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Drogues,

enjeux
internationaux

LES ANTILLES FRANÇAISES ET LA Alain Labrousse 1937-2016


C’est au moment où la rédaction de
Drogues, enjeux internationaux finalisait
GUYANE : SUR LES ROUTES DU ce numéro qu’elle a appris la disparition
d’Alain Labrousse à l’âge de 79 ans. Cette
TRAFIC INTERNATIONAL DE COCAÏNE publication, dont nous vous proposons le
9e numéro, doit beaucoup à son approche
et s’inscrit dans la continuité de Drogues
Trafic International (17 numéros), bulletin
qu’il avait créé lors de ses deux années
Michel Gandilhon*, David Weinberger** passées à l’OFDT entre 2000 et 2002.
*Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)
**Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice (INHESJ)

L ’année 2015 a été marquée par


des saisies record de cocaïne –
près de 11 tonnes – sur le territoire
rôle du Venezuela comme épicentre
du trafic international de cocaïne [2]
et à l’essor de nouvelles routes mari-
français1. L’ampleur de ces prises est times. Ainsi, l’arc naturel – allant de
due pour une part importante à des Trinidad à Haïti en passant par la Au début des années 1990, Alain
opérations réalisées dans la zone des Martinique et la Guadeloupe – qui Labrousse avait fondé et dirigé l’Observa-
toire géopolitique des drogues (OGD).
Caraïbes où la France est très active marque la limite orientale de la mer Passionné par l’histoire politique tour-
du fait de la présence des deux dé- des Caraïbes offre, du fait de son mentée de l’Amérique latine dans les an-
partements d’outre-mer que consti- espace maritime difficile à surveiller, nées 1960 et 1970, il fut un des premiers
en France, après avoir écrit plusieurs
tuent la Martinique2 et la Guade- un terrain propice aux trafiquants. ouvrages sur l’Uruguay des Tupamaros, le
loupe et de la collectivité territoriale S’agissant de la Guyane, l’augmen- Chili de l’Unité populaire et l’Argentine, à
de Saint-Martin (voir encadré) [1]. tation des trafics en provenance de s’intéresser au développement des trafics
de cocaïne au tournant des années 1980
Parallèlement, la hausse des saisies Colombie, de Bolivie, du Pérou et et à leurs implications géopolitiques. Dès
de cocaïne en Guyane, ou en prove- du Venezuela, qui touche ses voisins lors, il consacrera ses activités à l’analyse
nance de ce territoire, suggère que brésilien et surinamien, l’affecte de des trafics internationaux de drogues en
conjuguant enquêtes de terrain, notam-
ce département français d’Amérique plus en plus [3], les trafiquants pro- ment en Colombie, au Maroc et en Afgha-
du Sud est en train de devenir une fitant de sa position géographique nistan, et mise en place d’un réseau inter-
national de correspondants comprenant
des zones de passage importantes de qui en fait une route privilégiée, via des journalistes et des universitaires. Auteur
la cocaïne destinée non seulement à l’océan Atlantique, vers l’Afrique de de nombreux livres, parmi lesquels Coca
la France, mais au marché nord-eu- Coke (La Découverte, 1986), La Drogue,
l’argent et les armes (Fayard, 1991) et
ropéen. Afghanistan, opium de guerre opium de
paix (Fayard, 2005), il a également été
1. Contre 6,8 tonnes en 2014 et 5,6 tonnes en 2013
Ces évolutions – si elles ne consti- (OCRTIS). Les statistiques douanières, qui prennent
consultant auprès de l’Union européenne
en compte des saisies réalisées en dehors du terri- et du Programme des Nations unies pour
tuent pas une nouveauté dans la me- toire français, mais dans lesquelles ces services sont le contrôle international des drogues
sure où des trafics y existent depuis partie prenante comme c’est notamment le cas lors (PNUCID), ainsi que membre de l’Obser-
les années 1980, ne fût-ce que pour de partenariats avec des services étrangers tels que la vatoire de la criminalité internationale, à
Juillet 2016

DEA (Drug Enforcement Administration) américaine, l’université de Liège.


satisfaire la demande locale de crack très active dans la région des Caraïbes, font état de Son regard aiguisé et critique sur des
(cocaïne basée) – sont néanmoins la 17 tonnes saisies. questions complexes manquera. De même
2. C’est d’ailleurs en Martinique, en avril 2015, qu’a eu que la grande disponibilité et la profonde
manifestation de plusieurs phéno- lieu la plus grosse saisie jamais réalisée par la douane gentillesse dont il faisait preuve avec ceux
mènes récents. Ceux-ci tiennent au française, avec 2,25 tonnes. qui le côtoyaient.
La rédaction de DEI et toute l’équipe de
l’OFDT saluent sa mémoire.
9

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l’Ouest, zone de rebond en direction vement le trafic. La cocaïne produite la cocaïne par la voie aérienne com-
des marchés européens et asiatiques. par le cartel de Medellin était en- merciale s’intensifiait, notamment
En outre, la nouveauté réside dans le voyée vers la Floride, essentiellement au départ des principaux aéroports
fait que ces régions d’outre-mer ne au moyen d’avions de tourisme. En des pays producteurs. Plusieurs fac-
constituent plus seulement des zones outre, l’accroissement de la coopé- teurs sont venus remettre en cause,
de transit. Elles représentent en effet ration militaire entre les États-Unis au moins en partie, cette nouvelle
pour certains trafiquants métropoli- et ce pays, formalisée par la signature configuration.
tains des marchés de gros importants, du Plan Colombie en 2000, et les
voire stratégiques, destinés à alimen- succès subséquents rencontrés dans À partir de la seconde moitié des
ter la demande française et euro- le démantèlement des organisations années 1990, la région des Antilles
péenne. criminelles, vont provoquer des dé- va retrouver un attrait pour les trafi-
placements des trafics. Les routes de quants en vue de la conquête du mar-
la cocaïne vont dès lors emprunter ché de l’Europe occidentale. Ainsi, la
plus intensément l’isthme centre- route dite du « nord », qui part des
Nouvelles routes américain. Caraïbes via l’archipel des Açores
maritimes dans pour atteindre, via le vecteur des
les Caraïbes Cette région, qui s’étend du Panama porte-conteneurs, les grands ports
jusqu’au sud du Mexique (isthme de comme Rotterdam [6] et Anvers, est
La mer des Caraïbes a toujours Tehuantepec), présente la particula- devenue au fil des ans une des trois
constitué une zone stratégique pour rité d’être constituée d’États plutôt principales voies4 empruntées par les
les trafiquants de cocaïne. Dans les fragiles, dont un certain nombre exportations de cocaïne en direc-
années 1970 et 1980 (voir encadré), (Salvador, Guatemala, Nicaragua) se tion de l’Europe occidentale. Ces
cet espace était en effet un point relevaient alors à peine de guerres ci- dernières années, un autre élément,
de passage important pour accéder viles les ayant plongés dans un chaos d’ordre politique, est venu renforcer
au marché américain, lequel repré- propice notamment aux trafics de l’importance stratégique des Antilles
sentait à l’époque le principal dé- toutes sortes3 [5]. pour les trafiquants : la crise sécuri-
bouché de la cocaïne produite en taire de l’État vénézuélien [7].
Colombie [4]. À partir des années Parallèlement se développait une
1990, pour perturber les flux, les ser- route du Pacifique, partant des côtes Une partie des flux empruntent en
vices répressifs américains mirent en occidentales de la Colombie et effet de plus en plus, compte tenu
place des systèmes de détection dans d’Équateur, pour atteindre l’Amé- de l’importante façade maritime de
la région qui affectèrent significati- rique du Nord. Enfin, le passage de ce pays sur la mer des Caraïbes, la
route des Antilles, et cela en utili-
sant majoritairement, contrairement
aux années 1980, la voie maritime.
Ce phénomène n’affecte d’ailleurs
Mer des Caraïbes : du vecteur aérien au vecteur maritime
pas que l’Europe, puisque les États-
Le trafic international de cocaïne a commencé à se développer de Unis sont également touchés par le
manière significative à partir de la seconde moitié des années 1970, développement du trafic maritime.
avec l’essor du marché de la cocaïne aux États-Unis. L’augmentation Ainsi, en 2013, selon les estimations
de la demande a stimulé le développement d’une offre croissante de la DEA (Drug Enforcement
en provenance de Colombie. Dans les années 1980, les cargaisons Administration), la part de la
de cocaïne transitent par la mer des Caraïbes, essentiellement par cocaïne importée par les mers via
avionnettes, et sont transbordées notamment dans l’archipel des
les îles des Caraïbes a quadruplé en
Bahamas, où les trafiquants étaient implantés, pour continuer leur
route vers la Floride. À l’époque, la puissance des organisations cri-
l’espace de trois ans, passant de 4 %
minelles colombiennes est bien illustrée par l’achat par un membre en 2011 à 16 % en 20135.
du cartel de Medellin, Carlos Lehder, de l’île de Norman’s Cay, située à
200 km des côtes de la Floride, principale porte d’entrée de la cocaïne
sur le marché américain. La mise en place par les États-Unis en 1995
3. En Amérique centrale, les trafics de migrants et de
de l’ABDP (Air Bridge Denial Program) en Colombie, un programme drogues sont complètement interpénétrés (ONUDC).
consacré à la détection du trafic par voie aérienne, va favoriser le dé- 4. 
Les deux autres routes sont : celle dite du
placement des activités des trafiquants vers le Venezuela. En outre, « centre » qui part d’Amérique du Sud et passe par
la fin de la coopération sécuritaire entre les États-Unis et le Vene- le Cap-Vert, Madère et les Canaries, et celle dite
« africaine » qui passe par l’Afrique de l’Ouest pour
zuela et par extension le gel de la coopération antidrogue offre une déboucher sur le sud de l’Espagne.
opportunité supplémentaire aux trafiquants de déplacer les expédi- 5. Jusqu’à ces dernières années, une des routes pri-
tions aériennes vers le Venezuela. L’extension de ce programme à la vilégiées de la cocaïne vers le marché américain
République dominicaine depuis 2009 et la décision du Honduras en partait par avionnettes du Venezuela pour rebondir
au Honduras où les organisations mexicaines récep-
2012 d’abattre les avions suspectés de trafic de drogue favorise sans tionnaient les cargaisons. L’augmentation récente
doute un report aujourd’hui sur la voie maritime. des saisies de cocaïne au Honduras inciterait les tra-
fiquants à utiliser d’autres routes et d’autres vecteurs
voir « Full circle, an old route regains popularity with
drugs gangs », The Economist, 24 mai 2014.

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Les flux de cocaïne dans la mer des Caraïbes et vers la Guyane

États-Unis

Océan Atlantique

Bahamas
Golfe du Mexique
Mexique

Cuba
République
Dominicaine
Jamaïque Haïti
Kingston Porto Guadeloupe (vers la France métropolitaine)
Rico
Océan Pacifique (vers les États-Unis) Dominique
Belize
Martinique (vers la France métropolitaine)
Guatemala Sainte
Honduras Lucie Barbade
Saint-Vincent Grenade
Aruba Grenadines
Mer des Caraïbes
Salvador Nicaragua Curaçao

Port of Spain

Trinité et Tobago
Costa
Rica
Voie terrestre maritime (rivière) ou aérienne Venezuela
Panama
Voie aérienne depuis le Venezuela Guyane
française (vers la France métropolitaine)
« Go-fast » depuis le Venezuela
Guyana
Petit cargo
Colombie Surinam
Yacht, mule, porte-conteneur, bateau de plaisance
ou Go-fast
Mule ou porte-conteneur Brésil

Source : OFDT

Ainsi, la Guadeloupe et la Martinique kée. La situation affecte également la çais et la métropole. En l’espace de
deviennent de manière croissante, à Guyane puisqu’une partie des flux se quelques années, les Antilles françaises
l’instar de la Jamaïque et de la Répu- dirigent vers le sud via le Suriname et, et la Guyane sont donc devenues des
blique dominicaine, des États «  en- dans une moindre mesure, le Guyana, corridors très fréquentés par les trafi-
trepôts » [8] où la cocaïne est stoc- pour atteindre le département fran- quants, une zone de trafic « intense »,
pour reprendre les termes de l’OCR-
TIS, comme en témoigne l’impor-
Les Antilles, les États-Unis et le crack tance des saisies réalisées ces dernières
années. Selon l’ONUDC (Organi-
Dans les années 1984-1985, la cocaïne qui arrive dans les départe- sation des Nations unies contre la
ments français d’outre-mer est essentiellement destinée au marché drogue et le crime), sur les 250 tonnes
local. Elle est consommée sous la forme dite « basée ». Le crack avait de cocaïne destinées au marché euro-
émergé sur le marché des grandes métropoles américaines à la fin des
péen, 30 % transiteraient aujourd’hui
années 1970. Il semble que certains usagers issus de l’immigration
antillaise, notamment jamaïcaine, soient à l’origine du développe- par les Antilles6.
ment de cette substance, dont l’installation sur le marché nord-amé-
ricain apparaît comme une conséquence des mutations de la chaîne
de la production de cocaïne. Face à une pénurie de précurseurs,
notamment l’éther éthylique, en Colombie, les trafiquants décident
La situation
en effet de déplacer le raffinage de la pâte-base (PBC) aux Antilles, dans les Antilles
voire d’exporter directement celle-ci en Floride en espérant dévelop- françaises...
per une consommation locale de PBC (basuco) similaire à celle qui a
cours en Amérique latine. Certains usagers antillais, consommateurs
Aujourd’hui, la Martinique et la
de cannabis, vont prendre l’habitude de fumer la PBC, et, en émi-
grant aux États-Unis, contribuer au développement d’une demande Guadeloupe ne sont plus seulement
spécifique de cocaïne fumable. L’usage de PBC ne prenant pas, les des zones de consommation de co-
dealers réussissent, grâce à l’adjonction de bicarbonate de soude caïne basée (crack), mais jouent un
ou d’ammoniac, à produire le crack, lequel a connu dans les années
1980 un développement foudroyant dans les quartiers pauvres des
métropoles américaines [10]. 6. 50 % de ces flux seraient acheminés directement
vers l’Europe et 20 % transiteraient par l’Afrique.

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rôle de plus en plus important dans


l’alimentation du marché métropoli- Le dispositif français antidrogue dans la mer des Antilles
tain. Les services de police estiment Doté d’une compétence nationale et internationale, l’OCRTIS (Office
en effet qu’entre 15 % et 20 % des central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants) est la prin-
5  tonnes de cocaïne saisies annuel- cipale structure française de lutte contre le trafic de drogues dans la
lement en moyenne depuis le début région depuis la création d’une antenne « Caraïbe » à Fort-de-France
des années 2000 sur le territoire en 2004. Il s’agit, comme son homologue métropolitaine, d’une
français proviendraient des deux structure interministérielle, comprenant des représentants de la gen-
darmerie, de la marine, des douanes et de la police, ainsi que des offi-
départements français [9]. La cocaïne
ciers de liaison de trois pays étrangers (Grande-Bretagne, États-Unis,
atteint les Antilles principalement Espagne). L’antenne collabore notamment avec d’autres structures
depuis les côtes du Venezuela d’où de lutte contre le trafic, notamment le JIATF-S (Joint Inter-Agency
partent des lanchas (embarcations Task Force-South), basée à Key West, en Floride, une entité intermi-
rapides), des bateaux de pêche ou nistérielle américaine de lutte contre le trafic maritime et aérien dont
des voiliers de plaisance (slow-mo- le champ d’activité couvre la mer des Antilles, la côte pacifique du
vers), dont les cargaisons sont déchar- continent américain et une bonne part de l’Atlantique. Compte tenu
gées soit directement en Guadeloupe de la nature essentiellement maritime du trafic, la marine nationale
ou en Martinique, soit sur des îles est le bras armé opérationnel majeur.
proches comme Sainte-Lucie. De-
puis trois ans, les services répressifs
notent toutefois des évolutions des
L’axe Fort-de-France/Le Havre
pratiques avec des transbordements pole. Ce modus operandi, qui ne
maritimes réalisés en haute mer. À Au vu des saisies importantes réali- concernait principalement jusqu’ici
des fins de discrétion, les trafiquants sées, il semble bien que le transport que Rotterdam7 et Anvers, les deux
utilisent des bateaux de pêche qui par porte-conteneurs reliant Fort- grands débouchés de la route du
partent des côtes vénézuéliennes à la de-France au Havre soit en train de Nord [11], est en train de faire du
rencontre d’embarcations légères en devenir une modalité significative Havre, premier port français pour le
provenance des îles antillaises. du trafic de cocaïne vers la métro- trafic de porte-conteneurs, avec, en
2013, 68 millions de tonnes de mar-
chandises en transit, une porte d’en-
trée majeure de la cocaïne destinée
non seulement à la France, mais aussi
La question du blanchiment de l’argent de la drogue : à l’Europe occidentale8. En 2014, la
le cas de Saint-Martin plus grosse saisie de cocaïne jamais
L’île de Saint-Martin est située à 235 kilomètres au nord de la Gua- réalisée en France, avec 1,4 tonne, y
deloupe. Son territoire est divisé entre une partie française, située a été effectuée [12]. Pour les réseaux
au nord, et une autre néerlandaise. Jusqu’en juillet 2007, Saint-Mar- criminels, ce moyen de transport pré-
tin était partie intégrante du département de la Guadeloupe. Depuis sente des avantages très importants
cette date, l’île a un statut de « collectivité d’outre-mer », lequel lui en termes de quantités transportées
permet de bénéficier d’une large autonomie, notamment sur le plan et de coûts du fait des économies
de la fiscalité. Dans les années 1990, du fait d’une situation géogra- d’échelle réalisées. Le troisième avan-
phique favorable, l’île est devenue une plaque tournante du trafic tage tient à la difficulté pour les ser-
régional de la cocaïne destinée à l’Europe et aux États-Unis. Elle était
vices répressifs de détecter la cocaïne
également un centre de réexpédition du crack en direction des An-
tilles françaises, surtout de la Guadeloupe. Aujourd’hui, l’île est une dans les immenses cargaisons de mar-
destination touristique importante, ce qui a suscité un boom éco- chandises qui circulent quotidienne-
nomique dans le secteur de l’immobilier, lequel aurait été largement ment. Tout cela dans un contexte où
alimenté par l’argent de la drogue. En outre, l’île, comme la Marti- les techniques de dissimulation se
nique et la Guadeloupe, même si c’est dans une moindre mesure, est sophistiquent d’année en année. En
touchée par l’intensification du trafic régional de cocaïne et tend à effet, si la dissimulation de la drogue
devenir une plate-forme de stockage pour les trafiquants ; elle sert
également de point de rencontre pour les négociations de contrats.
S’agissant de la partie néerlandaise, également dénommée Saint-
Martin (Sint-Maarten), qui constitue un des quatre États qui forment
le royaume des Pays-Bas, son statut de paradis fiscal en fait un lieu
7. Le port de Rotterdam, devant celui d’Anvers, serait
de blanchiment de l’argent de la cocaïne, via un système bancaire le premier lieu de transit puisque, selon des données
pléthorique et une puissante industrie des jeux contrôlés par le crime remontant à 2013, 25 à 50 % de la cocaïne destinée
organisé [10]. Celui-ci est composé notamment de gangs, en contact au marché européen y transiteraient [11].
avec les trafiquants colombiens et vénézuéliens, dont certains sont 8. 
Ce phénomène touche peu ou prou les plus
grands ports européens. Ainsi, Algésiras et Valence
implantés aux Pays-Bas où ils importent de la cocaïne. (Espagne), Gioia Tauro (Italie) ou encore le Pirée
(Grèce) sont concernés.

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dans les cargaisons transportées est Quantités de cocaïne saisies (grammes) par la Police judiciaire de
bien connue, les services répressifs Guyane entre 2013 et fin novembre 2015
font état de plus en plus de saisies
d’objets en plastique (tables, chaises,
Saisies
etc.) contenant du chlorhydrate de
cocaïne. Celui-ci est également fré-
quemment inséré dans la structure
même des conteneurs (parois, blocs
80 000
réfrigérants). Cependant, le trafic ne
concerne pas seulement des grosses 70 000
cargaisons. Les trafiquants tendent 57 402,7
60 000
aussi à atomiser les livraisons de co-
caïne en utilisant la technique dite 50 000
du rip-on/rip-off, laquelle consiste à 40 000
placer, avec la complicité de certains
membres du personnel portuaire, des 30 000
18 272,5
sacs de cocaïne contenant quelques 20 000
8 278
dizaines de kilos [3]. Le 18 mars 10 000
2016, six dockers travaillant dans le
port du Havre ont été interpellés par 0
2013 2014 2015
les services de police pour leur par-
ticipation présumée à un vaste réseau
ayant permis d’importer plusieurs Source : OCRTIS
centaines de kilos de cocaïne en pro-
venance de Martinique.
litaine. Alors que en Europe, le prix ... et en Guyane
Les mules et le vecteur aérien de gros du kilogramme de cocaïne
s’élève en moyenne à 30 000 euros, il
Le trafic de cocaïne en provenance peut descendre jusqu’à 10 000 euros Département enclavé entre le Suri-
des Antilles françaises ne se limite pas en Martinique ou en Guadeloupe name et le Brésil, avec lequel il par-
néanmoins à la voie maritime. À l’ins- [13]. tage plus de 1 200 km de frontières
tar d’autres régions du monde, le vec- terrestres, la Guyane, située non loin
teur aérien, via l’aviation générale et Une autre tendance, de plus en plus de la Colombie et du Venezuela, et
l’aviation commerciale, est aussi mo- observée par les services de police, dotée d’une large façade maritime
bilisé. Celui-ci est largement le fait de témoigne du dynamisme des Antilles s’ouvrant sur l’Atlantique, est affec-
« mules » transportant le produit soit comme marché de gros secondaire tée par le développement du trafic
in corpore, soit dans les bagages. Ces de la cocaïne. Celui du troc entre de cocaïne dans la région.
mules sont généralement recrutées résine de cannabis d’origine maro-
par des organisations opérant depuis caine et cocaïne, à raison de deux La topographie du département pré-
la métropole9. Les recrues sont le plus kilogrammes de résine contre un sente en outre de multiples avantages
souvent des jeunes femmes, appâtées kilogramme de cocaïne. Un échange pour les trafiquants, notamment un
par la perspective d’une semaine de qui s’avère très avantageux pour les réseau fluvial très dense, vecteur tra-
vacances tous frais payés dans un hôtel trafiquants puisque, compte tenu du ditionnel des échanges commerciaux
de standing et rétribuées de 1 000 à prix de gros de la résine de canna- et humains dans la région, comme
7 000 euros selon l’origine du départ bis en métropole, à savoir environ c’est le cas avec le Suriname par le
pour rapporter de « petites » quanti- 2 500 euros le kilo, celui de cocaïne fleuve Maroni. En outre, la forêt
tés (de 3 à 5 kilogrammes). Selon les leur revient en réalité à 5 000 euros. équatoriale – couvrant près de 90 %
saisies réalisées par l’antenne OCR- Le dynamisme de ce trafic a été bien de la superficie du territoire – est
TIS de l’aéroport de Roissy, la Marti- mis en évidence en août 2015 avec un lieu idéal pour l’implantation
nique est, derrière le Brésil et devant la saisie record de plus de 400 kilo- d’aérodromes clandestins. Tous ces
la Guyane, la deuxième région de grammes de résine réalisée par les facteurs contribuent à compliquer
provenance de la cocaïne qui arrive douanes dans le port de Fort-de-
via cet aéroport [9]. Ce phénomène France sur un porte-conteneur en
qui ne cesse de prendre de l’ampleur provenance du Havre. Cet épisode
9. En 2014, la police judiciaire a interpellé en Guade-
a mis en évidence l’intérêt croissant confirme qu’il existe une demande loupe et en métropole trois membres du gang dit des
des Antilles françaises comme mar- dans les départements d’outre-mer « Chiens La Ri » pour trafic de cocaïne. Cette bande,
implantée dans la commune guadeloupéenne de
ché de gros secondaire de la cocaïne pour la résine au détriment d’une Baie-Mahault, compterait près de 70 membres. Son
consommée en France. Les prix en herbe produite localement ou im- influence s’exerce dans certaines villes françaises
(Orly, Toulouse, Clermont-Ferrand) où elle exporte
vigueur y sont en effet plus bas que portée de Sainte-Lucie et de Saint- de la cocaïne en utilisant principalement des mules
ceux pratiqués en France métropo- Vincent. et des colis postaux (DCSP).

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largement le travail des forces de et notamment la région parisienne, deux fois moins chère que celle ac-
l’ordre. Comme en Martinique et marque le point d’arrivée provi- quise aux Antilles ou en République
en Guadeloupe, le trafic de cocaïne soire avant une réexpédition vers les dominicaine.
est apparu au début des années Pays-Bas et la Belgique. L’augmen-
1980 dans le but de répondre à la tation des interpellations de trafi- Au regard de ce prix, la filière guya-
demande d’une population plutôt quants en provenance du Suriname naise pourrait prendre de plus en
marginalisée la consommant prin- et de Guyane à la gare du Nord de plus d’ampleur dans les mois et les
cipalement sous sa forme « basée » Paris, point de départ à destination années à venir. Selon les autorités
[14], dite «  crack », pour l’essentiel de Bruxelles et d’Amsterdam, atteste guyanaises, il pourrait y avoir plus
fabriqué au Suriname. C’est seule- de cette évolution. de 10 mules par jour partant de
ment à partir du début des années Guyane. Il semble que les trafiquants
1990 que le trafic de cocaïne en di- Trafics de fourmis n’éprouvent guère de difficultés pour
rection de l’Europe s’est lentement recruter. Ils puisent dans le vivier
développé pour s’accélérer depuis La plupart des saisies sont réalisées des sans-emploi – plus de 25 % de
cinq ans. Cette attractivité pour les sur des vols commerciaux trans- la population active –, pour lesquels
trafiquants de cocaïne est attestée par portant des passeurs convoyant de une rétribution de 3 000 à 7 000
l’augmentation importante et régu- la cocaïne [9]. Beaucoup de ces euros par vol effectué constitue une
lière des saisies réalisées à la fois loca- personnes proviennent d’une com- somme non négligeable. La dernière
lement (voir graphique) et en métro- mune du Suriname, Albina, située grosse affaire en date remonte à avril
pole. Entre 2012 et 2014, les saisies à la frontière de la Guyane, en face 2014, avec le démantèlement d’un
en provenance de la Guyane ont de la ville de Saint-Laurent du Ma- réseau dit « Taki Taki » qui impor-
augmenté de 64 %, passant de 86 à roni. Les modes opératoires sont tait de la cocaïne destinée à l’ouest
141 kilogrammes [10]. invariables : une personne, souvent (département des Deux-Sèvres) et
d’origine sociale assez modeste, au sud-ouest de la France via des
Deux changements principaux plutôt très jeune, voire mineure, passeurs recrutés en Guyane. Quoi
peuvent expliquer cette évolution. est recrutée. Un billet pour la qu’il en soit, les statistiques relatives
D’une part, à la fin des années 1990, France métropolitaine est acheté. La aux interpellations montrent le dé-
l’émergence de la route ouest-afri- cocaïne est transportée in corpore. veloppement important du trafic de
caine vers l’Europe [15]. D’autre part, cocaïne par le vecteur aérien : « Ain-
le renforcement du contrôle de la Toutefois, ce trafic ne saurait se limi- si, 40 mules (dont 23 in corpore) ont
route aérienne reliant Paramaribo, la ter à des groupes néerlandophones. été arrêtées à Orly au premier semestre
capitale du Suriname, et Amsterdam, Depuis quelques années, en effet, 2015, contre 39 (dont 26 in corpore) au
via l’aéroport de Schiphol10. Le voi- s’est opérée une autonomisation cours de l’année 2014. Du côté guyanais,
sinage du Suriname joue en effet un des bandes criminelles de Guyane 127 mules ont été interpellées lors des six
rôle fondamental dans les évolutions française qui ne se contentent plus premiers mois de 2015 (pour 139 kg de
en cours, ce pays étant une zone de d’opérer pour le compte des « Suri- cocaïne saisis), contre 114 sur la totalité
rebond significative de la cocaïne namiens  ». Forts de leur capacité à de l’année 2014. » [10].
produite par les cartels colombiens recruter des mules françaises pour
depuis la fin des années 1980. Profi- partir depuis l’aéroport Felix-Eboué Même si le trafic de fourmis est large-
tant de niveaux de corruption élevés, de Cayenne vers Paris, certains ment majoritaire dans le cadre du vec-
les organisations criminelles, regrou- groupes criminels, principalement teur aérien, la saisie record, intervenue
pées sous l’appellation générique de originaires de l’ethnie Bushinenguè, en mars 2016 auprès de trois voyageurs
« Suricartels », se sont implantées du- aussi nommée les gens de la forêt, vi- à destination de Marseille, de 53 kilos
rablement et importent la production vant à la frontière surinamienne, sont de cocaïne à l’aéroport Félix-Eboué
des pays andins vers l’ancienne colo- en pleine expansion. Ils opèrent no- de Cayenne démontre une diversifica-
nie néerlandaise au moyen d’avion- tamment une croissance horizontale tion des modalités du trafic, laquelle se
nettes et de bateaux de pêche11. par la mise en place de réseaux de manifeste aussi par le développement
distribution guyanais en métropole. des exportations de cocaïne par fret
Si à l’époque, la cocaïne était ré- Pour ne pas se heurter directement express et voie postale.
expédiée vers les États-Unis, au- aux autres grossistes de cocaïne en
jourd’hui elle tend à l’être vers l’Eu- France, ils choisissent de s’implanter
rope et plus récemment vers le cône dans des villes de petite et moyenne
sud du continent pour alimenter importance plutôt que Paris ou Mar- 10.  Avec la mise en place d’une politique de contrôle
systématique des passagers à Schiphol.
notamment la consommation brési- seille. La cocaïne est achetée au Suri-
11.  Voir le reportage d’Arnaud Jouve Suriname et
lienne12 et argentine. Aujourd’hui, name où le kilogramme se négocie cocaïne, dans Pour-suites, le webmagazine d’inves-
la Guyane constitue pour le crime autour de 5 000 euros en moyenne, tigation de RFI, http://webdoc.rfi.fr/pour-suites/en-
quete-suriname-plateforme-cocaine-desi-bouterse/
organisé surinamien, via Cayenne et selon la police et la douane. Ainsi, index.html
son aéroport international, un point avec un taux de pureté qui dépasse 12.  Désormais deuxième marché national le plus
stratégique pour l’exportation de 70 %, la cocaïne transitant par la important après les États-Unis (ONUDC, World Drug
report 2015).
cocaïne. La France métropolitaine, Guyane est équivalente en qualité et

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Drogues, enjeux internationaux

Par ailleurs, l’OCRTIS fait état aggravée avec les changements inter- entre le Suriname et les Pays-Bas et
de phénomènes similaires à ceux venus dans la géopolitique régionale l’autonomisation de groupes crimi-
qui ont cours en Martinique avec qui voit le Venezuela, pays très proche nels de Guyane française expliquent
l’émergence de trocs résine de can- de l’arc antillais, devenir un espace une évolution spectaculaire qui fait
nabis/cocaïne. Il est important de majeur de transit et de réexpédition de ce département d’outre-mer une
souligner toutefois que le trafic ne de la cocaïne produite notamment source de plus en plus importante
vise pas que la métropole ou d’autres en Colombie. de la cocaïne consommée en métro-
pays européens. La disponibilité pole13. Les Antilles françaises et la
croissante de la cocaïne en Guyane, Ainsi, des côtes du Venezuela part Guyane française illustrent ainsi les
qui circule sur le marché local à des un flux important d’embarcations effets, parfois inattendus, de l’action
prix oscillant entre 10 et 20 euros le (bateaux de pêche, go-fast, voiliers) répressive sur la géopolitique des
gramme pour une pureté avoisinant qui alimentent régulièrement la drogues et les routes du trafic.
les 70 %, montre que les trafiquants Guadeloupe et la Martinique en
s’intéressent à un marché local qui cocaïne. De fait, Pointe-à-Pitre et
ne se résume plus au crack. Fort-de-France sont désormais non
seulement des points stratégiques de
réexpédition de la cocaïne destinée à
l’Europe, mais aussi des marchés de
Conclusion gros secondaires où se rencontrent la
criminalité locale et les bandes issues
Depuis le début des années 2000, de la métropole. La Guyane, quant à
avec la réorientation du trafic de elle, plutôt épargnée jusqu’à mainte-
cocaïne en direction de l’Europe, les nant par le trafic de grande ampleur, 13. Une estimation (INHESL, DCPJ) de la quantité impor-
tée en métropole fondée sur les saisies moyennes par
Antilles françaises constituent une du fait de sa position en marge des mules et le nombre de vol annuels entre Cayenne et
zone-rebond de la cocaïne destinée grandes voies du trafic, devient de Paris, réalisée par la police judiciaire, indiquerait que les
organisations criminelles guyanaises seraient actuelle-
à la fois à la France et au reste de plus en plus attractive. L’augmen- ment en capacité de répondre entre 1/10e et 1/5 de la
l’Europe. Cette situation s’est encore tation des contrôles aéroportuaires consommation de cocaïne en métropole.

1. DIRECTION GÉNÉRALE DES 7. VASQUEZ LEZAMA P. et WEINBER- 13. GANDILHON M., Les Antilles
Bibliographie

DOUANES ET DROITS INDIRECTS, GER D., « Le paradoxe sécuritaire véné- françaises (Martinique, Guadeloupe,
Douane : résultats 2015, Paris, Minis- zuélien », Cahiers de la Sécurité et de la Saint-Martin) et la Guyane au cœur du
tère des Finances et des Comptes Justice, n° 27-28, 2014, pp. 265-277. trafic international de cocaïne, Saint-
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8. LABROUSSE A., FIGUEIRA D. et 6 p.
2. WEINBERGER D., « Le Venezuela : CRUSE R., « Évolutions récentes de la
un épicentre du trafic régional et géopolitique de la cocaïne », L’Espace 14. MERLE S. et VALLART M., « Mar-
mondial de cocaïne », Drogues, enjeux politiqe, n° 4, 2008. tinique, Guyane : les spécificités de
internationaux, OFDT, n° 6, 2013, 5 p. l’usage ultra-marin », dans Costes
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3. EMCDDA et EUROPOL, EU Drug RÉPRESSION DU TRAFIC ILLICITE DES cites en France depuis 1999 vus au tra-
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www.emcdda.europa.eu/topics/pods/
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contacts et contrôles. Le port de le 20/06/2016].
Rotterdam selon des trafiquants
de drogue colombiens », Cahiers 12. GANDILHON M., « La cocaïne, une
de la Sécurité, n° 59 (Drogues et marchandise mondialisée », Drogues,
antidrogue en Colombie), 2005, pp. santé et société, vol. 15, n° 1, 2016 Cette analyse a bénéficié du soutien
107-148.. (à paraître). financier du ministère des Outre-mer.

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Drogues, enjeux internationaux

À signaler

L ’EU Drug Markets Report, publié conjointement par l’EMCDDA Drogues, enjeux internationaux signale
(Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) et quelques rapports et publications récents en
Europol en avril dernier, offre une analyse complète des marchés relation avec la question de l’offre de drogues.
Notes de lecture

des drogues en Europe. Le rapport est conçu comme un « package »


incluant, outre le rapport principal de près de 200 pages en langue
Ouvrages
anglaise agrémenté de nombreuses photographies, cartes et gra- DUPORT (C.), Héro(s), Au cœur de l’héroïne, Éditions
phiques, des synthèses de ce dernier en français, allemand, anglais, Wildproject, 2016.
espagnol et portugais. En outre, un certain nombre de thèmes pré- Dans les années 1980, la ville de Marseille a été
cis, dont la production de haschisch au Maroc, sujet bien connu des particulièrement frappée par l’épidémie d’héroïne
lecteurs de Drogues, enjeux internationaux (voir le numéro 8), font qui sévissait alors sur le territoire national. Dans ce
l’objet d’analyses spécifiques par des experts reconnus et sont pro- livre original, sous forme d’abécédaire, la sociologue
posées en guise d’annexes en ligne du rapport. EMCDDA, Europol Claire Duport, revient sur cette époque douloureuse
en abordant des aspects très divers, de la criminalité
La première partie est consacrée à une analyse transversale met- EU Drug Markets internationale (French Connection, filières libanaises)
tant en lumière les principales ramifications et les grands moteurs Report - 2016 aux réalités de l’usage (portraits de consommateurs).
de changement des marchés de drogues européens. Afin de cerner L’ouvrage permet de combler une partie du vide his-
l’ampleur du problème, le rapport propose une estimation de la EMCDDA/Europol 2016 toriographique relatif à un épisode clé concernant les
valeur annuelle des marchés de détail des drogues en Europe, soit drogues en France.
24 milliards d’euros au minimum. On comprend dès lors pourquoi le
commerce des stupéfiants demeure l’un des domaines les plus rentables pour les groupes GRAJALES (J.), Gouverner dans la violence, le
criminels organisés qui contrôlent une large part de ces marchés. Leur existence entraine paramilitarisme en Colombie, Karthala, 2016.
non seulement des dommages sanitaires mais s’articule aussi à d’autres formes de crimi- Après le démantèlement du cartel de Medellin au
nalité, y compris violente, et au terrorisme. Leur influence s’exerce, en outre, sur l’écono- début des années 1990, ce sont les groupes para-
mie, dont certaines sections pâtissent plus que d’autres, comme le secteur public, dont militaires, créés notamment pour lutter contre les
ils grèvent les budgets et exposent les fonctionnaires au risque de la corruption, et sur la guérillas dites « marxistes » (FARC, ELN), qui ont été
société dans son ensemble. au cœur des trafics de cocaïne en Colombie. Pour
l’auteur, maître de conférences en sciences politiques
Le rapport met en avant trois grands défis que posent et poseront à l’avenir les marchés à l’Université de Lille 2, ces groupes sont loin de se
des drogues aux institutions chargées de les contrôler: la complexité organisationnelle, résumer à la dimension criminelle à laquelle on les
les interconnexions et la spécialisation croissantes des groupes criminels ; la mondialisa- réduit trop souvent aujourd’hui et ont constitué un
tion et les nouvelles technologies qui accélèrent les changements sur les marchés et les instrument important de la politique néolibérale de
rendent plus difficiles à contrôler ; et la concentration au sein de certaines zones géogra- l’oligarchie colombienne.
phiques, en Europe mais aussi dans son voisinage, d’activités clé, telles que la production GIBLER (J.), Mourir au Mexique, Narcotrafic et
ou l’importation de grandes quantités de drogues. Des pistes d’action publique pour faire terreur d’État, À l’ombre du Maguay, 2015.
face à ces défis sont également suggérées.
Cet ouvrage sur le narcotrafic au Mexique rejoint
Le rapport offre en deuxième partie une analyse détaillée des marchés des principales largement les constats du livre susmentionné en
drogues et nouvelles substances psychoactives, dont il n’est possible de résumer ici que soulignant la collusion entre les narcotrafiquants,
les conclusions concernant la cocaïne, objet de ce numéro de DEI. politiciens, industriels et milices paramilitaires. Une
connivence payée au prix fort de dizaines de milliers
Le marché de détail de la cocaïne, stimulant illicite le plus consommé en Europe, a une de morts par une société civile tétanisée par une
valeur minimum estimée à 5,7 milliards d’euros par an. La consommation, qui a surtout terreur devenue un mode de gouvernement.
lieu dans les pays de l’ouest et du sud du continent, est restée stable ces dernières années, FAUX (F.), Coca ! Une enquête dans les Andes,
bien que la disponibilité de la cocaïne sur le marché paraisse avoir augmenté. La produc-
Actes Sud, 2015.
tion de coca en Amérique du Sud semble croitre après une période de baisse, mais une
incertitude persiste quant aux quantités de cocaïne produites dans le monde ainsi qu’aux De la Bolivie à la Colombie, du Sentier Lumineux à
Pablo Escobar, l’auteur, correspondant de presse
lieux de production de celle-ci. Les transports maritimes et aériens sont utilisés pour le
en Amérique latine, et déjà auteur d’un livre sur les
trafic de cocaïne vers l’Europe, principalement depuis la Colombie, le Brésil et le Vene-
Maras, décrit les réalités pluridimensionnelles de
zuela. La Caraïbe et l’Afrique de l’ouest restent d’importantes zones de transit, tandis que
l’économie engendrée par la culture de la coca.
l’Amérique centrale gagne en importance. L’utilisation de conteneurs maritimes qui tran-
sitent par les principaux ports européens, notamment Anvers, Rotterdam et Valence, est Revues
un problème permanent. Tout un éventail de méthodes de dissimulation est mis en œuvre,
notamment l’incorporation de la drogue dans des «matières de support» (le plastique, ZIELINSKA (A. C.), LE BLANC (N.), (Coord.), Drogues :
par exemple) avant son extraction chimique à l’arrivée en Europe. Les groupes criminels Ordre et désordres, Mouvements n° 86, La Décou-
colombiens et italiens dominent l’approvisionnement en gros de l’Europe, en coopération verte, 2016.
avec d’autres groupes (par exemple néerlandais, britanniques ou espagnols). Les trafi- Dans ce numéro spécial consacré à la question des
quants ouest-africains, notamment nigérian, sont également actifs dans le transport de drogues, Mouvements a sollicité de nombreux cher-
cocaïne d’Afrique en Europe tandis que les groupes criminels issus des Balkans sont des cheurs et spécialistes. Une large place est accordée à
acteurs émergents. la dimension internationale, des guerres de l’opium en
Chine à la dépénalisation au Portugal en passant par
Laurent Laniel (EMCDDA) la situation au Mexique. Un dénominateur commun : la
critique du paradigme prohibitionniste.

Drogues, enjeux internationaux


Directeur de la publication : François Beck (OFDT)
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Comité de rédaction : Laurent Laniel (EMCDDA), Jean-Pierre Daval (OCRTIS),
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et DDM (photo d’Alain Labrousse en couverture). e-mail : ofdt@ofdt.fr

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