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l’Ouest, zone de rebond en direction vement le trafic. La cocaïne produite la cocaïne par la voie aérienne com-
des marchés européens et asiatiques. par le cartel de Medellin était en- merciale s’intensifiait, notamment
En outre, la nouveauté réside dans le voyée vers la Floride, essentiellement au départ des principaux aéroports
fait que ces régions d’outre-mer ne au moyen d’avions de tourisme. En des pays producteurs. Plusieurs fac-
constituent plus seulement des zones outre, l’accroissement de la coopé- teurs sont venus remettre en cause,
de transit. Elles représentent en effet ration militaire entre les États-Unis au moins en partie, cette nouvelle
pour certains trafiquants métropoli- et ce pays, formalisée par la signature configuration.
tains des marchés de gros importants, du Plan Colombie en 2000, et les
voire stratégiques, destinés à alimen- succès subséquents rencontrés dans À partir de la seconde moitié des
ter la demande française et euro- le démantèlement des organisations années 1990, la région des Antilles
péenne. criminelles, vont provoquer des dé- va retrouver un attrait pour les trafi-
placements des trafics. Les routes de quants en vue de la conquête du mar-
la cocaïne vont dès lors emprunter ché de l’Europe occidentale. Ainsi, la
plus intensément l’isthme centre- route dite du « nord », qui part des
Nouvelles routes américain. Caraïbes via l’archipel des Açores
maritimes dans pour atteindre, via le vecteur des
les Caraïbes Cette région, qui s’étend du Panama porte-conteneurs, les grands ports
jusqu’au sud du Mexique (isthme de comme Rotterdam [6] et Anvers, est
La mer des Caraïbes a toujours Tehuantepec), présente la particula- devenue au fil des ans une des trois
constitué une zone stratégique pour rité d’être constituée d’États plutôt principales voies4 empruntées par les
les trafiquants de cocaïne. Dans les fragiles, dont un certain nombre exportations de cocaïne en direc-
années 1970 et 1980 (voir encadré), (Salvador, Guatemala, Nicaragua) se tion de l’Europe occidentale. Ces
cet espace était en effet un point relevaient alors à peine de guerres ci- dernières années, un autre élément,
de passage important pour accéder viles les ayant plongés dans un chaos d’ordre politique, est venu renforcer
au marché américain, lequel repré- propice notamment aux trafics de l’importance stratégique des Antilles
sentait à l’époque le principal dé- toutes sortes3 [5]. pour les trafiquants : la crise sécuri-
bouché de la cocaïne produite en taire de l’État vénézuélien [7].
Colombie [4]. À partir des années Parallèlement se développait une
1990, pour perturber les flux, les ser- route du Pacifique, partant des côtes Une partie des flux empruntent en
vices répressifs américains mirent en occidentales de la Colombie et effet de plus en plus, compte tenu
place des systèmes de détection dans d’Équateur, pour atteindre l’Amé- de l’importante façade maritime de
la région qui affectèrent significati- rique du Nord. Enfin, le passage de ce pays sur la mer des Caraïbes, la
route des Antilles, et cela en utili-
sant majoritairement, contrairement
aux années 1980, la voie maritime.
Ce phénomène n’affecte d’ailleurs
Mer des Caraïbes : du vecteur aérien au vecteur maritime
pas que l’Europe, puisque les États-
Le trafic international de cocaïne a commencé à se développer de Unis sont également touchés par le
manière significative à partir de la seconde moitié des années 1970, développement du trafic maritime.
avec l’essor du marché de la cocaïne aux États-Unis. L’augmentation Ainsi, en 2013, selon les estimations
de la demande a stimulé le développement d’une offre croissante de la DEA (Drug Enforcement
en provenance de Colombie. Dans les années 1980, les cargaisons Administration), la part de la
de cocaïne transitent par la mer des Caraïbes, essentiellement par cocaïne importée par les mers via
avionnettes, et sont transbordées notamment dans l’archipel des
les îles des Caraïbes a quadruplé en
Bahamas, où les trafiquants étaient implantés, pour continuer leur
route vers la Floride. À l’époque, la puissance des organisations cri-
l’espace de trois ans, passant de 4 %
minelles colombiennes est bien illustrée par l’achat par un membre en 2011 à 16 % en 20135.
du cartel de Medellin, Carlos Lehder, de l’île de Norman’s Cay, située à
200 km des côtes de la Floride, principale porte d’entrée de la cocaïne
sur le marché américain. La mise en place par les États-Unis en 1995
3. En Amérique centrale, les trafics de migrants et de
de l’ABDP (Air Bridge Denial Program) en Colombie, un programme drogues sont complètement interpénétrés (ONUDC).
consacré à la détection du trafic par voie aérienne, va favoriser le dé- 4.
Les deux autres routes sont : celle dite du
placement des activités des trafiquants vers le Venezuela. En outre, « centre » qui part d’Amérique du Sud et passe par
la fin de la coopération sécuritaire entre les États-Unis et le Vene- le Cap-Vert, Madère et les Canaries, et celle dite
« africaine » qui passe par l’Afrique de l’Ouest pour
zuela et par extension le gel de la coopération antidrogue offre une déboucher sur le sud de l’Espagne.
opportunité supplémentaire aux trafiquants de déplacer les expédi- 5. Jusqu’à ces dernières années, une des routes pri-
tions aériennes vers le Venezuela. L’extension de ce programme à la vilégiées de la cocaïne vers le marché américain
République dominicaine depuis 2009 et la décision du Honduras en partait par avionnettes du Venezuela pour rebondir
au Honduras où les organisations mexicaines récep-
2012 d’abattre les avions suspectés de trafic de drogue favorise sans tionnaient les cargaisons. L’augmentation récente
doute un report aujourd’hui sur la voie maritime. des saisies de cocaïne au Honduras inciterait les tra-
fiquants à utiliser d’autres routes et d’autres vecteurs
voir « Full circle, an old route regains popularity with
drugs gangs », The Economist, 24 mai 2014.
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États-Unis
Océan Atlantique
Bahamas
Golfe du Mexique
Mexique
Cuba
République
Dominicaine
Jamaïque Haïti
Kingston Porto Guadeloupe (vers la France métropolitaine)
Rico
Océan Pacifique (vers les États-Unis) Dominique
Belize
Martinique (vers la France métropolitaine)
Guatemala Sainte
Honduras Lucie Barbade
Saint-Vincent Grenade
Aruba Grenadines
Mer des Caraïbes
Salvador Nicaragua Curaçao
Port of Spain
Trinité et Tobago
Costa
Rica
Voie terrestre maritime (rivière) ou aérienne Venezuela
Panama
Voie aérienne depuis le Venezuela Guyane
française (vers la France métropolitaine)
« Go-fast » depuis le Venezuela
Guyana
Petit cargo
Colombie Surinam
Yacht, mule, porte-conteneur, bateau de plaisance
ou Go-fast
Mule ou porte-conteneur Brésil
Source : OFDT
Ainsi, la Guadeloupe et la Martinique kée. La situation affecte également la çais et la métropole. En l’espace de
deviennent de manière croissante, à Guyane puisqu’une partie des flux se quelques années, les Antilles françaises
l’instar de la Jamaïque et de la Répu- dirigent vers le sud via le Suriname et, et la Guyane sont donc devenues des
blique dominicaine, des États « en- dans une moindre mesure, le Guyana, corridors très fréquentés par les trafi-
trepôts » [8] où la cocaïne est stoc- pour atteindre le département fran- quants, une zone de trafic « intense »,
pour reprendre les termes de l’OCR-
TIS, comme en témoigne l’impor-
Les Antilles, les États-Unis et le crack tance des saisies réalisées ces dernières
années. Selon l’ONUDC (Organi-
Dans les années 1984-1985, la cocaïne qui arrive dans les départe- sation des Nations unies contre la
ments français d’outre-mer est essentiellement destinée au marché drogue et le crime), sur les 250 tonnes
local. Elle est consommée sous la forme dite « basée ». Le crack avait de cocaïne destinées au marché euro-
émergé sur le marché des grandes métropoles américaines à la fin des
péen, 30 % transiteraient aujourd’hui
années 1970. Il semble que certains usagers issus de l’immigration
antillaise, notamment jamaïcaine, soient à l’origine du développe- par les Antilles6.
ment de cette substance, dont l’installation sur le marché nord-amé-
ricain apparaît comme une conséquence des mutations de la chaîne
de la production de cocaïne. Face à une pénurie de précurseurs,
notamment l’éther éthylique, en Colombie, les trafiquants décident
La situation
en effet de déplacer le raffinage de la pâte-base (PBC) aux Antilles, dans les Antilles
voire d’exporter directement celle-ci en Floride en espérant dévelop- françaises...
per une consommation locale de PBC (basuco) similaire à celle qui a
cours en Amérique latine. Certains usagers antillais, consommateurs
Aujourd’hui, la Martinique et la
de cannabis, vont prendre l’habitude de fumer la PBC, et, en émi-
grant aux États-Unis, contribuer au développement d’une demande Guadeloupe ne sont plus seulement
spécifique de cocaïne fumable. L’usage de PBC ne prenant pas, les des zones de consommation de co-
dealers réussissent, grâce à l’adjonction de bicarbonate de soude caïne basée (crack), mais jouent un
ou d’ammoniac, à produire le crack, lequel a connu dans les années
1980 un développement foudroyant dans les quartiers pauvres des
métropoles américaines [10]. 6. 50 % de ces flux seraient acheminés directement
vers l’Europe et 20 % transiteraient par l’Afrique.
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dans les cargaisons transportées est Quantités de cocaïne saisies (grammes) par la Police judiciaire de
bien connue, les services répressifs Guyane entre 2013 et fin novembre 2015
font état de plus en plus de saisies
d’objets en plastique (tables, chaises,
Saisies
etc.) contenant du chlorhydrate de
cocaïne. Celui-ci est également fré-
quemment inséré dans la structure
même des conteneurs (parois, blocs
80 000
réfrigérants). Cependant, le trafic ne
concerne pas seulement des grosses 70 000
cargaisons. Les trafiquants tendent 57 402,7
60 000
aussi à atomiser les livraisons de co-
caïne en utilisant la technique dite 50 000
du rip-on/rip-off, laquelle consiste à 40 000
placer, avec la complicité de certains
membres du personnel portuaire, des 30 000
18 272,5
sacs de cocaïne contenant quelques 20 000
8 278
dizaines de kilos [3]. Le 18 mars 10 000
2016, six dockers travaillant dans le
port du Havre ont été interpellés par 0
2013 2014 2015
les services de police pour leur par-
ticipation présumée à un vaste réseau
ayant permis d’importer plusieurs Source : OCRTIS
centaines de kilos de cocaïne en pro-
venance de Martinique.
litaine. Alors que en Europe, le prix ... et en Guyane
Les mules et le vecteur aérien de gros du kilogramme de cocaïne
s’élève en moyenne à 30 000 euros, il
Le trafic de cocaïne en provenance peut descendre jusqu’à 10 000 euros Département enclavé entre le Suri-
des Antilles françaises ne se limite pas en Martinique ou en Guadeloupe name et le Brésil, avec lequel il par-
néanmoins à la voie maritime. À l’ins- [13]. tage plus de 1 200 km de frontières
tar d’autres régions du monde, le vec- terrestres, la Guyane, située non loin
teur aérien, via l’aviation générale et Une autre tendance, de plus en plus de la Colombie et du Venezuela, et
l’aviation commerciale, est aussi mo- observée par les services de police, dotée d’une large façade maritime
bilisé. Celui-ci est largement le fait de témoigne du dynamisme des Antilles s’ouvrant sur l’Atlantique, est affec-
« mules » transportant le produit soit comme marché de gros secondaire tée par le développement du trafic
in corpore, soit dans les bagages. Ces de la cocaïne. Celui du troc entre de cocaïne dans la région.
mules sont généralement recrutées résine de cannabis d’origine maro-
par des organisations opérant depuis caine et cocaïne, à raison de deux La topographie du département pré-
la métropole9. Les recrues sont le plus kilogrammes de résine contre un sente en outre de multiples avantages
souvent des jeunes femmes, appâtées kilogramme de cocaïne. Un échange pour les trafiquants, notamment un
par la perspective d’une semaine de qui s’avère très avantageux pour les réseau fluvial très dense, vecteur tra-
vacances tous frais payés dans un hôtel trafiquants puisque, compte tenu du ditionnel des échanges commerciaux
de standing et rétribuées de 1 000 à prix de gros de la résine de canna- et humains dans la région, comme
7 000 euros selon l’origine du départ bis en métropole, à savoir environ c’est le cas avec le Suriname par le
pour rapporter de « petites » quanti- 2 500 euros le kilo, celui de cocaïne fleuve Maroni. En outre, la forêt
tés (de 3 à 5 kilogrammes). Selon les leur revient en réalité à 5 000 euros. équatoriale – couvrant près de 90 %
saisies réalisées par l’antenne OCR- Le dynamisme de ce trafic a été bien de la superficie du territoire – est
TIS de l’aéroport de Roissy, la Marti- mis en évidence en août 2015 avec un lieu idéal pour l’implantation
nique est, derrière le Brésil et devant la saisie record de plus de 400 kilo- d’aérodromes clandestins. Tous ces
la Guyane, la deuxième région de grammes de résine réalisée par les facteurs contribuent à compliquer
provenance de la cocaïne qui arrive douanes dans le port de Fort-de-
via cet aéroport [9]. Ce phénomène France sur un porte-conteneur en
qui ne cesse de prendre de l’ampleur provenance du Havre. Cet épisode
9. En 2014, la police judiciaire a interpellé en Guade-
a mis en évidence l’intérêt croissant confirme qu’il existe une demande loupe et en métropole trois membres du gang dit des
des Antilles françaises comme mar- dans les départements d’outre-mer « Chiens La Ri » pour trafic de cocaïne. Cette bande,
implantée dans la commune guadeloupéenne de
ché de gros secondaire de la cocaïne pour la résine au détriment d’une Baie-Mahault, compterait près de 70 membres. Son
consommée en France. Les prix en herbe produite localement ou im- influence s’exerce dans certaines villes françaises
(Orly, Toulouse, Clermont-Ferrand) où elle exporte
vigueur y sont en effet plus bas que portée de Sainte-Lucie et de Saint- de la cocaïne en utilisant principalement des mules
ceux pratiqués en France métropo- Vincent. et des colis postaux (DCSP).
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largement le travail des forces de et notamment la région parisienne, deux fois moins chère que celle ac-
l’ordre. Comme en Martinique et marque le point d’arrivée provi- quise aux Antilles ou en République
en Guadeloupe, le trafic de cocaïne soire avant une réexpédition vers les dominicaine.
est apparu au début des années Pays-Bas et la Belgique. L’augmen-
1980 dans le but de répondre à la tation des interpellations de trafi- Au regard de ce prix, la filière guya-
demande d’une population plutôt quants en provenance du Suriname naise pourrait prendre de plus en
marginalisée la consommant prin- et de Guyane à la gare du Nord de plus d’ampleur dans les mois et les
cipalement sous sa forme « basée » Paris, point de départ à destination années à venir. Selon les autorités
[14], dite « crack », pour l’essentiel de Bruxelles et d’Amsterdam, atteste guyanaises, il pourrait y avoir plus
fabriqué au Suriname. C’est seule- de cette évolution. de 10 mules par jour partant de
ment à partir du début des années Guyane. Il semble que les trafiquants
1990 que le trafic de cocaïne en di- Trafics de fourmis n’éprouvent guère de difficultés pour
rection de l’Europe s’est lentement recruter. Ils puisent dans le vivier
développé pour s’accélérer depuis La plupart des saisies sont réalisées des sans-emploi – plus de 25 % de
cinq ans. Cette attractivité pour les sur des vols commerciaux trans- la population active –, pour lesquels
trafiquants de cocaïne est attestée par portant des passeurs convoyant de une rétribution de 3 000 à 7 000
l’augmentation importante et régu- la cocaïne [9]. Beaucoup de ces euros par vol effectué constitue une
lière des saisies réalisées à la fois loca- personnes proviennent d’une com- somme non négligeable. La dernière
lement (voir graphique) et en métro- mune du Suriname, Albina, située grosse affaire en date remonte à avril
pole. Entre 2012 et 2014, les saisies à la frontière de la Guyane, en face 2014, avec le démantèlement d’un
en provenance de la Guyane ont de la ville de Saint-Laurent du Ma- réseau dit « Taki Taki » qui impor-
augmenté de 64 %, passant de 86 à roni. Les modes opératoires sont tait de la cocaïne destinée à l’ouest
141 kilogrammes [10]. invariables : une personne, souvent (département des Deux-Sèvres) et
d’origine sociale assez modeste, au sud-ouest de la France via des
Deux changements principaux plutôt très jeune, voire mineure, passeurs recrutés en Guyane. Quoi
peuvent expliquer cette évolution. est recrutée. Un billet pour la qu’il en soit, les statistiques relatives
D’une part, à la fin des années 1990, France métropolitaine est acheté. La aux interpellations montrent le dé-
l’émergence de la route ouest-afri- cocaïne est transportée in corpore. veloppement important du trafic de
caine vers l’Europe [15]. D’autre part, cocaïne par le vecteur aérien : « Ain-
le renforcement du contrôle de la Toutefois, ce trafic ne saurait se limi- si, 40 mules (dont 23 in corpore) ont
route aérienne reliant Paramaribo, la ter à des groupes néerlandophones. été arrêtées à Orly au premier semestre
capitale du Suriname, et Amsterdam, Depuis quelques années, en effet, 2015, contre 39 (dont 26 in corpore) au
via l’aéroport de Schiphol10. Le voi- s’est opérée une autonomisation cours de l’année 2014. Du côté guyanais,
sinage du Suriname joue en effet un des bandes criminelles de Guyane 127 mules ont été interpellées lors des six
rôle fondamental dans les évolutions française qui ne se contentent plus premiers mois de 2015 (pour 139 kg de
en cours, ce pays étant une zone de d’opérer pour le compte des « Suri- cocaïne saisis), contre 114 sur la totalité
rebond significative de la cocaïne namiens ». Forts de leur capacité à de l’année 2014. » [10].
produite par les cartels colombiens recruter des mules françaises pour
depuis la fin des années 1980. Profi- partir depuis l’aéroport Felix-Eboué Même si le trafic de fourmis est large-
tant de niveaux de corruption élevés, de Cayenne vers Paris, certains ment majoritaire dans le cadre du vec-
les organisations criminelles, regrou- groupes criminels, principalement teur aérien, la saisie record, intervenue
pées sous l’appellation générique de originaires de l’ethnie Bushinenguè, en mars 2016 auprès de trois voyageurs
« Suricartels », se sont implantées du- aussi nommée les gens de la forêt, vi- à destination de Marseille, de 53 kilos
rablement et importent la production vant à la frontière surinamienne, sont de cocaïne à l’aéroport Félix-Eboué
des pays andins vers l’ancienne colo- en pleine expansion. Ils opèrent no- de Cayenne démontre une diversifica-
nie néerlandaise au moyen d’avion- tamment une croissance horizontale tion des modalités du trafic, laquelle se
nettes et de bateaux de pêche11. par la mise en place de réseaux de manifeste aussi par le développement
distribution guyanais en métropole. des exportations de cocaïne par fret
Si à l’époque, la cocaïne était ré- Pour ne pas se heurter directement express et voie postale.
expédiée vers les États-Unis, au- aux autres grossistes de cocaïne en
jourd’hui elle tend à l’être vers l’Eu- France, ils choisissent de s’implanter
rope et plus récemment vers le cône dans des villes de petite et moyenne
sud du continent pour alimenter importance plutôt que Paris ou Mar- 10. Avec la mise en place d’une politique de contrôle
systématique des passagers à Schiphol.
notamment la consommation brési- seille. La cocaïne est achetée au Suri-
11. Voir le reportage d’Arnaud Jouve Suriname et
lienne12 et argentine. Aujourd’hui, name où le kilogramme se négocie cocaïne, dans Pour-suites, le webmagazine d’inves-
la Guyane constitue pour le crime autour de 5 000 euros en moyenne, tigation de RFI, http://webdoc.rfi.fr/pour-suites/en-
quete-suriname-plateforme-cocaine-desi-bouterse/
organisé surinamien, via Cayenne et selon la police et la douane. Ainsi, index.html
son aéroport international, un point avec un taux de pureté qui dépasse 12. Désormais deuxième marché national le plus
stratégique pour l’exportation de 70 %, la cocaïne transitant par la important après les États-Unis (ONUDC, World Drug
report 2015).
cocaïne. La France métropolitaine, Guyane est équivalente en qualité et
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Par ailleurs, l’OCRTIS fait état aggravée avec les changements inter- entre le Suriname et les Pays-Bas et
de phénomènes similaires à ceux venus dans la géopolitique régionale l’autonomisation de groupes crimi-
qui ont cours en Martinique avec qui voit le Venezuela, pays très proche nels de Guyane française expliquent
l’émergence de trocs résine de can- de l’arc antillais, devenir un espace une évolution spectaculaire qui fait
nabis/cocaïne. Il est important de majeur de transit et de réexpédition de ce département d’outre-mer une
souligner toutefois que le trafic ne de la cocaïne produite notamment source de plus en plus importante
vise pas que la métropole ou d’autres en Colombie. de la cocaïne consommée en métro-
pays européens. La disponibilité pole13. Les Antilles françaises et la
croissante de la cocaïne en Guyane, Ainsi, des côtes du Venezuela part Guyane française illustrent ainsi les
qui circule sur le marché local à des un flux important d’embarcations effets, parfois inattendus, de l’action
prix oscillant entre 10 et 20 euros le (bateaux de pêche, go-fast, voiliers) répressive sur la géopolitique des
gramme pour une pureté avoisinant qui alimentent régulièrement la drogues et les routes du trafic.
les 70 %, montre que les trafiquants Guadeloupe et la Martinique en
s’intéressent à un marché local qui cocaïne. De fait, Pointe-à-Pitre et
ne se résume plus au crack. Fort-de-France sont désormais non
seulement des points stratégiques de
réexpédition de la cocaïne destinée à
l’Europe, mais aussi des marchés de
Conclusion gros secondaires où se rencontrent la
criminalité locale et les bandes issues
Depuis le début des années 2000, de la métropole. La Guyane, quant à
avec la réorientation du trafic de elle, plutôt épargnée jusqu’à mainte-
cocaïne en direction de l’Europe, les nant par le trafic de grande ampleur, 13. Une estimation (INHESL, DCPJ) de la quantité impor-
tée en métropole fondée sur les saisies moyennes par
Antilles françaises constituent une du fait de sa position en marge des mules et le nombre de vol annuels entre Cayenne et
zone-rebond de la cocaïne destinée grandes voies du trafic, devient de Paris, réalisée par la police judiciaire, indiquerait que les
organisations criminelles guyanaises seraient actuelle-
à la fois à la France et au reste de plus en plus attractive. L’augmen- ment en capacité de répondre entre 1/10e et 1/5 de la
l’Europe. Cette situation s’est encore tation des contrôles aéroportuaires consommation de cocaïne en métropole.
1. DIRECTION GÉNÉRALE DES 7. VASQUEZ LEZAMA P. et WEINBER- 13. GANDILHON M., Les Antilles
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antidrogue en Colombie), 2005, pp. santé et société, vol. 15, n° 1, 2016 Cette analyse a bénéficié du soutien
107-148.. (à paraître). financier du ministère des Outre-mer.
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À signaler
L ’EU Drug Markets Report, publié conjointement par l’EMCDDA Drogues, enjeux internationaux signale
(Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) et quelques rapports et publications récents en
Europol en avril dernier, offre une analyse complète des marchés relation avec la question de l’offre de drogues.
Notes de lecture