance de mars 1673, ainsi qu’aux usages


et à la jurisprudence suivis autrefois41.
29Les modifications qui ont cependant été apportées à ces textes
sous l’Ancien Régime résultent de divers arrêts du Conseil, lettres
patentes, édits ou déclarations et ont été pour la plupart
intégrées aux deux projets de réforme du Code marchand.
 42 Date de rédaction retenue par A. VANDENBOSSCHE, op. cit., p. 8.

 43 Date de rédaction et hypothèse retenues par H. LEVY-BRUHL, op. cit.,


p. 7-8.

 44 Expression souvent utilisée par A. VANDENBOSSCHE dans son


ouvrage, op. cit.

30Le premier projet de réforme de l’ordonnance de mars 1673,


non daté, aurait été rédigé en 171642 ou entre 1717 et 1721, à la
demande du pouvoir royal43, par les syndics de la Chambre de
commerce de Normandie. Souvent appelé le “projet normand” 44,
le “Mémoire des sindics de la chambre de commerce de la
province de Normandie concernant l’Ordonnance de 1673” ne
livre aucune information sur les conditions de sa préparation.
 45 Ibid, p. 10.

31Le projet normand “constitue à la fois une mise au point et une


mise à jour du Code Savary, dont certains articles sont
insuffisants ou défectueux dans le fond ou dans la forme et ne
s’harmonisent pas avec les dispositions législatives postérieures à
la codification de 1673”45. Dans son ensemble, le projet normand
a aussi pour objectif l’unification de la législation et de la
jurisprudence.
 46 Cf. Le tableau comparatif entre l’ordonnance de mars 1673 et le
mémoire de la Chambre de commerce (...)

 47 Ces modifications concernent principalement les délais et les modalités


de paiement des lettres de (...)

 48 Par exemple, le projet normand reprend le système de la période


suspecte instaure par la déclarati (...)

 49 Sur le détail de toutes ces modifications, se reporter à l’ouvrage de A.


VANDENBOSSCHE, op. cit.

32Cette tentative de réforme de l’ordonnance de mars 1673


comprend 136 articles dont 92 proviennent du Code Savary sans
aucune modification, alors que 29 articles du même texte ont été
corrigés et 15 articles ont été rajoutés et un article a été
supprimé46. Les modifications apportées par le projet normand
au Code Savary sont profondes en matière de lettres de change 47,
de faillite et de banqueroute48, elles sont moins importantes en
ce qui concerne les règles relatives à la comptabilité, aux sociétés
de personnes, aux agents de change et aux courtiers de
marchandises49. Les dispositions relatives à l’accès à la
profession commerciale, à la publicité de certaines clauses du
régime matrimonial des commerçants, aux défenses et lettres de
répit, aux cessions de biens, à la juridiction consulaire et à
l’arbitrage commercial sont inchangées. Enfin, on peut aussi
préciser que le projet normand ne traite pas de la question du
droit commercial maritime.
33Une dernière question concerne le projet normand pour établir
avec clarté le début de la généalogie du Code de commerce de
1807. Les rédacteurs du projet de Code suivant, le projet
Miromesnil, ont-ils eu connaissance de l’existence du projet
normand ?
 50 Ibid, p. 11.

 51 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 7-8.

 52 E. BLUM, op. cit., p. 512.

 53 Ibid. Il semble donc que l’existence du projet normand était ignorée


par la doctrine en 1913, et ce (...)

34C’est pour A. Vandenbossche une hypothèse plausible mais


qu’il faut avancer avec prudence50. Levy-Bruhl, qui révèle
l’existence du projet normand dans son ouvrage sur le projet
Miromesnil ne donne quant à lui aucune réponse à cette
question51. Enfin, E. Blum fait référence à une lettre dans laquelle
de Montaran, en réponse au garde des sceaux qui lui demande
s’il était possible de mentionner l’œuvre commerciale de Louis XV
dans le préambule du projet d’ordonnance, écrit : “Il n’y a rien de
bon à en dire”52. Devant l’absence de “trace d’un projet de
réforme générale antérieur à celui de 1778”, E. Blum conclut que
le projet Miromesnil est “vraisemblablement le premier essai de
réforme totale du Code Savary et certainement le dernier de ceux
qui furent tentés sous l’Ancien Régime”53.
 54 Jacques-Marie-Jérôme Michau de Montaran, maître des requêtes,
intendant du commerce et président d (...)

35L’élaboration du second projet de réforme du Code marchand,


indistinctement appelé projet Miromesnil ou projet Montaran,
débute en 1778, lorsque le garde des sceaux, Hue de Miromesnil,
nomme à cette fin une commission composée de six membres :
de Montaran père et fils, de Tolozan, Rostagny, Marion et
Deschamps54.
36La commission Montaran, du nom de son président, réserve en
son sein un rôle prépondérant aux trois intendants du commerce
qui y travaillent puisque eux seuls reçoivent les directives du
garde des sceaux et sont autorisés à le tenir informé de l’état
d’avancement des travaux.
 55 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 138.

 56 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 19.

37Comme pour le projet normand, la date exacte de l’achèvement


du projet Miromesnil n’est pas déterminée de façon précise. R.
Szramkiewicz situe la fin du travail de la commission Montaran à
l’année 178155 alors que H. Levy-Bruhl et E. Blum situent celle-ci
aux alentours de la fin de l’année 178256.
 57 Sur la comparaison précise entre l’ordonnance de mars 1673 et le
projet Miromesnil, voir la table (...)

38Le projet Miromesnil est composé de onze titres, ordonnés


selon un plan semblable à celui de l’ordonnance de mars 1673
dont il est très largement inspiré 57 et comprend 189 articles, 98
provenant du Code Savary sans aucune modification, alors que
103 articles ont été rajoutés et 22 articles du même texte ont été
supprimés.
 58 Expression utilisée dans le préambule du projet Miromesnil. Le premier
projet de préambule ainsi q (...)

 59 Il s’agit sans doute d’une erreur, les rédacteurs du préambule du


projet Miromesnil faisant sans a (...)

39Le projet Miromesnil intègre les principales évolutions du droit


commercial qui ont eu lieu entre 1673 et 1682. En effet, dans leur
volonté de former “un code complet de la législation du
commerce”58, les rédacteurs du projet ont inclus “dans une
même loi, les dispositions de l’Ordonnance du mois de mars
1673, et toutes celles relatives au Commerce, qui se trouvent
répandues soit dans l’Ordonnance du mois d’août 1667 59  soit
dans la Coutume de Paris, et les autres loix de notre Royaume ”.
Ce code complet de la législation du commerce marqué par un
net effort de rationalisation a donc pour but de réformer le Code
Savary en y intégrant l’évolution du droit commercial, afin
d’instruire les négociants, de faciliter aux juges leurs recherches
et de prévenir et diminuer le nombre des fraudes et des litiges.
40Les innovations en droit commercial apparues entre 1673 et la
rédaction du projet Miromesnil sont importantes. On peut ici en
donner quatre exemples significatifs.
 60 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la
Révolution de 1789, t. 23, (...)

 61 Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 14.

 62 Edit portant modification de l’Edit de février 1776 sur la suppression


des jurandes, Recueil génér (...)

 63 Procès-verbal de réformation de l’ordonnance de 1673, première


séance du 16 novembre 1779, H. LEVY (...)

41En premier lieu, il faut insister sur la volonté des membres de la


commission Miromesnil de donner “un essor plus libre au génie et
à l’industrie des fabricants”, comme le précise le préambule du
projet. Mais, peut-on alors déduire de la suppression des articles
1 à 5 du Titre I de l’ordonnance de mars 1673 relatifs aux
corporations que les rédacteurs du projet ont voulu suivre la voie
tracée par Turgot dans son Edit portant suppression des jurandes
et communautés de commerce, arts et métiers 60de février 1776.
Cette hypothèse serait surprenante pour deux raisons. D’abord, le
président de la commission et son fils, que Turgot n’appréciait
guère, étaient en général hostiles aux réformes61. Ensuite, on sait
que ce texte a été retiré dès le mois d’août de la même année
entraînant par la même occasion la disgrâce de Turgot 62. En
réalité, il n’est pas encore question de supprimer les corporations
mais lors de la première séance sur la réformation de
l’ordonnance de mars 1673, de Montaran fils explique que toutes
les dispositions sur l’apprentissage et le compagnonnage
“devoient plutôt être placées et comprises dans les statuts et
règlemens des différentes Communautés de Marchands que dans
l’Ordonnance du Commerce”63.
 64 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la
Révolution de 1789, t. 20, (...)

42En second lieu, l’article 1  du Titre IV du projet Miromesnil


er

interdit les lettres de change au porteur, reprenant en cela les


dispositions de l’Edit concernant les lettres ou billets de change,
ou autres billets payables au porteur  de mai 171664. Cette
position sera aussi celle des rédacteurs du projet Gorneau et du
Code de commerce de 1807.
 65 Si cette question de fait aucun doute pour les rédacteurs du projet
Miromesnil, la solution semble (...)

43En troisième lieu, en matière de société, l’article 12 du Titre III


du projet Montaran dispose que les associés ne peuvent se
prévaloir à l’égard des tiers, de la nullité de la société pour défaut
de publicité. Cette interdiction avait déjà été formulée dans le
projet normand et est rappelée par F. Bourjon dans son ouvrage
intitulé : Le droit commun de la France et la coutume de Paris
réduits en principes, publié en 177065.
 66 Voir E. BLUM, op. cit., p. 530.

 67 Expression utilisée par H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 20.


 68 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 138.

 69 Ibid.

44Enfin, l’innovation sans doute la plus importante du projet


Miromesnil est l’extension de la compétence des juridictions
commerciales aux faillites. Cette modification est déterminante
pour deux raisons. D’abord, elle démontre une fois de plus que
les codificateurs veulent intégrer dans leur travail les diverses
évolutions du droit commercial. En effet, deux déclarations, l’une
du 13 juin 1716 et l’autre du 13 septembre 1739 allaient dans le
sens de l’attribution des faillites aux juridictions consulaires 66.
Ensuite et surtout, cette innovation va être la cause principale de
l’échec de cette seconde tentative de réforme du Code marchand.
En effet, en attribuant la connaissance des faillites aux
juridictions consulaires, le projet Miromesnil retire aux
juridictions ordinaires une partie importante du contentieux
qu’elles ont à traiter, et par là-même, “une partie de leur
clientèle”67, puisque rappelons-le, la justice était source de
revenus pour les juges, ceux-ci étant “payés par les plaideurs” 68.
Ainsi, “le projet avait pour principal défaut de retirer aux juges
des baillages et sénéchaussées et à ceux des parlements une
partie du pactole judiciaire”69.
 70 Voir GORNEAU, “Discours préliminaire du projet de Code de commerce
de l’an IX”, Projet de Code du  (...)

45Mais on a aussi attribué comme cause à l’échec du projet


Miromesnil l’instabilité ministérielle, en insistant sur le fait que
“sous le ministère de M. de Miromesnil, cette réforme fut essayée
mais l’instabilité des ministres de l’ancien gouvernement
renversait avec eux les projets les plus utiles, les plans les mieux
concertés. La retraite du ministère entraîna la dissolution de la
Commission qu’il avait appelée auprès de lui pour la réforme des
lois du commerce”70.
 71 Voir. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 19.

 72 Voir E. BLUM, op. cit., p. 542.

 73 Voir PICARD, Les cahiers de 1789 au point de vue industriel et


commercial, thèse, Paris, 1910.

46Quoi qu’il en soit, le garde des sceaux envoie le projet au


Parlement le 13 novembre 178671 mais ce dernier le neutralise et
même “l’oublie”72, puisqu’en 1789, il n’a toujours pas, sans
doute volontairement, terminé son étude. Le Parlement est resté
sourd aux appels de Lamoignon qui avait succédé à Hue de
Miromesnil en avril 1787, paralysant ainsi les efforts qui
traduisent une volonté de codification du droit commercial bien
présente à la fin de l’Ancien Régime73.
 74 G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., p. 15.

47Malgré la décision de la Constituante en 1791 d’élaborer


un Code civil et un Code de commerce, on considère
généralement que l’œuvre législative de la Révolution “n’est
importante que par la création d’un régime de liberté” 74. En effet,
la suppression des corporations a été réalisée en deux étapes :
le décret d’Allarde des 2-17 mars 1791 supprime dans un
premier temps les corporations, puis celles-ci sont définitivement
dissoutes par la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791 qui interdit
par ailleurs les associations entre individus d’une même
profession.
 75 Malgré un débat bien présent sur la question à ce moment. Voir J.
TULARD, “Le débat autour du réta (...)
48Cette voie libérale, tracée par la Révolution, sera suivie une
dizaine d’années plus tard par les rédacteurs du Code de
commerce75, lors de la relance et de la concrétisation du
processus de codification du droit commercial pendant l’Etat
napoléonien.

II – LA RELANCE ET LA
CONCRETISATION DU PROCESSUS
DE CODIFICATION DU DROIT
COMMERCIAL PENDANT L’ETAT
NAPOLEONIEN
49La relance du processus de codification du droit commercial
pendant l’Etat napoléonien va déboucher, comme nous le savons,
sur la rédaction de quatre projets de Code de commerce.
50D’abord, le projet Gorneau de l’an IX ou de 1801 donne lieu à
un certain nombre d’observations, parmi lesquelles figure un
projet de code complet rédigé en 1802 par le Tribunal et le
Conseil de commerce de Lyon. Ces observations analysées par
Gorneau, Legras et Vital-Roux aboutissent au projet Gorneau
révisé de l’an XI ou de 1803 sur la base duquel la Chambre de
commerce de Paris rédige à son tour un autre projet de code
complet en 1804.

A – Le projet Gorneau de l’an IX (1801) et


le projet du Tribunal et du Conseil de
commerce de Lyon (1802)
51Un arrêté du premier Consul du 13 germinal an IX (3 avril 1801)
qui nomme, près du ministère de l’Intérieur, une commission
chargée de rédiger un projet de Code de commerce constitue le
point de départ de la préparation du projet Gorneau.
 76 F. BESLAY, op. cit., p. 45. A partir du 6 novembre 1800, Chaptal
remplace Lucien Bonaparte comme m (...)

 77 On peut rappeler que le projet Miromesnil n’incluait aucune disposition


relative au droit commerci (...)

52On a remarqué que “la promulgation d’un Code


de
commerce paraissait si bien une mesure d’administration
destinée à rétablir l’ordre public que l’arrêté des consuls, qui
nommait la commission chargée de rédiger le projet de ce Code
de commerce, n’était pas présentée au chef du pouvoir exécutif
par le ministre de la justice. L’arrêté était présenté et fut
contresigné par Chaptal alors ministre de l’Intérieur” 76. Il a été
décidé à ce moment que le Code de commerce devait inclure le
droit maritime, ce qui mettait fin à la distinction effectuée par les
ordonnances de Colbert77.
 78 Sur la composition de cette commission, voir P. PASCHEL, “La
commission du 13 germinal an IX (1801 (...)

53La commission chargée de rédiger le projet de Code de


commerce se compose de sept membres nommés par Bonaparte :
Gorneau, président de la commission, praticien renommé, député
de la Seine au Conseil des Anciens sous le Directoire et juge au
Tribunal d’appel de Paris sous le Consulat. Il faut signaler un fait
important : il avait été consulté entre 1778 et 1781 lors de
l’élaboration du projet Miromesnil-Montaran, dont il connaissait
donc forcément l’existence ; Vital-Roux, autodidacte, négociant,
banquier, juge au Tribunal de commerce de Paris et membre de la
Chambre de commerce de Paris ; Vignon, négociant, Président du
Tribunal de commerce de Paris ; Boursier, ancien juge du
commerce ; Legras, jurisconsulte ; Coulomb, ancien magistrat et
Mourgues, administrateur des hospices78.
 79 Selon H. LEVY-BRUHL, Gorneau avait une connaissance précise du
projet Miromesnil, malgré ses affir (...)

54Cette commission a rapidement travaillé puisqu’il ne lui a fallu


que huit mois environ (3 avril 1801-28 novembre 1801) pour
rédiger son projet de code. Cette rapidité amène à penser que les
sept commissaires nommés par Bonaparte ont utilisé le projet
Miromesnil et le fait que Gorneau ait été consulté lors de la
préparation de ce texte vient corroborer cette hypothèse79.
55Le projet Gorneau achevé le 7 frimaire an X et présenté le 13 du
même mois à Bonaparte comprend 485 articles, divisés en trois
Livres qui n’ont pas d’intitulé.
 80 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée par
le Gouvernement le 13 germinal an (...)

56Le Livre I compte dix titres : “Dispositions générales ; Des livres


de commerce ; Des sociétés ; Des séparations de biens ; Des
Agents de change et courtiers ; Des bourses de commerce ; Des
commissionnaires ; Des Achats et Ventes ; Du Prêt à intérêt ; De
la Lettre de change”80.
 81 Ibid, p. 141.

57Le Livre II compte treize titres : “Des navires et autres bâtiments


de mer ; De la Saisie et Vente des Navires ; Des propriétaires de
navires ; Du Capitaine ; De l’Engagement et des Loyers des
matelots ; Des Chartes-parties, affrètement ou Nolissemens ; Du
Connaissement ; Du Fret ou Nolis ; Des Contrats à la grosse ; Des
Assurances ; Des Avaries ; Du Jet et de la Contribution ; Des
Prescriptions et des Fins de non-recevoir”81.
 82 Ibid, p. 142-143.
58Enfin, le Livre III compte quinze titres : “De la Faillite ; De la
Forme de procéder dans les faillites ; De la Cession de biens ; De
la Réhabilitation ; De la Présomption de Banqueroute ; De la
Forme de procéder pour les intérêts civils des créanciers, dans le
cas de poursuite criminelle pour fait de Banqueroute ; De la
Banqueroute ; Des Tribunaux de commerce ; Des Tribunaux de
première instance ; Des Tribunaux d’appel ; De la Compétence
des Tribunaux de commerce ; Des Jugemens et de leur
exécution ; De la Forme de procéder devant les tribunaux
d’appel ; De la Contrainte par corps”82.
 83 Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 30.

 84 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée par


le Gouvernement le 13 germinal an (...)

59On peut remarquer que si certaines innovations apparaissent


quant à la forme, sur le fond, exceptée, comme nous l’avons
signalé, l’introduction dans le Code du droit commercial
maritime, le projet Gorneau reste très largement inspiré du projet
Miromesnil83, et par conséquent des ordonnances de 1673 sur le
commerce et de 1681 sur la marine. Les rédacteurs du projet
Gorneau précisent même dans leur discours préliminaire à propos
de ces textes : “Nous y avons puisé le plus grand nombre des
principes qui ont gouverné notre travail” 84.
 85 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 30.

 86 Voir F. BESLAY, op. cit., p. 47. Les chambres de commerce ont été


recréées par Chaptal en 1802. El (...)

 87 L’“extrait des Registres et des Délibérations des Consuls de la


République” ne mentionne en effet (...)

60Bonaparte fait alors envoyer le projet Gorneau par le ministre


de la Justice aux tribunaux de commerce85 et par le ministre de
l’Intérieur aux chambres et aux conseils de commerce 86 pour
qu’ils l’étudient et transmettent leurs observations dans un délai
de deux mois. Le Tribunal de cassation et les Tribunaux d’appel
ont également été consultés sur ce projet, mais à l’initiative du
ministre de la Justice, Abrial, qui avait remplacé Cambacérès
lorsque ce dernier est devenu deuxième consul 87. Mais d’autres
intervenants ont aussi été amenés à donner leurs avis sur ce
projet, notamment Campaignac, négociant à Bordeaux, Coppens,
ex-procureur du roi à l’Amirauté, Boulay-Paty, juge au Tribunal
d’appel de Rennes, Estrivier, ancien jurisconsulte à Aix et Cordier,
négociant à Paris.
 88 Toutes ces observations sont contenues dans la première partie
de l’ouvrage précité des citoyens G (...)

61Sur la forme, ces observations au nombre de 389 sont


contenues dans trois volumes in-4°. Sur le fond, elles traduisent
l’impatience quasi-unanime des tribunaux de voir ce projet
transformé en loi. Les dispositions relatives aux lettres de change
n’ont suscité que très peu de réclamations. Au contraire, les
observations des tribunaux ont été nombreuses sur le Titre VIII
du Livre I du projet relatif aux achats et aux ventes. On a
également reproché au titre suivant sur le prêt à intérêt une
rédaction imprécise, de même que la sévérité du projet sur les
faillites a été dans l’ensemble critiquée. Par contre, aucune
réclamation n’a été formulée à l’encontre de l’intégration au
projet des lois sur le commerce maritime. Enfin, il faut souligner
que seuls les Tribunaux d’appel d’Orléans, Paris et Dijon ont
accueilli défavorablement la compétence des tribunaux de
commerce en matière de faillite88.
 89 Observations sur le Code de commerce Tribunal et Conseil de
commerce de Lyon, Lyon, an X, Archives(...)
 90 Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse
raisonnée des observations du Tribunal (...)

 91 F. BESLAY, op. cit., p. 48.

62Comme nous l’avons signalé, au stade de ces observations la


ville de Lyon a, quant à elle, rédigé un projet complet de Code de
commerce89. L’existence de ce projet est révélée par Gorneau,
Legras et Vital-Roux qui écrivent dans l’analyse des observations
qu’on leur a présentées : “Le Conseil de commerce de Lyon, dans
le nouveau projet qu’il a substitué à la commission… Cette
addition était demandée par une grande partie des villes du
commerce ; Elle est conforme au projet présenté par la ville de
Lyon”90. F. Beslay confirme et nous apprend l’existence d’un
projet supplémentaire : “Lyon et Paris firent mieux que des
critiques : l’une et l’autre de ces places rédigea un contre-projet
complet”91.
 92 Landoz, président du Tribunal de commerce ; Chirat, juge au Tribunal
de commerce ; Régny, banquier (...)

63Le projet du Tribunal de commerce et du Conseil de commerce


de Lyon est daté du 21 fructidor an X (8 septembre 1802). Il est
rédigé par une commission de sept membres, qui comprend deux
juges au Tribunal de commerce de Lyon et cinq membres du
Conseil de commerce de Lyon : Landoz François Louis, Chirat
Charles Bernadin, Régny père, Caminet Georges, Guillaud aîné,
Couderc père et Pernon Camille92.
64Sur la forme, le projet lyonnais se présente comme un tableau
synoptique composé des dispositions du projet Gorneau, des
modifications apportées par le Conseil et le Tribunal de
commerce de Lyon ainsi que des motifs des additions et des
changements. D’une longueur de 171 pages in-8°, il comprend
324 articles et il est précédé de 6 pages de réflexions
préliminaires.
65Sur le fond, le projet lyonnais conserve la grande majorité des
articles du projet Gorneau mais il apparaît comme précurseur
dans les modifications qu’il propose.
66Ainsi, afin d’éviter les renvois au Code civil (à ce moment en
discussion devant le Tribunat), le projet lyonnais intègre à son
texte les règles de droit civil qui intéressent directement le droit
commercial. Cette innovation se traduit par l’adjonction au Livre I
du projet Gorneau de règles relatives aux séparations de biens,
aux commissionnaires et de quatre titres relatifs aux sociétés :
Des engagements des associés entre eux (Titre IV, 13 articles) ;
des engagements des associés vis-à-vis des tiers (Titre V, 1
article) ; Des différentes manières dont finit la société (Titre VI, 5
articles) ; De la liquidation (Titre VII, 12 articles).
67Les droits et les devoirs des commissionnaires sont donc
systématiquement déterminés dans le projet lyonnais. En cas
d’ordres généraux, le commissionnaire doit agir en bon père de
famille. Si les ordres sont limités, le commissionnaire est
responsable des conséquences des actions qui dépassent le cadre
précis déterminé pour son intervention et en cas d’ordres
obscurs, l’interprétation est faite en faveur du commissionnaire,
conformément aux usages de la place de son domicile, selon la
précision apportée par le projet lyonnais.
68En matière de sociétés, l’un des buts des rédacteurs du projet
lyonnais est sans aucun doute la sécurité juridique. Ainsi, les
engagements des associés entre eux ainsi que le début et la fin
de la société sont déterminés par l’article 33 du projet. En
l’absence de clause dans les statuts, celle-ci débute dès la
formation du contrat et prend fin à la première demande écrite de
l’un des associés ou à la mort de l’un d’entre eux. Cette règle met
donc en valeur l’intuitus personae, quel que soit le type de
société envisagée. En ce qui concerne les apports, les règles
énoncées par le projet lyonnais ont pour but d’assurer l’effectivité
du capital social, par exemple en soumettant le retard des
apports en numéraire au paiement d’intérêts. De même, l’associé
qui emprunte des fonds à la caisse sociale doit des intérêts à la
société. Quant à la répartition des bénéfices et des pertes, en
l’absence de toute disposition à ce sujet dans les statuts, elle doit
être proportionnelle aux apports des associés et en cas d’apports
en industrie et seulement dans ce cas, le tribunal doit trancher ou
renvoyer à des arbitres.
69Les règles relatives à l’administration de la société (en
l’absence de dispositions prévues à cet effet par les parties)
laissent apparaître la distinction entre les actes de gestion
courante qui peuvent être faits par l’un des associés seulement
(en l’absence d’opposition de la part des autres) et les actes
relatifs aux immeubles de la société, qui nécessitent les
consentements exprès de tous les associés.
70En ce qui concerne les engagements des associés vis-à-vis des
tiers, le projet lyonnais retient le principe de la responsabilité
solidaire des associés pour les engagements contractés par l’un
d’entre eux nommé dans la raison sociale ou par le gérant, au
nom de la société.
71Plusieurs cas sont envisagés quant à la fin de la société :
l’expiration du temps pour lequel elle était contractée, la perte
des capitaux, la mort civile ou l’interdiction de l’un des associés,
etc.
72Le titre relatif à la liquidation prévoit que celle-ci doit être
réalisée conformément aux dispositions des statuts. L’associé
liquidateur doit donner caution et est responsable de négligences
telles que le non-recouvrement d’effets de commerce prescrits.
Les fonds qui proviennent de la liquidation doivent être répartis
avec précision entre le paiement des dettes de la société, le
remboursement des comptes courants d’associés, etc.
73Enfin, l’arbitrage forcé est rendu facultatif et la société en
participation est supprimée à cause de son caractère trop
éphémère.
74En matière de lettre de change, afin de mettre un terme aux
simulations de lieux très fréquentes, le projet lyonnais propose
une innovation importante : la suppression de la distancia loci.
75Concernant le droit commercial maritime, les rédacteurs du
projet lyonnais se déclarent incompétents et ne formulent par
conséquent aucune observation sur le Livre II du projet Gorneau.
76Enfin, peu de modifications sont à signaler en matière de
faillites et de banqueroutes. Favorables à la sévérité du projet
Gorneau, le projet lyonnais substitue cependant la limitation à la
prohibition en ce qui concerne la revendication, et institue des
juges de paix dans les lieux où il n’y a pas de tribunaux de
commerce, afin d’éviter des retards dans l’apposition des scellés
et d’une façon plus générale, dans le début de la procédure.
 93 Comme on l’a vu, ce projet était mentionné dans l’ouvrage de
GORNEAU, LEGRAS et VITAL-ROUX (Révisi (...)

77Il ne semble pas que ce projet de code présenté par le Tribunal


et le Conseil de commerce de Lyon, très vite tombé dans l’oubli,
ait eu une influence quelconque sur le processus de codification
du droit commercial, puisque qu’aucune des modifications et les
innovations importantes qu’il propose ne sera reprise par les
rédacteurs du Code de commerce de 1807, qui connaissaient
pourtant son existence93. Le projet Gorneau et les observations
qu’il a suscitées restent donc la seule base de l’étape suivante de
la codification du droit commercial.
B – Le projet Gorneau révisé de l’an XI
(1803) et le projet de la Chambre de
commerce de Paris (1804)
 94 Ibid, p. 2.

 95 Ibid, p. 4.

78Comme nous l’avons déjà mentionné, Legras, Gorneau et Vital-


Roux, qui faisaient partie de la commission de rédaction du projet
Gorneau, ont été nommés par celle-ci pour analyser les deux cent
quatre-vingt-neuf observations94 formulées par les tribunaux
civils et les tribunaux, chambres et conseils de commerce, afin de
corriger le projet Gorneau en fonction de ces observations. Il faut
préciser, même si cela n’apparaît pas dans le titre de l’ouvrage
qui rassemble leur travail, qu’ils ont été aidés dans cette tâche
par deux autres membres de la commission, Vignon et
Boursier95.
 96 L’ouvrage ne donne aucune autre précision sur la date de sa parution.

79C’est ainsi que le projet Gorneau révisé voit le jour en l’an XI ou


en 180396, dans un ouvrage intitulé Révision du projet de code
de commerce précédé de l’analyse raisonnée des observations du
Tribunal de cassation, des Tribunaux d’appel et des Tribunaux et
Conseils de commerce, rédigé par les Citoyens Gorneau, Legras
et Vital-Roux.
80Le projet Gorneau révisé, se présente également sous la forme
d’un tableau synoptique qui le compare au projet Gorneau initial.
Il compte officiellement, à la fin de son texte 485 articles, mais
compte tenu des articles modifiés, supprimés, maintenus sans
modifications ou encore des articles ajoutés mais non intégrés à
la numérotation, il contient en réalité environ 520 articles, soit
une quarantaine de plus que le projet Gorneau initial. Ces articles
sont répartis en trois Livres. Le Livre I n’a pas d’intitulé. Le Livre II
est intitulé : “Transactions maritimes”. Enfin, le Livre III est intitulé
“Faillites et tribunaux de commerce” et se termine par un Titre
additionnel qui a pour objet de définir les conditions d’application
de cette loi, laquelle ne peut être rétroactive et doit être
obligatoire un mois après sa promulgation, qui abroge toutes les
lois commerciales antérieures.
 97 A titre d’exemple, la seule idée originale du projet Gorneau initial en
matière de faillite, à sav (...)

81Sur le fond, le projet Gorneau révisé reprend pour l’essentiel les


dispositions du projet Gorneau initial97. En effet, très peu
d’articles ont été supprimés, quant à ceux qui ont été modifiés, il
s’agit dans la plupart des cas de précisions ou de modifications
de forme mineures.
 98 Observations de la Chambre de commerce de Paris sur la révision de
projet de Code de commerce, Pari (...)

82Aussitôt après sa publication, ce projet qui, en principe, devait


être le dernier avant l’adoption d’un Code de commerce, va à son
tour faire l’objet d’un examen réalisé par la Chambre de
commerce de Paris et à son initiative, autrement dit, sans, semble
t-il, que ce travail ait été officiellement demandé par Bonaparte.
La principale motivation de la Chambre était en réalité la volonté
de proposer des solutions pour la prévention des faillites et des
abus “qui détruisent la confiance et paralysent le crédit”98.
 99 Sur la découverte et l’analyse détaillée de ce projet, voir F.
VALENTE, Le Code de commerce au 19è(...)

83Il résulte de cette initiative un projet complet de code de


commerce présenté et publié par la Chambre de commerce de
Paris en 180499, soit un an après la publication du projet Gorneau
révisé.
84Cet ultime projet de Code de commerce a été rédigé par une
commission de seize membres composée de Frochot, Président
de la Chambre de commerce de Paris et préfet de la Seine, de
Vignon, vice-président de la Chambre, négociant, Président du
Tribunal de commerce de Paris et membre de la commission de
rédaction du projet Gorneau initial. Rappelons que ce dernier
avait aussi participé à l’analyse des observations des tribunaux
formulées sur ce texte, tout comme Cordier, autre membre de la
Chambre et négociant à Paris. Vital-Roux est également l’un des
rédacteurs du projet de la Chambre de commerce de Paris.
Autodidacte, négociant et juge au Tribunal de commerce de Paris,
il a longtemps travaillé dans la banque d’un autre membre de la
Chambre, d’abord à Lyon, puis à Paris : Delessert. Ce sont donc
les négociants et les banquiers les plus en vue qui siègent à la
Chambre de commerce de Paris et qui vont participer à la
rédaction de ce projet de Code. On y retrouve notamment
Ternaux, manufacturier et Dupont de Nemours, en tant que
secrétaire, qui se fait le défenseur de la liberté individuelle. Trois
Régents de la Banque de France ont aussi participé à ces travaux ;
Davilliers, Moreau et Thibon. Enfin, il faut citer les noms de
Belloc, Bidermann, Chagot-Larcher, La Fond, Martin et Rousseau.
 100 Nos recherches sur ce projet ont été infructueuses.

85Les seize membres de la Chambre de commerce de Paris ont


donc travaillé sur le projet Gorneau révisé mais aussi sur le projet
de lois sur les faillites, présenté par le Conseil général du
commerce100.
 101 Observations de la Chambre de commerce de Paris sur la révision du
projet de Code de commerce, Pari (...)

86Leur projet intitulé “Observations de la Chambre de commerce


de Paris sur la révision du Projet de Code de commerce” 101 est
adressé au ministre de l’Intérieur. Il est en réalité contenu dans la
première partie du travail des membres la Chambre. D’une
longueur de 163 pages in-4°, il comprend 497 articles divisés en
trois Livres, sans intitulé, chacun étant précédé d’observations
préliminaires et est là encore, présenté sous la forme d’un
tableau synoptique composé des dispositions du projet Gorneau
révisé, des observations proposées par la Chambre de commerce
de Paris, ainsi que de la rédaction proposée par cette dernière. Le
projet présenté par la Chambre comporte une seconde partie de
78 pages mais celle-ci correspond en réalité à l’étude du Livre II
que les députés de la Chambre ont réalisée après celle des Livres
I et III (Livres qui ont tous été ensuite réunis en un seul volume
qui correspond donc à la première partie du travail des membres
de la Chambre).
 102 Ibid, p. 3.

87Dans son préambule, le projet de la Chambre de commerce de


Paris distingue deux parties dans la législation commerciale. La
première règle la forme et les effets des transactions, les devoirs
et les droits des commerçants. La seconde en est pour ainsi dire
les conséquences ou l’application, puisqu’elle détermine les
pouvoirs du juge, dans les cas où il y a eu violation de ces
contrats qu’elle a garantis. Elle comprend la juridiction, les
faillites et banqueroutes”102.
 103 Sur le détail de ces modifications, voir F. VALENTE, Contribution à
l’histoire de la codification(...)

 104 Voir Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse


raisonnée des observations du Tri (...)

88Sur le fond, le projet de la Chambre de commerce de Paris


n’apporte qu’un très petit nombre de corrections au projet
Gorneau révisé, même s’il propose quelques innovations
importantes, déjà demandées dans le projet lyonnais, comme
l’intégration au Code de commerce des règles de droit civil qui
intéressent le droit commercial ou la suppression de la distancia
loci en matière de lettres de change103. On peut donc
véritablement parler de filiation entre ces deux textes, laquelle
peut sans doute s’expliquer par la participation de certaines
personnes à la rédaction des deux projets. En effet, Vital-Roux,
l’un des auteurs du projet parisien de 1804, avait participé au
projet Gorneau initial (an IX ou 1801) et ensuite modifié ce projet
avec Gorneau et Legras en fonction des observations des
Tribunaux d’appel, du Tribunal de cassation et des Tribunaux et
Conseils de commerce, pour donner naissance au projet Gorneau
révisé (an XI ou 1803). Vital-Roux connaissait aussi l’existence du
projet lyonnais104. Ensuite, nous le savons, Vignon, le vice-
président de la Chambre, ainsi que Cordier et Martin également
membres de la Chambre, avaient aussi participé au projet
Gorneau initial, ainsi qu’à l’analyse des observations formulées
sur ce texte.
89Il est intéressant de remarquer ici que finalement, cinq noms
s’inscrivent durablement dans le processus de codification du
droit commercial sur la base de l’ancien droit, c’est-à-dire des
ordonnances de 1673 et de 1681 ainsi que du projet Miromesnil
et constituent en quelque sorte l’unité et la continuité de ce
processus : Gorneau, Vital-Roux, Vignon, Cordier et Martin.
 105 J.-G. LOCRE, Esprit de Code de commerce, Paris, 1807 et Législation
civile, commerciale et crimine  (...)

90Pour autant, le projet de la Chambre de commerce de Paris n’a


eu aucune influence sur la rédaction définitive du Code de
commerce, même si comme nous l’avons signalé, son existence
ne pouvait être ignorée du Gouvernement. En effet, à aucun
moment il n’est fait référence au projet de la Chambre de
commerce de Paris dans les travaux préparatoires et les
discussions autour du projet, qui ont été publiées par le
Secrétaire général du Conseil d’Etat, le baron Locré 105. Sans
doute, les juristes du Conseil d’Etat ont-ils méprisé ce projet de
Code rédigé par des hommes d’affaires et des négociants.
 106 Voir R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 272.

91Il faut aussi préciser que le Conseil d’Etat était davantage


absorbé à ce moment par les intérêts supérieurs que représentait
le Code civil, ce qui explique également son inertie à l’égard de la
législation commerciale, autrement dit du projet Gorneau révisé
qui lui avait été transmis pour devenir le futur Code de
commerce106. Mais même après la promulgation du Code civil en
1804, il a fallu encore attendre deux ans pour que le législateur
se souciât de la rédaction définitive du Code de commerce.
92Voyons pour conclure, comment cette dernière étape de la
codification du droit commercial s’est déroulée.
 107 Ibid.

 108 F. BESLAY, op. cit., p. 49.

93Les faits sont bien connus. Au moment où les obligations


militaires de Bonaparte le retiennent à l’étranger, le commerce
français et surtout parisien subit une crise financière
particulièrement grave. La Banque de France, fondée en 1800,
“ayant prêté trop d’argent aux membres de son Conseil de
régence, à des sombres fins de spéculation personnelle” 107 doit
suspendre ses paiements en argent, ce qui entraîne un grand
nombre de faillites, dont celle de Récamier, causée par “le refus
d’une assistance que la Banque ne voulut pas fournir sans
l’autorisation de l’Empereur, et que l’Empereur n’autorisa pas” 108.
 109 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit, p. 272.
 110 J.-G. LOCRE, Législation civile, commerciale et criminelle de la
France, Paris, 1827, t. 1, p. 126

94En 1805-1806, les faillites se succèdent et l’impunité des


principaux intéressés associée à l’infortune des victimes fait
qu’au retour de sa campagne d’Austerlitz, Bonaparte congédie
son ministre du Trésor public, Barbé-Marbois, qu’il remplace par
Mollien, puis il convoque les membres du Conseil d’Etat et le
ministre de l’Intérieur et leur demande “contre les faillis qu’il
confondait toujours avec les banqueroutiers” 109 une loi destinée à
mettre un terme à ces désordres110. Chaptal et les membres du
Conseil d’Etat lui répondent que les faillites sont réglées par un
projet de Code de commerce qui doit sans doute le satisfaire sur
ce point précis. L’Empereur exige alors la reprise immédiate de
l’étude du projet Gorneau révisé au Conseil d’Etat.
 111 Cette précision est importante, car dans les matières où le Code
n’avait rien prévu, le droit anci (...)

95Du 4 novembre 1806 au 29 août 1807, la discussion du projet


de Code de commerce occupe 61 séances au Conseil d’Etat. On
sait que “le projet était prêt en juillet 1807 quand Napoléon revint
de Tilsitt”. Fait particulièrement révélateur de ses intentions : il
n’a présidé que quatre séances de discussion au Conseil d’Etat
dont trois consacrées à la faillite. Remanié, le projet de Code de
commerce est présenté successivement au Tribunat, au Corps
Législatif et au Sénat, de la même manière que l’on avait procédé
pour le Code civil et il est voté dans les séances des 10, 11, 14 et
15 septembre 1807. Divisé en cinq lois distinctes, le Code de
commerce est enfin promulgué par une loi du 15 septembre 1807
qui le rend applicable au 1  janvier 1808, tout en abrogeant
er

“toutes les lois anciennes touchant les matières commerciales sur


lesquelles il est statué par ledit Code”111.
96Le Code de commerce de 1807 comprend 648 articles, divisés
en quatre Livres. Le Livre I s’intitule “Du commerce en général” et
compte 189 articles, concernant des matières aussi diverses que
les commerçants, les livres de commerce, les sociétés, les
séparations de biens, les bourses de commerce, les lettres de
change, etc., répartis en huit titres. Le Livre II s’intitule “Du
commerce maritime” et comprend 247 articles répartis en
quatorze titres. Le Livre III “Des faillites et banqueroutes”
comprend 178 articles et enfin, le Livre IV intitulé “De la
juridiction commerciale” compte 34 articles. Ainsi composé en
1807, le Code de commerce napoléonien, même s’il a bien
entendu subi d’importants bouleversements et fait l’objet d’un
phénomène de décodification, subsiste toujours aujourd’hui
officiellement.
NOTES
1 F. BESLAY, Commentaire théorique, pratique et critique du Code de
commerce, Cosse, Marchal, Paris, 1867, p. 14.

2 Voir F. VALENTE, Le Code de commerce au 19   siècle, thèse dactyl.,


ème

Université Jean Moulin Lyon III, 1992, dont cet article reprend en
grande partie les développements du chapitre préliminaire consacré
précisément aux origines du Code de commerce (p. 12 à 40). Voir
aussi P. PASCHEL, La portée de la codification dans l’histoire du droit
commercial français, thèse dactyl., Paris II, 1993. On peut également
consulter les trois manuels d’histoire du droit commercial ou d’histoire
du droit des affaires les plus récents sur la question : J.
HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, Coll. Droit
fondamental, Paris, 1  éd., 1986 (ce manuel malheureusement
ère

introuvable aujourd’hui reste la référence en matière d’histoire du


droit commercial) ; R. SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires,
Montchrestien, Coll. Domat Droit privé, Paris, 1  éd., 1989 ; M.-H.
ère

RENAUT, Histoire du droit des affaires, Coll. Mise au point, Ellipses,


Paris, 1  éd., 2006. Ces trois ouvrages sont cependant incomplets sur
ère
le sujet des origines du Code de commerce de 1807, les deux premiers
étant antérieurs aux dernières recherches en la matière et n’ayant
jamais été réédités depuis, quant au troisième manuel, il s’inscrit dans
le cadre d’une collection qui reste basée sur une présentation
synthétique et sommaire des sujets étudiés.

3 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 275.

4 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, L.G.D.J., Paris,


13  éd., 1989, t. 1 , p. 16. Dans ce sens, on peut encore citer : J.
ème er

LEVEILLE, Notre code de commerce et les affaires, Paris, 1869, p. 2-3 ;


LACOUR, Précis de droit commercial, Dalloz, Paris, 1912, p. 11 ; F.
GORE, Droit des affaires. Le particularisme du droit des affaires. Le
statut général des commerçants, Domat, Montchrestien, coll.
Université nouvelle, Paris, 1977, p. 14 ; R. HOUIN et R. RODIERE, Droit
commercial, Cours élémentaire droit-économie, 1   année, t. 1 , Sirey,
ère er

Paris, 7  éd., 1981, p. 8 ; M. de JUGLART et B. IPPOLITO, Droit


ème

commercial, Actes de commerce et entreprise. Commerçant et fonds


de commerce. Principes de comptabilité. 1  vol., Montchrestien, Paris,
er

3  éd., 1981, p. 10 ; HUBRECHT, Droit commercial, Notions


ème

essentielles, Sirey, Paris, 9 éd., 1982, p. 6 ; Y. GUYON, Droit des


ème

affaires, Droit général et sociétés, Economica, Paris, 3  éd., 1984,


ème

p. 25 ; Y. CHATRIER, Droit des affaires, L’entreprise commerciale,


Thémis, PUF, Paris, 1  éd., 1984, p. 27 ; A. JAUFFRET, Droit
ère

commercial, L.G.D.J., Paris, 19  éd., par J. MESTRE, 1989, p. 18 ; B.


ème

MERCADAL et P. MACQUERON, Initiation au droit des affaires, Francis


Lefèbvre, Paris, 1988, p. 15 ; R. HOUIN et M. PEDAMON, Droit
commercial. Commerçant et entreprises commerciales. Concurrence et
contrats du commerce, Précis Dalloz, Paris, 9  éd., 1990, p. 8.
ème

5 F. BESLAY, op. cit., p. 53.

6 E. GLASSON, Le premier Code de commerce, Mémoires de


l’Académie des Sciences morales, L. XVIII, 1891, p. 905.
7 A. VANDENBOSSCHE, Un projet de Code de commerce sous la
Régence, Economica, coll. Droit des affaires et de l’entreprise, Paris,
1980.

8 L’expression “Code marchand” désigne communément l’ordonnance


de mars 1673 sur le commerce et est employée dans les préambules
de plusieurs actes législatifs comme celui de la Déclaration du 18
novembre 1702 : “nostre édit du mois de mars 1673, appelé le Code
marchand…”, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an
420 jusqu’à la Révolution de 1789, par JOURDAN, DECRUSY et
ISAMBERT, Paris, t. 20, p. 420.

9 H. LEVY-BRUHL, Un projet de Code de commerce à la veille de la


Révolution, le projet Miromesnil (1778-1789), Cujas, Paris, 1932. Voir
également E. BLUM, “Le projet de révision attribué à Miromesnil de
l’ordonnance de mars 1673 sur le commerce”, Revue Historique de
Droit français et étranger, 1913.

10 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée


par le Gouvernement le 13 Germinal an IX, Paris, Frimaire an X,
Archives nationales, cote 20 284.

11 Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse


raisonnée des observations du Tribunal de cassation, des Tribunaux
d’appel et des Tribunaux et Conseils de commerce, par les Citoyens
Gorneau, Legras et Vital-Roux, Paris, an XI (1803), 2 parties en 1
volume.

12 Ces deux projets étaient encore inconnus avant 1992. Ils sont
mentionnés pour la première fois et présentés sommairement dans la
thèse de F. VALENTE, déjà citée.

13 Expression utilisée par J.-M. CARBASSE, Introduction historique au


droit, coll. Droit fondamental, PUF, Paris, 1  éd., 1998, p. 201.
ère
14 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420
jusqu’à la Révolution de 1789, par JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT,
Paris, t. 18, p. 103-180.

15 Ibid, t. 19, p. 92-107.

16 Ibid, p. 282-366.

17 Le 13 frimaire an X correspond au 4 décembre 1801.

18 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée


par le Gouvernement le 13 germinal an IX, Paris, frimaire an X,
Archives nationales, cote 20 284, p. 6.

19 J.-G. LOCRE, Esprit de Code de commerce, Paris, 1807, t. 1, p. 9.

20 Préambule de l’ordonnance de mars 1673, Ibid, p. 93.

21 Voir J. HILAIRE, op. cit., p. 67.

22 Jacques Savary (1622-1690) a été employé chez un procureur au


Parlement, puis chez un notaire au Châtelet, avant d’entrer en
apprentissage et de devenir commerçant en mercerie. Il se retire des
affaires en 1658 après avoir fait fortune et s’adonne à la profession de
conseil, fort d’une “grande expérience des choses du commerce”,
comme il l’écrit lui-même. Il se voit ensuite proposer par un ministre
du Duc de Mantoue l’intendance des affaires de France et de
Charleville où il entre en 1660. Dans le cadre de son travail qui
consiste à étudier les ordonnances et les coutumes, il écrit les deux
mémoires qui vont servir de base à l’ordonnance de mars 1673 ainsi
que deux ouvrages, qui seront par la suite réunis. D’abord, il publie le
célèbre “Parfait négociant” ou “Le Parfait négociant ou instruction
générale pour ce qui regarde le commerce de toute sorte de
marchandises, tant de France que des pays estrangers” en 1675, puis
les “Parères ou avis et conseils sur les plus importantes matières du
commerce” en 1688. Sur J. Savary, voir H. HAUSER, “Le Parfait
négociant de J. Savary”, Revue d’histoire économique et sociale, 1925,
p. 1-28 et TROULLIER, Jacques Savary, Tijschrift voor
Rechtgeschiedenis, 1932, p. 109-132.

23 Le Vieux (André), ancien échevin, grand juge de la juridiction


consulaire de Paris en 1671 ; Bachelier (Jean), ancien garde du corps de
la mercerie ; Bellinzani (François), Directeur de la Compagnie des Indes
Orientales, du Nord et du Levant ; Foucault (Joseph), procureur du roi,
procureur général puis maître des requêtes de l’Hôtel et enfin
intendant (il se peut que ce soit son père, secrétaire du roi puis du
Conseil des finances) ; Bilain, avocat au Parlement de Paris ; Ragueneau
(Louis-Philémon), avocat au Parlement de Paris ; Auzanet (Barthélémy),
avocat, auteur d’un commentaire sur la Coutume de Paris ; Pelletier de
la Houssaye (Nicolas), conseiller au Parlement et maître des requêtes ;
Hotman de Fontenay, conseiller au Grand Conseil, maître des requêtes,
intendant de province puis intendant de finance en 1669 ; Voysin de la
Noiraye, maître des requêtes, intendant à Rouen puis à Tours (il se
peut que ce soit son père, Daniel Voysin, prévôt des marchands).

24 Sur les incertitudes de la composition de la commission chargée de


préparer l’ordonnance, voir H. LEVY-BRUHL, “Un document inédit sur la
préparation de l’Ordonnance de 1673”, Revue Historique de Droit
français et étranger, 1931, p. 649. Voir également H. HAUSER, “Le
Parfait négociant de Jacques Savary”, Revue d’Histoire économique et
sociale, 1925, p. 4 : “… chose troublante, nous n’avons conservé… ni
les procès-verbaux de la commission où cet édit fut élaboré, ni même
aucune lettre de Colbert qui fasse allusion à ce travail, ni en réalité
aucun document relatif à la préparation, à la promulgation, à
l’application de ce monument législatif”. Le seul document relatif aux
travaux préparatoires qui nous soit parvenu est le procès-verbal de la
séance du 4 février 1671, relatif à la question du prêt à intérêt en
matière commerciale. Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 649. Du même
auteur, voir également Un document inédit sur “la préparation de
l’ordonnance de mars 1673”, Revue Historique de Droit français et
étranger, 1931, p. 649-681.
25 Le conseiller d’Etat Pussort, président de la commission employait
cette expression pour désigner l’ordonnance de mars 1673, en raison
du rôle prépondérant joué par Savary dans l’élaboration de ce texte.
Voir P. BRAVARD-VEYRIERES, Traité de droit commercial, Marescq
Aimé, Paris, 1862, t. 1 , p. 15.
er

26 Dans certains territoires rattachés plus ou moins tardivement à la


couronne de France, les dispositions de l’ordonnance contraires aux
usages et privilèges de la province ou de la ville n’ont pas été
appliquées. L’ordonnance a été en vigueur dans tout le Royaume de
France, sauf dans le ressort des cours où elle n’a pas été enregistrée,
comme en Alsace, en Artois, en Roussillon ou encore en Lorraine. Voir
E. BLUM, op. cit., p. 511-543.

27 Voir notamment : BORNIER, Conférences des nouvelles


ordonnances de Louis XIV, Paris, 1681 ; TOUBEAU, Institutes de droit
consulaire ou la jurisprudence des marchands, 1682 ; de
BOUTARIC, Explication de l’Ordonnance de Louis XIV concernant le
commerce, Toulouse, 1743 ; JOUSSE, Commentaire sur l’Ordonnance
du mois de mars 1673, Paris, 1755 ; SALLE, L’esprit des ordonnances
de Louis XIV, Paris 1758. Sur un commentaire anonyme rédigé dans les
années 1678-1686, voir A. VANDENBOSSCHE, Contribution à l’histoire
des sources du droit commercial  : un commentaire manuscrit de
l’ordonnance de mars 1673, Paris, 1976. Le plus important et le plus
célèbre de ces commentaires est l’ouvrage précédemment cité de
Jacques Savary publié en 1675 pour expliquer l’ordonnance de mars
1673 : “Le Parfait négociant”. Aujourd’hui encore, la doctrine reste
partagée sur la valeur du Code marchand et sur les compétences de
son principal rédacteur. Voir F. VALENTE, op. cit., p. 17.

28 J.-L. LAFON, Les députés du commerce et l’Ordonnance de mars


1673. Les juridictions consulaires, principe et compétence, Paris,
1979, p. 1.
29 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée
par le Gouvernement le 13 germinal an IX, Paris, frimaire an X,
Archives nationales, cote 20 284, p. 27.

30 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit, p. 133.

31 A. BOISTEL, Précis du cours de droit commercial professé à la


Faculté de droit de Paris, Thorin, Paris, 1876, p. 8.

32 J.-B. DELAPORTE, Commentaire sur le Code de commerce, Garnery,


Paris, 1812, p. 379.

33 A. BOISTEL, op. cit., p. 8.

34 VALIN, avocat puis procureur du roi à La Rochelle, a publié son


commentaire de l’ordonnance de 1681 après 40 ans
d’études : Nouveau commentaire sur l’Ordonnance de la marine du
mois d’août 1681, La Rochelle, Legier, 1760.

35 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420


jusqu’à la Révolution de 1789, par JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT,
Paris, t. 18, p. 128.

36 Il s’agit des articles 1 à 9 et l’article 11 du Titre XVI de l’ordonnance


d’avril 1667.

37 Voir H. LEVY-BRUHL, Un projet de Code de commerce à la veille de


la Révolution, le projet Miromesnil (1778-1789), Cujas, Paris, 1932,
p. 24 et p. 28-29.

38 I. ALAUZET, Commentaire du Code de commerce et de la législation


commerciale, Cosse, Marchal, Paris, 2  éd., 1868, t. 1 , p. 15. Dans ce
ème er

sens, voir également E. CHENON, Histoire générale du droit public et


français des origines à 1789, Sirey, Paris, 1926, p. 359.

39 F. BESLAY, op. cit., p. 39.

40 Ibid, p. 48.
41 J.-B. DELAPORTE, op. cit., p. 469.

42 Date de rédaction retenue par A. VANDENBOSSCHE, op. cit., p. 8.

43 Date de rédaction et hypothèse retenues par H. LEVY-BRUHL, op.


cit., p. 7-8.

44 Expression souvent utilisée par A. VANDENBOSSCHE dans son


ouvrage, op. cit.

45 Ibid, p. 10.

46 Cf. Le tableau comparatif entre l’ordonnance de mars 1673 et le


mémoire de la Chambre de commerce de Normandie, ibid, p. 11-13.

47 Ces modifications concernent principalement les délais et les


modalités de paiement des lettres de change.

48 Par exemple, le projet normand reprend le système de la période


suspecte instaure par la déclaration du 18 novembre 1702.

49 Sur le détail de toutes ces modifications, se reporter à l’ouvrage de


A. VANDENBOSSCHE, op. cit.

50 Ibid, p. 11.

51 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 7-8.

52 E. BLUM, op. cit., p. 512.

53 Ibid. Il semble donc que l’existence du projet normand était ignorée


par la doctrine en 1913, et ceci vraisemblablement jusqu’en 1930.
Toutefois, E. Blum, se référant à Troplong, signale une requête des
syndics de Normandie demandant la modification des articles 2 et 6 du
Titre IV de l’ordonnance de mars 1673 qui déclaraient nuls les actes de
sociétés qui n’avaient pas été enregistrés, sans distinction entre les
tiers et les associés. Ibid, p. 517. Or le projet normand demande en
effet que les associés ne puissent se prévaloir à l’égard des tiers, de la
nullité de la société pour défaut de publicité. Voir A.
VANDENBOSSCHE, op. cit., p. 16.

54 Jacques-Marie-Jérôme Michau de Montaran, maître des requêtes,


intendant du commerce et président de la commission ; Jean-Jacques-
Mauville Michau de Montaranfils, maître des requêtes et intendant du
commerce depuis 1758 ; Jean-François de Tolozan, maître des
requêtes et intendant du commerce depuis 1777 ; Rostagny, député de
Marseille au Conseil depuis 1773 ; Marion père, élu député de Paris en
1768 ; Deschamps, député de Rouen depuis 1777.

55 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 138.

56 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 19.

57 Sur la comparaison précise entre l’ordonnance de mars 1673 et le


projet Miromesnil, voir la table de concordance entre ces deux textes
présentée par H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 331-334.

58 Expression utilisée dans le préambule du projet Miromesnil. Le


premier projet de préambule ainsi que la lettre du président de la
commission du 7 octobre 1781 qui l’accompagne contient l’expression
“Code de commerce”, qui ne sera reprise, ni par le second projet de
préambule du 22 octobre 1781, ni par le préambule définitif du projet
Montaran. Voir H. LEVY-BRUHL, ibid, p. 32.

59 Il s’agit sans doute d’une erreur, les rédacteurs du préambule du


projet Miromesnil faisant sans aucun doute allusion à l’ordonnance
d’avril 1667 sur la procédure civile.

60 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420


jusqu’à la Révolution de 1789, t. 23, p. 370-386.

61 Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 14.

62 Edit portant modification de l’Edit de février 1776 sur la


suppression des jurandes, Recueil général des anciennes lois
françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, t. 24, p. 74-
89.

63 Procès-verbal de réformation de l’ordonnance de 1673, première


séance du 16 novembre 1779, H. LEVY-BRUHL, op. cit, p. 79.

64 Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420


jusqu’à la Révolution de 1789, t. 20, p. 114-116.

65 Si cette question de fait aucun doute pour les rédacteurs du projet
Miromesnil, la solution semble cependant moins nette comme le
montre la jurisprudence rapportée par F. BOURJON dans son
ouvrage, Le droit commun de la France et la coutume de Paris réduits
en principes, Paris, 1770, p. 495.

66 Voir E. BLUM, op. cit., p. 530.

67 Expression utilisée par H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 20.

68 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 138.

69 Ibid.

70 Voir GORNEAU, “Discours préliminaire du projet de Code de


commerce de l’an IX”, Projet de Code du commerce présenté par la
commission nommée par le Gouvernement le 13 germinal an IX , Paris,
frimaire an X, p. 11. Chaptal est également favorable à cette
hypothèse : “L’ancien gouvernement avait pour ambition de réprimer
ces abus : la révision des lois commerciales fut entreprise, mais à cette
époque le succès de plus grandes idées, celui des réformes les plus
utiles, dépendait de la stabilité du ministre qui avait le courage de les
mettre à jour. La législation commerciale resta dans cet état
d’imperfection”. Ibid, p. 4-5.

71 Voir. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 19.

72 Voir E. BLUM, op. cit., p. 542.


73 Voir PICARD, Les cahiers de 1789 au point de vue industriel et
commercial, thèse, Paris, 1910.

74 G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., p. 15.

75 Malgré un débat bien présent sur la question à ce moment. Voir J.


TULARD, “Le débat autour du rétablissement des corporations sous le
Consulat et sous l’Empire, Histoire du droit social”, Mélanges en
hommage à J. Imbert, dir. J.-L. HAROUEL, PUF, Paris, 1989, p. 537-
541.

76 F. BESLAY, op. cit., p. 45. A partir du 6 novembre 1800, Chaptal


remplace Lucien Bonaparte comme ministre de l’Intérieur par intérim.

77 On peut rappeler que le projet Miromesnil n’incluait aucune


disposition relative au droit commercial maritime car au même
moment, le ministre de la marine, de la Luzerne entreprenait la
révision de l’ordonnance sur la marine de 1681, ibid, p. 41.

78 Sur la composition de cette commission, voir P. PASCHEL, “La


commission du 13 germinal an IX (1801) chargée d’établir un projet de
code de commerce”, Revue Historique de Droit français et étranger,
1995, p. 559-558.

79 Selon H. LEVY-BRUHL, Gorneau avait une connaissance précise du


projet Miromesnil, malgré ses affirmations : “La retraite du ministère
entraîna la dissolution de la commission qu’il avait appelée auprès de
lui pour la réforme des lois du commerce ; elle n’a pu laisser qu’un
extrait imparfait du travail auquel elle s’était livrée. C’est au soin de
quelques-uns qui la composaient que nous devons ces fragments qui
nous en sont restés”. Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 28. Voir
également J.-G. LOCRE, Législation civile, commerciale et criminelle de
la France, Paris, 1827 à 1832, t. 17, p. 31.

80 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée


par le Gouvernement le 13 germinal an IX, Paris, frimaire an X, p. 139-
140.
81 Ibid, p. 141.

82 Ibid, p. 142-143.

83 Voir H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 30.

84 Projet de Code du commerce présenté par la commission nommée


par le Gouvernement le 13 germinal an IX, Paris, frimaire an X, p. 10.

85 H. LEVY-BRUHL, op. cit., p. 30.

86 Voir F. BESLAY, op. cit., p. 47. Les chambres de commerce ont été


recréées par Chaptal en 1802. Elles étaient composées de membres
élus par les commerçants notables de la ville, et avaient des
attributions facultatives, à la demande du pouvoir, donnant leurs avis
sur les intérêts de leur ville ou de leur “région”.
Le Conseil de commerce encore appelé “bureau du commerce” ou
“bureau de commerce” était une “institution spécifique destinée à
représenter les intérêts du négoce auprès du pouvoir central”.
Définition donnée par R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 111.

87 L’“extrait des Registres et des Délibérations des Consuls de la


République” ne mentionne en effet ni le Tribunal de cassation, ni les
Tribunaux d’appel. Voir Révision du projet de code de commerce
précédé de l’analyse raisonnée des observations du Tribunal de
cassation, des Tribunaux d’appel et des Tribunaux et Conseils de
commerce, par les Citoyens Gorneau, Legras et Vital-Roux, Paris, an XI
(1803), 2 parties en 1 volume, p. 3.

88 Toutes ces observations sont contenues dans la première partie


de l’ouvrage précité des citoyens Gorneau, Legras et Vital-Roux, p. 1-
191.

89 Observations sur le Code de commerce Tribunal et Conseil de


commerce de Lyon, Lyon, an X, Archives départementales du Rhône,
Fonds Coste, cote BM 16 437. Sur la découverte et la présentation de
ce projet, voir F. VALENTE, Le Code de commerce au 19   siècle, thèse
ème

dactyl., Université Jean Moulin-Lyon III, 1992 et du même auteur, “Une


découverte récente : le projet de code de commerce lyonnais
(1802)”, Vie et Sciences Economiques, janvier-juin 1993, n  136-137,
o

p. 117-122.

90 Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse


raisonnée des observations du Tribunal de cassation, des Tribunaux
d’appel et des Tribunaux et Conseils de commerce, par les Citoyens
Gorneau, Legras et Vital-Roux, Paris, an XI (1803), 2 parties en 1 vol.,
p. 11, 30 et 164.

91 F. BESLAY, op. cit., p. 48.

92 Landoz, président du Tribunal de commerce ; Chirat, juge au


Tribunal de commerce ; Régny, banquier, membre de la section du
Commerce du Conseil ; Caminet, ex-législateur, juge au Tribunal
d’appel de Lyon, secrétaire au Conseil du Commerce, membre de la
Section du Commerce ; Guillaud, négociant, membre de la Section des
Manufactures et des Arts du Conseil ; Couderc, négociant, député de la
Sénéchaussée de Lyon à l’Assemblée nationale, membre de la Section
du Commerce du Conseil ; Pernon, membre du Tribunat, membre de la
Section des Manufactures et Arts du Conseil.

93 Comme on l’a vu, ce projet était mentionné dans l’ouvrage de


GORNEAU, LEGRAS et VITAL-ROUX (Révision du projet de code de
commerce précédé de l’analyse raisonnée des observations du
Tribunal de cassation, des Tribunaux d’appel et des Tribunaux et
Conseils de commerce, Paris, an XI) mais sans y être intégré, ne serait-
ce qu’en partie.

94 Ibid, p. 2.

95 Ibid, p. 4.

96 L’ouvrage ne donne aucune autre précision sur la date de sa


parution.

97 A titre d’exemple, la seule idée originale du projet Gorneau initial


en matière de faillite, à savoir l’intervention d’un commissaire du
Gouvernement, qui avait pourtant été très mal accueillie notamment
par les chambres de commerce, a néanmoins été reprise dans le projet
Gorneau révisé. Voir C. DUPOUY, Le droit des faillites en France avant
le Code de commerce, thèse Paris, L.G.D.J., 1960, p. 204, qui se réfère
à BOULAY-PATY, Observations sur le projet de Code de commerce, an
XI.

98 Observations de la Chambre de commerce de Paris sur la révision


de projet de Code de commerce, Paris, Stoupe an XII, 2 parties en 1
volume, Archives nationales, cotes F 20 879 et 20 880, p. 2. La
multiplication des faillites, surtout à Paris, résultait principalement de
la guerre avec l’Angleterre, qui avait entraîné la paralysie du crédit et la
perte de confiance dans le monde des affaires.

99 Sur la découverte et l’analyse détaillée de ce projet, voir F.


VALENTE, Le Code de commerce au 19   siècle, thèse dactyl.,
ème

Université Jean Moulin Lyon III, 1992 et du même auteur, “Contribution


à l’histoire de la codification en droit commercial : le projet de la
Chambre de commerce de Paris (1804)”, Revue Historique de Droit
français et étranger, janv.-mars 2004, p. 79-96.

100 Nos recherches sur ce projet ont été infructueuses.

101 Observations de la Chambre de commerce de Paris sur la révision


du projet de Code de commerce, Paris, Stoupe an XII, 2 parties en 1
volume, Archives nationales, cotes F 20 879 et 20 880.

102 Ibid, p. 3.

103 Sur le détail de ces modifications, voir F. VALENTE, Contribution à


l’histoire de la codification en droit commercial  : le projet de la
Chambre de commerce de Paris (1804), op. cit.

104 Voir Révision du projet de code de commerce précédé de l’analyse


raisonnée des observations du Tribunal de cassation, des Tribunaux
d’appel et des Tribunaux et Conseils de commerce, par les Citoyens
GORNEAU, LEGRAS et VITAL-ROUX, Paris, an XI (1803), 2 parties en 1
volume, p. 164.

105 J.-G. LOCRE, Esprit de Code de commerce, Paris, 1807


et Législation civile, commerciale et criminelle de la France, Paris, 1827
à 1832.

106 Voir R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., p. 272.

107 Ibid.

108 F. BESLAY, op. cit., p. 49.

109 R. SZRAMKIEWICZ, op. cit, p. 272.

110 J.-G. LOCRE, Législation civile, commerciale et criminelle de la


France, Paris, 1827, t. 1, p. 126.

111 Cette précision est importante, car dans les matières où le Code


n’avait rien prévu, le droit ancien restait donc en vigueur. Cf. la loi
portant fixation de l’époque à laquelle le Code de commerce sera
exécutoire, imprimée à la suite du texte du Code de commerce, et
reproduite notamment par J. -B. DELAPORTE, Commentaire sur le Code
de commerce, Garnery, Paris, 1812, t. 2, p. 469.

AUTEUR
Fabien Valente
Maître de Conférences à l’Université de Montpellier I

La naissance de la doctrine
commercialiste au
XIX  siècle e

Philippe  Nélidoff

p. 37-54

Evoquer les liens entre le droit commercial et la doctrine n’est pas


chose aisée pour l’historien du droit qui connaît surtout
l’importance de la pratique et des usages en matière de
commerce. Aujourd’hui même, les tribunaux de commerce
utilisent davantage que d’autres juridictions la notion d’équité.
Est-ce à dire pour autant que le droit commercial serait un droit
sans autorité doctrinale1 ? Certainement pas de nos jours mais
force est de constater que parmi les sources du droit commercial,
la doctrine ne tient pas historiquement la première place : la
coutume commerciale, les normes législatives ou réglementaires,
la jurisprudence y jouent un rôle plus important. Et l’apparition
d’une véritable doctrine commercialiste est un phénomène tardif
même si certains professeurs de droit français tel François de
Boutaric (1672-1733) à Toulouse commentent l’ordonnance de
1673.
 2 Les travaux de Jean HILAIRE sur l’histoire du droit commercial
constituent notre référence. On sig (...)

 3 Jeanne-Marie TUFFERY, Ebauche d’un droit de la consommation.


La protection du chaland sur les marc (...)

2Il faut également remarquer avec notre président de séance, Jean


Hilaire – dont les travaux sur l’histoire du droit
commercial2 encadrent notre réflexion – que les anciens auteurs,
lorsqu’ils traitent du droit applicable au commerce, ont tendance
à avoir une acception large de la matière. Au-delà des
ordonnances de 1673 et de 1681 qui ont servi de fondements
aux rédacteurs du Code de 1807, ils se montrent plus proches du
droit des affaires que du droit commercial stricto sensu. Les
dictionnaires et les répertoires de droit du XVIII  siècle privilégient
e

assez nettement la protection du consommateur3 et se placent


résolument sous l’angle du droit public et de la nécessaire
intervention de l’Etat ou des autorités municipales, par le biais de
la police économique qui encadre les activités commerciales. D’un
point de vue historique, on ne peut donc que souscrire à la
remarque selon laquelle le jus mercatorum est traditionnellement
l’un des lieux de rencontre entre droit privé et droit public
comme le rappelait fort justement dans son propos introductif à
notre colloque la directrice de l’Institut Fédératif de la Recherche,
notre collègue Maryvonne Théron.
 4 Guillaume LEYTE, RHFD, 2007, p. 397.

 5 Jean-Marie CARBASSE, Dictionnaire de la Culture juridique (sous


la direction de Denis Alland et St (...)

 6 Olivier BEAUD, Ibidem, p. 385-386.

3Le développement d’une doctrine juridique en général et d’une


doctrine commercialiste en particulier ne pouvait qu’être lent et
progressif après la Révolution “dont le legicentrisme exclut
désormais la doctrine de la création officielle du droit” 4. Liée
étymologiquement à “l’acte d’enseigner”, la doctrine est d’un
point de vue officiel l’apanage des professeurs des facultés de
droit pour lesquels le XIX  siècle constitue une sorte “d’âge d’or”5.
e

Mais le terme a plusieurs significations. C’est à la fois “le droit tel


que le conçoivent les théoriciens… la littérature du droit… la
science du droit ou de la pensée juridique” 6. Il s’agit donc d’une
réflexion sur le droit permettant de structurer un enseignement,
de le relier à des principes fondamentaux, d’ordonner et de
critiquer en toute liberté et indépendance d’esprit, au sens
scientifique du terme, à la fois les normes législatives et l’activité
jurisprudentielle.
 7 Voir la communication de Fabien VALENTE, “La naissance du Code
de commerce”.

4Les conditions d’élaboration du Code de commerce ayant été


traitées par la communication précédente 7, notre réflexion
consistera surtout à présenter quels furent les premiers
développements de la doctrine commercialiste dans la première
moitié du XIX  siècle à l’époque des grands pionniers dans les
e

enseignements juridiques. Il faudra donc d’abord se tourner vers


les professeurs de Code de commerce même s’ils ne résument
pas à eux seuls l’ensemble de l’activité de réflexion sur le droit
commercial (I). Passé le milieu du siècle et même peut-être avant,
cette doctrine connaît des inflexions tant au plan national qu’au
plan local et l’exemple des professeurs de la faculté de droit de
Toulouse nous permettra de montrer dans quelles directions
évolue la doctrine commercialiste à une époque où quittant les
voies désormais balisées (et critiquées) de l’exégèse, elle prend
une orientation plus savante (II) grâce au double recours à
l’histoire et au comparatisme.

I – LA PREMIERE DOCTRINE


COMMERCIALISTE
 8 Pierre ROSANVALLON, L’Etat en France de 1789 à nos jours,
Paris, Ed. du Seuil, 1990, collection Po (...)

 9 Christophe JAMIN, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.,


p. 381.

5En rétablissant les écoles de droit en 1804/1805 et en leur


restituant le titre de facultés en 1808, le régime napoléonien a
surtout des visées utilitaires. De même que les écoles de
médecine sont destinées à procurer au pays des médecins ou les
facultés de théologie à former des prêtres ou des pasteurs, les
facultés de droit ont pour vocation première de former des
praticiens du monde judiciaire qui tend à redevenir l’affaire de
professionnels : avocats, juges, auxiliaires de justice. Longtemps
imparfaite et en retard par rapport à d’autres pays européens 8,
on se préoccupera ensuite de la formation des fonctionnaires en
un siècle où se manifeste l’essor de l’administration étatique.
L’enseignement dans les facultés de droit repose donc avant tout
sur celui du Code civil qui va devenir “l’horizon indépassable des
jurisconsultes”9, complété par celui du droit romain (surtout les
Institutes de Justinien) considéré traditionnellement comme
fondement du véritable esprit juridique, et celui de la procédure
civile et de la législation criminelle.
 10 Sur Ortolan, se reporter à Madeleine VENTRE-DENIS, “Joseph-
Elzear Ortolan (1802-1873), Un juriste (...)

 11 Sur Poncelet, se reporter à Madeleine VENTRE-DENIS, “La


première chaire d’histoire du droit à la F (...)

 12 Jean-Jacques CLERE, notice “Gérando”, Ibidem, p. 382 à 384.

 13 Jean-Jacques CLERE, notice “Macarel”, Ibidem, p. 525-526.

 14 Jean-Jacques CLERE, notice “Cormenin”, Ibidem, p. 206 à 208.

 15 Jean HILAIRE, notice “Pardessus”, Ibidem, p. 609-610.

6Bien avant l’apparition des autres disciplines que sont le droit


administratif, considéré comme un droit plus politique, l’histoire
du droit, l’économie politique, le droit international ou la
législation industrielle, l’enseignement du droit commercial qui
suit naturellement l’application du Code de commerce au début
de l’année 1808 est donc le premier à venir compléter les
enseignements fondamentaux. Le premier professeur de Code de
commerce à la faculté de droit de Paris est Jean-Marie Pardessus
(1772-1853) qui fait partie des grands pionniers avec
Ortolan10 pour le droit criminel, François Poncelet11 en histoire
du droit, le baron de Gerando12, Macarel13 et Cormenin14 pour le
droit administratif. Il s’agit à cette époque d’un enseignement du
Code de commerce qui fera l’objet de la publication d’un traité de
droit commercial (1814-1816) étudié selon la méthode de
l’exégèse dont le prince sera Demolombe (1804-1888). Le
professeur dicte les articles du Code et les commente d’une
manière littérale en respectant l’ordre des quatre livres : le
commerce en général (livre premier), le commerce maritime (livre
deuxième), les faillites et les banqueroutes (livre troisième) et la
juridiction commerciale (livre quatrième). Pardessus n’ignore pas,
pour autant, les autres sources du droit commercial que sont les
lois antérieures ou postérieures tant dans le domaine civil que
commercial et se réfère même “aux principes du droit commun
appliqués autant que la nature des choses le permet”. Il publie
aussi avec son Cours de droit commercial une bibliographie
exhaustive des ouvrages de droit commercial parus jusqu’à son
époque en plusieurs langues. Fondateur d’une discipline nouvelle,
Pardessus ne s’enferme pas dans la méthode exégétique. Juriste
renommé, Pardessus fait le pont entre le monde des praticiens et
celui de la doctrine, entre les milieux juridiques et ceux de la
politique15.
 16 Christophe JAMIN, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.,
p. 381 ; Philippe REMY, “Eloge d (...)

 17 Jean-Louis HALPERIN, article “exégèse”, Dictionnaire de la


Culture juridique, op. cit., p. 681 à 6 (...)

7La méthode exégétique qui domine au début du XIX  siècle e

l’enseignement du droit en France a d’ailleurs permis aux


premières générations de juristes de s’approprier les dispositions
des Codes, d’en comprendre le sens exact et d’en permettre
l’application. Elle a permis aussi d’acclimater les codes 16en
montrant leur légitimité politique bien au-delà de la période
napoléonienne. Mais la méthode exégétique qui d’une certaine
manière sacrifie au culte des Codes a présenté aussi de graves
inconvénients : arrimée au Code de commerce, elle ignore en
grande partie les matières qui n’y figurent pas : le fonds de
commerce, le crédit, l’assurance terrestre alors que le mécanisme
de l’assurance joue un rôle très important à partir de la
Restauration. Les effets de commerce ne sont connus qu’à travers
le billet à ordre ou la lettre de change. Les sociétés de personnes
vite dépassées donnent lieu à beaucoup de développement
contrairement aux sociétés de capitaux. Elle témoigne aussi d’un
conformisme “éloigné de la vie du droit”17.
8La doctrine officielle n’a pas ignoré, par contre, le phénomène
de décodification du droit commercial rendu nécessaire à la fois
par les insuffisances d’un Code “né vieux” et tourné plus vers le
passé que vers le présent et l’avenir, et d’autre part l’accélération
de la révolution industrielle avec ses nombreuses conséquences
dans la vie des affaires. Témoignent de ce phénomène de
décodification qui s’observe dès la Monarchie de juillet et se
prolonge surtout sous le Second Empire : la loi de 1838 qui
remplace entièrement le livre trois du Code sur les faillites et les
banqueroutes, la loi de 1856 sur l’arbitrage forcé entre associés,
la loi de 1863 sur le gage commercial, celle de 1865 sur le
chèque ou encore celle de 1867 sur les sociétés par actions.
 18 Sur le rôle des praticiens du droit commercial, on se réfèrera
aux développements de Jean HILAIRE, (...)

 19 Jean HILAIRE, “Le comparatisme en matière commerciale au


XIX  siècle”, RHFD, 1991, n  12, p. 127-1 (...)
e o

9Il faut également insister sur le fait que la doctrine officielle,


celle émanant des professeurs de Code de commerce ne saurait
résumer l’intégralité de la réflexion juridique en matière
commerciale. Dans le prolongement des ouvrages de Vital-Roux
et de Boucher datant de la période immédiatement antérieure au
Code de commerce et en marge de la doctrine officielle
exégétique qui a tendance à s’enfermer dans les commentaires
des ordonnances de 1673 et de 1681, se développe dès la
Restauration et surtout sous la Monarchie de juillet une critique
du Code qui est le fait de praticiens bons connaisseurs de la vie
économique qui n’hésitent pas à se déclarer favorables à une
réforme profonde du droit commercial considéré comme
autonome par rapport au droit civil, beaucoup plus lié à la
pratique qu’à la théorie juridique, plus perméable aussi aux
influences étrangères18. Ainsi par exemple Emile Vincens, ancien
négociant devenu haut fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur
qui, dans son Exposition raisonnée de la législation commerciale
et examen critique du Code de commerce (1821) élabore une
véritable ébauche du droit des affaires dégagée du simple
commentaire du Code, avec des aspects de droit privé et de droit
public. De même Horson, avocat et ancien agréé au tribunal de
Commerce de Paris, qui, dans ses Questions sur le Code de
commerce (1830) considère que la codification du droit
commercial est venue trop tôt et qu’elle est trop contingente de
l’ordonnance de 1673. Quant à Fremery, lui aussi avocat, il
considère dans ses Etudes de droit commercial ou du droit fondé
par la coutume universelle des commerçants qu’il faut s’appuyer
non sur les lois mais sur les coutumes et les contrats des
commerçants (1833). L’excès de légalisme en matière
commerciale provient d’une contamination du concept de droit
national qui a dominé la codification du droit civil. Il masque
l’universalité des usages du commerce et les spécificités du droit
commercial. Cette dernière remarque sur le concept de droit
national pose l’importante question du comparatisme en droit
commercial19. Cette dimension essentielle, véhiculée en
particulier par la revue Themis dès la monarchie de Juillet, pousse
certains auteurs à comparer les lois françaises au droit romain et
aux droits étrangers, tout en restant dans un cadre
essentiellement européen et c’est surtout vers l’Angleterre où a
débuté la révolution industrielle que l’on se tourne naturellement
à cette époque. C’est ce que fait par exemple V. Bécane, avocat et
professeur de Code de commerce à la faculté de droit de Poitiers
à propos des sociétés en commandite inconnues outre-Manche,
ce qui ne plaide pas en leur faveur, selon cet auteur.
 20 Sur l’enseignement à la faculté de droit de Toulouse au
XIX  siècle, on se reportera à la synthèse (...)
e

10Au-delà de ces considérations générales sur la doctrine


commercialiste dans la première moitié du XIX  siècle, il faudrait
e

connaître de manière plus précise comment le droit commercial


était-il enseigné dans les différentes facultés françaises de droit à
cette époque, quelle doctrine a-t-il réellement engendrée. Nous
manquons d’études sur chacune des facultés concernées à cette
époque : en dehors de Paris, qu’en était-il dans les facultés de
province : Aix, Caen, Dijon, Grenoble, Poitiers, Rennes,
Strasbourg ? Nous disposons de quelques éléments pour la
faculté de droit de Toulouse20.
11L’enseignement du droit commercial apparaît à la faculté de
droit de Toulouse sous la Restauration mais les débuts sont
difficiles et les premiers professeurs qui appartiennent beaucoup
plus au monde des praticiens qu’à celui des universitaires n’ont ni
l’envergure de Pardessus, ni la considération attachée aux
professeurs de Code napoléon ou de droit romain.
 21 Olivier DEVAUX, L’enseignement à Toulouse de 1789 à 1830,
Thèse Droit 1988, op. cit. p. 838.

12Le cours est d’abord confié en 1820 à un voyageur de


commerce, un certain Moulet chargé d’enseigner la théorie et la
pratique commerciales21. Il traite “les principes généraux du
commerce, l’origine de la nature et de la consommation des
denrées indigènes, les principales manufactures de France et de
Belgique, les opérations de commerce extérieur, les voyages de
terre et les genres de commerce qu’on peut entreprendre à
Toulouse et dans toute la France. Il propose aussi une notice sur
Paris, ses fabriques, son commerce, termine par l’économie
coloniale, le commerce maritime, le cabotage. Le code de
Commerce est comparé aux ordonnances de 1673 et de 1681. Le
Cours de droit commercial passe ensuite à l’abbé Henri Berger,
l’un des trois suppléants, ancien avocat devenu ecclésiastique,
esprit éclectique qui s’intéresse à la fois au droit canonique et au
droit commercial avant de se consacrer à une carrière
ecclésiastique, ce qui ne l’empêche pas de cultiver l’esprit
juridique et de faire partie des fondateurs de l’Académie de
législation de Toulouse en 1851. Le cours de droit commercial
revient ensuite à Alexis Ferradou, avocat spécialisé dans les
affaires commerciales, greffier semble-t-il au tribunal de
commerce de Toulouse qui sera le premier véritable titulaire de la
chaire de droit commercial avec un enseignement proposé en
troisième année de licence. Ferradou appartient avant tout au
monde des praticiens : il oriente son enseignement (de 1822 à
1839) vers la pratique et la jurisprudence des tribunaux de
commerce. Il refuse d’enseigner le droit maritime au motif que
Toulouse n’est pas un port de mer.
 22 Jacques POUMAREDE, notice sur “Benech”, Dictionnaire
historique des juristes français, op. cit., p (...)

 23 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse


au XIX  siècle, op. cit., p. 49-50.
e

 24 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Molinier”, Dictionnaire


historique des juristes français, op. cit (...)

 25 Prolongée après lui par Georges Vidal (1852-1911) et Joseph


Magnol (1876-1951).
 26 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse
au XIX  siècle, op. cit., p. 46-48.
e

13C’est surtout avec Constantin Dufour (1805-1885) que


l’enseignement du droit commercial prend son essor à Toulouse.
Originaire du Gard, Dufour a effectué ses études de droit à la
faculté de droit de Paris dont il sort docteur en 1826. Inscrit au
barreau de Montpellier, ses débuts dans l’université sont
difficiles. Il échoue au concours de recrutement à la place de
suppléant à Aix (1830), fait un recours, se présente à Toulouse où
il profite finalement des démissions de plus de la moitié du corps
professoral après la Révolution de 1830. Professeur suppléant à
Toulouse (1831), il échoue à la chaire de procédure civile
(1837/1838), triomphe enfin en 1841 au concours qui a lieu à
Paris pour pourvoir la chaire de droit commercial devenue vacante
par la mort d’Alexis Ferradou. Après ces débuts quelque peu
laborieux, Constantin Dufour occupe sans interruption la chaire
de droit commercial à Toulouse jusqu’au moment où il doit
démissionner atteint de paralysie (1882) en plein cours semble-t-
il. Dufour incarne donc l’enseignement du droit commercial à
Toulouse pendant plus de quarante ans (de 1841 à 1882). Il
bénéficie de la confiance de ses collègues et du ministère
puisqu’il est doyen de la faculté de droit de 1869 à 1878, trois
fois membre du jury du concours d’agrégation. Proche du
romaniste Osmin Benech22, Dufour a véritablement rénové
l’enseignement du droit commercial à Toulouse, ce qui montre
bien qu’assez tôt en France, les professeurs ne s’enferment pas
dans la méthode exégétique. Dufour manifeste très tôt son attrait
pour le droit romain et les doctrines de Savigny. Il connaît
l’allemand et avant même qu’Aubry et Rau aient publié la
traduction de l’ouvrage de Zachariae, il s’intéressera à l’œuvre du
professeur de Heidelberg et à la nouvelle méthode qui est
préconisée. Rompant avec les habitudes de son prédécesseur,
Dufour s’élève au-dessus de la pratique et “se plait à édifier de
vastes constructions inspirées à l’occasion du droit romain dont il
préfère les définitions à celles des codes, ou encore des théories
allemandes. “Avec Savigny, il n’aime pas l’œuvre législative qui
immobilise le droit et préfère une jurisprudence systématique et
coordonnée à un corps de législation”. Il adopte une attitude
résolument critique tant à l’égard du Code de commerce que de
la législation en général ou de la jurisprudence contemporaine.
Contrairement à Ferradou, il enseigne le droit maritime et
spécialement le contrat d’assurance maritime. Son esprit de
synthèse se manifeste tout particulièrement dans le cours
complémentaire qu’il consacre aux principes généraux du droit.
En accord avec Einert, son cours présente l’originalité de traiter la
lettre de change non pas comme l’expression du contrat de
change, comme cela était généralement soutenu en France mais
“comme une valeur semblable à un écu métallique et destinée à
remplacer ou à suppléer le papier-monnaie”. A l’Académie de
législation de Toulouse qu’il préside à partir de 1864, il présente
plusieurs études sur le prêt à la grosse (1851), la théorie de
l’aveu (1851), les billets au porteur (1855), la théorie juridique
des comptes courants (1860). A la fin de sa carrière professorale,
il est membre en 1881 de la commission mise en place par la
faculté de droit de Toulouse consultée par le gouvernement sur
un projet de réforme de l’article 105 du Code de commerce
disposant que “la réception des objets transportés et le paiement
du prix de la voiture éteignent toute action contre le voiturier” 23.
Constantin Dufour fait donc partie de ces professeurs toulousains
qui ont contribué à la rénovation de l’enseignement de la science
juridique au milieu du XIX  siècle contre ceux qui restaient encore
e

trop attachés à la méthode exégétique, tel le doyen Laurens


destitué par l’inspecteur général Laferrière en 1855 non pour des
raisons politiques mais pour s’être montré trop réticent à l’égard
du mouvement de rénovation de la pensée juridique. L’exemple
toulousain doit être enfin complété par le rôle joué par Joseph
Victor Molinier (1799-1887)24. Né à Turin (alors sous domination
française) d’un père militaire, Molinier est d’abord avocat à
Toulouse (1821) puis procureur du roi à Villefranche-de-
Lauragais (1831) puis à Toulouse (1834). Docteur en droit (1838),
suppléant à la faculté de droit de Toulouse, il obtient la chaire de
législation criminelle comparée (1843) puis de droit criminel
(1847). Lui aussi fait partie des fondateurs de l’Académie de
législation de Toulouse dont on ne soulignera jamais assez le rôle
qu’elle a joué au plan de la rénovation de la science juridique par
les rencontres qu’elle a permises entre le monde universitaire et
celui de la pratique et grâce aux échanges qu’elle a développés
entre universitaires français et étrangers. Demeuré célèbre pour
avoir été le créateur de l’école criminaliste toulousaine 25, Molinier
s’est intéressé lui aussi au droit commercial. Il termine en 1846
un traité de droit commercial dans lequel il plaide pour une
meilleure connaissance de l’histoire et du droit comparé. Dans la
préface de cet ouvrage, il souligne son habitude de rapprocher les
dispositions des codes étrangers des nôtres. En 1858 encore, il
présente à l’Académie de législation de Toulouse un rapport de
l’un de ses correspondants Bédarride, avocat à Aix, auquel il
reconnaît une “légitime autorité doctrinale” largement acquise
dans le monde des affaires. Ce rapport contient un commentaire
du titre trois du livre premier du Code de commerce relatif aux
sociétés et à deux lois du 17 juillet 1856 sur l’arbitrage et sur les
sociétés en commandite par actions26.
14L’exemple toulousain – qui mériterait d’être confronté à celui
des autres facultés de droit-permet de souligner l’évolution des
méthodes dans l’enseignement du droit commercial à partir de la
monarchie de juillet : Victor Molinier et Constantin Dufour sont
loin de réduire leur enseignement à la méthode exégétique : en
utilisant l’histoire du droit, le droit romain en tenant compte des
influences étrangères, en recherchant des principes généraux, ils
adoptent déjà une méthode scientifique plus rigoureuse qui
annonce les évolutions de la fin du XIX  siècle. Il faut par ailleurs
e

tenir compte du caractère polyvalent des enseignements donnés


par les professeurs des facultés de droit jusqu’à la fin du siècle.
La création du concours d’agrégation (1855) n’a pas modifié en
effet la profonde unité de l’enseignement juridique. Il est courant
que les professeurs passent d’une chaire à une autre au cours de
leur carrière et il est de règle que les suppléants puissent
remplacer tout professeur défaillant. Il faut également remarquer
que les premières promotions de professeurs issus du concours
d’agrégation parviennent à une certaine maturité dans leur
doctrine au bout d’une vingtaine d’années et c’est donc dans la
première décennie de la III  République, surtout après 1880 que
e

les œuvres doctrinales connaissent leur période d’essor et vont


contribuer à renouveler la science juridique, un renouvellement
rendu particulièrement nécessaire par l’élargissement des
opérations commerciales lié à l’expansion économique
multiforme du XIX  siècle.
e

II – LA DOCTRINE
COMMERCIALISTE A LA FIN DU
XIX SIECLE
E

15La doctrine commercialiste prend véritablement son essor dans


sa forme savante à la fin du XIX  siècle et au début du XX  siècle.
e e

L’élargissement des disciplines juridiques enseignées dans les


facultés de droit, le caractère plus scientifique des approches
d’un droit lié aux évolutions sociales, le pluralisme des sources
du droit permettent un mûrissement de la pensée juridique alors
que la segmentation du Concours de l’agrégation en 1896
entraîne une plus grande spécialisation des professeurs.
 27 Nous reprenons ici l’étude déjà citée de Jean HILAIRE sur le
comparatisme en matière commerciale a (...)

 28 Bulletin de la Société de législation comparée, 1869-1872, p. 4,


cité par Jean HILAIRE dans son étu (...)

 29 M. ANCEL, “Cent ans de droit comparé en France”, Livre du


Centenaire de la Société de législation (...)

16Cette doctrine commercialiste est d’abord marquée par une


dimension comparatiste27 toujours plus affirmée et approfondie.
Cette orientation est ancienne comme en témoignent les
premières sources du droit commercial ainsi que les influences
italiennes dans l’ancien droit. Au début du XIX siècle encore,
e

Pardessus limite le comparatisme à une comparaison entre les


dispositions nationales, principalement celles du Code de
commerce avec les lois et coutumes antérieures au XVIII  siècle et
e

seulement pour le droit maritime. Plus tard, le comparatisme,


porté essentiellement par la doctrine, est associé avant tout à la
traduction et à la connaissance des législations étrangères dans le
but d’améliorer ou de compléter la législation française qui reste
le modèle. Un effort important, qui traverse tout le XIX  siècle, e

concerne la publication des sources. A partir du Second Empire, le


législateur français se convertit lui-même au comparatisme. Les
évolutions économiques et techniques, l’importance de la
doctrine libérale, le poids du modèle anglais conduisent le régime
impérial à élaborer des lois nouvelles en mettant en avant dans
l’argumentaire les avantages procurés au commerce par le droit
anglais. Les lois de 1858 sur les warrants et les ventes publiques
de marchandises en gros, la loi de 1863 instaurant des sociétés à
responsabilité limitée, la loi de 1865 sur le chèque doivent
beaucoup à cette approche à la fois comparatiste et utilitaire.
Pour autant, le législateur se limite à un certain nombre
d’aménagements techniques apportés à la législation positive et
évite de remettre en cause les tendances profondes, c’est-à-dire
nationales du système juridique français : le maintien d’un
contrôle étatique dans la tradition du colbertisme, la méfiance à
l’égard des sociétés de capitaux, les préoccupations fiscales dans
les usages bancaires, le respect de la codification napoléonienne.
Le comparatisme évolue à la fin du Second Empire et sous la
III  République : tout en restant principalement tourné vers le
e

travail législatif et alors que s’affirme de plus en plus en France le


régime parlementaire ; il est de plus en plus marqué par le
courant positiviste. Comme l’indique, dès 1869, Edouard
Laboulaye, “la science du droit doit être, comme la physique ou la
chimie, une science positive”28. La recherche des principes tient à
la fois à la philosophie du droit et à l’économie politique. Vingt
ans plus tard, les horizons s’élargissent singulièrement : les
échanges mondiaux conduisent à porter les regards plus loin que
l’Europe et l’influence américaine se fait sentir. C’est l’époque des
grandes joutes entre commercialistes qui situent leurs réflexions
entre “utopie et réalisme”. Le comparatisme s’ouvre à une
dimension universaliste. Il s’agit désormais d’analyser les
législations sur une même matière pour en opérer la synthèse et
chercher ainsi un rapprochement avec les notions les plus
communément reçues. A l’heure des grandes Expositions
universelles, il incombe aux juristes, au-delà de la diversité des
formes, comme le dira Saleilles au Congrès de législation
comparée en 1900 de rechercher l’identité foncière de la vie
juridique universelle. On passe désormais “de l’étude des
législations étrangères –qui doit être certes poursuivie- à celle
des systèmes juridiques”29, ce qui permettra, espère-t-on de
tendre à une certaine universalité du droit.
 30 Roger HOUIN et Bernard BOULOC, Les grands arrêts de la
jurisprudence commerciale, (G.A.J.C.) Paris (...)

 31 Christophe JAMIN, article “Dix-neuf cent : crise et renouveau


dans la culture juridique”, Dictionn (...)

 32 J. M. BLANQUER, “Notice Maurice Hauriou”, Dictionnaire des


juristes français, op. cit., p. 396 à 3 (...)

 33 Roger HOUIN, “Préface” de la première édition des G.A.J.C., op.


cit., p. XIII.

 34 Civ. 21 avril 1891, G.A.J.C., op. cit., p. 28-31.

 35 Civ. 23 février 1891, G.A.J.C., op. cit., p. 183-186.

 36 Civ. 30 mai 1892, G.A.J.C., op. cit., p. 272 à 279.

 37 Req. 11 juillet 1900, G.A.J.C., op. cit., p. 37-38.

 38 Civ. 30 juillet 1912, G.A.J.C., op. cit., p. 32-36.

 39 Cass. Ch. réun., 11 mars 1914, G.A.J.C., op. cit., p. 177 à 181.

17La doctrine commercialiste accorde de plus en plus


d’importance à la jurisprudence qui non seulement vient préciser
l’interprétation d’un droit essentiellement législatif mais encore
en “infléchit souvent les solutions au contact des nécessités de
l’évolution économique et des besoins de la pratique” 30. Cette
approche jurisprudentielle correspond à une tendance générale
que l’on retrouve en droit civil comme en témoigne la création en
1902 de la revue trimestrielle de droit civil et en droit
administratif où se produit dans le dernier tiers du XIX  siècle une e

“montée en puissance de la justice administrative” 31 grâce à


l’œuvre du Conseil d’Etat abondamment commentée par les
auteurs, en particulier le doyen Maurice Hauriou (1856-1929)32.
Alors que traditionnellement, beaucoup de contestations se
terminent par des transactions en matière commerciale, ce qui
montre l’importance de l’arbitrage dans cette matière et même si
“la vie d’un arrêt de principe est souvent éphémère” en raison du
caractère évolutif du droit commercial qui n’est que “l’expression
juridique de l’évolution économique”33, la Cour de cassation
commence à rendre de grands arrêts dans le domaine commercial
à partir des années 1890 qui seront commentés par la doctrine.
Ainsi par exemple le caractère habituel des actes de commerce à
propos d’industries agricoles34 ou la reconnaissance de la
personnalité morale des sociétés civiles (1891). Alors que la
personnalité des sociétés de commerce n’a pratiquement jamais
été mise en doute, celle des sociétés civiles était plus discutée :
après une première période où la jurisprudence n’a guère hésité à
tenir les sociétés civiles pour d’authentiques sujets de droit, elle
s’est ensuite montrée plus restrictive sous la double influence de
la théorie de la fiction et d’une exégèse plus sévère du Code. Elle
avait considéré jusque là qu’aucun texte ne refusant la
personnalité aux sociétés civiles, ces sociétés l’avaient. Le
raisonnement avait été ensuite inversé, ce qui revenait à dire
qu’aucun texte ne leur accordant formellement la personnalité
morale, il n’y avait pas lieu de la leur accorder. L’arrêt de principe
rendu le 23 février 1891 en revenait à une solution favorable à la
reconnaissance de la personnalité morale aux sociétés civiles
autour de trois propositions : il est de l’essence des sociétés en
général de créer une individualité collective ayant des intérêts et
des droits propres ; les textes du Code civil personnifient la
société d’une manière expresse ; tant qu’elles durent, les sociétés
civiles constituent des personnes morales” 35. La Cour de
cassation se prononçait en 1892 relativement aux pouvoirs de
l’assemblée générale extraordinaire en matière de modification
des statuts. Sur la difficile question de l’équilibre entre l’intérêt
collectif de la société et les intérêts individuels des actionnaires,
la Cour suprême commençait à dépasser la conception purement
contractuelle de la société peu en conformité avec la pratique, et
s’engageait, comme l’y encouragera la doctrine dans les voies de
la théorie des bases essentielles, procédé commode pour
desserrer le carcan contractuel emprisonnant la personne
morale36. Par ailleurs, mettant un point final à une évolution qui
n’a cessé d’étendre le domaine des actes de commerce par
accessoire ou par relation, la Cour de cassation dans un arrêt du
11 juillet 1900, posait le principe selon lequel “toutes les
obligations d’un commerçant qui se rattachent à l’exercice de son
commerce ou de son industrie, présentent un caractère
commercial sans qu’il y ait lieu de distinguer entre celles qui ont
une origine conventionnelle et celles qui proviennent de quasi-
contrats ou de délits”37. A propos des opérations de Bourse, la
Cour de cassation considèrera dans un arrêt du 30 juillet 1912
que si elles ne sont pas, par nature, nécessairement des actes de
commerce, elles peuvent revêtir ce caractère à raison du but
spéculatif (la recherche d’un profit) et des circonstances
(multiplicité et importance des opérations) dans lesquelles elles
ont lieu. Dans ce cas, la preuve des ordres peut résulter des
circonstances et des présomptions de la cause, conformément
aux règles admises en matière commerciale38. Reprenant la
définition civiliste du bénéfice admise par une partie de la
doctrine, les Chambres réunies dégageront dans un arrêt du 11
mars 1914, le critère de distinction entre société et association
qui résulte de la recherche de bénéfices, c’est-à-dire d’un gain
pécuniaire ou matériel qui ajouterait à la fortune des associés 39.
D’autres arrêts importants seront rendus à la même époque par la
Cour de cassation à propos de l’obligation solidaire des associés
de la société en nom collectif (1898), de la nullité de la société
pour défaut de publicité ou de la faillite d’une société de fait
(1900). Le temps n’est plus où l’on cherchait en vain dans les
grands répertoires de jurisprudence des articles consacrés au
droit commercial et les principaux recueils de jurisprudence
accordent désormais une place réelle à la matière commerciale.
La doctrine, quant à elle, se consacre principalement à l’étude des
décisions de justice avec cette tentation que le culte de la
jurisprudence remplace celui du Code. Source (directe ou
indirecte) du droit, elle doit, comme le dira plus tard Hauriou,
exercer un “magistère sur la jurisprudence et l’interprétation de la
loi”.
 40 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Charles Lyon-
Caen”, Dictionnaire des juristes français, op. cit., (...)

 41 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Louis Renault” (1843-1918),


professeur de droit des gens à la fac (...)

 42 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Edmond Thaller”, Dictionnaire


des juristes français, op. cit., p. (...)

 43 Romuald SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, op. cit.,


p. 279.

 44 Il s’agit du Traité général, théorique et pratique de droit


commercial.

 45 Nicole DOCKES-LALLEMENT, notice “Paul Pic” (1862-


1944), Dictionnaire des juristes français, op. ci (...)

 46 C. FILLON, notice sur “Louis Josserand” (1868-


1941), Dictionnaire des juristes français, op. cit., (...)

 47 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Georges Ripert” (1880-


1958), Dictionnaire des juristes français, (...)

18Ces grandes tendances se retrouvent chez les principaux


représentants de la doctrine commercialiste à la fin du XIX  et au e

début du XX  siècles que sont Charles Lyon-Caen (1843-1935) et


e
Edmond Thaller (1851-1918) dont les ouvrages (et ceux de leurs
disciples et continuateurs) fréquemment réédités constitueront la
littérature juridique de référence pour les commercialistes jusqu’à
la Seconde guerre mondiale. Après une thèse de droit romain,
Charles Lyon-Caen40 fait paraître en 1870 un ouvrage remarqué
sur les sociétés étrangères en France. Agrégé en 1872, il est
nommé à Nancy puis à la faculté de droit de Paris (1878), chargé
du cours de droit commercial à partir de 1889. Auteur de
plusieurs rapports sur les sociétés par actions en 1891 et sur les
valeurs mobilières en 1908) à l’Institut de droit international, il a
publié plusieurs traductions de lois commerciales étrangères, en
particulier de la loi anglaise sur les faillites du 25 août 1883 (en
1888) et le Code de commerce allemand (en 1881). Il a rédigé
aussi des notes de doctrine dans la Revue critique
particulièrement en droit des transports et en droit maritime ainsi
qu’en matière commerciale au Recueil Sirey. Il est resté célèbre
surtout pour son Précis de droit commercial (1879-1885), en
deux volumes, rédigé avec Louis Renault41 qui s’affranchit
clairement de la méthode exégétique et ne respecte plus l’ordre
des matières du Code de commerce. Il y traite également des
chambres de commerce, des contrats commerciaux dont la vente,
le gage, la propriété industrielle et artistique. Beaucoup
d’étudiants ont appris le droit commercial à travers son manuel
(1887) qui connaîtra douze éditions jusqu’en 1918 et son traité
de droit commercial (1889-1899) en neuf volumes qui connaîtra
quatre éditions. Il a orienté “la discipline dans le sens de la prise
en compte croissante des modèles étrangers et du droit
international ou uniforme”. Elève à Strasbourg d’Aubry (1803-
1883) et Rau (1803-1877) qui, dès 1839, empruntent aux
Allemands l’idée de privilégier l’exposé synthétique du droit par
rapport à une présentation du droit civil selon l’ordre du Code,
Edmond Thaller42 est professeur à la faculté de droit de Lyon puis
de Paris à partir de 1883. Il fonde en 1886 les Annales de droit
commercial et industriel français, étranger et international  (qu’il
dirigera pendant un quart de siècle) où il propose des vues
nouvelles en droit des sociétés par exemple la création d’une
société entre les obligataires (1894). Dans la Revue politique et
parlementaire (1903), il propose une réforme de la loi sur les
sociétés par actions. Son ouvrage sur Les faillites en droit
comparé avec une étude sur le règlement des faillites en droit
international (Paris, 1887) est considéré comme “le premier
ouvrage véritablement scientifique d’études commerciales” 43. Il
publie en 1898 son traité de droit commercial qui connaîtra de
nombreuses rééditions. Le nom de Thaller est également attaché
à la collection de droit commercial44 qui portera son nom,
composée de plusieurs ouvrages : celui de Paul Pic45 sur les
sociétés commerciales (1907-1924), celui de Jean Percerou sur
les faillites, banqueroutes et liquidations judiciaires, celui de
Louis Josserand46 sur les transports (1910) et celui de Georges
Ripert47 sur le droit maritime (1914).
 48 Jacques POUMAREDE, notice sur “Henry Bonfils”, Dictionnaire
des juristes français, op. cit., p. 10 (...)

 49 A partir de 1879, un cours de droit commercial est proposé à


l’Institut catholique de Toulouse par (...)

 50 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse


au XIX  siècle, op. cit., annexe III
e

19L’exemple toulousain corrobore cette analyse générale.


L’enseignement du droit commercial est repris à partir de 1882
par Henry Bonfils (1835-1897). Né à Montpellier, docteur à
Toulouse (1863) avec une thèse consacrée aux transactions en
droit romain et en droit français, Bonfils 48 est agrégé en 1865,
nommé à Toulouse, transféré pour quelques mois seulement à la
faculté de droit de Douai qui vient d’être créée pour y enseigner
le Code Napoléon. Réintégré dès l’année suivante à Toulouse, il y
enseigne successivement le droit civil (1866), la procédure civile
(1875) avant d’être transféré à la chaire de droit commercial
(1882) en raison de la démission pour motif de santé de
Constantin Dufour49. Lui aussi doyen de la faculté (de 1879 à
1888), Bonfils est surtout un pédagogue. Il a écrit plusieurs
manuels et traités relatifs à l’organisation judiciaire, à la
procédure civile et commerciale, au droit international public.
C’est d’ailleurs surtout dans cette discipline qu’il s’illustre
renouvelant le droit des gens. Son ouvrage traduit en allemand lui
vaut une réputation internationale et Bonfils est considéré comme
l’un des fondateurs du droit international public. Membre de
l’Académie de législation de Toulouse à partir de 1867, il donne
régulièrement des chroniques commerciales dans la Gazette des
tribunaux du Midi. On a conservé le plan de son Cours de droit
commercial50 pour l’année 1887-1888. L’introduction semble
particulièrement développée : elle traite de l’objet du droit
commercial et de sa raison d’être. Il envisage ensuite l’histoire
externe du droit commercial, c’est-à-dire ses sources
historiques : consulat de la mer, rooles d’Oléron, droit maritime
de Wisby, recès de la hanse, table d’Amalfi, guidon de la mer,
édits des rois de France : Louis XI, François Ier, Charles IX, Henri
III, Henri IV. L’ordonnance de mars 1673 (rédaction-
contenuautorité-commentateurs). L’introduction se termine par
une présentation des sources actuelles du droit commercial :
Code de commerce (rédaction-contenu-divisions), lois
postérieures ou dérogatoires, usages, relations du droit
commercial et du droit civil. Le cours d’Henry Bonfils est ensuite
développé en quatre livres distribués d’une manière distincte de
celle du code de commerce. Le livre premier traite du commerce
en général avec une première partie consacrée aux actes de
commerce et aux commerçants qui présente les actes de
commerce (livre IV, titre 2 du Code), les commerçants et leurs
obligations (livre I, titres 1, 2, 4 du Code), les sociétés
commerciales (livre I, titre3). La seconde partie du premier livre
est consacrée aux contrats commerciaux avec les règles
communes à tous les contrats commerciaux et les preuves en
matière commerciale (livre I, titre 7), la vente commerciale, le
gage, les magasins généraux et les warrants (livre I, titre 6), la
commission (livre I, titre 6), le contrat de transport (livre I, titre 6),
les lettres de change, les billets à ordre et les chèques (livre I,
titre 6), les opérations de banques et de compte-courant, les
bourses de commerce et les opérations de bourse (livre I, titre 5).
Le deuxième livre du cours est consacré aux faillites et
banqueroutes (livre III du Code de commerce). Le livre troisième
traite du commerce maritime (livre II du Code). Henry Bonfils
précise que “le temps nécessaire à l’explication complète de
toutes les matières réglementaires dans le livre II du Code de
commerce faisant défaut, le professeur commentera seulement
les textes relatifs aux avaries, aux assurances, les prescriptions et
les fins de non-recevoir. Quant au livre IV du Cours (qui
correspond au livre IV du Code) sur la juridiction commerciale,
Henry Bonfils se borne à renvoyer les étudiants au Cours de
procédure civile étant précisé que les articles 632 à 634,636 à
638 sont commentés au titre premier de la première partie du
livre I du Cours de droit commercial.
 51 Philippe DELVIT, Toiles, gravures, fusain et sanguine… Une
galerie de portraits à l’Université, op (...)

20L’enseignement du droit commercial sera enfin repris à la fin


de l’année 1898 par Louis Fraissingea (1860-1930)51. Né à
Caumont (Gironde), étudiant à la faculté de droit de Bordeaux, il
en sort docteur en 1887 avec une thèse consacrée à la notion de
dol en droit romain et à la responsabilité des architectes et des
entrepreneurs d’après les articles 1792 et 2270. Il enseigne à la
faculté de droit de Toulouse successivement le droit maritime, le
droit civil comparé, le droit commercial comparé. Installé comme
professeur de droit commercial après Henry Bonfils, membre de
l’académie de législation depuis 1885, Fraissingea adopte une
approche résolument comparatiste conformément aux
orientations du droit commercial à la fin du XIX  siècle.
e

L’introduction de son cours est consacrée à l’histoire du droit


commercial et à l’état actuel de la législation commerciale des
divers pays. Il compare les lois françaises et les lois étrangères à
propos de la faillite une nouvelle fois réformée par la loi de 1889
qui a créé la liquidation judiciaire puis les lois de 1903 et de 1908
qui atténuent les dispositions du Code en matière de
banqueroute. Il a publié plusieurs études juridiques consacrées à
la fondation des sociétés par actions (1900), aux communications
maritimes françaises et à la grève des gens de mer (1907), au
problème de la marine marchande (1909).
 52 Le rapport annuel du Conseil général des Facultés de l’Université
de Toulouse (Archives de l’Unive (...)

 53 Jean IMBERT, “Passé, présent et avenir du doctorat en droit en


France”, Annales d’Histoire des Fac (...)

 54 La loi du 13 juillet 1889 permet aux docteurs en droit de moins


de 26 ans de faire valoir la dispe (...)

 55 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse


au XIX  siècle, op. cit., annexe II.
e

 56 Rapport présenté au Conseil académique par M. Paget, Doyen


sur les travaux de la Faculté de droit (...)

21L’intérêt pour le droit commercial grandit à Toulouse à la fin du


XIX  siècle. La matière fait l’objet d’un concours écrit entre
e
étudiants de troisième année de licence 52. Par ailleurs, après de
premières tentatives dans les années 1840 pour que le droit
commercial puisse faire l’objet de thèses de doctorat, jusque là
réservées au droit romain et au droit civil, on voit apparaître les
premières thèses de droit commercial à Toulouse dans les années
1880. A une époque de forte croissance du nombre des thèses de
doctorat en droit53, phénomène qui n’est pas sans lien avec
l’évolution de la législation sur la conscription militaire 54, ces
thèses55 sont consacrées à la banqueroute (1884), aux nullités
des sociétés commerciales (1884), aux effets de la cessation de
paiement en matière de faillite (1891), aux sociétés anonymes
(1894), aux origines historiques de la déconfiture et à ses effets
dans les législations modernes (1894), au compte-courant
(1894), à la perte et au vol de titres au porteur (1897), à
l’endossement en blanc des titres à ordre d’une société anonyme
et aux droits individuels de l’actionnaire (1899). Il est significatif
de remarquer que sur dix thèses soutenues à Toulouse durant
l’année 1893-1894, trois portent sur le droit commercial56.
***
 57 Beaucoup d’auteurs se montrent très critiques à la fin du
XIX  siècle à l’égard des tribunaux de c (...)
e

 58 Rapport d’ESMEIN (23 juillet 1896) sur le Concours


d’Agrégation, Annales d’Histoire des Facultés d (...)

 59 H. F. RIVIERE, avec le concours de Faustin HELIE et Paul PONT,


publication continuée par André WEI (...)

 60 Publié par la Société d’études législatives dont le secrétaire


général était Raymond Saleilles.

 61 Jean-Louis HALPERIN, Présentation du Livre du Centenaire du


Code civil(Paris, Rousseau, 1904), ré (...)
22Créé à la faculté de droit de Paris par Jean-Marie Pardessus
sous le Premier Empire et dans les facultés de province à partir de
la Restauration, le cours de Code de commerce est le premier des
nombreux compléments apportés tout au long du XIX  siècle aux e

enseignements fondamentaux portant essentiellement sur le


Code civil et le droit romain. Marquée à l’origine du double sceau
de l’école de l’exégèse et du légicentrisme, la doctrine
commercialiste française maintient toujours des liens
consubstantiels avec la pratique du monde des affaires, tout en
évoluant vers une forme plus savante qui intègre à la fois le recul
historique, la dimension comparatiste, la critique de la législation
et de la jurisprudence. Elle s’attache aussi à la recherche des
grands principes juridiques, l’unité de la science juridique étant
d’autant plus nécessaire que se diversifient les enseignements
juridiques dans les facultés de droit. Le vaste programme de
réforme réalisé à partir de 1889 par le Ministère en concertation
avec les facultés de droit concernant la licence puis le doctorat et
enfin le concours d’agrégation, consolide la place du droit
commercial dans les enseignements juridiques alors même que
celle des tribunaux de commerce dans le paysage judiciaire est
contestée57. Matière annuelle obligatoire en troisième année de
licence, le droit commercial n’est plus à cette époque “un simple
appendice du droit civil”58 comme il l’a été longtemps, à l’instar
de la procédure civile, selon l’opinion d’Esmein. Est-il pour autant
pleinement autonome à l’égard du droit civil ? Rien n’est moins
sûr car s’il est certain que les deux droits sont liés et qu’il y a à la
fois “rattachement intime” et “séparation” 59 entre les deux Codes,
les opinions divergent sur les interactions entre les deux
branches du droit privé. Au début du XX  siècle, alors que la
e

doctrine commercialiste a acquis sa pleine maturité, le livre du


Centenaire du Code civil60 qui oscille entre l’idée de célébration
et celle de révision permet aux deux “étoiles du droit
commercial”61 d’exprimer, comme souvent, des opinions
divergentes sur la question sensible des rapports entre droit civil
et droit commercial.
 62 Charles LYON-CAEN, “De l’influence du Droit commercial sur le
Droit civil depuis 1804”, Livre du C (...)

23Charles Lyon-Caen62 insiste sur l’influence du droit commercial


sur le droit civil depuis 1804. En dehors des réformes législatives
particulières, il relève que l’autonomie de la volonté permet aux
parties d’écarter expressément dans leurs conventions les règles
du droit civil au profit de celles du droit commercial en particulier
dans les cessions de créance. La jurisprudence est allée dans le
même sens en étendant finalement aux sociétés civiles la
personnalité morale qui n’avait été reconnue primitivement
qu’aux sociétés commerciales. Si des différences subsistent entre
droit civil et droit commercial, elles n’ont rien d’essentiel en
matière de contrats et d’obligations qui touchent surtout des
questions économiques et ne remettent pas en cause les
principes mêmes de l’organisation sociale. Il n’y aurait donc pas
d’obstacle majeur, selon cet auteur, à étendre à la matière civile
le principe de la liberté des preuves ou la présomption de
solidarité entre codébiteurs, à unifier les formalités de
constitution et de réalisation du gage, ou encore de simplifier les
règles de procédure civile. Charles Lyon-Caen considère donc que
les deux branches du droit privé sont appelées à “revenir à leur
unité primitive” et que la fusion se réalisera au profit du droit
commercial qui est plus équitable et moins formaliste.
 63 Edmond THALLER, “De l’Attraction exercée par le Code civil et
par ses Méthodes sur le Droit commer (...)

24Comme il fallait s’y attendre, l’approche d’Edmond


Thaller63 est toute différente. S’il admet que le Code civil, dans la
matière des contrats et des obligations, s’est laissé de plus en
plus pénétrer par les lois commerciales, il considère que l’unité
du droit civil est plus ferme qu’en 1804 et qu’il faut maintenir le
principe selon lequel le droit commercial est un droit d’exception
et le droit civil le droit général. Citant l’exemple allemand, il en
vient même à affirmer que le droit commercial se trouve
désormais dans “une position dépendante” à l’égard du droit civil,
“comparable à celle d’un satellite”. Pour Thaller, il y a eu “prêté-
rendu” entre les deux branches du droit privé. En effet, le Code
civil a obligé le Code de commerce à se subordonner à lui : le
droit civil a pris son ascendant sur le droit commercial en lui
communiquant sa chaîne logique, sa méthode, ses cadres de
démonstration. En 1804, la ligne de partage entre le droit
commercial et le droit civil était très prononcée avec deux
juridictions différentes, deux législations d’esprit différent. Les
rapprochements opérés depuis un siècle au profit du droit civil
s’expliquent par la rationalisation du droit commercial, une
collaboration plus forte des deux ordres de juridiction grâce à
l’intervention beaucoup plus fréquente des Cours d’appel qui, par
la substitution des motifs, font œuvre doctrinale, sous le contrôle
de la Cour de cassation, l’éducation des négociants et la plus
grande formation juridique des juges consulaires, le recours enfin
à un personnel stable d’auxiliaires formés dans les facultés de
droit.
 64 Roger HOUIN, Les grands arrêts de la jurisprudence
commerciale, tome 1, op. cit., “préface”, p. XI (...)

 65 Bernard BEIGNIER (Direction), La codification, Actes du colloque


tenu à Toulouse les 27 et 28 octo (...)

 66 Jean HILAIRE, “Introduction historique au droit commercial”, op.


cit., p. 131.
25L’historien du droit n’a certainement pas à trancher entre ces
opinions émanant des plus fameux commercialistes français de la
fin du XIX  siècle et du début du XX  siècle. Même si l’idée selon
e e

laquelle le droit civil était le droit commun et le droit commercial


un droit d’exception était communément admise à cette époque,
il est certain aussi qu’au moment du centenaire du Code civil, le
droit commercial n’était plus un parent pauvre par rapport au
droit civil et qu’il avait cessé de souffrir de “la majesté du Code
civil”64. Il est certain aussi que les spécificités de la vie
économique ont fait l’objet depuis lors d’une prise en compte de
plus en plus importante. S’est produite également une extension
continue du droit commercial qui, bien au-delà du Code de
commerce, œuvre avant tout de compilation beaucoup plus que
de rédaction65, a évolué vers le droit des affaires, le droit de
l’entreprise, le droit économique. On a donc assisté à une
modification sensible du périmètre de ce droit qui intègre
désormais des éléments importants du droit public, d’où un
véritable “retour aux sources”66 du droit des marchands. Un
siècle après le premier centenaire du Code civil, nos collègues
positivistes auront donc certainement à cœur de faire un nouveau
bilan du chemin parcouru entre nécessités de spécialisation et
recherche de l’unité du droit.
NOTES
1 Sur la question de l’autorité de la doctrine, consulter Revue
d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, RHFD , 2007,
n  27, qui publie les “Actes de la Journée d’étude du 23 septembre
o

2005” organisée par l’Institut d’histoire du droit (Université de Paris


II/CNRS FRE 2818). Voir également : A. J. ARNAUD, Les juristes face à
la société du XIX   siècle à nos jours, Paris, PUF, 1975 ; Ch. CHARLE, La
e

République des universitaires 1870-1940, Paris, Ed. du Seuil, 1994 ;


Nader HAKIM, L’autorité de la doctrine civiliste française au XIX siècle,
e

LGDJ, 2002, tome 381 de la Bibliothèque de droit privé ; Frédéric


AUDREN, Les juristes et les mondes de la science sociale en France ,
Thèse droit, Université de Bourgogne, 2005, Philippe JESTAZ et
Christophe JAMIN, La doctrine, Dalloz, 2004.

2 Les travaux de Jean HILAIRE sur l’histoire du droit commercial


constituent notre référence. On signalera tout particulièrement
son Introduction historique au droit commercial, PUF, collection droit
fondamental, 1  édition 1986 ; sa collaboration aux ouvrages du
ère

Centre de recherche sur le droit des affaires (CREDA) de la Chambre de


commerce et d’industrie de Paris : L’entreprise personnelle,
2 : Critique et prospective, Paris, Librairies Techniques, 1981 ; La
société en commandite entre son passé et son avenir , Paris, Librairies
Techniques, 1983, Quel droit des affaires pour demain  ? Essai de
prospective juridique, Paris, Librairies Techniques, 1984 ; du même
auteur : Le Droit des Affaires et l’Histoire, Paris, Economica, 1995.
Parmi les autres ouvrages, on signalera Romuald
SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, Paris, Ed. Montchrestien,
collection Domat droit privé, 1989 ; Anne LEFEBVRE-TEILLARD, La
société anonyme au XIX   siècle, Histoire d’un instrument juridique du
e

capitalisme, Paris, 1985 ; Marie-Hélène RENAUT, Histoire du droit des


affaires, Ellipses, mise au point, 2006.

3 Jeanne-Marie TUFFERY, Ebauche d’un droit de la consommation. La


protection du chaland sur les marchés toulousains aux XVII   et
e

XVIII   siècles, thèse Droit, Université des Sciences sociales de Toulouse,


e

1997.

4 Guillaume LEYTE, RHFD, 2007, p. 397.

5 Jean-Marie CARBASSE, Dictionnaire de la Culture juridique (sous la


direction de Denis Alland et Stéphane Rials) Paris, Lamy, PUF, collection
Quadrige-Dicos poche, 2003, p. 1244.

6 Olivier BEAUD, Ibidem, p. 385-386.

7 Voir la communication de Fabien VALENTE, “La naissance du Code de


commerce”.
8 Pierre ROSANVALLON, L’Etat en France de 1789 à nos jours, Paris,
Ed. du Seuil, 1990, collection Points-Histoire, 1992, p. 63-64.

9 Christophe JAMIN, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.,


p. 381.

10 Sur Ortolan, se reporter à Madeleine VENTRE-DENIS, “Joseph-Elzear


Ortolan (1802-1873), Un juriste dans son siècle”, RHFD, 1995, n  16, o

p. 173-199 ; du même auteur “La difficile naissance à la faculté de


droit de Paris de la première chaire de droit criminel (1804-
1846)”, RHFD, 1991, n  12, p. 151-183, Catherine LECOMTE, notice
o

Ortolan, Dictionnaire historique des juristes français XII -XX siècle,


e e

sous la direction de Patrick ARABEYRE, Jean-Louis HALPERIN et Jacques


KRYNEN, Paris, PUF, collection Quadrige-Dicos poche, 2007, p. 600-
601.

11 Sur Poncelet, se reporter à Madeleine VENTRE-DENIS, “La première


chaire d’histoire du droit à la Faculté de Droit de Paris (1819-
1822), Revue Historique de droit français et étranger (RHD) , 1975,
p. 596-622 ; Catherine COMTE, notice “Poncelet”, Dictionnaire
historique des juristes français XII -XX   siècle, op. cit., p. 632.
e e

12 Jean-Jacques CLERE, notice “Gérando”, Ibidem, p. 382 à 384.

13 Jean-Jacques CLERE, notice “Macarel”, Ibidem, p. 525-526.

14 Jean-Jacques CLERE, notice “Cormenin”, Ibidem, p. 206 à 208.

15 Jean HILAIRE, notice “Pardessus”, Ibidem, p. 609-610.

16 Christophe JAMIN, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.,


p. 381 ; Philippe REMY, “Eloge de l’Exégèse”, Droits, n  1, Destins du
o

droit de propriété, 1985, p. 115-123 ; du même auteur : “Le rôle de


l’Exégèse dans l’enseignement du Droit au XIX  siècle”, Annales
e

d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique , n  2, 1985,


o

p. 395-418.
17 Jean-Louis HALPERIN, article “exégèse”, Dictionnaire de la Culture
juridique, op. cit., p. 681 à 685.

18 Sur le rôle des praticiens du droit commercial, on se réfèrera aux


développements de Jean HILAIRE, Introduction historique au droit
commercial, op. cit., p. 123 à 125.

19 Jean HILAIRE, “Le comparatisme en matière commerciale au


XIX  siècle”, RHFD, 1991, n  12, p. 127-142.
e o

20 Sur l’enseignement à la faculté de droit de Toulouse au XIX  siècle,


e

on se reportera à la synthèse de Jean DAUVILLIER, “Le rôle de la Faculté


de Droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et
historiques aux XIX  et XX siècles”, Annales de l’Université des Sciences
e e

sociales de Toulouse, tome XXIV, fascicules 1 et 2, Université des


Sciences sociales de Toulouse, 1976, p. 343 à 384 ; voir également
Antonin DELOUME, Aperçu historique sur la Faculté de droit de
Toulouse (1228 à 1900), Maîtres et écoliers, Toulouse, Privat, 1900 ;
Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au
XIX   siècle, Mémoire de DEA d’Histoire du droit privé et des institutions
e

publiques, sous la direction de Jean-Louis GAZZANIGA, Université des


Sciences sociales de Toulouse I, année 1994-1995. Voir également :
Olivier DEVAUX, L’enseignement à Toulouse de 1789 à 1830, Thèse
droit, Toulouse 1986 ; Sylvain GAMBAROTTO, La Faculté de droit de
Toulouse sous la Monarchie de Juillet, DEA d’Histoire du droit et des
institutions, sous la direction d’Olivier DEVAUX, Université des Sciences
sociales de Toulouse (1999-2000), Monique PUZZO-LAURENT, La
Faculté de droit de Toulouse sous le Second Empire, DES d’histoire du
droit et des faits sociaux, sous la direction de Germain SICARD, (1972-
1973), Jacqueline BEGLIUTI, La Faculté de droit de Toulouse au début
de la III   République (sous ma direction), Master 2 d’histoire du droit,
e

Université des Sciences sociales de Toulouse (2006-2007). Voir


également, Philippe DELVIT, Toiles, gravures, fusain et sanguine… Une
galerie de portraits à l’Université, Presses de l’Université des Sciences
sociales de Toulouse, 2006 ; Hervé LE ROY, “Jean-Baptiste BRISSAUD,
un juriste positiviste entre sociologie et anthropologie”, Actes des
Journées internationales de la Société d’Histoire du Droit, Histoire de
l’histoire du Droit, Toulouse, 1-4 juin 2005, Centre Toulousain
d’Histoire du Droit et des Idées Politiques (CTHDIP), textes réunis par
Jacques POUMAREDE, Etudes d’histoire du droit et des idées politiques ,
n  10, 2006, Presses de l’Université Toulouse I-Sciences sociales,
o

p. 265-280 ; ainsi que deux de nos études, “La création de la chaire


toulousaine d’Histoire du droit (1859)”, Ibidem, p. 145-161 ; “Histoire
et méthodes de l’enseignement à la Faculté de Droit de Toulouse au
XIX , CTHDIP, Histoire de l’enseignement du Droit à Toulouse (sous la
e”

direction d’Olivier Devaux), Etudes d’histoire du droit et des idées


politiques, n  11, 2007, Presses de l’Université des Sciences sociales de
o

Toulouse, p. 377-402.

21 Olivier DEVAUX, L’enseignement à Toulouse de 1789 à 1830, Thèse


Droit 1988, op. cit. p. 838.

22 Jacques POUMAREDE, notice sur “Benech”, Dictionnaire historique


des juristes français, op. cit., p. 64-65.

23 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au


XIX siècle, op. cit., p. 49-50.
e

24 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Molinier”, Dictionnaire historique


des juristes français, op. cit., p. 568-569.

25 Prolongée après lui par Georges Vidal (1852-1911) et Joseph


Magnol (1876-1951).

26 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au


XIX siècle, op. cit., p. 46-48.
e

27 Nous reprenons ici l’étude déjà citée de Jean HILAIRE sur le


comparatisme en matière commerciale au XIX  siècle.
e

28 Bulletin de la Société de législation comparée , 1869-1872, p. 4, cité


par Jean HILAIRE dans son étude sur le comparatisme en matière
commerciale au XIX siècle.
e
29 M. ANCEL, “Cent ans de droit comparé en France”, Livre du
Centenaire de la Société de législation comparée (1869-1969), p. 7 et
s. cité par Jean Hilaire.

30 Roger HOUIN et Bernard BOULOC, Les grands arrêts de la


jurisprudence commerciale, (G.A.J.C.) Paris, Ed. Sirey, tome 1,
2  édition 1976, préface de la première édition, p. XIII.
ème

31 Christophe JAMIN, article “Dix-neuf cent : crise et renouveau dans


la culture juridique”, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.,
p. 381.

32 J. M. BLANQUER, “Notice Maurice Hauriou”, Dictionnaire des juristes


français, op. cit., p. 396 à 398.

33 Roger HOUIN, “Préface” de la première édition des G.A.J.C., op. cit.,


p. XIII.

34 Civ. 21 avril 1891, G.A.J.C., op. cit., p. 28-31.

35 Civ. 23 février 1891, G.A.J.C., op. cit., p. 183-186.

36 Civ. 30 mai 1892, G.A.J.C., op. cit., p. 272 à 279.

37 Req. 11 juillet 1900, G.A.J.C., op. cit., p. 37-38.

38 Civ. 30 juillet 1912, G.A.J.C., op. cit., p. 32-36.

39 Cass. Ch. réun., 11 mars 1914, G.A.J.C., op. cit., p. 177 à 181.

40 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Charles Lyon-Caen”, Dictionnaire


des juristes français, op. cit., p. 522-523.

41 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Louis Renault” (1843-1918),


professeur de droit des gens à la faculté de droit de Paris à partir de
1888, prix Nobel de la Paix en 1907 pour son action sur la scène
internationale, Dictionnaire des juristes français, op. cit., p. 660.

42 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Edmond Thaller”, Dictionnaire des


juristes français, op. cit., p. 735.
43 Romuald SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, op. cit.,
p. 279.

44 Il s’agit du Traité général, théorique et pratique de droit


commercial.

45 Nicole DOCKES-LALLEMENT, notice “Paul Pic” (1862-


1944), Dictionnaire des juristes français, op. cit., p. 622-623. Surtout
connu pour son rôle de pionnier en matière de droit du travail, Paul Pic
s’est beaucoup intéressé aussi au droit commercial. Cf. Farid LEKEAL,
“Paul Pic entre Code civil et Code du travail : les voies du réformisme
juridique”, Le renouvellement des sciences sociales et juridiques sous
la III   République  : la Faculté de droit de Lyon, Actes du colloque des 4
e

et 5 février 2004, contributions réunies par David DEROUSSIN, Centre


lyonnais d’Histoire du Droit et de la Pensée politique ; collection
Recueil d’études, Editions la Mémoire du Droit, 2007, p. 154.

46 C. FILLON, notice sur “Louis Josserand” (1868-1941), Dictionnaire


des juristes français, op. cit., p. 429-431.

47 Jean-Louis HALPERIN, notice sur “Georges Ripert” (1880-


1958), Dictionnaire des juristes français, op. cit., p. 669-670.

48 Jacques POUMAREDE, notice sur “Henry Bonfils”, Dictionnaire des


juristes français, op. cit., p. 104.

49 A partir de 1879, un cours de droit commercial est proposé à


l’Institut catholique de Toulouse par l’avocat Auguste Albert, cf.
Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au
XIX   siècle, op. cit., annexe IV.
e

50 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au


XIX siècle, op. cit., annexe III.
e

51 Philippe DELVIT, Toiles, gravures, fusain et sanguine… Une galerie


de portraits à l’Université, op. cit., 2006, p. 33.
52 Le rapport annuel du Conseil général des Facultés de l’Université de
Toulouse (Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse,
1P19) nous permet de donner quelques exemples de sujets posés aux
Concours de troisième année : Droits et obligations des actionnaires
dans une société anonyme (1886-1887) ; La femme mariée
commerçante (1887-1888) ; La conversion des actions nominatives en
actions au porteur dans les sociétés anonymes (1888-1889) ;
Explication des articles 446 et 447 du Code de commerce (1889-
1890) ; Fin de non-recevoir et prescription en matière de transport
(1890-1891) ; La responsabilité civile des fondateurs et
administrateurs d’une société anonyme (1893-1894) ; De la situation
des actionnaires et de celle des obligataires dans la faillite des sociétés
anonymes (1894-1895).

53 Jean IMBERT, “Passé, présent et avenir du doctorat en droit en


France”, Annales d’Histoire des Facultés de droit, n  1, p. 11-35.
o

54 La loi du 13 juillet 1889 permet aux docteurs en droit de moins de


26 ans de faire valoir la dispense de deux ans de service actif qui en
compte trois à cette époque, ce qui entraîne une augmentation
sensible des effectifs inscrits en doctorat mais aussi une certaine
précipitation visant à obtenir le grade de docteur en droit avant l’âge
fatidique de 26 ans, d’où un report à 27 ans opéré par la loi du 13
juillet 1895. Les rapports annuels du doyen de la faculté de droit au
Conseil académique de l’Université de Toulouse (A.U.S.S.T., 1P19)
permettent de suivre l’évolution du nombre des thèses de droit : six
(année 1886-1887), cinq dont une ajournée (année 1887-1888), sept
(année 1888-1889), quatorze (1891-1892), huit (1892-1893), dix en
1893-1894 et 1894-1895.

55 Florence GIRAL, L’enseignement du droit commercial à Toulouse au


XIX siècle, op. cit., annexe II.
e

56 Rapport présenté au Conseil académique par M. Paget, Doyen sur


les travaux de la Faculté de droit pendant l’année 1893-
1894, A.U.S.S.T., 1P19, p. 33.
57 Beaucoup d’auteurs se montrent très critiques à la fin du XIX  siècle
e

à l’égard des tribunaux de commerce dont ils prévoient la disparition.


E. THALLER, “De l’avenir des tribunaux de commerce. Etudes de
critique législative”, Annales de droit commercial, 1889. On leur
reproche en particulier d’être composés de juges méconnaissant le
droit et un trop fort corporatisme. Cf. Jean HILAIRE, “préface” à Etienne
REGNARD (direction), Les tribunaux de commerce et l’évolution du
droit commercial, Bicentenaire du Code de commerce 1807-2007,
Paris, Arprint, 2007. Sur le tribunal de commerce de Toulouse,
consulter Serge CAPEL, Histoire de la juridiction consulaire de
Toulouse, 1549-1999, Toulouse, 1999.

58 Rapport d’ESMEIN (23 juillet 1896) sur le Concours


d’Agrégation, Annales d’Histoire des Facultés de droit, n  1, 1984,
o

p. 120.

59 H. F. RIVIERE, avec le concours de Faustin HELIE et Paul PONT,


publication continuée par André WEISS et H. PONCET, Codes français
conformes aux textes officiels avec une conférence des articles basée
principalement sur la jurisprudence annotés des arrêts de la Cour de
Cassation et des circulaires ministérielles et précédés des lois
constitutionnelles, Paris, Marescq aîné et Plon, 26  édition, 1898,
e

“préface”, p. I.

60 Publié par la Société d’études législatives dont le secrétaire général


était Raymond Saleilles.

61 Jean-Louis HALPERIN, Présentation du Livre du Centenaire du Code


civil(Paris, Rousseau, 1904), réédité par les éditions Dalloz en 2004.

62 Charles LYON-CAEN, “De l’influence du Droit commercial sur le


Droit civil depuis 1804”, Livre du Centenaire du Code civil, op. cit,
p. 205-221.

63 Edmond THALLER, “De l’Attraction exercée par le Code civil et par


ses Méthodes sur le Droit commercial”, Livre du Centenaire du Code
civil, op. cit., p. 224-243.
64 Roger HOUIN, Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale,
tome 1, op. cit., “préface”, p. XIII.

65 Bernard BEIGNIER (Direction), La codification, Actes du colloque


tenu à Toulouse les 27 et 28 octobre 1995, Paris, Dalloz, Thèmes et
Commentaires, 1996, p. 2.

66 Jean HILAIRE, “Introduction historique au droit commercial”, op. cit.,


p. 131.

AUTEUR
Philippe Nélidoff
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CTHDIP, UT1)

L’influence à l’étranger du
code de commerce français
aux XIX  et XX  siècles : du
e e

déclin du droit commercial


français à l’émergence d’un
droit des affaires
francophone
Béatrice Fourniel

p. 55-71

La capacité du code de commerce français à exercer une influence


hors des frontières de son pays d’origine est, au début du
XIX  siècle, inséparable du rayonnement de l’ensemble de la
e

codification napoléonienne1. L’effet de contagion est si évident


que certains auteurs en viennent à soutenir que, n’était-ce sa
proximité avec le code civil de 1804, le texte de 1807 serait passé
largement inaperçu. De fait, nombre de pays, de gré ou de force,
se sont approprié, si l’on nous passe le terme, le kit napoléonien,
sous la forme des cinq codes promulgués à la fin du Consulat et
au début de l’Empire. Les gouvernements étrangers ne se sont
pas montrés trop regardants sur les éléments composant cet
impressionnant ensemble législatif. Dans un premier temps,
beaucoup sont convaincus par l’argument implicite qu’il s’agit
d’un bloc cohérent, difficilement sécable, caractérisé d’un bout à
l’autre par la même rigueur méthodologique, regroupant des
normes bien articulées les unes avec les autres au point qu’il
serait imprudent d’en distraire l’un des éléments2.
 3 Quelques spécimens de jugements dans un florilège qui pourrait être
bien plus important : R. SZRAMK (...)

 4 Denis VOINOT, “La législation commerciale, instrument du rayonnement


du droit français dans le mond (...)

2Ce préjugé favorable ne dure guère et il devient habituel de


dénoncer la médiocre qualité du code de commerce 3. Par rapport
au code civil, riche de ses qualités techniques et notamment
d’une terminologie à la fois claire et évocatrice, mais aussi fort de
son caractère progressiste et notamment égalitaire et valorisant
pour la volonté individuelle, par rapport au code pénal, rigoureux
mais sans hypocrisie, sans vaine compassion à l’égard du criminel
et présentant les faits de telle façon que nul ne peut prétendre
n’avoir pas compris à quoi il s’expose, par rapport aux codes de
procédure civile et pénale, attentifs à protéger les droits de
justiciables sans accumuler les moyens dilatoires, le code de
commerce fait petite figure, avec son souci de favoriser une
gestion prudente des patrimoines professionnels et d’avantager
quasi systématiquement le créancier. Une conception qui se veut
réaliste de la vie des affaires risque d’aboutir à décourager les
initiatives en faveur du développement économique et de
privilégier la sécurité des transactions sur la prise de risque
inséparables des exigences de la croissance et de la création
d’activités et d’emplois4.
3Au surplus, certains handicaps tiendraient à la société et à
l’époque dans le cadre desquelles le code de commerce a été
promulgué et où il devait s’appliquer, coincé entre une Révolution
politique qui vient de se terminer et qui incite à la prudence et
une révolution économique qui va bouleverser les rapports
d’affaires. Il s’applique à une société française alors plus portée à
économiser qu’à entreprendre, d’autant qu’elle sort d’une guerre
civile sanglante, que des patrimoines plusieurs fois séculaires ont
disparu, que des fortunes trop rapides se sont constituées et,
parfois, évanouies, que des valeurs imprégnées de catholicisme
conduisent à se méfier de tout ce qui relève de la spéculation,
voire même de techniques d’enrichissement trop facile et hâtif.
Par ailleurs, élaboré à la veille de la Révolution industrielle, il
reflète un état des relations d’affaires plus orienté vers le passé
que vers l’avenir. Il met en oeuvre des sociétés rassemblant un
nombre limité d’associés, se connaissant tous et n’ayant besoin
de mobiliser que des moyens financiers limités dans la mesure où
les investissements exigés ne sont pas très importants.
 5 Sur l’effet “codification” à l’étranger, v. L’influence internationale, p. 53-
54.

 6 Sur la “compétition juridique” dans le monde et notamment le risque


d’“hybridation” ou de “métissag (...)

4Adopté sans enthousiasme, plus soucieux de faire rendre gorge


aux mauvais payeurs et d’éliminer les banqueroutiers que
d’encourager l’audace et le risque calculé, le code de commerce
ne pouvait susciter l’enthousiasme dans les pays où la
domination des armées françaises allait l’imposer. Même si le
souci de privilégier la sécurité des affaires l’emporte quelque
temps sur le nationalisme juridique, il sera progressivement
abandonné. Il n’est jusqu’aux nouveaux Etats-Nations apparus au
XIX siècle et qui l’ont adopté de confiance en se fondant sur la
e

réputation de l’ensemble des lois napoléoniennes 5 qui ne s’en


soient finalement détachés pour se rallier à un système juridique
germanique censé plus moderne et savant. Pourtant, c’est au
moment où le droit commercial français pouvait paraître en perte
de vitesse dans le monde qu’il va connaître un retour en force
inattendu, même s’il est difficile d’en prédire la durée. Puisant
son nouvel élan dans une colonisation dont le caractère
critiquable dans son principe n’a pas suffi à le faire abandonner
après le retour aux indépendances, il trouve des arguments de
séduction dans sa capacité à faire figure de terme d’alternative à
la domination du bloc anglo-saxon 6 et dans sa réputation de
fournir un instrument adapté à la volonté des pouvoirs publics
d’encadrer l’économie et de ne pas tout abandonner aux lois du
marché. Il trouve dans la francophonie un terrain où s’épanouir.
En somme au constat décevant lié au déclin progressif de
l’influence du code de commerce français au XIX  siècle (I), e

succéderaient des perspectives encourageantes conduisant à


déceler les voies d’un possible rayonnement d’un droit des
affaires francophone au XX  siècle (II).
e

I – UN CONSTAT DECEVANT : LE


DECLIN PROGRESSIF DE
L’INFLUENCE DU CODE DE
COMMERCE FRANÇAIS AU
XIX  SIECLE
E

 7 André CABANIS, “Le code hors la France”, La codification (Bernard


BEIGNIER dir.), Dalloz, Paris 199 (...)
5Du point de vue de l’influence des cinq codes napoléoniens,
deux étapes se donnent à distinguer, correspondant à deux
ensembles géographiques où ces textes furent successivement
accueillis7. Première étape et premier ensemble : la France
napoléonienne, intégrant la Belgique et les Pays-Bas, l’Allemagne
occidentale, la Suisse romande et l’Italie du nord où les textes
français se sont appliqués tels quels jusqu’en 1814 et où leur
écho assourdi continue parfois de se faire entendre jusqu’à nos
jours. S’y ajoutent les pays plus ou moins brièvement placés dans
l’obédience de l’Empire : les nations dotées d’un monarque issu
de la famille Bonaparte et les pays sous protectorat officieux (A).
6Deuxième étape et deuxième ensemble géographique, plus
vaste et plus diversifié : celle des pays qui s’engagent, hors
d’Europe et au XIX  siècle, dans la voie de la mise en place
e

d’Etats-Nations accueillis au sein de la communauté


internationale comme des membres à part entière. Il s’agit de
l’Amérique latine, de certaines composantes du Proche-Orient,
enfin de quelques vieilles nations d’Asie, toutes désireuses de se
moderniser. Ici, la France n’a pas besoin de ces missionnaires un
peu farouches que furent les grognards de la Grande Armée : le
système des normes françaises passe pour le meilleur au monde,
en tous cas le plus récent, du moins jusqu’à l’effort de
codification allemande qui culmine en 1900 avec le Bürgerliches
Gesetzbuch (le BGB). Les Facultés de droit françaises commencent
à jouer leur rôle avec l’accueil de nombreux étudiants étrangers,
promis pour certains aux plus hautes destinées dans leurs pays.
Enfin, l’envoi de missions officielles composées d’experts
confirmés souhaitant emprunter à chaque Etat européen ce qu’il y
a de mieux en matière d’administration, d’armée, de justice, de
structures industrielles, de transports ferroviaires… manifeste le
rayonnement de la France comme nation du droit (B).
A – L’abandon progressif du code de
commerce français par les pays de l’Europe
continentale soumis aux conquêtes
napoléoniennes au début du XIX  siècle e

 8 Hans Jürgen SONNENBERGER, “Allemagne”, La circulation du modèle,


LITEC (Travaux de l’Association He (...)

 9 André et Danielle CABANIS, “L’influence du droit français lié au


processus de colonisationdécolonis (...)

7Napoléon est convaincu du caractère bienfaisant de sa


législation et l’affirme, sur le ton de la connivence, aux membres
de sa famille appelés à occuper la plupart des trônes d’Europe
occidentale. L’espace ainsi intégré à l’orbite juridique française
est vaste et, au-delà de la cinquantaine de départements
supplémentaires intégrés à l’Empire napoléonien, il comprend des
territoires sous tutelle en Europe du sud et du centre, poussant
l’influence directe jusqu’au grand-duché de Varsovie. Le
rayonnement des codes français y sera plus ou moins durable,
adoptant des formes extrêmes comme en Belgique où sont
conservées jusqu’à la seconde guerre mondiale des références
terminologiques remontant à 1804, se maintenant parfois contre
toute attente comme dans l’Allemagne wilhelmiennne où,
jusqu’en 1900, une chambre pour le droit français fonctionnant
au sein de la Cour impériale de justice créée en 1879 donne son
interprétation officielle d’un texte français applicable dans la
partie rhénane de l’Empire8, s’appuyant sur une légitimité
inattendue comme en Pologne russe où des textes d’abord mal
acceptés à cause de leur caractère laïc sont ensuite utilisés
comme rempart contre la volonté d’assimilation de Moscou9.
 10 Rafael Moreno QUESADA, “L’influence du modèle juridique français sur
le droit commercial espagnol”, (...)
8Si le code civil résiste relativement bien et perdure en général
après le départ des troupes françaises, au moins tant qu’il ne
subit pas la concurrence du BGB, en revanche le code de
commerce a de la peine à se maintenir. Ainsi de l’Espagne où,
après le départ de Joseph Bonaparte, roi éphémère, l’influence
juridique française reste assez forte pour inspirer le premier code
de commerce ibérique de 1829 d’autant que son auteur, Sainz de
Andino, a eu l’occasion au cours d’un exil en France de se
familiariser avec la législation de son pays d’accueil. Par la suite la
constatation des lacunes et des carences du code français lui vaut
d’être partiellement abandonné dans le nouveau code de
commerce espagnol de 188510.
 11 Ibidem : “Le Code de commerce français a alimenté sans arrêt la
discussion durant la première moiti (...)

9Ainsi de Allemagne où le premier code de commerce commun à


tous les Etats allemands est adopté dès 1861, donc avant que
Bismarck ait pu réaliser ses projets d’Empire, mais dans le cadre
de la mise en place d’une grande zone douanière qui doit
préparer la voie à l’unification politique. Ce code de commerce,
le Allegemeines Deutsches Handelsgetzbuch (ADHGB), s’inspire
du texte français du point de vue de la méthode, celle qui conduit
à penser qu’il est possible de remplacer des pratiques
commerciales diverses par un ensemble de prescriptions
communes, mais pas pour ce qui est de son contenu11.
 12 Denis VOINOT, art. cité, p. 162.

 13 Robert PATRY, “Suisse”, La circulation du modèle, p. 488.

10Ainsi de la Suisse où, si quelques cantons frontaliers de la


Grande Nation conservent un temps des codes de commerce de
type français, il est largement mis fin à cette source d’inspiration
par la décision de 1881 d’adopter au niveau fédéral un code des
obligations applicable à tous les citoyens, commerçants ou
pas12 “Force est de constater qu’en Suisse, le modèle juridique
français n’a joué qu’un rôle limité en droit commercial” 13.
 14 Rodolfo SACCO, “Rapport de synthèse”, La circulation du modèle,
p. 11.

 15 Denis VOINOT, art. cité, p. 162.

11Ainsi de l’Italie dont le Codice di commercio de 1865 voit ses


éléments d’origine française remis en cause quelques années plus
tard dans le nouveau Codice
di commercio de 188214,
mouvement vers l’autonomisation prolongé par la mise en place
en 1942 d’un code unique pour les questions civiles et
commerciales15.
 16 Diana DANKERS-HAGENAARS, “Pays Bas”, La circulation du modèle,
p. 427-429.

12Ainsi des Pays-Bas qui connaissent une évolution comparable :


dans un premier temps, les Néerlandais, libérés de la tutelle
française, s’emploient à se doter de codes autonomes qu’ils
tentent cependant de ne pas trop éloigner des modèles
napoléoniens pour tenir compte des souhaits de leurs provinces
francophones. Ces atermoiements ne sont plus de mise après la
rupture de 1830 et l’apparition de la Belgique, ce qui retarde de
près de dix ans la promulgation du code civil et du code de
commerce pour les Pays-Bas, en 1838, mais permet au législateur
de prendre ses distances avec l’influence française, notamment
en supprimant les Tribunaux de commerce. Là aussi le processus
d’autonomisation se poursuit dans le sens d’une réintégration
des opérations de commerce dans le droit civil, avec une étape
marquée par la suppression, sauf exception, de la distinction
entre commerçants et non-commerçants, en 1934, enfin avec
l’introduction, dans le nouveau code civil, d’un chapitre 2, entré
en vigueur en 1976 et portant sur les personnes morales de droit
privé, donc notamment sur les sociétés commerciales16.
 17 A. MEEUS, “Belgique”, La circulation du modèle, p. 24.

13Il n’est jusqu’à ce fidèle entre tous aux codifications


napoléoniennes que constitue la Belgique : s’il y demeure un code
de commerce remontant au début du XIX  siècle, il a été e

profondément modifié au point qu’il “ne contient plus une seule


de ses dispositions originelles qui ont toutes été modifiées. On a
pu dire qu’il n’était plus qu’un squelette”17.
14Finalement, au terme de ce tour d’horizon, l’impression est
donc un peu pitoyable sur le continent initiateur de la première
révolution industrielle : le code de commerce français a mal
supporté l’épreuve de la modernisation du droit des sociétés, des
faillites, voire même de la notion de commerçant. Sans doute
reste-t-il, de cette application somme toute assez brève du texte
de 1807 dans une Europe occupée, quelques notions qui lui ont
été empruntées, quelques mécanismes juridiques que les
professionnels continuent de mettre en œuvre mais sous forme
de réminiscences et sans que nul songe à en attribuer la paternité
aux juristes du Premier Empire français.

B – Le remplacement progressif du code de


commerce français dans les nouveaux
Etats-Nations d’Amérique latine, du
Moyen-Orient et d’Asie
 18 Fernand DELATOUR, “La codification et l’évolution du droit en
Haïti”, La codification et l’évolutio (...)

 19 Federico C. ALVAREZ hijo, “République dominicaine”, La circulation du


modèle, p. 199.
15Passé 1815 et pendant la plus grande partie du XIX  siècle, e

l’influence du droit français et notamment du droit commercial,


prend une forme nettement plus pacifique qu’à l’époque des
invasions napoléoniennes. Ce sont les pays d’Amérique latine qui
y sacrifient en premiers. Ils viennent de se libérer de la
colonisation espagnole. La France bénéficie de son image de
patrie des droits de l’homme et permet aux gouvernements
désormais indépendants de se démarquer du colonisateur
ibérique dont on craint le retour, considération particulièrement
prégnante dans certains pays comme la République dominicaine
dont les autorités sont d’autant plus opposées à l’influence de
l’Espagne que cette dernière tente un retour en force dans l’île
entre 1861 et 1865. Désireux de se démarquer de ce modèle
menaçant, les dirigeants adoptent d’un coup les cinq codes
français, ne procédant à une traduction en espagnol qu’en 1884
et y demeurant fidèles par la suite18. Pour ce qui est, plus
spécifiquement du code de commerce, il demeure dans la ligne
du modèle français avec des modifications plus ou moins
inspirées des réformes françaises : la loi française de 1867 sur les
sociétés anonymes est directement intégrée au code de 1884, la
loi de 1925 sur la clause compromissoire est introduite en 1978,
la loi de 1931 qui réforme l’article 2 du code est reprise à Saint-
Domingue en 1958, etc.19.
 20 Manuel DURAN, “Bolivie”, L’influence du code civil dans le monde
Travaux de la semaine internationa  (...)

 21 Le code de 1854 fut remplacé par un nouveau code de commerce


d’abord en 1884, puis en 1890, chaque (...)

 22 Sur l’influence française en Amérique latine, voir Camille JAUFFRET-


SPINOSI, “Rapport introductif” (...)
16Au surplus, pour les régimes militaires qui dominent dans
nombre de pays d’Amérique latine au XIX  siècle, la réputation
e

technique des codifications napoléoniennes voit ses effets


multipliés par le prestige de Napoléon, présenté comme
l’inspirateur principal et auquel nombre d’officiers supérieurs
parvenus au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat prétorien rêvent
de s’identifier, tel le “grand maréchal Andres de Santa-Cruz” qui
promulgue en Bolivie des textes inspirés du modèle napoléonien
jusqu’à la caricature20. C’est dans ces conditions que, dans la
lignée là aussi du code civil, le texte français de 1807 inspire les
codes de commerce de diverses provinces d’Argentine (1845 à
1862), de Colombie (1853), du Brésil (1850), du Mexique
(185421) et du Venezuela (1862)22. Dans cette partie du monde,
l’influence juridique allemande va recouvrir progressivement
l’influence française au cours du XX  siècle sans la supprimer tout
e

à fait.
 23 Denis VOINOT, art. cité, p. 160 ; L’influence internationale, p. 53.
C’est ensuite par l’intermédia (...)

17Il en ira, dans une certaine mesure, de même au Proche-Orient.


Ainsi, en Turquie, le premier code de commerce remonte à 1850,
très inspiré du texte français, adoptant des règles communes
comme celles relatives au statut du commerçant, à la lettre de
change ou aux sociétés commerciales, poussant la fidélité jusqu’à
reprendre sans les traduire des termes comme “commandite” ou
“anonyme”. Par la suite, d’autres influences vont jouer, au premier
chef celle du droit suisse très perceptible dans les nouveaux
codes de 1926, puis de 195723.
 24 Mohamed El SAYED ARAFA, “Egypte”, La circulation du modèle, p. 237,
note 5.

 25 Idem, p. 240, notes 1 et 2.


18Il est vrai que, même atténuée, la part française dans des codes
adoptés à l’étranger peut jouer un rôle de relais vers d’autres
nations voisines. Ainsi en va-t-il de l’Egypte qui adopte en 1883
six codes très directement empruntés au modèle français : codes
civil, pénal, de procédure pénale, commercial, de procédure civile
et commerciale, et de commerce maritime 24. Ces textes sont
récupérés comme une source d’inspiration dans nombre de pays
voisins, d’autant que, traduits en arabe par les juristes égyptiens,
ils sont d’accès facile. C’est ainsi que l’on retrouve des
dispositions françaises dans certains textes relatifs par exemple à
l’arbitrage et aux litiges commerciaux internationaux en Irak, au
Koweït, au Liban, en Libye, en Syrie… 25. Par la suite l’influence
française est contrée, dans des codes égyptiens plus récents
introduits en 1949, par les modèles allemands et surtout anglo-
saxons.
 26 Extrait d’une lettre adressée le 15 mars 1913 par le Prince
Sawaswatthanavisit au roi Rama VI pour (...)

19C’est dans un troisième temps, à la fin du XIX  siècle, que e

certaines nations d’Asie se dotent d’un système juridique


moderne, inspiré des modèles occidentaux. Peuvent, du moins, se
lancer dans une telle politique celles qui ne sont pas soumises à
une domination coloniale leur ayant fait perdre leur pouvoir de
décision en ce domaine. Telle est la crainte de la monarchie
siamoise, coincée entre les colonies britannique et française et
qui s’efforce de tenir la balance à peu près égale entre ses deux
puissants voisins, y compris dans ce secteur dont elle mesure
qu’il n’est pas négligeable, celui du droit. Ce souci d’équilibre est
au cœur de la polémique qui oppose à la fin du XIX  siècle deux e

princes de la famille royale : d’un côté le prince Rachi, parti faire


des études de droit à Londres, nommé ministre de la Justice à son
retour et créateur de l’Ecole de droit rattachée à ce ministère, en
un mot ardent défenseur de la Common Law ; de l’autre le prince
Sawaswatthanavisit qui prône le modèle français en invoquant la
méthode utilisée depuis plusieurs dizaines d’années pour la
réformation du droit siamois26.
 27 Gabor HAMZA, ouvr. cité, p. 185.

 28 Vishnu VARUNYOU, “Evolution du système juridique thaïlandais : un


croisement des cultures juridique (...)

20C’est finalement en faveur de cette seconde proposition que se


détermine le roi Rama V pour des raisons d’équilibre politique et
de réputation du droit français et, au-delà, romano germanique.
Une demi-douzaine d’experts français sont mobilisés et le Siam,
bientôt Thaïlande, se dote d’un ensemble juridique qui évoque la
codification napoléonienne à cela près que le code principal est à
la fois civil et commercial27, complété par des codes de
procédure civile, pénal et de procédure pénale. Ce système
demeure en vigueur de nos jours dans ses principes mais les
auteurs notent une tendance vers une influence grandissante de
la Common Law, ce qu’ils attribuent au mode de formation des
juges judiciaires et à la mondialisation28.
 29 Jacques ROBERT, “Rapport introductif” à “La circulation du modèle
juridique français en Asie”, La c (...)

 30 Toshio YAMAGUCHI, “Japon - Première partie”, La circulation du


modèle, p. 532 à 536.

 31 Jacques ROBERT, art. cité, p. 518-519 ; NGUYEN Ngoc Dien, “Le


devenir de la culture juridique roman (...)

21Pour ce qui est du Japon et de la Chine, l’influence française s’y


est fait sentir dans le cadre d’une lutte d’influence dont les
protagonistes percevaient plus ou moins l’enjeu et où le rôle du
rival est successivement tenu par le droit allemand considéré
comme un autre défenseur du droit romano-germanique, puis
par un droit d’inspiration marxiste, durant les périodes de
domination communiste en Chine, enfin par le droit anglo-saxon
jugé plus adapté à la vie des affaires. Dans cette perspective, celle
de rivalités juridiques liées à des enjeux qui dépassent parfois les
pays impliqués, le Japon échappe largement à l’influence marxiste
mais, dans le cadre du mouvement de rénovation déclenché avec
la Révolution de Meiji, les influences française, allemande et
britannique se font sentir très tôt 29. Dès les années 1860, le
ministre de la Justice, Etô, ordonne à l’un de ses conseillers,
Rimsho Mitsukuri, de traduire les cinq codes français, ce qui va
conduire, pour donner l’équivalent des concepts français, à créer
nombre de termes juridiques japonais, encore utilisés de nos
jours. Le ministre Etô ayant finalement renoncé à appliquer
directement les codes d’origine napoléonienne, va répartir entre
des professeurs français et allemands le soin de proposer les
règles modernes correspondant aux branches du droit. Si l’on sait
que c’est Gustave Boissonade qui se voit chargé, d’ailleurs de
façon éphémère, des codes civil et de procédure pénale, il faut
indiquer que c’est à Hermann Roesler, juriste et économiste,
professeur de l’Université de Rostock, en Allemagne orientale,
qu’est confiée la rédaction du code de commerce30. Il est vrai
que, parmi les atouts du droit germanique figurent, outre sa
réputation de modernité dans la mesure où sa promulgation est
plus récente, le caractère monarchique du régime impérial auquel
les dirigeants japonais sont d’autant plus sensibles qu’ils
craignent le modèle démocratique dont la III  République française
e

se veut à l’époque l’un des partisans les plus déterminés31.


 32 Idem, p. 138.

22Pour ce qui est de la Chine, c’est en fait au début du XX  siècle,


e

après l’instauration du régime républicain, que le droit français


prend une part à la réforme des lois, essentiellement grâce au
professeur Jean Escarrat qui essaye de trouver un compromis
entre les modèles français, allemand et japonais. Son travail est
ensuite submergé par les réformes introduites dans le cadre de la
Chine maoïste jusqu’à ce que le retour à l’économie de marché
rende quelque place aux influences occidentales32.

II – DES PERSPECTIVES
ENCOURAGEANTES : LES VOIES
DU RAYONNEMENT D’UN DROIT
DES AFFAIRES FRANCOPHONE
AU XX  SIECLE E

 33 Lors des discussions, entre 1827 et 1830, sur l’introduction du code


civil au Sénégal, le seul suje  (...)

 34 “La France est en mesure de proposer au niveau international ou à


d’autres Etats dans le cadre de p (...)

 35 Sur l’évolution en France du droit commercial notamment vers un droit


des affaires, v. Roger HOUIN, (...)

23La colonisation ouvre une période douloureuse et ambiguë. Les


codes napoléoniens sont précautionneusement introduits dans
les territoires placés sous contrôle, avec la confiance orgueilleuse
dans le caractère progressiste et libérateur des lois plus ou moins
issues des principes de 1789 mais aussi avec la crainte légitime
d’ébranler les coutumes locales, voire avec la peur des
colonisateurs que les idéaux d’égalité ne soient un facteur de
déstabilisation33. L’influence du droit commercial français va
passer par ce crible. Les indépendances n’entraîneront pas son
abandon. Les pays ayant conquis leur souveraineté
s’accommodent d’un système juridique régissant la vie des
affaires qui paraît fournir un cadre équilibré à ceux qui souhaitent
manifester leur dynamisme économique sans remettre en cause
tous les mécanismes de régulation à la loi de l’offre et de la
demande34. S’il ne faut pas se dissimuler les limites d’une
influence du code de commerce français résultant de l’ancienne
domination coloniale (A), cela ne doit pas conduire à sous-
estimer le possible rayonnement d’un droit des
affaires35 francophone dans le cadre d’une mondialisation qui
conduit à chercher des termes d’alternative (B).

A – Les limites d’une influence du code de


commerce français liée à la colonisation
 36 Sur cette question de “L’influence du droit français liée au processus
de colonisation-décolonisati (...)

24La colonisation fournit une seconde chance aux ambitions de


rayonnement du droit français36. Même si le procédé consistant à
envahir des territoires étrangers soi-disant pour faire leur
bonheur est évidemment critiquable, les retombées en termes
d’influence ne se sont pas encore dissipées. Si des pans aussi
improbablement réunis de notre système juridique que la
déclaration des droits de l’homme, le code civil ou la justice
administrative ont eu un fort succès, avec même parfois des
résurgences inattendues comme ces tribunaux administratifs
récemment instaurés dans plusieurs pays du Maghreb, le code de
commerce fait figure de composante malingre dans cet ensemble
impressionnant de textes élaborés sous influence.
25Pour autant, il n’est pas absent. Parfois menacées par son
intégration au droit des obligations civiles, parfois polluées par
des institutions considérées comme plus modernes et
empruntées au droit allemand des sociétés ou aux mécanismes
anglo-saxons en matière d’arbitrage, nombre de ses dispositions
résistent aux réformes successives mises en œuvre par des
gouvernements désormais pleinement indépendants et qui voient
dans un droit des affaires moderne, cohérent et protecteur, un
préalable au développement économique.
 37 Présentation par David SANTILLANA des intentions du
codificateur, Travaux de la commission de codif  (...)

 38 Sanaâ AZIZI, La capacité en droit musulman à la lumière de la


jurisprudence marocaine, thèse droit (...)

 39 François-Paul BLANC, “Le caractère composite du droit marocain : la


réception, en 1913, du droit pr (...)

 40 Sur les éléments de droit commercial dans le code tunisien de 1906 :


Lotfi CHEDLY, “Les principes d (...)

26Dans les deux protectorats du Maghreb, le code de commerce


bénéficie d’une récupération qui prend deux formes différentes.
En Tunisie, le choix effectué est celui d’un code unique, intégrant
des éléments de droit civil et de droit commercial, rassemblés en
1896 par une équipe de juristes français auquel est adjoint D.
Santillana37, Italien spécialiste du droit musulman malékite et qui
joue un rôle important dans l’introduction d’éléments empruntés
notamment à la charia38 mais également aux textes espagnol,
italien, suisse et égyptien39. Soumis ensuite à des Tunisiens,
professeurs de l’Université Zitouna et hauts magistrats, le texte
est appliqué à partir de 190640.
 41 François-Pierre BLANC, “Le dahir de Moulay Youssef et le décret de
Raymond Poincaré relatifs’à l’or (...)

 42 Mohamed Drissi ALAMI MACHICHI, Droit commercial fondamental au


Maroc, Rabat 2006.
27Il paraît si réussi qu’il va en 1915 servir de modèle au dahir
marocain sur les obligations et contrats à cela près qu’en sont
distraits les principales règles appelées à fournir la base du code
de commerce publié à part le 12 août 1913 41. Désormais, la
discussion va se concentrer sur les éléments de droit musulman,
notamment malékite, présents dans le droit marocain avec, entre
autres, la nullité des contrats conclus entre musulmans et portant
sur des choses déclarées hors commerce, l’interdiction du prêt à
intérêt entre musulmans et l’hostilité à l’égard des contrats
aléatoires. S’agissant du premier code de commerce calqué sur le
texte français de 1807, il est remplacé par un code rénové, le 13
mai 1996, à propos duquel les auteurs s’accordent à reconnaître
que, dans ce domaine du droit des affaires “le droit positif
marocain constitue un prolongement assez fidèle du droit
français”42.
 43 Sur la résistance de la coutume à l’application du droit des affaires
dans les pays d’Afrique franc (...)

 44 Il sera remplacé par un nouveau code de commerce adopté entre 1992
et 1997.

 45 Aïssatou K. Kane DIALLO, Intégration juridique dans la zone franc : le


cas de l’organisation pour l  (...)

 46 Idem, p. 35.

 47 Ibidem.

28Pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne, le code de


commerce applicable dans l’ancienne métropole continue
généralement de s’appliquer au-delà de l’indépendance d’autant
qu’il est surtout utilisé en cas de conflit mettant en cause des
commerçants européens tandis que les populations indigènes
continuent de se conformer aux pratiques et aux modes de
règlements des litiges prévus par les coutumes locales 43. C’est
progressivement qu’ils vont se doter de textes autonomes, il est
vrai souvent empruntés aux nouvelles lois françaises en ce
domaine. Si le Niger se dote d’un code de commerce dès 1962 44,
la plupart des Parlements nationaux des pays désormais
indépendants s’inspirent, dans leur volonté de modernisation des
lois applicables au commerce, de textes français adoptés après
l’indépendance : ainsi le code sénégalais des obligations civiles et
commerciales de 1985 de même que le code du commerce du
Mali de 1986 reproduisent la loi française du 13 juillet 196745 ;
ainsi la loi centrafricaine sur les entreprises en difficulté s’inspire
de la loi française du 23 septembre 1967 46 ; ainsi le Gabon
reprend dans son texte du 4 août 1986 certains éléments des
réformes françaises du 1  mars 1984 et du 25 janvier 198547, etc.
er

Ces efforts dispersés ne résolvent évidemment pas les problèmes


de sécurité juridique que se posent ces pays dans leur souhait
d’accéder aux marchés mondiaux des capitaux pour financer
leurs investissements, et des produits pour exporter leurs
productions.

B – L’influence du droit des affaires


français dans le cadre de la mondialisation
29C’est par l’intermédiaire de l’Organisation pour l’harmonisation
en Afrique du droit des affaires qu’a pu être mis en place, dans ce
domaine des rapports d’affaires, un pôle de droit francophone en
Afrique subsaharienne. Il est né d’une solidarité et d’une urgence.
La solidarité qui rapproche ces Etats résulte de l’existence d’une
monnaie commune, le franc CFA dont la dénomination primitive
trahit l’origine coloniale, mais que les pays ayant accédé à
l’indépendance ont souhaité conserver malgré la perte de
souveraineté que cela impliquait et malgré les problèmes
rencontrés, dont la dévaluation de 50 % du 12 janvier 1994,
constitue une conséquence plus qu’une cause.
30Quant à l’urgence, elle prend la forme du constat d’un retard
du continent africain par rapport aux autres parties du monde ce
qui résulte notamment d’une faiblesse des investissements
venant de l’extérieur. Ce serait imputable entre autres à l’absence
d’instruments juridiques suffisamment connus et sûrs, proposés
aux bailleurs de fonds au niveau international. Nié dans les
années 1980, par les régimes prétoriens à prétention
progressiste, voire marxiste, ce diagnostic s’est imposé avec le
processus de transition démocratique et l’exigence des
populations en matière de développement économique.
 48 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine, Comores,
Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Gui (...)

31C’est dans ces conditions que les ministres des Finances des
pays de la zone franc, réunis à Ouagadougou en avril 1991,
prennent l’initiative d’entamer le processus de création d’une
organisation destinée à se doter d’un droit commercial commun,
projet avalisé lors du sommet franco-africain de Libreville, en
octobre 1992. Finalement, la création de l’OHADA résulte d’un
traité signé à Port-Louis, à l’île Maurice, le 17 octobre 1993,
regroupant quinze Etats d’Afrique francophone ou assimilée 48.
L’instrument juridique principal utilisé par l’organisation consiste
en l’adoption d’“actes uniformes” couvrant les divers aspects du
droit commercial. Ils sont préparés par le secrétariat permanent
qui siège à Yaoundé. Ils doivent être acceptés à l’unanimité par le
conseil des ministres chargés de la justice et chargés des
Finances.
 49 Titres II “Les actes uniformes” (art. 5 à 12) et III “Le contentieux
relatif à l’interprétation et (...)
 50 Il faut aussi ajouter une Ecole régionale de la magistrature dont le
siège est à Porto Novo (Bénin) (...)

32A partir de là, l’article 10 du traité les présente comme


d’application directe et obligatoire dans tous les Etats
membres, nonobstant toute disposition contraire de lois
antérieures ou postérieures49. Si l’on ajoute un directoire chargé
de superviser l’application du traité et basé à Dakar et une Cour
commune de justice et d’arbitrage composé de sept membres,
siégeant à Abidjan et compétente pour conseiller le conseil des
ministres, pour interpréter les actes uniformes en tant que Cour
de cassation pour le droit commercial et pour contrôler les
procédures d’arbitrage, on aura une idée complète des
institutions de l’OHADA50.
 51 Les trois premiers actes uniformes ont été adoptés par le conseil des
ministres le 17 avril 1997, l (...)

 52 Aïssatou K. Kane DIALLO, ouvr. cité, p. 324. Dans le même sens :


“Est-ce pour cette raison que les (...)

33Les matières régies par les sept actes uniformes sont les
suivantes : “droit commercial général”, “droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique”,
“organisation des sûretés”, “organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution”,
“organisation des procédures collectives d’apurement du passif”,
“droit de l’arbitrage”, enfin “contrat de transport des
marchandises par route”51. Ces textes sont d’autant plus proches
du droit français que le secrétariat fait fréquemment appel à des
experts venus de Paris au point de susciter parfois le
mécontentement des juristes africains : “C’est à croire […] qu’il a
été procédé à l’harmonisation des législations européennes […]
est-ce simplement le mythe de l’occident qui subsiste
toujours ?”52. Pour autant, l’OHADA retrouve son unité avec
l’ancienne puissance coloniale et s’applique à défendre le
caractère opérationnel de son droit des affaires francophone face
à des organisations internationales très férues de droit anglo-
saxon comme la Banque mondiale.
 53 R. LA PORTA, F. LOPEZ-DE-SILANES A. SHLEIFER et R. VISHNY,
“Legal determinants of external finance” (...)

 54 “À l’heure de la mondialisation, un marché du droit s’ouvre sur lequel


les systèmes juridiques sont (...)

34De fait, c’est à la suite des travaux d’une équipe de chercheurs


s’efforçant d’évaluer les effets des règles de droit applicables aux
entreprises, sur la performance des systèmes financiers et sur
l’efficacité des systèmes de gouvernance 53, que la Banque
mondiale s’est engagée, à l’occasion de ses rapports réguliers
intitulés Doing Business, dans la publication d’un classement de
plus de cent cinquante pays dans le monde en fonction des vertus
économiques de leur système juridique mesurées à travers une
série de critères. Nombre d’observateurs ont cru y déceler une
tendance à présenter les nations de Common
Law comme
accordant une protection plus importante aux investisseurs et
donc caractérisés par une gouvernance plus efficace 54.
 55 Extrait de la Lettre d’information du 15 février 2007 : “ce rapport est
produit par de hauts foncti (...)

35C’est sur ce point que l’OHADA est intervenue dans sa lettre


d’information du 15 février 2007 mettant en cause les
classements de la Banque mondiale, sans évoquer bien sûr la
rivalité entre systèmes romano-germanique et anglo-saxon mais
contestant la validité d’un diagnostic émanant des observations
de hauts fonctionnaires internationaux et d’économistes publics
insuffisamment informés de la vie réelle des entreprises 55. La
réponse de la Banque mondiale, intervenue moins d’une semaine
plus tard, évoque la mobilisation, pour établir le classement, de
cinq mille experts, avocats et experts comptables et souligne une
concordance entre leur diagnostic et les résultats de chaque pays
en matière économique. En même temps, elle propose d’ouvrir
des discussions dont on verra les résultats dans le prochain
palmarès selon qu’il y aura ou pas une amélioration de la position
des pays de tradition romano germanique en matière de droit
commercial.
 56 Sur le rôle des institutions publiques françaises – notamment du
ministère des Affaires étrangères (...)

 57 Association pour le développement des échanges en technologie. V.


Fabienne RUNYO, “Appui à l’intégr (...)

36L’influence du droit des affaires d’origine française prend des


voies plus inattendues car plus officielles. Personne n’est en effet
moins ardent à défendre la francophonie que le ministère français
des Affaires étrangères qui entend développer son action dans
une perspective mondiale et non en vue de la préservation
étriquée d’une langue jugée en perte de vitesse. Pour autant,
certaines de ses initiatives favorisent l’influence du droit français,
notamment commercial56. On peut en trouver un témoignage
parmi d’autres dans un projet intitulé “Intégration” conduit à
Hanoi depuis 2000 par le Fonds de solidarité prioritaire du
ministère des Affaires étrangères. L’objectif touche au droit
commercial par le souci de moderniser l’ordonnancement
juridique vietnamien dans le cadre de l’intégration du pays aux
échanges économiques internationaux. Le programme s’appuie
sur la coopération d’un opérateur français, le groupement
d’intérêt public ADETEF57 et d’un partenaire vietnamien, le
Comité national pour la coopération économique internationale,
présidé par le vice-Premier ministre chargé des questions
économiques et par le ministre du Commerce.
37Le calendrier de l’action passe par quatre étapes qui prennent
en compte une aide à la rédaction des textes juridiques de droit
commercial, partiellement inspirés du droit français.
38Première étape : une quinzaine de voyages exploratoires au
profit de personnalités vietnamiennes auprès notamment de la
Banque de France mais également de la Banque centrale
européenne et des responsables d’anciens pays communistes,
telles la Pologne et la République tchèque, ayant connu les
difficultés du passage à l’économie de marché.
 58 Surtout des études économiques sur l’impact prévisible de l’ouverture
des frontières mais aussi qua (...)

39Deuxième étape : financement d’une trentaine


d’études58 effectuées par une demi-douzaine de cadres issus des
ministères ou des Universités vietnamiens et portant sur l’impact
prévisible et les mesures d’accompagnement liés à l’ouverture
des frontières dans le cadre de l’adhésion à l’OMC en janvier
2007.
40Troisième étape : un effort d’information se traduisant entre
autres par la publication en vietnamien de l’accord d’adhésion à
l’OMC jusqu’alors rédigé uniquement en français et en anglais.
 59 Loi du 14 décembre 2004et ses six décrets d’application.

41Quatrième étape : un appui par des experts français à la


rédaction de textes portant sur la loi commerciale et ses textes
d’application, sur la loi unifiée sur les entreprises, sur la loi
commune sur les investissements, sur la loi sur la
concurrence59 avec la mise en place d’un conseil de la
concurrence qui est en train de signer un accord de coopération à
long terme avec la direction générale française de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes et avec le
Conseil français de la concurrence. Même si l’objectif prioritaire
n’est, ostensiblement, pas de promouvoir le droit commercial
français, ce qui pourrait suffire à rendre l’opération suspecte aux
yeux des partenaires vietnamiens, le résultat n’en est pas éloigné.
***
42Nombre de juristes français semblent se complaire dans une
certaine morosité lorsqu’il s’agit d’évaluer l’influence du droit
français dans le monde. A fortiori lorsqu’il est question de tenter
de la promouvoir, voire simplement de la préserver. Ils
reconnaissent que les codifications napoléoniennes ont pu, dans
le passé, éveiller quelques échos hors des frontières, en
empruntant parfois des chemins critiquables comme les
conquêtes militaires à l’époque du Premier Empire ou de la
colonisation fin XIX  et début XX  siècles, mais aussi en s’appuyant
e e

sur les idéaux de liberté et d’égalité de la révolution de 1789, sur


la qualité des raisonnements juridiques et sur la précision du
vocabulaire, en un mot sur de beaux principes bénéficiant d’une
bonne technique juridique. Ils considèrent que la France a perdu
ce souffle novateur. Finalement, s’agissant de maintenir la
présence juridique française dans le monde, ils refusent, pour
reprendre la formule de Bernanos appliquée à d’autres domaines,
de “monter la garde à la porte d’un monde mort”.
 60 Anne-Marie LE POURRHIET, “Propos introductifs” à la première table
ronde sur “Quel peut être le dev (...)

43Au-delà d’un pessimisme qui apparaît comme l’une des choses


en France les mieux partagées, beaucoup croient pouvoir trouver
dans les évolutions les plus récentes des motifs de
découragement. Ils invoquent la décadence de la science du droit,
une terminologie de plus en plus approximative et un travail
législatif de facture trop médiocre pour séduire qui que ce soit. Ils
soulignent le déclin de l’influence française en général, une
langue parlée par un nombre de personnes de plus en plus réduit
du moins en proportion de la population totale, l’incapacité à se
faire le relais de valeurs suffisamment originales et aptes à
séduire les grandes masses. Il n’est jusqu’à l’effort de
construction européenne qui ne soit un motif d’inquiétude dans
la mesure où les textes d’origine communautaire sont désormais
les plus nombreux, où le travail du Parlement à Paris consiste
surtout à transposer les directives imaginées à Bruxelles,
puisqu’en somme “le droit français lui-même renie sa propre
culture”60.
44Il est peut-être malgré tout quelques motifs de ne pas trop se
lamenter. Il n’est pas question ici d’évoquer toutes les qualités
techniques et tous les éléments de séduction qu’un observateur
bienveillant pourrait débusquer dans les diverses branches du
droit français. Puisqu’il est question ici du code de commerce,
c’est sur lui que l’on concentrera la recherche des raisons
d’espérer, autant et peut-être plus qu’ailleurs. Avec la montée
des nationalismes y compris juridiques qui s’oppose à
l’acceptation de modèles étrangers dans des domaines trop
stratégiques comme le droit constitutionnel et au-delà le droit
public, avec la crainte par certains d’un choc des civilisations qui
affecte tous les aspects de la vie privée et d’abord le droit de la
famille, avec le succès de modes de règlements des litiges faisant
de plus en plus appel à des arbitrages où la recherche de la
conciliation et du consensus l’emporte sur le droit des contrats et
de la responsabilité, ne peut-on penser que le droit des affaires
est encore susceptible de faire figure de terrain pertinent pour
exercer une certaine influence au-delà des frontières de
l’hexagone ?
 61 Jean Du BOIS de GAUDUSSON, “Propos introductifs”, Une culture
juridique francophone ?p. 26.
 62 Ibidem. V. “Eléments d’une stratégie d’influence juridique”, L’influence
internationale, p. 79 et s

45Certains auteurs l’affirment. Dans un monde où le droit des


pays francophones apparaît multiple, l’avenir d’une éventuelle
culture francophone ne passe-t-elle pas par l’invention de
nouveaux instruments juridiques, peut-être pas adoptés par tous
les pays francophones mais s’appuyant sur “leur performance
comparative constatée et même avérée” 61, cela surtout dans les
“domaines spécialement sensibles dont le traitement juridique
entraîne des conséquences incalculables […] pour la régulation du
marché” ? Et de citer, aux côtés des droits de l’homme et du droit
pénal, les droits “du commerce” et “de la propriété
intellectuelle”62. L’on en arriverait à soutenir que le code de
commerce, qui fit longtemps figure de parent pauvre de
l’influence française dans le monde, surtout par rapport à son
prestigieux aîné, le code civil, pourrait ainsi connaître une
revanche inattendue.
NOTES
1 Sur l’influence du droit français : “La codification et l’évolution du
droit”, XVIII congrès de l’Institut international de droit d’expression
e

française, actes publiés dans Revue juridique et politique.


Indépendance et coopération, 1986 [cité désormais La codification et
l’évolution] ; La circulation du modèle juridique français, LITEC
(Travaux de l’Association Henri Capitant), Paris 1994 [cité
désormais : La circulation du modèle] ; Olivier DUTHEILLET DE
LAMOTHE et Marie-Aimée LATOURNERIE, L’influence internationale du
droit français, La documentation française, Paris 2001 [cité
désormais : L’influence internationale] ; André CARBONEILL (dir.), Le
rayonnement du droit français dans le monde, Presses de l’Université
des sciences sociales (n  spécial de la Revue Juridique de l’Océan
o

indien), Toulouse 2005 [cité désormais : Le rayonnement du droit] ;


Henry ROUSSILLON (dir.), Existe-t-il une culture juridique
francophone  ?Toulouse 2007 [cité désormais : Une culture juridique
francophone  ?].

2 Olivier DEVAUX, “Handicaps et atouts au rayonnement du droit


français”, Le rayonnement du droit, p. 259 à 268.

3 Quelques spécimens de jugements dans un florilège qui pourrait être


bien plus important : R. SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires,
Montchrestien, 1989, p. 199 : “Le droit commercial, figé dans le Code
médiocre de 1807 […]” ; Jean HILAIRE, Le Droit des Affaires et
l’Histoire, Economica, 1995, p. 35 : “Le Code a été très tôt dépassé” ;
R. SZRAMKIEWICZ et J. BOUINEAU, Histoire des institutions 1750-1914,
ITEC, 1996, p. 335 : “Le plus médiocre des codes […] On comprend
que les pays étrangers s’en soient fort peu inspirés” ; Marie-Hélène
RENAUT, Histoire du droit des affaires, Ellipses, 2006, p. 127 : “Le
Code, un outil très vite archaïque […] il est très rapidement considéré
comme un Code médiocre”.

4 Denis VOINOT, “La législation commerciale, instrument du


rayonnement du droit français dans le monde”, Le rayonnement du
droit, p. 157 à 168.

5 Sur l’effet “codification” à l’étranger, v. L’influence internationale,


p. 53-54.

6 Sur la “compétition juridique” dans le monde et notamment le risque


d’“hybridation” ou de “métissage”, v. L’influence internationale, p. 32 à
50.

7 André CABANIS, “Le code hors la France”, La codification (Bernard


BEIGNIER dir.), Dalloz, Paris 1996, p. 33 à 61.

8 Hans Jürgen SONNENBERGER, “Allemagne”, La circulation du modèle,


LITEC (Travaux de l’Association Henri Capitant), Paris 1994, p. 339.

9 André et Danielle CABANIS, “L’influence du droit français lié au


processus de colonisationdécolonisation”, Le Rayonnement du droit,
p. 19 ; du point de vue des motivations – une population se ralliant
provisoirement au droit français par rejet d’un autre droit étranger –
l’on peut en rapprocher la situation de certains Etats composant au
début du XIX  siècle les Etats-Unis d’Amérique et où un fort courant
e

anti-anglais conduit quelque temps à privilégier les sources juridiques


françaises “en matière commerciale surtout” (L’influence internationale,
p. 54).

10 Rafael Moreno QUESADA, “L’influence du modèle juridique français


sur le droit commercial espagnol”, La circulation du modèle, p. 66-67.

11 Ibidem : “Le Code de commerce français a alimenté sans arrêt la


discussion durant la première moitié du XIX  siècle car il était, par sa
e

simple existence, un point de référence dans les efforts d’élaboration


d’un code de commerce allemand. [Le code de 1861 ne reprend pas
dans son contenu le texte français] par contre sa réalisation en tant
que telle n’aurait pas été concevable sans le Code de commerce
français comme codification globale en la matière” (p. 349-350).

12 Denis VOINOT, art. cité, p. 162.

13 Robert PATRY, “Suisse”, La circulation du modèle, p. 488.

14 Rodolfo SACCO, “Rapport de synthèse”, La circulation du modèle,


p. 11.

15 Denis VOINOT, art. cité, p. 162.

16 Diana DANKERS-HAGENAARS, “Pays Bas”, La circulation du modèle,


p. 427-429.

17 A. MEEUS, “Belgique”, La circulation du modèle, p. 24.

18 Fernand DELATOUR, “La codification et l’évolution du droit en


Haïti”, La codification et l’évolution, p. 557 à 568 ; André CABANIS et
Michel Louis MARTIN, “Un exemple de créolisation modulée : le Code
civil haïtien de 1825 et le Code Napoléon”, Revue internationale de
droit comparé, 1996, p. 443 à 456.
19 Federico C. ALVAREZ hijo, “République dominicaine”, La circulation
du modèle, p. 199.

20 Manuel DURAN, “Bolivie”, L’influence du code civil dans le monde


Travaux de la semaine internationale de droit (Paris 1950), Paris 1954,
p. 771.

21 Le code de 1854 fut remplacé par un nouveau code de commerce


d’abord en 1884, puis en 1890, chaque réforme marquant un recul de
l’inspiration française (Jorge SANCHEZ CORDERO, “Mexique”, La
circulation du modèle, p. 172-173).

22 Sur l’influence française en Amérique latine, voir Camille JAUFFRET-


SPINOSI, “Rapport introductif” à “La circulation du modèle juridique
français en Amérique latine”, La circulation du modèle, p. 109-120 ;
Denis VOINOT, art. cité, p. 160.

23 Denis VOINOT, art. cité, p. 160 ; L’influence internationale, p. 53.


C’est ensuite par l’intermédiaire de l’influence turque que les codes
français, notamment le code de commerce ont influencé le code
Medgellê entré en vigueur en 1867 sur le territoire de l’actuelle
Bulgarie (Gabor HAMZA, Le développement du droit privé européen,
Budapest 2005, p. 82).

24 Mohamed El SAYED ARAFA, “Egypte”, La circulation du modèle,


p. 237, note 5.

25 Idem, p. 240, notes 1 et 2.

26 Extrait d’une lettre adressée le 15 mars 1913 par le Prince


Sawaswatthanavisit au roi Rama VI pour lui rappeler la controverse et
l’arbitrage du roi Rama V : “Le prince Rabi, ministre à l’époque, n’a pas
donné son consentement à la codification, au “code system”, reconnu
en Europe continentale […] Il a proposé même de dessaisir le comité
français de rédaction et de se charger d’en instituer un autre afin de
rédiger les codes civil et pénal, fondés sur la doctrine de la Common
Law. […] Le roi Rama V […], après avoir pris en compte les deux
modèles juridiques, a annoncé sa décision finale. Il expliqua que tout
le corps des lois promulguées par ses prédécesseurs est caractérisé
par la rédaction et le classement des dispositions positives. Ce
système se rapproche du système de la codification des pays
européens continentaux. Et, si l’on est en mesure de l’adopter et de le
transformer, il semble très pratique” (Thapanan NIPITHAKUL, Les
sources du droit et du pouvoir politique au travers des anciens textes
thaïlandais, Toulouse 2007, p. 215-216).

27 Gabor HAMZA, ouvr. cité, p. 185.

28 Vishnu VARUNYOU, “Evolution du système juridique thaïlandais : un


croisement des cultures juridiques francophone et anglo-
saxonne”, Une culture juridique francophone  ? p. 2-9.

29 Jacques ROBERT, “Rapport introductif” à “La circulation du modèle


juridique français en Asie”, La circulation du modèle, p. 516 et s.

30 Toshio YAMAGUCHI, “Japon - Première partie”, La circulation du


modèle, p. 532 à 536.

31 Jacques ROBERT, art. cité, p. 518-519 ; NGUYEN Ngoc Dien, “Le


devenir de la culture juridique romaniste dans les pays d’Extrême-
Orient”, Une culture juridique francophone  ? p. 139.

32 Idem, p. 138.

33 Lors des discussions, entre 1827 et 1830, sur l’introduction du


code civil au Sénégal, le seul sujet sur lequel se focalisent les notables
membres de la commission de codification, porte sur les conséquences
que cette introduction va avoir sur le statut des esclaves (Mamadou
BADJI, “La diffusion du code civil au Sénégal (1830-1972)”, Mamadou
BADJI et Olivier DEVAUX (dir.), De la justice coloniale aux systèmes
judiciaires africains contemporains, Toulouse 2006, p. 92.

34 “La France est en mesure de proposer au niveau international ou à


d’autres Etats dans le cadre de programmes de coopération, des
solutions et des concepts répondant à des besoins auxquels ne répond
pas nécessairement un droit d’inspiration libérale. La richesse de nos
expériences […] économiques (colbertisme, capitalisme libéral,
économie dirigée, mixte libérale) est à cet égard un atout”, L’influence
internationale, p. 68.

35 Sur l’évolution en France du droit commercial notamment vers un


droit des affaires, v. Roger HOUIN, “La décodification du droit
commercial en France”, La codification et l’évolution, p. 701 à 705.

36 Sur cette question de “L’influence du droit français liée au


processus de colonisation-décolonisation”, André Cabanis a eu
l’occasion, dans un article portant ce titre, de soumettre à la critique
six “idées reçues” qu’il a contestées avec des remarques qui nous
paraissent éclairer certaines questions évoquées ici à propos du code
de commerce. Nous nous bornerons à citer ces six “idées reçues”
renvoyant à l’article ceux qui souhaiteraient en connaître la critique : 1)
L’influence d’un droit étranger diminue nécessairement avec le temps ;
2) Les influences sont toujours directes entre le droit venant de la
métropole et les droits des peuples soumis à une domination
coloniale ; 3) En ce domaine des influences juridiques, les évolutions
sont linéaires ; 4) Dans le domaine juridique, la part des circonstances
et des influences personnelles est à peu près totalement absente ; 5)
Les influences sont homogènes dans les différentes branches du droit ;
6) L’influence du droit français dans les pays anciennement colonisés
tiendrait à l’impulsion reçue à l’époque de la colonisation et serait
donc condamnée à s’atténuer avec le temps (Le rayonnement du droit,
p. 11 à 31).

37 Présentation par David SANTILLANA des intentions du


codificateur, Travaux de la commission de codification des lois
tunisiennes, fasc. 1 : Code civil et commercial tunisien, avant-projet
discuté et adopté, Tunis 1899 ; Nahir BEN AMMOU, “L’avant-propos de
l’avant-projet de code civil et commercial tunisien (Commentaires d’un
indigène décolonisé sur l’œuvre d’un orientaliste faisant fonction de
législateur)”, Livre du centenaire du code des obligations et contrats
1906-2006, Tunis 2006, p. 65 à 89 ; Mohamed Kamel CHARFEDDINE,
“Code des obligations et des contrats : esquisse d’une évaluation de
l’œuvre”, Livre du centenaire du code des obligations et contrats
1906-2006, Tunis 2006, p. 675 à 719.

38 Sanaâ AZIZI, La capacité en droit musulman à la lumière de la


jurisprudence marocaine, thèse droit Perpignan, 2007, p. 82.

39 François-Paul BLANC, “Le caractère composite du droit marocain :


la réception, en 1913, du droit protectoral dans le respect de la
tradition juridique”, Le rayonnement du droit, p. 38.

40 Sur les éléments de droit commercial dans le code tunisien de


1906 : Lotfi CHEDLY, “Les principes du code des obligations et des
contrats et les principes de la lex mercatoria”, Livre du centenaire du
code des obligations et contrats 1906-2006, Tunis 2006, p. 635 à
673. Au lendemain de l’indépendance, le président Bourguiba fait
publier une série de codes manifestant l’indépendance de la Tunisie
mais sans rompre avec l’influence française : code de procédure civile
et commerciale et code de commerce tous deux du 5 octobre 1959,
code de commerce maritime du 24 avril 1962 ; Ridha MEZGHANI, “La
codification en Tunisie”, La codification et l’évolution, 12986, p. 464).

41 François-Pierre BLANC, “Le dahir de Moulay Youssef et le décret de


Raymond Poincaré relatifs’à l’organisation judiciaire du Protectorat
français au Maroc’”, Revue franco-maghrébine de droit n  6, 1998,
o

p. 103-104.

42 Mohamed Drissi ALAMI MACHICHI, Droit commercial fondamental


au Maroc, Rabat 2006.

43 Sur la résistance de la coutume à l’application du droit des affaires


dans les pays d’Afrique francophone : Roch ADIDO, Essai sur
l’application du droit en Afrique  : le cas de l’OHADA. Aspects
sociologiques et juridiques au vu du passé et du présent , thèse droit,
Perpignan 2000, dactyl., p. 8 à 27.
44 Il sera remplacé par un nouveau code de commerce adopté entre
1992 et 1997.

45 Aïssatou K. Kane DIALLO, Intégration juridique dans la zone franc  :


le cas de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires (OHADA), thèse Perpignan, 1998, p. 71.

46 Idem, p. 35.

47 Ibidem.

48 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine,


Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bisau, Guinée
équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo.

49 Titres II “Les actes uniformes” (art. 5 à 12) et III “Le contentieux


relatif à l’interprétation et à l’application des actes uniformes” (art. 13
à 20) du traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit
des affaires en Afrique.

50 Il faut aussi ajouter une Ecole régionale de la magistrature dont le


siège est à Porto Novo (Bénin) et qui assure la formation et la
spécialisation des magistrats et des autres praticiens du droit à la
nouvelle législation des affaires (sur les institutions de l’Organisation :
titre V (art. 27 à 42 du traité).

51 Les trois premiers actes uniformes ont été adoptés par le conseil
des ministres le 17 avril 1997, les deux suivants le 10 avril 1998,
l’avant-dernier le 11 mars 1999, le dernier en date le 22 mars 2003.
Actuellement est en discussion un projet d’acte uniforme “relatif au
droit du travail”. Le texte tel qu’il a été élaboré lors de la réunion de
Douala en novembre 2006 est extrêmement ambitieux avec 299
articles et des dispositions sur le contrat de travail, les conditions de
travail, la santé et la sécurité au travail, la représentation du personnel
et le droit syndical, les conventions et accords collectifs, les différends
du travail, les organismes et moyens d’exécution, enfin les
dispositions pénales.
52 Aïssatou K. Kane DIALLO, ouvr. cité, p. 324. Dans le même sens :
“Est-ce pour cette raison que les autorités de l’OHADA ont voulu
associer des experts étrangers, français notamment à la mise en œuvre
de l’organisation ? […] Nous avons été choqués d’apprendre que
certaines commissions d’experts de l’OHADA se réunissaient au
Canada, en France… pour l’élaboration des actes uniformes. Le
continent africain serait-il trop étroit pour nos experts ?” (ibidem).

53 R. LA PORTA, F. LOPEZ-DE-SILANES A. SHLEIFER et R. VISHNY,


“Legal determinants of external finance”, Journal of Finance, 52, juillet
1997, p. 1131-1150 ; “Law and finance”, Journal of Political Economy,
106, décembre 1998, p. 1113-1155 ; “Investor protection and
corporate governance”, Journal of Financial Economics, 58, octobre
2000, p. 3-27.
R. LA PORTA, F. LOPEZ-DE-SILANES A. SHLEIFER et R. VISHNY (2000),
“Investor protection and corporate governance”, Journal of Financial
Economics, 58, p. 3-27.

54 “À l’heure de la mondialisation, un marché du droit s’ouvre sur


lequel les systèmes juridiques sont évalués, cotés, tantôt par un pays
émergent en quête d’une législation, tantôt par un ensemble de pays
désireux de se doter d’une règle commune, tantôt par telle ou telle
institution internationale. C’est dans ce mouvement que s’inscrivent
les Rapports annuels de la Banque mondiale Doing Business en 2004,
2005... Or, le lecteur y constate que, des deux grandes familles
juridiques que constituent, d’une part, la culture juridique romano-
germanique ou latine, dite encore de civil law ou de tradition civiliste,
et, d’autre part, la culture juridique dite de common law, celle-ci est
louée tandis que celle-là, au premier rang de laquelle figure la culture
juridique française, est vivement critiquée voire dénigrée. // Il
appartenait à l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture
Juridique Française qui, depuis plus de 70 ans réunit des juristes de
tous pays attachés à la culture juridique française et, plus largement, à
la culture juridique romaniste, non pas seulement de répliquer à
“l’attaque”, mais aussi, allant au-delà, de livrer une réflexion encore
largement inédite sur les mérites de la tradition juridique civiliste”
(extrait de l’ouvrage publié par l’Association Henri Capitant des Amis
de la culture juridique française, Les droits de tradition civiliste en
question. A propos des Rapports Doing Business de la Banque
Mondiale, Société de législation comparée, Paris 2006, vol. 1, 143 p.).

55 Extrait de la Lettre d’information du 15 février 2007 : “ce rapport


est produit par de hauts fonctionnaires internationaux, économistes
publics très méritants et éminemment respectables, mais ayant, de par
leurs très hautes fonctions au sein d’instances internationales
prestigieuses, relativement peu d’expérience et de connaissances
pratiques et concrètes du monde de l’entreprise et de ses vraies
difficultés”.

56 Sur le rôle des institutions publiques françaises – notamment du


ministère des Affaires étrangères – en faveur de la coopération en
matière juridique, entre autres à travers le renforcement des “capacités
d’expertise juridique pour la coopération internationale”, v. L’influence
internationale, p. 121 à 127.

57 Association pour le développement des échanges en technologie. V.


Fabienne RUNYO, “Appui à l’intégration du Vietnam aux échanges
économiques internationaux : mise en œuvre et contribution du projet
à l’ordonnancement juridique vietnamien”, L’encadrement juridique de
l’économie en Asie-Pacifique, actes d’un colloque tenu à Hanoi les 2 et
3 février 2007, en ligne sur Internet. A noter que c’est ce domaine du
droit des entreprises qui fit l’objet des premières actions de
coopération juridique entre la France et le Vietnam, dès 1990, grâce à
Pierre Bézard, président honoraire de la chambre commerciale de la
Cour de Cassation : "Réflexions sur l’enseignement français en terre
vietnamienne. Ambition, désillusion, espoir". Mélanges à la mémoire
du professeur Roger Saint-Alary, Toulouse 2006, p. 84-85. Sur les
origines des textes juridiques au Vietnam et notamment la rivalité
entre influences chinoise et française, v. Bernard DURAND, Philippe
LANGLET et Chanh Tan NGUYEN (dir.), Histoire de la codification
juridique au Vietnam, Montpellier 2001.
58 Surtout des études économiques sur l’impact prévisible de
l’ouverture des frontières mais aussi quatre études juridiques sur
“Analyse du système actuel de réglementation prudentielle dans les
activités bancaires au Vietnam […]” (2005), “Analyse du système actuel
de la réglementation quant à la création de nouveaux établissements
de crédit au Vietnam” (2005), “Les dispositions relatives aux conditions
d’investissement au Vietnam […]” (2007) et “Le statut d’économie de
marché pour le Vietnam” (en cours).

59 Loi du 14 décembre 2004 et ses six décrets d’application.

60 Anne-Marie LE POURRHIET, “Propos introductifs” à la première table


ronde sur “Quel peut être le devenir d’un droit francophone”, Une
culture juridique francophone  ? p. 39-40.

61 Jean Du BOIS de GAUDUSSON, “Propos introductifs”, Une culture


juridique francophone  ? p. 26.

62 Ibidem. V. “Eléments d’une stratégie d’influence


juridique”, L’influence internationale, p. 79 et s.

AUTEUR
Béatrice Fourniel
Docteur en histoire du droit à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CTHDIP, UT1)

Le développement du droit
commercial en dehors du
Code et l’influence des droits
étrangers 1807-1925
Jean-Pierre Allinne

p. 73-101
INTRODUCTION : LA BOITE
NOIRE DE LA PRODUCTION
LEGISLATIVE
 1 Travaux préparatoires du Code civil. Sur Portalis “commercialiste” et
codificateur, F. TERRE, “L’ar (...)

 2 BOUTERON et LACOUR, Manuel de droit commercial, Paris, 1925 :


“Notre code de commerce présente auj (...)

1Evoquer le droit commercial en dehors du Code revient à


évoquer la quasi-totalité de la matière. Seule parmi les grandes
réformes législatives du XIX siècle, la loi de 1838 adoucissant la
e

faillite a été codifiée. On sait qu’il ne restait en 2000, au moment


de la recodification du droit commercial, que 159 articles sur les
648 initiaux, dont 33 seulement dans leur rédaction de 1807.
Portalis, pourtant champion de la codification, le notait avec
réalisme : “A proprement parler, on ne fait pas les codes des
peuples ; ils se font avec le temps”1. Il a manqué à l’évidence un
Portalis parmi les rédacteurs du Code de 1807. Parvenu en
lambeaux au XX  siècle, notre code fait figure d’immeuble
e

remanié de toutes parts, selon la métaphore cruelle employée par


un ancien manuel2. Doctrine et pratique ont de fait imposé
l’adaptation de modèles étrangers, anglais d’abord avec le chèque
en 1865, la société anonyme en 1867 et la faillite en 1889,
allemand ensuite avec le registre de commerce et la SARL. Des
pans entiers de droit des affaires, et non des moindres comme la
vente commerciale, le compte courant, le marché à terme ont été
oubliés.
 3 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le bicentenaire d’un fantôme”, 1807-
2007, le Code de commerce, le livr (...)
 4 Voir notamment son Le droit des affaires et l’histoire, Paris, Economica,
1995. Problématique comp (...)

 5 Dont la thèse d’histoire du droit de Ph. PASCHEL, “La portée de la


codification dans l’histoire du  (...)

2Les historiens sont sensibles à l’honneur que leur font leurs


collègues positivistes de proposer les grandes césures, mais cet
honneur est lourd de responsabilités. D’autant que l’histoire
ignore le plus souvent comment ont été élaborées les
nombreuses lois commerciales décodifiant (c’est-à-dire
multipliant les lois non codifiées) un code que l’on a pu à juste
titre qualifier de “fantôme”3. Les ressorts de la pratique sont
entourés du même flou historique. Si l’on connaît mieux
aujourd’hui les avatars du fonds de commerce et de la
commandite par actions grâce aux travaux pionniers de Jean
Hilaire4, la recherche est balbutiante quant aux liens entre la
pratique et la loi, malgré des pistes prometteuses5. Pourquoi et
comment les praticiens ressentent-ils le besoin de clarification
d’une pratique par la loi ? Que mettre en exergue pour enrichir
une problématique ainsi balisée ? Deux démarches peuvent nous
aider à mieux cerner les vrais acteurs de la législation
commerciale :
 6 F. OST, “Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge”, P. BOURETZ
(dir.), La force du droit, (...)

3Emprunter les pistes de l’histoire administrative et comparative,


tout d’abord. Elles permettent de soulever le couvercle de la boîte
noire législative. Elles aident à comprendre comment la pratique
devient loi en un XIX  siècle où la timidité de la démocratie
e

jusqu’à 1879 écarte le parlement du processus décisionnel. En


cette première période, l’Etat a un quasi-monopole dans
l’établissement de la loi. Les entrepreneurs sont représentés au
sein des ministères par des juristes qui animent les directions
ministérielles stratégiques et même le Conseil d’Etat pourtant
réputé peu suspect de complaisance envers le monde des
affaires. Jusqu’aux années 1870, ces fonctionnaires liés aux
affaires inspirent une véritable révolte contre la rigidité, mais
aussi les silences du Code. Pour reprendre la belle métaphore que
le philosophe du droit François Ost réserve à l’évolution du juge
civil6, le droit des affaires peut être symbolisé jusqu’à la
Troisième République par Hermès-Mercure, ce dieu des
carrefours, du commerce et messager des hommes qui s’oppose
à un Code jupitérien ou napoléonien fulminé du haut de l’Olympe
contre les malversations supposées des commerçants. Le
paradigme anglo-saxon domine alors les débats, alors que le
modèle italien de moralisation des affaires hérité de l’Ancienne
France se révèle obsolète. L’existence précoce d’un lobby libéral
au cœur de l’appareil d’Etat constituera notre premier propos (I).
 7 Une synthèse de cette approche Y. DELOYE, Sociologie historique du
politique, Paris, La découverte (...)

4Les acquis de la socio-histoire 7 permettent en second lieu de


relire la Troisième République à l’aune des alliances politiques
dont le droit des affaires constitue l’un des éléments. Les
priorités électorales priment désormais dans un contexte de
conquête des classes moyennes par une République encore
fragile. L’élaboration de la loi commerciale en devient beaucoup
plus complexe. Elle provient certes d’hommes de doctrine, les
Thaller ou les Lyon-Caen qui ne sont cependant pas toujours au
fait des contraintes entrepreneuriales. Les hommes d’affaires
républicains incarnés par un Eugène Rostand vont alors servir de
lien entre un parlement plutôt méfiant envers la sphère
économique et les milieux d’affaires. La complexité nouvelle
s’explique aussi par le fait qu’il faut désormais intégrer à la
République les petits commerçants et les petits patrons, ces
“nouvelles couches” chères à Gambetta.
5La faillite va être pour cette raison bouleversée en 1889 avec
l’introduction de la liquidation judiciaire, comme est autorisé en
1898 le nantissement de fonds de commerce. Ferry avait même
caressé en 1881 un projet de suffrage universel des commerçants
pour l’élection des tribunaux de commerce, projet qu’il devra
retirer sous la pression des notables.
6La doctrine comparatiste prend un nouvel essor, mais va peu à
peu délaisser le modèle anglo-saxon pour celui de l’Europe du
nord. La mutualité à l’allemande remplace la concurrence anglo-
saxonne comme emblème social (lois de 1894 sur le crédit
agricole, de 1917 sur les banques populaires, de 1919 sur le
registre de commerce). L’anonymat est mis à la portée de tous
par la loi introduisant en 1925 la très germanique SARL.
7Le paradigme dominant devient celui d’Héraclès-Hercule portant
la misère du monde sur son dos, celle des classes moyennes
surtout, objet de la sollicitude républicaine, comme il portait en
Grèce le globe terrestre. C’est à l’avènement d’un Hercule
commercialiste, c’est-à-dire de l’Etat-providence que nous vous
invitons à réfléchir en un second propos qui nous mènera aux
années Trente.

I – L’AVENEMENT DE LA
LIBERTE D’ENTREPRENDRE.
MERCURE CONTRE JUPITER,
1830-1870
8Par nature, le monde des affaires est soumis à un impératif de
rentabilité. Toutes les énergies, mais aussi les structures
juridiques sont utilisées à cette fin. L’entreprise est alors aux
prises avec deux impératifs contradictoires : celui de la rapidité,
donc de la liberté des réactions sur le marché, d’une part. Celui
de la sécurité des transactions d’autre part. Toute l’évolution du
droit des affaires est, on le sait, dominée par cette double
contrainte jusqu’à nos jours. D’où le fait que les praticiens vont
se tourner vers l’Etat et la loi, garantie suprême de la sécurité
même en période d’épanouissement de la concurrence. Nous
évoquerons ainsi le poids persistant du juge et de la loi en pays
de tradition légaliste (B).
9Pour le moment, attachons-nous à la prégnance de la pratique
dans un pays réputé “colbertiste” mais marquée aussi par une
culture libérale des affaires et par un code de commerce bien
effacé (A).

A – Une pratique libérale des affaires,


1820-1870
10Le premier XIX  siècle est dominé par une interpénétration
e

remarquable entre les acteurs économiques, capitaines


d’industrie comme Schneider ou banquiers comme Laffitte et
Péreire et de hauts fonctionnaires formés au même moule de la
pensée libérale, engagés eux-mêmes dans les affaires. Juristes de
cabinets ou de grandes directions ministérielles relèguent alors
au second plan les professeurs de la faculté de droit dont
l’influence est limitée au droit pénal, comme en témoigne la
figure d’un Rossi inspirant la loi de 1832 sur les circonstances
atténuantes. Nombre de ces hauts fonctionnaires se présentent à
partir de la Restauration comme libéraux et anglophiles. Non par
goût de la théorie économique, encore que beaucoup d’entre eux
se forment en la matière en adhérant dès les années 1840 à la
Société d’économie politique, un décalque de celle fondée à
Londres par Cobden. Ses services ministériels sont en réalité
réalistes. Il y va de la compétitivité de la France dans la
concurrence pour la suprématie économique en Europe.
11Encore faut-il être en mesure de préciser qui formalise la
pratique. Armand Dalloz tentait en 1841 de répondre à cette
question en mettant en avant trois catégories d’hommes, les
“jurisconsultes”, parmi lesquels il rangeait évidement les notaires,
inventeurs par exemple de la notion de fonds de commerce à la
fin du XVIII  siècle, “les hommes jetés dans le mouvement des
e

affaires” et les magistrats. Il oubliait une catégorie d’acteurs


pourtant centrale, les fonctionnaires engagés dans les affaires,
hommes d’appareils ministériels ayant aussi un pied dans le
monde de l’entreprise.
 8 J.-P. ALLINNE, “Société et production juridique sous le Second Empire.
Réflexions sur la libéralis (...)

12Analysant la composition des membres de la Société


d’économie politique, incarnation de la pensée libre échangiste
en France, nous avions été frappés par le nombre très élevé de
fonctionnaires peuplant ses rangs 8, près de 40 % des effectifs.
Certains membres, libéraux conservateurs, ont siégé au
gouvernement, tels Léon Faucher ou Hyppolite Passy. Tous ces
serviteurs de l’Etat possédaient des liens institutionnels et
financiers avec les sociétés en train de se créer dans une
conjoncture d’anticipation optimiste. L’ouverture du lobby libéral
au monde de l’Administration a permis la traduction en textes
législatifs d’une pratique née dans des sphères hostiles au
dirigisme et à la pénalisation qui sont sous-jacents dans le Code
de 1807. Quatre noms sont représentatifs de cette collaboration
trop sous-estimée entre élites administratives et élites
économiques au moment du décollage de la France, ceux d’Emile
Vincens, d’Emile Pinard, de Charles d’Audiffret et de Gustave
Rouland.
 9 E. VINCENS, Examen critique du Code de commerce, Paris, 1921.

13Précurseur du lobbying libéral, Vincens dénonce dès 1821


l’étroitesse d’esprit d’un code français de commerce fermé à
l’idée d’un droit universel des marchands, d’un jus mercatorum9.
Il reproche également au Code d’avoir oublié de prendre en
compte les institutions publiques indispensables selon lui à la vie
des affaires, chambres et Bureau de commerce notamment.
Vincens, gendre d’un banquier génois, avait pu vérifier dans cette
république méditerranéenne le rôle positif des élus consulaires. Il
y a du reste présidé la chambre de commerce. Il est placé pour
cette raison en 1833 et 1839 à la tête de la Direction du
commerce au ministère de l’intérieur, après qu’il eut fait son
entrée au Conseil d’Etat en 1838, où il affronte la tempête
suscitée par les scandales des commandites par actions de
complaisance. Il tiendra ferme face aux conseillers conservateurs
qui souhaitent la suppression pure et simple de cette forme
sociétaire, indispensable à ses yeux aux côtés des sociétés
anonymes contrôlées par le Conseil d’Etat. Ses contributions
au Journal des économistes confirment après 1843 ses liens
étroits avec les milieux économiques libéraux.
14Egalement juriste de formation et issu d’une famille de
négociants, Emile Pinard fonde sa propre banque, ce qui ne
l’empêche pas d’être nommé conseiller d’Etat sous Juillet, en ce
qu’il incarne à l’image du régime à la fois l’ordre et le libéralisme.
Il fédère néanmoins à la Haute Assemblée les adversaires des
“Etatistes”, comme il nommait lui-même les conseillers de
sensibilité régalienne et autoritaire. A ce titre, il y milite contre
l’avis obligatoire donné par le Conseil d’Etat sur les statuts des
sociétés anonymes en formation. Il sera aussi à l’origine du
premier Comptoir d’escompte fondé à Paris en 1848 pour venir
en aide aux petits entrepreneurs. Pinard fondera plus tard avec le
maître de forge Bartholony et ses alliés financiers du groupe
Morny la Compagnie de chemin de fer du PLM. Il sera surtout à
l’origine en 1864 avec un autre banquier, Donon, de la grande
banque de dépôt Société Générale. On comprend qu’il ait pu agir
de l’intérieur du Conseil d’Etat pour aligner la société anonyme
française sur le modèle anglais.
 10 Charles-Louis d’AUDIFFRET, Souvenir de ma famille et de ma carrière
dédiés à mes enfants, 1787-187 (...)

15Le marquis Charles d’Audiffret est quant à lui à l’origine de la


création en 1859 du Crédit industriel et commercial. Cet ancien
directeur du Trésor, devenu président de chambre à la Cour des
comptes, refusa la même année le portefeuille des Finances, au
moment où le régime souhaitait donner des gages aux milieux
d’affaires demeurés massivement orléanistes. Ce fut Achille Fould
qui incarna après 1860 aux Finances cette main tendue politique.
Fort de l’autorité de la Cour des comptes, d’Audiffret prit sous
l’Empire vigoureusement position10 pour la reconnaissance du
marché boursier à terme, pratique alors interdite par le Code et
sur laquelle la jurisprudence hésitait. Il avait soutenu dès la
Monarchie de juillet un parère en ce sens aux côtés des Laffitte,
Rothschild et Péreire, ambassadeurs habituels de la liberté des
transactions. La loi finira par lui donner raison en reconnaissant
en 1885 la licéité du marché à terme.
16Le cas de Gustave Rouland est voisin. Nommé au Conseil d’Etat
sous Juillet, ce juriste va faire carrière sous le Second Empire où il
se fait l’ardent défenseur de la liberté de la société anonyme et de
celle de la Banque de France. Son poste de sénateur de Seine-
inférieure, ses convictions conservatrices et son sens du dialogue
lui permettent d’accéder en 1859 à la tête du ministère de
l’instruction publique, qu’il quitte en 1863 pour se voir confier la
présidence du Conseil d’Etat, lors du débat sur la libre création
des sociétés commerciales. Nommé à la tête de la Banque de
France l’année suivante, il y côtoie tous les grands banquiers au
conseil de régence. Il est convaincu par les représentants de la
Haute Banque que le temps n’est plus à la réglementation. Il va
faire de l’Institut d’émission une banque commerciale presque
comme les autres en libéralisant le maniement du taux de
l’escompte. Plébiscité par les régents, il reste à la tête de l’Institut
démission jusqu’en 1878.
 11 Dont l’article 1657 dans un arrêt connu du 19 février 1873, D., 1873,
1, p. 301.

17La prise en compte de la pratique par les hautes sphères de


l’Etat ne signifie pas que toutes les lacunes du Code sont
comblées pendant cette période de décollage économique. La
pratique demeure incertaine sur des pans entiers du droit
commercial. La vente commerciale est laissée aux soins de la
pratique marchande par un Code civil qui appelait pourtant en
son article 1107 une réglementation spécifique. Celle-ci ne
viendra pas, ou alors sous la forme d’usages de second plan
codifiés à part en 1866. Face à ce silence du législateur
commercial et à l’hétérogénéité de la pratique, la Cour de
cassation a fini par appliquer à la vente commerciale des règles
de nature civile11. La jurisprudence de la Cour, imprégnée de
solutions romanistes y compris en sa chambre commerciale, est
venue ainsi ralentir l’adaptation spontanée de la pratique aux
contraintes du marché en imposant des règles civilistes dans le
domaine des affaires en cours de construction.
18Exemple typique de la prudence toute civiliste de la chambre
commerciale, celui du nantissement commercial. Il s’agissait pour
le juge, de protéger en priorité les cocontractants des
commerçants. La vieille préoccupation civiliste de l’intérêt des
tiers voulait que le gage commercial implique la dépossession
effective, préoccupation confirmée par une loi du 23 mai 1863.
Cette exigence demeurait peu conforme aux besoins des
commerçants. La pratique s’est dès lors ingéniée à inventer
toutes sortes de stratagèmes pour tourner cette interdiction. A
Calais, on conférait ainsi au propriétaire de l’immeuble
commercial la qualité de “tiers convenu” comme garant du prêt.
On s’inspirait là du mécanisme très britannique du magasin
général et de la technique du warrant. La France venait d’adopter
cette technique de crédit en 1858 sous la pression des milieux
d’affaires anglophiles, mais celle-ci ne pouvait s’appliquer qu’aux
marchandises fongibles et pas aux machines. Ailleurs, on
remettait la clé du bâtiment où les marchandises étaient
entreposées, en s’inspirant de la règle posée par l’article 1606 du
Code civil.
19La pratique reconnaissait dès le début du XIX  siècle la valeur
e

patrimoniale des éléments incorporels du fonds de commerce,


éléments que les commerçants souhaitaient depuis longtemps
offrir en nantissement pour trouver du crédit à plus long terme. Il
faudra attendre la République modérée pour que la loi
reconnaisse enfin en 1898, mais combien timidement, le
nantissement de fonds de commerce, puis 1909 pour que la
République radicale entérine la pratique de la publicité de la
cession du fonds (voir infra).
 12 G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris, LGDJ,
1946, p. 22, cité 1807-2007, Co (...)

 13 Etudiée notamment dans la thèse de Serge CAPEL, Histoire de la


juridiction consulaire de Toulouse, (...)

20C’est en matière de faillite que la pratique a dû le plus innover


pour tourner la rigueur du Code envers le commerçant défaillant.
Bonaparte n’aimait pas beaucoup les marchands, rappelle
Georges Ripert : “Sa petite noblesse, sa carrière militaire, son
goût du pouvoir souverain ne le disposent pas à comprendre
l’importance du commerce”12. Il faudrait ajouter que le scandale
de la faillite du banquier Récamier avait amené l’Empereur à
siéger en personne en août 1807 à cinq des séances du comité de
rédaction relatives à la faillite. La jurisprudence du tribunal de
commerce de Toulouse13 confirme que l’arrangement demeurait
comme sous l’Ancien Régime le but premier des créanciers
pressés de tirer de l’actif ce que le failli pouvait lui-même sauver.
Le droit français de la faillite constituait pourtant une des rares
tentatives en Europe, pour organiser les créanciers et éviter
l’opportunisme des plus rapides ou des plus astucieux. On relève
à Toulouse que le sauf-conduit est presque toujours accordé au
débiteur. Ce dernier est le plus souvent emprisonné chez lui, en
violation du Code au moins avant que la loi de 1838 ne vienne
diminuer les cas d’incarcération. On y réhabilite le failli en une
forme simplifiée extra legem, soixante-quinze ans avant la loi de
1907 assouplissant les conditions de cette réhabilitation. On y
crée même une “rétractation de faillite” qui permet la
réhabilitation automatique si le failli a conclu un arrangement, le
plus souvent non homologué, avec ses créanciers.
21Les imperfections de la pratique ont aussi amené le législateur
français à intervenir au long du XIX  siècle,
e
fixant une
jurisprudence et des pratiques parfois contradictoires ou
contestables.

B – Les ressorts de la décodification


commerciale
 14 C. LYON-CAEN et L. RENAULT, Traité de droit commercial, Paris,
Pichon, 2ème édition 1893, t. 1, p. (...)
22La décodification soulève la question des racines profondes de
l’implication du législateur. A partir de quel moment le Code
complété par la pratique ne suffisent-ils plus à encadrer et à
sécuriser les affaires ? Les auteurs du premier grand manuel de
droit commercial, Lyon-Caen et Renault, estiment que “la
codification a surtout pour but de donner une formule précise à la
coutume sur les points les plus importants, de faciliter la
connaissance des règles”14. Ils soulignent à la fois la centralité du
besoin de sécurité juridique et l’influence des usages sur
l’intervention législative. La pratique trace de fait depuis le
Moyen-Âge les cadres juridiques face aux besoins nouveaux qui
apparaissent avec l’évolution des contraintes économiques. C’est
là que réside l’essence même du droit commercial, pratique
consacrée. Jusqu’à la Révolution, le Bureau du commerce, les
chambres de commerce, les intendants spécialisés ou bien les
parlements régulaient ces besoins en une osmose qui rappelait
celle pratiquée par les statuts des villes marchandes italiennes. Il
manquait à l’évidence un successeur au Bureau du commerce qui
avait été depuis Colbert l’oreille du Roi dans le monde des
marchands. Le Conseil d’Etat, organe de préparation de la loi et
donc nécessaire réceptacle de la pratique, en tient partiellement
lieu au XIX  siècle.
e

23Encore faut-il qu’existent des hommes-relais pour éclairer le


juge et le législateur des besoins du commerce en un siècle où le
Parlement ne joue qu’un rôle effacé de chambre
d’enregistrement. Sous la Restauration et le Second Empire, les
gouvernants sont politiquement coupés des milieux d’affaires
majoritairement libéraux. Mais les “Etatistes” du Conseil d’Etat
sont encore puissants sous la monarchie de Juillet. La pratique est
alors formalisée par des fonctionnaires-entrepreneurs, tel Pinard,
qui servent de pont entre les acteurs de terrain et les grandes
directions ministérielles en charge de la préparation de la loi.
24La jurisprudence constitue elle aussi un lien traditionnel entre
le terrain et la loi. L’appréciation de la réalité des usages
conventionnels demeure in fine placée sous l’appréciation du juge
suprême. Le juge consulaire, juge du fait, non professionnel de
surcroît, a toujours été soupçonné par ses confrères civilistes de
ne statuer qu’en équité. Reste que la Cour de cassation n’a pas
toujours bridé les usages des commerçants, loin s’en faut. Grâce
à la bonne connaissance du monde des affaires par certains juges
judiciaires, six grands usages ont été consacrés par la
jurisprudence, évitant le recours à la loi : la solidarité présumée
des codébiteurs commerciaux, l’anatocisme dans le compte
courant, la possibilité de mise en demeure par tous moyens, la
liquidation judiciaire virtuelle, la validité du chèque barré et la
possibilité de réfaction en cas d’inexécution partielle de la vente.
Au XIX  siècle comme aujourd’hui, certains magistrats de la Cour
e

de cassation ont en effet une connaissance pragmatique des


affaires. S’ils restent minoritaires au sein de la haute
magistrature, ils y soutiennent néanmoins un point de vue
pragmatique et relativisent les préjugés civilistes de leurs
confrères.
 15 M. GRELOT, Notice sur M. Blanche, Paris, Cour de cassation, 1875.

25Il en va ainsi de Georges Blanche. Ce fils de médecin protestant


fut d’abord négociant à Rouen tout en menant des études de
droit. En l’absence d’écoles de commerce, celle de Paris étant
plutôt réservée aux fils de négociants modestes ou moyens, les
jeunes entrepreneurs se formaient en effet sur les bancs des
facultés de droit. Blanche est nommé en 1855 Avocat général à la
Cour de cassation, puis Premier Avocat général, soit le troisième
poste dans la hiérarchie judiciaire en France. Légitimé par cette
position, il va défendre dans son discours de rentrée de 1861 à la
Cour le principe de la liberté de création des sociétés anonymes,
contre la tradition colbertiste du contrôle15.
26Le cas de Charles Renouard est voisin. Fils de gros négociant
parisien, cet avocat de formation entre en 1837 à la Cour de
cassation et va y rester conseiller jusqu’à la fin du Second Empire.
Demeuré orléaniste de conviction – il avait été à plusieurs reprises
député sous Juillet – Renouard se signale par sa spécialisation en
droit des faillites et par son souhait d’atténuer la pénalisation du
failli. Il exprime ses positions personnelles lorsqu’il rédige
en1838 la première loi adoucissant la condition du failli. Il avait
milité pour le comparatisme en matière commerciale et
notamment de faillite dans les premiers numéros de la
revue Thémis fondée en 1819 par Athanase Jourdan, père de
l’histoire du droit moderne. Il publie également sur le droit
commercial dans dela Revue
législation et de
jurisprudencefondée en 1835 par Louis Wolowski. Renouard
adhère logiquement à la Société d’économie politique en 1845. Il
va y développer des interventions favorables à la liberté de
fondation des sociétés commerciales.
27La présence dans la juridiction suprême de praticiens des
affaires a ainsi permis de limiter le recours au législateur en
consacrant des usages directement issus de conventions
marchandes.
28Restent les hypothèses, encore nombreuses, où la
jurisprudence est demeurée impuissante ou réticente pour cadrer
les usages commerciaux inédits. La loi a alors dû intervenir pour
prendre le relais. Elle a agi dans deux grandes hypothèses : d’une
part comme correctif et unificateur d’une pratique incertaine ou
incohérente. L’exemple des commandites par actions moralisées
par la loi de 1856 en témoigne. D’autre part, la loi commerciale
au XIX  siècle
e
a souvent été la résultante de campagnes
orchestrées par les groupes de pression du monde des affaires.
L’introduction en 1865 du chèque-mandat inspiré du modèle
anglais en fournit un premier exemple. La libéralisation de la
société anonyme témoigne également du poids du lobby libéral à
la fin de l’Empire. La résistance à la loi peut aussi servir de
campagne indirecte d’opinion. En témoigne le boycott de fait de
la loi de 1856 bridant la commandite par actions par les
fondateurs d’entreprise. L’effondrement du nombre de
commandites par actions entre 1856 et 1867, l’implantation de
sociétés françaises en Belgique, telle la première Société
Générale en 1864, ont constitué des signaux forts pour des
pouvoirs publics qui ont dû se ranger au point de vue dominant
parmi les entrepreneurs et libérer enfin la société anonyme.
Approfondissons ces deux hypothèses : Avant de libérer
l’anonymat, le poids du lobby libéral a suscité en premier lieu le
perfectionnement des techniques bancaires, grandes oubliées
du Code de 1807. L’introduction en France du warrant anglais en
1858 et surtout du chèque par la loi du 14 juin 1865 est
intimement liée au développement des banques de dépôt. Le
Crédit Lyonnais, apparu sous forme de société à responsabilité
limitée dès 1863, a beaucoup fait pour acclimater dans notre pays
un moyen de paiement dans lequel le fondateur de la banque,
Henri Germain, voyait “une caisse d’épargne portative”. Outil
consubstantiel du développement des banques commerciales, le
chèque suscitait cependant la crainte d’une nouvelle taxation
chez les banquiers. Jean Hilaire nous rappelle combien l’Etat
français a été un dieu Janus à deux visages, piètre commercialiste
d’un côté, fiscaliste impénitent de l’autre. Le risque de payer de
lourds droits proportionnels avait amené les banquiers d’affaires
à refuser dans les années 1830 le chèque mandat de payer,
assimilé à un acte de commerce, celui que nous connaissons
aujourd’hui et que les Anglais pratiquait depuis la fin du
XVIII  siècle.
e

29On lui avait préféré en France un simple reçu taxé par un


beaucoup moins pesant droit fixe. Le banquier remettait au
titulaire de compte un carnet de reçus en blanc détachables. Le
déposant remettait ce reçu daté et signé à son créancier, devenu
porteur. Ce dernier présentait alors le reçu au guichet de la
banque et le faisait honorer à son profit. Aux yeux du banquier,
ce simple papier constituait la preuve du retrait des fonds
déposés par le titulaire du compte.
30Cet ingénieux mais simpliste procédé marqua vite ses limites,
son incertitude et surtout son impossibilité à circuler. C’est alors
que les premières banques de dépôt entamèrent sous le Second
Empire de longues négociations pour obtenir un dégrèvement
fiscal des droits d’enregistrement sur le chèque-mandat. Devant
les réticences des députés attachés à l’équilibre budgétaire, il
fallut disputer pied à pied pour obtenir enfin un dégrèvement
pendant cinq ans du mandat de payer, finalement portés à dix.
31Le Conseil d’Etat était réticent devant une réforme qui ouvrait la
porte à la démocratisation du compte en banque. Encore fut-il
partagé sur une question où il était écartelé entre l’objectif
traditionnel de protection de l’épargne et les nouvelles
contraintes libre-échangistes. Rappelons que le tiers de ses
membres appartenait à la très libérale Société d’économie
politique et n’était sans doute pas insensible au grand dessein
économique d’Henri Germain. La Haute Assemblée avait dû
avaliser, à contrecœur encore, le traité de 1860 de libre échange
avec l’Angleterre. Son président, Forcade de la Roquette, ancien
Directeur des Finances après 1860 et en charge de ce ministère
en 1867, était un proche de Pinard, dont il avait soutenu en 1864
la nouvelle Société Générale. Les deux vice-présidents du Conseil
d’Etat, Baroche et Vuitry, étaient également sensibles aux besoins
des banques, que le second connaissait bien puisqu’il était
également gouverneur de la Banque de France.
32Les hommes-clés du régime avaient eux-mêmes appuyé le
point de vue des banquiers, Rouher ministre d’Etat depuis 1863,
Morny, demi-frère de l’Empereur, président du Corps législatif et
banquier, Achille Fould, banquier également et ministre des
Finances de 1860 à 1866. Au Corps législatif, l’empereur avait
discrètement chargé Eugène Schneider, chef de l’opposition
orléaniste, mais aussi allié du groupe du Crédit Lyonnais et
membre de la commission en charge de la rédaction de la loi sur
le chèque, de s’assurer des voix des députés de l’opposition
autour d’un compromis acceptable.
 16 Henri GERMAIN publie ainsi un pamphlet dans le Journal de chemins
du fer du 5 novembre 1864 : “(…) (...)

33Dans cette affaire, Henri Germain a su rassembler le soutien de


la plupart de ses confrères et surtout de la métallurgie qui avait
besoin des capitaux drainés par les banques de dépôt.
L’interpénétration entre la sphère économique et le législateur
avait été particulièrement efficace. Germain, banquier et
négociant issu du milieu soyeux de Lyon, ne fut élu député
républicain de l’Ain qu’en 1869. Mais il avait su devenir sous
l’Empire un homme d’influence dans les cabinets ministériels,
profitant précisément de sa position d’opposant pour négocier
une paix politique en matière de réformes. Il eut rapidement
l’écoute de son confrère Fould aux Finances. Ce dernier voyait
d’un œil favorable la constitution en France d’une grande banque
de dépôt face aux concurrentes géantes de la City londonienne.
Germain sut profiter de cette oreille favorable pour signifier aussi
au ministre l’urgence de réformer la SARL récemment introduite
en 1863 sur le modèle anglais, ou alors de libérer la création de
la société anonyme16.
34Les errements de la pratique sociétaire furent la seconde
grande préoccupation d’un Empire soucieux de réussite
économique. Remarquons d’abord que l’intervention directe du
législateur n’est pas, contrairement à un préjugé solidement
ancré, une spécificité française. La très libérale Angleterre l’a
connue pour les mêmes raisons d’ordre public économique,
bridant jusqu’en 1856 par exemple les sociétés anonymes par la
même autorisation préalable qu’en France. Il y allait en cette
matière délicate de l’appel à l’épargne publique du crédit même
de l’Etat. C’est de fait la législation des sociétés commerciales qui
illustre le mieux la figure de la loi comme remède aux défauts de
la pratique. Une ambiguïté dans la rédaction du Code de
1807 avait rendu facile la création de commandites par actions.
L’elliptique article 38 permettait en effet de créer des titres au
porteur, sans conditions particulières. On connaît la “fièvre des
commandites” qui en est résultée. Entre 1823 et 1838, 1340
commandites par actions ont été créées en France, pour
seulement 157 sociétés anonymes.
 17 E. RICHARD (dir.), Droit des affaires  : questions actuelles et
perspectives historiques, Rennes, P (...)

 18 Le Gogo est un personnage créé par Benjamin ANTIER (pseudonyme


de CHEVRILLON), dans son vaudeville (...)

35Cette poussée spéculative a récemment été mise en exergue


par la recherche en histoire du droit17. Le personnage du “gogo”,
ce naïf qui confie ses économies à des aigrefins, date des années
1850, dernière poussée des créations de commandites 18. Sociétés
de complaisance, objets sociaux fantaisistes, opacité de la
gestion des commandités, appels à l’épargne sans garanties
données aux épargnants ont amené les gouvernements à réagir.
 19 C’est la position de PAILLARD de VILLENEUVE dans la Gazette des
tribunaux, no 3815, 1er déc. 1837. (...)

36On écarta d’abord en 1838, sous la pression des milieux


d’affaires, un projet de suppression de cette forme sociétaire. Dès
1837, la doctrine commercialiste et la pratique s’étaient unies
pour exiger le maintien de la commandite, quitte comme le
demandaient les plus lucides, à réglementer de plus près la
position du gérant vis-à-vis des commanditaires actionnaires 19.
L’idée de comptes à rendre par les gestionnaires aux
propriétaires du capital, c’est-à-dire la responsabilité du conseil
d’administration devant l’assemblée générale qui va constituer le
cœur de la loi de 1867 sur la société anonyme, avait au
demeurant déjà été suggérée par la jurisprudence novatrice de
certaines cours locales.
37Il faut garder à l’esprit que nombre de commandites par actions
de la première révolution industrielle n’étaient aucunement des
sociétés de complaisance. Les statuts des sociétés les mieux
gérées, entre autres les Forges du Creusot fondées la même
année 1837 par les frères Schneider, avaient suggéré au juge
comme au législateur des solutions réalistes pour enfermer les
plus déshonnêtes des commandites dans un contrôle plus étroit.
La loi de 1867 au demeurant va reprendre nombre de
dispositions inspirées des statuts des meilleures commandites
par actions, concernant notamment le rôle de gestionnaire joué
par le conseil d’administration.
 20 Art. 21 du texte : “A l’avenir, les sociétés anonymes pourront se
former librement”. Sur l’élabora (...)

 21 Arch. Nat., F 12 6828 à 6833, historique de la commission.

38Cette libération, effective dans la loi du 24 juillet 1867 20, a


également mobilisé efficacement le groupe de pression libéral.
Les sources directes de la préparation du projet de loi n’ont pas
été archivées, Rouher taisant ses tractations secrètes avec Emile
Ollivier, comme Michel Chevalier avait rédigé chez lui, par souci
de discrétion, le brouillon du traité de libre échange de 1860.
Nous savons seulement que l’Empereur institue en juillet 1864
auprès du ministre du commerce une commission de rédaction
présidée par Baroche, œil du Conseil d’Etat21. Le 15 février 1865,
le souverain annonce la réforme au Corps législatif. Celui-ci élit
en mai sa commission d’examen, composée de six membres,
dont les avocats libéraux Louis Josseau, militant du crédit foncier
et le chef de file des élus libéraux, Emile Ollivier.
 22 Selon l’expression juste de P. BIRNBAUM, Les sommets de l’Etat, essai
sur l’élite au pouvoir en Fr  (...)

39En réalité, le vrai débat a eu lieu ailleurs, dans des “lieux de


rencontre”22informels mais plus consensuels entre des
représentants de la Haute administration et des milieux d’affaires.
Parmi ces lieux, le Crédit Foncier de France, banque semi-
publique créée en 1852 pour dégrever la dette des campagnes, a
joué un rôle de catalyseur en rassemblant en son conseil un
personnel à la fois issu d’une Administration convertie à la libre
entreprise et des représentants des banques privées.
 23 Il s’agit de prêts usuraires accordés au Khédive d’Egypte en 1876-77.
Sur l’histoire de cette inst (...)

40Emblématique de ce nouveau personnel “mixte”, Louis Passy,


fils de l’ancien ministre et chantre libéral de la Société
d’économie politique Hyppolite Passy, est lui-même directeur des
Finances au moment du vote de la loi. L’influent Georges
Soubeyran, secrétaire personnel d’Achille Fould et député
bonapartiste de la Vienne, est un partisan convaincu de la liberté
de gestion du Crédit Foncier dont il est un entreprenant sous-
gouverneur et des banques en général. Il entraînera du reste le
Crédit Foncier dans des affaires extra statutaires qui
provoqueront un scandale au début de la Troisième République 23.
Autre “lieu de rencontre”, la Caisse des dépôts. Le cas de son
directeur nommé en 1859, Guillemot, est remarquable. Il montre
un ancien directeur des Finances nommant comme Caissier
général de l’institution non un Inspecteur des Finances comme à
l’accoutumée, mais un banquier privé, Daru, qui vient de
participer avec Charles d’Audiffret et le banquier Delahante à la
fondation du Crédit Industriel et commercial.
41Parallèlement, le tribunal de commerce de la Seine est présidé
au moment du débat sur l’anonymat par le méconnu Guillaume
Denière. Ce banquier très entreprenant est régent de la Banque
de France, administrateur du PLM, de la Société Générale et
du Comptoir d’escompte aux côtés de son allié Pinard. Autant
dire que la juridiction consulaire parisienne soutient activement la
liberté économique sous le Second empire.
 24 Sur cette figure de proue du libéralisme au XIX e siècle, décédée
symboliquement la même année que (...)

42La Troisième République va approfondir au contraire le modèle


du droit commercial d’Europe du nord et de l’est, plus apte à
produire du consensus social. Symboliquement, c’est à la veille de
l’effondrement du Second Empire qu’est créée en 1869 la Société
de législation comparée. Cette société savante présidée à son
origine par le très libéral professeur Edouard Laboulaye 24 va
contribuer à acclimater le droit germanique comme instrument de
l’adhésion des classes moyennes et d’abord des petits
entrepreneurs à une République encore incertaine de ses appuis.
II – LA REPUBLIQUE ET LES
CLASSES MOYENNES : LA FIGURE
D’HERCULE, 1880-1925
 25 Sur Méline, G. LACHAPELLE, Le ministère Méline, deux années de
politique intérieure et extérieure, (...)

43Les prémisses du mutualisme nord européen sont approfondies


au tournant de la “République des républicains”. La naissance des
grands magasins comme la montée en puissance de l’usine
obligent les républicains de gouvernement à adapter le droit
commercial dans l’intérêt de leur clientèle électorale. Il va falloir
notamment amender la faillite pour prémunir les petits
commerçants contre les rigueurs d’un code conçu d’abord par
Bonaparte contre les banquiers concussionnaires. Rappelons la
priorité de la République aux yeux de Jules Méline, ministre du
commerce de Freycinet en 1890 et père du protectionnisme
douanier, “protéger la boutique et l’atelier” 25. Jules Ferry avait
lui-même mis en chantier dès son accession au pouvoir en
septembre 1880 un projet de loi réformant la faillite et
élargissant le droit d’élire les tribunaux de commerce à tous les
commerçants. Cette intégration politique du commerçant-
électeur par une réflexion comparatiste et une législation
commercialiste renouvelées comme par une nouvelle vision du
parlementarisme va constituer notre premier propos (A).
44Reste que le droit des affaires ne s’est jamais laissé enfermer
totalement dans un moule législatif ou doctrinal. Il a toujours eu
recours à des pratiques informelles difficiles à classer dans une
grille d’analyse rétrospective. C’est ce poids rémanent de
l’informel, de l’infrajuridique, qui clôturera la présente enquête
(B).
A – Intégrer le commerçant-électeur
45Le souci de protéger le petit chef d’entreprise implique
désormais de se tourner vers des modèles plus protecteurs que
ceux fournis par le très libéral droit anglo-saxon et suppose aussi
d’adapter les méthodes d’élaboration de la loi commerciale à un
moment où les nouveaux élus républicains manifestent davantage
de méfiance envers le monde des affaires. L’affaire de Panama qui
éclate comme un coup de semonce en 1888 le rappelle avec force
aux prudents républicains de gouvernement. Le parlementarisme
doit alors changer ses méthodes pour permettre aux hommes
d’affaires de continuer à faire entendre leur voix tout en
n’apparaissant plus aussi ouvertement sur la scène politique que
sous le Second Empire.

1) L’adaptation du comparatisme, d’abord


46Les hommes impliqués dans les affaires ont exprimé jusqu’à
1870 une acception toute pragmatique du comparatisme
commercialiste. Celui-ci n’a joué en définitive qu’un rôle effacé
en France. Le modèle anglais a été instrumentalisé non pour la
satisfaction de la rationalité juridique, mais dans une perspective
d’âpre concurrence européenne. On est loin avec Henri Germain
ou Achille Fould de l’idéalisme du premier comparatisme issu des
Lumières, celui d’un Jourdan dans sa revue Themis en 1819, celui
de Foelix dans sa Revue de droit français et étranger en 1834,
celui d’un Wolowski, avocat réfugié en France en 1830 après
l’échec de la révolution libérale polonaise et fondateur en 1835
de la Revue de législation et de jurisprudence . Docteur honoris
causa des universités d’Heidelberg et Tübingen, ce juriste libéral
et conservateur fit connaître en France la souplesse de gestion,
mais aussi le contrôle du conseil de surveillance dans les sociétés
anonymes saxonnes et prussiennes. Ce n’était plus l’idéal d’un
droit mondial, d’une lex
mercatoria qui intéressaient les
entrepreneurs dans la phase de décollage économique de la
France, mais des techniques juridiques propres à maintenir la
position internationale du pays. Il n’était pas question au
demeurant de remettre en cause dans les hautes sphères
judiciaires les grands principes civilistes qui présidaient encore à
tout le droit privé. Dans cette perspective limitée, le paradigme
anglo-saxon a rempli sa mission utilitariste, colmater les brèches
entretenues par un Code de commerce devenu archaïque.
47Le Second Empire avait commencé tout en copiant les outils de
la concurrence anglo-saxonne à se tourner aussi vers les modèles
plus mutualistes d’Europe du Nord. L’empereur croyait, au moins
en façade, aux sociétés de secours mutuel comme instrument de
paix sociale. Il les avait officialisées par un décret de 1852,
confiant leur gestion à la Caisse des dépôts. Les caisses
d’épargne elles-mêmes, cheval de bataille des philanthropes
libéraux du premier XIX  siècle, provenaient d’un modèle luthérien
e

suisse et allemand. Louis Wolowski, juriste orléaniste devenu un


proche du régime impérial, avait inspiré en 1852 les statuts du
Crédit Foncier à partir du modèle – très édulcoré – des banques
mutualistes allemandes et polonaises.
 26 Sur C. Lyon-Caen, voir J. L. HALPERIN, Dictionnaire historique des
juristes français, op. cit. pp. (...)

48Le dernier grand emprunt au modèle anglo-saxon fut la loi du


4 mars 1889 introduisant en France la liquidation judiciaire,
c’est-à-dire, rappelons-le, une procédure collective simplifiée de
règlement permettant aux débiteurs de bonne foi d’échapper aux
rigueurs de la faillite. La loi de 1838 demeurait trop dure pour les
petits commerçants victimes de la mauvaise conjoncture
consécutive à la baisse des prix sensible après 1882 comme de la
concurrence des grands magasins. Les tribunaux de commerce
n’hésitaient plus à tourner la loi en imaginant des concordats
informels pour les débiteurs tombés dans l’insolvabilité sans
avoir commis de faute. Un premier projet assouplissant la loi de
1838 avait été mis en vain en chantier dès 1862, puis repris en
1880 avec l’arrivée de Ferry à Matignon. En 1848 comme en
1870, les évènements politiques avaient parallèlement conduit le
législateur à prévoir un régime de liquidation allégé et dégagé
des conséquences infamantes attachées à la faillite. Certains
tribunaux consulaires s’efforcèrent de prolonger au-delà du
terme prévu (mars 1872) cette procédure simplifiée. Un “Comité
de commerçants” est constitué en 1878 à Paris pour défendre
l’esprit de ces mesures provisoires et soumettre au Parlement les
vœux du commerce. En 1884, une Union des banquiers des
départements inaugure un concours consacré aux propositions en
matière de réforme de la faillite. Le grand commercialiste Charles
Lyon-Caen26 en est le rapporteur. Les questions de droit
commercial commencent à revêtir l’aspect de véritables
campagnes d’opinion.
49Dans ce contexte favorable aux réformes, la doctrine
comparatiste va alors renforcer son influence en entrant de plain-
pied dans le débat public. Fort de son prestige de professeur
républicain de droit, Lyon-Caen expose en 1888 dans le Bulletin
de la Société de législation comparée la législation anglaise de
1883, beaucoup plus accommodante en matière de faillite.
Nouveauté marquante, le grand commercialiste fait état comme
axe de sa plaidoirie des bons résultats pratiques de la loi
anglaise, dépassant l’habituelle comparaison de textes qui
demeurait au cœur de la méthode comparatiste. Symboliquement,
cette analyse de la loi anglaise est publiée dans la Collection des
principaux codes étrangers que la Chancellerie vient de créer et
dont elle confie la gestion au tout nouveau Comité de législation
étrangère.
 27 Sur C. Bufnoir, voir N. AKIM, article éponyme du Dictionnaire
historique…, op. cit., pp. 143-145 e (...)

50Le professeur de droit civil qui accède en 1889 à la tête de la


Société de législation comparée, Claude Bufnoir, est lui aussi un
juriste éclectique, chaud partisan du recours à l’histoire et au
comparatisme pour aboutir à une compréhension globale des
institutions juridiques27.
51La nouvelle liquidation judiciaire entrée en vigueur en 1889 doit
beaucoup à cette doctrine devenue plus scientifique. Elle est
réservée aux commerçants ayant déposé leur bilan dans les
quinze jours suivant la cessation de paiements et contre lesquels
n’apparaît aucune cause d’indignité. La différence avec la faillite
est nette puisque le jugement déclaratif n’est pas publié et le
débiteur demeure à la tête de ses affaires même s’il est assisté
d’un syndic. Le but affiché par la liquidation “républicaine” est de
parvenir à un concordat et de réintégrer le débiteur dans la
communauté nationale. La faillite ne doit intervenir que si le
concordat est jugé impossible par les créanciers ou bien le
tribunal de commerce. C’est une conception toute empirique de
la vie des affaires qui triomphe avec cette loi, mettant fin à près
d’un siècle de domination frileuse de la doctrine civiliste sur le
droit commercial. Représentant dès 1895 un tiers des procédures
collectives jugées, la liquidation judiciaire se révèle vite un
succès. La compréhension qu’elle exprime vis-à-vis de la
situation parfois difficile des classes moyennes et populaires est à
rapprocher de celle contenue dans la loi Constans de 1891
introduisant dans la procédure pénale le sursis à exécution.
52L’évolution du droit commercial après 1890 est également
empirique sous la double influence du comparatisme élargi au
monde entier et des conventions internationales qui commencent
à régir le doit commercial. Bufnoir fixe en 1889 la nouvelle
doctrine de la Société de législation comparée : “La législation ne
doit plus être une œuvre locale mais une œuvre à laquelle
l’expérience du monde entier doit collaborer : il ne s’agit plus
d’une entreprise d’intérêt simplement national et français, mais
d’une entreprise d’intérêt universel”. On renoue en somme à la fin
du XIX  siècle avec l’universalisme déjà préconisé autour de 1820
e

par un Jourdan ou un Vincens. Seul Edmond Thaller, l’autre grand


commercialiste républicain, exprime son scepticisme quant à la
possibilité d’internationaliser le droit des affaires dans le premier
numéro de ses Annales de droit commercial français, étranger et
international. Cette nouvelle revue créée en 1888 exprime
cependant par son titre explicite le changement d’horizon
comparatiste.
53Concrétisation du comparatisme et de conventions
internationales, une loi du 21 juin 1894, adoptée après six ans de
discussions, vient dispenser la lettre de change française de
la distancia loci, la vieille obligation canonique de paiement de la
traite dans une autre ville que celle d’émission. Allant plus loin,
une loi française de 1922 aboutira à aligner le droit cambiaire
français sur ses voisins européens et sur les Etats-Unis. On
supprimera sur le modèle allemand l’obligation de la “valeur
fournie” comme on reconnaîtra enfin, après trois siècles de
divergence entre la pratique et la jurisprudence, la validité de
l’endossement en blanc de la lettre. Dans cette logique
d’unification, la Convention de Genève du 7 juin 1930 due aux
organismes commerciaux internationaux prévus par le Traité de
Versailles de 1919 viendra introduire un modèle unique de lettre
de change et de billet à ordre. Le décret-loi du 30 octobre 1935
étendra au code français de commerce (nouveaux articles 110 à
189) les dispositions internationales et les modalités communes
de règlement de conflit de lois.
54La publicité du nom commercial et donc du registre du
commerce constitue un autre acquis du comparatisme avec le
droit germanique et une nouvelle étape de la sollicitude de la
République envers les petits commerçants. Une loi du 18 mars
1919 reprend en effet quelques éléments du registre du
commerce à l’allemande que connaissaient déjà les trois
départements d’Alsace-Lorraine. L’inscription sur le registre
n’emporte toutefois pas d’effets juridiques en dehors de celui de
mieux protéger le nom commercial. On ne remet pas en cause les
anciens procédés de publicité commerciale. L’innovation était
réclamée depuis 1872 par des chambres de commerce ayant
retrouvé sous la République une petite portion de la
représentativité qu’elles avaient sous l’Ancien Régime. Les
gouvernements successifs n’avaient toutefois pas osé aborder
une réforme d’ensemble, se contentant comme en 1919 de
simples raccommodages.
55Les commerçants demandaient depuis longtemps la possibilité
de transmettre le nom commercial lors des cessions de fonds, ce
qui supposait une publicité officielle de leur raison sociale. Mais
ils demeuraient sur leurs gardes quant à l’utilisation possible du
registre du commerce comme moyen d’inquisition fiscale. D’où la
prudence du législateur qui n’avait adopté le système allemand
du fichier commercial qu’avec la plus extrême prudence. La loi de
1919 n’eut en réalité que peu d’effets, obligeant les commerçants
à continuer à utiliser des procédés informels de publicité que
nous aurons à examiner.
56La doctrine était elle-même divisée sur l’institution. Edmond
Thaller avait exprimé dès 1901 dans le Bulletin de la Société de
législation comparéeson inquiétude devant la perspective
d’adopter en France le registre suisse et allemand qui portait
selon lui atteinte au secret des affaires, supposé consubstantiel
au “tempérament latin”. Lyon-Caen tenta l’année suivante
d’apporter des arguments en sens inverse en faveur d’une
meilleure transmissibilité de la propriété commerciale. Mais ce fut
en définitive une considération conjoncturelle, la prise de
conscience de l’insuffisance de la documentation officielle relative
aux fonds de commerce pendant le conflit armé qui amena le
législateur à abandonner une partie du préjugé favorable en
France au secret.
57Dernière grande adaptation du droit allemand dans l’entre-
deux-guerres, la consécration en France de la SARL. La loi du 7
mars 1925 réintroduit la société à responsabilité limitée après
l’importation avortée en 1863 de la private company de droit
anglais, dont le capital était, il vrai, limité à vingt mille francs.
Désormais, c’est le modèle de la GmbH codifié en 1892 en
Allemagne et appliqué avec succès en Alsace-Lorraine pendant la
Grande guerre qui prévaut. On tourne alors une page sur près
d’un siècle de domination du modèle anglo-saxon. Le
gouvernement radical d’Edouard Herriot tenait dès 1924 à doter
les entreprises familiales inaptes à la S. A. de 1867 d’un statut
adapté à leur taille, tout en les faisant bénéficier des avantages de
l’anonymat, la limitation de la responsabilité des associés à leur
apport. La SARL présentait et présente encore l’avantage de
mettre le patrimoine personnel du petit entrepreneur à l’abri des
aléas de la conjoncture, tout en clarifiant les comptes de son
entreprise et en facilitant l’appréciation de ses résultats. La
contrepartie de la limitation de la responsabilité est la fixation
d’un capital social minimum, garantie ultime des tiers, alors que
la loi de 1867 n’en fixait pas. De même, le texte de 1925 clarifie
l’évaluation des apports en nature, très fréquents dans les petites
entreprises, rendant pendant dix ans les associés solidairement
responsables de leur évaluation vis-à-vis des tiers.
 28 G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, op. cit., 1946.
58Malgré ces précautions juridiques, c’est là une victoire pour les
petits et moyens patrons dans la mesure où la loi confie tous les
pouvoirs au gérant. Aucune limite supérieure n’est au surplus
imposée au capital dans les statuts. Georges Ripert, toujours
méfiants envers la remise en question des grands principes
civilistes, ne s’y est pas trompé. Pour lui, la loi généralise la forme
sociétaire, l’irresponsabilité et instaure “l’anonymat mis à la
disposition des petits commerçants”28. Les réserves du grand
juriste ne vont pas empêcher le succès de l’institution : dès 1939,
un tiers des nouvelles sociétés commerciales est constitué sous
forme de SARL. Bien plus, ces dernières représentent en 1950 la
moitié des dix mille sociétés produisant un chiffre d’affaires
supérieur à cent millions de francs par an.
 29 Ce texte inappliqué en pratique prévoyait la consultation des instances
consulaires “sur les améli (...)

59Là où l’exemple étranger se révélait insuffisant, il fallut que la


République imagine d’autres formes d’élaboration de la loi, alors
que la consultation des chambres de commerce, pourtant prévue
par un règlement du ministre du commerce du 16 juin 1832 29,
avait été négligée au XIX  siècle.
e

2) L’invention d’une nouvelle méthode


parlementaire
60Il n’était pas question dans un régime dominé par la chambre
des députés de conserver le monopole antérieur du
gouvernement en matière de loi. Mais celle-ci devait passer sous
les fourches caudines des commissions parlementaires en
position de force pour imposer des amendements ou des
enterrements aux projets gouvernementaux. Le Sénat était
également en position d’imposer d’interminables navettes
parlementaires pour enterrer des projets. La Troisième
République vit alors fleurir comme contre-pouvoirs des sociétés
savantes spécialisées dans les questions économiques ou
sociales, souvent reliées par les réseaux partisans aux
commissions parlementaires. L’importance revêtue par la Société
de législation comparée l’atteste. Firent également pression sur
les gouvernants, mais cette fois avec un but ouvertement
corporatiste, des groupes professionnels plus ou moins formels,
tels les “pinardiers” de Bercy dont on va voir le rôle en matière de
reconnaissance du nantissement commercial. Les propositions de
lois émanant des députés ont parallèlement repris l’importance
qu’elles avaient perdue au XIX  siècle.
e

61Le travail législatif est devenu particulièrement délicat en


matière commerciale dans un contexte où les élus sont au mieux
coupés du monde des affaires, au pire franchement hostiles à ce
dernier telle la droite légitimiste ou l’extrême gauche socialiste.
Ce contexte difficile appelait la diligence de “passeurs” de la loi
commerciale. Ce furent des “politiciens d’affaires”(Jean Hilaire), à
la fois chefs d’entreprises et sympathisants de la République, ou
encore des juristes, tels Lyon-Caen ou Thaller, qui remplirent ce
rôle de liaison entre le terrain économique et le Parlement. Albert
Christophle, gouverneur du Crédit Foncier depuis 1878 et
spécialiste de la faillite, Maurice Rouvier, proche des milieux
bancaires protestants et qui sera en 1905 président du Conseil, le
patron marseillais Eugène Rostand, théoricien des caisses
d’épargne, ou Georges Labeyrie, banquier et directeur de la
Caisse des dépôts vont ainsi former à la problématique
économique leurs amis républicains de gouvernement.
62La loi du 14 juin 1898 “destinée à faciliter le nantissement de
fonds de commerce” constitue un bon exemple de tentative
d’action de lobbying sur la Chambre. La reconnaissance du
nantissement de fonds sans dépossession n’allait pas de soi, on
l’a dit. S’affrontaient sur ce terrain les souhaits des commerçants
de voir enfin reconnue cette nouvelle forme de propriété et une
jurisprudence commerciale hostile à la remise en cause des droits
des tiers. Contrairement au droit civil qui l’admettait, la
jurisprudence commerciale refusait en effet le gage sans
dépossession. Il fallut qu’Alexandre Millerand jette tout son poids
de député socialiste modéré pour que le texte soit voté. Millerand
était aussi le député de Bercy et donc des négociants en vin qui
pratiquaient depuis longtemps un nantissement tacite dont ils
demandaient la reconnaissance officielle pour rassurer leurs
banquiers. Millerand dût pour convaincre ses collègues députés
faire valoir que la loi nouvelle n’opérait qu’une adjonction au
système du gage mis en place par le Code civil. On ne complétait
de fait que l’article 2075 du Code de 1804. Le texte de 1898
s’abstint prudemment de définir le fonds de commerce ainsi que
les limites du nantissement. Il ne donnait en réalité qu’un coup
d’épée dans l’eau au sujet du délicat problème du crédit des
commerçants. Bien plus, il ouvrait la porte à des fraudes.
63Le débat dût être repris à la Chambre dès 1899. Le Sénat
paralysa le texte pendant dix ans. Une proposition du sénateur
Cordelet tendant à généraliser la publicité de la cession des fonds
de commerce dans le but de protéger les créanciers du vendeur
finit par débloquer la situation en 1908. La reconnaissance de la
publicité de la cession fut acquise au début de l’année suivante
par la loi du 17 mars 1909. Elle avait débloqué par là même la
question du nantissement du fonds, qui fut réglée par le même
texte.
 30 Ce notaire estime que le fonds de commerce proprement dit doit être
distingué dans l’acte de vente (...)

64Il avait fallu pour arriver à reconnaître officiellement l’existence


des éléments incorporels du fonds de commerce, achalandage et
clientèle d’une part, droit au bail de l’autre, une très longue
campagne d’opinion en direction des parlementaires pour
parvenir à les faire fléchir. Dès les années 1880 par exemple, la
chambre de commerce de Dijon avait enquêté sur la pratique
parisienne de la publicité des cessions de fonds de commerce.
Elle en avait tiré une proposition de loi réorganisant cette
publicité sur des bases plus audacieuses que le subterfuge de la
purge civile, proposition soumise en vain au Sénat en 1885. Les
notaires parisiens connaissaient pourtant bien les éléments
incorporels du fonds de commerce. Dès 1807, une formule
établie par J. B. Loret, propriétaire des Annales du notariat,
comportait une formule de vente ainsi qu’une analyse tout à fait
moderne de la propriété commerciale30.
 31 Le CREDA a consacré des mélanges à ce chercheur décédé en
1995, Droit et vie des affaires, études  (...)

65De même, la reconnaissance du droit au bail commercial par la


loi du 30 juin 1926 fut précédée par une campagne d’opinion
orchestrée par les chambres de commerce en faveur de la
reconnaissance de ce qui était improprement appelé “propriété
commerciale”. Celle de Paris s’y distingua par les rapports de sa
Commission de législation industrielle et commerciale. Le CREDA,
centre de recherche sur le droit des affaires, initié dans les
années 1980 par l’instance consulaire parisienne sera le digne
successeur de cette institution de la Belle Epoque, animé par des
professionnels, mais aussi des professeurs de droit privé tel Alain
Sayag31et notre collègue historien du droit Jean Hilaire.
66Le Parlement de la Troisième République intervint une dernière
fois par la loi du 29 juin 1935 en faveur des petits commerçants
atteints par la crise mondiale. Les acheteurs de fonds furent
autorisés à faire valoir en justice une éventuelle lésion de plus du
tiers alors que les prix s’étaient effondrés. Le législateur avait
encore une fois choisi de peser sur l’équilibre des contrats au
profit des commerçants débiteurs. La figure d’Hercule, c’est-à-
dire de l’Etat providence, était confortée au moment où la France
allait se convertir aux politiques keynésiennes déjà expérimentées
par les Etats-Unis. Il y allait de la cohésion d’une société
particulièrement fragilisée par l’absence de consensus sur les
vertus du libéralisme économique.
 32 L’instauration du concept d’entreprise personnelle a été abordée de
manière collective et transdis (...)

67Le fonds de commerce paraît au total archaïsant au terme de


son évolution sous la République. Il n’incorpore que très
tardivement les éléments nécessaires au fonctionnement d’une
entreprise. Le droit commercial français a constitué en somme un
droit de compromis, compromis par la reconnaissance du fonds
mais sans établir de définition de celui-ci, compromis entre l’idée
toute civiliste d’universalité du patrimoine et celle suggérée par la
doctrine commercialiste de patrimoine d’affectation. Ce n’est que
très tard au demeurant que le droit commercial consacrera la
notion d’entreprise, plus économique et sociale, on le sait, que
juridique. La création en 1973 de la société
unipersonnelle32 confirmera la volonté du législateur commercial
de reconnaître l’entreprise comme distincte de la société
association de personnes.
68Cette lenteur d’adaptation du droit des affaires explique
l’impatience des entrepreneurs contraints de s’adapter au jour le
jour aux dispositions du marché. Les acteurs du monde des
affaires ont eu tendance dès la promulgation du Code de 1807 à
imaginer en marge de la loi des pratiques commerciales
informelles.
B – Les limites du droit écrit : les pratiques
commerciales informelles
 33 Ouvrage pionnier qui a fait connaître le district et l’économie informelle
en France, G. BENKO et (...)

 34 Laboratoire d’étude et de recherché sur l’économie de la production,


fondé à l’Université de scien (...)

 35 Voir notamment M. KECHIDI et Y. PANADERO “Le secteur


aéronautique et la transformation de la sous- (...)

 36 Sur la “découverte” historiographique de l’infrajudiciaire, B. GARNOT


(dir), L’infrajudiciaire du  (...)

69Oubliées par l’histoire du droit commercial, les pratiques


informelles jouent pourtant un grand rôle dans la gestion
quotidienne des entreprises. Elles relativisent le poids de la
législation “officielle” dans la vie réelle des affaires. La question
du fonds de commerce, reconnu en fait dès la fin du XVIII  siècle à e

Paris et en 1909 seulement en droit, l’illustre abondamment.


L’économie régionale nous a fait connaître dans les années 1990
les pratiques “de district”, c’est-à-dire les liens informels entre
acteurs d’une communauté donnée d’entreprises qui sont à
l’origine de la réussite de certaines aires industrielles
spécialisées33. L’équipe toulousaine du LEREP34 a eu dans cette
même université l’occasion de mettre en exergue il y a quelques
années, les liens résiliaires informels entre le pôle aéronautique
de Toulouse et la recherche publique ainsi qu’entre les donneurs
d’ordre et leurs sous-traitants35. Ces pratiques commerciales
informelles, longtemps ignorées, rappellent au plan de
l’historiographie la “découverte” il y a peu de pratiques pénales
“infrajudiciaires”, règlement des conflits par des
dédommagements privés, recours à des arbitres communautaires,
mises en lumière par les historiens de la criminalité36.
70Trois exemples illustrent le poids de l’infrajuridique dans la vie
concrète des affaires aux XIX  et XX  siècles, le développement du
e e

renseignement commercial, le financement informel des


entreprises, la diffusion de l’innovation à travers les pratiques de
district.

1) Les pratiques de renseignement commercial


 37 Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

71La transparence du monde des affaires intéresse dès


l’apparition des communautés de marchands au Moyen Âge non
seulement l’ordre public par la protection des tiers, on dirait
aujourd’hui des consommateurs, mais aussi les marchands eux-
mêmes soucieux de connaître la moralité de leurs confrères
cocontractants. L’Ancien Régime n’avait pas résolu de façon
satisfaisante cette difficile question de la publicité commerciale.
Dès 1629, le Code Michau avait tenté d’imposer à la fois
l’enregistrement et l’affichage dans des lieux publics de ce que
l’on pourrait appeler la démographie des entreprises, création de
sociétés, cessions de biens en matière de faillite, régime
matrimonial. Le Code de commerce se contente en 1807 d’ajouter
à ces prescriptions un renforcement de la publicité “portable” par
l’insertion obligatoire dans les journaux locaux ou d’annonces
légales. Le XVIII  siècle avait vu fleurir spontanément des feuilles
e

d’information très locale, généralement sous le titre de Les


Affiches de… Toulouse eut la sienne, fondée et animée par
l’éditeur franc-maçon Jean-François Baour. La loi de 1919
instaurant le registre du commerce constitua certes un progrès.
Mais cette publicité quérable fut vite jugée insuffisante. Le décret
du 4 août 1926 dût créer un bulletin centralisant les données
relatives aux cessions et faillites, annexé au Journal Officiel, et
devenu après plusieurs avatars le BODACC37 en 1978. Dans le
même esprit d’ordre public, la loi de finances du 30 janvier 1907
créa un Bulletin
des annonces légales obligatoires afin de
moraliser les émissions de titres dans le public. Cette dernière
extension de la publicité légale à la publicité financière préparait
en somme le terrain à l’action de l’AMF actuelle.
72A l’échelle d’une ville comme Toulouse, les éléments légaux de
renseignement commercial se révélèrent vite insuffisants. Il
convenait d’abord pour les chefs d’entreprise d’obtenir des
précisions sur les habitudes de paiement de leurs confrères. La
Banque de France tenait des fiches d’appréciation et déjà de
notation sur les présentateurs de traites à l’escompte, mais ces
informations confidentielles étaient réservées aux privilégiés
siégeant au comité local d’escompte. La “Centrale des risques”,
fichier des mauvais payeurs géré par l’Institut d’émission
n’étaient pas encore accessible au public des commerçants. A la
fin du XIX  siècle, les grandes banques de dépôt commencent
e

certes à s’adjoindre des services d’études économiques, à l’image


du Crédit Lyonnais en 1882. Mais ces renseignements ne sont
que tardivement régionalisés. Ils informèrent en priorité les
clients personnels des banques.
 38 Sur le renseignement commercial à Bordeaux et Toulouse à la fin du
XIXesiècle et au XXe siècle, J (...)

73Plus efficace fut la diffusion de renseignements financiers par


les chambres de commerce, particulièrement lorsque les
institutions consulaires étaient présidées par un grand banquier
local, comme c’était le cas à Toulouse avec la présidence de
Courtois en 1890. Nous allons retrouver plus loin le rôle
irremplaçable des chambres en la matière. En l’absence de
renseignements transmis par leur banque, il restait aux
commerçants locaux quelques pratiques inédites pour obtenir
davantage de sécurité juridique et financière. Bordeaux et
Toulouse fournissent un bon échantillon de ces pratiques 38.
74Les agences privées de renseignement commercial apparaissent
dans le monde capitaliste autour de 1840. Le modèle en fut
donné par le cabinet de R. G. Dun à New-York en 1841. En
France, le modèle est importé quinze ans plus tard par l’Agence
de sûreté du commerce fondée à Paris en 1857, puis en 1879 par
l’Agence Piguet à Lyon. En 1914, il existait en France une centaine
de ces institutions privées, dont une vingtaine solidement
établies. Dans le Sud-ouest, les notaires spécialisés dans la
rédaction de statuts de sociétés commerciales continuaient
comme par le passé à vendre ou communiquer gracieusement à
leurs plus fidèles clients des éléments confidentiels sur le milieu
local. Ce fut le cas à Toulouse de la grosse étude Martin de la
Moutte au début du XX  siècle. Ici, c’est la rumeur circulant parmi
e

les juristes d’affaires qui alimentait depuis longtemps ce type de


source économique.
 39 Sur le premier quotidien de gauche en province, H. LERNER, La
Dépêche du Midi, contribution à l’hi (...)

 40 Dans les trois journaux les plus lus, Le Nouvelliste, La Petite Gironde,
La France de Bordeaux.

75La presse provinciale fournit également de précieux


renseignement sur la conjoncture locale. Rappelons que l’INSEE
ne fut créé en France qu’en 1950 et que le renseignement
économique passait avant la seconde guerre d’abord par les
édiles consulaires et les journalistes spécialisés. Le petit patronat
se reconnaît souvent dans la nouvelle presse républicaine
modérée, volontiers positiviste et soucieuse d’information
économique. La Dépêche du Midi à Toulouse, feuille officieuse du
radicalisme39, La Petite Gironde tirant à Bordeaux à 80 000
exemplaires en 1890 grâce à la plume reconnue d’un Eugène
Ténot, apportèrent aux artisans et aux chefs d’entreprises une
information personnalisée inédite par leur réseau très dense de
correspondants locaux. Si l’Agence Havas créée dans les années
1840 et les grands journaux financiers parisiens verrouillèrent
l’information économique nationale, il restait à la presse locale le
créneau de l’analyse des faillites, des créations d’entreprises, des
biographies d’entrepreneurs du cru. L’information économique
locale occupe par exemple à Bordeaux en 1890 40 entre 17 % et
21 % de la surface rédactionnelle totale, bien davantage
qu’aujourd’hui en proportion.
 41 M. AGULHON, La sociabilité méridionale, Aix, La Pensée universitaire,
1966.

 42 Sur les milieux d’affaires à Montauban, D. LIGOU, Frédéric Desmons et


la franc-maçonnerie sous la (...)

 43 Sur le cas toulousain, J. P. ALLINNE et J. POUMAREDE, “Les


dynamiques historiques de la région” C. (...)

 44 Jaurès va être élu dans la circonscription de Carmaux-Albi en 1893, à


la suite de la longue grève (...)

76Surtout, les convictions républicaines et positivistes des petits


patrons les amènent à se rencontrer dans de méconnus Cercles
républicains pour le commerce et l’industrie. Ces “lieux de
rencontre” largement informels furent à la fois les héritiers des
cercles maçons et de groupes de pression plus récents créés
localement pour soutenir l’enseignement supérieur et l’industrie
locale. Maurice Agulhon a souligné l’importance de ces lieux de la
sociabilité masculine dans les “nouvelles couches” chères à
Gambetta41. L’exemple de Montauban suggère combien la
maçonnerie contribua à la fin du XIX  siècle à diffuser la croyance
e

dans le progrès et la science issue des Lumières 42. A Toulouse,


l’interpénétration intellectuelle entre la mairie radicale installée
au Capitole depuis 1880, les autorités consulaires et le monde
universitaire est tout à fait nette 43. La construction en 1885 de la
nouvelle faculté des sciences est largement financée par la Mairie,
avec le soutien du banquier protestant Courtois de Viçose et du
futur député de Carmaux Jean Jaurès 44. Ces élites locales
militèrent ensemble pour l’accession de Toulouse au rang de ville
industrielle au sein d’un Comité pour l’électrométallurgie et
l’électrochimie présidé par le chimiste Paul Sabatier, futur prix
Nobel de chimie.
77L’essentiel du renseignement commercial et économique émane
toutefois des instances consulaires locales avant que l’INSEE ne
prennent le relais au lendemain du second conflit mondial. Les
grandes chambres publient à partir des années 1890 leur bulletin
propre. En 1898, elles deviennent autonomes, dotées du statut
d’établissement public. Celle de Toulouse est alors composée de
dix-huit délégués cooptés parmi les plus gros négociants de la
ville. Elle obtient en 1902 la création d’une école de commerce.
En 1908, elle adresse son bulletin à tous les patentés, multipliant
son audience par dix, soit un tirage de près de dix mille
exemplaires. Le sommaire de ce type de publication est constant :
une première partie rend compte des délibérations, vœux et avis
de la chambre. Une seconde partie contient les informations
générales sur la circonscription. C’est cette partie qui va devenir
primordiale, peu à peu enrichie de statistiques recueillies auprès
de l’administration fiscale.
 45 D. WEISS, La presse d’entreprise, Paris, Sirey, 1971.

 46 “(…) ces compagnies (les chambres) sont en contact direct, dans leur
circonscription, avec les élé (...)

78La fonction des bulletins est triple : légitimer l’action


consulaire, consulter le patronat local, former et informer ces
patrons par les données collectées. Le bulletin est d’abord conçu
comme l’organe de liaison entre la chambre et ses ressortissants.
Rappelons que le premier vrai journal d’entreprise ne va paraître
qu’en 1920, celui de Peugeot45. Ce qui paraît le plus intéressant
parmi les informations internes contenues dans les bulletins
consulaires, outre la jurisprudence des tribunaux de commerce
locaux, réside dans les comptes rendus de relations
intercamarales. Ces relations étaient anciennes. En 1907
toutefois, un pas décisif est franchi par la mise en place des
“offices de régionalisation consulaires”. Des statistiques de
branches régionales, bâtiment, textile, construction métallique…
sont alors publiées. En décembre 1913, le ministre du commerce
peut se féliciter de ce type d’information46. Les régions Clémentel
mises en place en 1917 par le ministère du commerce vont
permettre aux chambres de renforcer leurs liens sur les
fondements des relations interurbaines réelles. La chambre de
Bayonne choisira ainsi, contre toute attente, de se faire rattacher
à la région de Toulouse et non à celle de Bordeaux.
79Il est fort probable que les chambres fournissent aussi
confidentiellement à leurs membres les plus éminents des
renseignements financiers sur leurs confrères que les banques
n’osent pas encore leur fournir.

2) Les pratiques informelles de financement des


entreprises
 47 J. P. ALLINNE, “L’enracinement, un outil de stratégie bancaire.
Courtois à Toulouse, fin XVIIIe-XX(...)

 48 J. P. ALLINNE, “La banque Pouyanne, un modèle de banque


industrielle ? (1903-2003)”, H. BONIN et C (...)

80Nos recherches consacrées à deux banques protestantes du


Sud-ouest, Courtois à Toulouse47, Pouyanne à Orthez48, nous ont
suggéré l’importance pratique de techniques imaginées pour
tourner les obstacles structurels au crédit en faveur des PME.
Devant la frilosité des grandes banques de dépôt vis-à-vis des
petites entreprises, devant la difficulté juridique de mobiliser
avant 1909 les nantissements de fonds de commerce, les
banquiers locaux et les entrepreneurs ont en effet mis en place
des voies détournées de financement, de véritables commandites
tacites par le renouvellement de prêts commerciaux à court terme
et par l’utilisation systématique du découvert en compte-courant.
81La commandite tacite par le renouvellement d’escomptes
supposait au préalable la mise au point d’un système bancaire
reposant sur un réescompte facile et bon marché auprès de la
Banque de France. C’est chose faite après que l’Institut
d’émission ait étendu en 1848 son monopole à toute la France. Le
système imaginé par Henri Germain pour refinancer sans risques
son Crédit Lyonnais va se généraliser après 1864 à toutes les
banques, y compris à des réescompteurs locaux tel Courtois à
Toulouse. On peut le résumer ainsi : la banque locale qui s’est
chargée dans son portefeuille commercial de lettres de change
escomptées peut avoir besoin elle-même de liquidités. Elle émet
elle-même (comme tireur) une traite tirée sur le client
emprunteur, débiteur ultime, pour la durée restant à courir sur
l’escompte consenti au client. La banque locale se fait alors
escompter cette traite par un autre banquier de la région –
généralement de taille plus importante – et qualifié de
“présentateur”, à un taux inférieur à celui exigé du client
entrepreneur. Le présentateur va endosser la traite dorénavant
revêtue des trois signatures exigées par la banque centrale et
peut alors la “présenter” pour se refinancer lui-même à la
succursale de la Banque de France.
82Comprenons que les banquiers de premier rang, au contact du
client entrepreneur, ne courent plus, dans cette configuration de
crédit sécurisée par le réescompte de la Banque de France, le
risque de voir leur portefeuille immobilisé par des traites lentes à
écouler. A condition bien sûr que le client ne soit pas
fâcheusement connu du comité d’escompte de la Banque de
France ou du banquier présentateur qui vient lui aussi garantir la
pyramide des crédits. On désigne par l’expression d’“effets
financiers”, nullement prévus par la législation relative à la lettre
de change, ce nouveau moyen de refinancement.
83L’intérêt du système local de crédit est double : il permet bien
sûr aux petites banques de faire face à leurs retraits de
ressources en émettant ces effets financiers sur le marché,
comme une véritable monnaie de refinancement. Il permet
surtout aux banques de renouveler plusieurs fois les escomptes
consentis, le client emprunteur pouvant servir de tiré autant de
fois qu’il est nécessaire pour renouveler son prêt commercial à
court terme.
 49 Sur la chaussure basco-béarnaise et le crédit, J. P. ALLINNE, Banque
Pouyanne, histoires d’entrepr  (...)

84Si bien qu’au terme de plusieurs renouvellements, le client voit


son crédit consolidé, c’est-à-dire transformé en prêt à moyen,
voire à long terme. La souplesse du système est renforcée par le
fait que le banquier escompteur primaire n’exige généralement
aucune garantie juridique pour son avance théoriquement limitée
à trois mois, mais qui peut en pratique dépasser deux ou trois
ans. Le banquier béarnais Pouyanne a ainsi financé par des
renouvellements réitérés d’effets dans l’entre-deux-guerres les
chausseurs basques d’Hasparren et Mauléon ou béarnais de
Salies-de-Béarn et Orthez, qui se sont ajoutés aux avances
permanentes en compte courant. On doit à Elissabide, sandalier
de Mauléon-sur-Soule, qui eut l’idée en 1938 d’équiper ses
semelles de crans de caoutchouc avec le soutien de son banquier
Pouyanne49, l’invention de la “Pataugas” promise à un bel avenir
dans les années cinquante par la guerre d’Algérie.
85Le crédit en compte courant constitue une autre variante de ce
que les banquiers nomment dans leur jargon le “crédit à
découvert”, c’est-à-dire sans garanties particulières. Si l’avance
est renouvelée systématiquement, on retrouve le mécanisme de la
commandite de fait. Courtois a ainsi porté à bout de bras les
Chemins de fer de montagne aux Pyrénées, facilitant par ses
découverts renouvelés la construction autour de 1900 du
funiculaire et du grand hôtel de Bagnères-de-Luchon en Haute-
Garonne. Les risques étaient ici pourtant plus étendus que dans le
renouvellement de traites toujours négociables. Courtois va
d’ailleurs retirer des déconvenues de cette hôtellerie de luxe. Les
crédits à moyen terme “mobilisables” (réescomptables) auprès du
Crédit National n’existaient pas encore et il fallait bien trouver le
moyen de transformer les disponibilités du banquier en crédits à
moyen et long terme sans passer par une prise de capital social
toujours problématique dans les PME. Dans les années 1970,
Pouyanne sera néanmoins obligé de proroger des crédits à
découvert accordés à un industriel du complexe pétrochimique de
Lacq, entrant alors dans son capital pour surveiller la gestion de
son client et pour consolider à long terme les avances à court
terme.
 50 Nous avons dépouillé les archives Privat déposées aux archives
municipales de Toulouse, pour en ti (...)

 51 Sur les pratiques du district de la chaussure Cholet, M. LESCURE, “Les


territoires du Choletais (1 (...)

86Dernière variante du crédit “à découvert”, les comptes courants


informels que les membres de la famille de l’entrepreneur
prenaient dans l’affaire de leur parent. En témoignent les avances
réitérées de Madeleine Privat à son neveu Pierre Privat, éditeur
régionaliste et gros libraire à Toulouse dans les années 1945-
1960. Ces avances n’étaient pas portées en comptabilité mais
simplement mentionnées dans un petit cahier que nous avons
retrouvé par hasard aux archives municipales de cette ville 50.
Autre hypothèse voisine, celle de salariés mettant un point
d’honneur à déposer leurs économies en compte courant chez
leur employeur. Cette pratique fut fréquente chez les chausseurs
de la région de Cholet51, région du bocage vendéen
représentative du district à la française. L’intérêt de
l’entrepreneur est évident, bénéficier de fonds remis à bon
marché, tout en resserrant ses liens personnels avec ses salariés.
Car la visée paternaliste n’est bien sûr pas à exclure.
87L’implication des banquiers dans le financement à moyen et
long terme de leurs clients a ainsi reposé d’abord sur la
confiance, ce “capital humain” qui supposait des relations
humaines de proximité. Les pratiques de “district” permettent
précisément ces relations de proximité.

3) Troisième adaptation flexible du droit des


affaires, celle issue des “districts industriels”
 52 A. MARSHALL, Industry and trade, Londres, Macmillan, 1919.

 53 G. CONTI et T. FANFANI, “Aux origines de la troisième Italie : la


transition vers l’industrie dans (...)

 54 Cf. l’ouvrage fondateur précité, G. BENKO et A. LIPIETZ, Les régions


qui gagnent. Districts et rés (...)

 55 La première synthèse historique est : J. F. ECK et M. LESCURE


(dir.), Villes et districts industri (...)

88L’histoire économique doit aujourd’hui beaucoup à la figure


stylisée du “district” née dans les années 1920 des travaux
qu’Alfred Marshall a consacrés aux petites entreprises de
Manchester et Sheffield. Selon ce pionnier anglais, le “district”
(cluster en anglais) se définit comme “un système de production
localisé géographiquement et fondé sur une intense division du
travail entre petites et moyennes entreprises d’un même secteur
industriel”52. Il en résulte une communauté d’intérêt et de
représentations sociales. Des économistes italiens ont affiné le
concept après 1970 en analysant les modes de fonctionnement
de la “Troisième Italie”, celle du textile et de la chaussure familiale
à partir de l’entre-deux-guerres, insistant sur les valeurs
partagées entre petits chefs d’entreprises et salariés 53. On a
recensé, dans l’Italie des années 1930, une centaine de districts,
contre un peu moins de cinquante en France au même moment.
Le paradigme de la communauté d’entreprises fait autorité depuis
les années 1990 chez les économistes et géographes
régionalistes54, depuis les années 2000 chez les historiens de
l’économie55.
89Le district suppose une communauté de valeurs et de culture.
Si le district vendéen ou basco-béarnais de la chaussure a reposé
d’abord sur le catholicisme et sur le sentiment d’appartenance
régionale, celui d’Oyonnax pour la plasturgie, de Grenoble pour
l’électronique et de Toulouse pour l’aéronautique ont privilégié la
diffusion de l’innovation comme mode fédératif.
 56 Sur l’ancienneté de la technopole toulousaine, J.-P. ALLINNE, “Les
technopoles sont-elles centenai (...)

90Le pôle aéronautique toulousain est ancien56. Dès 1921,


l’ingénieur Emile Dewoitine essaime de l’entreprise Latécoère
pour créer sa propre firme de planeurs, puis d’avions légers. Il va
expérimenter puis breveter le duralumin, alliage léger à base
d’aluminium qui va révolutionner la construction aéronautique.
Dès lors, la logique interne du pôle toulousain repose sur la
diffusion informelle de l’innovation parmi les avionneurs. Les
brevets ne sont pas gardés jalousement par leurs auteurs mais au
contraire diffusés parmi la communauté industrielle entourant le
pôle aéronautique. Il se met ainsi en place en 1952 avec le
programme “Caravelle” une véritable symbiose entre la recherche
publique, l’avionneur public Sud-Aviation et les sous-traitants
privés. Le but n’est plus de profiter d’une rente de situation
comme dans la logique interne du brevet, mais d’élever le niveau
général de compétences techniques de l’ensemble des acteurs.
Comprenons que les donneurs d’ordre ont besoin d’un haut
niveau de connaissances techniques chez l’ensemble des acteurs.
D’où cet apprentissage collectif qu’il est bien difficile d’étiqueter
juridiquement. Cette symbiose production-recherche va
s’accentuer avec le déménagement à Toulouse du CNES en 1968,
donneur d’ordre pour les fabricants privés de satellites, Matra et
Alcatel.
91Jusque là, les capitaux régionaux ont pu résister à l’emprise des
grands groupes grâce à la rotation des capitaux interne au
district. Ce n’est que récemment, dans les années 1970, que les
groupes capitalistes extérieurs à la région deviennent majoritaires
chez les sous-traitants majeurs de l’aéronautique toulousaine.
Bayard, fabricant toulousain de turbines sera repris en 1970 par
le groupe américain Signal, avant d’être racheté en 1981 par le
groupe franco-anglais Thomson-Lucas. La famille toulousaine
Bayard devra vendre l’année suivante sa filiale Microtubo à son
concurrent palois Turboméca, fabricant de turbo-moteurs
d’hélicoptères et également nouveau propriétaire de
l’équipementier tarnais Labinal.
 57 Sur cette anecdote, J. SAGLIO, “Des objets invisibles”, M.
LESCURE, La mobilisation du territoire…  (...)

92On retrouve des pratiques de diffusion volontaire de


l’innovation dans des districts plus classiques. Dans les années
cinquante, un petit entrepreneur du district jurassien d’Oyonnax
ramène de la foire de Munich un nouveau procédé d’injection du
plastique. Au lieu de garder pour lui cette innovation et d’en
retirer un avantage concurrentiel, il fait au contraire connaître à
ses collègues la trouvaille allemande 57. La plasturgie moderne est
née en France. L’intérêt bien compris du district supposait une
égalité relative de tous les donneurs d’ordre et que personne ne
soit éliminé du jeu. A charge naturellement de réciprocité.
 58 J. BOUCOURECHLIEV, “Usages commerciaux, usages professionnels :
élaboration et formation”, Dix ans (...)

93Quelle leçon retirer des pratiques de district ? Deux éléments.


D’abord que tous les “usages de fait”, somme des conventions
privées, ne débouchent pas nécessairement sur des usages de
droit, reconnu par le juge commercial. Comment invoquer devant
un juge, alors que l’on ne possède aucune licence en bonne et
due forme, le droit de bénéficier du contenu d’un brevet, même si
l’inventeur a mis délibérément son invention dans le domaine
public ? A moins de distinguer, comme le proposait à juste titre
Jeanne Boucourechliev il y a trente ans, “usage de fait”, de
connotation plus commercialiste, et qui peut effectivement
déboucher sur une coutume, et “usage professionnel” 58, plus
vague et moins invocable, mais constituant un concept mieux
représentatif des pratiques de district. Reste que de simples
habitudes professionnelles ont pu déboucher sur des règles
normatives sanctionnables par le juge. Il en va ainsi de
l’obligation de loyauté présente dans les contrats, de l’obligation
de respecter un code de déontologie lorsqu’il existe, ou bien
encore la notion de “bon chef d’entreprise”. Nous avons quant à
nous du mal à distinguer, du point de vue de Sirius qui est le
notre, entre usage et pratique, nous rangeant sur ce point aux
côtés de François Terré.
 59 Sur la notion d’emboîtement, M. GRANOVETTER, “Economic action and
social structures: the problem o  (...)

94Seconde remarque, il faut relativiser l’autonomie des acteurs au


sein des districts. Ceux-ci sont en réalité “emboîtés” ou
“encastrés” (embeded, en anglais) dans des aires-systèmes plus
vastes dont ils ne contrôlent pas l’évolution 59. Le district
aéronautique de Toulouse a résulté largement de décisions
régaliennes, éloigner les usines d’aviation de l’éventuel front
allemand, même si le tissu industriel local a su s’adapter de
manière flexible en fonctionnant de manière autorégulée. Celui
de Grenoble organisé aujourd’hui autour de l’informatique doit
beaucoup à la décision politique de la DATAR de décentraliser
dans une région en déclin industriel le Plan calcul voulu par le
général de Gaulle en 1966.
 60 G. BENKO et A. LIPIETZ (dir.) Les régions qui gagnent, op. cit., 1992,
pp. 35-56.

95Giacomo Becatini le rappelle pour le modèle italien 60, les


banques locales sont immergées dans le district. Un facteur
humain explique cette interpénétration banque-district, le
“capital-confiance”, ou encore ce que l’on peut nommer la culture
du face-à-face. En nouant des liens amicaux avec les clients, les
petites banques familiales combattent ce que les économistes
appellent les asymétries d’information, autrement dit l’accès au
renseignement économique. Car les petites entreprises cachent
bien souvent les éléments clés de leur gestion. Elles n’ont souvent
qu’une comptabilité approximative. Les mouvements familiaux de
capitaux y sont souvent occultes.
96Or la banque locale est née dans le district. Le banquier est
bien souvent intégré à des cercles culturels, politiques ou
religieux qui le rapprochent de ses clients petits patrons. Pour
réussir, le banquier local doit exiger une transparence totale de la
gestion de son client. Il est à l’image du notaire un confesseur
laïc. La structure même du district, un tissu d’interdépendances
humaines et financières, rend le système dangereux en cas de
perte de valeurs communes. Tout l’édifice peut s’écrouler comme
un château de cartes, comme cela a pu arriver dans la chaussure
béarnaise après 1970.

CONCLUSION : UN CODE, POUR


QUOI FAIRE ?
97Comment refermer ces propos qui constituent d’abord des
pistes de réflexion et non d’improbables leçons de l’histoire ?
Simplement en mettant en exergue deux invariants de l’histoire
du droit des affaires.
98– On a relevé d’abord la permanence des problèmes de
connexion entre la loi et la pratique. Le contexte d’aujourd’hui
n’est certes pas celui du temps de Colbert, mais la nature des
problèmes posés par le droit économique n’a pas changé. Un
conflit durable oppose le besoin de liberté des acteurs
économiques et le besoin de sécurité juridique défendu par les
pouvoirs publics. Hormis l’âge d’or des villes médiévales
italiennes, où statut commercial et statut municipal se
confondaient, les entrepreneurs ont dû trouver des moyens
indirects de se faire entendre. Ils n’étaient au demeurant pas
hostiles à la sécurité juridique dont ils avaient aussi vitalement
besoin. Ils ont à plusieurs reprises au XIX  siècle fait comprendre
e

aux pouvoirs publics qu’une loi régulant la pratique serait la


bienvenue, ainsi en matière de fonds de commerce ou de
nantissement sans dépossession. Un Bureau du commerce faisant
comme sous l’Ancien Régime la liaison entre l’Etat et les
commerçants serait-il souhaitable aujourd’hui ? Ce serait oublier
que les affaires sont aujourd’hui mondiales. Le cadre étatique est
devenu trop étroit, comme l’avait pressenti Charles Lyon-Caen
dès les années 1880.
 61 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1689.

99Le commerce a encore besoin de règles, voire d’une éthique,


comme il en avait besoin au XIX  siècle, même au cœur de la
e

croissance libérale des années 1830-1880. L’épisode de la


grande loi de 1867 sur les sociétés, à la fois libertaire et
contraignante, en témoigne. Les agissements privés des
entreprises ne sauraient occulter les impératifs de l’ordre public
économique. Domat avait quelques bonnes raisons,
rétrospectivement, de classer le droit commercial dans le droit
public61. Au moins le droit des affaires est-il considéré
aujourd’hui comme un droit d’exception par rapport au droit civil.
 62 Pour le point sur cette problématique, J. MONEGER, “De l’ordonnance
de Colbert de 1673 sur le comm (...)

 63 En ce sens, l’interview de Jean HILAIRE sur “Le bicentenaire du


Code”, Les Echos, numéro du 30 jan (...)

100Encore aurait-il fallu sous cet angle que le Code soit exhaustif
et codifie réellement des lois éparses. Jupiter ne peut justifier son
existence que s’il tonne effectivement du haut de l’Olympe les
commandements des dieux. La “recodification” voulue en 2000,
effectuée à “droit constant”, est déjà dépassée. Il n’entre pas dans
notre propos de revenir sur un débat déjà bien alimenté 62. On
peut seulement relever que la mondialisation n’implique
aucunement de ne plus appliquer le droit français 63. Jupiter a
encore de beaux jours devant lui. Reste une question ouverte et
aujourd’hui non réglée, celle de la production d’une lex
mercatoria par la mondialisation, vieux rêve des juristes idéalistes
du début du XIX  siècle.
e

 64 Précisément du chapitre 11 du Bankrupcy Code des Etats-Unis.


101– Seconde constante, qui tempère la première, la tendance
lourde du droit commercial de valoriser la négociation contre la
contrainte, le contrat plutôt que la loi. Cette tendance lui est
consubstantielle. La récente loi de juillet 2005 sur la “sauvegarde”
des entreprises, largement inspirée du droit nord américain de la
faillite64, privilégie la négociation préalable à la procédure de
règlement entre le débiteur et ses créanciers. On retrouve ici cette
culture du “face à face” que les districts industriels ont su
inventer spontanément. On ferait en somme davantage confiance
à Mercure, messager des hommes, qu’au Jupiter napoléonien ou
même qu’à l’Hercule républicain pour moraliser les relations
entre entrepreneurs.
102Mais cette tendance au retour au libéralisme est-elle limitée
au droit des affaires ? On sait bien que non. La loi de 2004
réformant le divorce est venue ainsi recommander aux époux de
conduire eux-mêmes ce que l’on pourrait appeler la négociation
de leur convention de partage du patrimoine commun ainsi que la
garde des enfants. Au plan pénal, on a en mémoire les lois
successives organisant en France la médiation-réparation qui
n’est autre chose, faut-il le rappeler, qu’une forme endémique et
institutionnalisée de la transaction pénale à l’américaine. La loi du
23 juin 1999 sur le classement conditionnel par le parquet en
témoignait déjà, confortée par le véritable marchandage que
suppose depuis 2004 la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité. Même si l’Europe et le Canada croient
davantage à la justice restaurative que les Etats-Unis.
103En somme, le retour de Mercure sur le devant de la scène
juridique nous ramènerait à l’âge d’or du libéralisme triomphant
sous le Second Empire, en une ruse dont l’histoire a le secret.
Chacun sait cependant depuis Héraclite d’Ephèse que l’homme ne
se baigne jamais dans la même eau du fleuve.
NOTES
1 Travaux préparatoires du Code civil. Sur Portalis “commercialiste” et
codificateur, F. TERRE, “L’argent, la monnaie, le commerce”, Le
discours et le Code. Portalis deux siècles après le Code, Paris, Litec,
2004, pp. 307-311.

2 BOUTERON et LACOUR, Manuel de droit commercial, Paris, 1925 :


“Notre code de commerce présente aujourd’hui l’apparence d’un vieil
édifice, remanié successivement à diverses époques, reconstruit en
partie, flanqué de bâtiments nouveaux dont le style diffère du style
primitif”.

3 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le bicentenaire d’un fantôme”, 1807-


2007, le Code de commerce, le livre du bicentenaire, Paris, Dalloz,
2007.

4 Voir notamment son Le droit des affaires et l’histoire, Paris,


Economica, 1995. Problématique complémentaire dans son “Histoire et
droit des affaires, entre utopie et réalisme”, Droit et vie des affaires,
Mélanges à la mémoire d’Alain Sayag, Paris, Litec, 1997, pp. 61-70.

5 Dont la thèse d’histoire du droit de Ph. PASCHEL, “ La portée de la


codification dans l’histoire du droit commercial français ”, Université de
Paris II, dact., 1993. Roger Houin avait tracé la voie de cette
problématique “Usages commerciaux et loi en droit
français”, Zeitschrift für ausandisches und internationales privatrecht ,
1959, pp. 252 sq.

6 F. OST, “Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge”, P.


BOURETZ (dir.), La force du droit, Paris, 1993.

7 Une synthèse de cette approche Y. DELOYE, Sociologie historique du


politique, Paris, La découverte, 1996. Le récent Dictionnaire historique
des juristes français, XII -XX   siècle, s. d. P. ARABEYRE, J. L. HALPERIN
e e

et J. KRYNEN, Paris, PUF, 2007, fournit de précieux matériaux pour


suivre le parcours et l’action des juristes-fonctionnaires au XIX  siècle.
e
8 J.-P. ALLINNE, “Société et production juridique sous le Second
Empire. Réflexions sur la libéralisation de la société anonyme et les
groupes de pression en régime autoritaire”, Hommage à Gérard
Boulvert, Nice, Société d’éditions juridiques, 1987, pp. 1-13.

9 E. VINCENS, Examen critique du Code de commerce, Paris, 1921.

10 Charles-Louis d’AUDIFFRET, Souvenir de ma famille et de ma


carrière dédiés à mes enfants, 1787-1878, réédition commentée par
M. BRUGUIERE et V. GOUTAL-ARNAL, Paris, Ministère des finances,
2002, p. 476.

11 Dont l’article 1657 dans un arrêt connu du 19 février 1873, D.,


1873, 1, p. 301.

12 G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris, LGDJ,


1946, p. 22, cité 1807-2007, Code de commerce, le livre du
bicentenaire, op. cit.

13 Etudiée notamment dans la thèse de Serge CAPEL, Histoire de la


juridiction consulaire de Toulouse, publiée par le Tribunal de
commerce, Toulouse, 1999.

14 C. LYON-CAEN et L. RENAULT, Traité de droit commercial, Paris,


Pichon, 2 édition 1893, t. 1, p. 13.
ème

15 M. GRELOT, Notice sur M. Blanche, Paris, Cour de cassation, 1875.

16 Henri GERMAIN publie ainsi un pamphlet dans le Journal de


chemins du ferdu 5 novembre 1864 : “(…) Il faut que nos banques de
dépôt s’établissement par toute la France. Il faut des lois plus libérales
pour notre marché commercial et industriel… en particulier, il faut
enlever les entraves à la loi sur la SARL”. Rappelons que cette première
SARL de 1863 limitait le capital social à vingt millions de francs.

17 E. RICHARD (dir.), Droit des affaires  : questions actuelles et


perspectives historiques, Rennes, PUR, 2005. Plus ancien, A. VIANDIER,
J. HILAIRE, H. MERLE (dir.), La société en commandite entre son passé
et son avenir, Paris, Libraires techniques, 1991.

18 Le Gogo est un personnage créé par Benjamin ANTIER (pseudonyme


de CHEVRILLON), dans son vaudeville L’auberge des Adrets, ou
Histoire véridique de Robert Macaire, donné à Paris en 1851.

19 C’est la position de PAILLARD de VILLENEUVE dans la Gazette des


tribunaux, n  3815, 1  déc. 1837. L’auteur y reconnaît que “la société
o er

en commandite telle qu’elle est organisée et comprise depuis quelques


années n’est autre chose qu’une société anonyme déguisée”. Il
propose de régulariser la position du gérant vis-à-vis des
commanditaires, et de faire surveiller la comptabilité tenue par lui par
des délégués du capital social.

20 Art. 21 du texte : “A l’avenir, les sociétés anonymes pourront se


former librement”. Sur l’élaboration et la portée de la loi, N.
DOUGHI, Les origines des lois du 23 mai 1863 et du 24 juillet 1867
sur les sociétés par actions, thèse de 3  cycle en histoire, Université
ème

de Paris 1, 1979, dact. Voir aussi la mise au point de Claude FOLHEN,


“Bourgeoisie française, liberté économique et intervention de l’Etat au
XIX  siècle”, Revue économique, 1956, pp. 414-428.
e

21 Arch. Nat., F 12 6828 à 6833, historique de la commission.

22 Selon l’expression juste de P. BIRNBAUM, Les sommets de l’Etat,


essai sur l’élite au pouvoir en France, Paris, Le Seuil, 1977.

23 Il s’agit de prêts usuraires accordés au Khédive d’Egypte en 1876-


77. Sur l’histoire de cette institution, J.-P. ALLINNE, Banquiers et
bâtisseurs, un siècle de Crédit Foncier, 1852-1940, Paris, Eds. du
CNRS, 1983.

24 Sur cette figure de proue du libéralisme au XIX  siècle, décédée


e

symboliquement la même année que Marx, en 1883, voir l’importante


notice que lui consacre J. J. CLERE, Dictionnaire historique des juristes
français, op. cit., pp. 444-446.
25 Sur Méline, G. LACHAPELLE, Le ministère Méline, deux années de
politique intérieure et extérieure, 1896-1898, Paris, 1928 (point de
vue d’un proche collaborateur de Méline).

26 Sur C. Lyon-Caen, voir J. L. HALPERIN, Dictionnaire historique des


juristes français, op. cit. pp. 522-523 et A. BUISSON, “La vie et les
travaux de M. Charles Lyon-Caen”, Bull. de l’Académie des sciences
morales et politiques, 1937, pp. 481-519.

27 Sur C. Bufnoir, voir N. AKIM, article éponyme du Dictionnaire


historique…, op. cit., pp. 143-145 et “De l’esprit et de la méthode des
civilistes de la seconde moitié du XIX  siècle : l’exemplarité de Claude
e

Bufnoir”, revue Droits, à paraître, 2007.

28 G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, op. cit.,


1946.

29 Ce texte inappliqué en pratique prévoyait la consultation des


instances consulaires “sur les améliorations à apporter dans toutes les
branches de la législation commerciale”.

30 Ce notaire estime que le fonds de commerce proprement dit doit


être distingué dans l’acte de vente des marchandises et des ustensiles.
“Il n’est autre chose que l’achalandage qui est attaché au titre de
successeur d’un ancien marchand”. Cité par J. HILAIRE, Le droit des
affaires et l’histoire, op. cit, 1995.

31 Le CREDA a consacré des mélanges à ce chercheur décédé en


1995, Droit et vie des affaires, études à la mémoire d’Alain Sayag ,
Paris, Litec, 1997.

32 L’instauration du concept d’entreprise personnelle a été abordée de


manière collective et transdisciplinaire par un autre ouvrage du
CREDA, L’entreprise personnelle, Paris, Litec, 1981, 2 vol. 

33 Ouvrage pionnier qui a fait connaître le district et l’économie


informelle en France, G. BENKO et A. LIPIETZ (dir.), Les régions qui
gagnent. Districts et réseaux, les nouveaux paradigmes de la
géographie économique, Paris, PUF, 1992.

34 Laboratoire d’étude et de recherché sur l’économie de la


production, fondé à l’Université de sciences sociales de Toulouse I par
François Morin.

35 Voir notamment M. KECHIDI et Y. PANADERO “Le secteur


aéronautique et la transformation de la sous-traitance régionale”, C.
DUPUY et J. -P. GILLY (dir.), L’industrie de Midi-Pyrénées, entre
tradition et modernité, Toulouse, Presses de l’Université des sciences
sociales, 1994, pp. 93-134.

36 Sur la “découverte” historiographique de l’infrajudiciaire, B.


GARNOT (dir), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque moderne ,
Dijon, EUD, 1995.

37 Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

38 Sur le renseignement commercial à Bordeaux et Toulouse à la fin


du XIX siècle et au XX  siècle, J.-P. ALLINNE, “Un siècle d’information
e e

économique externe des petites entreprises, Sud-ouest vers 1890,


vers 1990”, Les sources d’information et leur transmission en gestion
et management, Toulouse, Presses de l’Université des sciences
sociales, 1994, pp. 241-258

39 Sur le premier quotidien de gauche en province, H. LERNER, La


Dépêche du Midi, contribution à l’histoire du radicalisme en France ,
Toulouse, Publications de l’Université du Mirail, 1978.

40 Dans les trois journaux les plus lus, Le Nouvelliste, La Petite


Gironde, La France de Bordeaux.

41 M. AGULHON, La sociabilité méridionale, Aix, La Pensée


universitaire, 1966.
42 Sur les milieux d’affaires à Montauban, D. LIGOU, Frédéric
Desmons et la franc-maçonnerie sous la Troisième République, Paris,
Gédalge, 1966.

43 Sur le cas toulousain, J. P. ALLINNE et J. POUMAREDE, “Les


dynamiques historiques de la région” C. DUPUY et J. P. GILLY
(dir.), Midi-Pyrénées, Dynamisme industriel et renouveau rural, Paris,
La Documentation française, 1997.

44 Jaurès va être élu dans la circonscription de Carmaux-Albi en 1893,


à la suite de la longue grève de la verrerie de Carmaux. Madeleine
Rébérioux a retrouvé dans les papiers Jaurès une correspondance
attestant que le tribun socialiste fut un moment prétendant à la main
de la fille du grand banquier toulousain Klehe, d’origine allemande. Ce
qui demeure acquis est que Jaurès soutint les efforts de la Chambre de
commerce présidée par le banquier (légitimisme, fait rarissime chez un
protestant…) Franck Courtois de Viçose en faveur de la création de
l’Institut d’életromécanique finalement créé à Toulouse en 1908 par
Paul Sabatier. La capitale languedocienne devint par la suite aussi la
capitale des engrais azotés avec le remontage en 1924 de l’usine
allemande Bayer pour la fabrication de l’ammoniaque devenue ONIA
puis AZF.

45 D. WEISS, La presse d’entreprise, Paris, Sirey, 1971.

46 “(…) ces compagnies (les chambres) sont en contact direct, dans


leur circonscription, avec les éléments qui concourent à la production
nationale”, Bull de la CCI de Bordeaux, n  1, 1914.
o

47 J. P. ALLINNE, “L’enracinement, un outil de stratégie bancaire.


Courtois à Toulouse, fin XVIII -XX  siècle”, M. LESCURE et A. Plessy
e e

(dir.), Banques locales et banques régionales en France au XIX   siècle,


e

op. cit., 1999, pp. 55-81.

48 J. P. ALLINNE, “La banque Pouyanne, un modèle de banque


industrielle ? (1903-2003)”, H. BONIN et C. LASTECOUERES (dir.), Les
banques du grand Sud-ouest, système bancaire et gestion des risques ,
Bordeaux, Plage, 2006, pp. 235-263.

49 Sur la chaussure basco-béarnaise et le crédit, J. P. ALLINNE, Banque


Pouyanne, histoires d’entrepreneurs, Orthez, Gascogne Editions, 2003,
p. 63 sq.

50 Nous avons dépouillé les archives Privat déposées aux archives


municipales de Toulouse, pour en tirer une monographie historique, à
paraître.

51 Sur les pratiques du district de la chaussure Cholet, M. LESCURE,


“Les territoires du Choletais (1900-1960). Culture politique et
systèmes productifs”, M. LESCURE (dir.), La mobilisation du territoire.
Les districts industriels en Europe occidentale de XVII   au XX   siècles,
e e

Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France,


Min. des finances, 2006, pp. 393-412.

52 A. MARSHALL, Industry and trade, Londres, Macmillan, 1919.

53 G. CONTI et T. FANFANI, “Aux origines de la troisième Italie : la


transition vers l’industrie dans les économies locales”, M. LESCURE
(dir.), La mobilisation du territoire, les districts industriels en Europe
occidentale du XVII   au XX   siècle, op. cit., 2006, pp. 103-138.
e e

54 Cf. l’ouvrage fondateur précité, G. BENKO et A. LIPIETZ, Les régions


qui gagnent. Districts et réseaux, les nouveaux paradigmes de la
géographie économique, op. cit. 1992.

55 La première synthèse historique est : J. F. ECK et M. LESCURE


(dir.), Villes et districts industriels en Europe occidentale, XVII -e

XX   siècles, Tours, Publications de l’Université François Rabelais, 2002.


e

56 Sur l’ancienneté de la technopole toulousaine, J.-P. ALLINNE, “Les


technopoles sont-elles centenaires ? Systèmes innovateurs et création
d’entreprise en France, 1870-1960”, Revue d’économie régionale et
urbaine, n 5, 1996, pp. 934-962.
o
57 Sur cette anecdote, J. SAGLIO, “Des objets invisibles”, M.
LESCURE, La mobilisation du territoire…, op. cit., pp. 77-102.

58 J. BOUCOURECHLIEV, “Usages commerciaux, usages


professionnels : élaboration et formation”, Dix ans de droit de
l’entreprise, Paris, Litec, 1978, pp. 21 sq.

59 Sur la notion d’emboîtement, M. GRANOVETTER, “Economic action


and social structures: the problem of embededness ”, American Journal
of sociology, n  3, 1985, pp. 89-110.
o

60 G. BENKO et A. LIPIETZ (dir.) Les régions qui gagnent, op. cit., 1992,
pp. 35-56.

61 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1689.

62 Pour le point sur cette problématique, J. MONEGER, “De


l’ordonnance de Colbert de 1673 sur le commerce au Code de
commerce français de septembre 2000 : réflexions sur l’aptitude du
droit économique et commercial à la codification”, RID éco., 2004-2,
p. 171 et sq.

63 En ce sens, l’interview de Jean HILAIRE sur “Le bicentenaire du


Code”, Les Echos, numéro du 30 janvier 2007.

64 Précisément du chapitre 11 du Bankrupcy Code des Etats-Unis.

AUTEUR
Jean-Pierre Allinne
Professeur à l’université de Pau et des pays de l’Adour

La codification du droit des


affaires au XX  siècle : les e

occasions manquées1
Rémy  Cabrillac

p. 103-109
Reprenant le fil brillamment tissé par mes prédécesseurs, on ne
peut que s’interroger, pour clore cette matinée consacrée à
l’histoire du Code de commerce, sur les occasions manquées, qui
jalonnent l’histoire des codifications en général et celle de la
codification commerciale dans la seconde moitié du XX  siècle en e

particulier.
 2 G. CORNU, Codification contemporaine : valeurs et langage, L’art du
droit en quête de sagesse, PUF (...)

2Toute codification poursuit un vœu plus ou moins conscient


d’éternité, sans doute réaction épidermique de l’Homme et des
sociétés face à leur destin de mortel. Ce vœu d’éternité ne peut
qu’être illusoire et le doyen Cornu observait joliment en ce sens
que “Qui croit écrire sur la pierre n’aura jamais écrit que sur du
sable, réveil désenchanté de rêves lapidaires”2.
3Les codes ne peuvent en effet échapper à l’inexorable
écoulement du temps qui passe. Certes le vieillissement n’est pas
en soi un mal, ne serait-ce que parce qu’il permet au code de
s’affranchir des phénomènes de mode qui ont pu l’imprégner à sa
naissance. Mais le vieillissement des codes précipite souvent leur
inadaptation à la société pour laquelle ils ont été élaborés.
 3 Cf. N. IRTI, L’està della decodificazione, Milan, 1978. Ad. X. THUNIS et
F. MEN-BRUGGHE, “Codifica (...)

 4 Cf. R. CABRILLAC, Les codifications, coll. Droit, éthique et société, PUF,


2002, p. 114 et s.

4La décodification, dont il ne nous appartient pas ici de relever


les symptômes ou d’analyser les causes3, constitue un
phénomène majeur dans les pays de civil law depuis le début du
XX  siècle4.
e

 5 Cf. B. OPPETIT, “La décodification du droit commercial


français”, Mélanges RODIERE, Dalloz, 1982, (...)
 6 Cf. Bicentenaire du Code de commerce : la transformation du droit
commercial sous l’impulsion de l (...)

5Le Code de commerce de 1807 a subi de plein fouet cette


décodification5 : des 648 articles qui le composaient à l’origine
moins de 150 étaient encore en vigueur au moment de son
abrogation, bien peu ayant conservé leur rédaction originelle
alors que des pans entiers comme les sociétés commerciales ou
la faillite lui avaient échappé et que de nombreuses
réglementations spéciales avaient prospéré en dehors de lui. La
jurisprudence n’a pu que développer de timides palliatifs pour
tenter d’enrayer cette décodification commerciale6.
 7 Cf. La codification, forme dépassée de codification  ? XIeCongrès
international de droit comparé, (...)

6L’ampleur du phénomène général de décodification dans la


première partie du XX  siècle a pu inquiéter : une codification est-
e

elle encore possible et souhaitable si elle risque de se trouver si


vite périmée ? Le doute a ainsi pu gagner certains auteurs : la
codification ne serait-t-elle pas une “forme dépassée” de
législation7 ?
7Ces interrogations auraient pu être plus vivaces encore pour le
droit commercial, soumis plus que toute autre branche du droit à
la valse des idéologies, à l’accélération des évolutions techniques
et à l’européanisation comme à l’internationalisation des
échanges.
8Ces doutes ont pourtant été dépassés : au tournant du
XX  siècle, le principe d’une recodification du Code de 1807
e

semble avoir les faveurs des pouvoirs publics et de la doctrine,


comme en témoigne la nomination en 1947 d’une Commission de
révision du Code de commerce. Il est vrai que, d’une manière
générale, les recodifications ont constitué un des phénomènes
législatifs les plus marquants de la seconde moitié du XX siècle et e

que la recodification a toujours possédé une importante force de


séduction sur la doctrine en période d’insécurité juridique
prégnante.
 8 Travaux de la Commission de réforme du Code de commerce et du droit
des sociétés, 7 vol. , Pichon e (...)

 9 La Commission a été supprimée par un décret du 7 mai 1965,


remplacée par un Conseil consultatif de (...)

9Les travaux de cette Commission de révision 8, même s’ils se


sont enlisés avant d’aboutir9, ont initié une intense réflexion
doctrinale sur la recodification commerciale qui n’a cessé –et
encore pas tout à fait– qu’avec la codification de septembre 2000.
10La richesse et la vigueur des débats ont démontré l’ampleur des
difficultés suscitées par la recodification du Code de 1807, même
si l’on suppose acquis le principe de cette recodification.
 10 F. TERRE et A. OUTIN-ADAM, “Codifier est un art difficile (à propos
d’un “code” de commerce)”, D, (...)

 11 Sur ces divers blocages, cf. R. CABRILLAC, “Recodifier”, RTD Civ.,


2001, p. 833 et s.

11Recodifier est un art difficile, pourrait-on dire pour parodier le


titre d’un article célèbre10. Toute recodification se heurte d’une
manière générale à des blocages d’ordre idéologique,
psychologique ou technique sur lesquels je ne m’attarderai pas 11.
12La recodification du Code de 1807 soulevait des difficultés
spécifiques liées à la matière même, une double difficulté, la
première tenant au périmètre de la matière (I), la seconde à son
autonomie (II).
I – LES DIFFICULTES TENANT AU
PERIMETRE DE LA MATIERE
13Deux interrogations semblaient fondamentales : fallait-il un
code ou plusieurs codes ? (A), fallait-il un Code de commerce ou
un Code des affaires ? (B).

A – Un code ou plusieurs codes ?


14Comme l’illustre la belle stèle romaine de la villa de Chiragan
conservée au Musée Saint-Raymond de Toulouse, chaque fois
qu’Hercule, pour l’accomplissement de l’un de ses douze travaux,
tranchait une tête de l’hydre de Lerne, plusieurs repoussaient à sa
place. De la même manière, chaque fois qu’une branche nouvelle
ou pseudo nouvelle se détache du droit commun, elle ne manque
pas de se diviser à son tour rapidement.
15Fallait-il un Code de commerce ou plusieurs ? Fallait-il un Code
de commerce ou un Code des sociétés, un Code de la faillite, un
Code monétaire et financier, un Code de la concurrence… ? Le
découpage des enseignements universitaires n’a-t-il pas déjà
montré la voie d’un dépeçage nécessaire des codes ? Les éditeurs
eux-mêmes ont rapidement flairé la bonne aubaine en
commercialisant, en plus d’un Code de commerce d’ailleurs, un
Code des sociétés ou un Code des entreprises en difficultés.
 12 M. ROCARD, Discours lors de l’installation de la commission supérieure
de codification le 7 novemb (...)

16Personnellement, l’émiettement des codes ne me semble pas


une solution très rationnelle. L’essence de la codification est
d’apporter davantage de sécurité juridique. L’inflation des codes
serait sans doute aussi nocive que l’inflation des lois pour tendre
vers cet objectif. Comme le remarquait d’une manière générale
Monsieur Michel Rocard lors de l’installation de la Commission
supérieure de codification le 7 novembre 1989, il faut éviter de
“multiplier les codes à l’infini jusqu’à en avoir un par profession
ce qui nous conduirait bien vite, pour la législation sur la chasse,
à un code par gibier”12.
17Quoiqu’il en soit, une recodification ne pouvant faire l’économie
de la question, ne pouvait se dispenser d’une remise à plat de
l’ensemble des règles concernées pour une harmonieuse
répartition de la matière en un code ou plusieurs.
18Des branches du droit qui n’existaient pas en 1807 se sont
développées au cours du XX  siècle pour acquérir une spécificité
e

incontestable. Le droit de la consommation a par exemple connu


un essor fulgurant qui a d’ailleurs été consacré par une
codification autonome intervenue bien avant le nouveau Code de
commerce. De même, le droit de la concurrence qui s’est
développé dans la seconde moitié du XX  siècle devait-il être
e

inclus dans une recodification commerciale ou méritait-il une


codification à part ?
19Croire que l’on peut se contenter de la technique des codes
pilotes et des codes suiveurs pour se dispenser de toute réflexion
en incluant simplement des dispositions identiques dans
plusieurs codes semble pour le moins affligeant.
20Des questions ainsi restées sans réponse réfléchie lors de la
recodification de 2000, tout comme celle du maintien d’un Code
de commerce ou de la mutation de celui-ci en Code des affaires.

B – Un code de commerce ou un code de


droit des affaires ?
21Il y a d’abord le poids des mots, leur dimension symbolique,
loin d’être négligeable dans le domaine du droit.
 13 Cf. J. HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, Droit
fondamental, 1986, p. 85.(...)

22Le mot de “commerce”, attaché à une législation, s’épanouit au


XVII  siècle pour être consacré dans le Code de 1807 13. Le
e

maintien ou au contraire l’abandon du mot “commerce” dans le


titre du code traduirait symboliquement la volonté d’inscrire la
recodification dans le prolongement de 1807 ou au contraire
d’opérer une rupture avec le passé.
23Le mot “droit des affaires” sent bon la France des trente
glorieuses comme celle de la crise des années 1970-1980, le tout
économique, la formule “droit de l’entreprise” permettant au
contraire d’inclure une dimension un peu plus humaine dans la
matière. Ces deux termes sont ainsi plus “vendeurs” que celui de
“commerce”, ce qu’explique sans doute leur succès dès les
années 1960 comme intitulés de laboratoires de recherches ou de
DESS OU DEA aujourd’hui masters professionnels ou de
recherche.
 14 Sur l’idéologie du Code de 1807, cf. P. LE CANNU, “Le Code de
commerce, un Code libéral ?”, Bicent (...)

24Au-delà des mots, il y a les évolutions que le droit doit


appréhender : pouvait-on présenter la réglementation du monde
des affaires au XXI siècle comme au XIX  ? Depuis 1807, les
e e

relations commerciales ont connu au moins deux révolutions


fondamentales, l’essor du capitalisme industriel et commercial à
la fin du XIX  siècle, la mondialisation des échanges et le
e

développement du commerce en ligne à la fin du XX  siècle. e

Depuis 1807 les idéologies ont également connu des évolutions


profondes14.
 15 M. CABRILLAC, “Vers la disparition du droit commercial ?”, Mélanges
Jean Foyer, PUF, 1995, p. 329 (...)
25Le Code de commerce ne devait-il pas s’effacer pour devenir
un Code de l’entreprise, un Code des affaires voire un Code
économique ? Un auteur a ainsi pu légitimement se demander si
nous n’allions pas “vers la disparition du droit commercial ?”15.
26La question a divisé les auteurs pendant les vingt dernières
années du XX siècle et de multiples arguments ont été échangés.
e

Un nous semble déterminant, qui aurait milité et milite toujours


en faveur du maintien d’un “Code de commerce”, les
conséquences juridiques attachées à toute qualification.
 16 Cf. par exemple, G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial,
LGDJ, t. 1, vol. 1, 18ème éd. (...)

27La commercialité n’est pas une étiquette que l’on colle pour le
plaisir de satisfaire à une mode, elle emporte des conséquences
particulières, l’application de règles spécifiques dégagées
progressivement au fil des siècles. Par exemple, il est un principe
général de notre droit privé selon lequel la solidarité ne se
présume pas, sauf en matière commerciale 16. L’abandon du Code
de commerce au profit d’un Code des affaires n’aurait-il pas
conduit à transformer cette règle en principe selon lequel la
solidarité ne se présume pas, sauf en droit des affaires, source
d’imprécisions ou de solutions inopportunes ? La certitude est
l’âme du droit et troquer le droit commercial contre la nébuleuse
que constitue le droit des affaires nous semblerait ainsi quelque
peu hasardeux…
28Quelle que soit la réponse apportée, la question ne pouvait en
tout cas être éludée par un codificateur dans la dernière moitié du
XX  siècle, tant les données juridiques, économiques et sociales
e

avaient changé depuis 1807.


29On retrouve la même frustration face au silence du codificateur
de 2000 devant les difficultés tenant à l’autonomie de la matière.
II – LES DIFFICULTES TENANT A
L’AUTONOMIE DE LA MATIERE
30Deux interrogations fondamentales pouvaient surgir à
nouveau : fallait-il un code autonome ou des dispositions
intégrées dans le Code civil (A), fallait-il un binôme Code civil –
Code de commerce ou devait-on envisager de dépasser ce
schéma pour un trinôme (B) ?

A – Un Code à part ou des dispositions


intégrées au Code civil ?
 17 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le bicentenaire d’un fantôme”, Livre du
bicentenaire, op. cit., p. 61(...)

31Les rapports entre le Code civil et le Code de commerce ont dès


l’origine été conçus comme des rapports de soumission. Le Code
civil constitue le droit commun et le Code de commerce énonce
un droit d’exception. Dans ces relations de couple un peu
particulières, le Code de commerce n’a pas su vraiment trouver sa
place pour défendre les spécificités de sa matière17.
32L’existence d’un Code de commerce séparé du Code civil se
justifiait-elle ? La question n’est pas aussi incongrue que pourrait
le laisser croire une vénération excessive pour le découpage
napoléonien.
 18 A. WALD, “Le droit civil brésilien”, D., 2007, p. 1192. Ad., d’une
manière plus approfondie, Le dr  (...)

 19 Proyecto de codigo civil de la Republica argentina unificado con el


codigo de comercio, Facultad de (...)

 20 A. HARMATHY, “La réforme du Code civil hongrois”, D., 2007, p. 424.


33D’autres pays ont opté pour une réunion des règles civiles et
commerciales en un seul code. Ainsi, dès le début du XX  siècle, lee

livre V  du Code civil suisse régit les obligations civiles comme
e

commerciales. Le Code civil italien de 1942 a également renoncé


à cette dualité de codes, englobant le droit commercial, tout
comme récemment le Code civil brésilien de 2002 18, certains
pays, comme l’Argentine19 ou la Hongrie20, envisageant de suivre
cette voie.
 21 Travaux de la Commission de réforme du Code de commerce et du
droit des sociétés, T. II, Paris, 195 (...)

34En France même, la question de la suppression du Code de


commerce par absorption dans le Code civil a hanté les débats
sur une recodification commerciale. Lors de la nomination de
deux commissions de révisions, l’une du Code civil et l’autre du
Code de commerce au lendemain de la Libération, cette dualité
n’a pas empêché les membres des deux commissions de se réunir
pour décider le 25 octobre 1949 “qu’il n’y aura pas un Code civil
et un Code de commerce, mais un Code de droit privé,
comprenant notamment un Livre sur les obligations, commun aux
obligations civiles et commerciales”21.
35Le découpage de l’époque napoléonienne, conçu pour un
monde du commerce plus proche de celui de l’Empire romain que
de celui d’aujourd’hui méritait d’être repensé au lieu d’être
reconduit à la va-vite et en catimini comme cela a été le cas avec
la recodification de 2000.
36Cette question escamotée du maintien du découpage
napoléonien nécessitait sans doute d’être couplées avec d’autres
interrogations.
B – Un binôme Code civil – Code de
commerce ou un trinôme ?
37Plus de relations de soumission mais une relation à trois…
38L’avènement déjà évoqué du droit de la consommation, codifié
de manière autonome, n’obligeait-il pas à revoir l’articulation
traditionnelle entre Code civil et Code de commerce ?
 22 G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., no 33.

 23 En ce sens par exemple, cf. L. LEVENEUR, art.cit.

39Le Code civil resterait le droit commun, réceptacle de la théorie


générale des contrats, des règles fondamentales des contrats
spéciaux, occupant une position médiane entre deux idéologies
et deux impératifs opposés, entre deux “frères ennemis” 22 : d’un
côté, le Code de commerce, empreint de libéralisme, régissant les
activités et relations entre professionnels, de l’autre le Code de la
consommation, inspiré par le solidarisme, pour protéger au
mieux le consommateur dans ses relations avec un
professionnel23.
40Il est dommage que ces évolutions n’aient pas été pressenties
et prises en compte dans une recodification commerciale.
 24 P. CATALA, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la
prescription, La doc. fr., 20 (...)

41La recodification du droit des obligations et de la prescription


conduite sous la direction du professeur Catala à partir de 2003,
donc après la recodification commerciale de 2000, a bien perçu
cette redistribution des rôles. L’initiateur de cet avant-projet note
en ce sens dans sa présentation générale : “Alors que les lois du
commerce laissent toute liberté aux seuls marchands pour les
besoins de leur négoce, que la protection du consommateur lui
est spécifiquement dédiée face au professionnel, la loi civile saisit
ces mêmes personnes en dehors de toute activité de marchand ou
de consommateur”24.
42L’avant-projet de réforme du droit des obligations tient compte
de cet équilibre nécessaire entre les règles du Code de la
consommation et celles du Code de commerce qu’assurerait un
Code civil arbitre impartial au-dessus de la mêlée.
43Osons un paradoxe : la décodification du Code de commerce
de 1807 à partir du milieu du XX  siècle constituait une chance
e

unique d’une recodification réfléchie et cohérente, adaptée aux


besoins de la vie économique du monde d’aujourd’hui. La
richesse des réflexions doctrinales suscitées par cette question
depuis les lendemains de la Seconde guerre mondiale fournissait
des matériaux nécessaires à cette recodification. Beaucoup de
questions fondamentales avaient été posées, beaucoup de
réponses pertinentes avaient été proposées.
44Arguant d’un manque de temps pour une vraie recodification,
les pouvoirs publics ont préféré la recodification que l’on sait, la
recodification-compilation de septembre 2000. Manque de
temps ? Mais la commission chargée de préparer un avant-projet
de Code civil, nommée en 1800 par Bonaparte, n’a-t-elle pas pu
le livrer dans un délai de quatre mois, parce qu’elle s’appuyait sur
de nombreux matériaux doctrinaux antérieurs, comme cela aurait
pu être précisément le cas pour le Code de commerce dans cette
seconde moitié du XX  siècle ?
e

45Le résultat, ce code-compilation de 2000 est là, sévèrement


critiqué pour de multiples raisons par la doctrine. Je ne reviendrai
pas sur l’ensemble des défauts de ce code de commerce, déjà si
bien répertoriés, pour ne rappeler que le défaut essentiel qui
explique tous les autres, évoqué tout au long de cet exposé :
l’absence totale de réflexion préalable sur la méthode de
codification et les choix fondamentaux qui pouvaient être faits.
 25 Cf. Livre du bicentenaire, op. cit., spéc. les contributions de V.
LASSERRE-KIESOW, D. BUREAU et N (...)

46On ne peut que regretter cette belle occasion manquée d’une


recodification s’appuyant sur un débat scientifique devant la
doctrine et sur un débat démocratique devant le Parlement. On le
regrettera d’autant plus que la codification-compilation de 2000
a renforcé le “codico-scepticisme” chez bon nombre de
commercialistes, comme la célébration du bicentenaire l’a montré
tout au long de l’année25…
47Codifier repose sur une démarche scientifique, poser avec
méthode un ensemble de questions, prolongée dans un acte de
pouvoir, choisir la réponse paraissant la meilleure à chacune de
ces questions.
 26 G. CORNU, Codification contemporaine  : valeurs et langage, L’art du
droit en quête de sagesse, PUF (...)

48La codification nécessite ainsi une savante alchimie de sagesse


et d’autorité qui ne supporte pas de pâles contrefaçons, à peine
de galvauder cette “façon si sublime de cultiver la législation”,
selon le mot du doyen Cornu26…
NOTES
1 La forme orale de la communication a été volontairement conservée.

2 G. CORNU, Codification contemporaine  : valeurs et langage, L’art du droit


en quête de sagesse, PUF, 1996, p. 370.

3 Cf. N. IRTI, L’està della decodificazione, Milan, 1978. Ad. X. THUNIS et


F. MEN-BRUGGHE, “Codification et décodification : le droit comparé à
contribution”, Cah. Faculté de droit de Namur, n  7, 1998.
o
4 Cf. R. CABRILLAC, Les codifications, coll. Droit, éthique et société,
PUF, 2002, p. 114 et s.

5 Cf. B. OPPETIT, “La décodification du droit commercial


français”, Mélanges RODIERE, Dalloz, 1982, p. 197 et s., Essais sur la
codification, PUF, coll. droit, éthique et société, 1998, p. 41.

6 Cf. Bicentenaire du Code de commerce  : la transformation du droit


commercial sous l’impulsion de la jurisprudence , Dalloz, 2007.

7 Cf. La codification, forme dépassée de codification  ? XI  Congrès


e

international de droit comparé, Caracas, 1982, spéc. R. SACCO, rapp.


italien, p. 65 et s.

8 Travaux de la Commission de réforme du Code de commerce et du droit


des sociétés, 7 vol. , Pichon et Durand-Auzias, 1949-1961 ; Ad. J.
ESCARRA, “A propos de la révision du Code de commerce”, RTD Com.,
1948, p. 3 et s.

9 La Commission a été supprimée par un décret du 7 mai 1965,


remplacée par un Conseil consultatif de la législation commerciale.

10 F. TERRE et A. OUTIN-ADAM, “Codifier est un art difficile (à propos


d’un “code” de commerce)”, D, 1994, p. 9 et s.

11 Sur ces divers blocages, cf. R. CABRILLAC, “Recodifier”, RTD Civ.,


2001, p. 833 et s.

12 M. ROCARD, Discours lors de l’installation de la commission


supérieure de codification le 7 novembre 1989.

13 Cf. J. HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, Droit


fondamental, 1986, p. 85. Ad., J.-L. SOURIOUX, “La vie du mot
“commerce””, Le Code de commerce, 1807-2007, Livre du bicentenaire ,
Dalloz, 2007, p. 52 et s.

14 Sur l’idéologie du Code de 1807, cf. P. LE CANNU, “Le Code de


commerce, un Code libéral ?”, Bicentenaire du Code de commerce  : la
transformation du droit commercial sous l’impulsion de la jurisprudence,
op. cit., p. 33 et s.

15 M. CABRILLAC, “Vers la disparition du droit commercial ?”, Mélanges


Jean Foyer, PUF, 1995, p. 329 et s.

16 Cf. par exemple, G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial,


LGDJ, t. 1, vol. 1, 18  éd., 2001, par L. VOGEL, n  399.
ème o

17 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le bicentenaire d’un fantôme”, Livre


du bicentenaire, op. cit., p. 61 et s., spéc. n  12.
o

18 A. WALD, “Le droit civil brésilien”, D., 2007, p. 1192. Ad., d’une
manière plus approfondie, Le droit brésilien hier, aujourd’hui et
demain (dir. A. WALD et C. JAUFFRET-SPINOSI), SLC, 2007.

19 Proyecto de codigo civil de la Republica argentina unificado con el codigo


de comercio, Facultad de derecho, Universidad de Buenos-Aires, 1999.

20 A. HARMATHY, “La réforme du Code civil hongrois”, D., 2007,


p. 424.

21 Travaux de la Commission de réforme du Code de commerce et du droit


des sociétés, T. II, Paris, 1950, p. 28. Ad. : L. LEVENEUR, “Code civil,
Code de commerce et code de la consommation”, Livre du bicentenaire,
op. cit., p. 81 et s., spéc. p. 86.

22 G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., n  33.


o

23 En ce sens par exemple, cf. L. LEVENEUR, art.cit.

24 P. CATALA, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la


prescription, La doc. fr., 2005, p. 13.

25 Cf. Livre du bicentenaire, op. cit., spéc. les contributions de V.


LASSERRE-KIESOW, D. BUREAU et N. MOLFESSIS.

26 G. CORNU, Codification contemporaine  : valeurs et langage, L’art du


droit en quête de sagesse, PUF, 1996, p. 337.
AUTEUR
Rémy Cabrillac
Professeur à l’Université de Montpellier I

La pénétration en droit civil


des techniques du droit
commercial
Matthieu  Poumarède

p. 113-125

La subordination du droit commercial au droit civil. – Evoquer la


pénétration en droit civil des techniques du droit commercial
revient en grande partie à s’intéresser aux relations entretenues
depuis maintenant deux siècles par ces deux branches du droit
privé que sont le droit civil et le droit commercial. Or, au premier
abord, si l’on veut bien admettre que le droit civil est le droit
commun, tandis que le droit commercial serait un droit particulier
applicable à certaines personnes privées et à leurs relations 1, il
paraît peu probable que ce dernier soit autonome. Thaller, dans
l’ouvrage consacré au centenaire du Code civil, n’a-t-il pas
définitivement montré les tenants et les aboutissants “de
l’attraction exercée par le Code civil et ses méthodes sur le droit
commercial”2 ? Ce dernier, en effet, repose sur le droit civil dont il
est irrigué en permanence et qui en assure tant l’unité
substantielle que l’application pratique. Et comment en pouvait-il
aller autrement alors que le Code de commerce, et malgré les
ambitions de ses rédacteurs3, fut “conçu dès le départ comme
lacunaire par nature n’ayant à régler que des points
particuliers”4 ? Le Code civil, lui-même, dont les rédacteurs
étaient conscients de la supériorité scientifique, avait d’ailleurs
anticipé l’entrée en vigueur du Code de commerce en prévoyant
en son article 1107 in fine que “les règles particulières aux
transactions commerciales sont établies par les lois relatives au
commerce” après avoir rappelé dans l’alinéa 1  que “les contrats
er

(…) sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du


présent titre”5. L’affaire est donc entendue : d’un côté le droit
civil, matrice comblant les lacunes et insuffisances du droit
commercial, représente le droit commun ; de l’autre, le droit
commercial, droit particulier et, écrivait Thaller, “subordonné” 6 au
droit commun auquel il ne peut que se référer, est un droit
dérogatoire jugé nécessaire aux besoins du commerce. Il n’existe
donc pas de bulle commerciale hermétique à toute influence et
référence au droit civil. Bien au contraire, le droit commercial est
assujetti au droit commun. Les illustrations en sont légions.
 7 F. POLLAUD-DULIAN, “Du droit commun au droit spécial – et
retour”, Mélanges Yves Guyon, Dalloz, 20 (...)

 8 E. THALLER, op. cit., p. 226.

 9 C. LYON-CAEN, “De l’influence du droit commercial sur le droit civil


depuis 1804”, Le code civil,(...)

 10 V. Ph. le TOURNEAU, “Les critères de la qualité de professionnel”, LPA,


12 sept. 2005, p. 4.

 11 M. GERMAIN, “Le Code civil et le droit commercial”, Le code civil, un


passé, un présent, un avenir(...)

 12 P. DIDIER et Ph. DIDIER, Droit commercial, t. 1, “Introduction


Générale, L’entreprise commerciale” (...)

 13 J. ESCARRA, “A propos de la révision du Code de


commerce”, RTD com., 1948, p. 3.

 14 G. RIPERT, “La commercialisation du droit civil français”, Mélanges


Maurovic, 1934, Belgrade, p. 2 (...)
2La commercialisation du droit civil. – Faut-il en déduire que les
techniques du droit commercial ne peuvent en aucun cas
rayonner en dehors du petit périmètre qui leur a été assigné ?
Faut-il en conclure que le droit commercial n’a eu aucune
influence sur le droit civil ? C’est en fait tout le contraire, et ce
n’est un secret pour personne. Les relations entretenues par le
commun et le particulier sont des relations de va-et-vient
continu7, de “prêté-rendu” écrivait Thaller8, et la relation entre le
droit civil et le droit commercial n’y déroge pas. Aussi, évoquer la
pénétration en droit civil des techniques du droit commercial
pourrait bien avoir un sens. Mais lequel ? Ou, plutôt, lesquels ?
Pour le savoir, pour mettre en valeur les diverses facettes de ce
phénomène encore faut-il connaître les raisons de cette
pénétration. Or, elles ont été analysées très tôt. Charles Lyon-
Caen, dès 1904, écrivait que “les habitudes du commerce tendent
à devenir des habitudes générales et ses besoins deviennent ceux
de tout le monde”9. Les impératifs du commerce que sont la
rapidité, la simplicité, la sécurité et le crédit seraient devenus
ceux de la vie civile. Des simples particuliers à ceux que l’on
appelle désormais les professionnels10, tous sont entrés d’une
manière ou d’une autre dans l’ère du commerce : entre autres, le
besoin de crédit, les moyens de paiement et les opérations de
banque se sont généralisées, tandis qu’en même temps les
chroniques agricoles ont laissé leur place aux pages financières
dans les médias. Il n’est dès lors guère étonnant, et cela n’en est
que la traduction juridique, que les techniques du droit
commercial pénètrent le droit civil, que le “droit des négociants
ait mis un pied dans la maison du droit civil” 11. En effet, comment
une société d’échange pouvait-elle s’accommoder d’un droit civil
centré sur la propriété et ne voyant dans les obligations que des
manières de l’acquérir12. Si le Code de commerce est né vieux13,
ce qui fut peut-être la chance du commerce et par ricochet du
droit commercial, il est également certain que le Code civil, du
moins dans sa partie concernant les obligations, a vieilli. Aussi,
c’est vers le droit commercial et ses techniques empreintes d’un
réel pragmatisme que notre société s’est tournée, délaissant le
dogmatisme d’un Code civil souvent empreint de méfiance à
l’égard du négoce. Il en est résulté ce que Georges Ripert avait vu
dès 1934 : la commercialisation du droit civil français14 ! Selon
quels modes ? Comment les techniques du droit commercial ont-
elles pénétré dans la vie civile et donc le droit civil ?
3Deux mouvements apparemment contradictoires mais sans
doute complémentaires, s’enchevêtrant telles les deux roues
dentées d’un mécanisme, peuvent être décelés. D’une part, a
souvent été décrite, et le mouvement n’est peut-être pas achevé,
une introduction massive des opérations commerciales dans la vie
civile. Il en est résulté un recul des frontières du droit civil au
profit du droit commercial et, avec lui, des techniques du droit
commercial dont l’emprise sur le droit civil ne se dément pas.
D’autre part, c’est une véritable transformation de l’esprit du
droit civil sous l’influence du droit commercial que l’on peut
aujourd’hui également constater. Or, cette mutation de l’esprit du
droit civil s’est traduite par l’absorption par le droit civil des
techniques du droit commercial et donc, d’une certaine manière,
par leur dilution.

I – L’EMPRISE DES TECHNIQUES


DU DROIT COMMERCIAL SUR LE
DROIT CIVIL
 15 M. GERMAIN, op. cit., pp. 650 s.

4L’emprise des techniques du droit commercial sur le droit civil


constitue la première manifestation de la pénétration des
techniques du droit commercial en droit civil. Or, elle se
manifeste de deux manières principales. En tant que droit
particulier et donc lacunaire, le droit commercial utilise le droit
civil, à défaut, notamment, d’un véritable régime des obligations
commerciales. Toutefois, souvent, le droit civil doit alors
s’adapter dans un milieu différent, au sein duquel les exigences
et les techniques ne sont pas toujours les mêmes 15. Il en résulte
parfois une déformation du droit civil instrumentalisé pour
satisfaire aux exigences de la vie des affaires et à son droit (A).
Plus avant, l’on assiste parfois à un rejet des techniques du droit
civil, lorsque la vie des affaires ne se satisfait plus du droit civil.
C’est alors que le droit commercial prend la place du droit civil
(B).

A – La déformation du droit civil par les


techniques du droit commercial
 16 M. GERMAIN, op. cit., p. 652.

 17 F. POLLAUD-DULIAN, De quelques avatars de la responsabilité civile


dans le droit des affaires, RTD (...)

 18 En ce sens J.-F. BARBIERI, note sous Cass. com., 9 mai 2001, Bull.
Joly, 2001, p. 1021, sp. no 2 ; (...)

 19 Voir Cass. com., 27 janv. 1998, D., 1998, jur., p. 605, note D.


GIBIRILA, Bull. Joly, 1998, p. 535 (...)

 20 V., pourtant, C. A. Versailles, 17 janv. 2002, Bull. Joly 2002, p. 515,


note J.-F. BARBIERI.

 21 Cass. com., 20 mai 2003, Bull. civ., IV, no 84; Bull. Joly, 2003, p. 786,
§ 167, note H. Le NABASQ (...)

 22 J.-L. NAVARRO, “Suggestions pour une amélioration des régimes de


responsabilité civile des dirigea (...)
 23 Par ex. Cass. crim., 7 sept. 2004, RJDA, 2005/2, p. 122, no 141.

 24 B. SAINTOURENS, note sous Cass. com., 12 janv. 1999, Bull. Joly,


1999, p. 813.

 25 Cass. com., 20 juin 2006, LPA, 22 nov. 2006, p. 18, note J.-F.


BARBIERI.

 26 Cass. civ. 3e, 4 janv. 2006, D., 2006, p. 231, obs. A. LIENHARD.

5Le droit commercial a poussé sur le fertile terreau du droit civil


qui demeure le droit commun auquel il doit se référer à défaut,
notamment, d’un véritable régime des obligations commerciales.
Et pourtant, si le droit civil, sorte de substratum du droit
commercial, sert de bases aux affaires, il serait vain de penser
que ce dernier, le droit commercial, lui est toujours fidèle.
Toujours davantage soucieux d’efficacité que de dogmatisme,
l’utilisation par le droit commercial du droit civil conduit parfois à
sa déformation et, par conséquent, à une certaine autonomisation
du droit commercial dont les objectifs ne se confondent pas
toujours avec ceux du droit civil. Les illustrations en sont
nombreuses. Parfois criante, parfois plus discrète, la déformation
du droit civil par les techniques du droit commercial est
fréquente. Je me contenterai d’un seul exemple tant il est topique
et qu’il me tient aussi à cœur : il s’agit de l’action en
responsabilité engagée contre les dirigeants de société in bonis.
En effet, bien que les textes prévoyant cette responsabilité
(articles 52 et 244 de la loi de 1966) ne sont dans leur
formulation pas dérogatoires au droit commun, force est
d’admettre qu’en matière de droit des affaires, les efforts
conjugués du législateur et de la jurisprudence ont conféré à la
responsabilité civile des dirigeants sociaux des particularités dont
la source peut sans doute être découverte dans la notion si
commerciale et tellement peu civiliste de “mandat social” qui s’est
largement autonomisée de celle de mandat16. En premier lieu,
c’est la nature même de cette responsabilité qui est aujourd’hui
encore controversée. De nature contractuelle pour les uns, elle
serait délictuelle pour d’autres. En réalité, la loi de 1966 a pris
soin de ne pas prendre parti et s’est contentée de viser une
responsabilité à l’égard de la société, des associés ou encore des
tiers. En second lieu, c’est le régime même de cette responsabilité
qui semble aujourd’hui s’absoudre du carcan que représente le
droit commun. Alors qu’il était admis, il y a encore peu, qu’en
droit des affaires “la simple imprudence ou négligence suffit à
engager la responsabilité (…) conformément aux principes
généraux de la responsabilité”17, ce que confirme la lecture des
régimes énoncés par les articles précités 18, la jurisprudence exige
désormais une faute “séparable” ou “détachable” des fonctions
pour engager la responsabilité des dirigeants sociaux19, au moins
à l’égard des tiers20. Or, selon un arrêt rendu par la chambre
commerciale le 20 mai 2003, une telle faute est notamment
caractérisée lorsque “le dirigeant commet intentionnellement une
faute d’une particulière gravité”21. S’il est possible, depuis cet
arrêt, de constater des nuances entre les différentes chambres
civiles de la Cour de cassation quant à l’interprétation du contenu
de cette faute séparable22 dont la chambre criminelle ne
s’embarrasse d’ailleurs pas23, force, en effet, est néanmoins de
constater que depuis cet arrêt, rares sont les hypothèses dans
lesquelles la faute commise a été reconnue séparable des
fonctions devant les chambres civiles, ce qui en fait selon un mot
devenu à juste titre célèbre “une faute introuvable” 24. Par
exemple, la chambre commerciale décidait le 20 juin 2006 que le
fait de prendre, au nom de sa société, l’engagement de garantir
les dettes d’une filiale en cachant au créancier la situation
économique précaire de la société garante ne constitue pas une
faute séparable des fonctions du dirigeant social 25. De même la
troisième chambre civile, quelques mois plus tôt, le 4 janvier
2006, décidait que le défaut de souscription d’assurance ne
constitue pas une faute séparable des fonctions, alors même qu’il
s’agit, en l’occurrence d’une infraction pénale 26 ! Or, quoi que
l’on puisse penser de cette immunité accordée au dirigeant social
par la grâce de l’écran sociétaire, il n’en demeure pas moins que
cette application de la responsabilité civile au monde des affaires
traduit une réelle déformation de cette dernière et une
pénétration des techniques du droit commercial au sein du droit
civil qu’il utilise.
6Ainsi, si le droit commercial recourt sans cesse au droit civil, il
n’en demeure pas moins qu’il tend à s’approprier certains de ces
concepts pour les transformer, les déformer même. Ici, par
conséquent, la pénétration des techniques du droit commercial
engendre un recul du droit civil et de ses propres concepts. Mais,
ce recul est plus saisissant encore lorsque la vie des affaires ne se
satisfait plus du droit civil, mais cherche à le repousser pour
imposer ses propres techniques.

B – “L’extension du droit commercial à des


activités traditionnellement civiles”27
 27 A. JAUFFRET, “L’extension du droit commercial à des activités
traditionnellement civiles”, Études (...)

7Parfois, la vie commerciale ne se satisfait plus du droit civil,


insuffisant à ses yeux pour atteindre les objectifs qui sont les
siens. C’est alors que le droit commercialise des activités qui,
jusqu’alors, étaient civiles, ce mouvement ne s’étant peut-être
pas tari.
 28 J. HAMEL, “Droit civil et droit commercial en 1950”, Le Droit privé
français au milieu du XXe sièc (...)
8Le temps, en 1950, où le Doyen Hamel pouvait écrire que “la
législation française tend à développer le domaine du droit
commercial, fut-ce au détriment du droit civil” 28, est sans doute
révolu. L’heure était alors à l’extension de la commercialité.
L’auteur pouvait citer, notamment, la loi du 9 septembre 1919
sur l’exploitation des mines, la loi du 6 août 1945 relative à
l’exploitation des magasins généraux ou encore les lois du 1 août
er

1893 et du 7 mars 1925 qui avaient conféré le caractère


commercial, respectivement, aux sociétés par actions et aux
SARL. Autant de témoins de la progression du droit commercial
qui, il est vrai, demeurent. Néanmoins, si l’heure n’est peut-être
plus aux grandes manœuvres d’un droit commercial conquérant,
il ne faut pas croire que celui-ci ait abandonné tous ses territoires
et mieux encore ne s’impose plus face au droit civil. Sans doute,
certaines lois récentes n’ont-elles pas entendu distinguer le droit
commercial et le droit civil et ont naturellement été insérées dans
le Code civil, ce dernier jouant à plein sa fonction de code de
droit commun. Il en est allé ainsi de la loi du 23 mars 2000 qui a
inséré dans le Code civil les règles applicables à la signature
électronique qui s’appliquent tant aux contrats commerciaux
qu’aux contrats civils (articles 1326 et s. du Code civil). Toutefois,
la commercialisation de certains domaines du droit qui sont
retirés à l’empire du droit civil pour passer sous la coupe du droit
commercial demeure une réalité. Cette extension du champ de la
commercialité s’illustre principalement de deux manières.
 29 A. JAUFFRET, op. cit., loc. cit.

 30 G. RIPERT, op. cit., p. 280.

 31 C. com. art. L. 110-1 2°.

 32 Cass. com., 5 déc. 2006, D., 2007, p. 89.


9En premier lieu, “puisque le droit commercial est le droit
applicable aux actes de commerce et aux commerçants,
l’extension peut consister à multiplier le nombre d’actes de
commerce ou le nombre de commerçants” 29. Or, le sort réservé à
l’immeuble paraît topique dès lors que l’on sait quelle importance
la propriété foncière avait en 1804 pour le Code civil. “Portalis,
d’ailleurs, y voyait l’objet même des opérations civiles et
distinguait le droit civil et le droit commercial d’après l’objet
immobilier et mobilier”30, au point que les codificateurs de 1807
avaient exclu qu’une activité de négoce et de spéculation, qui
suppose de surcroît simplicité et rapidité, puisse porter sur des
immeubles. Pourtant, le développement de la spéculation foncière
a conduit à revoir les frontières du droit commercial et du droit
civil. C’est, d’une part, la loi du 13 juillet 1967 qui a fait entrer
l’immeuble dans le commerce en assimilant à un acte de
commerce “tout achat de biens immeubles aux fins de les
revendre”31, bouleversant, ainsi, les traditions les mieux établies.
C’est, d’autre part, la Cour de cassation qui, par exemple, par une
décision rendue le 5 décembre 200632 a fait récemment rentrer
l’activité d’expert en diagnostic immobilier dans l’aire du droit
commercial. En effet, selon la Cour, cette activité d’expert en
diagnostic immobilier, “qui n’est pas purement intellectuelle,
revêt un caractère commercial dès lors qu’elle est exercée à titre
habituel et lucratif”. Au demeurant, la généralité d’une telle
formule laisse sans doute augurer que lors des conflits de
qualification à venir, le droit commercial ne sera pas
nécessairement en retrait par rapport au droit civil.
 33 Cass. com., 10 juillet 2007, Bull. Joly, 1er nov. 2007, p. 1242, note D.
PORRACHIA.

 34http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_publications_documentati
on_2/actualite_jurisprudence_2 (...)
10En second lieu, l’emprise des techniques du droit commercial
se traduit également parfois par l’extension de la
compétence ratione materiae des juges consulaires. A ce titre,
l’article 127 de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques, en même temps qu’il rétablissait la
compétence des tribunaux de commerce malencontreusement
abrogée, a prévu une extension du champ de la compétence des
tribunaux de commerce dans deux directions. Il résulte en
premier lieu de l’article L. 721-3 1° que tous les établissements
de crédits relèvent désormais de la compétence des tribunaux de
commerce, y compris lorsqu’ils ne poursuivent pas un but
lucratif. Ainsi, les caisses de crédit mutuel ou les caisses de crédit
agricole relèvent aujourd’hui de la juridiction consulaire, à l’instar
des sociétés commerciales de crédit, ce qui a permis de
concentrer une grande partie d’une matière entre les mains d’une
seule juridiction. De même, il résulte désormais de l’article L.
721-3 2° du Code de commerce que les tribunaux de commerce
sont compétents pour connaître des contestations “relatives aux
sociétés commerciales”, là où l’ancien article 631-2° de l’ancien
code de commerce disposait que les tribunaux de commerce
connaissaient “des contestations entre associés pour raison d’une
société de commerce”. Or, la Cour de cassation vient de tirer les
conséquences de cette modification opérée par la loi NRE en
décidant le 10 juillet 2007 que relèvent désormais de la
compétence des tribunaux de commerce les litiges relatifs à toute
cession de titres d’une société commerciale 33, ce qui –souligne la
Cour dans un communiqué accompagnant l’arrêt– n’a toutefois
“qu’un effet limité à la compétence juridictionnelle, les cessions
n’emportant pas contrôle de la société étant toujours soustraites
au régime dérogatoire des obligations commerciales”34.
11Or, précisément, ainsi que ce communiqué le souligne, les
conquêtes du droit commercial et de ses techniques pourraient
bien n’être que des victoires à la Pyrrhus. En effet, si le droit
commercial demeure et si ses techniques continuent d’avoir une
réelle emprise sur le droit civil, encore faut-il savoir ce que
recouvre l’étiquette “droit commercial”. A première vue, la
codification à droit constant du Code de commerce a cristallisé
l’état du droit français, celui-ci demeurant le code des
commerçants, définis comme les personnes qui effectuent des
actes de commerce à titre habituel. Pourtant, la pénétration des
techniques du droit commercial en droit civil se manifeste
également par leur absorption par le droit civil. Or que cette
absorption s’analyse comme une expansion du droit commercial
au-delà de ses frontières ou comme une dilution de ce dernier au
sein du droit civil, elle est de nature à faire bouger des lignes de
partage trop bien établies.

II – L’ABSORPTION PAR LE
DROIT CIVIL DES TECHNIQUES
DU DROIT COMMERCIAL
12Le phénomène est connu. Il a été décrit dès le début du
XX  siècle et depuis n’a cessé de se confirmer, voire depuis
e

quelques années de s’accélérer. Peu à peu, toutes les


particularités du droit commercial se diluent au sein du droit
commun. Peu à peu, tous les bastions les mieux établis tombent.
Ce phénomène se traduit de deux manières. Tantôt, des
techniques du droit commercial, ne concernant traditionnellement
que les commerçants se généralisent à toute personne, au moins
à tout professionnel, regagnant ainsi le giron du droit civil qui les
réceptionne (A). Tantôt, le droit commercial sert de modèle au
droit civil qui lui emprunte ses techniques pour les transposer (B).
Dans les deux cas, le droit commercial apparaît tel un petit
laboratoire, où ont été expérimentées quelques techniques avant
d’être généralisées…

A – la réception par le droit civil des


techniques du droit commercial
13Seules quelques illustrations de ce mouvement de
généralisation des techniques du droit commercial qui tend à
s’accélérer pourront être présentées ici, tant elles sont diverses et
nombreuses. Toutefois, loin d’être un phénomène nouveau,
celui-ci a pu être très tôt décrit.
 35 C. LYON-CAEN, op. cit.

 36 Cass. req., 23 févr. 1891, DP, 1891, 1, p. 337 ; S. 1892, 1, p. 73,


note E. MEYNIAL.

14Dès le XIX  siècle, Charles Lyon-Caen pouvait ainsi mettre en


e

avant “l’influence du droit commercial sur le droit civil” 35. Il est


vrai que d’ores et déjà le droit civil avait réceptionné bien des
techniques du droit commercial pour en étendre le champ
d’application. La personnalité des sociétés avait ainsi été admise
par la jurisprudence pour les sociétés de commerce, avant que la
Cour de cassation finisse le 23 février 1891 par affirmer
nettement qu’il est de “l’essence des sociétés civiles” d’être
dotées de la personnalité morale36, privilégiant ainsi, par-delà les
arguments de textes visés par l’arrêt, les intérêts pratiques
indéniables de cette reconnaissance. De même, le Code civil en
son article 1153 avait prévu que les intérêts moratoires ne
couraient, en principe, qu’à partir de la demande en justice
formée contre le débiteur. Pourtant, il était admis qu’en matière
commerciale, ils couraient en l’absence même d’une assignation
ou d’un acte extra-judiciaire. Là aussi, le droit civil plia puisque la
loi du 7 avril 1900, modifiant l’article 1153 du code civil prévoyait
qu’une simple sommation suffisait, formalisme encore allégé par
la loi du 13 juillet 1992 aux termes de laquelle “une simple lettre
missive est suffisante s’il en ressort une interpellation suffisante”.
15Ce mouvement d’extension, de généralisation des techniques
du droit commercial n’a, depuis lors, cessé de s’accélérer tout au
long du XX  siècle. La procédure d’injonction de payer n’était
e

admise qu’en matière commerciale, le décret-loi du 25 août 1937


prévoyant en effet qu’elle était limitée aux “petites créances
commerciales”. Il n’aura, pourtant, fallu que vingt ans pour que la
loi du 4 juillet 1957 étende cette procédure expéditive (on
retrouve les impératifs de rapidité et de sécurité), au paiement
d’une somme d’argent dont la cause était contractuelle,
élargissant ainsi le mécanisme au recouvrement des créances
civiles et faisant oublier la restriction originaire qui frappait le
domaine de l’injonction de payer.
 37 C. JARROSSON, “Le nouvel essor de la clause compromissoire après la
loi du 15 mai 2001”, JCP G, 20 (...)

16L’une des dernières victimes de cette extension du champ des


techniques commerciales au-delà de leur domaine naturel est la
clause compromissoire. Jusque récemment seulement applicable
entre commerçants en vertu de l’ancien article 631 du Code de
commerce, la clause compromissoire a connu un “nouvel
essor”37. En effet, depuis la réforme du 15 mai 2001, le nouvel
article 2061 du Code civil permet désormais la stipulation d’une
telle clause dans tous les contrats conclus à raison d’une activité
professionnelle, là où jusqu’alors les parties ne pouvaient
soumettre à l’arbitrage que les contestations relatives aux actes
de commerce ou entre commerçants. Son champ d’application est
désormais ouvert aux professionnels civils par la loi.
 38 E. RICHARD (dir.), Droit des affaires, Questions actuelles et
perspectives historiques, PUR, coll. (...)
 39 Loi du 13 juillet 1967, art. 1er.

 40 Ph. PETEL, Loi no 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des


entreprises et décret no 2005-1677 (...)

 41 V. par ex. H. CABRILLAC, “L’agriculture et le droit commercial”, Le


Droit privé français au milieu (...)

 42 V. E. RICHARD (dir.), op. cit., no 1217.

 43 Pensons, par exemple, à la loi du 2 août 2005 codifiée aux articles L.


121-4 et suivants qui visen (...)

17Ainsi, on peut constater une dilution des techniques du droit


commercial, dont le Code de commerce de l’an 2000 se fait
l’écho. La mise en parallèle du nouveau livre sixième du Code de
commerce consacré aux difficultés des entreprises et du livre III
du Code de commerce de 1807 est saisissante. En 1807, l’article
437 ne visait que les seuls commerçants, et l’on sait quelle a été
l’importance de cette question dans l’élaboration du Code de
commerce38. Depuis, les faillites se sont peu à peu,
subrepticement, ouvertes au droit civil en prenant sous leur aile
(bienveillante ?…) toutes les personnes morales de droit privé,
dès 196739, mais aussi, sous certaines réserves, les artisans, les
agriculteurs, et enfin, depuis la réforme du 26 juillet 2005, les
personnes physiques exerçant une activité professionnelle
indépendante, y compris les professions libérales soumises à un
statut législatif ou réglementaire, qui peuvent désormais
bénéficier du traitement collectif de leurs difficultés, alors qu’ils
étaient jusqu’alors “les grands oubliés du droit de
l’insolvabilité”40. Toutes ces activités ne sont pas devenues
commerciales, mais les techniques du droit commercial
s’appliquent désormais à ces activités civiles. Sans doute,
demeurent en dehors de ce champ les particuliers soumis à la
procédure dite de rétablissement personnel sur laquelle je
reviendrai dans un instant. Toutefois, cette extension du champ
des procédures collectives est notable. Elle témoigne d’une
dilution des techniques les plus spécifiques du droit commercial
qui paraissait, il y a quelques dizaines d’années, inenvisageable à
la doctrine commercialiste41. Peut-être, cette extension du droit
commercial aux activités civiles est-elle un juste retour de
l’histoire42. Mais, tout de même, voilà un Code de commerce, et
ce n’est pas le seul exemple43, dont le contenu s’accorde
désormais bien mal avec son intitulé.
 44 V. J.-P. MARTY, “La distinction du droit civil et du droit commercial
dans la législation contempo (...)

 45 Art. 1384 : “Les actions en responsabilité civile se prescrivent par dix


ans à compter de la manif (...)

 46 Le texte propose que la durée de la prescription extinctive de droit


commun soit fixée à 5 ans pou (...)

18Quelle est sur la liste la prochaine “victime” de cette


généralisation effrénée de ce qui faisait jusque récemment
l’ossature du droit commercial ? Difficile de le dire, même si la
prescription décennale prévue par l’article L. 110-4 du Code de
commerce paraît être en bonne place, encore qu’il ne faut pas
oublier que d’ores et déjà la loi du 3 janvier 1977 en a
singulièrement étendu le champ d’application 44. Il ne restera
donc qu’à achever le travail. Du moins tel est le souhait d’une
partie de la doctrine et du législateur, ainsi qu’en témoignent la
rédaction de l’article de l’avant-projet Catala45 et la proposition
de loi portant réforme de la prescription en matière civile 46.
L’avenir nous dira sans doute si ce qui reste des particularités du
droit commercial sera appelé à se généraliser et, ainsi, en se
banalisant à se fondre au sein du droit civil. Mais, là ne s’arrête
pas la dilution des techniques du droit commercial au sein du
droit civil.

B – Les techniques du droit commercial,


comme modèle du droit civil
19Plus diffuse, et sans doute pas à sens unique, l’influence des
techniques du droit commercial sur le droit civil, est tout aussi
importante que le phénomène qui vient d’être observé. Ici, il ne
s’agit pas directement d’étendre une technique du droit
commercial à des non-commerçants, mais de s’en inspirer afin
d’aboutir à des résultats finalement similaires. Le droit civil trouve
alors son inspiration dans les techniques du droit commercial. Ici
encore, le phénomène est ancien, mais la même accélération peut
être devinée.
 47 Ph. JESTAZ, RTD civ., 1978, p. 440.

 48 Y. CHARTIER, “La société dans le Code civil après la loi du 4 janvier
1978”, JCP G, 1978, I, 2917, (...)

20Personne n’ignore que la réforme des sociétés civiles en 1978 a


été largement inspirée de celle des sociétés commerciales, ce qui
a pu faire écrire à Philippe Jestaz que “le législateur avait mis la
charrue commerciale avant les bœufs civils” 47. A titre d’exemple,
traditionnellement, on considérait que l’acquisition de la
personnalité morale de toute société prenait naissance dès que la
société existait, ainsi que l’article 1843 du Code civil en
disposait : “la société commence à l’instant même du contrat”,
prévoyait-il. Toutefois, l’article 5 de la loi du 24 juillet 1966
modifia considérablement cette approche en prévoyant que les
sociétés commerciales n’en étaient dotées qu’à compter de leur
immatriculation au RCS. Là encore, il aura fallu une vingtaine
d’années pour que le législateur, dans la loi du 4 janvier 1978,
aligne le régime des sociétés civiles sur celui des sociétés
commerciales en prévoyant à l’article 1842, alinéa 1  que les er

sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la


personnalité morale, mais seulement “à compter de leur
immatriculation”. Bien au-delà de cette illustration, la loi du 4
janvier 1978 puise incontestablement une partie de son
inspiration dans celle de 196648. Qu’il s’agisse des dispositions
concernant l’intérêt des tiers, la stabilité de la société ou encore
le fonctionnement même de la société, le droit spécial a servi de
modèle au droit commun.
21Mais, l’influence des techniques du droit commercial sur le
droit civil ne s’arrêta pas là. Trois des fleurons du droit
commercial, les faillites, le fonds de commerce et les cessions de
créance ont largement inspiré, ces dernières années, le droit civil.
 49 V. P. DIDIER, “Le droit commercial au tournant du siècle”, Clés pour le
siècle, Paris, 2000, p. 46 (...)

 50 V. C. GAVALDA, “La cession et le nantissement à un banquier des


créances professionnelles (loi no (...)

 51 D. SCHMIDT et Ph. GRAMLING, “La loi no 81-1 du 2 janvier 1981


facilitant le crédit aux entreprises (...)

 52 Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la


prescription, p. 59.

 53 Art. 1257-1.

 54 Cass. com., 19 déc. 2006, no 05-16. 395, Juris-Data no 2006-


036663 ; JCP E, 2007, 1131, rapport M. (...)

 55 Art. 1253 et s.

22La question de la négociabilité des créances et de ses utilités


est ancienne et immense. Trop, sans doute, pour que l’on
revienne sur l’évolution qui a conduit le droit commercial à se
désintéresser d’un droit civil trop soupçonneux à l’égard du
cessionnaire d’une créance49 et à inventer, avec plus ou moins de
succès50, ses propres instruments répondant aux impératifs
habituels de simplicité, de sécurité et de rapidité. En revanche,
plus proche de nous, c’est certainement le reflux du droit civil qui
peut être mentionné. De la création du Dailly, permettant la
cession de créances professionnelles à titre de garantie,
dérogeant fort heureusement aux “formalités archaïques et
stérilisantes de l’article 1690 du Code civil” 51, à l’avant-projet
Catala, le droit civil tend à s’aligner sur les techniques du droit
commercial. Ce dernier, en ses articles 1251 et suivants, projette,
en effet, de refondre entièrement la question de la cession de
créance, avec l’objectif revendiqué que “le nouveau régime de la
cession de créance réponde aux besoins de ses utilisateurs et
fasse revenir dans le giron du droit commun des opérations qui
l’avaient quitté”52. Pour ce faire, d’une part, la cession à titre de
garantie est admise53, alors que la Cour de cassation, encore
récemment dans une décision rendue le 19 décembre 2006, vient
de décider qu’“en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par
lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de
garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un
nantissement de créance”54, affirmant une singulière hostilité à
l’égard de la cession de créance de droit commun à titre de
garantie. D’autre part, l’avant-projet abandonne dans le même
temps l’article 1690 du Code civil, le formalisme étant simplifié 55.
 56 V. D. KRAJESKI, “Un pas vers la libéralisation en agriculture, À propos
de la LOA du 5 janvier 200 (...)

 57 Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, D., 2001, p. 2295, note Y. SERRA.

23Quant au fonds de commerce, s’il a peut-être perdu une partie


de sa splendeur, il n’en demeure pas moins qu’il a peu ou prou
inspiré les rédacteurs de la loi du 5 janvier 2006 ayant permis la
constitution d’un fonds agricole, le législateur entendant
“promouvoir une démarche d’entreprise au service de l’emploi et
des conditions de vie des agriculteurs”. A ce titre, par exemple,
l’article L. 311-3, alinéa 3 du Code rural, selon lequel “sont seuls
susceptibles d’être compris dans le nantissement du fonds
agricole le cheptel mort et vif, les stocks et, s’ils sont cessibles,
les contrats et les droits incorporels servant à l’exploitation du
fonds, ainsi que l’enseigne, les dénominations, la clientèle, les
brevets et autres droits de propriété industrielle qui y sont
attachés”, n’est ainsi pas sans rappeler l’article L. 142-2 du Code
de commerce, même si l’énumération est plus large 56. Et si la
clientèle n’est pas, en matière de fonds agricole, l’élément
essentiel du fonds, il faut également se rappeler que le modèle du
fonds de commerce n’est sans doute pas pour rien dans la
possibilité reconnue par la Cour de cassation dès le 7 novembre
2000 de céder les clientèles civiles 57, ouvrant la voie à la
reconnaissance d’un fonds libéral tout en adoptant une position
pragmatique, mais qui ôte une grande partie de sa spécificité au
fonds de commerce.
 58 F. TERRE, Introduction générale au droit, Dalloz, coll. Précis, no 86.

 59 Cass. 1re civ., 10 juil. 2001, Bull. civ. I, no 210.

 60 Ph. PETEL, “La procédure de rétablissement personnel et les


procédures collectives du Code de comm (...)

24Enfin, sans que l’inventaire ne soit complet, le droit des faillites


et des entreprises en difficulté a également “déteint sur le droit
civil” selon les mots de François Terré58. Dès la mise en place des
dispositifs relatifs à la prévention et au règlement des difficultés
liées au surendettement des particuliers et des familles, dite loi
Neiertz, une certaine parenté des procédures a pu être soulignée
au point que la Cour de cassation avait pu estimer en 2001, sans
doute un peu hâtivement, que les dispositifs relatifs au traitement
des situations de surendettement “sont du même ordre que ceux
d’une procédure collective en cas d’insolvabilité” 59. Or, l’unité
d’esprit réelle ou souhaitée des deux procédures applicables au
débiteur professionnel qui relève du Code de commerce et au
débiteur particulier régi par le Code de la consommation, ne
cessa de s’amplifier, malgré leurs logiques opposées. Alors que la
loi Neiertz se limitait à organiser un moratoire sélectif, applicable
à certains créanciers et sans effet sur les autres, la loi du 1  août er

2003 institue désormais au profit des particuliers une véritable


procédure collective dont le “déroulement est (…) manifestement
calqué sur celui des procédures du Code de commerce”60.
 61 M. CABRILLAC, “Vers la disparition du droit commercial”, Écrits en
hommage à J. Foyer, PUF, 1997, (...)

 62 D. TALLON, “Réflexions comparatives sur la distinction du droit civil et


du droit commercial”, Etu  (...)

 63 C. LYON-CAEN, op. cit., p. 218 s., et plus généralement sur l’évolution


de cette idée, P. DIDIER e (...)

25Indiscutablement, ce qui faisait, il y a encore peu, la


substantifique moelle du droit commercial tend à se banaliser en
se dissolvant au sein du droit civil. Tous les bastions sont tombés
un à un. Faillite, clause compromissoire, fonds de commerce…
Que reste-t-il ? Peu de choses en apparence. Un frêle statut du
commerçant, quelques règles dérogatoires applicables aux
obligations commerciales et, tout de même, les juridictions
consulaires. Après tout n’est-ce pas le sens de l’histoire ? D’une
certaine manière les seuls professionnels au temps du Code de
commerce n’étaient-ils pas les commerçants ? Quant aux
agriculteurs, artisans ou professions libérales, ce n’est finalement
que récemment qu’ils sont entrés dans l’ère du capitalisme. De
manière plus générale, même, il est certain que la société de
consommation dans laquelle nous vivons appelle la société du
commerce. Le droit commercial serait ainsi “victime de ses
conquêtes”61. Faut-il en appeler à l’unité du droit commercial et
du droit civil, connue ailleurs 62 ? La question est depuis
longtemps posée63 et il faut bien admettre que la dilution des
techniques du droit commercial au sein du droit civil témoigne
chaque jour davantage de cette unification. Toutefois, peut-être
peut-on renverser la problématique en se plaçant cette fois-ci du
point de vue du droit civil. Or, est-on certain de vouloir un droit
civil qui aurait adopté l’esprit du droit commercial ? La réponse
surprendra peut-être, mais je ne le pense pas. Dès lors,
davantage qu’une fusion des deux branches par dilution, c’est
peut-être un déplacement des frontières qui peut être souhaité,
afin que le droit commercial, au domaine élargi et revu, demeure,
mais que le droit civil, lui, retrouve sa place de droit commun.
NOTES
1 V. D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le bicentenaire d’un fantôme”, Le
code de commerce 1807-2007, Livre du bicentenaire, Dalloz, 2007,
p. 61, sp. n  12.
o

2 E. THALLER, “De l’attraction exercée par le Code civil et par ses
méthodes sur le droit commercial”, Le code civil, Livre du centenaire,
1904, p. 224.

3 M. REGNAUD, “Exposé des motifs présentés au corps législatif”, Code


de commerce, 5  éd. conforme pour le texte à l’édition officielle, Aux
ème

archives du droit français, 1808, p. 317 : “Dans le Code, tel qu’il vous
sera soumis, tout commerçant, tout agent du commerce trouvera
l’ensemble de la législation à laquelle sa profession l’assujettit”.

4 J.-M. CARBASSE, Introduction historique au droit, 2ème éd., PUF, 1999,


n  208.
o
5 Sur ce point, v. L. LEVENEUR, “Code civil, Code de commerce et Code
de la consommation”, Le code de commerce 1807-2007, Livre du
bicentenaire, Dalloz, 2007, p. 81, sp. n  2.
o

6 E. THALLER, op. cit., p. 226.

7 F. POLLAUD-DULIAN, “Du droit commun au droit spécial – et


retour”, Mélanges Yves Guyon, Dalloz, 2003, p. 925.

8 E. THALLER, op. cit., p. 226.

9 C. LYON-CAEN, “De l’influence du droit commercial sur le droit civil


depuis 1804”, Le code civil, Livre du centenaire, 1904, p. 207, sp.
p. 208.

10 V. Ph. le TOURNEAU, “Les critères de la qualité de


professionnel”, LPA, 12 sept. 2005, p. 4.

11 M. GERMAIN, “Le Code civil et le droit commercial”, Le code civil, un


passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 639.

12 P. DIDIER et Ph. DIDIER, Droit commercial, t. 1, “Introduction


Générale, L’entreprise commerciale”, Economica, 2005, n  110 et s.
os

13 J. ESCARRA, “A propos de la révision du Code de


commerce”, RTD com., 1948, p. 3.

14 G. RIPERT, “La commercialisation du droit civil français”, Mélanges


Maurovic, 1934, Belgrade, p. 269.

15 M. GERMAIN, op. cit., pp. 650 s.

16 M. GERMAIN, op. cit., p. 652.

17 F. POLLAUD-DULIAN, De quelques avatars de la responsabilité civile


dans le droit des affaires, RTD com., 1997, p. 349, p. 361.

18 En ce sens J.-F. BARBIERI, note sous Cass. com., 9 mai 2001, Bull.
Joly, 2001, p. 1021, sp. n  2 ; comp. E. SCHOLASTIQUE, Le devoir de
o
diligence des administrateurs de sociétés, thèse, LGDJ, Bib. dr. privé,
t. 302, 1998, n  256, p. 147 et n  267, p. 154.
o o

19 Voir Cass. com., 27 janv. 1998, D., 1998, jur., p. 605, note D.


GIBIRILA, Bull. Joly, 1998, p. 535, note P. Le CANNU ; Cass. com., 28
avril 1998, JCP E, 1998, p. 1258, note Y. GUYON, JCP G., 1998, II,
10177, note D. OHL ; Cass. com., 20 oct. 1998, Bull. Joly, 1999, p. 88,
note J.-F. BARBIERI, Dalloz Affaires, 1999, p. 41, note V. A.-R., D.,
1999, jur. p. 639, note M.-H. de LAENDER ; Cass. com., 12 janv.
1999, Bull. Joly 1999, p. 812, note B. SAINTOURENS; Cass. civ. 3 , 17 ème

mars 1999, RJDA, 1999, n  688, Bull. Joly, 1999, p. 807, RTD com.,


o

1999, p. 691, obs. M.-H. MONSERIE-BON; Cass. civ. 3 , 4 avr.


ème

2001, Dr. soc., 2001, comm. n 102, obs. D. VIDAL, AJDI, 2002, p. 60,


o

obs. D. TOMASIN; Cass. com. 9 mai 2001, Dr. soc., 2001, comm.


n  146, obs. D. VIDAL, Bull. Joly, 2001, p. 1020, note J.-F. BARBIERI;
o

Cass. com., 22 mai 2001, Dr. soc., 2001, comm. n  146, obs. D.


o

VIDAL, Bull. Joly, 2001, p. 995, note J.-F. BARBIERI ; Cass. com., 19 juin
2001, Bull. Joly, 2001, p. 1093, note B. SAINTOURENS; Cass. com., 18
déc. 2001, Dr. soc., 2002, comm., n  68, obs. D. VIDAL, JCP G., 2002, I,
o

151, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.

20 V., pourtant, C. A. Versailles, 17 janv. 2002, Bull. Joly 2002, p. 515,


note J.-F. BARBIERI.

21 Cass. com., 20 mai 2003, Bull. civ., IV, no 84; Bull. Joly, 2003,


p. 786, § 167, note H. Le NABASQUE ; Rev. Sociétés, 2003, p. 479,
note. J.-F. BARBIERI.

22 J.-L. NAVARRO, “Suggestions pour une amélioration des régimes de


responsabilité civile des dirigeants sociaux”, LPA, 2 août 2007, p. 39.

23 Par ex. Cass. crim., 7 sept. 2004, RJDA, 2005/2, p. 122, no 141.

24 B. SAINTOURENS, note sous Cass. com., 12 janv. 1999, Bull. Joly,


1999, p. 813.
25 Cass. com., 20 juin 2006, LPA, 22 nov. 2006, p. 18, note J.-F.
BARBIERI.

26 Cass. civ. 3e, 4 janv. 2006, D., 2006, p. 231, obs. A. LIENHARD.

27 A. JAUFFRET, “L’extension du droit commercial à des activités


traditionnellement civiles”, Études offertes à Pierre Kayser, t. 2, PU
d’Aix-Marseille, 1979, p. 59.

28 J. HAMEL, “Droit civil et droit commercial en 1950”, Le Droit privé


français au milieu du XX   siècle, Mélanges offerts à Georges Ripert,
e

t. 2, p. 262, sp. p. 265.

29 A. JAUFFRET, op. cit., loc. cit.

30 G. RIPERT, op. cit., p. 280.

31 C. com. art. L. 110-1 2°.

32 Cass. com., 5 déc. 2006, D., 2007, p. 89.

33 Cass. com., 10 juillet 2007, Bull. Joly, 1er nov. 2007, p. 1242, note


D. PORRACHIA.

34http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_publications_docume
ntation_2/actualite_jurisprudence_21/chambre_commerciale_financier
e_economique_574/arrets_575/arret_no_10619.html

35 C. LYON-CAEN, op. cit.

36 Cass. req., 23 févr. 1891, DP, 1891, 1, p. 337 ; S. 1892, 1, p. 73,


note E. MEYNIAL.

37 C. JARROSSON, “Le nouvel essor de la clause compromissoire après


la loi du 15 mai 2001”, JCP G, 2001, I, 333.

38 E. RICHARD (dir.), Droit des affaires, Questions actuelles et


perspectives historiques, PUR, coll. Didact droit, 2005, n  142.
o

39 Loi du 13 juillet 1967, art. 1er.


40 Ph. PETEL, Loi no 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des
entreprises et décret n  2005-1677 du 28 décembre 2005. “Le
o

nouveau droit des entreprises en difficulté”, Juris-Classeur


Commercial, Fasc. 2151, n  9.
o

41 V. par ex. H. CABRILLAC, “L’agriculture et le droit commercial”, Le


Droit privé français au milieu du XX   siècle, Mélanges offerts à Georges
e

Ripert, t. 2, p. 272.

42 V. E. RICHARD (dir.), op. cit., no 1217.

43 Pensons, par exemple, à la loi du 2 août 2005 codifiée aux articles


L. 121-4 et suivants qui visent désormais “le conjoint du chef d’une
entreprise artisanale, commerciale ou libérale” ou à l’article L. 410-1
du Code de commerce qui dispose que les règles relatives à la liberté
des prix et à la concurrence “s’appliquent à toutes les activités de
production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le
fait de personnes publiques”.

44 V. J.-P. MARTY, “La distinction du droit civil et du droit commercial


dans la législation contemporaine”, RTD com., 1981, p. 681, sp.
p. 687.

45 Art. 1384 : “Les actions en responsabilité civile se prescrivent par


dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son
aggravation, sans égard, en cas de dommage corporel, à la date de la
consolidation”.

46 Le texte propose que la durée de la prescription extinctive de droit


commun soit fixée à 5 ans pour les actions personnelles ou mobilières
(art. 1 , mod. art. 2224 C. civ.), ainsi que pour les obligations nées à
er

l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçant


et non-commerçant, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions
spéciales plus courtes (art. 7, mod. art. L. 110-4 C. com.).

47 Ph. JESTAZ, RTD civ., 1978, p. 440.


48 Y. CHARTIER, “La société dans le Code civil après la loi du 4 janvier
1978”, JCP G, 1978, I, 2917, n  36.
o

49 V. P. DIDIER, “Le droit commercial au tournant du siècle”, Clés pour


le siècle, Paris, 2000, p. 465, sp. p. 471.

50 V. C. GAVALDA, “La cession et le nantissement à un banquier des


créances professionnelles (loi n  81-1 du 2 janvier 1981)”, D., 1981,
o

chr. p. 199, sp. n  7 s.


os

51 D. SCHMIDT et Ph. GRAMLING, “La loi no 81-1 du 2 janvier 1981


facilitant le crédit aux entreprises”, D., 1981, chr. p. 217, sp. n  2.
o

52 Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la


prescription, p. 59.

53 Art. 1257-1.

54 Cass. com., 19 déc. 2006, no 05-16. 395, Juris-Data no 2006-


036663 ; JCP E, 2007, 1131, rapport M. Cohen-Branche, note D.
LEGEAIS ; et, sur la question, v. F. AUCKENTHALER, “Cession de créance
en garantie : le serpent de mer se déchaîne”, JCP E, 2007, 2187.

55 Art. 1253 et s.

56 V. D. KRAJESKI, “Un pas vers la libéralisation en agriculture, À


propos de la LOA du 5 janvier 2006”, JCP G, 2006, I, 154, n  7.o

57 Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, D., 2001, p. 2295, note Y. SERRA.

58 F. TERRE, Introduction générale au droit, Dalloz, coll. Précis, no 86.

59 Cass. 1re civ., 10 juil. 2001, Bull. civ. I, no 210.

60 Ph. PETEL, “La procédure de rétablissement personnel et les


procédures collectives du Code de commerce”, Contrats conc.
consom. 2005, 15, sp. n  7.o

61 M. CABRILLAC, “Vers la disparition du droit commercial”, Écrits en


hommage à J. Foyer, PUF, 1997, p. 329, sp. p. 332.
62 D. TALLON, “Réflexions comparatives sur la distinction du droit civil
et du droit commercial”, Etudes Jauffret, Aix, 1974, p. 649.

63 C. LYON-CAEN, op. cit., p. 218 s., et plus généralement sur


l’évolution de cette idée, P. DIDIER et Ph. DIDIER, op. cit., n  113. o

AUTEUR
Matthieu Poumarède
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, Centre de Droit privé, UT1)

Le droit public français sous


influence : du commerce à la
finance
Lucien  Rapp

p. 127-155

INTRODUCTION
1“Les nations ont un droit public, avant que d’avoir des lois
civiles”.
 1 Dont le texte est reproduit JCP, Ed générale, no 13, 24 mars 2004,
Etude I, 122, p. 554.

2Portalis s’offusquera-t-il que l’on utilise, à quelques siècles de


distance, l’une des formules magnifiques qui parsèment l’exposé
des motifs de la Loi relative à la réunion des lois civiles en un
seul corps, sous le titre de Code civil des français1.
3L’année de la célébration de ce bicentenaire, il n’est pas exclu de
penser que les nations ont eu un droit public, avant que d’avoir
des lois commerciales. Et sans prétendre jouer les Cassandre, l’on
peut ajouter qu’elles en auront un, après.
4L’anticipation peut en être faite, beaucoup moins parce que la
stabilité des institutions publiques est la première des conditions
du commerce, que parce que le droit public a révélé une plasticité
à toute épreuve.
5Jugeons en plutôt.
6Le droit public de Portalis, c’est celui des institutions publiques,
au sens de l’édifice constitutionnel de la France, sans lequel il n’y
a pas de sécurité juridique et par conséquent, pas de confiance,
consubstantielle à l’activité commerciale. Ce droit-là a passé de
mode, s’il reste d’actualité, sans quoi l’on ne réfléchirait pas, une
fois de plus, à la modernisation de nos pratiques politiques.
7Le droit public que l’on apprenait dans cette Université à la fin
du siècle précédent, c’était encore le droit de la puissance
publique :
 né de l’organisation de la nation en temps de guerre ;

 2 Notamment, en temps de guerre, CE 28 juin 1918, Heyriès, Rec.,
p. 651 ; S.1922. 3. p. 49, note HAU (...)

s’offrant quelques incartades avec la légalité, sous couvert de


circonstances exceptionnelles2 ;

 3 A commencer par celui de son juge, TC 8 février 1873,
Blanco, Rec., 1  supplément, p. 61, concl. D (...)
er

très attentif aux prérogatives exorbitantes du droit public et aux


privilèges de l’administration3 ;

 4 Sur ces éléments, vois notamment nos développements, Les
filiales des entreprises publiques, LGDJ, (...)

dirigiste et protectionniste en économie : les nationalisations, le


Plan, le contrôle des changes ou des prix, l’impératif industriel 4.
 5 Pour une définition et quelques éléments de réflexion sur ses
caractères, voir not. Lamy, “Droit pu (...)
8Certes, le droit public fait encore une place à la puissance
publique, mais celle-ci n’est plus exclusive, ni même importante.
Le droit public que l’on enseigne aujourd’hui, c’est un droit
nouveau, le droit des réglementations publiques que l’on appelle
encore “droit public des affaires”5 : l’encadrement du marché, les
organes de régulation, la protection du consommateur ou de
l’environnement, les installations classées et l’urbanisme
commercial, le régime des investissements étrangers, les
partenariats public-privé que l’on aurait tort de limiter aux seules
conventions de l’Ordonnance du 17 juin 2004 (marchés,
délégations de service public, baux emphytéotiques), les aides
d’Etat, le droit public de la concurrence. Les abandons de
souveraineté consécutifs à l’appartenance européenne, le
mouvement de mondialisation, le recul de l’influence de la vie des
affaires française au profit de cultures et de pratiques venues
d’outre-manche ou d’outre atlantique ont singulièrement réduit
les ambitions de ce droit-là.
 6 Amorcé par le désormais célèbre arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat
rendu dans l’affaire “Nicolo”, (...)

 7 Dont le point de départ est l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, le 3


novembre 1997, CE 3 novembre (...)

9En quelques années, il aura intégré deux révolutions majeures,


qui ont pour nom : “contrôle de conventionnalité” 6 et “contrôle de
concurrentialité”7 : l’administration doit apprendre à veiller à la
conformité de ses pratiques aux engagements internationaux de
la France ; elle doit, plus encore, s’appliquer, à elle-même, les
règles du marché, par exemple, en mettant en œuvre, plus
systématiquement qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, préalablement à
l’édiction de ses actes ou à la conduite de ses actions, des
procédures objectives, transparentes et non discriminatoires,
respectueuses du principe d’égale concurrence.
10Droit souverain, un tantinet arrogant, le voilà, pour la première
fois de son histoire, sous influence…
 8 CE Ass. 26 octobre 2001, Ternon, Rec., p. 97, concl. SENERS.

 9 CE Sect. 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du


gaz des Alpes Maritimes et (...)

 10 CE Ass. 16 juillet 2007, Sté Tropic travaux signalisation, RFDA, 2007,


p. 696, concl. CASAS.

11La révolution est si forte et le droit public, si différent


aujourd’hui que le Conseil d’Etat, qui fût pourtant la “fabrique” de
ses règles, n’existe plus que par les revirements – parfois
déchirants – qu’il ne cesse d’imposer à ses jurisprudences les
mieux établies. Avant-hier, c’était les conditions du retrait d’un
acte administratif8. Hier, on constatait l’abandon pur et simple du
principe de l’intangibilité des ouvrages publics9. Aujourd’hui, ou
plus exactement, depuis le 16 juillet 2007 10, voici le droit – au
demeurant historique – des tiers évincés d’une procédure de mise
en concurrence préalable à la conclusion d’un contrat public, à
saisir le juge du contrat. Ils n’avaient accès jusqu’alors qu’au juge
de l’excès de pouvoir.
 11 Jean-Bernard AUBY, “Contentieux contractuels et revirements de
jurisprudence”, Droit administratif, (...)

12A défaut de pouvoir tenir les colonnes de ce temple juridique


qui s’écroule, le Conseil d’Etat s’active 11 au grand dam des
opérateurs économiques. Ceux-là s’inquiètent, à juste titre, de la
modulation des effets de ses décisions dans le temps. Il s’agit là
d’un autre grand sujet, sur lequel il faudra s’attendre dans les
mois ou les années qui viennent, à quelques nouveautés
intéressantes.
13Voilà donc un droit prétendument évolué, qui évolue… Comme
le droit commercial et son Code, le Code de 2007 n’ayant que
peu de points communs avec celui de 1807.
14C’est un trait qui les rapproche et qu’il est intéressant de
grossir. Non pour entamer, une nouvelle fois, le sempiternel
débat du rapport du droit au temps ou de l’adaptation, toujours
délicate, des règles à l’évolution des faits sociaux ; que pour
prolonger le mouvement qui se dessine autour de trois mots et
expressions. Ils racontent une histoire et pour tout dire,
l’Histoire, celle du capitalisme :
15Commercialité, pour Capitalisme commercial ;
16Concurrence, pour Capitalisme concurrentiel ;
17Financiarisation, pour Capitalisme financier.
18Assurément, le droit public a fait sa révolution commerciale,
retrouvant le Code de commerce dans plusieurs de ses
domaines : les dispositions des articles L410-1 en portent le
témoignage, qui soumettent aux dispositions du Code, les actes
de production, de distribution et de services des personnes
publiques, notamment dans le cadre de conventions de
délégation de service public (I). Au cours des dernières années,
l’un et l’autre ont intégré la dimension de la concurrence et de
son droit. Ils l’ont fait par des chemins différents, mais qui
parfois, se sont croisés au détour d’une loi : la loi relative aux
nouvelles régulations économiques en est un exemple
significatif : (II). L’avenir de ces deux disciplines juridiques et de
leurs corps de règles respectives tient désormais en une
question : comment surmonteront-ils le défi de
la financiarisation de l’activité économique (III) ?
I – DROIT PUBLIC, CODE DE
COMMERCE ET CAPITALISME
COMMERCIAL
19Le capitalisme fut d’abord commercial. Il était jusqu’alors
essentiellement industriel. C’est précisément l’une des
révolutions les plus importantes de cinquante dernières années,
que le passage d’une économie dominée par des conglomérats
industriels à celui d’une économie, qui fait une large place au
commerce des services. Le droit commercial était plus
naturellement que le droit public, porté en fixer les règles. Il est
donc normal que le Code de commerce ait précédé le Code
administratif. Mais ce dernier a largement rattrapé son retard, au
cours du dernier quart de siècle, allant au-delà de ce qui semblait
possible, puisqu’il est tout simplement passé de la
réglementation des actes de commerce (A) à la généralisation du
commerce des actes de l’Administration (B).

A – Les personnes publiques et les actes du


commerce
 12 Code de commerce, Article L110-1.

20Les actes de commerce revêtent, comme on sait, une


importance particulière en droit commercial, puisqu’ils identifient
le commerçant12. Il était donc naturel que le Code de commerce
en fixe le régime juridique. Le droit public avait à résoudre deux
problèmes majeurs : celui des relations des personnes publiques
avec les commerçants et celui des personnes publiques
commerçantes.
1) Les personnes publiques et les commerçants
21Parce qu’il a vocation à encadrer le marché, au-delà des règles
du Code de Commerce, le droit public a pour mission de fixer les
conditions d’accès aux places et aux professions du marché.

a) L’accès aux places de marché


 13 Il n’est pas jusqu’à la réglementation des marchés publics, qui, jusqu’à
il y a peu consacrait l’ex (...)

22Il y a encore quelques années, les places de marché étaient


comptées. De nombreux secteurs d’activité restaient sous le
contrôle de la puissance publique, quand ils n’étaient pas parfois
exclus du champ d’activité des intérêts privés. La raison en était
souvent liée au fait que ces activités étaient essentielles à
l’exercice de la souveraineté de l’Etat et à son emprise, jugée
nécessaire, sur l’économie13.
 14 Allant dans certains secteurs, comme celui de la pêche par exemple,
jusqu’à la reconnaissance de co (...)

 15 G. ISAAC et M. BLANQUET, Droit communautaire général, Masson,


2005.

23L’ouverture des frontières consécutives aux engagements


européens et plus encore, les abandons de souveraineté 14, scellés
par le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit
national15, ont eu raison des dernières résistances nationales.
 16 Le juge administratif ayant toujours estimé qu’il ne lui appartient pas
d’exercer un contrôle de co (...)

 17 CE 15 mars 1972, Dame Veuve Sadok Ali, Rec., p. 213.

 18 Sur ces décisions, voir notamment M. GAUTIER et F. MELLERAY, “Le


Conseil d’Etat et l’Europe : fin d (...)
 19 Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, n o 2004-496, DC, Loi pour la
confiance dans l’économie numér (...)

24L’une des moindres n’était pas cette théorie de la loi écran 16,
qui permettait au Conseil d’Etat de construire tout un édifice
juridique à l’abri des lois nationales et de valider la légalité de
textes profondément contraires non seulement à la lettre, mais
plus encore à l’esprit du droit communautaire. Cette théorie a
progressivement cédé17, le Conseil reconnaissant par étape la
force contraignante du droit communautaire, jusqu’à se faire
juge, au cours de l’année 2007, en deux décisions Arcelor et
Gardedieu, de son respect par l’administration 18. Il aura bénéficié
de l’apport du Conseil constitutionnel, qui s’est reconnu et pour
ainsi dire, “forgé”, une nouvelle prérogative : celle de contrôler les
erreurs manifestes commises par le législateur dans la
transposition du droit communautaire en droit national 19.
25Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le périmètre des secteurs
protégés – un temps, appelés, de manière très significative, dans
la terminologie des marchés publics, “secteurs exclus”– se soit
considérablement réduit, au cours des dernières années. Ont ainsi
progressivement disparu au profit de règles de marché, le
monopole du transport aérien (1993-97), celui des
télécommunications (1998), celui du transport ferroviaire (2005),
du gaz et de l’électricité (2007) et sans doute demain, celui de la
poste (2011). Ce sont de nouvelles places de marché qui se
constituent, ouvertes à l’initiative privée, en un processus, que
l’on connaît bien et qui conduit de la régulation sectorielle (sorte
de législation d’exception, nécessairement temporaire) à
la régulation concurrentielle. Elle marque le stade ultime de la
banalisation d’un secteur d’activité par l’assimilation de son
régime juridique au droit commun.
26Les règles du Code de Commerce sont alors substituées à
celles du droit public. L’organe de régulation constatant que les
asymétries de marché ont disparu au profit d’une situation de
concurrence pleine et entière, cède sa place au tribunal de
commerce. Ce passage de relais est parfait, encore qu’en fait de
comparaison sportive, l’actualité de la Coupe du monde de rugby
invite à parler plus simplement de “passe”, “croisée” ou “sautée”,
comme on voudra.

b) L’accès aux professions du marché


 20 Lamy Droit public des affaires, 2008, no 1062 et suivants.

27Le régime de l’accès aux professions du marché a


généralement constitué un champ très important de déploiement
de l’influence de la puissance publique 20. Elle décidait alors
souverainement, décrivant par ses interventions, un espace
économique rangé en quatre types d’activités :
 des secteurs interdits à l’initiative privée, dont l’accès était
vérouillé par un régime d’interdictions, assorties de sanctions
pénales ;
 des secteurs dont l’accès était soumis à autorisation, avec des
procédures souvent dissuasives par leur longueur, leur incertitude
ou tout simplement, un régime de retrait ou d’abrogation des actes
administratifs, qui établissait la toute puissance de
l’administration ;
 des secteurs, relevant d’un régime de déclaration préalable ;
enfin,
 des secteurs “libres d’accès”.

28On l’a rappelé, les secteurs interdits ont quasiment disparu,


cependant que le régime actuel de l’activité commerciale se
partage entre régime de déclaration et régime de liberté,
l’autorisation n’étant qu’exceptionnelle. Et encore, cette dernière
ne subsiste-t-elle que tant que les recommandations de la
fameuse Directive Bolkenstein, libéralisant le secteur des services
sur le territoire communautaire et les conclusions de la
Commission dite “Commission Attali” n’ont pas été adoptées.
29L’évolution qui en résulte est d’autant plus intéressante à
analyser qu’elle décrit deux mouvements complémentaires :

 21 Voir Lamy Droit de l’Informatique et des Réseaux, 2008, n  2967
o

et suivants.

 22 Loi n  90-1170, JO, 30 décembre 1990, p. 16. 439.


o

 23 Loi n  96-659, JO.
o

 24 Loi n  2004-669, JO, 10 juillet 2004, p. 12. 485.


o

 25 Sur ce mouvement, voir notamment Lamy Droit de


l’Informatique et des Réseaux, op. cit.

horizontalement, celui qui épouse les contours d’une politique de


libéralisation par étape, du monopole à l’ouverture à la
concurrence ; le régime de la cryptographie21 en est un exemple
significatif, qui très longtemps, fût assimilé à celui du matériel de
guerre et que le législateur a progressivement ouvert à la
concurrence pour donner tout le confort nécessaire au
développement du commerce électronique, à la faveur de trois lois,
celles des 29 décembre 199022, 26 juillet 199623 et 9juillet 200424,
qui en moins de vingt ans, ont réduit à néant, un régime
d’interdiction, vieux de plus d’un siècle25 ;
 verticalement, celui qui introduit la préoccupation grandissante
de moralisation d’une activité commerciale, jusqu’alors laissée à la
libre initiative privée, notamment par l’obligation de constituer des
garanties complémentaires de solvabilité (cautions) ou de moralité
(casier judiciaire) ; il est intéressant d’observer que l’Etat passe
outre les ordres professionnels, qu’il avait un temps établi entre lui
et les opérateurs économiques concernés, au risque de contribuer à
la crise de la représentation, qui mine nos institutions.

2) Les personnes publiques commerçantes


30Si le détour du siècle est marqué par le recul des personnes
publiques commerçantes, l’innovation les concernant est leur
soumission aux règles du commerce. Elles se voient interdire
certains comportements, constitutifs de concurrence illégale,
cependant que tous leurs actes sont passés au crible de la
concurrence déloyale.

a) Personnes publiques commerçantes et concurrence


illégale
31En droit français, l’activité des personnes publiques
commerçantes s’inscrit dans le contexte d’une économie
d’essence libérale, dont le principe est l’initiative privée et
l’exception, l’intervention publique.
 26 Dans le prolongement de la fameuse jurisprudence dite du “socialisme
municipal”, CE Sect. 30 mai 19 (...)

32C’est assurément ce qui explique la grande réticence des


juridictions à laisser les personnes publiques agir sans limites,
singulièrement lorsqu’elles se livrent à l’activité des
commerçants, au risque de particulariser le principe et d’en
généraliser l’exception26.
 27 Sur cette jurisprudence, voir not. Lamy Droit Public des Affaires, 2008,
n  1237 et suivants.
o

33Qu’il suffise ici de rappeler la vigilance dont elles font preuve à


l’égard des stratégies de diversification des établissements
publics industriels ou commerciaux27.
34Voilà bien des personnes morales, dont l’hybridité fait
l’originalité : leur nature publique ne fait pas mystère, cependant
que leur activité est assurément commerciale. On les qualifia jadis
de “chauves-souris”, par analogie à la fable d’Esope, qui inspira
notre bon La Fontaine.
 28 La loi du 2 juillet 1990 (loi no 90-568, JO, 8 juillet 1990, p. 8069) créé
une catégorie nouvelle d (...)

 29 CE 21 mars 1984, Mansuy, Rec., p. 616.

35Certes, avec la privatisation du statut de la plupart des grands


opérateurs nationaux de réseaux d’intérêt public, leur nombre
s’est réduit peu à peu. Mais les problèmes que soulève leur place
parmi les entreprises, n’en restent pas moins cruciaux. On en a
fait, pour les contenir autant que pour rassurer les opérateurs
privés, des personnes publiques spécialisées, sinon des
personnes spéciales28 ; mais une fois engagées dans leurs
opérations, elles n’ont souvent eu de cesse d’élargir le champ de
leurs compétences. N’ont-elles pas obtenu au fil du temps le
droit d’exproprier ou encore celui de revendiquer la qualité de
propriétaire de leurs dépendances domaniales29 ? Que l’on ne s’y
trompe pas : ces droits doivent s’entendre comme ceux d’exercer
des prérogatives de puissance publique, qui sont l’indice même
d’une personnalité morale de plein exercice.
36Peuvent-elles s’engager dans des stratégies de diversification ?
On aurait pu imaginer qu’elles le puissent. Après tout, qu’est-ce
qui distingue une holding publique en forme d’établissement
public industriel et commercial, comme l’était l’ERAP (Entreprise
de Recherches et d’Activités Pétrolières) en une époque, d’une
société commerciale, exerçant les mêmes fonctions. Pourtant, si
l’on admet la diversification d’un établissement public, c’est le
principe de spécialité des établissements publics qui est en cause
et au-delà de ce principe, la question plus générale, de la
compatibilité de leurs initiatives avec le principe de la liberté du
commerce et de l’industrie.
 30 Reproduit, RFDA, 1994, p. 1146.

37Dans un avis en date du 7 juillet 1994 30, l’assemblée générale


du Conseil général en a définitivement fixé les principes, en
définissant l’étendue du principe de spécialité des établissements
publics, en des termes particulièrement significatifs : “le principe
de spécialité qui s’applique à un établissement public signifie que
la personne morale dont la création a été justifiée par la mission
qui lui a été confiée, n’a pas de compétence générale au-delà de
cette mission. Il n’appartient pas à l’établissement d’entreprendre
des activités extérieures à cette mission ou de s’immiscer dans de
telles activités”.
38Toute initiative d’un établissement public industriel ou
commercial dans un secteur qui ne serait pas le complément
normal de sa mission statutaire, qui ne lui serait pas directement
utile ou ne serait pas servie par une nécessité d’intérêt général
encourt donc le risque de l’illégalité.

b) Personnes publiques commerçantes et concurrence


déloyale
39La question de la concurrence que les personnes publiques
commerçantes peuvent faire aux entreprises privées, se pose
désormais dans les termes du Code de commerce et plus
particulièrement, des dispositions de l’article L410-1.
40Ces dispositions énoncent en effet : “Les règles définies au
présent livre (De la liberté des prix et de la concurrence)
s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution
et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes
publiques, notamment dans le cadre de conventions de
délégation de service public”.
41On peut difficilement être plus clair. Ainsi ce ne sont pas les
personnes publiques, qui sont justiciables de ces dispositions,
mais leurs actes. Et encore, pas n’importe lesquels : ceux qui
concernent des activités de production, de distribution et de
services.
 31 TC 6 juin 1989, Préfet de la Région Ile de France, Préfet de Paris
c/Cour d’appel de Paris, SAEDE c (...)

42D’où cette “césure”, qui faillit devenir une “fracture” : elle fût à
l’origine d’un contentieux majeur, parce qu’il traversait les
compétences respectives des juridictions, entre des activités de
nature commerciale et celles qui relèvent de l’exercice de
prérogatives de puissance publique31. Quand une collectivité
publique choisit son cocontractant, par exemple son délégataire
de service public, accomplit-elle ou non un acte de commerce et
relève-t-elle à ce titre des dispositions précitées du Code de
commerce ? Quel juge saisir au cas de contentieux ?
 32 Voir note 32 ci-dessus.

 33 TC 18 octobre 1999, Aéroport de Paris et Air France c/TAT, CJEG,


2000 p. 18, concl. SCHWARTZ.

43Il fallut deux décisions déterminantes du Tribunal des conflits,


l’une dans la célèbre affaire Ville de Pamiers 32 et l’autre, à propos
d’Aéroport de Paris33, pour que l’on comprenne que si la
personne publique ne peut être assimilée à une entreprise, ses
actes ou ses comportements correspondent, en ce cas, à
l’exercice de prérogatives de puissance publiques, exonérées du
respect des règles de concurrence et relevant de la seule
compétence du juge administratif, au cas de contentieux. Dans
tous les autres cas, qu’il s’agisse ou non d’une mission de service
public, les règles du commerce et partant, de la concurrence sont
applicables. Le Conseil de concurrence peut en être saisi, au
même titre que les juridictions commerciales.
 34 Voir note 7 ci-dessus.

44Encore doit-on à la vérité de souligner, même si l’on y


reviendra dans les développements qui suivent, que pour les
actes de puissance publique, l’incorporation du Code de
commerce et notamment, du droit de la concurrence –par l’arrêt
Million et Marais du 3 novembre 199734– dans le bloc de légalité
à partir duquel le juge administratif apprécie la conformité des
actes de l’administration, a considérablement changé la situation.
Elle autorise désormais celui-ci à sanctionner les comportements
administratifs, qui sans être des actes de production, de
distribution ou de services, ont des incidences évidentes sur le
respect des règles du marché.

B – Les personnes publiques et le


commerce des actes
 35 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, p. 1094.

45Mais voilà que les personnes publiques ont découvert le


commerce de leurs actes. A la vérité, ce n’est pas un phénomène
nouveau que celui qui consiste pour deux personnes privées à
s’échanger à titre onéreux, un acte administratif nécessaire à
leurs fonds de commerce : les licences de taxi ou les
autorisations délivrées aux officines pharmaceutiques sont dans
le commerce depuis longtemps. Et elles s’échangent encore, en
quelque sorte au nez et à la barbe des personnes publiques qui
les ont émis et ferment les yeux sur les contreparties 35. Ce qui
est nouveau, c’est que la puissance publique prend en charge,
elle-même, le commerce de ses actes, contraignant l’analyste à
un délicat partage entre les actes des personnes publiques qui
sont hors du commerce et ceux qui en sont un objet.

1) Les actes des personnes publiques, hors du


commerce
46Il s’agit, à proprement parler, des actes de puissance publique.
Tantôt ils encadrent l’activité commerciale, au point de la
conditionner. Tantôt, ils la favorisent, en permettant son exercice.

a) Acte de puissance publique et commerce


 36 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, no 1247 et suivants.

47Les actes de puissance publique encadrent le commerce. C’est


la police économique, qui n’échappe pas, en dépit de la notion –
au demeurant controversée– d’ordre public économique, aux
principes fondateurs de la liberté du commerce et de l’industrie,
de la liberté d’entreprendre et partant, de la libre concurrence 36.
Mais en son sein, c’est surtout la police domaniale, un grand
nombre d’activités commerciales trouvant leur assise sur le
domaine public de l’Etat, de collectivités territoriales ou
d’établissements publics.
 37 Sur ce Code, voir nos observations, RFDA, 2004.

48Par les autorisations d’occupation temporaire qu’il délivre, le


propriétaire public commande en quelque sorte l’exercice de
l’activité commerciale, selon des règles qui font, depuis le mois
d’avril 2006, l’objet d’un nouveau Code que de nombreux
commerçants découvrent encore, le Code Général de la Propriété
des Personnes Publiques, “CG3P” dans le jargon administratif
désormais en usage37.
49Il en résulte un régime juridique hybride, qui a conduit
commercialistes et publicistes à revisiter les concepts les plus
traditionnels du Code de commerce. L’une des questions les plus
controversées est celle de la co-existence des notions de fonds
de commerce et d’occupation privative. Les termes en sont
connus : l’occupation privative du domaine public est, par nature,
précaire et révocable ; elle est donc incompatible avec la propriété
commerciale. Comment parler, dans ces conditions, de fonds de
commerce ?
 38 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, no 4833.

50La réponse à cette question se fait toujours attendre en dépit


de jurisprudences fiscales éparses38. Elle est considérablement
obscurcie par la façon dont elle est posée. Elle repose en effet sur
une confusion entretenue – à tort – entre le droit au bail et la
notion de fonds de commerce. Contrairement à ce que l’on a
parfois soutenu, il faut rappeler que le fonds de commerce n’est
pas un droit de nature immobilière ; c’est une universalité
mobilière. L’existence d’un fonds de commerce ne nécessite pas
de bail commercial ; elle est liée à l’existence – ou non – d’une
clientèle. La clientèle constitue, comme on le sait, l’élément
nécessaire et suffisant du fonds de commerce. Or, celle-ci doit
pouvoir exister sur le domaine public.
51Il en résulte que les notions de fonds de commerce et
d’occupation privative du domaine public ne sont peut-être pas
aussi incompatibles qu’on a bien voulu l’affirmer, le fonds de
commerce existant indépendamment du bénéfice du droit au bail
renouvelable et cessible.
 39 CA Amiens, 26 juin 1979, Revue Loyers, 1979, p. 455 ; RTD com.,
1979, p. 94, note DERUPPE.

52C’est à ces principes qu’il faut s’accrocher en dépit de


jurisprudences souvent contradictoires et parfois inattendues,
comme cet arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens par lequel il a été
jugé qu’un débit de boissons installé sur un hippodrome c’est-à-
dire sur une dépendance domaniale, n’avait pas de clientèle
personnelle39.

b) Acte de commerce et puissance publique


53C’est ici en sens inverse, la question du régime du commerçant
public qui est posée. Celui-ci, comme le commerçant privé, se
reconnaît aux actes qu’il accomplit : des actes de commerce.
54L’occupation du domaine public et d’une manière générale, sa
proximité avec la puissance publique, lui confèrent-elles un
statut particulier ?
 40 TC 6 juin 1989, SAEDE c/SA Lyonnaise des eaux et Ville de
Pamiers, D., 1990, jur., p. 418, note ISR (...)

55En aucune façon. Comme on l’a vu, l’article L410-1 du Code de


Commerce précité est là pour le confirmer, s’agissant des règles
de concurrence. Mais au-delà de ses dispositions, la
jurisprudence des tribunaux de commerce ou celle du Conseil de
la Concurrence confirment la soumission du commerçant
personne publique au régime commercial de droit commun, aussi
bien pour les questions de compétence ou de procédure –
notamment le régime de la preuve– que pour ce qui est du régime
général de son activité40.
 41 Voir supra.

56Faut-il rappeler le saut qualitatif –au demeurant considérable–


que les lois récentes de privatisation statutaire ont fait subir à nos
opérateurs nationaux de réseaux ou d’infrastructures d’intérêt
général ? En transformant l’ancienne Direction Générale des
Télécommunications en une personne morale de droit public
ayant le statut d’exploitant public, la loi du 2 juillet 1990 41 n’a
pas seulement mis un terme à la compétence du juge
administratif pour connaître des différends liés aux contrats
d’abonnement téléphonique. Elle a brutalement changé les
termes de la relation de l’abonné à l’administration, en
substituant un authentique contrat au statut légal et
réglementaire qui prévalait jusqu’alors. Depuis lors, les tribunaux
de commerce sont les juges naturels des contentieux
téléphoniques, notamment lorsqu’ils concernent des
commerçants, personnes physiques ou personnes morales, et
plus encore, les arbitres de différends opposant les opérateurs
téléphoniques entre eux sur un marché devenu libre et
concurrentiel.

2) Les actes des personnes, objets de commerce


57C’est là la nouveauté dont il faut bien mesurer la portée : en
quelques années, on est en effet passé du commerce des titres à
la “titrisation” des actes.

a) Du commerce des titres…


 42 Rec., p. 133.

58Qui se souvient encore de l’“insurrection” du Commissaire de


Gouvernement Bernard Chenot, dans ses conclusions sur l’arrêt
du 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier 42 ? Il y dénonçait
toute transaction sur une autorisation administrative comme “un
acte immoral” et “une manœuvre coupable”.
 43 RDP, 1965, p. 1051.

59Au milieu des années 60, Francine Batailler pouvait encore


dénoncer ceux qu’en une formule restée célèbre, elle appelât
“les beati possidentes du droit administratif”43. L’évolution
semblait déjà inexorable, qui a progressivement conduit du
principe de l’interdiction de vendre des autorisations
administratives à celui de la vénalité des actes administratifs.
60Certes toutes les autorisations délivrées par l’administration ne
sont pas susceptibles d’entrer dans le commerce. Il est admis que
seules les autorisations attributives de privilèges, comme le sont
les autorisations d’occupation temporaire du domaine public, les
licences de pharmacie ou de débits de boissons et de tabac, les
autorisations de transport routier de marchandises ou celles qui
permettent le stationnement pour l’exercice de la profession de
taxi ou celui des transports sanitaires, peuvent faire l’objet de
transactions entre personnes privées.
61Il n’empêche que l’on est allé assez loin dans ce domaine et
notamment, dans deux directions, qui révèlent l’ampleur du
mouvement depuis le milieu du XX  siècle :
e

 progressivement, l’idée s’impose qu’une autorisation


administrative peut avoir une valeur patrimoniale. Certes, toutes les
autorisations administratives ne figurent pas à l’actif des comptes
d’une entreprise, ne serait-ce que parce qu’elles sont précaires et
révocables. Mais cette précarité est souvent compensée par des
indemnités compensatrices qui, elles, ont une valeur patrimoniale. Il
est en effet toujours possible d’indemniser le fondateur d’une
activité soumise à autorisation, en compensant ses “peines et
soins”, que l’on appelle encore dans le jargon de la vie des affaires
internationales, le “good will” ;

 44 JO, 10 juillet 2004.

 45 B. CHENOT, Organisation économique de l’Etat, Dalloz, 1965.

au-delà de ce premier mouvement, c’est plus encore ce constat que


la puissance publique a pris le relais des personnes privées
organisant elle-même l’échange des titres d’autorisation. En ce
sens, la mise en place, sur le fondement de la loi du 9 juillet
200444, d’un véritable marché secondaire des fréquences
hertziennes, au sens de ce que l’on a pu appeler une bourse des
autorisations d’occuper l’espace hertzien, est significative d’une
évolution qui ne laisse indifférent ni le publiciste, ni le
commercialiste. Le législateur a eu beau border ces hypothèses, en
les réservant aux fréquences désignées par le Ministre chargé des
communications électroniques ; le Commissaire de Gouvernement
Chenot ne reconnaîtrait pas son Etat, celui qu’il décrivait avec
passion autant qu’avec précision, dans l’un des tout premiers
ouvrages de droit public économique45.

b) A la titrisation des actes


62Et que dirait le même Commissaire de Gouvernement Chenot
qui fut si prompt à dénoncer l’immoralité du commerce des actes
administratifs, à la découverte de ces nouvelles pratiques
administratives, qui incitent à la transformation d’une créance
publique en un titre financier ?
 46 JO, 19 juin 2004.

 47 Sur ces éléments, voir notamment, Dalloz Construction, 2007, V°


“Partenariats Publics Privés”, no 4 (...)

63L’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux conventions de


partenariat46est tout entière construite sur la mise en place des
garanties juridiques qui permettent la “bancabilité” de sa créance
auprès d’une institution financière. A la manière de l’effet de
commerce, le rapport fondamental de la convention de
partenariat est progressivement purgé de ses exceptions.
L’ordonnance est conçue pour permettre une réception anticipée
et si possible sans réserve, des ouvrages construits et le paiement
des prestations fournies47.
 48 JOUE, 25 octobre 2003, no L275.

 49 JO, 17 avril 2004.

64Mieux et plus surprenant encore : l’apparition d’autorisations


administratives qui sont, en quelque sorte, par nature,
d’authentiques titres financiers appelés à être cédés. Le protocole
de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur le
changement climatique a donné lieu en Europe, via la Directive du
Parlement et du Conseil n   2003/87/CE48 à un système
o

d’échange des quotas d’émission des gaz à effet de serre qui


repose sur des permis d’émission négociables. Dans ce
prolongement, la France a transposé la directive par
une ordonnance n   2004-330 du 15 avril 200449 dont les
o

dispositions figurent dans le Code de l’environnement. Elles


décrivent un authentique instrument de commerce, que le Code
de commerce aurait pu accueillir. Les certificats émis sont en effet
appelés à circuler, les industries polluantes se les procurant
auprès de celles qui le sont moins.

II – DROIT PUBLIC, CODE DE


COMMERCE ET CAPITALISME
CONCURRENTIEL
 50 Articles L420-1 et suivants.

65L’une des mutations les plus frappantes du capitalisme de la fin


du XX siècle est assurément le surgissement des lois du marché
e

au centre de ses préoccupations. Dans ce contexte, ni le Code de


Commerce, ni le Droit public ne pouvaient ignorer cette discipline
juridique, encore timide au début des années 80 et qui s’est
progressivement imposée comme une discipline majeure au cours
des années 90 : le droit de la concurrence. Ils ont, l’un et l’autre,
cherché à l’assimiler : le premier – le Code de Commerce – en
englobant le droit de la concurrence dans l’ensemble de ses
dispositions50, de telle sorte que le spécialiste du droit de la
concurrence est nécessairement aujourd’hui un familier du Code
de Commerce ; le second, le Droit public, en créant, de toutes
pièces, une nouvelle spécialité, le droit public de la concurrence
qui n’est pas seulement le droit des institutions publiques
chargées du respect des règles du marché, mais qui est aussi le
droit de la concurrence appliquée aux personnes publiques. Il y a
là, s’agissant du Droit public, un mouvement fécond qui conduit,
en permanence, du Droit public, à la concurrence et de la
concurrence, au Droit public.

A – Le Droit public et la concurrence


66Le développement d’un droit de la concurrence a poussé les
publicistes à revisiter leurs propres concepts. C’est d’abord la
nécessité d’intégrer la préoccupation de la concurrence dans le
comportement des personnes publiques, mais c’est surtout
ensuite l’application de la concurrence aux personnes publiques.

1) La préoccupation de la concurrence (chez les


personnes publiques)
67Cette préoccupation est très actuelle et pour ainsi dire,
déterminante de la part des personnes publiques. On la retrouve
dans les procédures publiques, aussi bien que dans les
régulations publiques.

a) Dans les procédures publiques


68S’il est un principe qui traverse toute l’évolution du droit des
marchés publics, dont le dernier état est fixé par le Code du
1   août 2006, c’est bien celui d’égale concurrence. Il s’agit à la
er

vérité d’un principe bi-front, comme le Dieu Janus de l’Antiquité.


Il recouvre en effet la double obligation d’une mise en
concurrence préalable à la conclusion d’un marché et du respect
d’une égalité stricte entre les candidats.
 51 Rec. CJCE, I, p. 10. 745.
69Il dépasse le cadre étroit du droit des marchés publics et même
du droit national français, pour constituer une manière de
principe général du droit communautaire découlant de ce que la
Cour de Justice des Communautés Européennes, dans le fameux
arrêt TeleAustria du 7 décembre 200051, n’a pas hésité à qualifier
“d’obligation de transparence”.
 52 Décision no 2003-473 DC, Droit administratif, octobre 2003, p. 20.

70Inscrit à l’article 1  du Code des Marchés Publics du 1  août


er er

2006, il a valeur constitutionnelle, comme l’a jugé le Conseil


Constitutionnel dans sa décision du 26 juin 200352.
71Il est devenu une règle qui, comme telle, est assortie de
sanctions administratives avec le risque d’annulation des
procédures conduites au mépris du principe d’égale concurrence,
mais plus encore, de sanctions pénales avec le désormais fameux
“délit d’octroi d’avantages injustifiés” encore appelé “délit de
favoritisme” prévu à l’article 432-14 du Code Pénal.
72Ce délit est d’autant plus redoutable que son champ est
considérable et que la question de sa nature de délit intentionnel
peut être posée, au vu d’une jurisprudence qui lamine
progressivement l’élément intentionnel au profit de ses éléments
matériels. Or ces éléments sont eux-mêmes définis en termes
très généraux : “des actes contraires aux dispositions
administratives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la
liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics
et les délégations de service public”.

b) Dans les régulations publiques


73La préoccupation de la concurrence est à ce point présente
dans l’action administrative qu’elle déborde le cadre traditionnel
des activités de l’administration pour englober celle de ses
autorités de marché investies de pouvoirs de régulation.
74Faut-il rappeler que depuis 2002, l’Autorité de Régulation des
Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) est investie
d’une mission relativement nouvelle par rapport à l’activité
traditionnelle des administrations, celle d’apprécier les positions
relatives des différents opérateurs économiques sur des marchés
pertinents, que la Commission des Communautés européennes a
identifiés ? Ils sont au nombre de 18, ces marchés.
75Ce travail implique la mobilisation de compétences techniques
et une mesure d’autant plus précise qu’au-delà de l’identification
des contours de ces marchés et de la position relative des
différents opérateurs, c’est toute la question de la régulation
sectorielle qui est posée : celle qui conduit à charger les
opérateurs reconnus comme “puissants” d’obligations
spécifiques, pour corriger les asymétries de marché et rétablir un
minimum de concurrence. Et cela, en faisant en sorte de
continuer à les inciter à investir et en protégeant les marchés
émergents, correspondant à des technologies en devenir.
76Ce que l’on observe dans le secteur des communications
électroniques gagnera progressivement le secteur de l’énergie
ouvert à la concurrence depuis le 1  juillet dernier. Il appelle déjà
er

une cartographie précise de différents marchés.


77Au-delà de ce premier ensemble de considérations, c’est un
remodelage général des relations entre autorités nationales et
Commission Européenne qui se profile. Il n’est pas indifférent
d’observer, de ce point de vue, que la Commissaire chargée du
secteur de l’information a annoncé, dans le cadre de la révision
du Paquet Télécoms du 7 mars 2002, sa volonté de mettre en
place un niveau de régulation européenne. On peut penser que
demain, il ne se limitera pas seulement au secteur de la
communication électronique, mais embrassera l’ensemble des
secteurs réglementés du transport à l’électricité.
2) L’application de la concurrence (aux
personnes publiques)
78Dans le contexte précédemment décrit, il était inévitable que
les personnes publiques elles-mêmes ne puissent échapper à
l’emprise du droit de la concurrence et à la contrainte des lois du
marché. Qu’il s’agisse de personnes publiques marchandes, mais
également de personnes publiques non marchandes.

a) Aux personnes publiques marchandes


79Dès lors qu’une personne publique entend se comporter
comme un acteur de marché, il est naturel et pour ainsi dire
conforme aux lois du marché, qu’elle s’y soumette totalement.
80A ce petit jeu, les personnes publiques marchandes –
établissements ou entreprises publiques– ont su tirer leurs cartes,
en obtenant qu’elles n’aient pas plus de droits que les autres
commerçants, mais qu’elles n’en aient pas moins qu’eux, non
plus.
81Au-delà des dispositions précitées de l’article L410-1 du Code
de Commerce, il est ainsi significatif d’observer la jurisprudence
relative aux conditions de la candidature de personnes publiques
aux procédures de marchés publics. La jurisprudence ne s’est pas
seulement attachée au respect du principe de l’égale concurrence
au sens où les personnes publiques ne devraient pas disposer
d’avantages particuliers par rapport à leurs concurrents,
personnes privées ; elle s’est efforcée de rétablir l’égalité à leur
profit, en refusant de les exclure des procédures de marchés,
lorsqu’elles pouvaient être candidates.
82Cet équilibre est tout à fait significatif du rapport des
personnes publiques marchandes au droit de la concurrence :
elles en sont les sujets au même titre que les autres opérateurs
économiques privés, rien que les sujets, mais tous les sujets.
b) Aux personnes publiques non marchandes
83Le droit de la concurrence s’est insinué dans les moindres
contours du fonctionnement des administrations, au point de
peser sur celles qui sont les plus éloignées du commerce des
biens et des services.
84Il en est notamment ainsi de cette théorie dite de l’“abus
automatique de position dominante”, inspiré de la jurisprudence
communautaire, mais dont le juge national français a, lui-même,
fait une application opportune. Elle conduit à la condamnation de
textes réglementaires ou de décisions individuelles qui placent
une entreprise dans une situation telle qu’elle sera
automatiquement et nécessairement amenée à abuser de sa
position dominante. On mesure ici toute la particularité de cette
jurisprudence : elle conduit à appliquer le droit de la concurrence
à des actes ou des activités qui n’ont rien de marchand, puisqu’il
s’agit d’activités de réglementation. Et pourtant, on ne peut
ignorer qu’un privilège, une clause d’exclusivité, un avantage
justifié dans son contexte, peut avoir des effets anti-
concurrentiels, dès lors qu’il élimine la concurrence ou l’empêche
d’exister.
 53 Aff. C-41/90, Rec., CJCE, I, p. 1979.

85Dès le début des années 90, la Cour de Justice des


Communautés Européennes a anticipé les risques inhérents à ces
activités administratives. L’arrêt du 23 avril 1991 53 rendu dans
l’affaire Klaus Hoffner inaugure une jurisprudence relativement
nourrie sur le terrain de l’article 82 du Traité CE. Jurisprudence
que le Conseil d’Etat français a lui-même cru utile de relayer en
droit interne, dès le milieu de ces années 90, notamment par un
arrêt du 8 novembre 1996, Fédération Française des Sociétés
d’Assurance et Autres.
 54 AJDA, 1998, p. 362, concl. COMBREXELLE.
86L’Ordre des Avocats à la Cour de Paris en fit lui-même
l’expérience douloureuse à travers un arrêt du 17 décembre
199754 qui rejeta son recours à l’encontre du décret du 31 mai
1996 relatif aux services publics des bases de données
juridiques, au motif que ce décret conférait au concessionnaire,
une position dominante sur le marché mais n’avait pas pour effet
de le placer dans une situation dans laquelle il serait
automatiquement et nécessairement amené à abuser de sa
position dominante à l’encontre de ses éventuels concurrents.

B – La concurrence et le Droit public


87Peut-on dire que le ver du droit de la concurrence était dans le
fruit du Droit public ? Cela n’est pas exclu, car la réaction fut
immédiate : dans le même temps où le Code de Commerce
accueillait les dispositions du droit de la concurrence, le Droit
public faisait une place à une nouvelle spécialité en son sein, le
droit public de la concurrence. Son apparition est d’autant moins
fortuite, que ses modalités sont désormais établies.

1) L’apparition d’un droit public de la


concurrence
88Le droit public de la concurrence, ce n’est pas le droit de la
concurrence dans le droit public, à la manière dont les
dispositions des articles L420-1 et suivants du Code de
Commerce animent la flamme du droit de la concurrence en son
sein. C’est un ensemble de règles nouvelles, qui bouleversent
assez sensiblement les principes du droit public et plus
particulièrement, les méthodes du juge. Voilà ce dernier contraint
d’intégrer le droit de la concurrence au bloc de légalité et
d’exercer son contrôle des actes de l’administration avec sa
préoccupation constante.
a) Le droit de la concurrence et le bloc de légalité
89Il s’agit là de l’un des bouleversements majeurs de la
jurisprudence administrative de ces dernières années :
l’apparition du droit de la concurrence, au nombre des éléments
constitutifs du bloc de légalité, à partir duquel le juge
administratif apprécie la conformité des actes ou des activités de
l’administration.
90Cette révolution –car c’en est une– est le fait d’un arrêt précité
de l’Assemblée du Conseil d’Etat en date du 3 novembre 1997,
connu sous le nom de l’une de ses parties principales, la Société
Million et Marais. Le Conseil d’Etat y juge que le prix des marchés
de maîtrise d’œuvre ne doit pas avoir été établi par rapport à un
barème pré-établi anticoncurrentiel, mais conformément à
l’article 7 de l’Ordonnance du 1  décembre 1986, devenu l’article
er

L420-1 du Code de Commerce. Ce faisant, il a introduit


l’ordonnance –et désormais les dispositions du Code de
Commerce– dans le bloc de légalité, de telle sorte qu’à tout
instant, il peut se réserver la faculté d’apprécier leur conformité
au droit, en faisant usage de notions telles que l’équilibre du
marché, la sanction des abus de position dominante, les
pratiques concertées et autres ententes entre entreprises, l’égale
concurrence à laquelle on faisait plus haut référence.
 55 RFDA, 2006, p. 1048.

91A preuve, cet arrêt du Conseil d’Etat, en date du 31 mai 2006 55,
Ordre des Avocats au Barreau de Paris, qui fixe le standard du
Conseil d’Etat : “Les personnes publiques (en principe) sont
chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des
missions de service public dont elles sont investies et bénéficient
à cette fin de prérogatives de puissance publique. En outre, si
elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en
charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le
faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de
l’industrie que du droit de la concurrence ; à cet égard, pour
intervenir sur un marché elles doivent non seulement agir dans
les limites de leurs compétences, mais également justifier d’un
intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de
l’initiative privée ; une fois admise dans son principe, une telle
intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles
qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait
cette personne publique par rapport aux autres opérateurs
agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la
concurrence sur celui-ci”.

b) Le droit de la concurrence et le contrôle de la légalité


92L’été 2007 qui vient de s’achever, aura été le théâtre d’un
revirement jurisprudentiel exceptionnel par son ampleur et ses
conséquences. Ce revirement est la conséquence de l’évolution
précédemment décrite et notamment, de la préoccupation
grandissante du droit de la concurrence dans le contrôle de la
légalité des actes de l’administration.
93En effet, un arrêt précité d’Assemblée du 16 juillet 2007, rendu
dans une affaire mettant en cause la société Tropic Signalisations
Travaux a pour la première fois admis le droit des tiers évincés
d’une procédure de mise en concurrence préalable à la conclusion
d’un contrat public, de saisir le juge du contrat à l’effet d’obtenir
l’annulation du contrat passé en violation du principe d’égale
concurrence. Jusqu’alors, ces tiers évincés n’avaient d’autres
ressources que celles que leur offraient deux actions, au
demeurant très aléatoires :
 celle du référé pré-contractuel ou du référé-suspension, dont
l’objet était d’empêcher la signature du marché ou du contrat dont
la procédure de passation était entachée d’irrégularités grossières ;
en dépit de nombreux aménagements législatifs ou réglementaires,
et pour une part également de l’indulgence du juge à l’égard des
requérants, ces voies d’action n’étaient envisageables qu’à
supposer que le contrat n’ait pas été signé rapidement, la signature
prématurée d’une convention, même entâchée d’irrégularités
ruinant toute chance d’en empêcher l’exécution. A deux reprises, en
2004, puis en 2006, le Code des Marchés Publics a dû prévoir, sur
l’insistance de la Cour de Justice des Communautés européennes,
un délai d’au moins 10 jours entre le moment où l’éviction d’un
candidat lui est notifiée et celle où le marché est effectivement
signé ;
 celle du recours en annulation contre les actes détachables du
contrat, sous la forme de délibérations organisant sa signature ou
son exécution. Mais cette deuxième voie de droit impliquait une
très grande vigilance des concurrents évincés à l’égard de ces
décisions détachables. Surtout, elle n’aboutissait au mieux qu’à
l’annulation de la décision attaquée, avec dans le meilleur des cas,
l’injonction faite à l’administration de résilier la convention
concernée. Seules les parties au contrat avaient accès au juge du
contrat, fondé à en examiner la régularité et à prononcer sa
résiliation ; ce qui constituait assurément l’élément de sécurité
juridique pour les opérateurs économiques, mais qui semblait
difficilement compatible avec l’atmosphère précédemment décrite
ou la préoccupation de concurrence devient prédominante.

94Les tiers ont désormais accès au juge du contrat, sous la


double limite d’engager leur action dans le délai de deux mois
qui suit sa notification et de pouvoir revendiquer la qualité de
concurrent évincé d’une procédure irrégulière, ce qui implique
que le contrat ait été précédé d’une mise en concurrence
préalable de plusieurs candidats. Cette dernière restriction
conduit à s’interroger sur l’applicabilité de cette jurisprudence
aux conventions, qui ne sont plus très nombreuses, mais pour
lesquelles une procédure de mise en concurrence préalable n’est
pas obligatoire, tels que les contrats d’occupation privative du
domaine public.

2) Les modalités du droit public de la


concurrence
 56 L’entreprise publique et semi-publique et le droit privé, LGDJ, 1957,
tome 4.

95La nouvelle spécialité du droit public de la concurrence qui se


construit peu à peu se donne, au fil des décisions, de nouveaux
instruments. Ils témoignent de la perméabilité des disciplines
juridiques, notamment du Droit public et du droit commercial. Ce
n’est pas seulement la frontière du droit public et du droit privé
que l’on remet en cause ; ce sont pour reprendre une magnifique
formule de Jean-Denis Bredin, mais en l’inversant, de véritables
“chevauchées du droit privé dans les plaines du droit public” 56. En
témoignent parmi de nombreux autres exemples, l’évolution
récente du statut de l’occupant du domaine public et celle du
statut de l’usager du service public.

a) L’occupant du domaine public


96Le statut de l’occupant du domaine public est encore marqué
par le droit public ancien, pénétré des privilèges de
l’administration et de l’impératif de son statut dérogatoire au
droit commun. Certes, le régime qui lui est applicable, est encore
considérablement amoindri par l’obligation qui lui est faite
d’obtenir une autorisation d’occuper le domaine public,
autorisation par nature précaire et révocable. L’administration
peut mettre un terme au fondement juridique de l’activité
commerciale de tout occupant privatif exercée sur le domaine
public, pour un motif d’intérêt général. Plus encore, la convention
d’occupation privative d’une dépendance domaniale est le seul
contrat qui aujourd’hui n’est précédé d’aucune mise en
concurrence de plusieurs candidats, dans des conditions
objectives, transparentes et non discriminatoires.
97Tout cela est en train de changer rapidement. On ne veut pas
seulement ici faire référence à cet avis du Conseil de la
Concurrence en date du 21 octobre 2004, dans lequel, à propos
des “gratuits” et plus particulièrement, des emplacements qu’ils
occupent dans le métro parisien, le Conseil de la Concurrence a
émis le souhait que les conventions d’occupation domaniales
soient désormais assujetties au respect d’un minimum de
transparence, qui devrait impliquer la généralisation des
procédures de mise en concurrence préalables à ce type de
contrat.
98En attendant, et depuis lors, les collectivités publiques se
montrent très attentives à ne pas être prises en faute sur ce
terrain. Les infrastructures de communications électroniques
construites sur le fondement des dispositions de l’article L1425-1
du Code Général des Collectivités Territoriales donnent lieu à
publication d’un avis d’information préalable à la conclusion de
mise à disposition de fourreaux de télécommunications,
cependant que la Ville de Paris n’hésite plus à lancer des appels
d’offres pour l’occupation de ses différentes dépendances
domaniales, très récemment encore le haut de la Tour Effel pour
les équipements de relais des émissions diffusées par voie
hertzienne. Les collectivités territoriales savent toutes que leurs
décisions d’autorisation sont passibles de recours en annulation
devant les juridictions administratives, qui feront application des
règles de concurrence précédemment évoquées.
99Au-delà de ces considérations, comment ne pas évoquer les
nombreuses avancées récentes du statut de l’occupant, que
reflètent les dispositions nouvelles du Code Général de la
Propriété des Personnes Publiques :
 le droit d’usage et de passage ;
 le droit de superficie ;
 le droit réel ;
 le droit d’exercer une activité commerciale, impliquant comme
on le soulignait le pouvoir de revendiquer le bénéfice du régime des
fonds de commerce ;
 le droit d’indemnisation au cas de retrait de son autorisation, qui
fonde désormais des montages financiers de plus en plus élaborés.

b) L’usager du service public


100Comme l’occupant du domaine public, l’usager du service
public a obtenu la reconnaissance de droits, qui en font
désormais non plus un assujetti, mais un client, pour ne pas
écrire : un authentique consommateur.
101Voici le droit à la transparence du service, qui fonde
l’obligation d’information de la collectivité délégante par son
délégataire, conduit à la reddition régulière de ses comptes, y
compris sur la qualité du service et plus encore sur son prix,
introduit, dans le paysage institutionnel français, des organes
déterminants tels que le Haut Conseil du Service Public de l’Eau et
de l’Assainissement ou les Commissions consultatives des
services publics locaux.
102C’est encore le droit à une tarification d’après les coûts, qui
permet de sanctionner les clauses abusives, de dénoncer la
légalité des redevances payées, ou plus simplement, de renverser
la charge de la preuve à l’encontre du fournisseur de service
public. Ou encore, le droit à la qualité du service, entendu comme
une obligation de résultat pesant sur l’opérateur de service
public.
 57 JO, 22 août 2007.
103Voici le droit au maintien du service, qu’il s’agisse du service
minimum au cas de grève, dans les termes de la loi récente du 21
août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public
dans les transports terrestres réguliers de voyageurs 57 ou des
mesures sociales que mentionne le Code des Postes et des
Communications Electroniques, dans les dispositions des articles
L35 et suivants. Et le droit au recours, servi par une interprétation
relativement extensive de l’intérêt pour agir de l’usager devant
les juridictions civiles ou commerciales ou les juridictions
administratives.
 58 Rec. p. 724.

104L’une des avancées les plus marquantes du statut du


consommateur de service public, est sans nul doute celle de cette
jurisprudence Cayzeele, mise en place par un arrêt du 10 juillet
199658, par lequel l’Assemblée Générale du Conseil d’Etat a
admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir engagé
par un usager à l’encontre des dispositions d’un cahier des
charges sur le fondement du droit de la consommation et de la
protection qu’il doit offrir à tout consommateur, qu’il soit celui
d’un produit ou d’un service ordinaire ou d’une prestation de
service public.
105On voit ainsi se dessiner une évolution majeure qui conduit du
Code de Commerce au Code de la Consommation, dont on sait –
ou dont on soupçonne– les liens ténus l’un avec l’autre, puisque
le commerçant n’est rien sans sa clientèle et que le client ne se
rend pas chez un commerçant indélicat.
III – DROIT PUBLIC, CODE DE
COMMERCE ET CAPITALISME
FINANCIER
106Le capitalisme se transforme sous nos yeux. Il
était commercial et concurrentiel : il devient financier. Les
observateurs attentifs de la vie économique font observer que le
mouvement a commencé il y a plus de 20 ans et qu’il est lié à une
multiplicité de causes, parmi lesquelles, l’excès de liquidités liées
à la constitution de fonds de pension et bientôt, celle de fonds
d’investissements, elles-mêmes conséquences de l’évolution
démographique.
107Qu’importe. Le capitalisme financier se reconnaît à la primauté
du commerce de l’argent sur celui des biens ou des services. Face
au capitalisme financier, les disciplines traditionnelles du droit
qu’il s’agisse du droit commercial ou du Droit public éprouvent
leurs limites. Du reste, il n’est pas inintéressant d’observer que
l’ensemble des règles relatives aux opérations financières et
monétaires fait l’objet d’un code distinct du Code de Commerce,
comme si ce dernier avait éprouvé quelques difficultés à les
embrasser. Que dire du Droit public, qui se ressent cruellement
de ses origines internes spécifiquement nationale (en dépit d’une
tendance certaine au prosélytisme) et qui ne peut apporter de
réponses appropriées aux problèmes soulevés par la finance
internationale. A la vérité, il éprouve actuellement les difficultés
résultant d’autorités de moins en moins influentes, incapables de
cerner des pratiques de plus en plus extérieures.
A – Des autorités de moins en moins
influentes
108Le droit public moderne hésite entre réglementation et
régulation. Pour assurer le respect des règles, il dispose toujours
d’un juge, en l’espèce le juge administratif, même s’il arrive que
le juge judiciaire, notamment commercial, soit de plus en plus
souvent l’arbitre de litiges liés au comportement des
administrations. Pour assurer la régulation de secteurs d’activités
traditionnellement monopolistiques mais récemment ouvertes à
la concurrence, il a créé des autorités de marché. Ni le juge, ni les
organes de régulation ne parviennent à asseoir leur autorité.

1) Le débordement du juge
109Ce n’est pas que le juge administratif, et d’une manière plus
générale, le juge de l’administration (lorsqu’il est judiciaire) soit
incompétent pour cerner les litiges liés à la financiarisation de
l’économie. C’est tout simplement que cette dernière le déborde,
à la fois du point de vue juridique et du point de vue culturel.

a) Le débordement juridique
110Le débordement juridique du juge de l’administration par la
finance internationale est réalisé de plusieurs façons :
 par l’externalisation des prestations, qui fait échec à la
compétence du juge national ; cette externalisation est d’autant
plus facile que la majeure partie des transactions internationales se
fond par voie électronique ;
 par le recours à la transaction, que le juge administratif national
français s’efforce de soumettre à son homologation et dont il sait
aussi qu’elle peut aussi exister et être pleinement exécutoire,
indépendamment de toute procédure d’homologation ;
 par la généralisation de la pratique de l’arbitrage
international des litiges, qui correspond davantage aux nécessités
et aux besoins des milieux d’affaires internationaux.
 59 Rapport du groupe de travail sur l’arbitrage, 22 mars 2007, Ministère
de la justice, consultable su (...)

111De ce dernier point de vue, il faut sans doute accueillir avec


intérêt les propositions du groupe de travail récemment réuni
sous l’autorité de l’ancien Président de la Section du Contentieux
du Conseil d’Etat, Monsieur Daniel Labetoulle 59. On sait en effet
que si le Code Civil reconnaît explicitement aux articles 2059 à
2061 la liberté des particuliers de recourir à l’arbitrage, il refuse
cette pratique aux personnes morales de droit public et
notamment aux collectivités publiques et à leurs établissements
publics. Cette interdiction a des origines anciennes qui peuvent
expliquer que le Conseil d’Etat en ait même fait un principe
général du droit public français, de valeur législative.
112Cela étant, le législateur ne s’est pas privé de lui apporter les
dérogations pour un certain nombre de personnes publiques,
notamment la SNCF, la Poste ou Réseaux Férrés de France ou
encore pour certains types de litiges, notamment ceux relatifs à la
liquidation des dépenses de travaux et de fournitures de l’Etat,
des collectivités territoriales et des établissements publics locaux.
Le recours à l’arbitrage est également possible pour les litiges
relatifs à l’exécution des contrats conclus entre des collectivités
publiques et des sociétés étrangères pour la réalisation
d’opérations d’intérêt général. Tout récemment encore, dans
l’ordonnance du 17 juin 2004, une dérogation a été faite pour les
litiges relatifs aux contrats de partenariat.
113L’idée qui a sous-tendu la constitution d’un groupe de travail
sur l’arbitrage en matière administrative est précisément
l’examen des conditions dans lesquelles cette pratique pouvait
être généralisée. Le groupe de travail a conclu à la possibilité
d’autoriser le recours à l’arbitrage pour ce qui concerne les litiges
contractuels intéressants les personnes morales de droit public,
quelles qu’elles soient. Le champ de l’arbitrage pourrait ainsi être
singulièrement étendu, ouvrant aux parties concernées, la faculté
de recourir à ce mode alternatif de règlement des litiges pour tout
différend lié à l’exécution d’un contrat et opposant les parties à
ce contrat.
114Le groupe de travail a toutefois considéré qu’il n’était pas
souhaitable d’élargir le recours à l’arbitrage, en dehors du champ
contractuel, ce que l’on peut regretter s’agissant notamment de
litiges indemnitaires.
115L’application des recommandations du groupe de travail
constituerait assurément une révolution du contentieux et le
constat des limites des modes de règlement juridictionnel
traditionnels dans le contexte du capitalisme financier actuel.

b) Le débordement culturel
116La difficulté vient ici de ce qu’à supposer que le juge adapte sa
compétence pour régler les différends liés au fonctionnement du
capitalisme financier, il éprouverait rapidement les limites de ses
méthodes traditionnelles. Ce n’est pas que ces méthodes soient
inadaptées ou que le juge ne soit pas susceptible de les
perfectionner. C’est plus généralement que le capitalisme
financier repose sur des règles inspirées pour une large part de
concepts ou de précédents anglo-saxons (américains,
britanniques ou australiens).
117La finance internationale étant dominée par des opérateurs
établis au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou en Australie, il était
logique que ces opérateurs imposent au reste du monde les
règles et pratiques de leurs propres systèmes juridiques
d’origine. Un méta-système juridique s’est ainsi constitué en
marge des systèmes juridiques nationaux, qu’ils ne croisent
qu’occasionnellement. Ce méta-système est à base de
conventions, le plus souvent rédigées en anglais et qui font
expressément référence à des notions étrangères au droit
national français. Pour cette raison notamment, les parties les
soumettent à l’arbitrage, quand elles ne prévoient pas elles-
mêmes des mécanismes de règlement transactionnel entre elles.
118Ces pratiques pénètrent les systèmes juridiques nationaux,
avec le risque que les opérateurs économiques manient des
concepts mal assimilés par leurs propres services et non
assimilable par leur droit national.
119Le droit des sociétés connaît depuis plusieurs années les
apparences d’une gouvernance strictement conforme au droit
national, comme en témoignent les statuts soigneusement
déposés au greffe et la réalité d’une répartition du pouvoir entre
ses actionnaires, par le biais de conventions d’actionnaires, de
pactes de préférence ou de conventions d’associés. Ces
conventions mettent en place des techniques dites de “ tag along”
ou de “drag along” qui limitent considérablement le droit de leurs
signataires de disposer librement de leurs actions. Elles
organisent des systèmes sophistiqués de tirage au sort obligeant
l’actionnaire que le sort désigne, à racheter les actions de son ou
de ses associés au prix qui a été défini dans la convention.
Aucune de ces techniques ou de ces solutions juridiques ne font
l’objet de dispositions dans le Code de Commerce qui en fixerait
le régime. Elles relèvent pudiquement du principe de la liberté
contractuelle. Et ce n’est qu’occasionnellement que quelques
années plus tard, le droit national français les accueille à sa
manière, comme la fiducie française est un écho du trust anglo-
saxon.
120Peut-on seulement imaginer le désarroi qui s’emparerait du
juge national français, notamment du juge administratif, s’il lui
était demandé d’arbitrer un différend lié à une convention d’IRU.
Cette convention fait expressément référence à un concept
d’origine américaine, adapté au cas particulier des câbles de
télécommunication sous-marins et auxquels il est difficile de
trouver un équivalent français, sauf celui de l’usufruit qui ne lui
correspond pas exactement. Et que dire de ces “ joint venture” que
l’on traduit imparfaitement en français par “sociétés conjointes”
et qui renvoient plus fondamentalement à un concept anglais
hésitant entre le trust et l’indivision.
121On mesure ainsi qu’au-delà de l’obstacle de la langue, il s’agit
bien d’un problème culturel qui interdit de recourir aux
techniques juridiques traditionnelles classiques et expliquent le
débordement du juge.

2) Le dépassement de l’organe de régulation


122Ils n’ont que quelques années d’existence juridique pour un
certain nombre d’entre eux et déjà les organes de régulation que
l’on a créés ici ou là, sous la forme d’autorités administratives
indépendantes ou d’agences sectorielles révèlent leurs limites.
Tantôt, c’est leur efficacité qui est en cause et renvoie à la
difficulté de leur trouver une place dans l’édifice institutionnel
national, tantôt c’est plus profondément leur légitimité qui est
sujette à caution.

a) Par la mise en cause de son efficacité


123Sans qu’il soit nécessaire d’insister, l’histoire récente d’un
certain nombre de ces autorités de marché révèle la difficulté de
leur place dans l’édifice institutionnel français et les problèmes
soulevés par leur acceptation.
 60 Loi no 2004-575.
 61 Loi no 2004-669.

 62 Article L. 131du Code des postes et des communications


électroniques.

124Le vote des lois de transposition des directives du Paquet


Télécom du 7 mars 2002, en l’occurrence les lois des 21 juin 60 et
9 juillet 200461 a révélé le malaise d’un certain nombre de
parlementaires à l’égard des deux organes de régulation du
secteur de la communication que sont le Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel et l’Autorité de Régulation des Télécommunications
devenue par la suite, Autorité de Régulation des Communications
Electroniques et des Postes. Et si les deux lois précitées n’ont pas
apporté de bouleversements majeurs dans leur organisation ou
dans leur fonctionnement, il faut reconnaître que les débats
parlementaires ont été particulièrement vifs, les députés ou les
sénateurs ne cachant pas leur hostilité à l’égard d’une
indépendance trop marquée de l’ARCEP, quand ils ne souhaitaient
pas la fusion des deux organes de régulation pour réduire leur
influence respective. Il en est néanmoins résulté un rappel à
l’ordre et notamment au principe du secret et de la confidentialité
qui limite singulièrement le droit de parole des membres du
Collège de chacune de ces autorités administratives,
prétendument indépendante62.
125Plus récemment, ce sont les relations entre la Direction
Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes et le Conseil de la Concurrence qui furent
à l’origine d’un véritable débat. Il est vrai que le Conseil de la
Concurrence qui est appelé à prendre l’importance que l’on sait
dans le contexte du capitalisme concurrentiel, précédemment
décrit, éprouve quelques difficultés à admettre l’existence et
surtout l’exercice par la DGCCRF de pouvoirs d’enquête,
d’instruction et de sanctions qui viennent en concurrence directe
avec les siens.
126Que dire des procès publics, faits au cours des derniers jours,
à l’Autorité des Marchés Financiers ou à la Banque Centrale
Européenne, dont l’efficacité tient précisément à l’indépendance
de leurs décisions ?

b) Par la mise en cause de sa légitimité


127La crise de l’été 2007 n’a pas fini de produire ses effets que le
débat est engagé autour de la légitimité des organes de
régulation et partant, du bien fondé de leurs premières initiatives.
128Ce débat est d’autant plus significatif qu’il s’est ouvert aux
Etats-Unis au cœur de la crise de la “ subprime mortgage” et qu’il
concerne la FED, l’institution la plus puissante, puisque ni le
Président des Etats-Unis, ni le Congrès ne sont susceptibles
d’exercer de prérogatives à son encontre.
 63 Rudi DORNBUSCH, “None of the postwar expansions died of old age.
They were all murdered by the FED” (...)

129La discussion porte sur les premières mesures prises par cet
organisme, et à sa suite, par la Banque Centrale Européenne. Ces
mesures visent à injecter des liquidités sur le marché afin d’éviter
un assèchement financier qui pourrait avoir des conséquences
désastreuses sur le niveau de l’activité économique et contenir les
taux d’intérêt pour tenter de réduire les effets d’une hausse sur la
croissance économique. En procédant de la sorte, la Banque
centrale américaine aurait en réalité, comme une conséquence
très indirecte de ses décisions, donné un signal favorable aux
spéculateurs et contribué à la poursuite des causes qui sont à
l’origine de la crise financière. D’où, un débat très vif outre-
atlantique autour de la théorie dite du “ moral hazard” qui conduit
à la mise en cause au-delà des évènements de l’été dernier, 20
ans de politique de la FED63.

B – Des pratiques de plus en plus


extérieures
130La difficulté qui menace le Droit public –autant que le Code de
Commerce– dans ses relations avec le capitalisme financier vient
également d’un mouvement d’extériorisation des pratiques de ce
nouveau capitalisme. Cette extériorisation est à la fois
géographique et matérielle.

1) L’extériorisation géographique
131Un bon exemple peut en être donné avec l’apparition d’une
nouvelle catégorie d’opérateurs financiers : les “fonds souverains”
constitués, par un certain nombre d’Etats émergents, à partir de
leurs excédents de réserves de change, qu’ils investissent, via ces
fonds souverains, sur le territoire d’autres pays, voire sur ces
territoires, dans des secteurs d’activités traditionnellement jugés
stratégiques. C’est une somme de 1,5 à 2,5 milliards de milliards
de dollars, que mobilisent actuellement ces fonds et qu’ils sont
susceptibles d’investir, à la manière du fonds chinois, qui le 21
mai 2007, investissait 3 milliards de dollars dans le fonds
américain, Blackstone et se donnait ainsi accès à quelques 300
milliards de dollars d’actifs industriels ou financiers gérés par ce
fonds. Les fonds souverains défient la vieille théorie de
l’entreprise publique. Ils n’entrent pas dans sa définition et
remettent en cause les motifs généralement avancés à l’appui de
son utilité.

a) Fonds souverains et définition de l’entreprise publique


132Dans de nombreux pays, l’entreprise publique a
traditionnellement révélé la difficulté de son intégration dans des
institutions publiques. Ce n’est pas que l’entreprise publique ne
soit pas reconnue comme opérateur économique ; c’est plus
simplement qu’elle ne fait l’objet d’aucun statut et partant,
d’aucune définition qui permette de l’identifier avec précision.
133Tout au plus, en droit français –où le problème se pose avec
une acuité particulière, assurément significative de la situation
d’un grand nombre d’autres Etats– la jurisprudence et la doctrine
se sont-elles attachées à trois éléments, qui permettent
d’identifier une entreprise publique :
 sa personnalité juridique, l’entreprise publique se reconnaissant
à l’autonomie juridique dont elle dispose par rapport aux
administrations et se différenciant ainsi des autres instruments de
l’Etat, dépourvus de personnalité juridique ;
 son activité industrielle et commerciale qui implique la
production et/ou la distribution de biens ou de services, moyennant
le paiement d’un prix, sur un marché plus ou moins concurrentiel,
selon que l’entreprise publique dispose – ou non – de privilèges
exclusifs ;
 son appartenance au secteur public, qui se manifeste notamment
par l’influence prédominante que l’Etat, des collectivités
territoriales, des établissements publics et d’une manière générale,
d’autres actionnaires publics exercent sur son capital et ses organes
de direction. Cette influence est évidente lorsque ces personnes
disposent du contrôle du capital d’une entreprise, mais elle peut
résulter également d’autres moyens tels que la détention d’actions
à droit de vote double, une action spécifique qui confère aux
actionnaires publics un droit de veto à l’égard des décisions mettant
en cause l’orientation générale de l’entreprise, une influence
dominante par un régime d’autorisation préalable à l’exercice de
ses activités ou exercée sur les débouchés de ses produits.

134Au regard de ces critères traditionnels, comment qualifier les


“fonds souverains” ?
135Ils n’ont pas nécessairement de personnalité juridique. Ils
n’exercent pas à proprement parler d’activité industrielle et
commerciale et se rapprochent davantage, par leurs fonctions, de
la mission qu’exerce une société holding à la tête d’un groupe
d’entreprises publiques. Surtout, ils ne répondent pas aux critères
de l’appartenance publique, tels que précédemment définis.
136Ils sont en réalité les instruments d’une nouvelle forme
d’influence extérieure des Etats émergents, qui soulève
assurément la question de l’acceptation par les Etats d’accueil, de
la présence de capitaux publics étrangers dans des secteurs qui
peuvent être considérés comme stratégiques. Cette question est
généralement résolue par un régime d’investissements étrangers
plus restrictif, pour autant que les mesures mises en place ne
soient pas franchement discriminatoires, et ne portent pas
atteinte aux principes de liberté d’établissement et de libre
circulation, qui prévalent dans de nombreuses zones de
commerce intégré comme la Communauté Européenne ou aux
règles du commerce international telles que surveillées par
l’Organisation Mondiale du Commerce.
 64 Décret no 2005-1739, JO, 31 décembre 2005. Sur l’ensemble de cette
question, voir Lamy Droit public (...)

137Il ne faut pas expliquer autrement les sursauts de “patriotisme


économique” qui se sont manifestés en France il y a quelques
mois – et expliquent notamment les dispositions du décret du 30
décembre 200564– et que l’on retrouve aujourd’hui sur le
territoire allemand, avec la revendication d’une plus grande
vigilance à l’égard des initiatives des fonds souverains. Il n’est
pas jusqu’à la Commission des Communautés européennes,
généralement très réticente à l’égard des actions spécifiques
introduites dans le capital d’entreprises publiques, qui ne soit
récemment exprimées en faveur de l’utilisation éventuelle de cet
instrument, pour faire pièce aux décisions d’investissement des
fonds souverains.

b) Fonds souverains et utilité de l’entreprise publique


138Au-delà de la question posée par la caractérisation des fonds
souverains par rapport à la définition traditionnelle de l’entreprise
publique, leur existence soulève la question de leur légitimité, au
regard des motifs de création des entreprises publiques.
139Traditionnellement en effet, les entreprises publiques ont été
constituées dans des logiques particulières, qui fondent
pleinement leur existence et la légitimité d’une présence de l’Etat
ou des autres collectivités publiques dans leur capital social. On
aurait en effet tort d’oublier que l’entreprise publique est une
entorse au principe de la liberté d’entreprendre, qui doit
demeurer la règle en économie de marché, comme l’a rappelé à
plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, en se donnant les
moyens de dénoncer une erreur manifeste d’appréciation
commise par le législateur. Ces logiques relèvent par exemple de
la volonté politique d’appropriation par l’Etat du capital d’un
certain nombre d’entreprises jugées stratégiques et essentielles à
la conduite d’une nouvelle politique économique. Ce sont les
nationalisations de 1936. Elles s’inscrivent encore dans la volonté
de sanctionner des entreprises privées dont le comportement n’a
pas été jugé conforme aux intérêts de la Nation. C’est l’exemple
de la nationalisation de l’entreprise Renault en 1945. Elles ont pu
correspondre à des logiques de protection des intérêts nationaux,
notamment le risque d’appropriation du capital social d’un
certain nombre d’entreprises dans des secteurs sensibles par des
capitaux étrangers. C’est tout le sens des nationalisations de
1981. Plus récemment, le développement des filiales et sous-
filiales des entreprises publiques ou la constitution de puissants
groupes publics, notamment dans le secteur de l’énergie, que
l’on a souvent qualifié de “nationalisations silencieuses”,
s’inscrivent dans un logique de concentration, liée à l’impératif
industriel des années 70 et 80.
140Mais à aucun moment de l’histoire économique de la France
ou des autres Etats industrialisés, on a vu une entreprise
publique, constituée dans une logique de spéculation comme
celle qui sous-tend la constitution des fonds souverains. Qui plus
est, par appropriation d’actifs étrangers, sur leurs propres
territoires, au moyen des techniques éprouvées de la finance
internationale. Qui peut soutenir sérieusement que ces fonds
investissent sans directive politique et à supposer que cela soit le
cas, qui peut imaginer que leur proximité avec leurs Etats
d’origine, ne fait courir aucun risque d’immixtion d’un
gouvernement étranger dans les affaires économiques intérieures
des autres puissance du moment ?
 65 Dans son édition du 26 mai 2007, l’hebdomadaire The
Economist risque le terme d’“internationalisati (...)

141Il y a là plus qu’une évolution, une authentique révolution des


instruments d’intervention des Etats dans l’activité économique
mondiale65.

2) L’extériorisation matérielle
142Une fois encore, c’est par l’exemple que l’on peut illustrer la
portée du mouvement d’extériorisation matérielle. Celui fourni
par ce que l’on a pu appeler au cours de l’été 2007 l’“Affaire
Metronet”, en constitue un exemple pertinent. Cette affaire offre
en effet l’opportunité d’une interrogation majeure sur les contrats
de partenariat et d’une manière plus générale, sur le partenariat
public-privé (PPP), puisqu’elle permet d’en souligner la spécificité
en même temps qu’elle est exemplaire des limites de cet
instrument juridique.
a) Affaire Metronet et spécificité des PPP
143L’ordonnance du 17 juin 2004 a introduit dans le droit
français –d’une manière que l’on peut juger opportune– une
nouvelle forme de contrat public : le contrat de partenariat. En
réalité, le contrat de partenariat est la transposition en droit
français d’un instrument juridique du droit anglais communément
dénommé : “partenariat public-privé” (PPP), et dont la spécificité
tient à un certain nombre d’éléments que l’on aurait tort
d’oublier :
 le PPP s’inscrit tout d’abord dans un contexte juridique dominé
par l’absence de tradition juridique de service public. A la différence
du droit français qui consacre la notion de service public, depuis de
nombreuses années, le droit anglais n’a pas d’équivalent et ne
connaît pas le mouvement jurisprudentiel et doctrinal qui s’est
développé en France, depuis plus d’un siècle, autour du service
public ;

 66 En ce sens, les réflexions de P. BIRKINSHAW, RFDA, 2006,
p. 1013 et s.

par ailleurs, le PPP s’inscrit dans un contexte institutionnel, dominé


par le contrat et le rôle du juriste ; plus encore : un contexte dans
lequel le contrat – et tout particulièrement le contrat public – est
davantage un instrument au service de l’action qu’un acte juridique
de plein exercice66 ;
 enfin, les PPP s’inscrivent dans un contexte économique, dominé
par la finance, le but ultime des partenariats public-privé étant la
titrisation d’une créance détenue sur une collectivité publique,
c’est-à-dire d’une créance présentant toutes les garanties de son
paiement.

144Ces éléments permettent de mieux comprendre quelques-


unes des caractéristiques des PPP :
 notamment, le mécanisme de distribution contractuelle des
risques inhérents à l’opération couverte ;
 la possibilité très largement ouverte d’une sous-traitance en
chaîne, voire d’une externalisation de tout ou partie de l’objet de la
convention, au-delà de la société de projet à des sociétés chargées
de la construction de l’ouvrage ou à d’autres chargées de son
exploitation ; sociétés qui sont par ailleurs, les actionnaires de la
société de projet ;

 67 Sur l’ensemble de ces points, voir notamment, A.
DAVIES, RFDA, 2006, p. 1013 et s. ; adde F. MARTY(...)

une tendance à la dilution des responsabilités par la réallocation


contractuelle des risques de la convention principale, vers les
contrats subordonnés67.

145C’est de tout cela que s’inspire la convention de partenariat de


l’ordonnance du 17 juin 2004, même s’il faut rappeler qu’elle est
une institution du droit français, dans lequel elle a vocation à
s’inscrire. Elle a été refaçonnée à cet effet.
146Cela étant observé, en transposant l’institution en droit
français, sous les directives très strictes du Conseil
constitutionnel et le contrôle vigilant des juridictions
administratives, les rédacteurs de l’ordonnance n’ont-il pas pris
le risque de l’insertion dans l’environnement contractuel français
d’une institution nouvelle, qui non seulement ne lui est pas
adapté, mais peut avoir pour conséquence, une fragilisation des
instruments juridiques existants, notamment les délégations de
service public ? Qu’est-ce qui s’oppose à ce que le délégataire
soit une société de projet, qui externalise auprès de ses
actionnaires tout ou partie des prestations, objet de la
convention ? Ce n’est pas à proprement parler de la sous-
traitance et la requalification du montage contractuel en
subdélégation n’est pas évidente. Il n’y pas davantage de cession,
même déguisée, de la convention principale, qui, pour être réelle,
doit être totale, ce qui n’est pas le cas.
147Pourtant au bout du compte, ces conventions secondaires
réalisent une réallocation des risques inhérents à la gestion
déléguée d’une activité de service public, sous un régime de
plafonds qui peuvent en réduire sensiblement la portée, au
préjudice éventuel de la collectivité délégante et plus encore, des
usagers du service public, au cas de difficultés.
148C’est dans une certaine mesure, ce que l’Affaire Métronet
invite à anticiper.

b) PPP et exemplarité de l’Affaire Metronet


 68 Ils sont cinq au total : outre Bombardier, WSAtkins, Balfour Beatty,
Thames Water et EDF Energy.

149Metronet est une société britannique, attributaire par voie de


PPP, des tâches de renouvellement, de maintenance et de mise à
niveau du métro de Londres. Société de projet, Metronet est
détenue pour une large part par l’opérateur canadien Bombardier,
qui, comme les autres actionnaires de Métronet 68, bénéficient de
conventions subordonnées, lui rétrocédant une partie des
prestations, objet du PPP. 
 69 Transport For London (TFL).

150Dans la logique du partenariat public-privé anglosaxon, les


prestations de la société de projet sont assujetties au respect
d’un ensemble de critères de performance qui permettent
d’apprécier la qualité des prestations fournies et de conditionner
le montant des paiements versés par le cocontractant public,
l’autorité chargée du métro de Londres69 à la société de projet et
au-delà d’elle, à ses sous contractants, c’est-à-dire à ses propres
actionnaires. On aura compris que la société de projet n’est qu’un
véhicule juridique sans les garanties, notamment de solidarité des
personnes groupées, qu’offre le groupement d’entreprises dans
une procédure de mise en concurrence préalable à la conclusion
d’un marché public. Le but ultime du montage contractuel est
évidemment la satisfaction finale de l’ensemble des intérêts en
présence, qui ne se limitent pas à ceux des usagers du service,
mais incluent les intérêts des actionnaires de la société de projet.
151La difficulté est venue d’une facture d’un milliard de livres
britanniques, correspondant à des surcoûts, notamment liés à des
demandes additionnelles du TFL sur trois des lignes déléguées.
Le partenariat public-privé ayant prévu un mécanisme
d’arbitrage, l’arbitre ad-hoc a donc été appelé à connaître de
cette difficulté. Comme son arbitrage était prévu pour nécessiter
une année, une demande provisionnelle de quelques 551 millions
de livres été faite par les actionnaires de la société de projet, pour
faire face à des échéances fiscales. Le 16 juillet 2007, l’arbitre a
rendu une décision, avant-dire droit, accordant 121 millions de
livres à la société Métronet, dont les actionnaires, mécontents,
ont déposé le bilan. La société Bombardier s’estimant flouée par
cet arbitrage, a, en outre, annoncé son intention de se retirer de
la société de projet, ouvrant une crise majeure dans l’exécution
de cette convention et la suite des opérations de rénovation du
métro londonien.
 70 F. MARTY et A. VOISIN, L’évolution des montages financiers
britanniques : la montée des risques, op  (...)

152Ce retrait illustre les limites du procédé du PPP, qui implique


l’externalisation des prestations, objet de la convention et génère,
ainsi, par le montage contractuel qu’il met en place, les éléments
de sa fragilité70. Au bout du compte, c’est l’usager du métro
londonien qui pourrait être sévèrement pénalisé par l’échec de
cette opération.
153On mesure à quel point on est ici éloigné de la tradition de
service public française et notamment des apports essentiels de
la jurisprudence du Conseil d’Etat et des juridictions
administratives, toujours très attentives au respect de l’équilibre
entre les intérêts du délégataire d’une mission de service public
et ceux de son autorité délégante, en exigeant la compensation
des déséquilibres. Or cette compensation systématique n’est que
la condition de la poursuite de leurs relations contractuelles, dans
l’intérêt de l’usager du service public

CONCLUSION
154On voit ainsi que dans les succès, comme dans l’adversité, le
Droit public et le Code de Commerce font bon ménage. Certes le
Droit public, pour reprendre l’expression de Portalis a “précédé
les lois commerciales”, que rassemble le Code de Commerce.
Mais il a su également s’inspirer de leur exemple, épousant, avec
elles, successivement deux révolutions majeures du capitalisme,
celle du capitalisme commercial et celle du
capitalisme concurrentiel.
155Aujourd’hui, avec les mêmes lois commerciales, il est
confronté aux excès du capitalisme financier qui se met en place.
Comme elles, il éprouve les limites de ses moyens traditionnels.
156Ils doivent, l’un et l’autre, revisiter leurs instruments
juridiques et leurs méthodes d’appréhension des réalités
économiques et surtout, financières du moment. Mais en le
faisant, encore faut-il qu’ils n’oublient pas cette exigence, très
française, d’un équilibre nécessaire entre la puissance publique et
l’initiative privée, l’intérêt général et les intérêts particuliers, à
quoi se résume finalement le droit public.
 71 Nicolas SARKOZY, Discours à l’Université d’Eté du MEDEF, 30 août
2007.
157C’est de la fidélité à cet équilibre que dépend pour une large
part leur capacité à maîtriser leur avenir et avec lui, celui de
l’économie, elle-même, car, comme on le rappelait aux
principaux opérateurs, réunis en université d’été au début de
l’automne 2007 : “Depuis que le capitalisme existe, la croissance
est toujours le fruit d’une coopération réussie entre la puissance
publique et l’initiative privée, entre l’intérêt général et l’intérêt
particulier”. Avant de conclure : “C’est dire s’il nous faut être
collectivement ambitieux”71.
158Une grande année plus tard, au cœur d’une crise sans
précédent du capitalisme financier qui peut conduire à la remise
en cause du capitalisme lui-même, qui ne concèdera pas que ces
propos avaient un accent prémonitoire ?
NOTES
1 Dont le texte est reproduit JCP, Ed générale, n  13, 24 mars 2004,
o

Etude I, 122, p. 554.

2 Notamment, en temps de guerre, CE 28 juin 1918, Heyriès, Rec.,


p. 651 ; S.1922. 3. p. 49, note HAURIOU.

3 A commencer par celui de son juge, TC 8 février 1873, Blanco, Rec.,


1 supplément, p. 61, concl. DAVID ; D., 1873. 3, p. 17, concl.
er

DAVID ; S. 1873. 3, p. 153, concl. DAVID.

4 Sur ces éléments, vois notamment nos développements, Les filiales


des entreprises publiques, LGDJ, 1983, tome 144.

5 Pour une définition et quelques éléments de réflexion sur ses


caractères, voir not. Lamy, “Droit public des affaires”, 2008, n  2 et
o

suivants.

6 Amorcé par le désormais célèbre arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat


rendu dans l’affaire “Nicolo”, CE, Ass. 20 octobre 1989, Nicolo, Rec.,
p. 190, concl. FRYDMAN.
7 Dont le point de départ est l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, le 3
novembre 1997, CE 3 novembre 1997, Sté Yonne Funéraire, Sté
Intermarbres et Sté Million et Marais, Rec., p. 393 et 406.

8 CE Ass. 26 octobre 2001, Ternon, Rec., p. 97, concl. SENERS.

9 CE Sect. 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et


du gaz des Alpes Maritimes et Commune de Clans contre Mme
Gasiglia, Rec., p. 21

10 CE Ass. 16 juillet 2007, Sté Tropic travaux signalisation, RFDA,


2007, p. 696, concl. CASAS.

11 Jean-Bernard AUBY, “Contentieux contractuels et revirements de


jurisprudence”, Droit administratif, n  7, juillet 2007, p. 1.
o

12 Code de commerce, Article L110-1.

13 Il n’est pas jusqu’à la réglementation des marchés publics, qui,


jusqu’à il y a peu consacrait l’existence de secteurs dits exclus,
correspondant à ces secteurs régaliens, correspondant principalement
aux secteurs des transport, des télécommunications et de l’énergie.

14 Allant dans certains secteurs, comme celui de la pêche par


exemple, jusqu’à la reconnaissance de compétences communautaires,
substituées aux compétences nationales.

15 G. ISAAC et M. BLANQUET, Droit communautaire général, Masson,


2005.

16 Le juge administratif ayant toujours estimé qu’il ne lui appartient


pas d’exercer un contrôle de constitutionnalité des lois (CE sect. 6
novembre 1936, Arrighi, Rec. p. 966.

17 CE 15 mars 1972, Dame Veuve Sadok Ali, Rec., p. 213.

18 Sur ces décisions, voir notamment M. GAUTIER et F. MELLERAY, “Le


Conseil d’Etat et l’Europe : fin d’un cycle ou nouvelle ère”, Droit
administratif, mai 2007, Etudes, p. 9.
19 Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, n  2004-496, DC, Loi pour la
o

confiance dans l’économie numérique ; Conseil constitutionnel, 30


mars 2006, n 2006-535, DC, Loi pour l’égalité des chances, 27 juillet
o

2006, n  2006-540, DC, Loi relative aux droits d’auteur et aux droits


o

voisins dans la société de l’information, 30 novembre 2006, n  2006-o

543, DC, Loi relative au secteur de l’énergie.

20 Lamy Droit public des affaires, 2008, n  1062 et suivants.


o

21 Voir Lamy Droit de l’Informatique et des Réseaux, 2008, n  2967 et


o

suivants.

22 Loi n  90-1170, JO, 30 décembre 1990, p. 16. 439.


o

23 Loi n  96-659, JO.
o

24 Loi n  2004-669, JO, 10 juillet 2004, p. 12. 485.


o

25 Sur ce mouvement, voir notamment Lamy Droit de l’Informatique et


des Réseaux, op. cit.

26 Dans le prolongement de la fameuse jurisprudence dite du


“socialisme municipal”, CE Sect. 30 mai 1930, Chambre syndicale du
commerce en détail de Nevers, Rec., p. 583.

27 Sur cette jurisprudence, voir not. Lamy Droit Public des Affaires,


2008, n 1237 et suivants.
o

28 La loi du 2 juillet 1990 (loi n  90-568, JO, 8 juillet 1990, p. 8069)


o

créé une catégorie nouvelle de personnes publiques, les “exploitants


publics”, qui ne sont en fait que des établissements publics industriels
et commerciaux.

29 CE 21 mars 1984, Mansuy, Rec., p. 616.

30 Reproduit, RFDA, 1994, p. 1146.


31 TC 6 juin 1989, Préfet de la Région Ile de France, Préfet de Paris
c/Cour d’appel de Paris, SAEDE c/SA Lyonnaise des Eaux et Ville de
Pamiers, Rec., p. 293.

32 Voir note 32 ci-dessus.

33 TC 18 octobre 1999, Aéroport de Paris et Air France c/TAT, CJEG,


2000 p. 18, concl. SCHWARTZ.

34 Voir note 7 ci-dessus.

35 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, p. 1094.

36 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, n  1247 et suivants.


o

37 Sur ce Code, voir nos observations, RFDA, 2004.

38 Voir Lamy Droit public des affaires, 2008, n  4833.


o

39 CA Amiens, 26 juin 1979, Revue Loyers, 1979, p. 455 ; RTD com.,


1979, p. 94, note DERUPPE.

40 TC 6 juin 1989, SAEDE c/SA Lyonnaise des eaux et Ville de


Pamiers, D., 1990, jur., p. 418, note ISRAËL.

41 Voir supra.

42 Rec., p. 133.

43 RDP, 1965, p. 1051.

44 JO, 10 juillet 2004.

45 B. CHENOT, Organisation économique de l’Etat, Dalloz, 1965.

46 JO, 19 juin 2004.

47 Sur ces éléments, voir notamment, Dalloz Construction, 2007, V°


“Partenariats Publics Privés”, n  430.
o

48 JOUE, 25 octobre 2003, n  L275.


o
49 JO, 17 avril 2004.

50 Articles L420-1 et suivants.

51 Rec. CJCE, I, p. 10. 745.

52 Décision n  2003-473 DC, Droit administratif, octobre 2003, p. 20.


o

53 Aff. C-41/90, Rec., CJCE, I, p. 1979.

54 AJDA, 1998, p. 362, concl. COMBREXELLE.

55 RFDA, 2006, p. 1048.

56 L’entreprise publique et semi-publique et le droit privé , LGDJ,


1957, tome 4.

57 JO, 22 août 2007.

58 Rec. p. 724.

59 Rapport du groupe de travail sur l’arbitrage, 22 mars 2007,


Ministère de la justice, consultable sur le site suivant :
www.ladocumentationfrançaise.fr.

60 Loi n  2004-575.
o

61 Loi n  2004-669.
o

62 Article L. 131du Code des postes et des communications


électroniques.

63 Rudi DORNBUSCH, “None of the postwar expansions died of old


age. They were all murdered by the FED”, MIT, 2007.

64 Décret n  2005-1739, JO, 31 décembre 2005. Sur l’ensemble de


o

cette question, voir Lamy Droit public des affaires, 2008, n  1558 et


o

suivants.
65 Dans son édition du 26 mai 2007, l’hebdomadaire The
Economist risque le terme d’“internationalisation” pour qualifier la
démarche des fonds souverains.

66 En ce sens, les réflexions de P. BIRKINSHAW, RFDA, 2006, p. 1013


et s.

67 Sur l’ensemble de ces points, voir notamment, A. DAVIES, RFDA,


2006, p. 1013 et s. ; adde F. MARTY et A. VOISIN, “L’évolution des
montages financiers britanniques : la montée des risques”, RFFP, 2006,
p. 107.

68 Ils sont cinq au total : outre Bombardier, WSAtkins, Balfour Beatty,


Thames Water et EDF Energy.

69 Transport For London (TFL).

70 F. MARTY et A. VOISIN, L’évolution des montages financiers


britanniques  : la montée des risques, op. cit., p. 109.

71 Nicolas SARKOZY, Discours à l’Université d’Eté du MEDEF, 30 août


2007.

AUTEUR
Lucien Rapp
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, IDETcom - IEID, UT1)

Quel droit pénal pour


l’activité économique ?
Corinne  Mascala

p. 157-162

Le commerce et le droit pénal ne se sont jamais totalement


ignorés mais historiquement leur relation n’était
qu’occasionnelle. Au début du XIX siècle, le rôle du droit pénal au
e

regard de l’activité économique était très limité, ce qui se


justifiait par la volonté de laisser libre cours à l’initiative
économique et à la liberté des échanges. Il appartenait seulement
à la loi pénale de veiller au respect d’un ordre public de
protection, ce qui cantonnait le droit pénal dans un rôle mineur.
Le code pénal de 1810 ne contenait que quelques infractions
ciblées relatives à la délinquance commerciale qui sanctionnaient
les commerçants malhonnêtes. Ainsi étaient incriminées les
infractions de banqueroute simple ou frauduleuse, la variation
frauduleuse du cours des marchandises et bien sûr les
agissements classiques mais non spécifiques au commerce tels
que l’escroquerie et l’abus de confiance.
2Ce rapport entre le commerce et le droit pénal s’est
profondément transformé au fur et à mesure des évolutions liées
tant à la maturation du droit pénal qu’aux transformations des
activités économiques et au développement du droit des affaires.
L’essor des activités économiques, le développement des sociétés
ont inévitablement entraîné la multiplication de comportements
déviants qui devaient être sanctionnés afin d’assurer la sécurité
des relations d’affaires. Mais au-delà de la stricte sanction des
agissements malhonnêtes, le droit pénal des affaires est devenu
progressivement un instrument qui permet au législateur
d’imposer ses choix de politique économique en sanctionnant la
transgression de la norme établie, c’est-à-dire à la valeur
essentielle du moment que le législateur entend faire respecter.
3Le champ d’intervention du droit pénal s’est considérablement
étendu par le passage de la délinquance commerciale à la
délinquance économique et financière, ce qui traduit la plus
profonde mutation du droit pénal contemporain. Le commerce tel
que perçu dans le code de commerce, a cédé sa place à un
concept beaucoup plus compréhensif et vaste : les activités
économiques telles qu’appréhendées par le droit des affaires. Ce
passage du commercial à l’économique a eu une répercussion
majeure sur le droit pénal. En effet, le droit pénal est le seul droit
qui prête la sanction dont il détient le monopole, la sanction
pénale, à toutes les branches du droit et cela est très marqué en
droit des affaires. Par conséquent, les transformations du droit
des affaires entraînent inévitablement une évolution du droit
pénal qui lui est appliqué.
4L’évolution du droit des affaires et la récupération de cette
évolution par le droit pénal ont conduit pendant de très
nombreuses années à une pénalisation massive de la vie des
affaires certainement excessive, dans la mesure où le législateur
ne se départissaît pas d’un réflexe pénalisant. Chaque réforme
était accompagnée de son lot de sanctions pénales afin d’assurer
l’effectivité de la norme économique. Le droit pénal des affaires
est ainsi instrumentalisé par le législateur économique qui
s’appuie sur la fonction de dissuasion de la peine pour assurer le
respect de ses choix.
5Mais cette fonction sanctionnatrice classique du droit pénal des
affaires se double d’une fonction plus récente, plus moderne qui
est de réguler la vie économique et financière. Le droit pénal est
alors un instrument utilisé par le législateur, moins pour
sanctionner directement les opérateurs de la vie économique que
pour influer sur les orientations de celle-ci et sur les
comportements de ses acteurs.
6Lorsque la question “Quel droit pénal pour l’activité
économique ?” est posée, il apparaît que l’on part du postulat que
le droit pénal est indispensable à l’activité économique. Il semble
en effet, inenvisageable que l’activité économique soit libérée de
tout contrôle et laissée dans un état de liberté sans frein. Mais à
partir de ce postulat, il faut se demander quelle doit être la
fonction de ce droit pénal. Deux modèles pénaux s’imposent et
influent directement sur le contenu du droit pénal des affaires.
Pour encadrer l’activité économique, le droit pénal peut être
conçu comme un droit sanctionnateur (I) ce qui en fait un
instrument de répression pur et simple ; mais il peut aussi être
utilisé comme un droit pénal régulateur (II) ce qui en fait un outil
de la politique économique.

I – UN DROIT PENAL


SANCTIONNATEUR
7Cette finalité classique du droit pénal s’est traduite depuis une
quarantaine d’années par une pénalisation massive de la vie des
affaires, les dispositions pénales pénétrant l’ensemble de la vie
économique. Il faut cependant, distinguer les comportements qui
ont été incriminés entre les agissements graves révélant une
intention criminelle caractérisée et les irrégularités formelles dans
le fonctionnement sociétaire par exemple. Autant il est
inconcevable de remettre en cause des infractions aux
conséquences majeures telles que l’abus de biens sociaux, la
corruption, le délit d’initié ou le blanchiment de capitaux, autant
le foisonnement d’infractions pénales censées inciter au respect
de législations techniques qui stigmatisent des actes purement
matériels détachés du support de l’intention frauduleuse est
contestable.
8Cette inflation d’infractions pénales purement matérielles en
droit des affaires a été très largement dénoncée par les
opérateurs économiques qui y voient un frein à l’initiative
économique et à la liberté d’entreprendre qui ne se justifie pas ou
plus dans la société contemporaine. Le droit pénal est dans ce cas
inadapté et la conséquence est que les chefs d’entreprise
intègrent la probabilité de commettre une ou plusieurs infractions
–non intentionnelles bien entendu, c’est-à-dire la violation de
législations techniques que très souvent ils ignorent– dans un
calcul de risque pénal lié à leur activité. La doctrine critique aussi
depuis longtemps cette pénalisation systématique car le
foisonnement des incriminations nuit à l’efficacité de la sanction.
Nul ne peut contester la nécessité d’un droit pénal sanctionnateur
pour réprimer les comportements les plus graves préjudiciables à
la vie des affaires, et tout le monde est d’accord pour admettre
que les autres agissements devraient échapper au droit pénal. La
difficulté est donc de trouver le juste équilibre entre pénalisation
excessive et sanction nécessaire. Il faudrait arriver à un
cantonnement du droit pénal à la sanction des agissements
frauduleux afin de punir ceux qui nuisent à l’activité économique,
ce qui permettrait de libérer les autres du poids écrasant de la
responsabilité pénale.
 1 Les lois Nouvelles Régulations économiques, Initiative économique et
sécurité financière, ainsi qu (...)

9Le législateur contemporain a amorcé dans les lois récentes un


mouvement de réforme en ce sens afin de procéder à un
recentrage du droit pénal des affaires sur les infractions les plus
graves qui révèlent une véritable intention criminelle de la part de
leurs auteurs. Cinq textes successifs depuis 2001 ont libéré le
droit des sociétés de l’emprise du droit pénal, une centaine
d’infractions ont disparu car elles étaient inadaptées à l’évolution
de notre droit des affaires 1. Le recul du droit pénal dans ce
domaine est considérable en nombre d’incriminations, ce qui était
souhaitable.
 2 Ainsi échapperont désormais à la sanction pénale les défauts de
communication d’informations aux a (...)

10Le choix opéré par le législateur entre les textes abrogés et


ceux conservés n’est pas neutre. Ces dépénalisations traduisent
la volonté de supprimer l’incrimination de tous les
comportements matériels, certes préjudiciables à la structure
sociétaire, mais qui ne révèlent pas une faute dont la nature et la
gravité appellent la sanction pénale2.
 3 Le législateur a prévu le remplacement de la sanction pénale par une
mesure d’injonction de faire (...)

11La dépénalisation ne doit pas ouvrir cependant, la porte à tous


les abus et afin d’encadrer les obligations des professionnels la
sanction civile remplace souvent efficacement la sanction pénale 3.
Cette dépénalisation doit être approuvée puisqu’elle réserve la
sanction pénale aux infractions graves, qui ne sont plus noyées
dans un océan d’incriminations. Elle renforce également la valeur
symbolique de la sanction puisque parallèlement à la suppression
de certaines infractions, le législateur a choisi d’aggraver la
sanction des agissements frauduleux les plus graves tels que le
délit d’initié, la corruption, le blanchiment de capitaux. Cette
politique devrait se poursuivre, les pouvoirs publics ont la volonté
de dépénaliser encore le droit des affaires afin de relancer
l’initiative économique, tout en ne remettant pas en cause la
nécessité de sanctionner les pratiques qui nuisent aux intérêts
collectifs de notre pays.
 4 Commission Coulon qui a remis officiellement son rapport au mois de
février au Ministre de la just (...)

12Cependant, il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès de la


formule générale. Lorsque l’on entend le chef de l’Etat déclarer
“La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur,
je veux y mettre un terme”, la formule est excessive. La
pénalisation en soi n’est pas une erreur, lorsqu’elle vise des
agissements frauduleux ; ce n’est pas une erreur non plus
lorsqu’elle sanctionne des pratiques préjudiciables à l’économie
en général. En revanche, qu’il soit encore nécessaire de
dépoussiérer le code de commerce et certaines législations
relevant du droit des affaires sans aucun doute. Car dans ce cas,
le droit pénal n’est pas à sa place et il n’a pas d’utilité. Ce recul
de la fonction sanctionnatrice du droit pénal dans cette limite des
infractions matérielles doit se poursuivre mais il faut souhaiter
que pour une fois la France s’engage dans une vraie réflexion sur
la dépénalisation, ce qui nécessite une analyse globale de la
politique criminelle et une évaluation des incriminations
existantes pour apprécier leur utilité et leur opportunité. Il faut
souhaiter qu’une fois de plus on ne dépénalise pas
ponctuellement. Cette réflexion globale a lieu puisqu’une
commission de réflexion sur la dépénalisation du droit des
affaires a été créée auprès de la Ministre de la justice afin de lui
remettre un rapport qui orienterait les futures réformes 4.
13La fonction sanctionnatrice du droit pénal des affaires est
indispensable mais elle doit être limitée. Cependant, on peut
constater que l’évolution du rôle du droit pénal qui se manifeste
par une autre fonction : celle de régulation qui vient renforcer
l’importance du droit pénal dans l’activité économique.

II – UN DROIT PENAL


REGULATEUR
 5 Y. MAYAUD, “Le droit pénal, instrument de régulation de l’activité
économique et financière”, Le c (...)

14Cette fonction plus moderne de régulation permet au droit


pénal de dépasser “sans la négliger la simple répression des
comportements, pour aller jusqu’à influer sur les orientations de
la vie économique et financière… participant ainsi à l’élaboration
de la politique des affaires”5. L’objectif premier de ce droit pénal
nouveau n’est pas de sanctionner les opérateurs économiques,
mais d’aménager voire de répartir les responsabilités de façon
juste et équilibrée. Ce rôle de régulation conféré au droit pénal se
démarque des autorités dites de régulation que sont les autorités
administratives indépendantes et donne à ce droit pénal un rôle
régulateur sans équivalent. En effet, une différence majeure les
oppose : la fonction de régulation du droit pénal porte sur la
responsabilité des personnes physiques ou morales, alors que
celle des autorités indépendantes ne porte que sur les activités
économiques.
15Deux exemples témoigneront de cette fonction de régulation du
droit pénal au regard de l’activité économique : l’introduction
dans notre droit de la responsabilité pénale des personnes
morales et la nouvelle procédure de sauvegarde des entreprises
issue de la loi du 26 juillet 2005.
16Jusqu’en 1994 –date de la réforme du code pénal– seules les
personnes physiques pouvaient être poursuivies pénalement
quand bien même l’infraction était commise par un dirigeant pour
le compte de la personne morale. La personne morale au plan
pénal, se dissociant ainsi des autres droits, n’était pas un sujet de
droit. L’admission de ce nouveau responsable pénal dans notre
droit est un instrument de régulation pénale de l’activité
économique qui devait permettre d’adapter la réalité juridique à
la réalité économique, donc de faire de notre droit pénal un droit
moderne.
 6 Y. MAYAUD, op. cit., p. 630.

17L’objectif du législateur en 1994 était d’alléger le poids de la


responsabilité des dirigeants personnes physiques, engagée pour
des infractions imputables en réalité à la personne morale. En
consacrant la responsabilité pénale des personnes morales,
l’objectif du législateur n’était pas d’élargir le domaine
d’intervention du droit pénal mais de mieux répartir le poids des
responsabilités. Il ne s’agissait pas de “faire plus de pénal, mais
au contraire d’en faire mieux”6 en poursuivant et sanctionnant
non pas systématiquement le dirigeant mais le véritable
responsable. La loi permet donc, bien que l’infraction imputable à
la personne morale soit nécessairement commise par une
personne physique organe ou représentant, de faire une
application distributive des responsabilités en fonction du rôle de
chacun. Le texte est donc conçu pour que la personne morale
puisse être seule poursuivie supprimant ainsi la responsabilité
quasi-automatique attachée à la qualité de dirigeant. Cette
nouvelle disposition peut donc être analysée comme un
instrument de régulation de la responsabilité pénale.
18Malheureusement la pratique judiciaire de ce texte n’a pas
toujours permis de faire produire à la régulation tous ses effets.
Trop souvent encore, les parquets poursuivent cumulativement la
personne physique auteur matériel de l’infraction et la personne
morale. Le cumul des poursuites est souvent la règle même dans
des cas où il apparaît que le délit a été commis pour le seul
compte de la personne morale. La volonté de réguler la
répartition des responsabilités ne sera véritablement accomplie
que le jour où la pratique judiciaire admettra une véritable
responsabilité personnelle de la personne morale, indépendante
de la personne physique qui la représente. Les instruments sont
fournis par la loi, il faut les utiliser efficacement
19Le second exemple de la fonction régulatrice du droit pénal
peut être tiré de la loi de Sauvegarde des entreprises du 26 juillet
2005. Cette loi nouvelle institue une procédure de sauvegarde
dont le but est de permettre aux entrepreneurs de révéler des
difficultés sans qu’il y ait cessation des paiements, afin de trouver
rapidement devant le tribunal une solution avant que la situation
ne soit véritablement compromise. Afin de rendre cette procédure
attractive et d’inciter les chefs d’entreprise à y recourir, le
législateur a fait un choix très clair : aucune sanction pénale (sous
réserve d’un cas de délits assimilés à la banqueroute), ni civile ne
sera applicable dans le cadre de cette procédure. Si l’on admet
que le rôle régulateur du droit pénal consiste en une influence sur
les comportements des opérateurs économiques, l’exemple de
l’absence de sanction notamment pénale dans la procédure de
sauvegarde est clair. Si le chef d’entreprise répond aux attentes
de la loi nouvelle et donc du législateur, en optant très
précocement pour la révélation de ses difficultés, il échappera à
toutes sanctions quelles que soient les fautes commises et leur
gravité.
20Pour conclure, il apparaît et cela était induit par le titre de cette
intervention, que le droit pénal est indispensable à l’activité
économique. Les abus les plus graves devront toujours être
sanctionnés lourdement, le droit pénal des affaires doit avoir
encore de beaux jours devant lui, c’est une condition de la
sécurité et de la loyauté des affaires.
21Cependant, son rôle évolue, son périmètre doit sans aucun
doute être cantonné afin de lui conserver son efficience. Il faudra
dans l’avenir arriver à trouver le juste équilibre pour concilier
deux impératifs : la sécurité de l’activité économique et la liberté
des acteurs économiques… Sécurité – liberté l’éternel couple
infernal de la matière pénale !
NOTES
1 Les lois Nouvelles Régulations économiques, Initiative économique et
sécurité financière, ainsi que l’ordonnance portant simplification du
droit et des formalités des entreprises et celle sur la réforme du
régime des valeurs mobilières émises par les sociétés
commerciales  ont supprimé de très nombreuses incriminations
1

2 Ainsi échapperont désormais à la sanction pénale les défauts de


communication d’informations aux associés et actionnaires, l’absence
de communication des documents sociaux avant les assemblées, le
défaut de mise à disposition de la comptabilité, les différentes
opérations relatives au capital (augmentation, émission d’obligations
avant libération, amortissement), le fait pour le liquidateur de ne pas
convoquer les associés pour les informer de la situation financière, ou
de continuer ses fonctions à l’expiration du mandat...

3 Le législateur a prévu le remplacement de la sanction pénale par une


mesure d’injonction de faire qui peut être demandée au président du
tribunal statuant en référé et qui a pour effet, soit d’enjoindre sous
astreinte le liquidateur ou les dirigeants sociaux de procéder à la
formalité légale, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à
celle-ci.

4 Commission Coulon qui a remis officiellement son rapport au mois


de février au Ministre de la justice.

5 Y. MAYAUD, “Le droit pénal, instrument de régulation de l’activité


économique et financière”, Le code de commerce 1807-2007. Livre du
bicentenaire, Dalloz, 2007, p. 625.

6 Y. MAYAUD, op. cit., p. 630.

AUTEUR
Corinne Mascala
Professeur à l’Université de Toulouse. Responsable du DELFIN (Faculté de Droit, CDA -
Groupe de recherche sur la délinquance financière, UT1)

De la complémentarité des
rapports entre droit social et
droit des affaires :l’exemple
du contrat d’appui au projet
d’entreprise
Lise Casaux-Labrunée

p. 165-172
Lorsque l’on cherche à mesurer l’influence du Code de commerce
sur les différents domaines juridiques qui touchent de près
l’entreprise, et que l’on tente spécialement d’analyser les
rapports entre le droit des affaires et le droit social, il est
certainement plus habituel de faire état de rapports de force que
de complémentarité. Dans une vision des choses très classique, si
ce n’est simpliste, chacun poursuit son propre objectif : le droit
des affaires s’occupe de l’organisation, du développement et de
la régulation des activités économiques à but lucratif ; le droit du
travail défend les intérêts des salariés et protège le capital
humain nécessaire à l’exploitation, au succès et au rendement de
ces mêmes activités.
 1 A. SUPIOT, “Le droit du travail bradé sur le “marché des normes””, Dr.
soc., 2005, 1087.

2Ces deux objectifs, dont on pourrait penser sans peine qu’ils


sont conciliables, sont le plus souvent opposés, confrontés, le
droit du travail spécialement désigné comme une entrave à
l’efficacité économique des entreprises. En témoignent au plan
international, les rapports Doing business de la Banque mondiale
qui mettent en concurrence les droits nationaux et procèdent à
une évaluation systématique de tous les aspects, dont les droits
du travail, susceptibles de freiner l’efficacité économique 1. En
témoignent au plan interne, les pratiques d’entreprises de plus en
plus nombreuses qui cherchent à contourner ou éviter le droit du
travail jugé trop complexe ou contraignant : essaimage,
externalisation… prestations de services ou contrats
commerciaux plutôt que contrats de travail.
3Les rapports entre droit des affaires et droit social ne sont
cependant pas faits que d’opposition ou de confrontation. Ils sont
aussi faits de croisements et de complémentarité (droits des
salariés dans les procédures collectives, représentants des
salariés dans les organes des sociétés, statut des dirigeants
d’entreprises…) qui méritent que l’on y insiste surtout lorsqu’ils
concernent des questions aussi importantes que la création
d’entreprises… et de fait, la création d’emplois.
4Créer ou reprendre une entreprise, même petite, ne s’improvise
pas. Nombreuses sont les qualités exigées des entrepreneurs :
maîtriser son “cœur de métier” mais aussi savoir gérer, négocier,
vendre, évaluer, anticiper, innover… ce qui exige une bonne dose
de conviction pour quiconque se lance dans un projet de création
et de solides compétences que tout le monde n’est pas assuré
d’avoir. Lumineuse est donc l’idée des professionnels des
secteurs associatif et coopératif qui ont inventé au début des
années 90 un système permettant à des porteurs de projets de
tester leur idée d’activité ainsi que leurs aptitudes et qualités
pour l’aventure entreprenariale. Comment ? En mettant en place
des structures permettant aux entrepreneurs “en herbe” de se
préparer progressivement à leur nouvelle activité, de se former,
d’évaluer les potentialités du marché, de procéder aux premiers
démarchages, de commencer à exercer l’activité projetée en se
concentrant sur leur cœur de métier avec le luxe très apprécié
d’être débarrassé de toutes les contraintes administratives et
paperassières liées à la nouvelle activité, de bénéficier de conseils
d’interlocuteurs spécialisés et attentifs pour suggérer, orienter,
accompagner et favoriser l’éclosion d’entreprises naissantes...
 2 Art. L. 322-8, C. trav.

5D’où le nom de “couveuses d’activités et d’entreprises” donné


aux premières structures qui ont poussé aussi loin la démarche
d’accompagnement à la création de nouvelles activités
économiques, comparées aux dispositifs d’aides classiques du
type aides financières, exonérations de charges sociales ou
chéquiers conseil (dont peuvent au demeurant bénéficier les
“couvés”)2 ou aux autres structures d’accompagnement
existantes : les “pépinières d’entreprises” qui favorisent le
démarrage et le développement de projets plus avancés ; les
“incubateurs” voués à encourager la création d’entreprises
technologiques innovantes susceptibles de valoriser le potentiel
de recherche des laboratoires publics (loi sur l’innovation du 12
juillet 1999) ; les coopératives d’activités qui reposent sur une
logique davantage participative.
6Quelque nom qu’on leur donne, les structures ayant une
fonction de “couveuse” sont des sas, des espaces de transition
pour permettre aux futurs entrepreneurs de mûrir leur idée
d’entreprise et de la tester (il n’est nullement question, sauf les
possibilités d’intégration offertes par les coopératives d’activité,
d’y développer l’activité de façon continue), également de
rencontrer et d’échanger avec d’autres porteurs de projets.
7Elles mettent finalement en œuvre une idée simple : de la même
façon qu’il est possible de tester un travail salarié et de s’en
retirer si l’on pense s’être trompé ou si l’on n’a pas les qualités
nécessaires, les “couveuses” rendent possible l’essai de nouvelles
activités indépendantes. Elles s’efforcent de développer pour le
travail indépendant la technique de la période d’essai réservée
jusque là au travail salarié. Sauf qu’il est évidemment plus facile
de se retirer d’un contrat de travail que de revenir sur un projet
d’entreprise, surtout bien avancé (hypothèse d’investissements
déjà réalisés ou de partenariats déjà noués). Pour cette raison, les
“couveuses” paraissent surtout destinées à l’accompagnement
des projets de “petite entreprise”, aux projets d’activités
économiques qui peuvent être “essayés” sans nécessiter de lourds
investissements.
 3 Circulaire DGEFP, no2000/16, du 26 juin 2000 relative au pilotage
national de l’expérimentation “c (...)
8Intéressante à plus d’un titre (encouragement à l’initiative
économique, développement de l’emploi, élargissement de l’offre
de services…), l’idée a très vite retenu l’attention des pouvoirs
publics. Face au foisonnement d’initiatives spontanées
d’hébergement de créateurs d’entreprises, souvent développées
en marge de la légalité (apparition des premiers statuts hybrides
d’“entrepreneurs salariés”) mais paraissant répondre à de réels
besoins, une expérimentation nationale a été lancée, associant les
acteurs institutionnels et économiques concernés, destinée à
“observer, capitaliser et valoriser les bonnes pratiques afin de
définir les conditions pérennes de développement et d’essaimage
du dispositif”3.
 4 Loi no  2003-721 du 1eraoût 2003 pour l’initiative économique (art. 20 et
21) ; décret no 2005-505 (...)

9Au vu de résultats probants, le législateur a finalement décidé de


sécuriser les pratiques des couveuses d’activités et d’entreprises
en proposant un cadre juridique spécifique pour l’exercice de la
fonction d’accompagnement à la création ou à la reprise
d’activités économiques. C’est cette intention que traduit la loi
n  2003-721 du 1  août 2003 pour l’initiative économique qui a
o e

mis en place dans notre droit positif un intéressant dispositif de


“sécurisation professionnelle” permettant de passer “en douceur”
du statut de salarié à celui d’entrepreneur 4.
 5 G. AUZERO, “Transition entre le statut de salarié et celui d’entrepreneur
(à propos de la loi no  20 (...)

10Encore trop peu connu, ce dispositif est doublement digne


d’intérêt : au regard de l’objectif poursuivi, mais aussi quant à la
méthode retenue. Le législateur a en effet inventé à cette
occasion un nouveau contrat “mixte”, en construisant un pont
entre le salariat et l’indépendance, entre le droit du travail et le
droit commercial, entre le Code de commerce et le Code du
travail… pour offrir aux porteurs de projets de création ou de
reprise d’entreprise un cadre juridique sécurisé permettant de
tester leur nouvelle activité en “grandeur nature”, permettant
aussi de “s’essayer” en tant qu’entrepreneur et plus encore, de
faire marche arrière en cas d’échec5.
11Comme tout dispositif innovant, ce cadre qui n’est pas
exactement celui souhaité par les inventeurs de la formule, est
perfectible. Il constitue en toute hypothèse un exemple
intéressant en ce qu’il mobilise en complémentarité des
techniques et disciplines différentes :
 un contrat régi par le Code de commerce pour encadrer la
préparation du projet et son lancement ;
 un statut social protecteur défini par le Code du travail et le Code
de la sécurité sociale pour que l’entrepreneur puisse se consacrer le
plus sereinement possible à la préparation de sa nouvelle activité.

I – UN CONTRAT DEFINI PAR LE


CODE DE COMMERCE POUR
PREPARER ET TESTER DE
NOUVELLES ACTIVITES
ECONOMIQUES
12Pour encadrer les pratiques des couveuses d’activités et
d’entreprises, le législateur avait plusieurs possibilités. Il aurait
pu construire le nouveau dispositif à partir du métier ou de la
fonction de couveuse, ce qui aurait permis de cibler les qualités et
compétences nécessaires pour exercer cet accompagnement
spécifique et structurer par-là même un vrai secteur d’activité. Il
aurait pu aussi désigner des structures ad hoc qui seraient seules
autorisées à l’exercer, ce qui aurait permis une meilleure lisibilité
de l’offre d’accompagnement à la création d’entreprise
aujourd’hui très dispersée. Il a choisi une voie plus classique : la
voie contractuelle.
13Les articles L. 127-1 et suivants du Code de commerce, issus
de la loi du 1 août 2003 sur l’initiative économique, posent les
e

bases d’un nouveau contrat désigné sous le nom de “contrat


d’appui au projet d’entreprise pour la création ou la reprise d’une
activité économique” (CAPE). C’est un véritable “contrat de
transition professionnelle” qui a pour objet spécifique
l’accompagnement vers l’indépendance professionnelle, défini de
la façon suivante : “contrat par lequel une personne morale
s’oblige à fournir, par les moyens dont elle dispose, une aide
particulière et continue à une personne physique, non salariée à
temps complet, qui s’engage à suivre un programme de
préparation à la création ou à la reprise et à la gestion d’une
activité économique” (art. L. 127-1 C. com.).
14La nature juridique de ce nouveau contrat n’est pas précisée,
mais il ne s’agit pas a priori d’un contrat de travail, l’article L.
127-3 C. com. précisant que l’activité d’accompagnement et la
mise à disposition des moyens nécessaires à la préparation du
projet n’emportent pas par elles-mêmes présomption d’un lien
de subordination, la loi du 1   août 2003ayant par ailleurs rétabli
e

la présomption de non-salariat supprimée par la loi Aubry II du


19 janvier 2000. Le CAPE n’est donc pas un contrat de travail,
mais l’hypothèse de la requalification du CAPE en contrat de
travail n’est pas à exclure si les relations entre la structure
accompagnante et le porteur de projet se transforment en lien de
“subordination juridique permanente” (art. L. 120-3 C. trav.).
15Le législateur a largement ouvert l’accès au dispositif.
Toute personne physique porteuse d’un projet d’entreprise peut
avoir recours à un CAPE, à l’exception des salariés à temps
complet (ceux-là a priori ne disposant pas d’assez de temps pour
développer sérieusement une nouvelle activité). Salarié à temps
partiel ou en congé pour création d’entreprise –mais aussi
demandeur d’emploi– ou encore dirigeant associé unique d’une
personne morale sont par conséquent éligibles au dispositif.
 6 Un “métier” à 4 dimensions : pédagogique (apprentissage du métier
d’entrepreneur), conseil et accom (...)

16Côté “accompagnant”, le législateur a prévu encore plus large


puisque l’activité d’appui aux projets d’entreprise est accessible
à toute personne morale. C’est un choix que l’on peut regretter.
Une autre orientation aurait consisté à mieux identifier le “métier”
de couveuse, dont chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître
l’importance6, à s’interroger sur les compétences nécessaires
pour encourager et accompagner utilement les initiatives
économiques, à chercher les moyens de “professionnaliser” et de
mieux structurer ce secteur d’activité qui repose encore beaucoup
pour l’heure sur les énergies associatives ou coopératives. Dans
cette optique, la fonction d’appui aurait pu être confiée à des
structures spécialisées aux compétences et savoir-faire reconnus.
Au lieu de cela, le législateur a opté pour une vocation large de
toute personne morale, quelle que soit sa nature et son activité
économique, à exercer une fonction d’appui aux projets
d’entreprise, sans doute pour permettre aux entreprises qui
licencient ou qui “essaiment” d’accompagner leurs salariés vers
d’autres projets professionnels.
 7 Circulaire DGEFP, no 2006-28 du 5 septembre 2006, p. 13.

17Laisser cette faculté aux entreprises qui le souhaitent est sans


doute une bonne chose. On peut cependant se demander si tel
est bien le rôle des entreprises en général d’assurer ce type de
fonction et marquer ici une préférence pour l’encouragement de
structures qui auront fait de cet accompagnement aux projets
d’entreprise leur spécialité. On peut douter aussi que les
entreprises aient à cœur d’exercer cette fonction-là très
spécifique, et pour laquelle elles ne sont pas forcément dotées
des compétences nécessaires (elle suppose en outre des
assurances spécifiques)7, alors que l’on observe partout un
mouvement général d’externalisation de toutes les activités qui
ne relèvent pas stricto sensu du “cœur de métier” des entreprises.
 8 J.-K. ADOM et D. HIEZ, “Le contrat d’appui au projet d’entreprise pour
la création ou la reprise d’ (...)

18Le CAPE est, sous peine de nullité, un contrat qui doit être
obligatoirement écrit, conclu pour une durée maximale de douze
mois, renouvelable deux fois. Son contenu, dont les grandes
lignes ont été dessinées par le décret n  2005-505 du 19 mai
o

2005, est largement laissé à la discrétion des parties qui


décideront entre elles des modalités du programme d’appui et de
préparation, ainsi que de leurs engagements respectifs 8. Seront
notamment déterminées les conditions dans lesquelles le
bénéficiaire du CAPE peut prendre à l’égard des tiers des
engagements en relation avec l’activité économique projetée (art.
L. 127-2 C. com.).
19Le régime juridique du CAPE est articulé autour d’un moment
décisif dans le dispositif : celui où le porteur de projet franchit le
cap de la création, celui où il procède à l’immatriculation de son
entreprise (pour les activités qui y sont soumises).
20Avant l’immatriculation, les engagements pris par le
bénéficiaire à l’égard des tiers à l’occasion du programme d’appui
et de préparation, sont au regard de ces tiers, assumés par
l’accompagnateur. Avant l’immatriculation, la personne morale
responsable de l’appui est également responsable à l’égard des
tiers des dommages causés par le bénéficiaire du contrat à
l’occasion du programme d’appui et de préparation.
21Après l’immatriculation, la personne morale responsable de
l’appui et le bénéficiaire du CAPE sont tenus solidairement des
engagements pris par ce dernier dès lors qu’ils sont conformes
aux stipulations du contrat. Après l’immatriculation, en cas de
dommages causés aux tiers, la personne morale “garantit la
responsabilité” à l’occasion du contrat d’appui si le bénéficiaire a
bien respecté les clauses du contrat et ce, jusqu’à la fin de ce
dernier (art. L. 127-4 et L. 127-6 C. com.).
22Le dispositif impose donc de distinguer nettement deux
périodes contractuelles au sein d’un même CAPE,
l’immatriculation ayant pour effet d’entraîner un complet
basculement de régime et une répartition différente des
responsabilités entre l’accompagnateur et bénéficiaire de l’appui.
Le porteur de projet prenant peu à peu son envol économique, les
responsabilités de la structure d’appui, particulièrement lourdes
en première période, s’allègent après l’immatriculation pour
disparaître complètement au terme du CAPE.
23Le dispositif n’est pas à l’abri de critiques. On peut d’abord
regretter que le législateur n’ait pas été plus clair quant au
moment où l’immatriculation doit avoir lieu : “Lorsqu’en cours de
contrat débute une activité économique, le bénéficiaire doit
procéder à l’immatriculation de l’entreprise, si cette
immatriculation est requise par la nature de cette activité” (art. L.
127-4 C. com.). La notion de “début d’activité économique” qui
joue un rôle essentiel dans le dispositif n’est pas définie. Doit-on
se référer à certains actes, par exemple les premiers contrats
conclus ? Quid alors de la possibilité d’essai ? Doit-on se référer à
la notion classique d’activité professionnelle (accomplissement
régulier de certains actes, poursuite d’un but lucratif) qui paraît
repousser un peu loin le moment de l’immatriculation ? Le silence
du texte sur cette question conduit finalement les parties à
décider elles-mêmes du moment le plus favorable au démarrage
de l’activité, ce qui constitue une solution à double tranchant
(avantage de la liberté, mais risque de désaccord). On peut
également regretter que rien n’ait été précisé concernant les
activités qui ne sont pas soumises à immatriculation. Le contrat
jouera là encore un rôle essentiel.
24Quel est le meilleur moment pour mettre un terme à la “période
d’essai” ?
25Si la structure d’appui donne le feu vert pour le démarrage de
l’activité économique, sans doute peut-on penser que l’essai a
été concluant et qu’il est dès lors inutile de maintenir plus
longtemps l’oiseau dans le nid, d’autant que le régime du CAPE
en deuxième période est plutôt source de complexités. Dès lors
que le porteur de projet est immatriculé en tant qu’artisan,
commerçant ou autre, le basculement est opéré vers le statut
d’entrepreneur. Est-il alors opportun de le maintenir dans un lien
contractuel qui l’assimile largement à un salarié ?
26On peut finalement se demander si cette césure du CAPE en
deux périodes distinctes obéissant à des régimes différents est
réellement une bonne idée, et s’il n’eut pas été préférable que la
fin du CAPE coïncide avec le “début de l’activité économique” et le
lancement “officiel” de l’activité. En pratique, les structures
d’appui qui utilisent le CAPE (ce qui n’est pas le cas de toutes, les
autres continuant non sans risque à mobiliser le contrat de travail
comme outil d’accompagnement) ont bien compris les risques et
inconvénients liés au régime de ce contrat post immatriculation,
en termes de responsabilité ou encore de comptabilité. Le
dispositif laissant aux parties une grande liberté contractuelle, le
CAPE cesse souvent en pratique au moment de l’immatriculation
de la nouvelle activité.

II – UN STATUT SOCIAL


FAVORABLE DEFINI PAR LE
CODE DU TRAVAIL ET LE CODE
DE LA SECURITE SOCIALE POUR
SECURISER LES PORTEURS DE
PROJET
27Les porteurs de projet qui concluent un CAPE bénéficient d’un
statut social particulièrement protecteur et sécurisant pour
développer leur nouvelle activité. L’article L. 127-6 du code de
commerce opère en effet un renvoi significatif à l’article L. 783-1
du code du travail, qui ouvre à ces entrepreneurs à l’essai,
pendant toute la durée du contrat d’appui, le bénéfice de diverses
protections en principe réservées aux salariés :
 les dispositions du Code du travail relatives à l’hygiène et à la
sécurité, ainsi qu’aux services de santé au travail ;

 9 Décret n  2005-966 du 9 août 2005, modifié par un décret
o

n  2008-121 du 7 février 2008.


o

la protection contre les accidents du travail et les maladies


professionnelles (art. L. 412-8, 14° CSS et art. D. 412-99 à D. 412-
99-2 CSS)9 ;
 l’affiliation obligatoire au régime général de sécurité sociale pour
la couverture des risques maladie, maternité, invalidité, décès,
vieillesse (art. L. 311-3, 25° CSS) ;
 l’assujettissement obligatoire au régime d’assurance chômage et
la possibilité d’être indemnisé à ce titre en cas d’échec du projet
(conditions d’ouverture des droits précisées par une circulaire Unedic
no  2007-06 du 16 avril 2007).

28Précisons que pour bénéficier d’une ouverture de droits au


regard de la couverture sociale et de l’assurance chômage, le
bénéficiaire du CAPE doit en principe percevoir une
rémunération : soit au titre des revenus procurés par son activité,
soit au titre de la rémunération éventuellement versée par la
personne morale responsable de l’appui avant le début effectif de
l’activité (hypothèse envisagée par le décret n   2005-505 du 19
o

mai 2005, art. 1, 7°).


29Les cotisations sur ces revenus sont calculées selon des
modalités prévues à l’article R. 783-2 du Code du travail :
 avant le début de l’activité économique : sur la rémunération le
cas échéant prévue au contrat, déduction faite de la rétribution
éventuelle de la structure d’appui au titre des frais engagés en
exécution du contrat ;

 10 A compter du début d’activité économique et jusqu’à la fin du
contrat d’appui, certains bénéficiair (...)

après l’immatriculation : sur les revenus correspondants aux


recettes HT dégagées par l’activité, déduction faite des frais liés à
l’exercice de l’activité et de la rétribution éventuelle de la structure
d’appui)10.

30Les bénéficiaires de CAPE peuvent également être couverts au


titre de droits résultant d’une situation sociale antérieure ou
concomitante (salarié à temps partiel, demandeur d’emploi
indemnisé).
31Les obligations incombant aux employeurs pour l’application de
ces dispositions sont à la charge de la personne morale
responsable de l’appui (art. L. 783-1 et R. 783-1 C. trav.).
32Pour encourager l’initiative économique, le législateur a inventé
un statut hybride et novateur qui mobilise les protections du
salariat autour de projets d’activités indépendantes, d’où parfois
sa complexité. Rappelons qu’il ne s’agit que d’un statut
transitoire, l’objectif final étant d’ancrer le porteur de projet dans
sa nouvelle activité économique.
NOTES
1 A. SUPIOT, “Le droit du travail bradé sur le “marché des normes””, Dr.
soc., 2005, 1087.

2 Art. L. 322-8, C. trav.

3 Circulaire DGEFP, n  2000/16, du 26 juin 2000 relative au pilotage


o

national de l’expérimentation “couveuses d’activités ou d’entreprises”,


annulée par une décision du Conseil d’Etat du 27 juin 2001 en raison
des modalités par lesquelles l’administration entendait en
accompagner le développement (l’autorisation de pratiques
dérogatoires au droit commun ne peut résulter que de dispositions
législatives ou réglementaires).

4 Loi n   2003-721 du 1  août 2003 pour l’initiative économique (art. 20


o er

et 21) ; décret n   2005-505 du 19 mai 2005 relatif au contrat d’appui au


o

projet d’entreprise pour la création ou la reprise d’une activité


économique ; circulaire DGEFP n   2006-28, du 5 septembre 2006,
o

relative au contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE).

5 G. AUZERO, “Transition entre le statut de salarié et celui


d’entrepreneur (à propos de la loi n   2003-721 du 1  août 2003 pour
o er

l’initiative économique)”, Bull. Joly, 2003, 895 ; J. Y. KERBOURC’H, “Loi


pour l’initiative économique, analyse du volet social”, SSL, 2003,
n  1139. 4 ; L. CASAUX-LABRUNEE, “La sécurisation d’une transition
o

risquée : du statut de salarié à celui d’entrepreneur”, Semaine Sociale


Lamy, supplément “Sécurisation des parcours professionnels”, mars
2008.
6 Un “métier” à 4 dimensions : pédagogique (apprentissage du métier
d’entrepreneur), conseil et accompagnement (préparation du projet),
administration et gestion (facilitation des premiers temps d’activité),
économique et sociale (constitution de réseaux).

7 Circulaire DGEFP, n  2006-28 du 5 septembre 2006, p. 13.


o

8 J.-K. ADOM et D. HIEZ, “Le contrat d’appui au projet d’entreprise


pour la création ou la reprise d’une activité économique”, Bull. Joly,
2005, n  12, § 290.
o

9 Décret n  2005-966 du 9 août 2005, modifié par un décret n  2008-


o o

121 du 7 février 2008.

10 A compter du début d’activité économique et jusqu’à la fin du


contrat d’appui, certains bénéficiaires du CAPE (demandeurs d’emploi,
bénéficiaires du RMI…) peuvent bénéficier d’une exonération des
cotisations de sécurité sociale (art. R. 322-10-5 C. trav.).

AUTEUR
Lise Casaux-Labrunée
Professeur à l’Université de Toulouse
Laboratoire “Droit et changement social” (UMR CNRS 31) (Faculté de Droit, LIRHE, UT1)

Moyens mis en œuvre par la


pratique pour tenter de
contourner les règles du
droit du travail
Charles Vincenti

p. 173-179

Pour compléter et illustrer ce qui vient d’être dit concernant les


moyens que la pratique a mis en œuvre pour tenter de contourner
les règles du droit du travail jugées par trop contraignantes, aussi
par trop coûteuses, je voudrais vous faire part de trois
expériences vécues qui mettent en jeu trois types de contrats
bien connus :
 Le contrat de sous-traitance,
 Le contrat de franchise,
 Le contrat de société.

I – LE CONTRAT DE SOUS-


TRAITANCE
2Il m’a été donné d’être désigné par Monsieur le Président du
Tribunal de Grande Instance de Toulouse pour représenter, dans
le cadre des poursuites pénales intentées contre la personne
morale, une société (Extand) qui était poursuivie par le Ministère
Public pour exécution d’un travail dissimulé, infraction prévue par
les articles L 362-3, 324-9, 324-10, 324-11, 320 et 143-3 du
Code du Travail, et réprimée par les articles L 362-3, 362-4 et
362-5 du Code du Travail, en même temps que l’était d’ailleurs
son Président Directeur Général, raison pour laquelle, considérant
que l’intérêt de la société n’était peut-être pas conforme avec
l’intérêt personnel du dirigeant, il avait été demandé par le juge
d’instruction à Monsieur le Président du Tribunal, dans le cadre
des dispositions spécifiques du Code de Procédure Pénale en
matière de poursuites de personnes morales, la désignation d’un
mandataire de justice pour représenter la personne morale dans
les poursuites, ce qui m’a valu donc, es qualité, d’être mis en
examen par un juge d’instruction, ensuite poursuivi en
correctionnel et de comparaître devant le Tribunal, puis devant la
Cour.
3C’est une expérience assez intéressante et relativement rare.
4En l’espèce, la société Extand avait un fonds de commerce très
important, étendu sur une zone territoriale importante, de
collecte et de distribution de petits colis.
5Elle récupérait par exemple chez les différents photographes,
marchands de journaux ou autres, les pellicules à faire
développer par des laboratoires photos et les redistribuait
ensuite.
6Elle récupérait auprès de différentes agences de banques des
courriers ou colis qui étaient préparés pour les ramener au siège,
puis, à partir du siège, pour redistribuer certains autres colis
auprès des agences.
7La société Extand avait organisé des tournées qui étaient
strictement précisées, qui devaient être réalisées dans un temps
fixe, démarrées à une certaine heure, exécutées dans un sens
toujours identique à partir de son dépôt général organisé avec
des quais comme toute entreprise de messagerie.
8Et elle procédait par voie d’appel d’offre adjugeant telle ou telle
tournée à des sous-traitants indépendants, inscrits au registre du
commerce comme transporteurs, lesquels pouvaient eux-mêmes
avoir plusieurs employés ou prendre plusieurs tournées.
9La société Extand indiquait intervenir comme commissionnaire
de transport et le propre du commissionnaire de transport c’est
de ne pas effectuer le transport lui-même mais de le sous-traiter
à un ou plusieurs transporteurs en organisant l’ensemble du
transport ou des transports nécessaires pour satisfaire le besoin
du client.
10Il s’agit là de relations tout à fait classiques en la matière et il
est certain que le commissionnaire de transport n’est pas
l’employeur des différents transporteurs.
11Mais, en l’espèce, il a été retenu et jugé par un arrêt de la Cour
d’Appel de Toulouse du 7 mai 2002 que les transporteurs
n’avaient strictement aucune indépendance et qu’ils n’étaient
sous-traitants indépendants qu’en apparence.
12La Cour a rappelé que “l’existence d’une relation de travail ne
dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la
dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des
conditions de faits dans lesquelles est exercée l’activité et le juge
peut, en ce domaine, restituer à de prétendus contrats de sous-
traitance leur véritable nature juridique de contrats de travail en
s’attachant aux rapports établis dans l’exécution du contrat par
les clauses de celui-ci ou par la pratique des parties dans
l’accomplissement effectif du travail”.
13La Cour a rappelé que “le lien de subordination est le critère
déterminant du contrat de travail”.
14Elle a affirmé que “le travail au sein d’un service organisé peut
constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur
détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail”.
15En l’espèce, elle a retenu que les prix des prestations n’étaient
pas librement fixés par les sous-traitants même s’il était organisé
des appels d’offre, parce que les appels d’offre étaient signés en
même temps que le contrat et que les sous-traitants n’étaient pas
en mesure de “négocier librement la rémunération de leur travail”,
a retenu d’autre part l’exclusivité à laquelle étaient astreints les
sous-traitants comme élément susceptible de démontrer
l’existence d’un lien de subordination.
16Elle a retenu que les sous-traitants n’avaient aucune clientèle
propre parce qu’ils n’avaient pas le temps matériel d’en
rechercher une, étant totalement accaparés par les besoins
d’exploitation de la (ou des) tournée qui leur avait été confiée.
17Par ailleurs, ils s’immatriculaient au registre du commerce en
même temps qu’ils signaient avec la société Extand leur contrat
de sous-traitance pour une tournée précise ou pour plusieurs
tournées pour lesquelles ils employaient eux-mêmes des salariés,
ce qui confirme qu’ils n’avaient aucune activité antérieure.
18La Cour a surtout analysé dans le détail la façon dont était
organisé le travail.
19Il y avait des éléments qui apparaissaient immédiatement et qui
n’ont pas été considérés par la Cour comme susceptibles de
justifier en eux-mêmes l’existence d’un lien de subordination :
les colis et les plis ramassés puis distribués étaient tous suivis par
un système de lecteur optique et le matériel était fourni par
Extand.
20Cela est considéré par la Cour comme normal en raison de
l’obligation de résultat qu’Extand a à l’égard de ses clients.
21Extand entendait faire promouvoir son image de marque par
ses sous-traitants et la marque Extand figurait sur les véhicules
avec un logo particulier et sur les tenues des chauffeurs.
22Mais ceci était proposé et non pas imposé au travers d’une
convention image, c’est-à-dire que ceux qui acceptaient d’être
complètement à l’image d’Extand étaient rémunérés et il s’avérait
en pratique que seulement un tiers des sous-traitants véhiculait
l’image.
23Par contre Extand exigeait que les véhicules utilisés soient
choisis sur une liste par elle arrêtée et la Cour a considéré que
cette liste répondait à des critères objectifs de sécurité et
d’adaptation aux volumes du fret qu’elle ne pouvait pas être
abusive et qu’en définitive, ces trois éléments précités ne
caractérisaient pas un lien de subordination.
24Par contre, analysant en détail la façon dont le travail était
réalisé, la Cour a retenu que les sous-traitants étaient tenus
d’arriver dans les locaux d’Extand le matin à heure fixe, que tout
retard était sérieusement pénalisé, que des consignes
minutieuses, strictes, devaient être appliquées pour les
ramassages (remise d’un état de la tournée chaque jour, remise
de feuilles de ramassage, de feuilles de distribution qui devaient
être remplies par le chauffeur au fur et à mesure de l’exécution et
restituées ensuite à Extand avec des modalités différentes selon
qu’il s’agissait de banques, de photographes ou d’autres sortes
de commerces).
25Il y avait une sanction par des pénalités applicables si la
tournée n’était pas effectuée de façon irréprochable et les heures
de livraisons étaient fixées par Extand, le nombre de colis était
fixé par Extand, il y avait une pénalité en cas d’erreur de
transmission.
26Les sous-traitants utilisaient les modèles de fiches établis par
Extand, ils effectuaient, en dehors de la tournée, un certain
nombre de tâches sur le quai même de départ, ils pouvaient se
voir dans certains cas imposer des livraisons supplémentaires sur
une tournée sans augmentation de la rémunération ou avec une
rémunération réduite s’ils le refusaient.
27Certaines opérations de manutention et de chargement avaient
été imposées à certains sous-traitants alors qu’elles n’entraient
manifestement pas dans le contrat de sous-traitance.
28La Cour en a déduit : “une domination d’Extand dans l’activité
de ses soustraitants” et une “intrusion d’Extand dans l’entreprise
de ses sous-traitants, privés d’indépendance et dont l’activité
propre ne pouvait se développer que dans le cadre d’un service
strictement organisé par le donneur d’ordre”.
29Elle a retenu par ailleurs que Extand avait manifesté une
volonté parfaitement affirmée d’aboutir “à la maîtrise de
l’organisation totale du transport, d’en faire une véritable
stratégie d’entreprise en vue d’améliorer la qualité des
prestations” mais aussi dit la Cour “d’améliorer ses coûts très
allégés” puisqu’il n’y avait pas de paiement de cotisations
sociales, de taxe professionnelle, etc… et une volonté de se
libérer de la charge de contrôler l’application de la
réglementation en matière de transport puisque, bien entendu,
cela incombait aux sous-traitants.
30La Cour a donc requalifié le contrat de sous-traitance de
transport en contrat de travail et en a déduit que l’infraction
d’exécution d’un travail dissimulé était constituée.

II – LE CONTRAT DE FRANCHISE


31Dans le même monde du transport, un autre système a été mis
en place par la société France Acheminement au travers d’un
contrat de franchise.
32La société France Acheminement avait une clientèle nationale,
notamment par exemple des constructeurs d’automobiles qui lui
demandaient de pouvoir acheminer les pièces détachées auprès
de tous leurs agents, leurs concessionnaires, fut-ce dans les
endroits les plus reculés de l’Hexagone.
33France Acheminement avait conçu un système de franchise aux
termes duquel les franchisés se voyaient attribuer une zone,
confier des transports à effectuer pour les clients sur la zone et le
contrat de franchise prévoyait que la clientèle appartenait au
réseau des franchisés (en fait c’était la clientèle de France
Acheminement).
34C’était cette société qui traitait les contrats au niveau national
avec les clients, même si le contrat de franchise prévoyait
expressément que le franchisé était censé traiter avec le client.
35Par contre, il fallait utiliser, pour réaliser le transport, des
emballages de colis tout à fait particuliers qui étaient unifiés pour
l’ensemble de tous les franchisés, fournis par France
Acheminement et payés à France Acheminement par les
franchisés lesquels payaient aussi une royaltie de 12 % de leur
chiffre d’affaire.
36C’était France Acheminement qui établissait toutes les factures
de ses franchisés (chaque franchisé envoyait une facture
mensuelle aux clients pour les transports effectués pendant le
mois).
37Il s’agissait de factures établies sur le papier en tête de France
Acheminement mais pour le compte de tel ou tel franchisé
spécifié, quelquefois d’ailleurs quand plusieurs franchisés
intervenaient par roulement ou sur une même zone pour le même
client pour satisfaire ses exigences comptables, une facture
unique était établie au nom des deux ou trois franchisés
intervenants.
38C’est France Acheminement qui encaissait les factures pour le
compte des clients.
39France Acheminement avait mis au point un système de
mutualisation et d’aide aux franchisés pour leur permettre de
subvenir à leurs besoins :
 D’abord France Acheminement, sans tenir compte de ce qui était
effectivement encaissé, versait le 10 du mois un acompte à ses
franchisés
 Ensuite, en fin de mois, elle reversait, déduction faite de ce qui
lui était dû au titre des royalties et autres prestations, le solde de ce
qu’elle avait encaissé pour les franchisés.
40L’encaissement par elle effectif intervenait à 45 jours, 60 jours
ou 90 jours suivant le contrat signé avec les clients.
41Comme certaines zones n’étaient pas rentables et qu’il lui
fallait satisfaire les besoins des clients sur l’ensemble du
territoire, elle versait des sommes fixes à valoir qui excédaient
constamment le chiffre d’affaires réalisé effectivement, à certains
de ses franchisés.
42Si véritablement le franchisé ne pouvait pas s’en sortir, France
Acheminement exploitait alors elle-même la zone avec du
personnel salarié.
43Cette activité directe qui n’était pas rentable avait tendance
d’ailleurs peu à peu à disparaître.
44France Acheminement a été amenée à déposer son bilan.
45Certains franchisés qui ne s’en sortaient pas, ont eu l’idée de
faire requalifier le contrat en contrat de travail.
46Quelques premières décisions ont été rendues, qui ont été
confirmées par des Cours d’appel puis par la Cour de cassation.
47France Acheminement qui a rencontré des difficultés
financières avait été amenée à déposer son bilan et à ce moment
là, une grande quantité de franchisés ont fait requalifier leur
contrat pour être pris en charge par le Fonds de Garantie des
salaires.
48Certains franchisés étaient véritablement des franchisés, ils
avaient une certaine autonomie bien qu’il existât une clause
d’exclusivité dans le contrat de franchise parce qu’ils
bénéficiaient de bonnes zones ou ils en avaient pris plusieurs, ils
s’étaient organisés librement et étaient parvenus à développer
une clientèle propre dans le cadre du contrat de franchise parce
que, de toute façon, tout le système, l’image, etc… étaient celles
de France Acheminement.
49On a donc là aussi l’organisation d’un système de transport
unique, uniformisé, efficace, très centralisé, mais il est apparu en
pratique que, si le système Extand ne laissait véritablement pas
de marge de manœuvre et peu ou pas d’autonomie aux
soustraitants, le système France Acheminement, bien que créant
dans certains cas un lien de subordination évident et une
dépendance économique complète, pouvait laisser subsister, à
l’égard de certains franchisés particulièrement dynamiques, une
véritable indépendance si bien que tous les contrats ne pouvaient
pas être requalifiés et que d’ailleurs un nombre important de
franchisés ne demandaient pas cette requalification même après
la liquidation judiciaire, et ont continué à recréer d’ailleurs des
réseaux entre eux.
50Il n’en demeure pas moins que plusieurs centaines de
franchisés ont fait requalifier leur contrat.

III – LE CONTRAT DE SOCIETE


51Je voudrais vous parler ensuite d’une autre pratique mise en
place par le groupe GIFI.
52GIFI a monté un réseau de nombreux magasins franchisés qui
sont exploités par des sociétés totalement indépendantes qui
appartiennent à des associés qui gèrent et exploitent directement
les magasins GIFI.
53Quel que soit le système d’intégration du réseau, il est
incontestable que chaque société a une véritable indépendance
vis-à-vis de GIFI, mais c’est à l’intérieur de chacune de ces
sociétés d’exploitation de magasins que des requalifications ont
été faites.
54En effet, il y a un ou deux gérants qui ont la majorité et puis il y
a un ou deux, voire trois co-gérants qui ont une petite
participation : 5 % ou 10 % de chacune de ces sociétés exploitant
les magasins, ce qui revient à quatre ou cinq co-gérants par
SARL.
55Et ainsi, lorsque ces magasins ouvrent le dimanche et que les
services de l’Inspection du Travail viennent faire des constats, ils
se trouvent en face de co-gérants qui sont bien entendu libres de
travailler le dimanche.
56Il y a eu certains procès verbaux qui ont été établis à Toulouse,
une condamnation en correctionnelle et la Cour d’Appel de
Toulouse a, par arrêt du 17 octobre 2002 confirmé les
condamnations prononcées contre les gérants majoritaires.
57La chose était surprenante tout de même parce qu’en l’espèce,
au moins pour la société que j’avais défendue, on était en
présence d’un contrat qui prévoyait que les majoritaires (2 époux)
cédaient petit à petit de plus en plus d’actions aux minoritaires
qui, certes, avaient commencé très bas : 3 % à 5 %, mais qui
montaient progressivement jusqu’à 15 %, voire 20 %, et qui
étaient les premiers à indiquer qu’ils se considéraient comme de
véritables co-gérants.
58D’ailleurs, après avoir quitté Toulouse, la société ayant revendu
son magasin toulousain, elle avait pris un magasin plus important
sur la Cote D’azur et tous les cogérants avaient suivi.
59La Cour a considéré qu’en réalité ces co-gérants qui étaient
rémunérés convenablement n’avaient pas de véritable pouvoir de
gestion de la société et devaient être considérés au moins pour
les deux minoritaires non déclarés comme des travailleurs
salariés d’exécution et que de ce fait les deux majoritaires avaient
commis l’infraction de travail dissimulé et d’emploi de salariés le
dimanche et a prononcé des condamnations d’amendes.
60En l’espèce, tout le système avait été créé uniquement pour
pouvoir ouvrir le dimanche parce qu’il faut savoir que GIFI réalise
la très grosse majorité de son chiffre d’affaires le dimanche,
c’était du moins le cas à l’époque en 2000, 2001 et 2002.

CONCLUSION
61Voilà quels sont les trois contrats qui peuvent être utilisés pour
tenter de détourner la réglementation du droit du travail, il peut y
en avoir d’autres (location gérance fictive par exemple…).
62Il ne faut pas croire que tous ces contrats sont nécessairement
utilisés à cette fin ou aboutissent à ce résultat pratique.
63Ce sont des contrats classiques qui correspondent à des
réalités économiques bien connues de sous-traitance réelle, de
commissionnaire de transports, de franchise ou de droits des
sociétés avec plusieurs co-gérants, les uns majoritaires, les
autres minoritaires, etc.
64Mais le caractère par trop contraignant du droit du travail, sa
rigidité excessive, l’importance des charges salariales, amènent
nécessairement, en pratique, certains à tenter de trouver le
moyen de contourner ce droit en utilisant des conventions tout à
fait classiques et licites ayant fait leur preuve en droit
commercial, comme les trois que je viens de vous décrire.
65Si le droit du travail se rééquilibrait, ces pratiques
disparaitraient.
AUTEUR
Charles Vincenti
Avocat au barreau de Toulouse
L’intégration des
préoccupations sociétales
dans le Code de commerce :
informations extra-
financières et commerce
équitable
Isabelle Desbarats et Marie-Pierre  Blin-Franchomme

p. 181-201

“Le rapport au monde est le défi du code de commerce”… La


doctrine, sous une plume aussi efficace qu’élégante, résumait
ainsi récemment tout l’enjeu du Code de commerce 1. Celui de
1807, où le codificateur voulut tracer les cartes juridiques du
monde marchand, pour garantir à la fois le bon ordre du
commerce interne et celui des échanges maritimes. Celui ensuite
de la période d’extension du capitalisme, suscitant la vocation du
droit commercial à l’universel. Celui de 2007 enfin, car il est
légitime de s’interroger sur la portée de ce Code dans une
économie globalisée… Il est une autre dimension de ce “rapport
au monde” que nous souhaiterions ici aborder : celle du
développement durable. Au gré de plusieurs réformes
législatives, le Code de commerce s’est en effet doté de ce nouvel
instrument de “navigation” dans le monde marchand, instrument
dont la vocation est précisément universelle.
 2 V. not. F. FERAL et J.-M. FEVRIER, “Emergence d’une norme juridique,
le développement durable”, Né (...)

 3 F.-G. TREBULLE, “Stakeholders theory et droit des sociétés”, Bull. Joly,


12/2006, p. 1337 et 1/200 (...)
2C’est en fait le défi d’un nouveau projet au monde que notre bon
vieux Code doit relever puisque le développement durable prône
un choix de croissance économique associant progrès social et
respect de l’environnement et ce, pour le bien-être des
générations présentes et futures2. Consacré depuis les années
90, d’abord au niveau international et communautaire puis au
niveau national, le développement durable doit orienter toutes les
activités économiques, publiques comme privées. Une nouvelle
dimension imprègne donc la morale des affaires de ce XXI  siècle :
e

son destinataire est l’entreprise dite “citoyenne” engagée dans


des démarches socialement responsables ; son propos est une
plus grande place accordée aux valeurs sociales et aux
considérations environnementales dans la gouvernance des
activités commerciales ; ses bénéficiaires sont regroupés dans ce
qu’il est convenu d’appeler les parties prenantes, à savoir, au-
delà des actionnaires, l’ensemble des personnes intéressées par
son activité (salariés, fournisseurs, clients, sous-traitants certes,
et plus généralement l’ensemble de la société civile…) 3.
3Cette nouvelle responsabilité “sociétale” des agents
économiques au regard de leur liberté d’entreprendre se
manifeste par des engagements volontaires relevant de
l’autodiscipline : codes éthiques, chartes environnementales,
système de management… Parallèlement, un “vêtement” plus
juridique est en cours de conception : s’il n’a pas les contours
saillants de certaines règles impératives qui prévalent en matière
de droit du travail ou de droit de l’environnement –et dont
l’efficacité est souvent critiquée– il atteste de la prise en compte
par les pouvoirs publics de nouvelles données dans la pesée de
l’intérêt économique, laquelle doit se faire désormais à l’aune du
développement durable consacré dans des Stratégies publiques
communautaire et nationale, et même constitutionnalisé par la
Charte française de l’environnement.
4L’intégration de telles préoccupations sociétales dans le Code de
commerce est observable de deux points de vue. Ce sont tout
d’abord les règles de fonctionnement des sociétés commerciales
qui révèlent l’ouverture du texte à la thématique du
développement durable. Le législateur français a souhaité faire
accéder la fameuse RSE à la sphère juridique en appliquant le
principe de transparence : comme on le verra dans un premier
temps, le Code de commerce impose en effet désormais aux
sociétés des obligations d’informations qui ne sont pas
uniquement financières et traduisent de nouveaux impératifs en
termes de gouvernance d’entreprise (I). La montée en puissance
de ces critères de “performance durable” a des répercussions sur
l’acte d’achat, qu’il soit financier –phénomène de l’ISR– ou
économique –“consom’action”, achats publics–… La transparence
sociétale est donc aussi le vecteur d’une nouvelle loyauté
commerciale dans les échanges marchands, loyauté qui ne
s’exprime pas uniquement à travers un commerce éthique : nous
remarquerons ainsi dans un second temps, que le concept de
commerce équitable a fait son entrée dans la “norme
commerciale”, et cette évolution mérite d’être soulignée –
puisqu’il est ici question d’influence – car elle n’a en effet aucun
équivalent dans le monde (II).

I – FONCTIONNEMENT
SOCIETAIRE : LA CONSECRATION
D’UNE INFORMATION EXTRA-
FINANCIERE
 4 A. VAN LANG, Droit de l’environnement, Thémis, Droit Public, PUF,
Droit, 2006.
 5 M.-P. BLIN-FRANCHOMME et I. DESBARATS, “Le droit des affaires saisi
par le développement durable”, (...)

 6 A. VAN LANG, ouvrage précité.

5Alors que les acteurs du système productif ne sont en principe


assujettis, dans l’exercice de leur liberté d’entreprendre, qu’aux
seules règles juridiques applicables dans le cadre de leur activité,
“les entreprises se trouvent (aujourd’hui) de plus en plus
confrontées aux demandes de la société civile, auxquelles elles
doivent s’adapter pour rester compétitives” 4. En effet,
“l’entreprise postmoderne se veut porteuse de sens et de
valeur”5, comme le traduit le concept en vogue de responsabilité
sociale des entreprises (dite RSE) consacré, au plan
communautaire par un Livre Vert de juillet 2001 destiné “à
promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des
entreprises” complété par une communication de la commission
européenne du 2 juillet 2001 et le lancement de l’Alliance
européenne pour une entreprise compétitive et durable en mars
2006. Située au carrefour de plusieurs phénomènes –contraintes
environnementales ; thématique du consommateur responsable ;
réflexions liées à la bonne gouvernance– le concept se définit
communément comme “l’intégration volontaire, par les
entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à
leurs activités commerciales et dans leurs relations avec les
parties prenantes”. Longtemps marquée du seul sceau du
volontariat, la RSE, néanmoins, “ne passe plus seulement par des
démarches volontaires et facultatives, mais intègre aussi des
règles légales impératives”6. En effet, s’il est une évolution
notable du Code de commerce, c’est bien l’intégration, en son
sein, de ces préoccupations dites sociétales, via de nouvelles
obligations d’information désormais conçues dans une logique de
développement durable. On peut penser que, ce faisant, le code
de commerce contribue à l’émergence d’une définition légale
d’un comportement citoyen de l’entreprise, puisque ces nouvelles
obligations d’informations ne sont pas seulement destinées à ses
actionnaires, mais à l’ensemble des parties prenantes de
l’entreprise.
6Très clairement, les informations extra-financières occupent
donc, aujourd’hui, une place incontournable dans le code de
commerce, ce qui a pour conséquence de conceptualiser la
fameuse responsabilité dite sociétale des entreprises (A). Il n’en
demeure pas moins que la portée de ce type d’informations est
incertaine, ce qui nécessite de repenser leur gouvernance au sein
de l’entreprise : certaines propositions émises lors du Grenelle de
l’environnement ont pour ambition de participer à cette réflexion,
augurant peut-être d’un renforcement prochain des dispositifs
existants (B).

A – La percée de l’information extra-


financière
 7 M. TELLER, “L’information des sociétés cotées et non cotées : une
évolution certaine, de nouveaux (...)

7Comme on l’a souligné, “en matière d’information diffusée par


les sociétés, l’air du temps est incontestablement au
changement”. “(En effet), les obligations d’information à la charge
des sociétés ont profondément évolué : la société “boîte noire”
devient une “boîte de verre”, soumise aux contraintes des
marchés qui postulent plus d’informations, à la fois en quantité et
en nature, et dans un délai raccourci”7…
 8 V. le nouvel alinéa aux articles L. 225-37 et L. 225-68 du Code de
commerce relatif à la direction (...)

 9 C. MALECKI, “Informations sociales et environnementales : de nouvelles


responsabilités pour les so (...)
 10 Décret no 2002-803 du 20 février 2002 modifiant le décret du 23 mars
1967, art. 148-2.

 11 Sauf si cette information est de nature à causer un préjudice sérieux à


la société dans un litige (...)

 12 Ph. MALINGREY, Introduction au droit de l’environnement, Ed.


Lavoisier, 2007, p. 34.

8Certes, il est vrai que plusieurs textes de loi participent de cette


évolution. Les sociétés anonymes doivent ainsi, depuis la loi du
1  août 2003, communiquer sur leurs procédures de contrôle
er

interne8. Quant aux entreprises classées “Seveso seuil haut”, elles


sont tenues, depuis le 30 juillet de la même année, de
communiquer, via leur rapport de gestion sur les risques
industriels majeurs qu’elles génèrent ainsi que sur la politique
adoptée en matière de prévention des risques d’accident
technologique : l’objectif –dans une logique de culture du risque–
est de rendre compte, dans le rapport de gestion, de la capacité
financière de la société à couvrir sa responsabilité civile vis-à-vis
des biens et des personnes du fait de l’exploitation de telles
installations et de préciser les moyens prévus par la société pour
assurer la gestion de l’indemnisation des victimes en cas
d’accident technologique engageant sa responsabilité. Dotée d’un
champ d’application plus large que ces deux textes, la loi dite
NRE du 15 mai 2001 occupe cependant une place bien
particulière dans l’évolution actuelle parce qu’elle se trouve à
l’origine d’une obligation générale dite de reporting, obligation
légale faite aux entreprises de rendre des comptes sur leur
performance sociétale. En effet –soucieuse de faciliter un
approfondissement de la réflexion des opérateurs économiques
sur l’impact sociétal de leurs activité– cette loi a décidé que le
rapport de gestion présenté par les organes de direction à
l’assemblée annuelle devrait désormais contenir –outre les
informations comptables et financières– “des informations sur la
manière dont la société prend en compte les conséquences
sociales et environnementales de son activité” (C. com., art. L.
225-102-1). Voilà pourquoi ce texte fait figure de véritable guide
de l’entreprise citoyenne9 puisqu’il contient, au fond, une
véritable définition du comportement éthique exigé des sociétés
cotées, vial’obligation de rendre compte à travers une liste
exhaustive d’indicateurs généraux. En pratique, ceci implique
que, du point de vue social10, les sociétés concernées sont tenues
d’informer, notamment sur leur politique de recrutement (par
exemple, recours au contrats à durée déterminée ou
indéterminée..), les conditions de travail (santé, politique
salariale, hygiène et sécurité…) ou bien encore sur leur façon de
promouvoir le respect des conventions OIT auprès de leurs sous-
traitants et de leurs filiales. Quant au bilan environnemental, il
pourra être établi sur la base des différents paramètres suivants :
d’abord, des indicateurs de l’impact de l’activité sur
l’environnement naturel (par exemple, sa consommation en eau,
matières premières et énergie ; rejets les plus dangereux dans
l’air, l’eau et le sol ; nuisances sonores ou encore déchets) ;
ensuite, des indicateurs concernant la politique environnementale
de l’entreprise (par exemple : démarches de certification ;
assignation d’objectifs aux filiales étrangères), enfin, des
indicateurs d’ordre financier et comptable (tel que par exemple,
le montant des provisions et garanties pour risques
environnementaux11 ; ou bien encore le montant des dommages
et intérêts imposés par une décision de justice rendue en matière
d’environnement). Au final, l’objectif est que “cette obligation
d’information, conforme au principe général de participation,
(permette) de fournir une information synthétique et lisible à
l’ensemble de parties prenantes de l’entreprise sur sa démarche
de développement durable”12.
 13 Transposition de la directive du 18 juin 2003 destinée à renforcer la
fidélité de l’exposé réalisé (...)

 14 Art. L. 225-100-1 al. 2, C. Com. : les entreprises ne dépassant pas, à


la clôture de l’exercice, l (...)

9Depuis lors, le phénomène d’intégration des préoccupations


sociétales dans le code de commerce n’a cessé de s’amplifier,
comme en témoigne l’ordonnance du 20 décembre 2004, prise
pour adapter au droit communautaire les dispositions internes
relatives à la compatibilité des entreprises 13. En effet, l’article L.
225-100 du Code de commerce prévoit désormais que le rapport
de gestion d’une société cotée doit présenter une analyse de la
situation comportant “des indicateurs clés de performance de
nature non financière… notamment des informations relatives
aux questions d’environnement et de personnel”. Cette obligation
a d’ailleurs été étendue à certaines sociétés non cotées, sous
réserve que les conditions visées par l’article L. 225-100-1 al. 2
du Code de commerce soient remplies14.
 15 S. GERMAIN, “Entreprises, gare à votre réputation !”, Les Echos, 31
mai 2005, p. 10.

 16 O. RAZEMON, “Ethique : quand la loi vient au secours de la


vertu”, Alternatives économiques, 5/200 (...)

10Dans ces conditions, on ne saurait nier que l’une des évolutions


majeures du droit des sociétés contemporain est d’avoir
transformé en obligation légale (i. e. intégrée au rapport de
gestion) ce qui ne constituait, jusqu’à présent, que des
démarches volontaires et spontanées. Ce faisant, on peut estimer
que cette évolution traduit un double mouvement. D’un côté en
effet, on peut penser qu’une telle expansion des exigences
d’information traduit l’influence des règles éthiques sur la
réglementation, ce dont il résulte que l’entreprise, désormais,
doit gérer –outre les risques classiques (financiers,
économiques…)– une sorte de “risque de réputation” 15. Mais d’un
autre côté, on peut également considérer que “la loi vient au
secours de la vertu”16, ce qui conduit, dès lors, à s’interroger sur
la portée (juridique) de ces obligations de rendre compte.
11Or il s’avère que si l’information extra-financière a opéré une
remarquable percée dans le Code de commerce, sa portée reste
néanmoins incertaine, ce qui soulève la question du nécessaire
renforcement du dispositif NRE.

B – La portée de l’information extra-


financière
12Inciter les entreprises à mettre en place, dans une démarche
stratégique, des outils de mesure de l’impact social et
environnemental de leurs activités : tel est donc l’objectif que le
législateur de 2001 a voulu réaliser en instaurant une obligation
de reporting sociétal. Et l’on peut penser qu’en agissant ainsi, les
pouvoirs publics se sont laissés tenter par un encadrement des
démarches dites socialement responsables. Pour autant, loin s’en
faut que la liberté de toutes les entreprises soit, pour l’heure,
véritablement contrainte. Certes, on sait bien que la loi NRE n’a
pas eu pour objectif de créer de nouvelles obligations “de faire” à
la charge des entreprises mais seulement pour but de renforcer
leur “obligation de dire”, ie, de les forcer à s’exprimer sur les
aspects sociaux, territoriaux et environnementaux de leurs
activités économiques : la seule contrainte d’action est donc la
collecte d’informations et leur inclusion dans le rapport de
gestion. Or cette contrainte même semble bien légère si l’on en
juge les différentes limites caractérisant le dispositif NRE et qui
concernent principalement les questions suivantes : domaine
d’application du dispositif, identification du périmètre
de reporting, compréhension et crédibilité des informations
émises, mais aussi nature des sanctions encourues en cas de
violation du reporting. Dans ce contexte, on comprend l’intérêt
suscité par les propositions émises sur ces différents points lors
du Grenelle de l’environnement : si elles étaient suivies d’effet,
elles permettraient de rénover le dispositif NRE, donc d’en
renforcer l’efficacité.
13— Première difficulté : un domaine d’application trop étroit,
dans la mesure où la loi NRE n’a, a priori, pour champ que les
seules sociétés françaises cotées. Certes, il est vrai que
l’ordonnance précitée du 20 décembre 2004 renforce le contenu
du rapport de gestion des sociétés cotées voire même non cotées,
sous réserve du respect de certaines conditions. Mais pour deux
raisons, le nouveau texte ne constitue pas la panacée.
14D’abord en effet, cette ordonnance a prévu un mécanisme
d’allègement pour les petites sociétés non cotées n’atteignant pas
certains seuils, ce qui naturellement restreint d’autant le champ
des sociétés tenues de rendre compte.
 17 Voir article 46, Projet de loi adopté le 21 oct 2008 sur le programme
relatif à la mise en œuvre d (...)

15Ensuite, certains soulignent un risque “d’effet de répétition”,


pour les entreprises soumises à la fois à l’art L. 225-100 et L.
225-102-1du code de commerce, voire un risque d’incohérence,
ces deux articles ne formulant pas identiquement leurs exigences
en matière environnementale. Dans ces conditions, on comprend
pourquoi il est proposé – au nom d’une meilleure implication de
l’ensemble des acteurs dans une démarche de développement
durable – d’étendre le périmètre des entités concernées, dans un
premier temps déjà, à toutes les grandes entreprises, cotées ou
pas (en ce sens Groupe V. Grenelle de l’environnement,
“Construire une démocratie écologique : institutions et
gouvernance”17). Au-delà, certains estiment que l’obligation
de reporting devrait même être étendue à l’ensemble des
opérateurs économiques : entreprises publiques, administrations
d’Etat ou bien encore principales collectivités territoriales faisant
appel à l’épargne publique (régions, départements…), ce qui
pourrait permettre aux pouvoirs publics de s’inscrire à leur tour
dans une logique de développement durable.
16— Seconde difficulté : le périmètre du reporting sociétal, non
précisé par la loi et pour cette raison diversement apprécié par les
entreprises. Pouvant opter pour différents niveaux, cumulatifs ou
pas (le siège social, la France, certaines filiales ou zones
géographiques ou bien encore le groupe consolidé), les
opérateurs économiques se trouvent ainsi confrontés à une grave
situation d’insécurité juridique. Il est clair surtout qu’une telle
flexibilité ne saurait faciliter une comparaison efficace des
performances sociétales, objectif pourtant sous-jacent aux
démarches dites socialement responsables. Dans ce contexte, les
propositions émises lors du Grenelle de l’environnement ne
sauraient surprendre car vraisemblablement conformes à l’esprit
même de la loi du 15 mai 2001. En effet, et bien que le périmètre
du reporting sociétal n’ait donc pas été expressément précisé, on
peut penser que l’idée était celle d’une extension des obligations
de reporting au périmètre de consolidation comptable et aux
filiales. La raison en est que ces informations extra financières
doivent figurer au rapport annuel de gestion, lequel comprend,
on le sait, des informations financières consolidées. Cette lecture
–qui est également celle de l’AMF– résultait d’ailleurs des
éléments de cadrage diffusés lors des auditions préliminaires à la
prise du décret. S’inscrivant dans cette logique, l’un des rapports
émis lors du Grenelle de l’environnement préconise ainsi une
extension du reporting sociétal au périmètre de consolidation
comptable afin que l’impact des activités économiques puisse
être réellement identifié. Une telle solution reprise dans l’article
46 du projet de loi précité permettrait sans doute de mesurer,
avec exactitude, l’empreinte écologique des entreprises.
 18 V. les travaux et propositions sur le site du MEDAD : www.legrenelle-
environnement.fr et notre chr (...)

17— Troisième difficulté altérant la portée de l’obligation


de reportinginstituée par la loi NRE : une trop grande
hétérogénéité, voire même l’insuffisante pertinence des
indicateurs auxquels ce texte fait écho et dont on peut trouver
une illustration dans une lecture croisée du nouvel article 148-3
et de l’art L. 2323 du Nouveau Code du Travail identifiant, pour
sa part, les paramètres à évoquer dans le bilan social des
entreprises de plus de 300 salariés. Provoquée par le double –
mais contradictoire– souci du législateur d’harmoniser les
indicateurs de performances sociétales des entreprises tout en
respectant leur liberté, cette hétérogénéité des critères légaux
n’est d’ailleurs pas sans conséquences. La principale tient
naturellement aux difficultés induites sur le terrain des
comparaisons interentreprises. Comme on l’a souligné, on
imagine également les problèmes de vérification des
engagements pris, dès lors que les indicateurs sont susceptibles
de varier d’une entreprise à une autre. Conscients de ces
difficultés, les participants au Grenelle de l’environnement 18 sont
à l’initiative de différentes propositions, des plus modestes aux
plus ambitieuses. Faisant office de plus petit commun
dénominateur, tous s’accordent ainsi sur la nécessité de se
montrer plus sélectif dans les indicateurs et donc de faire évoluer
la loi NRE afin d’offrir aux entreprises françaises une possibilité
réelle de comparaison et d’action. Plus précisément, certains
soulignent l’intérêt qu’il y aurait à établir un référentiel de base,
commun, qui pourrait “respecter et intégrer les spécificités liées à
la taille de l’entreprise, aux secteurs économiques concernés ainsi
qu’à la géographie des filiales et des sites” (CFE-CGT). Ce
“référentiel de base” pourrait être reconnu par une instance
appropriée (et/ou par voie de normalisation). Ses applications par
branche, filière ou entreprise pourraient servir à la
reconnaissance d’une qualification développement durable
(Groupement des prestataires de service du MEDEF). La
proposition paraît pertinente : sélectionner un nombre réduit
d’indicateurs sociaux et environnementaux par filière ou secteur
d’activité serait, vraisemblablement, la meilleure solution pour
garantir une bonne compréhension et lisibilité des informations
fournies par les opérateurs économiques. Pour sa part, le
Gouvernement entend, prudemment, soutenir “une harmonisation
des indicateurs sectoriels au niveau communautaire” (art. 46,
projet de loi du 21 octobre 2008, précité).
 19 Aux termes de l’art L. 2323-8 nouv. C. trav., “dans les sociétés
commerciales, l’employeur communi (...)

 20 En conséquence, s’il s’avère que des informations sont erronées, le


comité d’entreprise en sera do (...)

18Par ailleurs, un autre reproche concerne cette fois la crédibilité


des informations que les sociétés sont désormais tenues de
fournir… ce qui soulève la question de l’évaluation
du reporting sociétal… et donc celle du rôle susceptible d’être
joué, non seulement, par les associés minoritaires, mais aussi par
le comité d’entreprise, les commissaires aux comptes, sans
oublier les agences de notation. Certes, l’intervention de certains
de ces acteurs paraît indiscutable. Tel est le cas pour les associés
minoritaires dont les droits ont été augmentés par la loi NRE,
mais également pour le comité d’entreprise qui dans les SA,
dispose du même droit d’information et de communication que
les actionnaires19 et que la loi NRE a transformé en véritable
partenaire de l’assemblée générale20. Naturellement, il ne peut
qu’en aller de même concernant les agences de notation, à
l’origine d’une certification externe. L’intervention des
commissaires aux comptes est en revanche plus discutée, par
eux-même d’ailleurs, au motif qu’en tant que professionnels du
chiffre, leur contrôle ne saurait facilement porter sur des données
qualitatives. Voilà pourquoi d’ailleurs, au lendemain de l’adoption
de la loi NRE, la Compagnie Nationale des Commissaires aux
Comptes a émis un avis technique prudent précisant qu’il
appartient au commissaire aux comptes d’apprécier si
l’information sociétale a une incidence sur la situation financière
de l’entreprise et si, par conséquent, il lui appartient –ou non–
d’en vérifier la cohérence et la sincérité. Aujourd’hui –et en raison
de la dynamique créée par le Grenelle de l’environnement–
l’attention se focalise plutôt sur les prérogatives supplémentaires
qui pourraient être attribuées aux instances de représentation du
personnel. C’est ainsi que, s’agissant du comité d’entreprise et
s’il dispose d’ores et déjà des moyens d’obtenir communication
du rapport sociétal, on s’interroge sur son aptitude à exercer
également un droit de regard sur son contenu même. Telle est
l’une de propositions émises lors du Grenelle de l’Environnement,
certains préconisant que les rapports annuels fassent l’objet
d’une consultation formalisée et d’un avis public du comité
d’entreprise (CGT), d’autres évoquant l’association des instances
de représentation du personnel au reporting sociétal (CFDT).
Dans cette logique et à moyen terme, les organisations syndicales
devraient être saisies conformément à la Loi du 31 janvier 2007
sur la possibilité d’ajouter aux instances et représentations du
personnel une compétence en matière de développement durable
(cf. art. 46 du projet de loi précité).
 21 Pour plus de développements sur cette question, voir notre article
précité.
19Reste une dernière question, qui est celle des sanctions
encourues en cas de violation du reporting ; il s’agit là en effet
d’un point crucial en raison du silence observé par le législateur.
Certes, il est vrai qu’en dépit de ce silence, des sanctions
juridiques sont tout à fait concevables, sur le plan civil comme sur
le plan pénal, qu’il s’agisse de sanctionner une absence totale de
rapport de gestion, ou bien des informations erronées 21. Mais en
réalité, il semble bien que le véritable problème soit ailleurs et
soit celui de l’opportunité de prononcer, ou non, une sanction
juridique, comme en attestent les débats qui se sont noués à ce
propos. En effet, certains défendent une approche volontaire et
non juridiquement sanctionnée, pour ne pas paralyser le
mouvement de RSE, qui est donc partiellement consacré par la loi
NRE et dont la spécificité est d’octroyer une large part d’initiative
aux entreprises. D’autres, au contraire, préconisent une approche
normative en raison d’un risque de privatisation de la règle de
droit et souhaitent ainsi que la publication d’informations
sociétales erronées se révèle caution gérante..
20De fait, il semble bien que cette question des sanctions
encourues en cas de violation de l’obligation
de reporting constitue la question d’avenir en matière
d’implication des entreprises dans une logique de développement
durable. En effet, on peut penser que si le législateur français
s’est montré prudent et évasif, cela traduit peut-être une
ouverture du code de commerce aux sanctions émises par le
marché. Dès lors, si tel était le cas, il s’agirait d’un nouveau type
d’action publique –non plus seulement correctrice du marché–
mais “relayée par le marché”. Voilà pourquoi on peut penser que
la thématique du développement durable dans le code de
commerce renvoie, au fond, au débat plus large sur les mérites et
inconvénients respectifs de la réglementation et de la régulation
(droit post-moderne que l’on sait plus flexible, mouvant, finalisé,
comme l’illustre par exemple l’adoption de codes de conduites, et
autres chartes éthiques)… Comme on va le voir, cette
problématique se vérifie aussi en ce qui concerne le commerce
équitable.

II – ECHANGES MARCHANDS :
LA RECONNAISSANCE DU
COMMERCE EQUITABLE
 22 G. CANIVET, “L’histoire sans fin des lois éphémères, ou de la
régulation des relations entre la pr (...)

21Producteurs versus distributeurs : la relation commerciale


souvent tendue entre ces protagonistes a suscité, comme chacun
sait, de multiples tentatives de régulation, les pouvoirs publics
souhaitant trouver un équilibre protecteur du petit commerce et
du producteur ainsi finalement que du consommateur. Mais ces
tentatives visant à introduire plus de transparence et de loyauté
dans les échanges commerciaux semblent s’effeuiller en une
“histoire sans fin des lois éphémères” 22, et posent aussi plus
généralement la question de la nécessité et de la pertinence de
l’intervention de l’Etat dans les relations entre la production et la
grande distribution… Ces remarques relatives aux rapports
commerciaux internes prennent une acuité particulière au regard
de l’article 60 de la loi n   2005-882 du 2 août 2005 en faveur des
o

petites et moyennes entreprises : par cette disposition, qui figure


désormais en annexe des Codes de commerce édités, les
pouvoirs publics opèrent une reconnaissance juridique du
commerce équitable. Cette évolution s’explique sans doute par le
fait que le commerce équitable apparaît aujourd’hui comme un
instrument du développement durable (A). Les conséquences de
cette nouvelle “norme commerciale” au regard du construit
juridique existant méritent d’être mesurées (B).

A – Le commerce équitable, instrument du


développement durable
 23 V. DIAZ PEDREGAL, Commerce équitable et organisations de
producteurs, Le cas des caféiculteurs and  (...)

 24 W. ABDELGAWAD, “Le commerce équitable et la société civile


internationale : une chance pour la mon (...)

 25 A.-F. TAISNE et A. PALMA TORRES, “Commerce équitable et


régulations publiques”, Action publique et (...)

 26 F. de SOUSA-SANTOS, “Structures du commerce équitable”, Rev.


Concurrence et Consommation, no spéci (...)

 27 V. not. P. JOHNSON (dir.), Commerce équitable, propositions pour des


échanges solidaires au servic  (...)

22Le commerce équitable est né dans les années 50 sous la


bannière du Trade not aid (“Le commerce, pas la charité”), porté
par un mouvement caritatif soutenant le développement des
producteurs pauvres, en particulier ceux des pays d’Amérique
latine23. Il est donc issu de la société civile 24, animé par des
associations de solidarité internationale, de coopératives et par
des engagements citoyens. S’il a pu se présenter comme un
commerce alternatif au commerce mondial, le commerce
équitable se revendique désormais de l’économie solidaire25 :
trois principes d’action indissociables sont ainsi mis en avant, à
savoir l’instauration entre des structures d’importation et des
producteurs défavorisés des pays en développement d’une
relation commerciale équitable, le renforcement de la capacité de
ces organisations de producteurs, et enfin la participation à
l’éducation et au développement des citoyens consommateurs 26.
Ces trois principes sont d’ailleurs repris dans l’accord AFNOR AC
X50-340 du 10 janvier 2006 qui, s’il n’édicte pas une norme en
tant que telle, est toutefois un document de référence élaboré
collectivement par des acteurs identifiés... Après un soutien
humaniste et religieux, puis tiers-mondiste, l’émergence du
commerce équitable est aussi aujourd’hui portée par le concept
de développement durable27, comme en atteste la définition
retenue en 2001 par les fédérations internationales du commerce
équitable (FLO, IFAT, NEWS, EFTA) regroupées dans le réseau
FINE : “Le commerce équitable est un partenariat commercial
fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif
est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce
mondial. Il contribue au développement durable en offrant de
meilleures conditions commerciales et garantissant les droits des
producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement
au Sud de la planète”.
 28 J.-G. VAILLANCOURT et A. BAMAGO, “Commerce équitable et
développement durable : concepts opposés o (...)

 29 PE 6 juin 2006, Rapport sur le commerce équitable et le


développement, doc. final A6-0207/2006, V. (...)

 30 Ils ont abouti le 10 janvier 2006 à un accord AFNOR AC X50-340 : il


ne s’agit pas d’une norme mais (...)

 31 Communication en Conseil des Ministres du 3 mai 2006 sur le


commerce équitable.

23Le développement durable et le commerce équitable sont en


effet des concepts complémentaires qui ont en commun une
approche critique de l’économie libérale, critique d’une économie
conçue comme une fin en soi et négligeant les aspects sociaux et
environnementaux pour le premier, critique des déséquilibres
économiques induits par un système économique mondial
favorisant les entreprises multinationales pour le second. Si leur
complémentarité s’apprécie donc au regard de leurs fondements,
elle se mesure également à travers leur interprétation (critères de
développement économique, de respect des droits sociaux et de
l’environnement) et leur dimension internationale 28… Cette
complémentarité a également été mise en exergue dans le récent
rapport29 du Parlement européen : sa proposition de “résolution
sur le commerce équitable et le développement” débute par le
constat que “le commerce équitable s’est révélé être une méthode
efficace de promotion du développement durable”. Au niveau
interne, les travaux menés sous l’égide de l’AFNOR 30 et ceux du
législateur –article 60 § I de la loi de 2005 précitée en faveur des
PME– ont inscrit ces échanges “dans la Stratégie nationale de
développement durable” : ainsi pour les pouvoirs publics français,
le commerce équitable est “une forme de commerce plus
transparente, garantissant au consommateur comme au
producteur le respect de règles essentielles de progrès
économique, social et environnemental”31.
24Il convient de souligner que le rayonnement du récent concept
de développement durable sur celui, plus ancien, de commerce
alternatif –dit aujourd’hui “équitable”– a eu des conséquences sur
la structuration de ce mouvement, ainsi d’ailleurs que sur sa prise
en compte par les pouvoirs publics.
 32 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, Eyrolles, éd. d’Organisation,
2  éd. 2007, spéc. p. 81.
e

 33 V. DIAZ PEDREGAL, Le commerce équitable dans la France


contemporaine, Idéologies et pratiques, L’H (...)

 34 P. CARY, Le commerce équitable, Quelles théories pour quelles


pratiques  ? éd. L’Harmattan, 2004, p (...)

 35 V. DIAZ PEDREGAL, Le commerce équitable dans la France


contemporaine, op. cit.
25Alors que les premières approches ont favorisé l’essor d’une
filière commerciale alternative et ancrée dans les rapports
Nord/Sud (via les boutiques non conventionnelles spécialisées et
fonctionnant grâce au bénévolat : Magasins du Monde, Artisans
du Monde), “l’intégration du commerce équitable, comme force
de proposition à l’intérieur du large mouvement du
développement durable, permet sa diffusion à un plus large
public et le décollage de sa notoriété et de ses ventes” 32. On sait
ainsi que depuis la fin des années 80, le commerce équitable est
entré, par le vecteur de la labellisation des produits “Max
Havelaar”, dans une phase de “vulgarisation idéologique et
économique”33. Or avec cette voie de la labellisation, qui a permis
aux produits équitables d’entrer dans la grande distribution mais
aussi d’être soumis à ce stade à des motifs économiques de
profit, il devient difficile de parler “de rattachement à l’économie
solidaire”34. De sorte qu’une partie du commerce équitable se
trouve indéniablement porté davantage par le mouvement du
développement durable, même si le voisinage de ces concepts
peut donc faire polémique au sein de la famille du commerce
équitable35.
 36 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 97.

 37 Plus généralement pour un panorama des produits éthiques : S.


CZARYSKI, Guide des produits respons (...)

 38 V. COMMENNE, Responsabilité sociale et environnementale :


l’engagement des acteurs économiques, éd (...)

26L’introduction du commerce équitable dans les circuits de


distribution classiques comporte en effet plusieurs risques et,
tout d’abord, celui d’une dilution des échanges “équitables” dans
la notion plus compréhensive de commerce “éthique”, lequel
repose sur les seuls critères sociaux et environnementaux sans
préoccupation de l’état de pauvreté et du développement
économique des producteurs. Ainsi le commerce éthique, à la
différence du commerce équitable, ne se demande pas si les
bénéficiaires du centre de production sont les plus défavorisés :
“il s’agit juste d’améliorer la valeur ajoutée environnementale ou
sociale ou du moins d’en limiter les aspects négatifs” 36. Sur le
plan international, ce positionnement éthique des affaires
concerne d’ailleurs essentiellement les multinationales, qui
interviennent dans des pays à faible protection, ces grandes
entreprises étant précisément celles auxquelles les acteurs du
commerce équitable reprochent de rechercher un profit
maximum… Une autre menace réside ensuite dans la profusion
des logos et étiquettes “commerce équitable”37 induite par la
diversité des acteurs du commerce équitable au Nord (filière
standardisée et filière labellisée) et par la tentation des
distributeurs classiques de développer sous leur propre marque
des produits “issus du commerce équitable”. Ces labels n’étant
pas publics, des observations sont émises sur la réalité des
contrôles effectués, et ce notamment en vue de protéger les
consommateurs, agents économiques qui exercent une
responsabilité sociétale en choisissant d’être consomm’acteurs38.
 39 V. Le commerce équitable : 40 propositions pour soutenir son
développement, Rapport A. HERTH, mai (...)

 40 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 80.

 41 V. supra, I.

 42 B. EDELMAN, “Valeurs non marchandes et ordre concurrentiel”, L’ordre


concurrentiel, Mélanges A. Pi (...)

27C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics ont souhaité


renforcer la garantie accordée au commerce équitable, en
complément des pratiques d’auto-régulation convergentes –
consignées dans des chartes– des acteurs du commerce
équitable. Ce n’est pas le projet de loi présenté par le Secrétariat
d’Etat à l’économie solidaire en 2001 qui a opéré cette
reconnaissance, pas plus d’ailleurs qu’un projet de réforme du
Code de la consommation, mais la loi précitée de 2005 “en faveur
des PME”39. Ce cadre législatif peut surprendre à plusieurs
égards. L’on rappellera en effet que c’est la grande distribution –
secteur très concentré– qui réalise 80 % des ventes des produits
équitables en France, mais il s’est agit ici de soutenir les
entreprises de taille plus restreinte qui sont actives sur ce
marché. Par ailleurs, on notera que c’est par la “norme
commerciale” que les échanges équitables font leur entrée dans la
sphère législative, dans un titre de loi dédié à la “Modernisation
des relations commerciales” : ce choix se justifie si l’on accepte la
connexité du commerce équitable et du développement durable,
mouvement “plus rassembleur et consensuel” puisqu’il s’adresse
notamment aux entreprises en proposant “une croissance
économique dynamique et saine et respectueuse des équilibres
sociaux et environnementaux”40. A travers cette disposition, la loi
commerciale reconnaît donc le positionnement du monde des
affaires sur des considérations sociétales jusqu’alors réservées au
monde associatif, cette ouverture sur le commerce équitable
pouvant être rapprochée des dispositions légales relatives à la
responsabilité sociale des entreprises41… Alors qu’il a été –et
restera– largement porté par la société civile, le commerce
équitable connaît lui aussi “le paradoxe des valeurs non
marchandes”, lesquelles ne seraient efficaces qu’à condition
d’être reprises par le marché42.
 43 V. notre article précité : “Pratiques commerciales : l’émergence
juridique du commerce équitable”, (...)

 44 D., no 2007-986 du 15 mai 2007, JO, no 113 du 16 mai 2007, p. 9440.


28Ainsi la loi commerciale consacre-t-elle des critères sociétaux
visant à garantir ces échanges marchands équitables. Selon
l’article 60 § II de la loi de 2005 précitée “au sein des activités du
commerce, de l’artisanat et des services, le commerce équitable
organise des échanges de biens et de services entre des pays
développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays
en développement. Ce commerce vise à l’établissement de
relations durables ayant pour effet d’assurer le progrès
économique et social de ces producteurs”. Cette définition légale,
assez vague, a été précisée par un projet de décret et de
circulaire43 ; un décret du 15 mai 2007 institue pour sa part une
Commission nationale du commerce équitable à laquelle il
incombera, sur une base volontaire, de “reconnaître” les
personnes physiques ou morales veillant au respect de ces
conditions44, conditions du commerce équitable qui empruntent
aux trois piliers du développement durable.
 45 A. HERTH, Le commerce équitable : 40 propositions pour soutenir son
développement, Rapport, mai 20 (...)

 46 P. CARY, op. cit., p. 105.

 47 Décret précité, art. 6 point I.

 48 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 99.

 49 P. CARY, op. cit., p. 69.

 50 Sur la pluralité des critères du “juste prix” : V. DIAZ PEDREGAL, Le


commerce équitable dans la Fr (...)

 51 Rapport précité.

 52 Décret du 15 mai 2007, préc., art. 6 point I.


29On y retrouve en effet, mais avec une acuité et une dimension
spatiale particulière, l’impératif d’un développement économique
vertueux en ce sens qu’il favorise les producteurs défavorisés des
pays du Sud. On notera que le commerce équitable est donc
appréhendé dans sa seule dimension Nord-Sud, ce qui marque “le
choix d’une définition restrictive qui réserve ce concept au
PED”45. Le développement économique des producteurs les plus
pauvres est la spécificité du commerce équitable, dont l’objectif
est de “corriger un système économique dont le mécanisme des
prix n’assure pas des conditions de vie décentes à un certain
nombre de producteurs”46. Le décret du 15 mai 2007 qui institue
la Commission nationale du commerce équitable, indique que les
personnes souhaitant être reconnues doivent avoir pour objectif,
“dans le respect des principes du développement durable, de
permettre aux producteurs défavorisés des pays en
développement d’améliorer leurs conditions de vie (…)” 47. Les
chartes des différents acteurs du commerce équitable, bien que
variées, convergent vers ce “critère d’exigence n  1”,
o

incontournable48. Dans cette perspective, l’achat direct, évitant


les intermédiaires, est prôné et l’instrument clé est ici celui d’une
juste rémunération payée à ces producteurs, visant à les “délivrer
des variations incontrôlées des cours des matières premières” 49,
et sera principalement évaluée en fonction des nécessités
locales50. Comme le propose le Parlement européen, le prix
équitable doit être “garant d’une rémunération équitable couvrant
les frais durables de production et de subsistance ; ce prix doit
être aussi élevé que le prix minimal et la prime du commerce
équitable lorsque ceux-ci ont été définis par les associations
internationales du commerce équitable” 51. Ce juste prix suppose
aussi un préfinancement des commandes et la stabilité des
échanges, conçus comme une relation commerciale à moyen ou
long terme. Le progrès économique implique également que les
producteurs s’organisent en un jeu structuré (organisations de
producteurs) ce qui leur permettra “de renforcer leur capacité
d’action et de négociation vis-à-vis des marchés et des pouvoirs
publics”52. Ces organisations doivent être conçues de façon
démocratique, ce qui nous renvoie au critère social.
 53 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 121.

 54 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 98.

 55 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 141.

30En effet, le commerce équitable comporte également un


important volet social, lequel apparaît au titre des “critères de
progrès, outils d’amélioration continue” lors du développement
de la filière53. Cette mission sociale est clairement explicitée dans
le projet de circulaire consécutif à la loi de 2005 : “lorsque les
producteurs utilisent de la main-d’œuvre salariée, les salaires
sont supérieurs ou égaux à la moyenne régionale et au salaire
minimum lorsque la législation le prévoit. Les producteurs
respectent les conventions de l’OIT sur la liberté d’association et
de négociation collective, le travail forcé, le travail des enfants, la
lutte contre les discriminations”. Toutefois, à la différence du
commerce éthique, le commerce équitable admet ici une
approche plus évolutive face à un producteur défavorisé qui n’est
pas en mesure de garantir des conditions optimales de travail et
de rémunération : “l’accompagnement du producteur va dans le
sens d’une amélioration de sa condition sociale (rémunération et
conditions de travail) à terme, mais la question que l’on cherche à
résoudre est avant tout qu’il sorte de la pauvreté” 54. Outre
l’élimination du travail des enfants, et l’amélioration des salaires
et des conditions de travail, “un engagement des acteurs envers
leur environnement économique, social et
environnemental”55 constitue notamment un critère de progrès,
lequel s’entend notamment de la promotion du statut des
femmes.
 56 Ibid.

31Reste enfin la dimension environnementale du commerce


équitable, élément induit par le concept de développement
durable et qui peut parfois être un des projets prioritaires,
comme par exemple en Amazonie afin de maintenir l’équilibre
écologique56. Cependant, il est vrai que c’est le critère social qui
apparaît le plus souvent prépondérant, comme en atteste
d’ailleurs l’article 60 de la loi de 2005 précitée, peu disert sur les
contraintes environnementales. Toutefois le projet de circulaire,
s’appuyant sur les travaux de l’AFNOR, insiste notamment sur la
nécessité de choisir des modes de culture anti-érosives, de
limiter le recours aux engrais minéraux et pesticides de synthèse.
Par ailleurs, activités artisanales et agricoles doivent porter une
attention particulière aux ressources naturelles en particulier
l’eau (prélèvements et rejets) et le bois, et améliorer le traitement
de leurs déchets.
32Comme on le voit avec les deux derniers critères, la nouvelle
norme commerciale sert de vecteur à une extension des règles du
Droit du travail et du Droit de l’environnement, ce qui nous
conduit plus généralement à aborder la question de ses
incidences juridiques.

B – Portée de la nouvelle norme


commerciale
33Si, comme on l’a dit, “le rapport au monde est le défi du Code
de commerce”, il faut alors s’interroger sur le “rapport au monde
juridique” de cette nouvelle norme du commerce équitable, non
seulement au regard des différentes branches du droit mais
également au regard des ordres juridiques, communautaires et
internationaux.
 57 Avis no 06-A-07, disponible sur le site du Conseil de la concurrence.

 58 Décision no 05-D-22 du 18 mai 2005 relative à des pratiques mises en


œuvre par l’association “Agric (...)

34S’agissant des différentes branches du droit tout d’abord, le


droit commercial lui-même se trouve donc enrichi d’une nouvelle
définition des échanges marchands. Compte tenu de ses
conséquences possibles sur le marché, le premier réflexe est
d’interroger les règles relatives aux pratiques
anticoncurrentielles, corpus juridique en principe hostile à l’idée
d’entraide entre agents économiques. Le Conseil de la
concurrence a d’ailleurs été consulté et a rendu un avis le 22
mars 200657, adoptant une analyse assez réservée quant à la
consécration d’un prix minimum garanti pour les producteurs et à
la certification “CNCE”, deux éléments qui pourraient tomber sous
le coup de la prohibition des ententes entre entreprises prévue à
l’article L. 420-1 du code de commerce, et au niveau
communautaire, à l’article 81 du Traité CE. S’agissant du prix
minimum, ce critère du commerce équitable pourrait en effet
constituer un obstacle à la libre fixation des prix par le marché et
donc par les producteurs, dès lors que les conditions d’achat sont
harmonisées par quelques associations du Nord. Cependant, le
Conseil observe dans le même temps qu’au stade ultérieur de la
transformation et distribution des produits commerce équitable,
les entreprises restent libres de leur politique de prix. Par ailleurs,
les effets anticoncurrentiels liés au prix minimum sont
essentiellement extra-territoriaux ; et s’il est vrai que ces
conditions d’achat harmonisées peuvent entraîner une hausse des
prix de vente au consommateur dans l’Union européenne et en
France, le Conseil écarte cette objection du fait notamment de la
faible part des ventes de produits CE aujourd’hui... Quant au
système de certification tel qu’envisagé alors par les pouvoirs
publics français (CNCE), il convient de vérifier que cette
normalisation ne conduit pas à une discrimination entre
concurrents par la consécration d’un opérateur unique. Dans une
affaire concernant également une démarche collective de qualité,
le Conseil a ainsi eu l’occasion de souligner que, si une telle
démarche constitue une entente entre entreprises qui y adhèrent,
elle sera jugée anticoncurrentielle “si les critères d’octroi
d’un label dont la détention est indispensable pour exercer une
activité n’étaient pas suffisamment objectifs et clairs et se
prêtaient à une application discriminatoire (…)”58.
 59 V. Diaz PEDREGAL, “Participer au développement du commerce
équitable dans les pays du nord : carac (...)

 60 V. par ex. en ce sens le site éthiquable.

35Toujours en droit commercial, l’incidence de cette consécration


d’un commerce équitable nous paraît intéressante au regard des
pratiques restrictives entre entreprises, la loi de 2005, faut-il le
rappeler, visant à équilibrer les relations entre producteurs et
distributeurs (contrats de coopération, enchères inversées…). Or,
comme on l’a souligné, l’approche officielle du commerce
équitable le cantonne dans une approche Nord-Sud, sans doute
pour éviter le débat sur la nécessité de prendre également en
compte les producteurs du Nord qui peuvent être en situation
défavorable. Le droit français offre certes déjà certaines
protections, tel l’abus de dépendance économique. Mais la
période récente étant marquée par la recherche d’une plus grande
loyauté entre acteurs économiques, l’équité des conditions
commerciales ne pourrait-elle pas devenir plus généralement un
critère du commerce ? Les prix sont fixés librement en France,
règle qui concerne bien entendu aussi les produits commerce
équitable labellisés vendus dans les circuits de distribution
classiques, de sorte que ce tronçon du commerce (importateurs,
distributeurs, consommateurs) n’est pas “équitable”. Le
commerce équitable pourrait ici trouver l’appui des démarches
RSE de ces entreprises de distribution. On notera d’ailleurs que
certains entrepreneurs militants, qui sont “la figure la plus
récente du commerce équitable”59, prévoient dans les contrats de
distribution de leurs produits “commerce équitable” des clauses
relatives aux marges commerciales de leurs revendeurs60.
 61 J. CALAIS-AULOY, “Concurrence déloyale et protection des
consommateurs”, Mélanges Y. Serra, éd. Da (...)

36Enfin, les entreprises concurrentes maniant la qualification


“commerce équitable” pour leurs produits à la vente sont
également susceptibles d’être poursuivies au regard des règles
relatives à la concurrence déloyale, entendue comme des
procédés commerciaux fautifs au sens de l’article 1382 du Code
civil. Cette perspective n’est pas purement théorique si l’on
envisage la multiplication des “labels privés” dans ce secteur.
Dans cette perspective, on observera d’ailleurs que, transposant
la directive 2005/29 sur les pratiques déloyales, la loi n   1- o

2008 du 3 janvier 2008 insère un nouveau chapitre dans le Code


de la consommation, dont un article L. 120-1 qui précise que “les
pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique
commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences
de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible
d’altérer de manière substantielle, le comportement économique
du consommateur normalement informé et raisonnablement
attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service”. Cette
approche consacre l’extension de la protection aux
consommateurs au regard de la concurrence déloyale 61, ce qui
nous conduit à envisager le droit de la consommation.
 62 Avis du 22 mars 2006 du Conseil de la concurrence, précité.

 63 C. consom., art. L. 212-1.

 64 Voy. Chronique EJERIDD, Rev. Lamy, droit des affaires, nov. 2008.

37La reconnaissance du commerce équitable intéresse en effet


également cette branche du droit : ce choix de consommation
relève de démarches volontaires des consommateurs et il est
donc fondamental qu’ils disposent dans ce domaine aussi d’une
information claire et fiable. De ce point de vue, l’objectif
poursuivi par le législateur français est donc considéré comme
légitime62. Il est même nécessaire si l’on en juge par le rapport
2006 sur la Stratégie nationale du développement durable, qui a
révélé les résultats d’une enquête menée par la DGCCF auprès de
50 opérateurs du CE (centrales d’importation, distributeurs
spécialisés, associations fédératrices) et concluant à des
insuffisances. Ces dernières concernent d’une part l’obligation de
conformité des produits à la réglementation française : on sait
que l’importateur doit procéder à un auto-contrôle afin de vérifier
qu’à sa mise sur le marché, le produit répond aux exigences
relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des
transactions commerciales et à la protection du
consommateur63(étiquetage en langue française, quantité
annoncée, ingrédients, facturation…). D’autre part,
l’Administration s’est interrogée, sur le fondement de l’article L.
121-1 du Code de la consommation relatif au délit de publicité
mensongère, sur l’efficacité des garanties offertes par les
nombreuses étiquettes ou labels privés CE. Il faut en effet
rappeler que si ces “labels privés” sont licites, c’est à la condition
de ne pas induire de confusion dans l’esprit du consommateur.
Cependant, si les règles relatives à la publicité mensongère sont
applicables, leur activation s’avère difficile en l’absence de critère
officiel du commerce équitable. En droit français, la valorisation
des produits connaît un cadre juridique assez contraignant (art. L.
115-21 ss. Code consom.) : le label ou la certification d’un
produit correspond à un signe d’identification de la qualité
répondant à un ensemble de critères précis, défini dans un cahier
des charges, lequel est contrôlé par un organisme tiers
indépendant de l’entreprise, sachant que cet organisme doit être
déclaré auprès des pouvoirs publics –produits non alimentaires–
et même agréé s’il s’agit de produits agricoles et denrées
alimentaires… Il est à noter un renforcement juridique indéniable
au regard des pratiques d’auto-régulation pouvant influer sur le
consommateur. En effet, la loi dite Chatel du 3 janvier 2008 (L.
n  2008-3)
o
a transposé en droit français la Directive
n  2005/29/CS
o
du 11 mai 2005 relative aux pratiques
commerciales déloyales des entreprises, et à ce titre sont
désormais appréhendées non seulement la publicité mais
également toutes les pratiques susceptibles d’induire le
consommateur en erreur, ce qui est le cas d’un code de conduite
par lequel le professionnel s’est engagé et qu’il ne respecte pas.
Le nouvel article L. 121-1 du Code de la Consommation fournit
donc une arme supplémentaire dans la dénonciation de pratiques
éthiques purement promotionnelles, et ce d’autant que l’article L.
141-4 a été lui aussi introduit dans le Code de la Consommation
selon lequel “le juge peut soulever d’office toutes les dispositions
du présent code dans les litiges nés de son application”. Enfin, la
loi LMG du août 2008 a confirmé cette évolution en posant, dans
un nouvel art. L. 121-1-1 du Code de la consommation des
présomptions de pratiques commerciales trompeuses, au titre
desquelles figurent l’utilisation d’un label sans autorisation ou
encore celles relatives à un usage impropre du code de
conduite64…
 65 D., 15 mai 2007, préc.
 66 A titre de comparaison, on évoquera le système établi pour la
qualification “agriculture raisonnée (...)

38Ces critères ne sont pas toujours remplis par les acteurs du CE,
même si l’on assite depuis quelques années à un travail
conséquent d’autorégulation à travers l’édiction de Chartes
(Artisans du Monde, Plate-forme du Commerce équitable…) ou de
standards communs de certification (par exemple Max Havelaar,
lequel vient d’ailleurs d’obtenir la certification ISO 65)… Pour
apporter plus de garantie à la filière, les pouvoirs publics français
ont choisi non pas la voie de la labellisation des produits mais
celle de la reconnaissance des acteurs du commerce équitable –
les acteurs économiques en sont formellement exclus pour éviter
toute récupération marchande– par une Commission nationale ad
hoc65. Son rôle n’est pas de certifier directement les entreprises
du secteur : il ne s’agit donc pas d’un organisme certificateur, et
elle se rapproche davantage d’un organisme d’accréditation… Or
en matière de labels agricoles, il existe en France un système
d’agrément par l’Etat des organismes certificateurs couplé à un
système d’accréditation par le COFRAC (Comité français
d’accréditation)... La création de la CNCE apparaît donc comme un
élément de complexification dans le paysage de la labellisation66.
 67 W. ABDELGAWAD, “Le commerce équitable : l’éthique de l’économie
solidaire”, L’éthique dans les rel (...)

 68 J. CHEVALLIER, “La résurgence du thème de la solidarité”, La


solidarité, un sentiment républicain   (...)

 69 C. JAMIN, “Plaidoyer pour le solidarisme contractuel”, Le contrat au


début du XXIe siècle, Etudes(...)

 70 M. MALAURIE-VIGNAL, “Solidarisme, distribution et concurrence”, Le


solidarisme contractuel, L. GRY (...)
39La solidarité inhérente au commerce équitable a été étudiée du
point de vue de l’économie solidaire : une approche sociologique
et économique internationale permet de mettre en exergue le
double mouvement de “solidarité exogène ou transfrontière”
(celle qui relie les acteurs et consommateurs du Nord et les
producteurs du Sud : bénévolat, préfinancement des commandes,
choix d’une consommation engagée) et de “solidarité endogène”
dans les rapports entre les producteurs au Sud67. La
reconnaissance officielle du commerce équitable marque donc
une consécration de la solidarité, concept revivifié 68, et conduit
plus précisément à s’interroger sur son influence en droit des
contrats. En effet on peut se demander si cette nouvelle norme
commerciale ne donne pas, enfin, au solidarisme contractuel 69 la
positivité juridique que l’on hésite encore à lui reconnaître.
Certes, sphère commerciale et solidarisme paraissent
antinomiques, mais il faut rappeler que certains arrêts cités à
l’appui de ce courant doctrinal intéressent la distribution 70…
Ainsi, afin de garantir l’équilibre de la relation commerciale, un
contrat doit être conclu avec les producteurs défavorisés. Ce
point est mis en avant dans l’accord AFNOR précité, lequel
apporte une aide quant à la rédaction de ce document et à la
définition des droits et obligations de chacun des partenaires.
Finalement, comme le solidarisme contractuel, le commerce
équitable constitue le projet d’une troisième voie, celle d’un juste
milieu entre l’individu et le tout collectif, voie qui, sur le plan du
développement économique international, s’ouvrirait entre libre
échange et politiques d’assistanat… Cette trajectoire nous amène
d’ailleurs à apprécier la reconnaissance française du commerce
équitable au regard d’autres ordres juridiques.
40Reste en effet à penser l’articulation de cette nouvelle norme
commerciale avec le cadre communautaire et les exigences du
commerce international.
 71 A. RANCUREL, op. cit., p. 46.

 72 PE Doc. A4-0198/98 PE 225. 945, site europarl.

 73 Communication sur le commerce équitable du 29 novembre 1999,


COM (1999) 619 final.

 74 Doc. Final A6-0207/2006, précité, spéc. point X.

41Au niveau communautaire, l’enjeu d’une reconnaissance du


commerce équitable doit s’apprécier en tenant compte de
l’importance du marché européen en matière de produits
équitables. Le cadre communautaire n’était pas très favorable au
commerce équitable, tant dans sa politique externe –soit une
politique commerciale tournée vers le soutien aux pays africains
ou de l’Est, alors que le commerce équitable s’est d’abord
développé en Amérique latine– que dans ses objectifs internes :
ainsi du fait de la politique agricole commune (PAC), les
exportations de produits agricoles issus du commerce équitable
des pays d’Amérique latine “non seulement ont vu se fermer
l’accès au marché communautaire, mais ont dû affronter la
concurrence européenne sur les marchés tiers” 71. Cependant, le
Parlement européen a eu et garde un rôle d’impulsion comme
l’atteste notamment le Rapport “Fassa” de 199872, qui a conduit
la Commission à présenter une communication soutenant ce type
de commerce73. Depuis lors toutefois, aucune norme
communautaire n’a été édictée, et le plus récent rapport du
Parlement européen, en date du 6 juin 2006, considère
“qu’aucune politique clairement définie ne prévaut au sein de la
Commission concernant le commerce équitable (…) et qu’il
n’existe aucune coordination structurée entre les différentes
directions générales”74. Dans ces conditions, la création d’une
norme législative française, parallèlement aux autres projets
belges et italiens, ne manque pas soulever des questions
juridiques, cette multiplication de législations nationales d’Etats
membres, non harmonisées, risquant de se heurter au principe
fondateur de libre circulation des marchandises dans l’Union
européenne. Quoiqu’il en soit pour le moment, tout en soutenant
sur le principe le mouvement du commerce équitable, la
Commission, comme en matière de RSE, ne souhaite pas
s’orienter vers une nouvelle réglementation et prône
l’instauration d’une norme volontaire…
 75 COM (1999) 619 final, précitée, spéc. p. 14.

 76 Ibid.

 77 B. OPPETIT, “Droit du commerce international et valeurs non


marchandes”, Etudes P. Lalive, éd. Hel (...)

42Cette approche communautaire s’explique sans doute par la


nécessité de respecter les objectifs de l’Organisation mondiale du
commerce, qui prône la libéralisation des échanges. Ainsi dans sa
communication du 29 novembre 1999, la Commission a
clairement souligné que, tant que les initiatives de soutien au
commerce équitable restent privées et fondées sur des démarches
volontaires, “le commerce équitable peut se concilier avec un
système commercial multilatéral non discriminatoire, car il
n’impose pas de restrictions à l’importation ou autres formes de
protectionnisme. Ces initiatives peuvent être assimilées à un
mécanisme de marché qui élargit le choix offert tant aux
producteurs qu’aux consommateurs” 75. En revanche, et cette
remarque intéresse donc l’évolution de la norme commerciale
française, “si les gouvernements devaient mettre en place des
dispositifs fondés sur des notions spécifiques du commerce
équitable, ils auraient à tenir compte des obligations qui leur
incombent dans le cadre de l’OMC” 76. Il ne saurait y être dérogé
que sur le fondement de motifs légitimes – telles la protection de
la santé ou celle de l’environnement – et à condition que ces
motifs ne constituent ni une restriction déguisée au commerce ni
une discrimination arbitraire. On le voit, la consécration légale du
commerce équitable alimente la question centrale de la place des
valeurs non marchandes dans le droit du commerce
international77. Ici aussi, c’est sans doute par le vecteur du
développement durable, concept mentionné dans le préambule de
l’Accord instituant l’OMC, que le commerce équitable pourra se
voir pris en compte.
 78 S. ALLEMAND, Les nouveaux utopistes de l’économie, Autrement,
2005, spéc. p. 84 ss.

43Plus généralement, et pour conclure, en s’ouvrant aux principes


du développement durable, tant dans le fonctionnement des
sociétés que dans les échanges marchands, le Code de commerce
devient le passeur des rêves de ceux que l’on désigne désormais
comme les “nouveaux utopistes de l’économie”78, ce qui,
finalement, est une belle influence pour un “faiseur de systèmes”.
NOTES
1 V. LASSERRE-KIESOW, “L’esprit du Code de commerce”, 1807-
2007 : Le code de commerce, Livre du bicentenaire, D., 2007, p. 19.

2 V. not. F. FERAL et J.-M. FEVRIER, “Emergence d’une norme juridique,


le développement durable”, Némésis, n  5, Presses univ. de Perpignan,
o

2002 ; C. CANS, “Le développement durable en droit interne :


apparence du droit et droit des apparences”, AJDA, 2003, p. 210.

3 F.-G. TREBULLE, “Stakeholders theory et droit des sociétés”, Bull. Joly,


12/2006, p. 1337 et 1/2007, p. 7 ; F. AGGERI (dir.), Organiser le
développement durable, Vuibert ADEME, 2005 ; M. BONNAFOUS-
BOUCHET et Y. PESQUEUX (dir.), Décider avec les parties prenantes, La
découverte, 2006.
4 A. VAN LANG, Droit de l’environnement, Thémis, Droit Public, PUF,
Droit, 2006.

5 M.-P. BLIN-FRANCHOMME et I. DESBARATS, “Le droit des affaires


saisi par le développement durable”, La modernisation du droit des
affaires, (sous la direction de G. JAZOTTES), Litec, 2007, pp 89-109.

6 A. VAN LANG, ouvrage précité.

7 M. TELLER, “L’information des sociétés cotées et non cotées : une


évolution certaine, de nouveaux risques probables”, RTD Com, 2007, p
17

8 V. le nouvel alinéa aux articles L. 225-37 et L. 225-68 du Code de


commerce relatif à la direction et à l’administration des sociétés
anonymes.

9 C. MALECKI, “Informations sociales et environnementales : de


nouvelles responsabilités pour les sociétés cotées”, D., 2003, Ch. 818.

10 Décret n  2002-803 du 20 février 2002 modifiant le décret du 23


o

mars 1967, art. 148-2.

11 Sauf si cette information est de nature à causer un préjudice


sérieux à la société dans un litige en cours.

12 Ph. MALINGREY, Introduction au droit de l’environnement, Ed.


Lavoisier, 2007, p. 34.

13 Transposition de la directive du 18 juin 2003 destinée à renforcer la


fidélité de l’exposé réalisé par le rapport annuel de gestion consolidé
ou non, et qui impose que l’information financière ne se limite pas aux
seuls aspects financiers de la vie de la société mais invite à recourir
“dans la mesure nécessaire à la compréhension de l’évolution des
affaires, des résultats ou de la situation de la société” à des indicateurs
clés de performance de nature non financière “ayant trait à l’activité
spécifique de la société, notamment des informations relatives aux
questions d’environnement et de personnel”. Le 9e considérant de la
directive analyse les “informations de nature non financière” comme
une “branche de l’information financière”. Ce constat est vérifié par
l’importance de ces éléments dans les informations devant être
portées à la connaissance des marchés financiers.

14 Art. L. 225-100-1 al. 2, C. Com. : les entreprises ne dépassant pas,


à la clôture de l’exercice, les chiffres fixés par décret à venir de deux
des seuils suivants : total de leur bilan, montant net du chiffre
d’affaires ou nombre moyen de salariés permanents employés au
cours de l’exercice.

15 S. GERMAIN, “Entreprises, gare à votre réputation !”, Les Echos, 31


mai 2005, p. 10.

16 O. RAZEMON, “Ethique : quand la loi vient au secours de la


vertu”, Alternatives économiques, 5/2003, n  214, p. 64.
o

17 Voir article 46, Projet de loi adopté le 21 oct 2008 sur le


programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement.

18 V. les travaux et propositions sur le site du MEDAD :


www.legrenelle-environnement.fr et notre chronique EJERIDD, “Droit
des affaires et développement durable”, Lamy Droit des affaires, février
2007.

19 Aux termes de l’art L. 2323-8 nouv. C. trav., “dans les sociétés


commerciales, l’employeur communique, au comité, avant leur
présentation à l’assemblée générale des actionnaires ou à l’assemblée
des associés l’ensemble des documents transmis annuellement à ces
assemblées et le rapport des commissaires aux comptes. Le comité
peut formuler toutes observations utiles sur la situation économique et
sociale de l’entreprise. Ces observations sont transmises à l’assemblée
des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du
conseil d’administration, du directoire ou des gérants”.
Nul doute, d’ailleurs, que les informations relatives aux plans de
réduction des effectifs et de sauvegarde de l’emploi, ou relatives à
l’emploi et à l’insertion des travailleurs handicapés, pourraient
constituent des thèmes susceptibles d’intéresser les salariés
actionnaires et le comité d’entreprise.

20 En conséquence, s’il s’avère que des informations sont erronées, le


comité d’entreprise en sera donc informé.
Dès lors, il aura à sa disposition les nouvelles prérogatives que la loi
NRE lui a conférées en vue d’améliorer son implication dans le
fonctionnement de la SA. Ainsi, en application du nouvel art L. 432-6-
1 C. trav., le comité d’entreprise peut, désormais : demander en justice
la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée
générale des actionnaires en cas d’urgence ; requérir l’inscription de
projets de résolutions à l’ordre du jour des assemblées ; et, surtout,
désigner deux de ses membres pour assister aux assemblées
générales (dans ce cas, ces derniers doivent, à leur demande, être
entendus lors de toute délibération requérant l’unanimité des
associés).
Par ailleurs, dans l’hypothèse où les informations sociales (travail des
enfants, non-respect des dispositions de l’OIT) ne seraient pas
suffisamment précises, n’est-il pas concevable que le comité
d’entreprise utilise son droit d’alerte (L. 432-5 C. trav.) ou l’expertise
de gestion (art. L. 225-231 C. com.), ou encore sollicite l’assistance
d’experts pour vérifier lesdites informations ?

21 Pour plus de développements sur cette question, voir notre article


précité.

22 G. CANIVET, “L’histoire sans fin des lois éphémères, ou de la


régulation des relations entre la production et la grande
distribution”, Mélanges Serra, D., 2006, p. 320.

23 V. DIAZ PEDREGAL, Commerce équitable et organisations de


producteurs, Le cas des caféiculteurs andins au Pérou, en Equateur et
en Bolivie, L’Harmattan, 2006 ; A. RANCUREL, Le commerce équitable
entre l’Europe et l’Amérique latine, vers un nouveau droit des relations
Nord-Sud  ? L’Harmattan, 2006.
24 W. ABDELGAWAD, “Le commerce équitable et la société civile
internationale : une chance pour la mondialisation d’un droit de
l’économie solidaire”, RIDE, 2003, p. 197.

25 A.-F. TAISNE et A. PALMA TORRES, “Commerce équitable et


régulations publiques”, Action publique et économie solidaire, Une
perspective internationale, J.-L. LAVILLE et alii (dir.), éd. Erès, 2006,
p. 303, spéc. p. 304.

26 F. de SOUSA-SANTOS, “Structures du commerce équitable”, Rev.


Concurrence et Consommation, n  spécial 156, La consommation
o

engagée, déc. 2007, p. 73.

27 V. not. P. JOHNSON (dir.), Commerce équitable, propositions pour


des échanges solidaires au service du développement durable , éd.
Charles Léopold Mayer, 2003 ; T. LECOMTE, Le pari du commerce
équitable. Mondialisation et développement durable, éd.
d’Organisation, 2003.

28 J.-G. VAILLANCOURT et A. BAMAGO, “Commerce équitable et


développement durable : concepts opposés ou complémentaires ?”,
2  Colloque international sur le commerce équitable, juin 2006,
e

Montréal, sur le site Internet de l’UQAM.

29 PE 6 juin 2006, Rapport sur le commerce équitable et le


développement, doc. final A6-0207/2006, V. considérant A.

30 Ils ont abouti le 10 janvier 2006 à un accord AFNOR AC X50-340 : il


ne s’agit pas d’une norme mais d’un document de référence.

31 Communication en Conseil des Ministres du 3 mai 2006 sur le


commerce équitable.

32 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, Eyrolles, éd.


d’Organisation, 2  éd. 2007, spéc. p. 81.
e
33 V. DIAZ PEDREGAL, Le commerce équitable dans la France
contemporaine, Idéologies et pratiques, L’Harmattan, 2007, spéc.
p. 114.

34 P. CARY, Le commerce équitable, Quelles théories pour quelles


pratiques  ?éd. L’Harmattan, 2004, p. 126.

35 V. DIAZ PEDREGAL, Le commerce équitable dans la France


contemporaine, op. cit.

36 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 97.

37 Plus généralement pour un panorama des produits éthiques : S.


CZARYSKI, Guide des produits responsables labellisés, Melezia, 2006.

38 V. COMMENNE, Responsabilité sociale et environnementale  :


l’engagement des acteurs économiques, éd. Charles Léopold Mayer,
2006, spéc. p. 126.

39 V. Le commerce équitable  : 40 propositions pour soutenir son


développement, Rapport A. HERTH, mai 2005 ; Sophie
GRANDVUILLEMIN, “Commerce équitable : comment réguler un marché
alternatif ?”, JCP E, 2007, n 51, 2604 ; M. PEDAMON, “Le commerce
o

équitable”, 1807-2007 : le Code de commerce, Livre du bicentenaire,


éd. Dalloz, 2007, p. 240 ; M.-P. BLIN-FRANCHOMME, “Pratiques
commerciales : l’émergence juridique du commerce équitable”, Lamy
Droit des affaires, janvier 2007, pp. 73-83.

40 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 80.

41 V. supra, I.

42 B. EDELMAN, “Valeurs non marchandes et ordre


concurrentiel”, L’ordre concurrentiel, Mélanges A. Pirovano, éd. Frison-
Roche, 2003, spéc. p. 353 ss.
43 V. notre article précité : “Pratiques commerciales : l’émergence
juridique du commerce équitable”, rev. Lamy Droit des affaires, janvier
2007, pp. 73-83.

44 D., n  2007-986 du 15 mai 2007, JO, n  113 du 16 mai 2007,


o o

p. 9440.

45 A. HERTH, Le commerce équitable  : 40 propositions pour soutenir


son développement, Rapport, mai 2005, p. 19.

46 P. CARY, op. cit., p. 105.

47 Décret précité, art. 6 point I.

48 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 99.

49 P. CARY, op. cit., p. 69.

50 Sur la pluralité des critères du “juste prix” : V. DIAZ PEDREGAL, Le


commerce équitable dans la France contemporaine, op. cit., spéc.
p. 231.

51 Rapport précité.

52 Décret du 15 mai 2007, préc., art. 6 point I.

53 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 121.

54 T. LECOMTE, Le commerce sera équitable, op. cit., spéc. p. 98.

55 T. LECOMTE, op. cit., spéc. p. 141.

56 Ibid.

57 Avis n  06-A-07, disponible sur le site du Conseil de la


o

concurrence.

58 Décision n   05-D-22 du 18 mai 2005 relative à des pratiques mises


o

en œuvre par l’association “Agriculture et Tourisme en Dordogne-


Périgord” dans le secteur de l’accueil touristique des agriculteurs sur
leur exploitation.

59 V. Diaz PEDREGAL, “Participer au développement du commerce


équitable dans les pays du nord : caractéristiques sociales du
personnel des structures de commerce équitable et stratégies de
légitimation de la profession”, De l’intérêt général à l’utilité sociale  : la
reconfiguration de l’action publique, L’Harmattan 2006, p. 191.

60 V. par ex. en ce sens le site éthiquable.

61 J. CALAIS-AULOY, “Concurrence déloyale et protection des


consommateurs”, Mélanges Y. Serra, éd. Dalloz 2006.

62 Avis du 22 mars 2006 du Conseil de la concurrence, précité.

63 C. consom., art. L. 212-1.

64 Voy. Chronique EJERIDD, Rev. Lamy, droit des affaires, nov. 2008.

65 D., 15 mai 2007, préc.

66 A titre de comparaison, on évoquera le système établi pour la


qualification “agriculture raisonnée” qui renvoie, lui aussi, à une
approche globale dans la production avec des aspects
environnementaux mais également sociaux comme la protection des
travailleurs agricoles : les organismes certificateurs, qui feront des
audits dans les exploitations agricoles, doivent être agréés par le
Ministère après avis de la Commission nationale de l’Agriculture
raisonnée – qui est une instance consultative-et accréditation par le
COFRAC sur la base de la norme EN 45011.

67 W. ABDELGAWAD, “Le commerce équitable : l’éthique de l’économie


solidaire”, L’éthique dans les relations économiques internationales,
en hommage à P. Fouchard, Pedone, 2006, p. 155, spéc. p. 164.

68 J. CHEVALLIER, “La résurgence du thème de la solidarité”, La


solidarité, un sentiment républicain  ? Paris PUF, 1992, p. 115.
69 C. JAMIN, “Plaidoyer pour le solidarisme contractuel”, Le contrat au
début du XXI   siècle, Etudes J. Ghestin, LDGJ, 2001, p. 441 ; D.
e

MAZEAUD, “Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise


contractuelle”, Mélanges Terré, 1999, p. 603.

70 M. MALAURIE-VIGNAL, “Solidarisme, distribution et


concurrence”, Le solidarisme contractuel, L. GRYNBAUM et M. NICOD
(dir.), Economica, 2004, spéc. p. 95 ss.

71 A. RANCUREL, op. cit., p. 46.

72 PE Doc. A4-0198/98 PE 225. 945, site europarl.

73 Communication sur le commerce équitable du 29 novembre 1999,


COM (1999) 619 final.

74 Doc. Final A6-0207/2006, précité, spéc. point X.

75 COM (1999) 619 final, précitée, spéc. p. 14.

76 Ibid.

77 B. OPPETIT, “Droit du commerce international et valeurs non


marchandes”, Etudes P. Lalive, éd. Helbing et Lichenhahn, 1993,
p. 309.

78 S. ALLEMAND, Les nouveaux utopistes de l’économie, Autrement,


2005, spéc. p. 84 ss.

AUTEURS
Isabelle Desbarats
Maître de conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, EJERIDD, UT1)
Marie-Pierre Blin-Franchomme
Maître de conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, EJERIDD, UT1)

Le bail commercial
Hugues  Kenfack, Yassila  Ould-Aklouche, Solène  Ringler et Isabelle Tortosa

p. 207-229
Le droit français des baux commerciaux est composé d’un statut.
Ce dernier est très rigoureux s’il est comparé au droit des autres
pays européens qui laisse un large champ à la liberté
contractuelle. Depuis le décret de 19531, le statut fait l’objet de
“multiples retouches parcellaires et hétérogènes 2”. Le
bicentenaire du code de commerce donne l’occasion de s’y
intéresser une nouvelle fois.
 3 Dictionnaire Larousse. Voir également, G. CORNU, Dictionnaire
juridique, PUF, coll., Quadrige, 8ème(...)

 4 GAFFIOT, Dictionnaire latin-français.

 5 “Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige
à faire jouir l’autre d (...)

2Il convient tout d’abord d’analyser l’expression “statut des baux


commerciaux”. Le terme “statut” se définit comme “un texte ou un
ensemble de texte fixant les garanties fondamentales accordées à
une collectivité, à un corps” 3. Cette définition renvoie à l’idée
d’un élément qui, par son caractère substantiel, nécessite une
stabilité, voire une inflexibilité. L’étymologie latine
“status”4 signifiant “fixer, établir” conforte cette idée. Ensuite, les
“baux” sont des contrats spéciaux définis par le Code civil à
l’article 17095. L’adjonction de l’adjectif “commerciaux” a une
double acception. Elle annonce l’application de règles
exorbitantes de droit commun et manifeste l’idée que la flexibilité
n’est pas étrangère au statut. Le terme “commerciaux” a la même
racine que “commerce”, ce dernier évoquant les notions
d’échange et de flexibilité.
3L’expression “statut des baux commerciaux” reflète deux idées
antinomiques : celle de “rigidité”, contraire à la vie des affaires, et
celle de “flexibilité”, courante dans le monde des affaires. Qu’en
est-il véritablement ?
 6 Article 1708 à 1762 du Code civil.

 7 Article 1737 du Code civil : “Le bail cesse de plein droit à l’expiration du
terme fixé, lorsqu’il (...)

 8 Loi du 30 juin 1926 réglant les rapports entre locataires et bailleurs en


ce qui concerne le renou (...)

 9 La protection était, toutefois, minime. En effet, cette loi prévoyait


plusieurs hypothèses où le p (...)

 10 Cette loi prévoyait la nullité des clauses de non-renouvellement du


bail. Des dispositions concern (...)

4A l’origine, seules les règles de droit commun régissaient le bail


commercial6. Il était soumis à l’entière liberté des parties. Aucun
droit au renouvellement n’était accordé au locataire 7, aucune
indemnité ne lui était versée à la cessation de la relation
contractuelle. Très rapidement, la protection du commerçant
locataire était devenue primordiale. Dans cette perspective, la loi
du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds
de commerce fut votée. Dans le contexte de crise et de pénurie
de locaux de la première Guerre mondiale, une proposition de loi
a été déposée, en vue d’assurer une telle protection. La loi du 30
juin 1926 en fut l’aboutissement8, établissant les premières bases
de la protection du locataire. Elle lui accordait le droit au
renouvellement de son bail et à défaut, une indemnité
d’éviction9/10.
5Il a fallu attendre le décret du 30 septembre 1953 pour que soit
organisé un statut spécifique aux baux commerciaux, codifié aux
articles L. 145-1 et suivants du code de commerce. L’instauration
du statut des baux commerciaux avait pour objectif précis
d’assurer une protection efficace du fonds de commerce et de
son exploitant.
 11 Le nouveau droit de préemption des communes sur les fonds de
commerce et les baux commerciaux expl (...)

6Plus d’un demi siècle après l’adoption du décret, le statut a


favorisé le développement du commerce et des marchés
immobiliers de toutes sortes. Il a permis, par ailleurs, l’éclosion
des centres d’affaires, de centres commerciaux et de galeries
commerciales. Or, en dépit du fait que ce secteur d’activité se soit
développé aussi rapidement et de façon aussi performante, la
situation a été moins fleurissante pour les petits commerces des
centres-villes spécialement dans les villes moyennes11.
7Cette évolution aboutit à un constat : il s’agit d’un statut original
sans équivalent en droit comparé (I). Mais constater, c’est déjà
contester (II) pour construire (III).

I – LE CONSTAT : UN STATUT


ORIGINAL SANS EQUIVALENT EN
DROIT COMPARE
 12 Y. CHARTIER, “Rigidité et flexibilité dans le droit des baux
commerciaux”, Mélanges offerts à Jean (...)

8Le principal objectif de la législation des baux commerciaux est


d’assurer la pérennisation de la situation du locataire. Pour ce
faire, l’objet de la réglementation s’est d’abord focalisé sur le bail
commercial, puis, corrélativement, sur le preneur 12. Ici, se trouve
le fondement de l’existence d’un statut original (A). Toutefois,
de lege ferenda, l’évolution devrait tendre à une réforme du
statut, et ce, sous l’impulsion du contexte international (B).
A – L’originalité du statut
9La singularité du statut est révélatrice de l’orientation choisie
par le législateur. Celle-ci réside dans la protection du locataire.
Pour cette raison, le statut est empreint d’une rigidité (1).
Parallèlement, toujours dans le dessein de favoriser le preneur, le
statut autorise une certaine flexibilité (2).

1) La rigidité du statut
10La défense des intérêts du locataire passe-t-elle par des
dispositions impératives ? L’interprétation jurisprudentielle doit-
elle être négligée ?
 13 Article. L. 145-4 du Code de commerce.

 14 Ce droit est subordonné à l’exploitation effective du fonds au cours des


trois années qui ont préc (...)

 15 Article L. 145-14 du Code de commerce.

 16 Article L. 145-17 du Code de commerce. Il s’agit, ici, d’apprécier le


comportement du locataire.

11Dans le souci d’assurer au locataire la stabilité de son


exploitation, une durée minimale de neuf ans est imposée aux
parties13. Le preneur dispose également d’un droit au
renouvellement de son bail14. A défaut, le paiement de
l’indemnité d’éviction lui est dû par le bailleur15, sauf si le refus
du renouvellement est fondé sur un motif grave et légitime, sur
un motif relatif au local, ou sur le droit de reprise pour habiter les
locaux16. L’indemnité est une somme d’argent qui doit, en
principe, dissuader le bailleur de refuser le droit au
renouvellement. C’est en ce sens que le locataire est titulaire
d’une “propriété commerciale”.
 17 La valeur locative correspond au loyer résultant de la loi du marché.
Voir J. DERRUPPE, Les Baux c  (...)

 18 Article L. 145-33 du Code de commerce “Le montant des loyers des


baux renouvelés ou révisés doit c (...)

 19 La règle du plafond est exclue quand le bail expiré a été conclu pour
une durée supérieure à neuf (...)

 20 Article L. 145-34 du Code de commerce.

 21 Celui-ci constitue le plafond.

 22 Cass. 3ème civ., 3 décembre 2003, Bull, III, no219.

 23 Ibid.

12L’efficacité du renouvellement du bail est subordonnée à la


fixation du loyer du bail renouvelé. Celui-ci doit correspondre à la
valeur locative17. Elle est fixée par le juge, en cas de désaccord
entre les parties18. Des règles favorables existent en la matière,
notamment quand le bail répond à certains critères 19. Celles-ci
résident dans le principe du plafonnement du loyer. En effet, le
loyer du bail renouvelé ne peut “excéder la variation de l’indice
national trimestriel du coût de la construction publié par l’INSEE
intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré” 20.
C’est d’ailleurs la valeur locative qui est retenue, même si elle est
inférieure au montant résultant de l’application de la variation de
l’indice21/22. Il faut noter que le plafonnement est écarté en cas
de modification notable de la valeur locative. Cette mesure,
favorable au bailleur, trouve sa limite dans le fait que la charge de
la preuve de la modification pèse sur lui23.
 24 L. 145-37 à L. 145-39 du Code de commerce. Elle a lieu tous les trois
ans à compter de la dernière (...)

 25 Article L. 145-33 du Code de commerce.


 26 Article L. 145-38, alinéa 3, du Code de commerce.

 27 Cass. 3ème civ., 12 juillet 1989, JCP, 1989, éd° G, IV, p. 346.

13Par ailleurs, la durée légale du bail induit une modification du


loyer durant son exécution. Une révision légale, à l’issue de la
période triennale est prévue au profit des parties24. En cas de
désaccord, le loyer révisé est fixé judiciairement, et doit
correspondre à la valeur locative25, même si elle est supérieure
au loyer en vigueur. Toutefois, le montant du loyer révisé ne doit
pas excéder “la variation de l’indice trimestriel du coût de la
construction intervenue depuis la dernière fixation amiable ou
judiciaire du loyer”26. L’application jurisprudentielle de ce texte
s’est faite au bénéfice du locataire. En effet, si l’augmentation de
la valeur locative est plus importante que celle du montant
résultant de l’application de l’indice, elle ne sera pas appliquée.
La variation de l’indice constitue un plafond. Qui plus est, lorsque
la valeur locative et l’indice évoluent différemment, il a pu être
jugé que “si la valeur locative proposée par l’expert est d’un
certain prix et que l’application de l’indexation en fait apparaître
un différent, (les juges du fond) retiennent exactement la plus
faible des deux sommes”27. Il est à relever que la valeur locative
n’était pas, ici, supérieure au loyer contractuel.
 28 La règle peut profiter, aussi bien au locataire qu’au bailleur.

 29 Cass. 3ème civ., 16 avril 1973, D., 1974, p. 437, note Ph. MALAURIE.

14Seule la “modification matérielle des facteurs locaux de


commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus
de 10 % de la valeur locative”, peut écarter le plafonnement 28.
C’est pourquoi, il a pu être décidé “qu’au cas où l’indice se trouve
en hausse, le loyer, s’il est modifié, ne peut être que majoré selon
un pourcentage au plus égal à celui de la variation de l’indice et
ne peut être fixé à un taux inférieur à celui en vigueur au cours
de la période précédente”29.
 30 Jurisprudence Privilèges, Cass. 3ème civ., 24 janvier 1996, JCP,
1996, éd° N, p. 1429, note J.-L. (...)

 31 Pour un aperçu des différentes opinions, voir Ph.-H. BRAULT, “Baux


commerciaux : modifications app (...)

15Gardienne des intérêts du locataire, la Cour de cassation est


venue rompre avec cette jurisprudence, dans un arrêt
diversement interprété, en indiquant que “le prix du bail révisé en
application de l’article 27 du décret du 30 septembre 1953 ne
peut en aucun cas excéder la valeur locative” 30. Ce faisant, elle a
permis la fixation du loyer à la valeur locative. Or, celle-ci était
inférieure au loyer contractuel initial, et l'absence de modification
des facteurs de commercialité était avérée. D’aucuns ont
approuvé la solution. D’autres, au contraire, ont estimé que le
loyer révisé ne pouvait être inférieur au loyer fixé initialement que
dans l’hypothèse d’une modification des facteurs de
commercialité31.
 32 Loi MURCEF, portant mesures urgentes de réformes à caractère
économique et financier no2001-1168 (...)

 33 Pour un aperçu des différentes opinions en la matière, voir M.-L.


SAINTURAT, JCP, 2002, éd° E, p.  (...)

 34 Ass. Plén., 23 janvier 2004, D., 2004, p. 1108, note P.-Y. GAUTIER.

 35 J.-P. BLATTER, “Droit des baux commerciaux”, Le moniteur, coll.


Analyse juridique, 4ème éd°, 2006, (...)

 36 Ph.-H. BRAULT, “La révision triennale du loyer depuis la modification


du texte légal par la loi di (...)
16Diversement appréciée, la loi MURCEF32/33, a tenté de clarifier
les choses. Celle-ci est venue compléter l’alinéa 3 de l’article L.
145-38 du Code de commerce en énonçant “Par dérogation aux
dispositions de l’article L. 145-33, et à moins d’une modification
matérielle des facteurs locaux de commercialité (...), la majoration
ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne
peut excéder la variation de l’indice trimestriel du coût de
construction (…)”. Ce texte, inapplicable aux instances en
cours34/35, semble opérer un retour à l’état antérieur à la
jurisprudence Privilèges36.
 37 Pour une critique de cette vision, F. AUQUE, Les baux commerciaux,
théorie et pratique, op. cit., (...)

 38 F. AUQUE, “Faut-il supprimer le statut des baux commerciaux ?”, AJDI,


juin 2000, p. 478 ; F. DEKEU (...)

 39 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, “Origine et valeur de la codification de


1953”, Le cinquantenaire du statut(...)

17Le locataire bénéficie donc d’un régime bienfaiteur. Cette


protection se fait au détriment du bailleur et des nécessités
économiques. Pour preuve, la fixation judiciaire du loyer n’est pas
le reflet de la situation du marché. C’est la raison pour laquelle, la
remise en cause du statut est rapidement apparue nécessaire 37.
Ainsi, dès 1960, le “rapport sur les obstacles à l’expansion
économique”, dit rapport Rueff-Armand, faisait état des
conséquences néfastes du statut sur l’économie et le
développement de la construction immobilière. Malgré ces
critiques virulentes, la suppression du statut des baux
commerciaux ne fait pas l’unanimité 38. La préférence tend plutôt
vers une réforme39.
2) La souplesse du statut par l’existence de la
liberté contractuelle
 40 La liberté contractuelle est première en matière de fixation des loyers.

 41 Celle-ci ne doit, toutefois, pas être inférieure à neuf ans.

18La rigidité du statut s’explique par la promotion des intérêts du


locataire. Toutefois, cet objectif n’est pas un obstacle à l’accueil
de la liberté contractuelle40. Ainsi, outre la possibilité qu’ont les
parties d’échapper au statut en concluant un bail d’une durée au
plus égale à deux ans, le rapport Pelletier leur permet, tout en
appliquant les dispositions du statut, de choisir la durée du bail
renouvelé41.
 42 Loi no 65-356 du 12 mai 1965 qui institue au profit du locataire le droit
de changer l’affectation (...)

 43 La déspécialisation simple encore appelée, “restreinte” ou “partielle”


est le fait d’adjoindre à l (...)

 44 La déspécialisation renforcée encore appelée, “plénière” ou “totale” est


le fait d’opérer un chang (...)

 45 La seule obligation qui pèse sur lui est d’informer le bailleur.

 46 Article L. 145-48 du Code de commerce.

 47 Cette demande doit être faite par acte extra-judiciaire ou par exploit
d’huissier.

19L’exécution du bail peut être sujette à des modifications. Il


s’agit, notamment, de la déspécialisation 42 qui est le droit
accordé au locataire de changer l’affectation des lieux loués, en
modifiant son activité originelle. Elle peut être simple43 ou
renforcée44. La première constitue un droit pour le locataire 45. La
seconde ne lui est accordée que si des circonstances
exceptionnelles l’exigent, comme par exemple une mauvaise
conjoncture économique46. Une demande doit alors être adressée
au bailleur47.
 48 L’intérêt est de choisir le moment de la révision, ce qui n’est pas le cas
en matière de révision (...)

 49 Art., L. 145-16 du Code de commerce. La jurisprudence valide les


clauses restrictives de la cessio (...)

 50 Article L. 145-31 du Code de commerce.

20Par ailleurs, même dans le domaine des loyers, les parties ont
une liberté d’action. D’abord, la fixation du loyer initial est libre.
Puis, en matière de loyer révisé et de loyer du bail renouvelé, la
fixation judiciaire de la valeur locative est subsidiaire. En effet, le
locataire et le preneur peuvent stipuler des clauses d’échelle
mobile pour une révision conventionnelle 48. De plus, le locataire
peut céder son bail lors de la cession de son fonds de
commerce49 et avoir recours à la sous-location50, dans les
conditions déterminées par le bail, si le contexte économique
l’exige. Enfin, la souplesse du statut résulte de la possibilité de
mettre fin à la relation contractuelle.
21Le statut des baux commerciaux est protecteur des intérêts du
preneur. Ce rôle explique l’originalité du statut qui réside dans sa
rigidité et sa flexibilité. La suppression du statut n’est pas à
l’ordre du jour en droit interne. Elle ne l’est pas davantage au
regard du droit international.
22Pour autant, le statu quo n’est pas la meilleure solution. De
lege ferenda, nous devrions assister à une réforme du statut des
baux commerciaux, à l’instar des pratiques du droit international,
communautaire et comparé.
B – Les apports du droit international, du
droit communautaire et de droit comparé
23Il convient d’analyser la compartibilité du statut du droit
international et communautaire (1) pour constater l’influence que
pourrait avoir le droit comparé sur la législation française (2).

1) Le droit international et le droit


communautaire
 51 “Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.
Nul ne peut être privé de sa p (...)

 52 Voir Cass. 3ème civ., 27 février 1991, RDI 1991, p. 518. Cass. 3ème civ.,


12 juin 1996, JCP éd. N, (...)

 53 Revue de droit immobilier, 1990, p. 126.

24Assez rapidement, la question s’est posée de savoir si le droit


de propriété du bailleur n’était pas quelque peu mis à mal. Les
bailleurs ont, ainsi, fait valoir l’incompatibilité du statut à l’article
1  du premier protocole additionnel de la Convention européenne
er

de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés


fondamentales51. Dans une espèce où un bailleur avait offert le
renouvellement du contrat au preneur, les juges ont fixé le
nouveau loyer à celui pratiqué initialement. Estimant être privé de
son droit de propriété, le bailleur invoquait alors la violation de
cet article, considérant que le statut des baux commerciaux
servait un intérêt particulier (celui des locataires) et non l’intérêt
général. Une telle argumentation n’a pas prospéré auprès de la
Cour de cassation52. Celle-ci approuva la décision des juges du
fond qui faisait valoir le caractère facultatif du renouvellement et
la liberté de fixation du loyer pour le bailleur53.
 54 Article 52, alinéa 2, du Traité de Rome : “La liberté d’établissement
comporte l’accès aux activit (...)
 55 Article L. 145-13 du Code de commerce.

25En outre, le droit de propriété n’est pas régi par le droit


communautaire. A fortiori, la “propriété commerciale” ne relève
donc pas de son domaine. Dès lors, s’est posée la question de la
compatibilité du statut des baux commerciaux aux traités qui
fondent le droit communautaire. En effet, en posant le principe de
la liberté d’établissement, le traité de Rome implique une égalité
de traitement entre les ressortissants des Etats membres 54. En
droit interne, cette égalité est effective puisque les droits
auxquels peuvent prétendre les locataires de nationalité
française, s’appliquent aux ressortissants des Etats membres55.
 56 Acte Unique Européen des 17 et 28 février 1986. La loi n o 86-1275 du
16 décembre 1986 autorise sa(...)

 57 Traité du 7 février 1992.

 58 M.-P. BAGNERIS, thèse précitée, en particulier l’introduction, p. 11, §


7. Pour une opinion contra (...)

 59 Rép. Quest. Ecrite no 35. 134, JO, Déb. Ass. Nat., 9 mai 1988, p. 1982.
La même opinion est partag (...)

26Par ailleurs, la conformité du statut aux exigences européennes


a été posée par l’Acte
Unique européen56 et le traité
Maastricht57 instituant respectivement le marché intérieur unifié
et l’Union européenne. D’aucuns ont estimé que le statut des
baux commerciaux constituait, alors, une entrave à la
concurrence58. Une réponse ministérielle est venue clore le débat
en indiquant qu’aucune disposition communautaire ne remettait
en cause la législation française des baux commerciaux59.
27Au regard de ces développements, une totale remise en cause
du statut des baux commerciaux est improbable, tant au niveau
interne, que communautaire ou international.
2) Le droit comparé des pays européens60 et le
droit de l’OHADA61
 60 Le choix opéré n’est pas exhaustif.

 61 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

28Le constat, en la matière, est sans appel. Aucun pays européen


ne confère au locataire un statut aussi protecteur (a). L’idée d’une
moindre protection du locataire a été reprise dans le droit de
l’OHADA (b).

a) La protection minimale du locataire dans les pays


européens
29Par comparaison avec le droit français, les législations
européennes offrent un degré de protection inférieur, voire
aucune protection au locataire.
 L’Allemagne fait preuve d’un libéralisme à outrance. Il n’existe
pas de législation spécifique aux baux commerciaux. La matière est
gouvernée par les règles de droit commun62.
 Le droit danois s’inspire du droit allemand, sans toutefois qu’il y
ait une absolue identité. Depuis 1992, une réglementation existe.
Celle-ci est limitée à la modification du loyer durant l’exécution du
bail.
 En Espagne, la législation s’applique à tous les locaux, à
l’exception des locaux à usage d’habitation principale. Ce pays a
mis au premier plan la liberté contractuelle. Ainsi, le droit au
renouvellement du preneur n’est que subsidiaire63. Les parties
peuvent modifier le loyer en cours d’exécution du bail et fixer le
loyer du bail renouvelé, dans l’hypothèse où un renouvellement
aurait été prévu64.
 La législation belge des baux commerciaux est régie par la loi du
30 avril 195165. Elle concerne les locaux affectés à l’exploitation
d’un commerce de détail. Les parties apprécient librement le
montant du loyer initial. La révision du loyer en cours d’exécution
du bail est un droit reconnu aux deux parties. Cette liberté a
vocation à s’exercer pour la fixation du bail renouvelé. Toutefois, un
minimum de protection existe. En effet, dès la formation du contrat,
une durée minimale de neuf ans est établie. La protection s’exprime
également, lors de l’exécution et de la rupture du bail. D’une part,
une révision légale existe quand la valeur locative a varié à la
hausse ou à la baisse d’au moins 15 % au loyer contractuel initial ou
fixé lors de la dernière révision. D’autre part, le locataire a droit au
renouvellement du bail et, à une indemnité d’éviction en cas de
refus opposé par le bailleur66.
 En Grande-Bretagne, le champ d’application de la réglementation
sur les baux commerciaux concerne les personnes exerçant une
activité industrielle, commerciale, artisanale ou libérale. Les parties
apprécient librement la durée du bail, initial et renouvelé67. Qui plus
est, elle sont libres de modifier le loyer en cours d’exécution du
bail, ainsi que le loyer du bail renouvelé. La résiliation du contrat
peut avoir lieu sans contrainte majeure. Le seul élément révélateur
d’une protection accordée au locataire réside dans son droit à
l’obtention d’une indemnité d’éviction.
 68 OCDE (2002), Réforme de la réglementation : Royaume-Uni peut être
commandé en ligne à l’adresse ww (...)

30En définitive, au regard de ces législations, la France doit-elle


promouvoir la liberté contractuelle dans le statut des baux
commerciaux pour se doter d’une législation attractive et
compétitive ? On peut d’ailleurs relever que l’OCDE a récemment
remis au Royaume-Uni un rapport élogieux sur l’entretien du
pays. Effectivement, ce pays a connu un renversement de la
conjoncture économique, au cours des vingt dernières années,
qui serait dû aux réformes inaugurées, notamment, celles
relatives à la modernisation et la simplification des procédures de
renouvellement des baux commerciaux68.
31A l’heure où il est question d’un cadre commun de référence,
une harmonisation est envisageable, à l’image de celle réalisée
par le droit de l’OHADA.

b) L’harmonisation dans le droit de l’OHADA


 69 Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte
d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, (...)

 70 Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique signé le


17 octobre 1993. P. BOU (...)

 71 Celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier 1998. Sont concernés, les


locaux à usage commercial, (...)

 72 Article 93 de l’Acte Uniforme.

 73 J. LOHOUES-OBLE, “L’apparition d’un droit international des affaires en


Afrique”, Revue internatio (...)

32Au-delà des frontières européennes, le statut des baux


commerciaux a suscité un vif intérêt. Il revêt en effet une
importance économique au plan international. Dans un contexte
de mondialisation, d’échanges internationaux, son rôle est alors
substantiel. La prise de conscience des conséquences attachées
au droit des affaires et notamment au bail commercial est à
l’origine d’une volonté d’harmonisation législative émanant de
seize Etat d’Afrique francophone69. Celle-ci a abouti au traité
portant Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit
des Affaires (OHADA)70. La finalité de ce traité est double. Il s’agit
d’opérer un rapprochement économique de ces pays, et
d’élaborer des règles communes en vue de transaction avec des
pays tiers. L’efficacité du traité est assurée par des Actes
uniformes applicables directement, et dotés d’effets obligatoires
dans la législation interne des Etats. Ainsi, un Acte uniforme
relatif au droit commercial général a été adopté le 27 avril
199771 qui, en matière de bail commercial, autorise les parties à
conclure un bail pour une durée déterminée ou indéterminée 72.
Le renouvellement du bail s’inspire, quant à lui, des principes
posés par la loi française du 30 juin 1926. Le preneur
professionnel bénéficie du droit au renouvellement, à la condition
qu’il justifie “d’une exploitation de son entreprise ou de l’exercice
de sa profession dans les lieux loués pendant une durée minimale
de deux ans”. Le bailleur peut refuser ce droit, en contrepartie, il
devra verser une indemnité d’éviction sauf le cas de motif grave
et légitime”73.
 74 Infra, p. 19.

 75 Ch. LAVABRE, “Baux commerciaux statutaires et ordre public”, Etudes


offertes à Barthélemy Mercadal(...)

 76 Infra, p. 13.

33Aussi, en droit français, le bail commercial bénéficie d’un statut


unique. Ce statut révèle une faveur particulière au bénéfice du
locataire. C’est pourquoi, il est original, en ce sens qu’il allie la
“rigidité” à la “flexibilité”. La réforme du statut devient
nécessaire74. Ses modalités restent à déterminer. Peut-être se
fera-t-elle au détriment du locataire75 ? Une chose est certaine :
elle seule, permettra d’éviter les contestations76.

II – LA CONTESTATION :
PRIMAUTE DU STATUT ET FREIN
A LA VIE DES AFFAIRES ?
 77 Rapport RUEFF-ARMAND, Rapport sur les obstacles à l’expansion
économique, 1960 ; “Faut-il supprime (...)

 78 Rapport P. PELLETIER, AJDI, 05/2004, no 72 et s.


 79 Sur les problèmes d’interprétation v. F. AUQUE, “La codification des
baux commerciaux à droit “pre (...)

 80 A. d’ANDIGNE-MORAND, Baux commerciaux industriels et artisanaux,


Delmas, éd. 2006, no 104 et s.

34La question du maintien du statut des baux commerciaux


déchaîne encore et toujours les passions. Les plus virulents y
voient un véritable frein à la liberté contractuelle 77, les plus
modérés font valoir son indispensable fonction régulatrice78. Plus
d’un demi siècle après l’adoption du décret n 53-960 du 30 o

septembre 1953, les révisions successives n’ont pas permis


d’atténuer les critiques79. Le statut des baux commerciaux est
tellement soucieux des intérêts du preneur, qu’il est question
d’une véritable “propriété commerciale”, permettant de protéger
le droit au bail80. Toutefois, cette entorse au droit de propriété du
bailleur est compensée par une contrepartie financière, au point
que les deux parties y trouvent largement leur compte, aussi bien
quant à la pérennisation du bail (A) qu’au coût effectif de celui-ci
(B).

A – La pérennisation du bail
35Pour être soumis au statut des baux commerciaux, la loi
impose que le contrat soit conclu pour une durée minimum (1). A
l’échéance, le bailleur ne dispose généralement que d’une
alternative : le renouvellement du bail ou le paiement d’une
indemnité d’éviction (2).

1) La durée du bail
 81 art L. 145-15, C. com.

 82 Il existe des restrictions fiscales attachées aux baux commerciaux de


plus de douze ans. Le décret (...)
36L’article L 145-4 du code de commerce fixe la durée minimum
du bail à neuf ans. Cette disposition est d’ordre public 81, les
parties ne pouvant pas conventionnellement prévoir une durée
moindre. En revanche, elles ont la possibilité de s’engager sur
une période supérieure82.
37Il ressort de cette disposition que le législateur entend créer un
lien contractuel de longue durée entre les parties, permettant
ainsi au locataire de gérer à long terme l’évolution de son activité.
38Toutefois cette période de neuf ans n’est pas perçue de la
même façon par les deux parties. En effet, elle ne s’impose
véritablement qu’au seul bailleur, qui ne peut mettre fin au
contrat avant le terme de celui-ci. En revanche, son cocontractant
a la faculté d’abréger le bail à l’issue de chaque période triennale.
Cette disposition législative crée une dualité de régimes à
l’origine d’un véritable déséquilibre au profit du preneur.
39La loi permet néanmoins de restaurer un certain équilibre : les
parties peuvent conventionnellement décider d’écarter le droit à
la résiliation triennale, voire de l’assortir d’une indemnité de
sortie mise à la charge du preneur. En effet, l’art 145-4 al. 2, C.
Com n’est pas d’ordre public, il laisse donc en théorie une grande
liberté aux parties pour aménager les conditions de résiliation
anticipée du bail.
40En imposant au propriétaire un engagement irrévocable de
neuf ans, le législateur prend seule en compte la nécessité de
stabilité du fonds de commerce et la pérennisation de l’activité
économique du preneur. En ce sens, le statut des baux
commerciaux joue donc un rôle moteur dans le développement
de l’activité du locataire.
41Cette volonté de prolonger au maximum la relation
contractuelle entre les parties se retrouve également à l’échéance
du bail et se traduit par l’instauration de mesures contraignantes
à l’égard du bailleur.

2) L’échéance du bail
42Au terme du bail et après une longue période d’indisponibilité
de son bien, le propriétaire peut ne pas récupérer l’ensemble de
ses prérogatives sur le local.
43En vertu des articles L. 145-8 et suivants du code de
commerce, le preneur bénéficie d’un droit au renouvellement du
bail. Cette faculté d’exiger la prolongation du lien contractuel
appartient exclusivement au propriétaire du fonds exploité. Le
preneur est de nouveau largement privilégié quant au choix de la
durée du bail commercial : il peut imposer au propriétaire de
poursuivre son activité dans les locaux, y compris contre la
volonté de ce dernier, sauf le paiement d’une indemnité
d’éviction. Le locataire peut aussi bien imposer au bailleur
d’écourter ou d’allonger la durée minimum du bail en fonction
des besoins de son activité.
44D’un point de vue formel, le locataire souhaitant rester dans les
lieux a tout intérêt à délivrer six mois avant l’expiration du bail,
un congé aux fins de renouvellement de celui-ci. En effet, ce
congé permet la conclusion d’un nouveau bail commercial et
l’application des dispositions protectrices du statut des baux
commerciaux.
 83 Et avec le maintien des garanties Cass. 3ème civ., 7 février
2007, Juris-data, no2007-037242, D., (...)

45Dans le cas où aucune des parties ne délivrerait de congé, le


bail une fois expiré serait tacitement reconduit et ce, pour une
durée indéterminée83. Dès lors à tout moment, il pourrait être
mis fin au bail à l’initiative de l’une quelconque des parties, sous
réserve du respect d’un préavis de six mois. A l’échéance le
locataire ne devra donc pas oublier de faire connaître ses
intentions, sous peine de faciliter son éviction par le bailleur.
 84 Les juges seront attentifs aux abus dans le cadre de la dénonciation de
la relation contractuelle, (...)

 85 Art. L. 145-17, C. Com.

 86 Par exemple : sur la prise en compte du droit au bail, Cass. 3ème civ.,
11 juin 1992, RJDA, 8-9/92 (...)

46Dans de rares hypothèses, le bailleur peut refuser le


renouvellement du bail sans qu’il y ait lieu au paiement d’une
indemnité d’éviction84. Cette situation se rencontre relativement
peu souvent dans la pratique puisqu’il s’agit des cas où le bailleur
peut se prévaloir d’un motif grave et légitime 85ou d’un droit de
reprise des locaux. La plupart du temps, le propriétaire ne
souhaitant pas renouveler le contrat n’aura d’autre choix que de
payer cette indemnité d’éviction au locataire. Les modalités de
calcul du montant de cette indemnité sont fixées par l’article L.
145-14 du Code de commerce complété par la jurisprudence86.
47L’indemnisation n’a lieu au profit du locataire que lorsque
celui-ci subit un préjudice, ce dernier pouvant être de deux
ordres : la disparition ou le transfert du fonds. Dans le premier
cas, l’indemnité comprend notamment la valeur marchande du
fonds (prise en compte de la clientèle, du chiffre d’affaires, etc.).
Dans le second cas, l’indemnité réparera le préjudice résultant du
déplacement du fonds (frais de réinstallation, pas-de-porte,
valeur du droit au bail, indemnités de licenciement). Le montant
de l’indemnité sera presque toujours relativement élevé de sorte
que très souvent, le bailleur préfèrera accorder le renouvellement
du bail plutôt que d’avoir à payer une somme exorbitante au
locataire. Grâce à cette mesure favorable, le preneur a la quasi-
certitude de rester dans les locaux et continuer le développement
de son activité.
48Le prix de l’indemnité d’éviction, extrêmement dissuasif pour
le bailleur, n’est pourtant pas toujours justifié. C’est souvent le
cas lorsque la clientèle est plus attachée à l’activité développée
par le commerce que par sa localisation. Dans cet exemple, la
prise en compte de la clientèle ne semble pas pertinente dans le
calcul de l’indemnité d’éviction.
49Il apparaît clairement que le législateur tend à faire perdurer le
bail et par conséquent l’activité du preneur. Mais cette
pérennisation n’est pas sans contrepartie puisque le bail
commercial a tout de même un certain coût.

B – Le coût du bail
50S’il est dépossédé d’une partie de son droit de propriété, le
bailleur n’est pas lésé pour autant au regard des loyers (1) et des
frais mis à la charge du locataire (2).

1) Le loyer
 87 Rappelons qu’en 2006 à Paris, les baux commerciaux des magasins les
mieux placés et les mieux valo (...)

51La fixation du loyer est laissée à la libre appréciation du


bailleur. Le Code de commerce ne lui impose aucune restriction
en la matière. Il peut donc imposer au locataire le prix qui lui
semble favorable, d’autant plus qu’ultérieurement les révisions de
loyer sont très strictement encadrées. Le propriétaire a donc tout
intérêt, et ce dès la signature du bail, à prendre en compte le
futur plafonnement de la hausse du loyer, d’autant plus que pour
lui les loyers provenant du bail commercial sont souvent une
source importante de revenus87.
 88 Art L. 145-38, C. com. ; V. supra, p. 16.
 89 Sur l’approche critique du plafonnement, J. D. BARBIER, “Le loyer
entre plafond et marché”, colloq (...)

52La loi impose une révision triennale 88 mais à des conditions


très réglementées, ce qui ne laisse que très peu de marge de
manœuvre au propriétaire, quand bien même la valeur de son
bien aurait augmenté plus vite que l’indice INSEE du prix à la
construction. Cette restriction a été mise en place notamment
pour éviter les flambées des prix de la valeur locative 89.
53Un tel plafonnement est salutaire pour le locataire qui ne craint
pas une augmentation trop brutale du loyer susceptible de mettre
à mal le commerce de proximité. Cela lui permet donc d’avoir une
meilleure visibilité à moyen et long terme des charges grevant
l’activité de son fonds et constitue un élément de gestion efficace
de son commerce.
54Pour le propriétaire, la perception du loyer n’est pas la seule
contrepartie à l’immobilisation de son bien. Il peut aussi mettre à
la charge du locataire un certain nombre de dépenses plus ou
moins exorbitantes.

2) Les charges du locataire


 90 Etude de F. ROBINE, “Pas-de-porte et droit au bail”, colloque
Lille, AJDI, 10/06/2000, p. 499 et s

55En marge du paiement du loyer, s’est développée la pratique du


pas-de-porte90. Il s’agit d’une somme versée par le preneur
correspondant au droit d’entrée dans les lieux. Cette pratique que
l’on pensait en déclin avec la construction récente de nombreuses
surfaces à usage commercial, conserve toute sa vigueur dans
certains centres villes où l’offre de locaux reste très inférieure à la
demande. D’ailleurs les variations du prix du pas-de-porte sont
très importantes selon la localisation de l’immeuble.
 91 Cass. Com 14 février 1992, JCP, 1992, II 21957, note L. LEVY.
 92 En ce sens Cass. 3ème civ., 15 février 1995, RJDA, 04/1995, no 410.

 93 De la qualification de la nature du pas-de-porte (supplément de loyer


ou indemnité) dépend le régi (...)

56Certains voient dans cette pratique une indemnité permettant


de contre balancer l’atteinte au droit de propriété subie par le
bailleur. Dans ce cas, c’est en quelque sorte le prix de l’indemnité
d’immobilisation91 du bien pendant de nombreuses années.
D’autres encore font valoir que le pas-de-porte est un
supplément de loyer qui permet notamment de compenser les
restrictions auxquelles est confronté le propriétaire lors de la
réévaluation92. En cas de litige sur la nature juridique du pas-de-
porte, il appartiendra aux juges du fonds de se prononcer en
fonction de l’intention des parties93.
 94 Sur la question, étude du rapport P. PELLETIER, AJDI, 05/2004.

57Le versement du pas-de-porte peut être pénalisant pour le


locataire et freiner le développement de son commerce. Et pour
cause, celui-ci est contraint de verser très rapidement une
somme d’argent souvent conséquente. En dépit des nombreuses
critiques dont souffre le pas-de-porte, cette pratique est
largement plébiscitée par les commerçants. Elle leur permet dans
une certaine mesure, de récupérer la trésorerie amputée à
l’occasion du départ du locataire précédent94.
58Le pas-de-porte n’est pas la seule contrepartie dont bénéficie
le propriétaire pour pallier l’immobilisation de son bien. Il peut
convenir avec le locataire de s’affranchir d’une partie des
obligations qui lui incombent notamment quant aux réparations,
travaux, obligations d’entretien…
 95 Cass. 3ème civ., 07 février 1978, Bull. civ. III, p. 56.
59En effet, alors que la loi ne leur impose pas, il est d’usage que
les bailleurs s’exonèrent conventionnellement d’une partie de
leurs obligations. Les réparations d’entretien voire les grosses
réparations peuvent donc se retrouver à la charge des
locataires95.
60Ces charges peuvent représenter des coûts très importants
pour le locataire qui ne peut pas réinjecter les sommes dépensées
dans le développement de son activité. Néanmoins, du point de
vue du bailleur cette volonté de ne pas intervenir dans l’entretien
de l’immeuble se comprend aisément. Lorsque ce dernier est
contraint d’immobiliser son bien durant de nombreuses années, il
paraît logique qu’il incombe au titulaire de la “propriété
commerciale” d’effectuer les travaux nécessaires à la
pérennisation de son activité.
61Le statut des baux commerciaux s’inscrit pleinement dans
l’esprit régulateur du Code de commerce. Frein ou moteur de la
vie des affaires ?

III – LA CONSTRUCTION :


L’AVENIR ?
 96 La Commission relative à la libération de la croissance française
présidée par Jacques Attali a re (...)

62A l’heure où il est préconisé d’améliorer la compétitivité et la


productivité de l’économie française afin d’assurer une meilleure
insertion de la France dans l’économie mondiale et européenne 96,
la question de l’existence du statut des baux commerciaux
s’installe encore dans les débats.
63Plusieurs interrogations s’imposent une nouvelle fois à ce jour.
Le statut est source d’inépuisables difficultés, les critiques n’ont
jamais cessé malgré les réformes et les adaptations
jurisprudentielles : le “temps est-il venu” de laisser exclusivement
la place à la liberté contractuelle ? (A) ; Mais le statut est présent.
N’est-il pas opportun de rechercher à déceler un équilibre, une
complémentarité entre le cadre statutaire et la liberté des
parties ? (B).

A – Suppression ou correction du statut :


quelle orientation pour l’avenir ?
 97 Permanence de leur installation favorisée par un encadrement du loyer
qui ne les pousserait aucune (...)

64Il est permis, sans prendre de position révolutionnaire, de se


poser la question : faut-il ou non supprimer le statut des baux
commerciaux ? Il s’agit d’une question qui n’est pas
véritablement nouvelle. L’existence d’un statut légal partiellement
d’ordre public n’est-elle pas obsolète compte tenu de la
conception morale et sociale de la liberté contractuelle, devenue
valeur constitutionnelle ? Ce problème est toujours présent eu
égard à l’analyse précédemment établie : la complexité et les
pesanteurs du statut font apparaître la tentation d’un retour pur
et simple de la liberté contractuelle. En effet, les “grands”
professionnels en la matière (centre d’affaires, centres
commerciaux, galeries commerciales, grands investisseurs et
constructeurs immobiliers nationaux et internationaux)
s’éloignent de plus en plus du statut des baux commerciaux pour
se rapprocher de la pratique prévalant dans les pays anglo-
saxon. Le statut leur est parfois contraignant et même bien
inutile. D’ailleurs, ils savent s’alléger de normes impératives
obsolètes. Une norme sera modulée, régulée et substituée à une
autre modalité plus adaptée à la réalité économique. Or, une telle
anticipation de clauses dérogatoires diverses suppose une
parfaite connaissance des textes. Concernant les locataires et
bailleurs “ordinaires” ; le statut ne se révèlerait-il pas alors
pernicieux à leur égard, faute d’être trop protecteur 97 ? Face à
cette modernité, la volonté des parties ne doit-elle pas retrouver
sa force face à des normes statutaires trop complexes ? Une
liberté contractuelle sans statut peut-elle exister ?
 98 L’article L. 145-23-1 du Code de commerce a été retenu par le
Parlement dans la loi du 13 juillet  (...)

 99 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Droit commercial, Montchrétien, éd. 2004,


p. 300.

65Dans une réflexion prospective, il convient de s’interroger s’il


ne faudrait-il pas reconstruire, corriger le statut des baux
commerciaux, sans pour autant l’abroger ? Convient-il de
proposer des simplifications dans le respect de ses principes
fondateurs, un nouveau dispositif en insérant des éléments de
nature à simplifier et à apaiser la relation locataire ? Dans cette
perspective, les propositions et recommandations de
modernisation du statut des baux commerciaux faites par le
rapport Pelletier sont-elles encore à l’ordre du jour ?
L’élaboration d’un article relatif à la reprise des logements
vacants, accessoires aux locaux commerciaux, a été effectivement
retenue98, mais les dispositions subsistantes du rapport n’ont
pas été prises en compte. Un tel rapport s’inscrivant dans “la
mouvance actuelle d’un certain recul de l’impérialisme de la
réglementation99” caractérisé par un rétrécissement du champ
d’application et un assouplissement du régime pourrait-il,
cependant, encore être discuté ?
 100 J. MONEGER, “Baux commerciaux : statut ou liberté
contractuelle”, AJDI, 2000, p. 484, spéc. 485.

66On ne peut malheureusement répondre aisément à toutes ces


questions. L’expression “Chassez le statut et le statut renaît.
Eliminer le contrat et le contrat s’impose 100” présenterait
brièvement ces difficultés. Les bailleurs et locataires commerçants
sont-ils en attente de nouvelles règles ou à tout le moins à la
recherche de nouvelles pistes ? Bien que l’évolution actuelle soit
marquée par un double secteur d’activité face à un statut
identique, il n’est pas envisageable de le supprimer. Le statut des
baux commerciaux est, quand même un point de repère, une
sorte de canevas, de palliatif de la convention conclue par les
parties. Il reste un organisateur de la liberté contractuelle, une
liberté souvent malmenée par ces parties. Ses normes impératives
viennent souvent combler les lacunes et corriger les insuffisances.
Néanmoins, ce statut se révèlerait trop complexe.
 101 V. supra, p. 10.

 102 J. DERRUPPE, “Faut-il supprimer le statut des baux commerciaux ?”,


Synthèse, AJDI, 2000, p. 510, s (...)

 103 Op. cit.

 104 Le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi a présenté, le


24 août 2007, un décret inst (...)

 105 En tout état de cause, une réforme en la matière n’a pas été
privilégiée pour relancer la croissan (...)

67La disparition du statut rencontrera des obstacles politiques.


Par ailleurs, l’exemple de la réforme espagnole et des dérives
auxquelles elle a données lieu dissuaderait probablement la
France de s’engager dans cette voie101. En effet, les pouvoirs
publics devront faire un choix entre une logique attachée à
l’entreprise et à l’emploi et une logique financière. L’éventualité
d’une volonté politique de supprimer le statut se heurtera à la
nécessaire prise en compte de droits acquis et à “l’impossibilité
de faire l’impasse sur les situations déjà établies 102”. Ces propos
se confirmeraient-ils avec les dispositions prescrites par le
rapport103 déposé le 23 janvier dernier par la Commission pour la
libération de la croissance française 104 présidée par Jacques
Attali ? Un tel projet de réforme, ne contenant aucune disposition
en matière des baux commerciaux pourrait-il induire que le
statut n’est pas de prime à bord un frein à l’économie
française105 ?
 106 Cass. 3ème civ., 27 fév. 1991, Bull. civ. III, no 67, JCPG, 1991, IV, 158.

68L’impossibilité de supprimer le statut a cependant pour


corollaire la nécessité de le simplifier et de l’adapter. La liberté
contractuelle n’est pas remise en cause par l’existence du statut
des baux commerciaux. Le statut ne peut recevoir application que
si le bailleur l’a voulu, et bien évidemment que si les conditions
de son application sont réunies. Nul n’est tenu en effet de
consentir un bail commercial sur des locaux à usage commercial,
industriel, ou artisanal106. Ce sont en effet les parties qui
décident de l’application ou non du statut. Deux illustrations
peuvent être ici données : l’extension conventionnelle au texte
statutaire et l’hypothèse des baux dérogatoires (la renonciation
au statut –alors qu’il est applicable– en raison de la brièveté de la
durée de la location).
69Dans cette perspective, il conviendra de rechercher une
conjonction entre le statut légal et la liberté contractuelle.

B – Proposition : une liberté contractuelle


conservée et un statut des baux
commerciaux reconstruit
 107 J. MONEGER, op. cit., spéc. 492.

70“S’il est de bon ton de crier haro sur le statut tueur de la liberté


contractuelle107”, il a pu être constaté que le statut peut se
concilier fort bien avec la liberté contractuelle à condition que
l’obsolescence de ses dispositions appelle à sa rénovation.
71Actuellement, le problème est d’ordre financier, la question du
loyer, de la détermination de la nature et le montant des
dépenses d’entretien et de réparation, de la libération des lieux,
aménagées par des stipulations contractuelles dérogatoires
diverses alimentent la plus grande partie du contentieux qui ne
cesse de croître.
72Sur ce point, la réflexion menée par le groupe de travail présidé
par Philippe Pelletier sur la modernisation du statut des baux
commerciaux conserve toujours un vif intérêt. Les principales
propositions de ce rapport, dont l’étude nous a semblé
indispensable, peuvent résoudre les difficultés abordées tout en
respectant les grands équilibres des intérêts en présence.

1) Aménagement des stipulations


conventionnelles dérogatoires et le statut
d’ordre public des baux commerciaux
73Les rédacteurs des baux commerciaux ont, bien évidemment, la
possibilité d’adapter ces normes statutaires, de substituer à ces
normes des clauses qui expriment la volonté concordante des
parties à la convention. Or, le statut est présent pour réguler la
volonté contractuelle, d’abord en prohibant les choix contractuels
non souhaités par le législateur et en imposant son application
contre la qualification voulue par les parties, ensuite en suppléant
la carence des contractants. Dans cette perspective, s’inscrivent
des propositions d’aménagement, d’organisation et d’adaptation
de ce statut parfois trop rigide et de ses modulations
conventionnelles concernant plus particulièrement le loyer du bail
commercial : l’objectif poursuivi étant le retour à un équilibre
financier.
a) Le loyer  : le retour à un équilibre financier s’impose
 108 Cass. 3ème civ., 10 mars 1993, Bull. civ. III, no 30, Cass, 3ème civ., 27
janvier 1999, JCP G, 199 (...)

74En premier lieu, c’est la règle du plafonnement qui a la


possibilité d’être écartée par des clauses contraires. La motivation
de la jurisprudence108, en prenant appui sur la liberté
contractuelle et la force obligatoire du contrat, fait prendre
conscience que l’article L. 145-34 du code de commerce n’est
pas d’ordre public. Il n’y aurait pas lieu de sanctionner un
exercice libre de fixation de loyer : expression claire de la liberté
contractuelle.
 109 J. DERRUPPE, “Faut-il supprimer le statut des baux commerciaux ?”,
Synthèse, AJDI, 2000, p. 510, s (...)

75En effet la question du loyer a suscité bien des débats, comme


elle a provoqué une jurisprudence depuis plusieurs années.
Beaucoup d’interrogations se posaient relativement à la
suppression du plafonnement. C’est la règle du plafonnement qui
favorisait l’éclosion de valeurs locatives judiciaires inférieures aux
valeurs locatives pratiquées sur le marché. Un retour à la valeur
locative de marché avait été recommandé109. Or, l’idée d’évincer
la règle de plafonnement a été abandonnée par la Commission
Pelletier, constatant notamment que les esprits n’étaient pas
prêts à accepter une suppression brutale de la règle. Il a été
proposé d’introduire dans l’article L. 145-34 du Code de
commerce, un nouveau cas de déplafonnement : le loyer
manifestement sur-évalué ou sous-évalué. Mais cette proposition
risque de générer un important contentieux puisque le caractère
manifeste de l’écart entre le loyer et la valeur locative relèvera des
pouvoirs du juge du fond.
 110 Il convient de signaler, sur ce point, une proposition, du 20 décembre
2007, d’un nouvel indice co (...)
 111 Cass., 3ème civ., 10 mars 1993, JCP N, 1993, II, p. 315, obs. F.
AUQUE : arrêt célèbre du “Théâtre (...)

 112 V. Cass., 3ème civ., 7 mai 2002, op. cit.

76Il conviendrait de conseiller aux rédacteurs de baux


commerciaux de revoir leurs méthodes : ils doivent prévoir une
clause à loyer variable ou clause recette, une fixation du loyer en
fonction du chiffre d’affaire prévisionnel 110. Dans tous les cas, la
fixation du loyer au moment du renouvellement ne pose
aucunement de difficultés car la jurisprudence décide que la
clause recette doit être maintenue dans le bail renouvelé, celui-ci
devant l’être aux clauses et conditions du bail expiré 111. Il serait
judicieux de développer cette pratique, pour tarir, d’une part,
l’important contentieux résultant d’une fixation judiciaire du
loyer en cas de désaccord, une fixation du loyer renouvelé étant,
désormais, régie exclusivement par la convention des parties 112.
D’autre part, les baux ainsi conclus échapperont aux méfaits du
plafonnement.
 113 V. Rapport P. PELLETIER, www.justice.gouv.fr, p. 65.

 114 J. MONEGER, “Libre propos : le loyer dans le rapport Pelletier :


Entretien avec Joël Monéger, Bern (...)

77Par ailleurs, la Commission émet une proposition qui tend à la


suppression du caractère d’ordre public des règles de la révision
du loyer et laisser place en cas de renouvellement, à un accord
entre les parties113”, ce qui induit la validité d’une clause
dérogatoire à la révision triennale du loyer. Dans cette hypothèse,
la simplification serait alors indiscutable en présence d’une clause
d’indexation. Le succès de cette modernisation serait alors de
redonner à la liberté contractuelle une place dans un système
légal assurant un équilibre permanent et paisible au lieu qu’il
reste triennal et conflictuel114.
78L’aménagement du bail commercial doit s’accompagner d’un
contrôle judiciaire perspicace de ces stipulations
conventionnelles. La notion d’abus est-elle appropriée pour
limiter les excès ? Il convient de conserver l’intérêt de cette
modernisation : un équilibre entre les vertus du contrat et la
propriété commerciale.

b) La répartition des charges locatives


79Dans plusieurs baux commerciaux, il existe des clauses
dérogatoires relatives aux dépenses d’entretien et de réparation à
la charge du locataire. Ces stipulations conventionnelles reposent
sur des textes de droit commun. L’article 1754 du code civil est
régulièrement spécifié pour prévoir, à défaut de clause contraire,
une énumération des réparations locatives et de menu entretien
dont est tenu le preneur. En outre, la pratique est de faire
référence aux articles 605 et 606 du code civil pour distinguer
grosses et menues réparations de la chose louée, en vue de les
mettre à la charge de l’une ou l’autre partie. Ces possibilités
relèvent des difficultés d’application évidentes à une époque où la
technique et les équipements des immeubles sont de plus en plus
sophistiqués. Le recours à l’utilisation de ces clauses est alors
importun compte tenu de leur trop grande source d’interprétation
et de contentieux potentiel.
80Il est, alors, nécessaire d’inviter les parties à conférer une
meilleure transparence et une prévisibilité accrue aux dépenses
de charges et de travaux qui seront supportées par le locataire.
Le recours législatif serait-il plus convenable ? Sur ce point, le
statut des baux commerciaux laisse quelques points d’ombre.
L’élaboration d’un décret précisant la répartition des charges
locatives est-elle recommandée ? L’établissement d’une liste des
travaux semble être une proposition pertinente pour simplifier la
rédaction de ces clauses. Par ailleurs, dans un souci de préserver
la liberté contractuelle, il serait judicieux de pencher vers des
dispositions législatives ayant un caractère non impératif.

c) Les clauses résolutoires insérées dans les baux


commerciaux
 115 H. KENFACK, “Actualité de la clause résolutoire”, Loyers et
Copropriété, nov. 2006, p. 10.

81Il n’est pas de bail qui ne comporte une clause résolutoire ou


étend chaque fois que possible les hypothèses dans lesquelles
cette clause peut être invoquée. Une rédaction minutieuse de la
clause et des précautions sont à prendre en ayant à l’esprit une
certaine hostilité du législateur et des juges. La clause résolutoire
doit être expresse et indiquer avec précision son objet.
Néanmoins, si en théorie, cette clause peut être insérée dans le
contrat au bénéfice de l’une ou de l’autre partie, en pratique, elle
est le plus souvent dans l’intérêt du bailleur 115. Il conviendrait
d’inciter l’insertion d’une clause résolutoire au profit du preneur
pour équilibrer avec celle qui est prévue pour le bailleur.
L’hypothèse est de prévoir une clause résolutoire avec une clause
pénale stipulée au profit du preneur.

d) La clause de préférence
82Il convient d’inciter les parties à stipuler un droit de préférence
au profit du preneur en cas de vente du local commercial et au
profit du bailleur en cas de cession du fonds de commerce.
 116 H. KENFACK, “Le renforcement de la vigueur du pacte de
préférence”, Défrénois, 2007, no 13-14, art (...)

 117 Cass. com. 13 févr. 2007 (2 arrêts) : pourvoi no06-11. 289 et no 05-


17. 296 ; H. KENFACK, op. cit  (...)

 118 H. KENFACK, “Restauration de la force obligatoire du pacte de


préférence”, Revue Lamy. Dr. civ., s (...)
83Dans l’hypothèse où le bailleur envisage de céder le local loué,
il le proposera prioritairement au locataire, lui permettant ainsi de
réunir la propriété des murs et du fonds. A l’inverse, lorsque le
locataire entend céder son fonds de commerce ou artisanal, il
offrira au bailleur de l’acquérir par priorité, lui permettant, le cas
échéant, de retrouver des lieux libres d’occupation. La stipulation
de telles clauses de préférence méritent d’être favorisées.
Pareillement, les praticiens doivent tenir compte de quelques
arrêts en la matière. D’ailleurs, ces derniers mois, la Cour de
cassation a renforcé l’autorité du pacte de préférence 116. Les
trois arrêts des 13 et 14 février 2007117 mettent en œuvre de
manière éclairante en matière de cession de bail commercial, en
procédures collectives comme en droit commun, le principe établi
par la chambre mixte de la Cour de cassation le 26 mai
2006118  selon lequel : “le bénéficiaire d’un pacte de préférence
,

est en droit d’exiger l’annulation d’un contrat passé avec un tiers


en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à
l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance,
lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de
l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir”.
84Ces arrêts imposent le respect de la volonté des parties au
pacte de préférence et surtout démontrent que l’intervention du
notaire permet ainsi de se ménager une preuve qui aurait été plus
difficile en présence d’actes sous seing privé.

2) Refus de renouvellement et paiement de


l’indemnité d’éviction
85Il convient d’aborder l’épineuse question de l’imprévisibilité du
montant de l’indemnité d’éviction dû par le bailleur en cas de
refus de renouvellement du bail commercial. L’article L. 145-14
du code de commerce précise que l’indemnité d’éviction
correspond au préjudice causé par le refus de renouvellement et
“comprend notamment la valeur marchande du fonds de
commerce déterminée suivant les usages de la profession,
augmentée des frais normaux de déménagement et de
réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer
pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire
fait la preuve que le préjudice est moindre”. En tout état de cause,
il convient de conserver la liberté du bailleur d’exercer son droit
de repentir, en renonçant à l’éviction du locataire et proposant le
renouvellement du bail. Le droit de repentir est en quelque sorte
le corollaire nécessaire de l’aléa qui gouverne la fixation de
l’indemnité d’éviction et rend imprévisible son montant. Il
conviendra de préciser les conditions dans lesquelles la
réinstallation du locataire fait échec au droit de repentir du
bailleur.
86Il serait judicieux de proposer un encadrement de la fixation de
l’indemnité d’éviction qui suppose probablement la modification
des principes fondateurs du régime juridique actuel. Il
importerait, dès lors, de calculer le montant de l’indemnité
d’éviction avec plus de cohérence, de manière à ce qu’il soit
proportionnel au loyer. Cette proposition est conséquemment en
adéquation avec l’hypothèse d’une fixation du loyer en fonction
du chiffre d’affaire prévisionnel.
87A l’instar des pays européens, il conviendrait également
d’opérer quelques aménagements relativement au droit au
renouvellement. Serait-il convenable de proposer un droit au
renouvellement limité, ce qui suppose inévitablement de modifier
l’un des principes fondateurs du statut des baux commerciaux ?
Autrement dit, un unique renouvellement au bail commercial
pourrait-il être admis ? Le cas échéant, il pourrait aussi être
opportun de laisser aux parties, au moment du renouvellement, le
choix de la durée du bail renouvelé.
3) Le contentieux
88Par ailleurs, le statut a favorisé des contentieux dont le cours
est caractérisé par une durée excessive, ceci n’est-il pas un frein
au développement des activités économiques ? La réponse est
certainement affirmative. Néanmoins, la disparition du statut
conduira indubitablement à une hausse des contentieux, plus
importante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Par conséquent, il faut
favoriser le recours aux structures existantes –commissions
départementales de conciliation– ou simplifier les procédures
judiciaires. Il faut rechercher une “déjudiciarisation des
différends”, privilégier et développer les modes alternatifs de
règlements de conflits en matière de baux commerciaux. Le
rapport Pelletier préconise, à ce sujet et à juste titre, d’étendre le
champ de compétence des commissions départementales de
conciliation à l’ensemble des litiges relatifs au loyer, au dépôt de
garantie, aux charges et aux travaux, et de réaffirmer le caractère
facultatif de leur saisine. Il est recommandé également de valider
la clause compromissoire insérée dans tout bail commercial et de
lever ainsi toute ambiguïté rédactionnelle de l’article 2061 du
code civil.

CONCLUSION
 119 CARBONNIER, “L’avenir du droit”, Mélanges offerts à F. Terré, Dalloz,
PUF, Juris-Classeur, Paris, (...)

89En définitive, s’agissant des baux commerciaux, il convient de


s’interroger, une nouvelle fois, sur “l’avenir d’un passé” 119 aussi
riche et inciter à une réforme législative apaisée et négociée qui
n’a que trop tardé pour les parties et les rédacteurs de contrat. Le
bicentenaire du Code de commerce est l’occasion de rappeler que
dans l’esprit de ses rédacteurs, ce Code devait permettre
d’encadrer les relations entre les acteurs de la vie économique.
Deux cent ans plus tard, cette exigence d’encadrement bien que
mal perçue dans une économie de marché, semble toujours
d’actualité. Le Code ne cherche pas à créer un équilibre entre les
commerçants, mais à réguler leurs échanges : laisser une grande
place à la liberté contractuelle est l’objectif, la recomposition
législative du “paysage locatif” pourrait en être l’aboutissement. A
l’heure de la recherche de l’attractivité du droit français, une
réforme équilibrée du statut des baux commerciaux n’est-elle
pas à l’ordre du jour ?
NOTES
1 Décret n   53-960 du 30 septembre 1953. Ce décret a fait l’objet de
o

plusieurs modifications par les lois du 31 décembre 1953, du 28


décembre 1959, du 1 juillet 1964, du 12 mai 1965, du 6 janvier 1986
er

et du 5 janvier 1988. Il a également été modifié par l’ordonnance du


22 avril 1969 et par le décret du 3 juillet 1972. L’ordonnance n   2000-
o

912 du 18 septembre 2000 opère une codification du décret à droit


constant, dans sa partie législative (codification aux articles L. 145-1 à
L. 145-60 du Code de commerce). Le décret a été codifié dans sa
partie réglementaire par le décret n  2007-431 du 25 mars 2007. Pour
o

un aperçu de ce décret, voir C. ARRIGHI de CASANOVA, “Un Code de


commerce utile, au service de ses utilisateurs”, RLDA, avril 2007,
p. 65 ; B. CHEYNEL, “Partie réglementaire du Livre quatrième du Code
de commerce”, RLDA, mai 2007, p. 44 ; F. AUQUE, “La partie
réglementaire du Code de commerce”, RJC, 2007, p. 271 ; J. MONEGER,
“Code de commerce, bail commercial et le 25 mars 2007”, Loyers et
copropriété, avril 2007, repère, n  4.
o

2 V. Rapport P. PELLETIER, www.justice.gouv.fr., p. 33.

3 Dictionnaire Larousse. Voir également, G. CORNU, Dictionnaire


juridique, PUF, coll., Quadrige, 8  éd°, 2007.
ème

4 GAFFIOT, Dictionnaire latin-français.
5 “Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties
s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et
moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer”.

6 Article 1708 à 1762 du Code civil.

7 Article 1737 du Code civil : “Le bail cesse de plein droit à l’expiration
du terme fixé, lorsqu’il a été fait par écrit, sans qu’il soit nécessaire de
donner congé”.

8 Loi du 30 juin 1926 réglant les rapports entre locataires et bailleurs


en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou
de locaux à usage commercial ou industriel. Elle fut suivie par la loi du
27 mars 1928 qui réglemente temporairement la situation des
locataires commerçants et industriels menacés d’expulsion et
complétée par celles des 18 mars et 18 juillet 1932.

9 La protection était, toutefois, minime. En effet, cette loi prévoyait


plusieurs hypothèses où le paiement n’était pas dû en cas de non
renouvellement par le bailleur. Le motif grave et légitime était exclusif
du paiement de l’indemnité d’éviction.

10 Cette loi prévoyait la nullité des clauses de non-renouvellement du


bail. Des dispositions concernaient la fixation du prix du bail renouvelé
par arbitrage sous contrôle judiciaire.

11 Le nouveau droit de préemption des communes sur les fonds de


commerce et les baux commerciaux exploités dans un périmètre de
sauvegarde du commerce de proximité instauré par la loi du 2 août
2005 relative au PME (modifiant l’article L. 145-2 du Code de
commerce, et prévues par les articles L. 214-1 et suivants du Code de
l’urbanisme), a été pris, “en apparence”, pour résoudre ces difficultés :
enrayer la fermeture des commerces de proximité et préserver la
diversité commerciale. Le décret d’application en la matière est paru
au Journal officiel du 28 décembre 2007 : décret n  2007-1827 du 26
o

décembre 2007. La durée d’élaboration du décret explique toute la


difficulté à mettre en œuvre ce projet… : V. obs. Y. ROUQUET, D.,
2008, p. 73 ; V. également J.-P. BLATTER, “Interrogations autour du
nouveau droit de préemption des communes”, AJDI, 2005, p. 705. H.
KENFACK, “Précisions sur le nouveau droit de préemption des
communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les
baux commerciaux”, RLDA, mars 2008, p. 17.

12 Y. CHARTIER, “Rigidité et flexibilité dans le droit des baux


commerciaux”, Mélanges offerts à Jean Derruppé, Litec, 1991, p. 70 et
suiv.

13 Article. L. 145-4 du Code de commerce.

14 Ce droit est subordonné à l’exploitation effective du fonds au cours


des trois années qui ont précédé le renouvellement. Article L. 145-8
du Code de commerce.

15 Article L. 145-14 du Code de commerce.

16 Article L. 145-17 du Code de commerce. Il s’agit, ici, d’apprécier le


comportement du locataire.

17 La valeur locative correspond au loyer résultant de la loi du marché.


Voir J. DERRUPPE, Les Baux commerciaux, Dalloz, 1996, p. 70.

18 Article L. 145-33 du Code de commerce “Le montant des loyers des


baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A
défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après : les
caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les
obligations respectives des parties, les facteurs locaux de
commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage”.

19 La règle du plafond est exclue quand le bail expiré a été conclu
pour une durée supérieure à neuf ans, ou lorsque par l’effet d’une
tacite reconduction, la durée du bail excède douze ans (article L. 145-
34 du Code de commerce). Le plafonnement ne s’applique pas aux
terrains nus, aux locaux construits en vue d’une seule utilisation, et
aux locaux à usage exclusif de bureaux. Voir, F. DEKEUWER-DEFOSSEZ,
E. BLARY-CLEMENT, Droit commercial, Activités commerciales,
commerçants, fonds de commerce, concurrence, consommation ,
Montchrestien, 9  éd°, 2007, p. 318, § 403.
ème

20 Article L. 145-34 du Code de commerce.

21 Celui-ci constitue le plafond.

22 Cass. 3  civ., 3 décembre 2003, Bull, III, n  219.


ème o

23 Ibid.

24 L. 145-37 à L. 145-39 du Code de commerce. Elle a lieu tous les


trois ans à compter de la dernière fixation du loyer, de la date d’entrée
en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail
renouvelé.

25 Article L. 145-33 du Code de commerce.

26 Article L. 145-38, alinéa 3, du Code de commerce.

27 Cass. 3  civ., 12 juillet 1989, JCP, 1989, éd° G, IV, p. 346.


ème

28 La règle peut profiter, aussi bien au locataire qu’au bailleur.

29 Cass. 3  civ., 16 avril 1973, D., 1974, p. 437, note Ph. MALAURIE.


ème

30 Jurisprudence Privilèges, Cass. 3  civ., 24 janvier 1996, JCP,


ème

1996, éd° N, p. 1429, note J.-L. PUYGAUTHIER. Jurisprudence


confirmée par un arrêt de Cour d’appel ; CA Paris, 1  avril 1997 ; Cass.
er

3  civ., 19 avril 2000, AJDI, 2000, p. 525, obs., J.-P. BLATTER ; Cass.


ème

3  civ., 30 mai 2001, D., 2001, p. 2036, note, M.-L.


ème

SAINTURAT. Contra, CA Paris, 16  ch. B., 4 mai 2001 et CA Paris,


ème

16  ch. A, 9 mai 2001, AJDI, 2001, p. 518, obs. J.-P. BLATTER.


ème

31 Pour un aperçu des différentes opinions, voir Ph.-H. BRAULT, “Baux


commerciaux : modifications apportées au statut des baux
commerciaux en cours de modification par la loi dite MURCEF du 11
décembre 2001”, Loyers et copropriété, janvier 2002, chron., n  1, p. 5
o

et suiv.
32 Loi MURCEF, portant mesures urgentes de réformes à caractère
économique et financier n  2001-1168 du 11 décembre 2001, JO, 12
o

décembre 2001, p. 19703 et suiv.

33 Pour un aperçu des différentes opinions en la matière, voir M.-L.


SAINTURAT, JCP, 2002, éd° E, p. 678.

34 Ass. Plén., 23 janvier 2004, D., 2004, p. 1108, note P.-Y. GAUTIER.

35 J.-P. BLATTER, “Droit des baux commerciaux”, Le moniteur, coll.


Analyse juridique, 4  éd°, 2006, p. 261, § 524.
ème

36 Ph.-H. BRAULT, “La révision triennale du loyer depuis la


modification du texte légal par la loi dite Murcef”, Loyers et
copropriété, octobre 2007, chron., n  10, p. 7-8.
o

37 Pour une critique de cette vision, F. AUQUE, Les baux commerciaux,


théorie et pratique, op. cit., p. 12, §12.

38 F. AUQUE, “Faut-il supprimer le statut des baux


commerciaux ?”, AJDI, juin 2000, p. 478 ; F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, E.
BLARY-CLEMENT, ouvrage précité, p. 300, § 355 et 356.

39 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, “Origine et valeur de la codification de


1953”, Le cinquantenaire du statut des baux commerciaux, Colloque
Université de Lille 2, RLDA, supplément décembre 2003, n  66, p. 6.
o

Voir Le rapport de la commission Pelletier, “Propositions pour une


modernisation du régime juridique des baux commerciaux et
professionnels”, Defrénois, 2004, article 37989 ; Contra, F. AUQUE,
“Décret de 1953 : une réforme est-elle souhaitable ?”, Colloque
précité, p. 42.

40 La liberté contractuelle est première en matière de fixation des


loyers.

41 Celle-ci ne doit, toutefois, pas être inférieure à neuf ans.


42 Loi n  65-356 du 12 mai 1965 qui institue au profit du locataire le
o

droit de changer l’affectation des lieux loués.

43 La déspécialisation simple encore appelée, “restreinte” ou “partielle”


est le fait d’adjoindre à l’activité initialement prévue des activités
connexes ou complémentaires. Article L. 145-47 du Code de
commerce.

44 La déspécialisation renforcée encore appelée, “plénière” ou “totale”


est le fait d’opérer un changement total d’activité.

45 La seule obligation qui pèse sur lui est d’informer le bailleur.

46 Article L. 145-48 du Code de commerce.

47 Cette demande doit être faite par acte extra-judiciaire ou par


exploit d’huissier.

48 L’intérêt est de choisir le moment de la révision, ce qui n’est pas le


cas en matière de révision légale. La clause ne sera pas efficace si elle
est à l’origine d’une variation de plus du quart, à la hausse ou à la
baisse, du loyer. Voir en ce sens, L. RUET, “Les baux
commerciaux”, Defrénois, 2006, p. 132, § 199.

49 Art., L. 145-16 du Code de commerce. La jurisprudence valide les


clauses restrictives de la cession du bail commercial.

50 Article L. 145-31 du Code de commerce.

51 “Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses


biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité
publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne
portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en
vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement
des impôts ou d’autres contributions ou des amende”.
52 Voir Cass. 3  civ., 27 février 1991, RDI 1991, p. 518. Cass. 3  civ.,
ème ème

12 juin 1996, JCP éd. N, 1997, p. 241, note M. NANZIR.

53 Revue de droit immobilier, 1990, p. 126.

54 Article 52, alinéa 2, du Traité de Rome : “La liberté d’établissement


comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que
la constitution et la gestion d’entreprises (…)”. La conséquence de ce
principe est celui de l’égalité de traitement, qui comporte notamment
l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité.

55 Article L. 145-13 du Code de commerce.

56 Acte Unique Européen des 17 et 28 février 1986. La loi n  86-1275


o

du 16 décembre 1986 autorise sa ratification.

57 Traité du 7 février 1992.

58 M.-P. BAGNERIS, thèse précitée, en particulier l’introduction, p. 11,


§ 7. Pour une opinion contraire, voir F. AUQUE, Les baux
commerciaux, théorie et pratique, LGDJ, 1996, p. 18, § 18, et J.
DERRUPPE, “Pratique et avenir du statut face à la dynamique
européenne”, AJDI, 1993, p. 161, spéc., p. 163.

59 Rép. Quest. Ecrite n  35. 134, JO, Déb. Ass. Nat., 9 mai 1988,
o

p. 1982. La même opinion est partagée par certains auteurs, voir J.


DERRUPPE, “Pratique et avenir du statut face à la dynamique
européenne”, article précité.

60 Le choix opéré n’est pas exhaustif.

61 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

62 M.-P. BAGNERIS, Le loyer du bail commercial, droit français


comparé et perspectives dans l’Union Européenne, Economica, 1997,
p. 57, § 98 et suiv. Ainsi, Il n’y a pas de durée minimale du bail. Le
droit au renouvellement n’existe pas. Le locataire n’a pas la possibilité
de céder son droit au bail. La cessation de la relation contractuelle ne
donne pas droit à une indemnité d’éviction. La réglementation des
loyers en cours d’exécution du bail relève de la liberté contractuelle.

63 Le régime actuel découle de la loi du 24 novembre 1994. Il n’existe


plus de droit légal au renouvellement. Toutefois, si le preneur se
maintient dans les lieux sans une opposition de la part du bailleur, il y
a une tacite reconduction pour la durée du bail initial.

64 M.-P. BAGNERIS, thèse précitée, p. 81-82, § 136 et 137.

65 M.-P. BAGNERIS, thèse précitée, p. 64, § 106 et suiv. Cette loi a


connu des modifications.

66 Ibid., p. 71, § 122. Celui-ci a droit à trois renouvellements


successifs, chacun d’une durée de neuf ans. Les parties peuvent
prévoir une durée inférieure.

67 M.-P. BAGNERIS, thèse précitée, p. 86, § 143. Elle est libre, sauf si


elle est fixée par le juge. Dans cette hypothèse, elle ne peut aller au-
delà de quatorze ans.

68 OCDE (2002), Réforme de la réglementation : Royaume-Uni peut


être commandé en ligne à l’adresse www.oecd.org/bookshop.

69 Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo,


Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée-Equatoriale, Mali, Niger,
Sénégal, Tchad et Togo.

70 Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique


signé le 17 octobre 1993. P. BOUREL, “A propos de l’OHADA : libres
opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en Afrique”, D.,
2007, p. 969 et suiv. Voir le site www.ohada.org.

71 Celui-ci est entré en vigueur le 1  janvier 1998. Sont concernés, les


er

locaux à usage commercial, industriel ou de bureaux, ainsi que les


locaux accessoires situés dans des villes de plus de 10.000 habitants
(article 71 de l’Acte uniforme).
72 Article 93 de l’Acte Uniforme.

73 J. LOHOUES-OBLE, “L’apparition d’un droit international des affaires


en Afrique”, Revue internationale de droit comparé 1999, n  3, p. 543
o

et suiv., spéc., p. 564.

74 Infra, p. 19.

75 Ch. LAVABRE, “Baux commerciaux statutaires et ordre


public”, Etudes offertes à Barthélemy Mercadal, éditions Lefebvre,
2002, p. 168.

76 Infra, p. 13.

77 Rapport RUEFF-ARMAND, Rapport sur les obstacles à l’expansion


économique, 1960 ; “Faut-il supprimer le statut des baux
commerciaux ?”, Colloque Lille 2000, AJDI, 10/06/2000, p. 478 et s.

78 Rapport P. PELLETIER, AJDI, 05/2004, n  72 et s.


o

79 Sur les problèmes d’interprétation v. F. AUQUE, “La codification des


baux commerciaux à droit “presque” constant”, JCP, 2000, act.,
p. 2003 ; B. BOCCARA, “Baux commerciaux : de l’interprétation obligée
d’une codification à droit constant”, D. Affaires, 2001, p. 2017.

80 A. d’ANDIGNE-MORAND, Baux commerciaux industriels et


artisanaux, Delmas, éd. 2006, n  104 et s.
o

81 art L. 145-15, C. com.

82 Il existe des restrictions fiscales attachées aux baux commerciaux


de plus de douze ans. Le décret 55-22 du 04/01/1955 art 28, impose
une publicité foncière.

83 Et avec le maintien des garanties Cass. 3ème civ., 7 février


2007, Juris-data, n  2007-037242, D., 2007, act. p. 1893, obs. Y.
o

ROUQUET ; “Baux commerciaux”, JCP E, 03/05/2007, chr. p. 20, n  74. o


84 Les juges seront attentifs aux abus dans le cadre de la dénonciation
de la relation contractuelle, sur ce point art. C. LAVABRE, “L’abus en
matière de baux”, Droit et Patrimoine, 06/2000, p. 46.

85 Art. L. 145-17, C. Com.

86 Par exemple : sur la prise en compte du droit au bail, Cass. 3ème


civ., 11 juin 1992, RJDA, 8-9/92, n  814 ; Sur la perte du local
o

d’habitation compris dans le bail, Cass. 3ème civ., 26 octobre


1971, Bull. III, p. 319 ; Sur les frais de déménagement et de
réinstallation Cass. 3ème civ., 2 décembre 1992, RJDA, 2/99 n  157.o

87 Rappelons qu’en 2006 à Paris, les baux commerciaux des magasins


les mieux placés et les mieux valorisés se sont négociés jusqu’à 9500
euros le mètre carré notamment sur les Champs-Elysées. Source : La
Tribune, 12/01/2007 ; voir aussi Le Point, 12/07/2007.

88 Art L. 145-38, C. com. ; V. supra, p. 16.

89 Sur l’approche critique du plafonnement, J. D. BARBIER, “Le loyer


entre plafond et marché”, colloque Lille, AJDI, 10/06/2000, p. 495.

90 Etude de F. ROBINE, “Pas-de-porte et droit au bail”, colloque


Lille, AJDI, 10/06/2000, p. 499 et s.

91 Cass. Com 14 février 1992, JCP, 1992, II 21957, note L. LEVY.

92 En ce sens Cass. 3ème civ., 15 février 1995, RJDA, 04/1995, n  410. o

93 De la qualification de la nature du pas-de-porte (supplément de


loyer ou indemnité) dépend le régime de taxation de la somme versée.

94 Sur la question, étude du rapport P. PELLETIER, AJDI, 05/2004.

95 Cass. 3ème civ., 07 février 1978, Bull. civ. III, p. 56.

96 La Commission relative à la libération de la croissance française


présidée par Jacques Attali a remis son rapport au président de la
République le 23 janvier 2008. V.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr, V. infra, p. 21.

97 Permanence de leur installation favorisée par un encadrement du


loyer qui ne les pousserait aucunement à renouveler leur offre
commerciale.

98 L’article L. 145-23-1 du Code de commerce a été retenu par le


Parlement dans la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national
pour le logement.

99 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Droit commercial, Montchrétien, éd. 2004,


p. 300.

100 J. MONEGER, “Baux commerciaux : statut ou liberté


contractuelle”, AJDI, 2000, p. 484, spéc. 485.

101 V. supra, p. 10.

102 J. DERRUPPE, “Faut-il supprimer le statut des baux


commerciaux ?”, Synthèse, AJDI, 2000, p. 510, spéc. p. 512.

103 Op. cit.

104 Le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi a présenté,


le 24 août 2007, un décret instituant une commission pour la
libération de la croissance française “ayant pour mission de rechercher
les moyens d’améliorer la compétitivité et la productivité de
l’économie française afin d’assurer une meilleure insertion de la France
dans l’Economie mondiale et européenne” : v. www.premier-
ministre.gouv.fr. Ladite commission, toutefois, est créée à l’image du
rapport Armand-Rueff, un rapport dénonçant en 1960, le régime du
statut des baux commerciaux. Il était opportun de rester attentif quant
aux propositions de cette commission.

105 En tout état de cause, une réforme en la matière n’a pas été
privilégiée pour relancer la croissance française.
106 Cass. 3  civ., 27 fév. 1991, Bull. civ. III, n  67, JCP G, 1991, IV,
ème o

158.

107 J. MONEGER, op. cit., spéc. 492.

108 Cass. 3  civ., 10 mars 1993, Bull. civ. III, n  30, Cass, 3  civ., 27


ème o ème

janvier 1999, JCP G, 1999, II, 10142, obs. BOCCARA ; Cass. 3  civ., 7


ème

mars 2001, D., 2001, D., 2001, AJ, p. 1874, obs. Y. ROUQUET ; Cass.


3  civ., 7 mai 2002, AJDI, 2002, p. 523, obs. J.-P. BLATTER.
ème

109 J. DERRUPPE, “Faut-il supprimer le statut des baux


commerciaux ?”, Synthèse, AJDI, 2000, p. 510, spéc., p. 512.

110 Il convient de signaler, sur ce point, une proposition, du 20


décembre 2007, d’un nouvel indice contractuel élaboré à partir de
trois indices préexistants : l’indice des prix à la consommation, l’indice
du coût de la construction, l’indice du chiffre d’affaires du commerce
de détail en valeur sous l’égide du Conseil national des centres
commerciaux, la Fédération Procos (représentant les locataires
commerçants du domaine de la distribution), la Fédération des
sociétés immobilières et foncières et l’Union nationale de la propriété
immobilière (représentant les propriétaires bailleurs). Le protocole a
suggéré son application par avenant aux baux en cours le 15 janvier
2008. Néanmoins, ce nouvel indice contractuel n’aura
vraisemblablement pas d’incidence : “la place de la liberté
contractuelle ne sera pas plus grande qu’avant” : J. MONEGER, JCP. E,
2008, act.12 : “Cet accord n’aura pleine qualité juridique que si le
législateur mesure […] les effets immédiats et à terme et fixe la norme
d’équilibre contractuel qui paraît manquer”.

111 Cass., 3  civ., 10 mars 1993, JCP N, 1993, II, p. 315, obs. F.


ème

AUQUE : arrêt célèbre du “Théâtre Saint Georges” ; Cass. 3  civ., 27


ème

janv. 1999, JCP G, 1999, II, 10142, obs. B. BOCCARA ; JCP E, 1999,


p. 575, obs. F. AUQUE ; Cass., 3  civ., 7 mai 2002, AJDJ, obs. J.-P.
ème

BLATTER.

112 V. Cass., 3  civ., 7 mai 2002, op. cit.


ème
113 V. Rapport P. PELLETIER, www.justice.gouv.fr, p. 65.

114 J. MONEGER, “Libre propos : le loyer dans le rapport Pelletier :


Entretien avec Joël Monéger, Bernard Pain et Philippe-Hubert
Brault”, Loy. et Copr., juin 2004, p. 6.

115 H. KENFACK, “Actualité de la clause résolutoire”, Loyers et


Copropriété, nov. 2006, p. 10.

116 H. KENFACK, “Le renforcement de la vigueur du pacte de


préférence”, Défrénois, 2007, n  13-14, art. 38621, p. 1003.
o

117 Cass. com. 13 févr. 2007 (2 arrêts) : pourvoi n  06-11. 289 et o

n  05-17. 296 ; H. KENFACK, op. cit., p. 1003 ; JCP E, 2007, 1523,


o

n  21, obs. J. MONEGER ; Défrénois, 2007, art. 38594, p. 775, obs. L.


o

RUET ; D., 2007, art. 648, obs. A. LIENHARD ; Cass. 3ème civ., 14 févr.
2007 : pourvoi n  05-21. 814, JCP E, 2007, 1523, n  21, obs. J.
o o

MONÉGER ; H. KENFACK, op. cit., p. 1003.

118 H. KENFACK, “Restauration de la force obligatoire du pacte de


préférence”, Revue Lamy. Dr. civ., sept. 2006, p. 5, Défrénois, 2006,
art. 38433, n  41, p. 1206, obs. E. SAVAUX ; JCP G, 2006, II, 10142,
o

note L. LEVENEUR ; JCP G, 2006, I, 176, F. LABARTHE ; JCP N, 2006,


Act. 395 ; D., 2006, p. 1861, notes de P.-Y. GAUTIER et D.
MANGUY ; D., 2006, Pan., 2644, note B. FAUVARQUE-COSSON ; Dr. et
Patrimoine, 2006, p. 95, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK ; RTD civ., 2006,
p. 550, obs. J. MESTRE et B. FAGES.

119 CARBONNIER, “L’avenir du droit”, Mélanges offerts à F. Terré,


Dalloz, PUF, Juris-Classeur, Paris, 1999, p. 5 et svt.

AUTEURS
Hugues Kenfack
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDP, UT1)
Yassila Ould-Aklouche
Allocataire-Moniteur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, UT1)
Solène Ringler
Allocataire-Moniteur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, UT1)
Isabelle Tortosa
Ater à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, UT1)

Le fonds de commerce. Une


notion en évolution1
Jacques Larrieu, Didier  Krajeski, Alexandra Mendoza-Caminade, Rhislène Seraiche,
Céline Mangin, Marie Daeron, Anna-Lisa  De  Grandi et Laure  Soule

p. 231-254

Remerciements à Arnaud De Bissy pour les informations


communiquées en matière fiscale
 1 Cet article reprend les conclusions d’un atelier dirigé par le professeur
Jacques Larrieu. Ont part (...)

1Le fonds de commerce, dont le législateur ne propose pas de


définition, fait partie de ces notions qui ne cessent d’interpeller la
doctrine, soucieuse d’offrir aux exploitants un instrument
juridique adapté à leurs besoins économiques, car le fonds de
commerce, il ne faut pas l’oublier, est avant tout un outil au
service d’un projet entrepreneurial.
 2 RIPERT, Traité élémentaire de droit commercial, L.G.D.J., 1972, no 526.

2En quête d’un élément commun à tous les fonds de commerce


sur lequel aurait pu s’adosser une définition, la doctrine
classique, dont Ripert s’était fait le porte-parole, affirmait que la
clientèle était caractéristique du fonds de commerce. Celle-ci ne
se trouvait pas réduite au rang d’élément quelconque du fonds,
elle se confondait avec lui (qui “n’est pas autre chose que la
clientèle”)2. Par la suite cette définition a cependant révélé ses
lacunes : si une clientèle est incontestablement liée à toute
activité économique, il est moins certain qu’elle constitue un bien
distinct, séparable des supports matériels ou intellectuels
destinés à l’attirer, l’accueillir et la développer.
 3 C. THIBIERGE, “Le statut juridique du fonds de commerce”, RTD Com.,
1962, p. 605 ; J. DERRUPPE, “Fo (...)

3Prenant la mesure de ce constat, la doctrine contemporaine a


proposé une nouvelle approche du concept. On explique
désormais que le fonds de commerce est un ensemble de moyens
corporels et incorporels destinés à attirer la clientèle. La clientèle,
autrefois caractéristique essentielle du fonds, est passée
dorénavant au rang de finalité ; c’est le “but en vue duquel le
fonds est organisé”3.
4Toutefois une telle approche, sans doute plus réaliste, ne se
révèle pas moins réductrice car elle se satisfait d’une vision
statique fondée sur la summa divisio entre les biens inclus dans
le fonds et ceux qui en sont exclus. C’est ainsi que le fonds
comprend un ensemble de meubles, notamment l’enseigne, le
nom commercial, le droit au bail, le matériel et les marchandises,
et qu’étant lui-même considéré comme un meuble incorporel, les
immeubles dans lesquels il est installé sont exclus de sa
composition.
5Qui plus est, le droit français s’étant jusqu’à présent refusé à
reconnaître la personnalité juridique à des groupements de biens
pour réserver cette possibilité aux groupements de personnes, le
fonds de commerce n’a pas de personnalité juridique. La
conséquence est l’exclusion des créances, des dettes et des
contrats qui demeurent attachés à la personne de l’exploitant,
hors de la composition du fonds. Aussi, en théorie, en cas de
transfert du fonds, n’y a-t-il pas transmission automatique de
ces éléments qui se rapportent pourtant à l’exploitation. Il en
résulte que le fonds, groupement de biens meubles sans
personnalité morale, est tout simplement  une universalité de fait.
6Reste que cette conception, certainement plus pragmatique que
celle qui l’a précédée, demeure encore insuffisante pour faire du
fonds un instrument véritablement attractif d’un point de vue
économique. En effet, le fonds est censé présenter plusieurs
utilités pour l’exploitant : il constitue l’instrument de travail qui
lui permet de développer son activité ; il représente la garantie
essentielle qu’il peut proposer aux établissements de crédit ; il
est enfin le principal “capital retraite” dont il dispose. Dans ces
conditions, quelle rationalité économique pourrait justifier
l’exclusion des immeubles et des contrats ? Ces éléments
contribuent-ils moins que le matériel ou le nom commercial à la
performance de l’entreprise ou à sa valorisation ?
7La liste des biens entrant dans la composition du fonds doit-elle
rester figée comme un pré-requis obligatoire ? Ne serait-il pas
plus judicieux de laisser l’entrepreneur composer librement son
fonds en fonction de ses objectifs, de ses moyens, de son type
d’activité… Prenons l’exemple du fonds de commerce
électronique : quel intérêt représente pour son éditeur la
reconnaissance d’un droit au bail ? A l’inverse, qu’en est-il du
nom domaine ou de la présentation du site qui sont des éléments
majeurs d’attraction de la clientèle ?
8Ces quelques interrogations donnent une idée de l’intérêt qu’il y
a à poursuivre une réflexion sur le fonds de commerce malgré
l’ancienneté de la notion.
 4 J. DERRUPPE,  op. cité, no4.

9Certes, “le fonds de commerce ne se conçoit et ne peut exister


qu’en fonction d’une clientèle” 4, mais encore faut-il préciser que
la clientèle n’est pas un critère d’existence du fonds. Elle est sa
finalité. En d’autres termes, si la clientèle demeure nécessaire
puisque sans elle l’activité économique perd de son intérêt, il ne
faut pas confondre le but ou la finalité, qui est l’attraction de la
clientèle, et le moyen d’y parvenir, qui est le fonds.
10Si la clientèle n’est pas l’élément essentiel autour duquel
viennent se fédérer les différents moyens nécessaires à l’activité,
quel est ce nouvel élément, commun à tous les fonds, qui permet
de rendre compte d’une notion économiquement plus
performante ?
11Une vision dynamique de l’entreprise conduit à mettre en
exergue un autre élément du fonds de commerce qui se trouve à
l’origine de sa valeur. Cet élément essentiel c’est la capacité
d’organisation de l’entrepreneur. Dans une appréhension plus
utilitariste du fonds, vu non plus seulement en tant que bien mais
surtout en tant qu’instrument d’une activité valorisable, les
compétences déployées par le commerçant apparaissent de plus
en plus comme une composante essentielle de celui-ci : le choix
d'une politique commerciale, la sélection du personnel et la
gestion des compétences, les techniques d’approche de la
clientèle ou encore l'agencement des points de vente déterminent
l'attractivité du commerce exploité.
12D’ailleurs, loin de demeurer un critère théorique, la capacité
d’organisation se trouve de plus en plus valorisée à travers le
contentieux relatif à des contrats aussi essentiels que le bail
commercial et la vente du fonds de commerce. Mais encore plus
marquant, la capacité d’organisation constitue sur le plan
comptable, à travers la notion de  goodwill, une valeur essentielle
prise en compte pour la détermination du prix de cession d’une
entreprise. La patrimonialisation de ces nouvelles valeurs que
sont lesbusiness methods ou méthodes commerciales est
consacrée par la jurisprudence américaine qui assure leur
protection par brevet d’invention.
13Cette façon nouvelle de caractériser le fonds, à partir de
l’activité de son exploitant, permettra, du reste, de rapprocher
l’institution française de celle déjà reconnue par des droits
étrangers. En effet, certains de nos voisins connaissent un tel
critère : ainsi l’Italie et l’Espagne par exemple, valorisent depuis
longtemps l’activité humaine à travers respectivement les notions
d’avviamento et de  fondo de commercio. L’enseignement apporté
par ces exemples étrangers est précieux à maints égards : la
valorisation des capacités d'organisation du commerçant permet
de rapprocher le fonds d'une véritable organisation
entrepreneuriale ; elle fonde la liberté laissée à l’exploitant
d’inclure ou d’exclure tel ou tel bien en vue d'adapter sa
constitution aux besoins de l'activité.
14En France, cette liberté d’affectation, déjà consacrée comme un
principe en matière comptable, pourrait être opportunément
étendue à la matière juridique ce qui permettrait à l’entrepreneur
de composer librement son fonds avec pour seul objectif
l’optimisation de son action commerciale.
15Cette étude se propose donc à travers une approche
pluridisciplinaire, de mettre en évidence cette capacité
d’organisation (I) de “l’entrepreneur” qui doit principalement se
traduire par une liberté d’affectation (II) au fonds de tous les
biens que l’entrepreneur juge nécessaires à l’activité.

I – DE LA CAPACITE
D’ORGANISATION…
16Le fonds de commerce est traditionnellement assimilé aux
éléments qui le composent : un regroupement de biens corporels
et de biens incorporels. Pourtant, la définition d'une politique
commerciale, la sélection de produits et de services, le
recrutement du personnel et la gestion des compétences,
l'agencement des points de vente… déterminent bien davantage
l'attractivité du commerce exploité. Avec l'avènement de
nouveaux modes d'exploitation commerciale, les compétences
déployées par le commerçant apparaissent peu à peu comme une
composante essentielle du fonds de commerce.
17Dorénavant, l’activité et la capacité d'organisation se trouvent
davantage valorisées dans le cadre d’une approche plus
économique et dynamique du fonds de commerce.
18On trouve trace de cette évolution en droit positif. C’est ainsi
qu’une conception rénovée du fonds se dégage peu à peu du
contentieux relatif à des contrats aussi essentiels que le bail
commercial et la vente du fonds de commerce (A). Par ailleurs, la
notion comptable de  goodwill ou survaleur témoigne de la prise
en compte de cette nouvelle valeur (B), qui correspond aux
concepts déjà retenus par certains droits étrangers (C).

A – La valorisation de l’activité du
commerçant en jurisprudence
19La Cour de cassation adopte, parfois, une vision rénovée du
fonds de commerce, plus conforme à la réalité économique, selon
laquelle l’existence et la valeur du fonds de commerce et de la
clientèle sont davantage dépendantes de l'activité personnelle et
des compétences du commerçant. Cette évolution peut être
décrite à l’aide de deux exemples extraits du contentieux
contractuel.
 5 V. par exemple, Cass. ass. plén., 24 avril 1970 : JCP éd. G, 1970, II,
16489, obs. B. BOCCARA ; D., (...)

201) Une conception renouvelée du fonds de commerce se fait


jour dans le contentieux relatif à l'application du statut des baux
commerciaux au franchisé et à l’exploitant de “commerce
satellite”. L’article L. 145-8 du Code de commerce dispose en
effet que “le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué
que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux”.
Celui qui réclame le bénéfice du statut des baux commerciaux
doit disposer d’une clientèle personnelle et autonome5.
21Ce critère fut d'une application particulièrement délicate dans le
cadre des “nouvelles” pratiques commerciales, telles que
la franchise et la concession. En effet, la propriété commerciale
des franchiseurs et des concessionnaires fut tout d'abord exclue
par un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, le 6 février 1996.
Les juges du fond considéraient en effet que “pour qu’un locataire
franchisé ou concessionnaire d’une marque soit considéré comme
ayant un fonds de commerce en propre, il faut qu’il apporte la
preuve de ce qu’il a une clientèle liée à son activité personnelle,
indépendamment de son attrait en raison de la marque du
franchiseur ou du concédant…”. Or, pour identifier le propriétaire
de la clientèle, les juges se livrèrent à une appréciation   in
concreto qui consistait à rechercher ce qui était prépondérant, de
l’apport de la marque ou des qualités personnelles du
distributeur. La solution retenue a ainsi fréquemment conduit les
tribunaux à refuser le droit au renouvellement du bail ou
l’indemnisation en cas de non-renouvellement.
 6 Elle avait pour conséquence de n’accorder le droit au renouvellement ni
au franchisé (ou au concess (...)

22Cette position traditionnelle de la jurisprudence fut décriée en


raison de ses effets sur les contrats de distribution 6. Elle n'était
pas non plus sans incidence sur l'appréhension du fonds de
commerce et de la clientèle : le critère “quantitatif” retenu par les
juges pour constater l'existence d'une clientèle propre négligeait
en effet les efforts déployés par les franchisés et les
concessionnaires. La clientèle et le fonds étaient ainsi conçus de
façon restrictive car leur existence semblait reposer
essentiellement sur la marque et l'enseigne, rarement sur
l'activité personnelle du franchisé ou du distributeur.
23Pourtant, en pratique, le franchiseur comme le concédant ont
toujours implicitement reconnu la capacité de leur partenaire à se
constituer une clientèle personnelle, en stipulant des clauses de
cession, de non-concurrence, ou encore d’exclusivité territoriale.
En outre, le franchisé et le concessionnaire sont juridiquement
responsables de la gestion de leur entreprise : en principe, eux
seuls peuvent être frappés par l'ouverture d'une procédure
collective en cas d'échec commercial.
24La reconnaissance limitée d'une clientèle propre pouvait donc
difficilement se justifier, et la valorisation des efforts déployés et
des risques pris par les distributeurs suggérait au contraire que
fût retenue une approche plus “qualitative” du fonds de
commerce et de la clientèle.
 7 CA Paris, 4 octobre 2000, Sté Nicogi c/Sté Gan Vie, JCP E, 2001,
p. 324, note B. BOCCARA ; D., 2001 (...)

 8 Cass. 3ème civ., 27 mars 2002, Trévisan, Contrats, conc., consom., 2002,


comm. no 111, obs. M. MALA (...)

25Un revirement fut amorcé par les arrêts de la Cour d’appel de


Paris rendus le 4 octobre 20077 à propos des contrats de
franchise. Les juges du fond décidèrent en effet que “le fonds de
commerce est un ensemble d’éléments de nature à attirer la
clientèle intéressée par le produit vendu ou la prestation offerte
en vue de l’enrichissement de celui qui assume le risque d’une
telle entreprise… ; dans le cas d’une exploitation de fonds après
signature d’un accord de franchise la sanction de la perte de
clientèle… frappe directement le franchisé…”. Les juges
établissaient ainsi un lien entre l'attribution de la charge des
risques et celle d'une clientèle propre. La relation entre le risque
d'entreprise et l'autonomie de clientèle fut ensuite clairement
établie par le fameux arrêt  Trévisan du 27 mars 20028 : si une
clientèle nationale est attachée à la notoriété de la marque du
franchiseur, en revanche “la clientèle locale n’existe que par le fait
des moyens mis en œuvre par le franchisé,... et cette clientèle fait
elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque,
même si celui-ci n’est pas propriétaire de la marque et de
l’enseigne mises à sa disposition pendant l’exécution du contrat
de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que,
contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de
deniers, il met en œuvre à ses risques et périls”.
26Ainsi, la reconnaissance d'une clientèle personnelle et
autonome valorise désormais les efforts déployés par celui qui
exploite, à ses risques et périls, les moyens matériels ou
immatériels attachés au fonds.
 9 Cass. ass. plén., 24 avril 1970, JCP éd. G, 1970, II, no16489, note B.
BOCCARA.

 10 Cass. 3ème civ., 19 mars 2003 ; 5 février 2003, Bull. civ. III, no 25


p. 25 ; 1eroctobre 2003, pou (...)

 11 Cass. 3ème civ., 19 janv. 2005, SARL Grand Case Beach Club


management association c/Miltich Welch [ (...)

27Une solution identique est admise en ce qui concerne


les commerces géographiquement intégrés : la question est de
savoir si le commerçant indépendant qui exerce son activité dans
un autre établissement, dont l'activité est différente, dispose
d'une clientèle autonome, distincte de celle de l'établissement
principal. Il semblerait que la Cour de cassation ait toujours
reconnu l'existence d'un fonds de commerce propre à celui dont
l'activité est géographiquement intégrée. Cependant, les critères
retenus ont évolué dans un sens plus largement favorable à la
valorisation de l'activité personnelle du commerçant. Les Hauts
magistrats ont tout d'abord assimilé la “clientèle autonome” à la
“clientèle prédominante par rapport à celle que procure
l’établissement d’accueil”9, puis ont ensuite considéré que son
existence devait être liée à l'autonomie de gestion 10 du
commerçant. Ce dernier critère est aujourd'hui entendu de façon
extensive puisqu'il a été finalement admis qu'en dépit des
contraintes imposées par l'établissement principal, le commerçant
qui exploite un fonds inclus dispose d'une clientèle autonome dès
lors qu'il reste libre d'exercer son activité selon sa volonté 11.
 12 Un tel transfert des risques existerait, par exemple, lorsque
l'établissement principal contrôle l' (...)

28Cette conception plus souple de l'autonomie de gestion peut


être rapprochée de la solution retenue par la Cour de cassation à
propos des commerces économiquement dépendants. L'accent
est mis sur le libre exercice du commerce. Or, cette liberté a pour
corollaire la responsabilité pécuniaire du commerçant en cas de
faute de gestion. La qualité de propriétaire du fonds reviendrait
ainsi à celui qui exerce le commerce pour son propre compte, à
ses risques et périls, c'est-à-dire dans la mesure où les
contraintes imposées ne conduisent pas à déplacer les risques de
l'activité, du commerce inclus à l'établissement principal 12.
 13 cf. note sous Cass. 3èmeciv., 27 mars 2002, JCP éd. G, 2002, II, 10112,
p. 1312 ; Les Petites Affi  (...)

29Ainsi, l'analyse du contentieux relatif au contrat de bail


commercial conclu par l'exploitant d'un commerce
géographiquement intégré ou économiquement dépendant rend
compte d'une évolution des notions de fonds de commerce et de
clientèle. La référence au risque entrepreneurial, qui permet
l’acquisition d’une clientèle et son rattachement au fonds, révèle
une analyse plus économique13 des notions de fonds de
commerce et de clientèle. La reconnaissance d’un fonds
autonome peut être perçue comme une sorte de rémunération
des risques pris et du travail fourni, des compétences déployées
par le commerçant agissant à ses risques et périls.
302) Cette approche économique et fonctionnelle du fonds, qui
met davantage l'accent sur l'activité et les compétences du
commerçant peut être aussi décelée dans le contentieux de
la vente du fonds de commerce. Il apparaît que la valeur du fonds
dépend moins de la clientèle déjà existante, que de son
“potentiel”, lequel est étroitement lié aux qualités
professionnelles de l'acquéreur.
 14 Art. L. 141-1, C. com.

 15 Art. L. 141-1, C. com.; art. 1116 C. civ.

 16 Art. 1382, C. civ.

 17 Art. L. 141-3, C. com.

 18 CA Paris, 13 mai 1969, D., 1969, p. 608 ; CA Rennes, 11 février


1998, JCPéd. E, 1998, no 26 p. 101 (...)

 19 Ex : CA Dijon, 13 mai 2005, Juris-Data, no 2005-286681.

 20 CA Paris, 27 septembre 2006, Juris-Data, no 2006-314124.

 21 Cass. com., 24 mars 1998, RJDA, 8-9/98 no 969.

 22 CA Paris, 24 mai 2000, Juris-Data, no 2000-117645 ; comp. en matière


de financement de l’acquisitio (...)

31Il faut tout d'abord préciser que le chiffre d’affaires


communiqué à l’acquéreur au moment de la vente –et sur lequel
se concentrent un nombre important de litiges– est un reflet
“comptable” de la clientèle. En pratique, lorsque les résultats
réalisés lors de l'exploitation sont plus faibles que ceux déclarés
par le vendeur au moment de la vente 14, nombre d'acquéreurs
déçus sont tentés d'invoquer la nullité de l'acte 15, la
responsabilité du vendeur16, ou encore la garantie des vices
cachés17. Or, loin de sanctionner systématiquement18 le vendeur,
les juges cherchent à déterminer la cause de la diminution du
chiffre d'affaires. En pratique, l’acquéreur devra établir une
inexactitude réelle19 qui aurait pour cause une négligence du
vendeur ou bien la dissimulation d’un fait de nature à influencer
le chiffre d’affaires. Dans ce cadre, les juges prennent en compte
le caractère “volatile” de la clientèle, et les risques inhérents à
toute activité commerciale. Ceux-ci tiennent notamment au fait
que la clientèle demeure un ensemble d’hommes et de femmes
qui disposent d’une liberté de choix. Son existence et son
importance dépendent alors pour une large part d’éléments
extérieurs au fonds de commerce, tels que l’environnement
concurrentiel et économique20, mais aussi la personnalité du
commerçant. Ainsi, l'annulation de la vente ne peut pas être
prononcée lorsque la diminution du chiffre d'affaires –et donc la
perte de clientèle– invoquée au soutien de la demande n’a pas
pour origine une dissimulation de la part des cédants, mais
probablement le changement de politique commerciale des
acquéreurs21. Les juges rappellent même parfois que les
“conditions d’exploitation du fonds sont conditionnées par la
personnalité des commerçants”, élément qu’un expert ne peut
apprécier22.
32La cession du fonds de commerce entraîne ainsi le transfert de
la clientèle sans qu’il en résulte une garantie de conservation.
Celle-ci est alors appréhendée dans son contexte économique et
envisagée comme une finalité de l’exploitation commerciale.
D’ailleurs, en pratique l’acquéreur du fonds de commerce compte
davantage sur sa capacité à l’exploiter que sur l’activité de son
prédécesseur, l’essentiel étant pour lui d’acquérir une “unité
économique” qui soit rentable. Ainsi, la valeur d'un fonds de
commerce, notamment au moment de sa cession, ne repose pas
tant sur la clientèle existante que sur le potentiel qu'il représente.
L'attrait du fonds dépend alors, non seulement des éléments
corporels et incorporels qui y sont attachés, mais aussi des
qualités professionnelles de l’acquéreur. En revanche, les juges
demeurent attentifs à l'effectivité de ce potentiel, c'est-à-dire
qu'ils ne manquent pas de sanctionner, sur le fondement des
vices du consentement ou de l'obligation de garantie, toute
transmission d'un fonds dont l'exploitation est économiquement
compromise ou techniquement impossible.

B – La valorisation de l’activité du
commerçant dans l’analyse financière et
comptable
33La valorisation de l’activité et de la capacité d’organisation du
commerçant occupe désormais une place privilégiée en matière
financière. L’évolution dans le calcul de la valeur des entreprises a
débuté dans les années 70.
34L’apparition d’une “surprime” à l’occasion de la cession d’une
société met en évidence la propension de nombreux dirigeants à
“surpayer” l’entreprise cible. C’est ainsi que la notion
de goodwill a connu une certaine popularité dans la “nouvelle
économie” tandis que se multipliaient les achats d’entreprise à
des prix sans véritable rapport avec la valorisation de l’actif net
ou avec les perspectives réelles de rentabilité.
 23 Survaleur : terme traditionnel français dont l’usage était encore
dominant dans les années soixante (...)
35D’un point de vue comptable, cette surprime apparaît sous la
forme d’un écart d’acquisition : la “survaleur”23 ou le goodwill.
Sous la notion de goodwill se cache une sorte de prime ajoutée à
la valeur de toute entreprise en dehors d’un calcul analytique du
bilan. C’est le supplément que doit débourser l’acheteur d’une
entreprise en plus de la valeur comptable des actifs, une fois les
dettes déduites. Cet écart de valeur constitue l’écart de première
consolidation. Il peut être composé de différentes valeurs : l’écart
d’évaluation et l’écart d’acquisition ou goodwill. L’écart
d’évaluation correspond à la différence entre la valeur
économique des actifs et leur valeur comptable. L’écart
d’acquisition représente donc le solde entre la valeur
d’acquisition et l’écart d’évaluation. On en vient alors à se poser
la question de la composition du goodwill : quels sont les
éléments qui ont une influence sur la valeur d’une entreprise sans
être identifiés au bilan ?
 24 A. LORRAIN, Mémoire Master Finance Internationale sous la Direction
de H. RAZAFITOMBO (Docteur en F (...)

36Il n’est pas aisé de définir le goodwill. Selon Anthony Lorrain,


“la notion de survaleur ou goodwill correspond à une valorisation
d’opportunité stratégique, contrepartie financière de la notoriété,
du savoir faire et des performances de l’entreprise, et mesure les
avantages incorporels dont celle-ci dispose. Ces avantages
permettent d’expliquer les raisons pour lesquelles cette
entreprise génère une rentabilité supérieure au bénéfice normal
que justifierait son actif net, et qui constitue un superbénéfice” 24.
 25 Voir supra note no 21.

 26 Yves BERNARD, Jean-Claude COLLI, Dictionnaire économique et


financier  : avec les terminologies angl  (...)
37La définition du dictionnaire Bernard et Colli apporte des
précisions quant aux éléments influençant le goodwill 25 :
le  goodwill correspond à la clientèle ou l’achalandage d’une
maison de commerce. Le terme a revêtu une signification plus
large en étant défini comme ce qui différencie une affaire établie
qui a fait sa place d’un établissement qui s’installe et à qui il reste
à s’imposer. L’environnement, la localisation, la clientèle, le
réseau de relations et de correspondants de toute sorte, la
réputation, la compétence, le climat social sont autant de critères
à prendre en compte. On y ajoute aujourd’hui l’attachement ou la
confiance des fournisseurs, des employés et des partenaires” 26. Il
s’agit d’envisager cette “valeur ajoutée au fonds de commerce” à
travers des critères dépendant de la personnalité de
l’entrepreneur. Le choix de l’emplacement, les rapports avec la
clientèle, le climat de concurrence, les partenariats, le cadre de
travail à l’intérieur de l’activité et dans ses rapports avec les tiers
sont autant d’éléments à prendre en considération.
 27 Voir supra note no 2.

38Selon Anthony Lorrain, “la valeur goodwill est décomposée en


survaleurs présentes d’origines passées et survaleurs présentes
d’origines futures [sic]. La survaleur globale théorique est alors
composée de l’ensemble des deux”27. La survaleur d’origine
passée est composée d’un élément comptable, d’un élément
stratégique et d’un élément humain. L’élément comptable
correspond à la différence entre le coût historique et la
valorisation de l’actif. L’élément stratégique correspond à la
réputation, l’image de marque, la part de marché, l’implantation,
la recherche… Enfin l’élément humain regroupe les compétences
de chacun, le savoir-faire et le savoir-être, les formations
acquises… La survaleur d’origine future correspond à des gains
futurs. Pour Anthony Lorrain, le goodwill apparaît comme “une
valeur présente d’origine humaine, comptable, économique,
stratégique et financière”.
 28 C. THIBIERGE, Contribution à l’étude des déterminants de la
comptabilisation des investissements im  (...)

39Cette notion reconnue en finance et gestion peine à trouver sa


place dans les règles et principes comptables ; la prise en compte
d’une valeur immatérielle, éventuelle, future, s’oppose aux
principes de prudence ou de réalisation comptable. Il en résulte
une incertitude quant au traitement comptable de ladite valeur 28.
40L’approche financière et comptable, avec l’accent mis sur la
notion de goodwill qui répond à un besoin pratique d’évolution
du calcul de la valeur d’une entreprise, permet de souligner
l’obsolescence de la notion classique de fonds de commerce,
désuète dans ses éléments constitutifs par rapport à l’évolution
du monde des affaires. La décomposition de la notion
de goodwill met en évidence les différents éléments qui influent
sur la richesse d’un fonds de commerce : il apparaît que l’activité
et la stratégie humaine sont les éléments essentiels de cette
“surprime”. Les facteurs humains et organisationnels sont au
cœur de la réussite d’une affaire, et ils se substituent même
parfois au capital technique et industriel. Ainsi l’entreprise prend
progressivement conscience que la compétence des hommes et
l’organisation du travail sont des éléments primordiaux pour
créer de la valeur.

C – La valorisation de l’activité du
commerçant en droit comparé
1) L’exemple italien et la notion d'“avviamento”
 29 V. BUONOCORE, “L’imprenditore”, Enciclopedia del diritto, vol. XX,
p. 515, no3, Giuffre, Milano 19 (...)
 30 G. FERRARI, “L’azienda”, Enciclopedia del diritto, vol. IV, p. 682, no 2,
Giuffre, Milano, 1959.

 31 F. FERRARA, F. CORSI, Gli imprenditori e le società, 12e éd., Giuffre,


Milano, 2001, p. 30 seg.

41Le droit Italien connaît depuis longtemps la valorisation de


l’activité humaine. Le rôle de l’entrepreneur 29 est d’organiser les
biens et les moyens nécessaires à l’exercice de l’activité
commerciale30. Son activité est destinée à produire de la richesse
–une “utilité économique”– et à cette fin, il organise
professionnellement, non seulement les biens qui composent
l’entreprise, mais aussi les travailleurs dépendant de lui 31.
 32 B. LIBONATI, L’impresa e le società. Lezioni di diritto commerciale, ed.
Giuffre, Milano, 2004, p.  (...)

42Les rédacteurs du Code Civil de 1942 ont ainsi attribué à


l’entrepreneur le rôle d’un chef d’entreprise. L’organisation des
rapports de travail occupe une place de plus en plus importante
au sein de son activité32. Il faut rappeler que le Code Civil italien
a été rédigé pendant la période fasciste, une époque où le
pouvoir se déclarait favorable à l’intervention de l’Etat dans les
relations privées et en particulier à la réglementation des rapports
de travail subordonné.
 33 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di
diritti, ed. Giuffre, Milano, 198 (...)

43C’est donc l’entrepreneur, par son travail et sa capacité


d’organiser, qui transforme la réunion de moyens matériels et
humains en un complexe productif. Cet ensemble de biens porte
le nom d’azienda. Un auteur la définit comme “la synthèse de
valeurs productives (matériels, capital et travail) organisées pour
la production de biens nouveaux” car la productivité est, d’une
part, transformation de biens et, de l’autre, création de nouveaux
profits33. La production est donc le critère qui donne unité à cet
ensemble hétérogène de biens meubles et immeubles.
 34 Sur la notion de biens composants la notion d’azienda v. G.
FERRARI, op. cit., p. 685-687, no 4, ed (...)

 35 L. MOSSA, “I problemi fondamentali del diritto commerciale”, Riv. dir.


comm., 1926, I, p. 233.

44L’azienda, en tant qu’“ensemble des biens34 organisés par


l’entrepreneur pour l’exercice de son activité” se distingue
nettement de la notion de fonds de commerce. En effet, le droit
commercial italien a préféré abandonner l’idée de fonds, connue
sous l’empire du Code de Commerce de 1882, pour y substituer
un concept plus moderne et plus proche de celui d’entreprise.
Cette solution s’insère dans un contexte réformateur qui remonte
à la fin du XIX  siècle. À l’instar du modèle allemand, la doctrine
ème

italienne voulait réformer le droit commercial pour le “transformer


en droit des organisations commerciales” 35. L’entreprise était
devenue l’outil de référence pour l’organisation des rapports
commerciaux. De plus, toute distinction entre commerçants et
non-commerçants fut abandonnée pour permettre d’uniformiser
le droit des contrats civils et commerciaux dans une seule
discipline générale. Ces idées ont trouvé finalement leur
expression dans le Code Civil de 1942 qui intégra dans son
corpus toute la matière commerciale.
 36 A. GIORDANO, “Se possa esistere azienda senza avviamento”, Foro
Italiano, 1950, I, 440.

45L’azienda est caractérisée par une composition bien plus


hétérogène que celle de son pendant français. En particulier, la
clientèle n’est pas incluse dans cet ensemble car elle n’est que le
but de l’activité d’exploitation. Elle est intimement liée aux
qualités personnelles de l’entrepreneur et donc à son intuitus
personae. La doctrine italienne affirme que la clientèle
n’appartient jamais à l’entreprise, car le client est libre de choisir
où aller sans que l’entrepreneur puisse le contraindre 36.
 37 Idem.

46En tant que bien immatériel, la doctrine italienne n’admet pas


sa cession37. Cependant la jurisprudence a dû se prononcer sur la
validité de la cession de la clientèle commerciale ou civile. En
principe, tout transfert de clientèle serait nul, mais les juges
admettent la cession, lorsqu’elle se traduit par des simples
obligations de faire – comme, par exemple, le fait d’adresser les
anciens clients vers le nouvel exploitant –ou ne pas faire– en
recourant aux clauses de non-concurrence à la charge du cédant.
La capacité d’organisation de l’entrepreneur se trouve ainsi
reconnue par la loi qui lui attribue une valeur économique au
moment de la cession du fonds de commerce.
 38 M. GHIRON, L’imprenditore, l’impresa e l’azienda, Unione Tipografico
21 ed., Torino, p. 266.

 39 Idem.

47À la place de la notion de clientèle, le droit italien parle


d’avviamento. Ce dernier représente la capacité de l’ azienda à
créer et conserver sa clientèle38. Il n’est pas un droit en soi, mais
une qualité de fait39.
48La doctrine distingue, d’un côté, l’avviamento objectif, formé
par l’agencement des facteurs de production, et de l’autre,
l’avviamentosubjectif, lié aux qualités personnelles de
l’entrepreneur. La loi protège seulement ce dernier car il
représente le complexe de biens et moyens qui permettent de
garder la clientèle. Cette dernière et l’avviamento constituent les
qualités de l’entreprise et en assurent le bon fonctionnement.
Elles ont, donc, une valeur économique qu’il faut prendre en
considération au moment de la cession du fonds de commerce ou
en matière de baux commerciaux.

2) Autres exemples étrangers


 40 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, Bibl. de droit
de l’entreprise, Litec 2006, (...)

49En droit anglais, le fonds de commerce en tant qu’ensemble de


biens n’est doté d’aucun régime juridique particulier et chacun
des éléments le composant est régi par des règles qui lui sont
propres40. Toutefois, la capacité du commerçant à réunir et
agencer ces différents éléments est reconnue à travers la notion
de goodwill.
 41 Traduction libre de IRC v/Muller and Co’s Margarine Ltd, [1901] AC
217 n  223-4, cité dans I. TREGO (...)
o

 42 I. TREGONING, ibid., p. 93 s.

50La première définition du goodwill fut proposée par Lord


Macnaghten dans la décision IRC v./Muller and Co’s Margarine
Ltd, rendue en 1901. Cette définition fut ensuite reprise dans de
nombreux autres arrêts, révélant ainsi sa pertinence. Ainsi,
le goodwill est la “force attractive qui apporte de la clientèle. C’est
un des éléments qui distingue une vieille entreprise d’une jeune
qui démarre. […] Le goodwill regroupe divers éléments. Sa
composition diffère selon la branche d’activité et selon les
entreprises du même secteur. Un élément peut être prépondérant
ici et un autre là” 41. Précédant cette définition, l’aptitude du
commerçant à organiser son entreprise a été prise en
considération depuis le début du XIX  siècle. En effet, c’est à
ème

partir de cette date que les tribunaux anglais identifièrent


progressivement les quatre composantes possibles de cette
notion42.
51Tout d’abord, la jurisprudence reconnut le site goodwill en
considérant que la situation géographique du lieu d’exercice de
l’activité a un impact sur la réussite de l’entrepreneur. Or, le
choix d’un tel emplacement est effectué par ce dernier.
 43 Le désaccord opposait les juridictions de common lawet d’equity, ces
dernières s’opposant à la ces (...)

52Puis, le personal goodwill, relatif à la personnalité du chef


d’entreprise, fut pris en compte dans le succès de l’activité. En
effet, les aptitudes personnelles du commerçant à l’exercice de sa
profession, sa capacité à entretenir des relations commerciales
fructueuses avec sa clientèle, peuvent contribuer à la réussite de
son exploitation. S’est alors posée la question de la cessibilité de
cet élément, à l’occasion de la vente de l’entreprise. Suite à un
désaccord jurisprudentiel qu’il serait superflu de retracer ici43, la
possibilité de transmettre cet élément fut finalement reconnue à
la fin du XIX  siècle.
ème

53Ensuite, le name goodwill se rapporte au nom et à la réputation


de l’entreprise lorsque ces éléments permettent l’attraction de la
clientèle. Les biens composant le name goodwill bénéficient
fréquemment d’une protection légale, par exemple par le biais du
dépôt d’un nom commercial ou de la création d’une marque.
54Enfin, le monopoly goodwill fut le dernier à se voir consacré. Il
résulte de l’absence de concurrence dans un secteur déterminé.
Toutefois, celle-ci doit être entendue dans un sens positif, c'est-
à-dire qu’elle ne doit pas résulter de la présence d’une clause de
non-concurrence par exemple, mais plutôt provenir de la
détention par le commerçant d’un actif représentant une certaine
valeur et permettant d’attirer des clients, telle la détention d’un
brevet ou d’une marque.
55L’aptitude du commerçant à organiser son activité revêt une
importance notamment financière. En effet, lors de la revente de
son entreprise, seront non seulement cédés les divers biens la
composant mais également le goodwill, qui fera probablement
l’objet de vives négociations en raison de la nécessaire part de
subjectivité que son évaluation comporte.
 44 R. URIA, Derecho mercantil, Pons, Madrid, 19ª ed., 1992, p. 37.

 45 A. ROJO, “El establecimiento mercantil”, AA. VV (dirección A.


MENENDEZ), Derecho mercantil, Thomson (...)

56L’activité du commerçant est également reconnue et valorisée


en droit espagnol, à travers la notion de fondo de comercio. En
dépit de la similarité des termes, ce dernier ne correspond pas à
la conception française de fonds de commerce qui doit plutôt être
rapprochée de la notion d’establecimiento mercantil44, sans
toutefois comprendre les mêmes éléments. En effet,
l’establecimiento mercantil inclut tous les types de biens que
l’entrepreneur a affectés à l’exercice de son activité. Il peut ainsi
être composé de meubles ou d’immeubles, de biens corporels ou
non, consomptibles ou non, de droits réels, de droits de propriété
industrielle,…45. La notion se révèle donc plus large que celle de
fonds de commerce.
 46 Traduction libre de R. URIA, ibid., p. 37-38.

 47 A. ROJO, ibid., p. 135-136.

57Le fondo de comercio, quant à lui, est considéré comme une


composante de l’établissement commercial, mais ne constitue pas
un bien au sens juridique. En effet, “l’organisation des différents
éléments composant l’établissement commercial est ce qui
confère à ce dernier sa capacité particulière à mieux produire, à
attirer la clientèle le cas échéant, et à contribuer à son succès, en
définitive à l’exercice de l’entreprise par son chef. Mais cette
aptitude particulière, cette potentielle possibilité de succès, ne
peut être considérée comme un élément s’ajoutant à ceux
composant l’établissement, sur lequel l’entrepreneur peut être
titulaire d’un droit de propriété. C’est simplement une qualité de
l’établissement qui lui est inséparable”46. Cette “qualité”
représente cependant une valeur patrimoniale évidente dont il
sera tenu compte, notamment lors de l’évaluation comptable de
l’entreprise47.
 48 Toutefois, à l’instar du droit français, il existe des moyens pour
transférer ces éléments, en reco (...)

58Le fondo de comercio comprend, à l’instar de


l’avviamento italien dont il est sensiblement l’équivalent, des
éléments objectifs et subjectifs. D’un côté, les éléments objectifs
trouvent leur fondement dans l’établissement commercial lui-
même, et peuvent être transmis en même temps que celui-ci. Il
s’agira par exemple de la capacité d’une entreprise à produire à
un certain coût. D’un autre côté, les éléments subjectifs,
insusceptibles de transmission48, sont liés à la personnalité de
l’entrepreneur et à sa capacité à créer, conserver et accroître sa
clientèle. Ainsi, le droit espagnol, comme les droits italien et
anglais, prend en considération la capacité du commerçant à
organiser son activité.
59En définitive, le fonds de commerce tend à se caractériser,
même en droit français, par la prévalence des compétences et la
capacité du commerçant à organiser des moyens matériels et
humains, c’est-à-dire un savoir-faire commercial. La valorisation
économique et juridique de ce savoir-faire atteint son point
culminant avec le contrat de franchisage, qui a pour objet de
réitérer un succès commercial, et qui ne peut se concevoir sans
transfert d’un savoir-faire. Cette analyse du fonds, non seulement
comme un bien mais comme une activité valorisable, rapproche
cette institution du droit commercial français d’une conception
plus économique et fonctionnelle, mise en oeuvre par certains
droits étrangers.
60Une conception rénovée du fonds valorisant les compétences
déployées par le commerçant, implique une véritable liberté
d’affectation des biens qui le composent, pour permettre
l'adaptation de ses éléments constitutifs à la stratégie
commerciale adoptée.

II –… A LA LIBERTE
D’AFFECTATION
61Le commerce s’inscrit dans le mouvement, la conquête de la
clientèle, la recherche de débouchés, la négociation des crédits
ou des marchés, le recrutement et la formation des
collaborateurs, la compétition avec les concurrents,… L'exclusion
des moyens de cette action, comme les contrats, les créances et
les dettes, ou l’élimination du point d’ancrage de cette action et
de sa principale source de crédit, à savoir l’immeuble, sont
inopportunes dans une perspective d’efficacité économique.
62Une appréhension fonctionnelle et dynamique du fonds,
organisation entrepreneuriale, conduit à une valorisation des
capacités d’organisation du commerçant. Il s’infère tout
naturellement de cette vision une nécessaire liberté dans la
composition du fonds de commerce, c’est-à-dire la faculté pour
le chef d’entreprise d’inclure ou d’exclure tel ou tel élément selon
les besoins de son activité. Cette liberté d’affectation, déjà
consacrée comme un principe en matière comptable (A), pourrait
être opportunément étendue à la matière juridique (B).

A – En matière comptable : le principe de


la liberté d’affectation
63En droit fiscal, le principe de la liberté d’affectation comptable,
met en exergue le rôle de la volonté de l’exploitant dans la
construction du fonds. En vertu de ce principe, les entrepreneurs
individuels ont la faculté d’inscrire ou de ne pas inscrire tel ou tel
bien au bilan de leur entreprise. Toutefois, certains biens font
forcément partie du patrimoine professionnel de l’entrepreneur
individuel car ils sont absolument nécessaires à l’activité.
 49 F. MORTIMER, “Le patrimoine professionnel et privé du
commerçant”, Nouvelles fiscales, 1er janvier(...)

 50 “Le patrimoine est une projection de la personne, toute personne a un


patrimoine, tout patrimoine n (...)

 51 Article 38, 2 du Code Général des impôts

 52 Exemple : J. LE CALVEZ, “Les incertains contours du patrimoine de


l’entreprise individuelle”, D., 2 (...)

64Selon Franck Mortimer, “le choix, pour le contribuable,


d’inscrire des biens dans son patrimoine professionnel ou de les
conserver dans son patrimoine privé constitue une décision de
gestion qui conditionne l’imposition”49. Cette distinction, qui
contredit le principe d’unicité du patrimoine 50, trouve son
fondement dans la théorie du bilan 51. Le choix qui est opéré a
des conséquences importantes, notamment en ce qui concerne la
déduction des charges afférentes à ces éléments 52. On peut dire
que l’enjeu de ce choix est pécuniaire.
65Toutefois, certains biens font nécessairement partie du
patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel, comme le
fonds de commerce et les stocks qui sont des éléments
indispensables à l'exercice de l'activité ; de ce fait, même si le
fonds de commerce n'est pas inscrit au bilan, il sera considéré
comme y ayant été inscrit et la fiscalité des opérations l'affectant
sera nécessairement la fiscalité professionnelle, en aucun cas, la
fiscalité personnelle. Hormis ces éléments, qui relèvent
nécessairement de la fiscalité professionnelle, l'entrepreneur
individuel conserve toute latitude pour inscrire ou non un bien à
son bilan.
 53 Dans le même esprit, Lise CHATAIN-AUTAJON a proposé un principe
général d’affectation au fonds. Ain (...)

 54 S. GUINCHARD, Essai d’une théorie générale de l’affectation des biens


en droit privé français, Thès (...)

66Une théorie du fonds pourrait fonctionner sur ce modèle : il


s’agirait de laisser la liberté à l’exploitant d’affecter les biens à
son exploitation, tout en admettant que certains biens seraient
nécessairement rattachés à cette dernière s’ils s’avéraient
indispensables à l’activité53. La technique de l’affectation,
appliquée au fonds de commerce, permettrait d’en renforcer la
cohérence, en envisageant avec plus de liberté sa composition. En
effet, affecter revient à choisir un but, un usage pour les biens 54.
Il s’agirait ici d’une affectation réelle, dont l’objectif serait
l’exploitation du fonds. La composition de ce dernier serait alors
définie avec souplesse : les éléments y seraient inclus, non pas
pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils lui apportent. Le
commerçant étant le mieux placé pour déterminer les biens utiles
à son fonds, une certaine liberté d’affectation devrait lui être
reconnue, en lui permettant d’y intégrer ou non les biens en
question. La composition du fonds serait plus large que dans la
vision actuelle, mais également plus cohérente.
67Cette liberté ne doit cependant pas être sans limite. Seuls les
biens utiles à l’activité pourraient se voir inclus dans le fonds ;
ceux qui lui sont indispensables ne pourraient s’en voir exclus.
 55 L. CHATAIN-AUTAJON, préc., no 463.

68Tout d’abord, une limite à la liberté d’affectation doit être


posée en fonction de la finalité de celle-ci : seuls les éléments
présentant une réelle utilité pour le fonds pourraient y entrer et
en suivre le régime juridique. Ainsi certains contrats de
gardiennage ou d’entretien pourraient intégrer le fonds dès lors
qu’ils sont liés à son exploitation ; à l’inverse, les biens ayant
simplement une utilité personnelle pour le commerçant, et
dépourvus d’utilité professionnelle, devraient être exclus du
fonds55.
69Ensuite, la liberté d’affectation doit se voir restreinte par le
caractère indispensable que le bien présente pour le fonds : un
bien indispensable à l’activité ne peut se voir exclu de ce dernier.
En effet, l’affectation ne doit pas toujours résulter d’un choix
discrétionnaire du commerçant, le fonds de commerce doit
contenir, au minimum, les éléments qui lui sont nécessaires. Il y
aurait donc une affectation obligatoire. Ainsi, le bien sur lequel
repose toute l’activité sera forcément affecté au fonds, tel un
contrat d’approvisionnement, ou encore la structure (le matériel
câblé) d’un téléski nautique… En effet, l’entrepreneur ne doit pas
pouvoir décider de vider le fonds de ses éléments les plus
essentiels, sous peine de nier son existence même.
 56 F. PEROCHON, R. BONHOMME, Entreprises en difficultés – instruments
de crédits et de paiement, LGDJ, (...)
70Si le droit positif présume que certains biens sont forcément
affectés au fonds de commerce, il conviendrait que soit admis le
caractère non restrictif de cette liste. Ainsi, les articles L. 141-5 et
L. 144-2 du Code de commerce énoncent “qu’à défaut de
désignation précise, le nantissement ou la cession du fonds porte
sur l’enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle
et l’achalandage”. Cette classification des éléments essentiels du
fonds ne correspond plus à la réalité de nombreuses entreprises.
Par exemple, vu la structuration actuelle des réseaux de
distribution, de nombreux fonds reposent sur l’exploitation d’un
contrat de franchise ou de distribution sélective qui apparaissent
comme l’élément essentiel du fonds. D’ailleurs le droit des
procédures collectives propose une liste différente des éléments
nécessaires à l’activité devant être transmis en même temps que
le fonds puisque l’article L. 642-7 du Code de commerce impose
la cession judiciaire des “contrats de crédit-bail, de location ou de
fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de
l’activité”. Des auteurs qualifient d’indispensables à la poursuite
de l’activité d’autres contrats qu’ils estiment devoir suivre la
cession du fonds : par exemple le contrat de bail commercial, le
contrat de concession exclusive, la licence de brevet ou de
marque56…
71Ces exemples montrent la nécessité de limiter la liberté du
commerçant en considérant que les éléments qui ne sont pas
simplement utiles, mais qui sont nécessaires à l’activité, ne
peuvent s’en voir exclus sous peine d’entraîner la disparition du
fonds lui-même.
72Parmi les éléments qui sont exclus de la conception actuelle du
fonds de commerce se trouvent de nombreux biens qui ont
pourtant vocation à entrer dans la composition de la plupart des
fonds en raison de leur importance pour l’activité exercée. En
effet, certains contrats, comme le bail qui a trait aux immeubles
d’exploitation, sont par nature nécessaires à cette dernière. Il
serait cependant vain de tenter d’établir une liste complète des
éléments essentiels du fonds, dans la mesure où ils varient d’une
activité à l’autre. Toutefois, parmi les biens traditionnellement
exclus, se trouvent les immeubles, les créances et dettes ainsi
que les contrats, dont la mise à l’écart de la composition du fonds
est particulièrement contestée.

B – L’opportunité d’étendre ce principe en


matière juridique
1) Les immeubles
 57 J. DERRUPPE, “L’avenir du fonds de commerce et de la propriété
commerciale”, Mélanges Terré, 1999, (...)

 58 S. GUINCHARD, Essai d’une théorie générale de l’affectation des biens


en droit privé français, préc (...)

 59 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, préc., no 563


s. Cet auteur propose égalemen (...)

 60 Lorsque le fonds comprend des brevets, marques, dessins et modèles,


des formalités de publicité pro (...)

73a) Le principal argument avancé justifiant l’exclusion de


l’immeuble réside dans la nécessité d’une publicité foncière. La
vente d’un fonds de commerce étant une vente mobilière, elle
serait incompatible avec les règles de publicité en vigueur pour
les immeubles. Toutefois, cette mise à l’écart conduit à des
solutions paradoxales. En effet, lorsque le commerçant n’est que
locataire des murs, le droit temporaire d’occupation de
l’immeuble (bail commercial) dont il bénéficie est transmis avec le
fonds. Dès lors que le commerçant est propriétaire de l’immeuble
le droit d’usage des lieux est exclu du fonds. Alors que dans ce
dernier cas l’entrepreneur a consenti un investissement plus lourd
(comprenant l’immeuble) au service de son activité, son fonds de
commerce a moins de valeur que lorsqu’il n’est que locataire 57.
L’exclusion de ces biens du fonds peut être qualifiée “d’illogique”
dans la mesure où des éléments affectés à un même but
économique se trouvent dissociés58. L’immeuble étant souvent
nécessaire à l’exercice de l’activité, son inclusion permettrait,
dans certaines hypothèses, de redonner plus de cohérence à la
notion de fonds de commerce tout en accroissant la capacité de
financement de l’entreprise. La revente d’un fonds comprenant un
bien immobilier générerait un capital conséquent pour son
propriétaire, très utile lors de son départ à la retraite. Ainsi, un
immeuble devrait pouvoir être affecté à l’activité commerciale et
ce, même si son propriétaire et celui du fonds sont une seule et
même personne, sous réserve peut-être de quelques règles
particulières visant à assurer la publicité de la transmission 59 à
l’instar des solutions appliquée pour les brevets, marques ou
dessins et modèles60. Bref, les immeubles devraient pouvoir
entrer dans la composition du fonds sous la seule condition de
leur utilité pour l’activité exercée.
 61 La composition hétérogène de l'azienda a posé beaucoup de difficultés
à la doctrine, lorsqu’elle a(...)

 62 F. FERRARA, F. CORSI, Gli imprenditori e le società, préc., p. 150.

74b) Le droit italien autorise l’entrepreneur à introduire dans la


composition de son azienda, non seulement des biens meubles,
mais aussi des biens immeubles61. Leur intégration n’est pas une
obligation, mais une simple possibilité reconnue à l’entrepreneur
qui voudrait renforcer la valeur de son azienda, les immeubles
apportant une plus value dont le commerçant se sert pour obtenir
des financements62. Toutefois, la loi italienne impose comme
condition à leur intégration que les immeubles soient toujours en
relation avec l’exercice de l’activité.
 63 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di
diritti, préc., p. 81 ; M. GHIRON (...)

75Notons que le législateur n’exige pas que l’entrepreneur ait la


propriété des différents biens qui composent l’azienda. Il suffit
qu’il en ait la disponibilité de fait63.
 64 La loi impose de rédiger le contrat sous forme écrite, d’en authentifier
les signatures devant le n (...)

 65 G. FERRARI, “L’azienda”, Enciclopedia del diritto, vol. IV, p. 706, no 19,


Giuffré, Milano, 1959 ; (...)

76L’inclusion des immeubles dans la composition de l’azienda a


été source de conflits. Lorsque l’entrepreneur cède, de manière
générique, tous les biens qui la constituent, la cession inclut-elle
aussi les immeubles ? La simple cession du fonds n’est soumise à
aucune condition de fond ou de forme, alors que le formalisme
imposé dans le transfert des immeubles est lourd 64. De plus, la
loi ne permet pas de contester l’acte de cession de l'azienda au
motif que ce dernier ne respecte pas les conditions nécessaires
au transfert d’un bien immeuble. La Cour de cassation italienne a
donc préféré qualifier cette opération de simple promesse
unilatérale de vente65, ce qui lui permet de sanctionner le non-
respect des conditions nécessaires au transfert d’un bien
immeuble, tout en laissant une possibilité de régularisation aux
parties. Cette solution de compromis témoigne de la volonté de la
jurisprudence de favoriser un transfert global de l'azienda.

2) Les créances et les dettes


 66 La cession de dettes nécessite l’accord du créancier et ne peut donc
être réalisée que de manière i (...)
77a) Actuellement, les dettes n’entrent pas dans la composition
du fonds en raison de l’impossibilité de les céder directement 66.
Le mécanisme de l’affectation permettrait alors de les inclure
dans le fonds, à condition, toutefois, qu’elles aient été
contractées pour les besoins de l’exploitation. En conséquence,
elles devraient pouvoir être transmises en même temps que le
fonds. Ce dernier ne serait donc plus composé seulement d’actif,
mais pourrait comprendre un passif.
 67 Selon la théorie classique, une personne ne dispose que d’un seul
patrimoine qui n’est pas divisibl (...)

 68 De manière plus générale, le création de la personnalité morale fut


réalisée pour contourner les ob (...)

 69 Loi no 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à


responsabilité limitée (E (...)

 70 Dans le sens que l’EURL est une consécration pragmatique du


patrimoine d’affectation, v. B. FAGES,(...)

78Il ne s’agit pas, pour autant, de créer un patrimoine


d’affectation au profit du commerçant. Le système juridique
français privilégie encore la théorie classique de l’unité du
patrimoine67. Il contient toutefois des illustrations imparfaites du
patrimoine d’affectation, puisqu’un entrepreneur individuel peut
créer une entreprise, dotée de la personnalité morale 68 et donc
d’un patrimoine propre, distinct du sien69. Avec l’EURL, il
dispose, en quelque sorte, de deux patrimoines, le sien et celui
de la société unipersonnelle70. Dans ce contexte, quelle utilité
peut avoir la liberté d’affectation que nous proposons de
reconnaître ?
 71 J. DERRUPPE, “L’avenir du fonds de commerce et de la propriété
commerciale”, Mélanges Terré, 1999, (...)
 72 Afin de protéger le créancier de l’éventuelle insolvabilité du nouveau
débiteur, un auteur propose(...)

79En pratique, la création d’une société implique des contraintes


que tout entrepreneur n’est pas nécessairement prêt à assumer,
notamment lorsque l’activité est exercée dans un cadre familial. Il
faut observer une stricte séparation des patrimoines, procéder à
la rédaction de statuts, effectuer la publicité des apports… 71. Ce
formalisme décourage bien des petits commerçants. C’est
pourquoi la reconnaissance de la liberté d’affectation s’avère
pertinente, en ce sens qu’elle n’impose pas de telles contraintes,
tout en donnant une cohérence à la composition du fonds. Ainsi,
les dettes liées à l’exploitation une fois incluses dans le fonds de
commerce se verraient transmises en même temps que celui-ci. Il
s’agirait alors d’une cession tacite et forcée car le créancier ne
pourrait s’y opposer72.
 73 L. CHATAIN-AUTAJON, no627.

 74 L. CHATAIN-AUTAJON, ibid., no 473.

80Dès lors qu’il est admis que les dettes peuvent faire partie du
fonds de commerce, plus rien ne s’oppose à l’inclusion des
créances. En effet, leur exclusion trouve sa justification,
notamment, dans la corrélation existante entre créances et
dettes73. Toutefois, en droit positif, certaines créances voient
déjà leurs sorts liés à celui du fonds, les parties étant libres de les
céder en même temps que celui-ci. La prise en compte d’une
approche rénovée du fonds de commerce suppose donc que les
créances ayant pour cause l’exploitation du fonds puissent y être
incluses74.
81b) En droit italien, la cession du fonds de commerce produit,
d’une part, l’obligation de répondre des dettes anciennes, et de
l’autre de bénéficier des crédits antérieurs mentionnés dans
l’acte.
 75 B. LIBONATI, L’impresa e le società, préc., p. 93.

82La cession des dettes résulte automatiquement du simple


transfert. Cette solution présente l’avantage d’assurer une
garantie plus importante aux créanciers antérieurs. En effet,
l’azienda continue à constituer leur gage. En revanche, l’ancien
débiteur ne sera libéré qu’avec le consentement de ses propres
créanciers75.
 76 Selon l’article 2560 du Code civil le cédant n’est libéré des dettes liées
à l’activité antérieures (...)

 77 Selon l’article 1264 du Code Civil, la cession des dettes est effective
pour le débiteur lorsque ce (...)

83Les crédits transférés ne sont que ceux qui sont prévus dans
l’acte de cession. L’immatriculation au registre des entreprises
produit automatiquement cette cession, sans nécessiter
l’acceptation du débiteur76. Cette solution contraste avec les
principes du droit commun, selon lequel toute cession de crédit
n’est parfaite qu’après acceptation du débiteur77.

3) Les contrats
84Officiellement, les contrats ne sont pas inclus dans le fonds de
commerce, mais la doctrine, la jurisprudence, et le législateur ont
tendance à les y inclure.
 78 L’article L. 121-10 du Code des assurances dispose en effet qu'“en cas
de décès de l'assuré ou d'al (...)

 79 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, préc., no 679


s.
 80 Sur cette notion, v. D. KRAJESKI, L’intuitus personae dans les
contrats, Thèse Toulouse 1998 ; L. C (...)

 81 J. DERRUPPE, L’avenir du fonds de commerce et de la propriété


commerciale, préc., p. 586.

85a) Si les contrats sont en principe exclus du fonds, certains


d’entre eux, tel le contrat d’assurance 78, le suivent lors de sa
transmission. De même, le juge peut parfois décider que
certaines conventions subiront le sort du fonds en cas de cession
judiciaire de celui-ci. Il ne s’agit cependant là que d’exceptions.
Le commerçant ne peut, de sa propre initiative, décider que
certains contrats seront inclus dans le fonds quant bien même ils
présenteraient une utilité pour l’activité exercée. Certains d’entre
eux peuvent parfois même se révéler indispensables à
l’exploitation, à l’instar de certains contrats de distribution,
assortis éventuellement d’une clause d’exclusivité. Considérer
qu’un fonds existe sans y inclure cet élément revient à n’avoir
qu’une vision tronquée de ce qu’est réellement le fonds de
commerce. La pratique l’a bien compris et organise fréquemment
conventionnellement la transmission de tels contrats, afin qu’ils
suivent ce dernier. Ainsi, en recourant au mécanisme de
l’affectation, les conventions devraient pouvoir être intégrées à la
composition du fonds de commerce79, à l’exception cependant
de celles qui ont été conclues intuitu personae80. Concernant ces
dernières, l’accord du cocontractant serait nécessaire à leur
transmission. Un auteur a même proposé de renverser la règle en
vigueur pour inclure par principe dans la cession toutes les
conventions liées à l’exploitation81.
 82 Cass. com., 24 novembre 1992, Bull. civ., IV, no 371.

 83 Cass. com., 4 mai 1993, Contrats, Concurrence, Consommation, 1993,


comm. no 171, obs. L. LEVENEUR, (...)
 84 Juris-Data, no 2004-235809.

86b) Le contentieux relatif à la vente du fonds de commerce


illustre parfaitement l’importance accordée aux contrats. L'article
L. 141-1 du Code de commerce n'exige aucune mention
informative en ce qui concerne les conventions nécessaires à
l'exploitation. La cession du fonds n'impose donc pas celle des
contrats antérieurement conclus par le vendeur. Néanmoins, la
pratique organise leur transmission simultanément à celle du
fonds. Or, la transmission “défectueuse” des contrats nécessaires
à l'activité peut priver l'exploitation du fonds d'une grande partie
de son intérêt ; celui-ci aura probablement été surévalué. Les
juges sont alors conduits à sanctionner la négligence du vendeur
en raison d’un manquement à l’obligation de délivrance 82, à
l’obligation générale d’information ou sur le fondement d’une
réticence dolosive83. La sanction de ces comportements sur le
fondement du droit des obligations, qui affecte alors directement
la vente du fonds de commerce, témoigne de l'importance
pratique des contrats nécessaires à l'exploitation. Par exemple, la
Cour d’appel de Dijon, le 18 mars 2004 84, a prononcé la
réduction du prix de cession d’un fonds de librairie, papeterie et
journaux car le vendeur, tenu d’informer l’acheteur des accords
passés avec les fournisseurs pour l’exploitation du fonds, s’était
rendu coupable d’un dol par réticence. En effet, celui-ci n’avait
pas informé l’acquéreur de la suppression par un journal local
des conventions d’approvisionnement des dépositaires, dont il
bénéficiait, alors que cette suppression était effective au moment
de la vente du fonds. Le vendeur a donc mis l’acheteur dans
l’impossibilité de savoir que la convention qu’il signait était
différente de celle que son cocontractant avait conclue
précédemment. Selon les juges du fond, ce silence portait sur un
élément important d’appréciation pour un acheteur puisqu’il avait
une incidence sur le chiffre d’affaires.
87Ainsi, le contentieux relatif à la vente du fonds de commerce
rend compte du fait que les contrats nécessaires à l'activité, parce
qu'ils déterminent l'intérêt de l'exploitation et la valeur du fonds
au moment de sa transmission, en sont un élément essentiel.
 85 Loi d’orientation agricole no 2006-11 du 5 janvier 2006, JO du 6
janvier, p. 229. – RD rur. 2006, n(...)

 86 C. rur., art. L. 311-3.

88c) La loi d’orientation agricole du 5 janvier 200685 n’a pas été


aussi innovante que la doctrine le souhaitait. Le législateur aurait,
en effet, pu saisir l’occasion d’intégrer les immeubles dans la
composition du fonds et de créer une affectation des dettes. A la
lecture de l’article unique figurant dans le Code rural 86, on voit
bien que cette évolution n’est pas réalisée.
 87 C. rur., art. L. 418-1 s.

89Si l’on scrute avec soin l’alinéa consacré à la composition du


fonds, on peut constater que la déception n’est pas totale : “Sont
seuls susceptibles d’être compris dans le nantissement du fonds
agricole le cheptel mort et vif, les stocks et, s’ils sont cessibles,
les contrats et les droits incorporels servant à l’exploitation du
fonds, ainsi que l’enseigne, les dénominations, la clientèle, les
brevets et autres droits de propriété industrielle qui y sont
attachés”. L’exploitant peut faire figurer dans le fonds les contrats
servant à l’exploitation. Le tout nouveau bail cessible créé par la
loi87 est évidemment visé par le texte, mais la liste peut être
allongée et viser toutes les formes contractuelles auxquelles
l’agriculteur a recours. Cet élargissement du fonds sera moins
utile pour les opérations de financement que pour les opérations
de cession à des tiers. Ils pourront se voir transmettre, en effet, la
plupart des éléments permettant l’exercice immédiat de l’activité
et pas seulement son infrastructure. Deux réserves doivent
tempérer cet optimisme. La jurisprudence peut choisir une
conception stricte de cette notion de “contrats servant à
l’exploitation du fonds” et ne retenir que les contrats contribuant
directement à celle-ci (les contrats d’accès à la terre et au
matériel) excluant les contrats de financement et de
commercialisation. Par ailleurs, la loi exige que ces contrats
soient cessibles. Contrat par contrat, il faudra faire l’inventaire
des opérations répondant à cette double exigence.
 88 L’article 2558 du Code Civil prévoit que sauf dispositions contraires,
l’acquéreur de l'azienda se(...)

 89 G. FERRARI, “L’azienda”, préc., vol. IV, p. 698, no 14.

 90 En revanche, la loi impose que l’immatriculation au registre des


entreprises soit accomplie dans le (...)

90d) En droit italien les contrats sont transférés avec l’ azienda88.


La transmission peut s’effectuer soit par un acte unique 89, soit
par une pluralité d'actes. La seule condition au transfert de
propriété des différents éléments est le respect des exigences de
forme imposées par la loi. En général, la loi exige la forme écrite,
non ad validitatem, mais tout simplement ad probationem, pour
faciliter la preuve de la cession elle-même. Le transfert de
propriété sera donc parfait avec le seul accord verbal des deux
parties90.
 91 La cession d’entreprise est possible même lorsque cette dernière n’est
plus en activité, mais à con (...)

 92 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di


diritti, préc., p. 128.
91Même lorsque le transfert de propriété est effectué à travers
une pluralité d’actes, les juges peuvent continuer à considérer la
cession comme le résultat d’un acte unique. En effet, la
jurisprudence veut sauvegarder l’utilité productive qui est
représentée par l'azienda. Il y a, donc, cession du fonds,
seulement lorsque les biens cédés constituent “un ensemble apte
à l’exercice d’une activité entrepreneuriale”. Il n’existe pas une
règle d’application générale91, les juges seront appelés à se
prononcer au cas par cas. Lorsqu’une pluralité de transferts
permet également d’obtenir ce résultat, alors, on considère que la
cession a été unitaire92.

4) L’exemple du fonds de commerce


électronique
92Le développement du commerce sur l’internet pose la question
de l’adoption de la notion de fonds de commerce à l’égard des
exploitations commerciales électroniques. De nombreux
entrepreneurs se sont lancés dans le commerce sur l’internet, et il
apparaît nécessaire d’opérer une qualification de cette nouvelle
forme d’exploitation économique. Or la notion de fonds de
commerce définie par une importante liberté d’organisation
permet de caractériser pleinement le cyber-commerce.
L’application de cette notion de fonds au commerce électronique
permet en outre de reconnaître à l’entreprise un important
pouvoir concernant la composition de ce fonds. L’entrepreneur
dispose alors d’une grande latitude pour construire son
cybercommerce et l’activité déployée sera déterminante du
contenu du fonds de commerce électronique : aux éléments
traditionnels du fonds de commerce s’ajoutent de nouveaux
éléments liés au support électronique de l’exploitation.
93Ainsi, la clientèle se définit comme la finalité de l’exploitation
électronique à l’image de l’exploitation traditionnelle. A côté de la
clientèle apparaissent d’autres éléments composant le fonds, tels
le nom commercial, les autres signes distinctifs, le bail
commercial ou encore le matériel et les marchandises. La
particularité de l’internet implique pour l’exercice du cyber-
commerce la création d’un site et d’un nom de domaine : voilà
donc deux éléments nouveaux du fonds dont la création est
justifiée par l’environnement électronique du cyber-commerce.
L’entrepreneur a besoin d’un emplacement pour localiser son
entreprise sur la toile – le site –, qui sera désigné par un signe
distinctif – le nom de domaine. La composition du fonds est donc
modifiée par le contexte électronique de l’activité économique.
94Par ailleurs, l’intérêt d’un bail commercial apparaît moins
important au sein de l’exploitation électronique. Si le bail
commercial est souvent crucial pour le commerce traditionnel, il
apparaît indifférent sur l’internet. En effet, seul le site importe et
l’existence d’un local au sens de l’article L. 145-1 du Code de
commerce ne semble pas déterminante pour l’attraction de la
clientèle. Aussi, l’application du statut des baux commerciaux
n’est pas souhaitable sur le fondement des locaux loués par
l’entreprise.
95Ainsi, des éléments classiques du fonds de commerce voient
leur importance réduite, tel le bail commercial, d’autres ont fait
leur apparition, tels le site et le nom de domaine : leur rôle est
variable selon la nature de l’activité en cause.
96Par conséquent, la notion de fonds de commerce s’adapte
parfaitement à l’exercice de l’activité électronique, et cette notion
est transcendée par l’activité de l’exploitant : l’activité
économique apparaît plus que jamais déterminante de la
composition du fonds. Cette composition est caractérisée par une
grande liberté d’affectation pour l’entrepreneur au point que la
teneur des éléments devient indifférente pour qualifier
l’exploitation de fonds de commerce. Le commerce électronique
apparaît donc comme une illustration supplémentaire du fait que
le fonds est caractérisé par l’activité mettant en œuvre de
moyens, quels qu’ils soient, pour attirer la clientèle. Une
extension de la notion de fonds de commerce est dans ce cas
souhaitable.
NOTES
1 Cet article reprend les conclusions d’un atelier dirigé par le
professeur Jacques Larrieu. Ont participé à la rédaction de celui-ci :
Marie Daeron (doctorante), Anna-Lisa De Grandi (doctorante), Didier
Krajeski (maître de conférences), Céline Mangin (doctorante),
Alexandra Mendoza (maître de conférences), Rhislène Seraiche
(docteur en droit, avocate), Laure Soulé (doctorante).

2 RIPERT, Traité élémentaire de droit commercial, L.G.D.J., 1972,


n  526.
o

3 C. THIBIERGE, “Le statut juridique du fonds de commerce”, RTD


Com., 1962, p. 605 ; J. DERRUPPE, “Fonds de commerce et
clientèle”,  Etudes offertes à Alfred Jauffret, P.U. Aix-Marseille, 1974,
p. 231 ; F. DEKEUWER-DEFOSSEZ,  Droit commercial, Montchrestien,
2007, n  296 et suiv.
o

4 J. DERRUPPE,  op. cité, no 4.

5 V. par exemple, Cass. ass. plén., 24 avril 1970 :  JCP éd. G, 1970, II,
16489, obs. B. BOCCARA ;  D., 1970, jurispr., p. 381, note R. L.

6 Elle avait pour conséquence de n’accorder le droit au renouvellement


ni au franchisé (ou au concessionnaire), ni au franchiseur (ou au
concédant), ce dernier n’étant pas l’exploitant du fonds. Cette
solution, par ses incohérences et son risque d’arbitraire, menaçait la
stabilité des réseaux de distribution. Enfin, un pan considérable du
commerce moderne basculait ainsi hors du statut des baux
commerciaux. V. notamment M.-P. DUMONT-LEFRAND, “Bail
commercial et droit de la distribution”,  RTD com., 2003, p. 43.

7 CA Paris, 4 octobre 2000, Sté Nicogi c/Sté Gan Vie,  JCP E, 2001,
p. 324, note B. BOCCARA ; D., 2001, jur., p. 1718, note H.
KENFACK ;  Les Petites Affiches, 16 novembre 2000, n  229, p. 11, note
o

J. DERRUPE.

8 Cass. 3ème civ., 27 mars 2002, Trévisan, Contrats, conc., consom.,


2002, comm. n  111, obs. M. MALAURIE-VIGNAL ; D. 2002, AJ,
o

p. 1487, obs. E. CHEVRIER.

9 Cass. ass. plén., 24 avril 1970, JCP éd. G, 1970, II, no 16489, note B.


BOCCARA.

10 Cass. 3ème civ., 19 mars 2003 ; 5 février 2003, Bull. civ. III, no 25


p. 25 ; 1 octobre 2003, pourvoi n  02-11239, Bull. civ. III, n  167,
er o o

p. 148.

11 Cass. 3ème civ., 19 janv. 2005, SARL Grand Case Beach Club


management association c/Miltich Welch [n  03-15.283 FS-P + B + R]
o

[Juris-Data n  2005-026521]. ; Les Petites Affiches, 22 novembre


o

2005, n  232, p. 15.


o

12 Un tel transfert des risques existerait, par exemple, lorsque


l'établissement principal contrôle l'ensemble des approvisionnements
et assume les frais de gestion des stocks d'un commerce de détail
exercé dans son enceinte. En revanche, en aucun cas, les contraintes
horaires imposées à un commerce inclus ne lui ôtent la charge des
risques.

13 cf. note sous Cass. 3ème civ., 27 mars 2002, JCP éd. G, 2002, II,


10112, p. 1312 ; Les Petites Affiches, 03 juillet 2003, n  132, p. 3.
o

14 Art. L. 141-1, C. com.

15 Art. L. 141-1, C. com.; art. 1116 C. civ.


16 Art. 1382, C. civ.

17 Art. L. 141-3, C. com.

18 CA Paris, 13 mai 1969, D., 1969, p. 608 ; CA Rennes, 11 février


1998, JCP éd. E, 1998, n  26 p. 1015.
o

19 Ex : CA Dijon, 13 mai 2005, Juris-Data, no 2005-286681.

20 CA Paris, 27 septembre 2006, Juris-Data, no 2006-314124.

21 Cass. com., 24 mars 1998, RJDA, 8-9/98 no 969.

22 CA Paris, 24 mai 2000, Juris-Data, no 2000-117645 ; comp. en


matière de financement de l’acquisition d’un fonds de pâtisserie : CA
Grenoble, 12 mai 2005, Juris-Data, n  2005-284698 ; CA Angers, 15
o

juin 2004, Juris-Data, n 2004-248887 ; CA Nîmes, 6 juillet


o

2004, Juris-Data, n  2004-256005 : la diminution du chiffre d’affaires


o

résulte du comportement des acquéreurs dans l’exercice de leur


profession, à l’origine de la perte d’une partie de la clientèle.

23 Survaleur : terme traditionnel français dont l’usage était encore


dominant dans les années soixante dix, qui a été remplacé par
l’optimiste terme de goodwill ;

24 A. LORRAIN, Mémoire Master Finance Internationale sous la


Direction de H. RAZAFITOMBO (Docteur en Finance et Responsable du
Master Finance Internationale de Metz), Le goodwill, une survaleur
d’origine passée et future, Université de Metz, 2006 ; Le dictionnaire
économique et financier Eugène Lafonddéfinit le goodwill ainsi :
“achalandage, fonds de clientèle, fonds de commerce (clientèle, plus
droit au bail, plus nom commercial, plus marque de commerce…”.
Le goodwill ne serait de ce point de vue qu’une extension de la notion
de fonds de commerce.

25 Voir supra note no 21.


26 Yves BERNARD, Jean-Claude COLLI, Dictionnaire économique et
financier  : avec les terminologies anglaise, allemande, espagnole,
6  éd. 1996, Seuil éd.
è

27 Voir supra note no 2.

28 C. THIBIERGE, Contribution à l’étude des déterminants de la


comptabilisation des investissements immatériels, Thèse Paris IX
Dauphine, 1997

29 V. BUONOCORE, “L’imprenditore”, Enciclopedia del diritto, vol. XX,


p. 515, n 3, Giuffre, Milano 1959.
o

30 G. FERRARI, “L’azienda”, Enciclopedia del diritto, vol. IV, p. 682,


n  2, Giuffre, Milano, 1959.
o

31 F. FERRARA, F. CORSI, Gli imprenditori e le società, 12e éd., Giuffre,


Milano, 2001, p. 30 seg.

32 B. LIBONATI, L’impresa e le società. Lezioni di diritto commerciale,


ed. Giuffre, Milano, 2004, p. 4.

33 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di


diritti, ed. Giuffre, Milano, 1986.

34 Sur la notion de biens composants la notion d’azienda v. G.


FERRARI, op. cit., p. 685-687, n  4, ed. Giuffre, Milano, 1959.
o

35 L. MOSSA, “I problemi fondamentali del diritto commerciale”, Riv.


dir. comm., 1926, I, p. 233.

36 A. GIORDANO, “Se possa esistere azienda senza avviamento”, Foro


Italiano, 1950, I, 440.

37 Idem.

38 M. GHIRON, L’imprenditore, l’impresa e l’azienda, Unione


Tipografico 21 ed., Torino, p. 266.

39 Idem.
40 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, Bibl. de
droit de l’entreprise, Litec 2006, n  10.
o

41 Traduction libre de IRC v/Muller and Co’s Margarine Ltd, [1901] AC


217 n 223-4, cité dans I. TREGONING, “Lord Eldon’s goodwill”, The
o

King’s law journal, 2004, n  15, p. 95.


o

42 I. TREGONING, ibid., p. 93 s.

43 Le désaccord opposait les juridictions de common law et d’equity,


ces dernières s’opposant à la cessibilité du “personal goodwill”. Pour
plus de précisions sur l’évolution jurisprudentielle, cf. I.
TREGONING, ibid., p. 97 s.

44 R. URIA, Derecho mercantil, Pons, Madrid, 19ª ed., 1992, p. 37.

45 A. ROJO, “El establecimiento mercantil”, AA. VV (dirección A.


MENENDEZ), Derecho mercantil, Thomson Civitas 2003, p. 134.

46 Traduction libre de R. URIA, ibid., p. 37-38.

47 A. ROJO, ibid., p. 135-136.

48 Toutefois, à l’instar du droit français, il existe des moyens pour


transférer ces éléments, en recourant, par exemple, à l’insertion de
clauses de non-concurrence ou la conclusion de contrats organisant la
transmission de liste de clients.

49 F. MORTIMER, “Le patrimoine professionnel et privé du


commerçant”, Nouvelles fiscales, 1  janvier 2002, n  861, p. 23.
er o

50 “Le patrimoine est une projection de la personne, toute personne a


un patrimoine, tout patrimoine n’a qu’un titulaire, toute personne n’a
qu’un patrimoine”, telle est la théorie civiliste de l’unicité du
patrimoine (AUBRY et RAU, Droit civil français, t. IX, 6  éd.)
ème

51 Article 38, 2 du Code Général des impôts


52 Exemple : J. LE CALVEZ, “Les incertains contours du patrimoine de
l’entreprise individuelle”, D., 2000, chron. 151 : s'il est inscrit au bilan,
le bien relèvera de la fiscalité des entreprises, s'il n'est pas inscrit au
bilan, il relèvera de la fiscalité des ménages, peu importe qu'il soit
effectivement affecté à l'entreprise.
Ainsi, l'entrepreneur individuel qui achète un immeuble à la fois pour
son activité professionnelle et pour son habitation privée dispose de
deux possibilités.
S'il décide d'inscrire le bien à son bilan, les frais d'acquisition seront
déductibles comme des frais d'établissement, l'avantage en nature
résultant de la disposition d'un logement (correspondant à la valeur
locative réelle) devra être intégré dans le résultat imposable, toutes les
charges seront déductibles et l'amortissement comptable ne sera –en
ce qui concerne la partie réservée à l'habitation– déductible que dans
la limite de l'avantage en nature augmentée des frais. Enfin, en cas de
cession, il sera fait application à la totalité de l'immeuble du régime
des plus-values professionnelles, la plus-value étant égale à la
différence entre la valeur de cession du bien et sa valeur nette
comptable.
Si l'entrepreneur individuel a décidé de ne pas inscrire le bien à son
bilan, les frais d'acquisition ne seront pas déductibles, il ne pourra
pratiquer aucun amortissement et les charges déductibles seront celles
qui existent pour les particuliers (frais d'emprunts plafonnés,
ravalement, grosses réparations). Enfin, en cas de cession, il sera fait
application du régime des plus-values des particuliers pour la totalité
de l'immeuble (application du coefficient d'érosion monétaire,
exonération de la plus-value après vingt-deux ans de détention).

53 Dans le même esprit, Lise CHATAIN-AUTAJON a proposé un


principe général d’affectation au fonds. Ainsi “sont affectés au fonds
les biens et les dettes liés à l’exploitation du fonds. En cas de transfert
du fonds, les biens et les dettes nécessaires à l’exploitation sont
obligatoirement compris dans le périmètre du fonds. En revanche, les
parties sont libres d’exclure de l’assiette du fonds les objets qui ne
sont pas strictement nécessaires à l’activité”. L. CHATAIN-AUTAJON, La
notion de fonds en droit privé, Bibliothèque de droit de l’entreprise,
Litec 2006, n  467.
o

54 S. GUINCHARD, Essai d’une théorie générale de l’affectation des


biens en droit privé français, Thèse Lyon, 1974, n  423.
o

55 L. CHATAIN-AUTAJON, préc., no 463.

56 F. PEROCHON, R. BONHOMME, Entreprises en difficultés –


instruments de crédits et de paiement, LGDJ, 6  édition, 2003, p. 369,
ème

n  343.
o

57 J. DERRUPPE, “L’avenir du fonds de commerce et de la propriété


commerciale”, Mélanges Terré, 1999, p. 586.

58 S. GUINCHARD, Essai d’une théorie générale de l’affectation des


biens en droit privé français, préc., n  83.
o

59 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, préc.,


n  563 s. Cet auteur propose également une autre technique afin
o

d’inclure les immeubles dans le fonds. Il s’agirait de généraliser la


solution en vigueur lorsque le commerçant n’est pas propriétaire de
l’immeuble. L’exploitant, détenteur des murs dans lesquels s’exerce
son activité, pourrait bénéficier d’un droit au bail “en sommeil”,
qualifié alors de droit de jouissance au profit du fonds en vue de
contourner l’impossibilité légale de contracter avec soi-même. Pour
plus de précisions, cf. L. L. CHATAIN-AUTAJON, ibid., n  567.
o

60 Lorsque le fonds comprend des brevets, marques, dessins et


modèles, des formalités de publicité propres au transfert de ces biens
doivent être accomplies, Cf. Mémento pratique Francis Lefebvre, Droit
commercial, 2007, respectivement aux numéros 33200, 33400 et
33600.

61 La composition hétérogène de l'azienda a posé beaucoup de


difficultés à la doctrine, lorsqu’elle a voulu déterminer la nature
juridique de cet ensemble de biens. Si le droit français parle
d’universalité de fait pour définir le fonds de commerce, cette
classification devient inappropriée lorsqu’on l’applique à une pluralité
de biens meubles et immeubles (corporels et incorporels).
Trois doctrines se distinguent. La première, dite “atomistica”
(atomistique), repose sur l’idée que l’entreprise ne possède pas
d’identité formelle. La notion d’azienda n’aurait été créée que pour
permettre de classer un ensemble de biens en fonction de leur finalité.
Le deuxième courant est dit “doctrine unitaire de l’azienda” et il
considère que l’azienda est un tout indépendant des parties qui la
composent. Les auteurs parlent, parfois, d’universalité de choses, pour
définir cet ensemble de biens. Le problème est que son unité reste
éphémère, car, en droit italien, les créanciers peuvent s’exécuter sur
n’importe quel bien de l’entreprise et, en conséquence, fractionner
l’azienda même dans ses différentes parties. Enfin, le troisième
mouvement qui recueille les faveurs de la majorité de la doctrine,
considère que l’azienda doit bénéficier d’un double régime. D’une
part, il faut discipliner la cession unitaire de ses biens, car ces derniers
conservent leur autonomie, même lorsqu’ils sont organisés dans une
entreprise. D’autre part, l’azienda possède aussi une propre
autonomie. En effet, le Code civil parle d’un “complexe de biens
organisés”, pour marquer la différence avec le bien individuel qui, non
seulement, n’appartient à aucun complexe, mais en plus ne bénéficie
pas d’une véritable organisation. L'azienda a donc droit à recevoir une
discipline unitaire. Sur le problème v. F. FERRARA, F. CORSI, Gli
imprenditori e le società, 12  éd., Giuffre, Milano, 2001, p. 150 ; R.
e

CALAMANDREI, Teoria dell’azienda commerciale, Unione Tipografico


éd., Torino 1891, p. 39 ; R. TOMMASINI, Contributo alla teoria
dell’azienda come oggetto di diritti, Giuffre, Milano, 1986, p. 52 ; G.
CASTELLI-AVOLIO, L’azienda commerciale nelle teorie e pratiche del
diritto, Librai Editore, Napoli, 1925, p. 25-26 ; M.
GHIRON, L’imprenditore, l’impresa e l’azienda, Unione Tipografico, 21
ed., Torino, p. 260.

62 F. FERRARA, F. CORSI, Gli imprenditori e le società, préc., p. 150.


63 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di
diritti, préc., p. 81 ; M. GHIRON, L’imprenditore, l’impresa e l’azienda,
préc., p. 265 ; B. LIBONATI, L’impresa e le società, Lezioni di diritto
commerciale, Giuffré, Milano, 2004, p. 90.

64 La loi impose de rédiger le contrat sous forme écrite, d’en


authentifier les signatures devant le notaire et de procéder à son
enregistrement au registre des hypothèques.

65 G. FERRARI, “L’azienda”, Enciclopedia del diritto, vol. IV, p. 706,


n  19, Giuffré, Milano, 1959 ; R. TOMMASINI, Contributo alla teoria…,
o

préc., p. 132.

66 La cession de dettes nécessite l’accord du créancier et ne peut donc


être réalisée que de manière indirecte, par le biais d’une novation ou
d’une délégation, cf. Ph. MALINVAUD, Droit des obligations, 9  éd.,
ème

Litec 2005, n 772.


o

67 Selon la théorie classique, une personne ne dispose que d’un seul


patrimoine qui n’est pas divisible. En revanche, selon la théorie du
patrimoine d’affectation, une personne peut affecter une masse de
biens à un but déterminé. La même personne peut donc disposer de
plusieurs patrimoines, cf. F. TERRE et Ph. SIMLER, Droit des biens,
Dalloz, 7  éd., 2006, n  18s.
ème o

68 De manière plus générale, le création de la personnalité morale fut


réalisée pour contourner les obstacles liés à la théorie classique et crée
un “équivalent approximatif” au patrimoine d’affectation, cf. J.-L.
AUBERT, Introduction au droit, Armand Colin, 11  éd., 2006 n  207.
ème o

69 Loi no  85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise


unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et à l’exploitation
agricole à responsabilité limitée (EARL).

70 Dans le sens que l’EURL est une consécration pragmatique du


patrimoine d’affectation, v. B. FAGES, “Théorie du patrimoine et droit
des affaires : une respectueuse indifférence”, Droit et patrimoine,
Janvier 2005, n  133, p. 74.
o

71 J. DERRUPPE, “L’avenir du fonds de commerce et de la propriété


commerciale”, Mélanges Terré, 1999, p. 585.

72 Afin de protéger le créancier de l’éventuelle insolvabilité du


nouveau débiteur, un auteur propose que le débiteur initial reste tenu
solidairement au paiement de la dette, il s’agirait alors plus d’une
adjonction de débiteur que d’une réelle cession de dettes, cf. L.
CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, préc., n  722. o

73 L. CHATAIN-AUTAJON, no 627.

74 L. CHATAIN-AUTAJON, ibid., no 473.

75 B. LIBONATI, L’impresa e le società, préc., p. 93.

76 Selon l’article 2560 du Code civil le cédant n’est libéré des dettes
liées à l’activité antérieures au transfert que si les créanciers donnent
leur consentement dans le contrat de cession. L’acheteur est tenu
aussi des dettes liées à l’activité contenue dans les “livres comptables
obligatoires”.

77 Selon l’article 1264 du Code Civil, la cession des dettes est effective
pour le débiteur lorsque celui-ci l’a acceptée ou lorsqu’elle lui a été
notifiée. FERRARA – CORSI, Gli imprenditori e le società, préc., p. 157.

78 L’article L. 121-10 du Code des assurances dispose en effet qu'“en


cas de décès de l'assuré ou d'aliénation de la chose assurée,
l'assurance continue de plein droit au profit de l'héritier ou de
l'acquéreur, à charge par celui-ci d'exécuter toutes les obligations
dont l'assuré était tenu vis-à-vis de l'assureur en vertu du contrat”.

79 L. CHATAIN-AUTAJON, La notion de fonds en droit privé, préc.,


n  679 s.
o
80 Sur cette notion, v. D. KRAJESKI, L’intuitus personae dans les
contrats, Thèse Toulouse 1998 ; L. CHATAIN-AUTAJON, ibid., n  473. o

81 J. DERRUPPE, L’avenir du fonds de commerce et de la propriété


commerciale, préc., p. 586.

82 Cass. com., 24 novembre 1992, Bull. civ., IV, no 371.

83 Cass. com., 4 mai 1993, Contrats, Concurrence, Consommation,


1993, comm. n  171, obs. L. LEVENEUR, JCP éd. E, 1994, I, 310, n  2,
o o

obs. M.-L. IZORCHE ; CA Paris, 9 juin 1994, RTD com., 1994, 696,


obs. J. DERRUPE.

84 Juris-Data, no 2004-235809.

85 Loi d’orientation agricole no 2006-11 du 5 janvier 2006, JO du 6


janvier, p. 229. – RD rur. 2006, n  340 ; JCP G, 2006, I, 154.
o

86 C. rur., art. L. 311-3.

87 C. rur., art. L. 418-1 s.

88 L’article 2558 du Code Civil prévoit que sauf dispositions


contraires, l’acquéreur de l'azienda se voit transférer tous les contrats
conclus pour les besoins de l’activité, excepté s’ils l’ont été intuitu
personae. Sur la succession dans les contrats en cours v. G. FERRARI,
“L’azienda”, Enciclopedia del diritto, vol. IV, p. 717, n  32, Giuffré,
o

Milano, 1959.

89 G. FERRARI, “L’azienda”, préc., vol. IV, p. 698, no 14.

90 En revanche, la loi impose que l’immatriculation au registre des


entreprises soit accomplie dans le délai d’un mois à compter de la
conclusion de la cession.

91 La cession d’entreprise est possible même lorsque cette dernière


n’est plus en activité, mais à condition que ses biens continuent à lui
permettre de réaliser son activité productive. Cette faculté est
inévitablement destinée à disparaître avec le temps ; plus l’inactivité
sera longue et plus rapide sera la perte de l’organisation (facteur
essentiel de la définition même d’entreprise).

92 R. TOMMASINI, Contributo alla teoria dell’azienda come oggetto di


diritti, préc., p. 128.

AUTEURS
Jacques Larrieu
Professeur à l’Université de Toulouse
Président de l’IFR (Faculté de Droit, CDA-EPITOUL, UT1)
Didier Krajeski
Maître de conférences (Faculté de Droit, UT1)
Alexandra Mendoza-Caminade
Maître de conférences (Faculté de Droit, UT1)
Rhislène Seraiche
Docteur en droit, Avocate
Céline Mangin
Doctorant (Faculté de Droit, UT1)
Marie Daeron
Doctorant (Faculté de Droit, UT1)
Anna-Lisa De  Grandi
Doctorant (Faculté de Droit, UT1)
Laure Soule
Doctorant (Faculté de Droit, UT1)

Les sociétés unipersonnelles


Marie-Hélène Monsèrié-Bon, Julien Théron, Anne-Laure  Thomat-Raynaud, Camille  Marie  Bénard,
Sébastien  Jambort, Yann  Puyoo  et Myriam  Cazajus

p. 255-263

Pour s’interroger sur la modernité du code de commerce, n’est –


il pas paradoxal de choisir le droit des sociétés et au sein de cette
discipline, les sociétés unipersonnelles1 ?
2Certains percevront effectivement ce double paradoxe :
 D’une part, le droit des sociétés contemporain s’est construit
presque exclusivement en dehors du code de commerce, alors
qu’une place non négligeable lui est réservée dans le code civil. Le
droit des sociétés actuel résulte de grandes lois qui ont jalonné le
XX  siècle en suivant l’essor remarquable de l’activité économique.
e

Dès lors ce n’est qu’à l’occasion de la codification de l’an 2000 que


le droit des sociétés a fait son entrée dans le code de commerce et
qu’a disparu la célèbre loi de 1966, il a fallu attendre 2007 pour
abandonner son décret d’application. Donc il serait aisé de conclure
que la modernité du code n’est assurément pas dans le droit des
sociétés. Mais, alors cette matière pourtant essentielle pour
l’activité économique et qui est un des puissants révélateurs de la
modernité du droit des affaires aurait été exclue, cela n’était pas
envisageable…
 D’autre part, comment traquer la modernité dans le droit des
sociétés désormais codifié alors que cette matière est en évolution
constante, en perpétuel mouvement, donnant le tournis bien
souvent à ceux qui la pratiquent ? Le choix opéré de se pencher sur
les sociétés unipersonnelles peut paraître arbitraire, simplement il
nous est apparu que la forme unipersonnelle des sociétés constitue
un phénomène qui s’inscrit dans la durée et qui tend à acquérir sa
légitimité en droit des sociétés puisqu’on est passé de l’entreprise
unipersonnelle à la société unipersonnelle. Il nous a semblé qu’il
était intéressant de se pencher sur cette nouvelle forme sociétaire
qui peut paraître contre nature mais qui marque cependant une
évolution décisive, signe de la modernité du droit des sociétés
désormais codifié.

3En dépit des réserves qui pouvaient être avancées, le thème des
sociétés unipersonnelles se révèle particulièrement instructif pour
mettre le code de commerce français en perspective avec les
droits des autres pays européens et même, au-delà de la
communauté européenne. Les enjeux sont évidents au regard de
la théorie du patrimoine et des discussions toujours nourries
qu’elle suscite.
 2 Y. CHAPUT et A. LEVI (sous la dir.) L’EURL, Droit, pratique et
perspectives, CREDA, LITEC ; coll. L (...)
4L’instauration des sociétés unipersonnelles et l’élaboration de
leur régime juridique ont certainement été des sources de
discussions très riches en droit des sociétés car elles touchent
tout particulièrement aux principes fondamentaux du droit des
sociétés, comme l’analyse de la société comme un contrat ou une
institution ou bien la réalité ou la fiction de la personne morale.
En outre, le contentieux et le législateur alimentent régulièrement
les interrogations sur les sociétés unipersonnelles. Cette question
reste d’actualité et une réflexion approfondie et modernisée doit
s’initier2.
5On le sait, on n’y reviendra pas en détail dans cette
communication, la création des sociétés unipersonnelles a généré
dans les années 80 des discussions doctrinales relativement vives
qui ne se sont pas achevées avec l’adoption de la loi du 11 juillet
1985. Cette évolution, révolution du droit des sociétés a pour
certains menacé l’édifice alors que d’autres y voyaient un simple
outil réparant l’infirmité du droit français inexorablement attaché
à la théorie de l’unité du patrimoine.
6L’encre séchée, les arguments les plus acerbes retombés, le
législateur a, au fil des réformes depuis 1985, fait entrer la forme
unipersonnelle de société dans le paysage français… SEL, SAS et
jusqu’à la société européenne dernière entrée dans le Code de
commerce (art. L. 229-6) et elle est devenue une forme
systématique, une variante de création des sociétés. Cette
généralisation est-elle le signe d’une parfaite adaptation de cette
figure au panorama ambiant ? Rien n’est moins sûr comme les
développements qui vont suivre le révèleront. En effet, la
reconnaissance de la société unipersonnelle atteste d’une
intégration qui n’est pas sans difficulté (I) et son fonctionnement
soulève encore des réserves qu’il convient d’aborder dans un
second temps (II).
I – RECONNAISSANCE DE LA
SOCIETE UNIPERSONNELLE
7La réflexion sur la reconnaissance de la société unipersonnelle
passe, dans un premier temps, par un tour d’horizon
géographique des pratiques en matière de société unipersonnelle
(A) avant de se pencher sur sa coexistence avec le patrimoine
d’affectation (B).

A – Sociétés unipersonnelles dans le


monde
8A regarder les droits étrangers, sans être exhaustif, il apparaît
que la société unipersonnelle est une forme de société largement
acceptée.

1) Pour faire ce rapide tour d’horizon


commençons par l’Union européenne
 3 JO CE, L. 395, 30 déc. 1989, p. 40.

9On le sait au sein de la Communauté européenne, il faut se


référer à la 12  directive n  89/667/CEE du 21 décembre
ème o

19893 concernant les sociétés à responsabilité à un seul associé


qui prévoit une option entre la société unipersonnelle et
l’entreprise à responsabilité limitée à un patrimoine affecté à une
activité économique.
10Face à cette alternative, le constat est que les Etats ont
massivement opté pour la société unipersonnelle et non pour le
patrimoine d’affectation pour assurer la protection de
l’entrepreneur individuel.
11L’observation permet de distinguer plusieurs catégories au sein
des états européens en ce qui concerne la création des sociétés
unipersonnelles :

a) Les précurseurs
12Ainsi le Danemark a le premier consacré par deux lois du 13
juin 1973deux modèles de sociétés unipersonnelles : la SARL et
aussi la SA.
 4 Voir en annexe la contribution de K. KROLOP et M. BITTLINGER,
Humboldt Université, Berlin.

13L’Allemagne a suivi quelques années après en légalisant


par une loi du 4 juillet 1980 la pratique de la société à
responsabilité limitée unipersonnelle (Einmann-
GMBH ou Einpersonen-GMBH)4.
14En France, il a fallu attendre la loi du 11 juillet 1985 relative à
l’entreprise unipersonnelle à responsabilité et à l’exploitation
agricole à responsabilité limitée pour voir enfin légalisée, la
société unipersonnelle en droit français.
 5 Ainsi, l’article L223-1 du code de commerce, dispose “la société à
responsabilité limitée est insti (...)

15Le droit français a ainsi consacré, dans les limites de la loi, la


possibilité de créer une société unipersonnelle ab initio5. De
même, depuis cette loi une SARL dans laquelle toutes les parts
sociales sont réunies entre les mêmes mains demeure valable.
16b) Les législations des Pays-Bas et de la Belgique ont suivi,
respectivement en 1986, par la loi du 16 mai 1986 consécration
des BV (SARL) et de la NV (SA) et en 1987, par loi du 14 juillet
1987 relative à la société d’une personne à responsabilité limitée,
désormais intégrée dans l’article 211 du code des sociétés belge.
c) Les suiveurs
17Cette seconde catégorie est constituée par les pays qui ont
attendu l’intervention de la directive européenne pour adopter la
forme unipersonnelle de société. On trouve dans cette catégorie :

 6 Source : http://www.statutelaw.gov.uk.

le Royaume-Uni par la loi du 14 juillet 1992 qui a modifié The


Compagnies Act de 19856, et

 7 Source : http://www.etudes.ccip.fr/archrap/pdf03/cou0310.pdf,
annexe1, page 22.

l’Irlande par une loi du 8 septembre 19947.



 8 Au Luxembourg en 2005 projet de loi n  5352 concernant
o

l’introduction de la SA unipersonnelle, Sour (...)

Le Luxembourg par la loi du 28 décembre 1992 désormais dans


l’article 1832 du code civil8,

 9 Source : http://www.lexinter.net/LOTWVers4/dt-societes-
it.htm#_ftnref1, pour la SRL. http://www.etu (...)

l’Italie par le décret législatif du 3 mars 1993 créant la “SRL” et


complété par le décret du 17 janvier 2003 créant la “SPA”
unipersonnelle désormais intégré dans l’article 2475 al. 3 du code
civil9,
 la Grèce par le décret présidentiel du 8 juillet 1993 ont
également introduit la SARL unipersonnelle.
 l’Espagne a par une loi du 23 mars 1995 introduit la société
unipersonnelle à responsabilité limitée et en même temps la société
unipersonnelle anonyme.

 10 Source :
http://www.missioneco.org/Portugal/documents_new.asp?V=7_PDF_123615.
le Portugal dispose quant à lui d’une société à responsabilité
unipersonnelle depuis un décret-loi n  257/96 du 31 décembre
o

199610.

18Les différents Etats européens ont ensuite, sinon généralisé, du


moins développé cette technique de la société unipersonnelle,
Ainsi l’Allemagne par une loi du 2 août 1994 a consacré la SA
unipersonnelle, l’Italie et l’Espagne ont fait de même..
 11 l’article L227-1 C. com. dispose en second lieu qu’“une société par
actions simplifiée peut être in (...)

 12 Crées par la loi de finances pour 2004, art 91, JCP éd. E. 2004, 201,
p. 221.

 13 L’article L229-6 admet enfin depuis la loi Breton no2005-842 du 26


juillet 2005 la société europée (...)

 14 En 2005, le législateur français a refusé de consacrer la SA


unipersonnelle. V. projet de loi pour (...)

19En droit français, la création de nouvelles formes sociétaires


s’est accompagnée le plus souvent d’une forme unipersonnelle,
c’est le cas de la SAS unipersonnelle11, des SEL unipersonnelles,
des entreprises unipersonnelles sportives à responsabilité limitée,
des SUIR12 (société unipersonnelle d’investissement à risque des
sociétés européenne unipersonnelles)13, mais il n’existe toujours
pas en droit français de sociétés anonymes unipersonnelles 14.

2) Si l’on franchit ensuite les frontières de


l’Union européenne, un bref tour d’horizon
révèle que la société unipersonnelle est une
forme largement répandue
20En voici quelques exemples :
 15 “Judicial Supervision of the One Man Corporation”, Harvard Law
Review, Vol. 45, no 6. (Apr., 1932), (...)
21Si l’on se tourne Outre-Atlantique, les Américains connaissent
également la société unipersonnelle sous deux formes, the one
Man Corporation (la corporation est proche de notre SA) et the
limited liability Company (LLC proche de notre SARL). La création
de telles LLC unipersonnelles suppose que la législation de l’Etat
en reconnaisse la possibilité15.
22▪ Viêtnam : La réforme récente du droit des sociétés en 2005,
entrée en vigueur en 2006, a doté ce pays de l’EURL
 16 I. AGUILAR VIEIRA et G. VIEIRA DA COSTA CERQUEIRA, “L’influence
du code de commerce français au Bré (...)

23En revanche, La forme unipersonnelle ne paraît pas développée


dans les pays d’Amérique du sud, elle n’existe pas
en Argentine ou au Brésil16…
 17 www.admin.Ch.

24Plus près de nous, l’article 772 du code des obligations suisse


dispose que la société à responsabilité qui est une société de
capitaux peut être formée par une ou plusieurs personnes17.
25Ce rapide tour d’horizon révèle donc que ce phénomène de
l’unipersonnalité est largement répandu.

B – Coordination avec le patrimoine


d’affectation
26Il convient de se pencher sur cette coordination en soulignant
que si les sociétés unipersonnelles sont un acquis du droit des
sociétés en Europe et ont la préférence des législateurs, leur
reconnaissance n’exclut pourtant pas la persistance du débat
relatif au “patrimoine d’affectation”. Et il n’est pas inintéressant
de souligner que certaines formules législatives attestent d’un
certain trouble.
27Ainsi au Luxembourg, l’article 1832 du code civil issu de la loi
de 1992 ayant introduit la société unipersonnelle indique que “la
société peut être constituée… dans les cas prévus par la loi, par
acte de volonté d’une personne qui affecte des biens à l’exercice
d’une activité déterminée”.
28Certains pays, comme le Portugal, ont choisi la voie du
patrimoine d’affectation. Ainsi un décret-loi du 25 août 1986 a
créé l’établissement individuel à responsabilité limitée (l’EIRL). Les
Portugais ont en effet considéré que la société unipersonnelle
n’était pas l’instrument le plus adapté à la situation de
l’entrepreneur individuel. Ils ont préféré rester fidèles au concept
de société-contrat. Ils ont estimé que l’EIRL, conçue comme un
patrimoine d’affectation, était plus conforme à la tradition du
pays. Ils n’ont pas octroyé à l’EIRL une personnalité juridique,
cette personnalité étant jugée inutile et fictive. Cette figure
originale n’ayant pas eu le succès pratique escompté, les
Portugais ont ensuite introduit la société unipersonnelle dans leur
législation en 1996. Il y a donc dans ce pays coexistence de la
société unipersonnelle et du patrimoine d’affectation.
 18 La principauté du Liechtenstein connaissait à la fois le patrimoine
d’affectation et la société uni (...)

29Mais dans la majorité des Etats, la solution de la société


unipersonnelle en tant que sujet de droit distinct de son créateur
a été majoritairement préférée à la solution du patrimoine
d’affectation au sein de l’Union européenne, notamment18.
 19 Art. L. 526-1 C. com. ayant instauré une insaisissabilité de la
résidence personnelle de l’entrepre (...)

30Si l’on prend le cas de la France, en choisissant de légaliser la


société unipersonnelle, le législateur français a choisi d’exclure
l’autre voie envisagée par la doctrine pour donner un statut à
l’entreprise individuelle, celle du patrimoine d’affectation. Sans
que cela l’empêche ponctuellement de revenir vers une idée
d’exception à l’indivisibilité du droit de gage des créanciers, mais
non un patrimoine d’affectation19.
31La société unipersonnelle est, donc comme en France, une
forme désormais bien implantée même si son intégration dans les
législations peut soulever quelques hésitations et quelques
réflexions en ce qui concerne le fonctionnement de la société
unipersonnelle.

II – FONCTIONNEMENT DE LA
SOCIETE UNIPERSONNELLE
32Lorsqu’on se penche sur le fonctionnement de la société
unipersonnelle, après avoir dressé un constat en demi-teinte sur
son adaptation au milieu sociétaire (A), il convient de s’interroger
sur d’éventuels changements à opérer (B).

A – Acclimatation des concepts


traditionnels du droit des sociétés
33En premier lieu, nul ne pourra contester la difficile
acclimatation des concepts traditionnels du droit des sociétés aux
sociétés unipersonnelles, les règles retenues pour les sociétés
pluripersonnelles n’étant pas toujours adaptées ou opportunes,
loin s’en faut, en présence d’un seul associé. Ainsi, à l’évidence
les principes d’équilibre entre les pouvoirs des associés et des
dirigeants ou d’égalité entre associés n’ont plus de sens.
34De même, à l’instar de l’affectio societatis certains concepts
pourtant inhérents aux sociétés pluripersonnelles sont
nécessairement absents des sociétés personnelles. Exiger comme
condition essentielle à la formation d’une société unipersonnelle
la volonté de s’associer de l’associé unique paraît absurde.
Littéralement affectio societatis désigne la volonté de s’associer,
c’est-à-dire de se réunir avec d’autres personnes parce qu’existe
une communauté de travail, d’intérêt ou de sentiment. Si les mots
ont un sens, il ne devrait pas exister d’affectio societatis dans les
sociétés unipersonnelles. La définition qui en est retenue par la
jurisprudence ne peut d’ailleurs s’y adapter. Il s’agit en effet de la
“volonté non équivoque de tous les associés de collaborer
ensemble sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre
commune”. Partant de ce constat, il est tentant d’affirmer qu’il
n’existe pas d’affectio
societatis dans les sociétés
unipersonnelles, sans doute parce qu’il n’y a là qu’une mesure
d’organisation patrimoniale.
 20 Pour une étude détaillée : P. SERLOOTEN, “L’affectio societatis, une
notion à revisiter, Aspects ac (...)

35Pourtant, même si la notion n’apparaît pas dans l’article 1832


du code civil, l’affectio societatis se révélant une condition
indispensable à la qualification de la société, une partie de la
doctrine affirme que cette condition est présente dans les
sociétés unipersonnelles mais, elle distord tellement la notion que
ce n’est plus d’affectio societatis dont il s’agit20… Appliqué aux
sociétés unipersonnelles, l’affectio societatis nouvellement défini
se manifeste comme la volonté de respecter l’objet social dans la
gestion quotidienne et celle de veiller à éviter toute confusion
entre les biens qui composent le patrimoine social et les biens
personnels. L’affectio societatis est donc la volonté de respecter
l’existence de la personne morale et le principe de spécialité
qu’elle implique. Alors, seul le rôle négatif de l’affectio
societatis subsiste, la qualification de société pouvant être exclue
lorsque l’affectio societatis fait défaut, c’est-à-dire dès que
l’associé unique n’a pas véritablement eu l’intention de créer une
société ou, plutôt, de créer une personne morale, mais a
seulement recherché un statut fiscal ou social…
36L’inaptitude du régime des sociétés pluripersonnelles à régir
les sociétés unipersonnelles s’affirme particulièrement à propos
de la quasi-immunité du gérant associé unique. En théorie, sa
responsabilité civile peut être mise en œuvre au même titre que
tout autre gérant. Elle devrait même être plus fréquente que dans
les sociétés pluripersonnelles, dans la mesure où la tentation est
ici forte d’opérer une confusion de patrimoine. Elle reste pourtant
purement théorique. L’associé unique gérant ne va pas engager
sa propre responsabilité par le biais d’une action ut universi ou ut
singuli… Sa responsabilité ne peut donc être engagée que par des
tiers, à la condition toutefois que soit prouvée une faute
personnelle détachable des fonctions, conformément à une
jurisprudence constante, qui garantit une large immunité,
notamment pour ce qui est des fautes de gestion. Or, le
législateur ne manque pas de faire, par ailleurs, une distinction
entre l’intérêt de l’associé unique gérant et celui de la société,
comme en atteste le formalisme lié aux conventions réglementées
–règles qui sont issues de la directive, il est vrai–. Ces exemples
attestent de la nécessité d’adaptation des règles classiques des
sociétés pluripersonnelles au contexte de l’unipersonnalité.

B – Besoin d’adaptation des règles des


sociétés pluripersonnelles aux sociétés
unipersonnelles
37Ce besoin d’adaptation a parfois été ressenti par le législateur.
Ainsi, comme en principe, les règles applicables aux sociétés
pluripersonnelles sont transposables, en l’état, aux sociétés
unipersonnelles, les statuts de sociétés à associé unique sont la
plupart du temps rédigés sur le modèle des sociétés
pluripersonnelles. Aussi certaines mentions pourtant utiles au
fonctionnement des sociétés unipersonnelles en sont absentes.
Afin de remédier à cela, pour les EURL dont la gérance est assurée
par un associé unique, depuis un décret du 9 mars 2006, existe
un modèle facultatif de statuts types comprenant notamment une
clause spécifiant que l’associé unique est le gérant, ou encore
que ce dernier exerce les pouvoirs et prérogatives de l’assemblée
générale dans les sociétés pluripersonnelles.
 21 Art. L. 223-31 C. com.

38Le législateur a également pris en considération l’absurdité


qu’il y avait pour l’associé unique gérant, à prendre une décision
approuvant en tant qu’associé les comptes qu’il présente en tant
que gérant. Cela confine à la schizophrénie ! Aussi dans les EURL,
cette formalité inutile a été supprimée par la loi du 2 août 2005,
le dépôt au greffe du rapport de gestion et des comptes annuels
valant approbation, mais reste en suspens l’affectation des
résultats21.
 22 Art. 1844-5 al. 3 modifié par l’article 103 de la loi NRE du 15 mai
2001 ; B. ROLLAND, “Dissolution (...)

39Récemment, le législateur a également modifié la règle sur


la transmission universelle du patrimoine qui conduisait à nier,
lors de la dissolution de la société unipersonnelle, la
responsabilité limitée qui avait été recherchée en priorité par le
créateur de cette société22.
40L’inexistence de règles propres aux sociétés unipersonnelles
est problématique. Les règles applicables aux sociétés
pluripersonnelles ne sont pas toujours adaptées. La réponse
sporadique du législateur n’est pas satisfaisante, car il n’est
intervenu qu’à propos d’une infime partie du régime de ces
sociétés, puisqu’il n’a modifié que certaines règles applicables
aux EURL. Les SASU continuent de se voir appliquer la totalité du
régime des sociétés pluripersonnelles. Il faut alors s’interroger
sur l’opportunité de dessiner un régime commun à toutes les
sociétés unipersonnelles, un droit des sociétés unipersonnelles
distinct du droit des sociétés pluripersonnelles.
 23 Loi no 2008-776 du 4 août 2008, JO, 5 août 2008, p. 12471, art. no 59.

41La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a


modifié le régime de la SASU qui obéira à l’avenir aux mêmes
règles que l’EURL23.
42Le phénomène de généralisation des sociétés unipersonnelles
qui s’est amorcé dans la législation française pose avec une
certaine acuité la question de l’opportunité de règles propres à la
société unipersonnelle. Ce questionnement se scinde à son tour :
Faut-il un droit spécial ? Et ce droit spécial doit-il être un droit
commun ?
43Sur le premier point, les opinions divergent, l’élaboration d’un
droit spécial paraissant particulièrement délicate. Tout de même,
quelques difficultés méritent de retenir l’attention, comme la
responsabilité du gérant. Faut-il alors exclure la faute séparable
des fonctions pour éviter que les tiers ne puissent pas agir contre
le gérant lorsqu’ils souffriront d’un comportement fautif de ce
dernier qui pourrait entrer dans ses fonctions ? Cette règle
permettrait de protéger indirectement la société qui ne peut, si sa
responsabilité est mise en cause, se retourner contre le gérant
44En second lieu est-il possible de créer un droit commun des
sociétés unipersonnelles qui éliminerait la diversité actuelle qui
ne semble pas présenter d’intérêt. Par exemple, est-il intéressant
d’avoir la SARL et la SAS en forme de société unipersonnelle ? On
sait que cette dernière présente particulièrement un intérêt pour
assouplir les relations entre les associés en raison de la liberté
contractuelle conférée par le texte. Cela ne présente aucun intérêt
dans une société unipersonnelle. En outre, le rôle du commissaire
aux comptes est largement réduit, la mission de protection des
intérêts des associés face aux décisions de la direction paraissant
superflue. Ne serait-il pas plus opportun de créer un nouveau
statut plus adapté aux données de la société unipersonnelle en
retenant des pouvoirs renforcés pour le gérant associé unique, en
éliminant les restes de formalisme. Il faut tout de même prendre
garde au fait que cela freinerait le passage, sans formalité, de la
forme unipersonnelle à pluripersonnelle qui semble, en pratique,
l’un des atouts de cette figure sociétaire.
45En dépit de certains obstacles et des difficultés qui se profilent,
il peut être tentant de réfléchir à ce droit commun des sociétés,
figure mythique de cette matière, sans cesse souhaitée jamais
consacrée, et de réduire l’ambition en essayant au moins de
l’appliquer aux sociétés unipersonnelles.
NOTES
1 La forme orale de la communication a été largement conservée.

2 Y. CHAPUT et A. LEVI (sous la dir.) L’EURL, Droit, pratique et


perspectives, CREDA, LITEC ; coll. Le Droit des affaires, 2003 ; P.
SERLOOTEN, L’EURL, GLN Joly, 1994

3 JO CE, L. 395, 30 déc. 1989, p. 40.

4 Voir en annexe la contribution de K. KROLOP et M. BITTLINGER,


Humboldt Université, Berlin.

5 Ainsi, l’article L223-1 du code de commerce, dispose “la société à


responsabilité limitée est instituée par une ou plusieurs personnes qui
ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports”. Pour un
bilan récent, l’ouvrage du CREDA, L’EURL droit pratique et
perspectives, préc.
6 Source : http://www.statutelaw.gov.uk.

7 Source : http://www.etudes.ccip.fr/archrap/pdf03/cou0310.pdf,
annexe1, page 22.

8 Au Luxembourg en 2005 projet de loi n  5352 concernant


o

l’introduction de la SA unipersonnelle, Source :


http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/1992/1063012/1063012.
pdf#page=15.

9 Source : http://www.lexinter.net/LOTWVers4/dt-societes-
it.htm#_ftnref1, pour la SRL.
http://www.etudes.ccip.fr/archrap/pdf03/cou0310.pdf, annexe 1
p. 22, pour la SPA.

10 Source : http://www.missioneco.org/Portugal/documents_new.asp?
V=7_PDF_123615.

11 l’article L227-1 C. com. dispose en second lieu qu’“une société par


actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes
qui ne supportent les pertes qu’à concurrence de leur apport”.

12 Crées par la loi de finances pour 2004, art 91, JCP éd. E. 2004, 201,
p. 221.

13 L’article L229-6 admet enfin depuis la loi Breton n   2005-842 du


o

26 juillet 2005 la société européenne unipersonnelle.

14 En 2005, le législateur français a refusé de consacrer la SA


unipersonnelle. V. projet de loi pour la confiance et la modernisation
devenu la loi n  2005-842 du 26 juillet 2005
o

15 “Judicial Supervision of the One Man Corporation ”, Harvard Law


Review, Vol. 45, n  6. (Apr., 1932), pp. 1084-1089 ; JUDITH
o

FREEDMAN, “Limited Liability : Large Company Theory and Small


Firms”, The Modern Law Review, Vol. 63, N  3. (May, 2000), pp. 317-
o

354 ; Wayne M. GAZUR, “The Limited Liability Company Experiment :


Unlimited Flexibility, Uncertain Role”, Law and Contemporary Problems,
Vol. 58, N  2, Partnerships. (Spring, 1995), pp. 135-185 ; “One-Man
o

Corporation”, Harvard Law Review, Vol. 9, N  4. (Nov. 25, 1895),


o

p. 280 ; Jules SILK, “One Man Corporations. Scope and


Limitations”, University of Pennsylvania Law Review, Vol. 100, N  6.
o

(Apr., 1952), pp. 853-868 ; Etats-Unis  : juridique, fiscal, social,


comptable, Ed. Francis Lefebvre, 7  éd. Francis Lefebvre, oct. 2001,
ème

n  400 et s.
o

16 I. AGUILAR VIEIRA et G. VIEIRA DA COSTA CERQUEIRA, “L’influence


du code de commerce français au Brésil”, RIDC, 1-2007, p. 27.

17 www.admin.Ch.

18 La principauté du Liechtenstein connaissait à la fois le patrimoine


d’affectation et la société unipersonnelle jusqu’à une loi du 15 avril
1980. Cette loi a abrogé les dispositions du Code
liechtensteinois concernant les sociétés unipersonnelles. Il n’admet
plus leur régularité de constitution et de fonctionnement : N. EZRAN–
CHARRIERE, L’entreprise unipersonnelle dans les pays de l’UE, LGDJ,
t. 373, p. 209. (abrogation pour des raisons d’assainissement des
stratégies financières internationales et de lutte contre la fraude
fiscale)

19 Art. L. 526-1 C. com. ayant instauré une insaisissabilité de la


résidence personnelle de l’entrepreneur

20 Pour une étude détaillée : P. SERLOOTEN, “L’affectio societatis, une


notion à revisiter, Aspects actuels du droit des affaires”, Mélanges en
l’honneur de Yves Guyon, Dalloz 2003, p. 1007.

21 Art. L. 223-31 C. com.

22 Art. 1844-5 al. 3 modifié par l’article 103 de la loi NRE du 15 mai
2001 ; B. ROLLAND, “Dissolution des sociétés unipersonnelles : une
intervention législative opportune”, JCP éd E, 2001, p. 1761.

23 Loi n  2008-776 du 4 août 2008, JO, 5 août 2008, p. 12471, art.


o

n  59.
o
AUTEURS
Marie-Hélène Monsèrié-Bon
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)
Julien Théron
Maître de conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)
Anne-Laure Thomat-Raynaud
Maître de conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)
Camille  Marie Bénard
Maître de conférences à l'Université d’Orléans
Sébastien Jambort
Maître de conférences à l’Université de Grenoble
Yann Puyoo
Juriste au CRIDON Bordeaux/Toulouse
Myriam Cazajus
Doctorante à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, UT1)

La société unipersonnelle et
l’idée d’un patrimoine
d’affectation en Allemagne
Kaspar  Krolop  et Marion  Bittlinger

p. 265-277

I – A PROPOS DE L’EXISTENCE
DE LA SOCIETE
UNIPERSONNELLE EN
ALLEMAGNE
A – Quand la société unipersonnelle est-
elle apparue ?
1Pour répondre à cette question, il faut distinguer entre les
sociétés de personnes et les sociétés de capitaux. L’idée d’une
société de personnes avec un associé unique (ici désigné comme
société de personnes unipersonnelle) n’a jamais existé et est
étrangère au droit allemand.
 3 Loi du 20/04/1982 concernant les GmbH dans l’édition de la publication
au Reichsgesetzblatt du 20/0 (...)

 4 Loi du 06/09/1996, Aktiengesetz, édition de la


publication Bundesgetzblatt I 1965, p. 1089.

 5 Code commun prusse, initié par Frédéric II de Prusse ; auteur :


SUAREZ.

2En Allemagne, il est possible de fonder une GmbH (Gesellschaft


mit beschränkter Haftung – le pendant de la SARL) avec un seul
associé depuis 1980 (“Einpersonen-GmbH” comp. §§ 1, 35 Abs. 4
S satz 1, 48 Abs. 3 GmbHG3. Depuis la réforme du §
2 Aktiengesetz4 en 1994, la fondation d’une AG
(Aktiengesellschaft – pendant de la S.A.) par un seul fondateur est
possible. Néanmoins, la société de capitaux unipersonnelle
existait auparavant comme construction des juristes. Déjà en
1900, elle avait une signification pratique considérable. L’idée
que l’association peut continuer à exister avec un seul membre
est encore plus ancienne et se trouve par exemple dans
le Allgemeines Preußisches Landrecht de 17945.

1) L’inexistence de la société de personnes


unipersonnelle
 6 Bürgerliches Gesetzbuch(Code Civile allemand), loi du 18/08/1996 dans
l’édition de la publication (...)

 7 Hueck/Windbichler, Gesellschaftsrecht, 20. édition München 2003, § 13


Rn. 1.

 8 Comp. par exemple Wiedemann(Personengesellschaftsrecht, 2004)


und Ulmer (Zeitschrift für das gesam (...)
3Les sociétés de personnes n’ont pas de personnalité juridique, il
s’agit de Gesamthandgesellschaften. Le patrimoine de la société,
le Gesamthandsvermögen est un patrimoine spécifique qui
appartient à la société ou plutôt aux associés. La définition de la
société de personnes est selon le § 705 I Bürgerliches
Gesetzbuch – BGB6 la suivante : “plusieurs (au moins deux)
personnes s’obligent à contribuer à un but commun”. Pour cette
raison, il est incontestable que la fondation d’une société de
personnes unipersonnelle est impossible et ne fut jamais
possible7. La réunion en une seule main de toutes les parts d’une
société de personnes suite au décès ou à la sortie des autres
associés conduit à la dissolution immédiate de la société.
Pourtant une opinion minoritaire de la doctrine admet que la
société de personnes unipersonnelle peut exister pendant une
période déterminée8. Cette doctrine n’a jamais été acceptée par le
droit positif.

2) Körperschaften – sociétés de capitaux


4Pour connaître le moment de création de la société
unipersonnelle, il convient de distinguer entre la légalité de la
fondation d’une société de capitaux avec un seul associé (a) et
l’existence de ce phénomène en général (b).

a) Le phénomène de Einpersonenverband (Association


unipersonnelle)
5On entend par Verband la société de capitaux, mais également la
fondation (Stiftung), l’association (Verein), la société coopérative
(Gesnossenschaft) et l’association d’assurance mutuelle
(Versicherungsverein auf Gegenseitigkeit ). La forme juridique de
base du Verband est l’association (§§ 21 et suivants du BGB). Il
convient de parler plutôt de membres que d’associés. Le
phénomène de l’association avec un membre unique est connu
depuis l’existence de l’association. Dans le Allgemeine
Preussische Landrecht de 1794 II, 6 est stipulé : “Les corporations
et les communes continuent à exister avec un seul membre”.
6A mon avis, le projet analyse les possibilités de responsabilité
limitée pour des activités commerciales, je me concentre sur les
sociétés de capitaux ainsi les sociétés à responsabilité limitée la
GmbH (Gesellschaft mit beschränkter Haftung  – le pendant de la
SARL –) et la AG (Aktiengesellschaft, pendant de la SA). Déjà
auparavant existait la société des capitaux unipersonnelle comme
construction des juristes. Depuis 1900 elle avait une application
pratique considérable.

b) la Légalité de la fondation de la société de capitaux


unipersonnelle
7Jusqu’en 1980, la loi exigeait que la GmbH et la AG soient
fondées par au moins deux associés. La réforme GmbH
Novelle permettait la fondation de celle-ci avec un associé
unique. Comme le montrent mes explications antérieures, une
société se définit par l’idée que plusieurs personnes contribuent à
un but commun. Ainsi la désignation de société unipersonnelle
pourrait être ressentie comme une contradictio in adjecto. Pour
cette raison, on parle plutôt de la GmbH
unipersonnelle (Einpersonen-GmbH). Avec la loi sur la petite AG
de 1994 (Gesetz zur Kleinen AG), la fondation
d’une AG unipersonnelle a été légalisée.

c) Une construction hybride  : la GmbH und Co KG


8Le droit allemand permet qu’une GmbH soit associée
commanditée d’une KG (Kommanditgesellschaft pendant de la
société en commandite simple). Ainsi la construction suivante est
possible : l’associé A fonde d’abord une GmbH unipersonnelle
(A-GmbH). Ensuite il fonde une KG dont la A-GmbHva être le
commandité et dont il est le seul commanditaire. Formellement,
la société est constituée de deux associés différents. La A-
GmbH est le commandité et A est le commanditaire. D’un point
de vue économique, on peut dire que la A-GmbH et A forment
une unité et que la société est contrôlée uniquement par A.
9Ce regard contredit le principe de la séparation de la
personnalité juridique et de l’associé, un principe strictement
contrôlé dans le droit allemand. C’est pourquoi d’un point de vue
juridique il ne s’agit pas d’une société unipersonnelle.

d) Résumé du droit positif


10Depuis 1980 il est possible de fonder une GmbH avec un seul
associé (GmbH unipersonnelle). Depuis la réforme du §
2 Aktiengesetz en 1994 la fondation d’une AG par un fondateur
est possible. En revanche, la loi exige toujours un minimum de
membres pour la fondation d’autres associations : selon § 56 BGB
– sept membres pour l’association (“Verein”) et selon §
4 Genossenschaftsgesetz trois membres pour la fondation d’une
société coopérative (Genossenschaft).

B – Le développement historique du droit


11On peut distinguer trois phases :
 L’apparition du phénomène : La doctrine justifie la question
juridiquement en disant que l’association et les sociétés capitaux
continuent à exister s’il ne reste qu’un membre.
 La GmbH unipersonnelle est dans la zone grise entre les besoins
pratiques et la loi (voir b)
 Création du modèle de la fondation de l’homme de paille, pour
contourner la loi qui prévoit au moins deux personnes pour fonder une
société par des conseillers juridiques
 Après des discussions intenses de la doctrine, pour savoir s’il
s’agit d’un abus de droit, la haute juridiction civile reconnaît cette
fondation comme légale en 1956.
 “Legitimatio per subsequentem legem” (Flume) (voir c)
 1980 le GmbH-Gesetz permet la fondation d’une GmbH par un
associé.
 1994 : Avec la réforme du § 2 Aktiengesetz, la fondation d’une
AG est permise avec un seul fondateur.

1) L’apparition du phénomène (1790-1900) : la


persistance de la personnalité juridique d’une
société unipersonnelle
12Le phénomène du Verband avec un seul membre et de la
société des capitaux avec un associé unique a surgi pour
résoudre des problèmes pratiques. Quel est l’avenir d’une
association ou d’une Aktiengesellschaftquand il ne reste qu’un
membre ou respectivement un actionnaire ? (exemple : AG avec
les frères A, B et C. Suite au décès de A et B, C est l’héritier
unique ou A et B cèdent leurs actions à C).
13Depuis le début du 19  siècle, la doctrine disait que la
ème

personnalité juridique persistait dans ces cas, même si elle n’a


qu’un membre (après avoir eu plusieurs membres).
14Le fondement était la Digestenstelle suivante : Digestenstelle D
3, 4 72 : “sed si universitas ad unum redit, magis admittitur
posse eum convenire et conveniri, cum ius omnium in unum
reciderit et stet nomen universitatis ”... Déjà dans le Allgemeine
Preußische Landrecht de 1794 (ALR) est stipulé dans II, 6 § 177 :
“Les corporations et les communes continuent à exister avec un
seul membre”.

a) Divergence entre les textes de loi et la pratique


15La société unipersonnelle n’est pas une création du législateur.
Il s’agit plutôt d’un fruit de la doctrine. La théorie a été adoptée
par la jurisprudence pour faire face aux difficultés quant à la
persistance de la personnalité juridique quand il ne reste qu’un
seul associé. Des conseillers juridiques trouvaient un chemin pour
admettre la fondation d’une société unipersonnelle quoique la loi
l’interdise : formellement, la GmbH ou la AG a été fondée avec
deux associés. Mais après l’écoulement d’une certaine période,
un associé cède ses parts à l’autre. Cette fondation, dite
fondation de “l’homme de paille”, était répandue depuis 1900. Il y
avait des vrais besoins pour une GmbH unipersonnelle comme
instrument de responsabilité limitée pour l’entrepreneur
indépendant mais aussi pour la filiale dépendant d’un groupe.
 9 Comp. K. SCHMIDT, Gesellschaftsrecht § 40 II 1, b), p. 1246.

 10 Hans BERG, Neue Juristische Wochenschrift(NJW) 1974, 935.

16Du fait de ces besoins, la jurisprudence a reconnu cette


manœuvre. Ainsi l’arrêt du BGH, BGHZ 21, 384 = WM 1956,
1498-1499 (9. 10. 1956) énonce : “la société unipersonnelle est
une construction, qui n’a pas de fondement juridique
convaincant, néanmoins elle est reconnue par l’usage et ne
causant aucun inconvénient à l’économie nationale, elle est d’une
utilité pour la pratique contre laquelle aucun argument sauf
terminologique ne peut être retenu”. L’arrêt du BGH admet la
reconnaissance par l’usage. L’expression de cette reconnaissance
est le changement de la terminologie. L’homme de paille est
devenu aide à la fondation9. Dans les années 70 cette
construction était tellement répandue qu’un auteur critique à
l’égard de la société unipersonnelle a pu s’exprimer ainsi : “La
société unipersonnelle est une création du juriste d’affaires. Elle
s’est développée à cause du manque de transparence du
patrimoine comme cancer de la vie économique”10.
b) “Légalisation” 1980 (GmbH) et 1994 (AG)
aa) GmbH

La reconnaissance définitive de la GmbH unipersonnelle a eu lieu avec


la réforme de 1980 qui a enlevé la condition de la fondation par au
moins deux associés. Depuis lors le § 1 du GmbH-G dispose : “Les
sociétés à responsabilité limitée peuvent être fondées par une ou
plusieurs personnes selon la présente loi, pour des buts admis par la
loi”. Puisque la GmbH unipersonnelle était répandue, Flume parlait
d’une légitimation per subsequentem legem.

17Mais la reconnaissance légale n’était pas sans influence. En


1972 le ministère fédéral estimait l’existence de 20.
000 GmbH unipersonnelles. Aujourd’hui on estime que 30 à 40 %
des GmbH en Allemagne n’ont qu’un seul associé. Cela
correspond à un nombre total de 220. 000-340.
00 GmbH unipersonnelles.

bb) AG

18Déjà en 1969 la fondation d’une AG était possible par la


transformation d’une entreprise commerciale en une AG selon §
50 et s. Umwandlungsgesetz. La création
d’une AG unipersonnelle par le biais d’une “fondation de l’homme
de paille” était comme pour la GmbHrépandue et reconnue par les
tribunaux. La loi sur les petites AG et sur la dérégulation
du Aktiengesetzes du 2 août 1994 a modifié § 2 du Aktiengesetz.
Elle a reconnu aussi pour l’AG, la fondation directe
d’une AGunipersonnelle. § 42 du AktG a introduit aussi une
prescription spéciale, qui ne règle pas sa fondation mais qui
contient des règles de publicité spécifiques pour la société
existante. Il faut également citer le § 327a Aktiengesetz qui ouvre
la possibilité à un actionnaire possédant plus de 95 % des actions
d’exclure les autres actionnaires contre une rémunération
adéquate. Le pendant dans le droit français est le retrait
obligatoire. Quant au résultat, il s’agit également d’une
possibilité de créer une AGunipersonnelle.

II – SOCIETE UNIPERSONNELLE
ET PATRIMOINE D’AFFECTATION
A – La définition du Zweckvermögen en
droit allemand
a) Terminologie : Zweckvermögen et
Sondervermögen
19En cherchant un pendant du patrimoine d’affectation en droit
allemand, les notions les plus proches
sont Zweckvermögen (“patrimoine servant pour un certain but”,
voir aa) et Sondervermögen (“patrimoine spécifique”, voir bb)

aa) Zweckvermögem
20Le terme du Zweckvermögen est restreint à la fondation en
droit allemand. Il désigne le patrimoine d’une fondation qui est
juridiquement indépendant. Il sert à la poursuite du but à
atteindre selon la volonté du fondateur pour une certaine durée.

bb) Le patrimoine spécifique (Sondervermögen) comme


catégorie large et incertaine
 11 GREIFELDS, dictionnaire juridique.

21La partie séparée du reste du patrimoine d’une personne est


désignée comme patrimoine spécifique. La définition exacte est la
suivante : “Le patrimoine spécifique est un patrimoine, auquel la
loi accorde une position juridique spéciale, sans qu’il apparaisse
une personne juridique nouvelle avec une personnalité juridique
propre”11
22La catégorie du patrimoine spécifique peut prendre plusieurs
formes. Pour illustrer ceci, il convient de citer quelques
exemples :
 Dans le droit matrimonial, le patrimoine commun des époux
ayant adopté le régime de la communauté,
 Dans le droit des successions : le patrimoine peut être en
indivision, qui constitue un patrimoine spécifique jusqu’au partage.
 Fiducie.

23Le droit du marché financier : il existe aussi ici des formes de


patrimoine spécifique. Dans les sociétés d’investissement et les
fonds d’actions le patrimoine ne devient pas directement le
patrimoine des sociétés d’investissement et de fonds. Celles-ci
administrent le patrimoine de l’investisseur plutôt comme le ferait
un fiduciaire avec un patrimoine spécial.

b) “Gesamthandsvermögen” comme patrimoine


spécifique chez la société des personnes
 12 Handelsgesetzbuch (Code de Commerce allemand), loi du 10/05/1897
dans l’édition de la publication R (...)

 13 Hueck/Windbichler Gesellschaftsrecht, § 3 Rn. 9.

24L’idée de la création d’un patrimoine spécifique à des fins


économiques, sans que celui-ci entre dans une des catégories
des personnalités juridiques, est étroitement liée à
la Gesamthand. Les sociétés de personnes incluant les sociétés de
personnes commerciales n’ont pas la personnalité juridique en
droit allemand. (OHG – Offene Handelsgesellschaft – SNC en droit
français et la KG – Kommanditgesellschaft – SCS). En revanche,
elles ont la personnalité juridique partielle (§ 124 I HGB12) et le
patrimoine social est indépendant des associés. La définition
standardisée est la suivante : “Le patrimoine social est un
patrimoine spécial distinct de celui des associés. Les associés
respectifs ainsi que les créanciers ne peuvent pas disposer du
patrimoine qui ne sert qu’aux buts de la société” 13. Il appartient
aux associés grâce à la notion de “main pleine”. Une image
explique cette notion : tous les associés ont leur main sur le
patrimoine social et ne peuvent en disposer qu’ensemble.

c) La conception de la Gesamthand et son avenir


 14 Comp. Flume, Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts, Erster
Band/Erster Teil Personengesellschaft (...)

25La Gesamthand est une spécificité du droit allemand. Dans le


BGB (Code Civil), elle constitue une construction autonome qui est
influencée par le droit et la doctrine romaine. Dans la première
rédaction du BGB la conception de la Gesamthand n’a pas été
prévue. Le germaniste Otto v. Gierke disait à l’époque que le “BGB
allemand” devait contenir plus d’éléments de la tradition juridique
allemande. Il s’est imposé lors des discussions sur le BGB et ainsi
la Gesamthand a été introduite14.
26Mais la conception de la Gesamthand ne correspond pas aux
besoins juridiques de la pratique au moins en ce qui concerne des
sociétés exerçant des activités économiques. La loi a résolu ce
problème de façon pragmatique pour les OHG et le KG. Le § 124 I
HGB décide qu’elles disposent de la personnalité juridique
partielle. Cela signifie que dans la pratique, les sociétés de
personnes n’ont pas la personnalité juridique mais sont traitées
comme si elles l’avaient.
27La société civile (GbR) pose des problèmes plus importants,
surtout si elle a une activité à but économique (par exemple
l’exercice d’un métier commercial, le métier d’avocat et d’autres
professions libérales comme la banque et les métiers
d’investissement). Pour elles une disposition comme § 124 I HGB
est inexistante. Ainsi en droit allemand, il existe le problème d’un
patrimoine spécifique indépendant sous la forme
du Gesamthandsvermögen, qui n’a pas de personnalité juridique
propre selon la conception de base. Un créancier qui voudrait
saisir le patrimoine social devrait assigner tous les associés car la
société civile n’a ni la capacité juridique ni la capacité nécessaire
pour être assignée en justice. La jurisprudence du BGH a procédé
à un revirement de jurisprudence en 2000 pour résoudre ce
problème. Elle a reconnu peu à peu une personnalité juridique
partielle aux sociétés civiles qui sont apparues comme des sujets
de droit et qui disposaient d’un patrimoine propre. Cela montre
que la conception du Gesamthandsvermögen n’est que
difficilement applicable dans la pratique à des sociétés qui
exercent une activité d’entreprise.

2) Peut-on trouver une doctrine


du  Zweckvermögen  semblable à ce que les Français
appellent la théorie du patrimoine d’affectation  ?
28On peut conclure de mes explications qu’il faut se poser la
question de savoir s’il existe une doctrine du patrimoine
spécifique ? En raison des formes différentes du patrimoine
spécifique, une doctrine ou une théorie générale qui englobe tous
les patrimoines spécifiques est inexistante.
29Néanmoins on peut trouver dans l’histoire des discussions
quant à la nature et à la signification de la Gesamthand et
du Gesamthandsvermögen(comp. 1. c.). La doctrine du
patrimoine spécifique en tant que Gesamthandsvermögen n’est
pas utile dans la pratique pour l’activité économique des acteurs
économiques respectifs. Car pour la création
d’une Gesamthand ainsi que pour un Gesamthandsvermögen il
faut au minimum deux personnes. Un patrimoine spécifique
constituant la base d’une activité économique qui n’est
ni Gesamthand et qui ne dispose pas d’une personnalité juridique
est inconnu en droit allemand. On peut tirer la conclusion
suivante :
 sans Gesamthand, il n’y a pas de “patrimoine spécifique”
indépendant constituant la base d’une activité économique qui
n’aurait pas la personnalité juridique.
 Pour une Gesamthand en revanche, il faut plusieurs personnes.

3) Un acteur économique peut-il limiter sa responsabilité


sans fonder une société unipersonnelle  ?
a) L’activité économique en général

 15 SCHILLING, Juristenzeitung (JZ), 1953, pages 161 suiv. ;


ROTONDI, Zeitschrift für das gesamte Hande (...)

30On peut conclure de ce que l’on a dit plus haut en 2. que cela
est impossible en droit positif. Pourtant cette question a été
abordée récemment par le public. Le Land de Bavière a en effet
essayé d’introduire le commerçant individuel bénéficiant d’une
responsabilité limitée. Ce projet se rapproche du patrimoine
d’affectation connu en droit français (pour des détails V. IV 1. 1.
b). Cette idée n’est pas tout à fait neuve dans l’espace germano-
autrichien. Déjà le juriste d’affaires autrichien Pisko écrivait sur ce
sujet. Aussi la doctrine allemande ancienne a proposé des projets
ressemblants15. Mais cette conception a été refusée par la
majorité. La discussion autour de cette proposition a montré que
le droit allemand ainsi que la doctrine ont des difficultés à
accepter deux patrimoines chez une personne physique sans que
le patrimoine séparé soit affecté à une personnalité juridique
nouvelle.
31Actuellement en droit allemand, il y a un manque d’instruments
assurant clairement et précisément la séparation des deux
patrimoines. De l’autre côté, on perçoit la nécessité d’offrir aux
entrepreneurs la possibilité de limiter leur responsabilité sans
qu’ils aient besoin de se procurer un capital social minimum. La
solution du problème ne consiste pas dans l’introduction d’un
“commerçant individuel bénéficiant d’une responsabilité limitée”
ou d’une autre conception qui ressemble au patrimoine
d’affectation à la française.

b) Les professions libérales

32Pour les professions libérales (avocats, médecins, architectes


etc.) le Partnerschaftsgesetz prévoit la possibilité d’une
responsabilité limitée. Néanmoins la responsabilité ne peut être
limitée au patrimoine social. Si l’on s’en tient aux dispositions de
cette loi, en particulier aux prescriptions de publicité, il est assuré
que l’associé du partenariat n’est responsable que s’il a participé
personnellement au projet qui a causé le dommage. Pour profiter
de cette limitation de responsabilité, il faut avoir fondé un
partenariat. Il s’agit d’une forme spéciale de la société civile
(Gesellschaft Bürgerlichen Recht – GbR) et ainsi il faut au moins
deux associés.
33Les deux conceptions du patrimoine d’affectation
respectivement Zweckvermögen et de la société unipersonnelle
existent-elles l’une à côté de l’autre ?
34Si les deux conceptions existent parallèlement, quels sont les
critères de choix ?
35Dans le droit allemand des sociétés les conceptions opposées
ne sont pas le patrimoine d’affectation
respectivement Zweckvermögen et la société unipersonnelle. Les
deux conceptions qui s’opposent sont plutôt
le Gesamthandsvermögen et la personnalité juridique. Concernant
la société unipersonnelle, la doctrine partage le point de vue que
ce n’est que la conception de la personnalité juridique qui peut
faire preuve dans la pratique. La question 5 ne se pose donc pas
en droit allemand.

III – LA REGLEMENTATION DE


LA SOCIETE UNIPERSONNELLE
36La société unipersonnelle dispose-t-elle d’une réglementation
juridique propre (c’est-à-dire d’une réglementation tout à fait
différente de celle de la société avec plusieurs associés) ?
37Il n’y a pas de loi spécifique concernant la GmbH
unipersonnelle ou AG unipersonnelle. Il n’y a que des
réglementations ponctuelles.

A – La fondation
 16 Entwurf eines Gesetzes zur Modernisierung des GmbH-Rechts und zur
Bekämpfung von Missbräuchen.

38Pour le fondateur entrepreneur, la réglementation spécifique


suivante est d’une importance spécifique. Le capital social de
la GmbH est de 25.000 Euros. Pour l’immatriculation, il est
suffisant que la moitié du capital social soit payé. Dans
une GmbH unipersonnelle, il est nécessaire de payer 12.500
Euros. Pour les 12.500 Euros restant à payer, le fondateur doit se
procurer une caution bancaire. Cela est devenu un véritable
obstacle pour les entrepreneurs en phase de démarrage. Pour
cette raison le projet de la réforme pour une “modernisation du
droit concernant la GmbH” MoMiG16prévoit de baisser le capital
social minimum à 10.000 Euros et d’abolir aussi l’obligation
d’obtenir une caution bancaire en cas de fondation d’une société
unipersonnelle. Si le projet de loi MoMiG entre en vigueur
(probablement 2008), il deviendra possible d’immatriculer une
société unipersonnelle avec un montant de 5.000 Euros (V. aussi
IV. 2).

B – les conditions de forme et de publicité


39Cela concerne surtout les conditions de forme nécessaires et de
publicité renforcée. Puisque chaque “décision” de l’associé unique
peut être en même temps une résolution de la société, le GmbH-
G prévoit qu’il faut faire un protocole écrit de chaque décision qui
doit constituer une résolution de la société (§ 48 III GmbHG).
Dans l’AG une telle réglementation est superflue puisque chaque
résolution nécessite une rédaction notariale. Dès qu’une AG n’a
qu’un associé, il faut enregistrer ceci au RCS (§ 42 AktG).
Concernant la GmbH, cette réglementation est inexistante.

C – Les contrats avec soi-même


40Le deuxième problème concerne les contrats avec soi-même.
Le § 35 IV GmbHG dispose que le contrat avec soi-même est
interdit aussi aux gérants d’une GmbH unipersonnelle. Dans la
pratique, cette disposition reste largement inappliquée. Il est
reconnu par la doctrine que le gérant peut se libérer de cette
obligation par une stipulation contraire dans le contrat de société.
Dans la pratique, cette règle est souvent utilisée.

1) la fondation
41Le problème concernant la société en formation se pose moins
dans la pratique que dans la théorie. Il s’agit de la GmbH et
de l’AG unipersonnelle entre la signature des statuts et
l’enregistrement au RCS (l’accomplissement de la fondation). La
société n’obtiendra la personnalité juridique qu’avec
l’enregistrement. Mais avec la signature des statuts, la société
existe déjà. En droit allemand, une société qui n’a pas la
personnalité juridique ne peut être fondée qu’avec au moins deux
associés. Comment faut-il alors qualifier juridiquement
la GmbH en formation unipersonnelle ? La société en formation
n’a pas encore la personnalité juridique car cela nécessite
l’enregistrement de la société. Elle ne peut pas être non plus
une Gesamthandgesellschaft car il n’y a qu’un associé (v. I 1 a).
Une doctrine minoritaire définit cet état particulier comme un
“patrimoine spécifique” du fondateur. Ainsi pourrait exister une
sorte de patrimoine d’affectation pendant la période de fondation
de la société. Le BGH et la doctrine majoritaire ne la suivent pas.
Le BGH évite toute discussion doctrinale et a décidé qu’il
s’agissait d’une forme juridique sui generis, qui a une
personnalité juridique partielle et à laquelle sont appliquées en
partie les dispositions de la société civile ( Gesellschaft
bürgerlichen Recht – GbR) et en partie les dispositions concernant
la GmbHou l’AG.

2) La protection des créanciers et le Durchgriff


42Dans le droit allemand, l’obligation de respecter les intérêts
des co-associés et de la société (l’obligation à la fidélité sociale
– Treuepflicht) a une place importante. Elle interdit que les
associés imposent leurs intérêts personnels au détriment des
autres associés ou de la société. Lors d’une violation de cette
obligation, les autres associés ont droit à un recours. L’associé
qui viole cette obligation peut être condamné à payer des
dommages et intérêts à la société. Ces dommages et intérêts
procurent aussi des avantages aux créanciers dans une procédure
collective. La masse de la faillite est en effet enrichie du paiement
de ces dommages et intérêts. (Cela ressemble aux effets de
l’action en comblement du passif).
43Ce modèle est difficilement explicable pour les sociétés
unipersonnelles. Il n’y a pas de co-associés envers lesquels une
“obligation à la fidélité” (Treuepflicht) pourrait exister. Il reste les
intérêts de la société. Mais comment peut-on trouver une
distinction entre l’intérêt social et l’intérêt du seul associé ? La
doctrine par exemple de “l’entreprise de soi” prétend que l’intérêt
de la société n’est pas uniquement la somme des intérêts des
associés. Mais ces théories n’ont pas été retenues par le droit
allemand.
 17 Hansmann/Kraakman110, L. J. YALE 387 (2000-2001).

 18 Comp. aussi Asset paritioning.

44Le BGH a une approche plus pragmatique qui s’oriente vers la


protection des créanciers. Si un entrepreneur choisit une
personnalité juridique pour procéder à son activité économique et
s’il veut profiter de la responsabilité limitée, il doit accepter que
le patrimoine social serve d’abord à la protection des créanciers
et ensuite aux intérêts de la société et aux intérêts des associés
de recueillir les bénéfices de la société. (La doctrine en droit US-
américain décrit cette nécessité de respecter ces priorités
comme asset partitioning17). L’acceptation et le respect de
l’affectation du patrimoine social à l’intérêt des créanciers ainsi
que la séparation du patrimoine social et du patrimoine personnel
des associés sont des conditions pour bénéficier de la
responsabilité limitée18.
 19 Comp. KROLOP, www.humboldt-forum-recht.de 8/2007 et l’arrêt du
BGH du 16/07/2007 II ZR3/04.

45Si un associé retire une partie du patrimoine de la société dont


il a besoin pour rembourser ces obligations, l’associé ne respecte
pas le fait que le patrimoine social serve d’abord à la protection
des créanciers. Ainsi il est personnellement responsable envers
les créanciers. Cela est discuté sous la notion de la “destruction
de l’existence” ou “la mise en danger de l’existence”. Ce débat est
très actuel19.
46Les associés ne sont pas obligés de continuer l’exploitation de
la société à cause d’un quelconque intérêt de la société ou de
verser une nouvelle somme d’argent. L’associé est en revanche
obligé de s’aligner aux exigences légales. L’existence d’une
société unipersonnelle n’est pas une raison pour nier la
distinction entre l’associé et la personne morale (en en
anglais Piercing of the corporate veil ; allemand Durchgrif) ou une
cause de responsabilité spécifique des associés. En revanche, il
est plus courant dans une société unipersonnelle que l’associé
retire le patrimoine de telle manière que l’existence de la société
est menacée ou qu’il mélange son patrimoine personnel avec
celui de la société. Selon la tendance actuelle, les tribunaux sont
plus sévères quand ils apprécient la responsabilité du gérant dans
une société unipersonnelle.

IV – LES DEFIANCES D’UN POINT


VUE POLITIQUE ET JURIDIQUE
ET LES NECESSITES D’AGIR
47Comme il a été précisé auparavant, il est vu comme une
nécessité en Allemagne de permettre aux créateurs d’entreprises
de limiter leur responsabilité sans qu’il soit nécessaire de se
procurer le capital social minimum de 25.000 Euros nécessaire
pour fonder une SARL.

A – La création d’une entreprise à


responsabilité limitée à côté de la SARL
48Certains auteurs proposent une forme de création d’entreprise
à côté de la société de capitaux unipersonnelle. Le but commun
des diverses propositions de création d’une nouvelle forme de
société est la facilitation de l’accès à la responsabilité limitée pour
les créateurs d’entreprise sans modifier la GmbH.
49La société de personnes à responsabilité ( PmbH) et la société
de commandite à responsabilité limitée (KGmbH)
50Selon cette proposition, chaque société de personnes (la
société civile – Gesellschaft bürgerlichen Recht – GbR incluse)
devait avoir la possibilité de déclarer que la responsabilité est
limitée au patrimoine de la société. La protection des créanciers
doit être assurée par des obligations de publicité très larges.
Dans la même direction va la proposition d’accepter une société
de commandite sans commandité qui engage personnellement sa
responsabilité. Ces propositions ont toutes un défaut. Le point de
départ de la discussion est de permettre aux créateurs
d’entreprise de limiter leur responsabilité sans qu’ils aient des
frais de départ importants. Mais la création d’entreprise est
souvent faite par une seule personne. Une société de personne
unipersonnelle est étrangère au droit allemand et elle n’est pas
possible (v. I. 1. a) ; II. 1. b ; 2.). Ainsi la plupart des créateurs
d’entreprise ne pourraient pas l’utiliser.

1) Commerçant à responsabilité limitée


(Bavière)
51Le Land de Bavière a fait sa proposition pour un “commerçant à
responsabilité limitée” (Kaufmann mit beschränkter Haftung ) à
partir de ce constat. Le concept prévoyait la constitution d’une
sorte de “patrimoine d’entreprise spécifique”. La transparence de
la séparation des patrimoines devait être assurée par une liste de
l’inventaire du patrimoine et une publicité importante dans le
RCS. Cette proposition est ainsi proche du concept de patrimoine
d’affectation. Ce modèle n’a pas eu beaucoup de succès. En
Allemagne, il y a beaucoup de scepticisme concernant le succès
d’une séparation des patrimoines personnels et spéciaux. Ici, ce
ne sont pas uniquement les aspects pragmatiques mais aussi les
aspects dogmatiques déjà mentionnés (voir I. 1. a) ; II. 1. b ; 2.)
qui jouent un grand rôle. Pour cela les réformes de
la GmbH unipersonnelle sont préférables.

2) Une création plus facile de


la GmbH unipersonnelle dans le MoMiG
a) L’abaissement du capital social minimal (première
étape)
 20 Entwurf eines Gesetzes zur Modernisierung des GmbH-Rechts und zur
Bekämpfung von Missbräuchen.

52Le projet de loi de mai 2007 pour la modernisation du droit


concernant la GmbH et pour la lutte contre les abus
(MoMiG)20 prévoit l’abaissement du capital social minimum à
10.000 Euros. En plus la caution bancaire ne sera plus nécessaire
pour fonder la GmbH unipersonnelle. Ainsi il va être possible
d’immatriculer une GmbH unipersonnelle avec 5.000 Euros.

b) Une société d’entrepreneur à responsabilité limitée


(deuxième étape)
53Lors de la procédure d’adoption de la loi la réforme a été
élargie à une autre institution de laquelle on entend faciliter les
créations d’entreprises. Le § 5a GmbH-G permet la fondation et
l’immatriculation de la GmbH sans capital social minimum, si
dans le RCS est mentionné le nom de la société et si sur les
courriers est marqué l’ajout “société d’entrepreneur à
responsabilité limitée” (Unternehmergesellschaft
haftungsbeschränkt). A côté de la transparence, la protection des
créanciers doit être assurée par l’obligation des associés de
mettre en réserve 25 % des bénéfices. Cette réserve ne peut être
utilisée que dans un but : la transformer en capital social.
3) L’avenir
54La réforme est en cours d’adoption.
55Le sort de la loi est incertain. Surtout les arguments pour et
contre la société d’entrepreneur (Unternehmergesellschaft
haftungsbeschränktmentionnés au IV.2.b sont discutés de
manière controversée. Indépendamment de la réalisation de la
première ou aussi de la deuxième étape, on peut constater : une
société de personne avec un associé unique ou la fondation d’un
patrimoine spécifique avec le but de l’activité économique qui
n’est ni Gesamthandsvermögen, ni personne juridique ne va pas
être mise en place dans un futur proche en Allemagne.
BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie sélective
▪ Flume, Werner Bürgerliches Recht Allgemeiner Teil.

▪ Erster Band/erster Teil Personengesellschaften, 1977.

▪ Flume Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts.

▪ Erster Band/erster Teil Die Personengesellschaft, 1977.


▪ Erster Band/zweiter Teil Die juristische Person, 1983.

▪ Hansmann/Kraakman Asset Partitioning 110 Yale L. J., 387 (2000-


2001).

▪ Hueck/Windbichler Gesellschaftsrecht, 20. édition, 2003.


(La nouvelle 21. édition qui obtient aussi le droit nouveau du GmbH
que prévoit le MoMiG va apparaître en novembre 2007.

▪ Rittner Die werdende juristische Person, 1973.

▪ K. Schmidt Gesellschaftsrecht, 4. édition, 2002.

▪ Hueck/Windbichler Gesellschaftsrecht, 20. édition, 2003.


(nouvelle édition qui va obtenir le MoMiG va apparaître en Novembre,
München 2007.
▪ K. Schmidt Gesellschaftsrecht, 4. édition, Köln, 2003.

▪ Rittner Die werdende juristische Person, Tübingen, 1973.

▪ Wiedemann Personengesellschaften, 2004.

NOTES
3 Loi du 20/04/1982 concernant les GmbH dans l’édition de la
publication au Reichsgesetzblatt du 20/04/1892, p. 846. pour toutes
les lois citées (sauf ALR) voir http://www.gesetze-im-internet.de.

4 Loi du 06/09/1996, Aktiengesetz, édition de la


publication Bundesgetzblatt I 1965, p. 1089.

5 Code commun prusse, initié par Frédéric II de Prusse ; auteur :


SUAREZ.

6 Bürgerliches Gesetzbuch (Code Civile allemand), loi du 18/08/1996


dans l’édition de la publication Bundesgetzblatt du 02/01/2002 I
2002, p. 738.

7 Hueck/Windbichler, Gesellschaftsrecht, 20. édition München 2003, §


13 Rn. 1.

8 Comp. par exemple Wiedemann (Personengesellschaftsrecht, 2004)


und Ulmer(Zeitschrift für das gesamte Handels – und
Gesellschaftsrecht – ZHR 167 (2003), 103.

9 Comp. K. SCHMIDT, Gesellschaftsrecht § 40 II 1, b), p. 1246.

10 Hans BERG, Neue Juristische Wochenschrift (NJW) 1974, 935.

11 GREIFELDS, dictionnaire juridique.

12 Handelsgesetzbuch (Code de Commerce allemand), loi du


10/05/1897 dans l’édition de la publication Reichsgesetzblatt 1897,
p. 219, version actuelle http://www.gesetze-im-internet.de.

13 Hueck/Windbichler Gesellschaftsrecht, § 3 Rn. 9.


14 Comp. Flume, Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts, Erster
Band/Erster Teil Personengesellschaften, 1977, pages 4 suiv.

15 SCHILLING, Juristenzeitung (JZ), 1953, pages 161 suiv. ;


ROTONDI, Zeitschrift für das gesamte Handels-und
Gesellschaftsrecht (ZHR) 131 (1968), pages 330 suiv.

16 Entwurf eines Gesetzes zur Modernisierung des GmbH-Rechts und


zur Bekämpfung von Missbräuchen.

17 Hansmann/Kraakman 110, L. J. YALE 387 (2000-2001).

18 Comp. aussi Asset paritioning.

19 Comp. KROLOP, www.humboldt-forum-recht.de 8/2007 et l’arrêt


du BGH du 16/07/2007 II ZR 3/04.

20 Entwurf eines Gesetzes zur Modernisierung des GmbH-Rechts und


zur Bekämpfung von Missbräuchen.

AUTEURS
Kaspar Krolop
Wiss. Assistent, Juristische Fakultät, Institut für deutsches und europäisches Unternehmens,
Wirtschafts-und Arbeitsrecht, Lehrstuhl für Handels, Wirtschafts-und Arbeitsrecht Prof. Dr.
Christine Winbichler
Marion Bittlinger
Doctorante, Humboldt-Universität zu Berlin

Le patrimoine professionnel
Arnaud  De  Bissy, Constant Djama, Karim  Amari et Grégoire Loustalet

p. 279-305

INTRODUCTION
 1 Loi no 2007-211 du 19 février 2007, JO, 21/02/2007, p. 3052.

 2 Loi no 2008-776 du 4 août 2008, JO, 05/08/2008, p. 12.471.

 3 M. LEROY, “Le passif fiduciaire”, Droit & Patrimoine, no 171, juin 2008,
p. 585.
1La simple évocation du patrimoine “professionnel” choquera
nombre de juristes dans la mesure où on reconnaît implicitement
qu’un même individu pourrait avoir deux patrimoines, l’un privé
et l’autre professionnel, ceci en violation du principe d’unicité du
patrimoine en droit français. Or, selon ce principe, le patrimoine a
vocation à recevoir l’ensemble des biens présents et à venir d’une
personne, ce qui a notamment pour corollaire la responsabilité
illimitée aux dettes tant professionnelles que privées (selon
l’article 2284 du code civil en effet, “Quiconque s’est obligé
personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous
ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir”). La
récente consécration par le droit français de la fiducie 1 ne porte
pas vraiment exception au principe de l’unicité du patrimoine, en
dépit de son extension aux personnes physiques 2, puisque le
constituant ne peut pas être le fiduciaire et qu’il répond des
dettes du patrimoine fiduciaire3.
2Pourtant, et c’est pour cela que nous en traitons dans le cadre
d’une publication consacrée au bicentenaire du code de
commerce, c’est le code de commerce lui-même qui, en son
article L. 123-12 alinéa 1  dispose que “Toute personne physique
er

ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à


l’enregistrement comptable des mouvements affectant le
patrimoine de son entreprise”. Même si l’emploi du terme de
“patrimoine” est plus une commodité de langage qu’une
qualification juridique indiscutable, puisqu’il n’a pas pour effet de
créer un véritable patrimoine d’affectation, il permet néanmoins
d’identifier l’entreprise et d’en marquer les contours. Ainsi, les
comptables (et les fiscalistes) ne voient rien de subversif à l’idée
selon laquelle il existerait un patrimoine professionnel à coté du
patrimoine privé ; pour eux, le patrimoine professionnel ne
correspond pas à autre chose qu’à un ensemble de droits et de
dettes qui se rattachent à une activité professionnelle.
 4 On se reportera à l’exposé des motifs de la loi (séance du 1 er septembre
1807, Livre I, titres I à (...)

3Historiquement pourtant, on observera que l’opposition entre le


patrimoine professionnel et privé du commerçant n’était pas
aussi nette. Ainsi, l’ancien article 8 du code de commerce
prévoyait que le commerçant devait enregistrer mois par mois les
dépenses de sa “maison”, y compris lorsqu’elles sont étrangères à
son négoce. D’une certaine façon, le code de commerce de 1807
était plus respectueux du principe d’unicité patrimoniale !4 Ce
n’est que par l’effet de la loi comptable du 30 avril 1983 qui a
modifié les articles 8 à 11 du code de commerce que le
“patrimoine de l’entreprise” a fait son entrée dans le code de
commerce.
4Quoi qu’il en soit aujourd’hui, le patrimoine professionnel est à
la fois une réalité et une nécessité. Une réalité parce qu’il
regroupe l’ensemble des biens et des dettes de nature
professionnelle, et une nécessité car il est un élément
d’information financière essentiel pour les tiers. Dans une
première partie, nous apprendrons à mieux le connaître, au
besoin en nous aidant d’éléments de droit comparé issus des
principaux systèmes juridiques (I).
5Si cette publication avait été faite il y a quelques années, nous
nous serions probablement arrêtés là. A présent, cela ne peut être
le cas. Pourquoi ? Parce que le droit comptable à son tour est pris
d’une frénésie de réformes qui bouleversent les habitudes des
comptables. Nous insistions à l’instant sur l’objet de la
comptabilité qui sert à l’information des tiers ; précisément, les
destinataires de l’information financière ont changé et d’une
comptabilité pour les créanciers, on est passé à une comptabilité
pour les investisseurs. Ceci explique que le bilan ne sert plus à
établir la consistance du patrimoine de l’entreprise mais à évaluer
sa performance économique. Dès lors, le visage des comptes
sociaux en est profondément modifié ; d’un patrimoine juridique
nous serions passé à un patrimoine économique (II).

I – RECONNAISSANCE DU
PATRIMOINE PROFESSIONNEL
PAR OPPOSITION AU
PATRIMOINE PRIVE ?
6La connaissance du patrimoine professionnel suppose que
soient tracées ses frontières. Comment faire la différence entre le
patrimoine professionnel et le patrimoine privé ? Les comptables,
rejoints par les fiscalistes, nous apprennent que c’est
l’entrepreneur individuel qui détermine librement les contours de
son patrimoine professionnel en prenant une décision
d’affectation (A). Par suite, ils vont au bout de leur logique et
considèrent qu’il peut y avoir des relations entre les deux
patrimoines ainsi identifiés, ce que les civilistes pourraient
appeler des “contrats avec soi-même”, entraînant des effets sur le
résultat de l’entité (B).

A – Les contours du patrimoine


professionnel : la liberté d’affectation
7La détermination du patrimoine professionnel passe par la
nécessaire opération d’affectation. L’affectation peut se définir
comme le fait de déterminer et d’utiliser un bien à une finalité
particulière. Le patrimoine professionnel réunit donc l’ensemble
des biens servant à l’activité professionnelle. Déjà une ambiguïté
apparaît, le patrimoine professionnel constitue un patrimoine
d’affectation et ce, alors même que cette notion est contraire à
notre conception subjective du patrimoine. Le droit français ne
reconnaît pas la notion de patrimoine professionnel, cependant il
ne l’ignore pas non plus. On enseigne traditionnellement que le
patrimoine professionnel est une universalité de fait. Certains
auteurs estiment que cette universalité de fait, qui n’est pas
admise par le droit, ne se réfère à aucune catégorie de droit et,
partant, ne commande aucun régime juridique spécifique. Il est
vrai que le patrimoine professionnel ne dispose pas d’un régime
juridique propre. Cependant, le législateur instaure
progressivement des régimes particuliers pour les différents
éléments qui composent le patrimoine des personnes privées.
8La détermination du contenu du patrimoine professionnel
permet tout d’abord de déterminer l’assiette des différents
impôts. Au-delà de l’utilité fiscale, elle est nécessaire pour
l’application de la loi Madelin du 11 février 1994, de l’article
1387-1 du code civil ou encore pour déterminer les situations de
surendettement.
9Afin de mieux comprendre comment définir le contenu du
patrimoine professionnel il était nécessaire d’étudier les
différents critères d’affectation retenus par le droit français (1) et
par les droits étrangers (2).

1) La détermination du contenu du patrimoine


professionnel en droit français
10Le contenu du patrimoine professionnel se définit par le biais
de la notion d’affectation. D’une manière générale l’affectation
peut réalisée de deux manières, soit par inscription au bilan de
l’entreprise soit par rattachement matériel à l’activité de cette
dernière. Le Droit français utilise suivant les cas ces deux formes
d’affectation. Nous verrons dans un premier temps l’affectation
comptable (a) puis dans un second l’affectation matérielle (b).
a) L’affectation comptable
11Ce critère de l’affectation comptable trouve sa source dans le
plan comptable général (PCG) soutenu par le code général des
impôts (CGI). En effet le droit comptable et le droit fiscal utilisent
le bilan qui est le document comptable qui récapitule l’ensemble
des actifs et des passifs de l’entreprise, en d’autres termes son
patrimoine. Ce système de l’affectation comptable pose un
principe de liberté d’affectation (i), affecté de tempéraments en ce
qui concerne la nature de certains biens et la nature de l’activité
(ii).

i. Le principe de liberté d’affectation comptable

12Le PCG établit les règles d’inscription d’un bien au bilan de


l’entreprise. L’article 211-1-1 du PCG définit un actif comme “un
élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique
positive pour l’entité, c’est-à-dire un élément générant une
ressource que l’entité contrôle du fait d’événements passés et
dont elle attend des avantages économiques futurs”.
13Les conditions d’inscription d’un actif sont données par l’article
311-1 du PCG cet article dispose : “Une immobilisation
corporelle, incorporelle ou un stock est comptabilisé à l’actif
lorsque les conditions suivantes sont simultanément réunies : il
est probable que l’entité bénéficiera des avantages économiques
futurs correspondant […] et son coût ou sa valeur peut être
évalué avec une fiabilité suffisante […]”.
14Pour pouvoir inscrire un bien à l’actif, il faut donc qu’il
remplisse trois conditions :
 Le bien doit potentiellement apporter un avantage économique
futur ;
 Le bien doit être identifiable ;
 Le bien doit être évalué avec une fiabilité suffisante.
15Ces critères portent essentiellement sur la nature des éléments
inscrits au bilan de l’entreprise. Seul le premier critère est sous-
tendu par l’idée d’affectation. En effet la notion d’avantage
économique futur rejoint, en partie, la notion d’activité
professionnelle dans la mesure où l’activité professionnelle a
pour objectif de réaliser un bénéfice c’est-à-dire de bénéficier
d’avantages économiques futurs.
16Cependant ces deux notions ne se recoupent pas intégralement
dans la mesure où l’avantage économique futur est “le potentiel
qu’a cet actif de contribuer directement ou indirectement, à des
flux nets de trésorerie au bénéfice de l’entreprise” ce qui
constitue une définition financière qui ne prend pas en
considération l’activité de l’entreprise.
17Ainsi, un bien même totalement inutile à l’activité de
l’entreprise pourra être inscrit au bilan de l’entreprise dès lors
que potentiellement il pourra apporter un avantage économique
futur.
18Le flou de ces définitions permet à l’entrepreneur individuel
d’inscrire librement les biens qu’il désire à son bilan. De ce fait,
l’inscription au bilan constitue une simple formalité marquant
l’entrée dans le patrimoine professionnel d’un bien.
19Le droit fiscal, tout du moins en ce qui concerne l’imposition
des bénéfices, utilise également ce principe de liberté
d’affectation. On explique traditionnellement que ce principe
découle de l’article 38 2° du CGI qui détermine le bénéfice
imposable comme la différence entre l’actif net de deux bilans
successifs. De plus, vu qu’aucun texte fiscal ne pose de
conditions à l’inscription au bilan, le Conseil d’État en a conclu
que l’entrepreneur était libre d’inscrire les biens qu’ils voulaient
au bilan de l’entreprise.
20Toutefois cette liberté d’affectation connaît deux
tempéraments l’une tenant à la nature des biens et l’autre à la
nature de l’activité exercée.

ii. Les tempéraments

21En matière d’imposition des bénéfices de l’entrepreneur


individuel, le code général des impôts pose deux limites quant à
la nature de certains biens et de l’activité exercée. La première
prend la forme d’une présomption d’affectation comptable et la
seconde la forme d’une disposition légale exigeant le caractère
nécessaire du bien à l’activité.
22Présomption d’affectation comptable – Ce tempérament
marque le lien indéfectible qu’il peut exister entre ces biens et
l’activité professionnelle. En d’autres termes les biens présumés
inscrits au bilan ne peuvent être détenus que dans le cadre d’une
activité professionnelle et, par conséquent, ne peuvent appartenir
qu’au patrimoine professionnel.
 5 Notamment CE 10/06/1970, no 75161 ; CE 17/10/1990,
no 56991, RJ12/90, no 1434.

 6 D. Adm., 4 B-122, no 5 et 6.

 7 Notamment CE 25/11/1985, no 49979, RJF2/86, no 155.

23Ces biens sont notamment la clientèle, le droit au bail 5, les


stocks, les brevets réalisés dans le cadre de l’activité ou lorsque
leur exploitation est l’objet même de l’entreprise 6, et les dettes
liées à l’exploitation7.
24La clientèle constitue l’essence même de l’activité
commerciale ; dans la mesure où il ne peut pas y avoir d’activité
sans clientèle, il paraît donc impensable que celle-ci ne soit pas
inscrite au bilan de l’entreprise.
25Le régime des baux commerciaux, qui met en place le droit au
bail, s’applique obligatoirement à la location d’immeuble en vue
de l’exploitation d’un fonds de commerce ou artisanal. De plus,
ce régime ne peut en aucun cas s’appliquer à la location d’un
immeuble à usage d’habitation. De ce fait, le droit au bail ne peut
être détenu par une personne qu’au titre de son activité, il ne
peut donc qu’être inclus dans le patrimoine professionnel.
26La présomption d’affectation comptable des brevets réalisés
dans le cadre de l’entreprise se justifie par le fait qu’ils ont été
conçus à l’aide des éléments du patrimoine professionnel, ainsi
l’appauvrissement observé lors de la conception du brevet
entraînera son entrée par subrogation réelle dans le patrimoine
professionnel.
27Cette présomption d’affectation comptable est donc sous-
tendue par le lien matériel qui existe entre le bien et l’activité
professionnelle. L’aspect purement formel de l’inscription
comptable cède face au lien matériel particulièrement marqué
existant entre certains biens et l’activité de l’entreprise.
28Le caractère utile à l’activité – Ce tempérament ne concerne
que les entrepreneurs individuels imposés dans la catégorie des
bénéfices non commerciaux de l’impôt sur le revenu. En effet,
le Code général des impôtsn’autorise l’inscription au registre des
immobilisations que des biens nécessaires à l’activité de
l’entreprise ; l’article 93, 1 du CGI dispose que les bénéfices non
commerciaux sont constitués “de l’excédent des recettes
commerciales sur les dépenses nécessitées par l’exercice de la
profession”, corrigé des “gains ou pertes provenant […] de la
réalisation des éléments d’actifs affectés à l’exercice de la
profession”.
 8 CE 30/04/2004, no247436, RJF, 7/04, no 714 ; Concl. P. COLLIN, BDCF,
7/04, no 89.
 9 CE 10/02/2006, no 265117 et no 265122, RJF, 5/06, no528 ;
Concl. (partiellement contraires) P. COL (...)

29La jurisprudence avait une lecture restrictive de cet article,


considérant qu’il ne fallait comptabiliser que les biens nécessaires
à l’activité. Cependant la jurisprudence s’est assouplie sur ce
point, en passant du critère de la nécessité à celui de l’utilité. En
effet, dans l’arrêt Paulin du 30 avril 2004 8, le Conseil d’État a
écarté le critère de nécessité et l’a remplacé par le principe selon
lequel un élément d’actif peut être affecté au patrimoine
professionnel lorsque sa détention est utile à l’exercice d’une
profession non commerciale. Dans cet arrêt, le Conseil d’État
pose comme principe “qu’il appartient au contribuable qui
souhaite inclure dans la base de ses revenus imposables, dans la
catégorie des bénéfices non commerciaux, les gains et pertes
afférents à la détention d’un élément d’actif non affecté par
nature à l’exercice de son activité non commerciale, de justifier
d’une part que cet actif est inscrit au registre de ses
immobilisations professionnelles dans les conditions prévues à
l’article 99 du CGI, d’autre part que cette détention est utile à
l’exercice de cette activité”. Le Conseil d’État a, par la suite,
confirmé ce revirement dans deux arrêts du 10 février 20069.
30En définitive, le critère formel de l’affectation comptable est
tempéré, de manière plus ou moins importante, en matière
d’imposition des bénéfices par un critère matériel liant les biens à
l’activité professionnelle.

b) L’affectation matérielle
31Le critère de l’affectation matérielle est caractérisé par le fait
qu’il existe un lien plus ou moins fort entre un bien et l’activité
professionnelle. Ainsi cette affectation matérielle est, selon les
cas, caractérisée par la nécessité (i), l’utilité (ii) ou encore la cause
(iii).
i. L’affectation matérielle caractérisée par la nécessité

32L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) définit le patrimoine


professionnel non dans le but de l’imposer mais dans le but de
l’exclure de la base imposable. Ainsi les biens professionnels sont
définis aux articles 885-N à 885-R du CGI. Deux catégories de
biens professionnels apparaissent en matière d’ISF ; la répartition
se faisant en fonction du mode d’exercice de l’activité : entreprise
individuelle ou société. Nous ne nous intéresserons ici qu’à la
catégorie des biens professionnels de l’entreprise individuelle.
33L’article 885-N définit les biens professionnels comme “les
biens nécessaires à l’exercice, à titre principal, tant par leur
propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d’une profession
industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale”.
34En d’autres termes les biens professionnels sont ceux sans
lesquels l’exercice de la profession ne serait pas possible.
Toutefois, l’inscription au bilan de l’entreprise individuelle
présume le caractère nécessaire du bien à l’activité. Il ne s’agit
cependant que d’une présomption simple. Ainsi un bien inscrit au
bilan mais non nécessaire à l’activité sera considéré comme non
professionnel. Le recours au caractère nécessaire permet ici
d’éviter une fraude simple consistant à inscrire au bilan de son
entreprise l’ensemble de son patrimoine en vue de réduire
l’assiette de l’ISF. Le caractère nécessaire permet à
l’administration, en présence d’un risque de fraude important,
d’effectuer un contrôle renforcé du contenu du patrimoine
professionnel.

ii. L’affectation matérielle caractérisée par l’utilité

35Contrairement au critère précédent, l’utilité présente une


acception plus large. On retrouve le critère de l’utilité en matière
de taxe professionnelle et de TVA.
36La taxe professionnelle est un impôt sur le capital de
l’entreprise, c’est-à-dire sur son patrimoine. La réglementation
relative à la taxe professionnelle va donc s’attacher à définir les
biens constituant la base imposable.
37Les biens soumis à la taxe professionnelle sont les
immobilisations corporelles dont l’entrepreneur a disposé pour
les besoins de sa profession pendant la période de référence.
38Pour qu’un bien soit soumis à la taxe professionnelle il suffit
que l’entreprise l’ait utilisé. Il suffit que le bien soit utile à
l’activité pour qu’il rentre dans le patrimoine professionnel, du
moins au regard de la taxe professionnelle.
39Toutefois il faut noter que le patrimoine professionnel repose
ici sur une conception plus économique que juridique puisque le
lien entre le bien et l’entrepreneur n’est pas la propriété mais la
disposition. Ainsi, une personne dispose des biens qu’elle
possède, qu’elle loue ou encore qu’on met à sa disposition
gratuitement. L’idée qui est sous-tendue ici est celle selon
laquelle la mise à disposition a permis de tirer des avantages
économiques, sachant de surcroît que dans le cas de contrats de
sous-traitance les biens mis à disposition par le donneur d’ordre
au sous-traitant ne sont pas imposé chez le sous-traitant dans la
mesure où le donneur d’ordre en tire les principaux avantages
économiques.
40La réglementation de la taxe professionnelle ne donne qu’un
éclairage sur le critère d’affectation matériel en le définissant
comme étant le caractère utile aux besoins de l’entreprise. En
effet, dans ce cas les biens en constituent l’assiette directe. Or
l’assiette est régulièrement remaniée pour faire face à des
considérations de politiques fiscales. En revanche la TVA est
moins enclin aux influences de la politique fiscale.
41La principale condition de fond de déductibilité de la TVA est
l’affectation à l’exploitation. Il faut que le bien grevé de la TVA
soit affecté à l’exploitation et lui soit utile. L’affectation s’entend
ici d’un simple lien matériel avec l’entreprise. Le caractère utile
implique que le bien soit effectivement utilisé pour les besoins de
l’entreprise ; il doit être utile à cette dernière. Dans le cas
contraire, la TVA n’est plus déductible puisque dans ce cas
l’entrepreneur individuel devient le consommateur final. De
même un bien qui ne sera que partiellement utile à l’entreprise ne
donnera lieu qu’à une déduction partielle. Dans ce cas, le recours
à l’utilité permet une plus grande souplesse dans la soumission
des opérations à la TVA. En effet, le recours à l’utilité permet au
redevable d’apprécier les opérations qu’il peut faire sans risquer
de voir l’administration les remettre trop facilement en cause. En
présence d’un risque de fraude moins important, le critère de
l’utilité permet à l’administration d’effectuer un contrôle restreint
des opérations effectuées par les redevables.

iii. L’affectation matérielle caractérisée par la cause

42Ici l’affectation matérielle est caractérisée de manière plus


juridique et moins comptable. Trois dispositifs mettent bien en
exergue cette utilisation de la cause pour caractériser l’affectation
matérielle. On trouve, d’une part, la loi Madelin du 11 février
1994, d’autre part l’article 1387-1 du Code civil et, de troisième
part, le surendettement.
43L’article 22-1 de la loi
Madelin permet à l’entrepreneur
individuel de demander au créancier de saisir en priorité les
“biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise” à condition que
la créance contractuelle ait “sa cause dans l’activité
professionnelle”. L’utilisation de la cause du contrat permet de
lier la dette au patrimoine professionnel créant ainsi un semblant
de patrimoine d’affectation. Ce semblant de patrimoine
d’affectation reste soumis au principe de l’unité du patrimoine. En
effet, dans le cas où l’actif professionnel ne permettrait pas le
recouvrement de la créance professionnelle, le créancier pourra
refuser la proposition de l’entrepreneur individuel et saisir un
bien de son patrimoine privé.
44L’article 1387-1 du Code civil prévoit que “lorsque le divorce
est prononcé, si des dettes ou sûretés ont été consenties par les
époux, solidairement ou séparément, dans le cadre de la gestion
de l’entreprise, le tribunal de grande instance peut décider d’en
faire supporter la charge exclusive au conjoint qui conserve le
patrimoine professionnel ou, à défaut, la qualification
professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise”.
45Cet article ne fait pas expressément référence à la cause,
pourtant c’est bien elle qui sous-tend cette mesure. En effet, il
paraissait légitime au législateur de ne pas faire supporter au
conjoint de l’entrepreneur le passif de l’entreprise après le
divorce, ce dernier ne pouvant plus bénéficier de la réussite de
l’entreprise de son ex-conjoint.
46En principe la cause n’intervient que lors de la formation du
contrat, elle ne joue aucun rôle par la suite ; sauf dispositions
contraires, ce qui est le cas ici. En effet, il est possible de
considérer que l’engagement pris par le conjoint de
l’entrepreneur perd sa cause lorsque le divorce est prononcé
puisque le lien matrimonial qui justifiait cet engagement a
disparu.
47Ainsi par référence à la cause, le législateur affecte une dette
ou une sûreté à l’entreprise ; la cause de cette dette ou de cette
sûreté résidant évidemment dans la réussite de l’entreprise. Le
recours à la cause permet de bien caractériser le lien matériel
entre la dette ou la sûreté et l’activité.
 10 Cass. Civ. 2e, 08/04/2004, Bull. Civ. II, no190 ; D., 2004 p. 1383, obs.
RONDEY ; RDC, 2004, p. 95 (...)

48En matière de surendettement aussi il est possible de


rapprocher les critères de qualification de dettes professionnels
définis par la jurisprudence de la cause. La jurisprudence
considère, en effet, que “les dettes professionnelles sont celles
nées pour les besoins ou au titre d’une activité professionnelle” 10.
Ici non plus, il n’est pas fait expressément référence à la cause
49Cette appréciation du caractère professionnel de la dette doit
être faite au regard de la profession du débiteur et non en
considération de la nature de la dette ; elle doit être subjective.
De plus la jurisprudence est particulièrement rigoureuse dans
l’appréciation du lien qui doit exister entre l’activité
professionnelle du débiteur et la dette. Le juge doit donc
rechercher si la profession du débiteur est à l’origine de la dette.
50La référence à la cause est intéressante mais encore faut-il
préciser la relation qu’elle entretient avec l’affectation à défaut de
quoi, elle s’avèrerait bien inutile dans la détermination du
contenu du patrimoine professionnel.
51Cause efficiente ou cause finale  ? – Le recours à la cause pour
déterminer l’affectation d’un bien est intéressant dans la mesure
où les deux notions renvoient à la notion de finalité. Il faut
toutefois constater que dans ces différents cas, la référence à la
cause semble plus renvoyer à la cause efficiente qu’à la cause
finale. Or, la cause efficiente ne présente aucun lien avec
l’affectation, seule la cause finale en présente un. Cependant, la
cause dans ces différents cas renvoie à l’activité de l’entreprise.
Or l’activité de l’entreprise constitue à la fois une cause efficiente
et finale. Une cause efficiente, d’une part, dans la mesure où
l’entrepreneur individuel réalise des opérations car il a une
activité et une cause finale, d’autre part, dans la mesure où ce
dernier réalise des opérations pour garantir la pérennité de son
activité. En ce sens, l’activité professionnelle constitue un cadre
dans lequel l’entrepreneur individuel réalise des opérations
juridiques.
 11 Ph. SIMLER, J. Class. Civil, Code, art. 1131 à 1133 du Code civil, Fasc.
10, “Contrats et obligatio (...)

 12 Ph. SIMLER, ibid.

52Cause de l’obligation ou cause du contrat  ? – La cause de


l’obligation est une notion abstraite et objective, en d’autres
termes la cause d’une vente sera toujours la même c’est-à-dire
l’acquisition d’un bien et ce qu’elle soit réalisée à titre privé ou
professionnel. La notion de cause à laquelle renvoient ces
dispositions n’est donc pas la cause de l’obligation. La cause du
contrat, au contraire, est plus lointaine, concrète, subjective et
morale11. Compte tenu de la définition de la cause du contrat, il
est possible de donner cette qualification à l’activité de
l’entreprise. En effet, l’activité de l’entreprise est, en premier lieu,
plus lointaine dans la mesure où, comme nous l’avons vu, elle
constitue le cadre dans lequel l’entrepreneur individuel réalise
des opérations. L’activité de l’entreprise constitue, en deuxième
lieu, un élément concret dans la mesure où elle se matérialise par
la réalisation de différentes opérations. Elle est aussi, en
troisième lieu, un élément subjectif puisqu’elle est exercée par
l’entrepreneur individuel en fonction des besoins propres de
l’activité ou tout du moins ce que ce dernier estime être ses
besoins. Elle constitue en dernier lieu un élément moral dans la
mesure où “elle procède d’une analyse qualitative”12.
53Il ne s’agit cependant pas ici de dire que les deux notions se
confondent, bien au contraire, il faut bien voir que la cause
permet de déterminer l’affectation. Ainsi, la cause du contrat par
lequel l’entrepreneur individuel a acquis un bien permettra de
déterminer à quel patrimoine il devra l’affecter, à son patrimoine
privé ou à son patrimoine professionnel. La cause du contrat va
donc donner l’affectation aux différents éléments de celui-ci. En
d’autres termes, l’affectation constitue, dans certains cas, une
résultante de la cause du contrat.
54Il faut préciser que le recours à la cause du contrat pour
déterminer l’affectation au patrimoine professionnel ne
fonctionne pas dans tous les cas. En effet, il est possible qu’un
bien ait été acquis au départ pour une raison autre que l’activité
de l’entreprise et que par la suite son propriétaire décide de
l’utiliser pour son activité. La cause, ne se matérialisant qu’au
moment de la conclusion du contrat, ne peut pas constituer une
condition d’affectation. Chacune de ces notions reste
indépendante l’une de l’autre. La cause permet de déterminer
l’affectation donnée à un élément particulier au moment de son
entrée dans le patrimoine de l’entrepreneur individuel ; elle ne
peut jouer aucun rôle en cas de simple changement d’affectation.
55Après avoir vu la grande diversité des méthodes retenues en
droit français pour déterminer le contenu du patrimoine
professionnel, voyons maintenant ce qu’il en est dans les
systèmes juridiques étrangers.

2) La détermination du contenu du patrimoine


professionnel dans les systèmes juridiques
étrangers
56L’étude des droits étrangers sera extrêmement concise.
L’objectif ici n’est pas de présenter de manière exhaustive
l’intégralité des régimes de détermination du patrimoine
professionnel mais plutôt de montrer l’extrême variété des
méthodes mises en place à cette fin. D’une manière générale, les
différents droits nationaux présentent des degrés extrêmement
divers dans la rigidité des conditions de détermination du
patrimoine professionnel. On constate cependant que les droits
nationaux les plus rigides dans la détermination du patrimoine
professionnel sont ceux qui ont adopté une conception objective
du patrimoine, c’est-à-dire le modèle allemand. Cependant cette
différence de conception du patrimoine n’entraîne pas de
différence significative dans la détermination du contenu du
patrimoine professionnel.
 13 Dossiers internationaux Francis Lefebvre, “Pays-Bas”, EFL, 2001, 3e éd.

57Pays-Bas13 – Le droit hollandais laisse à l’entrepreneur


individuel le choix de l’appartenance au patrimoine privé ou
professionnel. Ce choix est entièrement libre. Cependant, il est
prévu qu’en l’absence de choix, le bien sera toujours inclus dans
son patrimoine privé. En comparaison à la France, la Hollande
laisse une liberté totale d’affectation non seulement aux
commerçants, artisans et industriels mais également à tous les
autres professionnels. En effet, tous les professionnels
indépendants sont soumis au même régime d’imposition de leurs
bénéfices.
 14 F. CHAUDET, Droit suisse des affaires, 2e édition, Helbing &
Lichtenhahn, Bruylant, LGDJ, 2004.

 15 Dossiers internationaux Francis Lefebvre, “Suisse”, EFL, 2001, 5e éd.,


no 4596.

58Suisse14 – Le droit comptable suisse prévoit, quant à lui, que


“les actifs immobilisés regroupent les éléments destinés à servir
de façon durable à l’activité de l’entreprise” 15. L’expression
semble laisser entendre qu’il doit exister un lien, aussi ténu soit-
il, entre l’actif immobilisé et l’activité de l’entreprise. Le droit
suisse se rapproche donc du droit hollandais sans pour autant
présenter la souplesse de ce dernier.
 16 A. LEVASSEUR, Droit des Etats-Unis, Dalloz, 2ème éd. 1994 ; John
Newman, Dossier internationaux Fra (...)

 17 L. PINTURIER, C. LEJONETTE-ROSSON, Manuel de comptabilité anglo-


saxonne, Litec, 2e édition, 2005, n(...)

 18 Section 62 de l’IRC.

59États-Unis16 – Le droit des Etats-Unis fait référence pour la


détermination de l’income tax aux bénéfices de l’entreprise et
non à son patrimoine ou plutôt au compte de résultat et non au
bilan. En revanche, le droit comptable américain connaît un
principe de séparation des patrimoines, principe que l’on
nomme business entity principle. Ce principe impose que le
compte du propriétaire soit séparé de celui de l’entreprise,
permettant aux investisseurs d’avoir une information réelle sur la
vie de l’entreprise17. Par application de ce principe, seuls les
biens utilisés par l’entreprise peuvent figurer dans sa
comptabilité. Il vient encadrer la faculté d’inscrire ou non un bien
en comptabilité mais laisse une grande liberté à l’entrepreneur
individuel. Certes ce dernier ne pourra pas directement choisir
d’inscrire ou non un bien en comptabilité, cependant, il lui sera
toujours possible d’ajouter de nouvelles activités à son entreprise
pour pouvoir ensuite ajouter les biens correspondants. Il faut
également préciser que ces règles de comptabilité financière
n’ont aucune conséquence sur la détermination du bénéfice
fiscal. Le droit fiscal admet en déduction du bénéfice imposable
“toutes les dépenses normales et nécessaires engagées durant
l’année fiscale dans l’exercice de toute activité professionnelle” 18.
Partant cinq critères ont été distingués par la jurisprudence :
60La relation avec une activité professionnelle : cette relation a un
sens très large aux États-Unis. Elle englobe toute activité dont le
but est la recherche de profit, donc également les professions de
caractère libéral ou indépendant, ainsi d’ailleurs que les activités
illégales.
61Dans le cas des personnes physiques, la dépense doit présenter
un caractère professionnel et non personnel. En principe les
dépenses personnelles ne sont pas déductibles, cependant
certaines d’entre elles peuvent avoir un caractère mixte.
62Les dépenses doivent être courantes et ne pas constituer des
investissements en capital.
63Les dépenses doivent être nécessaires et normales :
interprétation jurisprudentielle par référence à la situation de fait
et au caractère de l’activité. Les dépenses doivent être
“communes et habituelles”.
64Les dépenses ne doivent pas être contraires à l’ordre public et à
la loi.
65La référence à la déductibilité des charges est intéressante car
les amortissements constituent des charges pour l’entreprise qui
ne seront déductibles de l’income tax qu’à la condition de remplir
ces conditions de déductibilité. Par conséquent à partir du
moment où un bien est utilisé pour une activité dont le but est la
recherche d’un profit celui-ci peut être considéré comme
appartenant fiscalement au patrimoine professionnel de
l’entreprise.
 19 Dossiers internationaux, Francis Lefebvre, “Espagne : juridique, fiscal,
social, comptable”, 6e éd. (...)

66Espagne – Le droit espagnol pose trois conditions pour qu’un


bien appartienne au patrimoine professionnel de l’entrepreneur
individuel. En premier lieu, il doit être nécessaire pour l’obtention
du revenu, ainsi ce sera le cas pour le local dans lequel l’activité
est exercée. En second lieu, il doit être utilisé exclusivement pour
l’activité, mais l’usage mixte est autorisé dans les cas où les biens
sont divisibles ou si l’usage privé n’est que purement accessoire.
Enfin, il faut que les biens soient comptabilisés, dans la mesure
où le contribuable doit tenir une comptabilité19.
67Cependant, dès lors qu’un bien rempli ces conditions le
contribuable reste libre de l’affecter ou non à son patrimoine
professionnel. En d’autres termes, l’entrepreneur individuel
dispose d’une liberté d’affectation pour les biens servant à
l’activité ; les autres biens ne pouvant appartenir qu’à son
patrimoine privé.
 20 T. DURBECK, Le patrimoine des entreprises en droit fiscal allemand et
français, Th. Montpellier I,(...)

68L’Allemagne20 – L’Allemagne est l’État qui a développé la


conception objective du patrimoine. Selon cette théorie, un
patrimoine peut exister en l’absence de tout lien avec une
personne, il “appartient” au but auquel il est affecté. La
conséquence logique de cette théorie est qu’il doit exister un lien
objectif entre le bien et le patrimoine auquel il appartient.
69L’Allemagne connaît un principe de liberté d’affectation qui est
beaucoup plus restreint que le principe français. Le choix est
extrêmement limité.
70La jurisprudence et l’administration ont défini trois catégories
dans lesquelles on peut ranger les biens appartenant au
contribuable.
71Les biens affectés par nature à l’exploitation, notwendiges
betriebsvermögen : ils servent nécessairement à l’exploitation et
leur utilisation dans l’entreprise est évidente. Ils font partie du
patrimoine professionnel qu’ils soient comptabilisés ou non.
72Les biens nécessairement privés, notwendiges privatvermögen :
ils n’ont aucun rapport avec l’activité commerciale ou industrielle
ne servant qu’aux besoins privés du contribuable ou de sa
famille, ils ne peuvent pas faire partie du patrimoine
professionnel.
73Les biens qui ne sont pas affectés par nature à l’exploitation et
qui n’ont pas un caractère nécessairement privé font partie de
l’actif professionnel lorsqu’ils sont affectés à l’exploitation par la
comptabilité : Gewwillkurtes betriebsvermögen. Ils peuvent être
portés au bilan s’ils sont susceptibles objectivement de servir
l’exploitation.
74Il faut préciser que ces trois catégories ne sont définies par
aucune règle fiscale. De plus l’appartenance d’un bien à l’une de
ces catégories se fait suivant des critères objectifs, laissant par
conséquent une liberté de choix à l’entrepreneur individuel
extrêmement limitée.
75D’une manière générale, les différents systèmes juridiques
étrangers étudiés présentent chacun une conception relativement
unitaire de la détermination du patrimoine professionnel. De ce
fait la France constitue l’exception avec sa conception multiple de
l’affectation. Il faut également préciser que le droit fiscal français
concentre la quasi-totalité des différentes règles de
détermination du contenu du patrimoine professionnel. En effet,
le droit fiscal français connaît trois régimes différents
d’affectation alors que d’une manière générale, les différents
droits fiscaux étrangers n’en connaissent qu’un seul. Le droit
fiscal espagnol, par exemple, connaît une définition équivalente
du patrimoine professionnel pour l’impôt sur le revenu et l’ISF.
76Il faut également noter que le recours à une conception
objective du patrimoine ne permet pas de résoudre les difficultés
relatives à la détermination du patrimoine professionnel ; au
mieux permettra-t-il de ne reconnaître qu’une seule méthode de
détermination du contenu de ce dernier mais la détermination en
elle-même restera sujette à discussion.
 21 S. GUINCHARD, L’affectation des biens en droit privé français, LGDJ,
Bibl. droit privé, 1976, no 51

77En définitive, le régime français de détermination du contenu


du patrimoine professionnel n’est spécifique qu’en ce qu’il retient
des définitions de l’affectation différentes selon les situations
envisagées. En effet, comme l’a souligné le Professeur Guinchard
dans sa thèse, la notion d’affectation est une notion fonctionnelle
qui ne peut être définit que par référence à son utilité, sa
fonction21. Ainsi, les conditions déterminées pour opérer
l’affectation le seront en fonction de l’objectif qui lui est assignée.
78Parmi ces objectifs, figure naturellement le calcul du résultat
imposable de l’entreprise. Ce résultat tiendra compte des
opérations menées entre les deux patrimoines.

B – Les rapports entre le patrimoine privé


et le patrimoine professionnel de
l’exploitant individuel : les “contrats avec
soi-même”
79La dualité des patrimoines de l’exploitant individuel est
reconnue partiellement par le droit. Il découle de cette
reconnaissance partielle l’existence de flux intra patrimoniaux. Ce
type de rapports entre le patrimoine privé et le patrimoine
professionnel de l’exploitant individuel est sujet à discutions
quant à sa qualification de “contrat avec soi-même” (1), mais
nous verrons que, malgré ces débats exégétiques, certains de ces
flux peuvent avoir des incidences en droit fiscal lorsqu’il s’agit de
calculer le résultat imposable (2).
1) La notion de “contrat avec soi-même”
80La définition civiliste du “contrat avec soi-même” (a), pourrait
nous permettre de mieux cerner la notion en droit fiscal (b).

a) La notion civiliste de “contrat avec soi-même”


 22 C. Civ., art. 1300.

 23 C. LARROUMET, Les obligations ; le contrat, Economica, 2003, p. 235,


n 257.
o

81En droit civil, la définition du contrat avec soi-même prend en


considération la théorie de l’unicité du patrimoine, selon laquelle
chaque patrimoine est rattaché à une personne et chaque
personne n’a qu’un seul patrimoine. Or, une personne ne peut
être à la fois créancière et débitrice d’une même obligation car
lorsque les qualités de créancier et de débiteur se réunissent dans
la même personne, il se fait une confusion de droit qui éteint les
deux créances22. Ainsi, “Le terme de contrat avec soi-même
correspond, en réalité, à un abus de langage” 23. Dès lors, le
contrat avec soi-même peut se définir comme l’hypothèse où une
partie à un acte juridique agit en une double qualité et non pas en
une seule.
82Il ne pourrait, semble-t-il, y avoir de “contrat avec soi-même”
que dans des hypothèses où l’on a une représentation ou
lorsqu’on est en présence d’un patrimoine d’affectation.
83Le “contrat avec soi-même” dans la représentation
correspondrait au cas où une personne se porterait contrepartie
dans le contrat qu’elle doit conclure pour le compte du
représenté. Le cas typique est celui du mandataire qui acquiert le
bien qu’il est chargé de vendre pour le compte d’un tiers. On
pourrait également penser à une personne titulaire de deux
mandats, l’un pour vendre, et l’autre pour acheter portant sur le
même bien.
84On peut également trouver des hypothèses de “contrats avec
soi-même” en présence d’un patrimoine d’affectation. En droit
successoral particulièrement, lorsqu’un héritier accepte une
succession à concurrence de l’actif net (ancienne acceptation sous
bénéfice d’inventaire), il possède en sus de son propre patrimoine
un patrimoine d’affectation composé des biens successoraux.
L’article 791, 1° du Code civil dispose en effet que l’acceptation
d’une succession à concurrence de l’actif net permet à l’héritier
“d’éviter la confusion de ses biens personnels avec ceux de la
succession”. Ainsi, lorsque l’héritier bénéficiaire procède
régulièrement à la réalisation de l’actif successoral pour régler le
passif attaché à la dite succession, il peut se porter acquéreur, à
titre personnel, des biens de la succession qu’il met en vente en
sa qualité d’héritier bénéficiaire. On verra ainsi un “contrat avec
soi-même” se dessiner, l’héritier agissant sous une double
qualité.
 24 C. LARROUMET, op. cit.no 261.

85Le Code civil est muet sur le principe de la validité des contrats
dans lesquels une même personne contracte seule sous deux
qualités distinctes, mais cette validité “est admise par la
jurisprudence, en l’absence de disposition générale contraire de
la loi. Ce n’est que dans des cas particuliers que le contrat avec
soi-même est prohibé (…) ou soumis à des conditions
particulières”24.
86Le “contrat avec soi-même” est donc prohibé, en principe,
lorsqu’une même personne agit sous une seule qualité pour le
droit civil. La notion fiscale de contrat avec soi-même recouvre
une réalité proche des hypothèses civilistes, sans pour autant être
similaire.
b) La notion fiscale de “contrat avec soi-même”
87On peut poser que la notion fiscale de contrat avec soi-même
est proche de la définition civiliste, en ce sens qu’une même
personne agit sous deux qualités distinctes, pour des patrimoines
d’affectation. Mais ces patrimoines d’affectation sont uniquement
reconnus par le droit fiscal, et permettent exclusivement de
calculer l’impôt.
 25 Y. BENARD, “Patrimoine professionnel et dépenses déductibles : utilité
fait loi”, RJF, 7/06, Chron. (...)

88La jurisprudence fiscale reconnaît des flux entre le patrimoine


professionnel et le patrimoine privé d’un même entrepreneur
individuel. Ces relations découlent d’une part de la liberté
d’affectation comptable et d’autre part de la “logique de l’impôt
sur le revenu” qui “peut, le cas échéant, conduire à scinder le
patrimoine du contribuable en autant de catégories que de
cédules d’imposition. En ce sens, un contribuable possède
simultanément plusieurs patrimoines personnels (foncier,
mobilier) et quoique plus rarement, plusieurs patrimoines
professionnels, entièrement distincts du point de vue fiscal” 25.
89Toutefois, il faut préciser que la définition fiscale des “contrats
avec soi-même”, n’est pas similaire à la définition civiliste car il
n’existe que des flux intra patrimoniaux dont les incidences
seront uniquement fiscales et comptables. En droit fiscal, le
“contrat avec soi-même” est donc plus une requalification de
revenus – ou de charges – qu’un réel contrat, les différents
patrimoines en présence ne pouvant pas être qualifiés de réels
patrimoines d’affectation, car ne répondant pas de dettes
propres. En effet, tout le patrimoine de l’exploitant individuel,
excepté son minimum vital, répond de ses dettes, notamment
fiscales. C’est différent en droit civil, car, dans l’hypothèse de
l’acceptation de succession à concurrence de l’actif net, nous
sommes en présence d’un réel patrimoine d’affectation, la
succession étant le seul gage des créanciers successoraux.
L’héritier est tenu aux dettes successorales intra vires, c’est-à-
dire uniquement à concurrence de l’actif successoral.
90Une fois la définition fiscale posée, il reste à examiner les
différentes hypothèses de “contrat avec soi-même” qui pourraient
être prises en considération par le droit fiscal.

2) L’application de la notion de “contrat avec


soi-même” en droit fiscal
91La consécration du bail avec soi-même par le Conseil d’Etat (a)
a soulevé des interrogations quant à sa portée, notamment quant
à la reconnaissance du prêt à soi-même (b).

a) Le “bail fiscal”, ou la location à soi-même


 26 CE 08/07/1998, 8ème et 9ème Sous-sections, requête no 164 657, concl. G.
BACHELIER, Dr. Fisc., 1998 (...)

 27 F. DEBOISSY, “Retour sur l’arrêt Meissonnier : le “bail fiscal” existe-t-


il ?”, RTD Com., 2001, no (...)

92Dans un arrêt “Meissonnier” du 8 juillet 1998 26, les juges du


Palais royal ont admis qu’un entrepreneur individuel puisse
comprendre dans les charges de son entreprise les sommes
correspondant au loyer normal d’un immeuble dans lequel il
exerce son activité et qui était resté dans son patrimoine privé.
Cela permet de requalifier ses revenus. En effet, les loyers qu’il se
verse sont requalifiés de bénéfices industriels et commerciaux
(BIC) en revenus fonciers. Les sommes comprises comme des
charges du point de vue des BIC de l’exploitant, doivent être
déclarées comme revenus fonciers. On a donc reconnu une sorte
de “bail fiscal” dans cette espèce, même si l’expression
rappelons-le est en contradiction avec le principe d’unité du
patrimoine27.
 28 Y. BÉNARD, art. préc.

93Nous sommes face à un jeu d’écritures, et non face à un réel


contrat. On n’a fait que déplacer un revenu d’une cédule à une
autre de l’impôt sur le revenu d’un même contribuable. Mais ce
faisant, on peut constater un flux du patrimoine professionnel
vers le patrimoine privé de l’exploitant, car les juges n’admettent
cette pratique que si les sommes en question sont inscrites en
comptabilité. On peut considérer que ceci découle de la logique
de l’impôt sur le revenu et de la présence de plusieurs cédules
d’imposition, qui font qu’un contribuable a plusieurs patrimoines
personnels et professionnels, entièrement distincts du point de
vue fiscal28.
94Cette pratique est-elle envisageable dans d’autres législations
que la législation fiscale française ? Nous verrons si cette
technique de requalification de revenus est possible dans les
systèmes fiscaux des pays frontaliers que sont l’Allemagne et
l’Espagne.
95Le système fiscal allemand est assez proche du système fiscal
français dans la mesure où il existe également plusieurs cédules
de revenus imposables. Il convient de se demander si un tel “bail
fiscal” est réalisable dans ce pays. Avant cela, il est nécessaire de
rappeler les marges de manœuvre dont dispose l’entrepreneur
pour créer son patrimoine professionnel.
 29 T. DURBECK, Le patrimoine des entreprises en droit fiscal allemand et
français, thèse préc., p. 53(...)

 30 Sur la classification des biens en droit fiscal allemand, V. supra A – 2.

 31 T. DURBECK, thèse préc., p. 55. L’auteur cite plusieurs auteurs


allemands qui soutiennent cette pos (...)
 32 Dossiers internationaux Francis Lefebvre, “Allemagne, juridique, fiscal
et social”, 7ème éd. p. 253 (...)

96Selon certains auteurs29, les possibilités d’affectation


comptable sont restreintes en droit allemand. En effet, le principe
de liberté d’affectation comptable ne concernerait que les biens
qui ne sont pas affectés par nature à l’exploitation, et qui n’ont
pas un caractère nécessairement privé ( Gewillkurtes
Betriebsvermögen)30. Ces biens ne font partie de l’actif
professionnel que s’ils sont affectés à l’exploitation par la
comptabilité. Mais force est de constater que la doctrine conteste
l’existence même de cette troisième catégorie de biens. En effet,
selon certains auteurs la distinction des trois catégories de biens
n’est fondée sur aucune loi fiscale 31. La loi ne parle que des biens
professionnels, et des biens privés. Cela aurait pour
conséquences que l’exploitant ne dispose que d’une marge de
manœuvre limitée pour déterminer le périmètre de son
patrimoine professionnel. Il apparaît que la jurisprudence
allemande arrive au même résultat que ces auteurs en élargissant
la notion de biens affectés par nature à l’exploitation. Néanmoins,
la législation allemande autorise la déductibilité (plafonnée) des
revenus industriels et commerciaux de certaines dépenses
afférentes à un immeuble privé utilisé principalement pour les
besoins de l’activité de l’exploitant32. Cette déductibilité
concerne les dépenses engagées sur le local. On a donc une
reconnaissance, même si elle est limitée, de la liberté
d’affectation en droit allemand, car un bien contenu dans le
patrimoine privé de l’exploitant peut servir pour ses besoins
professionnels.
97Malgré cela, le “bail fiscal” semble impossible pour cette
législation. En effet, si la législation allemande autorise la
déductibilité de certaines charges afférentes à un bien privé
utilisé pour les besoins professionnels, elle n’autorise pas pour
autant l’exploitant à se verser un loyer fictif, qu’il déduira comme
charge dans ses revenus industriels et commerciaux, et qu’il
déclarera comme revenus fonciers.
 33 Dossiers internationaux Francis Lefebvre, “Espagne, juridique, fiscal et
social”, 6ème éd., p. 285, (...)

98En Espagne, l’impôt sur le revenu des personnes physiques est


divisé en cédules d’imposition, comme en France et en
Allemagne, même si les cédules ne sont pas totalement
identiques. Pour qu’un bien soit affecté au patrimoine
professionnel, il doit répondre à certaines conditions. Néanmoins,
il existe une certaine liberté dans la détermination du périmètre
du patrimoine professionnel, et du patrimoine privé de la
personne qui exploite son entreprise sous la forme individuelle.
La contestation de l’existence du “bail fiscal” pourrait s’asseoir
sur une toute autre argumentation que celle retenue dans le cadre
du système fiscal allemand. En effet, pour être déductibles du
résultat de l’exploitation, en Espagne, les frais généraux, dont les
loyers font partie, doivent répondre à trois conditions33. Ils
doivent correspondre à une opération réelle, être justifiés (au
moyen d’une facture), et ils doivent être comptabilisés et imputés
sur l’exercice au cours duquel ils se réalisent. En France, pour
être déductibles, les frais généraux doivent se traduire par une
diminution de l’actif net, être exposés dans l’intérêt de
l’exploitation, et être régulièrement comptabilisés, avec
justificatifs (factures) à l’appui. Le fait que les frais généraux
doivent correspondre à une opération réelle constitue le point
crucial de différence entre la France et l’Espagne, car cela permet
d’exclure, par principe, le “bail fiscal” de la législation espagnole.
En effet, le “bail fiscal” est une opération fictive, car c’est un
simple jeu d’écritures. Il est donc impossible à mettre en œuvre
dans la législation fiscale espagnole.
99Après avoir observé cette notion de “bail fiscal”, également
appelée “location à soi-même”, il serait intéressant de voir
jusqu’où pourrait nous mener ce principe de liberté d’affectation
comptable si on poussait la logique issue de l’arrêt Meissonnier
jusqu’au bout.

b) Le “prêt à soi-même”, ou le comble de la logique du


“bail fiscal”  ?
 34 CE 11/04/2008, 2 arrêts, “Roche” et “Huynh Kinh”, RJF, 7/08, no 813.

 35 Rép. min. no 40698 à M. Cuillandre, JOAN, 03 avril 2000, p. 2188 ;


Rép. min. budget no 28373 à M. L (...)

100Les “locations à soi-même” sont admises en matière de


bénéfices industriels et commerciaux (cf. supra), et à présent en
matière de bénéfices non commerciaux34, malgré une opposition
de l’Administration fiscale35. Cependant, il est nécessaire et
indispensable d’opérer les écritures comptables correspondantes
dans tous les cas.
101Dans la mesure où le Conseil d’Etat admet une telle
requalification de revenus sur le fondement de la liberté
d’affectation comptable, pourquoi n’admettrait-il pas qu’une
personne “prête” de l’argent qu’il détient dans son patrimoine
privé à son entreprise individuelle et se rémunère d’un intérêt en
contrepartie. Les intérêts seraient portés en charges dans la
comptabilité de l’entreprise et déclarés en tant que revenus de
capitaux mobiliers. Ce serait une autre application de contrat avec
soi-même, ou plutôt un autre choix de gestion possible fondé sur
la liberté d’affectation comptable, et sur la logique poussée à son
paroxysme issue des arrêts portant sur le “bail fiscal”.
102Qu’est-ce qui pourrait interdire une telle décision de gestion,
fondée sur le principe de la liberté d’affectation comptable,
autorisée par ailleurs pour les immeubles ?
103On pourrait objecter que la notion de charge implique un lien
obligatoire entre deux personnes juridiquement distinctes, mais
face aux arrêts précités sur le “bail fiscal”, cet argument ne peut
tenir.
104Plus décisifs nous semble-t-il est l’argument comptable :
admettre en effet la déduction d’une charge financière
supposerait l’inscription d’une dette d’emprunt au passif du bilan
de l’entreprise, à la différence du "bail fiscal" qui ne suppose
qu’une écriture de charge. Le droit comptable peut-il
méconnaître à ce point le principe de l’unicité du patrimoine ?
105Quelles que soient les incertitudes qui voilent encore l’exacte
portée des principes de liberté d’affectation comptable et de
patrimoine professionnel, la dualité patrimoniale est devenue une
réalité juridique et fiscale incontournable. Particulièrement, les
qualifications de “bien privé” ou de “bien professionnel”
emportent des conséquences de premier ordre quant à leur
régime fiscal ; imposabilité des produits ou déductibilité des
charges se rapportant à ces éléments, régime des plus ou moins-
values de cession, sans parler des régimes de faveur en matière
de droits de succession et d’impôt de solidarité sur la fortune…
106Si le patrimoine professionnel est devenu un sujet de réflexion
et de propositions pour les juristes et les fiscalistes, il est devenu
un enjeu de réforme pour les autorités comptables. Mais est-ce
bien du même patrimoine dont il est question ? En effet, le droit
comptable propose aujourd’hui une lecture quelque peu
différente du bilan de l’entreprise, fondée non-plus sur une
approche civiliste mais purement économique. Nous serions
passés, en l’espace de quelques années, d’un patrimoine
juridique à un patrimoine économique. Vérifions-le.

II – GLISSEMENT DU
PATRIMOINE JURIDIQUE VERS
LE PATRIMOINE ECONOMIQUE ?
107Si l’on veut bien accepter l’idée d’un “patrimoine économique”
(formulation que les juristes jugeront hérétique, tant la notion de
patrimoine est par essence liée aux droits et obligations qu’il
renferme), il signifie que le bilan de l’entreprise n’est plus conçu
en termes juridiques (eu égard à la valeur intrinsèque des
éléments qu’il contient), mais en termes économiques (eu égard
aux avantages financiers générés par les éléments qui le
compose).
108Le droit comptable français a dû s’adapter aux évolutions
comptables internationales qui tendent vers un modèle unique
d’inspiration anglo-saxonne (A). Simple évolution ou véritable
révolution ? Nous essaierons de montrer que les évolutions du
droit comptable n’ont pas, pour l’heure, bouleversé les solutions
traditionnellement admises en droit positif (B).

A – Les adaptations du droit comptable


français
 36 Ces phases sont mises en évidence dans l’article de COLASSE et
STANDISH (1998), [“De la réforme 199 (...)

 37 Le droit comptable au sens de B. COLASSE (2004, p. 2) [“L’évolution


récente du droit comptable”, L’ (...)

 38 A. VIANDIER, Droit comptable, Dalloz, 1984, no339 à 345 ; B.


COLASSE, “Où il est question d’un cad (...)
109Depuis l’ordonnance de 1673 de Colbert, qui rendait
obligatoire la tenue des livres et registres des marchands, la
comptabilité des commerçants et des entreprises commerciales
s’est développée par phases successives 36, tant au niveau de sa
technique que de la nature des textes qui la régisse [PCG de
1942, 1947, 1957 et 1982]. L’évolution de cette réglementation
comptable a abouti en 1983 à l’instauration d’un droit
autonome37. Cette loi comptable a introduit dans la comptabilité
française la notion de l’image fidèle du patrimoine, de la situation
financière et du résultat de l’entreprise . Ce but assigné à la
comptabilité tend à renforcer la représentation patrimoniale de
l’entreprise, érigée en principe. Ce principe de patrimonialité est
l’un des éléments clés du cadre comptable français 38. Toutefois,
sous l’influence des multiples fonctions reconnues à la
comptabilité à partir du PCG 1999, le principe de patrimonialité
(au sens juridique) a évolué vers une conception plus économique
(1). La globalisation des économies, l’internationalisation des
entreprises et l’harmonisation des normes comptables qui en
découle, vont introduire une convergence “irréversible” de la
comptabilité française vers le modèle anglo-saxon des IAS/IFRS
(2).

1) L’évolution du modèle comptable français


vers des concepts de nature économique
110Le patrimoine au sens comptable est un patrimoine
d’affectation dont la composition est fonction du périmètre de
l’activité économique de l’entreprise (V. supra I). Le droit
comptable et la normalisation du Comité de la réglementation
comptable (CRC) retiennent une conception élargie du patrimoine.
Des concepts nouveaux tels que le contrôle, le risque et les
avantages économiques sont désormais des critères substantiels
de reconnaissance des éléments du patrimoine comptable. Pour
analyser le glissement de la notion du patrimoine juridique vers
une approche économique, nous limitons notre propos aux seuls
éléments d’actif pour lesquels cette évolution est plus
remarquable.

a) L’influence de l’analyse juridique dans la conception


française de l’actif
 39 Relatif à la définition, comptabilisation et évaluation des actifs.

111La notion d’actif constitue sur la forme et le fond un point clé


de l’approche du patrimoine économique. De fait, si le caractère
central de cette notion tient naturellement à son enjeu
économique pour l’entreprise, les débats que suscite sa définition
comptable sont également par leur existence même très
révélateurs d’une conception de la comptabilité (et donc de sa
normalisation) très différente d’un pays à l’autre. Le système
comptable français, jusqu’à l’entrée en vigueur du Règlement CRC
n  2004-0639, donnait une définition numérative des éléments
o

d’actif dans la logique contraignante de la nomenclature du PCG.


Cette définition laissait par ailleurs peu de place à l’interprétation
et ne précisait pas les concepts sur lesquels on devait s’appuyer
pour déterminer la nature des éléments d’actif.
 40 P. GARNIER, La comptabilité, algèbre du droit et méthode
d’observation des phénomènes économiques,(...)

112A ce titre, la France demeurait jusqu’en 2004, très attachée au


strict parallélisme de l’enregistrement comptable et de la nature
juridique de l’opération qu’il recouvrait. Dans certains cas, il
s’agissait presque de mettre la comptabilité sous la dépendance
du droit. Ce qui aboutissait à considérer que la comptabilité
n’avait pas de finalité propre, puisqu’elle n’était qu’une
transcription du droit comme le suggérait le célèbre ouvrage de
Pierre Garnier (1947)40. Une telle vision revenait à considérer
l’information financière comme une représentation algébrique
(chiffrée) de la situation juridique d’une personne morale, voire,
ce qui était plus insidieux, à conduire au présupposé selon lequel
l’ancrage juridique de la comptabilité était un gage nécessaire et
suffisant de la réalité économique des informations diffusées par
les comptes sociaux.
113Cette vision de la prééminence du droit dans la matière
comptable, trouve paradoxalement sa contradiction dans le droit
lui-même. En effet, du point de vue formel, le droit n’est pas
toujours porteur de réalisme et de vérité. Parfois, son utilisation
abusive peut dénaturer ou dissimuler la réalité économique d’une
opération. Par exemple, l’administration fiscale française a le
pouvoir de requalifier économiquement une opération, même si
sa base juridique est indiscutable d’un point de vue formel. Le
droit fiscal peut donc se prémunir contre une apparence juridique
à laquelle la comptabilité française est en revanche quasi
totalement assujettie. L’un peut réinterpréter les contrats tandis
que l’autre en fait une lecture littérale alors même que
l’information sur la réalité économique de l’entreprise constitue
pourtant son but principal.
114À l’inverse de la vision étroitement énumérative de la définition
des actifs de la normalisation française, avant les modifications
apportées par le Règlement n  2004-06, c’est plutôt par un
o

réseau de concepts fondamentaux que la normalisation


internationale entend définir de manière globale et cohérente la
notion de l’actif. Selon cette approche, le concept d’actif ne doit
pas être abordé uniquement à partir des notions juridiques, mais
de manière plus générale. Ainsi, les éléments d’actif sont dans un
premier temps reconnus comme étant des “valeurs économiques
positives”, évaluables de manière distincte et susceptibles d’être
vendues ou acquises séparément. La valeur économique d’un
actif s’apprécie en fonction de son utilité future tandis que la
valorisation individuelle suppose un critère de mesure fiable.
Cette approche a la même finalité que celle qui caractérise les
actifs au sens juridique, à savoir l’impératif d’informer les
associés, mais aussi de protéger les créanciers. Toutefois, le
concept de “valeurs économiques positives”, marque un
assouplissement du principe de patrimonialité du bilan au sens
juridique. Il apparaît ainsi qu’un élément d’actif peut désormais
être défini comme un bien exploité par l’entreprise et qui lui
procure des flux de trésorerie ou équivalents. Les actifs
constituent, dans ce cas, des biens économiques “contrôlés” par
l’entreprise, indépendamment du droit de propriété ou de créance
que celle-ci a sur ces biens. Ce qui montre un glissement
implicite de la nature juridique des éléments d’actif du patrimoine
à celle plus économique.

b) Une conception très économique des actifs


patrimoniaux  : la notion de contrôle
 41 International Financial Reporting Interpretations Committee.

115La notion de contrôle est essentielle dans la reconnaissance


des éléments d’actif du patrimoine en comptabilité internationale
(IAS/IFRS). En effet, pour ces normes, c’est la propriété
économique qui conditionne l’inscription d’un bien dans le
patrimoine de l’entreprise. Le cadre conceptuel des normes
IAS/IFRS définit ainsi un actif comme “une ressource contrôlée par
l’entreprise du fait d’évènements passés et dont les avantages
économiques sont attendus par l’entreprise”. Les interprétations
apportées par les IFRIC 4 (contrats de location) et l’IFRIC 41 12
(contrats de concession) clarifient la notion de contrôle et
l’identification d’un actif contrôlé. Pour le normalisateur
international, le contrôle se définit comme le pouvoir d’obtenir
les avantages économiques futurs découlant d’une ressource
pour laquelle l’entreprise peut restreindre l’accès des tiers à ces
avantages. De plus, le contrôle implique le transfert à une entité
de la quasi-intégralité des risques et des avantages inhérents à
l’actif. La restriction aux tiers des avantages économiques
générés par un actif résulte normalement d’un pouvoir légal.
Mais, la norme internationale précise en substance que ce droit
légal n’est pas le seul critère de reconnaissance du contrôle, mais
plutôt une solution de dernier recours.
116Dans la plupart des cas, la propriété légale coïncide avec la
propriété économique. Toutefois, selon la norme internationale,
le propriétaire économique d’un bien peut être celui qui, sans
avoir la propriété juridique, dispose et maîtrise matériellement le
bien, de telle sorte que le propriétaire légal se trouve
provisoirement exclu de l’usage et des bénéfices économiques
tirés du bien. La propriété économique suppose donc la maîtrise
de l’accès physique et l’exploitation de l’actif. C’est dans ce sens
qu’on considère que le propriétaire économique détient le
contrôle du bien. Il apparaît donc que le contrôle d’un actif est
successivement le pouvoir de décider des conditions de son
exploitation, la capacité à en retirer les avantages économiques et
la possibilité d’en restreindre l’accès à des tiers. Un tel contrôle,
reconnu à une entreprise, présuppose que celle-ci ait la
possibilité d’utiliser le bien comme ses propres biens et qu’elle y
réponde personnellement des risques comme c’est le cas pour les
biens en pleine propriété juridique. L’utilisation, la captation des
bénéfices et la prise en charge des risques sont donc les critères
substantiels de la définition d’actif selon les normes IAS/IFRS. Les
états financiers en IAS/IFRS appréhendent donc de manière plus
réaliste l’utilité des éléments d’actif à travers le contrôle
économique de l’outil de production par l’entreprise. Cette
approche a bouleversé en profondeur le modèle comptable
français depuis l’entrée en vigueur du Règlement n  2004-06.
o
2) Le caractère irréversible de la convergence du
modèle comptable français à la conception
économique du patrimoine
117L’importance des concepts développés par les normes IAS/IFRS
et l’adoption par l’Union Européenne du Règlement CE
n  1606/2002 ont consacré le principe de la prééminence de la
o

réalité sur l’apparence dans la normalisation comptable française.


En vertu de ce principe, les transactions et les autres événements
de la vie de l’entreprise sont présentés conformément à leur
nature et à leur réalité économique, sans tenir compte
uniquement de leur apparence juridique. Selon cette approche,
les critères autres que juridiques (contrôle, avantages
économiques et risques) deviennent prépondérants dans la
reconnaissance des éléments d’actif du patrimoine. Toutefois, la
prééminence de l’approche économique des éléments d’actif
trouve quelques exceptions dans les textes du PCG. Certaines de
ces exceptions résultent principalement de la dissociation :
conception juridique du patrimoine, affectation économique et
reconnaissance comptable. Ainsi, le Règlement n  2004-06
o

prévoit explicitement la non-inscription à l’actif de biens faisant


l’objet d’un contrat de crédit-bail. Le PCG interdit également
d’inscrire en actif les fonds de commerce, les marques, les listes
de clients et autres éléments similaires créés en interne. En effet,
le PCG précise que les dépenses engagées pour créer en interne
des fonds commerciaux, des marques, des listes de clients et
autres éléments similaires, ne peuvent pas être distinguées du
coût de développement de l’activité de l’entreprise dans son
ensemble. Par conséquent, ces éléments ne sont pas
comptabilisés en tant qu’actifs. Il s’agit ici moins d’une
interdiction qu’une impossibilité technique due au fait que ces
éléments incorporels créés en interne par l’entreprise proviennent
de son activité sans nécessiter des dépenses propres. Ils n’ont
pas de ce fait à être enregistrés, leur coût étant difficilement
déterminable de façon fiable.
 42 Par exemple, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique…

 43 Historiquement, dans ce modèle, les normes comptables résultent des


usages (et non d’un droit codif (...)

118L’analyse qui précède, montre une rupture récente du modèle


comptable français par rapport au principe de patrimonialité
juridique du bilan. Le rapprochement d’une conception plus
anglo-saxonne de la reconnaissance des éléments du bilan
(notamment des actifs) tend à devenir irréversible à la lumière des
modifications successives du PCG depuis 1999. Les Règlements
n  1999-02 (sur les comptes consolidés) et n  2004-06 (sur les
o o

comptes sociaux) montrent que la notion de patrimoine


économique du bilan gagne du terrain et semble être conforme
aux objectifs assignés à l’information comptable (fournir
principalement aux investisseurs une information sur la réalité
économique de l’entreprise). Le modèle comptable français
converge comme celui de nombreux pays de l’Europe
continentale42 vers un modèle comptable universel : le modèle
anglo-saxon43. Toutefois, même si le patrimoine comptable
français tend à s’éloigner de l’appréciation uniquement juridique
de la nature des éléments qu’on doit lui affecter, il demeure la
garantie des créanciers. Cette garantie est fonction en partie des
droits de propriété et de créances que de l’entreprise a sur les
actifs inscrits au bilan.

B – La résistance du droit comptable


français
 44 B. RAYBAUT-TURILLO, op. cit.
119Certains auteurs défendent un modèle comptable autonome
qui prend en compte les insuffisances du droit de propriété mais
qui ne remet pas en cause l’analyse patrimoniale du bilan 44. En
regardant la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, on
constate que le modèle “économique” ne s’est pas définitivement
imposé au modèle “juridique” et il ne nous semble pas que l’on
soit passé d’un système (celui de la comptabilité juridique) à un
autre (celui de la comptabilité économique) au 1  janvier 2005
er

(date de l’entrée en vigueur du règlement CRC 2004-06 précité


du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et
l’évaluation des actifs). En effet, d’une part le critère de propriété
n’avait pas un caractère absolu avant l’entrée en vigueur des
nouveaux textes comptables (1), et d’autre part l’application du
critère du contrôle depuis la réforme n’est pas elle-même sans
limites (2).

1) Les limites du critère de propriété avant la


normalisation comptable
120Lors de l’entrée en vigueur des nouvelles règles comptables, le
critère de propriété avait déjà un caractère très relatif en
comptabilité (a), aussi bien qu’en fiscalité d’ailleurs (b).

a) Le caractère relatif du critère de propriété en


comptabilité
121Révolutionnaire en comptabilité, la notion de contrôle ? Pas
tant que cela. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le
contrôle comme critère d’inscription d’un bien à l’actif du bilan
était d’une certaine façon déjà présente lors de l’entrée en
vigueur du nouveau règlement sur les actifs. En effet, l’inscription
de certains biens au bilan alors qu’ils ne sont pourtant pas la
propriété de l’entrepreneur soulignait déjà le caractère relatif du
critère de propriété. Tel est le cas des ventes conclues sous
réserve de propriété et des constructions édifiées sur le sol
d’autrui.
122La vente sous réserve de propriété – En règle générale, le
contrat prévoit que le transfert de propriété n’aura lieu que lors
du paiement complet du prix. Bien que n’étant pas juridiquement
propriétaire des actifs, l’acquéreur inscrira à l’actif de son bilan
les biens achetés dès leur livraison. L’article 313-3 du PCG est
particulièrement clair sur ce point : “Les transactions assorties
d’une clause de réserve de propriété sont comptabilisées à la date
de la livraison du bien et non à celle du transfert de propriété” (la
même règle figurait dans l’ancien plan comptable). Toutefois, afin
de préserver la sincérité du bilan, il conviendra de porter sur une
ligne distincte du bilan la mention de ladite clause (PCG art. 521-
2).

Les constructions sur sol d’autrui

 45 D. Adm., 4 D-264, no 2 ; CE 07/02/1979, req. no8475 ; il ne pourra


donc déduire que les amortissem (...)

 46 Cass. Civ. 1ère, 01/12/1964, JCP, 1965, II, 14213, note ESMEIN.

123Par application des règles de l’accession, les constructions


édifiées sur le sol d’autrui appartiennent à son propriétaire (C.
Civ. art. 555). Pourtant, l’édificateur doit porter à l’actif de son
bilan le coût de revient de la construction, même si ses droits ne
sont pas ceux d’un propriétaire 45. Simplement, il devra inscrire
les nouveaux éléments au compte n  214 “constructions sur sol
o

d’autrui” (PCG art. 442/21). Par contre, si l’édificateur est


locataire du terrain, la jurisprudence considère que, sauf
convention contraire, il reste propriétaire des immeubles édifiés
jusqu’à l’expiration du bail46. Dans ce cas, il n’y a pas de
distorsion entre la propriété juridique et l’inscription en
comptabilité.
b) Le caractère relatif du critère de propriété en fiscalité
124En fiscalité aussi, le droit de propriété est d’une application
incomplète. Ceci parce que, d’une part, le droit fiscal utilisait déjà
le critère du contrôle pour la détermination des éléments
corporels soumis à la taxe professionnelle, et que, d’autre part, il
permet de traiter comme des immobilisations incorporelles
certains droits de créances détenus par l’entreprise.

Les immobilisations corporelles soumises à la taxe professionnelle

 47 CE 19/04/2000, RJF, 5/00, no 63.

 48 CE 25/04/2003, RJF, 7/03, no 862.

 49 L. F. rec., 2003, CGI art. 1469.

125La taxe professionnelle frappe seulement les immobilisations


corporelles “dont le contribuable a disposé pour les besoins de
son activité professionnelle pendant la période de référence” (CGI
art. 1467, 1°, a). Précisément, la notion de “disposition” n’est pas
sans rappeler celle de “contrôle”. Selon le Conseil d’Etat en effet,
la disposition d’un bien suppose qu’il soit placé sous le contrôle
du contribuable et utilisé matériellement par lui pour la
réalisation des opérations qu’il effectue47. Une difficulté s’est
posée en ce qui concerne certains contrats de sous-traitance
(biens mis à la disposition du sous-traitant par le donneur
d’ordre et destinés à la fabrication de pièces sur les spécifications
du donneur d’ordre) ; dans leur cas, c’est le donneur d’ordre qui
contrôle le bien alors que c’est le sous-traitant qui les utilise. Le
Conseil d’Etat avait choisi d’imposer celui qui utilise le bien
matériellement48, mais le législateur a finalement opté pour
l’imposition de celui qui met le bien gratuitement à disposition 49.
C’est donc la notion de contrôle qui gouverne à la fois
l’inscription d’un bien dans le patrimoine économique et dans le
patrimoine taxable à la taxe professionnelle.

L’activation des droits de créance

 50 M. COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec,


1999, Doc. no 11 et 12.

 51 A. de WAAL, “Immobilisation des redevances versées en contrepartie


d’un droit d’utilisation. Interr (...)

 52 CE 21/08/1996, RJF, 10/96, no 1137.

 53 G. CORNU, Droit civil, Les biens, Domat droit privé, 13ème éd., 2007,
no 4.

126D’évidence, il n’y a pas que les droits de propriété (et ses


démembrements) qui figurent au bilan. Les droits de créance y
figurent aussi, soit en tant qu’actifs circulants (ex : créances
clients, mobilisées ou non), soit en tant qu’immobilisations
lorsque c’est le contrat lui-même qui est “activé” (ex : “droit au
bail”). Si les biens corporels ne sont inscrits au bilan que lorsque
l’entrepreneur dispose d’un droit réel, les tribunaux avait
quasiment systématisé l’immobilisation de certains contrats tels
que ceux portant concession de licence de brevet 50. Certes, la
doctrine avait critiqué cette position 51, et le Conseil d’Etat avait
posé plusieurs conditions strictes à l’activation de ces contrats,
parmi lesquelles leur cessibilité52, mais précisément le critère de
cessibilité est lié à l’idée de patrimonialité 53, sinon même de
propriété (mais peut-on admettre un droit de propriété sur une
créance lorsqu’elle n’a pas été mobilisée dans un titre ?).
Pourtant, il ne nous semble pas que l’idée de patrimonialité soit
incompatible avec celle de contrôle ; avoir le contrôle d’un bien
suppose de toute façon l’exercice d’un droit subjectif qui fait lui-
même partie du patrimoine pris en tant qu’ensemble de droits et
d’obligations d’une même personne.
 54 Ins. 30/12/2005, no 8, BOI 4 A-13-05.

127Toujours est-il que, puisque le critère du contrôle se substitue


à celui de propriété dans le nouveau droit comptable,
l’administration fiscale estime que la condition de cessibilité,
n’est plus applicable54. Il reste que la portée de cette doctrine
sera limitée en pratique dans la mesure la difficulté concernait
essentiellement les contrats de concession de licence de brevet
(objets de la jurisprudence précitée), mais aussi plus
généralement les contrats de bail (immobilisation du droit au
bail), lesquels sont justement exclus du domaine d’application du
nouveau critère du contrôle ainsi que nous allons le voir.

2) Les limites du critère du contrôle depuis la


normalisation comptable
128Les autorités comptables n’ont pas pleinement transposé le
critère du contrôle (a). Dès lors, à y réfléchir de près, l’application
de ce critère, tel qu’encadré, ne devrait pas conduire à des
solutions très différentes de celles qui résultent de l’application
du critère de propriété (b).

a) Des exceptions nombreuses


 55 Ins. 30/12/2005, préc., no 3.

129Dans les normes comptables internationales, le critère du


contrôle est d’application générale (V. supra A) Les autorités
comptables françaises n’ont pas souhaité étendre à l’ensemble
des éléments du bilan la nouvelle définition des actifs (CNC avis
2004-15 du 23 juin 2004, § 1). L’administration fiscale a repris
cette solution55. Certains biens, dont ceux pris en location, sont
expressément exclus. Par contre, le traitement des biens détenus
en usufruit reste discuté.
 56 V. Mémento comptable, FL, 2008, no 2209-1.
 57 A de BISSY, “Aspects fiscaux de la fiducie. Loi du 19 février 2007”, JCP
E, 2007, 1516, sp. no 28.

130Les exclusions indiscutées – Clairement, le critère du contrôle


ne s’applique pas aux contrats de location (locations simples ou
avec option d’achat, crédit-bail), aux contrats de concession de
licence de brevets ou de marques, ainsi qu’aux instruments
financiers (titres immobilisés, valeurs mobilières de placement,
prêts). Ce faisant, il convient aussi de rappeler que, depuis 2005,
les comptes consolidés de sociétés faisant appel à l’épargne
doivent être établis conformément au normes comptables
internationales (R. CEE du 19 juillet 2002). En ce qui concerne ces
entreprises par conséquent, le critère du contrôle s’applique
pleinement. Pour les autres, l’exclusion des contrats de location
implique la mise en œuvre des solutions traditionnelles
(immobilisation du droit au bail acquis et déduction des loyers en
tant que charges), tout comme l’exclusion des titres de sociétés
et des valeurs mobilières (ainsi par exemple, pour un mandat de
gestion d’un portefeuille-titres, c’est le mandant qui portera à
son actif les valeurs mobilières dont il a confié la gestion à un
tiers)56. Au demeurant, lorsque la propriété des titres à été
temporairement transférée à un fiduciaire, c’est ce dernier qui
assume les obligations comptables liées à cette détention (L.
19/02/2007, art. 12)57.
 58 Mémento Comptable FL, préc., no 1345.

 59 R. OBERT, “Le traitement comptable de l’usufruit et de la nue-


propriété”, RFC, no393, Déc. 2006, p (...)

 60 P. FERNOUX, “Nouvelles normes comptables et gestion de


patrimoine”, BF, 8-9/07, p. 645, sp. no 12 s

131Les cas discutés – La question du traitement comptable du


démembrement de propriété reste débattue. L’usufruitier peut-il
être assimilé à un locataire ? Si non, ce sera en principe lui qui
inscrira à l’actif le bien dont la propriété a été démembrée
puisqu’il en a le contrôle. Si oui, le critère du contrôle ne
s’applique pas, et il convient alors de “répartir” la valeur de la
propriété entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. En l’absence de
précisions données par les autorités comptables, la doctrine
recommande de faire application des solutions généralement
admises en la matière58. Ainsi, les biens possédés en nue-
propriété s’enregistrent (chez le nu-propriétaire) en
immobilisations corporelles, et les actifs en usufruit doivent être
comptabilisés (chez l’usufruitier) en immobilisations
incorporelles59. L’usufruitier procèdera à l’amortissement de son
droit sur la durée de l’usufruit et sur une base correspondant à sa
valeur économique60. Le nu-propriétaire amortira son droit de la
même façon (s’il s’agit d’un bien qui se déprécie et si l’usufruitier
n’a pas l’obligation de le rendre dans son état initial).

b) Des effets limités


132Puisque les contrats de location, et les mandats de gestion de
portefeuilles-titres, sont exclus par la doctrine comptable, on
peut légitimement se demander quelles sont les situations dans
lesquelles l’application du critère du contrôle entraînera des
solutions différentes de celles qui résultent de l’application du
critère de propriété. Il semble bien que les changements ne soient
pas si nombreux que cela et l’on peine à trouver des exemples
vraiment significatifs. On ajoutera que la prise en compte du
contrôle à la place de la propriété ne doit pas selon nous remettre
en cause la conception patrimoniale du bilan qui a simplement
évoluée.
 61 Ins. 30/12/2005, préc., no 5.

 62 M. COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, 32ème éd., Litec, 2008-


2009, no 186 ; M. COZIAN et (...)
133Des situations particulières – Dans son commentaire sur les
évolutions du droit comptable, l’administration fiscale avait
évoqué le cas des contrats de sous-traitance 61. Selon elle en
effet, c’est le donneur d’ordre, et non-plus le sous-traitant
propriétaire, qui devra inscrire à son bilan les biens dont il a
confié la conception au sous-traitant et qui serviront pour
fabriquer les pièces dont il a besoin. Cet exemple a été par la
suite plusieurs fois repris par la doctrine comptable et fiscale 62.
D’autres situations peuvent aussi être trouvées dans les
opérations de financement des entreprises qui, bien que cédant
des éléments d’actifs (souvent des stocks), continuent d’en
assumer le risque (le contrat prévoit généralement que
l’acquéreur sera indemnisé à hauteur des pertes sur stocks), ou
dans des opérations de mise à disposition d’éléments
d’équipement chez des commerçants et destinés à l’écoulement
des marchandises que celui-ci s’est engagé à acheter au
fournisseur (ici aussi, tout dépendra du point de savoir qui a le
contrôle des équipements en question).
 63 B. COLASSE, Par-delà le modèle comptable normalisé, journée AFC-
CNC, Paris 30/12/1992, p. 90.

134Une nouvelle forme de patrimonialité – Plus que les


conséquences, limitées semble-t-il, de la mise en œuvre du
nouveau critère, c’est le maintien de la nature patrimoniale du
bilan qui rassurera les juristes. Bernard Colasse exprimait la
supériorité du modèle patrimonial sur le modèle normalisé de la
façon suivante “Sa simplicité syntaxique, sa robustesse
conceptuelle et son efficacité pédagogique font qu’un tel modèle
ne s’amende pas facilement quelle que soit la vigueur des
contestations dont il peut être l’objet” 63. Cette citation nous
semble avoir conservé tout son intérêt aujourd’hui, alors même
que le modèle patrimonial a été effectivement amendé en 2005,
mais dans un sens que l’auteur n’avait peut-être pas imaginé…
En effet, si la propriété juridique (droit réel) a cédé partiellement
sa place à la propriété économique (contrôle), il sera impossible
de renoncer aux droits personnels (créances et dettes). Le bilan
est construit ainsi ; les “ressources” qui figurent au passif sont
des dettes de l’entité (y compris les capitaux propres dus aux
investisseurs), et les “emplois” comprennent les créances nées de
l’activité de l’entreprise. La nouvelle définition des actifs
(éléments contrôlés par l’entreprise) et des passifs (obligations de
l’entreprise vis-à-vis des tiers), qui sont reprises du cadre
conceptuel de l’I.A.S.B., s’inscrivent parfaitement dans cette
nouvelle forme de patrimonialité qui n’ignore que pour partie les
droits réels et continue de faire du bilan un ensemble de droits et
d’obligations appartenant à une même entité juridique. Le bilan
conserve donc sa nature patrimoniale ; il est d’ailleurs patent de
constater que le nouveau plan comptable fait encore référence
aux “éléments du patrimoine” ayant une valeur positive (actifs,
PCG art. 211-1-1), ou négative (passifs, PCG art. 212-2-1), pour
l’entité.
 64 M. COZIAN et P. J. GAUDEL, op. cit., no 337.

 65 HORACE, “Epîtres I”, Livre I, Epître X, v. 24.

135Dans cette nouvelle forme de patrimonialité reconnue au bilan,


l’analyse juridique conserve toute sa place. Ainsi, même
l’application du critère du contrôle suppose une analyse juridique
du contrat. Finalement, le critère du contrôle est purement…
juridique. Ainsi qu’il a été écrit, ce sont paradoxalement les
juristes qui auront le dernier mot sur une question
comptable64. Naturam expelles furca, tamen usque recurret 65 ;
“Chassez le naturel et il revient au galop”… En définitive, si la
comptabilité n’est peut-être plus aujourd’hui tout à fait “l’algèbre
du droit”, il existera toujours, et c’est heureux, un droit de la
comptabilité.

CONCLUSION
 66 P. GOUR, Les biens professionnels  : contribution à l’étude d’une notion
émergente en droit fiscal,(...)

136L’entreprise individuelle existe donc dans le code de


commerce, nous l’avons rencontrée ! Bien qu’imparfaite, sa
dimension patrimoniale, à la fois sur le plan juridique, comptable
et fiscal, est indiscutable. Comment, d’ailleurs, pourrait-il en aller
autrement ? Avant même d’être identifiée par le droit, l’entreprise
était d’abord une réalité économique. Or précisément
“l’entreprise”, au sens premier du terme, ne peut être définie que
par son objet, lequel consiste à créer et produire des biens et des
services. En définitive, la forme est secondaire ; même lorsqu’elle
est l’œuvre d’une seule personne, l’entreprise suppose que soit
mis en œuvre un ensemble de moyens dont la conjonction
permettra d’atteindre le but recherché. Par suite, la nature
commune des éléments constitutifs ne pouvait déboucher que sur
un régime commun ; celui des biens professionnels. La doctrine
commence sérieusement à s’intéresser aux “biens
professionnels”, et certains auteurs ne craignent pas d’avancer
une conception unitaire de cette notion et de proposer la mise en
place d’un registre général des biens professionnels 66. La
proposition est audacieuse, et sans doute pas réalisable eu égard
à la grande diversité des situations auxquelles elle est susceptible
de s’intéresser, mais elle témoigne en tout cas de son importance
grandissante sur le terrain de la recherche juridique. Pour autant,
la notion de bien professionnel n’est pas qu’un sujet d’étude ni
une fin en soi. Elle répond aussi et surtout à un besoin
économique et financier ; favoriser l’emploi et la croissance. Il est
des raisons économiques et sociales que le droit ne peut
ignorer… Le droit au service de l’économie ? Nous préférons dire
“le droit au service de la société”.
NOTES
1 Loi n  2007-211 du 19 février 2007, JO, 21/02/2007, p. 3052.
o

2 Loi n  2008-776 du 4 août 2008, JO, 05/08/2008, p. 12.471.


o

3 M. LEROY, “Le passif fiduciaire”, Droit & Patrimoine, n  171, juin


o

2008, p. 585.

4 On se reportera à l’exposé des motifs de la loi (séance du


1  septembre 1807, Livre I, titres I à VII) : “Mais on a jugé que ce n’était
er

pas assez (nous précisons : les prescriptions de l’ordonnance de


Colbert de 1673), la conscience du commerçant doit se trouver toute
entière dans ses livres”.

5 Notamment CE 10/06/1970, n  75161 ; CE 17/10/1990,


o

n  56991, RJ 12/90, n  1434.
o o

6 D. Adm., 4 B-122, n  5 et 6.


o

7 Notamment CE 25/11/1985, n  49979, RJF 2/86, n  155.


o o

8 CE 30/04/2004, n  247436, RJF, 7/04, n  714 ; Concl. P.


o o

COLLIN, BDCF, 7/04, n  89. o

9 CE 10/02/2006, n  265117 et n  265122, RJF, 5/06, n  528 ;


o o o

Concl. (partiellement contraires) P. COLLIN, BDCF, 5/06, n  61. o

10 Cass. Civ. 2 , 08/04/2004, Bull. Civ. II, n  190 ; D., 2004 p. 1383,


e o

obs. RONDEY ; RDC, 2004, p. 953, obs. BRUSCHI ; RTD Com, 2004,


p. 820, obs. PAISANT ; Contr., Conc., Cons. avril 2005, chron. 1, p. 12,
obs. GJIDARA.

11 Ph. SIMLER, J. Class. Civil, Code, art. 1131 à 1133 du Code civil,
Fasc. 10, “Contrats et obligations – La cause – notion, preuve,
sanctions”, n  42.
o
12 Ph. SIMLER, ibid.

13 Dossiers internationaux Francis Lefebvre , “Pays-Bas”, EFL, 2001,


3  éd.
e

14 F. CHAUDET, Droit suisse des affaires, 2  édition, Helbing &


e

Lichtenhahn, Bruylant, LGDJ, 2004.

15 Dossiers internationaux Francis Lefebvre , “Suisse”, EFL, 2001,


5  éd., n  4596.
e o

16 A. LEVASSEUR, Droit des Etats-Unis, Dalloz, 2  éd. 1994 ; John


ème

Newman, Dossier internationaux Francis Lefebvre, “Etats-Unis”, 2001.

17 L. PINTURIER, C. LEJONETTE-ROSSON, Manuel de comptabilité


anglo-saxonne, Litec, 2  édition, 2005, n  23.
e o

18 Section 62 de l’IRC.

19 Dossiers internationaux, Francis Lefebvre , “Espagne : juridique,


fiscal, social, comptable”, 6  éd., 2005, n  1991.
e o

20 T. DURBECK, Le patrimoine des entreprises en droit fiscal allemand


et français, Th. Montpellier I, 1989.

21 S. GUINCHARD, L’affectation des biens en droit privé français , LGDJ,


Bibl. droit privé, 1976, n  51. o

22 C. Civ., art. 1300.

23 C. LARROUMET, Les obligations  ; le contrat, Economica, 2003,


p. 235, n  257.
o

24 C. LARROUMET, op. cit. n  261. o

25 Y. BENARD, “Patrimoine professionnel et dépenses déductibles :


utilité fait loi”, RJF, 7/06, Chron. p. 607, note 1.

26 CE 08/07/1998, 8  et 9  Sous-sections, requête n  164 657,


ème ème o

concl. G. BACHELIER, Dr. Fisc., 1998, n  42, comm. 896.


o
27 F. DEBOISSY, “Retour sur l’arrêt Meissonnier : le “bail fiscal” existe-
t-il ?”, RTD Com., 2001, n  4, p. 1013.
o

28 Y. BÉNARD, art. préc.

29 T. DURBECK, Le patrimoine des entreprises en droit fiscal allemand


et français, thèse préc., p. 53 s.

30 Sur la classification des biens en droit fiscal allemand, V. supra A –


2.

31 T. DURBECK, thèse préc., p. 55. L’auteur cite plusieurs auteurs


allemands qui soutiennent cette position, dont Brigitte Knobbe-Keuk,
Ludwig Schmidt, et Franz Wassermeyer.

32 Dossiers internationaux Francis Lefebvre , “Allemagne, juridique,


fiscal et social”, 7  éd. p. 253, n  2168 A.
ème o

33 Dossiers internationaux Francis Lefebvre , “Espagne, juridique, fiscal


et social”, 6  éd., p. 285, n  1992, et p. 211, n  1670.
ème o o

34 CE 11/04/2008, 2 arrêts, “Roche” et “Huynh Kinh”, RJF, 7/08,


n  813.
o

35 Rép. min. n  40698 à M. Cuillandre, JOAN, 03 avril 2000, p. 2188 ;


o

Rép. min. budget n  28373 à M. Leteurtre, Dr. Fisc., 2004, n  24,


o o

p. 978, n  117.
o

36 Ces phases sont mises en évidence dans l’article de COLASSE et


STANDISH (1998), [“De la réforme 1996-1998 du dispositif français de
la normalisation comptable”, Comptabilité-Contrôle-Audit, Tome 4,
vol. 2, septembre, p. 5 à 27. ]
Ces auteurs distinguent 4 phases en mettant en parallèle la situation
économique française et l’évolution du modèle comptable :
1946-1957 : le temps de la reconstruction, la naissance de la
normalisation comptable “à la française ” ;
1958-1973 : le temps de la modernisation et l’ouverture, le
renforcement de la normalisation “à la française ” ;
1974-1983 : le temps des fluctuations économiques, l’apogée de la
normalisation “à la française ” ;
1984 - … : le temps de la mondialisation, la normalisation “à la
française” mise à l’épreuve.

37 Le droit comptable au sens de B. COLASSE (2004, p. 2) [“L’évolution


récente du droit comptable”, L’actualité comptable, ENS Cachan,
septembre] est un “ensemble de textes hiérarchisés exclusivement
consacré et, plus généralement à la production à la représentation et à
la diffusion de l’information comptable”. Ce droit comptable résulte de
la transposition de la 4  directive européenne de 1978 sur
e

l’établissement des comptes sociaux. Par ailleurs, le référentiel


international de l’IASB a également influencé, de façon profonde, la
nature même des textes composant le droit comptable actuel.

38 A. VIANDIER, Droit comptable, Dalloz, 1984, n  339 à 345 ; B.


o

COLASSE, “Où il est question d’un cadre conceptuel français”, Revue de


droit comptable, 1991, p. 14-15 ; B. RAYBAUD-TURILLO, Le modèle
comptable patrimonial  : les enjeux d’un droit comptable substantiel,
Ed. Vuibert, 1997.

39 Relatif à la définition, comptabilisation et évaluation des actifs.

40 P. GARNIER, La comptabilité, algèbre du droit et méthode


d’observation des phénomènes économiques, Dunod, 1947.

41 International Financial Reporting Interpretations Committee.

42 Par exemple, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique…

43 Historiquement, dans ce modèle, les normes comptables résultent


des usages (et non d’un droit codifié) et sont marquées par la
prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique.

44 B. RAYBAUT-TURILLO, op. cit.


45 D. Adm., 4 D-264, n  2 ; CE 07/02/1979, req. n  8475 ; il ne pourra
o o

donc déduire que les amortissements, lesquels sont calculés en


fonction de la durée normale d’utilisation du bien.

46 Cass. Civ. 1 , 01/12/1964, JCP, 1965, II, 14213, note ESMEIN.


ère

47 CE 19/04/2000, RJF, 5/00, n  63. o

48 CE 25/04/2003, RJF, 7/03, n  862. o

49 L. F. rec., 2003, CGI art. 1469.

50 M. COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises ,


Litec, 1999, Doc. n  11 et 12.
o

51 A. de WAAL, “Immobilisation des redevances versées en


contrepartie d’un droit d’utilisation. Interrogation sur une théorie
prétorienne”, Dr. Fisc., 1995, n 45-46, p. 1612.
o

52 CE 21/08/1996, RJF, 10/96, n  1137. o

53 G. CORNU, Droit civil, Les biens, Domat droit privé, 13  éd., 2007, ème

n  4.
o

54 Ins. 30/12/2005, n  8, BOI 4 A-13-05.


o

55 Ins. 30/12/2005, préc., n  3. o

56 V. Mémento comptable, FL, 2008, n  2209-1. o

57 A de BISSY, “Aspects fiscaux de la fiducie. Loi du 19 février


2007”, JCP E, 2007, 1516, sp. n  28. o

58 Mémento Comptable FL, préc., n  1345. o

59 R. OBERT, “Le traitement comptable de l’usufruit et de la nue-


propriété”, RFC, n  393, Déc. 2006, p. 4.
o

60 P. FERNOUX, “Nouvelles normes comptables et gestion de


patrimoine”, BF, 8-9/07, p. 645, sp. n  12 s. o
61 Ins. 30/12/2005, préc., n  5. o

62 M. COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, 32  éd., Litec, ème

2008-2009, n  186 ; M. COZIAN et P. J. GAUDEL, La comptabilité


o

racontée aux juristes, 1 éd., Litec, 2006, n  337.


ère o

63 B. COLASSE, Par-delà le modèle comptable normalisé, journée AFC-


CNC, Paris 30/12/1992, p. 90.

64 M. COZIAN et P. J. GAUDEL, op. cit., n  337. o

65 HORACE, “Epîtres I”, Livre I, Epître X, v. 24.

66 P. GOUR, Les biens professionnels  : contribution à l’étude d’une


notion émergente en droit fiscal, Thèse Montpellier, 2007.

AUTEURS
Arnaud De  Bissy
Maître de Conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)
Constant Djama
Maître de Conférences en science de gestion à l’Université de Toulouse
Karim Amari
Allocataire de recherche chargé de travaux dirigés à l’Université de Toulouse
Grégoire Loustalet
Chargé de travaux dirigés à l’Université de Toulouse

Les tribunaux de commerce :


une institution au service de
la modernité
Jacques Raibaut

p. 309-322

La modernité est un mot qu’utilise chaque génération car chaque


génération redoute pour son développement les freins secrets de
la tradition. Ainsi, parler de la modernité exorcise les pesanteurs
que chaque période tente de léguer à la suivante. Il est donc
naturel de traiter de la modernité d’une institution vieille de
presque cinq siècles et qui a traversé sans modifications
institutionnelles significatives de multiples changements
politiques radicaux et de multiples évolutions économiques.
Monsieur le Président Bezard, dans les propos conclusifs qu’il tint
lors du colloque du Bicentenaire à la Sorbonne, caractérisait cette
situation par le terme de stabilité : “stabilité... (des) juridictions
spécialisées... Les Tribunaux de commerce, écrit-il, (qui) sont
toujours là, composés de juges élus issus du monde économique,
sont des tribunaux de l’ancienne France que la révolution a
respectés et qui ont survécu sous toutes les Royautés, les Empires
et les Républiques qui se sont succédé au XIX  et au XX  siècle”.
e e

2Stabilité est en effet le mot qui convient car la stabilité n’est pas
l’immobilisme, elle exprime la capacité à maintenir une
permanence dans les fluctuations de l’environnement : c’est bien
la capacité illustrée par les tribunaux de commerce.
3Pourtant, dès leur création, ces juridictions d’exception se sont
heurtées à l’hostilité des juridictions de droit commun.
4Ainsi dès l’attribution du pouvoir juridictionnel de plein exercice
à la Bourse des Marchands de Toulouse par l’ Edit Royal de juillet
1549, enregistré par le Parlement en Décembre de la même
année, les conseillers au Parlement vont tenter de contrôler
l’élection des consuls, ces “pieds poudreux” dont le roi faisait des
magistrats ! Il faudra, sur l’insistance des marchands toulousains
une nouvelle lettre patente du Roi du 27 mai 1551pour mettre un
terme à cette tentative. Ainsi était posé dès l’aurore de cette
nouvelle juridiction un principe d’autonomie des sources de sa
légitimité fondée sur l’élection dont elle ne se départira pas tout
au long de sa longue histoire. Affirmation forte et originale d’une
oction démocratique sur la modernité de laquelle nous
reviendrons.
5Mais les juridictions inférieures, en l’occurrence les présidiaux,
cherchaient à récupérer l’appel des sentences consulaires alors
que l’édit Royal l’avait dévolu au Parlement. Cette procédure
aurait multiplié les appels pour les affaires importantes : devant
le présidial puis devant le Parlement. Les marchands Toulousains
font valoir auprès du Roi que l’on s’éloigne du principe posé par
l’ordonnance de 1549 de pouvoir procéder “sommairement sans
longue figure de procès”. Le Roi en convient et par un édit du 7
décembre 1551 écarte les présidiaux des affaires commerciales
confirmant les principes d’un seul degré d’appel et de procédures
rapides. A nouveau dès l’origine de nos juridictions les
marchands, soucieux d’efficacité – de modernité pourrait-on dire
– établissent les principes de la rapidité et de la simplicité de la
procédure pour les procès commerciaux que le droit processuel
prendra définitivement en compte.
6Une dernière image, enfin, qui est celle du lieu même de la
juridiction. L’Edit organique de juillet 1549 autorisait les
marchands à réclamer un immeuble indépendant aux Capitouls
toulousains, institution de démocratie municipale propre à la
ville. Ces derniers s’y refusent et leur tentative d’influence sur la
juridiction consulaire est telle que celle-ci en est réduite à tenir
ses délibérés dans des arrières-boutiques. Nouvel appel au Roi :
par lettre patente du 3 mai 1557 il ordonne une nouvelle fois aux
Capitouls d’accorder aux prieurs et aux consuls un immeuble
indépendant “tant pour le décorement de nostre dicte de ville de
Tholoze que pour l’utilité des dicts marchands ”. Rien n’y fait et il
faudra une nouvelle lettre du Roi, dans laquelle ce dernier
prudent précise que l’immeuble doit être propre et commode,
pour que enfin le 22 avril 1559 les Capitouls se rendent aux
injonctions sévères du Roi. L’institution s’insérait désormais dans
le tableau institutionnel de la Justice à l’égal des autres
juridictions.
 1 C. SAINT ALARY-HOUIN, La Légitimité des Juges, p. 173, Presses de
l’Université des Sciences social (...)

7Les grands principes ayant été posés, repris et complétés en


1563 lors de la création de la Bourse de Paris 1, le développement
de ces Juridictions sur l’ensemble du Royaume pouvait
commencer. A la veille de la Révolution on en dénombrait 70.
Elles auraient dû logiquement disparaître (1) “au nom de l’égalité
des citoyens qui impose la suppression des classes et de l’unité
du droit qui implique l’unité des juridictions. Leur existence a été
légitimée, les commerçants ayant su convaincre de l’utilité de
leurs tribunaux qui rendaient une justice rapide, adaptée aux
exigences du commerce et ayant la connaissance des dispositions
propres de source largement coutumière”. Ces juridictions seront
uniformisées par le Code de Commerce en 1807 désormais
appelées Tribunaux de Commerce.
 2 Ibid., p. 174.

8Le XIX , siècle de l’expansion industrielle et commerciale verra


ème

la carte judiciaire des tribunaux de commerce recenser environ


250 Juridictions. Ce n’est qu’à la fin du siècle qu’une contestation
forte et résolue est portée par l’un des grands commercialistes de
ce XIX  siècle, Thaller. Il conteste l’utilité de la juridiction “en
e

observant que l’importance des usages recule, que la technicité


du droit des sociétés justifierait la compétence de tribunaux civils
et que les pays voisins ignorent une telle institution 2”. Dès lors le
mouvement de contestation des Tribunaux de commerce sera
récurrent et rebondira lors du rattachement de l’Alsace Lorraine
dont le modèle germanique d’échevinage satisferait les critiques,
qui en réalité visent la légitimité même des tribunaux de
commerce. Critiques reprises en 1985 par le Garde des Sceaux
Robert Badinter puis plus récemment en 1997, mais avec une
surprenante violence, par les députés Colcombet et Montebourg
chargés d’une commission d’enquête parlementaire qui
produiront un rapport intitulé, avec l’humour et l’élégance d’un
hebdomadaire satyrique : “Les tribunaux de Commerce : une
justice en faillite ?” De ce rapport naîtra un projet de réforme
fondé sur une mixité avec les juges professionnels.
9Après bien des péripéties le projet fut abandonné par la nouvelle
majorité et les tribunaux de commerce furent sauvés.
10La plupart d’entre nous s’interrogèrent alors : jusques à
quand ?
11Question salutaire qui a marqué depuis l’action de la
Conférence Générale des Tribunaux de Commerce, conçue
comme un nouvel élan vers la modernité.
 3 Ibid., p. 181.

12Le Professeur Saint-Alary-Houin s’interrogeant sur la légitimité


des Tribunaux de Commerce conclue qu’au “fil de l’histoire la
juridiction consulaire a été sans cesse menacée et a toujours
triomphé de ses détracteurs... Comment mieux justifier la
légitimité d’une institution que d’observer sa pérennité malgré les
épreuves”3. Ce lien entre la légitimité et la pérennité illustre la
qualité majeure des tribunaux de Commerce qui est leur
modernité récursive en relation directe avec les problématiques
mouvantes de l’économie et du droit des affaires, illustrée par
leur Jurisprudence (I), mais aussi par leur Politique institutionnelle
(II).

I – UNE MODERNITÉ
RÉCURSIVE
13Du droit des marchands, élaboré sur la base d’usages, au droit
des affaires de notre temps composé de multiples dispositions
dont l’origine est nationale, européenne ou internationales,
l’environnement juridique de l’économie est marqué par une
sorte de course poursuite entre le développement des activités et
la nécessaire régulation de celles-ci. La solution des difficultés ne
peut attendre et c’est le Juge qui, le temps que la Loi étende son
domaine, assurera la légitimation ou le rejet, d’une pratique
nouvelle, d’une formulation inédite, créera même la procédure
judiciaire manquante.
14Tout au long de leur histoire les Tribunaux de commerce,
fondés sur leur plénitude de juridiction et le sens aigu des
nécessités de la vie économique, ont apporté à la construction du
droit des affaires maintes solutions juridiques ou procédurales
que la Loi entérinera par la suite (A). Mais leur rôle ne s’est pas
limité à cette seule fonction de réponse aux exigences de
modernités successives, ils ont aussi suscité la modernité en
enrichissant leurs procédures et le traitement des difficultés des
entreprises (B).

A – Les initiatives séculaires et récentes


des Tribunaux de Commerce au service de
la modernité
15Sans vouloir faire un exposé exhaustif de toutes les initiatives
prises par les juridictions consulaires nous n’en retiendrons que
quelques-unes parmi les plus marquantes, nous attardant plus
longuement sur cette fonction des juridictions aujourd’hui.
16C’est évidemment dans le domaine des procédures collectives
que les initiatives de la juridiction consulaire seront les plus
nombreuses.
17Certaines viseront à répondre aux lacunes de la Loi afin de
mieux prendre en compte la réalité économique.
18Ainsi en est-il du long combat mené par les tribunaux de
commerce pour installer aux côtés de la faillite créée par le Code
de Commerce une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice
du débiteur malheureux et de bonne foi. La Loi avait instauré
après la guerre de 1870 une procédure de circonstance et
temporaire pour régler le sort des commerçants ruinés par ces
événements. En 1872, au terme du délai imparti par la Loi pour
son application le tribunal de Commerce de Lyon, bientôt suivi
par d’autres, continua d’appliquer cette procédure de liquidation
judiciaire à des commerçants dont les difficultés relevaient plus
d’une situation économique que de mauvaise gestion ou de
fautes. Le progrès était considérable car le débiteur n’était plus
incapable majeur. Il fallut attendre la loi du 4 mars 1889 pour que
soit entériné définitivement cette jurisprudence, que les tribunaux
maintenaient, ouvrant la voie à un traitement plus réaliste et
moderne des difficultés des entreprises.
19Dans la même veine les tribunaux de commerce avaient pallié
une lacune du Code de Commerce en inventant la clôture pour
extinction du passif. Le Code en effet ne prévoyait aucun moyen
de clôturer une procédure à la suite du désintéressement des
créanciers. La Cour d’Appel de Paris avait admis la clôture
prononcée en ce cas par certains tribunaux de commerce “faute
de passif”, mais ce n’est que par le décret du 20 mai 1955 que
cette jurisprudence fut entérinée, et encore fallut-il attendre la loi
de 1967 pour préciser la complète réhabilitation, en ce cas, du
débiteur.
20On peut citer aussi la régularisation par la Loi de 1985 de la
pratique prétorienne de la répartition “au marc le franc” du
produit d’une action en comblement du passif, mais aussi la
limitation dans le temps des sanctions que la jurisprudence des
Tribunaux de commerce, suivant en cela la juridiction parisienne,
avait unanimement accueillie confrontée au silence redoutable de
la Loi de 1967. Bien d’autres initiatives prétoriennes ont jalonné
le cours des dispositions légales des procédures collectives :
l’organisation de la publicité des procédures collectives, le
contrôle de la comptabilité des procédures, la publicité des
créances privilégiées du Trésor etc.
21A ces initiatives prétoriennes s’est souvent ajouté un rôle de
jurisconsulte écouté tenu par la CGTC dans la préparation de
nouvelles Lois. L’illustration la plus récente et la plus significative
est l’élaboration de la Loi de Sauvegarde dont le projet, traduisant
l’esprit d’anticipation porté par les juridictions consulaires depuis
de très nombreuses années, fut modifié sur des aspects
essentiels, tels ceux de la confidentialité dans la procédure de
conciliation ou le maintien de la possibilité de plans de cessions
dans le cadre des procédures de RJ ou sauvegarde.
22La créativité jurisprudentielle et conceptuelle des juridictions
consulaires ou de la Conférence Générale, fondée par l’esprit de
modernité lié au réalisme économique, ne s’est pas bornée au
domaine des procédures collectives.
23Tout le champ du droit commercial puis du droit des affaires a
bénéficié de ces initiatives : ici aussi ce furent
 soit des initiatives prétoriennes,
 soit des recommandations argumentées de la Conférence.

24Pour les premières citons la reconnaissance des effets du


chèque barré, du contrat de crédit bail, des clauses de réserve de
propriété.
25Pour les recommandations de la Conférence Générale on peut
citer quelques exemples significatifs : la loi
du 9 juillet
1975 entérinant l’avis de la conférence de 1966 d’autoriser le
juge à modifier les clauses pénales léonines ou dérisoires, l’avis
de la Conférence de 1962 suggérant l’inscription d’un
nantissement judiciaire définitif sur le fonds de commerce au
bénéfice du créancier titré repris par la loi du 9 juillet 1991, la loi
du 4 juillet 1972 organisant la publication des opérations de
crédit bail sur un registre spécial tenu au greffe adoptait la
solution suggérée par la Conférence en 1967 etc.
 4 Guy CANIVET, Actes du Colloque du Bicentenaire du C. Com., p. 37,
Dalloz, 2007.

26Sans doute peut-on aussi, sans vouloir s’arroger plus de


mérites que nous n’en avons, soutenir que l’ensemble consulaire
par ses décisions et la théorisation des besoins de l’activité
économique est un acteur important de la construction
jurisprudentielle de la Haute Cour dont il est souvent le fait
générateur. Permettez-moi de citer le Président Canivet et
d’entendre dans ses propos un écho puissant des oeuvres
consulaires : “... la jurisprudence commerciale, écrit-il, a
d’emblée présenté un dynamisme créateur. Sa vitalité s’explique
par l’exigence de pragmatisme et de souplesse du droit
régulateur de l’économie. Ainsi sans l’appui des textes
spécifiques, la jurisprudence a fondé le régime juridique de
mécanismes issus de la pratique des commerçants : en
témoignent notamment les constructions prétoriennes sur le
compte courant, la lettre d’intention, la concurrence déloyale,
l’abus de majorité, le séquestre judiciaire des titres sociaux ou la
nomination d’un administrateur provisoire de société... Dans le
même mouvement, afin de préserver la sécurité des transactions
commerciales”, la jurisprudence écarta les conséquences jugées
trop strictes du principe de l’autonomie de la volonté, par
exemple en ouvrant la possibilité d’une réfaction judiciaire du
contrat, en créant le concept “d’économie générale du contrat”,
en renforçant l’obligation de loyauté contractuelle et l’éthique des
affaires4.
27En plus de leur apport dans l’élaboration du droit substantiel,
les juridictions consulaires ont, aussi, toujours été attentives à la
modernisation de leurs procédures afin de répondre aux
exigences de rapidité et d’efficacité dont la vivacité du flux de
l’économie a besoin.

B – Eviter les “longues figures de procès”


28Nous l’avons rappelé, l’un des objectifs fondamentaux de la
juridiction consulaire est l’efficience judiciaire dans le respect des
droits du justiciable. Deux mesures d’initiative prétorienne
illustrent particulièrement la satisfaction de cet objectif le juge
rapporteur et la prévention des difficultés des entreprises.
29C’est le tribunal de commerce de la Seine qui en 1850 inventa
le juge rapporteur (ou le ré-inventa) et l’utilisa dès lors
ordinairement. Cette innovation fut admise par la Cour de
cassation dans un arrêt du 20 mai 1885 et finalement consacrée
en 1975 dans les articles 862 à 869 du nouveau Code de
Procédure Civile. La pratique définie par le Tribunal de Commerce
de Paris tend aujourd’hui à se généraliser dans l’ensemble des
juridictions consulaires.
30Désigné par le Président de l’audience, avec l’accord des
parties, le juge rapporteur reçoit les dossiers des parties avant de
les entendre contradictoirement avec leurs conseils si tel est le
cas. A l’issue de cette audience le juge rédige son rapport destiné
à la formation collégiale qui après avoir délibéré rend son
jugement. Le NCPC a investi le juge rapporteur de pouvoirs
d’administration judiciaire par voie d’ordonnances : mesures
d’instructions, injonctions de communication, jonction et
disjonction d’instances. Plus qu’un juge de la mise en état c’est
un juge de l’instruction de l’affaire contentieuse pour en accélérer
la solution. Le coeur de cette procédure c’est le dialogue
judiciaire qui s’établit, sans grand formalisme mais dans le
respect du contradictoire, entre le juge et les plaideurs : c’est le
gage d’une meilleure compréhension du contentieux déféré et
donc d’un moins grand écart entre la vérité judiciaire qui naîtra
du jugement de la vérité objective toujours difficile à établir.
Procédure pragmatique, souple et rapide justifiée par le souci
d’efficacité.
31Anticiper les difficultés pour les contenir et les maîtriser.
32Portant un regard d’hommes d’entreprises sur les procédures
collectives qui leur étaient déférées les juges consulaires étaient
trop souvent désappointés de constater que quelques mois, voire
parfois quelques semaines, avant la désespérante cessation de
paiement le sauvetage de l’entreprise aurait pu réussir si... si les
débiteurs avaient pu trouver une procédure adaptée à leur
situation difficile mais pas irrémédiablement compromise, si leur
environnement financier avait pu être sécurisé par des
engagements vérifiés et crédibles, si leurs créanciers publics ou
privés avaient pu nouer avec eux un dialogue argumenté, si leurs
clients et leurs fournisseurs avaient reçu des gages de confiance
etc. A ce constat malheureux s’ajoutait celui de l’échec de
beaucoup des procédures ouvertes en règlement judiciaire ou
plus tard redressement judiciaire qui étaient trop souvent
l’antichambre de la liquidation judiciaire.
33Mais la Loi n’offrait aucune procédure adaptée.
34Les Juges consulaires décidèrent donc d’imaginer une
procédure de prévention dès le début des années 60 en inventant
une fois encore ce dont avait besoin l’économie. En prenant
l’initiative de créer de toutes pièces la procédure du
mandataire ad hoc le Tribunal de Commerce de Paris ouvrait une
nouvelle page dans la longue histoire de la modernité des
tribunaux de commerce. Le législateur avait compris assez tôt
l’importance de cette nouvelle voie pour la régulation de
l’économie et la sauvegarde des emplois qui apparaissait déjà en
filigrane de la prévention. Il consacra cette voie par l’ ordonnance
de 1967 sur la suspension provisoire des poursuites qui disparut
lors du mauvais procès, sous jacent à la réforme de 1985, fait aux
Tribunaux de commerce. Il faudra attendre la Loi du 1   mars er

1984 pour qu’apparaisse une timide procédure de prévention qui,


fort curieusement, ne visait le mandat ad hoc, clef de voûte de la
construction prétorienne qu’au détour de la formule autorisant le
président à y avoir recours !
35Fort heureusement pendant tout ce temps, la plupart des
tribunaux de commerce avaient suivi l’initiative parisienne. La
construction de ce qui apparaît, désormais, comme un domaine
nouveau de l’activité des tribunaux s’était perfectionnée en
distinguant la prévention détection et la prévention traitement.
La loi du 26 juillet 2005 enfin se fondera ouvertement sur ce
concept d’anticipation : “Ainsi, par l’anticipation qu’elle permet, la
procédure de sauvegarde renforce l’efficacité de notre droit”
précise l’exposé des motifs du texte de loi. Quel plus bel
hommage rendu à la modernité des juridictions consulaires qui
depuis plusieurs décennies déjà avaient théorisé et mis en œuvre
ce concept d’anticipation fondant leur pratique de la Prévention !
36Ce concept de prévention est devenu, depuis le milieu du
XX  siècle l’un des maîtres mot de l’action publique moderne.
e

37Il vise à substituer au constat du cours aveugle des évènements


la maîtrise des difficultés prévisibles dans un environnement
incertain. Pour leur part, c’est bien cet exercice que les juges
consulaires suscitent et soutiennent au bénéfice des entreprises
en difficulté. Exercice délicat s’il en est, exigeant de la part du
praticien, certes des outils conceptuels, mais aussi et surtout la
sagesse née de l’expérience vivante de l’entreprise. L’importance
et la pertinence de la prévention des difficultés des entreprises
développée par les Tribunaux de commerce confèrent à nos
juridictions un rôle unique au service de l’économie dont on n’a
peut être pas mesuré encore tous les effets en terme de
sauvegarde des emplois et de création de richesse, certes, mais
aussi en terme de réussite juridictionnelle. En effet en se
mobilisant ainsi pour la prévention des difficultés des entreprises
les juridictions consulaires se sont inscrites, bien avant la lettre
de la Loi, dans l’orientation nouvelle des politiques judiciaires
dédiées à la prévention dans le droit de la famille, le droit pénal
ou le droit de la consommation, pour ne faire référence qu’à la
législation française.
38Mais dans un environnement économique et juridique dont les
transformations se bousculent avec une rapidité jamais atteinte
les juridictions consulaires se trouvent désormais confrontées à
des difficultés nouvelles qui, si elles ne leurs sont pas propres et
touchent toute la chaîne juridictionnelle du droit des affaires, ne
leur imposent pas moins des obligations singulières.
39Quelles sont ces problèmatiques nouvelles et quels moyens se
donnent-elles pour y répondre ?

II – UN NOUVEL ELAN
A – Les problématiques nouvelles
 5 P. BEZARD, Colloque Bicentenaire, déjà cité, p. 517.

40Nous l’avons déjà signalé, les lois visant à réguler l’activité


économique sont souvent dépassées par l’accélération et la
nouveauté des phénomènes économiques et financiers 5 et
l’histoire que nous avons rapidement parcourue des juridictions
consulaires montre l’apport de la jurisprudence en tant que
véritable source de droit.
41Mais aujourd’hui la prolifération des lois est telle qu’elles se
superposent, parfois même se contredisent, leur rédaction est
médiocre voire confuse, les décrets d’application sont retardés,
parfois même reportés sine die, il en résulte une illisibilité pour
les justiciables qui attendent dès lors du juge une clef de lecture
clarifiante et sécurisée. Aux lois et décrets s’ajoute toute la
production “para-règlementaire” des instructions, règlements,
codes de bonne conduite établis par les administrations, les
organismes professionnels, les diverses institutions de
réglementation à propos desquels on hésite souvent sur leur
pouvoir contraignant. S’ajoute encore tout le cortège des
dispositions européennes règlements, directives, jurisprudence
normative qui s’imposent de surcroît au droit français. Enfin la
mondialisation, bousculant les frontières, étend des pratiques
d’autres pays, surtout en matière contractuelle, dont la
conformité avec le droit français n’est pas assurée. Au vu de ces
observations et avec justesse le Président Bézard note “que les
juridictions ne sont alors plus seulement une source de droit :
elles doivent être nécessairement dans un contexte national en
plein bouleversement, le guide qui doit rassurer, qui éclaire, qui
construit le chemin entre de multiples sources de règles qui
s’abattent de partout... sans ignorer non plus que les juridictions
sont chargées d’assurer la protection des citoyens face à des
règles ou des pratiques abusives.
 6 Sur tous ces développements il convient de consulter les Actes du
colloque de Droit et Commerce “O (...)

42En effet si l’on a vu en 1 ou 2 décennies s’amoindrir le rôle du


contentieux général sa complexité s’est considérablement
alourdie, comme si une part de plus en plus large des contentieux
classiques dans leurs causes et leurs effets se résolvait par la
négociation, la médiation ou l’arbitrage réservant le recours au
juge étatique pour les causes, souvent complexes, dont la
jurisprudence est hésitante ou dont le support légal n’apparaît
pas clairement. On peut, à titre d’exemple, citer le contentieux
autour de la concurrence déloyale et de la notion de parasitisme,
ceux en matière d’insolvabilité des groupes internationaux etc 6. A
ces observations on peut ajouter des évolutions prévisibles liées à
la décentralisation du droit communautaire de la concurrence ou
la dépénalisation du droit des affaires qui se traduiront par un
recours accru à des actions de nature civile qui seront portées
devant les tribunaux de commerce mais aussi peut-être demain
l’introduction du dommage punitif à l’image du droit américain
qui paraît tenter le législateur européen.
43A l’évidence le profil du juge consulaire, pour employer une
formule liée au jargon des ressources humaines, évolue vers
encore plus de spécialisation et de technicité, ce dont sont
conscientes les institutions consulaires qui ont déjà anticipé cette
évolution.
 7 CASAMAYOR, Les Juges, Paris, éd. du seuil, 1956.

44Mais à ces exigences s’en ajoute une autre : la justice traverse


une fois de plus une crise à laquelle les juridictions consulaires ne
peuvent rester sourdes, même si elle paraît ne pas les concerner.
En réalité elle les concerne aussi dans une certaine mesure, car
ainsi que le notent justement Antoine Garrapon et Denis Salas la
racine de cette crise naît de ce que “nos sociétés démocratiques
réorganisent toutes les valeurs autour de l’idée de sécurité”. Les
juridictions consulaires doivent répondre à cet impératif majeur
pour leurs justiciables, quels qu’ils soient, modeste commerçant
en nom propre, PME ou Multinationale. Le débat, au fond, porte
sur la légitimité du juge qui seule fonde la confiance du
justiciable dont Casamayor disait : “ce n’est pas au citoyen d’avoir
confiance dans ses juges mais au juge d’inspirer confiance au
citoyen”7.
45La légitimité du juge est un concept plus complexe qu’il n’y
paraît, il vaudrait mieux parler de bloc de légitimité pour viser les
composants solidaires de cette légitimité que sont le mode de
désignation, la compétence, l’indépendance et l’impartialité.

B – Les réponses des Juridictions


consulaires
46Ces réponses sont variées et de nature différente tenant tant
aux fondamentaux de la juridiction qu’à la politique générale
mise en œuvre par l’ensemble consulaire.
47Les fondamentaux institutionnels que sont l’élection des juges,
la diversité des professions représentées et le bénévolat de la
fonction, la plénitude de juridiction enfin rencontrent des
préoccupations souvent exprimées dans nos sociétés, dans
lesquelles, pour citer à nouveau Antoine Garrapon et Denis Salas
“nos concitoyens n’acceptent plus ces vérités ecclésiales
produites par des clercs peut-être pour leur bien, mais dans leur
dos”.
 8 J. POUMAREDE, La légitimité des Juges, p. 215, déj. cit.

48L’élection du juge et le réexamen de son mandat à termes


réguliers est en parfaite adéquation avec le désir démocratique
moderne du meilleur choix mais aussi de la sanction de
l’incompétence avérée. Elle est l’écho persistant de l’assemblée
constituante qui en mai 1790 dégagea peu à peu l’idée que la
fonction de juger devait faire partie du “métier de citoyen” 8.
L’exercice du juge consulaire reste par nature et par le bénévolat
qui lui est indéfectiblement lié, un haut exercice de citoyenneté.
49Cette question de l’élection des juges réapparaît régulièrement.
De grandes voix du monde judiciaire se posent la question tels J.-
M. Varaut dans Faut-il avoir peur des juges  ?, J.-F. Burgelin et
Paul Lombard dans leur Procès de la Justice ou Antoine Garapon
dans son livre intitulé Gardien
des Promessessans oublier
Casamayor dans Les Juges, en 1956. Ce débat n’est pas celui de
notre sujet et il paraît bien difficile d'imaginer que toutes les
fonctions judiciaires doivent être électives. Notons simplement au
passage que la voie différente et réussie de la justice consulaire
rappelle utilement, semble-t-il, qu’une certaine onction
démocratique plus ostensible dans le système judiciaire, par le
débat qu’elle permettrait d’instaurer à termes réguliers, éviterait à
la Justice bien des débordements et des suspicions endémiques
que nous connaissons. La Justice internationale, par exemple,
dont on connaît les développements contemporains, de la cour de
Justice de la Haye aux cours et tribunaux pénaux Internationaux
ne se conçoit pas sans cette onction démocratique qui, certes,
prend des formes très variées mais participe du bloc de légitimité
de ces juges.
50L’élection est la source de l’indépendance des juridictions
consulaires vis-à-vis de l’Etat, elle nourrit leur capacité
d’adaptation à l'évolution rapide de la vie des affaires.
51Cette capacité de réponse à la modernité est portée par un
corps de juges consulaires dont la composition socio-
démographique n’a cessé d’évoluer et qui présente aujourd’hui
un tableau très représentatif des entreprises.
52(Source CJCF 2006)
65 % des juges en exercice sont des mandataires sociaux,
24 % des cadres d’entreprises,
6 % des commerçants en nom ou artisans,
5 % des retraités.
53On peut ainsi noter que près de 80 % des juges exercent
professionnellement dans un cadre de société commerciale. La
pyramide des âges est elle aussi représentative de la
démographie des chefs d’entreprise puisque,
5464 % ont entre 30 et 60 ans,
23 % ont entre 61 ans et 70 ans,
13 % ont plus de 70 ans.
Age moyen : 52 ans.
55On voit qu’un nombre important des juges qui composent les
juridictions sont en pleine activité professionnelle et de par leurs
fonctions de mandataires sociaux en charge de hautes
responsabilités qui les mettent de plus en plus souvent en
relation avec des partenaires étrangers. Les tribunaux de
commerce sont ainsi ouverts sur le monde.
56Bien qu’en progression constante, les femmes ne représentent
– hélas !– que 11 % des effectifs.
57La diversité des activités exercée est considérable et le
regroupement ci-après n’en donne qu’une image très simplifiée :
Banque et Finance…………………………………. 19 %

Négoce dont la grande distribution………………… 22 %

Industrie et
31 %
manufactures…………………………...

Edition, libraires…………………………………… 4 %

Bâtiments, TP………….………………...………… 8 %

Assurances………………………………………… 4 %

Divers dont hôtellerie, intermédiaires, tourisme etc.. 11 %

58Diversité d’activité, diversité de formation, acteurs de


l’économie.
59Très grande diversité de diplômes :
grandes écoles, universitaires, écoles de commerce, école
67 %
d’ingénieurs…
autres
33 %
formations………………………………………………………….

60A ces bases naturelles de la justice consulaire viennent


s’agréger les fruits de la réforme suscitée et poursuivie depuis
plusieurs années par la Conférence des Juges Consulaires de
France.
61Nous avons théorisé cette auto-réforme au lendemain des vives
critiques, trop souvent partielles et partiales, dont nous fûmes
l’objet en 1998/1999. Dès 2000 la CGTC définit les principes de
l’auto-réforme qui fut depuis conduite par les Présidents
successifs de la Conférence. Cette auto-réforme s’est ordonnée
autour de trois thèmes : la formation, la création d’un Conseil
National des tribunaux de Commerce, la Réforme de la Carte
Judiciaire définissant ainsi implicitement ce que l’on pourrait
appeler une Nouvelle Frontière des Tribunaux de Commerce.

C – Une Nouvelle Frontière des Tribunaux


de Commerce
1) La Formation
62Depuis longtemps la CGTC avait compris la nécessité de la
formation professionnelle des juges consulaires et avait dès le
milieu des années 70 installé le Centre de Formation des Juges
Consulaires (CEFJC) à Tours qui dispensa pendant des années une
formation continue d’une très haute qualité, mais son principe
d’organisation en école et le manque de moyens ne lui permettait
pas de répondre aux besoins nouveaux qui peu à peu se
manifestaient. Néanmoins plusieurs milliers de juges l’ont
fréquentée avec profit et le corps de ses formateurs sera le coeur
pédagogique de la nouvelle organisation qui allait se mettre en
place 2004. Sa suppression, en 2003, fut certainement une
erreur.
 9 Convention MEDEF-CGTC du 25/10/2002, Convention CGPME-MEDEF du
7/11/2002.

63Dans le rapport du Sénat sur le projet de Loi de Réforme des


Tribunaux de Commerce le sénateur Girod notait justement, en
2000, que la “bonne connaissance du milieu économique ne suffit
plus à garantir la compétence des juges consulaires”, constat
partagé dès 2002 par le Congrès de la CGTC devant lequel le
Garde des sceaux, D. Perben, déclarait le 22/11/2002 : “Les
efforts consentis par certaines cours et Tribunaux de Commerce,
ainsi que par le CEFJC, sont importants mais, comme vous, je fais
le constat que face aux enjeux qui s’attachent à la formation
initiale et continue des juges consulaires, ils restent insuffisants...
(il convient donc) de dispenser une formation obligatoire
touchant l’ensemble des juges consulaires et garantie par la
chancellerie à qui il appartiendra de veiller, par le canal de l’ENM,
au contenu de la formation dispensée”. Dans le même temps la
CGTC souscrivait avec chacune des 2 principales organisations
professionnelles MEDEF et CGPME une charte de partenariat pour
le développement d’un dispositif de formation d’une ampleur
suffisante pour faire face aux besoins exprimés d’une justice
consulaire de qualité9.
64Cet objectif de formation partagé par la CGTC et les Pouvoirs
Publics a été immédiatement pris en compte par le Garde des
sceaux qui a désigné, dans le cadre de la Commission “qualité de
la Justice Civile” présidé par le Pr. Guinchard un groupe de travail
spécifique sur la formation des Juges Consulaires.
65Installé le 28 novembre 2002 ce groupe de travail rendait son
rapport le 12 mars 2003. Sans en reprendre tous les
développements il convient toutefois d’en rappeler quelques unes
des lignes directrices :
66les juges consulaires appartiennent pleinement au service
public de la Justice et à ce titre l’Etat leur reconnaît un droit à la
formation qu’il est de sa responsabilité de prendre en compte,
67les juges consulaires doivent recevoir une formation unique et
dispensée sur l’ensemble du territoire,
68la CGTC, dont le rapport saluait “le sens aigu de ses
responsabilités” était désignée comme interlocuteur de la
Chancellerie et l’ENM pour la mise en oeuvre de ce programme.
69En novembre 2003, soit moins de 6 mois après, le premier
séminaire de formation initiale pour les juges nouvellement élus
en octobre 2003, était tenu dans les 8 sites de Formation
couvrant le territoire. C’était le fruit de la clairvoyance et du
volontarisme de la CGTC et de la confiance de la Chancellerie et
de l’ENM.
70Aujourd’hui ce système est pérennisé et la 6  promotion de
ème

juges est en formation. Depuis l’origine c’est plus du tiers des


juges en exercice qui en ont bénéficié. Nos efforts vont porter
désormais sur l’élargissement de la formation continue,
largement décentralisée, dont nous pensons qu’il faut retrouver
avec le soutien et sous la direction scientifique de l’ENM, la veine
de la formation adaptée au monde consulaire du CEFJC. Ainsi
répondrons-nous à la modernité du rôle nouveau du juge que
nous évoquions plus haut.

2) Le Conseil National des Tribunaux de


Commerce
71Dans le même temps où la CGTC se mobilisait en faveur de la
formation et, par ailleurs modernisait ses statuts, elle réactualisait
un projet qu’elle avait formé dans les années 1980, puis
renouvelé ensuite régulièrement, de la création par la Loi d’un
organe statutaire de la Justice Consulaire, la CGTC n’étant qu’une
association, qui bien qu’ancienne, reconnue et prestigieuse ne
pouvait prétendre à un rôle institutionnel. Depuis, les exigences
liées à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et à sa
déclinaison judiciaire du procès équitable et “la charte
européenne sur le statut des juges”, approuvée par le Conseil de
l’Europe en 1998, rendait absolument nécessaire une telle
institution.
72Le 24 juin 2003 la CGCT remettait au Garde des sceaux, D.
Perben, un rapport détaillé sur la création du Conseil National des
Tribunaux de Commerce, le 8 décembre 2003 le ministre
adressait une lettre de mission à l’Inspecteur Général des services
judiciaires et au Directeur des Services Judiciaires leur confiant la
constitution d’un groupe de travail chargé de faire des
propositions en vue de la création d’une telle instance. Ce groupe
remettra son rapport en avril 2004 recommandant la “création
d’un Conseil National des tribunaux de Commerce, compétent en
matière de formation, de déontologie, de fonctionnement des
Tribunaux de Commerce... (composé) de 20 membres, présidé
par le Garde des Sceaux, offrant une large place (10 membres) à
des juges consulaires élus par leurs pairs,... affirmant
l’appartenance des juridictions commerciales au service public de
la Justice. L’Etat et les juridictions seraient représentés par les
directeurs des Ministères concernés, des chefs de Cour et de
juridiction, un membre du Conseil d’Etat et enfin trois
personnalités qualifiées”.
73Le CNTC sera créé par Décret du 1er Ministre le 23 septembre
2005 dans des termes conformes au rapport de la Mission
Ministérielle avec toutefois une différence notoire et surprenante
à propos de laquelle la CGTC n’a pas reçu d’explication
satisfaisante : les membres, juges consulaires du CNTC, ne seront
pas élus mais désignés par le Garde des Sceaux. C’est là une
double anomalie qu’avaient évitée les membres du groupe de
travail : d’une part la désignation par le Garde des sceaux
convient mal à l’indépendance d’une instance de régulation d’un
corps judiciaire et d’autre part le principe fondateur de la justice
consulaire est l’élection et doit se retrouver dans toutes ses
instances.
74Même si au cours de ses trop rares réunions le CNTC a
commencé à remplir sa mission notamment en se saisissant du
problème de la déontologie des juges consulaires et de leur statut
pour lequel il a missionné la CGTC, la page du CN reste largement
à écrire, et elle le sera. Mais, déjà son existence et les missions
qui lui ont été attribuées sont le gage de l’entrée de l’institution
consulaire dans l’effort, pour reprendre la formule du Conseil de
l’Europe, “jamais terminé, de perfectionnement des institutions
judiciaires comme élément essentiel de l’Etat de droit”.

3) La Réforme de la Carte Judiciaire


75La Carte Judiciaire des Tribunaux de Commerce a été maintes
fois remaniée pour tenir compte de l’évolution économique des
territoires et la CGTC a proposé à maintes reprises, en 1974,
1984 une refonte en profondeur qui n’avait pas toujours trouvé
auprès des pouvoirs publics l’écho nécessaire. Il est vrai que ce
n’est pas un sujet très consensuel dont les justifications, même
en interne, utilisent un vocabulaire : compétence, déontologie...
vite perçu comme blessant alors qu’il ne s’agit, le plus souvent,
que de renforcement de compétence collective et de protection
du juge lui-même.
76Pressentant que nous étions arrivés au terme d’une certaine
organisation territoriale, la CGTC, mit en chantier en 2004 le
projet d’une réforme cohérente de la carte judiciaire fondée sur
une analyse rapprochant sur dix ans l’activité judiciaire de chaque
tribunal de commerce des besoins économiques de son ressort et
tenant compte de son accessibilité. Analyse partagée et offerte au
débat de chaque tribunal. Cette démarche aboutit en octobre
2005 à l’élaboration d’un schéma directeur, publié sur le site
internet de la chancellerie. En juillet 2007 la CTCF a pris position
en faveur de la démarche de réforme initiée par le Garde des
Sceaux, Mme Dati, et par voie de conséquence pour la réforme de
la carte judiciaire. Le Décret du 15 février 2008 a repris à
quelques exceptions près le schéma directeur de la Conférence.
77Après la suppression de 55 Tribunaux de Commerce et la
création de 5 Nouveaux Tribunaux le nombre des juridictions sera
désormais de 135 qui regrouperont non seulement le ressort des
tribunaux supprimés mais aussi le ressort des 22 chambres
commerciales de TGI qui disparaissent.
78Ces nouvelles dispositions qui entrent en vigueur au 1  janvier
er

2009 vont profondément transformer la physionomie des


tribunaux de commerce.
79En termes d’organisation d’abord puisque 65 % d’entre eux
vont désormais être dotés d’un corps de plus de 16 juges avec
une moyenne à 20 juges, 30 % de 10 à 15 juges et 4 % seulement
de 9 juges. La plupart de ces juridictions auront donc les moyens
de mettre en oeuvre la spécialisation nécessaire à l’évolution de
l’économie, de répondre rapidement et efficacement à ces
évolutions et par voie de conséquence les moyens d’enrichir leur
compétence technique.
80En terme de pratique procédurale le moins grand nombre de
juridictions facilitera le service des parquets dont on peut espérer
la présence régulière et systématique dans le suivi des
procédures collectives, facteur déterminant de sécurité juridique
pour les justiciables.
81En termes de déontologie le regroupement de collectivités
importantes de juges permettra de développer une culture
judiciaire et une culture du conflit d’intérêts plus accompagnée et
plus vérifiable.
82En termes de formation continue, enfin le relais nécessaire de
la juridiction sera plus facilement mobilisable et chaque juge en
charge d’un plus grand nombre de dossiers du fait du
regroupement des ressorts.
83Mais ce ne sont pas seulement les effets de nombre qui vont
transformer nos juridictions. Cette réforme de la carte judiciaire
en supprimant les chambres commerciales des TGI confère aux
tribunaux de commerce une valeur de juridiction de droit
commun spécialisée en droit des affaires. Les tribunaux de
commerce sont conscients que cette valeur nouvelle est une
preuve de confiance supplémentaire de la part de l’Etat à laquelle
les juges consulaires répondront par la qualité de leur service.
84C’est en cela que cette réforme suscite dans la vénérable
institution consulaire un véritable élan vers une nouvelle
frontière.

CONCLUSION
85Le constant effort des juridictions pour accompagner les
évolutions rapides et variées de l’économie doit prendre
aujourd’hui une nouvelle dimension. L’inflation juridique liée à la
multiplication des normes et le métissage juridique croissant lié à
la mondialisation augmentent le besoin de sécurité. C’est
l’exigence fondamentale du justiciable, relayée par les institutions
politiques nationales et internationales. En outre la stabilité
nécessaire aux flux économiques suppose cette sécurité au risque
de grands désordres ; on voit bien dans les crises actuelles la
carence inouïe des facteurs de sécurité.
86La sécurité ne s’obtient que par l’amélioration constante des
processus d’élaboration des décisions, c’est-à-dire par une
recherche permanente de la qualité.
87La qualité n’est pas qu’un mot, elle doit pouvoir se lire dans les
pratiques, on doit pouvoir en suivre la trace, en apprécier la mise
en oeuvre et la valeur. La Justice consulaire à son tour doit se
soumettre à cette exigence de la modernité. C’est ce que nous
entreprenons, c’est notre nouvelle frontière : Installer toute la
chaîne juridictionnelle consulaire, greffes, tribunaux,
administrateurs et mandataires dans une démarche d’acquisition
des normes de qualité.
88Déjà quelques juridictions, des greffes, de nombreux
mandataires et administrateurs se sont avancés dans cette voie.
Des groupes de travail communs viennent d’être créés à
l’initiative de la Conférence et réfléchissent d’ores et déjà à la
généralisation de ces démarches.
 10 Guy HORSMANN, “Le sourire des hommes”, Colloque du Bicentenaire,
déjà cité, p. 157.

89Paraphrasant le Professeur Horsmann j’espère vous avoir


convaincu que la justice consulaire sourit à la modernité 10 !
NOTES
1 C. SAINT ALARY-HOUIN, La Légitimité des Juges, p. 173, Presses de
l’Université des Sciences sociales de Toulouse.

2 Ibid., p. 174.

3 Ibid., p. 181.

4 Guy CANIVET, Actes du Colloque du Bicentenaire du C. Com., p. 37,


Dalloz, 2007.

5 P. BEZARD, Colloque Bicentenaire, déjà cité, p. 517.


6 Sur tous ces développements il convient de consulter les Actes du
colloque de Droit et Commerce “Où sont passés les
contentieux ?”, Gaz. Pal., n  178 à 179.
o

7 CASAMAYOR, Les Juges, Paris, éd. du seuil, 1956.

8 J. POUMAREDE, La légitimité des Juges, p. 215, déj. cit.

9 Convention MEDEF-CGTC du 25/10/2002, Convention CGPME-


MEDEF du 7/11/2002.

10 Guy HORSMANN, “Le sourire des hommes”, Colloque du Bicentenaire,


déjà cité, p. 157.

AUTEUR
Jacques Raibaut
Président de la Conférence Générale des Tribunaux de Commerce

La juridiction commerciale
d’un juge du commerce a un
juge de l’économie
(approche comparatiste)
Gérard Jazottes, Christine Mas-Bellissent, Sabrina  Delrieu, Anna-Lisa  De  Grandi, Hélène  Poujade,
Beyza  Baydur, Laetitia Franck  et Dominika Lawnicka

p. 323-330

L’absence de point d’interrogation ponctuant l’intitulé du thème


confié à notre atelier1 nous a dispensés d’une interrogation sur
l’existence de ce passage d’un juge du commerce à un juge de
l’économie pour nous conduire à le décrire, et ce dans une
approche comparatiste.
 2 Voir “Justice et Economie”, Revue Justices, janvier 1995 ; “Les
magistratures économiques”, RIDE, 1 (...)
2La question du juge de l’économie, de la justice économique ou
encore des magistratures économiques (ces expressions n’ont
pas nécessairement le même sens) a suscité, à plusieurs reprises,
la réflexion doctrinale et certains de ces écrits constituent
aujourd’hui des références2. Mais si le constat de l’avènement du
phénomène n’est plus contesté, le sens à donner au concept de
juge de l’économie peut varier.
 3 En ce sens, voir Y. CHAPUT, “Introduction”, Quelles juridictions
économiques en Europe ? Du règne d  (...)

 4 P. MARTENS, “Rapport introductif”, Les magistratures économiques, op.


cit., p. 103.

 5 P. MARTENS, op. cit., p. 113. Voir également : C. CHAMPAUD, “L’idée


d’une magistrature économique,(...)

3Ce juge de l’économie peut, tout d’abord, se définir à partir du


contentieux qu’il connaît, le contentieux économique. Mais, pour
que la définition soit précise, il convient alors de sélectionner les
matières qui relèvent de l’économique. Des matières telles que la
banque, la bourse, les sociétés, la concurrence, les faillites ou la
propriété industrielle paraissent correspondre au qualificatif
économique3. Le contentieux économique peut aussi se définir
par ses caractéristiques générales, plus précisément par les
intérêts en cause. Le litige devient économique lorsqu’il met en
jeu des normes qui transcendent le conflit individuel entre
marchands, parce qu’il acquiert une dimension collective générale
ou publique4. Cette définition du contentieux économique ne
recoupe pas la précédente et apparaît plus étroite. Ainsi, si en
application de cette définition, les procédures collectives et le
droit de la concurrence relèvent du contentieux économique, il
n’en va pas nécessairement de même pour les autres matières
précédemment citées. Enfin, une autre définition du juge de
l’économie a été proposée, afin de le distinguer du juge ordinaire
par sa mission : il est amené à évaluer non seulement la légalité
mais aussi l’opportunité d’un choix économique 5.
 6 C. CHAMPAUD, “Rapport de synthèse”, Les magistratures économiques,
op. cit., p. 279.

4Au regard de ces différents critères, il apparaît que le tribunal de


commerce est un juge de l’économie, ne serait-ce que parce qu’il
connaît des procédures collectives et joue un rôle essentiel dans
la prévention des difficultés des entreprises. Il a pu être baptisé
de “grand-mère de la justice économique” 6. Au risque d’un
anachronisme, les juridictions des foires n’étaient-elles pas un
juge de l’économie lié à ces marchés géographiquement et
temporellement circonscrits ? La compétence pour connaître des
procédures collectives, des pratiques restrictives de concurrence
ou, pour certains tribunaux de commerce, des pratiques
anticoncurrentielles, en fait incontestablement un juge de
l’économie. Il faut apprécier la situation de l’entreprise, ses
chances de redressement, choisir un repreneur, ou évaluer le
caractère disproportionné d’un avantage, l’absence de
contrepartie réelle en matière de discrimination, un abus de
dépendance ou encore un effet anticoncurrentiel.
5Mais il n’est pas le seul juge de l’économie. Il partage cette
mission avec le juge judiciaire de droit commun, le juge
administratif, les autorités administratives indépendantes. Il est
toutefois remarquable qu’une juridiction spécifique, consacrée
par le Code de commerce en 1807, connaisse de ce contentieux.
Il convenait donc, afin de mieux mesurer ce qu’est devenue la
juridiction commerciale, de confronter la situation française à
d’autres systèmes juridiques. Cette confrontation, bien que
limitée à certains droits étrangers, permet de dresser un double
constat. D’une part, chacun des droits examinés offre des
solutions différentes lorsqu’il s’agit de déterminer le juge qui doit
connaître du contentieux économique. Le tribunal de commerce
français, avec les caractéristiques qui lui sont propres, ne
constitue qu’un choix parmi d’autres. L’observateur ne peut que
constater l’absence de modèle d’un juge de l’économie (I).
Cependant, ces différences, réelles, laissent apparaître des traits
communs qui atténuent ce qui pourrait apparaître comme une
particularité française (II).

I – L’ABSENCE DE MODELE
6Un examen rapide de certains systèmes juridiques nationaux
permet de se persuader de l’absence de modèle. Certains sont
dotés de juridictions commerciales ou économiques, aux
compétences diverses, mais qui ne présentent pas les
caractéristiques de nos tribunaux de commerce. Les autres ne
connaissent pas de juridictions affectées au contentieux
commercial ou économique, mais procèdent le plus souvent à une
spécialisation au sein des juridictions de droit commun pour
certaines catégories de contentieux de nature économique.
L’Histoire, les choix politiques, mais aussi, plus techniquement,
l’existence ou non d’une distinction entre droit commercial et
droit civil peuvent expliquer cette diversité.

A – LES SYSTEMES JURIDIQUES DOTES


D’UNE JURIDICTION COMMERCIALE
7Deux exemples ont été retenus, l’un témoignant de ce que la
création de juges du commerce peut être un choix contemporain,
l’autre ouvrant la perspective sur un pays candidat à l’adhésion à
l’Union européenne, la Turquie.
 7 A l’occasion de la réforme du droit des procédures collectives (loi
no 22/2003 du 9 juillet), a été (...)
 8 G. CANIVET, “L’avenir des juridictions économiques en Europe”, Quelles
juridictions économiques en  (...)

8Le système juridique espagnol connaît, à nouveau, des juges du


commerce et ce depuis le 1  septembre 2004, après adoption des
er

lois du 9 juillet 2003 portant réforme du droit des procédures


collectives et de l’organisation judiciaire 7. A nouveau,
puisqu’un décret du 14 octobre 1809avait institué, sous
l’influence de Joseph Bonaparte, des juridictions consulaires
supprimées en 1868. Cependant, ces juges du commerce
(juzgados de lo mercatil) ne constituent pas un ordre
juridictionnel commercial autonome8, cette création résultant
d’une spécialisation en première instance. Ce sont des juges
professionnels statuant à juge unique. Leur domaine de
compétence est largement défini puisque ces juges connaissent
des procédures collectives, des actions en concurrence déloyale
ou des contentieux mettant en jeu la propriété intellectuelle, le
droit des sociétés ou le droit des transports.
 9 S. ARKAN, Ticaret Isletme, Banka ve Ticaret Hukuku Arastirma
Enstitusu Yayinlari, 10 éd., Ankara, 2 (...)

9Le droit turc présente une certaine complexité. En effet, le Code


de commerce est considéré comme faisant partie du Code civil, ce
qui atténue ou efface la distinction entre dispositions civiles et
dispositions commerciales9. Les dispositions du Code de
commerce sont analysées comme constituant un droit spécial au
regard du droit commun qui réside dans le Code civil. En outre,
de nombreuses réglementations intéressant le droit des affaires
se trouvent dans d’autres codes à l’instar du droit de la
concurrence ou du droit financier.
10Cependant, en dépit de cette distinction floue, le droit turc
possède des tribunaux de commerce, créés en 1860 sous
l’empire Ottoman et maintenus dans le système juridictionnel lors
de la fondation de la République turque. Ces tribunaux sont
composés de magistrats de profession. La compétence matérielle
est définie dans l’article 4 du Code de commerce ou par des lois
spéciales en fonction de la nature des opérations ou des contrats
(faillite, cession ou fusion des entreprises commerciales, clause
de non concurrence, contrat d’édition, lettre de change, contrat
de commission, banque, bourse…). Constituent également des
litiges commerciaux les conflits nés des actes passés entre
commerçants ou entreprises commerciales.

B – LES SYSTEMES JURIDIQUES NON


DOTES D’UNE JURIDICTION
COMMERCIALE
11Au sein de cette catégorie règne également une très grande
diversité. L’absence de juridiction commerciale peut être le fruit
d’une suppression, d’un choix législatif récent ou de l’Histoire.
 10 G. ALPA, “Le Code de commerce et l’Italie, quelques réflexions sur
l’histoire et les perspectives d (...)

 11 Sur le système judiciaire italien et les juridictions économiques : D.


CORAPI, “Regard de l’Italie” (...)

 12 A. FIALLE, Diritto fallimentare, XIV ed., Simone, serie Manuali, Napoli,


2006, p. 99.

 13 R. SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, Montchrestien, 1989,


n  119.
o

12En Italie, depuis 1942, date à laquelle le droit civil et le droit


commercial ont été unifiés dans un nouveau Code civil 10, le
système judiciaire ne comporte plus de juridictions commerciales.
Cette absence de distinction au sein des juridictions judiciaires
caractérise ce système, le juge civil assurant la protection des
droits des particuliers. Ainsi, tout litige entre commerçants relève
de la compétence du juge civil. Au premier degré, le juge de paix
(giudici di pace) est compétent pour les litiges relatifs à des biens
meubles ayant une valeur inférieure ou égale à 2582 euros. Pour
tous les autres litiges, le juge de premier degré est le Tribunal
(tribunali) qui, en principe, statue à juge unique 11. Néanmoins, la
matière des procédures collectives est confiée à une section
particulière (fallimentari) du Tribunal, cette section n’étant qu’une
composante de la juridiction civile, sans aucune autonomie 12.
Cette absence de juridictions commerciales est d’autant plus
remarquable qu’au Moyen-Age les corporations de marchands
italiens ont, les premières, obtenu du souverain la possibilité de
créer leurs propres juridictions13.
 14 K. KRUCZALAK, Zarys prawa handlowego, LexisNexis, Warszawa,
2002, p. 59.

 15 La loi sur l’organisation des juridictions générales du 27 juillet 2001, r.


Prawo o ustroju sadow p (...)

 16 La loi sur l’organisation des juridictions générales distingue les


tribunaux de première instance ((...)

13En Pologne, la situation paraît proche de celle décrite pour


l’Italie, mais elle résulte d’une évolution législative récente. En
effet, le Code civil, profondément réformé en 1990, régit
l’ensemble des échanges, quelles que soient leur nature et les
parties, personnes morales ou physiques. Le droit commercial est
considéré comme une discipline de droit civil14. De même, le
système judiciaire polonais, issu d’une loi du 27 juillet 200115, ne
connaît pas de juridiction commerciale proprement dite.
Cependant, chaque tribunal de première instance (sady rejonowe),
situé dans une ville où siège également un tribunal
d’arrondissement (sady okregowe), doit comporter une ou
plusieurs sections compétentes pour connaître des litiges de droit
économique ou de droit économique et civil 16, notamment des
procédures collectives. La répartition des compétences s’effectue
en fonction de la valeur de la demande, les tribunaux
d’arrondissement statuant en appel pour les décisions rendues
par les tribunaux de première instance. Le contentieux
économique est défini dans le Code de procédure civile. Est
considéré comme économique le contentieux soulevant une
question relative au droit de la concurrence, de l’environnement,
de l’énergie, des télécommunications, du transport ferroviaire ou
encore aux clauses illicites. En outre, dans un souci de bonne
administration de la justice, le Ministre de la justice peut décider
de la création, au sein d’une juridiction générale, d’un tribunal
économique qui structure ces sections : un juge professionnel en
première instance et trois juges en appel. Les juges nommés
doivent se distinguer par leurs compétences dans le domaine du
droit économique.
 17 P. BURBIDGE, “Regard de l’Angleterre”, Quelles juridictions
économiques en Europe ? p. 249 et s. ; (...)

 18 P. BURBIDGE, op. cit, no254.

14En droit anglais, la distinction entre le droit civil et le droit


commercial n’existe pas et aucune juridiction ne peut être
rapprochée de nos tribunaux de commerce. Toutefois, des
matières du droit des affaires peuvent être affectées à certaines
juridictions17. Ainsi, peut-on relever, au sein de la Chambre du
banc de la reine (Queen’s Bench Division), l’une des trois
chambres de la Haute Cour de justice ( High Court), l’existence
d’une Cour commerciale (Commercial
Court). Mais cette
appellation ne doit pas tromper. Elle ne constitue ni une cour, ni
une division, ni une section de la Chambre du banc de la reine. Il
s’agit d’une liste d’affaires de caractère commercial qui sont
jugées par un juge de la Chambre du banc de la reine spécialisé
en droit des affaires. Ce qui était une pratique a été organisé par
la loi. De même, il existe, au sein de la Chambre de la
Chancellerie (Chancery division), une chambre de la Haute Cour
de justice, une liste de juges spécialisés en droit des sociétés
(Companies court) ou en droit de l’insolvabilité des sociétés
(Bankruptcy court). La mise en œuvre de cette répartition des
compétences paraît s’effectuer de façon souple 18. Enfin, il faut
signaler la création, par la loi sur la concurrence de 1998, d’un
tribunal connaissant de l’application du droit de la concurrence
(Competition Appeal Tribunal), par voie de recours ou en premier
ressort.
15De ces quelques exemples il est impossible de dégager un
modèle, tant l’organisation juridictionnelle et l’attribution des
compétences relevant d’un contentieux économique varient d’un
Etat à l’autre. Mais, si l’on dépasse cet aspect organique, des
traits communs apparaissent.

II – L’EMERGENCE DE
TRAITS COMMUNS
16Cette diversité, connue et facile à constater, ne doit pas cacher
des points communs dans le traitement du contentieux
économique. Dans tous les systèmes juridiques présentés
précédemment, il est apparu nécessaire de confier le contentieux
économique ou, tout au moins, certaines de ses matières, à un
juge spécialisé, quel que soit son statut et sa place dans
l’organisation judiciaire. Cette présence constante d’un juge de
l’économie doit être précisée (A). Toutefois, ce contentieux n’est
pas confié à un seul juge. De nombreuses autorités, autre qu’un
tribunal au sens strict, exercent une magistrature économique (B).
A – La présence d’un juge de l’économie
 19 M.-A. FRISON-ROCHE, Le modèle du marché, Arch. Phil. Droit, T. 40,
éd. Sirey, p. 286. Pour C. CHAMP (...)

17Cette généralisation du phénomène (1), inspirée par la


prédominance du marché devenu modèle 19, s’accompagne d’une
spécialisation (2).

1) La généralisation du phénomène
 20 Règlement relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence
prévues aux articles 81 et 82 du tra (...)

 21 Sur les conséquences de cette décentralisation pour les


entreprises : Les entreprises face au nouve (...)

18Cette généralisation ressort des quelques exemples présentés


précédemment. Elle est particulièrement évidente en ce qui
concerne les procédures collectives, que le système étudié soit
doté ou non d’une juridiction commerciale. Mais cette
généralisation s’effectue également sous l’impulsion du droit
communautaire de la concurrence. En effet, le règlement
n  1/200320 relatif à la mise en œuvre des articles 81 et 82 CE a
o

opéré une décentralisation dans la mise en œuvre du droit des


pratiques anticoncurrentielles21. Ainsi, les juridictions de droit
commun (mais aussi les autorités nationales de concurrence)
peuvent exempter, en application du paragraphe 3 de l’article 81
CE, les ententes anticoncurrentielles. Or ces exemptions sont
fondées sur la contribution au progrès économique de l’entente,
appréciation caractéristique des missions d’un juge de
l’économie.

2) La spécialisation
 22 G. CANIVET, op. cit., no676.
19Le terme de spécialisation recouvre deux phénomènes. D’une
part, il est incontestable que le contentieux économique donne
lieu à une spécialisation qui consiste à attribuer le ou une partie
du contentieux économique à un juge déterminé, sans parler des
autorités de régulation. Cette spécialisation prend des formes
diverses : la création d’une véritable juridiction, autonome, ou
d’une section au sein d’une juridiction de droit commun, ou
encore l’élaboration d’une liste de matières confiées à un juge
particulièrement compétent et appartenant à une juridiction
organiquement non spécialisée. Cette spécialisation a pu être
qualifiée de “fondamentalement irréductible” par M. G. Canivet 22.
Elle résulte des besoins propres à ce type de contentieux : la
rapidité, la souplesse et une compétence particulière dans les
matières en cause.
 23 Décret no 2005-1756 du 30 décembre 2005 fixant la liste et le ressort
des juridictions spécialisées (...)

20Mais cette spécialisation peut aussi signifier que seules


certaines juridictions d’une même catégorie sont compétentes
pour connaître d’une catégorie de litiges. Tel est le cas en droit
français pour ce qui est des litiges relatifs à l’application de
l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles. Seuls les
tribunaux de grande instance ou les tribunaux de commerce
désignés par décret sont compétents23. En droit anglais, les
actions civiles intentées par les victimes de pratiques
anticoncurrentielles relèvent d’un tribunal particulier
(Competition Appeal Tribunal). De même, en Italie, les actions en
dommages et intérêts ou en nullité doivent être portées devant
les Cours d’appel.
B – La diversité des entités exerçant une
magistrature économique
21Si le juge de l’économie paraît répondre à une nécessité, il
convient de constater que ce sont des juges ou des autorités
exerçant une fonction juridictionnelle qui se voient confier cette
mission. Il n’y a donc pas un juge de l’économie mais des juges
de l’économie aux statuts et compétences divers. L’existence de
ces entités conduit à une diffraction du contentieux économique
(1). En outre, la voie de l’arbitrage met en concurrence ces
différents modes juridictionnels (2).

1) La diffraction du contentieux économique


 24 Voir M.-A. FRISON-ROCHE, “Le juge du marché”, Le juge de
l’économie, op. cit., p. 50 et s.

22Un contentieux de nature économique peut être porté devant


des juridictions ou autorités différentes. Ainsi, un litige mettant
en jeu le droit des pratiques anticoncurrentielles peut relever
d’une juridiction de droit commun, d’une autorité nationale de
concurrence, voire d’une autorité de régulation. Cette faculté de
choix traduit la distinction établie entre le contentieux objectif
qui vise la protection de l’intérêt général ou, plus exactement,
l’intérêt du marché et le contentieux subjectif relatif à la
protection des droits des particuliers. Elle est commune aux
différents systèmes juridiques et répond aux particularités des
contentieux liés au fonctionnement des marchés, où se mêlent
régulation et litiges entre particuliers24.

2) La concurrence de l’arbitrage
 25 Comme a pu le relever L. CADIET, “Ordre concurrentiel et
justice”, L’ordre concurrentiel, Mélanges (...)
 26 CA Paris 19 mai 1993, Labinal, Europe 1993, no 300, obs. L. IDOT : “Si
le caractère de loi de polic (...)

 27 CJCE, 1er juin 1999, aff. C-126/97, Eco Swiss, Rec. I, p. 3055; JDI,


2000, 299, note S. POILLOT-PER (...)

23On pourrait s’étonner de voir mentionner l’arbitrage comme un


concurrent possible du juge économique, mais “l’activité
juridictionnelle, conçue comme mode de règlement des litiges
semble devenir un objet de concurrence”25. Ainsi, tout au moins
pour ce qui est du droit de la concurrence, il faut se rappeler que
les litiges qui font intervenir cette matière sont arbitrables 26 et
que la Cour de justice des Communautés européennes demande à
l’arbitre de faire application des règles communautaires de
concurrence27. Le fait que les règles de concurrence relèvent de
l’ordre public ne s’oppose pas à ce que l’arbitre en connaisse : il
peut tirer les conséquences civiles d’un comportement jugé illicite
au regard du droit de la concurrence.
 28 A. TAMPIERI, “La nouvelle loi italienne de réforme de l’arbitrage”, Gaz.
Pal., 22 avril 2006, no 11 (...)

24En outre, de nombreuses législations nationales ont souhaité


faciliter le recours à l’arbitrage. En droit français, la loi sur les
nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 a réformé
l’article 2061 du Code civil pour énoncer la validité de principe de
la clause compromissoire dans les contrats conclu à raison d’une
activité professionnelle. Le législateur italien a souhaité rendre le
recours à l’arbitrage plus simple et plus efficace par un décret
législatif n  40 entré en vigueur le 2 mars 200628. De même, le
o

législateur polonais a modernisé les dispositions du Code de


procédure civile concernant l’arbitrage (loi du 28 juillet 2005),
dans l’attente d’une réforme du système judiciaire justifiée par le
fait que les juridictions ne parviennent plus à remplir la fonction
de juge de l’économie en raison du manque de moyens, de la
lourdeur et de la longueur des procédures.
 29 R. BADINTER, “Préface”, Quelles juridictions économiques en Europe ?
Du règne de la diversité à un(...)

25En se fondant sur ces quelques traits communs, il est difficile


de conclure cette rapide comparaison du rôle joué par le tribunal
de commerce dans le traitement du contentieux économique avec
les solutions en vigueur dans le droit d’autres Etats. Si l’on
complète ce constat par celui de l’absence de modèle, la
pertinente remarque de M. R. Badinter prend tout son sens : “la
justice dans les pays européens procède de l’art des cathédrales
plus que de l’architecture classique” 29. Néanmoins, cette
approche comparatiste suscite deux remarques. D’une part, cette
grande diversité conserve toute sa pertinence au choix ou, tout
au moins, à la situation française, caractérisée par l’existence des
tribunaux de commerce. D’autre part, cette absence de modèle et
ces traits communs rendent plus que délicate l’attribution
d’un label de modernité à l’un de ces systèmes juridiques. Une
analyse économique pourrait-elle y parvenir ?
NOTES
1 L’intervention lors du colloque ainsi que sa version écrite ont été
nourries des recherches et réflexions menées au sein de cet atelier. Je
tiens à remercier tout particulièrement pour leurs rapports portant sur
un droit national : B. BAYDUR (droit turc), S. DELRIEU (droit espagnol),
A. de GRANDI (droit italien), D. LAWNICKA (droit polonais) et H.
POUJADE (droit anglais).

2 Voir “Justice et Economie”, Revue Justices, janvier 1995 ; “Les


magistratures économiques”, RIDE, 1997, n  1 et 2 ; “Le juge de
o

l’économie, Association droit et Commerce”, Colloque de La Baule, RJ


com., 2002, n  11.
o
3 En ce sens, voir Y. CHAPUT, “Introduction”, Quelles juridictions
économiques en Europe  ? Du règne de la diversité à un ordre
européen, sous la direction de Y. CHAPUT et A. LEVY, Litec, 2007, n  5, o

p. 5.

4 P. MARTENS, “Rapport introductif”, Les magistratures économiques,


op. cit., p. 103.

5 P. MARTENS, op. cit., p. 113. Voir également : C. CHAMPAUD, “L’idée


d’une magistrature économique, Bilan de deux décennies”, Revue
Justices, janvier 1995, p. 61.

6 C. CHAMPAUD, “Rapport de synthèse”, Les magistratures


économiques, op. cit., p. 279.

7 A l’occasion de la réforme du droit des procédures collectives ( loi


n   22/2003du 9 juillet), a été réformée la Loi organique du pouvoir
o

judiciaire (n   6/1985 du 1  juillet) par la loi organique n   8/2003 du 9


o er o

juillet. Voir A. BALLESTEROS, “La création des juzgados de lo


mercatil en droit espagnol”, RJ com., 2004, n  6, p. 448
o

8 G. CANIVET, “L’avenir des juridictions économiques en


Europe”, Quelles juridictions économiques en Europe  ? op. cit., n  674.
o

9 S. ARKAN, Ticaret Isletme, Banka ve Ticaret Hukuku Arastirma


Enstitusu Yayinlari, 10 éd., Ankara, 2007, p. 13.

10 G. ALPA, “Le Code de commerce et l’Italie, quelques réflexions sur


l’histoire et les perspectives du droit commercial”, RIDC, 2-2007,
p. 235.

11 Sur le système judiciaire italien et les juridictions économiques : D.


CORAPI, “Regard de l’Italie”, Quelles juridictions économiques en
Europe  ? Du règne de la diversité à un ordre européen, dir. Y. CHAPUT
et A. LEVY, Litec, 2007 ; p. 281 et s.

12 A. FIALLE, Diritto fallimentare, XIV ed., Simone, serie Manuali,


Napoli, 2006, p. 99.
13 R. SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, Montchrestien,
1989, n 119.
o

14 K. KRUCZALAK, Zarys prawa handlowego, LexisNexis, Warszawa,


2002, p. 59.

15 La loi sur l’organisation des juridictions générales du 27 juillet


2001, r. Prawo o ustroju sadow powszechnych, Dz. U. z, 2001 r. Nr 98
poz. 1070.

16 La loi sur l’organisation des juridictions générales distingue les


tribunaux de première instance (sady rejonowe), les tribunaux
d’arrondissement (sady okregowe) et les cours d’appel (sady
apelacyjne).

17 P. BURBIDGE, “Regard de l’Angleterre”, Quelles juridictions


économiques en Europe  ? p. 249 et s. ; O. MORETEAU, Droit anglais
des affaires, Précis Dalloz, 1 , 2000.
ère

18 P. BURBIDGE, op. cit, n  254.


o

19 M.-A. FRISON-ROCHE, Le modèle du marché, Arch. Phil. Droit, T.


40, éd. Sirey, p. 286. Pour C. CHAMPAUD, une société marchande
commande l’existence d’un juge du marchand, “Rapport de
synthèse”, Les magistratures économiques, op. cit., p. 279.

20 Règlement relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence


prévues aux articles 81 et 82 du traité CE, JOCE, 4 janvier 2003, n  L 1,
o

p. 1.

21 Sur les conséquences de cette décentralisation pour les


entreprises : Les entreprises face au nouveau droit des pratiques
anticoncurrentielles  : le règlement n   1/2003 modifie-t-il les
o

stratégies contentieuses  ? sous la direction de L. IDOT et C. PRIETO,


Bruylant, 2006.

22 G. CANIVET, op. cit., n  676.


o
23 Décret n  2005-1756 du 30 décembre 2005 fixant la liste et le
o

ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de


propriété industrielle et de difficulté des entreprises, JORF du 31
décembre 2005. Voir B. CHEYNEL, RLC, 2006/6, n  462. o

24 Voir M.-A. FRISON-ROCHE, “Le juge du marché”, Le juge de


l’économie, op. cit., p. 50 et s.

25 Comme a pu le relever L. CADIET, “Ordre concurrentiel et


justice”, L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine
Pirovano, Ed. Frison-Roche, 2003, p. 131, n  23. o

26 CA Paris 19 mai 1993, Labinal, Europe 1993, n  300, obs. L. IDOT :
o

“Si le caractère de loi de police économique de la règle communautaire


du droit de la concurrence interdit aux arbitres de prononcer des
injonctions ou des amendes, ils peuvent néanmoins tirer les
conséquences civiles d’un comportement jugé illicite au regard des
règles d’ordre public pouvant être directement appliquées à la relation
des parties en cause”.

27 CJCE, 1  juin 1999, aff. C-126/97, Eco Swiss, Rec. I, p. 3055; JDI,


er

2000, 299, note S. POILLOT-PERUZZETTO; Rev. arb., 1999, p. 639,


note L. IDOT; RTD com., 2000, p. 340, obs. E. LOQUIN.

28 A. TAMPIERI, “La nouvelle loi italienne de réforme de


l’arbitrage”, Gaz. Pal., 22 avril 2006, n  112, p. 20.
o

29 R. BADINTER, “Préface”, Quelles juridictions économiques en


Europe  ? Du règne de la diversité à un ordre européen, op. cit., p. XXIII.

AUTEURS
Gérard Jazottes
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)
Christine Mas-Bellissent
Maître de conférences
Sabrina Delrieu
Docteur en droit
Anna-Lisa De  Grandi
Allocataires-moniteurs
Hélène Poujade
Allocataires-moniteurs
Beyza Baydur
ATER
Laetitia Franck
Doctorantes (Faculté de Droit, UT1)
Dominika Lawnicka
Doctorantes (Faculté de Droit, UT1)

L’anticipation des difficultés


de l’entreprise. Modernité
du droit français et approche
comparatiste
Francine Macorig-Venier

p. 331-348

La nécessité d’anticiper les difficultés de l’entreprise fait figure


d’évidence aujourd’hui. L’anticipation est, à bien des égards, dans
l’air du temps, dans un monde où tout paraît s’accélérer. Il ne
s’agit plus même de rattraper le temps, mais bientôt plutôt de le
précéder, de prendre une longueur d’avance. Anticiper n’est-ce
pas devancer1 ? L’avenir semble ne pouvoir appartenir qu’à ceux
qui, non seulement se lèvent tôt, mais qui, également, anticipent.
2De même qu’il incombe à chacun de nous d’anticiper la maladie
et son issue fatale comme nous l’enseignent les campagnes de
prévention, de même, il échoit à l’entrepreneur d’anticiper les
difficultés pour éviter à son entreprise de disparaître.
3L’anticipation des difficultés que la règle de droit, spécialement
celle du droit appelé droit des entreprises en difficultés, est
désormais censée permettre, s’inscrit dans la performance, la
compétitivité attendue de celui-ci. L’efficacité de ce droit serait
un élément fort de l’attractivité du droit des affaires, attractivité
dont il sera précisément question cet après-midi.
4Mais qu’en est-il exactement de l’anticipation des difficultés
dans notre droit, dans notre code de commerce et plus
spécialement dans son livre VI ? Notre droit a-t-il eu et conserve-
t-il à cet égard une certaine modernité ? Autrement dit, a-t-il
anticipé le phénomène de l’anticipation ? Cet objectif est-il, au-
delà de nos frontières, partagé par ceux qui nous entourent ? De
quelle manière est mise en œuvre cette anticipation ? Quels en
sont les acteurs ?
5Ce regard que nous allons porter sur notre droit et tenter de
porter à l’extérieur (en Espagne, en Italie, en Belgique, en
Allemagne, en Pologne, en Turquie) est, il faut le confesser, un
regard sans aucun doute “orienté”, non pas volontairement, mais
“fatalement”. Il est en effet difficile de s’abstraire de sa propre
culture.
6Ainsi, la notion même d’anticipation sera-t-elle perçue à partir
du prisme de l’état de cessation des paiements. Anticiper les
difficultés ce n’est évidemment pas anticiper toutes les
difficultés : il faudrait prendre alors le sujet de manière très –
trop– vaste : évoquer le permis d’entreprendre, attestant d’une
compétence de gestion minimale, celle encore des fonds propres,
d’un capital social minimal…
7Lorsque l’on envisage l’anticipation, la prévention des difficultés,
il s’agit des difficultés les plus sérieuses, difficultés à partir
desquelles le sort de l’entreprise est en jeu et est susceptible
d’échapper à son dirigeant. Chez nous, ce sont des difficultés au
moins constitutives de la cessation des paiements (notion qui
constitue le curseur de référence : en-deçà, on est bien dans la
prévention, dans l’anticipation, au-delà dans le traitement).
 2 Sur cette évolution historique, cf. P.-M. Le CORRE, “1807-2007 : 200
ans pour passer de la faillit (...)

8Mais avant d’examiner la réalité présente et son étendue


géographique, regardons dans le passé, du moins vers celui qui
nous intéresse au cours de ces deux journées, c’est-à-dire dans
le Code de Commerce de 18072. Force est de constater que
l’anticipation des difficultés de l’entreprise, objectif qui s’impose
à l’évidence aujourd’hui, y est absente. On observe que tant que
la faillite demeura dans le Code de 1807, malgré les
modifications qui y furent par la suite apportées, elle conserva
ses fonctions initiales. Ce n’est que lorsqu’elle quitta le Code de
commerce qu’elle connut une mutation.
 3 Jean HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, 1986,
no 202.

 4 P. 41.

9Pourtant, ce sont les dispositions relatives à la faillite constituant


le livre III du Code de 1807 qui sont les plus nombreuses (200
articles sur les 648 que comptent le Code) et, c’est une crise
financière qui a poussé à l’adoption du code, spécialement des
dispositions relatives à la faillite3. L’exposition présentée au
tribunal de commerce de commerce de Toulouse et le livret
l’accompagnant4, nous le rappellent fort utilement et
précisément.
10Or, la sévérité domine le Livre III relatif aux faillites et
règlement judiciaire, réhabilitation et banqueroute et autres
infractions en matière de faillite. La seule procédure, régie par ce
livre, la faillite, n’a qu’une fonction de sanction et d’élimination
(incarcération du failli ; mise sous scellés de ses biens ; la
banqueroute frauduleuse l’expose à une condamnation à 30 ans
de travaux forcés). Cette procédure ne concerne que les
commerçants et est soumise alors à la compétence des tribunaux
de commerce. Elle est ouverte en cas de cessation des paiements
et se termine par la vente des biens, laquelle est destinée à
désintéresser les créanciers.
11Pour éviter la très grande rigueur de la faillite, des liquidations
amiables par concordat se sont développées.
12L’évolution ultérieure, dans les arcanes de laquelle nous
n’entrerons pas, voit alterner des périodes de moindre sévérité et
de retour à plus de rigueur. Ainsi, la clémence (après les épreuves
de 1938 et 1889) conduit-elle à la création d’une procédure de
liquidation aboutissant à concordat pour débiteur malheureux.
Mais la faillite conserve ses fonctions originaires.
 5 Le décret de 1955 a eu pour objectif de “réaliser une distinction plus
nette entre les mauvais com (...)

13A noter qu’à la “faveur” de l’adoption du décret de 1955, qui


refondit la matière5, le droit de la faillite “quitta” une première
fois le Code de commerce. Le décret du 20 mai 1955 abrogea en
effet le livre III du Code de commerce, à l’exception des articles
relatifs à la banqueroute. Cependant,
une ordonnance ultérieure du 23 décembre 1958 abrogeant ces
dispositions restantes, pour les remplacer par de nouvelles (qui
au passage correctionnalisèrent la banqueroute frauduleuse),
incorpora à nouveau dans le Code de commerce celles du décret
de 1955.
14C’est l’article 159 de la loi du 13 juillet 1967 qui abrogea par la
suite tous les articles qui avaient été ainsi introduits dans le code
de commerce par l’ordonnance de 1958 sans y substituer
d’autres dispositions, pour marquer sans doute d’une rupture
avec les dispositions antérieures.
15Dès lors et jusqu’en 2000, le droit dit de la faillite eut son siège
en dehors du Code de commerce. Ce droit a donc connu une
décodification avant la recodification de l’an 2000. Pendant cette
période, la transformation du droit de la faillite s’amplifia.
 6 Cf. sur cette mutation, C. SAINT-ALARY-HOUIN, “De la faillite au droit
des entreprises en difficul (...)

16Une véritable mue s’accomplit. Le droit de la faillite cessa d’être


un droit de la dette pour devenir un droit économique, mutation
qui s’est naturellement accompagnée d’une extension de son
domaine d’application (aux personnes morales de droit privé non
commerçantes, puis aux artisans, exploitants agricoles, enfin aux
professionnels libéraux)6.
 7 R. HOUIN, Permanence de l’entreprise à travers la faillite, Liber
amicorum, Baron L. Frédericq, 19 (...)

 8 Sur laquelle cf. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en


difficulté, Domat Montchrestien, 5(...)

17L’amorce de cette mue s’opère avec la réforme de 1967,


laquelle s’efforce de mettre en œuvre, sans y parvenir encore
totalement, la fameuse distinction
de l’homme et de
l’entreprise prônée par le doyen Houin7. N’est-il pas au
demeurant significatif que, dès 1967, une procédure préventive,
la première du genre, ait été instituée : la procédure dite de
suspension provisoire des poursuites8 ?
 9 F. TERRE, “Droit de la faillite ou faillite du droit”, Rev. Jur. Com., 1991,
p. 1, faisant état d’ (...)

18La rupture véritable avec “le droit de la dette” se produit


toutefois en 1985, avec la grande réforme du 25 janvier 1985 9,
affichant son souci du “redressement de l’entreprise” de la
manière la plus nette dans son fameux article 1 . er
19Le droit de la faillite est alors devenu le droit des entreprises en
difficulté, droit économique cherchant à sauvegarder les
entreprises.
20“La sauvegarde de l’entreprise”, c’est encore l’objectif de la
toute dernière réforme, celle de la loi éponyme du 26 juillet 2005.
21Cette réforme ne devrait être bientôt que l’avant dernière
réforme du droit des entreprises en difficulté, car le Président de
la République, dans le discours prononcé à l’occasion de la
commémoration du bicentenaire du Code de commerce célébrée
au Tribunal de commerce de Paris le 6 septembre dernier, après
avoir rappelé “l’importance capitale de la prévention pour lutter
contre les faillites” a ajouté que “si la loi de sauvegarde de 2005 a
constitué un premier pas dans la bonne direction”, il convenait
“d’aller plus loin, beaucoup plus loin, avec beaucoup plus
d’audace en matière de prévention des difficultés”.
22En matière d’anticipation la France serait-elle en retard par
rapport à ses voisins ou à ses lointains cousins d’outre
Atlantique ?
23Si la France a pu faire figure de précurseur en la matière,
l’anticipation des difficultés est néanmoins sans doute, sinon un
objectif, du moins un souci assez largement partagé sur le vieux
continent, où le droit français, a été imité ou plutôt concurrencé.
Il apparaît que derrière ce souci partagé, les voies de
l’anticipation diffèrent sensiblement (I)
24En revanche des constantes plus fortes s’observent quant
aux acteurs de l’anticipation, constantes, qui n’empêchent
toutefois fois pas des différences (II)
25I – L’anticipation : un souci partagé, une mise en oeuvre
différenciée
26II – Les acteurs de l’anticipation : des constantes n’empêchant
pas quelques

I – L’ANTICIPATION : UN SOUCI
PARTAGE, UNE MISE EN OEUVRE
DIFFERENCIEE
27Il apparaît que le droit français, plus tôt que d’autres droits du
continent européen, a eu le souci de la prévention, de
l’anticipation des difficultés des entreprises. Cette recherche
récente est passée d’une volonté timide à un véritable objectif
servi par des moyens divers. Néanmoins, notre droit ne s’est
peut-être pas encore doté de toutes les mesures propres à
satisfaire cette ambition.
 10 La présente étude a porté sur le droit allemand, le droit belge, le droit
espagnol, le droit itali (...)

28Cette recherche a été peu à peu partagée par nos voisins 10, qui
ont emprunté d’autres voies. Ce n’est en effet pas le droit
français qui a constitué la source principale d’inspiration, ce qui
ne surprendra pas, le droit français s’étant lui-même inspiré du
grand cousin d’Amérique, plus spécialement du fameux Chapter
Eleven et de la procédure de réorganisation instituée par celui-ci.

A – Le droit français : un pionnier de


l’anticipation offrant des voies diversifiées
29Sur le vieux continent, il semble que le droit français soit celui
qui se soit intéressé le plus tôt à l’anticipation des difficultés, afin
de permettre le sauvetage de l’entreprise. Les premières mesures
en ce sens remontent à la fin des années soixante.
30Sans doute en Italie existait-il un concordat préventif depuis
1903 déjà. Il s’avère, en définitive, que cette procédure n’avait de
préventif que le nom, son ouverture étant subordonnée à
l’existence de l’état de cessation des paiements ; son adoption
était, par ailleurs, elle-même subordonnée au paiement de la
totalité des créanciers privilégiés et de 25 % des chirographaires,
de telle sorte qu’il était manifeste que cette procédure ne visait
pas le sauvetage de l’entreprise mais le paiement des créanciers !
31Revenons, par conséquent, au droit français caractérisé par une
affirmation progressivement renforcée de la volonté
d’anticipation des difficultés de l’entreprise d’une part, et, d’autre
part, par le choix d’une offre diversifiée de moyens de prévention.

1) D’une volonté timide d’anticiper à


l’affirmation d’un objectif d’anticipation
 11 G. RIPERT, Traité élémentaire de Droit commercial par R. Roblot, t. II,
LGDJ, 9ème éd., 1981, no3 (...)

32Aussi loin que l’on puisse remonter, c’est l’ordonnance du 23


septembre 1967, qui constitue la première pierre en la matière.
Cette ordonnance institua une procédure de suspension
provisoire des poursuites. L’entreprise devait justifier être dans
une situation financière difficile mais non irrémédiablement
compromise, ce que la doctrine présentait comme “une situation
assez grave pour faire prévoir une menace de cessation des
paiements” mais qui devait “laisser subsister au profit de
l’entreprise des chances raisonnables de survie”11.
33Séduisante, cette procédure judiciaire destinée à l’adoption
d’un plan par le tribunal, est ouverte tant aux personnes qu’aux
personnes morales de droit privé, même non commerçantes. Elle
était néanmoins réservée aux seules entreprises dont la
disparition serait de nature à causer un trouble grave à
l’économie nationale ou régionale. Elle connut un très faible
“succès” compte tenu à la fois de cette exigence et de la tardiveté
des démarches entreprises aux fins d’ouverture de cette
procédure.
 12 Seules sont alors concernées les entreprises tenant une comptabilité
prévisionnelle et dont les co (...)

34L’étape suivante de la marche vers l’anticipation est


assurément la loi du 1   mars 1984 relative à la prévention et au
er

règlement amiable des difficultés des entreprises. Outre


des mesures importantes de détection(comptabilité
prévisionnelle, droits d’alerte du commissaire aux comptes, du
comité d’entreprise), cette loi institue une procédure de
règlement amiable ouverte en amont de la cessation des
paiements. Mais, une fois encore, le législateur limite le champ
d’application de cette procédure préventive destinée à la
conclusion d’un accord par le débiteur et ses principaux
créanciers12. L’extension ultérieure du champ d’application du
règlement amiable (en 1994), de même que la judiciarisation de
la procédure, ne devaient pourtant guère, d’un point de vue
statistique, changer la donne.
35Il est vrai qu’aucune mesure d’accompagnement particulière
n’incitait les créanciers à une telle négociation.
36Le législateur avait préféré sans doute mettre l’accent sur la
procédure de redressement judiciaire. Celle-ci était destinée à
l’adoption par le tribunal d’un plan de nature à assurer le
redressement de l’entreprise. Son ouverture demeurait
néanmoins subordonnée à la démonstration d’un état de
cessation des paiements, compris certes non plus comme une
situation irrémédiablement compromise, mais comme
l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif
disponible.
 13 D. VOINOT, Droit économique des entreprises en difficulté, LGDJ, Droit
et économie, 2007, no 27, a (...)

37Avec la loi du 26 juillet 2005, le droit français a souhaité


franchir une nouvelle étape dans l’anticipation des difficultés de
l’entreprise13.
38L’objectif de prévention est clairement affirmé par l’exposé des
motifs du projet de loi, dès les premières lignes : “l’objectif de
sauvegarde de l’entreprise est un enjeu crucial (…) pour ce faire
la loi doit permettre d’appréhender les difficultés de l’entreprise
dès qu’elles deviennent prévisibles, avant même qu’elles ne se
traduisent en trésorerie”.
39La mesure phare de la loi du 26 juillet 2005 est l’institution de
la procédure de sauvegarde, dont l’originalité tient à ce qu’elle
constitue, à l’instar de la procédure de suspension des poursuites
de 1967, dont elle emprunte de nombreux traits, une procédure
judiciaire préventive, ouverte avant la cessation des paiements. Le
législateur entend reléguer le redressement judiciaire au rang des
mesures dépassées, désuètes, car précisément d’un
déclenchement trop tardif.
 14 Cf. J. De HAERVENG, selon lequel la sauvegarde n’est pas un
redressement judiciaire anticipé, c’es (...)

40La volonté de rupture avec les textes antérieurs se reflète dans


la terminologie employée. Le choix du terme de “sauvegarde”
plutôt que celui de “redressement” est éloquent. Redresser
implique de relever une entreprise sinon à terre, du moins brisée.
Sauvegarder c’est préserver une entreprise encore débout,
quoique connaissant de véritables faiblesses. La sauvegarde
correspond mieux à une démarche d’anticipation 14.
 15 F. PEROCHON et R. BONHOMME, Entreprises en difficultés,
Instruments de crédit et de paiement, LGDJ (...)
41Il ne s’agit toutefois pas de faire table rase du passé 15, y
compris dans le domaine de l’anticipation. La sauvegarde s’ajoute
aux mécanismes existants, que l’on s’efforce, en outre,
d’améliorer. Le droit français offre ainsi une palette diversifiée de
moyens d’anticipation des difficultés.

2) Une offre diversifiée de moyens d’anticipation


des difficultés
 16 Ainsi à propos de l’objectif de sauvegarde évoqué plus haut peut-on
lire : “il doit être poursuivi (...)

42Le droit français est aujourd’hui caractérisé par une volonté de


diversification des moyens d’anticiper les difficultés. Une telle
diversification est propre à offrir au chef d’entreprise la
procédure la mieux adaptée à sa situation, comme le précisait
l’exposé des motifs de la loi de sauvegarde des entreprises16 et
comme cela a été également rappelé au cours des travaux
préparatoires.
43La détection proprement dite, dont l’importance est renforcée,
(notamment la reconnaissance au profit du président du tribunal
de commerce d’un pouvoir d’injonction en cas de défaut de dépôt
des comptes) est complétée par plusieurs mécanismes ou
procédures.
44Il s’agit en premier lieu du mandat ad
hoc auquel une
disposition autonome est désormais consacrée, sans que sa
souplesse lui ait été ôtée : le juge, saisi par le chef d’entreprise,
n’intervient que pour désigner le mandataire, fixer sa mission et
sa rémunération en accord avec le débiteur.
45En second lieu, il convient de faire tout particulièrement état
de la procédure de conciliation, se substituant à l’ancien
règlement amiable. Cette procédure amiable n’entame ni les
pouvoirs du chef d’entreprise, ni les prérogatives des créanciers.
La solution aux difficultés résulte d’un accord conclu entre le chef
d’entreprise et ses principaux créanciers, seuls tenus par cet
accord. Pour ouvrir cette procédure, des difficultés prévisibles
suffisent. Mais elle peut aussi être ouverte en cas de difficulté
avérée ou même de cessation des paiements si celle-ci n’est pas
survenue depuis plus de 45 jours. Cette procédure connaît un
succès grandissant, volant la vedette à la procédure de
sauvegarde. L’extension de son champ d’application quant à la
nature des difficultés rencontrées et la souplesse qui lui est ainsi
conférée contribuent, à n’en pas douter, à son succès.
46En dernier lieu, la procédure de sauvegarde vient compléter ce
dispositif d’anticipation. Cette procédure, par laquelle le chef
d’entreprise non encore en état de cessation des paiements, se
place sous la protection de la justice en profitant de la
soumission des créanciers à la discipline collective jusqu’à
l’adoption d’un plan de réorganisation voté par les créanciers (2
comités) et arrêté par le tribunal, ne connaît, qu’un demi-succès
en pratique.
47La tentation est grande d’expliquer ce succès timoré par la
rigidité trop grande de ses conditions d’ouverture.
 17 V. MARTINEAU BOURNIGNAUD, “Le spectre de la cessation des
paiements dans le projet de sauvegarde d (...)

 18 Rapport J.-J. Hyest, au Sénat au nom de la Commission des lois,


no 335, p. 78.

48Il faut que le “débiteur” “justifie de difficultés qu’il n’est pas en


mesure de surmonter et de nature à le conduire à la cessation des
paiements”. Comme cela a été justement dit “le spectre de la
cessation des paiements”17continue de planer. On a craint en
effet un “dévoiement de la procédure”18.
49Là est peut-être le point de blocage qui demeure, et auquel il
s’agit de remédier selon le Président de la République, qui invite
le législateur à aller plus loin dans les emprunts au droit
américain. Chacun sait qu’en effet la loi de sauvegarde s’est
inspirée du droit fédéral américain, plus exactement au Chapter
eleven et de la procédure de réorganisation qu’il organise, issue
d’une loi de réforme de 1978 (Bankruptcy Reform Act). Mais,
précisément, pas suffisamment, l’ouverture de la procédure de
réorganisation américaine, n’étant pas subordonnée à la preuve
de difficultés d’une nature particulière.
50C’est au demeurant, plutôt le droit américain qui aurait
constitué une source d’inspiration pour nos voisins européens,
proches ou lointains.
51Evoquons l’anticipation des difficultés dans les droits étrangers,
où elle est apparue plus tardivement et de manière à la fois plus
discrète et unitaire.

B – L’anticipation dans les droits


étrangers : une approche plus tardive,
discrète et unitaire
52Les pays européens voisins de la France, ou un peu plus
lointains, ont également, pour beaucoup d’entre eux, plus ou
moins profondément modifié leur droit des procédures
collectives, leur droit de la défaillance des entreprises. Comme
chez nous, le législateur a pensé que le droit pouvait avoir
quelque prise sur les difficultés rencontrées par les entreprises.
53Ces modifications ont été plus tardives qu’en France, du moins
si l’on se place au grand tournant du droit des entreprises en
difficulté qu’a constitué la réforme de 1985, qui, chacun
s’accorde à cet égard, a fait véritablement basculer cette matière.
Les réformes effectuées dans les pays étrangers envisagés l’ont
été entre 1994 et 2006.
54Les réformes ainsi opérées ont presque toutes intégré un souci
de préservation de l’entreprise, souvent inconnu auparavant, seul
le paiement des créanciers étant alors recherché (sous réserve
d’une exception en Pologne). La volonté de favoriser la survie de
l’entreprise s’est accompagnée, mais généralement de manière
plus diffuse que chez nous, d’un souci d’anticipation des
difficultés. L’objectif de paiement des créanciers demeure
toutefois prioritaire (en Italie notamment), ce qui n’exclut pas la
prévention, car intervenir plus tôt permet de mieux payer les
créanciers !
55On observera, avant d’envisager les facettes de la prévention
dans ces pays, que le champ de celle-ci peut être fort variable.
Très étendu en droit français où toutes les entreprises sont
concernées, il a été ou est restreint dans d’autres pays : ainsi en
Italie, seuls les commerçants dont l’entreprise dépasse certains
seuils bénéficient des mesures préventives ; en Turquie, de
manière voisine, la restructuration n’est ouverte qu’aux seules
sociétés commerciales et aux sociétés coopératives. En droit
belge, les professionnels libéraux ne sont pas concernés par le
concordat judiciaire (même dans l’avant-projet de réforme, seuls
les commerçants sont concernés). A l’extrême opposé, en
Allemagne les particuliers relèvent des mêmes dispositions que
les entreprises.
56Une certaine forme de prévention des difficultés des
entreprises est assurée. Mais elle n’est pas autant mise en avant
que chez nous, du fait sans doute de la priorité accordée au
paiement des créanciers. La détection paraît absente. Il n’existe
pas de procédure amiable semblable à la conciliation et peu de
procédures judiciaires purement préventives. La prévention est
assurée, ou bien à l’amiable, ou bien grâce à des procédures
judiciaires dont le domaine est plus flou, plus large que celles que
nous connaissons en droit français.
57Les moyens de détection sont, semble-t-il, quasi inexistants.
58Il semble qu’aucun autre système ne connaisse pour l’heure
des mécanismes d’alerte tels que ceux que la loi du 1  mars 1984 er

a institués (tandis que le dépôt des comptes est généralement


imposé).
 19 Cf. http://www.vbo-feb.be/index.htlm?file=2055.

59Néanmoins, en Belgique, un avant projet relatif à la continuité


des entreprises de 2006, pourrait sensiblement rapprocher le
droit belge du droit français 19. Le législateur belge semble vouloir
emboîter le pas du législateur français sur les chemins de la
détection, pour laquelle le droit belge a déjà, il est vrai, une
longueur d’avance sur les autres législations.
60La Belgique a institué des chambres d’enquête au sein des
tribunaux de commerce (composées de juges consulaires et juges
du tribunal de commerce), dont la mission est de dépister le plus
rapidement possible les difficultés (grâce notamment à un
système automatique de collecte des données). S’il est constaté
que le débiteur remplit les conditions d’obtention d’un concordat
ou bien se trouve en état de faillite, le dossier est transmis au
Parquet.
 20 Art. 10 § 1er al 2 : “lorsque le juge estime que la continuité de
l’entreprise d’un débiteur est m (...)

61L’avant-projet de réforme de 2006 entend élargir les


prérogatives des chambres d’enquête commerciale. Un droit
d’alerte comparable à celui reconnu en France au président du
tribunal de commerce lui serait conféré20.
62Ce projet, à bien d’autres égards, est susceptible de rapprocher
le droit belge du droit français, alors que ses rédacteurs n’ont
évoqué comme modèles que le droit allemand et le droit
américain ! On y retrouve, par exemple, la possibilité (toujours
pour la chambre d’enquête) de désigner un “médiateur
d’entreprise”, très proche du mandataire ad hoc.
63A l’exception de ce qui pourrait constituer le futur droit belge,
aucun autre des pays examinés n’offre le même “éventail” de
procédures qu’en droit français.
64On n’observe pas de procédure amiable telle que la procédure
française de conciliation.
65Le projet de réforme du droit belge, sans viser à l’adoption
d’une telle procédure, prévoit que la procédure de réorganisation
(procédure judiciaire) pourra aboutir à un accord amiable très
semblable à celui sur lequel est appelée à aboutir notre procédure
de conciliation.
66Il convient toutefois de préciser que rien n’empêche de recourir
à des accords amiables, en dehors de toute intervention
judiciaire. Bien au contraire, nos voisins “comptent” sur
l’intervention de solutions purement contractuelles et ils n’ont
pas ressenti, semble-t-il, le besoin de légiférer.
67Il n’existe guère enfin dans les droits étrangers examinés de
procédure judiciaire “purement” préventive, semblable à la
sauvegarde, si ce n’est en Pologne.
68La Pologne, qui se serait plutôt inspirée du droit américain elle
aussi, a réformé son droit de la faillite par une loi du 28 février
2003. Elle a institué une procédure dite de “réparation”
concernant les entreprises confrontées à un “risque
d’insolvabilité”. Cette procédure s’ajoute à d’autres procédures
qui sont l’équivalent du redressement judiciaire et de la
liquidation. Elle a pour effet de suspendre les poursuites des
créanciers, tandis que le dirigeant conserve la gestion de son
entreprise, le déroulement de la procédure étant contrôlé par un
“superviseur judiciaire”.
69L’anticipation semble pouvoir être réalisée grâce à des
procédures judiciaires dont les conditions d’ouverture sont
floues et recoupent celles de nos procédures de conciliation,
sauvegarde et redressement, voire de liquidation.
70Dans certains pays, la procédure permettant l’anticipation
coexiste avec une procédure liquidative (Italie, Belgique, Turquie).
Dans d’autres pays (Espagne et Allemagne), le choix a été fait
d’une procédure unique utilisée tant pour la réorganisation que
pour la liquidation des actifs.
71Dans la première série d’hypothèses figure tout d’abord l’Italie.
72L’Italie a réformé son droit en 2006 en conservant comme
objectif prioritaire le paiement des créanciers, mais en intégrant
la sauvegarde de l’entreprise. Le droit italien permet l’ouverture
du concordat préventif, procédure assez proche de la procédure
de sauvegarde aux entreprises éprouvant des “difficultés
économiques”, en “situation de crise”.
73La doctrine italienne est précisément divisée sur le point de
savoir si cette procédure est exclusive de l’état de cessation des
paiements ou non en raison de la généralité des termes de la loi.
Un courant majoritaire semble se dégager en faveur d’une
interprétation stricte des textes et du caractère préventif de la
procédure.
74Le concordat préventif est la seule alternative à la liquidation. Il
n’existe pas de redressement judiciaire.
75Pour l’adoption des règles régissant ce concordat préventif, le
législateur transalpin a lui aussi porté son regard au-delà des
limites du vieux continent, vers le droit américain (rappelons à cet
égard que la “Réorganisation” est en droit fédéral la seule
alternative à la liquidation régie par le Chapter 7).
76En Belgique, le concordat judiciaire, issu d’une loi du 17 juillet
1997 (alternative à la faillite), peut être ouvert si le débiteur ne
peut plus temporairement acquitter ses dettes, mais également si
la continuité de son entreprise est menacée par des difficultés
pouvant conduire, à plus ou moins bref délai, à la cessation des
paiements.
 21 Plus exactement selon le texte proposé, “lorsque tout ou partie de son
activité est susceptible d’ (...)

77Le projet relatif à la réorganisation de l’entreprise


précédemment évoqué prévoit (Art. 13) que la procédure de
réorganisation peut être ouverte “dès que la continuité de
l’entreprise est menacée, à bref délai ou à terme” (l’ouverture de
la procédure supposant par ailleurs la survie de l’entreprise) 21.
78La Turquie, dont les sources d’inspiration ont été diverses,
mais constituées pour l’essentiel par le droit américain, les droits
allemand et suisse et, dans une moindre mesure, le droit français,
a organisé, en 2004, une nouvelle procédure de restructuration,
dont le critère d’ouverture correspond à l’état de cessation des
paiements, mais également à un risque de cessation des
paiements (le droit turc connaît également une procédure de
faillite et d’ajournement de la faillite).
79En Allemagne et en Espagne le choix a été fait d’une procédure
unique, mais pouvant être ouverte plus précocement et
permettant ainsi d’anticiper l’état de cessation des paiements.
80En Allemagne, une réforme importante de la matière a été
adoptée en 1994 (son entrée en vigueur, compte tenu des
changements apportés, ayant été différée jusqu’en 1999).
Une procédure unique d’insolvabilité a été instituée, pouvant être
ouverte non seulement en cas d’incapacité de payer, mais
également en cas d’incapacité imminente de payer (ou, s’agissant
des personnes morales dotées de la capacité juridique, en cas de
“surendettement”, notion qui est distincte de celle connue en
droit français pour les particuliers. Le surendettement est destiné
à permettre une ouverture plus précoce qu’en cas d’incapacité de
payer).
81Quant à l’Espagne, elle a connu une réforme en 2003. La
procédure unique (concurso), également instituée peut
pareillement être ouverte en cas d’insolvabilité actuelle ou
imminente, lorsque le débiteur prévoit qu’il ne pourra plus
satisfaire à ses obligations).
82On entrevoit que les moyens de l’anticipation diffèrent. Le droit
hésite entre des solutions pluralistes (modèle de la France) et un
modèle unique susceptible de plusieurs utilisations (susceptible
d’être utilisé à des fins d’anticipation comme à des fins curatives)
ou encore connaissant plusieurs déclinaisons (c’est le cas dans le
projet Belge où la procédure de réorganisation débouche ou sur
un accord amiable ou sur un plan de réorganisation ou encore sur
la cession à un tiers “le transfert sous autorité de justice à un ou
plusieurs tiers de tout ou partie de l’entreprise ou de ses
activités).
83Ces différences d’approche et d’organisation entre le droit
français et les droits étrangers envisagés n’excluent pas, en
revanche, de forts rapprochements quant aux acteurs de
l’anticipation. Des constantes s’observent même, ne gommant
toutefois pas toute différence.
II – LES ACTEURS DE
L’ANTICIPATION : DES
CONSTANTES N’EXCLUANT PAS
DES DIFFERENCES
84Quelle que soit la forme sous laquelle est mis en œuvre un
processus d’anticipation des difficultés de l’entreprise, le
débiteur, le chef d’entreprise, occupe en la matière un rôle de
premier plan. On observe, par ailleurs, une participation très
active des créanciers. De même, le juge est constamment présent
et peut-être doté parfois de pouvoirs importants.
85L’anticipation intéresse l’ensemble des parties prenantes, le
dirigeant avant tout certes, mais également les partenaires de
l’entreprise. Parce que leurs droits, leurs prérogatives sont en jeu,
il importe de leur donner un certain poids dans le processus
d’anticipation et de reconnaître au juge un certain contrôle, voire
un certain pouvoir de décision.
86Cet équilibre est communément recherché, même si le point
d’équilibre paraît être trouvé à différents endroits selon les pays
concernés.

A – Le rôle de premier plan du “débiteur”,


chef d’entreprise
87Il tient pour l’essentiel au pouvoir d’initiative qui lui est
reconnu (1).
88Il est renforcé par l’adoption de mesures de nature à l’inciter à
s’engager dans une démarche d’anticipation, plus ou moins
étendue toutefois selon les cas (2).
89Il est à noter que dans les autres droits que le droit français, le
dirigeant est exceptionnellement privé de la possibilité de
bénéficier des mesures d’anticipation (spécialement en cas de
mauvaise foi). Son pouvoir exclusif est en quelque sorte tempéré
(3).

1) L’initiative exclusive du chef d’entreprise en


matière d’anticipation
 22 Une petite exception existe toutefois en matière agricole où les
créanciers peuvent saisir le prés (...)

90Toutes les procédures offertes par le droit français visant à


apporter des solutions aux difficultés naissantes de l’entreprise,
mandat ad hoc, procédure de conciliation, procédure de
sauvegarde, ont pour point commun d’en réserver l’initiative au
seul chef d’entreprise. Il en a l’exclusivité 22.
91Pour autant, le dirigeant n’est pas totalement isolé dans cette
période de difficultés qu’il rencontre. Les mécanismes de
détection des difficultés imaginés par le droit français
(spécialement les différents mécanismes d’alerte) sont destinés à
éveiller son attention sur ces difficultés, si d’aventure lui
manquait la lucidité suffisante à cet effet. Mais, en aucun cas, il
ne peut subir de contrainte avant la survenance de l’état de
cessation des paiements.
92S’agissant des droits étrangers, un même constat quant au
pouvoir d’initiative du chef d’entreprise peut être effectué :
93En Italie, seul le chef d’entreprise peut solliciter l’ouverture de
la procédure de concordat préventif. Il en va de même en
Pologne pour la procédure de réparation.
94Quant aux différents pays qui ont institué une procédure
unique couvrant en quelque sorte, au regard de la nature des
difficultés rencontrées, la sauvegarde et le redressement, on
constate que le déclenchement précocede la procédure repose
exclusivement sur la démarche du chef d’entreprise. (C’est, au
demeurant, la solution qui avait été initialement imaginée au
stade de l’avant-projet de réforme du droit français : le
redressement judiciaire pouvait être ouvert avant la cessation des
paiements à l’initiative du seul chef d’entreprise).
95Tel est le cas en Allemagne, dans la procédure d’insolvabilité
(seul le débiteur peut en demander l’ouverture en cas
d’insolvabilité imminente), en Espagne, dans la loi de concurso et
en Turquie pour la procédure de restructuration.
 23 Article 10 § 2 al. 3

96On observera que le droit belge pourrait contenir une solution


quelque peu différente si était adopté en l’état l’avant-projet de
loi de 2006. En effet, celui-ci prévoit23 qu’en cas de défaut de
comparution du débiteur par deux fois après convocation en
chambre d’enquête commerciale (ce qui correspond à ce que
nous désignons comme étant l’alerte du président du tribunal), le
juge peut désigner d’office un médiateur d’entreprise. Le texte
proposé précise toutefois aussitôt que le débiteur peut en refuser
l’intervention !
 24 M. TANGER, La faillite en Droit fédéral des Etats-Unis, Economica
2002, “Préface” J. LARRIEU, p. 6 (...)

97La situation tranche singulièrement avec le droit fédéral


américain où les créanciers peuvent saisir le tribunal de la faillite
d’une requête, ce dont ils font un usage très rare (moins de 5 %
des demandes), les conditions de recevabilité étant strictes24.
98Les différentes législations rencontrées vont plus loin pour
assurer au dirigeant le premier rôle. Elles l’incitent à s’engager
dans une démarche d’anticipation.
2) L’incitation du chef d’entreprise à anticiper
99Le dirigeant est assez largement invité à entreprendre
précocement des démarches pour remédier aux difficultés de
l’entreprise. Le droit français s’y emploie avec une énergie
particulière. Ainsi si des mesures se retrouvent presque
systématiquement, d’autres sont spécifiques au droit français.

a) Les mesures d’application quasi-générale


100Au titre des mesures d’application quasi générale peuvent être
mentionnées, plus particulièrement, les règles relatives aux
pouvoirs de gestion pendant la procédure et celles relatives à la
cession forcée et plus exactement à l’exclusion d’une telle
cession forcée

Des pouvoirs de gestion étendus

101Les pouvoirs de gestion du chef d’entreprise sont étendus


pendant la procédure, spécialement lorsque le chef d’entreprise
prend l’initiative de l’ouverture de la procédure.
102Le chef d’entreprise reste à la tête de l’entreprise en droit
français, en droit italien (il conserve la “gestion normale” de
l’entreprise), en droit polonais dans la procédure de réparation où
la procédure est seulement contrôlée par un “superviseur
judiciaire”.
103En Belgique, dans la réorganisation prévue par l’avant-projet,
le débiteur peut demander la désignation d’un mandataire pour
l’assister dans sa réorganisation. Ce dernier semble-t-il,
intervient seulement dans l’élaboration de la solution, et non
dans la gestion.
104En droit espagnol, le chef d’entreprise est doté de pouvoirs de
gestion étendus s’il prend l’initiative, mais sans distinguer,
semble-t-il, selon qu’il y avait insolvabilité actuelle ou
imminente.

L’exclusion de toute cession forcée

105Une telle exclusion ne concerne véritablement que les


procédures judiciaires préventives ou les procédures amiables.
106Dans ces procédures, le dirigeant garde globalement la
maîtrise sur le sort de l’entreprise qui ne peut être cédée à un
tiers contre son gré (si du moins les mesures de restructuration
sont adoptées et respectées).
107Ainsi en est-il de la procédure française de conciliation . La
procédure de sauvegarde est, quant à elle, exclusive de toute
cession totale à un tiers. Toutefois, le pari doit réussir et s’avère
sinon très risqué. A défaut, le dirigeant n’a droit à aucune
seconde chance. La résolution du plan de sauvegarde conduit à la
liquidation laquelle n’autorisera plus qu’une cession. On a pu
déplorer également que le dirigeant puisse être évincé.
108La procédure de réparation instaurée par la
législateur polonais paraît également écarter toute cession totale.
Son échec conduit comme en droit français à la liquidation.
109La procédure de restructuration turque ne permet, à l’instar
du droit français, que des cessions partielles.
110En Italie, une cession volontaire, totale ou partielle est
possible. Mais, en cas de rejet du plan la prévoyant, la procédure
collective sera ouverte automatiquement, sauf à ce que le tribunal
impose le plan en démontrant que le patrimoine du débiteur ne
permettra pas un remboursement plus important des dettes (en
revanche, contrairement au droit français, l’échec de l’accord de
restructuration ne conduit pas inéluctablement à la liquidation,
laquelle nécessite l’état de cessation des paiements).
111Les pays connaissant une procédure unique englobent dans les
solutions de la procédure l’éventualité d’une cession :
 en Allemagne, la procédure d’insolvabilité peut aboutir soit à un
redressement, soit à la liquidation. Le redressement s’opère lui-
même par une cession nécessitant le consentement des créanciers
ou bien avec le seul débiteur par le biais d’un plan d’insolvabilité.
 dans l’avant-projet de réforme en Belgique : il est prévu que la
réorganisation peut se traduire par transfert de l’entreprise à un
tiers. Cependant le débiteur doit y consentir en principe (art. 49 al.
1 ). Elle peut toutefois être ordonnée en cas de refus d’ouverture de
er

la procédure de réorganisation, de fin anticipée de celle-ci ou de


révocation du plan de réorganisation (al. 2).

b) Les mesures spécifiques au droit français


112Le droit français a adopté bien d’autres mesures incitatives
pour le dirigeant, absentes des autres législations :
113Ainsi, outre le réaménagement des sanctions, s’est-il
préoccupé du sort des engagements de garantie consentis par les
dirigeants personnes physiques, sort duquel se sont, semble-t-il
désintéressés nos voisins.
114Seul le législateur belge dans son avant-projet se préoccupe
de la question, mais pour la régler dans un sens diamétralement
opposé à celui retenu par le législateur français. L’avant-projet
belge prive les codébiteurs et les personnes ayant consenti une
des sûretés personnelles de la possibilité d’invoquer les mesures
du plan de réorganisation (Art. 47 al. 5).
 25 M. TANGER, précit., p. 148.

 26 M. TANGER, précit., p. 422 et 433, citant toutefois une décision de


Cour d’appel en sens contraire (...)

115Notons que les juges américains ont imposé, pendant le


déroulement de la procédure de réorganisation, une extension de
la suspension des poursuites au bénéfice des dirigeants
cautions25. En revanche, ces mêmes juges ne leur permettaient
pas d’invoquer les dispositions du plan26.
116Le droit français paraît ainsi plus favorable au dirigeant et à
l’anticipation. Cela se vérifie également par le fait que, à la
différence du droit français, d’autres législations privent parfois le
débiteur du bénéfice de l’anticipation.

3) La privation du bénéfice des procédures


d’anticipation dans certains droits étrangers
117En droit français, la demande du chef d’entreprise aux fins
d’ouverture d’une procédure ne peut être écartée au fond que si
ce dernier n’établit pas éprouver les difficultés visées par la loi
(spécialement pour la procédure de sauvegarde l’impossibilité de
surmonter seul des difficultés de nature à le conduire à la
cessation des paiements).
118Dans un certain nombre de pays, la bonne foi du débiteur, ou
du moins son absence de mauvaise foi, est par ailleurs
nécessaire.
119Ainsi, en Italie, le concordat préventif est écarté en cas de
mauvaise foi du débiteur. Le droit italien n’exige cependant plus
que le débiteur prouve qu’il a eu une conduite exemplaire. Il doit
“seulement” ne pas avoir provoqué sciemment les difficultés de
son entreprise.
120En Belgique, de manière semblable, le bénéfice du concordat
judiciaire suppose l’absence de mauvaise foi manifeste du
débiteur (ce qui suppose semble-t-il une probité de celui-ci dans
la gestion). Cette exigence ne figure toutefois plus dans l’avant-
projet.
121En Turquie, le tribunal avant d’arrêter le plan de
restructuration doit vérifier la bonne foi du débiteur.
 27 M. TANGER, précit., p. 49.

122Cette exigence a peut-être été empruntée au droit américain.


En contrepartie, en effet, d’une ouverture très large de la
procédure de réorganisation (qui ne nécessite pas que le débiteur
démontre des difficultés d’une nature particulière), les juges
assurent un certain contrôle de la légitimité de la demande en
recherchant la bonne foi du débiteur et en vérifiant la réalité de sa
situation économique27.
123On observe, par ailleurs, que le recours aux mesures
d’anticipation est parfois limité, par l’exigence, par exemple, de
l’écoulement d’une certaine durée de temps après l’ouverture
d’une précédente procédure. Ainsi, en Pologne, la procédure
préventive de réparation n’est pas applicable dans l’hypothèse où
une procédure de liquidation ou d’arrangement a été ouverte à
l’encontre du débiteur, au cours des cinq dernières années.
124Si le débiteur occupe le devant de la scène dans les procédures
d’anticipation, les créanciers en sont des acteurs incontournables.
Leur participation y est au moins active, parfois déterminante.

B – La participation active des créanciers


125Quelle que soit la voie suivie, l’on constate que l’adoption de
toute solution consécutive à une démarche d’anticipation
implique une participation des créanciers.
126Dans les procédures amiables leur participation, du moins
celle des principaux d’entre eux, est logiquement et
nécessairement déterminante. C’est précisément la
caractéristique de ces procédures que de déboucher sur une
solution amiable, négociée. Rien ne peut être imposé aux
créanciers.
127Le succès de la procédure de conciliation du droit
français dépend de l’adoption d’un accord entre le débiteur et ses
principaux créanciers et, éventuellement, de ses contractants
habituels. Seules les parties à l’accord seront tenues. Les autres
pourront se voir imposer des délais, mais en application du droit
commun.
128En Belgique, l’avant-projet contient des mesures instaurant un
système voisin si l’on recherche un accord amiable.
129Dans les procédures judiciaires, alors que les créanciers
subissent des contraintes liées à la discipline collective, leur
participation, spécialement à l’élaboration de la solution, est
systématiquement recherchée mais n’a pas toujours un caractère
déterminant (sauf en Allemagne où aucune solution ne se
construit sans les créanciers).
130En France, cette participation réalisée au sein de comités de
créanciers est aujourd’hui remarquable, car depuis 1985, les
créanciers avaient perdu, au profit du juge, tout rôle à cet égard.
131Dans ces procédures judiciaires, la participation des créanciers
a souvent pour support des assemblées (ainsi en Pologne,
Turquie, dans l’avant-projet belge) ou des comités de créanciers
qui sont appelés à discuter et voter le projet qui leur est soumis
(en France, en Allemagne, en Italie).
132L’adoption de la solution nécessite un vote majoritaire en sa
faveur et s’impose à la minorité (tel est le cas en France). En
Pologne est exigé un vote favorable de la majorité des créanciers
dont les créances représentent 75 % du passif ; idem pour l’Italie
en cas de plan de cession ; l’Allemagne impose une double
majorité pour chaque groupe de créanciers. En Allemagne, ce
vote majoritaire des créanciers semble même s’imposer au
débiteur (les créanciers y jouent globalement un rôle bien plus
important que chez nous) ! La Turquie connaît également un vote
majoritaire, avec toutefois la particularité qu’il doit être effectué
avant que le tribunal ne soit saisi (il examine alors ensuite le
projet voté).
133Cependant, en Italie, le système est quelque peu différent, si
est envisagée, non un plan de cession, mais une convention de
restructuration (plus proche dans la solution de l’accord amiable
conclu à l’issue de la procédure de conciliation) : la convention de
restructuration ne pourra être homologuée en tant que telle par le
tribunal que si les créanciers signataires représentent au moins
60 % des dettes du débiteur, mais les effets de l’accord
demeurent limités aux créanciers signataires
134On observera, cependant, que parfois le juge peut passer
outre, ou bien au défaut de participation des créanciers à
l’élaboration de la solution, ou bien au refus des créanciers
d’adopter cette solution (France Italie, USA). Mais c’est alors le
juge qui est investi d’un pouvoir important.

C – La présence et l’intervention du juge


135Par un jeu de vases communicants, il apparaît que ce qui est
retiré au pouvoir des créanciers revient au pouvoir du juge, dont
la présence ou l’intervention dans les procédures d’anticipation
est constante (même si elle est susceptible de degrés) au regard
de l’adoption de la solution de nature à remédier aux difficultés
de l’entreprise.
136Ce pouvoir est naturellement important dans les procédures
dites précisément judiciaires.
137C’est le juge qui, in fine, décide. Il ne donne sa force au plan
en l’arrêtant ou en l’homologuant qu’après vérification du respect
des objectifs fixés et de certains équilibres.
138La remarque vaut pour le plan de sauvegarde en France, le
plan de restructuration en Italie, le plan de réparation en Pologne.
En Turquie, le tribunal a le pouvoir et même le devoir de refuser
le plan voté par la majorité si les créanciers qui l’ont refusé
peuvent obtenir un meilleur paiement dans la liquidation.
139Le juge peut aller jusqu’à décider de la solution à laquelle les
créanciers n’ont pas consentie.
140En France, si les comités de créanciers ne sont pas réunis, ne
se prononcent pas dans les délais, ou ne se déterminent pas par
un vote concordant, on revient à une éventuelle négociation
individuelle sur les délais et remises et le tribunal peut passer
outre le refus des créanciers d’accorder les délais proposés et
leur imposer des délais uniformes de paiement.
141En Italie : en cas du rejet du plan de cession par la majorité des
créanciers, il est permis au tribunal d’approuver le plan s’il établit
que le patrimoine du débiteur ne permettra pas un
remboursement plus important des dettes dans le cadre de la
liquidation. On s’est inspiré du système du droit fédéral américain
dit du crammed down.
 28 M. TANGER, précit., p. 413 à 418.

142Aux Etats-Unis, le juge est autorisé à homologuer le plan à la


demande du débiteur, contre l’avis des créanciers, à condition
cependant qu’au moins une classe de créanciers l’ait accepté. Le
plan ne sera homologué que s’il est non discriminatoire, juste et
équitable envers les créanciers28.
143Le pouvoir du juge peut également être important dans notre
procédure amiable de conciliation, en dépit d’une certaine
“déjudiciairisation” de celle-ci. L’homologation demandée par
requête conjointe du débiteur et des créanciers peut en effet être
refusée par le tribunal qui dispose d’un pouvoir d’appréciation,
sans pouvoir imposer toutefois une quelconque modification de
l’accord qui lui a été soumis.
144Quelle que soit la procédure, le législateur français a souhaité
faire du tribunal et spécialement de son président un
interlocuteur privilégié du chef d’entreprise traversant une “zone
de turbulences”.
145Encore faut-il que celui-ci franchisse la porte du tribunal.
C’est sans doute toute une culture de l’entreprise et des
difficultés de l’entreprise qui reste à faire. Le rôle des
professionnels qui accompagnent les chefs d’entreprise est à cet
égard crucial.
 29 Sur la volonté du législateur de changer de ce point de vue les
mentalités, cf. P. Le CANNU, M. JE (...)

146La faiblesse encore du nombre de procédures de sauvegarde


n’est peut-être pas tant liée aux imperfections du droit français
qu’à la méconnaissance encore de celui-ci par les principaux
intéressés29. On aura beau l’améliorer encore, tant que les chefs
d’entreprise ignoreront trop largement notre droit des entreprises
en difficulté qui, pour être perfectible sans doute, n’est pourtant
pas dénué de modernité, il est à craindre que celui-ci ne demeure
un roman d’anticipation.
NOTES
1 Petit Larousse : du latin anticipare, devancer, exécuter avant le temps
fixé, s’adapter par avance à ce qui va arriver.

2 Sur cette évolution historique, cf. P.-M. Le CORRE, “1807-2007 : 200


ans pour passer de la faillite du débiteur au droit des sauvegarde de
l’entreprise”, Gaz. Pal., juill. 2007, p. 3.

3 Jean HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF,


1986, n  202.
o
4 P. 41.

5 Le décret de 1955 a eu pour objectif de “réaliser une distinction plus


nette entre les mauvais commerçants et les autres”, G. RIPERT, Traité
élémentaire de Droit commercial par R. Roblot, T II, LGDJ, 9  éd.,
ème

l981,  2799. “La liquidation judiciaire, réorganisée sous la


o

dénomination de règlement judiciaire, devint le mode normal de


règlement du passif applicable à tous les commerçants qu’il ne
paraissait pas nécessaire d’éliminer de la vie commerciale” (…) La
faillite subsista, mais avec un caractère répressif plus marqué” car
“réservée aux commerçants indignes” (…) elle “entraînait de plein droit
l’union, c’est-à-dire la liquidation forcée des biens du débiteur”.

6 Cf. sur cette mutation, C. SAINT-ALARY-HOUIN, “De la faillite au


droit des entreprises en difficulté, regards sur les évolutions de ce
dernier quart de siècle”, Regards critiques sur quelques (R)évolutions
récentes du droit, Travaux de l’IFR, Mutation des normes juridiques,
Presses universitaires de Toulouse I, 2005, T. 1, p. 389.

7 R. HOUIN, Permanence de l’entreprise à travers la faillite, Liber


amicorum, Baron L. Frédericq, 1965, p. 609 ; A. BRUNET, De la
distinction de l’homme et de l’entreprises, Mélanges Roblot, 1984,
p. 471.

8 Sur laquelle cf. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en


difficulté, Domat Montchrestien, 5  éd. 2006, n  30 à 34. Le champ
ème os

d’application de la “SPP” était toutefois très restreint : seules les plus


grosses entreprises pouvant en bénéficier.

9 F. TERRE, “Droit de la faillite ou faillite du droit”, Rev. Jur. Com.,


1991, p. 1, faisant état d’un “changement de cap législatif”.

10 La présente étude a porté sur le droit allemand, le droit belge, le


droit espagnol, le droit italien, le droit polonais, le droit turc, le droit
américain. Elle s’est appuyée sur des recherches à la source effectuées
par certains membres de l’atelier, natifs des pays concernés, ainsi que
sur la bibliographie suivante (non à jour de la toute dernière réforme
concernant l’Italie) : Tableau comparatif des procédures
d’insolvabilité : Italie, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne et Etats-
Unis, JCP E aff., 2005, 1517 ; Les procédures d’insolvabilité en droit
italien, belge et allemand, LPA, mars 2005, n  58, Préface M. GERMAIN ;
o

J. HAZARD, “Les procédures d’insolvabilité aux Etats-Unis”, LPA, juin


2005, n  119, p. 12 ; T. GERGEN, “Le statut juridique du syndic en droit
o

allemand et français” ; Rapport J.-J. Hyest au nom de la Commission


des lois Sénat, n  335, p. 40 et s. ; Sénat, Etude de législation
o

comparée, n  135, juin 2004 (http://senat.fr/lc/lc135/lc135.html).


o

Pour l’Italie : M. FERRO, La legge faillimentare. Commentario teorico-


pratico, CEDAM, Padova 2007 ; A. FIALE, Diritto fallimentare, 15  éd.
ème

Simone, Serie Manuali, Napoli, 2006.

11 G. RIPERT, Traité élémentaire de Droit commercial par R. Roblot,


t. II, LGDJ, 9  éd., 1981, n  3335.
ème o

12 Seules sont alors concernées les entreprises tenant une


comptabilité prévisionnelle et dont les comptes prévisionnels font
apparaître des besoins qui ne peuvent être couverts par un
financement adapté aux possibilités de l’entreprise.

13 D. VOINOT, Droit économique des entreprises en difficulté, LGDJ,


Droit et économie, 2007, n  27, affirmant que “la loi n  2005-845 du
o o

26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises représente l’ultime


étape en matière de prévention des difficultés” ; M.-L.
COQUELET, Entreprises en difficulté, Instruments de paiement et de
crédit, Hyper Cours Dalloz, 2  éd., 2006, p. 11, n  18.
ème o

14 Cf. J. De HAERVENG, selon lequel la sauvegarde n’est pas un


redressement judiciaire anticipé, c’est l’anticipation du redressement
judiciaire, “La procédure de sauvegarde est l’anticipation du
redressement judiciaire plutôt qu’un redressement judiciaire anticipé :
théorie et pratique au terme d’une année d’application”, LPA, fév.
2005, n  35, p. 4.
o
15 F. PEROCHON et R. BONHOMME, Entreprises en difficultés,
Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, Manuel, 7  éd., n 21,
ème

affirmant que “le premier choix, très raisonnable, a été de ne pas


rompre avec les principes posés par les textes de 1985 et 1994, mais
d’en accroître l’efficacité en remédiant à nombre d’imperfections
techniques des procédures existantes”.

16 Ainsi à propos de l’objectif de sauvegarde évoqué plus haut peut-


on lire : “il doit être poursuivi par des moyens diversifiés…”.

17 V. MARTINEAU BOURNIGNAUD, “Le spectre de la cessation des


paiements dans le projet de sauvegarde des entreprises”, D., 2005,
Chr., p. 1356.

18 Rapport J.-J. Hyest, au Sénat au nom de la Commission des lois,


n  335, p. 78.
o

19 Cf. http://www.vbo-feb.be/index.htlm?file=2055.

20 Art. 10 § 1  al 2 : “lorsque le juge estime que la continuité de


er

l’entreprise d’un débiteur est menacée, il peut appeler et entendre ce


débiteur afin d’obtenir toute information relative à l’état de ses affaires
et au sujet des mesures de réorganisation éventuelle”.

21 Plus exactement selon le texte proposé, “lorsque tout ou partie de


son activité est susceptible d’être maintenue par l’effet de la
procédure, soit directement par des mesures soumises à l’accord
individuel ou au vote des créanciers intéressés, soit indirectement par
transfert sous autorité de justice de tout ou partie de cette activité”.

22 Une petite exception existe toutefois en matière agricole où les


créanciers peuvent saisir le président du TGI d’une demande
d’ouverture d’une procédure de règlement amiable. Cette particularité
s’explique par le fait qu’une telle démarche est le préalable nécessaire
à toute assignation en redressement ou liquidation judiciaires.

23 Article 10 § 2 al. 3
24 M. TANGER, La faillite en Droit fédéral des Etats-Unis, Economica
2002, “Préface” J. LARRIEU, p. 60 à 81. La recevabilité de l’assignation
est subordonnée en principe à une introduction conjointe par au moins
3 créanciers dont l’ensemble des créances doit atteindre un certain
montant et être certaines et non litigieuses. Les créanciers doivent par
ailleurs démontrer un état de difficultés général du débiteur.
Il est singulier de constater que la procédure de suspension provisoire
des poursuites de l’ordonnance de 1967 pouvait elle aussi être ouverte
à l’initiative des créanciers dans des limites assez semblables : il fallait
en effet que le créancier ou le groupe de créanciers agissant
représentent au moins 15 % du montant des créances (Art. 7). Le
législateur américain ne se serait-il pas inspiré de l’ordonnance de
1967 !

25 M. TANGER, précit., p. 148.

26 M. TANGER, précit., p. 422 et 433, citant toutefois une décision de


Cour d’appel en sens contraire, ou plus exactement validant une
clause de libération des garants contenue dans le plan à l’encontre de
laquelle les créanciers n’avaient pas fait opposition au moment de
l’homologation.

27 M. TANGER, précit., p. 49.

28 M. TANGER, précit., p. 413 à 418.

29 Sur la volonté du législateur de changer de ce point de vue les


mentalités, cf. P. Le CANNU, M. JEANTIN, Droit commercial, Entreprises
en difficulté, Dalloz, 7 éd., 2007, n  192 et 204.
ème o

AUTEUR
Francine Macorig-Venier
Professeur à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, CDA, UT1)

Prévention et sauvegarde
Jean-Bertrand  Drummen

p. 349-354
La caractéristique première de la loi de sauvegarde du 26 juillet
2005entrée en vigueur le 1  janvier 2006 est d’avoir introduit
er

dans le domaine des difficultés des entreprises la culture de


l’anticipation.
2La volonté du législateur est que soient prises les mesures qui
s’imposent dès que les premiers clignotants révélant une
difficulté s’allument.
3C’est dire que les aspects culturels et psychologiques sont
déterminants pour assurer le succès de la nouvelle loi. Quand
surgissent les difficultés, il ne s’agit plus de les ignorer et de fuir
le Tribunal mais au contraire de se tourner vers la juridiction
commerciale –le juge de l’économie– qui sera à même de
comprendre la situation et d’user des moyens que la loi met à sa
disposition pour sauver l’entreprise en difficulté.
4Avant de revenir sur ces aspects culturels et psychologiques,
nous examinerons les moyens mis à la disposition du Tribunal
par le législateur pour détecter les entreprises en difficultés et
traiter celles-ci.

I – LA DETECTION
5Elle doit être active et s’effectuera notamment à partir des
éléments suivants :
 la convocation du chef d’entreprise par le Président du Tribunal
et la concertation qui s’en suivra,
 l’éventuelle investigation sur la situation économique et
financière de l’entreprise auprès des commissaires aux comptes,
des membres et représentants du personnel, des administrations
publiques, des organismes de sécurité sociale, des services chargés
de la centralisation des risques bancaires et des incidents de
paiement et de la société elle-même,
 la procédure d’injonction pour la publication des comptes
annuels, le cas échéant, sous astreinte,
 les différents signaux que sont les inscriptions de gages, de
nantissements, de prises de garanties, les ordonnances d’injonction
de payer à répétition,
 les renseignements fournis par le Greffe à partir des ratios de
gestion,
 l’alerte du Commissaire aux comptes qui est désormais tenu
d’impliquer davantage le Président du Tribunal de Commerce (ou du
Tribunal de Grande Instance).

II – LE TRAITEMENT
6Une première observation doit être faite : l’entretien ou les
entretiens qui suivront la convocation seront souvent salutaires
pour le chef d’entreprise car ils pourront être à l’origine d’une
prise de conscience de la situation de l’entreprise par son
responsable, lequel par ailleurs, sorti de son isolement, aura un
échange utile avec le juge de la prévention.
7Ceci étant, des outils sont mis à la disposition du Président du
Tribunal –ou du Tribunal– pour aider efficacement l’entreprise. Ce
sont : le mandat ad hoc (A), la conciliation (B) et la procédure de
sauvegarde proprement dite (C).

A – Le mandat ad hoc
8D’origine prétorienne, puisqu’il fut créé en 1984 par le Tribunal
de Commerce de Paris, le mandat ad hoc a aujourd’hui acquis ses
lettres de noblesse. L’article L. 611-3 de la loi de sauvegarde lui
est consacré et dispose que “le Président du Tribunal de
Commerce ou du Tribunal de Grande Instance peut, à la demande
du représentant de l’entreprise, désigner un mandataire ad
hoc dont il détermine la mission”.
9Ainsi, à la demande du responsable de l’entreprise en difficulté,
le Président du Tribunal de Commerce pourra désigner un
mandataire ad hocqui sera un professionnel qualifié, la plupart du
temps un administrateur judiciaire dont la mission définie dans
l’ordonnance de désignation par le Président résultera de
l’entretien que celui-ci aura eu avec le requérant (et ses conseils)
et du dossier qui lui aura été présenté.
10La mission est définie simplement, sans formalisme, elle
consistera souvent à aider l’entreprise à faire face à ses besoins
de trésorerie, à obtenir un rééchelonnement ou une remise de
dettes mais pourra être considérablement plus large et viser par
exemple la recapitalisation de l’entreprise, la recherche d’un
investisseur, l’apaisement d’un conflit entre associés ou encore le
règlement d’un conflit social.
11La mission dont la durée est fixée par l’ordonnance et peut être
prolongée est confidentielle. C’est là un point essentiel.
12La désignation du mandataire ad hoc n’interviendra que si
l’entreprise n’est pas en cessation de paiement. Le mandataire
sera tenu de le vérifier, en fera rapport au président comme il
tiendra informé régulièrement celui-ci de l’accomplissement de
sa mission.
13Enfin, la rémunération du mandataire sera convenue avec le
requérant et l’accord joint à l’ordonnance.
14Le mandat ad hoc rencontre un grand succès, plus de 60 % des
missions confiées à un mandataire ad hoc se terminent
heureusement.

B – La Conciliation
15L’article L. 611-4 du Code de Commerce définit cette procédure
comme il suit : “Il est institué devant le Tribunal de Commerce,
une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les
personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale qui
éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière,
avérée ou prévisible, et ne se trouvant pas en cessation de
paiements depuis plus de quarante-cinq jours”.
16Selon l’article L. 611-6, le Président du Tribunal est saisi par
une requête du débiteur exposant sa situation économique,
sociale et financière, ses besoins de financement ainsi que, le cas
échéant, les moyens d’y faire face. L’article 15 du décret énumère
les pièces devant être jointes à la requête (extrait K bis, état des
créances et des dettes –avec échéancier et liste des principaux
créanciers–, état actif et passif des sûretés et engagements hors
bilan, comptes annuels, tableau de financement, situation de
l’actif réalisable et disponible, valeurs d’exploitation exclues et
passif exigible des trois derniers exercices).
17L’article L. 611-6 alinéa 4 dispose que “la décision ouvrant la
procédure de conciliation n’est pas susceptible de recours”.
18L’objet de la conciliation vise à obtenir un accord avec les
principaux créanciers de l’entreprise destiné à mettre fin à ses
difficultés. Le conciliateur aura pour mission, selon les termes de
l’article L. 611-7 de “favoriser” la conclusion d’un tel accord. Il
pourra également présenter toute proposition se rapportant à la
sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité
économique et au maintien de l’emploi.
19Le conciliateur peut être proposé par le débiteur et désigné par
ordonnance, par le Président du Tribunal de Commerce. Il sera le
plus souvent comme le mandataire ad hoc un administrateur
judiciaire ; sa mission à bien des égards sera semblable.
Toutefois la mission du conciliateur sera plus encadrée et surtout
une conciliation pourra être ouverte si même le débiteur est en
cessation de paiement pourvu que celle-ci n’existe pas depuis
plus de 45 jours.
20Le débiteur conserve tous ses pouvoirs et n’est pas placé sous
la surveillance du conciliateur.
21La durée de la conciliation ne pourra excéder 4 mois avec le cas
échéant une prolongation d’un mois et se terminera en cas de
succès soit par un constat par le Président de l’accord obtenu ou
par son homologation à la demande du débiteur par le Tribunal
qui devra s’assurer qu’il permet la pérennité de l’entreprise.
22Procédure confidentielle, la conciliation perdra ce caractère s’il
y a homologation de l’accord par le Tribunal puisqu’il s’agira
alors d’un jugement avec la publicité qui l’accompagne.
23Sans doute est-ce cette publicité –laquelle ne concerne
d’ailleurs que le jugement homologuant l’accord et non celui-ci–
qui est redoutée car elle dévoile les difficultés de l’entreprise
concernée, ce qui explique que peu d’homologations sont
demandées par le débiteur alors pourtant que le privilège de
l’argent frais, la new money, en dépend.
24Notons également ici :
 que l’accord homologué suspend toute action en justice, toute
poursuite –tant sur les meubles que sur les immeubles du débiteur–
dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font l’objet et
ce, pendant la durée de son exécution,
 que les co-obligés et les cautions peuvent se prévaloir de
l’accord homologué,
 que l’accord homologué entraîne la levée de plein droit de toute
interdiction d’émettre des chèques –conformément à l’article L.
131-73 du code monétaire et financier– mise en œuvre à l’occasion
d’un chèque émis avant l’ouverture de la procédure de conciliation
 et que, le cas échéant, la date de cessation des paiements ne
peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive
d’homologation.

25Deux autres points importants différencient la conciliation du


mandat ad hoc.
26Le premier réside dans la possibilité pour le débiteur poursuivi
par un créancier de demander –sur le fondement de l’article L.
611-7 au juge qui a ouvert la procédure d’accorder, après avoir
été éclairé par le conciliateur– des délais dans le cadre des
dispositions de l’article 1244 du Code Civil.
27Le second a trait à la possibilité offerte au débiteur en
procédure de conciliation de demander aux créanciers publics
une remise de dettes sur le fondement de l’article L. 626-6
du Code de Commerce et du décret n 2007-153 du 5 février 2007
o

(art 4).
28L’ordonnance désignant le conciliateur sera communiquée au
Parquet, ce qui n’est pas le cas pour l’ordonnance désignant un
mandataire ad hoc. Et la décision ouvrant la procédure de
conciliation n’est pas susceptible de recours (art L. 611-6).
29Enfin, comme pour le mandat ad
hoc, l’accord sur la
rémunération du conciliateur convenu avec le requérant sera
annexé à l’ordonnance de désignation.

C – La Sauvegarde
30C’est la mesure phare qui a donné son nom à la loi du 26 juillet
2005.
31La Sauvegarde est une procédure de prévention judiciaire mais
elle est aussi une procédure collective qui reprend bon nombre de
dispositions du redressement judiciaire.
32Selon l’article L. 620 – 1 du Code de Commerce “il est institué
une procédure de sauvegarde ouverte sur demande du débiteur
mentionné à l’article L. 620-2 qui justifie de “difficultés” qu’il
n’est pas en mesure de surmonter de nature à conduire à la
cessation des paiements. Cette procédure est destinée à faciliter
la réorganisation de l’entreprise afin de “permettre la poursuite
de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement
du passif”. “La procédure de sauvegarde donne lieu à un plan
arrêté par jugement à l’issue d’une période d’observations et le
cas échéant à la constitution de deux comités de créanciers,
conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-
30”.
33L’ouverture de la procédure intervient donc à l’initiative du
débiteur ou plus précisément du débiteur potentiel puisque la
cessation des paiements n’existe pas lors de la demande
d’ouverture de la procédure et que celle-ci a pour objet de
l’éviter.
34Le plan de sauvegarde qui ne pourra excéder une durée de 10
ans sera arrêté par le Tribunal après la période d’observation à
laquelle il mettra fin et le plan qui est un plan de continuation
sera opposable à tous.
35Il est important de souligner que la contractualisation est la
voie choisie par le législateur pour remédier aux difficultés des
entreprises et, à cet égard, le rôle confié aux comités de
créanciers, établissements de crédit et fournisseurs, dans la
phase d’élaboration et d’adoption du plan, doit être réel.
36Si la procédure de sauvegarde a un peu tardé à s’imposer, le
recours à cette procédure semble s’être accentué depuis le
second semestre 2006 ainsi que l’observe Monsieur Xavier de
Roux dans le rapport d’information sur la mise en application de
la loi de sauvegarde des entreprises , déposé par la Commission
des lois de l’Assemblée Nationale, enregistré à l’Assemblée le 31-
01-2007 et présenté par ses soins.
 1 Page 41 du rapport.

 2 Page 42 du rapport.

“Ainsi au 10 janvier 2007, la délégation de l’Union nationale pour


l’emploi dans le commerce et l’industrie (UNEDIC) auprès de
l’association pour la garantie des salaires (AGS) dénombrait 500
procédures de sauvegarde ouvertes sur toute l’année 2006” 1.
“Avec un taux de 26,4 % le secteur le plus concerné est l’industrie, le
commerce arrive en seconde position avec une proportion de
procédures l’impliquant de l’ordre de 19,4 %, suivi par les services aux
entreprises (18,4 %) et les services aux particuliers 12,2 %”2.

37Un tiers des sociétés en sauvegarde réalisent plus d’un million


d’euros de chiffre d’affaires contre 6 % pour les entreprises en
règlement judiciaire ou en liquidation judiciaire.
 3 page 43 du rapport.

38La dimension des entreprises en sauvegarde apparaît


largement supérieure à celle des entreprises concernées par une
procédure collective classique3.
 4 Page 43 du rapport.

39Il est à noter également que 70 % des procédures de


sauvegarde ouvertes concernent des entreprises créées depuis
plus de 10 ans4.
 5 Page 44 du rapport.

40“La région dans laquelle il y est le plus souvent recouru est la


région Rhône – Alpes, où la proportion de sauvegardes ouvertes
atteint 17,7 % des procédures nationales. Suivent la région
Provence–Alpes–Côte D’azur (15,90 %) et, dans une moindre
mesure, celle d’Ile de France (8,4 %)”5.
41Mais c’est en Ile-de-France, dans le ressort du Tribunal de
Commerce de Paris que deux procédures de sauvegarde ont été
ouvertes avec une forte médiatisation puisqu’il s’agissait des
affaires Eurotunnel et Libération.
42Après 16 mois d’application certaines difficultés ont été
révélées.
43S’agissant de la procédure de sauvegarde, il en est ainsi de la
qualification juridique des hedge funds, c’est-à-dire des fonds
d’investissement spéculatifs.
44Ces fonds peuvent-ils être inclus dans le comité des créanciers
réunissant les établissements de crédit et donc obéir aux règles
de majorité de l’article L. 626-30 et de responsabilité qui
s’imposent à ceux-ci –position retenue par le Tribunal de
Commerce de Paris dans l’affaire Eurotunnel– ou, au contraire,
faut-il considérer qu’ils sont des créanciers obligataires ne
relevant pas du comité des créanciers constitué par les
établissements de crédit et que représentés par une “masse” ou
plusieurs, ils sont appelés à donner à ce titre leur accord lors de
l’approbation du plan de sauvegarde ?
45La question est d’importance quand on sait le rôle joué par
les hedge fundsen tant qu’investisseurs dans la sauvegarde des
entreprises.
46L’inadaptation des règles de vote des détenteurs de créances
évolutives au sein des comités de créanciers et notamment des
créances des sociétés d’affacturage –certaines créances peuvent,
en effet, être remboursées entre la date à laquelle elles ont servi à
calculer les droits de vote et la date à laquelle le plan sera
examiné– implique un aménagement des textes.
47Enfin, la définition de la notion de cessation de paiement reste
un sujet de débat qui devra sans doute être clarifié.

Le soutien aux activités économiques


48Ajoutons enfin que le législateur a voulu faciliter le soutien aux
activités économiques. La responsabilité des créanciers et tout
particulièrement des banques ne pourra désormais être engagée
qu’exceptionnellement du fait des concours consentis. Tel est
l’objet de l’article L. 650-1 du Code de Commerce instauré par la
Loi de sauvegarde. Sauf le cas de fraude, d’immixtion caractérisée
dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties par
rapport aux concours consentis, la responsabilité des créanciers
dispensateurs d’un concours ne pourra pas être recherchée.
49La jurisprudence devra naturellement interpréter ce texte avec
le souci de ne pas en ruiner la portée mais au contraire d’en
préserver la finalité qui est d’inciter les banques à ne pas se
montrer frileuses dans l’ouverture des crédits aux entreprises.

III – LES ASPECTS, CULTURELS


ET PSYCHOLOGIQUES
50Nous y revenons un instant en guise de conclusion car ils sont
essentiels.
51En effet, c’est un changement profond des comportements qui
est demandé aux justiciables et à leurs conseils, hommes du droit
et hommes du chiffre.
52Au lieu d’attendre le dernier moment pour saisir le Tribunal ou
son Président les acteurs économiques sont invités à agir le plus
en amont possible, présenter leurs difficultés et requérir les
moyens de les surmonter.
53C’est dire que l’accueil réservé aux justiciables par les juges du
Tribunal doit créer les conditions de la confiance et du dialogue.
La disponibilité, l’écoute, l’échange doivent apporter la preuve
que le Tribunal n’est pas dans ces circonstances l’instance qui
juge ou sanctionne, mais celle qui accueille, oriente et utilise dans
l’intérêt de l’entreprise les outils mis à sa disposition par la loi.
54Les conseils du chef d’entreprise auront un rôle essentiel à
jouer pour informer leur client des possibilités que lui offre la loi
et le convaincre si nécessaire de faire la démarche salvatrice le
conduisant au Tribunal.
55Le juge pour sa part devra, comme il en a toujours l’obligation,
appliquer la loi et l’interpréter en fonction de sa finalité et donc
sans perdre de vue que celle-ci est en l’occurrence économique
et sociale et de sauvegarde.
56Il lui appartiendra dans le même temps de veiller, au regard de
la loyauté de la concurrence, à ce que les mesures prises en
faveur des entreprises en difficulté ne se traduisent pas par la
mise en péril d’autres entreprises.
NOTES
1 Page 41 du rapport.

2 Page 42 du rapport.

3 page 43 du rapport.

4 Page 43 du rapport.

5 Page 44 du rapport.

AUTEUR
Jean-Bertrand Drummen
Président du Tribunal de Commerce de Nanterre
Relations du droit pénal et
du droit des affaires dans les
procédures collectives
Christophe Léguevaques

p. 355-358

C’est toujours avec un plaisir non dissimulé que je réponds aux


invitations de Madame Corinne Saint-Alary-Houin.
2Non seulement parce que les travaux universitaires, qu’elle
initie, sont toujours d’une excellente facture, grâce notamment
aux talents variés et aux compétences croisées qu’elle sait réunir
autour d’elle ; mais aussi, parce que je suis particulièrement
honoré qu’elle demande à l’ancien étudiant, agitateur d’idées que
je fus, et aujourd’hui, simple avocat que je suis d’intervenir dans
cette enceinte.
3A l’occasion du bicentenaire du code de commerce, je
souhaiterais attirer votre attention sur les relations intimes
qu’entretiennent le droit des affaires et le droit pénal, notamment
dans le cas particulier du droit des procédures collectives.
4Certains commentateurs comparent souvent Nicolas Sarkozy à
Napoléon Bonaparte. Pourtant, en ce qui concerne le droit
commercial, tout les oppose.
5En effet, alors que l’Empereur cherchait à combattre “les calculs
de l’avidité et les spéculations de la mauvaise foi” en envoyant les
faillis en prison, aujourd’hui le Président de la République
déclare, devant l’université d’été du MEDEF, que la “pénalisation
du droit des affaires est une grosse erreur”.
6Je me garderai bien de dire lesquels des deux à raison tant la
France de 2007 ne ressemble guère à celle de 1807.
7Quoique.
8Mais, restons sur le terrain balisé du droit.
9Passerait-on d’un encadrement de la pratique commerciale très
strict et laissant au commerçant une marge de manœuvre très
étroite à une totale impunité du chef d’entreprise ?
10Dans l’expectative d’une nouvelle législation en matière de
droit pénal des affaires, je vous propose d’étudier la situation du
commerçant en faillite à l’époque de Napoléon.
***
11“Nous avons assez de gloire, il nous faut des mœurs”.
12Le cadre est posé, la législation du Code de Commerce de
1807 en matière de faillite et de banqueroute se devra d’affirmer
une certaine sévérité.
13Loi répressive entendue comme un “besoin public”, elle a pour
but de mettre fin aux abus venant concurrencer le travail et la
bonne foi.
14Ainsi, afin “d’encourager la probité”, elle se doit de “secourir le
malheur, corriger l’inconduite et punir le crime”.
15On note ici une certaine gradation dans la définition des fautes
et les peines à leur appliquer.
16C’est en cela que le législateur se félicite de son apport vis-à-
vis de la législation antérieure.
17En effet, sous l’Ancien Régime, l’ordonnance de Colbert ne
connaissait que “le malheur ou la friponnerie”.
18Dans ce système, le malheur était présumé et la charge de la
preuve de la fraude reposait sur les créanciers.
19Or, les créanciers étaient généralement “plus occupés de sa
propriété que de sa vengeance”, la sévérité de la loi envers les
débiteurs frauduleux était très peu appliquée.
20Rien n’était alors plus “encourageant que cette impunité”.
21L’œuvre de codification se fait donc dans le souci de mettre en
place un système de défense efficace pour le créancier. Sans pour
autant, toujours dans l’esprit du législateur de 1807, en arriver à
considérer toute faillite comme un crime.
22Aussi les législateurs gardent-ils à l’esprit que “très souvent, la
faillite est un naufrage dont on ne peut accuser que le sort : le
commerce a ses orages comme l’océan”.
23Ainsi, cherchant un juste milieu entre le laxisme ancien et
l’écueil d’une trop grande sévérité, ils en arrivent à la conclusion
qu’il faut “considérer tout failli, non comme coupable, non
comme un homme innocent, mais comme un débiteur dont la
conduite exige un examen rigoureux et une solide garantie”.
24Car il existe quoi qu’il en soit un délit, “puisqu’il y a eu
violation d’engagements et de propriété”.
25Celui qui a commis ce délit peut y avoir été conduit par le
malheur, par l’inconduite, ou par la mauvaise foi. À circonstances
différentes, mesures différentes.
26C’est ainsi que le titre III du Code de Commerce sur les faillites
et les banqueroutes est présenté par les codificateurs comme
regroupant un ensemble de textes “sévères mais humains”
répondant à un souci d’efficacité et d’équité.
27La faillite est l’insolvabilité qui résulte du malheur. Le malheur
doit être démontré par le failli et la loi “doit le protéger”.
28La banqueroute est une insolvabilité dont le fait du débiteur est
la cause. Il existe deux types de banqueroutes : celle qui est le
résultat d’imprudence ou d’inconduite et celle qui résulte d’une
fraude.
29L’inconduite, ou banqueroute simple doit être prouvée par les
créanciers ou le ministère public. Elle est du ressort du tribunal
correctionnel. La sanction peut aller d’un mois à 2 ans de prison.
30La fraude, quant à elle, est un crime et doit être “poursuivie par
l’autorité” devant le tribunal criminel qui peut la punir de travaux
forcés à temps (jusqu’à 30 ans).
31Nous ne sommes pas loin de la Loi romaine des XII Tables qui
prévoyait que le débiteur failli pouvait être vendu comme
esclave, trans tiberim, pour régler ses créanciers…
32Dans tous les cas, le failli “ne doit plus disposer de
l’administration de ses biens ; ils sont le gage et la propriété de
ses créanciers ; il ne doit même avoir la liberté de sa personne
que lorsque l’examen de sa conduite offre la présomption de son
innocence”.
33Ainsi le failli perd l’administration de ses biens, mais également
ses dettes non échues deviennent exigibles ; il est suspendu de
ses droits politiques ; il devient incapable d’exercer les fonctions
d’agent de change ou de courtier, et même l’entrée de la bourse
lui est interdite.
34Enfin, et ce dans le cas du simple failli, celui qui n’a manqué
que par malheur, “il a besoin de réhabilitation pour reprendre
dans la société le rang dont ses malheurs l’ont privé”.
35On peut d’ailleurs voir en cet idéal du failli le personnage de
César Birotteau, exemple de “bêtise de la vertu”, qui s’est tué à
rembourser tous ses créanciers, alors que cela n’était pourtant
pas l’usage.
36“Tout cela est sévère, mais tout cela est juste à l’égard du
failli”, nous dit encore l’Empereur depuis un champ de bataille
quelque part en Europe.
37Ainsi, “le système adopté est fondé sur des motifs impérieux de
justice et d’humanité”.
38Justice envers le créancier, “humanité” envers le failli. Tel est
l’esprit des codificateurs de 1807.
39Pourtant, l’expérience a prouvé que l’esprit n’a pas été respecté
et que le code de 1807 était trop rigide. Il paralysait la vie des
affaires en laissant planer une menace démesurée.
40C’est pourquoi, déjà sous la Restauration, la pratique
développa déjà des concordats amiables et autres accords
transactionnels pour éviter l’infamie d’une véritable procédure
plus pénale que commerciale.
41Que reste-t-il aujourd’hui des quatre objectifs érigés par le
Code de commerce de 1807 :
 Premièrement, “offrir aux créanciers une garantie solide, une
protection active et surveillante, une certitude ou de terminer leurs
affaires par un juste concordat, ou d’obtenir une prompte
liquidation”.
 Deuxièmement, “réprimer le luxe scandaleux et l’imprudence des
spéculations hasardées, par la crainte du nom du banqueroutier et
des peines correctionnelles appliquées à la banqueroute
d’inconduite”.
 Troisièmement, “assurer le châtiment de la mauvaise foi, et
l’effrayer par d’utiles exemples”.
 Quatrièmement enfin, “offrir à tout négociant honnête et
malheureux les moyens de se tirer de la position incertaine et
cruelle où l’ancienne législation le laissait, et conserver au moins
son honneur en perdant sa fortune… ainsi, après qu’on ne lui ait
trouvé la moindre cause de le conduire devant les tribunaux, il
pourra exiger hautement l’estime et la pitié”.

42Si Napoléon en militaire élevé à la dure école de Brienne était


scandalisé par le luxe opulent que continuaient à afficher
d’anciens faillis, il semble aujourd’hui que cela n’offusque plus
personne.
43Avez-vous entendu des critiques sur le fait que Bernard Tapie
soit sur le point de négocier avec le gouvernement pour payer,
aux frais des contribuables, l’intégralité de ses créanciers et
récupérer au passage quelques petits millions d’euros ?
44Comme dirait nos Anciens : o tempora, o mores.
45Il est loin le temps où Napoléon décidait d’assister à quatre
séances de discussion du Code de commerce au Conseil d’Etat,
en réservant son énergie à trois séances pour le seul droit des
faillites.
46Indéniablement, il s’agissait d’un sujet qui le tenait à cœur et
auquel il voulait apporter une réponse ferme et efficace afin de
rétablir l’ordre dans le chaos juridique qui régnait en la matière
au début du siècle.
47Ainsi, outre la prison et le dessaisissement de la propriété de
ses biens, il envisageait même de faire supporter à la femme le
sort de son mari failli en la dépouillant de ses propres biens…
48Aussi tint-il des propos extrêmement sévères envers le
débiteur qui a cessé ses paiements.
49Mais comme nous pouvons le constater dans l’analyse des
dispositifs du Code de commerce 1807, le Conseil d’Etat a été
moins dur que l’empereur et a atténué les dispositions du projet.
50Enfin, une chose est certaine : depuis deux siècles, l’expérience
a prouvé que s’il fallait séparer le sort de l’homme de celui de
l’entreprise, il est dangereux de déresponsabiliser le dirigeant.
51En effet, cela entraîne un accroissement de l’aléa moral et les
économistes et l’expérience, pour une fois d’accord, ont montré
qu’une trop grande indifférence aux malheurs communs est la
cause des soucis publics.
52Le droit des faillites bancaires est là pour nous le rappeler et
l’exemple de la crise financière des “ subprimes” en est une
malheureuse illustration.
53Pour conclure, essayons de trouver la voie de la raison, sans
parti pris, sans idéologie.
54La solution ne réside ni dans tout le répressif, ni dans le
laisser-faire.
55Pour trouver le juste équilibre entre la dynamique du
capitalisme chère à Fernand Braudel et la nécessaire régulation de
l’économie de marché sans laquelle on assiste à des
comportements aberrants et spoliateurs des plus faibles, je me
demande si ce n’est pas à la pratique et aux juridictions de
l’inventer, sous le regard attentif du ministère public…
56L’auteur tient à remercier M. Jean-Philippe Dutemps, jeune et
brillant étudiant de notre université, pour avoir contribuer à cette
intervention.
AUTEUR
Christophe Léguevaques
Docteur en droit, Avocat (Paris, Toulouse, Marseille)

Le droit allemand de
l’insolvabilité et
l’anticipation des difficultés
des entreprises
Laetitia  Franck

p. 359-364
Bien que le législateur ait souhaité anticiper les difficultés des
entreprises pour éviter les procédures tardives, le droit allemand
de l’insolvabilité ne prévoit pas de système de prévention des
difficultés en amont de la procédure collective, tels que le
mandat ad hoc prévu par le droit français par exemple1.
 2 Publiée au Bundesgesetzblatt, 1994 I S. 2866.

2Le droit allemand de l’insolvabilité est régi par


l’Insolvenzordnung. Cette loi adoptée le 5 octobre 1994 2, est
entrée en vigueur le 1  janvier
er
1999. Elle remplace
le Konkursordnung, loi appliquée en ex-RFA et
les Vergleichsordnung et Gesamtvollstreckungsordnung qui
étaient appliqués en ex-RDA jusque là.
3L’Insolvenzordnung ne prévoit qu’une procédure unique qui
donnera lieu soit à un redressement soit à une liquidation de
l’entreprise.
4Comment le législateur allemand a donc envisagé l’anticipation
des difficultés dans le cadre de cette procédure unique ?
5Des critères d’ouverture de la procédure d’insolvabilité plus
divers que ceux connus en droit français ont été prévus et il est
possible pour le débiteur se sachant en difficultés de demander
l’ouverture de la procédure qui lui offre ici une protection
judiciaire (I), toutefois, certaines observations critiques doivent
être apportées, les critères d’ouverture pouvant sembler trop
proches et difficiles à distinguer (II).

I – LA COEXISTENCE DE TROIS


CRITERES D’OUVERTURE EN VUE
DE FAVORISER L’ANTICIPATION
DES DIFFICULTES
 3 MünchKo-Ins O/Eilenberger, § 17, Rn. 4.

6L’incapacité de payer constitue la cause générale d’ouverture de


toute procédure d’insolvabilité (A) alors que l’incapacité
imminente de payer (B) et le surendettement (C) constituent à
plusieurs égards des causes spéciales d’ouverture de la
procédure3.

A – L’incapacité de payer
 4 § 17 Inso.

 5 § 130 HGB, Il en est de même pour les sociétés dont aucun associé
n’est une personne physique.

7L’incapacité de payer est la situation dans laquelle le débiteur ne


peut pas honorer ses paiements4. Quand il s’agit d’une société de
capitaux, le débiteur a l’obligation de déclarer cet état dans les
21 jours qui suivent la date de survenance de l’incapacité de
payer5.
 6 MünchKo-InsO/Eilenberger, § 17, Rn. 27.

 7 § 17 al. 2

 8 MünchKo-InsO/Eilenberger, § 17, Rn. 27.

 9 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 16.

8La charge de la preuve de l’existence de l’incapacité de payer du


débiteur appartient dans tous les cas à l’auteur de la demande
d’ouverture de la procédure6. Pour les créanciers, la preuve peut
être faite grâce à la présomption légale 7. La cessation des
paiements par le débiteur est un signe extérieur de son incapacité
de payer8. Par conséquent, en cas de cessation des paiements, il
appartient au débiteur de prouver qu’il ne se trouve pas en
incapacité de payer9.
 10 Dans la nouvelle définition, les éléments tels que la réclamation par le
créancier du paiement de(...)

 11 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 6.

9La définition de ce critère a été simplifiée par la réforme de


199410. Ici, l’accent est mis sur les dettes échues. L’exigibilité de
la créance suffit11.
 12 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

10Aucune référence à la durée de l’incapacité de payer n’est


mentionnée, les commentateurs du texte de loi ayant précisé qu’il
paraît évident qu’une interruption provisoire des paiements ne
justifie pas l’incapacité de payer, dans la mesure où si le débiteur
manque à un moment donné de liquidités, qu’il est en position,
cependant, d’obtenir rapidement, il ne se trouve pas dans
l’impossibilité d’exécuter ses obligations12. Cette interruption des
paiements doit, toutefois, être provisoire (quelques semaines) ce
qui suppose que le débiteur a seulement la possibilité de réagir à
une difficulté de trésorerie de courte durée par l’obtention d’un
prêt ou la vente d’une partie de son patrimoine.
 13 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

 14 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 11.

11La préoccupation du législateur était d’éviter l’ouverture trop


tardive de la procédure d’insolvabilité en laissant trop de temps
au débiteur pour régler cette situation dans le cas où il ne lui est
justement pas possible de la régler13. Ce qui est ici important,
c’est de savoir si le débiteur est en position de régler la situation
d’incapacité de paiement dans un laps de temps très court, les
créanciers ne devant pas, en effet, se voir faire de vagues
promesses quant au possible règlement futur de la situation par
le débiteur14.
 15 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

 16 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 13.

12Il n’est pas nécessaire que le débiteur ne soit plus en mesure


d’exécuter une fraction déterminée du montant de la somme de
ses créances pour que le critère de l’incapacité de payer soit
admis15. Avec l’abandon de ce caractère, la pression pesant sur le
débiteur de payer ses dettes échues augmente de manière
considérable16.
13Enfin, la notion de cessation des paiements telle qu’elle figure
dans le deuxième alinéa du § 17 InsO est caractérisée à partir du
moment où le débiteur n’est, pour les entreprises de même
secteur, visiblement plus en situation de pouvoir payer ses dettes
échues.
14L’incapacité actuelle de payer ne permettant pas, dans un grand
nombre de cas, de sauver l’entreprise, la loi prévoit également
l’ouverture de la procédure en cas d’incapacité imminente de
payer.

B – L’incapacité imminente de payer


(drohende Zahlungsunfähikeit)
 17 Il est visé par le § 18 InsO.

 18 T. WENGEL, “Die Insolvenztatbestände Überschuldung,


Zahlungsunfähigkeit und drohende Zahlungsunfäh (...)
15Ce critère17 a été apporté par la réforme de 1999. L’objectif du
législateur était d’ouvrir, d’une part, la procédure à temps et de
faciliter, d’autre part, son ouverture 18.
 19 Aussi bien dans le cas d’une entreprise que dans celle du particulier.

16Seul le débiteur19 peut solliciter l’ouverture de la procédure


pour incapacité imminente de payer, s’il estime probable qu’il ne
sera pas en situation d’honorer ses engagements, au moment de
leur échéance. La commission pour le droit de l’insolvabilité avait
initialement proposé un texte prévoyant la possibilité pour le
débiteur de solliciter l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité
alors qu’il ne se trouve pas encore en situation d’incapacité de
payer mais s’y retrouvera du fait du paiement d’une créance à
échoir, qu’il ne peut payer, d’après ses prévisions.
 20 MünchKo-InsO/Druckarczyk, § 18, Rn. 8 – Begründung RegE (InsO)
BT Ds. 12/2443, p. 84 – KÜBLER/PRÜTT  (...)

17La commission souhaitait également donner aux créanciers la


possibilité de demander l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité à l’encontre du débiteur, sur le fondement de
l’incapacité de payer concernant cette période alors même que
leur créance ne serait qu’à échoir et non encore échue. Toutefois,
les rédacteurs de la loi ont choisi de réserver la possibilité de
demander l’ouverture de la procédure d’insolvabilité au débiteur
afin qu’une personne extérieure ne puisse pas le mettre sous
pression avant l’incapacité de paiement par le biais d’une
demande d’ouverture de la procédure20.
 21 KÜBLER/PRUTTING/Pape, § 18, Rn. 3.

18Ce critère ne déclenche pas d’obligation de demander


l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Par conséquent, les
organes de l’entreprise chargés de déposer la demande
d’ouverture de la procédure en cas d’incapacité actuelle de payer
ou de surendettement ne doivent pas ici craindre d’être
personnellement responsables en cas de dépôt tardif de la
demande21.
19La différence essentielle entre ce critère et celui de l’incapacité
actuelle de payer est qu’ici les créances qui ne sont pas encore
échues, sont également à prendre en compte. Pour caractériser ce
critère, le débiteur établit un plan dans lequel il prouve qu’il ne
sera, de manière prévisible, pas en situation de payer les dettes
existantes au moment de leur échéance.
20L’incapacité imminente de payer doit, également, être
distinguée de l’autre critère permettant l’ouverture anticipée de la
procédure d’insolvabilité qu’est le surendettement.

C – Le surendettement (Überschuldung)
 22 § 19 al. 2, InsO : le surendettement existe, quand le patrimoine du
débiteur ne couvre plus les de (...)

 23 ULHENBRUCK Komm-InsO/Uhlenbruck, § 19, Rn. 1.

 24 Le § 11 InsO assimile les associations sans personnalité juridique aux


personnes morales.

 25 Pour distinguer l’incapacité de payer et le surendettement, on peut


dire que le débiteur est seule (...)

21Le surendettement22 se réfère aux éléments d’actif du débiteur


devant toujours couvrir ses dettes23 et ne concerne que les
entreprises. Il faut, par conséquent, distinguer plusieurs
situations : dans le cas d’une personne morale (ayant la
personnalité juridique) ou d’une association n’ayant pas la
personnalité civile24, il est nécessaire, pour qu’une procédure
d’insolvabilité puisse être ouverte, qu’il y ait soit incapacité
actuelle de payer, soit surendettement25. Pour les sociétés sans
personnalité juridique, l’incapacité actuelle de payer est
nécessaire. Toutefois, dans les hypothèses dans lesquelles aucun
membre du groupement personnellement tenu des dettes n’est
une personne physique, le surendettement suffit à justifier
l’ouverture d’une procédure.
 26 U. FOERSTE, Insolvenzrecht, op. cit., p. 62.

22Dans tous les cas, si le dépôt de la demande d’ouverture est


effectué par le débiteur, l’incapacité imminente de payer justifie
l’ouverture de la procédure d’insolvabilité26.
 27 ULHENBRUCK Komm-InsO/Uhlenbruck, § 19, Rn. 8.

23Le surendettement juridique est composé de deux éléments. Il


est le résultat de l’évaluation chiffrée mais également d’une
prévision de la continuation de l’entreprise négative. Le
surendettement comptable suppose que le patrimoine du
débiteur, par l’évaluation de sa valeur liquidative, ne couvre plus
les dettes existantes27. Quant à la prévision de la continuation de
l’entreprise, elle correspond au plan de financement présenté par
le débiteur sollicitant l’ouverture de la procédure pour incapacité
imminente de payer.
 28 Il est, en effet, possible que le débiteur surendetté ne soit pas en
situation d’incapacité de pay (...)

24Ce critère, objet de critiques antérieurement à la réforme de


1999, a été conservé par le législateur. Il est vrai qu’il existe des
relations étroites avec l’incapacité actuelle de payer, le débiteur
se trouvant en situation d’incapacité de payer étant en général
surendetté. Toutefois, dans la mesure où il intervient avant
l’incapacité de payer, il permet une ouverture anticipée de la
procédure28.
25Les différents critères d’ouverture de la procédure
d’insolvabilité ayant été présentés, il s’agit maintenant d’en
envisager les conséquences pratiques.

II – LES CONSEQUENCES
PRATIQUES DE LA DIVERSITE
DES CRITERES D’OUVERTURE
26La multiplicité des critères fait l’objet de nombreuses critiques.
Ces dernières concernent notamment la difficulté qu’il existe de
distinguer les deux critères permettant l’ouverture anticipée de la
procédure (A). Toutefois, les statistiques tendent à montrer un
résultat plutôt encourageant (B).

A – La difficulté de distinction entre le


critère d’incapacité imminente de payer et
le critère du surendettement
27L’existence des deux concepts de surendettement et
d’incapacité imminente de payer, parallèlement, est
particulièrement critiquée en Allemagne.
 29 D. PENZLIN, “Kritische Anmerkungen zu den
Insolvenzeröffnungsgründen der drohenden Zahlungsunfähig (...)

28Le surendettement intervient comme l’incapacité imminente de


payer avant la survenance de l’incapacité (actuelle) de payer. Il
existait déjà avant la réforme et permettait par conséquent une
ouverture anticipée de la procédure d’insolvabilité pour les
entreprises avant l’introduction du critère d’incapacité imminente
de payer. Il est alors permis de se demander si ce deuxième
critère était nécessaire, le législateur ayant prétendu vouloir
permettre par la création de ce nouveau critère l’ouverture
anticipée de la procédure29. De plus, dans le cas du
surendettement, les dirigeants de la personne morale procédaient
à la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité devant la
menace de sanctions civiles et pénales en l’absence d’une telle
demande.
29Les instruments permettant de démontrer l’existence des
critères d’incapacité de payer et de surendettement sont
également critiqués.
30Une entreprise voulant démontrer qu’elle se trouve en situation
d’incapacité imminente de payer doit prouver au moyen d’un plan
de financement qu’elle ne sera bientôt plus en mesure de payer
ses dettes existantes au moment de leur arrivée à échéance.
31Dans le cadre du surendettement, le plan de continuation
correspond également à cette preuve.
 30 UHLENBRUCK Komm-InsO/§ 19, Rn. 9.

32Par conséquent, les instruments pour la prévision de la


continuation de l’entreprise existant dans le cadre du
surendettement et de l’incapacité imminente de payer sont
identiques30.
 31 D. PENZLIN, “Kritische Anmerkungen zu den
Insolvenzeröffnungsgründen der drohenden Zahlungsunfähig (...)

33Enfin, certains auteurs vont jusqu’à dire qu’une distinction


entre incapacité imminente de payer et surendettement conduit à
créer des effets de droit différents dans des situations identiques
et notamment en ce qui concerne les personnes habilitées à
demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Cela
conduirait également à avoir, dans des situations de fait
identiques, un état à déclarer sous peine de voir sa responsabilité
engagée (surendettement) ou pas (incapacité imminente de
payer)31.
34Malgré ces critiques, les résultats statistiques mettent en
évidence une évolution positive depuis la réforme.

B – Un résultat statistique pourtant


encourageant
 32 § 26 InsO.

35Les procédures d’insolvabilité en Allemagne ne sont ouvertes


que lorsque le patrimoine du débiteur est au moins suffisant pour
couvrir les frais de la procédure32.
36En 1999, 12.255 procédures d’insolvabilité ont été ouvertes
dont 9.564 à l’encontre d’entreprises (les autres ayant été
ouvertes à l’encontre de consommateurs). Ce chiffre représente
36 % des demandes d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
 33 Statistiques publiées par l’office fédéral des statistiques (Statistisches
Bundesamt Deutschland-D (...)

37En 2006, 143.781 procédures d’insolvabilité ont été ouvertes


dont 23.293 à l’encontre d’entreprises. Ce chiffre représente 68 %
des demandes d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité33.
38Au vu des statistiques, l’objectif du législateur pourrait être
atteint. Les procédures d’insolvabilité n’étaient, avant l’entrée en
vigueur de l’Insolvenzordnung, souvent pas ouvertes du fait d’un
patrimoine insuffisant, les demandes intervenant trop tard et
c’est à cette situation que le législateur voulait remédier.
39La proportion de demandes d’ouverture débouchant sur
l’ouverture effective d’une procédure a fortement progressé
depuis l’entrée en vigueur de l’Insolvenzordnung, laissant
présumer que grâce à l’introduction du critère d’incapacité
imminente de payer entre autres, les demandes d’ouverture d’une
procédure d’insolvabilité ne sont plus aussi tardives.
NOTES
1 E. KUREK, “Les procédures d’insolvabilité en Allemagne”, Ptes Aff.,
23/05/2005, n  58, p. 14.
o

2 Publiée au Bundesgesetzblatt, 1994 I S. 2866.

3 MünchKo-Ins O/Eilenberger, § 17, Rn. 4.

4 § 17 Inso.

5 § 130 HGB, Il en est de même pour les sociétés dont aucun associé
n’est une personne physique.

6 MünchKo-InsO/Eilenberger, § 17, Rn. 27.

7 § 17 al. 2

8 MünchKo-InsO/Eilenberger, § 17, Rn. 27.

9 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 16.

10 Dans la nouvelle définition, les éléments tels que la réclamation par


le créancier du paiement de sa créance, la durée de l’incapacité de
payer et le nombre de créances devant être impayées, n’ont pas été
repris . Ici, l’accent est mis sur les dettes échues.
10

11 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 6.

12 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

13 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

14 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 11.

15 Begründung RegE, BT-Drucks. 12/2443, p. 114.

16 KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 17, Rn. 13.

17 Il est visé par le § 18 InsO.


18 T. WENGEL, “Die Insolvenztatbestände Überschuldung,
Zahlungsunfähigkeit und drohende Zahlungsunfähigkeit ”, DStR, 2001,
p. 1769 et s.

19 Aussi bien dans le cas d’une entreprise que dans celle du


particulier.

20 MünchKo-InsO/Druckarczyk, § 18, Rn. 8 – Begründung RegE (InsO)


BT Ds. 12/2443, p. 84 – KÜBLER/PRÜTTING/Pape, § 18, Rn. 2 – contre
cet argument : D. PENZLIN, “Kritische Anmerkungen zu den
Insolvenzeröffnungsgründen der drohenden Zahlungsunfähigkeit und
der Überschuldung”, NZG, 2000, 464 et s. : selon l’auteur, au contraire
de la situation d’incapacité actuelle de payer, la preuve de l’incapacité
imminente de payer va être dans bien des cas difficile à rapporter par
une personne extérieure à l’entreprise.

21 KÜBLER/PRUTTING/Pape, § 18, Rn. 3.

22 § 19 al. 2, InsO : le surendettement existe, quand le patrimoine du


débiteur ne couvre plus les dettes existantes. Pour apprécier le
patrimoine du débiteur, il faut cependant tenir compte de la
continuation de l’entreprise, si cette continuation d’après les
circonstances est vraisemblablement assurée.

23 ULHENBRUCK Komm-InsO/Uhlenbruck, § 19, Rn. 1.

24 Le § 11 InsO assimile les associations sans personnalité juridique


aux personnes morales.

25 Pour distinguer l’incapacité de payer et le surendettement, on peut


dire que le débiteur est seulement surendetté lorsque ses dettes
prévalent mais qu’il est en mesure d’obtenir des liquidités par le biais
de prêts notamment. Au contraire, il est seulement en situation
d’incapacité de payer lorsque son patrimoine est plus important que
son passif mais ne doit pas être transformé en liquidités ou ne peut
provisoirement pas l’être : U. FOERSTE, Insolvenzrecht, München, 2.
Aufl., 2004, p. 62.
26 U. FOERSTE, Insolvenzrecht, op. cit., p. 62.

27 ULHENBRUCK Komm-InsO/Uhlenbruck, § 19, Rn. 8.

28 Il est, en effet, possible que le débiteur surendetté ne soit pas en


situation d’incapacité de payer parce qu’il bénéficie de crédits ou de
délais de paiement de la part de ses créanciers ou encore parce que la
valeur des biens compensant son patrimoine couvre ses dettes
exigibles.

29 D. PENZLIN, “Kritische Anmerkungen zu den


Insolvenzeröffnungsgründen der drohenden Zahlungsunfähigkeit und
der Überschuldung”, NZG, 2000, p. 464 et s.

30 UHLENBRUCK Komm-InsO/§ 19, Rn. 9.

31 D. PENZLIN, “Kritische Anmerkungen zu den


Insolvenzeröffnungsgründen der drohenden Zahlungsunfähigkeit und
der Überschuldung”, NZG, 2000, p. 464 et s.

32 § 26 InsO.

33 Statistiques publiées par l’office fédéral des statistiques


(Statistisches Bundesamt Deutschland-Destatis), disponibles sur
www.destatis.de.(consultéle13/10/2008)

AUTEUR
Laetitia Franck
LL. M. (Osnabrück). Doctorante en droit comparé (Faculté de Droit, Université Nancy
2/Université de la Sarre)

Le Code de commerce dans


le mouvement de
l’internationalisation des
sources et des situations
Michel Attal, Céline Castets-Renard  et Sabrina  Bringuier-Fau

p. 367-376
Ce texte a été élaboré avec la participation de Mme Céline CASTETS-
RENARD (Maître de conférences, Université de Toulouse) et de Melle
Sabrina BRINGUIER (doctorant, ATER à l’Université de Toulouse).
Qu’elles en soient ici vivement remerciées.
1Le bicentenaire du Code de commerce est manifestement
propice à la réflexion doctrinale, et à l’expression de positions
parfois vives. L’opinion est assez largement répandue que le
Code de commerce est un instrument obsolète, lacunaire. Ce
dernier point, à savoir que le Code de commerce ne comprend
pas l’ensemble du droit des affaires, incite habituellement à
réfléchir, non pas sur le contenant (un Code incomplet, souvent
peu cohérent), mais sur le contenu théorique (le droit des affaires
en général).
2Il s’agirait donc d’évaluer, non pas seulement
l’internationalisation des sources des règles du Code de
commerce, mais plutôt l’internationalisation du droit des affaires.
A cet égard, il apparaît effectivement vain et connu de constater
que certaines règles du Droit français sont clairement issues
d’instruments internationaux. Il semble plutôt pertinent de
s’intéresser à l’influence que peuvent exercer les situations
internationales sur les règles de droit français. Par exemple, en
matière d’émission d’obligations, notre ordre juridique prévoit
des règles différentes selon que la société émet l’emprunt à
l’étranger ou en France (article L. 228-90 du Code de commerce :
la société émettrice d’obligations ne peut pas réunir les porteurs
en une masse lorsque l’emprunt est émis à l’étranger).
3Toutefois, une réflexion sur les sources peut s’avérer fructueuse,
si son objet concerne, non pas le droit des affaires, mais bien le
Code de commerce lui-même, en tant qu’instrument regroupant,
ne serait-ce que partiellement, des matières extrêmement
diverses telles que la comptabilité des commerçants, le statut des
agents commerciaux, les sociétés à responsabilité limitée, les
valeurs mobilières, les ventes aux enchères publiques, la lettre de
change, les difficultés des entreprises, ou encore les juridictions
consulaires.
4La particularité, pour rester neutre, du Code de commerce en
tant qu’instrument réside en ce que, non seulement il touche à de
nombreuses matières, mais surtout en ce que certaines des règles
qu’il contient sont de source interne, et d’autres sont de source
internationale. Il ne s’agit pas bien sûr d’effectuer un
recensement des normes contenues dans le Code en fonction de
leur source. Néanmoins, un tel recensement peut présenter une
utilité dans le cadre d’une appréciation de la pertinence d’un
instrument tel que le Code.
5En effet, s’il s’avère que le Code rassemble une majorité de
règles de source internationale, quelle serait l’utilité de les
regrouper dans un instrument national, si ce n’est pour maintenir
l’apparence d’une construction juridique traditionnelle ? Au
contraire, si les règles de source internationale contenue dans le
Code sont minoritaires, alors un Code national peut garder une
raison d’être.
6L’analyse sera menée à partir de deux exemples topiques, car
parfaitement révélateurs de l’extrême diversité des normes
contenues dans le Code, parfois au mépris de toute logique.
L’étude concernera ainsi le droit de la concurrence (réglementé
aux articles L. 410-1 et s. du Code de commerce), ainsi que le
droit des sûretés (contenu pour partie dans le Code de commerce,
aux articles L. 521-1 et s.).
7Le choix de ces matières est bien sûr empreint d’un certain
arbitraire. Il aboutit cependant à étudier deux des matières dont
le régime est le plus susceptible d’être bouleversé par
l’intervention d’un élément d’extranéité, soit parce que les
frontières géographiques ne signifient plus rien (c’est le cas du
droit de la concurrence), soit parce que les territoires nationaux
constituent encore théoriquement des barrières infranchissables
(c’est le cas du droit des sûretés).
8Il sera notamment constaté que la pertinence d’un instrument
national ne dépend pas vraiment de l’instrument lui-même, mais
bien plutôt de la matière considérée : l’insertion d’un droit de la
concurrence de plus en plus internationalisé dans un Code
national apparaît ainsi de plus en plus contestable (I), tandis que
ce même Code peut être un réceptacle acceptable pour des règles
relatives aux sûretés (II).

I – LE DROIT DE LA
CONCURRENCE DANS LE CODE
DE COMMERCE : UNE INSERTION
CONTESTABLE
 2 U. IMMENGA, “Le droit de la concurrence dans l’économie
globale”, Philosophie du droit et droit éco (...)

9L’insertion des règles de droit de la concurrence dans un Code


national de commerce (Livre IV  : De la liberté des prix et de la
concurrence) postule nécessairement une différence entre
commerce interne et commerce international. Il serait d’ailleurs
préférable de parler d’une communautarisation du droit de la
concurrence plutôt que d’une internationalisation de ces sources.
En effet, le droit international de la concurrence n’en est qu’à ces
premiers balbutiements2.
 3 J.-Cl. FOURGOUX, “Inutilité du droit interne de la concurrence ?”, RJ
Com., 1989, p. 145.

 4 J.-P. VIENNOIS, “La portée du droit communautaire de la concurrence


et le mythe du champ d’applicat (...)
10Or, en ce qui concerne le droit de la concurrence, la doctrine
s’interroge depuis presque 20 ans sur l’utilité d’une telle
distinction3. D’aucuns annoncent déjà une future unification de la
matière4.
11Le droit positif de la concurrence consiste en la coexistence de
deux systèmes, qui correspondaient à l’origine à des logiques
différentes. D’un côté, le traité de Rome a posé des règles
permettant d’imposer une concurrence libre et non faussée ; mais
ces règles ne sont vouées qu’à régir les comportements touchant
des situations intracommunautaires, voire internationale. D’un
autre côté, les Etats membres ont donc pu développer leur propre
droit de la concurrence.
 5 Il faut se remémorer l’ordonnance de 1945 qui définissait en son livre
Ier les règles applicables a (...)

12A l’origine, le droit français de la concurrence a longtemps été


dominé par une politique des prix 5, alors que le droit
communautaire de la concurrence poursuivait un objectif de
réalisation d’un marché commun.
13Mais aujourd’hui, un examen même sommaire révèle
d’indéniables convergences, allant jusqu’à une reprise par le Droit
français des notions et des mécanismes du Droit communautaire.
L’isolement formel du droit de la concurrence dans un Code
national devient alors critiquable.
 6 J.-B. BLAISE, Droit des affaires, LGDJ, 2ème éd., 2000, p. 302.

 7 J.-B. BLAISE, “Un dernier bastion ? A propos de la loi du 2 août 2005 en


faveur des PME”, RDLC, no (...)

 8 En ce sens D. FERRIER, “Les pratiques restrictives de concurrence –


Pour quelle finalité ?”, Etudes (...)
14Le champ matériel de la réflexion doit dès à présent être
déterminé. Le droit de la concurrence sera entendu stricto sensu,
limité aux règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles, qui
sont vouées à assurer une concurrence libre. Ainsi, les règles
relatives à la concurrence déloyale ne seront pas envisagées, car
elles sont comprises, non pas dans le Code de commerce, mais
dans le Code civil, et de plus elles ne correspondent pas à la
conception classique du droit de la concurrence, droit qui protège
la concurrence et cherche à favoriser son développement 6. Quant
aux pratiques restrictives, bien que réglementées par le Code de
commerce (interdiction des ententes, des abus de domination,
réglementation des concentrations), elles reprennent une logique
plus civiliste que concurrentielle, bien que se trouvant au
confluent des deux matières. Les dispositions visées sont
considérées comme un “îlot de dirigisme” 7permettant de
contrôler les prix8. Ce sont, par exemple, les interdictions du
refus de vente, des ventes liées ou des marges arrières, ou encore
l’interdiction des prix discriminatoires. Or, ces pratiques sont
susceptibles d’entrer dans le cadre de la réglementation des
pratiques anticoncurrentielles dès lors qu’elles ont un effet
anticoncurrentiel sur le marché. On les identifie dès lors aisément
comme des ententes, ou des abus de position dominante. Les
dispositions correspondant finalement au droit de la
concurrence stricto sensu sont celles qui se trouvent regroupées
sous la section du Code de commerce intitulée “Des pratiques
anticoncurrentielles”.
15Or, dans ce domaine, le droit français et le droit communautaire
correspondent quasi-exactement. Cette similitude se ressent
autant à propos des notions utilisées, que des mécanismes
employés.
16Les notions : les notions centrales de l’analyse des
comportements anticoncurrentiels ont en effet été reprises à, ou
quasiment par le droit français.
17D’abord, le terme même d’entreprise reçoit la même acception,
très large, dans les deux droits. Le droit de la concurrence est
indifférent aux structures juridiques : l’entreprise visée sera donc
une entité autonome exerçant une activité économique. Cette
notion, à laquelle il est recouru tant en droit communautaire
qu’en droit national de la concurrence, démontre la convergence
de ces deux systèmes juridiques. Et les exemples de telles
convergences ne manquent pas.
 9 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et
communautaire, Armand Colin, 3ème éd., 2005, (...)

18Ainsi, la notion communautaire d’entente de l’article 81 CE,


totalement détachée des concepts civilistes nationaux de contrats
ou convention, a été reprise par l’article L. 420-1 du Code de
commerce. Tandis que le Code de commerce vise les actions
concertées, les conventions, ententes expresses ou tacites ou
coalitions, l’article 81 CE mentionne les accords entre entreprises,
décisions d’association d’entreprises et toutes les pratiques
concertées. Le rapprochement des textes s’est fait
progressivement, d’abord par le biais de l’ordonnance du 28
septembre 1967 qui a notamment abandonné la condition
d’influence par les prix, et repris l’expression “qui a pour objet ou
pour effet… de fausser la concurrence”. Ensuite, l’ordonnance du
1  décembre 1986 a surtout effectué un rapprochement avec
er

l’article 81 § 3 en reprenant les conditions d’exemption. Sous


cette différence de vocabulaire, se cache une application
équivalente des deux articles9.
 10 Un point dans le texte français marque sa spécificité cependant : il se
réfère à l’abus de dépendan (...)
19Quant aux abus de position dominante, seul le droit
communautaire connaissait à l’origine cette interdiction. Elle a été
ensuite introduite en droit français par la loi du 2 juillet 1963 et
l’ordonnance de 1986 a encore rapproché les deux textes.
Aujourd’hui, l’article 82 CE et l’article L 420-2 du code de
commerce sont quasi-identiques. Ils visent tous les deux les
mêmes notions de position dominante et d’abus10.
 11 Quelques différences subsistent en effet : tandis que l’entrave à la
concurrence doit être signific (...)

20Les mécanismes : au-delà d’une simple convergence des


notions, les mécanismes utilisés sont également similaires. Pour
ne prendre qu’une illustration, en matière de contrôle des
concentrations, des influences croisées ont permis d’aboutir à
l’application d’un contrôle des concentrations quasi-identique 11,
qu’il s’agisse d’une concentration communautaire ou entrant
dans le cadre du contrôle national. Il s’agit dans les deux cas d’un
contrôle ex ante, fondé sur une obligation de notification
préalable, avec une procédure en deux phases. Le contrôle se fait
dans le même sens : il s’agit de contrôler toute opération de
fusion et toute prise de contrôle entendue comme la possibilité
d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une
entreprise. Le contrôle a été progressivement avancé puisque la
loi du 9 décembre 2004 a autorisé la notification d’un simple
projet pour autant qu’il soit suffisamment abouti. Cette
possibilité a été reprise par le règlement n  139/2004. De plus,
o

l’incompatibilité de l’opération peut désormais résulter d’une


entrave significative à la concurrence et non plus seulement de la
création ou du renforcement d’une position dominante.
21Il apparaît ainsi que le droit français de la concurrence est de
plus en plus proche du droit communautaire, même s’il existe
encore quelques spécificités, dues à la volonté du législateur
français de protéger d’autres intérêts, et peut-être même le sien.
Mais cette coïncidence, quasi-totale, entre les ordres juridiques
français et communautaire à propos des règles encadrant la
concurrence, va nécessairement continuer, jusqu’à devenir, dans
un futur proche, absolue.
 12 A. PIROVANO, “Justice étatique, support de l’activité économique – Un
exemple : la régulation de l’ (...)

 13 L. BOY, “L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un


concept”, L’ordre concurrentiel, Mélanges  (...)

 14 J.-P. VIENNOIS, “La portée du droit communautaire de la concurrence


et le mythe du champ d’applicat (...)

22En effet, un isolement des droits de la concurrence paraît


contre-nature. Le droit de la concurrence a été défini comme “le
droit constitutionnel du marché”12, c’est-à-dire un “nouveau
droit commun des sociétés du marché”13. C’est, en effet, un droit
expansionniste qui étend son influence dans diverses disciplines
à tel point que les frontières disciplinaires se brouillent. C’est ce
qui fait que le droit communautaire devient une source plus
adaptée du droit de la concurrence que le droit national, trop
cloisonné par les frontières disciplinaires traditionnelles. En outre,
si le droit de la concurrence est un droit du marché, son objet
même, de plus en plus globalisé, détaché des frontières
nationales, a vocation à faire entrer les droits nationaux en
concurrence. Or, cela entraîne inéluctablement des difficultés
d’application qui nuisent à l’application efficace et effective du
droit de la concurrence. La construction d’un marché commun
intégré visé par le droit communautaire, dans lequel les droits
sont en concurrence ne peuvent mener que vers la construction
progressive d’un droit unifié. Et la doctrine allant ainsi jusqu’à “se
demander si l’utopie d’un domaine réservé au droit national en
matière de pratiques anticoncurrentielles ne découvre pas au
moins immédiatement l’illusion d’un droit national de
laconcurrence”14.
 15 L. IDOT, “Vers une consécration progressive d’un modèle européen en
droit de la concurrence : aujou (...)

23Finalement, les droits de la concurrence français et


communautaire se rejoignent grâce aux outils utilisés. Et en tout
état de cause, le principe d’efficacité et de sécurité juridique
pousse les autorités nationales à interpréter le droit national dans
le sens du droit communautaire, même dans les hypothèses
d’application exclusive du droit national. Ainsi, même s’il n’y a
pas de réelle volonté politique de la part des élus d’abandonner
leur souveraineté, il y a a contrario une volonté de plus en plus
marquée de la part des juges et autorités d’unifier le droit de la
concurrence. Par exemple, la Commission semble vouloir
proposer un modèle européen en droit de la concurrence. Il s’agit
d’abord d’une impulsion pour l’adoption du programme modèle
de clémence, mais il pourrait ensuite s’agir d’un modèle pour la
mise en œuvre des actions en dommages et intérêts 15.
L’unification est donc en marche.
24Pourquoi dès lors conserver une législation si influencée par
des sources extranationales dans un Code de commerce
national ? Quel intérêt de recourir à un instrument national pour
regrouper des règles dont le champ d’application matériel et
géographique ne peut pas, ne peut plus être cantonné à nos
frontières ?
25Entendons-nous bien. Ce qui doit être remis en cause, ce n’est
pas l’utilisation d’un Code, mais le recours à un Code national. Il
serait tout à fait concevable d’élaborer un Code communautaire
de la concurrence. Les principes des droits internes retrouveraient
peut-être d’ailleurs une nouvelle jeunesse, du fait du jeu des
influences réciproques entre droits internes et communautaires
de la concurrence. En revanche, tant que des raisons en tout ou
partie politiques justifient un maintien de corpus nationaux de
règles, il est permis de se demander si ces règles doivent être
contenues dans un Code, aux côtés de règles très dissemblables.
L’apport est à tout le moins très faible.
26Mais l’exemple du droit de la concurrence est un extrême. Il
concerne en effet un objet purement économique, donc
forcément internationalisé. Mais le Code de commerce français
fournit également des règles à forte coloration nationale. Ainsi, le
droit des sûretés peut-il dès lors revaloriser un Code de
commerce national ?

II – LE DROIT DES SURETES


DANS LE CODE DE COMMERCE :
UNE INSERTION PEUT-ETRE
ACCEPTABLE
 16 Autre exemple : les articles L. 225-215 et L. 225-216 du Code de
commerce visent la constitution d’ (...)

27Une précision s’impose d’emblée : l’ordonnance du 23 mars


2006, réformant notre droit des sûretés, a profondément modifié
le Code civil, et non pas le Code de commerce. Cependant, trois
raisons justifient ici le choix de cette matière. En premier lieu, il
s’agit ici de discuter de l’opportunité du maintien, dans certains
cas, d’un Code national, pas d’évaluer la pertinence de la
répartition des règles entre nos différents Codes. En deuxième
lieu, le Code de commerce a toujours contenu des règles relatives
à certaines sûretés, et notamment au nantissement du fonds de
commerce (articles L. 142-1 et s. du Code de commerce) 16. En
dernier lieu, la réforme du droit français des sûretés a tout de
même touché le Code de commerce, par l’insertion de nouveaux
articles régissant le gage commercial (articles L. 521-1 et s. du
Code de commerce) et le gage des stocks (articles L. 527-1 et s.
du Code de commerce).
28Il ne s’agit bien sûr pas de revenir sur l’inutilité d’avoir inséré
des dispositions spéciales dans le Code de commerce, alors que
le recours aux règles du Code civil eut été suffisant. Il est
seulement question de constater que le Code français de
commerce contient certaines des règles françaises relatives aux
sûretés, et là encore de tenter d’évaluer à cet égard la pertinence
de l’instrument national. L’analyse sera ici cantonnée aux sûretés
réelles, et ce pour deux raisons : d’une part, les récents
mouvements législatifs intervenus ne touchent pas vraiment les
sûretés personnelles, et d’autre part, dans des situations
internationales, seules les sûretés réelles permettent
véritablement de renforcer la sécurité du créancier et surtout
d’alléger le coût des financements.
29Le droit des sûretés est traditionnellement marqué par un fort
nationalisme et un territorialisme affirmé. En effet, cette matière
se situe au confluent de plusieurs questions, à propos desquelles
les Etats ont toujours voulu garder un certain contrôle (droit des
biens, conception et organisation de la propriété,
surendettement, insolvabilité, réglementation bancaire, faveur ou
défaveur au commerce transfrontières…). Les différences entre
les législations nationales sont donc importantes : entre le droit
français dispersé et multiple et le security interest américain ou
l’hypothèque unique québécoise, le fossé est grand. Toutefois,
l’internationalisation des relations privées, notamment
commerciales, rend cette situation problématique.
30Ces difficultés se ressentent notamment à propos des sûretés
conventionnelles. Contrairement à la majorité des autres
opérations contractuelles, la volonté des parties n’est pas
prédominante, et les règles étatiques sont souvent impératives.
Or, dans de nombreux pays, les praticiens plaident depuis de
nombreuses années pour une uniformisation, ou à tout le moins
une coordination des règles relatives aux garanties en général, et
aux sûretés en particulier.
31Toutefois, les comportements étatiques fermés demeurent une
réalité. Les réglementations nationales restent hostiles à
l’internationalisation des opérations garanties, et refusent
généralement de laisser des sûretés étrangères produire des
effets sur leur territoire national. L’un des meilleurs exemples
réside dans l’utilisation par la pratique de techniques fiduciaires,
ou de propriété-sûretés, pour atteindre un résultat escompté. De
telles manœuvres sont souvent invalidées comme inconnues par
les juges et législateurs nationaux. En France, par exemple, la
Cour de cassation décide, depuis 1933, que la loi française
gouverne les droits réels grevant des biens situés en France, et
donc qu’aucune sûreté étrangère n’est reconnue en France s’il
n’existe pas une garantie française équivalente. Or, pour la Haute
juridiction, un tel équivalent n’existait jamais. Toute opération
internationale à garantir nécessite donc une connaissance de
multiples législations nationales, ainsi que l’accomplissement,
quand cela est possible, de diverses et coûteuses formalités.
32Pour une partie de la doctrine et des praticiens, le salut passe
par une harmonisation internationale des règles relatives aux
garanties. A cet égard, de nombreuses institutions ou organes
supra-étatiques ont élaboré divers projets, réalisant une
coordination, à des degrés divers, des droits nationaux des
sûretés réelles : citons l’OHADA (Organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), le BERD (Banque
européenne pour la reconstruction et le développement), la
CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international), Unidroit (Institut international pour l’unification du
droit privé), ou encore l’OEA (Organisation des Etats américains),
ou, dans une moindre mesure, l’Union Européenne…
33Les législations internationales ainsi élaborées sont très
diverses, tant du point de vue de leur domaine matériel que de
leur degré contraignant pour les Etats. Sans prétendre à
l’exhaustivité, on peut ici mentionner le Projet de Guide législatif
sur les opérations garanties que la CNUDCI élabore depuis 2001,
la Loi-modèle sur les sûretés de 1994 de la BERD, l’Acte uniforme
portant organisation des sûretés de l’OHADA, entré en vigueur en
1997, la Convention du Cap relative aux garanties internationales
portant sur des biens d’équipement mobiles de 2001, entrée en
vigueur (mais pas en France) en 2004 (Unidroit et OACI,
organisation de l’aviation civile internationale), et ses protocoles
additionnels (matériel aéronautique, et projets pour le matériel
roulant ferroviaire et le matériel d’équipement spatial), la
directive européenne collateral du 6 juin 2002 (directive
concernant les contrats de garantie financière), la loi
interaméricaine sur les garanties mobilières de 2002 de l’OEA…
34Un tel foisonnement de législations ou de projets de
législations d’origine internationale, à vocation internationale,
conduit a priori à porter un jugement négatif sur un Code de
commerce national. Pourquoi conserver un tel outil si plusieurs
signes montrent que le droit des sûretés se compose
progressivement de règles communes à plusieurs Etats ? Même
s’il était démontré qu’aucune conséquence structurelle n’en
découle, le recours à un dispositif à coloration nettement
nationale serait ici perçu comme un mouvement de recul, voire de
refus de cette internationalisation.
35Un tel constat peut de plus s’appuyer sur le réalisme des
projets envisagés. Ces projets sont en effet souvent circonscrits à
certaines matières, ou à certaines opérations, dans un souci de
pénétration rapide et cohérente des législations nationales. En
outre, aujourd’hui, les travaux des organismes ou institutions
sont le plus souvent effectués en concertation réciproque :
 des représentants de ces organes vont assister aux réunions des
autres (ex : participent aux réunions de la CNUDCI des
représentants de l’American Bar Association, de la Fédération
européenne des associations des sociétés d’affacturage, ou de
l’Institut Max Planck de dorit privé étranger et international… ) ;
 les textes adoptés tiennent compte des autres normes existantes
ou en gestation (ex : les porteurs du projet de Guide législatif de la
CNUDCI ont indiqué que les futures règles intègreraient l’existence
de la loi-type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale, ainsi
que les solutions adoptées par la Convention du Cap sur les
garanties portant sur des biens d’équipement mobiles ; ex : l’OMPI
a indiqué, en mai 2005, avoir lancé une réflexion sur les
conséquences du futur Guide CNUDCI sur les droits de propriété
intellectuelle) ;
 les textes adoptés prennent soin d’éliminer tout chevauchement
de compétences avec d’autres textes (ex : l’article 38-1 du projet
de Guide CNUDCI dispose que ce Guide “ne prévaut sur aucun
accord international déjà conclu ou à conclure, régissant
spécifiquement une opération qui serait non couverte pas la
présente Convention”).
 certains projets fournissent, non pas des règles matérielles, mais
“seulement” des règles de conflit de lois (comme par exemple, la
directive dite collateral).

36Par ailleurs, l’inutilité d’un Code national face à des projets


internationaux réalistes est encore renforcée par le fait que les
projets les plus récents envisagent la question cruciale en matière
de droits réels accessoires, celle de leur opposabilité. Il ne
servirait en effet à rien de reconnaître l’existence de sûretés
étrangères sans leur permettre, dans le même temps, de produire
des effets. Par exemple, dans le cadre de la Convention du Cap,
Unidroit a fait de la publicité des garanties internationales une
priorité : un registre international, géré par une autorité
indépendante, a ainsi été organisé. L’enregistrement permet de
rendre la sûreté opposable aux tiers, et de donner au créancier un
rang unique, quel que soit le lieu de situation du bien grevé et les
éventuelles règles locales.
37L’existence de tels instruments matériels internationaux paraît
rendre un Code national inutile et obsolète. On peut même
considérer que notre Code de commerce constitue une entrave à
la mise en œuvre de sûretés dans des situations internationales. Il
est en effet admis qu’un pacte commissoire constitue un moyen
de réalisation de la sûreté beaucoup plus rapide et moins coûteux
que le recours à un huissier ou à des procédures judiciaires
d’adjudication. Cette modalité est consacrée dans l’acte uniforme
OHADA, ainsi que dans la directive européenne collateral. Or,
alors que notre Code civil valide le pacte commissoire, ce pacte
demeure prohibé par le Code de commerce. Cet argument, il est
vrai, interroge autant la répartition française interne des
compétences entre Codes que la pertinence d’un Code national.
38Néanmoins, ce constat d’inutilité future d’un Code de
commerce national en matière de sûretés réelles doit être
tempéré. En effet, les facteurs de réalisme des projets
internationaux recèlent également des faiblesses. Les normes
proposées sont souvent non contraignantes (simple propositions
faites aux Etats, possibilités des réserves d’application…), et
toujours limitées matériellement. Par ailleurs, certains de ces
projets sont aujourd’hui assez anciens, et n’ont jamais pénétré le
champ du droit positif. Mais surtout, une coordination
satisfaisante des législations nationales peut être réalisée au
moyen d’outils nationaux, et notamment par une utilisation
correcte des règles de droit international privé. Une résolution
acceptable des conflits mobiles aboutirait ainsi à une meilleure
reconnaissance de sûretés étrangères, et donc à une diminution
sensible des risques encourus par les pourvoyeurs de crédits
internationaux. La réforme de 2006 de notre droit des sûretés va
même encourager cette meilleure reconnaissance, en consacrant
les gages sans dépossession. La consécration, certes réduite, de
la fiducie par la loi du 19 février 2007 va également, même
modestement, contribuer à atteindre cet objectif.
39Dans ce contexte, un Code national n’est pas nécessairement à
bannir, pour peu qu’il ne reflète pas une fermeture absolue vis-à-
vis de droits réels étrangers. Même s’agissant de l’opposabilité
aux tiers, il serait tout à fait concevable de coordonner les
systèmes d’enregistrement nationaux à ceux d’autres pays, en
organisation des réseaux de registres. L’Union Européenne
pourrait à cet égard jouer un rôle déterminant.

CONCLUSION
40En conclusion, il est difficile d’énoncer une proposition
unitaire. Le Code de commerce regroupe-t-il des règles de
source internationale ? Oui en droit de la concurrence, non en
droit des sûretés.
41En revanche, il est possible d’affirmer qu’un Code national ne
constitue pas, en tant que tel, une entrave à une coordination
inter-étatique réaliste des règles. Un Code national devient inutile
en cas d’unification totale des législations nationales : cela sera
vraisemblablement un jour le cas s’agissant du droit de la
concurrence. Un Code national n’empêche pas une harmonisation
des législations nationales, autour de standards minimums ou de
règles de reconnaissance : le droit des sûretés, dont une
unification totale paraît extrêmement délicate, ne souffre donc
pas d’être inclus dans le Code de commerce.
42Comme le Droit en général, le Code de commerce n’est que le
reflet de choix politiques, économiques ou sociaux d’un pays,
d’une société. Il n’est donc en lui-même, ni un accélérateur, ni un
frein à une collaboration inter-étatique…
NOTES
2 U. IMMENGA, “Le droit de la concurrence dans l’économie
globale”, Philosophie du droit et droit économique – Quel dialogue  ?
Mélanges en l’honneur de Gérard Farjat, éd. Frison-Roche, 1999,
p. 405 s. ; C. PRIETO, “Quelle concurrence face à la mondialisation
économique ? L’Europe entre audace et ralliement”, RDLC, n  1, 2005,
o

p. 20 s. ; S. POILLOT-PERUZZETTO et R. KOVAR, Lamy droit


économique, 2007, n  852.
o

3 J.-Cl. FOURGOUX, “Inutilité du droit interne de la concurrence ?”, RJ


Com., 1989, p. 145.

4 J.-P. VIENNOIS, “La portée du droit communautaire de la concurrence


et le mythe du champ d’application exclusif du droit national”, RTD
com., 2002, p. 1

5 Il faut se remémorer l’ordonnance de 1945 qui définissait en son


livre Ier les règles applicables aux prix, et qui envisageait les pratiques
restrictives uniquement par assimilation avec des pratiques de prix
illicites, et les pratiques anticoncurrentielles n’étaient quant à elles
abordées que dans des dispositions annexes à la réglementation des
prix. Voir en ce sens : B. GENESTE, Droit français et européen de la
concurrence, Eyrolles, 1991, notamment l’introduction.

6 J.-B. BLAISE, Droit des affaires, LGDJ, 2  éd., 2000, p. 302.


ème
7 J.-B. BLAISE, “Un dernier bastion ? A propos de la loi du 2 août 2005
en faveur des PME”, RDLC, n  3, 2005, Editorial, p. 1.
o

8 En ce sens D. FERRIER, “Les pratiques restrictives de concurrence –


Pour quelle finalité ?”, Etudes sur le droit de la concurrence et
quelques thèmes fondamentaux, Mélanges en l’honneur d’Yves Serra ,
Dalloz, 2006, p. 189 s.

9 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et


communautaire, Armand Colin, 3  éd., 2005, p. 161 s.
ème

10 Un point dans le texte français marque sa spécificité cependant : il


se réfère à l’abus de dépendance économique que ne connaît pas le
droit communautaire. Cette notion, venue du droit allemand, reçoit
cependant très peu d’application car les critères posés par l’article L
420-2 al. 2 du Code de commerce sont difficiles à réunir. Introduite en
1986, cette disposition avait été adoptée pour protéger les
fournisseurs contre la grande distribution. Mais, depuis 1986, des
infractions sanctionnant per se des situations d’abus de dépendance
se sont multipliées, rendant encore moins attractif l’article L 420-2 al.
2 du code de commerce.

11 Quelques différences subsistent en effet : tandis que l’entrave à la


concurrence doit être significative en droit communautaire, il suffit
qu’elle soit de nature à porter atteinte à la concurrence en droit
interne ; de plus le droit communautaire ne consacre qu’un bilan
concurrentiel dans son analyse de l’opération, tandis que le droit
interne propose un bilan économique plus ouvert à d’autres
préoccupations.

12 A. PIROVANO, “Justice étatique, support de l’activité économique –


Un exemple : la régulation de l’ordre concurrentiel”, Justices, janvier-
juin 1995, n  1, p. 19.
o

13 L. BOY, “L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un


concept”, L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine
Pirovano, éd. Frison-Roche, 2003, p. 46.
14 J.-P. VIENNOIS, “La portée du droit communautaire de la
concurrence et le mythe du champ d’application exclusif du droit
national”, op. cit., pt 29.

15 L. IDOT, “Vers une consécration progressive d’un modèle européen


en droit de la concurrence : aujourd’hui, la clémence ; demain les
actions en dommages et intérêts ?”, Europe, avril 2007, p. 2.

16 Autre exemple : les articles L. 225-215 et L. 225-216 du Code de


commerce visent la constitution d’une sûreté par une société sur ses
propres actions.

AUTEURS
Michel Attal
Maître de conférences à l’Université de Toulouse (Faculté de Droit, IRDEIC, UT1)
Avocat à la Cour
Céline Castets-Renard
Maître de conférences à l’Université de Toulouse
Sabrina Bringuier-Fau
Doctorant, ATER à l’Université de Toulouse

Analyse économique du droit


et évaluation des systèmes
juridiques1
Arnaud  Raynouard

p. 379-383

Réunis pour le bicentenaire du Code de commerce, je ne peux


m’empêcher de m’interroger sur l’objet que nous devons
réellement célébrer : bicentenaire de quoi, en définitive, du code
Savary et des ordonnances de Colbert, du code de 1807 ou
du code de 2000 ?
2Ne pouvant, par manque de compétence, trancher une telle
interrogation, je m’en tiendrai à l’idée suivant laquelle, à défaut
de célébrer un objet particulier, c’est une méthode de législation
qui est à l’honneur avec le code de commerce. Plus précisément
avec l’idée d’un code de commerce. D’un point de vue
substantiel, il existe sans doute des solutions en matière
commerciale qui sont dites, historiquement au moins,
“françaises”. Certaines sont heureuses, le fonds de commerce, par
exemple, d’autres le sont moins, tel l’acte de commerce, décrié
en son temps par Roblot.
3Quoi qu’il en soit, l’existence d’un code de commerce révèle une
structuration volontaire des relations commerciales ; le droit,
comme l’écrit très explicitement Jean Paillusseau, est bien une
science de l’organisation.
4Méthode et organisation : cela constitue dès lors un modèle. Le
commerce étant particulièrement international, s’il existe un
modèle, il peut, potentiellement, être comparé à d’autres. D’où le
concept de regulatory competition (ou concurrence des normes).
Peut-on mettre en concurrence des systèmes juridiques ou des
institutions juridiques, ou seulement des institutions juridiques ?
C’est un débat un peu différent, qui se situe en amont. Pour ma
part, j’estime qu’il n’existe pas de véritable concurrence des
droits, ni des systèmes, ni des règles prises isolément. En effet,
les mécanismes juridiques ne sont jamais complètement détachés
du système qui les a vus naître. Et l’acculturation est, au sens
propre, impossible (P. Legendre).
5Pour ne prendre qu’un seul exemple, peut-on tenter d’évaluer
l’efficacité de la protection des créanciers uniquement au travers
de l’existence de l’institution du trust de droit anglais ou son
équivalent américain. Cela revient alors à ignorer les divers
moyens qu’un système juridique connaît pour protéger les
créanciers, modalités différentes qui n’empruntent pas
nécessairement la même technique. Il faut donc introduire un
critère fonctionnel (l’efficacité de la protection des créanciers
tient alors à une mesure purement quantitative, détachée de
l’analyse des règles : taux de recouvrement par exemple, délai de
paiement…). A cela s’ajoutent des considérations culturelles et
politiques : l’objectif poursuivi par la règle de droit. Il est en effet
évident que le choix d’un équilibre entre la nécessaire assurance
de paiement du créancier (espérance légitime/incitations à
entreprendre) et la protection des débiteurs (cohésion
sociale/incitation à entreprendre) amènera des règles distinctes
d’un système se fixant pour unique objectif, la garantie des droits
des créanciers ou la protection des débiteurs.
6Quoi qu’il en soit, de telles démarches supposent des
évaluations ? Comment évaluer ? Une réponse d’actualité (quoi
que l’approche est ancienne) est l’analyse économique du droit
(AED). Cette démarche, qui constitue surtout une branche de
l’économie, est-elle si peu usuelle pour le juriste de droit civil
continental ? La réponse doit être mesurée. Je vous propose
quelques éléments de réflexion en exposant les fondements de
l’AED, ou Law & Economics, la redécouverte du rapport entre droit
et développement économique et les enjeux qui en résultent
aujourd’hui.

I – FONDEMENTS DE LA LAW &


ECONOMICS
7Définition : l’utilisation de la théorie économique et des
méthodes économétriques pour l’examen de la formation, des
structures, des processus et de l’impact du droit et des
institutions juridiques (définition inspiré de Rowley, 1989). Cette
démarche est actuellement, depuis le milieu du XX  siècle, ème

surtout nord-américaine, mais ses racines sont plus anciennes,


moins strictes et… européennes.
A – Première série d’observations
8Quelques repères historiques sont nécessaires ; j’emprunte ici le
découpage proposé par MacKaay dans l’Encyclopedia of Law and
Economics, (Edward Elgar, 2000) distinguant les précurseurs, une
première et une deuxième vague, et la situation actuelle.
9- Les aspects précurseurs se trouvent sous la plume et dans les
réflexions d’auteurs européens dès la Renaissance : Machiavel, les
Caméristes allemands, Hobbes, Beccaria, Bellamy, Jeremy
Bentham, Adam Smith, David Hume (théorie des jeux ; concepts
des choix publics), Jean-Jacques Rousseau (dilemme du
prisonnier), les Encyclopédistes, Montaigne, Montesquieu…
10- La première vague née avec l’Ecole historique allemande qui
combine économie politique et droit (Staatswissenschaft).
Participèrent de très nombreuses personnes de toute l’Europe
(dont les noms sont aujourd’hui, trop injustement, oubliés, par
ex. qui se souvient de Gustave de Molinari ou de Werner
Sombart !). De nombreux juristes rallièrent le mouvement : Victor
Mataja (Autriche), Otto von Gierke, Rudolph von Jhering, Wilhelm
Arnold (Allemagne), Henry Maine (Angleterre), François Gény
(France)… La thèse centrale de ce mouvement est que les droits
sont contraints par les conditions sociales et économiques.
11Le déclin de ce mouvement, disparu dans les années 1930, tient
à plusieurs facteurs, dont l’un souvent cité est la spécialisation de
la science économique qui, progressivement, devient plus
formelle, plus mathématique et se désintéresse des visions larges
et “philosophiques”.
12- La seconde vague apparaît aux EUA, ou le mouvement de
l’Ecole historique Allemande arrive par les courants de pensée
économique dit institutionnalistes. MacKaay distingue ici 5
périodes.
13* le point de départ de la Law & Economics contemporaine :
l’Université de Chicago avec Aaron Director, dans les années 40 :
Coase (théorie de la firme, coûts de transactions) prendra la suite.
14* Le paradigme de la L & E de Chicago (l’Ecole de Chicago) se
définit entre 1958/1973 : recours aux concepts économiques et
aux méthodologies de l’économétrie pour évaluer l’efficacité
économique du droit (création en 1958 du Journal of Law and
Economics).
15* Le paradigme est globalement accepté dans le monde
anglophone (1973/1980) : la L & E intègre les Facultés de droit :
création en 1972 du Journal of Legal Studies et première édition
de l’ouvrage majeur de Richard Posner, Economic analysis of
Law qui repose sur le présupposé de l’efficience supérieur du
common law, qu’il faut comprendre comme le droit fait par le
juge (judge made law) ; ce présupposé n’a jamais été démontré
(ni infirmé).
16Les idées centrales de l’Ecole de Chicago reposent sur le
postulat de la rationalité des acteurs économiques et sur la
croyance en la nette supériorité du jeu du marché sur toute
intervention étatique.
17* Le paradigme est critiqué : la critique proviendra d’abord des
institutionnalistes, puis on assiste à la multiplication des courants
de pensée au sein de la L & E : la thèse de l’efficience est remise
en cause (certains avancent l’idée selon laquelle les citoyens sont
plus à la recherche de justice distributive que d’efficience).
18* Le mouvement est désormais, depuis le début des années
1980, éparpillé : l’Ecole de Chicago, en dépit de l’excellence –qui
se maintient– de ses travaux, ne règne plus en la matière sans
contestation. Le temps des certitudes à disparu.
B – Seconde série d’observations
19Le juriste de droit continental, à quelques exceptions près, est
dérouté par la Law & Economics, déjà par les techniques qu’elle
emploie. De fait, ce sont des études empiriques qui ont recours
aux outils de l’économétrie et de la statistique qui sont appliqués
aux mécanismes juridiques. Tout l’intérêt de l’analyse
économique du droit à consisté à définir un nouvel objet d’étude
pour les économistes : le comportement du juge et ses influences
sur la manière dont les agents vont prendre en compte ce
comportement dans la régulation de leurs relations contractuelles
ou délictuelles.
20Les aspects théoriques sous-jacents sont également
spécifiques. Ainsi, les économistes emploient-ils la notion
de corrélation (qui est radicalement différente de la notion de
causalité, plus familière en droit civil). Ils se servent du langage
mathématique pour offrir des modélisations, lesquelles sont
abstraites et n’ont donc pas vocation à saisir la réalité (ce qui est
d’ailleurs problématique lorsque de celles-ci on tente d’induire le
contenu des règles réelles). Les concepts de choix rationnel,
l’optimum de Pareto ou de Kaldor-Hicks, le théorème de Coase,
l’efficience, la maximisation de la richesse (wealth maximisation,
notion développée par Posner)… tout cela est relativement
étranger au contenu classique du savoir juridique de droit
continental.

II – LA REDECOUVERTE D’UN


INTROUVABLE RAPPORT ENTRE
LE DROIT ET LE
DEVELOPPEMENT
21Existe-t-il un lien entre la croissance économique, l’état de
développement, et les règles juridiques et les institutions ?
Indiscutablement, on lie les institutions à leurs époques, de sorte
qu’il existe sans doute un lien. Mais savoir dans quelle mesure ce
lien relève d’une causalité, constitue un facteur dynamique ou
une simple coïncidence n’a jamais été clairement démontrée. Et
notamment, le lien entre le système politique et le développement
économique (marché ouvert) est tout sauf une évidence, bien qu’il
est considéré comme acquis par nombre d’économistes.
22Le mouvement Law & Development des années 1960-1975 est
un exemple topique de cette croyance. Ce courant de doctrine
nord-américain né des suites de la décolonisation, repose sur le
présupposé du lien entre droit et institutions et croissance,
convaincu qu’en exportant les institutions d’un État démocratique
(les EUA), la croissance économique s’ensuivra. Le mouvement
meurt en 1975 sur le constat de l’inexactitude ou de
l’impossibilité d’identifier des liens précis et de l’échec pratique
de cette théorie.
23Au fond, le mouvement est plus ancien et, par exemple, Max
Weber explore les liens entre développements du capitalisme et
rationalisation du droit… pour trouver que, en définitive, c’est
l’éthique qui commande ce mouvement plus que le droit : le droit
rationnel, moderne, dit-il, c’est le droit civil, or le capitalisme le
plus dynamique c’est l’Angleterre, sans droit civil ! !
24Ces dernières années, sous la pression des organisations
internationales (Banque Mondiale, FMI etc.) on assiste à une
résurgence de cette tendance théorique, cherchant à lier
développement et institutions et droit. Dans la multitude des
courants de pensée et des études, est née la nouvelle économie
comparée. Pourquoi relever celui-ci plutôt qu’un autre ? Tout
simplement par ce que ses auteurs sont à l’origine des
rapports Doing Business de la Banque mondiale, dont la parution
annuelle commence dès 2004. Les soubassements théoriques de
ce mouvement sont un “mix” issu de l’École de Chicago et une
redécouverte des idées et des théories de Law and development.

III – LES ENJEUX


25L’essor –et la banalisation– d’études relevant de la L & E- n’est
pas simplement un passe-temps théorique (“académique” diraient
les anglophones). Il s’accompagne d’enjeux bien réels, dont les
deux aspects essentiels me semblent être la détermination du
sens des réformes à mettre en avant et une lutte d’influence
culturelle et économique.
26En premier lieu, derrière tous ces discours “scientifique” (la
modélisation mathématique renforçant l’aspect “savant”), on
trouve la volonté (expresse ou non) d’influer le contenu des
réformes juridiques.
27C’est d’ailleurs ce qui justifie la plus sérieuse réserve à l’égard
des rapports Doing Business : ces derniers proposent des
réformes sur la base d’analyses marquées idéologiquement, en
les parant d’une objectivité illusoire en la matière. Par ailleurs, la
Banque mondiale finance les réformes… ce qui fait fortement
songer à un conflit d’intérêt ! Il serait plus honnête que ces
rapports traduisent les interrogations qui naissent de la
confrontation des divers courants de la L & E.
28En second lieu, les travaux qui proposent de passer d’une
réflexion théorique à la mise en œuvre matérialisent une lutte
d’influence“culturelle” et de présence économique. De ce point de
vue, nul doute que la L & E est un instrument intéressant, mais
alors il faut tenir compte autant de ses diverses sensibilités que
de ses critiques. Il faut en toutes hypothèses, que des études
empiriques soient plus systématiquement entreprises au sein du
droit continental, afin d’établir un dialogue avec les études de L &
E.
29La détermination de l’attractivité économique du droit (qui
suppose alors des indicateurs pour mesurer, évaluer les règles,
réaliser des études d’impactes), suppose en amont des choix
politiques, puisque l’évaluation se fait au regard d’un critère. En
tous les cas, la L & E, quelle que soit sa forme, est désormais un
outil intellectuel dont on cherche les applications pratiques… du
moins en théorie, car concrètement, seuls les praticiens peuvent
indiquer s’ils estiment qu’il y a une concurrence entre les droits
ou s’ils procèdent à un choix volontaire de règles résultant d’une
analyse des avantages d’un droit donné. “ My guess” : le plus
souvent, le praticien applique, tout simplement, le droit qu’il
connaît !
NOTES
1 La forme orale de cette intervention, simple introduction à une
table-ronde, a été conservée… et aucun appareil de note n’a été
ajouté, puisque non dit !

AUTEUR
Arnaud Raynouard
Professeur à l’université de Toulouse (Faculté de Droit, IRDEIC, UT1)

Le Code de commerce au
Japon : une brève histoire ou
le Code sans esprit
Jean-Louis Halperin

p. 387-396

Au premier abord, le Code de commerce japonais, promulgué par


la loi du 9 mars 1899 est, parmi les cinq codes japonais, le plus
éloigné de la tradition juridique française. L’on sait le rôle joué
par Gustave Boissonade dans la rédaction des premiers Code
pénal et Code de procédure pénale dont s’est doté le Japon en
1882, puis dans la préparation d’un Code civil. L’on connaît
l’échec relatif de Boissonade, son projet de Code civil d’abord
adopté en 1890 ayant été ajourné en 1892 du fait de la réaction
nationaliste de la querelle “sur le Code” 1. Il n’en reste pas moins
que le Minpo adopté en 1896 (pour les trois premiers livres) et en
1898 (pour les deux derniers) porte l’empreinte d’une forte
influence française, peut-être aussi importante que celle du BGB.
De même, le Code de procédure civile datant de 1890 (et réalisé
pour l’essentiel par l’Allemand Hermann Techow) mêle les
emprunts aux modèles allemands et français, l’organisation
judiciaire mise en place depuis 1875 étant très proche de celle de
la France2. Le Code de commerce échappe, au contraire,
complètement à la marque de Boissonade. Il est l’œuvre de
juristes japonais sur la base des travaux réalisés par un autre
conseiller occidental appelé auprès de l’empereur Meiji,
l’Allemand Hermann Roesler qui est également un des principaux
auteurs de la constitution japonaise de 1889 3. L’on imagine
facilement que cette influence allemande a perduré au Japon en
matière de droit commercial jusqu’à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, avant d’être supplantée par l’intervention américaine
dans la réforme du droit japonais après 1945. Même parmi les
juristes français qui sont restés en relation avec le Japon au cours
du XX  siècle, la part des commercialistes paraît quasiment nulle.
e

Le Code de commerce japonais ne marquerait-il pas, dans


l’histoire, l’étape du déclin irrémédiable du rayonnement
international du Code de commerce de 1807 ?
2Il existe, pourtant, d’assez nombreux points de contact entre
l’histoire du Code de commerce japonais jusqu’à nos jours et
celle du Code de commerce français. Le projet Roesler a connu un
ajournement comparable à celui du projet Boissonade et surtout
le codificateur n’a pas souhaité une rupture fondamentale avec
les idées directrices du Code de commerce français (I). Au gré de
ses transformations au cours du XX  siècle, puis au début du
e

XXI  siècle, jusqu’à la plus récente par la loi n  86 du 26 juillet


e o

2005, le Code de commerce japonais a pris un visage


incontestablement différent, sinon opposé, à celui du Code
français. Mais cette divergence nous paraît révélatrice du sens
donné à la codification en matière commerciale à l’époque
contemporaine (II).

I – UNE CONCEPTION
ECLECTIQUE
3Pour comprendre le Code de commerce japonais de 1899
(ou Shoho), il faut revenir à la personnalité de Roesler, à ses
objectifs et au contexte de l’ère du Meiji au Japon
 4 R. DOMINGO, “Hermann Roesler (1834-1894)”, R. Domingo,
(ed), Juristas universales, Madrid-Barcelon (...)

4Herman Roesler, né en 1834, appartient à la même génération


que Boissonade, né en 1825. Originaire de la Bavière, Roesler fait
ses études à l’Université d’Erlangen, mêlant un double intérêt
pour le droit –avec une thèse sur les textes d’Ulpien– et les
sciences politiques – avec un doctorat portant sur la valeur du
travail4. Il se spécialise dans le domaine de ce que nous
appellerions aujourd’hui le droit économique avec une
habilitation traitant de l’influence de l’impôt sur le salaire en
1860. Il obtient une chaire en sciences politiques à l’Université de
Rostock en 1861. Dans ses écrits publiés dans les années 1860 et
1870 il traite d’économie politique en critiquant le libéralisme
d’Adam Smith –tout en refusant le socialisme–, de droit
administratif et de droit constitutionnel. L’orientation de ces
recherches semble bien éloignée alors du droit commercial.
5C’est en 1878, cinq ans après Boissonade, qu’il est recruté par le
Gouvernement japonais comme conseiller du ministre Ito, un des
artisans les plus importants de la Révolution du Meiji, envoyé
plusieurs fois en mission en Europe (c’est là qu’il rencontre
Roesler) avant de diriger quatre gouvernements en 1885, 1892,
1898 et 1902. La venue de Roesler correspond au plein essor de
la Révolution du Meiji, entamée par l’empereur Mutsuhito en
1867-1868 pour ouvrir le Japon à l’Occident, le moderniser en
profondeur et obtenir la révision des traités inégaux conclus avec
les puissances occidentales, qui entamaient particulièrement la
souveraineté douanière et commerciale du Japon. C’est dire
l’importance de la codification en général, et du droit commercial
en particulier, pour prouver que le Japon était doté d’un “droit
moderne” garantissant aux étrangers, en particulier aux
commerçants, une protection analogue à celle qu’ils pouvaient
trouver dans une juridiction consulaire extra-territoriale.
 5 R. ISHII, Japanese Legislation in the Meiji Era, transl. W. J. CHAMBLISS,
Tokyo, Obunsha, 1958, p. (...)

6Dans son ouverture au droit occidental, le gouvernement


japonais fait preuve d’éclectisme, en s’intéressant aussi bien
au common law qu’aux modèles français et allemand. Soutenue
par certains professeurs de l’Université de Tokyo, l’idée
d’emprunter les institutions des pays de common law est écartée
en raison des difficultés prévisibles d’importation d’un système
qui ne se réduit pas à de grands textes législatifs. La voie de la
codification est probablement choisie comme la plus facile pour
une forme de despotisme éclairé qui, à cette époque, légifère
sans passer par un Parlement (c’est ce qu’on appelle le
gouvernement du Dajokan jusqu’en 1889). Le travail est réparti
entre Boissonade et Roesler et l’on peut imaginer que les
compétences économiques de l’Allemand, comme la proximité du
Code de commerce austro-allemand de 1861 ont joué en sa
faveur. Roesler commence à travailler en 1881 avec l’aide d’un
comité japonais tandis qu’un recensement des pratiques
commerciales usitées au Japon est effectué 5. À partir de ces
travaux, une première loi sur les lettres de change et les billets à
ordre aboutit rapidement en 1882, mais une tentative analogue
échoue pour le droit des sociétés.
 6 La Bibliothèque Cujas paraît la seule en France à en posséder un
exemplaire : Entwurf eines Handel  (...)

7Le projet de Code de commerce présenté par Roesler est prêt en


1884 et publié avec des explications article par article en trois
volumes. Il est composé de 1133 articles répartis en 4 livres : du
commerce en général, du commerce maritime, de la faillite et des
procédures particulières d’arbitrage ou d’exécution6. Il est
approuvé par un comité du Ministère de la Justice et adopté
presque sans changements par le Sénat (Genro-In établi en
1875). En 1890, ce Code de commerce est promulgué en même
temps que le Code civil de Boissonade avec une entrée en vigueur
prévue en 1892. C’est alors que survient la querelle “sur le Code”.
Celle-ci paraît polarisée sur le Code civil qui attire, par son
individualisme, les foudres des conservateurs japonais attachés à
la tradition, notamment en matière familiale. Certaines analyses
mettent aussi en avant le dépassement du modèle français par le
projet de BGB publié en 1889, mais l’explication n’est pas
totalement convaincante, si l’on tient compte du fait que le projet
Roesler a été aussi ajourné par la loi du 22 novembre 1892. Le
rejet des traditions commerciales japonaises par Roesler et les
discordances avec le projet de Code civil ont pu également être
des causes de l’ajournement. Comme pour le Code civil, l’examen
du texte est renvoyé à une commission de révision exclusivement
japonaise.
 7 R. ISHII, op. cit., p. 596.

 8 La première traduction française est celle de S. KOMACHIYA, Code de


commerce de l’Empire du Japon (...)

8Les dispositions du Code Roesler sur les sociétés, les lettres de


change et les faillites entrent, cependant, en vigueur de manière
provisoire en 1893 : environ 40 % des articles du projet Roesler
seraient ainsi passés dans les lois spéciales 7. La modernisation ne
pouvait attendre la codification, ce qui montre aussi que la forme
codifiée était moins importante que le contenu. En matière de
faillite, Roesler s’était inspiré de la loi française, telle qu’elle
résultait de la réforme de 1838 et de la possibilité d’une
liquidation de faveur introduite provisoirement par un décret de
1848 : la procédure, réservée aux seuls commerçants, restait
rigoureuse. Bien qu’ayant été plus heureux dans son rôle de
conseiller pour la rédaction de la constitution japonaise de 1889,
Roesler, peut-être déçu, rentre en Allemagne en 1893 et meurt
peu après en 1894. Il n’assiste pas à la promulgation du Code de
commerce en 1899. Ce “nouveau Code”, comme l’appellent les
auteurs japonais pour le distinguer de l’ancien Code adopté en
1890, est le produit d’un travail des juristes japonais qui tient
compte du Code de commerce allemand promulgué en 1897,
notamment dans le plan, divisant désormais les 772 articles en
cinq livres : l’état de commerçant, les sociétés commerciales, les
actes de commerce et contrats commerciaux, les effets de
commerce, le commerce maritime 8. Conservant certaines
caractéristiques le distinguant du modèle allemand –notamment
un style dépouillé avec des articles concis et une langue claire–, le
Code de commerce de 1899 n’est pas si éloigné des objectifs de
Roesler qui nous paraissent révélateurs des intentions du
codificateur japonais de cette époque.
 9 J. HALLIDAY, op. cit., p. 39.

9La formation de Roesler l’a conduit, en effet, à ne pas isoler le


droit commercial de l’ensemble de l’ordre juridique et à donner
une grande importance à l’alliance entre le développement
économique et l’équilibre social. Dans la préparation de la
Constitution, il a été également attentif à la prise en compte des
intérêts de la bourgeoisie et de la paysannerie 9. Il était, bien
entendu, favorable à la plus grande ouverture possible du Japon
au commerce mondial et soutenait, de ce point de vue, les efforts
du gouvernement japonais pour réviser les traités de commerce,
efforts qui débutent en 1888 avec le traité égal signé avec le
Mexique et aboutissent, en même temps que le Code de
commerce en 1899, par le retour à la souveraineté judiciaire
(pour la souveraineté douanière il faut attendre 1911). Dès le
préface de son projet de Code de commerce, consacrée aux
principes directeurs de la codification, il allie la promotion de
l’activité commerciale et industrielle du Japon avec l’égalité par
rapport aux autres Nations civilisées et commerciales. Il s’agit
d’accomplir une véritable révolution, en rupture avec une
tradition autochtone réputée faible, voire inexistante (Roesler ne
paraît pas avoir fait grand cas des usages japonais qui avaient été
préalablement recensés). De manière significative, Roesler parle
de l’absence de “normes” en matière commerciale dans le droit
japonais. La clarté et la certitude du nouvel ordre juridique
japonais exige, selon Roesler, un Code de commerce qui va
rassurer les étrangers et aider au développement de l’économie
japonaise.
10Roesler fait de la reproduction du capital le principe de base,
relevant du droit naturel, d’un droit commercial qui doit être
assez flexible pour s’adapter à toutes les transactions. Le droit
commercial moderne se doit d’être un droit égalitaire entre les
personnes physiques ou morales (sans une classe séparée de
commerçants, Handelsstand), un droit fondé plutôt sur les actes
de commerce que sur les professions commerciales. Ce droit fait
davantage appel à des principes universels reconnus par les
nations commerçantes (c’est-à-dire occidentales) qu’à des règles
inspirées par des traditions strictement nationales. De cette
manière, Roesler promeut le retour à la pleine souveraineté du
Japon : avec un droit occidentalisé, les étrangers ne réclameront
plus de juridiction spéciale et ne feront plus appel à des avocats
étrangers au Japon. C’est pourquoi Roesler fait preuve
d’éclectisme dans des emprunts au Code de commerce français
(lui-même rattaché aux ordonnances de Louis XIV), au Code
austro-allemand de 1861 et même, affirme-t-il, au droit non
codifié de l’Angleterre et des États-Unis. Le juriste allemand se dit
persuadé que ce sont les mêmes principes que l’on retrouve dans
les codes français, espagnol, néerlandais, allemand, italien et
égyptien (dans l’ordre chronologique) et fournit à l’appui un
tableau synoptique rapprochant leurs dispositions. La seule
distinction d’importance concerne la présence ou l’absence de
tribunaux de commerce : Roesler rejette l’institution de la
juridiction consulaire au nom du refus des privilèges et d’un droit
spécial pour les commerçants.
11Les explications données article par article au projet Roesler
confirment ces choix en faveur d’un corpus éclectique, fondé sur
une conception objective du droit commercial et favorable à
l’essor des formes nouvelles de société. Il insiste particulièrement
sur le besoin d’élargir la définition des actes de commerce qui
sont susceptibles d’être le fait de non-commerçants comme des
commerçants eux-mêmes. Selon Roesler, l’acte de commerce
s’applique à toute activité capitaliste, qui comporte un élément de
transaction (Umsatz), c’est-à-dire un transfert de biens qui va
au-delà de la simple satisfaction des besoins personnels. L’achat
pour revendre, mais aussi les contrats de location, d’entreprise,
de transport sont les modes les plus communs pour réaliser les
transactions commerciales. Il importe d’inclure dans le commerce
non seulement l’activité industrielle ou les opérations de change
et de banque, mais aussi la production et le commerce de
denrées alimentaires. Roesler critique ici l’article 638 du Code de
commerce français, ainsi que l’article 632, en notant que
certaines opérations entre commerçants ne sont pas
commerciales, tandis que d’autres actes entre un commerçant et
un non-commerçant relèvent du Code de commerce. Les articles
5 et 6 du projet Roesler proposaient une liste des opérations
commerciales (incluant notamment la presse ou l’édition et plus
généralement la production de biens culturels dans un but
lucratif), tandis que les articles 8 et 9 limitaient les exclusions aux
actes liés aux seuls besoins domestiques, aux contrats de travail
et aux ventes d’immeubles. Le projet prétendait ainsi marquer le
triomphe d’un droit objectif du capitalisme moderne sur le droit
ancien des corporations de commerçants. Il n’est pas certain que
les articles proposés soient aussi éloignés que Roesler le
prétendait du modèle français, un modèle auquel il reconnaissait
le mérite d’avoir remplacé les anciens termes de marchand ou
négociant par celui de commerçant. Sur ces questions de la
définition du commerçant et de l’acte de commerce, le juriste
allemand n’est pas arrivé à convaincre les rédacteurs japonais du
Code de 1899 : les articles 4 et 263 du Code finalement
promulgué s’inspirent à la fois du Code français et du Code
allemand de 1897 (article 1), en définissant le commerçant
comme celui dont la profession est de faire des actes de
commerce et en comprenant dans les actes de commerce l’achat
pour revente ou location (y compris d’immeubles), les opérations
de bourse, les actes relatifs aux effets de commerce, à la banque,
aux assurances, au transport ou à l’édition. Les actes de
commerce par nature voisinent ainsi avec des actes qui seraient
civils en restant isolés et deviennent commerciaux par l’exercice
d’une profession. Les seules nouveautés se réduisent, par rapport
au Code français de 1807, à la mention des entreprises minières,
de fourniture d’électricité et de gaz ou de publication de
photographies. Les considérations de Roesler sont davantage
révélatrices d’un intérêt pour les activités économiques liées à la
seconde révolution industrielle que d’une rupture profonde dans
la définition de l’objet du Code de commerce.
 10 R. ISHII, op. cit., p. 697.

12Après les premiers articles sur le droit à appliquer en cas de


lacune du code de commerce (à savoir le droit commercial
coutumier et le Code civil suivant une liste de sources
subsidiaires proposée par Roesler et mise en ordre par les
rédacteurs du Code de 1899) et sur les commerçants, le Code de
commerce japonais reprend au projet Roesler l’institution du
registre du commerce, elle-même inspirée des codes espagnol et
austro-allemand (puis du code de commerce allemand de 1897).
Sur ce registre, tenu par l’administration de l’enregistrement dans
chaque circonscription, sont portées les raisons sociales ou
“firmes” selon l’expression allemande. La firme correspond au
nom du commerçant ou à n’importe quelle dénomination de son
choix, avec une liberté élargie dans le code de 1899 par rapport
au texte de 189010. Le fonds de commerce est aliénable, mais
son nantissement n’est pas prévu. Une action pour concurrence
déloyale est possible contre les commerçants faisant enregistrer
une firme identique ou semblable. Suivant le Code austro-
allemand de 1861 et la proposition de Roesler, le Code japonais
connaît l’institution du “procuriste”, employé qui représente la
firme en vertu de l’enregistrement de son nom à la suite de la
firme : la publicité l’emporte ici sur le cadre contractuel du
mandat (article 29).
13Le droit des sociétés constituait, bien sûr, un élément essentiel
de la codification du droit japonais avec pas moins de 252 articles
(presque un tiers de la codification) et un livre entier dans le Code
de 1899. Roesler fut à l’origine de la première loi japonaise à ce
sujet (celle extraite de son code en 1893) et insistait dans le
commentaire de son projet sur les nouveautés introduites au
milieu du XIX  siècle en Angleterre et en France (par la loi de
e

1867) relativement au libre établissement des sociétés par


actions. L’article 69 du projet Roesler maintenait néanmoins le
recours à une concession du Gouvernement pour les sociétés
intéressant l’administration publique ou la police. Le projet
Roesler (ou l’ancien code de commerce de 1890) restait aussi
prudent dans la mesure où il traitait en même temps des
associations et des sociétés sans se prononcer explicitement sur
la personnalité morale. Le Code de 1899 reconnaît explicitement
la personnalité morale des sociétés commerciales (définies
comme faisant profession d’exercer des actes de commerce) et
les traite comme des institutions plutôt que comme des contrats
(sauf la société tacite, équivalent de la société en participation,
organisée dans le livre III). Quatre types de sociétés sont
reconnus : sociétés en nom collectif, sociétés en commandite, en
commandite par actions (peu usitées) et sociétés par actions
(articles 42 et 43 du Code, 44 pour la personnalité morale). Même
le caractère personnel des sociétés en nom collectif est atténué :
un associé peut se retirer de la société (article 68) ou en être
expulsé (article 70, la décision doit lui être notifiée, mais il n’est
pas prévu à l’origine d’intervention du tribunal). La mort ou la
faillite d’un associé n’entraîne pas la dissolution de la société
(article 69). Les sociétés par actions sont réglées avec beaucoup
de détail (154 articles) en s’inspirant du modèle allemand : elles
réunissent au moins 7 associés (chiffre venu de la loi anglaise de
1862, repris par la loi française de 1867 alors que Roesler avait
proposé un minimum de 4 associés) et leur capital (sauf s’il
dépasse 100 000 yens) est composé d’actions d’un montant
minimal de 20 yens (ou 50 yens, ce qui permettait de créer des
actions d’un montant plus faible qu’en Allemagne). La société est
administrée par des directeurs au moins au nombre de trois, élus
pour trois ans, et par un conseil de surveillance élu pour deux ans
(articles 164-165, 180-181) selon le modèle allemand. Les
dispositions sur le contrôle des comptes ou l’émission
d’obligations sont particulièrement détaillées et témoignent du
modernisme de la codification japonaise.
14Le Code de 1899 contenait moins de détails sur les contrats
commerciaux (achat et vente, courtage, commission, transport,
dépôt) que le projet Roesler, en raison de la promulgation entre-
temps du Code civil japonais (Minpo). De manière paradoxale,
alors que le Code civil est plutôt libéral en matière contractuelle,
le Code de commerce contient de nombreuses règles
impératives : par exemple, la responsabilité du commissionnaire
de transport en cas de perte, de dommage ou de retard de la
marchandise (sauf preuve contraire de l’absence de faute) ne peut
faire l’objet d’une clause d’exonération (article 322). Le droit
cambiaire est aussi très formaliste avec un grand nombre de
mentions exigées sur les billets, les lettres de change et les
chèques. L’intérêt légal en matière commerciale était fixé à 6 %
(au lieu de 5 % en matière civile et de 7 % dans le projet Roesler).
Les règles relatives au commerce maritime ne se distinguaient
pas des codes européens par une originalité marquée. Éclectique
dans ses sources d’inspiration, le Code de commerce japonais
pouvait apparaître dénué d’originalité et il avait perdu, dès
l’origine, une partie de l’esprit qu’avait voulu lui insuffler Roesler.
Il avait pour principal but de marquer l’entrée rapide du Japon
dans la modernité du droit commercial. Si le contexte était
fondamentalement différent de celui de l’élaboration du Code
français de 1807, le rôle volontariste de la loi étatique pour
favoriser et encadrer les activités économiques forme un lien non
négligeable entre la codification japonaise et la codification
française.

II – DE LA REVISION A LA
DECODIFICATION
15L’histoire des transformations de ce Code de commerce jusqu’à
nos jours nous paraît aussi digne d’intérêt dans une comparaison
avec les destinées de notre code de commerce. Plus que les codes
civils, les codes de commerce sont susceptibles de révisions
précoces. Ce fut le cas en France avec la réforme de 1838 sur la
faillite.
 11 R. CLARK, The Japanese Company, New Haven-London, Yale
University Press, 1979, p. 23-24, 41-42.

 12 Articles 44-2 et 44-3 dans l’édition traduite en français en 1924.

16Au Japon, la révision du Code de commerce débute douze ans


après sa promulgation en 1911 (avec la loi n  73). Par souci o

d’adaptation aux mouvements de concentration – sans que la loi


paraisse directement provoquée par la constitution des
premiers zaibatsu, des holdings de caractère familial créés à
partir de cette époque avec les encouragements du
Gouvernement11 – des articles sont ajoutés sur les fusions de
sociétés12. Il est à noter que le législateur japonais a alors fait le
choix, parmi les premiers, d’ajouter des articles avec un exposant
(jusqu’à cinq) pour ne pas troubler la numérotation d’ensemble
de la codification.
17À la suite de la Première Guerre mondiale, très favorable à
l’extension du commerce japonais, le droit de la faillite (qui s’est
toujours trouvé en dehors du code) est réformé : à la place de
l’ancienne loi issue des travaux de Roesler, une nouvelle loi du
1922 unifie faillites civiles et commerciales sur le modèle
allemand, en consacrant la séparation entre ce domaine du droit
et le Code de commerce (seul un article du Code sur la faillite de
l’assureur est modifié à cette occasion). Puis le Japon ratifie les
deux conventions de Genève sur les lettres de change, les billets
à ordre et les chèques : deux lois de 1932 et 1933 abrogent en
conséquence tout le livre IV du Code de commerce. La
décodification progresse encore avec la loi du 5 avril 1938 : le
législateur décide alors d’adopter une loi sur les sociétés à
responsabilité limitée, en s’inspirant tardivement du modèle
allemand de 1892, mais il prend le parti de maintenir cette loi en
dehors de la codification, tout en procédant à une nouvelle
édition du code avec des ajouts sur les sociétés anonymes et
même une modification de la numérotation. Il était question avant
la Seconde Guerre mondiale de procéder à l’adoption d’un code
de commerce entièrement refondu et deux premiers livres avaient
été préparés en ce sens ; ces travaux furent naturellement
interrompus par le conflit.
 13 Code de commerce du Japon, trad. fr. S. KOMACHIYA, Paris, LGDJ,
1954.

18Avec la défaite du Japon et l’occupation américaine se pose la


question du sort du Code de commerce. Les Américains font le
choix d’inspirer –pour ne pas dire d’imposer– la réforme du fond
du droit japonais, mais sans toucher aux structures d’un pays de
droit civil, en particulier à la codification. Tandis que le Code de
procédure pénale et le Code civil (dans sa partie relative aux
personnes et à la famille) sont profondément révisés, le Code
pénal et le Code de procédure civile subissent peu de
changements. Le Code de commerce se place dans une situation
intermédiaire : des adaptations majeures ont été apportées au
droit japonais sans recourir à l’imitation du modèle de l’ Uniform
Commercial Code (ce qui aurait nécessité aussi une réforme du
droit civil de la vente). Les Américains ont obtenu dès 1947 des
lois nouvelles sur le démantèlement des zaibatsu (loi anti-
monopoles de décembre 1947) et le marché des actions ou des
valeurs mobilières. Puis une première réforme de quelques
articles du Code relatifs aux sociétés est réalisée par la loi du 12
juillet 1948 afin d’obliger au versement intégral des actions
souscrites par les fondateurs et d’éviter la spéculation. Cette
première modification entraîna une réflexion et un projet japonais
sur les augmentations de capital (“authorized capital”) par simple
décision du conseil d’administration. Entre-temps les Américains
demandèrent une modification beaucoup plus profonde de
l’ensemble du droit des sociétés, en s’inspirant du modèle de
l’Illinois Business Corporation Act de 1933. Votée en 1949 et
promulguée en 1950 (loi n  167 du 10 mai 1950), la nouvelle loi
o

provoque une révision du Code accompagnée d’une nouvelle


numérotation (en 851 articles désormais, chiffre maintenu
jusqu’à la fin du siècle)13.
 14 Il reste, dans le code, trois types de sociétés : les SA ou Kabushiki-
Kaisha, les SNC ou Gomei-Kai  (...)

19Un droit d’inspiration américaine fait soudainement irruption


dans la réglementation des sociétés japonaises : création du
capital autorisé, possibilité d’émettre des actions représentant
une fraction du capital (article 199, sur les “ non-par value shares”
ou actions sans valeur nominale), réunion des directeurs au sein
d’un conseil d’administration et diminution des pouvoirs du
conseil de surveillance (ce qui éloigne la direction de la société
japonaise du modèle allemand), suppression de la compétence
illimitée de l’assemblée générale (cette compétence est désormais
bornée par les dispositions du code et des statuts), augmentation
des droits des actionnaires notamment pour protéger les
minoritaires (possibilité de demander le vote cumulatif, de saisir
la justice contre les directeurs, d’obtenir le rachat des actions,
droit de prendre connaissance des livres de compte), aggravation
de la responsabilité des directeurs, disparition de la société en
commandite par actions14. La loi sur les sociétés à responsabilité
limitée (Yugen-Kaisha) a été laissée en dehors du code.
 15 R. CLARK, op. cit., p. 86-116.

 16 H. ODA, Japanese Law, Oxford University Press, 2eéd., 1999, p. 216-


262.

20On peut estimer que cette greffe du droit américain a


globalement réussi et qu’elle a marqué le droit japonais des
sociétés jusqu’à nos jours. Le législateur japonais a, cependant,
retrouvé rapidement son autonomie, tandis que la pratique
s’éloignait parfois des dispositions du code – avec les claques
organisées avec l’aide des yakuzas pour les assemblées
d’actionnaires, la puissance des actionnaires institutionnels
comme les banques, le choix majoritaire des directeurs parmi les
salariés de la société15. Plus de quarante lois ont été votées
depuis 1950 pour modifier le Code de commerce. La première
tendance, après le premier choc pétrolier, a été le renforcement
du contrôle des comptes à partir de 1974. Depuis les années
1980, le Japon s’est orienté vers une politique de privatisations et
de recul de l’interventionnisme étatique qui s’est traduite par une
succession rapide de lois sur les sociétés : en 1981 (pour ouvrir
plus largement la possibilité de convertir les actions à valeur
nominale en actions représentant une part du capital social,
article 213 du Code), 1990 (pour augmenter le capital minimum
des SA, supprimer le minimum de 7 actionnaires et simplifier les
formalités), 1993 (pour faciliter les actions en justice des
actionnaires minoritaires contre les directeurs), 1994 (pour
permettre le rachat par la société de ses propres actions) et 1997
(pour aménager la loi anti-monopoles et autoriser à nouveau les
holdings)16.
 17 De manière significative, cette loi est désormais publiée avec le Code
de commerce dans la traduct (...)

 18 J.-L HALPERIN, N. KANAYAMA, Droit japonais et droit français au


miroir de la modernité, Paris, Dal (...)

21Le mouvement de dérégulation s’est accéléré depuis 2000, avec


une nouvelle loi chaque année, pour culminer avec la grande loi
du 26 juillet 2005 en 979 articles 17. La loi de 2001 a mis fin aux
actions à valeur nominale, pourtant encore largement pratiquées
en 1999. Une loi de 2003 (réservée à certaines activités
professionnelles nouvelles) puis la loi générale de 2005 ont fait
disparaître le capital social en tant qu’élément constitutif des
sociétés. Il est paradoxal que la loi de 2005 soit le fruit d’une
volonté de dérégulation de l’économie : la longueur inhabituelle
de cette loi vient du fait qu’elle propose au choix des rédacteurs
des statuts sociaux la plus large gamme de solutions possibles,
tout en s’efforçant d’améliorer la corporate governance. Vingt
formes différentes de sociétés sont envisagées (des sociétés par
actions évidement, mais aussi les SNC et les sociétés en
commandite touchées par la loi) dont la petite SA à un ou
quelques actionnaires, ce qui a fait disparaître le recours aux
SARL18.
22En vertu de cette loi de 2005 le Code de commerce se retrouve
réduit à un petit nombre de livres (3) et de chapitres (article 1 à
32 du livre I, articles 501 à 683 du livre II sur les transactions
commerciales, articles 684 à 851 du livre III sur le commerce
maritime, soit 383 articles au total). L’utilité du code apparaît
aujourd’hui limitée et l’on peut s’interroger sur la spécificité d’un
droit “commercial” avec un code amputé de tout ce qui concerne
les sociétés. Les juristes japonais disent volontiers qu’ils n’ont
pas le “fétichisme” du Code comme en France : la codification est
un instrument qui doit s’adapter à des contextes changeants et
non un symbole pérenne de la structuration du droit. En cela nos
collègues japonais nous paraissent plus réalistes que les Français
et plus sensibles à l’hétérogénéité des systèmes juridiques
contemporains. À la place d’ensembles apparemment homogènes
reposant sur les piliers de la codification, les ordres juridiques
nationaux sont aujourd’hui en perpétuel mouvement : non
seulement ils sont livrés à la contingence de réformes rapides et
parfois contradictoires, mais ils sont soumis à une pénétration
accrue des normes internationales.
23Sur le fond lui-même des règles du droit commercial, l’histoire
du Code de commerce japonais nous met en garde contre la
stylisation d’un prétendu esprit des codes. L’éclectisme dont a
fait preuve le législateur japonais, en empruntant à différentes
périodes des solutions à divers droits étrangers, est là pour nous
rappeler combien le droit commercial a toujours été perméable
aux influences venues de l’extérieur. Cette histoire, où la
contingence l’emporte sur les principes directeurs, peut
contribuer à nous ouvrir les yeux sur les abus d’une
“spiritualisation” des textes normatifs. Si aucun “esprit” ne se
dégage du Code de commerce japonais de 1899, de 1938 ou de
2005, en raison de son caractère composite, n’en va-t-il pas de
même pour le Code de commerce français de 1807 ou de 2000 ?
24L’exemple japonais conduit, enfin, à s’interroger sur l’avenir de
la codification commerciale. Comme en France, le Code de
commerce a été au Japon une arme au service d’un
interventionnisme étatique d’inspiration mercantiliste qui
cherchait à favoriser l’essor économique. À l’heure de la
dérégulation, le Code a moins de raisons d’être et peut sembler
constituer un obstacle à l’attractivité du droit, en enfermant les
règles du droit dans un carcan rigide. Il n’est pas certain, pour
autant, que la décodification soit plus favorable à l’implantation
d’entreprises étrangères : le Japon a certainement des progrès à
faire en termes d’ouverture aux capitaux internationaux et les
critiques adressées à la mauvaise rédaction de la loi de 2005
peuvent donner l’impression d’une moindre sécurité juridique
que dans un droit codifié. Alors que la France a procédé à la
recodification de son droit commercial, en donnant peut-être un
nouveau signe d’une hésitation entre néo-libéralisme et
volontarisme étatique, le Japon n’est pas loin d’avoir abandonné
toute ambition pour la forme du Code de commerce. Ce qui
pourra apparaître comme une victoire de la lettre sur l’esprit de la
loi est aussi un argument pour privilégier le fond par rapport au
mythe de la codification.
NOTES
1 Y. OKUBO, “Gustave Boissonade, père français du droit japonais
moderne (1825-1910)”, Revue historique de droit français et étranger,
1981, p. 29 et s. ; Société de législation comparée, Boissonade et la
réception du droit français au Japon, Paris, 1991 ; R. KNUTEL, S.
NISHIMURA (dir.), Hundert Jahre Japanisches Zivilgestezbuch, Köln-
Berlin-München, Carl Heymanns Verlag, 2004.

2 G. RAHN, Rechtsdenken und Rechtsauffassung in Japan, München,


Beck, 1990, p. 92.

3 J. HALLIDAY, A Political History of Japanese Capitalism, New York,


Pantheon Books, 1975, p. 37.
4 R. DOMINGO, “Hermann Roesler (1834-1894)”, R. Domingo,
(ed), Juristas universales, Madrid-Barcelona, Marcial Pons, 2004, t. III,
p. 433-435.

5 R. ISHII, Japanese Legislation in the Meiji Era, transl. W. J. CHAMBLISS,


Tokyo, Obunsha, 1958, p. 594.

6 La Bibliothèque Cujas paraît la seule en France à en posséder un


exemplaire : Entwurf eines Handelsgestzbuches für Japan, mit
Commentar, 3 vol. 1884.

7 R. ISHII, op. cit., p. 596.

8 La première traduction française est celle de S. KOMACHIYA, Code


de commerce de l’Empire du Japon (avec une préface de G. RIPERT),
Paris, LGDJ, 1924. Le texte comprend alors 689 articles après les
premières révisions. La loi sur la faillite issue du projet Roesler fut
maintenue, ce qui explique l’absence de dispositions sur ce sujet dans
le Code de 1899.

9 J. HALLIDAY, op. cit., p. 39.

10 R. ISHII, op. cit., p. 697.

11 R. CLARK, The Japanese Company, New Haven-London, Yale


University Press, 1979, p. 23-24, 41-42.

12 Articles 44-2 et 44-3 dans l’édition traduite en français en 1924.

13 Code de commerce du Japon, trad. fr. S. KOMACHIYA, Paris, LGDJ,


1954.

14 Il reste, dans le code, trois types de sociétés : les SA ou Kabushiki-


Kaisha, les SNC ou Gomei-Kaisha et les sociétés en commandite simple
ou Goshi-Kaisha.

15 R. CLARK, op. cit., p. 86-116.


16 H. ODA, Japanese Law, Oxford University Press, 2  éd., 1999, e

p. 216-262.

17 De manière significative, cette loi est désormais publiée avec le


Code de commerce dans la traduction en anglais de l’Eibun-Horei-
Sha (EHS), The Commercial Code & and The Corporation Law of Japan ,
Tokyo, 2006 : l’ensemble fait un volume de 486 pages.

18 J.-L HALPERIN, N. KANAYAMA, Droit japonais et droit français au


miroir de la modernité, Paris, Dalloz, 2007, p. 312-314.

AUTEUR
Jean-Louis Halperin
Professeur à l’École normale supérieure, UMR CNRS 7074 – Centre Théorie et Analyse du
Droit

L’implantation des societes


en France et le rôle du droit
George  Yates  III

p. 397-399

Aujourd’hui j’interviens sur “L’implantation des sociétés en France


et le rôle du droit”.
2Dans un premier temps, je vous expliquerai comment je suis
arrivé à avoir quelques connaissances en la matière, d’un point de
vue théorique aussi bien que pratique.
3Je suis de formation juridique américaine et française puisque
j’ai fait
 un Juris Docteur à l’Université de Virginie,
 un Masters of Laws à l’université de Columbia
 et ensuite, un doctorat d’université à Paris II.

4Avant de rejoindre Orrick, Herrington & Sutcliffe en 2005, j’étais


associé de Coudert Brothers à New York, à San Francisco et à
Paris.
5Je suis inscrit aus Barreaux de New York, de Californie, de Paris,
de Bruxelles et d’Angleterre et du Pays de Galles.
6Mon secteur principal d’intervention est les fusions et les
acquisitions de sociétés en Europe et aux Etats-Unis.

I – LE CODE DU COMMERCE


FRANÇAIS ET LA LOUISIANE
7Avant d’aborder le sujet principal, je tiens à vous dire quelques
mots sur le Code de Commerce aux Etats-Unis et en particulier en
Louisiane.
8La Louisiane est le seul état des Etats-Unis à avoir un système
juridique de droit civil qui reflète l’influence exercée par la France
et l’Espagne à l’époque des colonisations.
9La Louisiane a adopté son code civil –qui inclut le code de
commerce– en 1808 sur le modèle du code civil français de 1804.
10Il a été modifié en 1825 et puis en 1870, toujours en se basant
fortement sur le code civil français.
11Comme le code civil de 1804, l’actuel code civil de la Louisiane
est divisé en cinq parties dont la dernière est consacrée au Code
de Commerce.
12Bien qu’il ressemble fortement au code civil français, le code
civil de la Louisiane comprend également des dispositions
inspirées du droit espagnol.
13Par son système juridique, la Louisiane se distingue donc des
49 autres états américains.
14En théorie, un juge de Louisiane devrait trancher un litige par
une interprétation des dispositions du Code civil alors que dans
les autres états les juges sont supposés prendre en considération
la jurisprudence. Mais en pratique, le juge de la Louisiane va aussi
se servir de la jurisprudence bien que ce ne soit pas imposé par
son système juridique. Il y a ainsi un mélange entre le droit civil
et les pratiques du common law propres à la Louisiane.
15Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, la Louisiane se
rapproche petit à petit du reste des Etats-Unis. Elle a notamment
adopté en janvier 1990 le Umform Commercial Code (“UCC”) à
l’exception de l’Article 2 relatif à la vente des biens afin de
pouvoir maintenir une certaine consistance avec les autres états
américains. Les dispositions du code de commerce de la
Louisiane sont maintenues et viennent désormais compléter
celles du UCC lorsque c’est nécessaire. Néanmoins, il existe
encore de fortes différences dans d’autres domaines tels que le
trust, les successions ou même le droit immobilier.

II – INVESTISSEMENTS DIRECTS
ETRANGERS EN FRANCE
16Aujourd’hui, la France reste un pays qui attire pour les
investissements étrangers. Elle conserve la deuxième position
pour l’implantation d’investissements directs étrangers en Europe
– juste derrière le Royaume Uni – et se place au troisième rang
des économies développées derrière les Etats-Unis et le
Royaume-Uni.
17Parmi les implantations étrangères, la France n’accueille que
57 % de nouvelles implantations, le reste correspondant à des
extensions d’implantations existantes.
18En termes de création d’emplois, en 2006 les investissements
en France ont en moyenne créé 53 emplois par projet contre 101
au niveau européen.
19La France occupe ainsi le dixième rang pour les pays d’accueil
en termes de création d’emplois derrière la Pologne et la
Slovaquie. Cela peut s’expliquer par l’importance des extensions
d’implantations existantes et un nombre d’implantations
nouvelles plus restreintes.
20Selon les statistiques préliminaires des Nations Unies, la France
a bénéficié en 2006 d’un total d’investissements directs étrangers
de 88 milliards de dollars.
2156 % de l’investissement direct étranger en France est d’origine
européenne, contre 14,3 % en Allemagne et 9,9 % pour le
Royaume Uni.
22Les entreprises américaines conservent leur position de premier
investisseur en France (23,8 % des emplois créés).
23Viennent ensuite l’Allemagne, puis le Royaume Uni et la Suède.
24En ce qui concerne la région d’accueil, viennent en tête par
ordre d’importance :
 l’île de France,
 Rhône,
 Alpes,
 Alpes de Haute Provence,
 Côte d’Azur.

Le rôle du droit dans les investissements


directs étrangers
25Dans une étude de la Banque Mondiale qui classe les pays selon
leur système réglementaire, la France est passée du 35  au ème

31  rang sur les 176 pays qui sont examinés.


ème

26Les dix critères retenus concernant la création d’entreprises,


 les autorisations administratives,
 le recrutement et le licenciement du personnel,
 l’enregistrement de la propriété,
 l’obtention du crédit,
 la protection des investissements,
 le niveau des impôts,
 le commerce transfrontalier,
 l’exécution des contrats
 et la fermeture des entreprises.

27La France ne brille pas dans tous ces domaines. Bien que des
réformes aient été entreprises, il y a encore un bon bout de
chemin à faire, et surtout en ce qui concerne le droit du travail, la
fiscalité et la facilité de création d’entreprises où d’autres états
présentent un image considérablement plus favorable que la
France.
28En fait aujourd’hui on peut même se poser la question de
savoir pourquoi la France attire autant d’investissements avec un
climat réglementaire fiscal et social qui n’est pas le plus attractif
pour les investisseurs étrangers ?
29La France est, néanmoins, un pays avec une très bonne
infrastructure et une maind’oeuvre de gens très compétents. Son
Code de commerce établit une base juridique solide et équitable
pour les actes de commerce.
30Il est peu pensable pour une société avec une envergure
internationale de ne pas avoir une implantation en France.
31On pourrait dire aujourd’hui que la France ne rayonne pas
forcément grâce à son climat réglementaire fiscal et social, mais
malgré les inconvénients que cela implique.
AUTEUR
George Yates  III
Orrick, Association d’Avocats au Barreau de Paris

Conclusion
Corinne  Saint-Alary-Houin

p. 401-402
Au terme de ces échanges, “la malédiction”1 dont semblaient être
frappés les codes de commerce français a été levée. Le Code de
commerce de 1807 s'est révélé être un code utile, pratique, qui a
consacré le particularisme de la matière commerciale et qui a
justifié l'autonomie de son enseignement dès le XIX  siècle. Son ème

influence sur les droits étrangers, loin d'être négligeable, a été


observée, certes en Europe, mais aussi dans les pays
francophones, voire dans une moindre mesure, en Asie.
2S'il n'avait pas traité de toutes les institutions et techniques de la
vie des affaires, celles-ci sont apparues progressivement dans les
années suivantes par le vecteur de lois nombreuses et
foisonnantes : bail commercial, fonds de commerce, multitude de
sociétés, réglementation de la concurrence...
 2 B. OPETTIT, “La décodification du droit commercial”, Études offertes à
R. Rodière, 1982, p. 197.

3Le droit commercial s'est développé en dehors du code 2 et a


bousculé les disciplines voisines qu'il a enrichies de ses concepts
et baignées de son esprit, tel le droit civil dont il s'est détaché
mais qu'il a influencé –et réciproquement– à un point tel que leur
unification est envisagée, mais aussi le droit public, le droit du
travail ou encore la jeune discipline du droit de l'environnement
qui cherche la place à donner au commerce équitable. Cette
proximité avec les autres branches du droit n'est pas toujours
simple, témoin la question permanente du rôle de la sanction
pénale pour maîtriser les relations d'affaires.
 3 V. sur ce code : le dossier spécial de la Revue Droit & Patrimoine rédigé
à la suite d'un colloque (...)

 4 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le nouveau code de commerce : une


mystification ?”, D., 2001, p. 361 : (...)
 5 C. ARRIGHI de CASANOVA et O. OUVRELEUR, “La codification par
ordonnances, A propos du Code de comm (...)

4Un tel développement du droit commercial dont on a dit qu'il


était un “droit conquérant” l'avait rendu inaccessible et la
codification entreprise, à l’an 20003 a été la bienvenue malgré les
critiques dont elle avait fait l'objet à l'époque 4. Peu ambitieuse, la
codification “à droit constant”5 a le mérite de la clarté et de la
pédagogie mettant de l'ordre dans ce droit qui se construit en
permanence sous la pression, notamment, de la législation
communautaire, mais aussi sous l'influence des droits étrangers.
Ses plus vieilles assises : la juridiction consulaire, le droit des
faillites devenu droit des entreprises en difficulté sont apparues
étonnamment modernes pour répondre aux besoins de l'évolution
de l'économie.
5Ce n'est d'ailleurs pas le moindre apport de cet ouvrage que de
montrer l'intérêt de l'analyse économique du droit et la pertinence
du droit des affaires français pour servir de vecteur aux échanges
commerciaux. Malgré les turbulences financières internationales,
la France, a-t-on montré, permet d'accueillir les investissements
étrangers.
6Au cœur d'une crise mondiale grave, les banques françaises
semblent mieux résister que bien des établissements anglo-
saxons ;… et si cette solidité était celle du droit commercial
français, droit écrit empreint de sécurité, et plus largement, celle
du droit continental ?
NOTES
1 J. MESTRE, “Bienvenue au Code de commerce”, Dr. & Patr., juill-août
2001, p. 3.

2 B. OPETTIT, “La décodification du droit commercial”, Études offertes


à R. Rodière, 1982, p. 197.
3 V. sur ce code : le dossier spécial de la Revue Droit &
Patrimoine rédigé à la suite d'un colloque organisé par le Centre de
Théorie et de Philosophie du droit et le Centre de Droit des Affaires de
l'université de Toulouse l, Dr. & Patr., juill-août 2001, p. 50.

4 D. BUREAU et N. MOLFESSIS, “Le nouveau code de commerce : une


mystification ?”, D., 2001, p. 361 : F. TERRE et OULIN-ADAM, “Codifier
est un art difficile”, D., 1994, p. 99.

5 C. ARRIGHI de CASANOVA et O. OUVRELEUR, “La codification par


ordonnances, A propos du Code de commerce”, JCP éd. G, 2001, p. 61.

AUTEUR
Corinne Saint-Alary-Houin
Professeur à l’Université de Toulouse
Directrice du Centre de droit des affaires (Faculté de Droit, CDA, UT1)

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