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ETUDES TRADITIONNELLES Juillet 1946 No asa 47 Année i LA .CHAINE DES MONDES lee dit dans la Bhagavad-Gitd : « Sur Moi toutes choses (x) sont enfilées comme un rang de perles sur un fil» (2). Il s'agit ici du symbolisme du sdérdtmd, dont nous avons déja parlé en d'autres occasions : c'est Ald qui, comme un fil (sitira), péntire et relie entre eux tous les mondes, en méme tenips qu’il est aussi le « souffle » qui, sui- vant d'autres textes, les soutient et les fait subsister, et sans lequel ils ne pourraient avoir aucune réalité ni cxister en ancune fagon. Nous parlons ici des mondes en nous plagant au point de vue macrocosmique, mais il doit étre bien en- tendu qu’on pourrait tout aussi bien cavisager de méme, au point de vue microcosmique, les états de manifestation d’un étre, et que le symbolisme serait exactement le méme dans Vune et l'autre de ces deux applications. , Chaque monde, ou chaque. état d’existence, peut étre représonté par une sphere que le fil traverse diamétralement, de fagon 4 constituer axe qui jéint les deux péles de cette sphere ; on voit ainsi que l’axe de ce moride n’est a propre~ ment parler qu’uhie portion de axe méme de la manifesta- tion universelle tout entire, et c'est par IA qu'est établie la continuité effective de tous les états qui sont inclus dans 4, Saroam idam, * co tout » cest--dize la totalité de 1a manifestation, fomprenant tous ies mondes; et non pas seulement * tout ce qui est en ce ‘monde , comme i est dit dats une traduotion publige'récemment * «'aprde ‘Shel Aurobindo »- 2. Ghagavad-Glea, VI, 7. ” 250 ‘roves TRADIMIONNELLES cette manifestation. Avant d’aller plus loin dans Yexamer de ce symbolise, nous devons dissiper tout d’abord une assez facheuse confusion an sujet de ce qui, dans une telle représentation, doit étre considéré comme le « haut » et le bas»; dans le domaine des apparenges « physiques », si Yon part d’un point quelconque de la surface d'une sphére, le bas Y est toujours la direction allant vers le centre de cette sphére ; mais on a remarqué.que cette direction ne s‘arréte pas au centre, qu'elle se continue de 1A vers Je point opposé de la surface, puis au dela de la sphére elle-méme, et on a ca pouvoir dire que la descente devait se poursuivre de méme, d’oh on a vould Conclure qu'il n'y aurait pas seulement une « descente vers la matidze », cest-A-dire, en ce qui concerne notre monde, vers ce qu'il ya de plus grossior dans Vordre corporel, mais aussi une « descente vers lesprit » (2), si bien que, sil fallait admettre une telle conception, lesprit aurait Yui-méme un aspect « maléfique ». En réalité, les choses doivent étre envisagées d’tme tout autre fagon : c'est le centre qui, dans une {elle figuration, est Je point le plus as (2), et, au deli de celui-ci, on ne peut que remonter, comme Dante remonta de I'Enfer encontinuant & suivre la méme direction suivant laquelle sa descente s’était effectuée tout d'abord, ou du moins ce qui paratt géométriquement étre la méme direction (3), puisque la montagne du Paradis tomrestre est située, dans son symbolisme spatial, aux anti- podés de Jérusalem (4). Du reste, il suffit de réfléchir un ins~ 1. ,¥. Fool, he Parable di Mondeo, 11L-- Ubu qu'on falt trop ‘pleltuel , set ecrtainement pour Grice; mais it auralt Justement falle ddnoacer ra Vecoupter ot d'en tirer tinsi dos conséquenses and fl y a Hien d'opérer une gure poar taire Cappltcation du * wane inyerae w ‘qui est ¢failloars celai gui cerrespoad tu véritable rBle du centrs comme ou, plus préchément ‘sitestion ext parsourde. “vols Llsetdeame de Dance, pp: @B 1 LA cHAINE DES MoNDES 25r tant pour se rendre compte qu’autrement Ja représentation sno saurait tre cohérente, car elle ne s’ascorderait nullement avec le symbolisme de la pesantenr, dont Ja considération est particuligrement importante ici, et, en outre, comment ce qui cst le bas pour un point de la sphére pourrait-il btre en méme temps T haut pour le point diamétralement opposé & celaia, et comment les choses se seraient-elles présentées sil’on était au contraire parti de ce demier point (x) ? Ce qui est vrai seulement, c'est que Ie point d’arrét de la descente ne se situe pas dans Vordre corporel, car ily a trés réellement del’ « infra-corporel » dans les prolongements de notre monde ; mais cet-« infra-corporel », c'est le démaine psy- chique inférieur, qui non seulement ne saurait étre assimilé A quoi que ce soit de spirituel, mais qui est méme précisé- ment ce qu'il y a de plus éloigné de toute spiritualité, a tel point qu'il paraitrait en quelque sorte en étre le contraire a tous les égards, si toutefois il était permis de dire que l'esprit a un contraire ; la confusion que nous vonons de signaler n'est done pas autre chose, en définitive, qu'un cas particu- On pourrait seulement objecter & ce que nous venons de dire que, par I méme que les états de V’existence manifestée sont hiérarchisés, c’est-a-dire qu'il y a parmi oux des états supérieurs et des états inférieurs tes uns par rapport aux autres, il ya aussi, sur le « fil» méme qui les unit, une direc tion allant vers le haitt et une direction opposte allant vers le bas, Cela est vrai en un certain sens, mais encore faut-il ajou- ement % 06 qus dit aussi dena te rndine passage Yavtour que nous venous de eter, il ne peut y avelr a? «lls sion spiriiuelle y ;2a peur constente (et, fl fant bien le dire, trop souvent justiade dang ane cartaina mes) trompés par Jo domaine psychigue, ne peut stor prise directement qua is domaine corporel, et fout ee qui Kea pore!) ul ‘quent Ia plapart des mystiques etre nttement quills ne dépassent pas le lute (et partient réalientent d Tordre spiti= 252 ETUDES TRADITIONNELLES, ter, tout d'abord, que cette distinction n’aflecte aucunement le sdivdima, qui est partout et toujours identique & lui méme, quelle que soit Ja nature ou la qualité des états qu'il pénttre et soutient ; ensuite, ceci concerno L'enchatnement miéme des mondes, et non.chacun de ces mondies pris & part ‘et considéré isolément des autres. En fait, un quelconque de ces mondes,.dans toute extension dont il est susceptible, ne constitne qu’an élément infinitésimal dans ensemble de la manifestation universelle, degorte qu'on devrait, en toute rigueur, regarder sa représentation comme se réduisant & um point f on pourrait aussi, on appliquant le symbolisine g60- métrique du sens vertical et du sens horizontal, figurer les mondes par une série indéfinie de disques horizontaux enfi- és sur un axe vertical (r) ; de toute fagon, on voit ainsi que, . dans les limites de chaque monde, axe ne peut véritable- ment étre atteint qu’en un soul point, et que, par suite, ce n'est qu’en sortant de ces limites qu’on peut envisager sur Vaxe un haut et un bas, ou tne direction ascendanto et une direction descendant, Nous pouvons ajouter encore une autre remarque : V'axe dont il s/agit est assimilable, suivant un autre symbolisme dont nous avons déja parlé, au «septigme rayon » da Soleil ; siT‘on représente un monde par une spihtre, il ne deyrait done tre en réalité aucun des diamdtres de cette sphére, ear, st Yon envisage les trois diamétres rectangulaires qui forment Is axes d'un systéme de coordonnées 8 trois dimensions, les six directions opposses deux & deux qu'ils déterminent ne, sont que les six autres rayons dit Soleil; le «soptidme rayon » devrait leur @tre parpendiculaire A tous également, car Iai seul, on tant qu’axe de la miinifestation universella, est ¢ qu’on pourrait appeler la verticale absdiuc, par rapport & Taquelle tes axes de coordonnées du monde considléré sont tous relativement horizontaux. Il est évident que ceci n'est, continnits Giant ‘itforents état LA CHAINE DES MONDES 253 pas représentable géométriquement (z), ce qui montre que toute représentation est forcément inadéquate ; da moins, le « septidme rayon » ne peut étre représenté réellenient que par un seul point, qui coincide avec Je centre méme de la ‘sphare ; et céci indique encore que, pour tout étre qui est enfermé dans Jes limites d’un certain monde, c'est-a-dire dans les conditions spéciales d’un certain état d’existence Aéterminée, Vaxe luisméme est véritablement « invisible », et seul peut en étre peren le point qui cst sa « trace » dans ce monde, I] va de soi, d’ailleurs, que cette demitre observa~ tion, nécessaire pour que le symbolisme do l'axe et de ses rap~ ports avec les mondes qu'il relic’ entre eux puisse tre congu: d'une fazon aussi compléte que possible, .n’empéche nulle~ mont que, cn fait, la 4 chatne des mondes » soit représentéo Je plus habituellement, ainsi que nous l'avons dit en premier lieu, par une série de sphéres (2) enfilées & la facon dés perles. dun collier (3) ; et, & vrai dire, il ne serait guére possible d’en. Gonner autrement une figuration sensible, Ce qu'il importe de remarquer encore, c'est que la «chatne » ne peut tre parcourue en réalité que dans un geul sens, cor- respondant ce que nous avons appelé la direction ascen- dante de l'axe ; ceci est particuliérement net lorsqu’on fait. usage d'un symbolisme temporel, assimilant les mondes ow les états d'existence & des cycles successifs, de telle sorte que, par rapport-4 un état donné, les cycles gntérieurs repré~ sentent les états inférieurs et les cycles postérieurs les états. supéxieurs, ce qui implique que lour enchatnement doit étre: 4. Certain poarraiont dre tontés de fale Interenic ict * quatre: Almonston», mais oolloel ele-aidte rest pas representable, parce quelie sea asl que cnstnetonsigdbrigus exrimer oa ngage gesme- ave 2 Dans oartain oat, oex sphiren zont remplaotes par den randel tovées en leur centre Set qui correspondent " ue conetdéres bvironteux pat eapport bTaxe, dont nous « On peut du rest AYorigine. nidtre pas: pulsade aor neue Sbjct ablae carastare simplement * écored y 0 * oraementa Jenate que le résulcat done oertaine aégenérescence eatralnant un prekexalon Gu poist ae vue treditonael, AV'heore 0 Tuma, 19 M0028 wr 254 TUDES TRADITIONNELLES congu comme irréversible. D'ailleurs, cette irréversibilité est également ispliquée dans la conception de ce méme ‘enchatnement comme ayant un caractére proprement « cau~ sal », bien que celle-ci suppose essentiellement ta simulta~ ‘néité et non plus la succession, car, dans un rapport entre ‘cause et effet, les deux termes ne peuvent jamais étre inter- vertis ; et, au fond, cetté notion d'un enchatnement causal constitue le véritable sens de ce qui est traduit symbolique- ‘ment par les apparences d’une succession cyclique, le point de yue de la simultangité répondant toujours un ordre de réalité plus profond que celui de la succession, La«chatue des mondes » est gén¢ralement figure sous une forme circulaire (1), car, si chaque monde est considéré ‘comme un cycle, et symbolisé comme tel par unc figure cir- culaire ou sphérique, la manifestation tout entiére, qui est ensemble de tous les mondes, apparattra elle-méme en quelque sorte comme un « eyele des cycles », Ainsi, non seale- ment la chatne pourra étre parcourue d’une fagon continue depuis son origine jusqu’d sa fin, mais elle pourra ensuite Vétre de nouveau, et toujours dans le méme sens, ce qui cor~ respond d'ailleurs, dans le déploiement de la manifestation, 4 un autre niveau que celui oi: se situe le simple passage d'un monde & un autre (2) ; et, comme ce parcours peut étre pour- suivi indéfiniment, l'indéfinité de la manifestation elle-méme est exprimée par la d’ane fason plus sensible encore. Cepen- dant, il est essentiel d’ajouter que, si la chatne se ferme (3), 1, cote forme Ae représente,c indstine, il ext a vent Rls * verticalité, de I'axe ou da fl gut ortions, A une droite qul est domeined'existencs eons- situé par Ie moade qs “46ia Ait plus heut, quan 6165 ion, puisque ‘celle-si compread névessairemoent une mualtide indéfints de telx mondes. ermen de Ia tradition hindowe, co passage dun monde 8 um . ct le passage par Te poiat ol laa oxtrGmitée de Ie est an miabé-pralaya : eee pourrait e’aillours applique ‘ursi goalogiquement, Xun degré plus partieularse, Joa moades par rapport Ia totals de le mauitestation, tain monde pac Vavons méme monde, 4. Penbitre seraitell plus exact on un woos de dire quelle pareit se fermen, ‘our Ovllor da Talaner eupporer aun nouvaas parconty de eette «laine LA CHAINE DES NONDES 255 le point méme ot elle se ferme n'est aucunement compa- rable 4 ses autres points, car il n'appartient pas a la série des états manifestés ; Yorigine et la fin se rejoignent et coln- cident, ou plutot elles ne sont en céalité qu'une seule et méme chose, mais il ne peut en étre ainsi que parce qu’elles se situent, non point & un niveau quelconque de la manifesta- tion, mais au dela de celle-ci et dans le, Principe méme (1). (A suivze,) Reni Guéxon. Pula nites quate wore de r6p6titon du pavers peéatdent, ce qu ext Sn» moi; mala, ea un autre aot ou sous ua ante pron: & ‘erme blenctallement, co que 2 iat de yuo de ix matifestatony te le Yue prinelplel (et non plus au -nGosuvalremoat id 1p pourra se reporter flee qu sous avons at dans notre pe article ag sujet dela jonction des extr3mos. i LE CUR RAYONNANT ET LE CRUR ENFLAMMB ny parlant, dans notre demisr article, des représentations du Soleil avec des rayons altemnativement rectilignes -¢t ondulés, nous avons signalé que ces deux sortes de rayons se retronvent aussi, d'une fagon toute semblable, dans cer- taines figurations symboliques du cceur ; un des exemples les plus intéressants qu’on paissé én donner est celui du cocur figuré sur un petit bas-relief,de marbre noir, datant appa- remment du xvi¢ sitele et provenant de la Chartreuse de Saint-Denis @Orques, qui a 66 étudié autrefois par M. L. Charbonneau-Lassay (1). Ce coeur rayonnant est placé au centre de deux cercles sur lesquels se trouvent respective: ment les planétes et les signes du Zodiaque, ce qui le caracté= rise expressément comme le «Centre du Monde x, sous le double rapport du symbolisme spatial et du symbolisme temporel (2) ; cette figuration est évidemment « solaire », mais, d’ailleurs, le fait que le Soleil, entendu au sens « phy- sique », se trouve Iui-méme placé sur le cercle planétaire, ainsi qu'il doit Yétre normalement dans le symbolisme astro- logique, montre bien qu'il s‘agit proprement ici du « Soleil spiritnel ». {, Le Marte astrononieue de Saint-Denis @Orguse dane Regnatit,» eerie Bal hiyaa dee guration, autres détails gui ont un arand incest au point do voe syrbotique «dina, adlament, le war porte the bene da monn on grate apperemnewniiare dune ‘a torme d'un tod bebraleue, co quiee réfbre A in foin aT « ne rasltan mu * centre » que celul-ch ‘Gul et marifentement le jane vole porn su Flataton, eh. XLVI). ‘eas isi) ou ax sens microco UR RAYONNANT ET COKUR ENFLAMME 28 Test & peine besoin de rappeler que l'assimilation du So- \eil et du cccur, en tant que l'un ct autre ont également une signification « centrale », est commume & toutes les doctrines traditionnelles, en Occident aussi bien qu’en Orient ; c'est ainsi, par exemple, que Proclus dit en s'adressant au Soleil = « Occupant au-dessus de W’éther le trOne du milieu, et ayant pour figure tm cercle éblouissant qui est le Coeur du Monde, tu remplis tout d'une providence & méme de réveiller l'intelli- gence » (r), Nons citons plus particuliérement ce texte ici, de préférence & bien d'autres, en raison de Ja mention for- melle gui y est faite de Vintelligence ; et, comme nous avons eu souvent occasion de V'expliquer, le cacur est considéré aussi avant tout, dans toutes les traditions, comme le siége de Vintelligence (2). D’ailleurs, selon Macrobe, «le nom d’In- telligence du Monde que Yon donne au Soleil xépond & celui de Caeur du Ciel (3) ; source de la lumitre éthérée, Je Soleil est pour ce fluide ce que le coeur est pour I’étre animé » (4) + et Plutarque écrit que le Soleil, « ayant Ja force d'un coeur, disperse et répand de Iui-méme le chaleur et la lumigre, ‘comme si c’était le sang et Je souffle » (5). Nous retrouvons” dans ce dernier passage, tant pour le cceur que pour le Soleil, Vindication de Ja chaleur et de la lumiéro, correspondant aux deux sortes de rayons que nous avons envisagés ; si le \ soufile » y est rapporté & la lumniere, c'est qu'il est propre- snent Je symbole de Leesprit, qui est essentiellement la méme chose que l'intelligence ; quant au song, il est évidemmerit le véhicule de la ¢ chaleur animatrice », ce qui se rétére plus spé- 1, tyrane au Soleil, traduction Mario Meunier, Ven est qu’sn simple refiet dans Vordre Individael, t gut ery, ll stant alors par ropact au Saat daas eee mal, ene ds ¢e que la Lane est por repport au Soleil dans le monde. 4 Golteexpressiod co ~ Cast cu Clg appuquée Selelicen rtrouye ‘veel dans les anolenses (raditions de Amérique centrale 4 Sange de Seipion. t, 20. 5. Dea face que Fon vole dans te eercle de la Lunt, 154. — Co texts et le ‘précedeat sont allée en aote par Je traducteur & propos éu passage de Proelus que nous yenoas de reptodaire, 1% 282 ETUDES TRADITIONNELLES cialement au rOle «vital» du principe central de fétre (2). Dans certains cas, en ce qui concerne le coer, Ia figuration. ne comporte qu'un seul des deux aspects ds Iumiere et de chelenr : Ja Inmire est naturellement représentée par un, rayonnement du type ordinaire, c’est-A-dire formé unique~ ment de rayons rectilignes ;quant la chaleur, elle est repré~ sentée le plus habituellement par des flames sortant du ccour. On pent @ailleurs remarquer que Je rayonnement, méme quand les deux aspects y sont réunis, parait suggérer, d'une fagon générale, une prépondérance reconnue 4 l'aspect Jumineux ; cette interprétation est confirmée par le fait que Jes représentations du coeur rayonnant, avec ou sans Is dis- tinction de deux sortes de rayons, sont les plas anciennes, datant pour la plupart d’époques ot intelligence était encore rapportée traditionnellement ai covur, tandis que celles du ‘cceur enflammé se sont répandues surtout avec les idées mo~ demes réduisant le ccear 8 ne plus correspondre qu'aa senti- ment (2). On ne suit que trop, en effet, qu’on en est arrivé a ‘ne-plus donner aucceur d/autre signification que celle-la, et oublier entidrement sa relation avec Vintelligence ; Vorigine de cette déviation est dailleurs sans douse imputable pour une grande part au ationalisme, en tant qe celui-ci prétend. identifier purement et simplement l'intelligence a la raison, car ce nest point avec cette demiére que le cceur est en rap~ port, mais bien avec intellect transcendant, qui précis ment est ignoré ct méme nié par le rationalisme, Il est vrai, d’autre part, que, dis lors que le cteur est considéré comme 1. Aristote assimite tn vie organigna & la chaleur, en quol tl est daccord reneattes luLanfme piace dare Je eau an" | pot Tut que ls pri ye théorlS Dphysiotonigae exclusivement * mécanlete, comme voute ma physique, e qu ‘hlen enteady, ca rien dr commun avec le point de vue traditionnel des anctens. rest remarquible, & cet 6zard, que, Julie, lee pli unoiennen figarations conn ‘du cwur rayonnant, Eandla que, dans celle la. evest Te owur enflemmé ai! Contra dung acon constante ot & pou pris exclusive: lly 1 1un ecomple- ‘assez signfeatt de Vofluence exerese par les conceptions modernesjusqae aan Te domaine religieux GMRUR RAYONNANT ET CUR ENFLAMM = 283, le centre de I'étre, toutes les modalités de celui-ci peuvent en un certain sens lui étre rapportées au moins indirecte- ment, y compris le sentiment, ou ce que 1s psychologaes appellent 1' « affectivité » ; mais il n'y en a pas moins Hew dobserver en cela les relations higrarchiques, et de mainte- nit que Vintellect seul est véritablement ¢ central », tandis que toutes les autres modalités n‘ont qu'un caractére plus 03 moins,« périphérique », Seulement, Vintuition intelloctuelle qui réside dans le coeur étant méconnue (1), et 1a raison qui réside dans le ceryeau ayant ausarpé son réle « illumina~ tear » (2), il ne restait plus au cxur que Ia seule possibilité d'etre regardé comme le sitge de Laffectivité (3) ; d’ailleurs, Je monde moderne devait aussi voir naitre, comme une sorte de contrepartie du rationalisme, ce qu'on peut appeler le sentimentalisme, c'est-2-dire la tendance & voir dans le sen~ timent ce qu'il y a de plus profond et do plus élevé dans Yétre, & affirmer sa suprématie sur Yintelligence ; et il est bien évident qu'une tolle chose, comme tout ce qui n'est en réalité qu’exaltation de I’ « infra-rationnel » sous une forme ou sous une autre, n'a pu se prodisire que parce que l'intelli~ gence avait été tout d’abord réduite a la seule raison. Meintenant, si Yon veut, en dehors de la déviation mo~ derne dont nons venons de parler, établir, dans des limites légitimes, un certain rapport du cceur avec V’affectivité, on devra regarder ce rapport comme résultant directement de Ja considération du coeur comme « centre vital »et sidge de la « chaleur animatrice », vie et affectivité étant deux choses tr’s proches I'une de l'eutre, sinon méme tout A fait con~ nexes, tandis que le rapport avec Tintelligence est évidem- ment d'un tout autre ordre, Du reste, cette étroite relation 1, Cest cette tatultfon intellectuelle. qui Yat du coeur, 2. Cl. ce que nous avons ait allle st symbollaée proprement par yur le gens rationallste dooné a fea Allemagne, et sur Mnittation, ch. XE). 3, Crest inal que Pascal, contemporain des abbute da rationsiisme pro- prement ok, entend déji le * cour, su sens exclusif de" eentinent ». 284 ETUDES TRADITIONNELLES de la vie et de Vaffectiyité est nettement exprimée par le symbolisme luiméme, puisque Vune et l'autre y'sont égale- ment représentées sous V'aspect de la chaleur (1) ; ct c’est en vertu de cette méme assimilation, mais faite alors d'une fagon assez. peu consciente, que, dans le langage ordinaire, on parle couramment de la chaleur di sentiment ou de Vaffec- tion (2). Il faut aussi remarquer, & ce propos, que, quand le feu se polarise en ces deux aspects complémentaires qui sont Ja jumitre et Ja chaleur, ceux-ci sont pour ainsi dire, dans leur manifestation, en raison,inverse I'un de l'autre ; et Yon sait que, méme au simple point de vuc de Ja physique, une ‘flamme est en effet d’autant plus chande qu'elle est moins Eclairante. De méme, le sentiment n'est véritablement ‘qu'une chaleur sans lumiére (3), et Yon peat aussi trouver dans Phomme une lumiére sans chaleur, celle de la raison, qui in’est qu'une lumiére réfléchie, froide comme la lumigre In- naire qui la symbolise, Dans ordre des principes, au con traire, les dewx aspects, comme tous les complémentaires, se rejoignent et s'unissent indissolublement, puisqu’ils sont constitutifs d’ime méme nature essentielle ; il en est donc ainsi en ce qui conceme V'intelligence pure, qui appartient proprement A cet. ordre principiel, et ceci confirme encore que, comme nous Vindiquions précédemment, le rayonne- ment symbolique sous sa double forme peut lui étre rapporté intégralement, Le feu qui réside au centre de I'étre est bien & a fois lumigre et chaleur ; mais, sil'on veut traduire ces deux termes respectivement par intelligence et amour, bien qn'ils ne soient au fond que deux aspects inséparables d'une seule et méme chose, il faudra, pour que cette traduction soit acceptable et légitime, ajouter que Vamout dont il s'agit dlors lars soa acception Ie vio entay contaire ‘notamment anasbut 30 Tigvampte ge esint Jean (Ch Apereas sur Ciniiation, che KLVIO. 2. Casztos modectes, te car entlatmé est dslieare pris sez ordinal: roment goar-reprinentor Tamote, koe lament en un eens relizius, fans anel au sone parerent husainjeufte Teposneatation iat toat fait ‘ourante sartout at v0 '3. Creat pourguol les aceiens reprtsentaieat 'etour comune L. th eagit los iterate, et sugle. c@UR RAY ANT BT CBDR ENFLAMIE 285 différe tout autant du sentiment auquel on donne Je méme nom que I'intelligence pure différe de la raison, On peut facilement comprendre, en effet, que certains termes empruntés A l'affectivité soient, aussi bien que autres, susceptible: d’étre transposés analogiquement dans un ordre supérieur, car toutes choses ont effectivement, ouire leur sens immédiat et littéral, une valeur de symboles par rapport des réalités plus profondes ; et il én est mani~ festement ainsi, en perticulier, toutes les fois que, dans les doctrines traditionnelles, il est question de I'Amour. Chez les mystiques eux-mémes, malgré certaines confusions inévi- tables, le langage affectif apparaft surtout comme un mode d'expression symbolique, car, quelle que soit chez eux la part incontestable du sentiment au sens ordinaire de ce mot, il est pourtant inadmissible, quoi qu’en puissent prétendre Jes psychologues modernes, qu'il n’y ait 1A rien d’autre que des émotions et des afiections purement humains rappor- tées telles quelles & um objet supra-humain. Cependant, la. transposition devient encore beaucoup plus évidente lors- qu’on constate que les applications traditionnelles de Vidée de J’Amour ne sont pas bornées.an domaine exotérique et surtout religieux, mais qu’plles s'étendent également au domaine ésotérique et initiatique ; il en est ainsi notamment dans de nombreuses branches ou écoles de 1'ésotérisme isla~ migue, et il en est de migme dans certaines doctrines du moyen Age occidental, notamment les traditions propres aux Ordres de chevalerie (1), et aussi la doctrine initiatique, ailleurs connexe, qui a trouvé son expression chez Dante ct les « Fidales d’ Amour », Nous ajouterons que la distinction de VIntolligence et de !'Amour, ainsi ontendne, a sa corres pondance dans la tradition hindoue avec la distinction de Indna-mérga et. Bhakti-marga + Vallusion que nous venons £, Ongalt que la bate e ons traditions était YEvangile de saint Jean: *Diew est Amavr , Ht saint Foun, o€ aul ne ps wrément 9° ‘ombrendre que parla transposition dant nows perlons lel, et le ert de guerre: des Templiers était» Vive Dieu Saint Amour ,, 286 ETUDES TRADITIONNELLES de faite aux Ordres de chevalerie indique d’ailleurs que la voie de l'Amour est plus particnligrement appropriée aux Kshatriyas, tandis que la voie de I'Intelligence ou de la Con- ‘naissance est naturellement celle qui convient surtout aux Brahmanes ; mais, en définitive, il ne s'agit 1a que d’une diffé- ence qui porte seulement sur la fagon d’envisager le Prin- -cipe, en conformité avec la différence méme des natures indi- ‘viduelles, et qui ne saurait aucunement affecter Vindivisible tunité du Principe lui-méme. René Guitvon.

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