HISTOIRE DE ROME
Devenu César, Gallus montra sa cruauté et on voyait que la force seule lui
manquait pour s'attaquer à l'empereur Constance. Il était poussé par sa
femme, sœur de celui-ci. L'âge ne fit que développer chez eux le goût du
mal. Des accusations de magie ou d'aspiration au trône frappaient des
innocents. La belle-mère de Clémace, un notable d'Alexandrie, éprise de lui
mais repoussée, obtint de la reine, contre un collier, un ordre d'exécution. Et
Clémace, à qui on n'avait rien à reprocher, fut mis à mort. Sur un soupçon,
les condamnations se multipliaient. Ce que César voulait était tenu pour légal
et l'exécution suivait de près la sentence. Des misérables allaient et venaient
dans Antioche, pénétrant dans les maisons riches sous prétexte d'obtenir une
aumône. Ensuite ils faisaient leur rapport. Gallus parcourait même les
tavernes le soir avec quelques gardes, demandant à chacun ce qu'on pensait
de César.
D'autres malheurs touchaient l'Orient. Les Isauriens se lancèrent dans une
véritable agression. Ils prétextèrent le sentiment national outragé, des
prisonniers isauriens ayant été livrés aux bêtes. Quittant leurs montagnes, ils
s'abattirent sur la côte. Ils guettaient les navires de commerce. Quand les
marins dormaient, ils montaient à bord, ne faisaient pas de quartier et
prenaient tout. Dès lors les navires évitèrent la côte d'Isaurie. Les Isauriens
se jetèrent alors sur la Lycaonie. Au début les nôtres, inférieurs en nombre,
eurent le dessous. Finalement on évita le combat tant que l'ennemi était sur
les hauteurs pour tomber dessus dès qu'il était en rase campagne. Des partis
d'Isauriens furent ainsi taillés en pièces. Ces brigands se dirigèrent vers la
Pamphilie. Ils durent s'arrêter au bord du fleuve Mélas, qui fait la frontière, et
virent qu'on ne pouvait le franchir à la nage. Ils fabriquèrent des radeaux
mais nos légions anéantirent tous ceux qui traversèrent. Les Isauriens se
tournèrent vers Laranda mais un détachement de cavalerie les en chassa. La
faim les mena devant Paléa, sur la côte, mais, comme ils n'avaient aucun
moyen d'en faire le siège, ils repartirent saccager Séleucie. Le comte
Castrice s'y trouvait avec trois légions. Il trouva absurde de se battre quand il
avait l'abri de fortes murailles. Mais l'abondance régnait chez les Isauriens
qui s'étaient emparés des bateaux d'approvisionnement tandis qu'en ville on
était menacé de famine. Gallus l'apprit et ordonna à Nébride, comte d'Orient,
de dégager la place. Les Isauriens regagnèrent alors leurs montagnes.
Le roi de Perse était en guerre contre des peuples lointains mais un de ses
officiers, nommé Nohodarès, surveillait la Mésopotamie. Il s'embusqua non
loin de Batné, grand centre de commerce qui, chaque année en septembre,
attirait une foule de marchands. C'est ce moment qu'il envisageait pour un
coup de main. Mais sa présence fut révélée par des déserteurs. Par ailleurs
les Sarrasins se montraient ici ou là, pillant tout ce qu'ils trouvaient. Ce
peuple est répandu de l'Assyrie aux cataractes du Nil et aux confins du pays
des Blemmyes. Ce sont des guerriers nomades. Ils ne cultivent pas la terre et
errent dans de vastes solitudes, sans foyer et sans loi. Le mariage chez eux
n'est qu'un contrat de location. L'épouse apporte en dot une lance et une
tente à son mari, prête à le quitter au moindre signe. Une femme se marie en
un lieu, accouche dans un autre et élève ses enfants ailleurs. Ils se
nourrissent de gibier, du lait de leurs bêtes et d'herbes. Ils ignorent l'usage du
pain et du vin. C'est une nation dangereuse.
Pendant ce temps l'empereur Constance, qui passait l'hiver à Arles,
célébrait sa trentième année de règne. Son goût pour la tyrannie lui faisait
écouter toute accusation, même douteuse. Un nom avait été prononcé, c'était
assez pour un arrêt de mort ou d'exil. Ce penchant était renforcé par les
flatteurs, en particulier par Paul. Cet Espagnol avait été envoyé en Bretagne
pour arrêter des officiers signalés comme ayant été du parti de Magnence.
Cela prit une ampleur inouïe. Martin, qui administrait ces provinces, intercéda
en faveur des victimes et menaça de démissionner. Paul, craignant que son
influence n'en souffre, le compromit et Martin se tua. Ainsi un honnête
homme mourut en voulant sauver des milliers d'infortunés. Paul revint auprès
de l'empereur avec une foule de captifs. Certains furent exilés, d'autres
exécutés. A cette époque Orfite, homme habile mais inculte, était préfet de
Rome. Il y eut des révoltes causées par le manque de vin.
La tyrannie de César passa bientôt toute mesure. Il voulut faire exécuter
des notables d'Antioche qui avaient mal répondu à l'agent du fisc. Pas un n'y
aurait échappé sans la résistance du comte Honorat. La cruauté du prince se
voyait à sa passion pour les spectacles violents comme les combats de
ceste. Cette tendance s'accentua à l'annonce d'un complot ourdi par des
soldats. L'aveu venait d'une femme du peuple qui fut comblée de présents
pour encourager les dénonciations. Gallus partait pour Hiérapolis quand la
population d'Antioche implora son aide contre la famine. Il ne fit rien mais
offrit Théophile en sacrifice à la foule, répétant que les vivres ne manquaient
que si le gouverneur le voulait bien. Le gouverneur fut massacré. Au même
moment Sérénien, accusé de lèse-majesté, obtenait on ne sait comment son
pardon. Un de ses gens était allé sur son ordre à un temple où on prédisait
l'avenir et avait demandé si son maître obtiendrait l'empire.
Constance, sachant cela, continua à se montrer aimable avec Gallus mais
commença à lui retirer les forces dont il disposait. Il envoya aussi le préfet
Domitien en Syrie lui rappeler son invitation à venir le voir. Domitien, à
Antioche, ne se présenta pas à César comme l'exigeait l'étiquette et resta
plusieurs jours enfermé au prétoire. A la fin, sommé par le prince de paraître
devant lui, il lui ordonna de partir en le menaçant de supprimer ce qui lui était
alloué pour son entretien. Gallus, outré, le fit arrêter. Le questeur Montius,
s'échauffant, dit aux chefs des cohortes qu'après cela on n'avait plus qu'à
renverser les statues de l'empereur. Gallus réagit comme un serpent blessé
lorsqu'on lui rapporta ces paroles. Il déclara aux troupes que Montius
l'accusait de rébellion parce qu'il faisait surveiller un préfet insolent. Il n'en
fallut pas plus aux soldats. Montius et Domitien furent traînés à travers la ville
et tués. Apollinaire, gendre de Domitien, parcourait les cantonnements de
Mésopotamie pour voir si Gallus n'était pas trop ambitieux. A la nouvelle des
événements d'Antioche, il s'enfuit mais fut rejoint et emprisonné à Antioche.
On apprit qu'un manteau royal avait été clandestinement fabriqué à Tyr sans
qu'on puisse savoir qui l'avait commandé. Ce fut assez pour faire arrêter le
gouverneur de la province, père d'Apollinaire.
Ursicin, qui commandait à Nisibe, et sous les ordres duquel j'étais, fut
convoqué à Antioche et chargé de présider l'instruction de l'affaire. Il était
homme de tête et d'action mais incapable de diriger une procédure. Alarmé
en voyant ceux qui lui étaient associés, il décida de rapporter à Constance ce
qui se passait, demandant les moyens de tenir en bride la fougue de Gallus.
Au jour fixé pour les interrogatoires, le maître de la cavalerie prit place au
milieu d'assesseurs qui savaient leur leçon. Des notaires recueillaient les
réponses et couraient les rapporter à César. Cachée derrière une tapisserie,
la reine écoutait. On fit comparaître Epigonius et Eusèbe, victimes d'une
homonymie. Epigonius s'abaissa aux supplications puis, sous la torture,
avoua un complot imaginaire. Eusèbe, au contraire, nia tout. Il furent envoyés
à la mort. Vint ensuite l'enquête sur le manteau royal. Les ouvriers torturés
déclarèrent avoir teint un corps de tunique sans manches. Sur cet indice, on
arrêta un nommé Maras, diacre chrétien dont on produisit une lettre à la
manufacture de Tyr. Torturé à mort, il ne révéla rien. La question fut aussi
employée sur beaucoup d'autres, avec des résultats variés. Les deux
Apollinaire, père et fils, furent exilés puis mis à mort sur ordre de Gallus.
Constance quitta Arles à la belle saison pour lutter contre les Alamans dont
les incursions, sous la conduite du roi Gundomade et de son frère
Vadomaire, ruinaient la Gaule. Il attendit à Valence des convois de vivres
d'Aquitaine retardés par les pluies. Là, Herculanus, fils d'Hermogène, général
de la cavalerie tué à Constantinople dans un soulèvement populaire, lui fit un
rapport inquiétant sur Gallus. Les troupes concentrées à Chalons s'irritaient
du retard et les distributions vinrent à manquer. Rufin, préfet du prétoire,
reçut la dangereuse mission de leur faire entendre raison. C'était un coup
monté pour perdre cet oncle de Gallus. Mais il se tira d'affaire avec adresse.
Eusèbe, grand chambellan, arriva ensuite à Chalons avec une forte somme
dont la distribution ramena le calme. Bientôt les convois arrivèrent, on put
partir et on atteignit le Rhin près de Rauraque. Les Alamans empêchèrent les
Romains de jeter un pont de bateaux. L'empereur ne savait que faire quand
se présenta un guide qui indiqua un gué. L'ennemi en fut averti par des
Alamans de notre armée. Devant le danger, les barbares implorèrent la
clémence de l'empereur. Un traité fut donc conclu et l'empereur alla passer
l'hiver à Milan.
Constance voulut en finir avec Gallus et le convoqua. On voulait l'isoler
pour lui porter le dernier coup. Certains, dont Arbétion et Eusèbe, n'étaient
pas d'accord. Ces deux scélérats, soutenus par les eunuques du palais,
disaient qu'Ursicin allait se retrouver seul en Orient et qu'on avait poussé
Gallus à des excès pour donner le pouvoir au général de la cavalerie. Ces
propos arrivèrent aux oreilles du prince qui décida de s'assurer d'abord
d'Ursicin qui fut invité à se rendre à la cour. On avait besoin, soi-disant, de
s'entendre avec lui sur des mesures à prendre contre les Parthes. Le comte
Prosper fut chargé de le remplacer. Au reçu de la lettre, il partit pour Milan. Il
ne restait plus qu'à faire partir Gallus. Constance insista pour qu'il amène sa
femme, sa sœur. Celle-ci hésita, sachant de quoi Constance était capable,
puis accepta, comptant sur son influence sur son frère. Mais elle mourut en
Bithynie d'un accès de fièvre. Son époux en fut frappé au point de ne plus
savoir que faire mais les lettres de l'empereur se multipliaient et le tribun
Scudilon le décida à partir par ses flatteries. Gallus entra à Constantinople en
homme qui n'a rien à craindre. Constance avait dégarni de troupes les villes
sur son passage. Diverses personnes se présentèrent de la part de
l'empereur, soi-disant pour remplir tel ou tel office, en réalité pour le garder. A
Andrinople, Gallus apprit que des détachements de la légion thébaine,
cantonnés dans les villes voisines, lui avaient envoyé une députation pour
l'engager à rester. Mais la surveillance était si stricte qu'il ne put s'entendre
avec les légionnaires.
Il repartit, sans cesse pressé par ses gardiens. Il franchit rapidement la
distance grâce aux relais de l'Etat et arriva à Pétobion, en Norique. Le comte
Barbation parut avec Apodème, intendant de l'empereur, et un détachement
de soldats incorruptibles. Le masque était levé. Des sentinelles entourèrent le
palais. Barbation entra chez Gallus, lui fit quitter les vêtements royaux et le
conduisit près de Pola en Istrie. Arrivèrent Eusèbe et Mellobaudes, chargés
par l'empereur de l'interroger sur les meurtres commis en son nom à
Antioche. Gallus rejeta la responsabilité sur sa femme. Constance en fut
outré et envoya Sérénien avec ordre de procéder à l'exécution. Gallus eut la
tête tranchée. Il avait vécu vingt-neuf ans et en avait régné quatre. II était né
à Massa, en Toscane, de Constance, frère de l'empereur Constantin.
Apodème, courut à Milan annoncer la nouvelle. Les courtisans portèrent aux
nues le courage de l'empereur et Constance en vint à se croire au-dessus de
la condition humaine, lui qui imitait jusqu'alors ceux de ses prédécesseurs qui
avaient gardé les habitudes républicaines. La fin de Gallus fut le signal de
nouvelles persécutions. La jalousie parvint à susciter une accusation de lèse-
majesté contre Ursicin. On disait que le nom de Constance n'était plus
prononcé en Orient et que tous appelaient Ursicin, seul capable de tenir les
Perses en respect.
Ursicin voulait préserver son honneur mais ses amis l'abandonnaient et
son collègue Arbétion lui portait des coups tout en affectant pour lui une vive
sympathie. Arbétion était habile et son crédit était grand. Ce simple soldat
parvenu aux premiers grades était dévoré de l'envie de nuire. Il fit si bien
qu'on décida qu'Ursicin serait tué loin des yeux de l'armée. On attendait un
moment favorable mais il y eut un retour à la modération et on jugea devoir
remettre l'affaire à plus tard. La calomnie se tourna alors contre Julien qui
avait quitté sa retraite de Macellum, en Cappadoce, pour voyager en Asie. Il
s'était trouvé à Constantinople sur le passage de son frère Gallus mais put
prouver que ses démarches étaient licites et la reine Eusébie intercéda pour
lui. On se borna à le reléguer à Côme puis on lui permit de se retirer en
Grèce. D'autres procès eurent aussi une heureuse issue néanmoins il arriva
souvent que le riche obtienne l'impunité par la corruption.
Beaucoup d'officiers et de dignitaires étaient prisonniers à Aquilée. On les
accusait d'avoir été les ministres de Gallus. Arboreus et Eusèbe, sans
prendre la peine d'enquêter, exilèrent les uns après les avoir fait torturer, en
dégradèrent d'autres, les derniers moururent. Dès lors, Constance se livra
totalement aux délateurs. Dans ce climat, la persécution s'alluma en Illyrie.
Dans un dîner donné à Sirmium par le gouverneur Africanus, des convives
avaient critiqué les excès du gouvernement. Parmi eux se trouvait Gaudence,
agent du fisc, qui vit un crime dans ces propos de table et s'empressa d'en
rendre compte à Rufin, chef des appariteurs du préfet du prétoire, qui se
rendit aussitôt à la cour et fit si bien qu'on ordonna d'arrêter tout ceux qui
avait pris part au banquet. Teutomer eut mission de se saisir des personnes
dénoncées. Le tribun Marin se tua. Les autres captifs, conduits à Milan,
avouèrent sous la torture leurs paroles imprudentes. On les jeta en prison.
Peu après, la guerre fut déclarée aux Alamans Lentiens qui ne cessaient
de violer la frontière. Constance prit en personne le commandement de
l'expédition et alla camper aux Champs Canins, en Rhétie. Arbétion, chef de
la cavalerie, marcha à l'ennemi en longeant le lac Brigance. Le Rhin prend sa
source dans de hautes montagnes. Il débouche ensuite dans un vaste lac
que les peuples de Rhétie ont nommé lac Brigance. Il traverse cette eau
dormante et court se perdre au loin dans l'Océan. Arbétion commit l'erreur
d'avancer sans attendre les rapports de ses éclaireurs et donna dans une
embuscade. Les nôtres durent s'enfuir. Cela nous coûta dix tribuns et de
nombreux soldats. Les Alamans, après ce succès, vinrent jusque sous nos
retranchements hurler des menaces. Une sortie fut arrêtée par la cavalerie
barbare. Les nôtres appelèrent le camp à leur aide mais Arbétion ne voulait
pas engager tout son monde. Trois tribuns, spontanément, rejoignirent ceux
qui étaient dehors. C'étaient Arinthée, Seniauchus et Bappo. Ils fondirent sur
l'ennemi et forcèrent les barbares à reculer. Alors ceux que l'hésitation avait
retenus au camp se précipitèrent sur les barbares qui furent écrasés. Cela
mit fin à la campagne et l'empereur revint en triomphe passer l'hiver à Milan.
Depuis longtemps l'incurie du gouvernement laissait la Gaule ouverte aux
incursions. L'empereur y envoya Silvain, maître de l'infanterie. Arbétion,
jaloux, voulait l'éloigner par cette mission risquée. Un nommé Dynamius avait
sollicité de Silvain des lettres de recommandation et les avait gardées. Tandis
que Silvain était en Gaule, il les falsifia. Ne gardant que la signature, il y
substitua un autre texte. C'était une circulaire adressée par Silvain à ses amis
où ils étaient invités en termes ambigus à aider le signataire à prendre le
pouvoir. Dynamius confia ces faux au préfet. Lampade montra ces fausses
lettres à Constance. Malarie proclama qu'il était indigne de laisser menacer
par des factieux les hommes les plus dévoués au service de l'empereur et
déclara Silvain incapable de trahison. Il se fit fort d'aller le chercher et de le
ramener à Milan. Il proposa même sa famille pour otage et la caution de
Mellobaudes pour garantie de son retour. Ou bien il offrait que Mellobaudes
se charge de la mission. Silvain était prompt à s'effaroucher et lui députer
tout autre qu'un compatriote risquait d'en faire un rebelle. Le conseil était bon
mais l'avis d'Arbétion prévalut et ce fut Apodème qui fut dépêché à Silvain
porteur d'une lettre de rappel.
Sitôt en Gaule, il prit contre les amis du général des mesures vexatoires.
Pendant ce temps Dynamius, pour assurer l'effet de sa manœuvre, adressa
au tribun de Crémone, au nom de Silvain et de Malarie, des lettres analogues
à celles qu'il avait fait remettre à l'empereur. Il y était invité, comme sachant
de quoi il s'agissait, à tout disposer pour l'exécution. Le tribun ne comprit rien.
Il fit retourner la missive à Malarie par le porteur accompagné d'un soldat.
Malarie comprit tout. Il rassembla aussitôt les Francs du palais et leur fit part
de sa découverte. Un complot était dirigé contre eux. L'empereur, instruit de
ce qui se passait, ordonna aussitôt une révision de l'affaire et voulut qu'elle
ait lieu en présence de tous les membres du conseil. Florence, examinant les
pièces, acquit la certitude que c'était l'œuvre d'un faussaire. L'empereur
cassa le préfet et le fit juger. Mais sa cabale réussit à le faire acquitter.
Eusèbe confessa sous la torture avoir eu connaissance de la machination.
Edèse nia tout. Quant à Dynamius, il fut envoyé diriger la Toscane.
Silvain, à Agrippine, apprit les menées d'Apodéme contre lui. Connaissant
le caractère du prince, il se vit à la veille d'être traité en criminel. Il songea à
demander asile aux barbares. Mais il en fut dissuadé par le tribun Laniogaise.
De la part de ses compatriotes francs, Silvain pouvait s'attendre à être
assassiné ou vendu à ses ennemis. Une résolution extrême était donc
inévitable. Silvain eut des pourparlers avec les principaux chefs, leur fit des
promesses et se proclama empereur. Cette usurpation fut pour Constance un
coup de foudre. Le conseil fut aussitôt convoqué. On évoqua Ursicin, ses
qualités militaires et les torts qu'on avait envers lui. Dans cet homme que
naguère on accusait de convoiter le pouvoir, on voyait le seul qui puisse le
protéger. En fait, tout en voulant abattre Silvain, on voyait, en cas d'échec,
l'occasion de se défaire d'Ursicin. On chercha à convaincre Silvain que
l'empereur ignorait tout et on le rappela en le maintenant dans ses fonctions
tout en lui donnant Ursicin pour successeur en Gaule. Ursicin reçut l'ordre de
partir avec dix officiers, dont moi.
Le voyage fut long. Nous voyagions à grandes journées pour atteindre la
frontière avant que la défection ne soit publique en Italie. Mais à notre arrivée
à Agrippine la révolte avait pris un développement qui nous dépassait. Il n'y
avait pour Ursicin qu'un seul parti à prendre, flatter la vanité du rebelle. Il fut
traité par l'usurpateur avec égards. Nous entendions frémir autour de nous
l'impatience des soldats qui criaient famine et brûlaient de franchir les Alpes
Cottiennes. Nous décidâmes de tenter la fidélité douteuse des Braccates et
des Cornutes, milices prêtes à suivre le plus offrant. Le marché fut bientôt
conclu. Au point du jour, des gens armés pénétrèrent dans le palais et tuèrent
Silvain après t'avoir arraché d'une chapelle chrétienne où il s'était réfugié.
Ainsi périt un officier de mérite qui n'avait voulu que sauver sa tête. La joie de
Constance fut grande mais Ursicin n'obtint pas même un éloge. L'empereur
se plaignit même de détournements effectués au préjudice du trésor public
en Gaule. La sécurité était rétablie, c'était le tour des persécutions. Civils ou
militaires, tous les membres du conseil durent prendre part aux enquêtes. On
appliqua la question à Procule, appariteur de Silvain, ce qui donna beaucoup
d'alarmes. On craignait que les bourreaux ne parviennent à en tirer des
révélations mais il affirma que la tentative de Silvain n'était qu'un hasard.
Procule acquitté, Poeménius fut traîné au supplice. Puis furent exécutés
plusieurs comtes.
A cette époque le préfet de Rome était Léonce, un homme juste. Il y eut
contre lui une sédition. II avait fait arrêter le cocher Philocome. Le peuple
s'ameuta mais le préfet resta ferme et fit arrêter quelques mutins. Un peu
plus tard, le peuple s'étant attroupé sous prétexte d'une disette de vin,
Léonce marcha droit au rassemblement alors qu'une partie de son escorte
s'enfuyait. Il apostropha dans la foule un individu remarquable par sa taille et
ses cheveux roux et lui demande s'il n'était pas Pierre Valvomère. Le préfet,
à qui cet homme était signalé comme un meneur, le fit arrêter en dépit des
cris. Dès qu'on vit Valvomère au poteau, la foule disparut. Valvomère fut
relégué dans le Picentin. C'est à l'époque de Léonce que Libère, pontife
chrétien, fut convoqué devant Constance comme réfractaire à la volonté
impériale. Un synode avait déposé Athanase, évêque d'Alexandrie, pour des
activités incompatibles avec la prêtrise. L'empereur ordonna à Libère de
confirmer ce décret. Mais Libère contestait un jugement où l'accusé n'avait
pas été entendu. L'empereur, qui détestait Athanase, tenait à ce que sa
condamnation soit confirmée par l'évêque de Rome. Il fit enlever Libère. Mais
l'attachement du peuple à son évêque fit que cette arrestation eut lieu de nuit.
L'empereur voulait prolonger son séjour quand il apprit que la Rhétie était
ravagée par les Suèves, la Valérie par les Quades et que les Sarmates
faisaient des incursions en Moesie supérieure et en basse Pannonie. Il quitta
Rome le 4 des calendes de juin, un mois après son arrivée, et alla en Illyrie
en passant par Tridentum. De là il envoya Sévère en Gaule remplacer Marcel
et rappela Ursicin qui le rejoignit à Sirmium. On tint conseil sur la paix
proposée par Musonien aux Perses et Ursicin fut envoyé en Orient. César,
après un hiver passé à Sens où les Alamans le tinrent en alerte, entra en
campagne et se dirigea vers Reims, heureux d'avoir un lieutenant comme
Sévère, rompu à l'obéissance des camps. Sur ordre de l'empereur, un renfort
de vingt-cinq mille hommes lui était arrivé d'Italie à Rauraque, sous le
commandement de Barbation, maître de l'infanterie depuis la mort de Silvain.
C'était un plan pour rétrécir le cercle des dévastations par la marche de deux
armées romaines parties de deux points opposés pour prendre les barbares
en tenaille. Les Lètes tombèrent à l'improviste sur Lyon qu'ils auraient ravagé
si on n'avait à temps fermé les portes mais dont ils ruinèrent les environs.
César fit surveiller les trois routes par où devait nécessairement s'effectuer
leur retour et ils y laissèrent la vie. Seule fut épargnée une colonne qui
longea le camp de Barbation et que celui-ci laissa passer.
L'approche des deux armées avait effrayé la population barbare de la rive
gauche du Rhin. Certains voulurent couper les routes. Les autres, réfugiés
dans les îles du fleuve, hurlaient des malédictions contre nous. Julien voulut
se saisir de ces misérables et demanda à Barbation sept des barques qu'il
avait réunies pour construire un pont. Celui-ci préféra les brûler. A la fin, des
ennemis tombés aux mains de Julien indiquèrent un endroit guéable. Il réunit
aussitôt les vélites et les y envoya sous la conduite de Bainobaude, tribun
des Cornutes. Ils abordèrent l'île voisine et massacrèrent tout le monde. Là,
trouvant des barques, ils parcoururent ces retraites. Quand ils furent las de
tuer, ils rentrèrent chargés de butin. La population des autres îles, ne s'y
croyant plus en sûreté, gagna l'autre rive. Julien releva le fort des Trois
Tavernes que les barbares avaient détruit. Il y mit moins de temps qu'il ne
pensait et laissa à la garnison des vivres pour un an. Pour cela, on prit le
grain de l'ennemi. Cela permit aussi à Julien d'approvisionner sa troupe pour
vingt jours. Le soldat gagnait ses rations à la pointe de l'épée et sa
satisfaction en était d'autant plus vive qu'il venait d'être frustré d'un convoi.
Barbation avait pris ce qui était à sa convenance, faisant brûler le reste.
Tandis que Julien se fortifiait, que l'armée organisait des postes retranchés
et ramassait du grain, les barbares fondirent sur Barbation qui continuait
d'opérer séparément et le refoulèrent au-delà de Rauraque. Barbation,
comme s'il avait été vainqueur, distribua tranquillement ses troupes dans les
cantonnements et revint à la cour accuser Julien. On apprit bientôt l'affront
qu'il venait d'essuyer. Les rois alamans Chnodomaire et Vestralpe unirent
leurs forces, auxquelles s'ajoutèrent Urius, Ursicin, Sérapion, Suomaire et
Hortaire, et allèrent camper près d'Argentoratum, croyant que Julien s'était
replié alors qu'il s'occupait des fortifications des Trois Tavernes. Un déserteur
leur avait dit que Julien n'avait pas plus de treize mille hommes. Les barbares
lui envoyèrent une députation pour lui ordonner de quitter leur pays. Il reçut
ce message sans émotion mais il retint les envoyés près de lui jusqu'à la fin
des travaux. Parmi les confédérés, Chnodomaire s'agitait beaucoup. Il avait
battu le César Décence et dévasté nombre de villes. Il venait encore de
chasser devant lui un général romain. César, lui, se voyait réduit à engager
une poignée de braves gens contre des populations entières.
A l'aube l'infanterie s'ébranla, flanquée par la cavalerie renforcée des
cataphractes et des archers à cheval. L'armée avait encore quatorze lieues à
franchir quand Julien proposa d'établir le camp. Le soldat, montrant son
impatience en heurtant sa pique contre son bouclier, voulait immédiatement
être mené à l'ennemi. L'année précédente les Romains avaient franchi le
Rhin et parcouru la rive droite sans voir personne. Les barbares avaient
passé l'hiver sans abri. Mais les circonstances avaient changé. Les Alamans,
la première fois, étaient pressés à la fois par l'empereur en Rhétie, par César
en Gaule et par des nations qui s'étaient déclarées contre eux. La paix
conclue, l'empereur avait retiré son armée. Ils avait alors réglé leurs
différends avec leurs voisins et la fuite d'un général romain les avait
encouragés. Un autre événement aggravait notre position. Les rois
Gundomade et Vadomaire, liés par le traité obtenu de Constance l'année
précédente, n'avaient pas osé jusque-là prendre part au mouvement. Mais
Gundomade mourut victime d'une trahison. Son peuple aussitôt rejoignit la
ligue et Vadomaire ne put retenir le sien. Un porte-étendard cria à César de
montrer le chemin. Alors l'armée arriva au pied d'une colline proche du Rhin.
Trois cavaliers ennemis en observation coururent annoncer aux leurs notre
approche. Un quatrième fut pris et nous apprîmes que l'armée germanique
avait mis trois jours à passer le Rhin. Nos chefs pouvaient déjà la voir former
ses colonnes. Aussitôt les fantassins se mirent en ligne, présentant un front
de bataille aussi solide qu'un mur.
Les ennemis nous imitèrent. Voyant la cavalerie à droite, ils lui opposèrent
leurs meilleurs cavaliers parmi lesquels, inspirés par un transfuge, ils
placèrent des fantassins pour se glisser sous les chevaux et les éventrer.
Cette armée avait pour chefs Chnodomaire et Sérapion, les plus puissants
des rois confédérés. A l'aile gauche, où, selon les barbares, la mêlée devait
être plus furieuse, était Chnodomaire, l'auteur de la levée de boucliers.
Sérapion commandait à droite. C'était le fils de Médérich, frère de
Chnodomaire. Médérich, qui avait été otage en Gaule, s'y était initié aux
mystères religieux grecs. C'est à cela qu'était dû le changement de nom
d'Agénarich, son fils, en celui de Sérapion. Cette armée comptait trente-cinq
mille combattants de diverses nations. Le signal avait résonné lorsque
Sévère, qui conduisait notre aile gauche, vit devant lui des tranchées pleines
d'hommes armés. Sans s'émouvoir, il s'arrêta. César vit cette hésitation. Il y
vola avec deux cents cavaliers. Comme l'étendue des lignes s'opposait à une
allocution générale, il se contenta d'aller çà et là, jetant à chacun des mots
énergiques. Il fit avancer la plus grande partie de ses forces contre la
première ligne des barbares. Il y eut alors dans l'infanterie germanique des
cris contre les chefs à cheval. Il fallait, disait-on, qu'ils combattent à pied
comme les autres. Chnodomaire descendit alors de cheval et son exemple
fut suivi. Pas un ne mettait en doute la victoire.
On lutta avec ardeur. Les Germains se jetèrent sur nous en rugissant
comme des bêtes féroces. Pendant que la cavalerie soutenait la charge,
l'infanterie serrait ses rangs et formait un mur de boucliers. Nous combattions
avec des chances diverses car les Germains, rompus à cette manœuvre,
s'aidaient de leurs genoux pour enfoncer nos lignes. Enfin notre aile gauche,
chassant les ennemis devant elle, venait prendre part à cet engagement
lorsque la cavalerie lâcha pied à droite et se replia jusqu'aux légions où,
trouvant un point d'appui, elle put se reformer. Le chef des cataphractes avait
été blessé. Ce fut assez pour que le reste se disperse. César aperçut cette
cavalerie éparse et se précipita pour ramener les fuyards à la charge.
Profitant de leur avantage, les Alamans fondirent sur notre première ligne.
Mais le choc fut soutenu. Les masses désordonnées des barbares
avançaient avec la fureur d'un incendie et plus d'une fois ils parvinrent à
rompre la tortue dont se protégeaient nos rangs. Les Bataves virent le danger
et arrivèrent au pas de course au secours de nos légions et le combat se
rétablit. Les Germains l'emportaient par la taille et l'énergie, les nôtres par la
tactique et la discipline. Tout à coup les barbares, rois en tête, s'ouvrirent un
passage jusqu'à la légion d'élite placée au centre, formant la réserve
prétorienne. Le combat recommença avec une nouvelle vigueur. Nos soldats
touchaient aisément leurs adversaires qui, dans leur fureur, négligeaient de
se couvrir. Les assaillants ne se succédaient que pour tomber tour à tour.
Enfin leur courage fléchit. Accablés par leurs pertes, il s'enfuirent.
Nos soldats chargèrent les fuyards. Il n'y eut pas de quartier. Les barbares
ne virent de salut que dans le Rhin. Quelques-uns se précipitèrent dans les
flots. César interdit aux nôtres de les suivre. La plupart d'entre eux trouvèrent
la mort dans le fleuve. Au milieu du désastre, le roi Chnodomaire s'efforçait
de regagner son campement. Il avait fait réunir, en cas d'échec, des barques
pour chercher une retraite et attendre un changement de la fortune. Il
approchait de la rive lorsque son cheval s'abattit et il dut se rendre. Les
barbares, insolents dans le succès, sont sans dignité dans le malheur.
Chnodomaire montra, tandis qu'on l'entraînait, la contenance d'un esclave. Le
soir, notre armée put enfin prendre du repos. Les Romains perdirent dans
cette action deux cent quarante-trois soldats et quatre chefs. Du côté alaman,
six mille morts restèrent sur le terrain, en plus des noyés. Julien réprimanda
des soldats qui l'avaient appelé Auguste et jura que ce titre était loin de ses
vœux. Il fit amener Chnodomaire qui se prosterna à ses pieds, implorant son
pardon. Quelques jours plus tard, il fut conduit à la cour de l'empereur puis
envoyé à Rome par ce dernier qui lui assigna pour demeure le quartier des
étrangers, sur le Palatin. Il y mourut de tristesse. Malgré ce succès, il ne
manquait pas de gens qui trouvaient à Julien des torts ou des ridicules. On le
surnommait Victorin. On parvint à persuader Constance qu'il ne se faisait rien
de grand que par lui. Cela lui monta au cerveau. Les archives conservent une
relation dé l'affaire d'Argentoratum où on voit Constance réglant l'ordre de
bataille, combattant près des enseignes, poursuivant les barbares et recevant
la soumission de Chnodomaire.
Voyant le Rhin dégagé, Julien congédia les porteurs du message qu'il avait
reçu la veille de la bataille et retourna aux Trois Tavernes. De là il partit pour
Mogontiacum, confiant le butin et les prisonniers aux Mediomatrices. Son but
était de jeter un pont sur le Rhin et d'aller chercher les barbares sur leur
territoire. Le dévouement du soldat l'enchaînait aux pas du chef qui
s'associait à ses fatigues et n'usait de sa prérogative que pour prendre une
plus grande part des périls et des peines. A Mogontiacum, le pont fut jeté et
l'armée s'avança sur le sol ennemi. D'abord la hardiesse de l'opération frappa
de stupeur les barbares. Alarmés en songeant au désastre récent de leurs
compatriotes, ils feignirent un grand désir de paix pour laisser passer la
première furie de l'invasion et envoyèrent une députation. Mais celle-ci fut
suivie d'une autre nous ordonnant de quitter la contrée. Julien se procura des
barques et y fit monter de nuit huit cents hommes avec ordre de remonter le
Rhin et de tout mettre à feu et à sang. Au point du jour, voyant les barbares
sur les hauteurs, cette troupe s'y porta au pas de course et ne trouva
personne. L'ennemi avait eu le temps de s'enfuir. Mais des fumées lui
annoncèrent le débarquement des nôtres et le ravage de ses terres. Les
Germains embusqués repassèrent le Main pour voler au secours de leurs
familles. Bien que pressés par les soldats de la flotte et par notre cavalerie,
grâce à leur connaissance des lieux ils réussirent leur retraite. On tomba sur
de riches bourgades et on fit main basse sur ce qu'elles contenaient. On
délivra aussi des captifs et toutes les habitations élevées sur le modèle
romain furent incendiées.
Nos soldats trouvèrent les sentiers obstrués par des arbres abattus et
durent reculer. De plus on avait passé l'équinoxe d'automne et le pays était
déjà sous la neige. Julien renonça donc à poursuivre sa marche mais il voulut
qu'un monument en marque le progrès. Il fit relever un fort construit jadis par
Trajan. Une garnison temporaire y fut placée et le pays fut mis à contribution
pour la pourvoir de vivres. Les Germains, voyant s'élever cette construction,
implorèrent la paix. César leur accorda une trêve de dix mois. Trois des plus
violents parmi les rois qui avaient fourni des contingents à la ligue vaincue
promirent d'observer le pacte, de respecter ce fort et d'apporter des vivres à
la garnison. La crainte cette fois l'emporta sur leur duplicité et ces conditions
furent fidèlement remplies. Julien put donc se glorifier de cette campagne.
Ses détracteurs soutenaient pourtant que sa bravoure n'était que calcul et
qu'il cherchait une mort glorieuse de peur de mourir, comme son frère Gallus,
de la main du bourreau. Sévère, général de la cavalerie, se rendant à Reims
par Agrippine et Iuliacum, se heurta à une bande de Francs qui profitaient de
notre absence pour ravager le pays. A l'approche de l'armée, ils se jetèrent
dans deux forts vides et s'y défendirent. Julien les assiégea. L'opiniâtreté des
barbares l'y retint cinquante-quatre jours en décembre et janvier. Les nuits
étaient sans lune et la rivière était gelée. Comme Julien craignait que
l'ennemi n'en profite pour partir, du soir au matin des soldats montés sur des
barques parcouraient la rive pour rompre la glace. Réduits par la faim, les
assiégés se rendirent et César passa le reste de l'hiver chez les Parisiens.
On était menacé d'une coalition encore plus forte mais, comme la trêve
laissait quelque répit, Julien s'occupa de soulager la Gaule par une équitable
répartition des charges dont elle était accablée. Florence, préfet du prétoire,
prétendait que la capitation laisserait un déficit qui ne pourrait être comblé
que par des prestations extraordinaires. Mais Julien savait quelles blessures
sont faites aux provinces par ces spoliations. Florence fit grand bruit de ce
qu'on refusait de s'en rapporter à l'homme auquel l'empereur avait donné la
haute main sur cette partie de l'administration. Julien lui démontra que la
capitation suffisait aux besoins de la province et de l'armée et donnerait
même un excédent. L'empereur écrivit à Julien, l'engageant à mettre moins
de raideur dans ses rapports avec Florence. A quoi Julien répondit qu'il fallait
savoir gré à la province, dévastée comme elle l'était, d'acquitter l'impôt. C'est
à sa fermeté que la Gaule dut de se voir délivrée d'exactions vexatoires.
César donna encore un exemple. La seconde Belgique était écrasée de
charges. Il obtint du préfet de s'en remettre à lui de cette partie de son
administration. Cela eut son effet. Ce fut à qui s'empresserait de s'acquitter.
Pendant ce temps Rome voyait un obélisque s'élever dans le cirque. A
Thèbes, il y avait beaucoup d'obélisques. Ils sont faits d'une pierre polie et
leur forme imite les rayons du soleil. Y sont gravées des hiéroglyphes. Les
flatteurs se déchaînèrent. Octavien Auguste, disaient-ils, avait fait venir
d'Héliopolis deux obélisques mais celui qui venait d'arriver, il n'avait même
pas essayé de le bouger, effrayé de sa masse. En fait Auguste s'était
abstenu d'y toucher par respect pour la religion du pays. Constantin, qu'un tel
scrupule touchait peu, déplaça ce monument qu'il laissa couché en attendant
que les préparatifs du transport soient terminés. L'obélisque fut laissé sur le
rivage à Alexandrie où l'on construisit un navire énorme. Mais le prince
mourut. Ce ne fut que longtemps après que cette masse traversa la mer et
remonta le Tibre. Arrivé à trois milles de Rome, l'obélisque fut hissé sur des
rouleaux et lentement introduit jusqu'au grand cirque. A l'aide de câbles et
des efforts de plusieurs milliers de bras, cette montagne se souleva et se tint
debout. L'obélisque fut surmonté d'un globe d'airain couvert d'or. Mais il fut
frappé par la foudre et on y substitua une torche du même métal.
IV – Autres guerres
Le roi de Perse, longtemps en lutte avec ses voisins, venait de s'allier aux
deux plus puissants d'entre eux, les Chionites et les Gélanes, quand il reçut
la lettre où Tamsapor annonçait l'offre de paix de l'empereur romain. Il en
conclut que l'empire était affaibli. Sa fierté s'en accrut et, tout en acceptant, il
voulut y mettre ses conditions. Il envoya un certain Narsès à Constance avec
une lettre. Il revendiquait l'Arménie et la Mésopotamie et menaçait, si son
ambassadeur revenait sans rien, d'entrer en guerre après l'hiver. Constance
répondit qu'il serait déshonorant d'accepter le démembrement de l'empire.
L'envoyé perse reçut un congé pur et simple mais aussitôt Constance fit
partir, avec des présents, Prosper et Spectate et, sur le conseil de Musonien,
leur adjoignit le philosophe Eustathe qui passait pour être persuasif. Les
députés devaient tout tenter pour suspendre les préparatifs de Sapor pendant
qu'on ferait des efforts pour mettre notre frontière du nord en état de défense.
Les Juthunges, peuple germanique voisin de l'Italie, firent irruption en
Rhétie. Barbation, qui avait remplacé Silvain à la tête de l'infanterie, les
extermina. Un tremblement de terre se fit sentir en Macédoine et en Asie
Mineure. Nicomédie, capitale de la Bithynie, fut détruite. Le 9 des calendes
de septembre, le ciel se couvrit tout à coup de nuages noirs et une tempête
éclata. Le sol trembla et renversa la cité. La ville étant construite en partie à
flanc de coteau, les édifices croulèrent les uns sur les autres. Le ciel
redevenu serein révéla le désastre. Beaucoup étaient morts sous les
décombres, certains mouraient faute de secours. D'autres, emprisonnés
vivants, étaient condamnés à périr. De ce nombre fut Aristénète, qui venait
d'obtenir le titre de gouverneur de cette province. Enfin un incendie survint
qui, durant cinquante jours, dévora tout.
César, tout en hivernant chez les Parisiens, prenait ses dispositions contre
les Alamans. Les Gaulois n'entrent en campagne qu'en juillet. Les opérations
ne pouvaient commencer avant la fonte des neiges et l'arrivée des convois
d'Aquitaine. Julien décida de devancer la saison pour tomber sur les
barbares à l'improviste. Il ouvrit donc les magasins et fit prendre à ses soldats
une provision de vingt jours de ce pain qu'on appelle biscuit. Cela fait, il se
porta d'abord contre les Francs Saliens qui s'étaient établis de leur propre
autorité sur le territoire romain en Toxiandrie. A Tongres, il rencontra une
députation de ce peuple qui, le supposant encore dans ses quartiers d'hiver,
lui offrait la paix. Ils étaient chez eux, à les entendre, et promettaient de s'y
tenir tranquilles pourvu qu'on ne vienne pas les y troubler. Julien amusa les
députés par des paroles ambiguës et finalement les congédia avec des
présents, leur laissant croire qu'il attendrait leur retour. Mais ils n'eurent pas
le dos tourné qu'il se remit en marche et, faisant suivre à Sévère la rive du
fleuve, il tomba sur le gros de la nation qu'il trouva plus disposée à s'humilier
qu'à se défendre. Le succès le disposait à la clémence. Aussi les reçut-il en
grâce quand ils vinrent se livrer. Puis il défit les Chamaves qu'il voulait punir
d'une agression. Les vaincus implorèrent la paix. Elle leur fut accordée à la
condition de retourner dans leur ancien pays. Heureux jusque-là dans ses
entreprises, Julien décida de réparer trois forts construits pour défendre le
passage de la Meuse. L'exécution fut assez prompte pour ne pas causer de
suspension des opérations militaires et Julien approvisionna ces forteresses
avec une partie des rations qu'il convoyait avec lui depuis le début de la
campagne. Il comptait, pour les remplacer, sur les moissons des Chamaves.
Mais cet espoir fut déçu.
Les soldats épuisèrent leurs provisions avant que le grain soit mûr et se
répandirent en menaces et traitèrent Julien d'Asiatique et de Grec efféminé.
Depuis qu'il commandait, les hommes n'avaient eu ni gratification ni solde,
Constance refusant d'ouvrir le trésor public et Julien étant trop pauvre pour y
suppléer. Il y avait chez l'empereur plus de malveillance que de parcimonie.
Mais César vint à bout de la sédition. On passa le Rhin et on entra sur le
territoire des Alamans. Alors Sévère, qui avait jusque-là fait preuve de
bravoure, ne sut plus que conseiller d'éviter d'en venir aux mains. Il voulut
que les guides déclarent qu'ils ignoraient le chemin. Intimidés, ils n'osèrent
plus faire un pas. Durant cette inaction forcée arriva tout à coup Suomaire, un
roi alaman jusqu'alors ennemi de Rome, qui venait en suppliant. Julien le
reçut en grâce. Suomaire obtint la paix la condition de rendre les prisonniers
et de procurer des vivres aux troupes. Ce fut fait aussitôt. Il s'agissait
d'atteindre la résidence d'un autre roi nommé Hortaire et on avait besoin d'un
guide. On se saisit d'un jeune Alaman à qui Julien promit la vie à condition
qu'il montre le chemin. L'armée, sous la conduite de ce guide, atteignit sa
destination. La colère des soldats se signala par l'incendie des moissons, le
pillage des troupeaux et le massacre de tout ce qui résista. Le roi, frappé de
ce désastre, implora son pardon et jura de libérer les prisonniers. Cependant
il n'en rendit qu'un petit nombre et retint le reste. Ce manque de foi indigna
Julien et quand le roi vint recevoir les présents d'usage, quatre de ses
officiers furent gardés en otages. Sommé de paraître devant César, Hortaire
se prosterna et dut fournir les voitures et les matériaux nécessaires à la
reconstruction des villes détruites par les barbares. Quant aux vivres, on n'en
exigea pas de lui comme de Suomaire. La dévastation de son pays aurait
rendu tout tribut de ce genre illusoire. Ainsi l'orgueil de ces rois pliait devant
Rome. Cela fait, César distribua ses troupes dans leurs cantonnements et
revint prendre ses quartiers d'hiver. Quand ces nouvelles parvinrent à la cour,
les flatteurs les tournèrent en ridicule. Ils disaient en avoir assez de la chèvre,
allusion à la barbe de Julien.
Auguste passait l'hiver à Sirmium quand il apprit la jonction des Quades et
des Sarmates qui ravageaient par petits groupes les deux Pannonies et la
haute Mésie. Ces peuples préfèrent la guérilla aux batailles rangées. Ils
portent de longues lances et des cuirasses de toile sur lesquelles des lames
de corne s'étagent à la façon des plumes sur le corps d'un oiseau. Ils ont des
chevaux hongres parce qu'ils ne s'emportent pas à la vue des juments et
qu'ils sont moins sujets à trahir les embuscades. Les Sarmates peuvent, avec
ces coursiers, franchir les plus grandes distances. Un cavalier en mène un ou
deux en laisse, et les monte alternativement, pour ménager leurs forces. Sitôt
l'équinoxe de printemps passé, Constance se mit en campagne. Il passa
l'Ister enflé et alla ravager les terres de l'ennemi. Surpris, les barbares
s'enfuirent. Ceux qui trouvèrent refuge dans la montagne purent voir le
désastre de leur patrie. Ils firent alors des offres de paix, voulant profiter des
négociations pour nous attaquer. Les Quades firent cause commune avec
eux. Mais leur coup de main échoua et on fit d'eux un grand carnage. Ce
succès donna du cœur à nos troupes qui marchèrent en colonnes serrées
contre les Quades. Ceux-ci, jugeant du sort qui les attendait, se présentèrent
en suppliants devant l'empereur. Zizaïs, jeune Sarmate de sang royal, arriva
avec les siens. A la vue de l'empereur, il jeta ses armes et se prosterna
ventre à terre. On lui dit d'exposer sa demande. Il resta à genoux et implora
le pardon de ses torts. Sa suite fut admise aussi à faire entendre sa prière.
Tous jetèrent leurs boucliers et, levant les mains, s'efforcèrent de surpasser
leur prince en démonstrations d'humilité.
Parmi les compagnons de Zizaïs se trouvaient trois petits rois ses vassaux,
Rumon, Zinafre et Fragilède. Tous demandaient à se racheter. On leur
ordonna de rentrer chez eux et de nous renvoyer leurs captifs. Cette
clémence eut son effet. On vit arriver Araharius et Usafre. L'un était chef
d'une fraction des Transjugitains et des Quades, l'autre d'un parti de
Sarmates. En les voyant si nombreux, l'empereur jugea prudent de tenir à
distance ceux qui représentaient les Sarmates jusqu'à ce qu'il ait fini de
négocier avec Araharius et les Quades. Ceux-ci se présentèrent pliés en
deux, suivant leur coutume. Ils acceptèrent de livrer des otages. Cela fait,
Usafre, à son tour, fut admis à solliciter son pardon. Mais Araharius soutint
que le pacte conclu avec lui concernait aussi son vassal. Il fut décidé que les
Sarmates, de tout temps clients des Romains, n'étaient sujets à aucune autre
dépendance et qu'ils étaient séparément tenus de livrer des otages, ce qu'ils
acceptèrent. Ce fut alors un afflux de peuples et de rois qui, apprenant
qu'Araharius avait obtenu sa grâce, venaient aussi nous supplier de les
épargner. La même faveur leur fut octroyée et ils offrirent pour otages les
enfants des meilleures familles. Ils rendirent aussi leurs prisonniers. On reprit
ensuite le cas du peuple sarmate qui parut plus digne de pitié que de
ressentiment. Une race indigène avait jadis dominé ce pays mais il y eut
contre elle une révolte d'esclaves. Les maîtres succombèrent et s'enfuirent
chez les Victohales. Quand ceux-ci furent reçus par nous en grâce, les
Sarmates réclamèrent notre protection. L'empereur, touché, leur adressa en
présence de toute l'armée des paroles bienveillantes, leur enjoignit de n'obéir
qu'à lui et, pour sanctionner leur réhabilitation par un acte solennel, il leur
donna pour roi Zizaïs. Celui-ci se montra digne de cette confiance.
On se porta ensuite sur Bregetium où des Quades restaient hostiles. A la
vue de notre armée, Vitrodore, fils du roi Viduaire, et son vassal Agilimunde,
accompagnés des chefs de diverses tribus, vinrent se prosterner devant nous
et jurèrent sur l'épée, seule divinité connue de ce peuple, de rester fidèles. Il
fallait encore marcher contre les Limigantes, les esclaves révoltés des
Sarmates, et faire justice des griefs qui s'élevaient contre eux. Quand leurs
anciens maîtres envahissaient notre territoire, ils s'étaient empressés d'en
faire autant. Ils sentaient que la guerre allait retomber sur eux et se
disposèrent à conjurer l'orage en mettant en œuvre ruse, force et prière. Mais
à la vue de l'armée, croyant leur dernier moment venu, ils demandèrent la
vie, offrant un tribut en argent et en hommes. Mais ils refusaient l'émigration.
Les Limigantes passèrent de notre côté du fleuve par bravade. Constance
divisa l'armée en plusieurs corps et, pendant que les barbares avançaient,
les fit envelopper avant qu'ils s'en aperçoivent. Le jour baissant conseillait de
brusquer les événements. On leva les enseignes et nos soldats abordèrent
l'ennemi avec fureur. De leur côté, les Limigantes serrèrent leurs rangs et se
précipitèrent vers l'empereur.
L'armée adopta l'ordre de bataille triangulaire appelé dans l'argot des
soldats tête de porc, fondit sur l'ennemi et le culbuta. La cohorte prétorienne
préposée à la garde du prince avait soutenu l'attaque. Elle n'eut bientôt plus
qu'à prendre à dos les fuyards. Le champ de bataille était jonché de blessés.
Aucun ne demanda grâce. Le massacre prit à peine une demi-heure. Altérés
de sang, les soldats coururent aux habitations et massacrèrent tous ceux
qu'ils y rencontraient. Pour en finir on brûla tout. Quelques fuyards se jetèrent
dans le fleuve et s'y noyèrent pour la plupart. On ne s'en tint pas là. On
rassembla toutes les barques des barbares pour aller chercher ceux que le
fleuve séparait de nous. Les vélites pénétrèrent ainsi dans les retraites des
Sarmates. Ceux-ci crurent d'abord avoir affaire à des compatriotes. Mais les
armes qui brillaient leur apprirent la réalité. Ils s'enfuirent dans les marais où
ils furent suivis par nos soldats qui en tuèrent an grand nombre. Les
Acimicences détruits ou dispersés, on marcha contre les Pincences. Cette
peuplade était dispersée sur un vaste territoire où il nous aurait été difficile de
l'aller chercher. On eut recours aux Taïfales et aux Sarmates libres.
Nos troupes passèrent par la Mésie et nos alliés occupèrent chacun la
contrée qui lui faisait face. Les Limigantes, enfin, décidèrent dans un conseil
des vieillards de se rendre mais pas à leurs anciens maîtres. Ils allèrent au
camp romain d'où ils furent dispersés dans une vaste contrée. Ils vécurent
quelque temps en paix mais leur férocité naturelle les poussa à mériter plus
tard leur destruction entière. L'empereur couronna cette série de succès en
donnant à l'Illyrie un double gage de sécurité. Ce fut le retour dans son pays
d'un peuple d'exilés dont il pouvait attendre plus de prudence à l'avenir. Et il
lui donna pour roi un homme de son choix. L'armée décerna à Constance
pour la seconde fois le titre de Sarmatique. Le prince promit des
récompenses et revint à Sirmium en triomphe. L'armée ensuite rentra dans
ses cantonnements. Dans le même temps les négociateurs envoyés au roi de
Perse arrivaient à Ctésiphon. Ils lui remirent la lettre et les présents dont ils
étaient porteurs et, fidèles à leur mandat, proposèrent de prendre le statu quo
pour base du traité, insistant sur ce qu'aucun changement ne soit apporté à
l'état des choses à l'égard de l'Arménie et de la Mésopotamie. Voyant que le
roi s'entêtait sur la cession de ces deux provinces, ils revinrent sans rien
avoir conclu. A cette mission succéda, sans plus de succès, celle du comte
Lucillien et du notaire Procope.
Julien travaillait au bien-être des provinces. Veiller à l'égale répartition de
l'impôt, prévenir les abus de pouvoir, écarter des affaires ceux qui spéculent
sur les malheurs publics, ne souffrir chez les magistrats aucune malversation,
telles étaient ses occupations. Il siégeait lui-même comme juge. Numerius,
ancien gouverneur de Narbonnaise, devait répondre de dilapidation. Il niait et
les preuves manquaient. Son adversaire, Delphidius, demanda où seraient
les coupables s'il suffisait de nier. A quoi Julien demanda où seraient les
innocents s'il suffisait d'accuser. Il méditait une expédition contre les Alamans
qui lui faisaient craindre une nouvelle agression. Sous prétexte d'une
ambassade à Hortaire, un roi en paix avec nous et voisin du pays visé, il lui
envoya le tribun Hariobaude. De là cet officier, qui parlait la langue des
barbares, pouvait surveiller les mouvements de l'ennemi. De son côté Julien,
dès que la saison d'entrer en campagne fut venue, rassembla ses troupes. Il
tenait beaucoup, avant d'engager les hostilités, à mettre en état de défense
un certain nombre de villes. Il devait rétablir ses magasins de subsistances
incendiés pour recueillir les envois de grains de Bretagne. Ce fut fait très vite
et les magasins regorgèrent aussitôt de vivres. Sept villes furent occupées, le
Camp d'Hercule, Quadriburgium, Tricésime, Novesium, Bonna, Antennacum
et Bingion. Là, il fut rejoint par Florence, préfet du prétoire. Restait à réédifier
les murailles des sept villes. On put juger de l'ascendant de Julien sur les
barbares et sur ses soldats. Les rois alamans envoyèrent les matériaux
nécessaires et les soldats auxiliaires, récalcitrants d'habitude, aidèrent aux
constructions. L'ouvrage touchait à sa fin lorsque Hariobaude revint.
L'armée partit pour Mogontiacum où s'éleva une contestation. Florence et
Lupicin, qui avait succédé à Sévère, voulaient passer le fleuve et Julien
refusait parce que, si on mettait le pied sur le territoire des rois avec qui nous
étions en paix, les mauvaises habitudes des soldats entraîneraient la rupture
des traités. La fraction du peuple alaman contre qui l'expédition était dirigée,
voyant le péril s'approcher, demanda au roi Suomaire, un des signataires du
traité, de nous empêcher de franchir le Rhin. Comme il se déclarait incapable
d'y parvenir seul, une masse de barbares se porta sur ce point, décidée à
s'opposer au passage de l'armée. On comprit alors que césar avait eu raison
et que, pour jeter le pont, il fallait chercher un endroit où on ne serait exposé
ni à dévaster les terres d'un ami, ni à sacrifier des vies dans une lutte avec
une telle foule. Les barbares suivaient nos mouvements. Arrivée au point
choisi, l'armée se retrancha. César ordonna à des tribuns sûrs de tenir prêts
trois cents hommes munis de pieux, sans donner d'explication. Dans la nuit, il
fit monter ce détachement dans quarante barques avec l'ordre de descendre
le fleuve en silence et de gagner l'autre rive. Alors que ce coup de main se
préparait, le roi Hortaire qui, sans rompre avec nous, conservait des relations
avec ses compatriotes, avait invité les rois alamans nos ennemis à un dîner
qui se prolongea, selon l'usage de ces peuples, tard dans la nuit. Le hasard
voulut qu'en se retirant ils rencontrent les nôtres. Aucun ne fut tué ni pris
mais on fit main basse sur les valets qui les suivaient.
Cela effraya les Alamans qui se dispersèrent. Le pont fut construit et les
barbares virent nos légions traverser, sans causer le moindre dommage, les
possessions du roi Hortaire. Mais une fois sur le sol ennemi, tout fut mis à feu
et à sang. Enfin l'armée arriva au lieu appelé Capellati, à la limite des
territoires alaman et burgonde. On y campa pour recevoir la soumission de
deux frères, les rois Macrien et Hariobaude, qui avaient senti venir l'orage.
Cet exemple fut suivi par le roi Vadomaire, dont les possessions touchaient à
Rauraque et qui fit valoir une lettre de Constance en sa faveur. Il fut accueilli
avec les égards dus à un prince client du peuple romain. Macrien et son frère
se voyaient pour la première fois au milieu de nos aigles et de nos étendards.
Surpris par la tenue de nos troupes, il s'empressa de demander grâce pour
les siens. On concéda la paix à Macrien. Vadomaire sollicitait aussi au nom
des rois Urie, Ursicin et Vestralpe. Or un traité conclu par intermédiaire a peu
de force pour les barbares dès qu'ils ne sont plus contenus par la présence
de l'armée. Mais quand on eut brûlé leurs moissons et leurs demeures, tué
ou pris une partie des leurs, ils s'empressèrent de négocier. Leur contrition
leur valut la paix aux mêmes conditions qu'aux autres.
Pendant ce temps, une nouvelle tourmente s'élevait à la cour. Un essaim
d'abeilles était apparu dans la maison de Barbation, général de l'infanterie.
Les devins dirent qu'il était à la veille d'un grand événement. Barbation étant
en expédition, sa femme, Assyria, lui adressa une lettre où elle le conjurait,
quand il succéderait à Constance, dont elle tenait la mort pour proche, de ne
pas lui préférer l'impératrice Eusébie. Assyria s'était servie d'une esclave
pour écrire. La lettre fut expédiée en secret mais l'esclave s'évada et fut
recueillie par Arbition à qui elle révéla tout. Celui-ci alla chez l'empereur.
Barbation, qui ne put nier avoir reçu la lettre, et sa femme furent décapités.
Barbation était détesté pour l'hypocrisie avec laquelle il avait trahi Gallus.
V - En Orient
VI - Le siège d'Amida
IX - Opérations en Orient
Il partit le 3 des nones de mars pour Hiérapolis. A son entrée dans cette
ville, un portique s'écroula et écrasa cinquante soldats. Il se porta sur la
Mésopotamie si vite que l'Assyrie était occupée avant que le bruit de sa
marche ait circulé. Renforcé d'un corps de Scythes, il passa l'Euphrate et
arriva à Batné, capitale de l'Osrhoène. On fait en ce pays de grands tas de
paille. Des valets voulurent en entamer un et la masse en s'écroulant étouffa
une cinquantaine d'entre eux. Julien quitta Batné plein de sombres pensées
et se rendit à Carrhes, ville connue par le désastre des deux Crassus. Là se
présentent deux routes pour aller en Perse, à gauche par l'Adiabène et le
Tigre, à droite par l'Assyrie et l'Euphrate. Julien resta quelques jours dans
cette ville pour offrir, suivant le rite local, un sacrifice à la Lune. Il remit le
paludamentum de pourpre à son parent Procope et lui recommanda de
prendre les rênes de l'empire au cas où il succomberait. Julien fut troublé par
des rêves sinistres. Les devins à qui il fit part de ses visions convinrent avec
lui de noter ce qui arriverait le lendemain, 14 des calendes d'avril. Or, ainsi
qu'on le sut plus tard, cette nuit là le temple d'Apollon Palatin à Rome brûla et
les livres sibyllins manquèrent être la proie des flammes.
Des coureurs vinrent annoncer à Julien que l'ennemi avait fait irruption sur
la frontière. Trente mille hommes furent mis sous le commandement de
Procope et de Sébastien, duc d'Egypte. Il leur ordonna de manœuvrer sur la
rive gauche du Tigre en se gardant des mauvaises surprises et d'opérer, si
possible, leur jonction avec Arsace pour ravager ensemble le district de
Chiliocome, le plus fertile de toute la Médie, puis de revenir le seconder dans
ses opérations en Assyrie. Il simula ensuite une pointe sur le Tigre puis, tout
à coup, tourna sur la droite. Le lendemain matin, le cheval qu'on lui amena
s'appelait Babylonien. Soudain l'animal tomba. Julien fut ravi du présage.
Après avoir fait un sacrifice pour en assurer les effets, il se rendit à Davana,
forteresse située à la source du Bélias, affluent de l'Euphrate. L'armée arriva
ensuite à Callinice, place forte et centre d'un commerce important. Le 5 des
calendes, Julien y célébra les mystères de la Mère des dieux. Il repartit le
lendemain, longeant les rives du fleuve. Il reçut l'hommage de différents
chefs de tribus sarrasines, auxiliaires excellents pour les coups de main, qui
lui offrirent une couronne d'or et l'adorèrent comme souverain du monde
entier. Pendant ce temps arriva la flotte commandée par le tribun Constantien
et le comte Lucillien, forte de mille navires de charge, de cinquante galères
de combat et d'autant de barques destinées à former des ponts.
L'empereur, renforcé du contingent sarrasin, arriva à Cercusium, au
confluent de l'Aboras et de l'Euphrate. La construction d'un pont de bateaux
le retint quelques jours. Il reçut de Salluste, préfet des Gaules, une lettre qui
le conjurait de suspendre son expédition. Les dieux, disait-il, y étaient
défavorables. Julien n'en poursuivit pas moins sa marche et fit même rompre
le pont pour ôter à l'armée toute idée de retraite. Nous gagnâmes Zaïthan, ce
qui signifie olivier, où vîmes le tombeau de l'empereur Gordien. Julien lui
rendit les honneurs et continua vers Doura. En approchant de cette ville
déserte, il vit venir à lui des soldats qui lui présentèrent le corps d'un énorme
lion criblé de coups. On tira un heureux présage de cette aventure et la route
se continua joyeusement. Le fait toutefois pouvait s'interpréter de deux
manières. Un souverain devait succomber, mais lequel ? Pour les haruspices
étrusques de l'armée ce présage était contraire au prince assaillant. Mais ils
étaient méprisés par les philosophes qui disaient que, lors de l'expédition du
César Maximien contre Narsès, roi des Perses, il lui avait été fait hommage
d'un lion et d'un sanglier tués dans les mêmes circonstances et qu'il était
revenu victorieux. Ils oubliaient que c'était l'assaillant qui était menacé,
suivant le présage, et que Narsès avait pris l'initiative des hostilités. Le
lendemain, il y eut un orage et un soldat fut foudroyé. Les devins déclarèrent
que c'était un nouvel avertissement contraire à l'entreprise.
Julien harangua les hommes. Il leur rappela qu'ils venaient se débarrasser
d'une race ennemie et leur recommanda de s'abstenir du pillage pour ne pas
se disperser. Enthousiasmés, les soldats s'écrièrent que ni périls ni travaux
ne les étonnaient avec un chef qui en prenait une part plus forte que le
dernier d'entre eux. L'ardeur était surtout extrême parmi les légions gauloises
chez qui était encore présent le souvenir de Julien marchant à leur tête. Il
voulut alors frapper un grand coup. Après une nuit de repos, il fit sonner le
départ et entra en Assyrie. Comme la connaissance des lieux lui manquait, il
fit prendre aux troupes l'ordre de marche par carrés. Il avait envoyé en avant
et sur ses flancs quinze cents coureurs pour prévenir toute surprise. Se
tenant lui-même au centre avec l'infanterie, il prescrivit à Névitte de longer
l'Euphrate à sa droite avec quelques légions. La cavalerie, à gauche, sous
les ordres d'Arinthée et d'Hormisdas, avançait par escadrons serrés. Dagalaif
et Victor commandaient l'arrière-garde et la marche était fermée par
Sécondin, duc d'Osrhoène. Pour grossir son armée aux yeux de l'ennemi, il
espaça les rangs. Les intervalles furent remplis par les bagages, les valets et
tout ce qu'une armée traîne à sa suite. La flotte, malgré les sinuosités du
fleuve, dut se tenir à notre hauteur.
Nous arrivâmes à Doura, sur l'Euphrate, que nous trouvâmes déserte. Il y
avait des troupeaux de cerfs. Nous en abattîmes de quoi nourrir l'armée.
Nous fîmes ensuite quatre étapes et, le soir de la dernière, le comte Lucillien
reçut l'ordre de prendre mille hommes et des barques et d'enlever le fort
d'Anathan situé, comme presque tous ceux du pays, sur une île du fleuve.
Les barques prirent position autour de la place. A l'aube, un habitant qui
sortait puiser de l'eau alerta la garnison. Julien passa alors le bras du fleuve
avec deux navires de renfort et d'autres qui portaient des machines de siège.
Il voulut convaincre les assiégés. Ceux-ci voulurent parler à Hormisdas qui se
porta garant de la bonté avec laquelle ils seraient traités. Ils se soumirent
donc, précédés d'un bœuf couronné qui pour eux est un signe de paix. Le fort
fut aussitôt détruit. Pusée, son commandant, obtint le tribunat en récompense
et par la suite, le duché d'Egypte. Les habitants furent transférés à Chalcis en
Syrie. Parmi eux se trouvait un soldat romain de l'expédition de Maximien qui,
malade, était resté en arrière. Il avait pris plusieurs femmes, à la mode du
pays, et avait une nombreuse famille. Quand on l'avait abandonné, il était
tout jeune et nous le retrouvions sous les traits d'un vieillard. La reddition de
la place, à laquelle il avait contribué, le comblait de joie. Il avait prédit qu'il
serait enterré en terre romaine.
Le lendemain, le fleuve submergea plusieurs barques chargées de grains.
Des barrages destinés à retenir les eaux pour les distribuer dans des canaux
d'irrigation avaient été emportés. On n'a jamais su si c'était volontaire. Nous
avions pris la seule forteresse ennemie rencontrée. L'armée montrait son
enthousiasme mais la circonspection de Julien n'en était pas diminuée. Il
savait avoir affaire au plus rusé des ennemis. Il fit incendier les moissons
après que chacun ait fait ses provisions, ménageant ainsi les provisions de la
flotte. Un soldat ivre passa sur l'autre rive et fut tué sous nos yeux. Nous
arrivâmes devant le fort de Thilutha. La garnison, quand on lui proposa de se
rendre, répondit qu'elle le ferait si nous parvenions à nous emparer du
royaume. Cela dit, elle laissa notre flotte défiler au pied de ses murs. Pareil
refus nous attendait à Achaiachala. A deux cents stades de là, le lendemain,
nous trouvâmes un fort abandonné et nous le brûlâmes. Nous fîmes encore
deux cents stades et arrivâmes à Baraxmalcha où nous passâmes le fleuve
pour occuper Diacira, désertée par ses habitants qui nous laissaient des
magasins de blé et de sel. Après une source de bitume, nous entrâmes dans
Ozogardana évacuée. La ville fut incendiée.
Hormisdas faillit tomber entre les mains du suréna, la plus haute dignité
après le roi chez les Perses, qui lui avait tendu une embuscade avec Malek
Posodacès, le chef des Sarrasins Assanites, un célèbre brigand. Ils avaient
été avertis d'une reconnaissance que notre allié devait faire. Mais le coup
manqua parce que Hormisdas ne put trouver de gué. Nous vîmes les Perses
à l'aube. Ils furent si vite rejoints qu'il ne purent décocher une flèche. Animés
par ce premier succès, les nôtres poussèrent jusqu'à Macépracta. Là le
fleuve se partage en deux bras dont l'un forme de larges canaux qui vont
fertiliser les campagnes et distribuer l'eau dans les villes de Babylonie.
L'autre bras, qu'on appelle Naarmalcha, c'est-à-dire fleuve royal, baigne les
murs de Ctésiphon. On établit des ponts pour l'infanterie et les cavaliers
fendirent le courant. Une grêle de traits les accueillirent de l'autre côté mais
nos auxiliaires s'acharnèrent sur les tireurs. Nous arrivâmes après cela
devant Pirisabora. L'empereur en fit le tour à cheval, prenant ostensiblement
toutes les dispositions d'un siège. Il espérait ainsi ôter aux habitants l'idée de
résister mais les pourparlers échouèrent. Un jour entier, on échangea des
projectiles. La garnison garnit les remparts d'épais rideaux en poil de chèvre.
Derrière leurs boucliers d'osier couvert de cuir frais, les Perses résistaient
bien. On aurait dit des statues de fer car des lames de métal superposées les
enveloppaient de la tête aux pieds. Plusieurs fois ils voulurent parler à
Hormisdas, leur compatriote. Mais, à chaque fois, il fut accablé d'injures. La
nuit, on fit avancer des machines et on combla le fossé. Le jour révéla aux
habitants les progrès qu'avaient faits nos ouvrages et, un coup de bélier
ayant abattu un bastion, ils se retirèrent dans la citadelle.
Une muraille en briques cimentées avec du bitume l'entourait. Rien n'égale
en solidité ce genre de construction. Aux coups de nos balistes et de nos
catapultes, les habitants opposèrent l'effet non moins destructeur de leurs
arcs qui lancent un roseau ferré dont l'atteinte est toujours mortelle. On se
battit tout le jour. Le combat recommença le lendemain et l'empereur voulut
hâter la décision. A la tête d'un détachement formé en tortue, il s'élança
contre une des portes de la citadelle. Bien qu'assailli de pierres et de balles
de fronde, il pressa les siens d'ouvrir un passage et ne se retira qu'au
moment où il allait être écrasé. Il revint sans avoir perdu un homme. Julien,
voyant traîner la confection des mantelets et des terrasses, ordonna de
construire au plus vite la machine connue sous le nom d'hélépole, à l'emploi
de laquelle Démétrius dut le surnom de Poliorcète. Voyant cela, les habitants
implorèrent la pitié des Romains. Comme le travail s'arrêtait, ils demandèrent
à conférer avec Hormisdas, ce qui fut accordé. Mamersidès, le commandant
de la place fut conduit à l'empereur et obtint la vie sauve pour lui et les siens.
Les portes s'ouvrirent alors et tous sortirent, louant la grandeur d'âme de
César. On trouva dans la citadelle des approvisionnements considérables en
armes et en provisions. On en prit le nécessaire. Le reste fut incendié.
Le lendemain, le suréna surprit trois de nos escadrons et s'empara d'un
étendard. Julien, furieux, cassa les deux tribuns survivants et décima leurs
escadrons. Après l'incendie de Pirisabora, il promit une gratification de cent
pièces d'argent par tête. Entendant les murmures dus à la modicité de la
somme, il dit aux hommes que s'ils voulaient s'enrichir ils n'avaient qu'à
prendre leurs richesses aux Perses. Cela calma l'irritation. En quatorze milles
nous joignîmes ensuite un point du fleuve où sont des écluses qui irriguent la
campagne voisine. Les Perses les avaient ouvertes et avaient provoqué une
inondation. A grand renfort d'outres gonflées, de bateaux en cuir et de pilotis,
l'empereur parvint, non sans peine, à établir une multitude de petits ponts sur
lesquels passa l'armée. Les vignobles et les fruitiers abondent dans la région.
Des palmiers forment de véritables forêts jusqu'à la Mésène et à la grande
mer. On en tire du miel et du vin. Les palmiers, dit-on, s'accouplent et chez
eux la différence de sexe est sensible. On prétend que ces arbres sont
susceptibles d'amour réciproque. L'armée se gorgea des fruits qu'elle trouvait
et on eut même à se garder des excès. Nous laissâmes ensuite plusieurs îles
derrière nous et nous arrivâmes à un endroit où le bras principal de
l'Euphrate se divise en une multitude de canaux.
Il y avait là une ville juive désertée. Les soldats l'incendièrent. Julien
atteignit ensuite Mahozamalcha, grande et forte ville. Il y dressa ses tentes.
Prenant avec lui quelques vélites, il fit à pied une reconnaissance de la place
mais tomba dans une embuscade. Dix soldats perses, sortis par une porte
masquée, fondirent sur lui. Il tua l'un. Un autre fut criblé de coups par son
escorte. Les huit autres s'enfuirent. Julien rapporta la dépouille des deux
morts comme trophée au camp où il fut reçu avec enthousiasme. Le
lendemain, l'armée passa un bras du fleuve pour trouver un meilleur
campement. Julien était déterminé à emporter Mahozamalcha car ç'aurait été
s'exposer que de pénétrer plus avant en laissant tant d'ennemis sur ses
arrières. Le suréna essaya d'enlever des chevaux qu'on faisait paître dans un
bois mais fut repoussé par les cohortes de garde. La population de deux
villes voulut se retirer à Ctésiphon. Les uns furent protégés par des forêts.
D'autres s'embarquèrent sur des troncs d'arbres creusés. Nos soldats en
tuèrent une partie. Eux-mêmes parcouraient le fleuve sur des barques,
ramassant des prisonniers. Tandis que l'infanterie se livrait aux travaux du
siège, la cavalerie battait la campagne pour se procurer des vivres. L'armée,
de la sorte, vivait aux dépens de l'ennemi. Mais, s'il était indispensable de
prendre la place, il n'était pas aisé d'y réussir. La citadelle était sur un rocher
à pic. Des tours hérissaient les approches de la partie basse de la ville,
construite sur une pente qui aboutissait à la rivière et la garnison était
inaccessible à toute séduction.
Nos troupes montraient une ardeur qu'on avait peine à contenir. Chacun
reçut sa tâche. Ici on travaillait aux terrasses, là on comblait le fossé, plus loin
on ouvrait des souterrains. Les ingénieurs disposaient les machines. Névitte
et Dagalaif surveillaient les travaux. Diriger les assauts et protéger les
ouvrages contre les sorties et les feux jetés des murailles fut le rôle de
l'empereur. Le duc Victor, qui avait fait une reconnaissance jusqu'à
Ctésiphon, ne vit l'ennemi nulle part. La joie de nos troupes accrut leur ardeur
belliqueuse. D'abord les Romains tentèrent de diviser l'attention de l'ennemi
par de feintes attaques. Leurs boucliers formaient une voûte au-dessus de
leurs têtes. Les Perses, abrités sous les lames de fer qui les couvraient, firent
bonne contenance. Ils mirent tout en œuvre pour nous faire reculer. Les
balistes ne cessèrent d'envoyer des traits et les scorpions nous accablèrent
de boulets. L'assaut se renouvela plusieurs fois mais vers midi la chaleur
devint trop forte. Les deux partis s'arrêtèrent. Le lendemain l'action
recommença, sans résultat. Le prince était présent partout. Vers la fin d'un
assaut, un coup de bélier fit écrouler la plus haute des tours. A la fin de la
nuit, on annonça à l'empereur que les légionnaires chargés de pratiquer la
mine avaient poussé une galerie jusque sous les fondements des murailles et
qu'ils n'attendaient que ses ordres pour pénétrer dans l'intérieur.
L'assaut eut lieu sur deux points opposés pour distraire l'attention des
assiégés. Exsupère, soldat de la légion Victorine, sortit le premier, puis le
tribun Magnus, puis le notaire Jovien, suivis par les autres. On égorgea les
sentinelles qui chantaient à tue-tête, suivant l'usage de leur nation, les
louanges de leur souverain. Ceux qui croient que Mars participe aux combats
eurent ce jour-là confirmation de leur croyance. Un guerrier colossal qu'on
avait remarqué lors de l'assaut ne fut jamais revu. Tous ceux qui s'étaient
distingués reçurent une couronne et leur éloge fut prononcé devant l'armée.
La ville fut occupée et ses défenseurs massacrés. Seuls Nabdatès, chef des
gardes du roi, et quatre-vingts de ses hommes furent capturés. L'empereur
donna l'ordre de les épargner. Le butin fut équitablement réparti. L'empereur
se réserva trois pièces d'or et un enfant muet. Parmi les captives il s'en
trouvait de très séduisantes car la Perse est renommée pour la beauté de ses
femmes. Julien ne voulut pas même les voir. Il apprit que des ennemis
étaient cachés dans un souterrain. Les soldats les y enfumèrent. Ainsi Rome
triompha de cette puissante cité et n'en laissa que des cendres.
Victor fut tenu quelque temps en échec au passage d'une rivière par le fils
du roi venu de Ctésiphon. Mais ce prince, voyant arriver l'armée, se retira. On
poursuivit la marche à travers les cultures. Un palais de style romain dut sa
conservation au plaisir que sa vue nous causa. Nous trouvâmes aussi un
parc qui contenait les animaux destinés aux chasses royales, des lions, des
sangliers et des ours. Nos soldats les tuèrent. L'empereur s'y fortifia à la hâte
et, trouvant de l'eau et du fourrage, fit reposer l'armée deux jours. La ville de
Coché, que nous appelons Séleucie, était proche. Julien, prenant les devants
avec des éclaireurs, en visita l'enceinte déserte. Une source y forme un lac
qui se décharge dans le Tigre. Il vit des pendus. C'étaient les parents du
gouverneur qui avait capitulé dans Pirisabora. Ce même lieu vit le supplice de
Nabdatès, pris à Mahozamalcha, qui périt sur un bûcher. Son pardon
inespéré l'avait rendu insolent au point de perdre toute retenue dans les
propos qu'il tenait contre Hormisdas.
Peu après le départ, un détachement perse nous prit des bêtes et tua des
fourrageurs. Julien, furieux, marcha sur Ctésiphon. Une forteresse l'arrêta. Il
fit une reconnaissance et reçut une volée de flèche. Cela le décida à assiéger
le fort mais la garnison préparait sa défense, comptant sur l'arrivée prochaine
du roi. Lors d'une sortie nocturne, elle tailla en pièces une de nos cohortes.
Un autre détachement passa le fleuve et fit des prisonniers. L'empereur mit à
pied les cavaliers de la cohorte qui avait si mal soutenu le choc. Sa colère se
tourna ensuite contre le fort et il employa tous les moyens pour s'en emparer.
La place fut emportée et brûlée. Nous arrivâmes ensuite au Naarmalcha, ou
Rivière des rois. C'est un bras artificiel du fleuve que nous trouvâmes à sec.
Trajan et Sévère avaient ouvert ce canal pour relier l'Euphrate au Tigre. Les
Perses, comprenant le parti qu'un ennemi pouvait en tirer, l'avaient comblé.
Nous le rouvrîmes et il reçut assez d'eau pour porter la flotte et la faire passer
dans le Tigre. L'armée se dirigea sur Coché. Une verdoyante campagne nous
offrit le repos dont nous avions besoin. Au milieu d'un bois de cyprès s'élevait
une maison de plaisance dont les murs intérieurs, couverts de peintures,
montraient le roi tuant des bêtes sauvages. C'est dans ce goût que sont
généralement les fresques du pays où l'art ne s'attache qu'à reproduire des
scènes de carnage.
Jusque là tout avait réussi à Julien et cela lui donnait confiance. Sur son
ordre, les plus solides navires furent déchargés et chacun reçut quatre-vingts
soldats. Il forma ensuite trois groupes de la flotte, en garda deux sous son
commandement et remit à Victor le troisième, composé de cinq navires, avec
mission de passer le fleuve au début de la nuit et d'occuper la rive opposée.
Au moment d'aborder, les galères furent accueillies par un déluge de feu et
auraient été détruites sans Julien qui cria que ces feux étaient un signal
convenu et entraîna le reste de la flotte. Cela dégagea les cinq navires qui
accostèrent sans dommage et les troupes purent occuper les escarpements
du fleuve et s'y maintenir. Certains des nôtres se risquèrent, sans autre
soutien que leurs larges boucliers, sur l'eau du fleuve et luttèrent de vitesse
avec les navires. Les Perses nous opposèrent leurs cataphractes aux
chevaux caparaçonnés de cuir épais. Ils s'appuyaient sur plusieurs lignes
d'infanterie armées de longs boucliers en osier recouvert de peaux. Derrière
manœuvraient les éléphants. L'empereur, de son côté, intercala les éléments
les moins sûrs de son infanterie entre le premier corps de bataille et la
réserve. Cette troupe, mise en première ligne, aurait suffi à entraîner la
déroute des autres. Les Perses reculèrent vers Ctésiphon et s'y jetèrent. Nos
gens y seraient entrés si le duc Victor, qui avait reçu une flèche, ne leur avait
fait signe de s'arrêter, craignant que les portes ne se referment sur eux. Deux
mille cinq cents Perses étaient morts et nous n'avions pas à regretter plus de
soixante-dix des nôtres. Julien voulut faire un sacrifice à Mars. Mais, de dix
taureaux qu'on amena, neuf tombèrent morts avant d'arriver à l'autel et le
dixième, qui rompit ses liens, n'offrit, quand on l'eut immolé, que des signes
de mauvais augure. Julien jura qu'il ne sacrifierait plus à Mars.
Julien tint conseil avec ses officiers pour savoir si on assiégerait Ctésiphon.
Ceux qui connaissaient la place pensaient que ce serait imprudent. Le prince
envoya Arinthée avec un peu d'infanterie piller la campagne et chasser les
ennemis éparpillés dans les bois. Cela donna un butin considérable. Julien
reprochait à ses lieutenants de vouloir laisser inachevée la conquête de la
Perse et décida d'avancer. Il laissa le fleuve à sa gauche sur la foi de guides
peu sûrs, et ordonna d'incendier à la flotte. Il ne garda que douze petits
navires pour jeter des ponts et les fit suivre sur des chariots. Il crut avoir bien
agi en rendant disponibles les vingt mille hommes que la manœuvre des
bateaux occupait. Mais en cas d'échec la retraite vers le fleuve devenait
impossible. Les transfuges avouèrent qu'ils avaient menti. On ordonna alors
d'éteindre les flammes mais c'était trop tard. On avançait en masses
compactes dans l'intérieur des terres. Les ennemis mettaient le feu aux
moissons et nous harcelaient. D'autre part, on n'entendait pas parler des
secours promis par Arsace ni de l'arrivée des deux corps détachés. Les
soldats disaient qu'il fallait retourner par où on était venu. Le prince montra
l'impossibilité de retraverser des plaines où tout était détruit. Les chemins
d'ailleurs étaient détrempés par la fonte des neiges et les crues. En plus la
chaleur engendrait des myriades de mouches et de moustiques.
On immola des victimes et les dieux furent consultés pour savoir s'il fallait
retourner par l'Assyrie ou tourner les montagnes pour tomber sur la
Chiliocome. On décida d'occuper la Gordyène. Le 16 des calendes de juillet,
on vit une fumée. Dans l'incertitude l'armée campa au bord d'un ruisseau. Ce
nuage resta en vue jusqu'au soir. Au jour, le reflet des cuirasses nous
annonça la présence de l'armée royale. Nos soldats brûlaient d'en venir aux
mains mais l'empereur interdit de bouger. Pourtant une escarmouche
s'engagea entre nos éclaireurs et les Perses. Les escadrons ennemis furent
finalement dispersés. Dans un mouvement de retraite que nous fîmes alors,
les Sarrasins tentèrent d'enlever nos bagages. Mais à la vue de l'empereur,
ils se replièrent. Nous atteignîmes après cela un bourg nommé Hucumbra où
nous trouvâmes des vivres. Après deux jours de repos, nous brûlâmes ce
que nous ne pouvions emporter. Le lendemain, l'armée poursuivait sa
marche quand les Perses tombèrent sur l'arrière-garde et l'auraient enlevée
sans l'intervention d'un corps de cavalerie. Dans cet engagement le satrape
Adacès, autrefois chargé d'une mission près de l'empereur Constance, fut
tué. Les légions accusèrent un corps de cavalerie de s'être dérobé au
moment où elles abordaient l'ennemi. L'empereur, indigné, le priva de ses
étendards, fit briser les lances des cavaliers et les condamna à marcher avec
les bagages. Quatre tribuns des auxiliaires furent dégradés.
Soixante-dix stades plus loin, l'armée manquait de vivres et les moissons
brûlaient. On les disputa aux flammes. Nous arrivâmes en un canton nommé
Maranga où nous vîmes les Perses. Ils venaient à nous sous le
commandement du Mérane, chef suprême de la cavalerie, qui avait avec lui
les deux fils du roi. Leurs lanciers restaient immobiles, les archers tendaient
leurs arcs. Derrière eux venaient les éléphants. Les chevaux surtout
s'épouvantaient de leurs cris et de l'odeur qu'ils exhalent. Les conducteurs,
depuis la défaite de Nisibe où les éléphants s'étaient retournés contre leurs
propres bataillons, portaient tous, attachés au poignet, de longs couteaux, se
tenant prêts, si l'animal devenait furieux, à l'en frapper. Julien rangea sa
troupe en bataille. Pour racheter la disproportion du nombre, il adopta
l'ordonnance en croissant et, craignant que les archers persans ne mettent le
désordre dans les bataillons, se porta en avant si vite qu'il neutralisa l'effet de
leur décharge. L'infanterie romaine rompit les premières lignes ennemies.
Les Perses soutiennent mal le corps à corps. Leur tactique est de se tenir à
distance, de céder le terrain au moindre désavantage et de lancer, tout en
fuyant, des grêles de traits qui ôtent l'envie de les poursuivre. Les Perses
eurent dans ce combat de grosses pertes. Les nôtres furent insignifiantes.
Nous souffrions de la faim. Les provisions des chefs furent distribuées aux
soldats. Quant à l'empereur, qui soupait d'une bouillie dont un valet d'armée
n'aurait pas voulu, il abandonnait aux plus démunis ce qu'on parvenait à se
procurer pour lui. Une nuit qu'il méditait, il vit, ainsi qu'il l'a dit à des amis, le
génie de l'empire, l'air triste, traverser la tente en silence. L'empereur se
levait pour conjurer par un sacrifice les malheurs dont il semblait menacé
lorsqu'une traînée de lumière parcourut le ciel. Il pensa que c'était l'étoile de
Mars qui se manifestait à lui sous cet aspect sinistre. Avant l'aube, Julien
consulta les haruspices étrusques. Selon eux, il fallait ajourner toute
entreprise. Ils s'appuyaient sur l'autorité du livre de Tarquitius qui
recommande, en cas d'apparition d'un météore, de s'abstenir de livrer
bataille. Comme Julien ne tenait pas compte de leur avis, ils le supplièrent au
moins de suspendre sa marche quelques heures. Mais l'empereur refusa. Le
camp fut levé dès l'aurore. Les Perses, à qui leurs échecs avaient appris à
craindre l'infanterie romaine en bataille rangée, ne firent plus qu'observer
notre marche, guettant le moment de nous surprendre. On se renforça sur les
flancs et on marcha par bataillons. Tout à coup on annonça à Julien qu'on
attaquait l'arrière-garde. Il prit le premier bouclier venu et, sans cuirasse,
courut au combat. Il apprit en route que l'avant-garde était également
compromise. Il y retournait quand des cataphractes perses chargèrent de
flanc la colonne, débordèrent notre aile gauche, qui plia, et s'acharnèrent sur
nos bataillons ébranlés par les éléphants. La vue du prince provoqua un élan
de notre infanterie légère qui, prenant les Perses à dos, tailla en pièces les
hommes et trancha les jarrets des éléphants. Julien lui-même donnait
l'exemple quand il reçut un javelot qui s'enfonça dans son foie. Il fut
transporté au camp. Quand la douleur fut un peu calmée, il voulut retourner
au combat. Mais ses forces faiblissaient. L'espoir s'éteignit en lui quand on lui
dit que l'endroit s'appelait Phrygie car, suivant une prédiction, Phrygie était le
nom du lieu où l'attendait la mort.
La soif de vengeance s'empara des soldats à la vue de leur prince qu'on
rapportait au camp. Ils se ruèrent sur les Perses qui, de leur côté,
multipliaient les volées de flèches. Cela ne cessa qu'à la nuit. Cinquante
satrapes périrent dans cette mêlée avec une foule de soldats. Le Mérane et
Nohodarès furent au nombre des morts. Mais notre avantage était balancé
par des pertes sensibles. Un groupe des nôtres réussit à se jeter dans un
petit fort voisin et rejoignit l'armée trois jours plus tard. Pendant ce temps
Julien, couché dans sa tente, partagea sa fortune privée entre ses amis. Les
assistants pleuraient mais Julien leur dit que c'était inconvenant car il allait au
ciel prendre place parmi les astres. Il eut un entretien avec les philosophes
Maxime et Priscus sur la transcendance de l'âme. Il expira au milieu de la
nuit, dans sa trente et unième année. Il était né à Constantinople. Orphelin
dès l'enfance, il avait perdu son père dans la proscription générale qui suivit
la mort de l'empereur Constantin et était déjà privé de sa mère Basiline.
Julien mérite d'être compté au nombre des plus grands pour ses qualités et
les grandes choses qu'il a accomplies. On admet quatre vertus principales, la
chasteté, la prudence, la justice et le courage, et quatre accessoires, le talent
militaire, l'autorité, le bonheur, la libéralité. Julien consacra sa vie à les
acquérir. II s'abstint, après avoir perdu sa femme, de tout commerce charnel.
Sa continence était favorisée par les restrictions qu'il s'imposait en nourriture
et en sommeil. En campagne, il n'était pas rare qu'il mange debout comme
les soldats et son repas était sommaire. Après un court sommeil, il se levait
et allait visiter les sentinelles, puis revenait se livrer à ses réflexions. Son
intelligence était aussi vaste que saine. Il possédait l'art de gouverner et de
faire la guerre. II était affable. Il aimait les sciences. Sa maxime favorite était
que le sage doit s'occuper de l'âme sans se soucier du corps. Il brilla dans
l'administration de la justice et sut la faire apparaître terrible sans qu'elle soit
cruelle. Ses campagnes témoignent de sa valeur guerrière comme de son
endurance. C'est par le corps que vaut le soldat, et le général par la tête.
Mais on a vu Julien se battre corps à corps. Sa présence au premier rang
était l'âme de son armée. Quant à ses talents stratégiques, les preuves en
sont notoires. Il avait sur les soldats un tel ascendant qu'ils le chérissaient
comme un camarade. N'étant que César, il leur fit, sans solde, affronter les
barbares et, par la menace de sa démission, ramena à l'ordre parmi eux. Il lui
suffit d'une simple exhortation aux soldats des Gaules pour les entraîner
jusqu'en Assyrie. II fut longtemps guidé par la main de la fortune. Témoin,
après qu'il eut quitté l'Occident, cette immobilité où restèrent jusqu'à sa mort
les nations barbares. Nul prince, en fait d'impôts, n'eut la main plus légère.
Julien avait aussi des défauts. Il se montrait parfois léger, mais il permettait
qu'on le reprenne quand il avait tort. Il parlait trop. Il abusait de la divination. Il
avait plus de superstition que de vraie religion. Sa consommation de bœufs
pour les sacrifices était telle qu'on disait que l'espèce manquerait s'il revenait
de Perse. Il aimait la louange. Malgré cela, on pourrait répéter avec lui que
son règne allait ramener la justice sur la terre dont l'avaient bannie les vices
des hommes. Ses lois, en général, étaient exemptes de despotisme. Mais il y
a des exceptions comme l'interdiction d'enseigner prononcée contre les
chrétiens. Ce fut encore un abus que de forcer des personnes normalement
exemptées à faire partie des conseils municipaux. Il était de taille moyenne,
avait la chevelure lisse, la barbe fournie et en pointe. Il avait de beaux yeux,
le nez droit, la bouche un peu grande, la lèvre inférieure proéminente, les
épaules larges et la poitrine développée. Il était vigoureux et agile à la
course. Ses détracteurs l'accusent d'avoir attiré la guerre sur son pays. En
fait ce n'est pas à Julien qu'il faut attribuer la guerre avec les Perses, mais à
Constance. Quant à la Gaule, Julien y avait trouvé une guerre ancienne. La
pensée de relever l'Orient lui fit faire la guerre aux Perses et sans doute il en
aurait rapporté des trophées si le ciel avait répondu à sa valeur.
Le lendemain, 5 des calendes de juillet, tandis que les Perses encerclaient
l'armée, les chefs délibérèrent sur l'élection d'un empereur. Arinthée, Victor et
les officiers de l'ancienne armée de Constance voulaient que le choix ait lieu
parmi eux, tandis que Névitte, Dagalaif et les autres chefs gaulois insistaient
pour qu'il tombe sur un des leurs. On s'accorda sur Salutius mais celui-ci prit
prétexte de son âge pour refuser. Un officier prit la parole pour dire que
l'essentiel était de sauver l'armée. S'ils regagnaient la Mésopotamie, ils
décideraient alors à qui donner l'empire. Quelques impatients élurent alors
Jovien, chef des gardes, fils du comte Varronien. Un choix fait dans de telles
circonstances ne saurait être raisonnable. On ne blâme pas des matelots,
après la perte d'un pilote dans la tempête, de confier le gouvernail à celui qui
l'accepte. Un officier qui avait eu des altercations avec Jovien eut peur de
son ressentiment et s'enfuit chez les Perses. Admis devant Sapor, il lui
annonça la mort de Julien et l'élection de Jovien. Sapor, à cette nouvelle qui
comblait ses vœux, donna l'ordre de tomber sur notre arrière-garde.
On consulta les entrailles des victimes. La réponse fut qu'en rase
campagne l'avantage nous resterait. On se mit donc en marche. Les Perses
firent charger les éléphants. Les légionnaires en tuèrent quelques-uns et
tinrent bon contre les cataphractes. Comme la nuit approchait, nous
doublâmes le pas pour arriver au fort de Sumère. Nous fûmes rejoints par les
soldats qui s'étaient jetés dans le fort de Vaccat. Le lendemain, nous
campâmes dans une vallée en entonnoir, les montagnes formant une sorte
de muraille naturelle, et nous y ajoutâmes un renfort de pieux aiguisés. Nous
voyant retranchés, l'ennemi, qui occupait les défilés, se contenta de nous
envoyer des flèches tout en nous insultant car des transfuges leur avaient
rapporté un bruit selon lequel l'arme qui avait frappé Julien était romaine. Des
escadrons ennemis forcèrent la porte prétorienne mais furent repoussés.
Le jour des calendes de juillet, après une marche de trente stades, nous
approchions de Doura quand les conducteurs des bagages, que la fatigue
des bêtes ralentissait, furent entourés de Sarrasins qui en auraient eu raison
si quelques escadrons n'étaient venus les dégager. Les Sarrasins s'étaient
retournés contre nous depuis la fin des subsides dont on leur avait donné
l'habitude. Les Perses, par des escarmouches, nous retinrent quatre jours. Le
bruit s'était répandu que nous n'étions plus loin de notre frontière et l'armée
voulait passer le Tigre. L'empereur montra aux soldats le fleuve en crue.
Beaucoup d'entre eux ne savaient pas nager et l'ennemi occupait les rives.
Mais l'impatience de l'armée était extrême. On finit par céder et on ordonna
aux Germains et aux Gaulois d'entrer les premiers dans le fleuve. On pensait
que s'ils étaient emportés par le courant cela servirait de leçon aux autres. A
la faveur de la nuit, ils atteignirent l'autre rive. De là, rampant vers les postes
ennemis endormis, ils en firent un carnage et levèrent les mains en signe de
succès. L'armée brûlait de les rejoindre mais il fallait attendre. Les ingénieurs
avaient promis d'établir un pont et la construction traînait.
Sapor voyait que l'armée romaine s'était aguerrie et que, depuis la mort de
son chef, ce n'était plus de salut qu'il était question pour elle mais de
vengeance. Nous avions dans nos provinces des forces que nous pouvions
rassembler et il savait quel effet produit en Perse un désastre sur le moral
des populations. Il était frappé par ce passage du fleuve par cinq cents
hommes. De notre côté, deux jours furent perdus pour établir le pont.
Exaspéré par la faim, le soldat préférait mourir pour y échapper. Mais le ciel
veillait sur nous. Les Perses nous envoyèrent des négociateurs. Eux aussi
perdaient courage mais leurs conditions étaient dures. Nous envoyâmes de
notre côté Salutius et Arinthée. Quatre jours s'écoulèrent en pourparlers. Il
n'aurait pas fallu plus de temps, si le prince avait su le mettre à profit, pour
atteindre la Gordyène. Notre rançon devait être la restitution de cinq
provinces transtigritaines, l'Arzanène, la Moxoène, la Zabdicène, la
Réhimène et la Gordyène, avec quinze places fortes, plus Nisibe, Singare et
Le-Camp-des-Maures. Combattre aurait mieux valu mais le prince était
entouré de flatteurs qui évoquaient Procope. Un prompt retour était
indispensable sinon ce général pouvait prendre le pouvoir. Jovien finit par
tout accepter. Il obtint que Nisibe et Singare passent aux Perses sans leurs
habitants et que, pour les autres places, les sujets romains puissent partir.
Par une clause déloyale, il fut stipulé qu'Arsace ne pourrait être secouru
par nous contre les Perses. L'ennemi voulait ainsi punir ce prince du ravage
de la province de Chiliocome qu'il avait opéré sur l'ordre de Julien et se
ménager des facilités pour envahir l'Arménie. Le traité eut effectivement pour
résultat la captivité d'Arsace et des déchirements intérieurs dont profitèrent
les Perses pour s'emparer d'Artaxate et de presque toute la frontière de
l'Arménie du côté des Mèdes. Dès que cette ignoble transaction eut été
ratifiée, des otages furent échangés. Ce furent de notre côté Nevitte, Victor et
quelques tribuns, et du côté perse le satrape Binésès et trois autres
personnages de marque. La paix fut conclue pour trente ans. Nous prîmes
pour le retour une route qui évitait les sinuosités du fleuve. La soif se joignit
alors à la faim. Certains restaient en arrière et ne reparaissaient plus.
D'autres gagnaient le fleuve et s'y noyaient en voulant traverser. Ceux qui
réussissaient tombaient aux mains des Sarrasins et étaient tués ou vendus.
Finalement, l'empereur traversa le premier sur les embarcations sauvées de
l'incendie puis fit ramener peu à peu les autres. Ainsi tous ceux qui avaient
été patients arrivèrent sur l'autre bord. Nous n'étions pas cependant au terme
de nos angoisses. Nous apprîmes que les Perses jetaient un pont plus loin,
sans doute pour intercepter les traînards. Mais ils renoncèrent quand ils
virent le projet éventé. Cette alarme nous fit forcer la marche et nous
arrivâmes près d'Hatra, ville déserte. Là, comme nous avions devant nous
soixante-dix milles sans eau ni nourriture, nous remplîmes d'eau douce tous
nos ustensiles et nous nous procurâmes une nourriture malsaine en tuant
nos chameaux. Après six jours, l'herbe même manqua mais nous fûmes
rejoints près du château d'Ur par Cassien, duc de Mésopotamie, et le tribun
Maurice avec un convoi de vivres.
Le notaire Procope et le tribun Mémoride partirent informer l'Illyrie et la
Gaule de la mort de Julien. Le prince leur remit, pour les offrir à son beau-
père Lucillien, retiré à Sirmium, les brevets de maître de l'infanterie et de la
cavalerie. Ils devaient aller le trouver et le presser de se rendre à Milan pour
organiser la répression si une rébellion survenait. Dans une lettre, Jovien
conseillait à Lucillien de s'entourer d'hommes sûrs. Il choisit Malaric pour
remplacer Jovin dans le commandement militaire des Gaules et il lui en
envoya les insignes. C'était écarter un mérite supérieur, et donc suspect, et
intéresser Malaric au maintien du régime dont il tiendrait cet avancement. Les
deux mandataires devaient présenter sous le meilleur jour la transaction qui
terminait la guerre avec les Perses, voyager jour et nuit et revenir faire leur
rapport.
Ce fut un coup de foudre pour les habitants de Nisibe quand ils apprirent
que leur ville allait être livrée à Sapor. Ils espéraient que l'empereur
reviendrait sur cet abandon du plus ferme rempart de l'Orient. Nous eûmes
bientôt achevé les ressources du convoi de vivres et, si la chair des bêtes de
somme avait manqué, nous aurions été réduits à nous dévorer les uns les
autres. Il en résulta l'abandon des bagages et des armes. La disette était telle
que le boisseau de froment, quand on en trouvait, se payait dix deniers d'or.
Nous arrivâmes à Thilsaphate où Sébastien et Procope vinrent à notre
rencontre. De là nous hâtâmes la marche et Nisibe apparut. Jovien campa à
l'extérieur et refusa de loger au palais. Il aurait rougi de consacrer par sa
présence dans les murs la cession de cette ville à l'ennemi. Le soir même, le
notaire Jovien, celui qui s'était introduit au moyen d'une mine dans les murs
de Mahozamalcha, fut jeté dans un puits que l'on combla. Il avait été désigné
par certains, à la mort de Julien, comme digne de l'empire. Le lendemain, le
perse Binésès vint réclamer l'exécution du traité. Il entra en ville et arbora sur
la citadelle son étendard. C'était le signal de l'expulsion des citoyens. Les
malheureux protestaient. Ils se faisaient fort de défendre seuls la place
comme ils l'avaient souvent fait. Mais c'était peine perdue. L'empereur
refusait d'être parjure. Sabinus, un magistrat municipal, observa que
Constance était mort sans avoir cédé un pouce de territoire. Jovien n'en fut
pas ému. Mais, alors qu'on lui offrait une couronne, l'avocat Sylvain lui
souhaita d'être ainsi couronné par les villes qui lui restaient. Cette fois il fut
piqué au vif et donna l'ordre d'évacuer la ville en trois jours. On vit une foule
de malheureux en larmes encombrer les routes, saisissant à la hâte ce qu'ils
pouvaient transporter et abandonnant le reste. Après cela, le tribun
Constance fut désigné pour remettre aux Perses les autres places. Procope
fut chargé d'accompagner à Tarse la dépouille de Julien. Il s'acquitta de ce
devoir mais, aussitôt après, il se cacha jusqu'au moment où il reparut revêtu
de la pourpre à Constantinople.
Tout étant fini, nous retournâmes à Antioche. Là, la colère divine sembla se
manifester. La sphère d'airain que tenait la statue de Maximien disparut. Les
solives de la salle du conseil craquèrent. Des comètes parurent en plein jour.
Jovien, inquiet, repartit au cœur même de l'hiver et se rendit à Tarse. II lui
tardait également de s'en éloigner. Toutefois il voulut embellir le tombeau de
Julien sur le chemin qui mène aux défilés du Taurus. De Tarse, Jovien gagna
Tyane en Cappadoce où il rencontra le notaire Procope et le tribun Mémoride
qui lui rendirent compte de leur mission. Lucillien s'était rendu à Milan avec
les tribuns Séniauchus et Valentinien et, apprenant que Malaric refusait le
commandement qui lui était offert, il en était reparti pour Reims. Là il s'était
lancé dans une discussion avec l'intendant. Celui-ci, qui avait à se reprocher
des fraudes, s'était enfui dans un cantonnement où il avait répandu le bruit
que Julien n'était pas mort. Cette fable avait excité parmi les troupes une
violence dont Lucillien et Séniauchus avaient été victimes. Ils ajoutèrent
qu'une députation allait arriver de la part de Jovin pour lui annoncer que son
pouvoir était reconnu par l'armée des Gaules.
Jovien envoya ensuite Arinthée en Gaule avec une lettre pour Jovin. Il
confirmait ce dernier dans son poste et l'engageait à lui rester fidèle. Il lui
enjoignait de punir l'auteur de la sédition et d'envoyer à la cour ceux qui y
avaient figuré. Après cela, il se rendit à Aspuna, en Galatie, pour recevoir les
députés de l'armée des Gaules. Il accueillit gracieusement les nouvelles dont
ils étaient porteurs et les renvoya chargés de présents. A Ancyre l'empereur
prit le consulat avec Varronien, son fils encore presque au berceau. Les cris
que poussa l'enfant pour n'être pas placé dans la chaise curule, comme le
veut l'usage, présageaient l'événement qui ne tarda pas à arriver. La nuit de
son arrivée à Dadastane, entre la Galatie et la Bithynie, Jovien fut trouvé mort
dans son lit. On supposa une asphyxie causée par l'enduit des murs de sa
chambre ou par le charbon qui y brûlait, ou encore par une indigestion. Il
avait trente-trois ans. Il avait la démarche digne, la physionomie gaie et les
yeux bleus. Il était d'une corpulence telle qu'on eut peine à trouver des
ornements impériaux à sa taille. Comme Constance, qu'il préférait à Julien
comme modèle, on le voyait remettre à l'après-midi les affaires sérieuses et
badiner en public avec ses courtisans. Il était attaché à la religion chrétienne.
Il aimait aussi les femmes et la table.
XI - Valentinien empereur
Les Alamans s'étaient remis des coups de Julien. Aux calendes de janvier,
profitant de l'hiver, plusieurs bandes firent irruption et, divisées en trois corps,
se répandirent en pillant. Le comte Charietto, qui commandait dans les deux
Germanies, s'avança contre le premier groupe. Il avait appelé à lui Sévérien,
cantonné à Châlons avec les Divitenses et les Tongriens. Quand leurs forces
furent réunies, l'action s'engagea. Notre ligne de bataille prit la fuite à la vue
de Sévérien renversé de cheval par un javelot. Charietto voulut retenir les
fuyards. Lui-même fut tué. Les barbares s'emparèrent de l'étendard des
Hérules et des Bataves et dansèrent autour avec des trépignements de
triomphe. Dagalaif fut envoyé de Paris pour réparer ce désastre mais il traîna,
alléguant que les barbares étaient trop divisés pour lui permettre de frapper
un coup décisif. Il fut remplacé par Jovin. Ce dernier, surprenant à Scarponne
le plus fort des trois groupes de barbares, l'extermina. Ce succès, obtenu
sans perte, exalta l'ardeur de ses troupes. Il sut en profiter pour écraser le
deuxième groupe. Avançant avec précaution, il apprit qu'une grosse division
de barbares se reposait au bord du fleuve. Il poursuivit silencieusement sa
marche jusqu'à voir les ennemis occupés, les uns à se baigner, les autres à
lisser leur blonde chevelure à la mode de leur pays, et le plus grand nombre
à boire. Il se jeta sur ces brigands qui tombèrent sous nos lances et nos
épées, sauf un petit nombre qui put s'enfuir par des sentiers détournés.
Jovin se porta aussitôt contre le troisième groupe qu'il trouva près de
Châlons. Le combat dura jusqu'à la nuit. La valeur de nos soldats s'y déploya
et ils auraient recueilli presque sans perte le fruit de leurs efforts si le tribun
Balchobaude, moins brave en actes qu'en paroles, ne s'était honteusement
retiré à la nuit. Cela aurait entraîné la déroute si le reste des cohortes avait
suivi son exemple. Mais la troupe tint ferme et tua six mille hommes à
l'ennemi et lui en blessa quatre mille tandis qu'il n'y eut de notre côté que
deux mille hommes hors de combat. A l'aube on vit que l'ennemi avait profité
des ténèbres pour s'enfuir. Jovin revenait sur ses pas quand il apprit qu'un
détachement de lanciers qu'il avait envoyé par un autre chemin piller les
tentes des Alamans, avait pris leur roi et l'avait mis au gibet. Il voulut sévir
contre le tribun qui avait pris sur lui un tel acte d'autorité mais l'officier prouva
que l'emportement des soldats ne lui avait pas laissé le temps d'intervenir.
Jovin reprit la route de Paris. La satisfaction de Valentinien était à son comble
car il venait de recevoir de Valens l'hommage de la tête de Procope.
A cette époque, à Pistoia, en Toscane, un âne monta à la tribune et se mit
à braire. Ce prodige ne tarda pas à s'expliquer. Térence, un boulanger natif
de cette ville, ayant accusé l'ex-préfet Orfite, obtint en récompense
l'administration de la province. Il s'y montra aussi insolent que brouillon et
périt de la main du bourreau, convaincu de prévarication. A Rome, Apronien
avait eu pour successeur Symmaque, homme instruit et modeste. Jamais les
subsistances et la tranquillité ne furent mieux assurées. Symmaque fut
remplacé par Lampade, administrateur intègre et habile. Excédé par le
peuple qui réclamait en faveur de tel ou tel favori des largesses imméritées, il
distribua aux pauvres de grosses sommes pour montrer à la fois sa libéralité
et son mépris des jugements populaires. Quand nos princes dotaient la ville
d'un édifice, il y inscrivait son nom comme fondateur. Une fois, la populace
manqua incendier sa maison. Il voulait construire de nouveaux édifices et, au
lieu d'en payer la dépense, quand il avait besoin de fer, de plomb ou de
cuivre, il envoyait ses agents s'emparer de ces matériaux. Ces exactions
répétées finirent par soulever ses victimes et on aurait fait au préfet un
mauvais parti s'il n'était parti. Vivence, son successeur, un pannonien, était
intègre et mesuré. Son administration fit régner l'abondance mais fut secouée
par une terrible discorde. Damase et Ursin se disputaient le siège épiscopal
et le fanatisme de leurs partisans alla jusqu'à l'effusion du sang. Damase finit
par l'emporter. Cent trente-sept cadavres furent trouvés le lendemain dans
une basilique où les chrétiens tiennent leurs assemblées. Quand on réalise
l'éclat de cette dignité, on n'est pas surpris de cette animosité entre les
rivaux. Celui qui l'obtient est sûr de s'enrichir. Ces prélats seraient mieux
inspirés si, au lieu de se faire un prétexte de la grandeur de la ville pour
justifier leur luxe, ils prenaient exemple sur leurs collègues de province que
leur ordinaire frugal et leurs mœurs pures recommandent aux fidèles.
Pendant ce temps la Thrace était le théâtre de nouveaux combats. Valens,
poussé par son frère, venait de déclarer la guerre aux Goths qui avaient
soutenu Procope. Après la défaite de celui-ci, Victor, maître de la cavalerie,
fut envoyé chez eux pour savoir ce qui avait pu pousser cette nation amie à
aider un usurpateur. Les Goths, pour se justifier, montrèrent une lettre où
Procope prouvait qu'il était du sang de Constantin et ajoutèrent que, s'ils
s'étaient trompés, ils étaient pardonnables. Victor transmit l'excuse à Valens
qui, la jugeant insuffisante, vint, au printemps, camper avec ses forces près
de la forteresse de Daphné. Un pont fut jeté sur le Danube. Le prince put
parcourir le pays sans trouver personne à combattre. Les Goths s'étaient
retirés dans les montagnes des Serres. Valens fit battre le pays par Arinthée,
maître de l'infanterie, qui s'empara d'une partie des familles des ennemis. Ce
fut le seul fruit de cette campagne dont le prince revint sans avoir essuyé de
perte mais sans avoir produit grand effet. L'année suivante, l'empereur fut
arrêté par une crue du Danube. Il campa tout l'été près du bourg des Carpis
et revint passer l'hiver à Marcianopolis. Valens persévéra. L'année suivante,
un pont fut jeté à Novidunum. Il atteignit la tribu des Greuthungues et chassa
devant lui Athanaric, un de leurs chefs, qui s'était cru assez fort pour lui tenir
tête. La présence prolongée du prince dans leur voisinage inquiétait les
Goths et l'interruption du commerce les gênait beaucoup. Ils implorèrent la
paix, l'empereur accepta. Il fallait trouver un lieu de conférence. Athanaric
allégua le serment qu'il avait fait de ne jamais mettre le pied sur le sol romain.
De son côté, l'empereur aurait dérogé en se rendant près de lui. On ménagea
une rencontre au milieu du fleuve, sur des bateaux. Valens prit des otages et
revint à Constantinople. Le sort y amena plus tard Athanaric lui-même,
chassé de sa patrie. Il y mourut, et fut inhumé suivant le rite romain.
Pendant ce temps, Valentinien tomba malade. Des Gaulois de sa garde
parlèrent d'élever à l'empire Rusticus Julianus, garde des archives. D'autres
pensaient à Sévère, maître de l'infanterie. Mais l'empereur se rétablit et éleva
au pouvoir son fils Gratien. Tout fut fait pour y préparer l'armée. Il le fit venir
et, montant avec lui sur une tribune, entouré des grands personnages de sa
cour, il prit par la main le jeune prince et le recommanda à l'assemblée. Ce
fut bien accueilli et Gratien fut proclamé empereur. En conférant le titre
d'Auguste et non celui de César à son frère et à son fils, Valentinien mit le
sentiment de famille au-dessus des usages. Quelques jours après, Mamertin,
préfet du prétoire, fut accusé de concussion par Avitien, ex-lieutenant
d'Afrique. Il fut remplacé par Vulcace Rufin, homme qui ne laissait passer
aucune occasion de gain quand il pouvait en profiter sans scandale. Rufin sut
obtenir le rappel d'Orfite et la restitution des biens de l'exilé. Valentinien, au
début, avait fait des efforts pour maîtriser ses colères. Mais l'explosion,
longtemps contenue, n'en fit que plus de dégâts. Parmi les victimes de sa
cruauté, Dioclès, trésorier en Illyrie, expira sur le bûcher pour une faute
légère. La peine de mort fut infligée à Diodore, intendant d'Italie, et à trois
appariteurs parce que le comte s'était plaint de ce que Diodore lui avait
intenté un procès et que les appariteurs lui avaient ordonné de répondre
devant la justice. Les chrétiens de Milan honorent la mémoire de ces
victimes. L'empereur, une autre fois, avait ordonné de mettre à mort les
décurions de trois villes pour avoir, sur réquisition d'un juge, exécuté un
nommé Maxence. Mais Eupraxe l'encouragea à la modération parce que
ceux qu'il faisait périr comme criminels, les chrétiens en faisaient des martyrs.
Valentinien allait d'Amiens à Trèves quand il reçut de mauvaises nouvelles
de Bretagne. Les barbares affamaient le pays. Ils avaient tué le comte
Nectaride et fait tomber le duc Fullofaud dans une embuscade. Valentinien
chargea le comte Sévère de remédier au mal. Puis il le remplaça par Jovin
qui, à peine arrivé, demanda qu'on lui envoie une armée. De plus en plus
inquiet, l'empereur choisit finalement Théodose et lui confia l'élite des légions.
Les Pictes formaient à cette époque deux peuples, les Dicalydons et les
Verturions, qui, avec les Attacottes et les Scots, ravageaient tout. Dans les
parties de l'île proches de la Gaule, les Francs et les Saxons opéraient des
descentes sur les côtes. Théodose débarqua à Rutopie. De là, suivi des
Bataves, des Hérules, des Joviens et des Victorins, il gagna l'ancienne cité
de Londres, appelée depuis Augusta. Il divisa sa troupe en plusieurs corps et,
tombant sur les partis ennemis chargés de butin, les défit et leur enleva les
hommes et le bétail qu'ils avaient pris. Il rentra ensuite en triomphe dans la
ville. Il sembla à Théodose que le plus sûr, en fonction du nombre des
nations auxquelles il avait affaire, était d'agir par surprise. Les aveux des
prisonniers et les renseignements des transfuges le confirmèrent dans cette
opinion. Il promit l'impunité aux déserteurs qui reviendraient et rappela les
soldats en congé. Presque tous rejoignirent au premier avis.
L'Afrique était aussi désolée par les barbares. Les maux du pays, dus au
relâchement de la discipline, étaient aggravés par la cupidité du comte
Romain. Haï pour sa cruauté, cet homme l'était plus encore pour sa façon de
devancer les ravages de la guerre et de mettre ensuite ses vols au compte
de l'ennemi. Il était protégé par son parent Rémige, maître des offices, qui
avait l'art de présenter à Valentinien sous un jour favorable la condition de
l'Afrique. Un des torts de Valentinien est d'avoir favorisé l'arrogance de
l'armée. Impitoyable pour les soldats, il fermait les yeux sur les vices des
chefs. A cette époque, des bandes d'Isauriens désolaient la Pamphylie et la
Cilicie sans trouver de résistance. Cela émut le lieutenant d'Asie, Musonius. Il
rassembla des éléments de la milice connue sous le nom de Diogmites. Mais
il ne put éviter une embuscade où tous périrent avec lui. Cela tira enfin nos
troupes de leur torpeur. On fit justice d'un certain nombre des brigands et les
autres furent relancés dans leurs repaires, si bien que, ne trouvant plus ni
repos ni subsistance, ces barbares, sur le conseil des habitants de
Germanicopolis, demandèrent la paix. Ils livrèrent des otages, après quoi ils
restèrent longtemps calmes. Rome était alors sous l'excellente administration
de Prétextat. Son autorité mit fin au schisme qui divisait les chrétiens. Ursin
fut expulsé. La tranquillité régna dès lors dans la ville. Le préfet fit disparaître
les usurpations de la voie publique, purgea les temples des constructions
parasites, établit dans tout son ressort l'uniformité de poids et mesure, seul
moyen d'empêcher les exactions et les fraudes dans le commerce.
Pendant une absence de Valentinien, un prince alaman nommé Rando
s'introduisit dans Moguntiacum. C'était le jour d'une grande fête chrétienne.
Le barbare fit de nombreux prisonniers et s'empara d'un riche butin. Tous les
moyens étaient mis en œuvre pour nous débarrasser du fils de Vadomaire,
Vithicab, qui soulevait contre nous ses compatriotes. Il finit par succomber, à
notre instigation, sous les coups d'un de ses domestiques. Sa mort freina
quelque temps les hostilités mais l'assassin se réfugia sur le territoire romain.
Une campagne contre les Alamans allait s'ouvrir. Nos soldats étaient fatigués
d'être perpétuellement tenus sur le qui-vive par cette nation. Le comte
Sébastien reçut l'ordre de participer avec les troupes qu'il commandait en
Italie et en Illyrie et, dès la fin de l'hiver, Valentinien et son fils franchirent le
Rhin. On s'avança en carré, les deux empereurs au centre, les généraux
Jovin et Sévère sur les deux ailes. Plusieurs jours se passèrent ainsi et, ne
trouvant rien à combattre, on incendiait les maisons et les cultures.
L'empereur continua sa marche jusqu'à un lieu nommé Solicinium. Là il
s'arrêta, averti par ses éclaireurs que l'ennemi était en vue. Les barbares
avaient compris que leur seule chance de salut était de reprendre l'offensive
et s'étaient postés sur la montagne.
Nos lignes, sur ordre de l'empereur, se tinrent immobiles. Sébastien
occupa le revers septentrional de la montagne, manœuvre qui lui livrait les
fuyards si les Germains avaient le dessous. Gratien, trop jeune, resta à
l'arrière-garde. Valentinien passa l'inspection des troupes puis renvoya son
escorte et courut reconnaître le terrain. Mais il s'égara dans un marécage et
faillit tomber dans une embuscade. Dès que l'armée eut pris quelque repos,
le signal fut donné. Deux jeunes guerriers d'élite devancèrent leurs bataillons,
invitant leurs compagnons à les suivre. Le gros de l'armée parvint sur leurs
traces, à travers les buissons et les rochers, à gagner les hauteurs. Alors la
lutte s'engagea. Les barbares se troublèrent en voyant notre front de bataille
les enfermer dans ses deux ailes. Ils continuèrent à se battre mais l'ardeur
romaine l'emporta. Les ennemis voulurent fuir mais furent rejoints par les
nôtres. Ce fut un massacre. Parmi ceux qui quittèrent le champ de bataille
vivants, une partie se heurta à Sébastien qui les attendait au pied de la
montagne et fut taillée en pièces. Le reste se réfugia dans la forêt. Nous
eûmes des pertes sensibles. Après cette victoire chèrement achetée, on
reprit les quartiers d'hiver, l'armée dans ses cantonnements, les deux
empereurs à Trèves. Vulcace Rufin venait de mourir. On appela à la
préfecture du prétoire Probus, recommandé par ses richesses, bien ou mal
acquises.
Après la mort de Julien et le honteux traité qui l'avait suivie, une apparente
concorde régna quelque temps entre nous et le roi de Perse. Mais il ne tarda
pas à fouler aux pieds ce pacte comme s'il cessait d'être valable avec la mort
de Jovien et il étendait la main sur l'Arménie, employant tour à tour la ruse et
la violence. Parvenu à attirer le roi Arsace dans un festin, il lui fit crever les
yeux. Relégué dans un fort, Arsace fut finalement tué. Sapor ne s'en tint pas
là. Il chassa Sauromace, qui tenait de nous le sceptre d'Ibérie, et le remplaça
par Aspacuras. Pour comble d'insolence, il conféra l'autorité sur l'Arménie
entière à deux transfuges, l'eunuque Cylace et Arrabanne, leur ordonnant de
détruire Artogérasse, ville forte où était enfermés la veuve, le fils et le trésor
d'Arsace. Le siège commença. Mais le site de la place et le climat rendaient
les opérations impraticables en hiver. Cylace, en sa qualité d'eunuque, savait
s'y prendre avec les femmes. Arrabanne et lui se présentèrent devant la ville
et purent entrer. Ils tentèrent d'effrayer la reine et la garnison en insistant sur
la violence de Sapor et sur la nécessité de le fléchir par une prompte
soumission. Mais ces négociateurs, touchés par les larmes de la reine,
voyant peut-être de ce côté de plus grandes récompenses, changèrent de
plan et nouèrent une secrète entente avec les assiégés. On convint d'une
sortie nocturne de la garnison contre le camp et ils retournèrent dire à l'armée
que les assiégés demandaient deux jours pour délibérer. La nuit, une troupe
se glissa dans le camp et y fit un grand carnage. Le ressentiment de Sapor
s'accrut lorsqu'il apprit l'évasion de Papa, fils d'Arsace, et l'accueil fait au
fugitif par Valens, l'empereur lui ayant assigné pour résidence la ville de
Néocésarée dans le Pont.
Cylace et Arrabanne envoyèrent une députation à Valens. Ils demandaient
Papa pour roi et des secours. Les secours furent refusés mais le duc Térence
eut mission de ramener Papa en Arménie pour y exercer le pouvoir, sans
prendre le titre de roi pour éviter le reproche d'infraction au traité. Cette
transaction exaspéra Sapor qui se mit à ravager l'Arménie. A son approche
Papa s'enfuit avec Cylace et Arrabanne et gagna les montagnes qui séparent
l'empire du territoire lazique. Pendant cinq mois ils déjouèrent les poursuites.
Sapor comprit qu'il perdait son temps. Il incendia les arbres fruitiers, plaça
des garnisons dans tous les forts qu'il contrôlait et revint vers Artogérasse
qu'il emporta et brûla. La femme d'Arsace et ses trésors tombèrent en son
pouvoir. Cela détermina l'envoi d'une armée avec Arinthée pour chef pour
secourir l'Arménie au cas où les Perses y recommenceraient les hostilités.
Mais Sapor travaillait à circonvenir Papa par ses émissaires. Il le grondait
avec une bienveillance hypocrite sur l'ascendant excessif qu'il laissait prendre
à Cylace et à Arrabanne. Le crédule prince donna tête baissée dans le piège,
fit mettre à mort ses deux ministres et envoya leurs têtes à Sapor en signe de
soumission. Mais les Perses étaient été intimidés par l'approche d'Arinthée.
Ils envoyèrent une ambassade à l'empereur pour lui demander, aux termes
du traité conclu avec Jovien, de ne pas intervenir. Cette demande fut
repoussée et Térence, avec douze légions, alla replacer Sauromace sur le
trône d'Ibérie. Le prince arrivait au fleuve Cyrus lorsque Aspacuras, son
cousin, vint le supplier d'accepter qu'ils règnent ensemble. Il appuyait sa
proposition sur l'impossibilité pour lui, dont le fils était otage chez les Perses,
de faire cause commune avec les Romains. L'empereur jugea qu'il était
prudent de ne pas envenimer la querelle et accepta le partage de l'Ibérie. Le
Cyrus fut fixé comme frontière. Sauromace régna sur les Lazis et le territoire
limitrophe de l'Arménie, Aspacuras sur celui qui confine à l'Albanie et à la
Perse. Sapor, considérant le pacte rompu, se prépara à entrer en campagne.
Pendant ce temps, les massacres recommençaient à Rome. Maximin, vice-
préfet Rome, était né à Sopiana, en Valérie. Son père était greffier et venait
de la nation des Carpis que Dioclétien avait fait transporter en Pannonie.
Après une éducation médiocre, il avait été administrateur de la Corse, de la
Sardaigne puis de la Toscane. De là il fut appelé aux fonctions de préfet des
subsistances à Rome. Trois choses le tinrent en bride au début. D'abord, son
père lui avait prédit qu'il parviendrait au poste le plus élevé mais qu'il mourrait
de la main du bourreau. Ensuite, il était lié à un magicien sarde qui savait
évoquer les mânes des suppliciés et la crainte d'une indiscrétion le força, tant
que celui-ci vécut, à se montrer humain. Enfin il tenait du serpent et, comme
lui, savait ramper jusqu'au moment de s'élancer sur ses victimes. Une plainte
pour empoisonnement avait été portée devant le préfet Olybrius par Chilon,
lieutenant d'Afrique, et Maxima, sa femme, contre le luthier Séricus, le maître
d'escrime Asbolius et l'haruspice Campensis. Les prévenus avaient été
arrêtés mais, l'infirmité du préfet faisant traîner l'affaire, les plaignants
obtinrent qu'elle soit attribuée au préfet des subsistances. La férocité de
Maximin se révéla alors. Des aveux obtenus par la torture compromirent
quelques noms illustres. Un rapport exagéré fut aussitôt fait à Valentinien qui
décréta que la torture pourrait être appliquée à tous. On donna à Maximin
l'intérim de la préfecture et on lui adjoignit Léon, un brigand pannonien.
Le signal des meurtres judiciaires était donné. Parmi les condamnations, il
y en eut d'atroces. L'avocat Marin fut condamné à mort sans débats pour
avoir usé de pratiques illicites afin d'obtenir la main d'une femme. Le sénateur
Céthégus, sur un soupçon d'adultère, eut la tête tranchée. Alypius, jeune
homme de noble famille, paya de l'exil une peccadille. D'autres moins
distingués furent remis au bourreau. Une disette étant apparue à Carthage, le
proconsul Hymétius avait ouvert aux habitants les greniers affectés à
l'approvisionnement de Rome et avait ensuite profité d'une bonne récolte
pour rétablir une quantité de grains égale à celle qu'il avait prise. Comme le
froment avait été livré à un écu d'or les dix boisseaux et racheté à un écu les
trente, l'opération présentait au profit du trésor une différence qu'il y fit verser.
Il fut pourtant soupçonné de détournement et une partie de ses biens fut
confisquée. Une coïncidence aggrava la chose. L'haruspice Amantius était
traduit en justice sur une dénonciation anonyme comme ayant été appelé en
Afrique par Hymétius pour faire un sacrifice dans des vues criminelles. Une
perquisition fit découvrir un écrit de la main d'Hymétius où l'haruspice était
invité à employer les formes religieuses de supplications pour adoucir à son
égard les deux empereurs. Mais l'écrit se terminait par des commentaires sur
l'avarice de Valentinien. Les juges en référèrent au prince et reçurent en
retour l'ordre de pousser l'enquête. Frontin, conseiller d'Hymétius, convaincu
d'avoir aidé à la rédaction de la pièce, fut relégué en Bretagne. Amantius fut
condamné à mort. On regardait l'accusé comme perdu mais le droit qu'il fit
valoir d'être jugé par l'empereur le sauva. Valentinien le renvoya devant le
sénat qui examina l'affaire sans passion et ne prononça contre lui qu'un
simple exil en Dalmatie, ce qui mit le prince en fureur. Le sénat supplia
l'empereur de rétablir la juste proportion entre les délits et les peines.
Valentinien cria à la calomnie. En quoi il fut contredit par Eupraxe, dont le
courage fit reculer le prince.
Maximin fit le procès du jeune Lollien, fils de l'ex-préfet Lampade, coupable
d'avoir copié un recueil de formules magiques. Sa tête tomba. Les femmes
n'était pas épargnées. Plusieurs périrent sous l'imputation d'adultère ou
d'inceste, dont Claritas et Flaviana. La première fut conduite au supplice nue.
Deux sénateurs, Paphius et Cornélius, qui avouèrent s'être mêlés de
maléfices, furent exécutés. Le procurateur de la monnaie eut le même sort.
Séricus et Asbolius, furent assommés à coups de balles de plomb attachées
à des lanières. Maximin, pour obtenir d'eux des révélations, leur avait garanti
que le fer ni le feu ne serait utilisé contre eux. Mais il livra aux flammes
l'haruspice Campensis. Maximin n'était encore que préfet des subsistances
que son audace allait jusqu'à braver l'autorité de Probus, le préfet du prétoire.
Aginace, vexé de s'être vu préférer Maximin par Olybrius pour la direction
des enquêtes, prit parti pour Probus et insinua qu'il fallait réprimer un
subalterne insolent. Probus eut peur et dit tout à Maximin. La rage de celui-ci
fut extrême. Une occasion se présentait pour perdre Aginace, il en profita.
Après la mort de Victorin, Aginace, qui était un de ses héritiers, menaça d'un
procès sa veuve, Anepsia. Celle-ci, pour s'assurer la protection de Maximin,
lui fit croire que son mari avait fait en sa faveur un legs de trois mille livres. La
cupidité de Maximin s'enflamma et il réclama la moitié de l'héritage. Mais
c'était trop peu. Il s'avisa d'un moyen pour s'approprier la plus grosse part de
ce patrimoine, ce fut de demander en mariage pour son fils une fille
qu'Anepsia avait eue d'un premier lit et l'affaire fut bientôt conclue. Voilà quel
spectacle donnait à Rome cet homme dont le nom seul fait frémir.
Maximin fut appelé à la cour pour être nommé préfet du prétoire. Ses
victimes n'y gagnaient rien. Il tuait comme le basilic, à distance. Ursicin, son
successeur, inclinait à la douceur. Scrupuleux observateur des formes
légales, il voulut en référer à l'empereur sur l'affaire d'Esaias et de plusieurs
autres, accusés d'adultère sur la personne de Rufina, et qui, de leur côté,
intentaient contre Marcellus, le mari de cette dernière, une accusation de
lèse-majesté. La circonspection d'Ursicin fut traitée de faiblesse. On mit à sa
place Simplicius, un conseiller de Maximin. Il commença par faire mourir
Rufina et tous ceux qu'atteignait l'accusation d'adultère. On le vit ensuite
procéder contre une infinité d'autres prévenus. Il se faisait un point d'honneur
de dépasser Maximin dans la destruction des familles patriciennes. Cela
faisait si peur qu'une dame noble nommée, pour se dérober à une
accusation, se suicida. L'opinion désignait deux hommes, Eumène et
Abiénus, comme ayant entretenu un commerce illicite avec Fausiana. Ils
tremblèrent en voyant arriver Simplicius et se cachèrent en apprenant qu'on
avait condamné Fausiana. Abiénus fut trahi par un esclave. Des appariteurs
allèrent aussitôt arracher ces infortunés à leurs retraites et Abiénus, sous
l'imputation aggravante d'un nouvel adultère avec Anepsia, fut envoyé à la
mort. Celle-ci, pour se sauver, déclara que c'était par des sortilèges et chez
Aginace que cela s'était passé. Aussitôt Simplicius le rapporta à l'empereur.
Maximin était là. Le favori obtint facilement du prince un ordre de mort.
Mais comme Simplicius avait été son conseiller, la peur qu'on ne fasse
remonter jusqu'à lui responsabilité d'une condamnation prononcée contre un
patricien empêcha un moment Maximin de se dessaisir du décret impérial. Il
trouva un certain Doryphorien, un Gaulois, qui prit tout sur lui. Maximin lui
confia le décret. Il gagna Rome et chercha comment ôter la vie à un sénateur
sans recourir à l'autorité locale. Aginace était gardé dans sa maison de
campagne. Doryphorien décida qu'Anepsia et lui comparaîtraient en sa
présence de nuit, quand l'esprit se trouble plus aisément. Uniquement
préoccupé d'accomplir sa tâche, le juge, ou plutôt le brigand, dès qu'Aginace
fut amené devant lui, fit torturer ses esclaves. Une servante laissa échapper
quelques mots équivoques. Ce fut assez pour motiver l'ordre de traîner
Aginace au supplice. Anepsia eut le même sort. Maximin paya son insolence
de sa tête, sous le règne de Gratien. Simplicius fut massacré en Illyrie. Quant
à Doryphorien, le prince ne tarda pas à le faire périr.
Valentinien fortifia le cours du Rhin de la Rhétie à l'océan Germanique,
jetant même çà et là sur l'autre rive des ouvrages avancés. Un de ces forts,
situé sur les bords du Nicer, lui paraissant menacé par les eaux. Aussitôt les
ingénieurs furent appelés et une partie de l'armée fut employée à détourner
la rivière. Valentinien distribua ensuite l'armée dans ses quartiers d'hiver et
revint s'occuper du gouvernement. Convaincu que son système de défense
devait comprendre le mont Pirus, situé en territoire barbare, il décida d'y
construire un fort. Et comme la rapidité était pour beaucoup dans la réussite,
il fit donner par le notaire Syagrius l'ordre au duc Arator de s'emparer de ce
point avant que le projet soit éventé. Le duc alla immédiatement sur place
mais, au moment où il commençait les terrassements, arriva Hermogène qui
le remplaça. Au même instant parurent des notables alamans, les pères des
otages que nous avions reçus en gage de paix. Ils supplièrent les nôtres de
ne pas violer la foi jurée. Mais leur protestation fut vaine. Voyant qu'on ne les
écoutait pas, ils se retirèrent, pleurant d'avance la mort de leurs enfants. A
peine avaient-ils disparu qu'un corps de barbares tomba sur nos soldats et
les massacra tous. Il ne resta pour porter la nouvelle que Syagrius. La Gaule
fourmillait de bandits. Loin de là, les habitants de Maratocypre, près
d'Apamée, désolaient la Syrie. Une troupe de ces scélérats, déguisés en
officiers du fisc, un faux magistrat en tête, entra un soir dans la demeure d'un
notable et se jeta sur le propriétaire. Surpris, les domestiques ne songèrent
même pas à se défendre. Les brigands en tuèrent un certain nombre et
disparurent avant le jour, emportant du logis ce qu'il contenait de plus
précieux. Sur ordre de l'empereur, ils furent encerclés et détruits jusqu'au
dernier. On n'épargna pas même les enfants, de peur qu'ils ne suivent
l'exemple de leurs pères.
Théodose repartit de Lundinium. Sa présence rétablissait notre situation en
Bretagne. Il savait s'assurer l'avantage du terrain et se montrait intrépide
soldat autant que capitaine habile. Partout il dispersa les barbares et il eut
bientôt rétabli les forts construits en d'autres temps pour assurer la tranquillité
de l'île. Il se tramait cependant contre lui un complot qui aurait été funeste s'il
ne l'avait étouffé dans son germe. Un certain Valentin, né en Pannonie
Valérienne, et beau-frère de Maximin, avait été exilé en Bretagne pour crime.
Il considérait Théodose comme un obstacle à ses projets. Il essaya de
séduire les exilés et les soldats par des promesses mais, au moment où la
conspiration allait éclater, Théodose, instruit de ces menées, ordonna au duc
Dulcitius de le tuer avec quelques-uns de ses complices. Il comprit que
pousser plus avant les recherches serait réveiller des troubles assoupis. Ce
péril surmonté, Théodose se livra aux réformes qu'exigeait l'état du pays.
Il reconstruisit les villes, établit des camps retranchés et protégea les
frontières. La province était rendue à sa domination légitime et prit le nom de
Valentia qui donnait au prince l'honneur de ces résultats. Théodose expulsa
les Arcani, dont l'institution remonte à nos ancêtres. Ils avaient trahi plus
d'une fois le secret de nos mesures tandis que leur rôle était au contraire de
nous avertir des mouvements de l'étranger. Après cela un ordre de la cour
rappela Théodose. Il fut bientôt rendu près de l'empereur qui, après l'avoir
félicité, lui conféra la maîtrise de la cavalerie où il remplaça Valens Jovin. A
Rome, la préfecture d'Olybrius fut tranquille. Il mettait soin à ne blesser
personne. Jamais calomniateur ne trouva grâce devant lui. Il rogna de son
mieux les ongles du fisc, sut se montrer habile autant qu'intègre et adoucir la
condition des subordonnés. Il était cependant trop livré au goût des
spectacles et au plaisir des sens. Après lui vint Ampélius, natif d'Antioche,
homme de mérite. Plus de fermeté lui aurait valu la gloire d'avoir réformé
l'intempérance publique et le penchant de la population à la gourmandise.
Les Saxons franchirent l'Océan et massacrèrent des sujets romains. Le
comte Nanniénus soutint le premier choc. Mais les barbares se battaient en
désespérés. Il perdit beaucoup de monde. Blessé lui-même et trop affaibli
pour tenir longtemps, il en informa l'empereur qui envoya Sévère, maître de
l'infanterie, à son secours. L'arrivée de ce général effraya l'ennemi qui
implora le pardon. On hésita avant d'accepter mais on reconnut enfin que
c'était à notre avantage. Une trêve fut conclue et les Saxons, après nous
avoir livré une partie de leur jeunesse, retournèrent d'où ils étaient venus.
Cependant un détachement d'infanterie les devança et alla prendre une
position d'où on pouvait les accabler. L'embuscade se montra trop tôt et prit
la fuite sans avoir pu se former. Les nôtres auraient succombé si leurs cris
n'avaient attiré un escadron de cataphractes. L'ennemi fut passé au fil de
l'épée. En stricte justice, un tel acte s'appelle déloyauté. Mais comment faire
un crime à Rome d'avoir saisi l'occasion d'écraser un nid de bandits ?
Valentinien voulait humilier les Alamans et le roi Macrien dont les
incursions tenaient l'empire en alarme. Cette nation avait, malgré ses échecs,
tellement augmenté qu'elle semblait avoir eu de plusieurs siècles de paix.
L'empereur décida de jeter contre eux les Burgondes. Une correspondance
discrète eut lieu avec les rois de ceux-ci. Valentinien promettait de passer le
Rhin et de prendre à revers les Alamans. Les Burgondes n'avaient pas oublié
leur origine romaine. Ensuite ils avaient avec les Alamans des démêlés
touchant leurs frontières et la propriété de certaines salines. Ils s'avancèrent
donc jusqu'au Rhin. L'empereur n'était pas au rendez-vous. Les Burgondes
lui envoyèrent une députation, demandant que leur retraite soit protégée
contre un retour des Alamans. On mit à leur répondre des lenteurs qui
équivalaient à un refus. Les députés se retirèrent indignés et leurs rois,
furieux, rentrèrent chez eux après avoir fait massacrer leurs captifs. Le nom
des rois chez ce peuple est Hendinos. La coutume veut qu'ils soient déposés
si la chance les abandonne à la guerre ou si la récolte vient à manquer. Chez
les Burgondes le grand prêtre s'appelle Sinistus. Le sacerdoce est à vie.
Cette diversion, quoi qu'il en soit, avait produit chez les Alamans une frayeur
dont Théodose profita. Il les attaqua du côté de la Rhétie, leur tua beaucoup
de monde et fit des prisonniers qui, sur ordre de l'empereur, furent dirigés sur
l'Italie et constitués en colonie dans les campagnes arrosées par le Po.
Les Huns firent irruption sur les terres des Alains Tanaïtes, en tuèrent
beaucoup et s'allièrent au reste. Puis ils tombèrent sur les riches bourgades
d'Ermenrich qui essaya de résister puis se suicida. Vithimer, élu à sa place,
résista quelque temps, soutenu par d'autres Huns qu'il avait pris à sa solde.
Mais, après plusieurs défaites, il fut vaincu et mourut. Alathée et Safrax se
retirèrent avec son jeune fils Vidérich jusqu'aux rives du Danaste, fleuve qui
coule entre l'Hister et le Borysthène. Athanaric, chef des Tervinges, décida
de tenir ferme si l'invasion l'atteignait. Il établit son camp au bord du Danube
et envoya Munderich en reconnaissance. Mais les Huns, trompant le corps
d'observation, se placèrent entre lui et le gros de l'armée. De nuit, ils
passèrent le fleuve et fondirent sur Athanaric, le forçant à se réfugier dans la
montagne. Athanaric, redoutant un plus grand désastre, fit élever une
muraille qui joignait les rives du Gérase et du Danube et longeait le territoire
des Taïfales. Mais les Huns arrivèrent et il aurait été surpris si leur butin ne
les avait ralentis. Le bruit se répandit parmi les Goths de l'apparition d'une
race d'hommes inconnue qui anéantissait tout. Ceux qui reconnaissaient
l'autorité d'Athanaric avaient déserté ses drapeaux, ne trouvant plus de quoi
vivre, et cherchaient un établissement hors de portée des nouveaux venus.
Ils pensèrent à la Thrace fertile et protégée par le Danube. Les Goths-
Tervinges arrivèrent donc, sous la conduite d'Alaviv, sur la rive gauche du
fleuve et envoyèrent une députation à Valens, sollicitant son admission sur
l'autre bord avec promesse d'y vivre paisiblement et de lui servir d'auxiliaire.
La nouvelle s'était répandue que la région qui va du pays des Marcomans
et des Quades jusqu'au Pont-Euxin était inondée de populations barbares
qui, poussées par des peuples inconnus, couvraient toute la rive du Danube.
D'abord on accorda chez nous peu d'attention à ces rumeurs. Le bruit reçut
confirmation par l'arrivée de l'ambassade qui venait implorer pour les peuples
expulsés leur admission en deçà du fleuve. La première impression fut
favorable. Les courtisans exaltèrent le bonheur du prince à qui arrivaient des
recrues. L'incorporation de ces étrangers dans notre armée allait la rendre
invincible et, converti en argent, le tribut que les provinces devaient en
soldats accroîtrait les ressources du trésor. On envoya donc des agents
chargés de procurer des moyens de transport à ces hôtes. On veilla à ce
qu'aucun des futurs destructeurs de l'empire ne reste sur l'autre bord. On dut
renoncer à les recenser. Alaviv et Fritigern furent transportés les premiers.
L'empereur leur fit donner des vivres et leur assigna des terres. Il aurait fallu
que notre armée ait des chefs expérimentées or Lupicin, comte de Thrace, et
Maxime étaient brouillons. Leur cupidité fut à l'origine de tout. La disette qui
accablait les immigrés leur suggéra une spéculation. Ils firent ramasser des
chiens et les vendirent aux affamés au prix d'un esclave la pièce. Des chefs
en furent réduits à livrer leurs enfants. Dans le même temps, Vitheric, roi des
Greuthunges, arrivé sur les bords de l'Hister, sollicitait lui aussi le passage.
Cette fois, l'intérêt de l'Etat dicta un refus qui jeta les barbares dans la
perplexité. Athanaric, redoutant la même réponse, préféra s'abstenir. Il se
rappelait l'obstination qu'il avait montrée à l'égard de Valens lorsqu'il
négociait la paix avec lui. Il conduisit son monde à Caucalanda et en expulsa
les Sarmates.
Les Tervinges avaient pu passer le fleuve mais erraient sur ses bords,
retenus par le manque de vivres dû aux manœuvres des officiers impériaux.
Ils menaçaient d'appeler aux armes. Lupicin employa toutes ses forces pour
les forcer à partir. Les Greuthunges, ne voyant plus de barques sur le fleuve
pour empêcher le passage, en profitèrent. ils le franchirent en radeau et
placèrent leur camp loin de celui de Fritigern. Ce chef, qui devinait ce qui
allait arriver, tout en obéissant à l'empereur, mettait dans sa marche une
lenteur calculée pour se ménager un puissant renfort en laissant aux
nouveaux venus le temps de le joindre. Il n'arriva donc tard à Marcianopolis.
Là se passa une scène déterminante. Lupicin avait invité Fritigern et Alaviv à
un festin mais un cordon de troupes interdisait aux autres l'entrée de la ville
et ce fut en vain que les barbares demandèrent à acheter des vivres. Les
esprits s'échauffèrent. Les émigrants massacrèrent un poste. On en avisa
Lupicin qui fit arrêter la garde des deux chefs. La nouvelle se répandit. La
foule, croyant ses chefs prisonniers, voulut les venger. Fritigern s'écria que le
seul moyen d'éviter un malheur était de le laisser sortir, lui et les siens, se
faisant fort de calmer tout le monde. On les laissa partir et ils s'éloignèrent,
décidés à tenter le sort des armes. La nouvelle enflamma les Tervinges. Des
bandes armées ravagèrent la campagne. Lupicin marcha à l'ennemi. Nos
bataillons furent anéantis et Lupicin s'enfuit. Après cela, les barbares se
répandirent de tous côtés.
Deux chefs Goths, depuis longtemps accueillis, Suéride et Colias,
observaient une parfaite neutralité dans les cantonnements qu'on leur avait
assignés près d'Andrinople. Tout à coup arriva une lettre de l'empereur leur
enjoignant de passer l'Hellespont. Ils demandèrent des moyens de transport,
des vivres et un délai de deux jours. La prétention fut jugée exorbitante par le
premier magistrat de la ville qui avait une rancune personnelle contre eux. Il
arma le peuple et dit aux Goths de s'exécuter immédiatement. Poussés à
bout, ils se rangèrent sous le drapeau de Fritigern. Et cette foule vint assiéger
la ville. Ils s'y obstinèrent longtemps. Enfin Fritigern renonça à prendre la
place mais laissa sous ses murs assez de forces pour la bloquer. Les Goths
se répandirent en Thrace. Tout fut mis à feu et à sang. Valens ordonna à
Victor, maître de la cavalerie, de négocier avec les Perses. Lui-même se
disposa à aller à Constantinople et fit prendre les devants à Profuturus et à
Trajan qui déployèrent devant l'ennemi les légions tirées d'Arménie. Nos
soldats acculèrent les Goths sous les escarpements de l'Hémus et prirent
position à l'entrée des gorges pour les réduire par la faim et donner le temps
d'arriver aux légions pannoniennes et transalpines que Frigérid amenait sur
l'ordre de Gratien. Celui-ci envoyait aussi de Gaule Richomer à la tête de
quelques cohortes dont l'effectif avait en partie déserté à l'instigation de
Mérobaud qui craignait que la Gaule ne puisse plus garder le Rhin. Frigérid
eut en chemin un accès de goutte, si bien que le commandement unique
revint à Richomer. Celui-ci rejoignit Profuturus et Trajan près de Saules. Une
foule de barbares était retranchée derrière des chariots rangés en cercle. Les
chefs romains calculaient que les Goths ne tarderaient pas à chercher un
autre campement et que ce serait le moment de tomber sur leur arrière-
garde. Mais ils furent trahis et les Goths non seulement ne bougèrent pas,
mais ils ordonnèrent à ceux qui battaient la campagne de se rassembler.
Les Romains veillèrent toute la nuit. Ils étaient moins nombreux mais
comptaient sur la justice de leur cause. Au jour, la trompette donna le signal.
Les barbares gravirent les hauteurs pour prendre de l'élan. Quand nos
soldats virent la manœuvre, chacun joignit son manipule et s'y tint ferme. Les
deux armées d'abord avancèrent avec précaution. Des deux côtés on se
mesurait. Les Romains alors lancèrent ce cri appelé barritus qui commence
par un murmure et se termine en éclat de tonnerre. Les barbares, pour y
répondre, entonnèrent un chant à la louange de leurs ancêtres. Bientôt les
deux lignes s'abordèrent. Les barbares jetèrent sur les nôtres des massues
durcies au feu puis parvinrent à enfoncer notre aile gauche. Heureusement
un corps d'auxiliaires accourut la soutenir. Un carnage affreux s'ensuivit. La
nuit seule mit fin à la boucherie. Les deux partis regagnèrent leurs tentes.
Dans cette lutte où une poignée de Romains était aux prises avec des milliers
d'ennemis, nous fîmes de grosses pertes.
Les nôtres se replièrent sous les murs de Marcianopolis et les Goths,
réfugiés derrière leurs chariots, restèrent sept jours sans donner signe de vie.
Les Romains en profitèrent pour pousser le reste de ces bandes dans les
gorges de l'Hémus qu'ils fermèrent par des levées de terre. On espérait qu'ils
y mourraient de faim, les vivres ayant été transportés dans des places que
les barbares n'avaient pas même eu l'idée d'attaquer. Richomer repartit pour
la Gaule afin de ramener des renforts. On arrivait en automne. De son côté
Valens, sur le rapport qu'on lui fit du combat et de l'état de désolation de la
Thrace, envoya Saturnin porter secours à Trajan et à Profuturus. Les
barbares avaient tout dévoré en Mésie et en Scythie et, poussés par la faim,
brûlaient de forcer les barrières qu'on avait fermées sur eux. A plusieurs
reprises ils essayèrent et, repoussés chaque fois, ils finirent par s'associer
quelques bandes d'Alains et de Huns en leur faisant miroiter un immense
butin. A la nouvelle des renforts reçus par l'ennemi, Saturnin se retira. Il était
temps. Dès que nos troupes eurent quitté l'ouverture des gorges, le mont
vomit dans la plaine toute cette foule. La Thrace en fut inondée. Des rives de
l'Hister aux cimes du Rhodope et jusqu'au détroit qui forme la jonction des
deux mers, ce ne fut que pillage, meurtre et incendie. Les barbares arrivèrent
près de Dibaltum où ils trouvèrent le tribun Barzimérès et les Cornutes. Ils les
anéantirent. Les Goths considéraient Frigérid comme le seul qui puisse les
arrêter et ne songeaient qu'à le détruire. Ils savaient qu'il s'était retranché
près de Béroé d'où il observait les événements. Les Goths se hâtèrent mais
Frigérid, qui n'était ni novice, ni prodigue du sang de ses soldats, gagna
l'Illyrie où il arriva réconforté par un succès inespéré. En se repliant, il avait
surpris la bande de Farnobe, un chef goth, à laquelle s'était joints des
Taïfales. Il les avait en partie détruits. Il avait ensuite assigné des terres aux
survivants vers Modène, Parme et Rhégium. Chez les Taïfales, les
adolescents doivent se prostituer aux hommes mûrs et nul ne peut y
échapper avant d'avoir capturé un sanglier ou un ours.
Tel était le tableau que présentait la Thrace à la fin de l'automne. Les
Alamans Lentiens, voisins de la Rhétie, commençaient, au mépris des traités,
à menacer nos frontières. Un homme de ce pays, qui servait dans les gardes
de Gratien, y fit un voyage privé. Il apprit à ses compatriotes que Gratien
portait ses forces en Orient et que les deux armées impériales allaient se
combiner pour repousser une invasion. Cela inspira les Lentiens qui
traversèrent en février le Rhin gelé. Ils furent repoussés mais, certains que la
majeure partie de l'armée d'Occident était en Illyrie, leur ardeur se ranima. Ils
mirent sur pied quarante mille hommes et fondirent sur le territoire romain.
Gratien fit reculer les cohortes déjà arrivées en Pannonie, appela la réserve
laissée en Gaule et donna le commandement de cette armée à Nannien et
Mallobaude, roi des Francs. Nannien voulait temporiser, Mallobaude voulait
combattre. Tout à coup, près d'Argentaria, un bruit annonça la présence des
barbares. Les Romains, voyant à quelle multitude ils avaient affaire,
gagnèrent un terrain boisé et s'y maintinrent jusqu'au moment où la garde de
l'empereur vint prendre part au combat. Son arrivée intimida les barbares qui
tournèrent le dos. Ils furent si maltraités qu'il ne s'en échappa que cinq mille.
Leur roi Priarius périt. L'armée, après cet exploit, reprit sa marche vers
l'Orient puis, tournant tout à coup vers la gauche, franchit le fleuve. Les
Lentiens ne purent que gagner des hauteurs et se battre en désespérés.
De notre côté, on choisit pour donner l'assaut les cinq cents soldats les
plus aguerris de chaque légion. Cette troupe, animée par la présence du
prince au premier rang, fit les plus grands efforts pour gravir les cimes.
Cependant, commencé à midi, le combat durait encore à la nuit. La garde de
l'empereur, trop visible, souffrit beaucoup des projectiles. Gratien décida de
prendre les barbares par la faim. Ceux-ci, dont l'obstination n'était pas
moindre que la nôtre, et qui connaissaient mieux le terrain, occupèrent des
pics plus élevés encore. L'empereur saisit ce moment pour reprendre
l'offensive et mit tout en œuvre pour se frayer accès jusqu'à eux. Cette fois
les Lentiens capitulèrent et, après avoir livré l'élite de leur jeunesse qui vint
se fondre dans nos nouvelles levées, obtinrent la liberté de retourner chez
eux. Ce fait d'armes eut le résultat de tenir l'Occident en respect. Dans
Gratien, la nature avait réuni l'éloquence, la sagesse, la clémence et la
bravoure. Mais un malheureux penchant à se donner en spectacle l'entraîna
à imiter l'empereur Commode, dont le plaisir était de tuer des bêtes féroces
dans l'amphithéâtre, et à négliger les affaires sérieuses. Après avoir tout
disposé pour la sécurité de la Gaule et tiré vengeance du soldat dont
l'indiscrétion avait trahi sa marche sur l'Illyrie, Gratien se dirigea par Felix
Arbor et Lauriacum. Pendant ce temps, Frigérid fortifiait le pas de Sucques
pour empêcher les bandes qui battaient la campagne de se répandre dans
les provinces septentrionales de l'empire. Tout à coup on lui envoya pour
successeur le comte Maurus, un homme vénal et indécis. C'était lui qui avait
vaincu l'hésitation de Julien à accepter la couronne en lui posant sur la tête
son propre collier. Ainsi, au milieu d'une crise, on écartait un homme d'action.
Valens quitta Antioche et se dirigea lentement vers Constantinople où il ne
fit que passer car une sédition sans conséquence suffit pour le chasser. Il
avait rappelé d'Italie Sébastien qu'il investit de la maîtrise de l'infanterie,
précédemment confiée à Trajan. Il se rendit à Mélanthiade, maison de
plaisance impériale où il s'attacha à gagner le cœur des soldats, puis donna
l'ordre de marche et arriva à Nicé où il apprit par ses éclaireurs que les
barbares, chargés de butin, se dirigeaient sur Andrinople. Ceux-ci, apprenant
que l'empereur marchait de ce côté, rejoignirent des compatriotes retranchés
dans les environs de Nicopolis et de Béroé. L'empereur confia à Sébastien
trois cents hommes de chacun des corps de l'armée. Sébastien partit avec
cette troupe pour Andrinople. Il en ressortit le lendemain et, le soir, aperçut
les bandes des Goths sur les bords de l'Hèbre. Il s'avança doucement et,
quand il jugea la nuit assez noire, fondit sur eux. Il n'en échappa que le petit
nombre qui put courir assez vite et le butin qu'on leur reprit fut si considérable
que la ville ne suffisait pas à le contenir. Fritigern était consterné. Il rassembla
tout son monde près de Cabylé et s'éloigna au plus vite vers des campagnes
découvertes où il n'aurait ni disette ni surprise à redouter. Pendant ce temps
Gratien, qui venait d'informer son oncle de sa victoire sur les Lentiens, faisait
partir ses bagages par la route de terre et lui-même, descendant le Danube
avec ses plus légères troupes, débarquait à Bononia et gagnait Sirmium.
Bien que fiévreux, il n'y séjourna que quatre jours et se rendit ensuite, par la
même voie, au lieu nommé le Camp de Mars. Il essuya dans ce trajet une
attaque des Alains, qui tuèrent quelques hommes de sa suite.
La double nouvelle de la défaite des Alamans et du succès obtenu par
Sébastien mit Valens dans une agitation extrême. Le camp de Mélanthiade
fut levé. Il lui tardait d'opposer quelque beau fait d'armes à la renommée de
son neveu. Il disposait d'une armée où les vétérans entraient dans une forte
proportion. Il s'y trouvait aussi plusieurs personnes de marque comme l'ex-
général Trajan. On apprit bientôt par les éclaireurs que l'ennemi cherchait à
couper les communications avec les points où étaient les vivres. Aussitôt des
archers, soutenus par un escadron de cavalerie, occupèrent les défilés, ce
qui suffit à faire échouer leur projet. Le troisième jour, les barbares furent
signalée. Ils n'étaient plus qu'à quinze milles d'Andrinople. Leur nombre ne
passait pas dix mille, selon les éclaireurs. Aussitôt l'empereur marcha à leur
rencontre. Arrivé au faubourg d'Andrinople, il se retrancha. Il vit arriver
Richomer qui lui remit une lettre de Gratien annonçant son arrivée. Il priait
son oncle d'attendre et de ne pas s'exposer seul. Valens soumit cette lettre à
son conseil. Quelques membres, dont Sébastien, étaient d'avis de livrer
bataille sur-le-champ. D'un autre côté, Victor, maître de la cavalerie, prudent
bien que Sarmate, voulait attendre l'autre empereur. L'obstination de Valens
l'emporta. Les flatteurs qui l'entouraient l'avaient persuadé qu'il fallait
brusquer l'événement afin de n'avoir pas à en partager l'honneur.
On se préparait au combat lorsqu'un évêque arriva au camp avec une
lettre de Fritigern qui demandait pour les siens, chassés de leurs foyers par
des nations sauvages, la concession de la Thrace, promettant la paix en
échange. Ce chrétien était porteur d'une autre lettre, confidentielle, dans
laquelle le chef barbare insinuait qu'il n'y avait, pour adoucir la férocité de ses
compatriotes, d'autre moyen que de leur montrer de temps à autre les armes
romaines. La seule présence de l'empereur leur ôterait l'envie de combattre.
Cette ambassade fut sans résultat. Le 5 des ides d'août l'armée s'ébranla à
l'aurore, laissant les bagages sous les murs d'Andrinople. Le préfet et les
membres civils du conseil restèrent avec le trésor et les ornements impériaux
dans la ville. Vers midi on n'avait encore fait que huit milles par de mauvais
chemins sous un soleil brûlant quand les éclaireurs annoncèrent qu'ils
avaient vu l'ennemi. Les généraux romains prirent leurs dispositions pendant
que les barbares, selon leur coutume, poussaient des hurlements. L'aile
droite de la cavalerie était en tête, soutenue par l'infanterie. L'aile gauche, qui
n'observait l'ordre de marche qu'avec difficulté, pressa le pas pour se mettre
en ligne. Tandis qu'elle se déployait, le bruit des boucliers que nos soldats
frappaient de leurs piques effraya les Goths, d'autant plus qu'Alathée et
Safrax n'étaient pas encore arrivés.
Une députation barbare vint proposer la paix mais l'empereur demanda
des négociateurs d'un rang plus élevé. Un délai s'ensuivit. Les Goths
cherchaient des subterfuges pour laisser à leur cavalerie le temps d'arriver
tandis que nos soldats étaient dévorés par la soif. Bêtes et gens souffraient
également de la disette. Fritigern, qui aurait préféré ne s'en pas remettre au
hasard d'une bataille, nous envoya un de ses hommes comme porteur de
caducée. Contre quelques notables livrés comme otages, il s'offrait à prendre
parti pour nous et à nous fournir ce qui nous manquait. Cette ouverture fut
accueillie avec empressement. Le tribun Equitius, parent de l'empereur, fut
désigné comme garant de notre parole mais il refusa parce que, ayant été
prisonnier des Goths et s'étant évadé, il avait tout à craindre. Richomer alors
s'offrit de lui-même et partit. Mais avant qu'il ait atteint le camp ennemi, nos
archers étaient déjà aux prises avec l'ennemi. Cette échauffourée rendit sans
effet le dévouement de Richomer. Au même instant la cavalerie des Goths,
Alathée et Safrax en tête, et renforcée par un corps d'Alains, arriva,
renversant tout sur son passage.
De notre côté on commença à plier. Les armes de l'ennemi creusaient des
vides dans nos rangs. Notre aile gauche avait percé jusqu'aux chariots et
serait allée plus loin si on l'avait soutenue. Abandonnée par le reste de la
cavalerie, elle fut accablée par les barbares. L'infanterie se trouva alors
dégarnie. Impossible de reculer en bon ordre. Les légionnaires frappaient en
désespérés sur tout ce qui se trouvait devant eux. Le sol disparaissait sous
les morts et les blessés. Les Romains furent enfin réduits à fuir. L'empereur
parvint à se réfugier parmi des Lanciers et des Mattiaires qui avaient jusque-
là soutenu le choc. Trajan s'écria que tout était perdu si le prince ne trouvait
pas protection parmi ses auxiliaires. Le comte Victor voulut rassembler les
Bataves que Valens avait placés en réserve mais, ne trouvant personne, il ne
songea plus qu'à fuir. Richomer et Saturnin en firent autant. Une nuit sans
lune mit seule un terme au désastre. L'empereur tomba le soir, frappé d'une
flèche, et on ne retrouva pas son corps. On dit qu'il se retira avec quelques
Gardes Blancs dans une maison de paysan. Les barbares survinrent. Reçus
à coups de flèches, ils mirent le feu à la maison. Un des Gardes Blancs, pris
par eux, leur apprit quelle occasion ils avaient perdue de prendre l'empereur
vivant. C'est de cet homme, qui parvint à s'échapper, que l'on tient ces
détails. On comptait parmi les plus illustres victimes de cette journée Trajan,
Sébastien, Valérien, Equitius et trente-cinq tribuns. Un tiers à peine de
l'armée survécut à cette boucherie et nulle part, si on excepte la bataille de
Cannes, les annales ne parlent d'un tel désastre.
Telle fut la fin de Valens qui atteignait sa cinquantième année, après un
règne de quatorze ans. Il était ami fidèle, prompt à réprimer l'intrigue et
gardien de la discipline et des lois. Il freina l'ambition de ses parents et fut
circonspect pour conférer les emplois. Administrateur équitable des
provinces, il veillait sur leurs intérêts comme sur les siens, ne permettant
aucune aggravation des impôts, dont les arrérages même n'étaient recouvrés
qu'avec ménagements. La corruption des juges n'avait aucune indulgence à
attendre de lui et sous ce rapport l'Orient n'a jamais été mieux gouverné. Il
était libéral dans une juste mesure. Lorsqu'un courtisan sollicitait un bien
vacant, l'empereur commençait par écouter les contestations. La concession
n'était accordée qu'à la condition de voir arriver, en partage du bénéfice, trois
ou quatre hommes également favorisés sans avoir fait aucune démarche.
Cette perspective d'une concurrence refroidissait la convoitise. Mais il était
aussi avide et cruel. Son éducation avait été nulle. Il montrait une joie
malsaine quand une accusation prenait les proportions du crime de lèse-
majesté. Les tribunaux étaient les instruments de ses caprices et il était
accessible à toute accusation vraie ou fausse. Sa physionomie était lourde et
paresseuse. Il était brun de teint. Un de ses yeux avait une taie. Il était de
taille moyenne, avait les jambes arquées et le ventre un peu gros.
Au jour les vainqueurs s'élancèrent contre Andrinople. Ils savaient par des
transfuges que s'y trouvaient les chefs de l'Etat avec les ornements impériaux
et le trésor de Valens. Beaucoup de soldats et de valets de l'armée n'avaient
pu entrer en ville. Adossés aux fortifications, ils se défendirent énergiquement
jusqu'à la neuvième heure. Trois cents fantassins qui voulaient se rendre
furent massacrés. Il n'y eut plus dès lors aucune tentative de désertion. Enfin
le ciel envoya une pluie torrentielle, accompagnée de tonnerre, qui dispersa
cette multitude et la força à chercher l'abri de ses chariots. Sa présomption
toutefois n'en était pas diminuée car on nous envoya un député porteur d'une
lettre menaçante. Celui-ci n'osa pas mettre le pied en ville et chargea un
chrétien de son message. La lettre fut traitée avec mépris. Les assiégés
consacrèrent la nuit entière à travailler. Les portes furent bloquées de
grosses pierres et les murs renforcés. On plaça des machines et on établit
des réserves d'eau à portée car les soldats avaient souffert de la soif.
Les Goths, voyant leurs pertes, eurent recours à une ruse. Des Gardes
blancs déserteurs proposèrent d'entrer dans la ville en se donnant pour
évadés et de mettre le feu à un quartier. Ce devait être le signal d'un assaut.
Les assiégés, occupés à l'éteindre, laisseraient le rempart sans défenseurs.
Les Gardes blancs se présentèrent au bord du fossé. On les reçut sans
difficulté mais le soupçon vint quand, interrogés sur les Goths, ils hésitèrent
dans leurs réponses. La torture leur ayant arraché l'aveu de leur trahison, ils
eurent tous la tête tranchée. Les barbares se ruèrent contre les portes de la
ville mais les habitants, jusqu'aux gens de service du palais, se joignirent à la
garnison pour les repousser. Au milieu de cette masse, aucun coup n'était
perdu. On s'aperçut que les barbares nous renvoyaient les traits que nous
avions lancés. Aussitôt l'ordre fut donné de couper, avant de se servir des
flèches, le cordeau qui fixe le fer au bois. Ce qui fit que, sans perdre de leur
effet, elles se démontaient quand que le coup tombait à faux. Une pierre
énorme partie d'un scorpion se brisa en tombant à terre et causa tant de
stupeur aux barbares qu'ils firent mine de s'enfuir. Mais leurs chefs firent
sonner la charge et l'assaut reprit. Aucun des projectiles romains n'était lancé
en vain. A la nuit, les Goths rentrèrent sous leurs tentes, s'accusant
mutuellement d'aveuglement pour n'avoir pas su profiter du conseil que leur
avait donné Fritigern de ne pas s'exposer aux dangers d'un siège.
Au jour, les barbares tinrent conseil. Ils décidèrent de prendre Périnthe et
les villes où des richesses étaient enfermées. Les renseignements ne leur
manquaient pas grâce aux transfuges. Ayant ainsi tracé la marche qui leur
parut la plus profitable, ils avancèrent à petites journées, dévastant tout sur
leur passage, sans trouver de résistance. La population réfugiée à
Andrinople, dès qu'elle fut rassurée, quitta la ville avec ce qu'elle avait pu
sauver. Les uns allèrent à Sardique, d'autres vers la Macédoine. Leur espoir
était de rencontrer Valens car on ignorait sa mort. Les Goths, renforcés des
Huns et des Alains que Fritigern avait su s'attacher par des promesses,
vinrent camper dans les environs de Périnthe. Ils se contentèrent d'en
ravager les environs. Les trésors de Constantinople enflammaient surtout leur
convoitise et c'était pour cette cité qu'ils réservaient leurs efforts. Ils s'y
rendirent en hâte. Leur furie déjà se déchaînait contre les défenses de la ville
quand un incident survint qui décida leur retraite.
La garnison de la ville avait été renforcée d'un corps de Sarrasins. Ceux-ci,
à l'approche de la colonne ennemie, coururent à sa rencontre et il s'engagea
entre les deux partis une bataille longtemps indécise. Un trait inouï de férocité
donna l'avantage aux barbares d'Orient. L'un d'eux se lança, poignard en
main, avec des cris de bête fauve, au milieu des rangs ennemis et suça
avidement le sang des plaies d'un adversaire. Les barbares du Nord
frémirent à ce spectacle. Leur confiance fut ébranlé. Enfin le courage les
abandonna tout à fait en voyant l'étendue des murailles de la ville et son
innombrable population. Ils détruisirent leur appareil de siège après avoir
perdu plus d'hommes qu'ils n'en avaient tué et tournèrent à la débandade
vers les provinces du nord qu'ils traversèrent jusqu'au pied des Alpes
Juliennes. A la nouvelle des événements de Thrace, un coup fut frappé par
Jules, qui commandait au-delà du Taurus. Beaucoup de Goths avaient été
transportés précédemment dans ces provinces. Jules organisa un massacre
général de ces barbares en les convoquant sous promesse d'un paiement de
solde. Cette mesure, accomplie avec discrétion et célérité, préserva de
malheurs plus grands nos provinces orientales.