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1.

umbruch

Jean-Baptiste Lully
Œuvres Complètes

éditées par l’Association Lully


Rédacteurs en Chef : Jérôme de La Gorce et Herbert Schneider
Édition des textes littéraires sous la responsabilité de François Moureau

Série IV
Motets
Volume 3
Miserere
Benedictus
Dies irae

Édition des œuvres du patrimoine musical de France


publiée avec le concours
du Ministère de la Culture et de la Communication,
de la Fondation Francis et Mica Salabert,
du Centre National de la Recherche Scientifique

2017
Georg Olms Verlag
Hildesheim · Zürich · New York
1. umbruch

Jean-Baptiste Lully

Miserere
Motet

Benedictus
Motet

Dies iræ
Motet

Édition de Jean-Paul C. Montagnier

2017
Georg Olms Verlag
Hildesheim · Zürich · New York
2. Umbruch

INTRODUCTION 1
2
3
4
5
Bien que Jean-Baptiste Lully n’ait jamais exercé de sous l’appellation « Le motet de la Paix »5, incita peut- 6
fonctions officielles à la Chapelle de Louis XIV, il ne être le Florentin à persévérer dans ce genre latin et à bri- 7
composa pas moins de douze motets à grand chœur (ou guer la place de maître de la Chapelle de la nouvelle 8
« grands motets »), participant ainsi aux côtés d’Henry Reine6. Si cette charge revint finalement à Jean-Baptiste 9
Dumont et de Pierre Robert à l’élaboration d’un genre Boesset et à Sébastien Le Camus7, force est de constater 10
promis à un brillant avenir1. Ce genre — dont les ori- que Lully livra son deuxième motet, Miserere mei Deus, 11
gines sont à rechercher dans le motet polychoral d’un à peine trois ans plus tard. 12
Eustache Du Caurroy et d’un Nicolas Formé, et auquel 13
Jean Veillot adjoignit des instruments vers 1659 — s’im- 14
posa rapidement comme l’accompagnement sonore or- Le Miserere 15
dinaire d’une nouvelle liturgie royale visant à exalter 16
simultanément le Très-Chrétien et la Monarchie dont il L’histoire du Miserere est, avec celle du Te Deum LWV 55, 17
était le garant légitime, ainsi qu’à remplir le rôle d’un la mieux documentée des motets de Lully. La partition 18
véritable outil politique propre à véhiculer l’image du fut semble-t-il chantée pour la première fois à Paris en 19
Roi, chef d’une Église Gallicane n’ayant jamais cessé l’église des Feuillants de la rue Saint-Honoré, lors de 20
depuis le Concordat de Bologne (18 août 1516) de se la Semaine Sainte de 1663. Au moment où Louis XIV 21
distancier de la tutelle romaine2. Afin de remplir ce des- ouvrait un concours pour renouveler les sous-maîtres 22
sein politique, Louis XIV fit imprimer chez Christophe de la Musique de sa Chapelle en remplacement de Jean 23
Ballard entre 1684 et 1686, et sur son ordre exprès, une Veillot et de Thomas Gobert, le Florentin chercha pro- 24
série de cinquante motets par Pierre Robert (1684, bablement, après le succès remporté par son « motet de 25
24 motets), Jean-Baptiste Lully (1684, 6 motets) et la Paix », à tirer parti de son Miserere afin d’obtenir 26
Henry Dumont (1686, 20 motets) dont le but avoué l’une des charges de sous-maître du Roi et ainsi accéder 27
était de fournir aux musiciens français des témoins de à un poste comparable, sinon supérieur, à celui qu’il 28
ce nouveau genre musical propre au Royaume et de leur avait convoité auprès de la Reine trois ans plus tôt. S’il 29
imposer une sorte de cahier des charges tacite qui per- ne fit jamais carrière dans les milieux ecclésiastiques, 30
durera peu ou prou jusqu’à la fin de l’Ancien Régime Lully livra néanmoins avec cette nouvelle partition l’un 31
(cf. planches 1-3)3. des premiers modèles achevés du motet à grand chœur. 32
Les douze motets de Lully, recensés en Table 1, partici- La date exacte de la création du Miserere fut un temps 33
pent pleinement à ce programme, ayant tous été écrits en sujet à caution. Tandis que Lionel de La Laurencie 34
des occasions auliques particulières, dont certaines n’ont la fixait en 1664, se fiant aux seuls Mémoires du valet 35
pas encore été clairement identifiées (cf. planche 2)4. de Louis XIV, Marie Dubois, Henry Prunières avançait 36
Ainsi, le premier que Lully composa, le Jubilate Deo — sans être entendu — que le motet était « certainement 37
(LWV 77/16), fut créé le 29 août 1660 au couvent antérieur à 1664 »8. L’année 1664 passa pourtant dans la 38
Notre-Dame de la Merci à Paris, lors des festivités littérature sans autre forme de procès et sans que ne soit 39
organisées pour célébrer le Traité des Pyrénées et le véritablement interrogé la Muze historique de Jean 40
mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse, Infante Loret9. Dans une lettre en date du samedi 31 mars 1663, 41
d’Espagne. Le succès de l’œuvre, passée dans l’histoire le gazetier se remémore en effet l’Office de Ténèbres 42
chanté aux Feuillants quelques jours plus tôt : 43
44
45
46
47
1
Thierry Favier, Le Motet à grand chœur. Gloria in Gallia Deo 48
(Paris : Librairie Arthème Fayard, 2009). 5
La Muze Royale du 20 septembre 1660, citée d’après La GorceL,
2
Cf. Jean-Paul C. Montagnier, « Sacred Music and Royal Propa- p. 111. Les abréviations bibliographiques sont développées en tête 49
ganda under Louis XIV (ca. 1661-ca. 1686) », Rivista internazionale de l’apparat critique. La partition du Jubilate Deo, éditée par John 50
di Musica Sacra, nuova serie, 27/II (2006), pp. 83-94. Hajdu Heyer, est disponible dans HeyerOE. 51
3
Ibidem, p. 92. 6
La GorceL, p. 111.
7
Idem. 52
4
Dans son épitre « Au Roy » publié en tête de chacune des 17 parties
séparées imprimées, Lully apprend à son lecteur : « Il vous a plû, 8
Lionel de La Laurencie, Lully (Paris : Éditions Félix Alcan, 1911 ; 53
SIRE, de m’honnorer d’une Charge qui m’a fait un devoir indispen- fac-similé Plan-de-la-Tour : Éditions d’Aujourd’hui, 1977), p. 127. 54
sable de composer ces Concerts sacrez que la Musique de Vostre Henry Prunières, Lully, 2ème édition revue et corrigée (Paris : Henri 55
Chambre & celle de Vostre Chapelle jointes ensemble, ont accous- Laurens, Éditeur, 1927), p. 86.
tumé en des jours solemnels de faire retentir au milieu des saintes 9
Ainsi trouve-t-on encore le Miserere daté de 1664 dans l’ouvrage 56
Ceremonies ». de Favier, Le Motet à grand chœur, p. 36 et p. 595. 57

IX
2. Umbruch

Introduction

1 Table 1 : Chronologie des douze grands motets de Lully10


2
Grands Motets LWV Dates Remarques
3
4 Jubilate Deo 77/16 1660 Entrée de Louis XIV et de Marie-Thérèse à Paris
5 Miserere 25 1663 Conclusion des Leçons de ténèbres de la Semaine Sainte 1663,
6 cf. La GorceL, p. 736
7 O Lachrymæ 26 1664 Chanté à Versailles vers 1665
8 Benedictus 64/2 1663-1668 Cf. La GorceL, pp. 737 et 755
9 Plaude lætare Gallia 37 1668 Baptême du Dauphin
10 Te Deum 55 1677 Baptême de Louis Lully en présence du Roi
11 De profundis 62 1683 Créé en mai 1683
12 Dies iræ 64/1 1683 Mort de Marie-Thérèse, Reine de France
13 Quare fremuerunt gentes 67 1685 Célébration du Traité de Ratisbonne
14 Notus in Judæa Deus 77/17 1685-1686 ? Chanté peut-être pour célébrer la Révocation de l’Édit de
15 Nantes (1685), cf. MontagnierN, pp. 285-286
16 Exaudiat te Dominus 77/15 1687 Peut-être composé pour accompagner le chant du Te Deum
17 en l’église des Feuillants à Paris, cf. La GorceL, pp. 758-759
18 Domine salvum fac Regem 77/4 non daté Cf. SawkinsL, p. 386 et La GorceL, p. 759
19 1661-1666 ?
20 1683-1685 ?
21
22
23
24 Quand ces Ténèbres j’entendis, Lors de cette cérémonie, les plus grands artistes étaient
25 Je croyais être en Paradis ; réunis : les chanteuses Anne Chabanceau de La Barre,
26 Et jamais de telles merveilles Anne Fonteaux de Cercamanan, Hilaire Dupuis, la
N’avaient enchanté mes oreilles :
27 Aussi, certes, comme l’on sait, Demoiselle Saint-Christophe ; Michel Lambert, le cla-
28 Étaient là, La Barre, Boisset, veciniste Joseph Chabanceau de La Barre, le violiste et
29 Lully, Lambert, Hotman, Molière, théorbiste Nicolas Hotman, Jean-Baptiste Boesset, le
30 Chacun rare dans sa manière, luthiste Louis de Mollier et Jean-Baptiste Lully. Toute-
31 Gens en musique renommés fois, Loret ne fournit aucune précision sur le rôle de
Et qui pourraient être nommés
32 (Considéré leur beau génie)
chacun et si, pour la plupart des interprètes, leur fonc-
33 Les grands héros de l’harmonie ; tion est aisée à deviner, rien n’est dit sur celle de Lully.
34 Tous gens appartenant au Roi, Si l’on parcourt le catalogue des œuvres des interprètes-
35 Et connus et chéris de moi ; compositeurs présents ce jour-là, aucun ne mentionne
36 Outre encore, plus de cent-quarante de partitions nécessitant un ensemble de cent quarante
37 (Quelques-uns disent cent-octante) ou de cent quatre-vingt musiciens, à la notoire excep-
Qui composaient ensemble un corps
38 D’infinis merveilleux accords. tion de celui de Lully. Or, l’unique pièce du Florentin
39 Les quatre voix, encore forts belles, susceptible de convenir à un Office de Ténèbres et
40 De quatre aimables Demoiselles, requérant une phalange d’artistes aussi imposante est le
41 Dont les noms sont moulés ici, Miserere LWV 25. Lully dut donc participer à cette ma-
42 Tenaient fort bien leur place aussi nifestation au titre de compositeur et de batteur de me-
Dans cette illustre Académie
43 Faisant lamenter Hiérémie
sure plutôt que comme instrumentiste.
44 Avec des roulements si doux Jérôme de La Gorce a récemment mis au jour des Nou-
45 Qu’elles charmaient les cœurs de tous : velles à la main d’un ambassadeur florentin qui viennent
46 J’en fus témoin auriculaire ; corroborer cette hypothèse : « Le [jeudi] 29 [mars 1663],
47 Leurs noms, c’étaient La Barre, Hilaire, on chanta au Louvre le Miserere mis en musique, de la
48 Saint-Christophe et Cercamanan, composition de Baptiste, où le Roi avait exprès invité
À qui Dieu doint bon-jour, bon-an,
49 Et que je puis, dans ce chapitre, M. de Turenne »12. Le musicologue fait cependant remar-
50 Appeler par un nouveau titre quer que le mot « exprès » pourrait suggérer que Louis
51 En les exaltant à leur tour, XIV avait probablement déjà entendu et goûté l’œuvre
52 Les rossignolles de la Cour11. auparavant et qu’il souhaitait uniquement partager son
53 enthousiasme avec son Maréchal de France lors d’un
54 10
Nous suivons HeyerOE, p. IX.
55
11
Jean Loret, La Muze historique ou recueil des lettres en vers conte-
nant les nouvelles du temps, éditée par Jules Ravenel et Ed. V. de La
56 Pelouze (Paris : P. Jannet, P. Daffis, 1857-1879), tome 4, p. 33. Cité 12
Florence, Archivio di Stato, Mediceo del Principato 4891. Cité
57 d’après La GorceL, p. 113. d’après La GorceL, p. 114.

X
2. Umbruch

Introduction

concert en sa chapelle du Louvre. Par ailleurs, le psaume chantée par l’excellente Musique de la Chapelle, & de 1
50 étant généralement psalmodié en conclusion de la la chambre, qui estoit au Iubé, separée en trois Chœurs » 2
Semaine Sainte, il est légitime de penser que le Miserere et placée sous la direction de Lully, « en habit de 3
de Lully fut créé le Vendredi Saint 23 mars 1663 aux deuil »17. Cette dernière description pourrait effective- 4
Feuillants et que ce fut bien ce motet que Loret entendit ment convenir au motet du Surintendant, dont les forces 5
à cette occasion13. musicales sont bien divisées en trois entités distinctes : 6
Que ce motet ait été particulièrement apprécié du Mo- un petit et un grand chœur, ainsi qu’un ensemble ins- 7
narque est encore attesté par son valet Marie Dubois trumental. 8
qui rapporte dans ses Mémoires pour l’année 1664 : Parmi les dernières exécutions connues, la plus mémo- 9
rable est probablement celle donnée pour la pompe 10
Alors le Roi me dit : il faut que vous entendiez le Mise- funèbre du Chancelier Pierre Séguier, célébrée en l’église 11
rere de Baptiste. Ce que je fis le jour de Pâques-Fleurie de l’Oratoire le 5 mai 167218. Dans sa lettre adressée 12
[dimanche des Rameaux], et le lendemain que je fus de à Madame de Grignan, datée du lendemain vendredi 13
garde à son petit coucher, le Roi me fit l’honneur de me 6 mai, Madame de Sévigné en fit une relation détaillée, 14
demander, en présence de grand monde, si j’avais entendu s’attardant volontiers sur la décoration, les membres de 15
la musique. Je lui dis ces mêmes paroles : Sire, je m’en don-
nai hier jusques aux gardes : j’eus l’honneur d’entendre la
l’assemblée « belle et grande », l’oraison prononcée par 16
messe et les vêpres de Votre Majesté, et le Miserere du sei- Vincent Léna (Laisné) « jeune père de l’Oratoire », et 17
gneur Baptiste. Le Roi me dit : lequel trouvez-vous le plus sur « la perfection de la musique »19 : 18
beau du Laudate, de l’In exitu ou du Miserere ? Je lui dis : 19
Sire, la diversité du mouvement du Miserere m’emporte14. Pour la musique, c’est une chose qu’on ne peut expliquer. 20
Baptiste avait fait un dernier effort de toute la musique du 21
Cet engouement pour le Miserere ne se démentit pas, Roi. Ce beau Miserere y était encore augmenté. Il y a eu 22
puisqu’il fut redonné fin avril 1666 lors d’un Office de un Libera où tous les yeux étaient pleins de larmes. Je ne 23
crois point qu’il y ait une autre musique dans le ciel20.
Ténèbres célébré en la chapelle du château de Saint-Ger- 24
main-en-Laye. En date du 2 mai, Robinet se souvient : 25
Outre son enthousiasme, l’épistolière précise que le 26
Pendant les trois jours, les Ténèbres motet avait été « augmenté » : que se cache-t-il derrière 27
Furent dévotes et célèbres, cette formulation ? Doit-on considérer que la correction 28
Comme elles le sont tous les ans, manuscrite majeure insérée dans la partie de dessus du 29
Par les concerts doux et charmants petit chœur dans certains exemplaires imprimés de la 30
De la Musique bonne et belle
De la Chambre et de la Chapelle,
partition, dont celui de Jean-Baptiste Lully, daterait de 31
Mais dessus tout fut admiré cette époque (cf. planche 5) ? Ceci est possible, mais 32
Un excellent MISERERE douteux puisque cette correction aurait été imprimée 33
Du Sieur LULLI, nommé Baptiste, dans l’édition de Christophe Ballard de 1684. Doit-on 34
De qui souvent maint est copiste15. alors envisager que l’œuvre de 1663 n’était pas exacte- 35
ment celle que nous connaissons aujourd’hui, mais 36
Il n’est pas à exclure que le Miserere ait été aussi entendu qu’elle subit divers remaniements avant d’être rechantée 37
à Saint-Denis lors des obsèques de Madame, Henriette- en 1672, puis publiée ? Cette dernière hypothèse est la 38
Anne d’Angleterre, le 21 août 1670, et obsèques au plus probable. 39
cours desquelles Jacques-Bénigne Bossuet prononça sa Un document récemment découvert révèle enfin qu’un 40
célèbre et émouvante Oraison sur la vanité des choses « beau Miserere » aurait accompagné le service dit en 41
d’ici bas16. D’après la Gazette de France, « la Messe [fut] l’actuelle église Sainte-Élisabeth-de-Hongrie au matin 42
du 31 mars 1672 en commémoration du même Chance- 43
44
45
13
La GorceL, p. 736.
14
Léon Aubineau, « Fragments des mémoires inédits de Dubois, 46
gentilhomme servant du Roi, valet de chambre de Louis XIII et de 47
Louis XIV », Bibliothèque de l’École des chartes (Paris : J.-B. Du- l’abbé Velat et Yvonne Champailler (Paris : Éditions Gallimard, 48
moulin, 1847-1848), tome 4, 2e série, p. 7. Cité d’après La GorceL, 1961 ; col. « Bibliothèque de la Pléiade »), pp. 83-105.
p. 114. Dubois assista certainement à la célébration du 6 avril 1664, 17
La Gazette de France (édition de Lyon), n° 103 (29 août 1670), 49
chantée en la Chapelle Royale peut-être sous la direction de Pierre p. 430; La GorceL, p. 736. 50
Robert, alors en quartier. Ce dernier est l’auteur d’un Laudate et 18
Jérôme de La Gorce suggère que le Miserere fut peut-être encore 51
d’un In exitu (cf. SawkinsC, p. 66) : sont-ce à ces motets que Du- chanté en 1670 pour les funérailles de Madame, Henriette d’Angle-
terre, à Saint-Denis, où Lully dirigea les Musiques de la Chambre et
52
bois fait référence ?
15
Les Continuateurs de Loret. Lettres en vers de La Gravette de de la Chapelle. Cf. La GorceL, p. 736. 53
Mayolas, Robinet, Boursault, Perdou de Subligny, Laurent et autres 19
Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, Correspondance. 54
(1665-1689), recueillies et publiées par le baron James de Rothschild Texte établi, présenté et annoté par Roger Duchêne (Paris : Éditions 55
(Paris : Damascène Morgand et Charles Fatout, 1881-1883), tome 1, Gallimard, 1972-1978 ; coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), vol. 1,
col. 836- 837. Cité d’après La GorceL, p. 158. p. 503 (lettre 270) et p. 1279. 56
16
Jacques-Bénigne Bossuet, Œuvres, textes établis et annotés par 20
Ibidem, p. 504. 57

XI
2. Umbruch

Introduction

1 lier21 : il n’est pas impossible que ce motet ait été celui brée par Jacques Bénigne Bossuet en l’église de l’Ora-
2 du Surintendant, (re)donné quelques semaines plus tard toire pour fêter avec panache la guérison du Dauphin,
3 à l’Oratoire. Dans sa lettre du vendredi 1er avril suivant, protecteur assidu de l’Opéra25.
4 Madame de Sévigné apprenait à sa fille que « Le matin Quant au Dies iræ LWV 64/1, il fut composé pour les
5 d’hier on fit un service au Chancelier à Sainte-Élisabeth funérailles de la Reine Marie-Thérèse et chanté à Saint-
6 [du Tiers Ordre de Saint-François]. Je n’y fus point Denis le 1er septembre 1683, aux côtés du De profundis.
7 parce qu’on oublia de m’apporter mon billet ». Et de Le chroniqueur du Mercure galant rapporta à ses lec-
8 poursuivre déçue : « tout le reste de la terre habitable y teurs que ces deux motets « étaient remplis de tons si
9 était »22 ! touchants que rien ne pouvait mieux entretenir la dou-
10 Somme toute, ce motet reçut un accueil particulière- leur que causait la perte d’une si grande princesse »26.
11 ment chaleureux durant la période la plus brillante du Le Dies iræ était d’autant mieux venu que les deux allu-
12 règne de Louis XIV. Aucune trace d’une autre exécution sions plus ou moins prononcées au plain-chant — sur
13 n’a été retrouvée, mais le Miserere ayant été largement les versets « Dies iræ » et « Pie Jesu » — l’inscrivent
14 diffusé par l’édition et les copies manuscrites, il y a fort solidement dans le déroulement liturgique d’une telle
15 à parier qu’il fit encore les délices de nombreux audi- cérémonie.
16 teurs en Province et à l’étranger. Comme pour le Miserere, les sources manuscrites attes-
17 tent que le Benedictus et le Dies iræ surent encore
18 convenir à la Cour au début du XVIIIe siècle, sans que
19 Le Benedictus et le Dies iræ nous en sachions plus sur les lieux et les circonstances
20 de ces reprises. Ainsi, les noms des chanteurs inscrits
21 L’histoire et la réception des deux autres motets publiés dans la partition réduite M.M. 6 de la Bibliothèque mu-
22 dans le présent volume demeurent très mal connues. À nicipale de Versailles, nous permet-il d’envisager une
23 suivre l’ordre dans lequel les motets de Lully ont été im- exécution du Dies iræ vers 1712 par la Musique du Roi27.
24 primés et copiés dans les manuscrits, il est admissible
25 que le Benedictus LWV 64/2 ait été composé après le
26 Miserere et le O Lachrymæ, mais avant le Plaude lætare L’édition
27 Gallia, c’est-à-dire entre 1664 et 166823. Cependant, une
28 analyse stylistique des diverses partitions incite Jérôme L’objectif de cette édition est de fournir pour chacun
29 de La Gorce a situer la rédaction de ce Benedictus vers des trois motets de ce volume une partition moderne
30 1663 ou 166424. Nous n’avons trace d’aucune exécution qui se rapproche le plus de celle chantée du vivant de
31 du vivant de son auteur. En revanche, nous savons qu’il Lully. Ces trois motets, dont les manuscrits autographes
32 fut chanté avec le Te Deum le 27 avril 1700 par les ar- sont perdus, furent imprimés par Christophe Ballard
33 tistes de l’Académie Royale de Musique placés sous la — aux côtés du Te Deum, du De profundis et du Plaude
34 direction de Marin Marais, lors d’une cérémonie célé- lætare — en parties séparées sur ordre de Louis XIV en
35 1684, leur assurant par là même une large diffusion.
36 Quatre exemplaires de cette édition — dont l’exem-
37 plaire personnel du compositeur qui sert de source prin-
38 cipale au présent volume (cf. planches 1 et 4) —
21
Bibliothèque Franciscaines des Capucins, Ms. 084 (Histoire Géné-
39 rale du monastère), cité d’après Dominique Sabourdin-Perrin, Les
contiennent des interventions manuscrites (cf. infra la
40 Dames de Sainte-Élisabeth. Un couvent dans le Marais (1616-1792), section « Sources littéraires et musicales ») visant à cor-
41 préface de l’abbé Xavier Snoëk (Paris : L’Harmattan, 2014 ; coll. riger des fautes d’impression et, en deux endroits dans
42 « Histoire de Paris »), p. 290. Il est possible que le livret de quatre le Miserere, à modifier quelque peu la trame polypho-
pages, contenant les textes latin et français du psaume 50, disponible
43 à la Bibliothèque Mazarine, recueil A 12.736 (39), ait été distribué nique du petit chœur. Ainsi a-t-on ajouté, au verset
44 lors de cette commémoration. « Ampliùs lava me », une basse soliste au duo primi-
45
22
Madame de Sévigné, Correspondance, éd. cit., vol. 1, p. 468 (lettre tivement confié au bas-dessus et à la haute-contre
258).
46 23
SawkinsL, pp. 386-387.
47 24
La GorceL, p. 755. Jérôme de La Gorce (idem, p. 745) remarque
48 ainsi que le Miserere et le Benedictus fournissent les premières
ritournelles à trois parties entendues dans la musique latine de Lully. 25
Sylvette Milliot et Jérôme de La Gorce, Marin Marais (Paris : Édi-
49 Ajoutons que quelques cadences parfaites du Miserere (par exemple, tions Fayard, 1991), pp. 44-45.
50 mes. 47 entre DVn et HCVn) et du Benedictus (notamment, mes. 123 26
Mercure galant (septembre 1683), p. 282.
51 entre DVn1 et DVn2) enchaînent la superposition de la quarte et de 27
Cf. Bibliothèque municipale de Versailles, M.M. 6. On y relève
52 la quinte de l’accord de dominante à la superposition de la sensible les noms suivants : [Éloy Augustin] Antheaume, [Jacques]
avec l’anticipation de la note tonique suivante : ces deux dissonances Bastardon, [Antoine] Bouteloup, [Jean-Louis de] Bury, [Jacques ?]
53 successives à la cadence parfaite sont l’une des caractéristiques du d’Estival, [Antoine] Favally, [Nicolas] Le Prince, Hyacinthe
54 style italien du dernier tiers du XVIIe siècle et se rencontrent souvent [Mazza], [Lucien Antoine] Rodolphe, [Pierre] Roger. Tous ces noms
55 dans l’œuvre de Corelli. Pour une étude du style des grands motets figurent dans les États de la France pour 1712 : cf. Érik Kocevar et
de Lully, nous renvoyons à La GorceL, pp. 730-773 et à William Yolande de Brossard, « États de la France (1644-1789). La Musique :
56 Powell Cole, The Motets of Jean-Baptiste Lully (PhD dissertation, les institutions et les hommes », Recherches sur la musique française
57 The University of Michigan, 1967). classique XXX (1999-2003), pp. 288-291.

XII
2. Umbruch

Introduction

(cf. planche 6)28. De même la première entrée du pupitre à donner à l’indication « Tous » ne prête guère à confu- 1
de dessus du petit chœur a été recomposée après coup sion, il en va autrement des rubriques « Récit » et 2
de manière à enrichir le contrepoint initié par les hautes- « Seul ». Ainsi, au verset « Cor mundum » du Miserere 3
contre (cf. planche 5). Toutefois, et à l’inverse de ce qui (mes. 264 sq.), Lully combine ces deux dernières : le des- 4
a pu être proposé récemment29, il ne faut en aucun cas sus et le bas-dessus y sont respectivement marqués 5
considérer cette insertion manuscrite comme un ajout « Seul », tandis que la haute-contre, la taille et la basse 6
devant se superposer à la partie imprimée de dessus, portent chacune l’indication « Récit ». Comme à cet 7
transformant la texture originelle à six parties en une endroit les cinq pupitres s’échangent des motifs mélo- 8
texture épaisse à sept ; bien au contraire, cette insertion diques similaires, et qu’à plusieurs moments la taille 9
doit se substituer à la ligne vocale imprimée, ainsi qu’en chante un « Récit » sur un simple accompagnement de 10
attestent les sources manuscrites du Miserere copiées à la basse continue, il paraît évident que le verset « Cor 11
partir de l’édition corrigée de Christophe Ballard30. mundum » doit être rendu avec un seul chanteur par 12
partie. Dans ce cas, « Récit » et « Seul » sont syno- 13
nymes33. 14
Notes sur l’interprétation Quant au grand chœur, il se divise lui aussi en cinq pupi- 15
tres (dessus, haute-contre, taille, basse-taille, basse) et 16
Les trois motets imprimés ici requièrent la texture ins- peut rassembler un grand nombre de chanteurs : Loret 17
trumentale habituelle à cinq parties : une partie de des- parle ainsi de 140, voire de 180 exécutants pour la créa- 18
sus de violon (pouvant se diviser dans certains passages tion du Miserere en 1663. 19
et pouvant être doublée colla parte par des flûtes et/ou Dans l’édition Ballard, plusieurs rubriques sont impri- 20
des hautbois à la discrétion de l’interprète dans les pas- mées en petits caractères italiques au dessus de la por- 21
sages marqués « Tous »), une de haute-contre, une de tée de la basse continue : « Récit », « Tous », « à 3 », 22
taille, une de quinte et une partie de basse de violon « 1. Ch. »34. Ces indications ont été scrupuleusement 23
(pouvant être doublée par des bassons). À ce dispositif conservées dans la présente édition, voire éventuelle- 24
vient s’ajouter une ligne de basse continue que l’on pou- ment ajoutées aux endroits où elles manquaient dans la 25
vait confier à des basses de viole et à un ou deux bassons, source principale, car elles véhiculent de précieuses 26
et réaliser sur un orgue et un théorbe. informations destinées à ceux qui étaient chargés de réa- 27
Le petit chœur à cinq parties (dessus, bas-dessus, haute- liser le continuo : elles renseignent en effet rapidement 28
contre, taille et basse)31 regroupe une poignée de chan- et clairement sur les diverses dispositions vocales et/ou 29
teurs par pupitre, de laquelle se détache un soliste dans instrumentales et témoignent de la fluidité de la texture 30
les passages marqués « Seul » ou « Récit ». Il arrive ainsi générale de chaque motet. 31
que la fin d’une intervention soliste se superpose à l’en- 32
trée — signalée par l’indication « Tous » — des autres 33
chanteurs du même pupitre32 : cette division ajoute donc Remerciements 34
ponctuellement et brièvement à la texture initiale du 35
petit chœur une ligne vocale supplémentaire. Si le sens Nos remerciements vont aux personnels des biblio- 36
thèques européennes et nord-américaines, qui ont géné- 37
reusement mis à notre disposition les documents relatifs 38
aux trois motets publiés ici, et plus particulièrement aux 39
28
Dans cette édition de six grands motets (cf. « Les sources » pour bibliothécaires et magasiniers du département de la mu- 40
une description détaillée), le Miserere figure en première position et sique de la Bibliothèque nationale de France, de la 41
est le motet de la série qui totalise le plus de corrections avec le Te Bibliothèque Mazarine, de la Bibliothèque Sainte- 42
Deum.
29
Thomas Leconte, « Le petit chœur dans les grands motets pour la Geneviève et des Bibliothèques municipales de Ver- 43
première Chapelle de Louis XIV (1660-1683) », in Regards sur la sailles, de Valenciennes, de Lyon et de Nancy. Qu’il 44
musique. La naissance du style français 1650-1673. Textes réunis par nous soit permis de saluer les rédacteurs en chef des 45
Jean Duron (Wavre : Éditions Mardaga, 2008), pp. 140-141.
30
Cf. par exemple, F-Pn Rés. F. 1110 (1), pp. 2-3 (cf. infra, source Œuvres complètes Lully, Messieurs Jérôme de La Gorce 46
PG1 dans la section « Sources littéraires et musicales »). Ce manus- et Herbert Schneider, pour leur confiance, leurs conseils 47
crit préparé pour l’évêque de Québec, Monseigneur de Saint-Vallier, avisés et leur aide précieuse dans la préparation de ce 48
ne conserve en revanche pas l’ajout de la basse soliste au verset
« Ampliùs lava me ».
volume. Nous ne saurions non plus oublier Monsieur 49
31
Le Te Deum, le De profundis et le Plaude lætare, publiés dans 50
l’édition de 1684, demandent en revanche une seconde partie de des- 51
sus en lieu et place d’un bas-dessus. 52
32
Dans le Miserere, par exemple, la fin de l’intervention de la basse 33
L’examen du verset « Ingemísco tanquam reus » du Dies iræ (mes.
soliste (mes. 19-22) est superposée à l’entrée de toutes les basses du 140 sq.) soulève le même questionnement et conduit à la même 53
petit chœur (mes. 22). De même, aux mes. 362-363 du Benedictus, conclusion. 54
la basse soliste n’a pas encore achevé son intervention que les autres 34
« 1. Ch. » désigne toujours, dans le Miserere, le petit chœur par op- 55
basses du petit chœur font leur entrée sur « Et sine timore ». Bien position au grand chœur. Cette indication et son corrolaire « 2. Ch. »,
que parfois confus, l’article déjà cité de Thomas Leconte apporte un sont fréquents dans le Te Deum qui pourrait fort bien être chanté avec 56
éclairage intéressant à ces détails de notation. un effectif réduit. Cf. HeyerOE, pp. XVII-XVIII. 57

XIII
2. Umbruch

Introduction

1 John Hajdu Heyer, notre relecteur, qui sut partager bres de l’Association Lully, et notamment à Monsieur
2 généreusement avec nous son immense connaissance de Daniel Morel qui a eu l’extrême gentillesse de préparer
3 l’œuvre religieuse de Lully et sans qui ce volume n’au- la saisie informatique de la partition du Miserere afin
4 rait pu voir le jour dans d’aussi bonnes conditions. que ce motet puisse être rechanté pour la première fois
5 Notre reconnaissance va encore à Messieurs Lionel depuis mars 1672, en l’église Sainte-Élisabeth-de-Hon-
6 Sawkins et Noam Krieger, ainsi qu’à Mesdames Cathe- grie (Paris) le 24 mars 2012 sous la direction de Madame
7 rine Massip et Catherine Cessac qui ont toujours su Christine Morel.
8 répondre à nos demandes et nous prodiguer d’heureuses
9 suggestions. Nos remerciements vont enfin aux mem- Jean-Paul C. Montagnier
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XIV

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