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Simonis Francis. Le processus de décolonisation en Afrique noire au prisme des des administrateurs de la France d'Outre-
mer.. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369, 2e semestre 2010. Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 63-74;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.2010.4489
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4489
Résumé
Résumé : La rapidité du processus de décolonisation a contraint les Administrateurs de la France
d'Outre-Mer à s'adapter à des changements qu'ils n'étaient pas toujours prêts à accepter. Le roman de
Raymond Gauthereau, Survivants, illustre bien la situation à travers l'exemple de l'Oubangui-Chari.
Depuis longtemps déjà, le sort des administrateurs était entre les mains des élus locaux ce qui
apparait clairement dans le cas du Soudan Français (Mali). Pour beaucoup d'Européens, les
gouvernements africains risquaient d'entraîner leurs pays dans un cercle sans fin de violence et de
répression. Ce fut donc le plus souvent avec déception que les administrateurs de la FOM remirent le
pouvoir à leurs successeurs africains dont ils doutaient en général des compétences.
Le processus de décolonisation en Afrique noire
au prisme des mémoires des administrateurs
de la France d' Outre-mer
Francis SIMONIS*
C'était pour les mêmes raisons que Leverrier avait quitté naguère
l'administration, comme il l'expliqua un jour à l'administrateur adjoint
Gallois :
On trouve toujours ses limites dans son propre passé. Moi, ici, j'ai connu
autre chose, d'autres temps. J'ai fait un autre métier que le vôtre, bien qu'il
porte le même nom : administrer. Mais, pour moi, c'était aussi
Ça s'appelait ainsi officiellement. Alors, j'ai compris un jour que ce
n'était plus possible, mais qu'on allait nous obliger longtemps encore à faire
semblant. Qu'on allait, par lâcheté, pour ne pas reconnaître qu'il fallait
3. Ibid., p. 142.
4. Ibid., p. 79.
5. Ibid., p. 79.
6. Ibid., p. 112.
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j. Ibid.,p. 115.
8. Ibid.,p. 116.
9. Ibid.,p. 1 18-119.
10. Ibid., p. 238.
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voulait plus de tel ou tel administrateur pour que celui-ci fût averti
pendant son congé que son retour n'était plus possible. En arrivant au
Tchad en janvier 1959, le haut commissaire Daniel Doustin se dit ainsi
« effaré » par la situation qu'il trouvait *4. Les chefs de districts,
affirmait-il, « continuellement contrés par les partis politiques »,
leur autorité et traversaient une « crise morale indiscutable ».
Les pressions qui s'exerçaient sur les administrateurs étaient de plus
en plus difficiles à supporter. François Fournier rapporte dans ses
mémoires la manière dont il quitta le Soudan français où il
la subdivision centrale de Gao en 1959. À cette date, le chef de
canton de Gabero, sur la rive droite du Niger, avait le tort inacceptable
pour le gouvernement RDA d'être resté fidèle au PSP. Lors d'une visite
à Gao du haut commissaire, le gouverneur général Pierre Messmer, il
lui fut présenté avec les autres notables du cercle. Cela valut à
une sévère algarade du ministre de l'Intérieur Madeira Keita.
La caravane ministérielle partie, il fut décidé que le chef de la
centrale se rendrait dans le canton de Gabero pour y effectuer le
recensement et consulterait par la même occasion les chefs de famille à
l'effet de nommer les chefs de village. Dans l'esprit du ministre, il
s'agissait de mettre en minorité le chef de canton par l'élection de chefs
de village RDA. Les chefs sortants furent pourtant réélus à un
majorité et leurs fonctions furent confirmées par le commandant
de cercle Jean Pinçon qui se trouva aussitôt remis à la disposition du
haut commissaire en avril 1959. François Fournier ne pouvait donc
plus décemment rester au Soudan. Aussi attendit-il de partir en congé
au mois de mai pour se faire affecter au Niger où il rejoignit un de ses
amis qui commandait le cercle de Maradi.
Longtemps, de nombreux administrateurs de la FOM, n'eurent
guère de scrupules à intervenir dans les scrutins qu'ils furent chargés
d'organiser. Du moins y mettaient-ils les formes et prenaient-ils soin
que les abus les plus criants échappassent à toute publicité. Les
de l'Intérieur africains de la Communauté eurent rarement de
telles pudeurs. De plus, si les administrateurs admettaient sans mal
intervenir dans les élections quand ils en percevaient le sens politique
ou l'importance pour la défense des intérêts de la métropole, ils
n'acceptèrent qu'à contrecœur de couvrir les fraudes organisées par les
gouvernements locaux. La visite des bureaux de vote de la subdivision
de Bongouanou effectuée lors des élections du 12 avril 1959 à
législative ivoirienne par l'administrateur Henri Bernard fut à ce
titre édifiante I5. Qu'à Arrah les enveloppes fussent préalablement
et qu'un garde territorial les introduisît lui-même dans une urne
non scellée en en soulevant le couvercle si nécessaire faisait partie des
16. Pour une étude détaillée de l'affaire de Sakoïba, voir Francis Simonis, « Le drame
de Sakoïba. Magistrats et autorités politiques à Ségou (Mali) à la veille de
», Droits et Cultures, n° 30, 1995, p. 231-241.
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Replier le drapeau
les carrières brisées pesaient leur poids d'amertume », note avec raison
Adrien Bramoullé I7.
Il est bien difficile, de nos jours, d'appréhender avec précision la
manière dont se firent les choses qui varièrent considérablement d'un
territoire à l'autre. Les documents d'archivé sont muets sur le sujet, et
les témoignages des administrateurs, sur ce point sensible entre tous,
sont savamment reconstruits. Pour la plupart des administrateurs, il
importe en effet de laisser l'image d'une transition douce qui, quoi que
trop rapide à leur goût, se serait déroulée sans acrimonie. Louis Giard
explique ainsi qu'il passa progressivement ses pouvoirs à un agent
togolais qu'il connaissait bien « sans la moindre rancœur, comme un
passage de témoin dans une course de relais l8 ». Cette vision lénifiante
de la décolonisation laisse perplexe. Il semble en réalité que la situation
fut souvent bien plus compliquée.
Cette impression se dégage nettement des témoignages recueillis
auprès d'administrateurs qui servirent au Soudan. Certains, comme
Jean-Claude Bouchet, firent volontairement le choix d'accompagner le
processus en cours :
J'avais spécialement demandé une affectation dans la République soudanaise,
considérée alors comme le territoire le plus avancé, avec Modibo Keita, dans le
processus vers l'indépendance, mouvement que, à la différence de nombre de
mes collègues plus anciens qui le subissaient dans la nostalgie après l'avoir
longtemps combattu, j'étais de ceux qui le jugeaient logique et légitime, et qui
souhaitaient l'accompagner, sans avoir toutefois prévu qu'il serait si rapide I9.
17. Adrien Bramoullé, Pavane pour une Afrique défunte, non publié. Académie des
sciences d'outre-mer, p. 302.
18. Louis Giard cité in Jean Clauzel, op. cit., p. 261.
19. Jean Claude Bouchet. Lettre à l'auteur, 2 avril 2004.
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François Fournier, qui servit lui aussi au Soudan, estime ainsi que les
Soudanais s'apprêtaient à chausser leurs « bottes avec enthousiasme et
inconscience » 22. Le regard qu'il porte aujourd'hui sur la situation
d'alors provoque chez le lecteur une sensation de malaise qui en dit long
sur l'état d'esprit qui devait être le sien à la veille des indépendances :
II leur semblait que tout serait facile puisque nous administrions le pays sans
problème majeur de commandement, dans la paix et la sérénité.
Ils ne se rendaient pas compte que si tout fonctionnait dans le calme, c'était
en fait parce que nos anciens avaient tenu le pays en main avec une certaine
rudesse, au besoin par la chicote, et que nous-mêmes avions bénéficié de cet
état, en roue libre, et en continuant d'ailleurs de pédaler par un contact de
tous les instants avec la population.
Ils ont cru qu'il suffirait de s'installer dans nos bureaux et nos résidences
(récemment climatisées), pour mener la belle vie !
Les nouvelles élites, je parle des commis administratifs ou des instituteurs
promus administrateurs, vivant cependant à nos côtés, ne comprenaient pas
que le travail devait précéder le plaisir.
Les ministres de leur côté étaient dans le même esprit, dans les apparences
trompeuses du pouvoir, et l'isolement des ambitions tribales 23.
II semble donc que ce fut le plus souvent avec déception que les
de la FOM remirent le pouvoir à leurs successeurs africains et
malgaches dont ils doutaient en général des compétences. De même
virent-ils avec émotion descendre pour la dernière fois le drapeau
national lors de l'accession à l'indépendance du territoire où ils
Alors en poste à Madagascar, Jacques Ferret, pour sa part, avoue
sans honte qu'il pleura ce jour-là, la main droite collée à la casquette 25.
Ce métier, et c'était vrai même des plus jeunes d'entre eux, ils en
rêvèrent au temps de l'Empire, de « la France de cent millions
» et de la colonisation triomphante pour l'exercer en un temps où
ce qui passait naguère pour l'aventure coloniale n'était plus perçu que
comme un colonialisme oppresseur et dépassé. Eux qui se rêvaient
colonisateurs furent donc chargés de ramener le drapeau national de
territoires qui accédaient à l'indépendance. On ne saurait dire qu'ils le
firent avec enthousiasme :
La décolonisation n'était en rien au programme des études [à l'ENFOM] .
Après les événements de 39-45, nous étions impatients d'assurer la relève, ce
qui était plutôt une forme de recolonisation. Nos autorités ignoraient le mot,
la doctrine était issue de la Conférence de Brazzaville. Je dois dire qu'il fallait
à nos gouvernants une vraie dose de cécité et d'imprévoyance pour - en 1948
- nous faire prêter serment, genou à terre, de « consacrer notre vie au service
de l'Empire, pour la grandeur de la France et de la Civilisation ».
Nous n'étions pas formés pour décoloniser et ce n'était sûrement pas notre
idéal. Même s'il est évident que nous avons mis en place des réformes
25. Jacques Ferret, Les cendres du Manengouba, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 264.
26. Jean Claude Bouchet. Lettre à l'auteur, 2 avril 2004.
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