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Sous

la direction de
Dominique Kerouedan
Santé internationale
Les enjeux de santé au Sud

2011
Copyright
© Presses de Sciences Po, Paris, 2014
ISBN numérique : 9782724687521
ISBN papier : 9782724611724
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Présentation
La santé est désormais un sujet éminemment politique, abordé au plus haut niveau des instances
nationales, européennes et internationales, publiques, parlementaires et privées. Qu'ils oeuvrent à
l'échelle mondiale dans le domaine de la politique économique, du droit, de la sécurité, du
développement, de l’environnement, ou du secteur privé industriel et commercial, les dirigeants de
demain seront confrontés à des défis majeurs en lien avec la santé. Sensibiliser tous ces acteurs,
partager les connaissances dont ils auront besoin pour travailler de manière légitime et crédible avec
les professionnels de santé sur le terrain quels que soient leurs métiers, tel est l’objectif de ce premier
opus de santé internationale. Santé internationale dresse un panorama des enjeux de santé au Sud en
quatre volets : les considérables enjeux contemporains de la santé dans les pays en développement ;
l’évolution historique des systèmes de santé tels qu’ils se sont construits ces trente dernières années,
en Afrique notamment ; l’état des connaissances sur l’efficacité des politiques, des stratégies et des
instruments de financement de l’aide au développement ; les contributions de la recherche en sciences
sociales au service de décisions solidement fondées, adaptées et pertinentes.
Ta bl e d e s m a t i è re s
Préambule. La santé sera mondiale ou ne sera pas (Marc Gentilini)

Les Sciences qui s'ignorent (Philippe Kourilsky)

Avant-propos (Christian Masset)

Présentation de l'ouvrage (Dominique Kerouedan)


Des initiatives mondiales
Mais l’abandon des coopérations directes
Former aux enjeux de santé internationale
Genèse d’un « référentiel » de santé internationale

Partie 1 | Situation sanitaire des pays en développement

1. Le défi de la santé en Afrique subsaharienne et ses perspectives (Hubert Balique)


1. - Une représentation peu fidèle de la situation sanitaire en Afrique subsaharienne
2. - Une situation sanitaire encore dramatique, mais en plein changement
3. - Une situation sanitaire qui s’améliore lentement, mais de façon continue
4. - Des systèmes de santé en plein développement
5. - Comment expliquer la faiblesse des résultats ?
6. - Des engagements stratégiques novateurs
7. - Les perspectives
8. - Investir dans la santé des plus pauvres

2. Enfants et sida en Afrique subsaharienne : répondre en urgence (Céline Aho-Nienne)


1. - Première urgence : prendre conscience de la réalité africaine du sida pédiatrique
2. - Deuxième urgence : prendre en charge les enfants affectés par le VIH/sida
3. - Troisième urgence : la mise en place de traitements médicaux adaptés

3. La tuberculose dans le monde aujourd'hui : enjeux, recherche et perspectives (Christian


Lienhardt)
1. - Situation épidémiologique générale
2. - Les outils de la lutte antituberculeuse
3. - Le défi de la lutte contre la tuberculose au niveau mondial
4. - Priorités en matière de recherche

4. Paludisme : progrès mitigés et nouveaux espoirs (Jessica Martini)


1. - Le paludisme : pourquoi et comment ?
2. - 1930-2010 : une prolifération de stratégies internationales de lutte contre le paludisme
3. - Des résultats de terrain contrastés : engagements et difficultés pratiques
4. - Des résultats de recherche confortés par les dernières avancées
5. - Des actions plus globales et efficientes pour l’avenir

5. Vacciner c'est convaincre (Bernard Seytre)


1. - Les difficultés de l’Initiative mondiale d’éradication de la poliomyélite
2. - Le paradoxe vaccinal
3. - Des oppositions parfois violentes
4. - Les vaccins sont-ils dangereux ?
5. - Polémiques et craintes infondées
6. - La vaccination, un acte médical populaire
7. - La vaccination n’est jamais acquise
8. - L’échec de la campagne de vaccination contre la grippe A
9. - S’adresser à l’intelligence
10. - Les facteurs humains

6. L'émergence du diabète de type 2 en tant que problème de santé publique au Mali (Jessica
Martini et Audrey Fligg)
1. - Une politique nationale sur le diabète en cours de construction
2. - L’enseignement du diabète dans les formations initiales et continues
3. - Politique nationale, priorités internationales et données épidémiologiques
4. - L’impulsion de la société civile et la pérennisation par le politique
5. - La production des savoirs sur le diabète
6. - Recommandations

7. Progression des cancers en Afrique : caractéristiques, altérité, nouvelles approches de santé


publique (Adama Ly)
1. - Les facteurs de risque
2. - Les facteurs étiologiques
3. - Nouvelles approches de santé publique
4. - Responsabilisation politique
5. - Développement d’une culture de la prévention
Annexe

8. La crise alimentaire 2007-2008 : opportunité pour une révision des politiques de sécurité
alimentaire (Caroline Boussion, Carlo Crudeli et Anna Piccinni)
1. - La crise alimentaire mondiale : une crise conjoncturelle dans un contexte d’insécurité
alimentaire
2. - Les réponses à la crise : vers une politique de développement sur le long terme ?

9. Conséquences sanitaires du commerce des déchets électriques et électroniques du Nord vers le


Sud (Claire Bernard)
1. - Les termes de l’échange du commerce des e-déchets
2. - Quelles solutions face au commerce nocif de ces déchets ?

10. La santé mentale en Afrique : un défi oublié ou une réponse institutionnelle inadaptée ?
(Florian Kastler)
1. - Un constat alarmant : l’importance de l’impact des maladies mentales
2. - Une politique de santé mentale inadaptée
3. - Les perspectives d’avenir

Partie 2 | Organisation des systèmes de santé et offre de soins dans les pays en développement

Organisation de l’offre de soins

11. Les districts de santé et l'Initiative de Bamako (Juliette Bigot)


1. - Le développement des systèmes de santé
2. - Le district de santé

Personnels de santé

12. Performance des systèmes de santé et ressources humaines : le chaînon manquant (Gwenaël
Dhaene)
1. - La santé, une priorité ?
2. - Des ressources humaines, pour quoi faire ?
3. - Crise ? Quelle crise ?
4. - Des enchères féroces…
5. - Facteurs de crise
6. - Éléments de réponse
7. - Quelles recommandations ?
8. - Dynamiser l’investissement : la logique partenariale

13. La crise des ressources humaines dans les pays du Sud, un obstacle majeur à la lutte contre le
VIH (Karoline Höfle)
1. - Crise des ressources humaines et épidémie du sida, l’analyse du CNS
2. - Une mobilisation internationale croissante mais insuffisante
3. - La fidélisation du personnel, mesure primordiale

14. La migration des médecins africains vers les pays développés (Sarah Sauneron)
1. - De la nécessité d’évaluer l’ampleur du phénomène et ses conséquences
2. - De la nécessité de comprendre les raisons de cette « émigration médicale »
3. - De la nécessité d’agir vite et de façon coordonnée
4. - Discussion

15. Santé et migrations, l'exemple de la France (Camille Acket)


1. - Les dispositifs du Ceseda : une perte de l’esprit du texte face aux impératifs des politiques
migratoires
2. - La situation particulière du VIH
3. - L’accès aux soins en France
4. - Discussion et perspectives

Financement de la santé

16. Le pendule du financement de la santé : de la gratuité au recouvrement des coûts (Joseph


Brunet-Jailly)
1. - Les arguments courants
2. - Les théorisations ad hoc
3. - Les faits
17. La protection sociale : un enjeu mondial ? (Agnès Plassart)
1. - La notion de protection sociale
2. - Les différents modèles de protection sociale
3. - La protection sociale comme soutien de la croissance
4. - Le consensus mondial en faveur de la mise en place d’une protection sociale
5. - Des mises en œuvre pragmatiques

18. La gratuité des soins : une solution nationale pour la santé des plus pauvres ? (Estelle
Cholet)
1. - Pourquoi la gratuité des soins ?
2. - L’instauration de la gratuité est-elle une initiative nationale ?
3. - La gratuité des soins est-elle la solution ?
4. - Perspective 2015…

19. Quelles alternatives au financement direct de la santé dans les pays à faible revenu ? Le cas
des mutuelles de santé au Sénégal (Mathilde Dupré)
1. - Rôle de la micro-assurance de santé
2. - Proximité des méthodologies dans les domaines de la micro-assurance santé et de la
microfinance
3. - Faiblesse du développement du secteur
4. - Couplage entre micro-assurance de santé et microfinance

Accès aux médicaments

20. Politiques globales de l'accès aux médicaments : entre tradithérapeutes et OMC (Marc
Dixneuf)
1. - L’épidémie d’infection à VIH comme révélateur
2. - Régulation du pouvoir et accès aux médicaments
3. - Interactions Nord-Sud

21. Politique des médicaments et bonne gouvernance pharmaceutique (Carinne Bruneton)


1. - Les composantes d’une politique pharmaceutique nationale
2. - Politique pharmaceutique et politique générale

22. Les politiques d'accès aux soins de l'industrie pharmaceutique dans les pays du Sud : outil de
communication ou véritable engagement ? (Margaux Dupont)
1. - Les actions de promotion de l’accès aux médicaments au Sud par les industries
pharmaceutiques
2. - Que penser de cet engagement de l’industrie pharmaceutique ?

23. L'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation mondiale de la santé : le


rapprochement du commerce et de la santé (Margaret Galbraith)
1. - L’Organisation mondiale du commerce
2. - L’Organisation mondiale de la santé
3. - Les implications
4. - Étude de cas : Novartis contre l’Inde
5. - Perspectives d’avenir

24. L'industrie pharmaceutique, partenaire obligatoire pour assurer l'accès au médicament dans
les pays du Sud (Robert Sebbag)
1. - Tout d’abord le sida
2. - Politique de partenariat

25. Face aux défis des systèmes publics de santé, quel rôle pour la médecine traditionnelle dans les
pays en développement ? (Lowri Angharad Rees)
1. - La promotion de la médecine traditionnelle dans les pays en développement face à un manque
de soins
2. - Formation des praticiens de la médecine traditionnelle
3. - L’encadrement de la médecine traditionnelle par son intégration au sein des systèmes de santé
nationaux

26. Accès aux médicaments dans les pays du Sud et développement durable (Mathieu Gervais)
1. - Accès aux médicaments et développement durable
2. - L’enjeu de santé, un enjeu multiple
3. - La pollution des eaux par les résidus médicamenteux
4. - La santé et le développement durable, deux concepts concomitants

Partie 3 | Réponses stratégiques nationales et internationales publiques et privées

27. Évolutions de l'architecture internationale de l'aide en faveur de la santé dans les pays en
développement (Dominique Kerouedan)
1. - La santé est-elle une priorité nationale et internationale ?
2. - Évolutions des modalités de l’aide en appui à la santé
3. - Efficacité et performance de l’aide internationale en faveur de la santé

28. La malnutrition dans les pays africains ou les limites structurelles des politiques de santé
(Étienne Faubert)
1. - La malnutrition : un sujet complexe aux enjeux majeurs
2. - Des politiques nutritionnelles qui se limitent au discours
3. - L’impérieuse nécessité de mettre en place des réformes structurelles

29. Caractéristiques de l'épidémie de VIH/sida au Cambodge et stratégies de réponse nationale


(Harika Ronse)
1. - Contexte de l’épidémie de VIH/sida sévissant dans le pays
2. - Mise en place d’un programme de lutte contre le VIH/sida
3. - Face aux limites, le besoin de continuer les efforts
Annexe

30. Allaitement et VIH en Afrique subsaharienne : la difficile mise en oeuvre d'une politique de
santé viable (Perrine Bonvalet)
1. - L’impossible renoncement à l’allaitement maternel ?
2. - Un relatif échec des politiques d’allaitement dans le cadre du VIH en Afrique ?

31. La mise à l'échelle des programmes d'accès aux antirétroviraux : de l'impossible au réel
(Sarah Dalglish)
1. - Historique
2. - Les recherches en sciences sociales portent leurs fruits
3. - Nouvelles politiques, nouvelles problématiques

32. Le rôle ambivalent des médias dans le système d'alerte épidémique : information ou véhicule
de panique ? (Laetitia Messner)
1. - Contexte
2. - La contribution des médias dans les réseaux de veille sanitaire internationale : un rôle « passif
»
3. - Le positionnement des médias lors de l’épisode du chikungunya : un rôle « actif »
4. - La difficile relation entre les médias et les autorités sanitaires : entre indépendance et
collaboration
33. La coopération sanitaire française dans les pays en développement (Morgane Goblé)
1. - Présentation du rapport Gentilini
2. - Quelques pistes de réflexion à partir du rapport Gentilini

34. L'aide publique au développement de la Commission européenne en appui au secteur de la


santé (Laure Sonnier)
1. - Cadre politique de l’aide au développement en appui au secteur de la santé
2. - Sources et instruments budgétaires de financement de l’APD en santé
3. - Programmation de l’APD de la Commission européenne
4. - Modalités de distribution de l’aide
5. - Quelle efficacité de l’aide publique au développement de la Commission européenne en appui
au secteur de la santé ?

35. Les financements innovants de la santé mondiale (Xavier Muller)


1. - Présentation des mécanismes de financement innovants
2. - Vers une première analyse des mécanismes de financement innovants

36. Les entreprises privées industrielles et commerciales, actrices de la lutte contre le sida
(Caroline Mairesse)
1. - Pourquoi les entreprises s’engagent
2. - Les programmes VIH/sida sur le lieu de travail (WPP)
3. - L’extension de leur engagement à la communauté
4. - Défis à relever et conditions du succès du co-investissement
5. - Conclusion et perspectives

37. Financements privés de la santé en Afrique (Lucie Chabat et Ollivia Sexton)


1. - Champ d’analyse
2. - Financements privés de la santé : un phénomène récent et multiforme
3. - Financements privés de la santé : logique et défis

38. Un droit international public de la santé contraignant pour les États ? (Solenne Delga)
1. - De 1851 à nos jours : l’encadrement progressif de la lutte contre les maladies infectieuses par
le droit international
2. - Le RSI révisé : un cadre juridique contraignant promouvant le droit à la santé ?
Partie 4 | Enjeux de la recherche pour le développement et contributions des sciences sociales

39. La santé et la recherche : traditions, modèles, courants et perspectives (Michel Pletschette)


1. - Hégémonisme et intégration
2. - La période de l’après Alma-Ata : une occasion manquée
3. - Essor fatal de l’externalisation ?

40. Le déficit de la R&D dans le domaine des maladies négligées (Hélène Fournols)
1. - Les limites du système de protection de la propriété intellectuelle
2. - Les PPP et développement de projets de recherche pour les maladies négligées
3. - Nécessité de la réforme de l’accord Adpic qui entrave les transferts de technologie

41. Field Actions Science (FACTS) : une nouvelle initiative destinée aux acteurs de terrain
(Philippe Kourilsky, Georges Valentis et Nadia Caïd)
1. - Le principe de l’initiative
2. - FACTS Reports : son concept, son domaine d’action et ses comités éditoriaux
3. - Problèmes et solutions
4. - L’état d’avancement (mi-2010)

42. Entre savoirs et pouvoirs : contribution des sciences sociales à la pertinence des politiques de
santé publique (Annabel Desgrées du Loû)
1. - Des sciences sociales qui permettent de « changer notre regard »
2. - L’influence sur les politiques de santé publique : des sciences sociales qui permettent d’«
intervenir » ?
3. - Comment mieux prendre en compte les travaux en sciences sociales dans la santé publique ?

43. La démographie, une discipline passerelle en santé publique (Annabel Desgrées du Loû)
1. - Qu’est-ce que la démographie ?
2. - Les apports de la démographie à la santé publique dans l’histoire de la discipline
3. - Une discipline passerelle entre le biologique et le social
4. - Replacer le questionnement démographique au cœur de la réflexion sur le développement

44. L'importance de l'intégration des hommes dans les programmes de lutte contre le sida en
Afrique (Shadia El Dardiry)
1. - Les rites de passage en Afrique : devenir homme
2. - Une fois adulte : contraint par sa masculinité
3. - Les programmes genrés
4. - Comprendre la sexualité en Afrique
5. - Le danger des suppositions simplistes
6. - La recherche et les programmes sur le genre : un manque d’harmonisation

45. Prise en charge des personnes qui vivent avec le VIH au Niger (Julie Baron)
1. - Prise en charge des PVVIH, un défi
2. - « Vous avez dit rente ? » Le système de santé
3. - « Vous avez dit gratuité ? » Le sida dans le système de santé nigérien
4. - Qui sont les PVVIH ? Les malades
5. - L’observance des PVVIH : quand l’offre et la demande se défient
6. - « Vous avez dit éducation thérapeutique ? » Essai de suivi des PVVIH pour une meilleure
observance
7. - Perspectives : les réactions de Solthis à l’étude
Préambule. La santé sera mondiale ou ne sera pas
Marc Gentilini [*] 
Marc Gentilini a créé le service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de
la Pitié-Salpêtrière à Paris, qu’il a dirigé pendant trente ans et l’a amené à un niveau
international. Il est président honoraire et membre de l’Académie nationale de médecine,
président de l’Académie de l’eau, président honoraire de la Croix-Rouge française,
président de l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida. Il est en outre l’auteur de
rapports importants sur Les Problèmes sanitaires dans les prisons (1997), sur La
Coopération sanitaire française dans les pays en développement (2006), sur les
Propositions pour le Plan national santé environnement 2 (2009-2013). Il est l’auteur du
livre Médecine tropicale, très largement diffusé, et de Tempérer la douleur du monde.
Toute sa carrière témoigne de son engagement en faveur de l’amélioration de l’état de
santé de tous les peuples, d’une détermination sans concession vis-à-vis du respect des
droits humains et de sa fidélité à l’égard de l’Afrique dont il connaît l’histoire et les enjeux
contemporains mieux que beaucoup.

La maladie est sans frontières et toutes les barrières élevées pour tenter de la contrôler se sont
révélées inefficaces.

Pendant la période coloniale, on parlait d’hygiène collective, d’assainissement, de vaccination,


d’éducation sanitaire, de médecine itinérante… En 1978, avec la déclaration d’Alma-Ata, bousculée
deux ans plus tard par l’émergence du sida, les institutions et les politiques croyaient avoir développé
un concept nouveau résumé par l’adage « Un peu pour tous plutôt que tout pour quelques-uns ». Quoi
de plus généreux en apparence ? Ne proposait-on pas aux pauvres « le minimum sanitaire garanti » ;
en fait un désinfectant sur une plaie ou un peu de baume, avec in fine « la santé pour tous en l’an
2000 ! » Hélas, l’histoire a infligé un démenti cruel à ceux qui pensaient qu’avec cette obole, la santé
serait, au Sud, accessible aux plus démunis et apaiserait, au Nord, des consciences inquiètes.

En octroyant, à tous, les soins de santé primaires, les pays riches allaient pouvoir « tempérer la
douleur du monde » et freiner l’installation au-dessus du tropique du Cancer, des maladies telles la
dengue, le chikungunya, l’ébola, voire la malaria. C’était sans compter sur la revendication légitime
des masses insuffisamment protégées et de mieux en mieux informées par internet des progrès de la
science ; des gens n’acceptant plus d’être, dans le silence et l’indifférence, flambée démographique
aidant, les plus malades et les moins soignés.

À partir de 2000, les États du monde entier, pour la première fois, se sont fixé des objectifs
communs, les Objectifs du Millénaire pour le développement, les OMD. Même si trois seulement de
ces huit objectifs concernent directement la santé, tous à dire vrai s’en approchent. Lutter contre la
pauvreté, éduquer, promouvoir l’autonomisation des femmes ne constituent-elles pas des mesures
phares contre la première des maladies ?

La création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, trois des
maladies les plus meurtrières, est le fruit de multiples pressions… L’Alliance mondiale pour la
vaccination et l’immunisation (GAVI) et l’objectif prioritaire des vaccinations constituent également
une avancée conséquente pour la santé.

Mais afin d’atteindre ces objectifs l’argent est indispensable, autant que le sont les règles pour
s’en servir et celles pour évaluer les résultats des opérations entreprises.

L’aide publique tragiquement insuffisante, annoncée et non versée, est progressivement


remplacée par l’aide privée. Les « Fonds » créés par d’anciens chefs d’État ou par les milliardaires
reconvertis dans l’humanitaire pèsent aujourd’hui, avec plus ou moins de bonheur et d’efficacité, sur
toutes les opérations de développement durable.

Les financements innovants, les taxations des billets d’avion, les taxations espérées sur les
mouvements bancaires, la coopération décentralisée constituent des engagements nouveaux dont
l’intérêt n’a pas échappé aux décideurs des G8 et G20 et aux bailleurs de fonds de toutes provenances.
C’est un progrès considérable que les responsables politiques du monde aient compris, même
tardivement, comme au demeurant la Banque mondiale, que le développement humain était aussi
important, davantage sans doute, que le développement économique, et que le second ne se justifie
que pour renforcer le premier.

Cette prise de conscience a déjà produit des effets bénéfiques mais insuffisants.

Cependant, la mondialisation, sous sa forme actuelle, a quelque chose d’acculturant et de


déshumanisant qui provoque parfois mépris et rejet, une cassure entre les élites et le terrain. On
assiste à la prolifération d’un nouveau genre humain, sous les tropiques : les chargés de mission ; il y
en aura bientôt plus, issus d’institutions internationales, que de pauvres dans les pays émergents.
Leurs méthodes sont rigoureuses mais leurs exigences budgétivores, compliquant à l’envi la prise en
charge de la pauvreté, de la précarité et de son corollaire, la maladie. Il arrive d’être découragé par la
complexité des documents à remplir, des intermédiaires à se concilier pour atteindre le but recherché
sur le terrain et être un pays « éligible à l’aide ». Et comme souvent, les pauvres ne savent pas
réclamer leurs droits, les exclus sont des « sans-voix » pour qui la violence risque d’être l’ultime
recours appelant la répression des puissants.
Nourrir, éduquer et soigner les populations constituent un trépied sur lequel repose le
développement durable. Priorités sur lesquelles décideurs, bailleurs, institutionnels et humanitaires
devraient s’accorder. Mais pour atteindre ces trois objectifs, il faut avant tout une gouvernance
rigoureuse, non seulement mondiale mais surtout locale à tous les échelons de la société.
Gouvernants, dirigeants, exécutants se doivent de gérer les ressources du sol, du sous-sol, de la mer
et des airs, pour le bénéfice du plus grand nombre et de réduire drastiquement la tendance aux
détournements, la quête effrénée de l’argent et du pouvoir qu’il confère constituant autant d’entraves
au développement. Il convient aussi que les cerveaux soient respectés et que la mise en valeur des
ressources humaines soit une démarche prioritaire.

La santé des populations, la santé maternelle et infantile en particulier, l’accès à l’eau en qualité
et en quantité, la maîtrise de la faim, l’accès aux soins, l’éducation des populations constituent des
objectifs majeurs pour tous les responsables politiques.

Mais les politiques sont-ils des hommes responsables ?


Notes du chapitre
[*] ↑ Professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, président honoraire de
l’Académie nationale de médecine, président honoraire de la Croix-Rouge française, président de l’Académie de l’eau
Préface
Les Sciences qui s’ignorent
Philippe Kourilsky [*] 
Philippe Kourilsky, spécialiste en biologie, génétique et immunologie moléculaire.
Diplômé de l’École polytechnique, il a été directeur général de l’Institut Pasteur (2000-
2005) et a fait la majeure partie de sa carrière au CNRS avant d’être nommé professeur au
Collège de France en 1998, où il est titulaire de la chaire d’immunologie moléculaire. Il est
membre de l’Académie des sciences. Il est l’auteur ou le co-auteur de nombreux articles
scientifiques, de plusieurs livres et de deux rapports commandés par le gouvernement.

Trois milliards d’humains, environ la moitié de la planète, vivent dans des conditions sanitaires
précaires lourdement aggravées, pour près de la moitié d’entre eux, par une situation de pauvreté
extrême. Cela n’est pas neuf. En 1900, le monde était quatre fois moins peuplé, et la misère y était à
peine plus répandue. La croissance économique mondiale et les progrès spectaculaires de l’hygiène et
de la médecine ont produit des effets considérables, mais principalement dans les pays riches, et, dans
certains d’entre eux, sur les seules tranches les plus favorisées de la population. De nombreux
indicateurs en témoignent : les pauvres sont toujours aussi pauvres, aussi frappés par les maladies,
sans doute moins nombreux en proportion qu’il y a un siècle, mais plus nombreux en valeur absolue.
Nous ne pouvons pas l’ignorer : nous n’avons jamais été aussi bien informés, les chiffres sont
régulièrement publiés, les images nous parviennent en temps réel. Beaucoup les voient mais les
occultent, tant nous sommes fermés à certaines réalités. Pour n’en fournir qu’un exemple, un des
paramètres les plus simples, les plus évidents de l’évaluation des politiques de santé publique, est le
coût de la mort et de sa prévention. Le terme a quasiment disparu des médias et du langage commun.
Il faut donc nous méfier de nous-mêmes, et nous forcer à voir les réalités en face [Kourilsky, 2009].

On peut néanmoins nourrir un certain optimisme, au vu d’évolutions récentes et très positives.


L’épidémie du sida a provoqué une prise de conscience sans précédent et conduit à la mise en place de
mécanismes d’action nouveaux, qui ont rapidement débordé la seule question du sida pour en
englober plusieurs autres. Le phénomène ne date que d’une dizaine d’années. Que le sida en ait ou
non été le déclencheur principal, on peut relever nombre de signaux et d’avancées encourageants.
Pour la seule décennie écoulée, on peut citer notamment : l’énonciation et l’adoption des Objectifs du
Millénaire pour le développement par la communauté internationale (plus de 180 pays et institutions)
dont le suivi est assuré par les pays avec l’appui de la communauté internationale ; la création d’un
partenariat public-privé mondial pour la vaccination préventive (GAVI : Global Alliance for Vaccines
and Immunization) ; la mise en place du Fonds mondial contre le sida, la malaria et la tuberculose ;
développement de nombreuses ONG (organisations non gouvernementales), telle que DNDI (Drugs
for Neglected Diseases Intitiative) pour les maladies négligées ; l’invention de mécanismes de
financements innovants, et de nouveaux modes d’intervention.

Donc, tout irait bien. Par conséquent pourquoi s’inquiéter ? L’affaire est, enfin, sur les rails ! Les
Objectifs du Millénaire pour le développement, dont trois concernent la santé, seront finalement
remplis, certains avec retard, peut-être. Certes, il manque encore de l’argent. Mais on en trouvera
bien ! Un peu de générosité en plus, et le compte sera bon. Pour le reste, les dispositifs appropriés ont
été mis en place. Il ne reste plus qu’à poursuivre et à persévérer.

Bien sûr, il faut persévérer. Mais ne sommes-nous pas victimes d’un discours lénifiant dont nous
pouvons prendre l’exact contre-pied ? Réfutons certains arguments de ces bons, de ces excellents
apôtres. Comment ne voient-ils pas l’amoncellement de nuages et les risques d’orage qui ont envahi
l’horizon ? Il ne s’agit pas de sombrer dans le catastrophisme, mais d’être tout simplement analytique
et réaliste. Le mouvement positif que nous avons évoqué est-il stable ? Va-t-il s’amplifier comme il le
devrait ? Est-il convenablement orienté ? On ne peut sans naïveté répondre aveuglément oui à ces
questions. Voici pourquoi.

Les financements publics, tout d’abord. Avant même la crise financière qui a ébranlé le monde à
partir de l’automne 2008, le montant de l’aide publique au développement – l’expression bien
qu’ordinairement utilisée est plutôt mal venue, le terme de coopération étant plus approprié – a baissé
dans de nombreux pays, y compris en France. Beaucoup d’États qui s’y étaient engagés sont fort
éloignés de la cible de 0,7 % du produit national brut qui avait été recommandée, en Europe
notamment, et qu’ils avaient acceptée. Avec la crise financière globale, les énormes problèmes
sociaux qui l’accompagnent et les restrictions financières qui s’imposent aux finances publiques, il
faudra beaucoup de volonté politique et un soutien sans faille des citoyens pour que les États
continuent à vouloir tenir l’objectif, et même à ne pas diminuer les allocations existantes. C’est peu de
supposer qu’ici ou là, le courage pourrait faire défaut. En principe, quelques mécanismes pérennes
(comme la taxe sur les billets d’avion) ont été installés pour pallier d’éventuelles défaillances de
financement. Encore faudra-t-il qu’ils résistent à la crise, mais de toute façon leurs montants sont très
insuffisants.

Qu’en est-il des financements privés ? Certaines grandes fondations, dont la Fondation Bill et
Melinda Gates, accomplissent un travail remarquable, néanmoins beaucoup ont perdu une fraction
significative de leur capital. Elles le retrouveront peut-être à l’avenir, mais plusieurs sont affaiblies.
Quant aux fonds caritatifs des entreprises, généralement liés aux performances de ces dernières, ils
sont nettement moins abondants et fluides qu’ils ne l’ont été par le passé. De même pour les dons
effectués par les particuliers, dont l’abondance résiste mieux qu’on ne pourrait le craindre, mais dont
on voit mal comment ils pourraient beaucoup s’accroître.

Au problème de la solidarité sociale face à la crise qui, dans les pays riches, joue globalement
contre l’aide au développement des pays défavorisés se pose un autre problème de taille. Il s’agit du
réchauffement climatique. D’une manière ou d’une autre, il va bien falloir payer, et d’au moins deux
manières. Financer, État par État, les efforts consentis nationalement ; mais aussi faire preuve de
l’indispensable solidarité associée à la gestion du problème climatique global pour permettre aux
pays pauvres de s’équiper « proprement » pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. D’où
la question, posée de façon provocante, mais qui mérite réflexion : la lutte contre le réchauffement
climatique pourrait-elle devenir prédatrice ? Les pauvres et les déshérités pourraient-ils en être les
premières victimes, par manque de ressources avant même les causes habituellement avancées liées
au déplacement des zones humides et chaudes ou à l’élévation du niveau des mers ? Bien sûr, on peut
arguer du fait que les mécanismes de financement et d’action sont et seront radicalement différents.
Mais enfin, les poches ne sont pas si profondes, ni nombreuses, ni indépendantes les unes des autres –
surtout lorsqu’il s’agit du budget des États. Il va décidément falloir beaucoup d’altruisme [Kourilsky,
2009].

Enfin, les systèmes en place sont-ils vraiment opérationnels ? Sont-ils optimaux ? Leur
architecture est-elle correcte ? Les performances sont-elles systématiquement et bien évaluées ? Ces
interrogations sont justifiées et méritent réflexion. Concernant l’architecture globale des systèmes
tout d’abord, on peut formuler plusieurs remarques. Non sans raisons, on a beaucoup insisté sur le
multilatéral. N’a-t-on pas, de ce fait, affaibli à l’excès les relations et les programmes bilatéraux
[Kourilsky, 2006] ? Plus important, peut-être, bien qu’elle ait évolué, l’architecture des systèmes reste
largement dirigée du haut vers le bas, « top-down », avec les avantages et les inconvénients que
procure ce type d’approche : planification, centralisation, mais difficulté de suivi précis sur le terrain,
problèmes d’évaluation, et même interrogations sur la conception des projets. Les décisions prises
dans des bureaux occidentaux aux moquettes moelleuses sont censées être instruites de façon
suffisamment approfondie et pragmatique pour être réalistes sur des sols beaucoup moins luxueux.
Est-ce toujours le cas ? Quid de l’alternative qui consiste à mener, de façon « bottom-up » [Duflo,
2009], du bas vers le haut, des actions plus nombreuses, plus locales, d’ambition moins élevée que les
grands programmes mondiaux ? Je pense que ces dernières qui, au demeurant, ne sont pas exclusives
des projets globaux, devraient recevoir une priorité plus élevée et un surcroît d’attention [Kourilsky,
2006]. Pour que ces actions soient efficaces, il est indispensable qu’elles s’organisent en concertation
(d’où l’initiative Facts).

Dans l’ensemble, le manque d’évaluation des actions entreprises est criant, et il est difficile
d’être assuré que l’argent, déjà trop rare, est dépensé au mieux. Sans évoquer la corruption, à propos
de laquelle ont circulé des estimations inquiétantes, l’efficacité des actions est rarement mesurée
correctement. Certes, les grandes institutions disposent de contrôles de gestion très élaborés, mais
elles peinent à évaluer et à contrôler les réalités du terrain. Quant aux organisations de taille modeste,
elles sont en général sous-équipées de ce point de vue, et c’est trop souvent l’intention généreuse qui
est seule censée assurer la légitimité de l’action locale et en garantir l’efficacité.

Je l’ai déjà écrit et insiste à nouveau. L’action de terrain – et ce n’est pas la seule activité humaine
à laquelle on pourrait appliquer cette appréciation [Kourilsky et Giri, 2008] – devrait être étudiée de
manière plus scientifique, ce qui n’est pas le cas. L’examen qui lui est apporté relève davantage de la «
proto-science », d’une science à l’état embryonnaire, une forme primitive de science, qu’il faudrait
développer. Pour ce faire, elle devrait (sans copier tel quel) s’inspirer de ce que, au cours des
décennies et dans différents domaines, les scientifiques ont inventé de façon tout aussi coopérative
que compétitive pour mener au mieux leurs actions, les évaluer, et, ce qui n’est pas négligeable,
assurer une reconnaissance légitime à leurs auteurs [1] . Mais cela requiert effectivement une
modification de l’architecture des systèmes.

Ce livre est important. Il faut le lire et même s’obliger à le lire pour ne pas risquer de se
soustraire inconsciemment à ce que nous avons trop de difficultés à assimiler. Il faut le lire, parce
qu’il est à la fois remarquablement documenté et critique. Il a été écrit par des personnes d’origines,
d’âges et d’horizons divers, et ceci garantit la pluralité des opinions. Parce qu’il a été dirigé et
supervisé par une grande professionnelle, d’une expérience, d’une compétence et d’une rigueur sans
faille, il constitue un ouvrage de référence. Enfin, c’est l’un des rares livres rédigés dans l’esprit
scientifique que je viens d’appeler de mes vœux, et l’un des premiers de ce genre à être publié dans ce
domaine spécifique.

Lisons ce livre, et agissons !

Il y a urgence : nous avons deux actes à poser et à réussir de façon quasi simultanée. Réparer une
partie des dommages que nous avons infligés à la planète. Mais aussi, avec toute l’antériorité et la
priorité que cela impose, éviter et réparer des dommages que, en matière de santé, d’autres hommes
subissent en toute iniquité, alors que nous avons les moyens d’y remédier.
Bibliographie
Duflo (Esther), Leçon Inaugurale Chaire Savoirs contre Pauvreté, Paris, Collège de France/Fayard,
2009.
Kourilsky (Philippe), Rapport Optimiser l’action de la France pour l’amélioration de la santé
mondiale : Le cas de la surveillance et de la recherche sur les maladies infectieuses, 2006.
Kourilsky (Philippe) et Giri (Isabelle), « Safety Standards: an Urgent Need for Evidence-Based
Regulation. Surveys and Perspectives Integrating Environment and Society », Sapiens, 2008, p. 105-
115, www.institut.veolia.org/fr/sapiens.aspx
Kourilsky (Philippe), Le Temps de l’altruisme, Paris, Odile Jacob, 2009.
Kourilsky (Philippe), texte fondateur, Initiative Facts, www.institut.veolia.org/fr/facts-initiative.aspx
Notes du chapitre
[*] ↑ Professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, directeur général honoraire de l’Institut Pasteur

[1] ↑ Philippe Kourilsky, texte fondateur, Initiative Facts, www.institut.veolia.org/fr/facts-initiative.aspx


Avant-propos
Christian Masset [*] 
Christian Masset est directeur général, Direction générale de la mondialisation, du
développement et des partenariats, du ministère français des Affaires étrangères et
européennes.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état de complet bien-être
physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Ses quatre priorités actuelles sont vastes : assurer la sécurité sanitaire, lutter contre les maladies
chroniques, atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement et l’accès aux soins de santé
pour tous de façon équitable.

Cette approche holistique et ambitieuse nous appelle, à juste titre, à sortir des cloisonnements
entre institutions et disciplines, à surmonter les incompréhensions entre pays du Nord et du Sud, et à
définir et mettre en œuvre sur le terrain des stratégies globales et concertées prenant en compte des
thématiques très différentes : changements de comportement (la lutte contre le tabagisme et les
toxicomanies), renforcement des systèmes de santé, accès aux traitements et lutte contre les
médicaments falsifiés, pour n’en citer que quelques-unes. Les enjeux de santé publique sont dans le
même temps de plus en plus interconnectés avec les questions d’environnement, de nutrition et
d’accès à l’eau, de développement économique et social, de sécurité intérieure des États et de stabilité
globale.

Ces défis sont d’autant plus redoutables à relever que la mondialisation complique une
gouvernance de la santé, qui, pour être efficace, suppose désormais une collaboration étroite entre
nombre d’acteurs, étatiques et de la société civile. En augmentant les risques sanitaires
transfrontaliers, en contribuant à la diffusion des maladies, ou encore en modifiant la répartition
géographique des facteurs déterminants de la santé, la mondialisation accentue, dans ces domaines
aussi, des interdépendances, que les opinions publiques perçoivent d’ailleurs plus spontanément que
dans d’autres secteurs de la coopération au développement. Les défis sanitaires globaux s’imposent
ainsi en haut de l’agenda international, et contribuent à faire bouger les lignes de la gouvernance
mondiale. Facteur de consensus et de solidarité, la santé est le domaine pour lequel les financements
innovants du développement ont réussi à s’imposer en premier.

La France s’est de longue date fortement engagée dans la coopération internationale en matière
de santé, notamment sous l’impulsion de Bernard Kouchner. Elle a été à l’avant-garde du combat
pour l’accès des malades des pays pauvres aux traitements contre le VIH/sida. En 2008, elle a
consacré plus de 360 millions d’euros à la lutte contre le sida. Elle est le deuxième contributeur
mondial au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le ministère des
Affaires étrangères et européennes poursuit cet engagement précurseur à travers la Direction
générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM), qui définit les
orientations de la politique publique d’aide au développement et assure la coordination des
instruments d’intervention ainsi que la convergence et la cohérence avec nos partenaires européens,
communautaires et multilatéraux. Les cinq secteurs d’intervention prioritaires de la coopération
française sont la santé, l’éducation et la formation professionnelle, l’agriculture et la sécurité
alimentaire, le développement durable, ainsi que le soutien à la croissance. Il s’agit d’intégrer la
réalité des interdépendances mondiales et d’inscrire la préservation des biens publics mondiaux, dont
la santé et l’éducation, comme un objectif majeur de la diplomatie française.

Il y a encore très peu d’ouvrages et de publications francophones sur le thème de la santé dans le
contexte de la coopération au développement bien que ce thème soit maintenant inscrit à l’ordre du
jour de toutes les réunions politiques et économiques au niveau mondial : G8, ONU, Forum de
Davos, conférences sur le développement, forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide, etc. Pendant
longtemps, la santé est demeurée le domaine réservé des politiques nationales. Ce n’est que
récemment qu’elle a suscité l’intérêt des enceintes multilatérales. Je salue donc avec plaisir cet
ouvrage collectif, une première en langue française, qui relate la complexité et l’ampleur des enjeux
mondiaux de santé, analyse les stratégies de la coopération sanitaire internationale, et témoigne de la
qualité de l’expertise française à l’international dans ce domaine.
Notes du chapitre
[*] ↑ Directeur général, Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère français des
Affaires étrangères et européennes
Présentation de l’ouvrage
Dominique Kerouedan [*] 
Dominique Kerouedan est docteur en médecine et docteur en épidémiologie et santé
publique, licenciée en droit, ancien interne de recherche médicale (Concours d’internat de
médecine 1984), titulaire d’un Master en « Public Health » de l’Université de Californie à
Berkeley, et de plusieurs diplômes universitaires (Santé dans le monde, Politiques
européennes de santé, Nutrition). Elle a travaillé sur le terrain conjuguant des
problématiques humanitaires (réfugiés ou enfants détenus et des rues, avec ACF, MDM et
MSF) et de développement (structuration de systèmes intégrés de santé et de lutte contre la
pandémie de sida), notamment en Asie, en Afrique subsaharienne et dans les États
Caraïbes). Depuis une dizaine d’années, elle a développé une expertise dans le domaine de
l’analyse institutionnelle de l’aide au développement et de l’évaluation des politiques de
coopération sanitaire de la France (MAEE, AFD, GIP Esther), de l’Allemagne (GTZ), de la
Commission européenne, de la Banque mondiale, des États-Unis, des programmes de
l’Onusida et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Maître de conférences, elle coordonne les enseignements de la mineure « Global Health »
de la Paris School of International Affairs de Sciences Po.

En 2000, en signant la Déclaration du Millénaire avec de nombreux représentants de la


communauté internationale, la France s’est engagée à contribuer à la réalisation des Objectifs du
Millénaire pour le développement (OMD). Trois Objectifs du Millénaire pour le développement sur
huit concernent, respectivement, la réduction de la mortalité maternelle, la réduction de la mortalité
infantile et l’endiguement de la propagation des pandémies, « dont le sida, la tuberculose et les autres
maladies ». L’une des cibles du 8e objectif, relatif aux partenariats mondiaux en faveur du
développement, engage de surcroît les acteurs publics et l’industrie pharmaceutique à faciliter l’accès
des pays en développement aux médicaments essentiels des populations.

En septembre 2004, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a confié au député le docteur Pierre
Morange, vice-président de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale,
l’évaluation de la contribution de la France à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le
développement en matière de santé, et une analyse de l’articulation des aides bilatérale et multilatérale
de la France durant la période 2000-2005 ; j’ai eu l’honneur d’accompagner le député Pierre
Morange tout au long de sa mission.
Des initiatives mondiales
À cette époque, du côté de l’État, l’heure est déjà à la diminution drastique des budgets et à la
réforme de notre dispositif de coopération. Les politiques sont désormais discutées au sein du Comité
interministériel de coopération internationale au développement, qui confie à l’Agence française de
développement (AFD) la mise en œuvre opérationnelle des financements d’aide publique au
développement en appui à plusieurs secteurs, dont celui de la santé. Au cours de la période
d’observation, la programmation des interventions à partir du terrain, dirigée par les ambassadeurs
de France qui coordonnent les acteurs du ministère des Affaires étrangères et de l’AFD, révèle que le
secteur de la santé, fleuron de la coopération française dans le champ francophone pendant quatre
décennies, n’est désormais plus considéré comme une priorité, et n’apparaît pas comme secteur de
concentration dans les documents cadres de partenariat signés entre la France et les pays d’Afrique de
l’Ouest et centrale, à l’exception du Niger, du Tchad et du Togo.

La tendance est la même du côté des délégations de la Commission européenne basées dans les
États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dont la coopération sur le terrain sous l’Accord de
Cotonou est loin de privilégier le secteur de la santé. La Commission européenne a pourtant été très
présente sous la Convention de Lomé IV, en appui à la lutte contre le sida et aux réformes des
systèmes de santé en Afrique, notamment en faveur des politiques d’accès aux médicaments essentiels
et du développement de centrales d’achats et de distribution des médicaments. Mais au cours de la
décennie 2000, on observe une diminution de la part du Fonds européen de développement allouée au
secteur de la santé des États ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) – ce que la Cour européenne des
comptes commente au sujet de l’Afrique dans un rapport publié en 2009.

Ce peu d’intérêt pour la santé dans le cadre des instruments européens bilatéraux des politiques
de développement semble d’autant plus paradoxal que les politiques internationales, relayées par
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale, mettent en exergue tant le
retentissement économique d’un mauvais état de santé que les déterminants sanitaires de la pauvreté
censée être ardemment combattue. À l’occasion de plusieurs conférences au cours de la période
2002-2007, l’OMS alerte en effet la communauté internationale sur le fait que le paiement des soins,
institué depuis les années 1980 dans le cadre de l’Initiative de Bamako, et les dépenses «
catastrophiques » liées à des accidents de santé font basculer des millions de personnes dans la
pauvreté chaque année ; populations qui de surcroît ne bénéficient pas de protection sociale ni de
couverture du risque maladie. En pleine mondialisation, les financements en faveur de la santé sont
désormais alloués à des initiatives mondiales et des partenariats publics-privés mondiaux, instruments
dont l’impact sur l’état de santé et les effets sur les systèmes méritent toute notre attention. Les appels
à l’universalité de l’accès aux soins, de la couverture du risque maladie et de la protection sociale se
multiplient sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT). Le thème de la protection
sociale et de son impact sur la réduction des inégalités devient une priorité des organisations
internationales qui lancent au printemps 2009 l’initiative « un socle de protection sociale », ou «
Social Floor », qui promeut un accès universel aux transferts sociaux et services essentiels.
Mais l’abandon des coopérations directes
Dans ce contexte de profonde transformation de l’architecture et de la gouvernance mondiale de
l’aide en faveur de la santé des pays en développement au cours de la décennie 2000, le président de la
République Jacques Chirac confie à l’Inspecteur général Jean-Pierre Landau une mission qui consiste
à réfléchir à la création de nouveaux mécanismes de mobilisation de financements en faveur de l’aide
au développement, présentés dans le rapport Landau de 2004.

Depuis plusieurs années maintenant, les hommes politiques privilégient le financement


d’initiatives mondiales telles que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le
paludisme, et le montage de financements innovants comme la Facilité financière internationale de
l’Alliance GAVI, la taxe sur les billets d’avion en faveur de Unitaid et d’autres mécanismes en
développement. L’aide bilatérale a souffert. En somme, il s’agit de confier à d’autres institutions que
les nôtres la mise en œuvre de nos financements d’aide en faveur de la santé au Sud. Comment cet
argent parvient-il aux États, et surtout aux acteurs publics, privés et communautaires sur le terrain ? Si
ces sommes considérables permettent d’étendre l’offre de soins préventifs et curatifs, ont-elles in fine
un impact sur l’état de santé des populations et la réduction de la propagation des pandémies ?
Comment mesurer l’impact de ces nouveaux instruments ? Les résultats intéressent-ils les États
donateurs ou les élus chargés de veiller au bon usage du denier public ?

Lors de la mission, abandonnant tout protocole, j’en discute très directement avec le conseiller
de Xavier Darcos, à l’époque ministre délégué à la Coopération et la Francophonie, destinataire du
rapport provisoire du député Morange. Après une vingtaine d’années passées sur le terrain, j’ai eu
l’occasion de découvrir de plus près la pensée des hommes politiques chargés en France du dossier
de la coopération, et les missions de notre administration dans ce domaine. Percutants de spontanéité
et d’honnêteté, les propos du conseiller me font alors réaliser à quel point la santé est un secteur
opaque et peu motivant pour les responsables politiques. Le poids considérable de la médecine
curative hospitalière française imprègne les représentations des personnes en charge de la
coopération sanitaire internationale de la France. La santé est vue au travers des blouses blanches de
professeurs de médecine, mandarins hospitaliers réputés de caractère indépendant et de collaboration
difficile. Médecine et santé sont confondues. Aux yeux de l’homme politique et de l’administrateur,
les hôpitaux et la santé coûtent très cher pour des résultats peu perceptibles et peu visibles à l’échelle
d’un pays, à l’exception de l’infrastructure elle-même ou des équipements. Comment montrer des
résultats sur l’état de santé ? C’est complexe.

La santé est un secteur ingrat, dont les soignants ne veulent pas être dépossédés et que les
administrateurs ont bien du mal à s’approprier et à valoriser. Certains auteurs attribuent aux services
de soins stricto sensu un impact de 20 % seulement sur l’état de santé de la population, qui dépend de
beaucoup d’autres facteurs que de la stricte offre médicale. Sachant cela, il n’est pas étonnant que
d’autres secteurs, plus faciles à gérer, passent en priorité lors du processus de concentration
sectorielle de la coopération au développement de la France et de la Commission européenne. Je sors
de cet entretien en me disant : donnons des armes aux non-professionnels de santé qui leur permettent
de s’emparer de ce domaine. Formons de futurs politiques et administrateurs français, européens et
internationaux capables d’assumer un leadership sur ce secteur.

Deux ans plus tard, en 2006, le professeur au Collège de France Philippe Kourilsky est à son
tour sollicité par trois ministres du gouvernement français pour réfléchir à l’optimisation de l’action
de la France pour la santé mondiale dans le domaine de la surveillance et de la recherche sur les
maladies infectieuses. Peu avant, il a mis en garde les hommes politiques sur l’insuffisance des
expertises et des financements français et européens en matière de recherche médicale, et sur les
risques sanitaires mondiaux de ces choix. La même année, le professeur Marc Gentilini, dans un
rapport du Conseil économique et social, déplore les évolutions de notre coopération bilatérale, la
disparition de notre assistance technique en Afrique, et alerte à son tour le gouvernement sur le rôle
que la France doit tenir dans le domaine de la coopération sanitaire technique, du fait de son histoire,
de son implantation, de sa légitimité, de son expertise, en cohérence avec sa politique de coopération
au développement. Propos engagés dans le sens de la préservation du rayonnement reconnu de la
France dans le domaine de la coopération sanitaire internationale, au travers de ses Instituts Pasteur
d’outre-mer, de ses dispositifs de coopération, de ses médecins humanitaires, de ses médecins
militaires, que le député Morange tient lui aussi tout au long de sa mission auprès du Premier
ministre, du ministre des Affaires étrangères, puis du ministre de la Santé et du secrétaire d’État à la
Coopération et la Francophonie.
Former aux enjeux de santé internationale
Ma conviction de l’urgence d’associer d’autres compétences que celles des professionnels de
santé, et d’aller parler de santé mondiale et de politiques internationales aux étudiants, futurs
administrateurs de l’État et des organisations internationales, ambassadeurs, hommes d’affaires,
journalistes, hommes politiques, etc., n’a donc pas cessé de se renforcer.

La santé est désormais une question d’intérêt mondial discutée au sein des instances du G8, du
G20, de l’Assemblée générale des Nations unies, en France, aux États-Unis, au sein de l’Union
européenne, et des organisations régionales africaines, asiatiques, caribéennes et latino-américaines,
à très haut niveau politique. Sensibiliser les étudiants aux problématiques sanitaires mondiales,
susciter leur intérêt pour la santé, leur inculquer les connaissances dont ils auront besoin pour
travailler de manière légitime et crédible avec les professionnels sur le terrain quels que soient leurs
métiers, voilà l’objectif.

Les problématiques de santé publique dépassent largement le champ de la médecine et le champ


même de la santé. Nous avons besoin, pour mener la réflexion politique et stratégique en santé
mondiale et travailler aux côtés des techniciens, de nouveaux esprits, de jeunesse, de créativité, de
nouvelles idées, de nouvelles analyses et approches, de dynamisme, d’enthousiasme. Nous avons un
immense besoin d’excellents stratèges pour mettre un terme aux pandémies telles que celle du sida
qui sévit depuis trente ans, pour travailler en synergie sur les systèmes de santé et en amont sur tous
les déterminants de l’état de santé, pour développer, à l’attention des décideurs sur le terrain, de
nouvelles méthodes et instruments d’analyse et de mesure d’impact des interventions afin d’améliorer
sans cesse la qualité des soins préventifs et curatifs.
Genèse d’un « référentiel » de santé internationale
Où sont-ils formés, ces futurs professsionnels ? En partie à Sciences Po. En 2006, avec le soutien
d’Ambrosio Nsingui-Barros, alors responsable du Master « Affaires internationales » de Sciences Po
Paris, je crée le cours « Santé et politiques dans les relations Nord-Sud ». Depuis, une vingtaine
d’étudiants du Master « Affaires internationales » ont assisté à mon cours chaque année. Ces jeunes,
pour la plupart en fin de parcours universitaire, prêts à travailler, à partir sur le terrain, allant et
revenant de stages parfois du bout du monde, cherchent du concret, un partage d’expériences et se
posent des questions très pertinentes. Ils réfléchissent aux enjeux, tout les intéresse, ils aiment être mis
en situation. Les échanges sont intéressants car ils proviennent de régions du monde très diverses. Ces
jeunes esprits ont des capacités d’analyse, de synthèse, de rédaction hors normes.

L’idée d’écrire un ouvrage est intrinsèquement liée à la création de ce cours. Elle est venue assez
naturellement du souhait de valoriser les travaux écrits que les étudiants remettent en fin de semestre,
et qui portent sur des sujets de leur choix dans le domaine de la santé mondiale. Il ne s’agit pas de
décrire ni de répéter ce que d’autres ont déjà pensé ou vécu. Je les invite à réfléchir à des
problématiques d’actualité internationale, à être créatifs, à partager des idées nouvelles, et à
contribuer véritablement à la réflexion. Ils jouent le jeu. À la lecture de cet ouvrage, gardons bien à
l’esprit qu’ils ne sont pas des (futurs) soignants. Ils contribuent ici au débat du point de vue de la
science politique, du management public international, de l’environnement et du développement
durable, de la sécurité internationale.

L’ouvrage part de problématiques identifiées, choisies et traitées par eux, aussi son ambition n’a
pas été de traiter de manière exhaustive tous les sujets de la santé mondiale, et les chapitres ont
vocation à être lus à la carte, séparément. L’essentiel des sujets touche à l’Afrique : c’est à la fois un
avantage comparatif et une limite. Nous ne prétendons pas couvrir les enjeux de l’ensemble des pays
en développement dans ce premier opus sur la santé internationale.

Pour traiter au mieux des questions internationales de très grande importance eu égard à
l’actualité relative aux Objectifs du Millénaire pour le développement, nous avons cherché à couvrir
assez largement le domaine, en associant à l’ouvrage les experts invités au cours et des auteurs de
référence. Des thématiques importantes manquent, comme celles qui concernent les évolutions de la
politique hospitalière en Afrique, la santé sexuelle et reproductive ou la santé maternelle et infantile.
Ce n’est pas faute d’y avoir pensé. Cette absence reflète aussi la très grande charge de travail des
rares professionnels francophones, très compétents dans ces domaines, qui ne leur a pas permis de
contribuer à ce livre. C’est dire le manque de ressources, humaines et financières, affectées à ces
sujets. Mais le pari initial est tenu : nous avons amené un nombre significatif d’étudiants en Master «
Affaires internationales » à s’intéresser de manière approfondie à la santé. Leur contribution à cet
ouvrage est d’autant plus remarquable que nombre d’entre eux ne sont pas francophones.

L’ensemble du livre est original et reste harmonieux, même si certaines approches diffèrent
selon les auteurs. Nous n’avons pas cherché à uniformiser la pensée. En santé publique, contrairement
à ce que propose la thérapeutique médicale, il n’y a pas de prescription ni de protocole à suivre. La
complexité et la multiplicité des facteurs influençant l’état de santé sont telles que les approches et les
interprétations sont diverses, qui imprègnent l’analyse des expériences et les décisions politiques. Ce
qui est vrai ici ne l’est pas nécessairement ailleurs. C’est toute la difficulté de travailler dans le champ
de la santé et de la protection sociale. Mais nous partageons les mêmes valeurs : la quête d’équité est
au cœur de la santé publique mondiale. Les auteurs ont été invités à fonder leurs arguments, à
chercher la rigueur scientifique et à se référer à de nombreuses publications de renommée
internationale. Ainsi les positions peuvent-elles être nuancées et différentes sur l’accès aux
médicaments, sur la gratuité des soins ou sur l’appréciation de l’efficacité des stratégies
internationales. Cette pluralité de positions reflète la teneur des débats à l’échelle mondiale.

Quatre grands axes structurent le livre : 1) la situation sanitaire et les priorités de santé dans les
pays en développement ; 2) l’organisation des systèmes de santé et de l’offre de soins, autour des
questions cruciales relatives à la pénurie des personnels soignants, au financement de la santé, à la
protection sociale, à l’accès au médicament ; 3) les réponses stratégiques nationales et internationales,
publiques et privées ; 4) la recherche pour le développement, volet plus modeste, mais qui a
néanmoins toute sa place, avec une attention particulière accordée à la contribution de la recherche en
sciences sociales à la pertinence des politiques de santé publique.

La dimension historique, transversale à nos thématiques, systématiquement abordée avec les


étudiants et fil conducteur de la compréhension des choix stratégiques décidés à l’échelle mondiale à
différentes périodes, apporte un éclairage aux problématiques traitées.

Cet ouvrage est unique en son genre parce que la singularité du cours à partir duquel il est
élaboré est de former les jeunes politologues à un domaine peu abordé dans les enseignements des
instituts d’études politiques (IEP) ou des écoles de santé publique en France : les politiques publiques
internationales de santé et de développement, leur histoire, leur articulation avec les stratégies et
systèmes de santé à l’échelle des pays en développement tout au long de ces trente dernières années,
ainsi que l’étude très approfondie de la véritable métamorphose de l’évolution architecturale de l’aide
qui s’est opérée à l’échelle globale au cours de la décennie écoulée. Nous analysons de très près les
dispositions qui pourraient améliorer l’efficacité de l’aide publique et privée mondiale en appui au
développement sanitaire et social, compte tenu de l’émergence de nouveaux instruments de
financement de l’aide, au travers de partenariats publics privés mondiaux et de financements
innovants. Il n’y a pas à notre connaissance de livre francophone traitant de ces sujets en Europe, au
Canada ou en Afrique.

Son utilité sera démultipliée s’il devient à la fois : 1) un support pédagogique en appui aux
enseignements de la santé mondiale dans les universités du monde francophone, notamment en
Afrique, et plus tard anglophone, si le livre est traduit en anglais ; 2) un outil de connaissance sur les
grands enjeux de la santé mondiale, utile aux milieux universitaires autant que professionnels,
administratifs et politiques. Peuvent s’en emparer les IEP, les écoles de médecine, les écoles de santé
publique, les universités de sciences humaines et sociales, les grandes écoles, les facultés de gestion
et de management, etc.

Son édition vient à point nommé : depuis septembre 2010, nous proposons à Sciences Po un
enseignement en anglais et en français de plusieurs cours constituant un « Minor in Global Health » à
l’attention des étudiants de la Paris School of International Affairs (PSIA) tout juste fondée en mai
2010. Cette année, ce sont une soixantaine d’étudiants de seize nationalités différentes qui ont choisi la
mineure « Global Health ». Je remercie très sincèrement le professeur Ghassan Salamé, doyen de la
PSIA, et Melissa Mundell, d’avoir soutenu dès 2009 notre initiative d’étendre à Sciences Po les
enseignements sur les problématiques et les politiques de santé et développement, de santé mondiale,
de santé humanitaire, avec toute une équipe d’enseignants et professionnels très compétents.
L’expertise, l’expérience et le réseau professionnel européen et international de nous tous,
enseignants de la « Minor in Global Health », sont à la disposition des étudiants et de la PSIA pour
développer des collaborations avec les autres Masters de Sciences Po, avec d’autres universités et
grandes écoles en France, en Europe, et mondialement.

Cet ouvrage est une première. Nous restons à l’écoute de ceux qui souhaiteront partager des
idées pour améliorer et donner une suite à cet outil de connaissance et d’échange des savoirs sur les
grands enjeux de la santé au Sud, afin de sensibiliser de nouvelles générations à ce domaine, de voir
ces enseignements se généraliser et d’amener les futurs hommes et femmes à placer ces sujets au
cœur de leurs politiques et de leurs interventions sur le terrain, tant nous souhaitons voir accéder le
plus grand nombre de personnes sur la planète à une vie moins insoutenable, au droit le plus
élémentaire, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, celui d’être en
bonne santé [1] , d’accéder à la protection sociale [2] , point de départ à chacun pour s’épanouir
intellectuellement et contribuer à la marche du monde.

Que cet ouvrage soit utile au plus grand nombre de nos interlocuteurs à l’université ou dans les
milieux professionnels, aux hommes politiques et aux administrateurs, aux gens de terrain partout
dans le monde. Pour servir le plus grand nombre, le monde aura besoin de tous dans les années et les
décennies qui viennent. Cet ouvrage est collectif, et ce qui nous reste à accomplir l’est plus encore !
Notes du chapitre
[*] ↑ Docteur en médecine et en épidémiologie et santé publique, expert indépendant en santé internationale, est maître de
conférences et coordonne les enseignements de la mineure « Global Health » de la Paris School of International Affairs de Sciences Po

[1] ↑ Article 25. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille,
notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a
droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens
de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une
assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale.

[2] ↑ Article 22. Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la
satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à
l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.
Partie 1 | Situation sanitaire des pays en
développement
1. Le défi de la santé en Afrique subsaharienne et ses
perspectives
Hubert Balique [*] 
Hubert Balique, docteur en médecine, économiste et socio-anthropologue, maître de
conférences à la Faculté de médecine de Marseille et conseiller technique au ministère de
la Santé du Mali.

Cinquante ans après leur accès à la souveraineté nationale, les pays d’Afrique
subsaharienne subissent encore, de façon très discordante, une situation sanitaire
inacceptable en ce début du XXIe siècle. Mais contrairement à une idée largement
répandue, les principaux indicateurs de santé s’améliorent grâce aux effets du
développement, à l’engagement des États et au soutien de leurs partenaires.

Consciente de cette situation et désireuse d’y remédier, la communauté


internationale a développé au cours des dernières décennies des stratégies
volontaristes pour accélérer l’amélioration de l’état de santé des populations, mais
les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur des ressources mobilisées. Les
facteurs qui expliquent la faiblesse de ces résultats sont multiples et peuvent être
attribués à des erreurs stratégiques, au manque de responsabilisation des États
dans la définition et la mise en œuvre de leur politique, et à un excès de verticalité
des programmes. Y ont également contribué le manque de capitalisation des acquis
de l’expérience, l’influence de médias et une tendance à la « soviétisation » de
l’aide.

Les axes stratégiques à promouvoir concernent l’affirmation de la


responsabilité à la fois de l’État et de chaque individu vis-à-vis de la santé, la
dimension économique de la réalisation du service public de santé, l’importance de
la gestion axée sur les résultats, la mutualisation de la couverture des risques, le
rôle majeur de la recherche, l’utilisation judicieuse des technologies modernes, un
engagement croissant en faveur de l’intégration africaine... Ils concernent par
ailleurs l’abandon des budget-programmes au profit de la signature de contrats,
conduisant notamment à « l’achat » d’activités de service public. De plus, la
Déclaration de Paris, qui a conduit à l’International Health Partnership (IHP+) et
à la signature de « Country compact » apporte enfin une réponse appropriée aux
exigences du développement. Mais cette orientation nouvelle ne saura se passer
d’apports financiers supplémentaires de la communauté internationale, notamment
aux 22 pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, pour permettre à leurs
dépenses de santé de franchir le seuil de 50 dollars américains par personne et par
an.
1. - Une représentation peu fidèle de la situation
sanitaire en Afrique subsaharienne
Si les images et commentaires rapportés régulièrement par la télévision et la presse écrite
montrent une Afrique subsaharienne faite de souffrance, de maladie, de malnutrition, de morts
prématurées, etc., cette réalité ne doit pas en cacher une autre, qui est celle de pays dont l’état de santé
progresse lentement, mais sûrement en dehors des zones de conflits armés.

Les interventions des « French Doctors » et autres membres d’ONG qui résument pour beaucoup
les actions conduites dans cette contrée du monde ne témoignent que d’une des dimensions de l’action
sanitaire, contrairement à ce que pensent beaucoup. La mobilisation de l’Unicef pour la Survie de
l’enfant, du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) pour la réduction de la mortalité
maternelle ou du Fonds mondial pour la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose est un autre
aspect de l’engagement de la communauté internationale, qui est fortement investie dans
l’amélioration de l’état de santé de ces populations.

Grâce à tout cela, mais aussi grâce à leur développement socio-économique, les pays d’Afrique
subsaharienne sont en train de construire des systèmes de santé de plus en plus efficaces et dont les
effets sont de plus en plus visibles. Contrairement aux visions désespérantes, qui proviennent pourtant
de personnes en contact direct avec la réalité, l’analyse des dynamiques en cours montre que l’espoir
a toute sa place et invite à intensifier les efforts accomplis jusqu’à ce jour. Mais cet espoir nécessite
pour agir un changement de paradigme dans la résolution des problèmes de santé, une nouvelle façon
d’assurer le financement des actions à entreprendre et une augmentation significative de la
contribution de la communauté internationale, en attendant que des ressources nouvelles issues de la
croissance économique des pays leur permettent de supporter eux-mêmes la prise en charge de leurs
dépenses de santé.

Il faut pour cela admettre que l’action sanitaire dans les pays au Sud du Sahara est arrivée à un
tournant de son histoire. Trente ans après la première grande conférence internationale sur la santé
organisée en 1978 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Alma-Ata, le monde scientifique
dispose d’une expérience suffisamment riche pour en tirer des enseignements et concevoir les
nouvelles stratégies qui permettront « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé
possible », en particulier dans les pays à faible revenu auxquels appartiennent la plupart des pays
d’Afrique subsaharienne.
2. - Une situation sanitaire encore dramatique, mais
en plein changement
Selon l’OMS, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, près d’1 enfant sur 10 décède
encore avant l’âge de 1 an et 1 enfant sur 5 avant l’âge de 5 ans [1] . Alors qu’en France, l’espérance de
vie à la naissance est de 81 ans, elle n’est que de 57 ans au Ghana, 51 ans au Burundi et 47 ans en
Angola [2] . Les causes de cette situation sont parfaitement connues depuis de nombreuses décennies.
Le paludisme, les infections respiratoires aiguës et les diarrhées sont globalement responsables de
plus d’1 décès sur 2 avant 5 ans. La malnutrition, qui touche selon les pays entre 10 % (Swaziland) et
45 % (Burundi) des enfants [Unicef, 2006], crée un terrain favorable à la maladie qui va faciliter son
évolution vers la mort. Cette situation est aggravée dans les pays du Sahel par la survenue récurrente
de crises alimentaires qui conduisent au dépassement du seuil de 15 % de malnutrition sévère aiguë
comme au Niger en 2005.

À cette forte mortalité dans l’enfance s’ajoute cet immense scandale que constitue la mortalité
maternelle en ce début du XXIe siècle, dont le taux dépasse 400 décès pour 100 000 naissances
vivantes dans de nombreux pays pour atteindre 648 pour 100 000 au Niger [Institut national de la
statistique, 2006]. Si elle reste liée à des conditions environnementales défavorables, elle résulte
principalement de la non-prise en charge des complications obstétricales dont le risque accompagne
tout accouchement, mais dont la fréquence et la gravité sont accentuées par la persistance
d’inadéquations sociales et culturelles que sont notamment la précocité de l’âge au mariage, ainsi que
la multiplicité et la proximité des grossesses [3] . 32 % des décès maternels sont ainsi liés à des
hémorragies, 12 % à des infections, 12 % à des éclampsies et 12 % à des dystocies [Inserm, 1998]. La
quasi-totalité d’entre eux aurait pu être évitée si la grossesse avait bénéficié d’un suivi régulier et si
l’accouchement avait eu lieu en milieu médicalisé [OMS, 2005].

Si les maladies tropicales, dont les images ont marqué la vision française de la vie coloniale par
des clichés comme ceux de la maladie du sommeil, des filarioses ou des bilharzioses, sont encore
présentes et combattues avec plus ou moins de succès, elles sont masquées par l’explosion du
VIH/sida. Depuis que son existence a été constatée en Afrique il y a vingt-cinq ans, le VIH/sida n’a
épargné aucun pays, son taux de prévalence variant cependant entre moins de 1 % dans certains
(Sénégal, Niger...) et plus de 10 % dans d’autres (13 % en Centrafrique), atteignant jusqu’à 21 % en
Afrique du Sud et même 38 % au Swaziland. En 2007, sur les 33,2 millions de personnes contaminées
par le VIH/sida dans le monde, 22,5 millions vivaient en Afrique, dont 61 % de femmes et 9 %
d’enfants de moins de 15 ans. Cette même année, 1,7 million de personnes avaient été nouvellement
infectées par le virus [Onusida, 2008]. Le sida a non seulement freiné l’augmentation de l’espérance
de vie, mais l’a également réduite dans certains pays. C’est ainsi qu’au Swaziland elle est passée de 59
à 40 ans entre 1990 et 2007 [4] .

Fort heureusement, les programmes de lutte ont dans certains pays montré leur efficacité grâce à
la très large diffusion du préservatif : au Zimbabwe, le taux national de prévalence du VIH/sida chez
les femmes enceintes est ainsi passé de 32 % en 2000 à 24 % en 2004. Dynamisée par l’effondrement
de l’immunité chez les personnes atteintes du sida, la tuberculose a repris une place majeure parmi
l’ensemble des pathologies. On considère en effet que près d’un tiers des personnes touchées par le
VIH/sida dans le monde sont également infectées par la tuberculose (TB). Or, le taux de mortalité de
l’association VIH/TB est cinq fois supérieur à celui de la tuberculose seule.

À tout cela, s’ajoute l’émergence des maladies cosmopolites qui n’épargnent aucun pays. Le
développement de la demande, notamment dans les catégories les plus favorisées de la population,
conduit au dépistage d’affections chroniques qui échappaient autrefois aux diagnostics des formations
sanitaires, telles que l’hypertension artérielle, le diabète ou les cancers. Par ailleurs, l’évolution de la
société est à l’origine d’une augmentation de la fréquence de certaines affections, comme les
accidents de la circulation, les affections cardio-vasculaires ou les avortements clandestins. De plus,
les structures de santé se trouvent confrontées à de nouvelles pathologies, dont la prise en charge est
extrêmement coûteuse et entraîne des arbitrages difficiles pour ne pas déséquilibrer les comptes
nationaux de la santé. C’est ainsi qu’au Niger le traitement en dialyse d’un seul malade souffrant
d’une insuffisance rénale chronique revient à plus de 15 000 euros par an et ne doit jamais être
interrompu, alors que les dépenses de santé de ce pays s’élèvent à 17 euros par personne et par an.

Cette réalité résume à elle seule les problèmes auxquels sont déjà et seront de plus en plus
confrontés des pays où le développement socio-économique passe par l’émergence des classes
moyennes, dont la demande de soins n’a plus rien à voir avec celle de la grande majorité de la
population. Or la présence de ces catégories sociales est nécessaire au développement socio-
économique et donc à l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de la population, et plus
particulièrement des personnes les plus démunies.
3. - Une situation sanitaire qui s’améliore lentement,
mais de façon continue
Contrairement à l’idée largement répandue que la situation sanitaire s’aggrave en Afrique, on
assiste depuis cinquante ans à une amélioration lente mais constante de l’état de santé de la population,
qu’attestent les principaux indicateurs de santé.

C’est ainsi qu’au Mali, entre 1960 et 2008, le taux de mortalité avant 1 an est passé de 233 ‰ à
103 ‰ et le taux de mortalité avant 5 ans de 400 ‰ à 194 ‰. Pendant la même période, le taux de
mortalité infantile est passé de 229 ‰ à 57 ‰ au Gabon [Ceped, 1991] et de 181 ‰ à 104 ‰ au
Burkina Faso [5] [Ceped, 1992].

Même si une proportion majeure de la population est encore exclue de tout accès aux soins
essentiels [6] , la seule élévation de la couverture vaccinale a quasiment fait disparaître une des
principales causes de mortalité qu’était la rougeole. L’extension de l’approvisionnement en eau
potable a réduit l’incidence des maladies diarrhéiques ; l’accès aux soins pour les cas de paludisme
ou d’infection respiratoire a permis d’éviter de nombreux décès ; la diffusion du préservatif a freiné
l’expansion du VIH/sida. Le retard de l’âge au mariage, l’espacement des naissances et la réduction
du nombre d’enfants par femme ont diminué les mortalités maternelle et périnatale dans certains pays.
Par ailleurs, l’élévation des taux de scolarisation, l’augmentation du pouvoir d’achat et le
désenclavement des zones isolées ont été également des facteurs déterminants de ces changements.
4. - Des systèmes de santé en plein développement
À l’arrivée des premiers Européens en Afrique subsaharienne, les populations affrontaient les
maladies et les souffrances grâce à l’expérience accumulée au cours de l’histoire et intégrée dans
leurs cultures respectives. Tirant partie d’une flore riche en plantes médicinales, elles avaient
développé au fil du temps des médecines traditionnelles à la fois empiriques et sous-tendues par des
visions cosmogoniques multiples. L’espérance de vie à la naissance était alors très basse (35 ans en
1960 au Mali) et les villages concentrés dans les zones les plus favorables à la vie.

4.1 - Le soubassement colonial


Dans les pays sous domination coloniale française, les formations sanitaires publiques
n’assuraient qu’une couverture limitée des populations. Cette « Assistance médicale indigène ou AMI
» était en fait destinée avant tout aux « commis » de l’administration coloniale et à leurs familles. Un
apport significatif était par ailleurs assuré par des dispensaires confessionnels. Mais les soins
dispensés restaient modestes compte tenu des faibles capacités techniques de la médecine, qui à cette
époque ne connaissait pas encore les antibiotiques.

Les premiers hôpitaux virent le jour sous forme « d’ambulances » militaires, qui ont
progressivement développé leur plateau technique pour devenir de véritables structures sanitaires de
référence (Dakar en 1880, Kayes en 1890, Bamako en 1906). Au Soudan français, la nécessité de
conduire une lutte contre la mortalité des enfants fut affirmée dès 1926, mais il fallut attendre la fin de
la seconde guerre mondiale pour qu’elle soit retenue comme une priorité afin d’assurer le
peuplement de la colonie [Nedélec, 1988]. Le financement des soins, dont les coûts étaient peu élevés
à cette époque, était supporté par l’État colonial. Dépistages et traitements étaient alors totalement
gratuits.

Des résultats probants ont été obtenus par la création en 1945 du Service général d’hygiène
mobile et de prophylaxie (SGHMP), qui, pendant un quart de siècle, a parcouru la plupart des villages
de l’Afrique occidentale française, afin de dépister les cas de maladie du sommeil dans un premier
temps, puis de lèpre et d’onchocercose dans un deuxième, avant d’effectuer des campagnes de
vaccination pour combattre la variole et la fièvre jaune.

Un temps fort dans l’histoire des systèmes de santé a été la création en 1946 du Fonds
d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (Fides),
puis l’adoption de la Loi-cadre (Gaston Deferre, 1956) : désireuse de consolider son assise dans la
perspective de la création de la Communauté française (1958), la France coloniale s’efforça de
conduire une politique volontariste d’aménagement du territoire, et notamment d’étendre la
couverture sanitaire par la construction accélérée de dispensaires et d’hôpitaux. Pendant le premier
Plan (1949-1952), la part des investissements consacrés à la santé [Nedélec, 1988] s’est élevée à 3,2 %
pour atteindre 6 % pendant le second Plan (1953-1957).

C’est ainsi qu’à la fin des années 1950, l’offre de soins commençait à être significative, mais elle
restait encore limitée aux centres urbains et aux localités de résidence des agents de l’administration.

4.2 - L’engagement pour la santé des nouveaux États


indépendants
Avec leur accès à l’indépendance, les gouvernements des nouveaux pays d’Afrique
subsaharienne s’engagèrent dans l’extension des services de santé de base dont la très grande
majorité de la population était encore privée. Le principe de gratuité des soins fut confirmé comme
un des fondements de l’offre publique de soins. Si les pays ayant opté pour la voie socialiste du
développement, comme la Guinée ou le Mali, s’opposèrent à tout exercice privé des professions de
santé, les autres autorisèrent la création de cabinets et de cliniques privés. Leurs objectifs lucratifs
limitèrent cependant leur présence aux lieux de résidence ou de travail des minorités expatriées et des
catégories privilégiées de la population.

4.3 - L’émergence du concept de soins de santé primaires


À la fin des années 1960, diverses initiatives furent prises pour réduire les difficultés d’accès aux
soins de la grande majorité des populations par le lancement de programmes hospitaliers et
d’extension des services de santé de base. C’est ainsi qu’en 1968 virent le jour au Mali des maternités
rurales financées par le mouvement coopératif, et que furent formées en six mois les premières
auxiliaires de santé de la mère et de l’enfant (les matrones rurales) destinées à y travailler. En 1969,
fut lancé au Niger, grâce à l’engagement d’assistants techniques français, les premières équipes de
santé de village, regroupant, sous la houlette de comités de santé, des hygiénistes secouristes et des
matrones traditionnelles recyclées [Belloncle et Fournier, 1975]. Cette expérience nigérienne figura
parmi les études de cas relatées dès 1975 par l’OMS aux côtés des expériences des médecins aux
pieds nus de la Chine, des agents de santé communautaires d’Amérique centrale ou de la médecine
ayurvédique de l’Inde [OMS, 1978].
À la lumière de l’expérience nigérienne, le Mali poursuivit son engagement en faveur de ce qui
deviendra plus tard « les soins de santé primaires » en créant, dès 1976, des comités et des équipes de
santé villageoises grâce aux initiatives de l’École nationale de médecine dans sa zone de formation et
de recherche de Kolokani et de l’ONG Terre des hommes dans le cercle de Diré.

En septembre 1978, la conférence d’Alma-Ata fit la synthèse de plusieurs expériences


novatrices, dont celle du Niger, et ouvrit une première porte dans le changement des systèmes de
santé, qui conduisit à la formulation du concept de « soins de santé primaire » pour atteindre
l’objectif « Santé pour tous en l’an 2000 » [OMS, 1978]. En mettant notamment l’accent sur l’origine
multisectorielle des problèmes de santé et sur l’importance de l’engagement individuel et collectif
des populations dans l’amélioration de leur état de santé, ce nouveau concept allait marquer de façon
définitive la santé publique dans les pays en développement.

Fort de la Déclaration d’Alma-Ata, la direction régionale Afrique de l’OMS basée à Brazzaville


se mit à combattre les résistances du corps médical pour obtenir la mise en application de cette
nouvelle approche stratégique. Si quelques pays mirent un certain temps avant d’affirmer leur
engagement, la plupart firent des soins de santé primaires le nouveau fondement de leur politique de
santé.

Dès lors, des milliers d’équipes de santé de village virent le jour. Des dizaines de milliers
d’agents de santé communautaires bénévoles, comprenant des hygiénistes secouristes, des
accoucheuses traditionnelles recyclées et des animatrices de village, furent formés. Dès 1980, tous les
villages de certaines circonscriptions étaient dotés d’une équipe de santé et d’une pharmacie de
village et participaient activement à la lutte contre les mortalités maternelle et infanto-juvénile. Les
actions étaient centrées sur le traitement des cas simples, la prévention du paludisme par la chimio-
prophylaxie, la promotion de l’hygiène, les vaccinations, l’identification des grossesses à risque,
l’accouchement protégé à domicile, le référencement auprès des structures sanitaires des cas
nécessitant les compétences de professionnels de santé qualifiés, le dépistage des cas suspects de
tuberculose et de lèpre…

Mis à part les expériences ponctuelles de recouvrement des coûts conduites au Sénégal et au
Mali, la gratuité des soins était toujours la règle dans la gestion de l’offre publique de soins en
Afrique subsaharienne.

4.4 - Le retour à la verticalité des programmes


Au début des années 1980, on assista à la relance des grands programmes dits « verticaux », tels
que le Programme élargi de vaccinations (PEV) ou les programmes de lutte contre la mortalité due
aux diarrhées ou aux infections respiratoires aiguës (IRA). Cette approche stratégique, qui répond à la
recherche du maximum d’efficacité dans la réalisation d’objectifs précis, avait eu son heure de gloire
pendant l’époque coloniale à travers les programmes de lutte contre les grandes endémies, qui ont
notamment permis de libérer l’Afrique de la maladie du sommeil et d’assurer ainsi le repeuplement
de zones inhospitalières. Elle répond parfaitement aux spécificités des programmes d’éradication et
d’urgence. C’est elle qui a permis l’éradication de la variole dans le monde et devrait aboutir à celle
du ver de Guinée et de la poliomyélite dans les années à venir. La disparition de la maladie, des
charges qui lui sont liées et de ses conséquences économiques et sociales justifie pleinement
l’importance des ressources mobilisées dans la mesure où elles constituent des investissements
rentables. C’est ainsi que les efforts pour éradiquer l’onchocercose ont été soutenus financièrement
pendant plus de vingt ans par des institutions comme la Banque mondiale, compte tenu de ses effets
déterminants sur le développement économique des zones d’endémie. Grâce à ce programme, la
population d’une part importante des terres à fort potentiel agricole du Burkina Faso, du Mali et de la
Côte-d’Ivoire a pu être sauvée de la cécité et s’inscrire dans la dynamique du développement. Sans
cette verticalité, il n’y aurait eu ni argent ni succès [7] .

L’approche « verticale » de l’action sanitaire se justifie également pour faire face aux urgences,
afin de rompre une chaîne épidémiologique ou de sauver le maximum de vies dans le minimum de
temps. C’est à ce titre que les organismes spécialisés et les ONG humanitaires ont un rôle essentiel à
jouer, car ils disposent de la souplesse d’intervention nécessaire pour mobiliser dans les délais les
plus courts les compétences requises pour agir avec le seul souci d’efficacité.

Quelques années après l’apparition des premiers cas de VIH/sida, on assista dans les années 1990
à la multiplication de grands programmes de santé publique conduits par des organismes spécialisés
ou des ONG focalisées sur des problèmes de santé précis, renforçant les tendances à la verticalité.
C’est ainsi qu’ont été créés en 1987 le Programme mondial contre le sida (OMS), en 1996 le
Programme conjoint des Nations unies pour la lutte contre le sida (Onusida), en 1998 le Programme
Roll Back Malaria destiné à lutter contre le paludisme, en 2001 le programme Stop TB Partnership de
l’OMS, et en 2002 le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. C’est
également ainsi que le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) a initié les « feuilles de
route pour la réduction de la mortalité maternelle » et que l’Unicef a lancé le premier grand
programme « Survie de l’enfant ».

Toutefois, cette approche « verticale » ne répond pas aux exigences du développement dans le
domaine de la santé, qui demande une approche systémique et s’inscrit dans la durée. Les résultats
recherchés sont en effet le fruit de l’action cohérente d’un ensemble d’acteurs appartenant aux
différents secteurs que sont entre autres l’économie, la culture, l’aménagement du territoire,
l’urbanisme, les professions de santé…

4.5 - Du recouvrement des coûts à l’Initiative de Bamako


En 1975, la coopération belge au Sénégal remit en cause dans le quartier périurbain de Pikine le
principe de la gratuité des soins en initiant la première expérience de recouvrement partiel des coûts
par le paiement de tickets forfaitaires gérés par des associations de promotion de la santé.

Au Mali, la conduite des actions de santé au niveau le plus périphérique fut renforcée dans la
région de Sikasso, puis de Koulikoro, par le regroupement de plusieurs villages en « secteurs de base
» destinés à accueillir une école et un centre de santé. Constitués d’un dispensaire, d’une maternité et
d’un dépôt pharmaceutique, ces centres de santé de secteur de base étaient construits en matériaux
locaux par la population avec l’appui financier des organismes coopératifs. Ils bénéficiaient de la
présence d’aides soignants et de matrones rurales, recrutés parmi les anciens élèves formés en six
mois.

En 1979, le Mali s’inspira de l’expérience de Pikine pour introduire la cession de tickets d’accès
aux soins. Compte tenu du statut public des centres de santé de secteur de base, un mécanisme de
cogestion entre le personnel soignant et un comité de santé fut mis en place. Cette approche fut
consolidée par le projet de développement sanitaire (PDS), soutenu par les financements de la Banque
mondiale dans la région de Kayes [Konaté, 1993] et étendue progressivement à l’ensemble du pays.

Dans les zones d’émigration des rives du fleuve Sénégal et de la région de Kayes, les
travailleurs émigrés mobilisèrent leur épargne pour construire, équiper et soutenir financièrement un
centre de santé associatif dans leur village d’origine, en dehors de toute intervention publique.

Au Bénin, l’analyse des effets sur la promotion des soins de santé primaires du recouvrement
des coûts, initié dans les années 1980 dans la zone de Pahou, conduisit à la formulation des principes
d’une nouvelle approche qui, dix ans après Alma-Ata, devait apporter une réponse concrète aux
problèmes posés par la pérennisation des actions de santé de première ligne. C’est ainsi qu’en 1987,
la Conférence internationale organisée à Bamako par l’Unicef ouvrit une deuxième porte dans le
changement des systèmes de santé. Elle aboutit à l’adoption par les pays participant à cette rencontre
de l’Initiative de Bamako (IB), qui préconisa la relance des soins de santé primaires par l’introduction
de mécanismes de recouvrement des coûts dans les formations sanitaires et l’utilisation exclusive de
médicaments essentiels présentés sous leur dénomination commune internationale [Monékosso,
1989].
Cette prise de position officielle mit alors un terme au dogme de la gratuité des soins, qui
prévalait jusqu’alors.

Fort de cette reconnaissance et en réponse aux problèmes posés par le blocage de l’accès à la
fonction publique des jeunes diplômés par l’application des mesures d’ajustement structurel, la
Faculté de médecine et pharmacie du Mali et l’Institut national de recherche en santé publique de
Bamako accompagnèrent en 1989 la création du premier centre de santé communautaire (CSCOM).
Formations sanitaires privées gérées par une association sans but lucratif d’usagers dénommée
Association de santé communautaire ou ASACO, les CSCOM assurent actuellement la réalisation du
service public de santé de premier niveau dans le millier d’aires de santé que compte le pays dans le
respect des principes de l’Initiative de Bamako.

4.6 - Un engagement affirmé de la communauté


internationale
En 2000, les Nations unies ouvrirent une troisième porte dans le changement des systèmes de
santé en permettant le regroupement des États du Nord et du Sud autour du Cadre stratégique de
réduction de la pauvreté (CSRP) et des 8 Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), dont
3 concernaient directement le secteur de la santé (les objectifs 4, 5 et 6).

En faisant de la réduction des mortalités maternelle et infanto-juvénile les grandes priorités de


l’action sanitaire, cette nouvelle dynamique remit en selle l’approche transversale de l’action
sanitaire. Elle conduisit dans son sillage à l’adoption de nouveaux engagements comme l’élévation
jusqu’à 15 % du budget de la santé dans les dépenses publiques (Abuja, avril 2001) ou la résolution de
la pénurie des ressources humaines (Kampala, mars 2008) et à la réaffirmation du rôle majeur des
soins de santé primaires [OMS, 2008] dans la réalisation des Objectifs du Millénaire (Ouagadougou,
avril 2008 ; Genève, mai 2009).

L’une des dispositions les plus remarquables a été la reconnaissance du rôle essentiel des
systèmes de santé dans la conduite des programmes d’action sanitaire qu’atteste l’ouverture d’un
guichet « Renforcement des systèmes de santé » (RSS) aussi bien par le Fonds mondial que par GAVI
(Global Alliance for Vaccines and Immunization).

En mars 2005, 91 pays ont signé, dans cette mouvance, la Déclaration de Paris pour l’efficacité
de l’aide et l’harmonisation [OCDE, 2005]. Ce nouvel engagement de la communauté internationale
préconisa le respect de cinq grands principes que sont : « (i) l’appropriation (les pays partenaires
exercent une réelle maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la
coordination de l’action à l’appui du développement), (ii) l’alignement (les donneurs font reposer
l’ensemble de leur soutien sur les stratégies nationales de développement, les institutions et les
procédures des pays partenaires), (iii) l’harmonisation (les actions des donneurs sont mieux
harmonisées et plus transparentes, et permettent une plus grande efficacité collective), (iv) la gestion
axée sur les résultats (gérer les ressources et améliorer le processus de décision en vue d’obtenir des
résultats), (v) la responsabilité mutuelle (les donateurs et les pays partenaires sont responsables des
résultats obtenus en matière de développement). »
5. - Comment expliquer la faiblesse des résultats ?
Trente ans après la conférence d’Alma-Ata, qui peut être considérée comme le point de départ de
l’engagement de la communauté internationale dans sa forme actuelle, l’objectif « Santé pour tous »
est loin d’être atteint. Des résultats certains ont été obtenus, mais ils n’ont pas été à la mesure des
efforts considérables qui ont été accomplis par les États et leurs partenaires et ne permettront pas
d’atteindre les OMD d’ici 2015 dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Si dans certains d’entre eux, les conflits armés ont bloqué tout développement de leur système de
santé et aggravé l’état de santé de leur population, la majorité des États sont indiscutablement engagés
derrière les recommandations des organisations spécialisées des Nations unies. À la succession de
centaines de grandes conférences présidentielles ou ministérielles et de milliers de missions d’experts
s’ajoute l’octroi de crédits considérables pour lever tout doute sur l’engagement de la communauté
internationale.

C’est ainsi qu’en 2008, le budget de l’Unicef était de 7,7 milliards de dollars, celui de l’OMS de
1,1 milliard et le budget de la Banque mondiale consacré à la santé était de 2,7 milliards. Quant au
Fonds mondial, il a engagé 15,6 milliards de dollars dans 140 pays depuis sa création en 2002. Ces
crédits importants sont amplifiés par des initiatives novatrices comme la création d’Unitaid en 2006,
dont le financement provient d’une taxe sur les billets d’avion et l’engagement du secteur privé,
comme les Fondations Bill et Melinda Gates (2000) ou Clinton (2003).

De façon générale, les chefs d’État, qui jouent un rôle essentiel dans la conduite de ces
politiques, considèrent la santé comme une de leurs priorités et s’investissent avec conviction dans la
mise en œuvre des options à l’ordre du jour. Ainsi, si le manque de volonté politique des États
d’Afrique subsaharienne est souvent évoqué, la faiblesse des résultats relève en fait davantage
d’erreurs stratégiques compte tenu des contextes et des capacités actuelles des systèmes de santé de
ces pays que d’un manque d’engagement de principe des pouvoirs publics.

Les modes d’intervention de l’aide internationale ont également une certaine responsabilité dans
ce manque de résultats. Deux tendances s’opposent en effet à un processus cohérent de développement
sanitaire : la substitution de responsabilité et la verticalité des programmes.

La substitution de responsabilité résulte de la volonté de nombreux acteurs du Nord


(organisations internationales, multi et bilatérales ou non gouvernementales) d’apporter aux
problèmes de santé des solutions efficaces, rapides et visibles. Leur engagement humaniste ou
leur désir de mieux gérer le monde en créant les conditions du développement les amène à
exercer une certaine pression sur les États pour qu’ils suivent leurs recommandations. S’il est
vrai que leurs gouvernements disposent d’une totale latitude pour définir eux-mêmes leur
politique de santé et de décider librement de leurs engagements, la recherche pressante de
nouveaux financements par leur ministre des Finances pour assurer l’équilibre indispensable de
leurs comptes limite leurs marges de manœuvre vis-à-vis de l’aide extérieure et les conduit à
suivre les propositions de la communauté internationale et de ses experts pour obtenir les
ressources qui les accompagnent. L’image dessinée par Amadou Hampaté Ba « de la main d’en
haut qui donne et celle d’en bas qui reçoit » illustre clairement la nature des relations entre les
pays du Nord et du Sud.

La verticalité des programmes résulte de la spécialisation de certains acteurs dans la lutte


contre une maladie (sida, tuberculose, paludisme...) ou dans la résolution d’un problème de santé
publique (mortalité maternelle, hyper-fécondité, malnutrition...). Elle conduit les ministères de la
Santé des pays bénéficiaires à concevoir des programmes conformes aux recommandations du
monde scientifique et à soutenir leur mise en œuvre dans une approche volontariste « top-down
», grâce à des financements de la communauté internationale, dont l’importance résulte de la
volonté d’obtenir des résultats mesurables dans des délais limités. Les institutions en charge de
certains programmes à dimension « verticale » justifient leur mode d’intervention par les effets
structurants qu’ils peuvent avoir sur le système de santé. C’est ainsi que les « rounds » successifs
du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme devraient servir de
locomotive aux autres programmes d’action sanitaire. L’ouverture récente des programmes de «
Renforcement du système de santé » témoigne des insuffisances de cette disposition.

La démarche généralement adoptée s’effectue en plusieurs étapes : (i) la formulation, avec


l’appui d’un groupe d’experts, d’un document stratégique accompagné d’un programme détaillé de
mise en œuvre ; (ii) l’organisation concertée d’une grande conférence internationale regroupant des
ministres de tous les pays et conduisant à la validation des recommandations ; (iii) l’instruction
donnée aux représentations locales des organismes initiateurs d’obtenir l’application effective par le
pays de ses « engagements » en bénéficiant de l’appui de spécialistes maîtrisant parfaitement leurs
principes et les modalités de leur mise en œuvre. Une fois adoptée, l’application des décisions
s’effectue généralement au niveau des pays par la tenue d’ateliers regroupant les responsables
ministériels pour aboutir à un programme de lutte ou à une feuille de route accompagnés d’un cadre
logique, qui sera suivi d’un séminaire national de lancement. L’octroi de per diem et d’avantages en
nature (véhicules, carburant, séjours à l’étranger...) facilitent sa mise en œuvre, compte tenu du bas
niveau des salaires. L’exécution de ce programme est conduite de façon verticale à partir d’une
direction spécialisée pouvant bénéficier, si nécessaire, d’une assistance technique. La logique qui
préside à cette démarche bénéficie de la force de la rationalité, mais elle laisse peu de marge aux
ministres de la Santé des pays d’Afrique subsaharienne, qui peuvent difficilement se dissocier d’un tel
mouvement.

L’analyse des stratégies « politiquement correctes » des trente dernières années conduit à mettre
en évidence des mouvements de balancier entre des approches systémiques (Conférence d’Alma-Ata,
Initiative de Bamako, Déclaration de Paris...) et des approches verticales (Programme élargi de
vaccination, lutte contre le sida, le paludisme...) et à identifier les « effets de mode » qui les
accompagnent. C’est ainsi que les thèmes récents, que sont la lutte contre les fistules obstétricales et la
drépanocytose ont été exclus de toute intervention structurée jusqu’à ces dernières années. Ces
affections étaient pourtant bien présentes, mais n’entraient pas dans les modèles d’analyse de la
plupart des systèmes d’information sanitaire. Si la focalisation dont elles bénéficient actuellement est
heureuse et contribue à l’apport de ressources significatives, il ne faut pas oublier que le succès de la
lutte contre ces fléaux réside particulièrement dans la présence d’une offre de soins adéquate et
l’adoption de comportements appropriés, qui relèvent directement du développement des systèmes de
santé.

Plusieurs autres facteurs expliquent également la faiblesse relative des résultats de l’action
sanitaire obtenus au cours des dernières décennies.

5.1 - Le manque de capitalisation des acquis de


l’expérience
De par ses fortes dimensions idéologiques et politiques, la situation sanitaire en Afrique
subsaharienne incite à l’action les pays du Nord pour faire face à une réalité humaine jugée
inacceptable. Les organismes spécialisés dans le développement et les ONG humanitaires sont amenés
sans cesse à formuler de nouvelles approches stratégiques pour résoudre les problèmes auxquels ils
sont confrontés. C’est ainsi que pour améliorer de façon significative l’accès aux services de santé, la
gratuité des soins est redevenue depuis quelques années « la » réponse à promouvoir, en oubliant
qu’il y a vingt-cinq ans, en partant des mêmes constats, ce principe avait été écarté pour introduire
celui du recouvrement des coûts.

À cela s’ajoute le mode de fonctionnement des organisations internationales et de financement


des ONG qui doivent apparaître à tout moment comme d’excellents gestionnaires des crédits qui leur
sont confiés et ne peuvent pas se permettre de laisser filtrer le moindre doute quant à la qualité de
leurs interventions. Il faut des concours de circonstances très particuliers comme ceux qui ont conduit
au désastre de l’Arche de Zoé au Tchad pour que les compétences des intervenants puissent être mises
en cause. Il résulte de cette mouvance une fuite en avant qui conduit à initier sans cesse de nouvelles
idées pour laisser dans l’ombre la faiblesse relative des résultats de la période achevée.

5.2 - Le rôle des médias


De par sa forte dimension émotionnelle, l’action pour la santé dans les pays en développement
attire les médias, qui cherchent des images chocs dans la concurrence qui les anime. La recherche
incessante, parce que vitale, de financements par les ONG humanitaires renforce cette tendance, qui
conduit les plus importantes d’entre elles à faire appel aux méthodes du marketing pour assurer
l’équilibre de leurs comptes et permettre leur expansion.

C’est ainsi que la malnutrition qui offre des images bouleversantes d’enfants cachectiques au
gros ventre, de files interminables de femmes attendant leur part de farine, leur seau en plastique à la
main, ou l’engagement sur le terrain de jeunes et dynamiques volontaires européens est plus à même
de mobiliser les dons de l’opinion publique que l’annonce de chiffres devant combler le manque de
financement d’un programme de développement sanitaire conduit par le gouvernement d’un pays
d’Afrique subsaharienne supposé inefficace, voire corrompu.

Cette médiatisation qui permet de mobiliser des sommes significatives contribue à fausser les
choix de priorités et à masquer les exigences du développement sur le long terme par les effets
spectaculaires des actions humanitaires ponctuelles.

Il est hors de question de minimiser l’importance de ce type d’intervention qui est le seul à
pouvoir agir vite et bien dans les situations d’urgence que sont les famines, les conflits armés ou les
catastrophes naturelles. Mais il est essentiel de prendre conscience de l’importance de ce filtre
médiatique dans l’orientation de l’opinion publique et donc des choix des dirigeants. Les médias ne
doivent pas oublier que dans un monde où sont regardées les émissions de France Télévisions à
Tombouctou ou Agadez, l’engagement de jeunes médecins de campagne africains, qui acceptent de
vivre et de travailler avec des moyens dérisoires dans des villages isolés pendant des années, est au
moins aussi important, voire davantage que celui de jeunes bénévoles français, qui, avec abnégation
et courage, consacrent quelques mois de leur vie au mieux-être de populations privées d’accès au
minimum de soins requis.
5.3 - Les exigences professionnelles du développement des
systèmes de santé
Occultées par la vision de l’action humanitaire distillée par les médias, les solutions aux
problèmes de santé sont focalisées sur les questions financières et les interventions visibles, alors
qu’elles résident principalement dans le progrès économique, social et culturel des pays. Or le
développement est difficile : améliorer l’état de santé de la population éthiopienne avec une dépense
nationale de santé de moins de 10 euros par personne et par an et un taux de scolarisation de 45 %
dans un pays grand comme deux fois la France nécessite de grandes compétences, qui sont
malheureusement peu partagées.

La complexité des systèmes de santé dont le champ couvre à la fois les secteurs de
l’épidémiologie, de la médecine, de l’économie, de la socio-anthropologie, de l’éducation, de la
communication, de la gouvernance... exige un grand professionnalisme qui ne cadre pas toujours
avec les compétences très « pointues » des personnels soignants et consultants.

Cette tendance est accentuée par l’engagement des personnes chargées de la conception et du
suivi des projets, qu’il s’agisse des experts qui doivent nécessairement montrer leur savoir-faire à
leurs employeurs dans un contexte très compétitif, ou des bénévoles, dont l’abnégation ou le
militantisme compense le manque fréquent de compétences en matière de développement. Elle est
aggravée par la confusion qui est généralement faite entre les actions humanitaires et l’aide au
développement. C’est ainsi que les membres de Médecins sans frontières (MSF) France, qui est
probablement l’ONG la plus compétente au monde en matière d’action humanitaire d’urgence,
reconnaissent eux-mêmes son manque de savoir-faire en matière d’aide au développement.

Si l’on compare trois pays de la zone soudano-sahélienne aussi proches que le Niger, le Mali et
le Sénégal, comment comprendre qu’ils aient tous trois à mettre en œuvre les mêmes directives et
qu’ils suivent le même rythme de développement alors que leurs capacités financières dans le
domaine de la santé varient de 1 à 3 ? C’est ainsi que les dépenses de santé sont de 17 euros par
personne et par an au Niger, alors qu’elles sont de 28 euros au Mali et de 46 euros au Sénégal [8] .

5.4 - La « soviétisation » de l’aide


La tenue des grandes réunions internationales, où des milliers de délégués viennent écouter les
propositions d’organisations internationales et l’intervention d’experts chargés de dire le «
politiquement correct » du moment et de promouvoir les slogans qui l’accompagnent, rappelle une
autre époque et un autre contexte. Cette tendance, qui a pour fondement la conviction de savoir ce
qu’il faut faire et une forte volonté d’agir, s’inscrit dans une conception centralisatrice et
technocratique de la gouvernance, le pouvoir financier des organismes donateurs se substituant au
pouvoir politique de jadis. Cette situation résulte d’une concentration de financements importants
entre les mains d’administrations, qui, une fois en place, échappent, de fait si ce n’est de droit, à tout
contrôle citoyen, et d’agents dont l’emploi dépend de leur degré de fidélité à leur institution. Elle est
parfois accentuée par l’attitude des hautes personnalités des ministères de la Santé des pays du Sud
pour qui la perspective d’obtenir un jour un poste dans un organisme international est une
opportunité à ne pas laisser passer pour garantir leur carrière professionnelle, leur niveau de vie et
l’avenir de leur famille. Le clientélisme qui en résulte est d’autant plus fort que le mode de sélection
des experts se fait généralement par cooptation par les pairs.

Le processus humain qui a porté sur la scène internationale la mouvance favorable aux soins de
santé primaires, marquée par le slogan « Santé pour tous en l’an 2000 » (1978), puis la relance des
soins de santé primaires par l’Initiative de Bamako (1987) et de façon plus récente (2000) les Cadres
stratégiques de réduction de la pauvreté et les Objectifs du Millénaire pour le développement, a
traduit des choix peu contestables. Les grandes manifestations, qui rassemblent des milliers de
participants appartenant au monde politique, à la communauté scientifique et à la société civile pour
relancer la lutte contre la mortalité maternelle, le sida ou le paludisme, sont essentielles pour
mobiliser l’opinion publique et la communauté internationale et obtenir ainsi les ressources
financières indispensables à l’action. Mais les conséquences d’un tel processus peuvent entraver la
réflexion, la créativité et les prises de responsabilité indispensables au progrès. Elles sont d’autant
moins efficaces à long terme qu’elles gomment la diversité du monde et les spécificités de chaque
pays. Elles réduisent la place de l’engagement responsable de chaque citoyen qui est pourtant
nécessaire au succès de toute œuvre collective et solidaire. Quant aux ONG, elles ont tout intérêt à
épouser les thèmes et les discours du moment pour obtenir les soutiens institutionnels et financiers
indispensables à leur développement et parfois à leur survie.
6. - Des engagements stratégiques novateurs
Fort de l’expérience acquise avec le temps, le panel d’options stratégiques dont disposent les
pays doit leur permettre de trouver le chemin de leur développement dans le domaine de la santé.
Plusieurs d’entre elles peuvent être mises en exergue.

6.1 - L’affirmation de la responsabilité respective des


différents acteurs de l’action sanitaire
Il s’agit d’abord et avant tout d’affirmer la responsabilité de l’État à travers la notion de service
public de santé, qui précise ce dont il est comptable vis-à-vis de tous les citoyens. « Assurer à chaque
personne la possibilité d’accès aux soins essentiels de qualité » en définit clairement une des
dimensions. Elle permet par ailleurs d’introduire la place du secteur privé et de se démarquer de la
conception qui attribue à l’État le monopole de la production des activités de service public.

Il s’agit ensuite de rappeler la responsabilité de chaque personne vis-à-vis de sa propre santé et


de celle de sa famille.

Il s’agit enfin de promouvoir la responsabilité de chaque citoyen vis-à-vis de ses communautés,


qu’il s’agisse de son village, de son quartier, de son lieu de travail, des associations dont il est
membre...

C’est ainsi qu’il appartient à l’État de garantir la présence d’une maternité adéquate, à la femme
enceinte d’y recourir en temps opportun avec l’aide de son mari pour y accoucher et au village ou à
la commune de s’organiser pour faciliter le déplacement.

Le concept de « participation des populations » affirme cette responsabilité en invitant chacun à


s’impliquer directement dans l’action sanitaire et non seulement à la subir.

6.2 - L’approche économique de l’accès aux soins


L’analyse des systèmes de santé conduit à accepter la nature des soins en tant que « services » en
termes économiques, c’est-à-dire résultant d’activités de production et s’inscrivant dans le champ
d’un ajustement entre besoin, offre et demande.

Appliquée à la réalisation du service public de santé, cette dimension économique conduit à


distinguer la notion de « coût de production des soins », qui est d’ordre scientifique et relève des
compétences des professionnels de santé et des gestionnaires, de celle de « tarif », qui est d’ordre
politique et dont le niveau détermine les possibilités d’accès aux soins des usagers.

Il appartient en effet à l’État, dans le cadre de ses missions de service public, de fixer les tarifs en
fonction des capacités financières des populations, en compensant par des subventions appropriées
les différences entre les coûts de production et les sommes demandées aux usagers, afin de garantir
l’équilibre des comptes, indispensable à la qualité et à la permanence des soins.

Indépendamment de ces subventions, la réalisation du service public de santé peut conduire l’État
à décider l’exemption tarifaire de certaines personnes. Il lui appartient alors de mettre en place un
mécanisme de tiers payant, comme l’a fait la France dans le cadre de la couverture médicale
universelle (CMU).

En décidant l’exemption de toute tarification des soins aux groupes vulnérables que sont les
enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes, le gouvernement du Niger a permis de doubler en
quelques mois leur recours aux formations sanitaires publiques. La création envisagée d’un « Fonds
de paiement du service public » lui permettra de garantir le règlement effectif des tarifs
correspondant aux structures sanitaires ayant produit les soins, en bénéficiant des appuis de la
communauté internationale notamment à travers les mécanismes d’aide budgétaire ciblée. Lorsqu’il
aura atteint sa pleine opérationnalité, un tel Fonds pourra être élargi au paiement aux structures
sanitaires des tarifs liés à la prise en charge d’affections comme le sida, la tuberculose ou la
drépanocytose. Il permettra enfin à l’État de payer la réalisation d’autres services dont il est
comptable, comme les vaccinations ou les visites scolaires [Vinard et al., 2007].

Un tel mécanisme doit se faire dans le cadre de contrats de service public garantissant la
disponibilité de l’offre dans le respect des coûts de production et des exigences de l’accès aux soins.
Une telle évolution dans la réalisation du service public de santé conduira l’État à entrer dans une
logique d’achat de services déjà rendus. Cette approche conduit à retrouver le mécanisme du «
restaurant universitaire » où l’étudiant achète un ticket à 3 euros pour obtenir d’un restaurateur public
ou privé conventionné un repas à 12 euros, la différence de 9 euros étant prise en charge par l’État ou
par une collectivité décentralisée. La signature de tels contrats exigera cependant la création préalable
de structures capables d’évaluer le contexte, la qualité et le coût de production des services rendus.

6.3 - L’adoption de la gestion axée sur les résultats


Ce thème, qui figure au cœur des recommandations des organisations internationales, doit être
considéré comme un des fondements majeurs des politiques de santé des pays d’Afrique
subsaharienne : l’amélioration de l’état de santé d’une population dépend à la fois de l’existence d’un
environnement favorable, de la disponibilité de soins adéquats, qu’ils soient curatifs, préventifs ou
promotionnels, et des possibilités d’accès à ces soins de l’ensemble de la population.

Cette gestion axée sur les résultats (GAR) traduit le passage d’une logique administrative
dominée par les notions de hiérarchie et de règlement à une logique managériale. Elle exige une
maîtrise parfaite des méthodes de planification et la production de documents compréhensibles et
utilisables par tous les acteurs. Mais l’élaboration d’un plan de qualité est un exercice difficile, qui
nécessite de grandes compétences professionnelles et dont la valeur apparaîtra inévitablement lors
des évaluations de ses résultats.

Cet engagement en faveur de la gestion axée sur les résultats conduira à des changements
profonds dans le mode de gouvernance des systèmes de santé.

Le premier de ces changements conduira à réorganiser l’offre publique de soins par la mise
en place de structures sanitaires autonomes. À l’organisation pyramidale classique des services
administratifs soumis aux exigences de la hiérarchie et au respect des textes réglementaires doit
se substituer la mise en réseau d’établissements de soins responsables, disposant de leur pleine
capacité juridique et de leur autonomie de gestion. Après de longues résistances, il n’y a plus
aujourd’hui de pays d’Afrique subsaharienne qui n’ait accepté d’ériger ses hôpitaux nationaux en
établissements publics [Balique, 2004].

Mais cette évolution statutaire ne saura réduire l’importance majeure que devront accorder
l’ensemble des formations sanitaires à l’amélioration de la qualité des soins, qui reste une des
grandes faiblesses de ces établissements, en particulier dans le secteur public [Olivier de Sardan et
Jaffre, 2003].

En ce qui concerne l’offre de soins de premier niveau, l’expérience malienne des centres de
santé communautaires, initiée il y a vingt ans, montre comment passer de structures publiques de
santé à des centres de santé privés sans but lucratif, liés à l’État par une convention de service public
[Balique, 1993, 2001].

Le développement de la médecine de campagne au Mali [Balique, 1993, 2001 ; OMS, 2008], qui
concerne actuellement plus de 110 formations sanitaires de premier niveau, prouve d’abord que la
médicalisation des zones rurales n’est pas une utopie, ensuite que la présence de médecins au niveau
le plus périphérique permet de réaliser un pas considérable dans la dispensation de soins de qualité,
enfin que le statut de droit privé est parfaitement compatible avec la réalisation du service public de
santé.

Le succès des Formations sanitaires urbaines communautaires (Fsucom) de Côte-d’Ivoire et des


médecins privés communautaires de Madagascar [9] , qui ont repris les principes de ces initiatives,
montrent la solidité de ces expériences novatrices, qui sont restées dans l’ombre jusqu’à ce jour.

Le deuxième de ces changements mettra un accent particulier sur la contractualisation et le


paiement de services faits [Balique, 1994]. La logique des « budget-programmes », qui a été
couramment utilisée au cours des décennies passées, a privilégié les paramètres financiers en se
focalisant sur le respect de la comptabilité publique et des taux de décaissement. Son application
est bien souvent la source de problèmes (retards dans l’exécution, faible préoccupation de
performance, non-justification de dépenses, course aux per diem…) qui résultent généralement
des faiblesses des administrations bénéficiaires.

Elle doit être abandonnée au profit de l’achat de services rendus, qui permet de dépasser toutes
ces difficultés grâce à la signature de contrats par lesquels un maître d’ouvrage (l’État) paye à un
maître d’œuvre (une région, un district, une commune, un hôpital...) la réalisation de programmes
issus d’un plan qu’il a lui-même élaboré au terme de négociations entre les deux parties [10] .

Une telle évolution nécessite, outre un changement complet de mentalité dans la réalisation du
service public de santé, le recours à de nouvelles méthodes de travail faisant appel à des simulations
réalisées grâce à un simple tableur de type « Excel » et à une programmation informatique ad hoc.
Des échanges devant un projecteur numérique doivent permettre aux différentes parties de se mettre
d’accord sur les objectifs à atteindre, sur les nouvelles ressources à mobiliser et sur les déficits à
combler.

Cette démarche doit grandement faciliter la signature de contrats de qualité, qui pourront être
signés entre le ministre de la Santé d’une part, les hôpitaux et les districts sanitaires d’autre part
[Perrot et Roodenkeke, 2005]. Chaque district pourra, s’il le juge utile, signer à son tour des contrats
avec ses communes, des associations ou des acteurs privés dans le cadre d’une sous-traitance. Les
hôpitaux pourront, quant à eux, externaliser certaines fonctions ou activités auprès d’autres structures
publiques ou privées. Des regroupements d’opérateurs permettront de rationaliser les interventions
de chacun, afin d’obtenir une meilleure performance.

C’est ainsi qu’un organisme d’aide pourra contractualiser avec un gouvernement son soutien à
la réalisation d’un programme de vaccination, de prise en charge des personnes séropositives ou
d’accouchement en maternité en « achetant » à son ministère de la Santé les résultats qu’il aura
obtenus. Le mécanisme ainsi mis en place conduira le ministère de la Santé à « acheter » lui même ses
résultats à ses propres districts sanitaires à travers la signature de contrats de service public. La
présence d’une structure d’évaluation adéquate sera essentielle pour qu’un tel processus de
contractualisation et d’achat de services puisse être couronné de succès.

Le troisième changement concernera la gestion des ressources humaines qui garantira la


disponibilité et l’engagement des professionnels de santé nécessaires à l’atteinte des objectifs
fixés. Le premier des principes de cette gestion reste la qualité de la planification, sur laquelle
repose la création des postes et le choix de leurs titulaires, l’adéquation des formations
professionnelles aux fonctions et aux tâches qu’auront à assurer les futurs diplômés et l’adoption
des mesures statutaires qui doivent nécessairement être prises pour créer les conditions d’une
répartition adéquate des qualifications sur l’ensemble du territoire (durées limitées des
affectations, plans de carrière, primes d’éloignement, indemnités de logement...). Mais il doit
être complété par l’adoption de mesures d’intéressement aux résultats, qui devront apporter aux
équipes ayant exécuté un contrat le retour financier de leurs efforts respectifs. Dans le secteur de
la santé, cet intéressement ne doit pas être individuel, mais concerner l’ensemble des personnes
qui ont contribué à la réalisation du contrat, du chef de service à l’agent de surface, afin que soit
reconnue et prise en compte l’importance de tous les membres d’une même équipe.

La valorisation du travail de chacun, quelle que soit sa fonction, la reconnaissance de ses efforts
et l’éviction de tout sentiment de frustration, voire d’injustice, sont en effet des éléments clés de
l’engagement des ressources humaines.

Une des conditions essentielles sera cependant la responsabilisation des chefs d’équipe dans la
gestion de leurs collaborateurs, dans le cadre d’une véritable déconcentration ou décentralisation.

Le quatrième changement devra donner à l’évaluation la place qui lui revient au sein du
système de santé.

Pour cela doit être créée dans chaque pays une institution scientifique indépendante, telle qu’une
agence nationale d’évaluation en santé ou un observatoire national de la santé. Elle aura deux
missions :

une mission d’évaluation, qui correspondra à celle de la Haute Autorité de santé en


France [11] . Elle portera sur les établissements de soins (hôpitaux, centres de santé...), de
formation (facultés, écoles des métiers de la santé...) ou de recherche. Elle examinera également
les circonscriptions sanitaires (districts, communes...), les plans (plan national, régional ou local
de développement sanitaire), les programmes de santé publique (programme de vaccination, de
lutte contre le sida, la tuberculose ou le paludisme...) ou des programmes d’action sanitaire
(action d’un organisme d’aide au développement, d’une ONG). Elle concernera la qualité, le
coût et l’impact des soins, la performance des structures sanitaires, des professionnels, des
programmes mis en œuvre, des méthodes ou techniques utilisées... L’évaluation mettra aussi en
évidence les forces à encourager et les faiblesses à corriger, et fera des recommandations au
ministère de la Santé et aux autres acteurs du système de santé. Elle procèdera de plus à des
certifications et permettra l’octroi des accréditations qu’exige la régulation des systèmes de
santé.

une mission d’observation de la santé qui correspondra quant à elle à celle de l’Institut
national de veille sanitaire (INVS) [12] . Elle suivra tout d’abord de manière permanente l’état de
santé de la population (notamment par district sanitaire), afin de mettre à la disposition des
organes de décision et des structures sanitaires les données nécessaires à la régulation du
système de santé. Elle concernera ensuite le suivi de certaines affections cibles (comme les
méningites, le VIH/sida, la malnutrition...) et jouera le rôle de veille sanitaire en donnant l’alerte
lorsque cela s’avérera nécessaire. Elle validera enfin le niveau des indicateurs de santé qui seront
utilisés par la communauté internationale.

Une telle structure dont le caractère scientifique devra être incontestable constituera le troisième
acteur indispensable entre les organes de décision et les structures de santé assurant l’offre de soins.
Institution nationale disposant de la personnalité morale, elle devra faire partie d’un réseau sous-
régional (OOAS). Elle bénéficiera ainsi de la hauteur de vue et des compétences nécessaires à la
réalisation de ses missions, qui pourront être élargies à l’observation des ressources humaines, des
formations professionnelles, des produits pharmaceutiques...

Seule la création de ces agences ou observatoires de la santé permettra d’assurer la régulation


des systèmes de santé qui est indispensable à la conduite de politiques de santé performantes.

6.4 - La mutualisation des risques


La mutualisation des risques constitue le complément indispensable à la réalisation du service
public de santé [Dussault et al., 2006]. Les États n’étant pas en mesure de mobiliser l’ensemble des
ressources publiques nécessaires au financement des soins, les usagers devront apporter leurs
contributions en s’acquittant des tarifs non couverts par une mesure d’exemption légale.

Pour assurer l’accès aux soins des populations, la création de mutuelles de santé est la réponse la
plus appropriée aux spécificités des pays d’Afrique subsaharienne. Plusieurs d’entre eux ont déjà
initié des expériences mutualistes qui montrent leur faisabilité, mais n’ont pas encore pris la place qui
pourrait être la leur. C’est ainsi que dans un pays comme le Niger, la seule mutuelle des agents de
l’État, qui devrait prochainement voir le jour, devrait atteindre un niveau de cotisation de l’ordre de 5
milliards de francs CFA [13] par an, soit l’équivalent d’environ 15 % du budget de fonctionnement du
ministère de la Santé.

Le développement des mutuelles pourra concerner à la fois le secteur formel (agents de l’État,
mutuelles d’entreprises, mutuelles professionnelles, mutuelles des travailleurs à l’étranger…) et le
secteur informel (mutuelles villageoises, mutuelles d’artisans, mutuelles de paysans, d’éleveurs, de
pêcheurs...).

Pour atteindre le volume qui leur permettra de faire face à leurs charges de fonctionnement, ces
mutuelles devront se regrouper en Unions mutualistes, puis en Fédérations.

La création d’organismes spécialisés, comme l’Union technique de la mutualité malienne, est


essentielle pour assurer une gestion commune des prestations et des paiements du maximum de
mutuelles d’un même pays, créer les économies d’échelle bénéfiques aux succès de telles initiatives et
guider la naissance de nouvelles mutuelles.

L’intégration sous-régionale constitue le cadre incontournable de développement de la mutualité


au sud du Sahara. Elle devra poursuivre le rôle majeur qui est déjà celui de l’Union économique et
monétaire ouest-africaine (Uemoa) en uniformisant les textes législatifs et les procédures qui
permettront aux mutuelles de la sous-région de se rejoindre dans un mouvement commun. C’est en
effet dans cette voie que se trouvent notamment les réponses au difficile problème de la couverture
des risques rares et coûteux, comme la chirurgie cardiaque, la neurochirurgie ou les greffes rénales...
qui se pose dans tous les pays.

De plus, le développement des mutuelles sera un atout majeur dans la participation des
populations à l’amélioration de leur état de santé et dans l’apprentissage de la citoyenneté. Enfin,
l’émergence de la mutualité contribuera à la constitution de contre-pouvoirs essentiels aux côtés des
États dans la régulation des systèmes de santé pour répondre aux besoins fondamentaux de l’ensemble
de la population.

Les engagements actuels en faveur de la couverture du risque maladie dans les pays en
développement, auxquels participe la France [14] , doivent accompagner les pays dans leurs choix
respectifs. Quelles que soient leurs références historiques, les systèmes d’assurance maladie et de
protection sociale mis en œuvre dans les différents pays industrialisés offrent aux pays d’Afrique
subsaharienne un panel d’expériences suffisamment large pour leur permettre de concevoir celui qui
leur convient le mieux.
6.5 - Le rôle majeur de la recherche
La recherche doit occuper une place croissante dans le développement des systèmes de santé.

Des résultats de la recherche fondamentale dépendent les solutions attendues pour résoudre
les problèmes prioritaires de l’Afrique subsaharienne : la maîtrise des maladies infectieuses,
parasitaires et même génétiques passe par la conduite en réseau avec les institutions spécialisées
des pays du Nord de travaux de recherche qui nécessitent un engagement humain et financier
considérable. L’absence de retour rapide sur investissement de la plupart de ces programmes –
lorsqu’ils seront opérationnels, les vaccins contre le paludisme auront nécessité près de
cinquante ans d’une recherche coûteuse pour parvenir à leur commercialisation –, impose à la
communauté internationale de ne pas laisser au seul secteur privé ce domaine qui concerne des
biens publics de l’humanité en lui accordant les crédits nécessaires à son aboutissement. La
création ou le renforcement de fonds de recherche publics ou à visée humanitaire par des
organismes inter-étatiques est ainsi nécessaire pour apporter aux instituts publics et privés les
financements qu’exige la conduite des programmes de recherche prioritaires en faveur de la
santé dans les pays en développement.

La recherche opérationnelle doit, quant à elle, occuper la place centrale qui lui revient afin
d’apporter aux États et à leurs partenaires les éclairages qu’exigent leurs engagements.

Si elle doit être réalisée dans chaque pays en pénétrant jusqu’aux localités les plus isolées, il est
impératif qu’elle s’inscrive dans une démarche sous-régionale, voire régionale, afin de créer, une
fois encore, les économies d’échelle nécessaires aux succès.

Le lien avec les universités devra être étroit et la sélection des enseignants chercheurs devra
s’appuyer sur le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (Cames), qui doit
continuer à bénéficier de l’appui constant de la communauté scientifique internationale.

Le Centre de recherche et de formation sur le paludisme de la Faculté de médecine, pharmacie et


odontostomatologie de Bamako est l’exemple à suivre pour que l’Afrique subsaharienne se dote du
potentiel scientifique sur lequel reposera le développement des systèmes de santé au cours des
prochaines décennies.

6.6 - L’apport considérable et prometteur des technologies


modernes
Le recours aux nouvelles technologies est un des atouts majeurs dont disposent les pays
d’Afrique subsaharienne et qu’ils doivent exploiter. Bien que des initiatives multiples aient déjà été
prises dans ce sens, comme la création en 2008 de l’Agence nationale de télésanté et d’informatique
médicale du Mali (Antim), un chemin considérable reste à parcourir dans la décennie à venir.

L’informatisation, qui occupe dès à présent une place considérable dans tous les pays, doit
poursuivre son extension pour couvrir progressivement non seulement tous les hôpitaux et tous
les districts sanitaires, mais aussi tous les centres de santé disposant d’un docteur en médecine.

L’utilisation d’internet devra être généralisée pour assurer la transmission quotidienne des
informations. La mise en réseau intranet des structures centrales et déconcentrées, comme a
prévu de le faire le ministère de la Santé du Niger, permettra une gestion immédiate des données,
non seulement pour la surveillance des maladies épidémiques et le suivi de l’état de santé des
populations, mais aussi pour la bonne gestion des activités et des ressources humaines,
matérielles et financières, dont dépendent les performances des structures sanitaires. Une telle
approche permettra à tout ministre, à tout cadre, à tout responsable de structure sanitaire, à tout
partenaire, à tout scientifique de disposer à tout moment de toutes les informations nécessaires à
ses prises de décision ou à la conduite de ses études ou travaux de recherche.

De plus, cette mise en réseau rendra possible la réalisation de visioconférences qui renforceront
la gouvernance et réduiront les déplacements professionnels et par là même les temps d’absence des
personnels soignants de leur lieu de travail [15] .

La télévision doit compléter les radios nationales, régionales et communautaires pour


devenir un autre outil quotidien d’information, d’éducation et de communication. Elle couvre
actuellement un territoire qui abrite plus des trois-quarts de la population des pays les plus vastes
comme le Mali ou le Niger et doit permettre la présence d’au moins un poste récepteur dans
chaque école, voire dans chaque village, afin d’apporter de façon quotidienne l’information
nécessaire aux changements de comportements et créer l’ouverture d’esprit indispensable pour y
parvenir. Non seulement l’utilisation de cet outil de communication devra s’appuyer sur un
professionnalisme affirmé, notamment en matière de développement humain, mais de plus il
devra s’inscrire dans une dimension pleinement démocratique du droit à l’information [16] .

Les cartes à puce et autres techniques nouvelles comme l’identification des personnes par la
lecture des empreintes digitales numérisées faciliteront grandement les modalités de paiement
des soins et la prise en charge des patients dans le cadre de la couverture maladie.

Enfin, l’utilisation judicieuse des téléphones portables pourra assurer le transfert


d’informations aux structures sanitaires depuis les localités les plus isolées. Des logiciels
assurent dès à présent le recueil et le traitement de ces messages sur un ordinateur, supprimant
ainsi tout délai dans le transfert des données sanitaires [17] . Le recours à des numéros verts
permettra de plus de signaler les urgences par SMS.

6.7 - L’apport essentiel de l’intégration sous-régionale


L’intégration sous-régionale constitue une des dimensions essentielles de l’action sanitaire en
Afrique. C’est ainsi que l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), qui est la structure
spécialisée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) constitue le
cadre dans lequel doivent se fondre tous les grands programmes nationaux, afin de créer l’offre de
service indispensable. Certains chantiers sont déjà en cours de réalisation depuis plusieurs années : il
s’agit notamment de la formation universitaire, de la recherche, de la libre circulation des
professionnels de santé entre les pays membres ou de la lutte contre certaines maladies.

En Afrique de l’Ouest, l’Uemoa doit garder cependant une place essentielle au cours des
décennies à venir par le seul fait de l’histoire. La francophonie et le mode d’organisation
administrative dont ont hérité les huit pays qui la composent constituent un acquis considérable pour
faciliter leur intégration sous-régionale, notamment dans le secteur de la santé.

Si la fusion avec les pays anglophones est incontournable et souhaitable, les exigences du
développement invitent à un pragmatisme que ne doit pas masquer le désir sous-jacent de prouver son
indépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale.

Plusieurs domaines doivent nécessairement être pris en charge dans le cadre d’une approche
sous-régionale :

l’hôpital, qui doit conduire à la création de pôles d’excellence destinés à dispenser les soins
les plus pointus et accueillant les formations les plus spécialisées ;

la pharmacie, afin de mettre en réseau les centrales d’achat des différents pays pour garantir
la qualité des produits et réduire le coût des importations. De plus, l’échelle sous-régionale est la
seule qui permettra le développement d’une production pharmaceutique compétitive face aux
grands pays producteurs de médicaments, vaccins et autres produits, notamment grâce au
développement des biotechnologies ;

le matériel biomédical, dont la gestion exige une rationalisation des choix d’équipement
entre les différents pays pour créer les volumes permettant à la fois une maintenance efficace et
une réduction des prix ;

l’observation de la santé, qui doit permettre aux pays d’Afrique de disposer des
informations requises aux prises de décision et à la recherche, qu’il s’agisse non seulement de la
surveillance épidémiologique ou de la comparaison des performances (impact, productivité,
coûts unitaires...), mais aussi du développement des systèmes de santé qui seront de plus en plus
interdépendants dans les décennies à venir.
7. - Les perspectives
7.1 - La nécessité d’un engagement continu de la
communauté internationale
En lançant les Cadres stratégiques de réduction de la pauvreté [18] et la réalisation des Objectifs du
Millénaire pour le développement [19] , la communauté internationale a initié un changement complet
de paradigme, en polarisant les actions à entreprendre sur les résultats attendus. Il s’agit là d’un
véritable engagement qu’elle doit pleinement assumer en reconnaissant la responsabilité de chaque
État dans la conduite de sa propre politique pour l’atteinte de ses objectifs et en lui apportant les
compléments de ressources financières nécessaires pour qu’il puisse y parvenir.

Bien utilisées, les méthodes de planification et de gestion permettent de déterminer les besoins de
financement devant être comblés pour que les objectifs retenus puissent être atteints, en veillant à
l’optimisation des coûts pour une qualité donnée. De plus, l’introduction de ressources additives dans
les économies des pays que nécessitera une telle démarche contribuera de façon directe au soutien de
leur économie.

Si elles sont conduites à bon escient en contribuant à une redistribution judicieuse des valeurs
ajoutées produites dans le monde pour améliorer de façon durable l’état de santé des populations les
plus pauvres, ces méthodes participeront au retour de la croissance, même si leur place reste
marginale.

Dans une perspective à très long terme, les résultats de cet investissement de la communauté
internationale dans le secteur de la santé contribueront d’abord au développement humain qui
constitue l’objectif premier du développement. Ils contribueront ensuite à la croissance économique
en préservant les capacités de travail de la population active. Ils contribueront enfin au renforcement
du cercle vertueux qui existe entre le développement des pays du Nord et du Sud, l’un s’enrichissant
de l’autre, à condition que soit assuré un pilotage actif des dynamiques qui seront ainsi initiées ou
intensifiées.

7.2 - Une initiative opportune de la communauté


internationale
Consciente de la gravité de la situation sanitaire que subissent encore les trois-quarts de la
population d’Afrique subsaharienne et de la nécessité d’agir avec efficacité dans le contexte actuel, la
démarche propre à l’International Health Partnership ou IHP+ constitue une réponse appropriée.

Cette initiative, prise en 2007 par Gordon Brown afin de favoriser l’atteinte des trois objectifs de
santé des Objectifs du Millénaire pour le développement et d’améliorer l’efficacité de l’aide dans le
secteur de la santé, invite tous les organismes qui interviennent dans un même pays à se regrouper
pour signer avec le gouvernement un « Country compact ». Par ce document, ils s’engagent à
apporter au pays concerné les ressources nécessaires à la réalisation de son plan d’action sanitaire. Ils
déclarent ainsi s’aligner sur les décisions préalablement définies et harmoniser leurs interventions
respectives, afin de renforcer le système de santé national et d’améliorer l’accès aux soins de la
population. Ils garantissent également la prévisibilité de leurs contributions, et se montrent disposés à
faciliter leur coordination et à assurer la responsabilité mutuelle et le suivi des résultats. Les
signataires d’un « country compact » sont notamment invités à verser leurs financements dans un «
Fonds commun », outil essentiel pour permettre au ministère de la Santé d’assurer pleinement ses
responsabilités d’État.

La dynamique induite par l’initiative IHP+ répond parfaitement aux problèmes posés et doit être
activement soutenue par le maximum d’organisations d’aide au développement dans le secteur de la
santé. Cette démarche constitue une réponse à la « soviétisation » de l’aide internationale en
reconnaissant la responsabilité première des États dans la définition de leur politique, tout en leur
apportant les ressources additives nécessaires à sa mise en œuvre.

En avril 2009, trois pays d’Afrique subsaharienne avaient déjà signé un « Country compact » qui
engageait leur gouvernement et leurs partenaires au respect de quatre principes fondamentaux : (i) un
seul plan national de politique santé, (ii) un seul plan de suivi-évaluation de cette politique, (iii) un
seul plan de coordination entre bailleurs, (iv) un seul budget. Onze autres pays en développement se
préparaient alors à faire de même.

7.3 - Le renforcement du contrôle citoyen sur les


organismes d’aide publique au développement
La reconnaissance de la responsabilité des pays d’Afrique subsaharienne dans la définition et la
mise en œuvre de leur politique de santé, qui aurait dû s’imposer depuis toujours, ne doit pas occulter
la nécessité de protéger les droits des citoyens dont les taxes et impôts financent l’aide publique au
développement. Il est important que soient garantis l’avis éclairé de l’État contributeur quant au plan
devant être soutenu et la traçabilité des paiements qui seront réalisés.
En effet, les options qui ont conduit la France à consacrer 40 % de son aide publique au
développement dans le domaine de la santé à des institutions internationales ou multilatérales ne
peuvent être justifiées que si est garantie la pleine responsabilité des experts et des élus français, quant
à l’utilisation des financements publics qui lui sont consacrés. Si la création de fonds internationaux
comme le Fonds mondial et GAVI [20] s’impose dans le contexte actuel, ils ne sont pas exempts de
dérives technocratiques dans l’utilisation de l’aide qui, de fait, échappe au contrôle des représentants
légitimes des contribuables. Il en va de même pour la contribution de la France au 10e Fonds
européen de développement (FED), dont elle assure 20 % du budget.

Si la présence d’experts français auprès des administrations bénéficiaires permet de répondre à


de telles exigences, il est difficilement compréhensible que la France décide de réduire les montants
d’aide bilatérale en faveur du secteur de la santé des pays du Sud, y compris les volumes consacrés au
recrutement d’une assistance technique.

7.4 - Des exigences majeures


Les modalités de financement de l’aide au développement devront être l’objet de changements
complets pour répondre aux exigences d’équité auxquelles doit répondre la communauté
internationale.

Si l’on fixe à 6 % la part du PIB national pouvant être consacrée aux dépenses de santé [21] et si
l’on considère que le niveau minimum des dépenses de santé doit atteindre 50 dollars américains par
habitant et par an pour initier une politique de santé efficace [22] , les 22 pays d’Afrique subsaharienne
qui n’atteignent pas un tel seuil [23] devraient recevoir un total de 10,7 milliards de dollars
supplémentaires par an (soit 26 dollars par personne et par an [24] ). Un tel montant représenterait 0,03
% du PIB des pays d’Europe et des États-Unis réunis.

Quant aux pays disposant de plus de 50 dollars par habitant et par an, ils devront assumer eux-
mêmes leurs propres responsabilités en orientant leurs richesses produites vers l’achat des biens
publics essentiels que sont notamment la santé [Banque mondiale, 1993] et l’éducation (et qui, de plus,
sont facteurs de développement économique).

Devront alors être distingués deux groupes à l’issue d’études effectuées pays par pays :

ceux qui nécessiteront encore un soutien de la communauté internationale à travers des dons
ou des prêts bonifiés dans des conditions favorables, comme savent le faire la Banque mondiale
ou l’Agence française de développement ;
ceux dont les potentialités économiques leur permettent de financer la santé de l’ensemble
de leur population par des choix politiques appropriés, en recourant à des emprunts bancaires
pour assurer le développement de leur système de santé.

Une telle distinction s’impose en Afrique subsaharienne où les disparités entre les dépenses de
santé des différents pays varient entre 8 et 400 dollars par habitant et par an.
8. - Investir dans la santé des plus pauvres
Le jour où l’humanité disposera de vaccins contre le paludisme ou le sida, elle pourra mettre à la
disposition des pays d’Afrique subsaharienne des outils qui, par leurs effets immédiats, pourront
changer de façon considérable l’état de santé de leurs populations, en particulier des catégories les
plus démunies. Mais à l’heure actuelle, la médecine offre à ces pays suffisamment de connaissances
scientifiques, de moyens et de méthodes d’intervention pour concevoir et mettre en œuvre des
politiques de santé efficaces et pérennes.

Les progrès techniques du XXe siècle que sont les produits pharmaceutiques (notamment les
antibiotiques et les vaccins), les équipements biomédicaux, les nouvelles technologies de
l’information et de la communication... et la présence de cadres africains et de structures scientifiques
de haut niveau créent dès à présent les conditions nécessaires au succès de ces politiques.

Une part importante de l’opinion publique des pays du Nord voit dans les actions de santé qui
sauvent de plus en plus de vie en Afrique subsaharienne une hypothèque sur le développement
socioéconomique du monde et l’avenir de leurs enfants.

Or, s’il est vrai que les projections démographiques actuelles conduisent à estimer entre 1,5 et 2
milliards d’habitants la population de l’Afrique d’ici 2050, les connaissances sur la transition
démographique affirment l’existence d’un lien étroit entre la baisse de la natalité et celle de la
mortalité. Cette transition a duré un siècle et demi en Suède ou en Angleterre, mais la Corée du Sud
l’a réalisée en cinquante ans et celle de l’Afrique, qui est encore devant nous, pourrait aller encore
plus vite que ne le laissent penser les données démographiques actuelles.

C’est en effet en supprimant l’épée de Damoclès qui pend au dessus de la tête de leurs enfants que
la plupart des familles d’Afrique subsaharienne commenceront à limiter le nombre de grossesses :
comment imaginer, que dans les villages où meurent chaque jour des enfants qui la veille encore
jouaient avec leurs camarades, les parents cherchent à réduire le nombre de naissances que « Dieu
leur donne et leur reprend » ?

Aux prises de conscience en cours quant à la destruction de l’environnement et à la nécessaire


régulation de l’économie et de la finance mondiales doit s’ajouter l’urgence de réduire la mortalité,
pour des raisons humaines, économiques ou démographiques, sans oublier ses conséquences en
matière d’émigration.

Ainsi, l’investissement pour l’avenir que constitue la bonne utilisation des dépenses de santé dans
les pays d’Afrique subsaharienne doit être reconnu aussi bien par ceux qui voient en l’homme la
finalité du développement que par ceux qui considèrent les pays du Tiers Monde comme une menace
pour le devenir de l’humanité ou simplement de leurs enfants.

En faisant de la lutte contre la pauvreté et de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le


développement [OMS, 2001] ses nouveaux axes stratégiques, la communauté internationale a initié
une nouvelle approche de l’aide au développement, délaissant la prééminence de l’intention pour
s’organiser autour de la recherche de résultats.

La Déclaration de Paris et l’International Health Partnership (« IHP+ ») répondent parfaitement


aux spécificités d’une telle option. Cependant, si la méthode est essentielle, les résultats annoncés ne
seront pas au rendez-vous si les pays ne disposent pas des ressources nécessaires pour y parvenir.
S’ils veulent effectivement remplir leurs engagements, les pays du Nord doivent s’attendre à une
augmentation significative du niveau de leurs financements en privilégiant les pays dont l’activité
économique ne permet pas aux dépenses de santé d’atteindre le seuil de 50 dollars par habitant et par
an.

Mots clés : accès au soin – aide publique au développement (APD) – Afrique – Déclaration de
Paris – développement des systèmes de santé – état de santé – financement de la santé – histoire de la
santé dans les pays en développement (PED) – Niger – Objectifs du Millénaire pour le développement
(OMD) – politiques de santé dans les pays en développement (PED) – recouvrement des coûts –
stratégies internationales – système de santé
Bibliographie
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CNLS/IRD/Alter, 2007, 25 p.
Notes du chapitre
[*] ↑ Docteur en médecine, maître de conférences à la Faculté de médecine de Marseille, conseiller technique au ministère de la
Santé du Mali

[1] ↑ Selon l’Unicef (www.unicef.org, statistiques pays 2008), le taux moyen de mortalité infanto-juvénile en Afrique
subsaharienne varie entre 67 ‰ en Afrique du Sud et 194 ‰ au Mali.

[2] ↑ Données Unicef 2008 www.unicef.org

[3] ↑ Au Niger, l’âge moyen au mariage des jeunes filles est de 15 ans et chaque femme a en moyenne 7,1 enfants au cours de sa
vie.

[4] ↑ www.unicef.org (statistiques pays 2007).

[5] ↑ www.unicef.org (statistiques pays 2008).

[6] ↑ Au Mali, le taux de fréquentation des centres de santé est estimé à 0,33 nouvel épisode maladie par personne et par an
[ministère de la Santé du Mali, 2009].

[7] ↑ D’un coût estimé à 570 millions de dollars américains pour la période 1974-2000 et d’un taux de rendement interne compris
entre 16 et 28 %, le programme de lutte contre l’onchocercose avait déjà libéré de ce fléau en 1993 un territoire d’environ 25 millions
d’hectares [Banque mondiale, 1993].

[8] ↑ Données du Fonds monétaire international en 2008, www.imf.org. À titre de comparaison, on peut préciser que ce chiffre était
alors de 2 600 euros en France.

[9] ↑ Comme pour le Mali, cette action est soutenue par l’ONG marseillaise Santé Sud.

[10] ↑ Bien évidemment, ce changement de mécanisme ne supprimera pas l’obligation de contrôle de la comptabilité, qui s’impose
à toute structure productrice de soins, qu’elle soit publique ou privée, le respect de la transparence et de la sincérité des comptes définis
par la loi restant un principe intangible.

[11] ↑ www.has-sante.fr

[12] ↑ www.invs.sante.fr

[13] ↑ Cette somme représente la cotisation de 42 000 agents de l’État s’acquittant de 10 000 francs CFA (15 euros) par mois,
dont 2 000 versés par l’agent et 8 000 par l’État, son employeur.

[14] ↑ Un chantier, conduit sous présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008, a permis la tenue de la
Conférence internationale sur la couverture du risque maladie dans les pays en développement organisée à Paris en mai 2008.

[15] ↑ En attendant la couverture du pays par les fibres optiques qui nécessitera encore quelques années, le ministère de la Santé
du Niger a prévu d’utiliser des liaisons VSAT pour assurer la mise en réseau des structures centrales et régionales, les districts utilisant
internet (ou pour quelques-uns le transfert d’une clé USB pour réactualiser une fois par semaine leurs données).

[16] ↑ La télévision est en effet un outil à double tranchant, dont le développement exige une grande prudence pour éviter les
dérapages possibles en matière culturelle et politique.

[17] ↑ Un tel logiciel a notamment été mis au point par l’ONG Télécommunication sans frontières.

[18] ↑ Par le FMI et la Banque mondiale en 1999.

[19] ↑ Par l’Organisation des Nations unies en 2000.

[20] ↑ En 2009, la contribution financière de la France au Fonds mondial était de 300 millions d’euros et à GAVI de 100 millions
d’euros.
[21] ↑ 9,7 % pour la France. Le Niger consacre quant à lui que 5,6 % de son PIB aux dépenses de santé.

[22] ↑ Selon l’OMS, le niveau des dépenses per capita permettant d’assurer un niveau minimum de soins était de 34 dollars en
2001, qui correspondrait en 2009 et en monnaie courante à 50 dollars [OMS, 2001].

[23] ↑ Le reste du monde ne compte que 10 autres pays de la même catégorie.

[24] ↑ Pour une dépense de santé estimée à 6 % du PIB selon les données du FMI (World Economic Outlook Database, avril
2007).
2. Enfants et sida en Afrique subsaharienne :
répondre en urgence
Céline Aho-Nienne [*]  [1] 
Céline Aho-Nienne, originaire de la Réunion et diplômée du Master « Affaires
internationales » de Sciences Po en 2008, elle a travaillé à l’ambassade de France au
Bangladesh, au conseil régional de la Réunion dans le domaine du genre, et est
actuellement officier de protection à l’Office français de protection des réfugiés et des
apatrides à l’antenne de Basse-Terre en Guadeloupe.

En Afrique, l’épidémie de sida atteint les femmes de manière prédominante. 75


% des jeunes séropositifs entre 15 et 24 ans sont des filles. La couverture des
programmes de prévention de la transmission mère-enfant du VIH est encore faible,
souvent 10 % seulement du nombre estimé de femmes enceintes séropositives, et
moins de 50 % des femmes testées ont accès aux médicaments antirétroviraux lors
de la grossesse et de l’accouchement. 91 % des nouvelles infections à VIH chez les
enfants se produisent en Afrique subsaharienne [Onusida, 2009], ce qui représente
près de 390 000 enfants nouvellement infectés en 2008. 35 % seulement des 640 000
enfants séropositifs éligibles ont accès au traitement antirétroviral (ARV). Face à
cette situation alarmante, trois urgences ont été relevées : celle de la prise de
conscience de la réalité africaine du sida pédiatrique, celle de la prise en charge
des enfants affectés par le VIH/sida (orphelins de père et/ou de mère) et celle de la
mise en place de traitements médicaux adaptés.

Avec un chiffre de 390 000 enfants nouvellement infectés par le VIH en Afrique subsaharienne,
contre moins de 500 nouvelles infections chez les enfants vivant en Amérique du Nord et en Europe
occidentale et centrale en 2008 [Onusida, 2009], le sida pédiatrique est une « maladie infantile du Sud
» [Blanche, 2006]. Cette réalité est d’autant plus alarmante qu’aujourd’hui avec les traitements péri-
partum et post-partum [2] dont on dispose, la contamination pédiatrique peut être largement maîtrisée
[Njom Nlend, 2007 ; OMS, 2010]. Or, sans aucun traitement et face à la rapidité de la maladie chez les
enfants, la moitié d’entre eux meurent avant l’âge de deux ans.

La problématique du VIH pédiatrique en Afrique subsaharienne constitue donc un défi immense


mais réalisable, d’autant plus que l’épidémie est entrée dans une phase de transition, confirmant
l’importance d’une vigilance constante en ce qui concerne les modes de transmission [Nations unies,
2010]. Ainsi, il nous apparaît primordial, à cinq ans de la date butoir des Objectifs du Millénaire du
développement, d’axer la lutte contre le sida pédiatrique autour de trois urgences : celle de la prise de
conscience de la réalité africaine du sida pédiatrique, celle de la prise en charge des enfants affectés
par le VIH/sida et celle de la mise en place de traitements médicaux adaptés.
1. - Première urgence : prendre conscience de la
réalité africaine du sida pédiatrique
Souffrant d’un déni tant au niveau des organismes internationaux que dans les milieux médicaux
nationaux, le sida pédiatrique a longtemps été une « épidémie invisible » [Desclaux, 2000]. Il faut
attendre la parution du rapport des Nations unies sur les orphelins et enfants vulnérables en 2004 pour
que la problématique du VIH pédiatrique émerge sur la scène internationale [Langlet, 2006], et il
faudra encore beaucoup de patience avant que celle-ci soit effective dans les milieux médicaux
nationaux. Aussi, il nous apparaît urgent de prendre conscience de la réalité africaine du sida
pédiatrique, et ce sans se voiler la face.

1.1 - Le déni du sida pédiatrique par les organismes


internationaux…
Pour les organisations internationales dites de référence, tels que l’OMS et l’Unicef, la lutte
contre le VIH n’a pas été considérée comme une priorité pour l’Afrique. Le professeur Gentilini
affirme à ce sujet qu’« il y a eu un long déni de la part des organisations internationales […]. Les
diarrhées, les drames respiratoires, la rougeole et ses complications, la méningite ou le paludisme
constituaient, à leurs yeux, les seuls vrais problèmes du continent […] » [Gentilini, 2006]. Ce déni
déjà effectif du VIH/sida en Afrique a été prolongé dans la lutte du VIH chez les femmes et les
enfants. En effet, craignant de mettre en danger la promotion de l’allaitement maternel, les
organismes des Nations unies ont passé sous silence, et ce jusqu’en 1998, le risque de transmission du
virus par l’allaitement [Desclaux, 2006], malgré des taux de prévalence du VIH chez les femmes
enceintes déjà élevés dans plusieurs pays d’Afrique. Encore aujourd’hui, la question de l’allaitement
reste problématique. Ainsi, dans son rapport annuel de 2009, l’Unicef déplore que « dans de
nombreux pays, les mères ne reçoivent pas de conseils et de soutien à l’alimentation du nourrisson
dans le cadre des programmes de Prévention de la transmission mère-enfant du VIH » [Unicef, 2009].

Par ailleurs, depuis 1997, la question du début du traitement antirétroviral (ARV) chez les enfants
a fait l’objet d’un consensus tardif de la part des organismes internationaux [Gibb, 2000]. Par la suite,
des études ont permis de montrer qu’un traitement antirétroviral précoce permettait une réduction de
la mortalité de 75 %, une réduction des gastroentérites mortelles et un meilleur développement de
l’enfant [Vuaille, 2008]. Or, gérée sur un mode de plaidoyer par les grandes agences internationales,
la crise pédiatrique n’a pas bénéficié de réel plan d’action concernant les soins médicaux [3] .
1.2 - … et dans les milieux médicaux nationaux
Le VIH pédiatrique a été également considéré comme une « épidémie invisible », car en ne
traitant que les maladies opportunistes liées au VIH, les milieux médicaux nationaux ont maintenu la
fiction d’une médecine hospitalière curative efficace. Par ailleurs, face au manque de formation, à la
difficulté du diagnostic chez le nourrisson et à l’insuffisance de traitements pédiatriques accessibles,
le personnel de santé a développé des mécanismes de déni afin d’éviter des sentiments d’impuissance
et de découragement [Desclaux, 2000].

Interrogé sur ce point, le docteur Bintou Dia, pharmacien à la Division de lutte contre le sida et
les infections sexuellement transmissibles à Dakar au Sénégal, affirme : « Ma courte expérience de
quatre ans comme pharmacien ayant servi dans un centre hospitalier universitaire prenant en charge
les enfants séropositifs […] reste jusqu’à présent les moments les plus douloureux de ma vie, avec un
sentiment d’impuissance ou d’incapacité malgré tous les progrès réalisés dans le cadre du VIH. Si
l’enfant vient accompagné de sa maman, l’amour qu’on lit dans les yeux de celle-ci est grand et
énorme. C’est un regard qui demande à la science sa survie et celle de son enfant, malgré le doute et
le désespoir qui plane sur elle […]. Rien qu’à regarder ces enfants la tristesse vous envahit […]. » [4] 
2. - Deuxième urgence : prendre en charge les
enfants affectés par le VIH/sida
Dans un contexte où les mécanismes traditionnels de solidarités sont remis en cause, la deuxième
urgence est la prise en charge des enfants affectés par le VIH qui, privés de structure adéquate,
encourent un plus grand risque de vulnérabilité. Actuellement, les solutions s’improvisent entre le
placement familial et le placement en institution.

2.1 - Des mécanismes de solidarités traditionnels enrayés


Que ce soit au niveau de la famille nucléaire, de la famille élargie ou des groupes sociaux, on
assiste à un enrayement des mécanismes de solidarité traditionnels, qui n’arrivent plus à absorber les
14,1 millions d’enfants ayant perdu au moins un de leurs parents à cause du sida [Onusida, 2009]. La
psychologue clinicienne, Hortense Aka Dago-Akribi, parle d’un phénomène de nucléarisation de la
famille autour de la mère, pour décrire un ménage où celle-ci se retrouve seule, soit parce que son
compagnon la rejette (notamment en cas de sérodiscordance [5] au sein du couple), soit parce que
celui-ci a disparu (décédé ou perdu de vue). Ce phénomène a été accentué par une pratique de plus en
plus rare du lévirat, c’est-à-dire le remariage de la veuve avec son beau-frère. L’abandon progressif
de cette coutume, qui s’explique en partie par la peur de la contagion de la maladie, est responsable de
la perte d’un solide soutien financier pour la famille du disparu [Darmon, 2006].

Dans le cas des orphelins de père et de mère, l’accueil traditionnel par la famille élargie est
remise en cause par le nombre grandissant d’adultes séropositifs, par la stigmatisation du VIH, par la
pression socio-économique ou encore par l’urbanisation. Toutefois, lorsque cette prise en charge est
effective, plus de la moitié des orphelins sont confiés à leurs grands-parents. Or, ces derniers déjà
âgés et/ou veufs ne peuvent assurer pleinement la survie économique des enfants. Une étude effectuée
par les Nations unies montre, qu’à moyen terme, les ménages ayant accueilli des enfants affectés par
le VIH ont un revenu inférieur de 31 % à celui des autres ménages [ONU, 2004].

À l’enrayement de la solidarité familiale s’ajoute celui des groupes sociaux. Ainsi au Sénégal,
les personnes séropositives et/ou parents d’un enfant séropositif disposent d’un cercle d’amis plus
restreint que les personnes ne vivant pas avec le virus [Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2004].
Cette remise en cause des groupes de solidarité traditionnels est causée par la stigmatisation de la
maladie et par sa longue durée, qui tend à éroder les liens sociaux.

Ces trois situations constituent donc un véritable « rétrécissement des mailles de la solidarité »
situé à « l’opposé de l’héritage culturel d’assistance et de partage des sociétés africaines » [Mboussou
et al., 2003].

2.2 - Privés de structure adéquate, des enfants affectés par


le VIH plus vulnérables
L’Onusida désigne sous le terme d’« enfants vulnérables » les enfants dont la survie, le bien-être
ou le développement sont compromis par le VIH/sida. Ainsi, vulnérables sur le plan médical et
sanitaire, ces enfants sont également sujets à une vulnérabilité socio-économique et à une
vulnérabilité psychologique [Dekens, 2006]. Des études effectuées par l’Organisation internationale
du travail ont établi que les enfants affectés par le VIH/sida travaillaient beaucoup plus souvent que
les non-orphelins en tant que domestiques, professionnels du sexe et vendeurs ambulants.

À ce sujet, il faut noter que les petites filles sont plus exposées que les garçons à ces risques, en
raison de la discrimination qu’elles subissent. Pour le docteur Dominique Kerouedan, la prise de
conscience de cette réalité est indispensable : « Nous devons regarder droit dans les yeux l’expansion
de la prostitution des enfants, des filles qui ont entre dix et quinze ans, et la banalisation des violences
sexuelles. Parlons de viols, cessons d’utiliser les euphémismes […] Les petites et jeunes filles
prostituées et violées n’ont aucun recours ni aucun suivi médical, psychologique, social. Pour la
plupart, livrées à elles-mêmes dans les rues, droguées de force, orphelines de guerre ou de sida, et
contaminées à leur tour, elles sont aussi enceintes, bien sûr… ». [6] 

La détresse psychosociale des enfants constitue également une problématique majeure. La faillite
familiale, la maladie ou les décès consécutifs des parents et des proches constituent des sources
importantes d’angoisse, pouvant entraîner des perturbations psychoaffectives telles qu’un manque de
confiance et un repli sur soi-même.

2.3 - Que faire ? Quelques pistes dans la prise en charge


des enfants
La première solution consiste en une prise en charge par la famille élargie, sans séparation de la
fratrie. Cette méthode permet de conserver un sentiment d’appartenance à la famille et de pouvoir
continuer à résider dans la communauté d’origine. Par ailleurs, selon une étude menée dans dix pays
d’Afrique subsaharienne, il a été prouvé que le lien familial entre un enfant et l’adulte qui l’accueille
est déterminant dans la scolarisation. Plus le lien entre l’adulte et l’enfant est proche, plus celui-ci a
des chances d’aller à l’école. A contrario, les enfants n’ayant aucun lien de parenté avec le chef de
ménage connaissent plus de difficultés de scolarisation [Case, Paxson et Ableidinger, 2002]. L’Unicef
recommande donc la mise en place de soutiens suffisants aux proches qui pourraient offrir une prise
en charge à assise familiale des enfants [Unicef, 2008]. De plus en plus de pays, tels que le Zimbabwe,
le Malawi et le Kenya, ont instauré des subventions monétaires, assorties ou non de conditions, aux
familles accueillant ces enfants. Toutefois, pour les motifs évoqués précédemment, de nombreuses
familles ne peuvent ou ne veulent pas recourir à ce type de solution.

On remarque également que, dans la prise en charge des enfants affectés, l’aîné de la fratrie se
substitue au chef de famille. Si cette solution permet aux enfants de ne pas être séparés, toutefois le
manque d’expérience et de revenus suffisants constituent de réels risques. L’Unicef insiste donc sur la
nécessité d’apporter un soutien à ces foyers, sans considérer cette pratique comme une option de
prise en charge.

La troisième piste de prise en charge réside dans le placement en institution, notamment dans les
pays où la prévalence du VIH est élevée. Cependant, de nombreuses inquiétudes se sont élevées quant
aux conditions de vie des enfants dans ces institutions, et il convient de formuler des réserves
concernant cette solution. Il est, d’autre part, important de noter que la création d’institutions
spécialisées, encouragée le plus souvent par les donateurs extérieurs, perpétue l’exclusion des enfants
séropositifs de leurs pairs locaux. L’Unicef note que ce recours « est rarement la mesure la plus
souhaitable et qu’elle devrait être utilisée […] pour combler une lacune temporaire, pendant que l’on
s’efforce d’assurer la réunification familiale ou le placement dans une famille d’accueil » [Unicef,
2008].
3. - Troisième urgence : la mise en place de
traitements médicaux adaptés
3.1 - Des soins et une recherche médicale insuffisants pour
les enfants…
S’il est à noter que des progrès considérables ont été effectués dans l’accès aux traitements
antirétroviraux en Afrique subsaharienne, en revanche l’accès aux thérapies pour les enfants reste
encore particulièrement difficile, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale. Dans ces régions, on
estime que 32 % des adultes ayant besoin d’un traitement en reçoivent un, tandis que seuls 15 % des
enfants malades sont soignés [Mngadi et al., 2009]. On constate également que l’accès aux traitements
des enfants vivant dans les zones rurales est plus faible que ceux vivant dans les villes [Unicef, 2009].
Par ailleurs, la méconnaissance de la disponibilité des services de prévention dans les consultations
prénatales constitue souvent une entrave à la prise d’un traitement. En Tanzanie, selon la Tanzania
Commission for Aids (2008), seuls 53 % des femmes et 44 % des hommes indiquaient être informés
de la disponibilité de médicaments et autres services permettant de réduire les risques de la
transmission du VIH de la mère à l’enfant.

Face au problème de la disponibilité des médicaments, se pose la question des traitements


antirétroviraux (ARV) adaptés aux enfants. Pour Karen Day, pharmacienne à la Campagne d’accès aux
médicaments essentiels de Médecins sans frontières, « parce qu’il y a peu d’enfants qui naissent
séropositifs dans les pays développés, la mise au point de nouvelles formulations pédiatriques n’est
pas une priorité pour les laboratoires pharmaceutiques ». Elle ajoute que « la plupart des
médicaments actuellement disponibles sont inadaptés aux pays en développement : ils existent soit
sous forme de poudre à mélanger avec de l’eau, soit sous forme de sirops qui doivent être réfrigérés,
et au goût amer. Quant aux nouveaux médicaments, nous ne disposons d’aucune donnée concernant
leur innocuité pour un usage pédiatrique » [MSF, 2008].

Le docteur Bintou Dia soulève également la question de la lourdeur des traitements, sachant que
la quantité de sirop nécessaire pour couvrir un traitement d’un mois peut aller jusqu’à dix flacons,
s’il y a des combinaisons fixes comme dans beaucoup de pays en développement. Ainsi, les formes
galéniques peu adaptées, la non-information de l’entourage, qui a pour conséquence la difficulté de
l’administration des médicaments devant une tierce personne ou la non-administration en cas
d’indisponibilité de la personne en charge de l’enfant, et la lassitude de la prise des médicaments chez
des enfants qui se portent beaucoup mieux, sont autant d’obstacles à l’observance des enfants, c’est-à-
dire à leur capacité à prendre un traitement selon la prescription donnée. Enfin, si les prix des
traitements de première intention ont considérablement chuté, le coût du traitement de seconde ligne
est toujours nettement plus élevé que ceux destinés aux adultes, ce que l’organisation Unitaid [7] a pour
mission de changer.

Pour le docteur Bintou Dia, « ces facteurs et beaucoup d’autres expliquent que souvent ces
enfants infectés sont laissés en rade sans prise en charge médicale et beaucoup de parents infectés
refusent de faire le dépistage de ces enfants compte tenu de tous les obstacles gravitant autour de
l’enfant, préférant abandonner leurs enfants à la mort certaine. C’est pourquoi dans beaucoup de pays
africains, bien qu’il y ait beaucoup d’enfants infectés, peu d’entre eux sont pris en charge [8] . »

3.2 - ... et leurs mères


Le docteur Dominique Kerouedan tient également à nous alerter sur l’insuffisance des politiques
des institutions internationales en charge des stratégies et des financements de Prévention de la
transmission mère-enfant du VIH (PTME). Ainsi, elle affirme que « le chiffre de couverture des
programmes PTME qui nous intéresse n’est pas celui, largement communiqué, de 45 % des femmes
testées dépistées séropositives bénéficiant des services de PTME. La réalité est qu’en 2010, plus de
vingt-cinq ans après le début de la pandémie, dans nombre de pays d’Afrique francophone, 10 %
seulement du nombre estimé de femmes enceintes séropositives reçoivent la prévention et les
traitements nécessaires ; c’est-à-dire que 90 % des femmes enceintes séropositives à l’échelle
nationale ne reçoivent rien, et cela dans des pays où les femmes ont des taux de prévalence VIH plus
élevés que ceux des hommes, sur un continent où se produisent 70 % des nouvelles infections VIH du
monde, et où 75 % des jeunes séropositifs de 15 à 24 ans sont des filles ! » Elle poursuit ses propos en
insistant sur le fait que « les femmes qui nous intéressent sont aussi celles qui ne viennent pas dans les
centres de santé, celles qui ne viennent pas en consultation prénatale, ni accoucher dans les
maternités ; au Niger dans certains endroits, ce sont 8 % des accouchements qui sont assistés par du
personnel qualifié. Depuis vingt ans, les institutions internationales parlent d’intégrer santé maternelle
et VIH, qu’est-ce qu’on attend pour le faire massivement ? Comment peut-on manifester si peu
d’intérêt politique envers un problème de santé publique aussi grave [9] » ?

Le sida de l’enfant ou le retentissement sur l’enfant du sida des parents a trop longtemps été une
question négligée. Aussi, l’objectif d’éradiquer la transmission mère-enfant du VIH avant 2015,
comme l’affirment l’Onusida, le Fonds mondial et la campagne « Born HIV free » [10] passe par la
prise de conscience de ces trois urgences et surtout par l’apport de réponses concrètes financées au
niveau national et par l’aide internationale. Sans l’intensification d’efforts supplémentaires, l’effet de
ricochet de l’épidémie compromettra les avancées déjà acquises. De la pertinence des stratégies de
prévention de la transmission du VIH vont dépendre les succès de la prise en charge médicale et
sociale du sida pédiatrique et familial. Le chantier est immense, et concernant les enfants il n’est pas
commencé, ni sur le plan médical ni sur le plan social.
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2003.
Notes du chapitre
[*] ↑ Officier de protection à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides à Basse-Terre (Guadeloupe)

[1] ↑ L’auteur remercie le professeur François Dabis et le docteur Philippe Msellati pour leurs conseils.

[2] ↑ La prévention de la transmission maternelle réduit le risque de la transmission du virus VIH de 25 % à 6 % voire 2,5 % dans
le cas de la trithérapie.

[3] ↑ Entretien avec le professeur François Dabis, le 21 mai 2008.

[4] ↑ Bintou Dia, « La douleur de l’enfant, le sida pédiatrique », témoignage sur E-MED, forum francophone sur les médicaments
essentiels, www.essentialdrugs.org, juillet 2010.

[5] ↑ Sérologie VIH positive chez l’un et négative chez l’autre.

[6] ↑ Dominique Kerouedan soutient le témoignage de Bintou Dia, « La douleur de l’enfant, le sida pédiatrique », témoignage sur
E-MED, forum francophone sur les médicaments essentiels, www.essentialdrugs.org, juillet 2010.

[7] ↑ www.unitaid.eu

[8] ↑ Bintou Dia, « La douleur de l’enfant, le sida pédiatrique », op. cit.

[9] ↑ Réseau Remed, www.remed.org, consulté le 12 juillet 2010.

[10] ↑ www.bornhivfree.org/f/#/fr/home
3. La tuberculose dans le monde aujourd’hui :
enjeux, recherche et perspectives
Christian Lienhardt [*] 
Christian Lienhardt est médecin épidémiologiste, spécialiste de maladies tropicales
et infectieuses. Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement
(IRD), il est depuis janvier 2009 conseiller scientifique senior au Département de lutte
contre la tuberculose de l’OMS et au Partenariat « Halte à la tuberculose ». Il a passé de
nombreuses années en Afrique où il a mené de multiples projets de recherche de 1998 à
2008, en particulier des études observationnelles sur les facteurs de la transmission de la
tuberculose et des essais cliniques multicentriques de nouveaux traitements de la
tuberculose.

La tuberculose est une des principales causes de mortalité par maladie


infectieuse curable dans le monde aujourd’hui, qui frappe principalement les pays à
faible et moyen revenus. Selon l’OMS, on comptait environ 9,4 millions de nouveaux
cas et 1,8 million de décès par la tuberculose dans le monde en 2008. La
tuberculose a été déclarée « urgence mondiale » par l’OMS en 1993 et la lutte
contre cette maladie a été incluse dans les Objectifs du Millénaire pour le
développement. Cette lutte repose sur trois outils principaux : le diagnostic précoce
de la maladie, la mise en route rapide du traitement, et la prévention de la maladie
dans la population générale par un vaccin efficace. Les outils actuels ne
parviennent cependant pas à lutter contre cette maladie de manière efficace, et la
recherche et le développement de nouveaux outils sont insuffisants et
insuffisamment financés. Nous analysons ici les raisons de ce faible développement
et proposons quelques pistes pour l’amélioration et le financement de la recherche
et du développement pour de nouveaux outils de lutte contre la tuberculose.

La tuberculose (TB) est une des principales causes de mortalité par maladie infectieuse curable
dans le monde aujourd’hui, qui frappe principalement les pays à faible et moyen revenus, en
particulier en Afrique subsaharienne. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il y avait
environ 9,4 millions de nouveaux cas de tuberculose dans le monde en 2008, dont moins de la moitié
ont été notifiés aux autorités de santé publique. Environ 4 millions étaient des cas de tuberculose
pulmonaire, la forme la plus infectieuse de la maladie [WHO, 2009].
Provoquant des ravages en Europe occidentale peu avant l’ère de l’industrialisation, la
tuberculose a commencé à y décliner à partir du milieu du XIX e siècle en raison principalement de
l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène des populations. Le développement d’un traitement
antibactérien efficace dans les années 1950-1960 a accéléré ce déclin dans les pays développés. Ce
déclin s’est malheureusement accompagné d’un recul de l’intérêt porté par les pays riches à la lutte
antituberculeuse, ce qui a entraîné une diminution des financements publics pour le développement de
nouveaux outils de contrôle. De plus, en raison d’un marché considéré comme trop limité pour
pouvoir dégager des marges de profit substantielles, cette maladie présentait un attrait mineur pour
les investissements de l’industrie pharmaceutique.

L’incidence de cette maladie n’a cependant pas décliné dans le monde, et a même augmenté dans
certains pays depuis le milieu des années 1980, en relation avec l’émergence et l’extension de la
pandémie de l’infection par le VIH. Ainsi, la tuberculose demeure aujourd’hui une maladie négligée,
frappant principalement les populations des pays à faibles ressources, où elle a un impact négatif à la
fois sur les familles, l’éducation, la productivité et, de manière plus large, sur nombre de
déterminants sociaux [Harper, 2007]. La possibilité d’éliminer cette maladie d’ici 2050, telle que fixée
dans les Objectifs du Partenariat « Halte à la tuberculose » [1] [Stop TB Partnership et WHO, 2006],
dépend de la mise en place des moyens aujourd’hui disponibles, mais doit également s’accompagner
d’un sursaut drastique dans le domaine de la recherche scientifique, afin de revitaliser et moderniser
les outils de la lutte antituberculeuse [Garwood, 2007], ainsi qu’en matière de politiques de santé, afin
de garantir un accès aux meilleurs soins possibles à tous les patients. Des éléments de ce sursaut sont
déjà en place mais exigent un effort accru et une attention soutenue pour obtenir des résultats concrets
permettant d’espérer une lutte efficace contre cette maladie en vue de son élimination d’ici à 2050.
1. - Situation épidémiologique générale
La tuberculose est une maladie infectieuse qui se transmet d’un patient contagieux à un sujet sain
qui va lui-même devenir infecté. La particularité de la tuberculose est que tous les individus infectés
ne vont pas forcément développer la maladie, et que celle-ci peut se développer dans un temps très
variable, de quelques mois à de nombreuses années [Styblo, 1991]. On estime qu’un tiers de la
population mondiale est infecté par le mycobacterium tuberculosis (ou bacille de Koch), le germe
responsable de la tuberculose et que 10 % environ des porteurs d’une infection latente développeront
une tuberculose active au cours de leur vie.

Dans les pays en développement, la tuberculose est une des causes majeures de mortalité,
frappant principalement les individus âgés de 15 à 54 ans, ce qui constitue un coût estimé de 12
milliards de dollars par an en raison d’une réduction du PIB estimée à 4-7 % [Harper, 2007]. De plus,
la tuberculose est devenue l’infection opportuniste la plus fréquente et la cause principale de mortalité
parmi les patients porteurs du sida [Corbett, 2003]. Environ 9 % des nouveaux cas de tuberculose dans
le monde peuvent être attribués au VIH, mais ce taux s’élève à 31 % en Afrique subsaharienne, où
presque 40 % des décès de tuberculose sont attribuables au VIH/sida. Pour ces raisons, la tuberculose
contribue de manière significative aux niveaux élevés de morbidité et de mortalité, perpétuant la
pauvreté et limitant le développement humain, qui s’ajoute au lourd fardeau imposé par la pandémie
de VIH. On estime ainsi que plus de 80 % du fardeau de la tuberculose, mesuré en termes « d’années
de vie ajustées sur l’incapacité », sont dus à une mort prématurée plutôt qu’à la maladie [Dye, 2006].

L’incidence de la tuberculose dans le monde est très variable. Là où la transmission du


mycobacterium tuberculosis a été stable ou en augmentation pendant plusieurs années, comme dans la
plupart des pays à faible revenu, le taux d’incidence est le plus élevé parmi les jeunes adultes, et la
plupart des cas sont dus à une infection récente ou à une réinfection. Quand la transmission baisse, le
taux d’incidence le plus élevé bascule vers les adultes plus âgés, et une proportion plus élevée de cas
est attribuable à la réactivation d’une infection latente souvent ancienne. Ainsi, les taux d’incidence
sont les plus bas en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, où les patients autochtones atteints de
la tuberculose tendent à être âgés, alors que les immigrés en provenance de pays à forte prévalence
qui vont développer la maladie sont plutôt de jeunes adultes.

En Afrique subsaharienne le taux d’incidence estimé est le plus élevé (356 cas pour 100 000
habitants par an), mais la majorité des patients atteints de la tuberculose vit dans les pays les plus
peuplés d’Asie. Ainsi, le Bangladesh, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan représentent la moitié
(48 %) des nouveaux cas qui apparaissent chaque année dans le monde. Environ 80 % des cas
nouvellement diagnostiqués chaque année vivent dans les 22 pays les plus peuplés de la planète.
Bien que le taux estimé d’incidence de la tuberculose par personne semble décroître lentement
dans l’ensemble du monde après un pic en 2004, le nombre absolu de nouveaux cas continue
d’augmenter, en raison de l’accroissement démographique mondial. Les taux de notification de
nouveaux cas ont été stables ou en baisse pendant au moins deux décennies dans les régions du Sud-
Est asiatique, du Pacifique occidental, dans les pays de l’OCDE, ainsi qu’en Amérique latine et en
Méditerranée orientale, mais ils continuent d’augmenter en Afrique subsaharienne, principalement à
cause de l’épidémie du VIH/sida [Dye, 2006 ; WHO, 2009].

Carte 1 : Distribution de la tuberculose dans le monde

Les deux facteurs de gravité principaux qui concourent de manière significative à la mortalité et
à la morbidité de la tuberculose et constituent deux défis majeurs sur le plan de la santé publique sont
la co-infection par le VIH et la tuberculose à germes multirésistants.

1.1 - Co-infection avec le VIH


En 2007, plus de 70 % des personnes infectées par le VIH dans le monde vivaient en Afrique
subsaharienne, qui comptait 75 % des 2,1 millions de décès attribuables au VIH [Onusida, 2008].
Alors que les taux d’infection par le VIH chez les patients tuberculeux sont jusqu’ici restés en-dessous
de 1 % au Bangladesh, en Chine, en Indonésie et au Pakistan, des taux avoisinant les 50 % ont été
rapportés dans les populations africaines avec souvent une infection simultanée par le VIH, tels qu’au
Botswana, en Afrique du Sud, en Zambie et au Zimbabwe, et une proportion relativement élevée de
patients tuberculeux parmi les femmes âgées de 15 à 24 ans [Dye, 2006].
Le nombre croissant de patients tuberculeux co-infectés par le VIH est un défi important pour la
prévention et le traitement de ces deux maladies [Harries, Chimzizi et Zachariah, 2006]. La mise en
place précoce du traitement antirétroviral permet de réduire la mortalité élevée liée à cette co-
infection, mais la combinaison du traitement antituberculeux et de la thérapie antirétrovirale est
cependant difficile, en raison des interactions entre certaines molécules, des toxicités cumulées, du
grand nombre de médicaments à avaler et des réactions paradoxales, telles que le Syndrome
inflammatoire de reconstitution immunitaire (Immune Reconstitution Inflammatory Syndrome, IRIS).
De plus, il est possible de prévenir le développement de la tuberculose chez le patient infecté par le
VIH par une chimioprophylaxie par isoniazide donné pendant 6 à 9 mois, mais la difficulté de
diagnostiquer l’infection tuberculeuse et surtout d’éliminer une tuberculose active de façon fiable
sont des obstacles à la mise en place large de cette mesure, surtout en Afrique subsaharienne. Le
développement de nouvelles stratégies pour surmonter ces difficultés est une priorité de la recherche
clinique pour les pays avec des incidences élevées de tuberculose et de VIH [Corbett et al., 2006].

Graphique 1 : Évolution de l’incidence estimée de la tuberculose par habitant dans le monde


depuis 1990
1.2 - La tuberculose « multirésistante »
Définie comme résistante aux deux molécules les plus puissantes du traitement de première
ligne, la rifampicine et l’isoniazide, la tuberculose multirésistante (MDR-TB) est un problème
croissant pour le contrôle de la tuberculose dans le monde [Zignol et al., 2006]. La résistance aux
médicaments antituberculeux est la conséquence d’un traitement mal conduit (prise irrégulière des
médicaments ou doses insuffisantes, interruption prématurée du traitement) en général liée à des
problèmes d’insuffisance du système de santé, d’accès aux soins, ou d’observance incomplète du
traitement par le patient. Près de 500 000 nouveaux cas de tuberculose multirésistante ont été
rapportés en 2007, 85 % de ces cas étant rapportés dans 27 pays (dont 15 en Europe). Les plus grands
nombres de cas sont rapportés en Inde (131 000), en Chine (112 000), dans la Fédération russe (43
000), en Afrique du Sud (16 000) et au Bangladesh (15 000) [WHO, 2009]. En 2008, l’OMS a
enregistré les plus forts taux de tuberculose multirésistante, avec des pics à 22 % de nouveaux cas
dans certaines régions de l’ex-URSS. De plus, la situation se détériore gravement dans quelques pays,
avec l’apparition dans quelques groupes spécifiques d’une forme de tuberculose dite « ultra-résistante
» (« Extensive Drug Resistant Tuberculosis », ou XDR-TB) [24] , quasiment intraitable. De telles
formes ont été rapportées chez les patients infectés par le VIH en Afrique du Sud, avec une mortalité
très élevée (90 %) [Gandhi et al., 2006]. Cette forme a été détectée dans quasiment toutes les régions
du monde, et compte environ pour 25 % des cas de tuberculose multirésistante identifiés actuellement.

Pour toutes ces raisons, la tuberculose a été déclarée « urgence mondiale » par l’OMS en 1993 et
son contrôle a été inclus dans les Objectifs du Millénaire pour le développement [Dye, 2006]. Des
progrès notables ont été faits dans la mise en place de la Stratégie « DOTS » de l’OMS [WHO, 1994],
qui ont permis d’atteindre l’objectif d’un taux de détection moyen de 61 % sur le plan mondial et d’un
taux de succès de traitement de 87 % en 2008 [WHO, 2009]. Cependant, les problèmes croissants liés
à la co-infection tuberculose/VIH et à la tuberculose multirésistante risquent de compromettre
sérieusement la possibilité d’atteindre les Objectifs du Millénaire, particulièrement en Afrique
subsaharienne et en Europe de l’Est, ce qui souligne l’urgente nécessité de développer de nouveaux
outils pour lutter contre la tuberculose.
2. - Les outils de la lutte antituberculeuse
La tuberculose étant une maladie infectieuse, la lutte contre cette maladie repose principalement
sur le diagnostic le plus précoce possible des patients contagieux, afin de mettre rapidement en route
un traitement qui coupera la chaîne de transmission de la maladie aux sujets sains. Pour compléter
cette lutte, il faut pouvoir prévenir de manière efficace le développement de la maladie chez
l’individu infecté ou même prévenir l’infection initiale, par l’utilisation de vaccins efficaces. La lutte
contre la tuberculose repose ainsi sur trois outils principaux : (1) le diagnostic précoce de la maladie,
(2) la mise en route rapide d’un traitement hautement efficace, et (3) la prévention de la maladie dans
la population générale par un vaccin efficace.

2.1 - Le diagnostic de la tuberculose


Depuis plus d’un siècle, le diagnostic de la tuberculose repose sur la confirmation
microscopique de la présence du bacille de Koch dans le crachat des malades, en utilisant la méthode
de coloration de Ziehl-Neelsen. Cette méthode a malheureusement une faible sensibilité et une faible
spécificité et, bien qu’habituellement décrite comme méthode simple, elle dépend fortement de la
formation et de la qualification des techniciens de laboratoire [Brodie et Schluger, 2005]. Ainsi, dans
les pays à forte incidence de tuberculose, le frottis de crachat a seulement 40 % à 60 % de sensibilité
pour la détection des cas de tuberculose. Une proportion importante des patients atteints de
tuberculose pulmonaire présente des frottis de crachats négatifs, en particulier les enfants et les
patients co-infectés par le VIH, qui échappent donc à ce moyen diagnostique. De plus, environ un
patient sur trois présente une tuberculose extrapulmonaire, qui nécessite d’autres moyens
diagnostiques (biopsie de tissus pathologiques, échographie, radiographies, IRM). On estime ainsi
que plus de 3 millions d’individus qui se présentent chaque année avec une suspicion de tuberculose
ont en fait une forme à microscopie négative ou une forme extrapulmonaire, qui ne peuvent pas être
confirmées par la microscopie, ce qui augmente la morbidité et la mortalité dues à cette maladie
[Guillerm, 2006]. Enfin, l’examen microscopique ne peut pas distinguer entre une maladie à germes
sensibles et une maladie à germes résistants. Ces aspects représentent donc une limite importante du
diagnostic par microscopie, particulièrement dans les régions frappées par l’épidémie de VIH
[Perkins et Cunningham, 2007].

La culture des mycobactéries sur des milieux de culture solides fournit le diagnostic définitif de
la maladie. La sensibilité de cette technique de détection est excellente, de 80 à 93 % selon les études,
avec une grande spécificité (98 %), mais elle est très longue (6 à 8 semaines) et requiert une
infrastructure de laboratoire appropriée relativement lourde [Perkins et al., 2006]. Ceci peut causer
un retard important dans le traitement, en raison de l’absence d’un diagnostic confirmé,
particulièrement chez les patients pour qui la microscopie des crachats a des limites, tels que les
personnes co-infectées par le VIH, les enfants et les cas de tuberculose extrapulmonaire. La culture
permet également l’identification des mycobactéries et l’évaluation de la susceptibilité des germes
aux médicaments, ce qui est indispensable pour le diagnostic des formes résistantes aux médicaments,
mais les procédures sont très lentes et difficiles à exécuter dans les laboratoires des centres de santé
périphériques non équipés. Les notifications récentes de formes mortelles de tuberculose ultra-
résistante en Afrique du Sud ont accentué la nécessité de disposer de méthodes rapides et facilement
utilisables pour identifier les souches de mycobacterium tuberculosis hautement résistantes et orienter
le traitement de ces patients.

De nouvelles méthodes diagnostiques sont actuellement à l’étude, et de nouveaux tests


diagnostiques sont en phase de développement clinique, mais la plupart de ces tests ne peuvent pas
être utilisés comme tests diagnostiques au point de traitement, c’est-à-dire au premier point de
rencontre du patient et du service de santé, en particulier dans les centres de santé périphériques [Pai
et al., 2006 ; Pai et O’Brien, 2008]. En l’état actuel des choses, l’absence d’un diagnostic précis,
robuste et rapide de la tuberculose empêche donc la prise en charge appropriée de tous les patients et
entrave la prévention de la maladie, particulièrement dans les pays qui en ont le plus grand besoin. Le
diagnostic de la tuberculose doit donc être amélioré, et il est indispensable de développer une
alternative à la culture des mycobactéries qui soit plus rapide et accessible, pour permettre la
détection des formes à frottis négatif, extrapulmonaires et multirésistantes.

2.2 - Le traitement de la tuberculose


Le traitement standard de la tuberculose repose sur une poly-chimiothérapie de courte durée (de
six mois) qui a été développée sur vingt ans grâce aux efforts du Medical Research Council [Fox et
al., 1999]. Cette chimiothérapie repose sur une combinaison de quatre médicaments (rifampicine,
isoniazide, pyrazinamide et éthambutol) pendant une phase dite « intensive » de deux mois, suivis
d’une combinaison de deux médicaments (rifampicine/isoniazide) pendant une phase dite « de
continuation » d’une durée de quatre mois. Cependant, l’observance insuffisante du traitement en
raison de sa longueur, de sa complexité et de la toxicité associée, ainsi que l’inefficacité des activités
de contrôle augmentent le risque d’apparition de formes résistantes aux médicaments, qui sont
beaucoup plus difficiles et beaucoup plus onéreuses à traiter. La recherche de nouveaux médicaments
est donc une priorité, afin de raccourcir et simplifier le traitement de la tuberculose et d’améliorer le
traitement de la tuberculose chez les personnes infectées par le VIH, en utilisant des médicaments qui
n’interagissent pas avec les médicaments antirétroviraux. Il y a actuellement dans le monde plus de 30
molécules recensées dans la liste des médicaments potentiels contre la tuberculose, dont 11 sont en
phase de développement clinique [3] . Des essais sont en cours pour raccourcir la durée du traitement
de 6 à 4 mois par l’inclusion de fluoroquinolones (gatifloxacine, moxifloxacine), et de nouveaux
candidats prometteurs sont actuellement testés en phases de développement pré-cliniques et cliniques
[Lienhardt et al., 2010 ; Ma et al., 2010].

Une des conséquences de cette avancée dans le développement des médicaments contre la
tuberculose est que de nombreux essais cliniques vont être conduits dans les pays ayant une incidence
élevée de tuberculose, et qu’un très grand nombre de patients tuberculeux sont ou seront sollicités
pour contribuer à ces essais. Ceci nécessite l’accès à des sites réunissant les conditions de bonnes
pratiques cliniques et de bonnes pratiques de laboratoire exigées par les agences de régulation des
médicaments des pays où ceux-ci doivent être enregistrés [Schluger et al., 2007], ce qui demande un
fort investissement dans la formation du personnel et l’amélioration des infrastructures des sites
potentiels.

Le traitement de la tuberculose multirésistante est également un problème majeur, car celui-ci est
d’une durée très longue (environ deux ans) et fait appel à des médicaments très onéreux dont la
toxicité est importante et l’utilisation grevée par de nombreux effets secondaires pénibles amenant le
patient à interrompre le traitement avant complétion, ce qui entretient la transmission de ces formes
graves. La recherche de nouveaux médicaments ou de nouvelles combinaisons de médicaments pour
le traitement de la tuberculose multirésistante est donc une priorité [Cobelens et al., 2008 ; Lienhardt
et al., 2010].

2.3 - La vaccination antituberculeuse


Il y a actuellement un consensus général pour considérer que la protection impartie par le vaccin
BCG est très variable dans le monde et qu’elle est la meilleure contre les formes graves de la
tuberculose de l’enfant (méningite ou tuberculose militaire) [Fine, 1995]. Il a aussi été montré que la
protection par le BCG s’affaiblit avec le temps. Pour ces raisons, la politique de vaccination
systématique des populations par le BCG a été remise en cause dans de nombreux pays développés,
où elle est réservée aux populations dites « à risque » (précarité, populations migrantes des pays à
forte endémicité). Dans la plupart des pays à forte endémie tuberculeuse, par contre, la vaccination
par le BCG est maintenue, en particulier en raison de sa capacité à prévenir les formes graves chez
l’enfant. Cette vaccination fait partie du calendrier vaccinal recommandé par l’Unicef, mais il est
reconnu qu’elle a une efficacité limitée pour la prévention de la tuberculose chez l’adulte.

Durant les dix dernières années, on a constaté un effort croissant pour identifier de nouveaux
candidats-vaccins contre la tuberculose, qui ont montré une efficacité égale ou supérieure au BCG
dans les essais chez les animaux. En 2009, 12 prototypes de vaccin étaient à l’étude, avec des essais
cliniques en phase I et II, et il est probable qu’au moins deux vaccins seront testés dans des essais en
phase III dans les prochaines années [4] .
3. - Le défi de la lutte contre la tuberculose au niveau
mondial
3.1 - La stratégie mondiale de lutte antituberculeuse
La thérapie directement observée formait la pierre angulaire de la stratégie mondiale de lutte
contre la tuberculose lancée par l’OMS en 1994, intitulée « DOTS » [5] . Elle reposait sur un
engagement à utiliser le diagnostic par l’examen microscopique et les traitements courts standardisés
donnés sous supervision directe, et à assurer l’approvisionnement continu des médicaments et la
surveillance régulière des données recueillies dans les programmes nationaux [WHO, 1994]. Cette
stratégie a permis de réaliser des progrès remarquables dans le contrôle mondial de la maladie
durant la décennie passée : en 2005, la stratégie DOTS avait été mise en application dans 182 pays,
couvrant 77 % de la population mondiale, et le taux de détection des patients sous stratégie DOTS
s’est accru de 11 % en 1995 à plus de 60 % à la fin de 2006 [WHO, 2009]. Cependant, devant des
estimations statistiques suggérant que cette stratégie seule ne suffirait pas pour atteindre les Objectifs
du Millénaire pour le développement (OMD) relatifs à la tuberculose, l’OMS a jugé nécessaire de
réviser et d’amplifier l’approche conceptuelle du contrôle de la tuberculose dans le monde. Ceci est
la base de la stratégie « Halte à la tuberculose » (« Stop TB Strategy ») lancée en 2006. Elle repose sur
les mêmes éléments, mais liste de plus des objectifs spécifiques dans le domaine de l’interaction
tuberculose/VIH, de la tuberculose multirésistante, de l’amélioration et du renforcement des systèmes
de santé. Par ailleurs, cette stratégie encourage l’implication croissante des patients tuberculeux et de
la communauté dans les activités de contrôle, et intègre la recherche comme une composante
essentielle de la lutte antituberculeuse [WHO, 2006].

En 2000, afin de promouvoir la lutte globale contre la tuberculose, il a été décidé de créer le
Partenariat Halte à la tuberculose (« Stop TB Partnership »), dont le but est « d’éliminer la
tuberculose comme problème de santé publique d’ici 2050 » [Kumaresan et al., 2005]. Sur la base des
Objectifs du Millénaire, ce Partenariat a publié un « Plan mondial pour stopper la tuberculose 2006-
2015 » qui liste les activités clés à mener pour atteindre des objectifs chiffrés à l’horizon 2015, et fixe
le cadre de développement de nouveaux outils pour la lutte antituberculeuse [Stop TB Partnership et
WHO, 2006] [6] .

Le Partenariat constitue un réseau de plus de 1 000 partenaires (organisations internationales,


donateurs publics et privés, pays, organisations non gouvernementales et individus) qui ont décidé de
mettre leurs efforts en commun dans le but d’éliminer la tuberculose. Au sein de ce partenariat, un
ensemble de sept groupes de travail (working groups) a été créé, chacun étant divisé en sous-groupes
focalisés sur des aspects spécifiques (recherche et développement, éthique, provision et
acheminement, etc.) :

DOTS Expansion Working Group,

Working Group on MDR-TB,

Working Group on TB/HIV,

Global Laboratory Initiative,

Working Group on New TB Diagnostics,

Working Group on New TB Drugs,

Working Group on New TB Vaccines.

Chacun de ces groupes de travail représente un lieu d’échanges entre les différents partenaires
qui mettent en commun leurs idées et proposent des actions afin de promouvoir et amplifier la lutte
contre la tuberculose, telles que la mise au point d’un agenda commun pour la recherche, le
financement de réunions et forums, ou la mise en place de groupes de conseil. Ainsi, le groupe de
travail sur la tuberculose multirésistante a établi le « Green Light Committee », dont le but est de
revoir et sélectionner des projets de mise en place d’un programme spécifique de lutte contre la
tuberculose multirésistante au niveau d’un pays, et propose aux pays dont les projets sont acceptés un
accès à des médicaments dits « de seconde ligne » (les médicaments utilisés dans le traitement de la
MDR-TB) aux normes de qualité confirmées et garanties par l’OMS, à des prix inférieurs à ceux du
marché [Gupta et al., 2002].

Le Partenariat a estimé que la mise en place de ce plan pourrait sauver la vie de 14 millions de
personnes d’ici 2015 et que 50 millions de patients seraient traités, pour un coût global de 59
milliards de dollars sur dix ans. Chaque groupe de travail mis en place au sein du partenariat doit
concourir à ces objectifs. En particulier, l’objectif des trois groupes sur les nouveaux outils de lutte
(diagnostic, traitement et vaccin) est de faire en sorte que les efforts déployés dans ces domaines
soient cohérents et harmonieux, et que les fonds requis soient effectivement disponibles. Ils ont donc
un rôle essentiel à jouer dans le cadre de la recherche et du développement.
3.2 - La recherche de nouveaux outils de lutte
antituberculeuse
« The immediate responses of the public health community must not focus solely on
strengthening control programmes. It is also urgent to mobilize all necessary resources for the
rapid delivery of new drugs and diagnostic tools. »

Médecins sans frontières, 2007

Le paradoxe de la tuberculose est que nous sommes confrontés à une maladie parfaitement
connue, dont le germe a été identifié depuis plus de cent ans et dont le traitement est parfaitement
codifié, mais les trois outils principaux de la lutte contre cette maladie apparaissent insuffisants pour
en venir à bout et arrêter la transmission de l’infection. La tuberculose associée au VIH et la
tuberculose multirésistance ont révélé de manière aiguë les insuffisances du diagnostic et du
traitement. Il est donc indispensable d’améliorer ces outils et de faire en sorte qu’ils aient un effet
synergique pour lutter contre les différentes formes de la maladie et atteindre les objectifs
d’élimination d’ici 2050.

Tableau 1 : Buts, cibles et indicateurs pour la lutte antituberculeuse

Source : WHO, 2009.

La recherche et le développement (RD) pour de nouveaux outils de contrôle rencontre,


cependant, de nombreux obstacles, liés à l’incertitude des débouchés du marché pour de nouveaux
diagnostics, traitements ou vaccins, ce qui limite l’implication et l’investissement des firmes privées.
Les années 1990 ont vu toutefois une résurgence de l’intérêt de nombreux acteurs dans le
développement de nouvelles technologies pour lutter contre les maladies émergentes et les maladies
négligées [Institute of Medicine, 1997]. Afin de stimuler la RD dans le domaine de la tuberculose et
vaincre ces obstacles, plusieurs acteurs majeurs ont décidé de mette en place des structures de
partenariat public-privé (PPP) afin d’affronter l’impérieuse nécessité d’améliorer à la fois le
diagnostic, le traitement et le vaccin. Trois PPP ont ainsi vu le jour, avec pour objectifs de développer
et enregistrer de nouveaux diagnostics, médicaments et vaccins pour la lutte antituberculeuse qui
soient accessibles au plus grand nombre, et de s’assurer de leur production selon les normes de
qualité et de leur mise à disposition à coûts réduits. Il s’agit de FIND pour les diagnostics, Global
Alliance for TB Drug Development pour les médicaments, et Aeras pour les vaccins [7] . Ces trois
associations à but non lucratif travaillent sur des fonds publics (par exemple les fonds de l’UE, des
Pays-Bas, du Royaume-Uni…) et privés (Bill and Melinda Gates Foundation, Rockefeller
Foundation…). Elles ont pour objectifs d’accélérer le développement de produits de la recherche par
une plus grande facilité d’opération, de promouvoir la recherche et de stimuler la collaboration entre
les divers partenaires (compagnies pharmaceutiques, organismes de recherche, universités, bailleurs
de fonds). Elles sont cependant étroitement dépendantes des financements extérieurs.

Il y a eu ces dix dernières années une nette accélération de la RD, qui a vu augmenter le nombre
de molécules en développement pour le traitement et de candidats-vaccins. On est ainsi passé de 2 à 25
médicaments dans le réservoir de RD depuis 2000, et il existe à présent 18 candidats-vaccins aux
stades de développement pré-clinique et clinique. Il est cependant essentiel que ces nouveaux outils
puissent être utilisés dans les mêmes conditions que celles du terrain, ce qui implique qu’ils soient
disponibles à des coûts accessibles aux pays à faibles revenus, et que les techniques requises soient
compatibles avec une utilisation large dans ces pays, des hôpitaux centraux jusqu’aux centres de santé
périphériques. Pour cela, une coordination entre les diverses initiatives est nécessaire, afin de
s’assurer que les produits de la recherche puissent être utilisés dans les conditions de programme. En
effet, la réponse à l’épidémie est souvent handicapée par des systèmes de santé non adaptés,
insuffisamment structurés ou insuffisamment financés, des réseaux de laboratoires limités ou sous-
équipés, des systèmes de distribution des médicaments inefficaces ou dominés par le secteur informel
ou non contrôlé… Le développement de la recherche et du développement pour de nouveaux outils de
lutte contre la tuberculose doit donc impérativement s’accompagner d’une réflexion sur
l’amélioration et le renforcement des systèmes de santé. C’est une des spécificités des « maladies liées
à la pauvreté », qui doit impérativement être prise en compte.

3.3 - Le financement de la RD
En 2006, le Treatment Action Group, une ONG américaine travaillant au nom de la société civile
dans le domaine du VIH, a publié le premier rapport faisant l’inventaire du financement de la
recherche et du développement dans le cadre de la tuberculose [Feuer, 2006]. Selon ce rapport, 368
millions de dollars ont été investis dans la recherche sur la tuberculose en 2005, répartis entre 40
donateurs environ, 69 % provenant du secteur public, 20 % de fondations et 11 % de l’industrie. Les
donateurs principaux étaient en 2005 : le National Institute of Health (États-Unis, public, 158 millions
de dollars), Bill and Melinda Gates Foundation (États-Unis, privé, 57 millions), le Centers for Disease
Control and Prevention (États-Unis, public, 20 millions de dollars), Wellcome Trust (Royaume-Uni,
privé, 18 millions de dollars), l’Union européenne (13 millions de dollars) et Otsuka Pharmaceutical
Company (Japon, privé, 12 millions de dollars). La répartition se faisait entre la recherche
fondamentale (86 millions de dollars, soit 23 % du total), la recherche « appliquée » ou « non
spécifique » (40 millions de dollars, 11 %) et la recherche dite « opérationnelle » (31 millions de
dollars, 8,4 %). Un total de 206 millions de dollars était investi dans le domaine des nouveaux outils :
120 millions (32 %) pour les médicaments, 70 millions (19 %) pour les vaccins et 19 millions (5 %)
pour le diagnostic. La part la plus importante du financement venait du gouvernement des États-Unis
(environ 47 %), mais les 158 millions investis dans la recherche sur la tuberculose par le NIH
représentaient un peu plus de 5 % de la somme globale investie par le NIH dans le VIH/sida. Il faut
aussi noter que cet inventaire s’est fait sur la base d’informations volontaires, et n’est donc pas
exhaustif.

Graphique 2 : Investissements dans la recherche et le développement par catégories en 2005,


2006 et 2007

Ce premier rapport a été suivi d’évaluations annuelles du panorama du financement donnant une
image relativement précise de l’évolution. En 2007, 482 millions de dollars ont été ainsi investis dans
la recherche sur la tuberculose, une augmentation de 30 % par rapport à 2005. La part du secteur
public a diminué en proportion (56,5 %), les fondations philanthropiques investissant 29,2 % et
l’industrie privée 14,4 %. Les dix donateurs principaux étaient en 2007 : le National Institute of Health
(131 millions de dollars), Bill and Melinda Gates Foundation (124 millions de dollars, soit un
accroissement de 116 % par rapport à 2005), l’Union européenne (23 millions de dollars), Otsuka
Pharmaceutical Company (21 millions), Centers for Disease Control and Prevention (18 millions),
Wellcome Trust (15 millions), le Medical Research Council (Royaume-Uni, public, 15 millions de
dollars), le gouvernement néerlandais (13 millions) et Novartis (11 millions) [8] . La répartition se
faisait entre la recherche fondamentale (121 millions), la recherche « non spécifique » (40 millions),
la recherche « opérationnelle » (36 millions), les médicaments (170 millions), les vaccins (71
millions) et le diagnostic (42 millions).

Malgré une augmentation ces dernières années, on est loin de l’estimation faite par le Plan
mondial pour stopper la tuberculose 2006-2015, qui estimait à 11 milliards de dollars le montant
nécessaire sur la décennie pour améliorer la RD sur la tuberculose et atteindre les OMD. Or, si l’on
admet, par exemple, le ratio classique d’1 médicament nouveau mis sur le marché pour 20 produits
entrés dans le processus de développement clinique, avec seulement 40 produits actuellement en phase
de développement clinique, les chances de trouver un traitement nouveau sont relativement faibles, et
un investissement majeur est nécessaire [MSF, 2006 ; Lienhardt et al., 2010].

Les conditions de la RD ont bien changé depuis vingt ans, avec une réorientation de l’industrie
pharmaceutique qui investit moins dans la RD et des actionnaires qui demandent de plus amples
bénéfices. Le coût actuel de développement d’un médicament peut être estimé à 800 millions de
dollars environ, ce qui rend les compagnies pharmaceutiques de plus en plus dépendantes de la
découverte d’un produit « blockbuster » qui permette un retour large et prolongé sur investissements.
La compétition est donc intense ; elle est aggravée par l’arrivée sur le marché des produits
génériques, qui représentent actuellement 47 % du marché des médicaments aux États-Unis. De plus,
en raison d’un accroissement sévère des procédures de régulation du développement clinique pour
autoriser la mise en place d’un produit sur le marché, le temps d’exploitation du brevet exclusif par
les compagnies pharmaceutiques est réduit. Dans ces conditions, la RD pour le traitement d’une
maladie répandue préférentiellement dans les pays en développement, où les marges seront faibles, a
un attrait limité. Ainsi, seulement 1 % des médicaments mis sur le marché de 1975 à 1997 l’étaient
pour des maladies des pays en développement – où seulement 5 % des patients qui souffrent de
tuberculose ont les moyens de payer le traitement dans sa totalité [Velasquez et Boulet, 1999]. Un
nouveau traitement ne pourra donc pas bénéficier d’un marché générateur de profits substantiels, ce
qui limite les possibles investissements des compagnies pharmaceutiques dans la RD pour la
tuberculose. Cette situation est encore plus dramatique pour les vaccins antituberculose, qui
représentent un investissement à haut-risque, les pays espérant que la mise au point d’un nouveau
vaccin efficace s’accompagne d’une mise à disposition de ce vaccin à des prix très faibles afin d’en
permettre l’accès et l’utilisation pour le plus grand nombre. Or il y a actuellement peu de mécanismes
incitatifs pour les laboratoires pharmaceutiques en charge de la RD pour les nouveaux outils de la
lutte antituberculose, qui compensent de manière durable l’incapacité à réaliser des profits
substantiels pour recouvrer les coûts de la RD. À ce niveau, le plaidoyer humanitaire ne saurait
suffire et des mesures incitatives innovantes doivent être imaginées pour amener l’industrie
pharmaceutique à investir dans la RD pour la tuberculose.

3.4 - Vers un renouvellement des systèmes de financement


de la recherche
« It is necessary to rethink the traditional roles played by academia and pharmaceutical
industry in drug discovery and development and push academia into fields that are traditionally
ground for industry when it comes to drugs for diseases that do not ensure appealing market
perspectives. »

Carl Nathan

Les campagnes de plaidoyer auprès des gouvernements et des institutions publiques et privées de
financement doivent évoquer les besoins essentiels en santé des pays en développement, tels que
présentés au sein des engagements internationaux pour la concrétisation des OMD dans le cadre de la
lutte contre la pauvreté, et insister sur l’inefficacité relative des outils actuels pour un contrôle
efficace de la tuberculose. Cette démarche doit cependant s’accompagner d’une analyse exhaustive du
marché pour ces outils, qui doit stimuler une réflexion sur les divers mécanismes permettant
d’augmenter l’intérêt de l’industrie dans le RD pour la lutte antituberculose [Harper, 2007]. Parmi
ceux-ci, les mécanismes qui suivent sont autant d’exemples de possibles incitations à la RD.

Tarification différentielle ou à niveaux de prix multiples (« multitiered pricing»). Ce


mécanisme, développé par la London School of Economics, permettrait l’optimisation à la fois
de l’offre et de la demande. Dans ce cas, les pays pauvres paient un prix plus bas (le plus souvent
le prix coûtant ou un peu plus), tandis que les pays riches paient un prix plus élevé qui couvre les
coûts de RD et permet de générer des bénéfices [Moran et al., 2005]. Il peut y avoir plusieurs
niveaux de tarification selon les besoins des pays et leur capacité à payer, si un accord a été
conclu avant le développement du produit. Ce mécanisme permet de réduire l’incertitude
ressentie par les compagnies développant des produits craignant de ne pas recouvrer tous les
frais de RD si les produits doivent être rapidement transférés à une production générique.

Institution d’un mécanisme de regroupement des produits (« product bundling»). Ce


mécanisme permet de réduire les coûts de production pour la phase de mise au point. Bien que
de nombreux patients ne puissent pas payer les médicaments, il existe des mécanismes pour les
leur fournir et regrouper l’ensemble de la fabrication. Cela pourrait constituer un marché
attractif pour les sociétés pharmaceutiques.

Les brevets communs ou communautés de brevets (« patent pools»). Il s’agit ici de mettre
en commun plusieurs brevets complémentaires dans une structure juridique unique, permettant
de fabriquer à coût réduit des produits utilisant différents brevets, les détenteurs des brevets étant
rétribués par des royalties ajustées au niveau de richesse du pays où le produit est distribué. [9] 

Procédure accélérée d’autorisation de mise sur le marché (« fast track option»). Cette
méthode consiste à garantir à une entreprise pharmaceutique commerciale une procédure
accélérée d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau produit pour la lutte anti-
tuberculose afin de permettre à cette compagnie un gain de temps pour l’exploitation
commerciale du produit [Moran et al., 2005]. Selon cette méthode, le produit (médicament,
vaccin) serait disponible jusqu’à deux ans plus tôt et resterait donc breveté plus longtemps, ce
qui permettrait une augmentation significative des bénéfices pour la compagnie en question.
Selon les auteurs, cette option d’affectation de fonds pourrait réunir de 0,5 à 0,75 milliard de
dollars par procédure accélérée, qui pourraient être utilisés pour la recherche. Si on répète cela
spécifiquement pour la tuberculose pendant sept ans, le déficit de financement serait éliminé sans
autre augmentation du financement provenant d’autres sources.

Extension du brevet d’un autre médicament, vaccin ou diagnostic qu’une entreprise


développe ou a développé, en échange du développement d’un nouvel outil contre la tuberculose
[Webber et Kremer, 2001]. Comme la plupart des nouveaux outils pour la lutte contre la
tuberculose ne seraient pas rentables, ou seraient uniquement accessibles aux patients à un coût
inférieur à son prix réel, l’échange de l’extension d’un brevet sur un médicament rentable pour
la création d’un médicament antituberculeux serait un mécanisme attractif pour la RD. Ce «
voucher» ferait figure de récompense, les coûts étant distribués par l’intermédiaire des patients
achetant les médicaments non génériques courants. Idéalement, le « voucher» peut être utilisé
pour des médicaments non vitaux ou moins importants. Cependant, cette incitation, ainsi que
l’affectation rapide de fonds, nécessitent une négociation à haut niveau et l’accord de l’industrie
et des organismes régulateurs.

L’attribution d’un prix. Le but de cette méthode est d’inciter l’industrie à mettre en œuvre la
RD pour un outil de lutte contre la maladie en supprimant l’incertitude liée à l’investissement
pour un produit destiné à un marché inconnu ou estimé insuffisant. Ce peut être, par exemple, un
nouvel outil diagnostique très performant permettant de poser un diagnostic fiable de la
tuberculose qui soit utilisable au niveau le plus périphérique possible, sans recours à une
infrastructure complexe. Ce prix pourrait atteindre des sommes de plusieurs millions de dollars,
et serait attribué à une entreprise ayant développé un produit pour la lutte antituberculose (un test
diagnostique par exemple) dont la validité est confirmée par des études cliniques appropriées et
documentées et dont l’approvisionnement à coût modéré pour les pays à faibles ressources serait
garanti. Ce concept est actuellement développé par la X-Prize Foundation (Los Angeles) [10] .

En 2006, l’Assemblée mondiale de la santé a instauré le Groupe intergouvernemental sur la santé


publique, l’innovation et la propriété intellectuelle (Intergovernmental Working Group on Public
Health, Innovation and Intellectual Property), dont l’objectif est de produire une stratégie globale et
un plan d’action pour accroître les bases de la recherche et du développement en santé adaptés aux
besoins et pérennes, et qui s’adresse en priorité aux maladies affectant de manière disproportionnée
les pays à faibles ressources [11] . La recherche de nouveaux outils incitatifs à la RD dans le domaine
de la tuberculose doit s’accompagner d’un dialogue avec ce groupe qui va jouer un rôle crucial dans
la définition des priorités et des prochaines étapes de la RD pour les maladies des pays pauvres. Ainsi,
la résolution WHA61.21 de mai 2008, dans son paragraphe 4(7), demandait au directeur général de
l’OMS « d’établir de toute urgence un comité d’experts pour examiner le financement et la
coordination actuelle de la RD [et de proposer] des sources innovantes de financement pour stimuler
la RD dans le domaine des maladies négligées ». Le groupe d’experts a été établi en novembre 2008.
En janvier 2009, ce groupe a demandé aux États membres et à tous les partenaires de proposer des
moyens novateurs de financer la RD à travers un site internet public.
4. - Priorités en matière de recherche
L’introduction de nouveaux outils pour la lutte antituberculeuse est indispensable à la réalisation
des OMD pour la tuberculose et leur impact promet d’être substantiel. Selon le Partenariat Halte à la
tuberculose, un test diagnostique qui serait rapide et largement disponible, et offrirait une sensibilité
pour le diagnostic de la tuberculose 85 % avec une spécificité de 97 % « pourrait permettre de sauver
environ 400 000 vies annuellement » [Keeler et al., 2006]. Pour les médicaments, une étude par
modélisation a montré qu’un traitement effectif d’une durée de deux mois qui serait introduit en 2012
pourrait réduire le nombre de cas de 11 millions et éviter jusqu’à 5 millions de décès d’ici 2030
[Fink, 2007].

Une projection récente, basée sur les paramètres de l’épidémie tuberculeuse en Asie du Sud-Est,
a permis de montrer que la combinaison d’une vaccination néo-natale (« pré-exposition »), d’un
traitement de deux mois efficace à la fois contre les germes susceptibles et résistants, et d’un nouveau
test diagnostique basé sur les techniques d’amplification de l’ADN réduira l’incidence estimée de la
tuberculose de 71 % en 2050. Cependant, malgré cette forte réduction du taux d’incidence, l’objectif
d’élimination ne pourra être atteint que si cette combinaison est associée à de nouvelles stratégies de
délivrance (par exemple les vaccinations de masse), et au traitement des personnes infectées de
manière latente [Abu-Raddad et al., 2009].

Une série de priorités doit donc être établie dans divers domaines de la lutte contre la
tuberculose dans les années à venir, afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le
développement. Au-delà du développement de nouveaux outils diagnostiques, de nouveaux
traitements et de nouveaux vaccins, la recherche doit être également menée en amont, au niveau de la
recherche fondamentale pour stimuler l’identification de nouveaux candidats, et en aval sur le plan
opérationnel et programmatique, afin de faciliter l’accès aux soins que chaque patient tuberculeux
dans le monde est en droit de recevoir.

Un des six éléments de la Stratégie mondiale de l’OMS pour la lutte antituberculeuse est la
promotion de la recherche. Au sein du Partenariat Halte à la tuberculose, un Mouvement pour la
recherche a été créé dans ce but, avec pour tâches spécifiques de mobiliser et augmenter les
ressources et le financement de la recherche, et d’élaborer un agenda international harmonisé pour la
recherche en tuberculose qui fasse l’inventaire des besoins et hiérarchise les priorités [12] .

La lutte contre la tuberculose a fait des progrès remarquables par le passé, mais ceux-ci
s’avèrent insuffisants pour contrôler l’expansion de la maladie. Le développement de technologies
innovantes est une priorité pour améliorer la lutte contre cette maladie, et il est indissociable d’un
effort large et concerté pour accroître les moyens de la recherche. Celle-ci ne pourra cependant être
effective que si l’on s’assure, en parallèle, que les conditions permettant l’utilisation de ces nouveaux
outils soient remplies, et que des efforts soient menés dans le cadre du renforcement des systèmes de
santé et de l’amélioration de l’accès aux soins des populations les plus vulnérables. Le combat contre
ce fléau historique est à ce prix.

Plus de cent ans après la découverte de l’organisme causal et plus de cinquante ans après la
première mise en œuvre du traitement antibiotique pour la tuberculose, la communauté internationale
est à un point crucial concernant la lutte contre la tuberculose. Tandis que le fardeau mondial de la
tuberculose continue à croître, et que des nouvelles formes graves et quasi intraitables de la maladie
émergent, des avancées essentielles sont faites dans le domaine du diagnostic, du traitement et du
vaccin. Celles-ci, cependant, doivent être renforcées et traduites en activités quotidiennes de lutte dans
toutes les régions du monde, afin de rendre le traitement de la tuberculose accessible à tous les
patients qui en ont besoin.
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479-485.
Notes du chapitre
[*] ↑ Médecin épidémiologiste, spécialiste de maladies tropicales et infectieuses, conseiller scientifique senior au Département de
lutte contre la tuberculose (Stop TB) de l’OMS et au Partenariat « Halte à la tuberculose »

[1] ↑ Définie comme ≤ 1 cas de tuberculose par million de personnes par an.

[2] ↑ Définie comme résistante à la rifampicine, à l’isoniazide, à toute quinolone et au moins à une molécule du traitement de
seconde ligne (capreomycine, kanamycine ou amikacine).

[3] ↑ Voir www.newtbdrugs.org

[4] ↑ Voir www.stoptb.org/wg/new_vaccines

[5] ↑ « Directly Observed Therapy, Short course ».

[6] ↑ Voir www.stoptb.org/globalplan

[7] ↑ www.finddiagnostics.org ; www.tballiance.org/home/home.php ; www.aeras.org/home/home.php

[8] ↑ Le premier bailleur français, l’Institut Pasteur, arrive en 16 e position avec 7,5 millions de dollars.

[9] ↑ Ainsi, GlaxoSmithKline a déclaré en février 2009 qu’il contribuerait au patent pool pour les maladies négligées telles que le
paludisme et la tuberculose (Wall Street Journal, 14 février 2009).

[10] ↑ Voir www.xprize.org

[11] ↑ Voir www.who.int/phi/en

[12] ↑ Voir www.stoptb.org/researchmovement


4. Paludisme : progrès mitigés et nouveaux espoirs
Jessica Martini [*] 
Jessica Martini est diplômée du Master « Affaires internationales et développement »
de Sciences Po, et a obtenu un Master 2 en « Santé publique internationale » à l’Institut de
santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Université de Bordeaux-II.
Elle a effectué des recherches sur l’émergence du diabète en tant que problème de santé
publique au Mali et a collaboré avec l’ONG italienne Cesvi au Maroc et avec la Direction
générale pour la coopération au développement du ministère italien des Affaires étrangères
à Rome. Elle travaille actuellement dans le Groupe de recherche en appui à la politique sur
la mise en œuvre de l’agenda pour l’efficacité de l’aide dans le domaine de la santé
(GRAP-PA Santé) à l’Université libre de Bruxelles, et elle participe à un projet de
recherche du laboratoire ADES/SSD de l’Université de Bordeaux sur la prise en charge des
maladies chroniques et le rôle du patient, à travers l’exemple particulier du diabète et du
sida au Mali.

Le paludisme reste l’une des maladies les plus répandues et mortelles au


niveau mondial avec, en 2008, 243 millions d’épisodes palustres et 863 000 décès
dans le monde selon l’OMS. Ce fléau frappe particulièrement les femmes enceintes
et les enfants de moins de cinq ans des pays africains.

Ce chapitre passe en revue les différentes stratégies promues au niveau


international pour la prévention et la lutte contre le paludisme. En effet, depuis les
années 1930, les initiatives en faveur de cette maladie se sont multipliées. Or, sur le
terrain, les résultats restent contrastés, avec des progrès remarquables dans
certaines zones et pour certaines activités, et l’absence totale de résultat dans
d’autres. Néanmoins, depuis quelques années, d’importantes avancées ont été
introduites, comme la production de moustiquaires imprégnées à efficacité durable,
la baisse du coût des bithérapies, la production d’antipaludéens non brevetés et à
prix coûtant, des résultats encourageants quant à la mise au point d’un vaccin. Ces
avancées ont été possibles grâce notamment à la collaboration entre les différentes
parties prenantes et la conclusion de partenariats public-privés. Elles augurent
pour les années à venir des progrès plus significatifs dans la lutte contre le
paludisme.

On aura ici pour objectif d’identifier les problèmes pratiques qui ont amoindri
l’efficacité des stratégies mises en œuvre, et d’apprécier les améliorations
observées aujourd’hui dans la lutte contre le paludisme.
Le paludisme reste l’une des maladies les plus répandues et mortelles au monde. Selon le
Rapport sur le paludisme dans le monde de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2008 cette
maladie était endémique dans 108 pays, le continent africain étant le plus frappé. En effet, sur les 243
millions d’épisodes de paludisme estimés pour l’année 2008, 85 % des cas se sont produits dans la
région africaine, contre 10 % en Asie du Sud-Est et 4 % en Méditerranée orientale. De même, sur les
863 000 décès de paludisme estimés en 2008, 89 % ont eu lieu en Afrique, 6 % dans la Méditerranée
orientale et 5 % en Asie du Sud-Est [WHO, 2009]. Par ailleurs, les enfants de moins de cinq ans sont
les plus touchés : selon l’Unicef, en Afrique le paludisme est à l’origine d’environ 20 % de tous les
décès d’enfants [Unicef, 2004 ; Unicef, 2009]. Enfin, d’un point de vue économique, et pour la seule
Afrique, on estime que le paludisme cause chaque année une perte de 12 milliards de dollars en
termes de PIB du continent, une réduction de 1,3 % du taux annuel de croissance pour les pays
subsahariens, jusqu’à 60 % en moins de récoltes pour les ménages affectées par rapport à celles des
familles saines [Bastin, 2007].

Face à ce fléau, de nouveaux espoirs apparaissent aujourd’hui : la production de moustiquaires


imprégnées à efficacité durable, la baisse du coût des bithérapies, la production d’antipaludéens non
brevetés et à prix coûtant, des résultats encourageants quant à la mise au point d’un vaccin. Mais en
quoi ces nouvelles avancées améliorent-elles la lutte contre le paludisme ?

Pour répondre à cette question, il est important d’analyser d’abord les différentes stratégies
adoptées au niveau international jusqu’à aujourd’hui, puis de comprendre les raisons de leur échec.
En effet, la prolifération tout au long du XXe siècle d’initiatives et de déclarations en faveur du
paludisme a été malheureusement accompagnée de nombreuses difficultés pratiques qui en ont
amoindri l’efficacité. En conséquence, les résultats sont restés à l’heure actuelle peu satisfaisants.
Dans un second temps, nous essayerons d’apprécier l’importance des avancées récemment
introduites. Mais avant cela, il nous paraît utile de donner un bref aperçu de ce qu’est le paludisme.
1. - Le paludisme : pourquoi et comment ?
Pour comprendre la maladie, il faut distinguer l’agent pathogène et le vecteur qui en permet la
diffusion. L’agent pathogène est un parasite unicellulaire, le plasmodium, existant sous quatre formes
différentes : plasmodium falciparum, plasmodium vivax, plasmodium ovale et plasmodium malariae.
Parmi ces quatre formes, la première est la seule meurtrière et la plus répandue en Afrique
subsaharienne. Le vecteur est un moustique femelle du genre anophèle. Cependant, une transmission
interhumaine directe d’une femme enceinte à son enfant est aussi possible [Institut Pasteur, 2008].

Le parasite a un cycle de vie en deux étapes. Dans un premier temps, l’anophèle femelle pique
l’homme et lui transmet le parasite sous forme de sporozoïte, qui migre dans le foie. Dans la cellule
hépatique, il se déclenche une multiplication asexuée qui produit des milliers de mérozoïtes. Quand la
cellule hépatique éclate, les mérozoïtes pénètrent les globules rouges, où ils se multiplient à leur tour,
jusqu’à l’éclatement. Ainsi libérés, les mérozoïtes infectent de nouveaux globules rouges et, pendant
leur réplication, génèrent des parasites sexués mâles et femelles, les gamétocytes. Suite à cette
première piqûre, l’homme devient donc un réservoir, porteur de la forme sexuée du parasite, sans
pour autant manifester les symptômes de la maladie, en sachant que le délai d’incubation est en
moyenne de quinze jours. La deuxième phase du cycle commence quand un moustique pique une
personne ainsi infectée. À ce moment-là, l’anophèle ingère les gamétocytes, qui se transforment en
gamètes : leur fécondation engendre un zygote, qui se différentie dans le tube digestif du moustique
en oocystes. Ces derniers produisent de nouveaux sporozoïtes, prêts à recommencer le cycle [Institut
Pasteur, 2008].

Ainsi deux types de situations peuvent se présenter : un cas de « paludisme-infection », quand le


sujet est porteur du parasite mais ne manifeste aucun symptôme – c’est le cas de la majorité des
personnes habitant des zones impaludées – ; un cas de « paludisme-maladie », quand la maladie se
manifeste par des symptômes – fièvre élevée (39°-40°C), frissons, sueurs, nausées. La forme la plus
grave est le coma qui, sans traitement, peut causer la mort [Salem et al., 2000].

Les conditions de vie des moustiques sont très particulières et cela explique leur présence dans
des régions très précises du monde. Les trois premières phases de vie – œufs, larves et nymphes –
sont aquatiques. L’eau doit être non polluée et la température extérieure ne doit pas descendre en
dessous des 18°C. La quatrième phase, le stade adulte, est aérienne et elle peut durer de quatre à six
semaines. La distance de vol est assez courte (500 m à 1 km), mais ces moustiques peuvent aussi être
transportés par le vent ou l’avion, le bateau, l’automobile, etc. L’anophèle pique la nuit et sa piqûre est
la plupart du temps indolore [Amat-Roze, 2002]. Les changements environnementaux et
l’urbanisation ont provoqué non seulement l’apparition de formes aggravées de la maladie, mais
aussi l’adaptation des moustiques à de nouveaux contextes, les rendant parfois diurnes [Salem et al.,
2000].

Enfin, il faut aussi savoir que des immunités existent : une « immunité naturelle » des hommes
noirs par rapport au plasmodium vivax. En fait, l’homme noir ne porte pas le récepteur globulaire
correspondant à ce plasmodium ; une « immunité acquise passivement », que la mère transmet via ses
anticorps à son enfant, qui s’en trouve ainsi protégé durant les six premiers mois de vie ; une «
immunité de prémunition », qui apparaît suite à des infections successives, chez les populations
autochtones et qui peut disparaître si le sujet ne vit plus en zone impaludée [Institut Pasteur, 2008].
2. - 1930-2010 : une prolifération de stratégies
internationales de lutte contre le paludisme
Le paludisme est une épidémie très ancienne, dont l’agent pathogène a été découvert en 1880 et
qui a été éradiquée en Europe seulement en 1975. Pendant plus de trois siècles et jusqu’aux années
1930, le seul médicament efficace pour le traitement du paludisme était la quinine, aujourd’hui
utilisée contre les formes les plus graves de la maladie. Mais l’éradication de cette épidémie dans les
pays occidentaux s’est faite notamment grâce à l’utilisation du DDT, un insecticide découvert en 1938
par Paul Müller et dont la pulvérisation a constitué la stratégie principale du Programme
d’éradication du paludisme lancé par l’OMS en 1955. Pourtant, l’usage du DDT s’est bientôt révélé
être la cause d’effets secondaires dangereux pour l’environnement et pour l’homme. De plus,
l’anophèle a su développer une certaine résistance à ce produit, le rendant pratiquement inefficace.
Ainsi, dans nombreux pays du Nord son utilisation a été interdite dès les années 1970.

Abandonnant le Programme d’éradication du paludisme en 1973, l’OMS a proposé à la place


une nouvelle stratégie, fondée sur la prévention et impliquant des activités comme l’utilisation
d’antimalariques et de moustiquaires imprégnées d’insecticide, l’amélioration de la prise en charge
des personnes infectées, la formation du personnel soignant, une attention plus spécifique en faveur
des femmes enceintes. La prévention a reposé sur une molécule largement répandue : la chloroquine,
contre laquelle le moustique a fini par développer une résistance qui s’est propagée au niveau
planétaire. Vingt ans après, cette maladie était encore loin d’être éradiquée, suscitant ainsi un regain
d’intérêt international et l’organisation en 1992 de la Conférence d’Amsterdam sur le paludisme.
Cependant, aucune innovation n’est apportée à ce moment-là, la Stratégie mondiale de contrôle du
paludisme lancée à Amsterdam restant focalisée sur la promotion d’activités de prévention [OMS,
1993].

Un vrai engagement international contre le paludisme ne se manifestera qu’en 1998, quand les
ministres africains, l’OMS, la Banque mondiale et plusieurs bailleurs de fonds lancent l’Initiative
africaine pour la lutte contre le paludisme au XXIe siècle, avec pour but d’améliorer et de renforcer
la coordination entre les différents acteurs. Cette même année, l’OMS, en partenariat avec l’Unicef, la
Banque mondiale et le PNUD s’engagent dans le partenariat Faire reculer le paludisme [1] , afin de
faciliter et de mieux coordonner la lutte contre cette maladie. Composé aujourd’hui de plus de 500
membres, parmi les gouvernements, les agences de développement, les ONG et les entreprises
privées, ce partenariat public-privé consiste à fournir aux États les ressources humaines, financières
et matérielles nécessaires à la mise en œuvre des plans nationaux de lutte contre la maladie.
Dès ce moment, de nouveaux engagements apparaissent. Le 25 avril 2000, lors du Sommet
africain pour faire reculer le paludisme à Abuja, 44 chefs d’État et représentants de pays, confortés
par le partenariat promu par l’OMS, s’engagent « à faciliter l’accès aux traitements à 60 % des
malades pour 2005, et l’accès aux traitements préventifs intermittents pour au moins 60 % des
femmes enceintes » [RBM et OMS, 2003]. En septembre de la même année, le Sommet du Millénaire
impose la lutte contre le paludisme parmi les stratégies internationales de réduction de la pauvreté.
Ainsi, sur les huit Objectifs du Millénaire à réaliser pour 2015, le 6e consiste à « combattre le
VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies » et il prévoit comme cible : « d’ici à 2015, avoir maîtrisé
le paludisme et d’autres grandes maladies, et avoir commencé à inverser la tendance actuelle »
[www.un.org/millenniumgoals]. Les activités promues visent notamment une meilleure information et
éducation des personnes les plus à risque, une meilleure accessibilité des traitements, une meilleure
qualité des soins, et le soutien aux institutions locales. Pour financer ces initiatives, la communauté
internationale a créé en 2002 le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme
(FMSTP), une organisation indépendante de l’OMS constituée d’un partenariat public-privé mondial,
dont la fonction principale est de mobiliser des fonds et de financer des programmes concernant la
lutte contre ces trois pandémies [www.theglobalfund.org].

En 2005, les objectifs ont été augmentés, avec l’Assemblée mondiale de la santé recommandant
aux États endémiques une couverture d’au moins 80 % déjà en 2010 pour quatre interventions :
moustiquaires imprégnées d’insecticide, pulvérisation intra-domiciliaire à effet rémanent pour les
ménages à risque, traitement préventif intermittent pendant la grossesse, médicaments antipaludiques
appropriés [WHO, 2005]. Cette même année, lors de la Conférence de Yaoundé, où étaient réunis les
chefs de gouvernement africains, les bailleurs de fonds, les ONG, les chercheurs et les laboratoires
pharmaceutiques, les gouvernements nationaux se sont engagés à renforcer leurs politiques de santé,
en améliorant notamment l’évaluation et le suivi des programmes mis en place. De leur côté, les
bailleurs de fonds ont assuré leur soutien pour la réalisation d’un Plan stratégique mondial 2005-
2015, visant à assurer la couverture de 80 % des principales interventions dans les pays endémiques et
à diminuer la morbidité et la mortalité palustre par habitant d’au moins 50 % entre 2000 et 2010 et
d’au moins 75 % à l’horizon 2015 par rapport à 2005 [RBM, 2005].

Lors de la Journée mondiale contre le paludisme en avril 2008, le Secrétaire général de l’ONU
Ban Ki-Moon a demandé une couverture universelle en termes de prévention et de traitement à
l’horizon 2010. En septembre, à l’occasion du Sommet des Nations unies pour les Objectifs du
Millénaire à New York, le partenariat Faire reculer le paludisme a lancé le Plan d’action mondial
contre le paludisme [RBM, 2008]. Si les objectifs confirment ceux déjà fixés par le Plan stratégique
mondial 2005-2015, cette dernière stratégie se veut une approche plus intégrale que les précédentes.
Elle repose en particulier sur trois volets : i) une mise en place des interventions à large échelle et un
suivi régulier des activités ; ii) la recherche pour le développement de nouveaux moyens de
diagnostic et de traitement, et la recherche opérationnelle ; iii) l’élimination du paludisme dans 8 à 10
pays à l’horizon 2015, puis dans d’autres pays. Des stratégies régionales sont également élaborées.
3. - Des résultats de terrain contrastés : engagements
et difficultés pratiques
Malgré la prolifération d’initiatives et d’engagements, les résultats restent aujourd’hui
contrastés, avec des progrès réalisés dans certaines zones et pour certaines activités, mais des lacunes
et des retards pour d’autres aspects. Dans les faits, plusieurs problèmes pratiques, liés tant aux
faiblesses des systèmes de santé des pays en développement qu’aux intérêts économiques des groupes
pharmaceutiques et à la disponibilité de ressources financières, ont entravé la mise en œuvre des
stratégies promues et en ont limité l’efficacité.

Un premier exemple vient de la distribution et de la couverture de moustiquaires imprégnées


d’insecticide. Certains pays ont réalisé d’énormes progrès dans la protection de leur population par
ce type de moustiquaires. En Zambie, l’un des pays africains qui s’est le plus distingué dans la lutte
contre le paludisme, la campagne 2003 visant à distribuer des moustiquaires imprégnées dans cinq
districts a permis la protection d’au moins 80 % des enfants de moins de cinq ans. Au Togo, en 2004,
le pourcentage global des familles disposant d’au moins une moustiquaire imprégnée est passé de 8
% à 62 % [RBM et al., 2005].

Plus généralement, le nombre de moustiquaires imprégnées produites dans le monde est passé de
30 millions en 2004 à 150 millions en 2009, entraînant un approvisionnement accru dans les pays
[Nations unies, 2010]. Cependant, d’après les quantités de moustiquaires imprégnées fournies par les
programmes nationaux de lutte contre le paludisme, seulement six pays d’Afrique avaient en 2006 la
capacité de protéger au moins 50 % des personnes à risque [WHO, 2008]. De même, selon une étude,
la couverture de moustiquaires imprégnées chez les enfants de moins de cinq ans reste encore
extrêmement faible dans des pays à haut risque d’endémie, comme le Nigeria, le Soudan ou la
République démocratique du Congo [Noor et al., 2009]. Ceci peut être expliqué par le manque de
ressources et de moyens dont disposent les ministères de la Santé de ces pays, qui limite leur capacité
à mettre en place des distributions à large échelle, et également par le fait de la guerre qui sévit dans
ces pays. De même, les difficultés logistiques que doit affronter la République démocratique du
Congo expliquent en grande partie la faible couverture nationale des interventions.

Encadré 1 :$Un modèle de lutte contre le paludisme : la Zambie

La Zambie s’est distinguée en Afrique pour les importants progrès réalisés dans la lutte
contre le paludisme. D’après la dernière enquête MIS (Malaria Indicator Survey), sur la période
2006-2008 :

chez les enfants de moins de cinq ans, la prévalence du parasite a diminué de 54 % et


l’anémie sévère de 69 % ;

la possession d’au moins une moustiquaire par ménage a augmenté de 50 % et la


possession d’au moins une moustiquaire imprégnée de 38 %, couvrant en 2008 dans le
premier cas 78 % et dans le second cas 62 % des ménages ;

l’utilisation de moustiquaires imprégnées par les enfants et les femmes enceintes a


augmenté respectivement de 69 % et 76 % ;

le nombre de femmes ayant reçu deux doses de traitement intermittent préventif durant
leur grossesse a augmenté de 12 %.

Ces progrès remarquables ont été possibles grâce à une volonté politique affirmée et des
approches innovatrices. Le Plan stratégique national de contrôle du paludisme 2006-2010 a en
effet visé une couverture plus large et plus efficace des quatre interventions promues par
l’OMS :

la pulvérisation intra-domiciliaire concerne aujourd’hui 36 districts. Sur la période


2007-2008, environ 700 000 ménages ont été protégés dans 15 districts cibles, dépassant
ainsi l’objectif fixé de couvrir 85 % des ménages. Pour visualiser plus facilement les zones
pulvérisées, de nouveaux instruments ont été utilisés, comme des ordinateurs portables et
des technologies GIS/GPS (Geographic Information System/Global Positioning System) ;

une couverture en moustiquaires imprégnées plus équitable entre zone urbaines et


rurales a été encouragée par des distributions décentralisées et mieux planifiées au sein des
districts. En particulier, tous les acteurs ont été encouragés à annoncer les activités de
distribution de moustiquaires dans le pays, en retournant des fiches de renseignement au
Centre national de contrôle du paludisme du ministère de la Santé, qui assure ainsi la
coordination des approvisionnements ;

pour atteindre les femmes enceintes, moustiquaires imprégnées et traitements


préventifs intermittents ont été distribués dans les centres de santé prénatale publics, au
niveau national ;

le traitement efficace des malades a été favorisé par un approvisionnement accru en


ACT, une plus large disponibilité des tests de diagnostic rapide et une meilleure éducation
des patients ;

des mécanismes de gestion vectorielle intégrée ont été introduits, comme la gestion de
l’environnement et l’assainissement, l’implication des communautés, la prise en compte des
savoirs traditionnels, etc.

Dans ce contexte, il faut mentionner la contribution d’un financement conséquent couplé


d’un partenariat fort et cohérent entre les différentes parties prenantes. En particulier, parmi les
partenaires : le partenariat Roll Back Malaria, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la
tuberculose et le paludisme, la Banque mondiale, la US President’s Malaria Initiative, le Malaria
Control and Evaluation Partnership in Africa de l’ONG PATH. Aussi, il faut saluer l’attention
importante pour le monitorage et l’évaluation des interventions, essentiels pour mieux orienter
l’action publique : un National Malaria Prevention and Control M&E Plan a été conçu pour la
période 2006-2010, deux enquêtes (MIS 2006 et 2008) ont déjà été réalisées et la troisième pour
l’année 2010 est en cours.

Aujourd’hui, avec l’élaboration du nouveau plan quinquennal de lutte contre le paludisme,


la Zambie s’apprête à promouvoir une couverture nationale des interventions et un impact accru
de ces activités, en vue d’éliminer le paludisme dans le pays.

Sources : National Malaria Control Centre (www.nmcc.org.zm), PATH (www.path.org),


Global Fund for AIDS, Tuberculosis and Malaria (www.theglobalfund.org).

En outre, à l’intérieur d’un même pays, le niveau de couverture par moustiquaire dépend souvent
de la zone géographique de résidence et du revenu des personnes. En effet, alors que la transmission
du paludisme est plus fréquente en milieu rural et auprès des personnes les plus pauvres, une enquête
menée dans 18 pays montre que la possession de moustiquaires est généralement plus élevée en
milieu urbain et auprès du quintile le plus riche de la population. Cette tendance a été également
confirmée pour la couverture en moustiquaires des enfants de moins de cinq ans et des femmes
enceintes, qui s’avère inégale selon la localisation et la richesse disponible. Néanmoins, là où les
efforts ont ciblé la couverture des populations plus à risque, par exemple au Ghana, en Zambie, au
Cambodge ou au Vietnam, ces différences géographiques et sociales se sont atténuées [TERG, 2009].

Concernant les moustiquaires imprégnées, il faut également considérer les conditions de leur
livraison et utilisation. En effet, l’acquisition et la livraison des moustiquaires sont souvent
organisées par plusieurs acteurs différents, en dehors du circuit national d’approvisionnement en
produits pharmaceutiques et en dehors de tout mécanisme de coordination entre les différentes parties
prenantes. Ainsi, des cas de distribution chaotique et déconnectée des besoins réels des zones ont été
souvent enregistrés dans les pays en développement. De plus, des erreurs pratiques ont aussi été
relevées quand à la bonne imprégnation des moustiquaires : l’effet de l’insecticide étant d’une durée
limitée, généralement six mois, il est important de stocker séparément moustiquaires et insecticides et
d’effectuer les imprégnations à chaque distribution. Or bien souvent, la bonne gestion des
imprégnations fait défaut dans les pays en développement, par manque de personnel formé ou de
matériel adéquat [Bastin, 2007].

Une autre entrave à l’efficacité des interventions a été le coût élevé des traitements et les
difficultés liées à leur approvisionnement. La logique actionnariale qui guide beaucoup de groupes
pharmaceutiques a souvent réduit les efforts en recherche et développement (R&D) en faveur du
paludisme et maintenu élevés les prix des médicaments. Un exemple vient des combinaisons ACT [2] .
Le premier ACT à avoir été préqualifié par l’OMS a été le Coartem®, un médicament produit par le
laboratoire pharmaceutique Novartis, qui associe dans un seul comprimé artéméther et lumefantrine.
En 2001, ce laboratoire et l’OMS ont conclu un accord aux termes duquel Norvartis s’engageait à
fournir le Coartem® pour une période de dix ans au prix de revient aux secteurs public et associatif
des pays en développement. Cet engagement se basait sur un partenariat impliquant à la fois Novartis,
l’OMS, l’Unicef, le FMSTP et les bailleurs internationaux [RBM et OMS, 2005]. Or, malgré cet
accord, ce médicament restait peu accessible à de nombreux patients : le traitement pédiatrique étant
vendu à 0,9 dollar et celui pour adulte à 2,4 dollars, cet ACT coûtait cinq à six fois plus cher que les
monothérapies classiques [MSF, 2004].

Comme pour les moustiquaires, se sont ajoutées aux problèmes de coût les difficultés
d’approvisionnement en ACT. En effet, l’engagement de Novartis n’a pas été accompagné d’une
amélioration parallèle des capacités de prévision des besoins et de production du Coartem®, ni d’un
accroissement des investissements. Ainsi en 2004, l’OMS annonçait son incapacité à fournir les
quantités commandées pour 2005, Novartis n’étant capable de produire que 30 millions de traitements
sur les 60 millions demandés. En outre, l’accord entre Novartis et l’OMS a été fortement critiqué par
plusieurs ONG, notamment Médecins sans frontières (MSF), qui ont dénoncé l’instauration d’un
quasi-monopole et demandé la conclusion d’accords avec d’autres producteurs [MSF, 2004].

Un autre obstacle à l’approvisionnement en ACT vient du fait que l’artemisia annua, la plante
dont est dérivée la molécule artémisinine, n’est cultivée qu’en Chine, avec des premiers champs qui
se sont développés au Vietnam, en Thaïlande et en Tanzanie. Cela réduit évidemment les capacités
d’approvisionnement durable pour tous les pays endémiques, qui devraient au contraire se lancer
davantage dans la culture de cette plante, afin de renforcer leurs propres capacités de production.
Ainsi, même si aujourd’hui 81 pays endémiques ont adopté la stratégie de proposer des ACT
comme traitement de première ou deuxième intention contre le plasmodium falciparum et si les ACT
ont été distribués dans 69 pays [Diap et al., 2010], la disponibilité et l’utilisation réelle de ces
médicaments dans les services publics et par les patients restent encore faibles, comme le souligne le
rapport d’évaluation à cinq ans du Fonds mondial en 2009 [TERG, 2009].

Le coût élevé des médicaments et les problèmes d’approvisionnement nous amènent à un autre
problème majeur de la lutte contre le paludisme dans les pays en développement : l’émergence de
résistances aux traitements due en particulier aux difficultés de bien diagnostiquer la maladie, mais
aussi à la prescription de médicaments non appropriés et à l’usage peu rationnel des médicaments par
les patients. En effet, la fièvre étant un symptôme assez répandu, son apparition est soit sous-estimée,
avec l’administration trop tardive d’antipaludéens efficaces, soit surestimée et donc soignée comme
fièvre palustre même en l’absence de véritable certitude. Cela est dû principalement au manque de
matériel de diagnostic adéquat et de personnel qualifié : l’utilisation de microscopes et de tests de
diagnostic rapide reste encore peu répandue en Afrique. En 2008, sur 18 pays africains, seulement 22
% des cas suspects du paludisme ont été testés [WHO, 2009]. Une enquête portant sur la qualité des
services offerts en Afrique pour la prise en charge du paludisme a relevé que si en Zambie et en
Éthiopie les tests de diagnostic rapide étaient largement utilisés et que les services de soins offraient
donc un diagnostic de bonne qualité, dans d’autres pays, comme par exemple le Burkina Faso, le
diagnostic du paludisme était encore peu basé sur des tests spécifiques [TERG, 2009].

Par ailleurs, une fois le diagnostic fait, la prescription d’antipaludéens appropriés fait souvent
défaut. Ainsi par exemple, des estimations dans 14 pays africains ont montré que, entre 2004 et 2006,
les associations à base d’artémisinine n’ont été prescrites qu’à 6 % des enfants diagnostiqués
fiévreux, avec la seule exception de la Zambie où la couverture avait atteint 13 % [Unicef, 2007].
Encore plus préoccupant, dans la plupart des pays enquêtés, il ne semble pas y avoir eu une
amélioration générale dans le traitement des enfants fiévreux, ni par ACT ni par d’autres
antipaludéens [TERG, 2009].

Enfin, même en cas de prescription correcte, faute de moyens suffisants, les patients des pays en
développement sont souvent contraints à faire une sélection parmi les médicaments qui leur sont
prescrits, en éliminant par exemple les médicaments les plus coûteux, mais qui sont souvent aussi les
plus efficaces, en prenant les médicaments seulement jusqu’à la fin des symptômes, sans compléter le
cycle du traitement, ou en recourant à des vendeurs ambulants de médicaments illicites moins chers,
dont l’efficacité est néanmoins douteuse.

Des questions se posent également quant aux ressources financières disponibles pour la lutte
contre le paludisme. Le financement international pour le contrôle de cette maladie a
considérablement augmenté entre 2003 et 2009, passant de 300 millions de dollars à près de 1,7
milliard [RBM, 2010a]. Cette augmentation a été possible notamment grâce à l’implication du FMSTP
(70 % des engagements durant cette période), mais aussi grâce à d’autres programmes, comme
l’Initiative du président américain contre le paludisme [3] (17 % des engagements) et le Booster
Program for Malaria Control de la Banque mondiale [4] (8 % des engagements) [RBM, 2010b].
Cependant, d’une part, les fonds restent insuffisants pour atteindre les engagements fixés. Par
exemple, selon le Partenariat RBM, 6 milliards de dollars seraient nécessaires pour mettre en place le
Plan d’action mondial contre le paludisme durant la seule année 2010. D’autre part, se posent
aujourd’hui des problèmes quant à la pertinence, la complémentarité et la prévisibilité des
financements accordés par les bailleurs de fonds. L’allocation des financements, rapportée à la
population ou au niveau de l’endémie, n’est pas rationnelle et coordonnée. Il en résulte une certaine
iniquité. Les fonds semblent en effet viser de petits pays, où la population à risque est moindre, par
rapport à d’autres pays relativement plus à risque d’infection ; et la coordination entre les différentes
agences de coopération reste faible. Par exemple, concernant les financements accordés par le
FMSTP entre 2002 et 2007, le Nigeria, avec ses 135 millions de personnes à risque, a reçu 0,12 dollar
par personne à risque ; le Pakistan, avec 31 millions de personnes à risque, a reçu 0,1 dollar ; au
contraire, Surinam, un pays avec une population relativement moins à risque, a reçu 147 dollars par
personne. De plus, dans ce dernier pays, le FMSTP est venu s’ajouter aux financements déjà
importants d’autres bailleurs de fonds (environ 167 dollars par personne financés par ces derniers),
alors qu’au Pakistan, par exemple, où l’appui extérieur et le financement national étaient tout aussi
faibles (environ 0,16 dollar par personne), un appui majeur de la part du FMSTP aurait été plus
justifié [Snow et al., 2008].

En outre, les investissements extérieurs varient souvent d’année en année et les annonces
d’engagement de la part des bailleurs sont souvent tardives par rapport aux cycles de planification des
pays, ce qui pose des difficultés supplémentaires pour développer des interventions à l’échelle
nationale. Par ailleurs, si d’une part ces financements ont été et sont aujourd’hui importants pour
relever les défis posés par la lutte contre le paludisme et pour multiplier les interventions de
prévention dans les pays du Sud, d’autre part la mise en œuvre des interventions et la gestion
financière des fonds s’opèrent parfois en dehors des mécanismes et des procédures des pays en
question, et en dépit des politiques et des priorités sanitaires nationales, limitant ainsi le renforcement
des systèmes de santé et l’amélioration de la qualité des soins en général.
4. - Des résultats de recherche confortés par les
dernières avancées
Les résultats atteints jusqu’à aujourd’hui sont donc loin de satisfaire les objectifs fixés par la
communauté internationale. Ainsi, pour ce qui est des OMD par exemple, il est désormais évident que
la plupart de ces objectifs ne seront pas atteints en 2015, et cela surtout dans les pays africains.
Cependant, ces dernières années plusieurs avancées ont été enregistrées, laissant espérer de meilleurs
résultats dans le futur proche.

Tout d’abord, un nouveau type de moustiquaire a été créé : la « moustiquaire imprégnée


d’insecticide longue durée » (MILD). Aujourd’hui, deux MILD sont recommandées par l’OMS pour
la prévention du paludisme : Olyset® et PermaNet® 2.0. Il s’agit de moustiquaires imprégnées qui
intègrent l’insecticide dans leurs fibres, résistent au lavage et permettent une efficacité d’au moins
cinq ans. Ces caractéristiques permettent non seulement une protection plus longue des populations,
mais aussi de contourner et de minimiser les problèmes de gestion des imprégnations constatés avec
l’autre type de moustiquaire. Entre 2004 et 2007, huit pays ont complété la distribution de
moustiquaires imprégnées à efficacité durable au niveau national : l’Éthiopie et la Zambie, qui ont
ciblé tous les ménages à risque ; le Togo, le Niger, le Rwanda, le Kenya, la Sierra Leone et le Mali,
qui ont distribué ces moustiquaires prioritairement aux enfants de moins de cinq ans [WHO, 2008].
Pour un coût modeste, leurs résultats peuvent être importants et réduire significativement la mortalité
infantile : selon une étude sur l’efficacité des moustiquaires imprégnées d’insecticide, l’utilisation de
plusieurs moustiquaires (à efficacité durable ou simple) dans un ménage où l’enfant dort sous une
moustiquaire, peut réduire la mortalité des enfants par paludisme de 70 % [TERG, 2009].

Des initiatives apparaissent aussi en faveur d’une meilleure qualité et accessibilité financière des
médicaments antipaludiques. Le coût des bithérapies a en effet baissé ces dernières années. D’une part,
Novartis a décidé en septembre 2006 de fournir le Coartem® à 1 dollar par traitement adulte [5] , et
d’en augmenter la production [Bastin, 2007]. D’autre part, grâce au financement de la R&D par des
partenariats public-privés, de nouveaux ACT moins chers ont été produits. En particulier,
emblématique est l’initiative à but non lucratif DNDI [6] qui a permis la formulation de deux nouveaux
traitements. Tout d’abord, le Coarsucam®, vendu dans le secteur privé, ou ASAQ, vendu dans le
secteur public, réalisé en partenariat avec le groupe pharmaceutique sanofi-aventis et associant
artésunate et amodiaquine. Ce médicament, « Adapté, Simple, Accessible et de Qualité », a été lancé le
1er mars 2007. Il est produit au Maroc sans brevets, il garantit une bonne tolérance et une efficacité
comparable à celle du Coartem®, et il permet un traitement complet pour moins de 1 dollar chez
l’adulte et 0,5 dollar chez l’enfant. Le régime de trois jours a été simplifié pour faciliter l’adhérence
des patients : deux comprimés en une seule prise par jour pour les adultes et un comprimé par jour
pour les enfants, avec une formulation soluble conçue spécifiquement pour ces derniers [DNDI et al.,
2005]. En octobre 2008, l’ASAQ a reçu l’approbation pour le Programme de préqualification de
l’OMS, devenant ainsi la seule association antipaludique à doses fixes à être préqualifiée, avec le
Coartem®. Aujourd’hui, ce médicament est utilisé dans 25 pays africains et en Inde.

En avril 2008, DNDI a lancé son deuxième produit, ASMQ, l’association d’artésunate et
méfloquine produite par le groupe pharmaceutique brésilien Farmanguinhos/Fiocruz pour traiter les
formes non compliquées de paludisme chez les enfants et les adultes en Amérique latine et en Asie [7] .
Comme l’ASAQ, cet ACT est non breveté, présente des posologies adaptées pour l’adulte et l’enfant
et sera vendu à prix coûtant (2,5 dollars pour le traitement complet d’un adulte). Par ailleurs, grâce à
un accord conclu entre Farmanguinhos/Fiocruz et le fabricant de génériques indien Cipla, une
coopération Sud-Sud et un transfert de technologies permettront la production locale de ce
médicament en Asie du Sud-Est [DNDI, 2008].

Outre ces avantages pratiques, cette initiative représente aussi une importante avancée dans la
mesure où elle a introduit de nouveaux acteurs dans la R&D et de nouveaux modes de production de
médicaments pour les pays en développement. Ainsi, grâce au partenariat entre l’organisation à but
non lucratif Medecines for Malaria Venture et le laboratoire pharmaceutique Sigma-Tau, et avec le
soutien financier de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’efficacité d’un nouvel ACT contre les
formes non compliquées du paludisme a été démontrée : le Eurartesim®, association de
dihydroartémisinine et de pipéraquinine [8] , permettant une protection contre de nouvelles
réinfections jusqu’à deux mois après le traitement [Sigma Tau, 2008a]. De même, Novartis et
Medecines for Malaria Ventures ont annoncé en février 2009 à Dakar la distribution en Afrique d’une
version du Coartem® adaptée aux enfants : le Coartem® Dispersible [Novartis, 2009]. Depuis, ce
médicament a été intégré dans la liste des médicaments pédiatriques essentiels de l’OMS, il a été
adopté dans 24 pays endémiques, et 16 millions de traitements ont été distribués dans 13 pays
(www.mmv.org).

Enfin, en avril 2009, un mécanisme de financement innovant : l’AMF-m ou Affordable


Medicines Facility for Malaria a été lancé officiellement à Oslo [RBM, 2009]. Ce fonds, financé
notamment par Unitaid et le gouvernement anglais, est géré par le FMSTP : ce dernier négocie des
réductions du prix des ACT auprès des producteurs et cofinance une partie des coûts, afin de
diminuer les dépenses des pays [9] pour l’achat de ces médicaments, de dégager des ressources pour
financer d’autres interventions, comme l’amélioration du diagnostic et des services de soins, et de
rendre les ACT plus abordables pour les patients (à environ 0,2-0,5 dollar).
Après soixante-dix ans de recherche pour la mise au point d’un vaccin contre cette maladie, deux
études ont révélé en octobre 2008 une efficacité suffisante du candidat-vaccin RTS,S, le premier à
obtenir des résultats remarquables en laboratoire et sur le terrain. La production de ce vaccin et les
essais cliniques ont été possibles grâce à un partenariat entre le laboratoire britannique
GlaxoSmithKline et l’initiative PATH Malaria Vaccine Initiative, et aux financements de la Fondation
Bill et Melinda Gates. La première étude, conduite en Tanzanie auprès de 340 nourrissons, a montré
que le vaccin RTS,S combiné à l’adjuvant AS02D peut réduire de 65 % le nombre d’infections dues
au paludisme. En outre, ce vaccin a été administré simultanément aux autres vaccins du Programme
élargi de vaccination (PEV) et aucune interaction nuisible n’a été constatée [Abdulla et al., 2008]. La
deuxième étude, qui a testé le vaccin RTS,S en combinaison avec l’adjuvant AS01E sur 894 enfants
âgés de cinq à dix-sept mois au Kenya et en Tanzanie, a montré une réduction des cas de paludisme de
53 % [Bejon et al., 2008]. Aujourd’hui, des études de phase III sont en cours dans sept pays africains
pour confirmer ces résultats. L’efficacité de ces vaccins est encore loin des 80 % minimaux prévus
pour une bonne protection de la population, mais le succès de ces études reste tout de même très
important, car il permettrait d’élargir les possibilités de prévention auprès des enfants, un des
groupes les plus à risque d’infection palustre, et à des coûts relativement faibles pour les pays, dans le
cas par exemple de l’intégration du nouveau vaccin aux autres vaccinations de routine du PEV.
5. - Des actions plus globales et efficientes pour
l’avenir
Comme nous l’avons vu, depuis les années 1930 les initiatives et les engagements en faveur de la
prévention et du contrôle du paludisme se sont multipliés. Or, les résultats n’ont pas su être à la
hauteur des attentes et si des progrès ont été réalisés dans certaines régions et pour certaines activités,
ailleurs ou pour certains aspects ils sont mitigés. Parmi les difficultés pratiques rencontrées dans la
mise en place des interventions et ayant amoindri l’efficacité des stratégies sur le terrain : le manque
de ressources et de matériel adéquat dans les structures de soins des pays en développement, le coût
élevé des médicaments et la difficulté de leur approvisionnement, le manque de financements pour la
R&D et pour une production de médicaments et de matériels en quantité suffisante, le manque de
coordination entre les différents bailleurs de fonds, une allocation des financements pas toujours
efficiente, et des stratégies verticales souvent déconnectées du contexte socio-sanitaire et des systèmes
de santé des pays concernés.

Pourtant, des solutions efficaces et efficientes existent, comme le montre un usage correct des
moustiquaires imprégnées longue durée. De plus, la coordination entre toutes les parties prenantes et
des interventions conjointes ont déjà montré leurs effets positifs sur l’impact des interventions et
l’optimisation des ressources nécessaires. Dans ce sens, les partenariats public-privés apparaissent
comme une stratégie gagnante, capable de mobiliser un grand nombre d’acteurs et de ressources, et
de coaliser les efforts en faveur de la lutte contre cette maladie. Emblématique est le cas de DNDI,
initiative qui a rendu possible la production de médicaments sans brevets et directement dans les pays
du Sud, favorisant ainsi l’accessibilité des ACT pour les patients et leur approvisionnement dans les
pays en développement. Grâce à ces partenariats, l’offre de médicaments disponibles sur le marché
pharmaceutique des pays en développement s’est élargie et des résultats significatifs dans la R&D ont
été atteints, comme le montrent les progrès réalisés dans le développement d’un vaccin efficace et
bien toléré pour la prévention du paludisme auprès des enfants. Les avancées constatées ces dernières
années dans la recherche sont donc importantes pour assurer des résultats à long terme, développer
de nouvelles modalités d’intervention et permettre des stratégies de lutte contre le paludisme plus
efficientes.

Cependant, il est aujourd’hui évident que sans une amélioration générale et un renforcement du
système de santé des pays en développement, l’impact de ces avancées et des interventions ne pourra
que décevoir les attentes. En effet, pour assurer une couverture adéquate en ACT, ainsi qu’en
moustiquaires imprégnées à efficacité durable, en tests de diagnostic rapide, etc., il faudra non
seulement favoriser une accessibilité importante de ces médicaments, une production accrue, une
distribution plus capillaire des traitements et du matériel, mais il faudra également renforcer les
capacités des professionnels de santé en matière de prescription et de soins, assurer l’adhésion des
patients au traitement et promouvoir des changements de comportement dans la population, mieux
cibler les personnes les plus à risque, etc. Et cela ne pourra être garanti que par l’équipement des
structures de soins, la formation du personnel soignant, l’éducation des patients et, plus généralement,
par le renforcement du système de santé et des circuits d’approvisionnement en médicaments des pays
en développement dans leur ensemble, aussi bien dans les zones urbaines que rurales. On parle par
exemple aujourd’hui de la gratuité des ACT. Certains pays, comme le Sénégal depuis mai 2010, ont
adopté une politique de gratuité de ces médicaments. Or, il est important de considérer les effets
qu’une telle stratégie aura pour l’ensemble du système et sur les services de santé en particulier, en
sachant que pour de nombreux centres de santé le recouvrement des coûts est fondamental pour leur
pérennité et le financement de tout ou partie du personnel soignant. La viabilité des centrales d’achat
et des mécanismes de distribution des médicaments risque aussi d’être menacée. La prescription et la
vente des monothérapies classiques pourraient alors s’avérer plus rentables que celles des ACT,
mettant à mal l’usage exclusif des ACT préconisé pour les patients et favorisant au contraire des
usages peu rationnels et le développement de résistances, qui par ailleurs commencent déjà à
apparaître dans certaines zones frontalières entre le Cambodge et la Thaïlande.

Ainsi, au-delà des cibles, dont les chiffres sont souvent trop ambitieux pour être réellement
atteints et peu adaptés au contexte local propre à chaque pays, et au-delà des promesses
sensationnelles de financement, il est important que les partenariats public-privés, à l’instar de tout
programme de développement et de santé, s’inscrivent dans une vision holistique du secteur de la
santé et contribuent à renforcer l’ensemble du système sanitaire. Des interventions sectorielles donc,
mais aussi multisectorielles. Saluons les annonces par le FMSTP en vue d’améliorer l’alignement des
interventions sur les politiques et les procédures nationales des pays et d’appuyer davantage le
renforcement des systèmes de santé nationaux. Ou encore l’initiative prise en mai 2009, par le PNUE,
l’OMS et le Fonds pour l’environnement mondial dans le cadre de la Conférence des parties et de la
Convention de Stockholm, de créer une Alliance mondiale pour coordonner et renforcer les efforts
menés en faveur de nouveaux produits et méthodes de lutte contre le paludisme alternatifs au pesticide
DDT (http://chm.pops.int). Des méthodes non chimiques ont en effet déjà montré leur efficacité au
Mexique et en Amérique latine, à savoir par exemple l’élimination des sites potentiels de
reproduction des moustiques, le déploiement d’arbres qui repoussent les moustiques, l’implantation
de poissons qui mangent leurs larves. Ceci contribuerait à la lutte contre le paludisme, de manière
moins onéreuse et avec moins d’effets secondaires sur la santé générale des populations.

L’année 2010 représente une année cruciale dans la lutte contre le paludisme. Il ne reste en effet
plus que quelques mois pour atteindre l’objectif fixé par le partenariat RBM de diminuer de moitié la
mortalité due au paludisme. Lors de la Journée mondiale contre le paludisme d’avril 2010, le
partenariat RBM a lancé la campagne « Counting Malaria Out », plaidant pour un renforcement des
efforts contre cette maladie. Cependant, la prévention, le contrôle et in fine l’éradication du paludisme
dépendront non seulement d’une augmentation des engagements, mais aussi d’une complémentarité
entre stratégies cohérentes, financements adéquats et activités de terrain efficientes et à la portée des
populations locales. Ainsi, l’année 2010 devra être l’occasion pour la communauté internationale et
pour les pays endémiques de tirer des leçons du passé et de profiter des avancées plus récentes en les
intégrant dans des approches sectorielles et multisectorielles permettant d’optimiser les ressources,
de pérenniser les résultats et d’obtenir un impact majeur dans la lutte contre le paludisme et dans le
renforcement des systèmes de santé des pays du Sud.
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Notes du chapitre
[*] ↑ Groupe de recherche en appui à la politique sur la mise en œuvre de l’agenda pour l’efficacité de l’aide en santé (GRAP-
PA Santé), Université libre de Bruxelles

[1] ↑ Mieux connue sous le nom de Roll Back Malaria, www.rollbackmalaria.org

[2] ↑ Associations thérapeutiques à base d’artémisinine recommandées depuis 2001 par l’OMS car efficaces contre les résistances
que plasmodium falciparum a développées aux monothérapies traditionnelles, telles que chloroquine, sulfadoxine-pyriméthamine et
amodiaquine. Ces associations éliminent le parasite très rapidement, permettent au malade de récupérer vite et ont peu d’effets
secondaires.

[3] ↑ President’s Malarie Initiative (PMI), www.fightingmalaria.gov

[4] ↑ Programme d’accélération de la lutte contre le paludisme en Afrique [Banque mondiale, 2005].

[5] ↑ Aujourd’hui, le coût moyen d’un traitement pour l’adulte est de 0,8 dollar [Novartis, 2009].

[6] ↑ Drugs for Neglected Deseases Initiative naît en 2003 de la collaboration entre sept organisations : la Fondation Oswaldo
Cruz (Fiocruz) au Brésil, l’Indian Council for Medical Research, le Kenya Medical Research Institute, le ministère de la Santé de
Malaisie, l’Institut Pasteur en France, l’ONG Médecins sans frontières et le Programme spécial de recherche et formation en maladies
tropicales de l’OMS. Le but : développer des traitements pour ces maladies qui, ne constituant pas un marché dans les pays industrialisés,
restent négligées. Les recherches pour la production d’ACT ont été menées dans le cadre du « Projet FACT » : l’Université de
Bordeaux, l’Université Sains Malaysia en Malaisie et la compagnie pharmaceutique brésilienne Farmanguinhos/Fiocruz ont été chargées
de la formulation et production de l’association. Les essais cliniques ont été réalisés par l’Université Mahidol en Thaïlande et par le
Centre de recherche pour le paludisme au Burkina Faso, avec le soutien de l’Université de Oxford.

[7] ↑ La combinaison artésunate + méfloquine est aujourd’hui parmi les quatre ACT recommandés par l’OMS pour le traitement de
première intention des cas de paludisme simple à plasmodium falciparum, avec l’artésunate + amodiaquine, l’artéméther + lumefantrine
et l’artésunate + sulfadoxine - pyriméthamine [WHO, 2010].

[8] ↑ DHQ + PPQ. Aujourd’hui, cette combinaison est recommandée par l’OMS comme traitement optionnel contre les formes
simples de paludisme [WHO, 2010]. L’approvisionnement de cet ACT en Afrique sera assuré par une collaboration entre Sigma Tau et le
laboratoire Pfizer [Sigma Tau, 2008b].

[9] ↑ En tant que première phase pilote, cette initiative a été limitée à onze pays d’Afrique : Bénin, Cambodge, Ghana, Kenya,
Madagascar, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Ouganda, www.theglobalfund.org
5. Vacciner c’est convaincre [1] 
Bernard Seytre [*] 
Bernard Seytre, ancien journaliste et actuellement directeur d’une agence de
communication spécialisée dans le domaine de la santé, a écrit de nombreux articles et
plusieurs livres sur des questions de santé, essentiellement sur le sida et la poliomyélite. Il a
travaillé dans divers pays en développement, dont une douzaine de pays africains.

Nombre d’arguments rationnels militent en faveur des vaccins : ils sont la


seconde raison de la baisse spectaculaire de la mortalité au XXe siècle, après les
progrès de l’hygiène, ils sauvent chaque année des millions de vie, aucun traitement
n’atteint leur rapport coût/bénéfice... et pourtant la vaccination rencontre des
résistances qu’aucune chimiothérapie ne connaît. Dans les régions nigérianes ou
indiennes les plus reculées, comme dans les centres-villes français, des gens
tiennent discrètement leurs enfants à l’écart des vaccins, évitent les centres de
vaccination ou s’opposent bruyamment au principe même de l’immunisation. Les
autorités françaises l’ont découvert en 2009, comme les responsables de l’Initiative
mondiale pour l’éradication de la poliomyélite l’avaient fait près de dix ans plus
tôt. La vaccination repose en effet sur un paradoxe qui conduit à l’échec toute
politique de vaccination systématique qui l’oublie : c’est un acte intrusif, une
agression physique, sur des individus en bonne santé. Un acte que ces individus
n’accepteront que si on les a, d’abord, convaincus d’être vaccinés.
1. - Les difficultés de l’Initiative mondiale
d’éradication de la poliomyélite
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 1988 un ambitieux programme
international pour l’éradication de la poliomyélite qui touchait, estimait-on, 350 000 personnes par an
dans le monde. Huit ans après la proclamation solennelle de la disparition de la variole, toutes les
conditions semblaient réunies pour un second exploit. On disposait de deux vaccins efficaces dont
l’un, administré par voie orale, se prête particulièrement bien aux grandes campagnes de vaccination
dans les pays en développement ; et le virus ne possède aucun réservoir animal.

Les premières années, le nombre de cas chuta rapidement. En 1995, 120 pays n’avaient plus
connu de poliomyélite depuis au moins trois ans. Soutenue par le Rotary International qui finançait en
grande partie la campagne, l’OMS mobilisa les gouvernements des pays où la maladie était toujours
endémique. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, des journées nationales de vaccination furent
organisées au cours desquelles des millions de volontaires passaient de porte en porte, de concession
en concession, de tente en tente, dans les lieux les plus reculés, pour vacciner les enfants [Seytre et
Shaffer, 2004].

La poliomyélite disparut des Amériques, d’Europe et d’une grande majorité de pays asiatiques et
africains. Et l’OMS annonça qu’en 2000, la maladie serait rayée de la surface du globe.

Mais des cas persistaient dans six pays et on s’aperçut qu’ils étaient plus nombreux qu’on ne le
croyait, notamment en Inde, au Pakistan et au Nigeria [2] . L’OMS repoussa à 2005 l’objectif de
l’éradication et impulsa journées de vaccination sur journées de vaccination. Non seulement les
efforts déployés ne parvinrent pas à éliminer la poliomyélite dans les pays concernés, mais le virus se
répandit à nouveau dans des pays voisins où il avait disparu. En 2005, l’Indonésie, la Somalie,
l’Éthiopie, l’Angola, le Soudan, le Tchad, le Mali, l’Érythrée, le Cameroun, la République
centrafricaine, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, le Bénin ont retrouvé un mal qui, croyaient-ils,
appartenait au passé. L’OMS préféra ne plus annoncer de date butoir pour l’éradication mondiale.
Après quinze ans de campagne massive, il est difficile de ne pas parler d’échec, en espérant qu’il ne
soit que provisoire.

D’un point de vue logistique, l’Initiative mondiale d’éradication de la poliomyélite s’est pourtant
déroulée selon les plans établis, même si ce fut à un rythme moins rapide que prévu. Premier temps :
éradication de la poliomyélite dans les pays développés et émergents, grâce à la vaccination de
routine. Second temps : campagnes de vaccination de masse avec le vaccin oral dans les pays en
développement ; mobilisation de volontaires locaux pour quadriller les populations des bidonvilles,
des montagnes, des forêts et des savanes. Mais les populations n’ont pas partout accepté que leurs
enfants soient vaccinés.

Au Nigeria comme en Inde et au Pakistan, sur des continents différents, dans des cultures
différentes, la même peur incite des mères à cacher leurs enfants aux équipes de vaccinateurs. Les
trois gouttes du vaccin oral sont, pensent-elles notamment, un médicament pour stériliser leurs filles
et leurs garçons. « En matière de vaccination, le soupçon tue », souligne Anne-Marie Moulin [Moulin,
2010].

En Inde, les bidonvilles n’ont pas oublié que la dernière fois que des représentants de l’État sont
venus arpenter en grande pompe leurs chemins boueux pour raison médicale, c’était pour des
campagnes de stérilisation. Comme l’écrit The Lancet : « Vous êtes la mère d’un jeune enfant, dans un
village du Nord de l’Inde. Délaissé par le gouvernement central et local, le village n’a pas d’eau
potable, pas de tout-à-l’égout, pas de route bitumée. [...] Un fonctionnaire vient vous voir pour faire
absorber quelques gouttes à votre enfant, en disant que cela le protègera contre une maladie dont vous
n’avez jamais entendu parler, la polio. Le responsable du village vous dit que les gouttes contiennent
un produit stérilisant, c’est un complot du gouvernement pour réduire le nombre de pauvres,
protégez votre enfant. Qui croirez-vous ? » [The Lancet, 2006].

J’ai assisté à une Journée nationale de vaccination, dans l’Uttar Pradesh, l’un des États les plus
pauvres, dans le Nord-Est de l’Inde. Des volontaires, souvent étudiants donc appartenant à des
couches privilégiées, en majorité hindous, arpentaient avec dévouement un bidonville de plusieurs
centaines de milliers d’habitants, tous musulmans. Même avec l’appui des leaders politiques et
religieux locaux, comme c’était le cas, toutes les mères présentaient-elles leurs enfants ? Le virus
vivant atténué du vaccin oral se transmet spontanément d’un enfant vacciné à d’autres enfants de son
environnement proche, les vaccinant discrètement à leur tour, mais était-ce suffisant pour compenser
une couverture limitée ?

Au Nigeria, la campagne pour l’éradication de la polio a tout de suite suscité des craintes dans
les États du Nord, musulmans et en conflit latent avec le pouvoir d’Abuja. La tension montant, les
États de Kano, de Zamfara et de Kaduna ont fini par interdire en 2003 la vaccination contre la polio.
Le porte-parole du gouverneur de Kano expliquait : « Depuis le 11 septembre, le monde islamique se
méfie de tout ce que fait le monde occidental. Les vaccins contre la polio inquiètent beaucoup la
population. » Un médecin de Kano, dirigeant du Conseil suprême de la sharia au Nigeria, a déclaré : «
Des Hitler des temps modernes ont trafiqué les vaccins contre la polio et leur ont ajouté des
médicaments stérilisants et des virus du sida. » [Jegede, 2007]. Coïncidence malheureuse, ici comme
en Inde le gouvernement central avait, dans les années 1980, mené une politique antinataliste destinée
à limiter le nombre d’enfants à quatre par femme. L’OMS et l’Unicef ont obtenu que des représentants
du Conseil se rendent en Afrique du Sud, en Indonésie et en Inde, pour contrôler des tests de
vérification de l’innocuité du vaccin oral contre la polio. Les tests les ont convaincus et la société
Biopharma, située dans l’Indonésie musulmane, a été choisie pour tous les vaccins contre la polio des
États nigérians musulmans [Jegede, 2007].

La vaccination dans le Nord du Nigeria a repris en 2004, mais les réticences des mères de
famille sont visiblement plus difficiles à vaincre que celles des leaders religieux, car le nombre
annuel de cas de polio dans le pays était encore de 1 122 en 2006. Il a cependant baissé à 388 en 2009
et 5 entre le 1er janvier et le 13 juillet 2010. Les efforts pour prendre en compte les craintes de la
population et y répondre semblent donc enfin porter leurs fruits. Heidi Larson et David Heymann
estiment que « cette crise aurait pu être évitée si on avait fait beaucoup plus tôt l’effort de s’adresser
aux communautés et de gagner la confiance dans des régions où on connaissait très bien le niveau
général de méfiance » [Larson et Heymann, 2010].

Au 13 juillet 2010, le nombre mondial de cas de polio recensés était de 1 604 pour l’année 2009
et 545 pour 2010. 413 des cas rapportés en 2010 concernent le Tadjikistan, où la maladie avait disparu
depuis plus de dix ans [WHO, 2010].
2. - Le paradoxe vaccinal
Ces réticences face à la vaccination font toucher du doigt le paradoxe de la vaccination, acte
intrusif, intervention médicale proposée, si ce n’est imposée, à l’individu en bonne santé au nom de la
collectivité.

On admet universellement le droit d’un malade à refuser un traitement. La loi française reconnaît
« l’intangibilité corporelle de chaque personne » à laquelle on ne peut déroger « que par nécessité
thérapeutique pour la personne et avec son consentement préalable [...]. Aucun acte médical ne peut
être pratiqué sans le consentement du patient » [Charte du patient hospitalisé, 1995]. Un malade
diphtérique, tétanique ou poliomyélitique a le droit de refuser un traitement, quitte à perdre la vie.
Mais en France les vaccinations contre le tétanos, la diphtérie et la poliomyélite sont légalement
obligatoires [3] . Le vaccin contre l’hépatite B est obligatoire pour les professions médicales et
paramédicales. La protection de la collectivité passe par l’interdiction de contracter et de transmettre
certaines infections.

La majorité des vaccins sont seulement recommandés, mais la différence entre obligation et
recommandation est généralement plus théorique que réelle dans l’esprit du public qui s’en remet à
l’avis des médecins. Un sondage d’opinion mené dans cinq pays européens a montré que 19 % des
parents demandent d’eux-mêmes que leur enfant soit vacciné, 67 % suivent une recommandation de
leur médecin, tandis que 8 % seulement le font pour respecter le carnet de vaccination [4] .

Un individu vivant au milieu d’une population entièrement vaccinée pourrait en toute sécurité ne
pas être vacciné, du fait de l’immunité de groupe, excepté contre le tétanos. Mais qu’une proportion
significative de la population refuse la vaccination et les épidémies reprennent leur cours. Le droit du
groupe à se protéger s’oppose au droit de l’individu à disposer de son corps. D’où la nécessité d’une
régulation par l’État, agissant au nom de l’intérêt général. L’État qui exerce le bio-pouvoir décrit par
Michel Foucault, dont l’exercice commença avec l’endiguement de la peste en Europe. Un pouvoir «
qui s’exerce positivement sur la vie, qui entreprend de la gérer [...] d’exercer sur elle des contrôles
précis et des régulations d’ensemble » [Foucault, 1976].

Plus le pouvoir est absolu, plus le bio-pouvoir est facile à exercer et efficace. La France imposa
à sa colonie cochinchinoise la vaccination obligatoire contre la variole trente ans avant d’appliquer la
mesure à la métropole et alors que la sécurité vaccinale était encore mal maîtrisée en milieu tropical.
En revanche, la désintégration de l’Union soviétique a entraîné une baisse de la couverture vaccinale
et une résurgence d’épidémies, en particulier de diphtérie. « La vaccination est prête à aider les
humains, mais pour ce faire, elle entend plutôt s’imposer. [...] Elle entend qu’on l’aide et a donc
naturellement tendance à réclamer le concours de la contrainte publique », écrit l’ethnologue Jolanta
Skomska-Godefroy [Skomska-Godefroy, 1996].

La vaccination devient ainsi un enjeu social et politique. Promue par le pouvoir, elle peut être
l’occasion d’exprimer une méfiance, une frustration, une révolte envers les autorités. Lorsque la
Monnaie de Paris frappe en 1804 une médaille à l’effigie de Napoléon représentant, côté pile, une
allégorie de la vaccination contre la variole, elle contribue à l’image de protecteur des Français du
nouvel empereur, au risque de faire de la vaccine une cible des opposants à l’Empire.
3. - Des oppositions parfois violentes
Les résistances à la vaccination ont été précédées par celles à la variolisation, ancêtre de la
vaccination contre la variole. Voltaire s’irritait déjà du refus de certains Français : « De tous ceux qui
sont inoculés en Turquie ou en Angleterre, aucun ne meurt. [...] Personne n’est marqué, personne n’a
la petite vérole. Quoi donc ? Est-ce que les Français n’aiment point la vie ? » [Voltaire, rééd. 1986].

En 1904, l’imposition de la vaccination contre la variole déclenche la « Rivolta da Vacina » à


Rio de Janeiro. Étudiants et population dressent des barricades, le vaccin cristallisant leur réaction
contre un ensemble de mesures hygiénistes, dont des aménagements urbains effectués aux dépens du
petit commerce [Moulin, 2003].

En 1830, la population algérienne se rebiffe contre la vaccination contre la variole mise en place
par l’armée française après la conquête d’Alger, une révolte qu’on ne peut réduire à une réaction
contre le modernisme maladroit du colonisateur. La vaccination est nommée par le même mot que le
tatouage, fréquemment pratiqué, « tat’îm », et les Algériens connaissent déjà une forme de
variolisation, appelée « variole de Dieu » (djidri Allahi) qu’ils opposent à la « variole du
gouvernement » (djidri byelik) [Moulin, 2003].

La réussite de la vaccination, qu’elle soit obligatoire ou recommandée, repose sur une double
confiance : confiance dans l’innocuité du vaccin dont un médecin, l’État ou une organisation se porte
garant, mais confiance aussi dans la nécessité de la vaccination, autrement dit dans l’imminence du
danger de la maladie.

Nous avons vu que les résistances à la vaccination contre la poliomyélite, aussi bien en Inde
qu’au Nigeria, avaient notamment pour fondement des rumeurs selon lesquelles les vaccinateurs
visaient à stériliser les jeunes filles. Ces dernières années au Yémen, la fausse couche d’une jeune
femme après une vaccination par une ONG a failli tourner au drame, les humanitaires occidentaux
étant accusés des pires intentions. Dans le Nord-Est du Cameroun, une campagne de vaccination des
jeunes filles contre le tétanos, afin de les protéger ainsi que leur bébé lors de l’accouchement, a
suscité une véritable panique. Des manifestants se sont violemment affrontés aux forces de l’ordre et
la région fut placée en état de siège [5] .

Alors que les ligues anti-vaccinales sont fréquemment dans le monde l’émanation de sectes
religieuses, en France l’opposition organisée à la vaccination est essentiellement laïque [Skomska-
Godefroy, 1996]. Les promoteurs de la vaccination, qui ne sont pas toujours dénués d’arrière-pensées
politiques, ont peut-être voulu trop bien et trop bruyamment faire. Philippe Kourilsky se demande si
Pasteur n’a pas été trop sacralisé par la République à la recherche de héros : « Peut-être la dimension
civique que l’on a associée à l’acte vaccinal a-t-elle suscité en retour une sorte d’intégrisme
antagoniste ? » [Kourilsky, 1998]. Un propos que Dominique Lecourt élargit à une crainte générale de
la science et de ses fruits, très prégnante en France : « Notre pays a un problème particulier. La
République s’est constituée autour d’une “magnification” de la science. Avec même, parfois, une
tonalité scientiste, positiviste, voire un peu dogmatique et anticléricale. [...] Aujourd’hui, nous vivons
le retour du balancier. » [Lecourt, 2004].

La Ligue nationale pour la liberté des vaccinations a été fondée en 1954, par la fusion
d’associations françaises plus anciennes. Parmi ses animateurs, on trouvait un avocat alsacien qui
avait perdu un enfant dans les années 1930 à la suite d’une vaccination orale par le BCG. Une des
figures de la Ligue était le docteur Arbeltier, député et directeur d’hôpital. Célestin et Élise Freinet,
fondateurs de la pédagogie Freinet la soutiennent, ainsi que de nombreuses personnes de la mouvance
de Charles Geffroy, fondateur des magasins « Vie Claire ».

La Ligue cherche des racines théoriques chez Antoine Béchamp, médecin et pharmacien
contemporain de Pasteur et adversaire de sa théorie des germes. Pour Béchamp, les maladies ne sont
pas dues à des infections microbiennes mais à des modifications du milieu qui transforment en agents
pathogènes des bactéries inoffensives. « Les théorisations diverses ne viennent que légitimer un rejet
intuitif de la vaccination », estime cependant Jolanta Skomska-Godefroy, « elles n’en sont pas
l’origine » [Lecourt, 2004]. Après un déclin dans les années 1960, la Ligue connaît un renouveau dans
les années 1970, en liaison avec la montée du consumérisme, de l’écologie et de la contestation de la
société. Elle est soutenue, par exemple, par un journaliste de Charlie Hebdo, fondateur de La Gueule
ouverte, publication écologiste radicale. Son déclin, la décennie suivante, ne l’empêche pas de garder
une place dans le paysage français. Une scission en 1993 donne naissance à l’association Liberté
information santé, qui reproche à la Ligue un manque de combativité.

Malgré certaines craintes, bien que la vaccination obligatoire contre la tuberculose ait été une
des cibles favorites des groupes anti-vaccinaux français, la fin de cette obligation n’a pas été brandie
par eux comme une victoire. Elle est passée totalement inaperçue.

Les opposants à la vaccination se réclament de la liberté individuelle, forts de la conviction que


le refus de faire vacciner leurs enfants ne se traduira pas par la disparition de la moitié d’entre eux
avant l’âge de dix ans comme au XVIIIe siècle, ni même par un taux de mortalité et de morbidité tels
qu’on en rencontre aujourd’hui dans les bidonvilles de Calcutta ou de Rio. Dans des pays développés,
le risque qu’un enfant non vacciné soit frappé par la poliomyélite, la diphtérie, la coqueluche est
faible, parce que la couverture vaccinale de l’ensemble de la population est bonne. En d’autres
termes, lorsqu’ils avancent qu’ils « ne sont pas systématiquement contre les vaccinations mais contre
les vaccinations systématiques [6] », les détracteurs de la vaccination comptent sur les autres pour se
faire vacciner à leur place.

La couverture vaccinale nécessaire pour supprimer les épidémies dépend de l’efficacité du


vaccin et de la contagiosité de l’agent infectieux. Elle se situe le plus souvent autour de 80 %. Si elle
tombe endessous, comme cela s’est produit récemment pour la rougeole en Grande-Bretagne,
l’éclatement d’épidémies met en danger non seulement les individus non vaccinés à cause de contre-
indications, mais aussi la minorité de personnes vaccinées chez lesquelles le vaccin n’est pas efficace,
car un vaccin est rarement efficace à 100 %.
4. - Les vaccins sont-ils dangereux ?
Aucun acte médical ne peut prétendre être totalement exempt de risque et la vaccination ne fait
pas exception.

4.1 - Des erreurs humaines rarissimes


Un accident dû à une erreur humaine fit beaucoup de bruit au début du XXe siècle, quand dix-
neuf villageois du Penjab, en Inde, moururent du tétanos après avoir reçu le vaccin contre la peste,
mis au point dans le pays par le Russe Waldemar Haffkine. Une commission d’enquête accusa
rapidement le créateur du vaccin, qui avait surtout le défaut d’être juif, l’obligeant à retourner en
Angleterre. Cette « petite affaire Dreyfus », comme on l’appelle parfois, se termina comme la
grande : on démontra que l’erreur provenait d’un infirmier qui avait utilisé du matériel contaminé par
le bacille tétanique.

Vu les milliards de doses de vaccins administrées chaque année à l’échelle mondiale, des
accidents dus à des erreurs dans la reconstitution, le dosage, la voie d’administration, le respect de la
chaîne du froid ou les conditions d’asepsie sont certainement fréquents, surtout dans les pays en
développement, mais difficiles à recenser. Des fraudes ont également été signalées, comme lors d’une
épidémie de méningite au Niger où des centaines de personnes sont décédées après avoir reçu un
pseudo-vaccin qui ne contenait que de l’eau [Béaur, Bonin et Lemercier, 2006].

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les encéphalites et paralysies après vaccination
contre la rage n’étaient pas rares. Dues au vaccin lui-même, elles ont bénéficié d’une sorte de
conspiration du silence inimaginable aujourd’hui, car elles auraient pu remettre en cause l’ensemble
de la vaccination. Un pastorien finit par établir une première statistique en 1927 et mit en évidence que
les accidents étaient plus nombreux quand on suivait à la lettre la méthode de Pasteur et moins
fréquents avec d’autres procédés [Moulin, 1995]. Les vaccins actuels contre la rage, produits sur
lignées cellulaires, ne provoquent plus ces accidents.

Les accidents dus à des erreurs de fabrication des vaccins sont extrêmement rares. Les historiens
en citent trois, dont le dernier remonte à plus d’un demi-siècle, ce qui n’exclut bien sûr pas que
d’autres soient demeurés inconnus.

Le premier se produisit à Lübeck, en Allemagne, en 1929. 209 enfants contractèrent la


tuberculose après une vaccination, dont 73 moururent. Un long procès s’ensuivit, prétexte à un
déchaînement contre le vaccin et ses inventeurs français dans une période de nationalisme allemand
exacerbé. La vieille rivalité des écoles microbiologiques française et allemande se rejoua dans les
pires conditions. La réputation du BCG en fut longtemps ternie [Gheorghiu, 1996]. Les cultures ayant
servi à produire le vaccin ayant été détruites, il est impossible de connaître avec certitude la cause de
cette catastrophe, mais il est probable que la souche vaccinale ait été contaminée par une souche
humaine de bacille tuberculeux cultivée dans le même laboratoire.

En 1942, 25 585 soldats américains ont contracté une hépatite après avoir reçu un vaccin contre
la fièvre jaune stabilisé avec du sérum humain. Celui-ci contenait un virus, identifié plus tard comme
agent de l’hépatite B. Ce sérum a été remplacé la même année par du sérum bovin [Bloom et Lambert,
2003].

En 1955, un autre accident fit l’effet d’une bombe. Le vaccin contre la poliomyélite mis au point
par Jonas Salk venait tout juste de démontrer son efficacité. Le chercheur avait été décoré à la
Maison-Blanche et sa photo ornait la Une des journaux du monde entier, quand on apprit que le
vaccin avait provoqué des cas de poliomyélite. Le bilan s’établit à 204 malades et onze morts [Seytre
et Shaffer, 2004]. L’enquête montra rapidement que toutes les doses provenaient d’un seul fabricant,
les laboratoires Cutter, où le virus n’avait pas été suffisamment inactivé. Le vaccin fut interdit aux
États-Unis pendant plus d’un an et Salk mit longtemps à réhabiliter son invention, entachée par ce
drame.

Des recherches historiques récentes ont montré qu’en fait plusieurs fabricants avaient connu des
problèmes, mais que la société Cutter avait eu la malchance de cumuler plusieurs facteurs d’erreurs.
Thomas Weller, qui reçut en 1954 le prix Nobel de médecine avec John Enders et Frederick Robbins,
reconnut récemment qu’il jugeait à l’époque l’inactivation du virus insuffisante, mais que les
décideurs politiques avaient balayé ses scrupules car ils voulaient commencer sans délai le
gigantesque essai clinique du vaccin Salk, qui enrôla 2 millions d’enfants [Moulin, 2007].

Les mesures de précaution et les multiples contrôles auxquels les vaccins sont aujourd’hui
soumis excluent quasiment que de telles catastrophes se reproduisent.

4.2 - Des effets indésirables relativement fréquents, mais


mineurs
À côté des accidents au sens propre du terme, c’est-à-dire imprévisibles et dus à des erreurs
humaines, des vaccins provoquent des effets secondaires connus, prévisibles et évalués lors des essais
cliniques qui précèdent les autorisations de mise sur le marché. Il s’agit le plus souvent d’effets
indésirables mineurs mais fréquents, comme la fièvre qui touche 2 à 6 % des enfants vaccinés contre
l’hépatite B, 5 à 15 % des vaccinés contre la rougeole, environ 10 % des vaccinés contre le tétanos, et
jusqu’à 50 % après injection du DTCoq (diphtérie, tétanos, coqueluche). Des rougeurs et des douleurs
locales se produisent dans les mêmes proportions. Tous ces symptômes disparaissent rapidement sans
séquelles. Ces effets indésirables modérés, longtemps acceptés, sont souvent mal admis aujourd’hui et
les producteurs purifient de plus en plus leurs vaccins, grâce aux techniques modernes, pour les
réduire au maximum.

Les vaccins contiennent souvent des adjuvants, destinés à augmenter la réponse immunitaire de
l’organisme, et des conservateurs. Ces deux types d’ingrédients ont été récemment accusés d’être à
l’origine d’effets indésirables. C’est le cas de l’aluminium utilisé comme adjuvant et qui, revers de la
médaille d’une bonne réaction immune, a été suspecté d’entraîner des lésions musculaires
chroniques, sans qu’aucune étude n’étaye cette suspicion.

Le conservateur thiomersal a été mis en cause pour ses effets toxiques éventuels à forte dose. La
Food and Drug Administration (FDA) américaine avait estimé que le cumul du thiomersal d’un grand
nombre de vaccins chez le même individu pourrait être supérieur au seuil maximum autorisé. Une
étude de l’Institut de médecine américain conclut que rien ne permettait d’affirmer que le thiomersal
des vaccins ait un effet fâcheux, mais les autorités sanitaires américaines et européennes ont
cependant recommandé aux fabricants de le retirer de leurs produits. Le thiomersal ne se trouve
aujourd’hui que dans les vaccins utilisés en flacons multi-doses, pour éviter une éventuelle
contamination lors de l’utilisation des flacons.

4.3 - Quelques effets indésirables graves, mais rares


Enfin, quelques vaccins entraînent des effets secondaires graves, comme le vaccin oral contre la
poliomyélite ou celui contre la variole. Le premier cause un cas de paralysie pour 750 000 à 1 300
000 enfants recevant la première dose vaccinale, à cause d’un retour à la virulence du virus atténué
contenu dans le vaccin. Le vaccin contre la variole de type jennérien, à nouveau utilisé de manière
très limitée depuis quelques années, dans le cadre de la prévention d’un bioterrorisme davantage
redouté que subi, entraîne des effets indésirables graves chez une personne vaccinée sur 300 000 et le
décès chez une sur 1 million.
Tableau 1 : Fréquence des manifestations indésirables bénignes associées aux vaccins dans
les pays en développement

Tableau 2 : Fréquence des manifestations indésirables graves associées aux vaccins dans les
pays en développement

Qu’il s’agisse des effets mineurs mais fréquents ou de ceux qui sont graves mais rarissimes, la
décision d’autoriser un vaccin est, principalement, le résultat d’une comparaison entre les risques
encourus et les bénéfices attendus.

Certains pays industrialisés attribuent des indemnisations aux victimes des vaccins, sorte de prix
à payer par la collectivité pour la protection de tous. Aux États-Unis cette indemnisation est
institutionnalisée, sous la forme du National Vaccine Injury Compensation Program financé par le
gouvernement fédéral, qui évalue les demandes et attribue des sommes en fonction d’un barème, pour
une liste de vaccins [7] . Il s’agit, selon le département de la Justice américain, « d’encourager la
vaccination infantile ». Depuis 1988, plus de 1 500 dossiers ont été acceptés, pour un montant total
d’indemnisation de 1,18 milliard de dollars [National Academy of Medicine, 2000]. Un mécanisme
similaire existe en France pour les vaccins légalement obligatoires.
5. - Polémiques et craintes infondées
Les vaccins ont toujours été victimes de leur succès. Plus la crainte des maladies infectieuses est
grande, plus le public est prêt à accepter les contraintes et les risques de la vaccination. Mais plus la
menace s’estompe, moins il les tolère. Les spécialistes de la santé publique s’en plaignaient déjà au
XIXe siècle à propos du seul et unique vaccin largement utilisé à l’époque, celui contre la variole. Un
membre du Comité consultatif d’hygiène publique de France écrivait ainsi en 1891 à propos du
vaccin et des mesures de santé publique en général : « Lorsqu’une épidémie exerce ses ravages, ces
prescriptions sont rarement contestées, on les exécute généralement avec bonne grâce, la peur du
fléau pousse même à des exagérations regrettables ; mais en temps normal [...] on est plus disposé à
refuser à l’administration à la fois crédit et autorité » [Martin, 1891].

Aujourd’hui, les jeunes parents des pays industrialisés n’ont jamais vu un seul cas de la plupart
des maladies contre lesquelles ils font vacciner leurs enfants. La majorité des médecins n’ont qu’une
connaissance livresque de la poliomyélite, du tétanos, de la diphtérie, de la fièvre jaune ou de la rage,
à tel point que le diagnostic de cas importés est souvent difficile.

Il n’est pas rare de rencontrer des parents qui ne font pas vacciner leurs enfants contre les
maladies épidémiques, car ils estiment nul le risque de les contracter. Un parent américain sur huit
refuse au moins un vaccin recommandé par les médecins pour leurs enfants [Shetty, 2010]. La
disparition de la crainte des épidémies fausse l’évaluation du rapport bénéfices/risques de la
vaccination. Qu’une information alarmiste concernant un vaccin vienne au jour, une sorte de principe
de précaution mal compris incite à se dire que puisqu’il y a doute, mieux vaut s’abstenir du vaccin. La
précaution s’applique au vaccin, pas à la maladie. Ce à quoi Paul Offit, responsable des maladies
infectieuses à l’hôpital pédiatrique de Philadelphie répond : « il faut convaincre les gens que le choix
de ne pas se faire vacciner n’est pas un choix sans risque, mais que c’est le choix de courir un risque
différent » [Shetty, 2010].

Ajoutons à cela que l’information en la matière est difficile à communiquer. Le temps joue ici
contre la raison : une information alarmiste occupe les médias en quelques jours, alors que sa
réfutation scientifique demande des mois, voire des années d’enquête épidémiologique, d’analyses de
laboratoire ou d’études statistiques. Pendant ces mois ou ces années les accusations apparaissent
comme non réfutées, autrement dit fondées, aux yeux d’une partie du public. Et lorsque l’heure des
réfutations scientifiques arrive, elles dégonflent un non-événement, ramènent le vaccin concerné à la
situation banale qui était la sienne et n’ont guère de place dans l’actualité.

C’est dans ce contexte que diverses polémiques non fondées se sont développées récemment, en
France et en Grande-Bretagne.

La première est née dans la foulée du scandale du sang contaminé, qui ébranla la confiance du
public français dans le corps médical et les autorités sanitaires. À la suite de l’observation de cas de
sclérose en plaques chez des personnes récemment vaccinées contre l’hépatite B, le vaccin a été
accusé de provoquer cette maladie dégénérative. Aucune étude de pharmacovigilance ni aucun travail
épidémiologique entrepris après cette accusation n’ont montré une augmentation des cas de sclérose
en plaques après vaccination contre l’hépatite B. Des millions de personnes ayant reçu le vaccin, il est
statistiquement prévisible que certaines d’entre elles subiront une poussée de sclérose en plaques dans
les jours suivants, comme d’autres souffriront de maux de tête, de crise cardiaque... ou tomberont
dans leur escalier. Tous les comités nationaux et internationaux de santé publique qui se sont
prononcés sur la question ont recommandé la poursuite de la vaccination. Le Conseil supérieur
d’hygiène publique de France a ainsi renouvelé le 27 mai 2005 la recommandation : « Vaccination
systématique de tous les enfants avant 13 ans, en privilégiant la vaccination du nourrisson, ainsi que la
vaccination des groupes à risque. [...] La vaccination est recommandée à partir de l’âge de 2 mois »
[BEH, 2005].

Le plus remarquable est que le vaccin contre l’hépatite B est utilisé dans le monde entier, mais
que la polémique ne touche que la France. La couverture vaccinale contre l’hépatite B dans notre
pays, qui était la meilleure au monde chez les adolescents, a radicalement chuté et ne remonte que
doucement.

En Grande-Bretagne, le mystère de l’autisme et la défiance envers les autorités suscitée par la


crise de la vache folle se sont combinés pour faire naître une rumeur selon laquelle le vaccin
combiné contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) provoquerait des cas d’autisme. Un
médecin britannique qui avait observé ces cas chez certains de ses clients vaccinés avec le ROR bâtit
une hypothèse selon laquelle la combinaison des trois valences faisait du vaccin contre la rougeole un
promoteur de ce désordre psychiatrique. Là aussi, toutes les études entreprises ont démontré qu’il
n’en était rien. La baisse importante de la couverture vaccinale contre la rougeole entraîna une
résurgence de la maladie au Royaume-Uni.

Citons aussi une autre hypothèse avancée par un journaliste anglais qui accusa des essais du
vaccin oral contre la poliomyélite menés dans les années 1960 au Congo d’être à l’origine de
l’épidémie de sida. Cette affaire n’eut aucune incidence sur la couverture vaccinale puisqu’elle
relevait de l’histoire ancienne. Des équipes de recherche démontrèrent ce que l’on soupçonnait déjà, à
savoir que l’épidémie de sida avait débuté plusieurs décennies avant la découverte des vaccins contre
la polio. D’autres équipes ont confirmé les dires des chercheurs qui avaient mené les essais, à savoir
qu’ils n’avaient pas cultivé le virus de la poliomyélite sur des cellules de chimpanzés, comme
l’affirmait le journaliste – le virus du sida provenant de virus qui infectent les chimpanzés –, mais sur
des cellules de macaques d’origine asiatique. Des échantillons de vaccins utilisés dans les essais en
cause ont finalement été retrouvés et testés. Ils ne contenaient aucun virus du sida [Korber et al.,
2000 ; Hillis, 2000 ; Rambaut et al., 2001 ; Berry, 2001 ; Blancou et al., 2001 ; Poinar et al., 2001].

Des contaminations de cultures utilisées pour des vaccins se sont cependant réellement produites.
En 1962, on a ainsi découvert qu’un virus des singes, appelé SV40, était présent dans les cellules de
reins de singes sur lesquelles on cultivait le virus de la poliomyélite pour les vaccins oraux et
injectables. Des chercheurs ont associé ce virus à des tumeurs humaines, ce que d’autres scientifiques
ont contesté. Par ailleurs, le SV40 a été trouvé chez des personnes qui n’avaient jamais été vaccinées
contre la polio. Aucun lien entre le SV40 et une maladie humaine n’a jamais été démontré mais, quoi
qu’il en soit, cette contamination bien réelle des vaccins a été éliminée. De même, en 1966 la présence
d’un virus aviaire (avian leukosis virus) a été détectée dans un vaccin contre la fièvre jaune.

Récemment, la transmission de la maladie de la vache folle à l’homme, chez qui elle provoque la
maladie de Creutzfeld-Jakob, a fait évoquer le risque de contamination par des sérums bovins utilisés
dans la préparation de certains vaccins. Bien que ce risque ait été jugé négligeable, les autorités
sanitaires internationales et nationales exigent désormais que les sérums proviennent de pays
indemnes de la maladie.

Les accidents les plus récents remontent à quarante ans. Les procédures de fabrication et de
contrôle actuelles rendent leur renouvellement hautement improbable. Produits biologiques, les
vaccins subissent des contrôles particulièrement stricts. Non seulement ils sont, comme les
médicaments, soumis à une autorisation de mise sur le marché, mais chaque lot produit doit
également recevoir une autorisation, appelée « libération » ; il est soumis à des tests
d’immunogénicité et de toxicité, in vitro et in vivo, à la suite desquels il est commercialisé.

Les agences réglementaires comme la FDA américaine, l’Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (Afssaps), l’Agence européenne du médicament ou le Global Advisory
Committee on Vaccine Safety de l’OMS surveillent constamment les conditions de fabrication et
d’utilisation des vaccins et exigent des essais cliniques à plus grande échelle. L’OMS enquête
systématiquement sur tous les effets secondaires inattendus, qui lui sont rapportés du monde entier [8] .

La vaccination est donc aujourd’hui un acte médical dont le rapport bénéfices/risques est
incontestablement élevé. Encore faut-il en convaincre les adultes appelés à se faire vacciner, ou à
faire vacciner leurs enfants.
6. - La vaccination, un acte médical populaire
Des sondages d’opinion récents ont montré que la grande majorité de la population a une
opinion favorable de la vaccination, ce qui suggère que les craintes infondées suscitées contre
certains vaccins demeurent très circonscrites – vaccin contre l’hépatite B en France et ROR en
Grande-Bretagne. Même dans ces deux pays la perception générale des vaccins est positive.

Au Canada, 79,4 % des personnes interrogées en 2002 avaient une opinion favorable de
l’efficacité des vaccins, même si 61,7 % hésitaient à se prononcer contre les positions des opposants à
la vaccination [Ritvo et al., 2003]. Un sondage réalisé en Allemagne, Espagne, France, Italie et
Grande-Bretagne en 2004 fournit des résultats plus positifs : la vaccination était considérée comme
très importante par 87 % des personnes interrogées, 82 % professant une très bonne opinion des
vaccins, chiffre qui montait à 98 % dans le personnel de santé [9] . À une question sur les raisons de se
faire vacciner, 32 % ont répondu la crainte des maladies et 48 % les recommandations.

Dans le sondage européen, parmi les 15 % de personnes qui avaient une mauvaise opinion des
vaccins, seulement 18 % alléguaient les effets indésirables, 9 % estimant que le système immunitaire
était suffisant, 17 % que les vaccins étaient inutiles et 16 % qu’ils n’étaient pas tous nécessaires. Le
manque d’information sur les raisons et sur l’efficacité des vaccins intervient ainsi deux fois plus que
la crainte des effets indésirables. La principale explication avancée pour n’être pas à jour de ses
vaccinations était simplement... la négligence.

Les deux sondages mettent en évidence que la vaccination doit s’appuyer avant tout sur
l’éducation de la population. La compréhension des maladies infectieuses, la connaissance des
vaccins et la conscience des enjeux de santé individuels et sociaux constituent le socle de la réussite
des politiques de vaccination. Sans cela, une bonne opinion générale des vaccins n’est pas une
garantie suffisante du succès d’une campagne de vaccination.
7. - La vaccination n’est jamais acquise
Comme le déplorent nombre de spécialistes de santé publique, les gouvernements sont souvent
plus enclins à lancer des programmes de traitement qu’à soutenir des programmes de vaccination.
Résultat, la couverture vaccinale est parfois largement insuffisante, même dans les pays développés.

L’Institut national de médecine américain soulignait en 2000 qu’« entre 50 000 et 70 000 adultes
et environ 300 enfants meurent chaque année de maladies évitables par la vaccination ou de leurs
complications, aux États-Unis » [National Academy of Medicine, 2000]. Il mettait en cause
l’irrégularité des subventions fédérales aux programmes de vaccination, qui entraîne « une instabilité
et des incertitudes qui empêchent d’établir des prévisions au niveau local et étatique et retardent
l’accès des enfants et des adultes aux avantages que peut leur apporter le développement de nouveaux
vaccins ». L’Institut expliquait : « Les dépenses fédérales, étatiques et privées pour l’achat de vaccins
et les programmes de vaccination sont insuffisantes pour répondre aux nouvelles possibilités de
réduire le risque de maladies évitables par la vaccination. [...] Les subventions [fédérales] ont été
réduites de plus de 50 % au cours des cinq dernières années. [...] Les taux de couverture vaccinale qui
ont atteint en 1998 des niveaux record pour les vaccins les plus utilisés (79 % [10] ) vont probablement
diminuer, ce qui pourrait se traduire par des épidémies de maladies évitables par la vaccination. »
[National Academy of Medicine, 2000].

L’Institut rappelait l’épidémie de rougeole qui avait frappé le pays en 1989-1991 à cause de
l’insuffisance de la couverture vaccinale, avec 43 000 cas et plus de 100 décès, et soulignait que « des
épidémies peuvent surgir rapidement, de façon inattendue, si on relâche les efforts et si les vaccins ne
sont pas accessibles à ceux qui sont le plus exposés aux maladies infectieuses ». « Le système de
vaccination américain est un trésor national trop souvent considéré comme acquis », soulignait
l’Institut en une remarque à laquelle fit écho une déclaration du bureau Europe de l’OMS qui
constatait en octobre 2004 « une certaine démobilisation à l’égard de la vaccination » [11] .

Marc Danzon, directeur régional de l’OMS pour l’Europe déclarait : « Chaque année, des
dizaines de milliers de personnes, dans les pays de la région [12] , continuent d’être frappées par des
maladies potentiellement mortelles et incapacitantes, qui pourraient être prévenues par la vaccination.
» L’organisation internationale soulignait qu’« à cause d’un relâchement dans les activités de
vaccination, au cours des trois dernières années des flambées épidémiques importantes de rougeole
se sont produites en Turquie (44 176 cas), en Italie (29 533), en Ukraine (24 968), en Allemagne (11
460) et en France (13 645) » et ajoutait : « Un effort commun des institutions internationales, des
gouvernements et de la société civile sera nécessaire si l’on veut empêcher une progression de la
rougeole, de la diphtérie, de la rubéole, de la coqueluche et d’autres maladies pouvant être prévenues
par vaccination, et prévenir la réapparition de maladies qui ont été éradiquées dans la région, telles
que la variole et la poliomyélite. »

En ce qui concerne la France, des épidémiologistes de l’Institut de veille sanitaire déplorent que
« la rougeole, la rubéole, les oreillons et l’hépatite B [...] ne semblent pas être perçus comme
représentant un danger, tant dans la population générale que dans une partie de la population
médicale. [...] L’insuffisance pérenne de la couverture [contre la rougeole] permet la persistance de la
circulation des virus, avec pour conséquences non seulement un contrôle insuffisant de la maladie
dans la population infantile, mais aussi un déplacement des cas de l’enfance vers l’adolescence et
l’âge adulte avec un risque accru de complications » [Antona et al., 2003].

La France connaît un gradient de couverture vaccinale du Nord vers le Sud : plus on descend
vers le midi, plus la couverture baisse. Pour la rougeole, la rubéole, les oreillons et l’hépatite B, si la
moyenne nationale se situe aux environs de 80 %, la couverture est inférieure à 70 % dans les
départements du Sud du pays. Nous sommes loin de l’objectif de 95 % fixé par l’OMS, niveau qui
permettrait d’éradiquer ces trois maladies du territoire national.
8. - L’échec de la campagne de vaccination contre la
grippe A
Si la campagne de vaccination contre la grippe A était une occasion de gagner la confiance de la
population [Larson et Heymann, 2010], on peut affirmer sans ambages que sur ce plan ce fut un échec
cinglant en France et dans la majorité des pays industrialisés.

Si en Suède la couverture vaccinale a atteint 64,5 % et aux Pays-Bas 32 %, aux États-Unis elle n’a
atteint que 23,4 %, au Japon 17,9 % et en France 8,5 %, taux comparable à ceux du Royaume-Uni et de
l’Allemagne [Assemblée nationale, 2010].

Nous manquons d’études comparatives sur les campagnes de vaccination dans différents pays.
En France, une Commission d’enquête parlementaire sur cette question a auditionné un grand nombre
d’acteurs ou d’experts témoins du déroulement de cette campagne, dont beaucoup ont apporté des
éclairages intéressants et globalement concordants sur quelques aspects essentiels [Assemblée
nationale, 2010].

D’abord, l’objectif de 75 %, fixé au début de la pandémie, aurait dû être revu quand il s’est avéré
que le virus était moins létal qu’on ne l’avait craint et qu’on comprit mieux son épidémiologie. Mais,
selon Claude Le Pen, « la tentation d’un gouvernement est de rester droit dans ses bottes, de peur de
troubler davantage l’opinion publique en changeant de politique » [Assemblée nationale, 2010, p. 61].
Une « opinion publique » considérée comme incapable de comprendre que, les connaissances
scientifiques évoluant, les mesures de prévention devaient aussi évoluer.

La principale critique porte sur le choix fondamental de tenir les professionnels de santé –
hôpitaux, médecins de ville, pharmaciens, infirmiers – à l’écart de la campagne, qui reposait
uniquement sur des centres de vaccination ad hoc. C’était une organisation « top-down » a estimé le
sociologue Michel Setbon [Assemblée nationale, 2010, p. 304], « militaro-soviétique » a asséné
Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux [Assemblée nationale, 2010,
p. 327], qui a également relaté « l’hilarité dans les cabinets » quand des files d’attente se sont formées
devant les centres de vaccination, alors que les médecins libéraux ne pouvaient pas obtenir auprès de
ces centres les doses pour vacciner leurs patients.

Le principal inconvénient du choix de recourir à des centres de vaccination – placés sous


l’autorité du ministère de l’Intérieur, ce qui n’a pas facilité l’acceptation par le personnel de santé du
pays – a été de se priver du relais que les médecins auraient pu représenter auprès de la population.
Même si « les Français, plus instruits, plus autonomes dans leur quête d’information, vivent
différemment la minute de vérité que représente l’entretien avec l’homme de l’art », comme l’écrit
Anne-Marie Moulin [Moulin, 2006], les médecins et pharmaciens ont l’écoute de leurs patients et
auraient pu prendre le temps d’informer, d’expliquer, de répondre aux questions.

Le directeur du service d’information du gouvernement a expliqué : « Pour nous, la


communication de crise comporte deux étapes : la nécessité [de] maximiser la crise, puis nous donner
le plus possible de marges de manœuvre dans la mise en œuvre » [Larson et Heymann, 2010, p. 419].
Autrement dit, faire peur aux gens pour qu’ils foncent, tête baissée, dans les filets bien intentionnés de
la Santé publique, les aligner, puis leur indiquer dans quel sens marcher, pour reprendre l’image
stalinienne de Michel Chassang.

Richard Peters et al., du Centre de communication sur les risques de New York, ont estimé que la
confiance dans les autorités et leur crédibilité en situation de crise environnementale reposaient sur
trois facteurs : la perception des connaissances et de la compétence des autorités, celle de leur
ouverture et de leur honnêteté, celle de leur préoccupation et de leur compassion [Peters et al., 1997].
Sur le premier et le troisième points, les médecins et pharmaciens étaient incontestablement mieux
positionnés que le gouvernement. Quant au second, il est directement lié à la popularité du
gouvernement ou, sous la présidence actuelle, du président, particulièrement basse en 2009.

Il est surprenant de constater l’autosatisfaction des autorités françaises. Moins de 8,5 % de la


population a été vaccinée, alors que l’objectif était de 75 %. Dans n’importe quel secteur d’activité,
ces chiffres signeraient un échec flagrant. Imaginez un responsable du marketing conquérant 8,5 % de
parts de marché au lieu de 75 %, transposez ces chiffres à un enseignant présentant sa classe à un
examen, à un investigateur clinique évaluant l’efficacité d’un médicament ou d’un vaccin... On se
dirait que soit l’objectif était erroné, soit la méthode pour l’atteindre, déficiente. Même le rapporteur
de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, qui publie pourtant une abondance de
témoignages et analyses critiques, conclut que « les pouvoirs publics n’ont fait – et bien fait – que
leur devoir ».

Outre-Manche, on n’est guère critique non plus. Alors que la couverture vaccinale a atteint 7,4 %
de la population pour un objectif de 70 à 75 % [Assemblée nationale, 2010, p. 157], une « étude
indépendante » a conclu que « la réponse du Royaume-Uni à la pandémie grippale H1N1 de 2009 a été
excellente et que les sommes dépensées ont été très bien utilisées » [BMJ, 2010].
9. - S’adresser à l’intelligence
On ne peut que souscrire à la mise en garde d’Anne-Marie Moulin plaidant pour « qu’on cesse
d’attribuer les résistances, refus, réticences à l’égard de la vaccination à l’invincible arriération des
hommes » [Moulin, 2003]. Parier sur l’intelligence des hommes est-il plus risqué que de tout miser
sur des structures pilotées par un ministère de l’Intérieur ? Certains gouvernants et responsables des
structures sanitaires nationales ou internationales semblent ne pas pouvoir, en toute bonne foi,
concevoir ce que cela pourrait être. Avant que les antirétroviraux soient introduits en Afrique pour
traiter le VIH, combien d’experts ou de responsables politiques n’ont-ils pas, publiquement ou dans
les coulisses, affirmé que des Africains illettrés, et qui de plus n’avaient pas de montre, ne pourraient
jamais observer la prise des traitements ? Aujourd’hui, l’observance n’est pas moins bonne en
Afrique que sur les rives de la Seine, voire peut-être meilleure.

Selon les professionnels des campagnes de vaccination de l’Initiative mondiale d’éradication de


la poliomyélite, dans neuf cas sur dix le personnel médical parvient à détromper des gens qui
croyaient à des rumeurs sur les dangers du vaccin oral [The Lancet, 2006]. Son directeur, Bruce
Aylward, estime que « le fait que les gens soient analphabètes ne veut pas dire qu’ils ne sont pas
capables de comprendre » [Seytre et Shaffer, 2004].

Analysant l’échec de la campagne de vaccination contre la grippe A en France, les


professionnels de santé entendus par la Commission d’enquête parlementaire ont affirmé que les
médecins, les pharmaciens et les infirmiers étaient en position d’expliquer les enjeux de la
vaccination à la population.

Didier Tabuteau, directeur de la chaire Santé de Sciences Po, a lancé l’idée « de produire un
débat susceptible d’être repris par la société ». « Des auditions publiques menées par les instances de
santé existantes [...] permettraient au public de s’approprier ce débat. » [Assemblée nationale, 2010, p.
289]. En novembre 2005, un rapport de l’Université de Toronto sur les aspects éthiques de la «
préparation » à la pandémie grippale avait déjà noté que le gouvernement et les responsables de la
santé publique devaient « rendre publics les raisons de leurs choix, [...] discuter avec les gens
concernés depuis le personnel de santé [...] jusqu’à l’ensemble de la population » [University of
Toronto, Joint Centre for Bioethics, 2005].

Un sondage réalisé en novembre 2009 a montré qu’en moyenne 17 % des Français étaient prêts à
se faire vacciner contre la grippe A, taux qui se révélera supérieur à la réalité. Mais il est intéressant
de noter que cette acceptation atteignait 37,9 % chez les femmes enceintes et 30,4 % chez les
personnes atteintes de maladies chroniques [Schwarzinger et al., 2010]. Le refus de la vaccination
n’était donc pas une sorte d’opposition obtuse, systématique et irréfléchie. Les gens pesaient le pour
et le contre avec bon sens, autrement dit évaluaient le rapport « bénéfice/risque » à leur niveau, avec
leurs éléments de connaissance. Leur « expérience personnelle ne confirmait pas la menace » que
représentait la grippe, estiment les auteurs. Ils écrivent également que « la priorité de la
communication des autorités de santé publique aurait dû être de rassurer la population sur la sécurité
des vaccins ». Autrement dit, ne pas nier les interrogations ou les balayer d’un revers de la main, mais
y répondre.

Toutes choses étant égales par ailleurs, peut-être les citoyens auraient-ils afflué dans les centres
de vaccination si la grippe A avait été plus grave. Mais on peut alors s’interroger sur les
conséquences d’une autre observation de la Commission d’enquête parlementaire. D’après le ministre
de l’Intérieur, Brice Hortefeux, peu susceptible de sous-estimer les capacités de centres dont il avait la
responsabilité, ceux-ci pouvaient au mieux vacciner 6 à 8 millions de personnes par mois [Assemblée
nationale, 2010, p. 732]. Le rapport de la Commission parlementaire commente avec euphémisme : «
il aurait été très difficile d’atteindre l’objectif de vaccination de 47 millions de personnes »
[Assemblée nationale, 2010, p. 83]. Que se serait-il passé si les 47 millions de personnes-cibles
avaient voulu se faire vacciner ? Leur aurait-on expliqué qu’elles devaient attendre des mois, sept
mois pour les derniers, la protection du vaccin ? L’auraient-elles admis sereinement ?
10. - Les facteurs humains
Les grandes épidémies sont des traites par lesquelles l’humanité paye sa sédentarité, le
développement des villes et les progrès de la civilisation. Les notions de santé publique, l’hygiène, les
médicaments, la vaccine de Jenner, puis les vaccins de Pasteur, Koch et bien d’autres ont peu à peu
réduit le montant de ces traites. Grâce aux progrès de la vaccination, nous avons désormais les
moyens de ramener quasiment à zéro le fardeau de certaines des plus anciennes maladies infectieuses.
À condition que la société prenne conscience des enjeux et des fragilités de la vaccination.

D’une part, de nouvelles maladies apparaissent et se propagent d’autant plus vite que la taille et la
densité des villes augmentent, que les échanges humains se multiplient et s’accélèrent. Le sida ne
serait pas devenu pandémique un siècle plus tôt et le SRAS n’aurait pas atteint Toronto en quelques
semaines.

D’autre part, il faut réfléchir à l’immunisation en termes de vaccinologie, pas seulement de


vaccins ou de vaccination. C’est-à-dire prendre en compte l’économie et la logistique de la
vaccination, mais aussi ses facteurs humains. On peut organiser des campagnes de vaccination de la
façon la plus rationnelle possible, en s’appuyant sur les meilleures données épidémiologiques et les
avis des experts les plus patentés, en France, au Nigeria, en Inde, il faudra toujours, tout au bout de la
chaîne, qu’un individu dise « oui », qu’il entre chez son médecin ou pénètre dans un centre de
vaccination et qu’il tende son enfant.
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World Health Organization, Wild Poliovirus Weekly Update, 14 juillet 2010.
Notes du chapitre
[*] ↑ Ancien journaliste, directeur d’une agence de communication spécialisée en santé

[1] ↑ Ce chapitre, que l’auteur a très largement actualisé, est en majeure partie extrait de l’ouvrage de J. J. Bertrand, P. Saliou et B.
Seytre, Les Sentinelles de la vie, le monde des vaccins, Paris, Albin Michel, 2006. Remerciements à Anne-Marie Moulin pour son aide.

[2] ↑ Nombre de cas déclarés à l’OMS en 2002 : Pakistan (90), Nigeria (202), Inde (1 600), Niger (3), Afghanistan (10), Égypte
(7). Le nombre de cas réel était sans doute supérieur, notamment au Nigeria (OMS, Global update, 21 septembre 2005). Rappelons qu’il
y a environ 200 porteurs asymptomatiques du virus, pour un malade.

[3] ↑ C’était également le cas du BCG jusqu’en 2007.

[4] ↑ En France, 30 % des personnes demandent d’elles-mêmes la vaccination, 61 % suivent l’avis d’un médecin et 5 % les
consignes du carnet de santé (cf. European Survey Regarding the Perception of Vaccines and Vaccinations, sondage réalisé par Psyma
à la demande de l’Association européenne des fabricants de vaccins, 2003).

[5] ↑ Les deux exemples sont cités par Anne-Marie Moulin.

[6] ↑ Cité par J. Skomska-Godefroy.

[7] ↑ Cette liste comprenait à l’origine les vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, les oreillons, la rougeole, la
rubéole et la poliomyélite. Ceux contre l’hépatite B, la varicelle, l’hemophilus influenzae type b et le rotavirus ont été ajoutés
récemment et celui contre le pneumocoque le sera bientôt.

[8] ↑ Voir le site www.who.int/vaccine_safety

[9] ↑ « Survey Regarding the Perception of Vaccines and Vaccinations », réalisé pour l’European Vaccine Manufacturers par
Psyma International Medical Marketing Research.

[10] ↑ 4 doses diphtérie-tétanos-coqueluche, 3 doses polio, rougeole, Hib. L’objectif est d’atteindre 90 % de couverture à
l’échelle nationale.

[11] ↑ Communiqué de presse du 21 octobre 2004 du Bureau régional Europe de l’OMS.

[12] ↑ La région Europe de l’OMS comporte 52 pays très différents puisqu’on y trouve l’Europe occidentale et 11 pays
bénéficiaires de l’aide de GAVI.
6. L’émergence du diabète de type 2 en tant que
problème de santé publique au Mali
Jessica Martini [*] 
Audrey Fligg [**]  [1] 
Audrey Flig g est titulaire d’un Master 2 en « Santé publique internationale » à
l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), de l’Université
de Bordeaux-II. Auparavant, elle a obtenu un Master 1 en « Anthropologie » de
l’Université de Bordeaux-II et un diplôme d’État en « Soins infirmiers » à l’Institut de
formation en soins infirmiers d’Esquirol à Lyon. Elle a travaillé en tant qu’infirmière dans un
centre de rééducation pour personnes amputées à Lyon et dans un service de chirurgie
vasculaire et générale dans une clinique privée à Bordeaux. Elle a réalisé deux missions
humanitaires avec l’ONG Médecins du monde, la première au Liberia en tant que référent
en santé communautaire et la seconde à Haïti en tant qu’infirmière cadre.

Le diabète de type 2 apparaît comme un nouveau problème de santé publique


au Mali. Comment cette pathologie a-t-elle été appréhendée au niveau des
politiques nationales de santé ? Comment s’est organisé l’apprentissage des
connaissances autour de cette maladie dans les formations médicales et
paramédicales dispensées à Bamako ?

Un Plan stratégique de prévention et de lutte contre le diabète a été élaboré


par le ministère de la Santé malien, qui manque néanmoins de ressources
techniques et financières. Les bailleurs de fonds restent essentiellement focalisés
sur les maladies infectieuses et la mobilisation nationale autour du diabète est
alimentée surtout par la société civile (associations de patients, ONG, personnes
ressources). L’enseignement du diabète dans les formations initiales médicales et
paramédicales rencontre plusieurs difficultés. Des formations continues auprès du
personnel soignant sont aujourd’hui néanmoins proposées par des organismes
internationaux.

Aujourd’hui, une intervention publique à large échelle de lutte contre le


diabète manque des ressources financières et des données épidémiologiques
nécessaires à sa validation et son application. Les autorités nationales sont aussi
confrontées à des priorités internationales autres. Dans ce contexte, l’impulsion de
la société civile s’avère cruciale, mais elle nécessite un cadre institutionnel.
L’apprentissage des connaissances autour du diabète, par les étudiants et les
professionnels de santé, nécessite également d’être amélioré.

Les maladies chroniques non transmissibles émergent aujourd’hui comme une « épidémie
mondiale ». Selon les dernières estimations de l’OMS, elles sont responsables d’environ 60 % du taux
de mortalité mondiale [OMS, 2006 ; WHO, 2010]. Parmi ces maladies se trouve le diabète de type 2,
qui devrait causer environ 7 % des décès prévus pour 2010 chez des personnes âgées de 20 à 79 ans
dans le monde [2] [IDF, 2009]. Ces maladies non transmissibles, jusqu’ici communément appréhendées
comme « maladies des pays industrialisés », tendent à être considérées – et construites – comme le
nouveau problème de santé publique des pays en développement (PED). Par exemple, en Afrique
subsaharienne, le nombre de personnes touchées par le diabète devrait passer de 12,1 millions en
2010 à 23,9 millions en 2030 [IDF, 2009]. Par ailleurs, cette maladie touche surtout des adultes entre
20 et 64 ans [Wild et al., 2004]. Cette explosion des maladies chroniques implique des pertes
financières pour les patients et leurs familles régulièrement confrontés à la nécessité de soins et non
couverts par des systèmes d’assurance maladie, mais aussi des pertes économiques pour le pays à la
suite d’une réduction de la disponibilité et de la productivité de la main-d’œuvre. En outre, de
nouveaux défis se posent pour les systèmes sanitaires des pays en développement qui doivent
aujourd’hui faire face à un double fardeau, les maladies chroniques non transmissibles venant
s’ajouter aux maladies infectieuses encore très répandues [Boutayeb, 2006].

Depuis quelques années la communauté internationale – à travers l’OMS, la FAO et la Fédération


internationale du diabète (FID) notamment – a renforcé sa mobilisation en faveur de la lutte contre les
maladies chroniques. L’OMS a adopté plusieurs résolutions invitant les États membres à élaborer des
politiques nationales pour la prévention et la prise en charge de ces pathologies et elle promeut
aujourd’hui un Plan d’action pour la mise en œuvre d’une stratégie mondiale de prévention et
contrôle des maladies chroniques [OMS, 2008]. L’OMS a aussi lancé la stratégie STEPwise, une
approche de surveillance des maladies chroniques à travers les facteurs de risque [3] . En 2006,
l’Assemblée générale de l’ONU a par ailleurs fixé au 14 novembre la célébration de la Journée
mondiale de lutte contre le diabète [A/RES/61/225]. Elle propose aujourd’hui d’intégrer les maladies
non transmissibles dans l’agenda de la séance plénière de septembre 2010 sur les Objectifs du
Millénaire pour le développement et de convoquer une réunion de haut niveau sur la prévention et la
lutte contre les maladies non transmissibles [Morris, 2010]. Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne
commencent à intégrer ces pathologies dans leurs politiques nationales de santé. En 2006, le
pourcentage de pays africains ayant adopté une politique nationale et un plan d’action spécifiques aux
maladies non transmissibles était de 27 % [WHO, 2007].
Dans ce contexte, le cas du Mali est très intéressant. Il est considéré comme l’un des pays les plus
pauvres au monde, classé en 2007 au 178e rang sur 182 pays selon l’indice de développement humain
du PNUD [PNUD, 2009]. Ici, une mobilisation autour du diabète a progressivement pris forme depuis
1991, lorsque quelques patients diabétiques et quelques professionnels de santé se sont organisés pour
créer la première Association malienne de lutte contre le diabète (AMLD). Leur action a impulsé
l’ouverture, en 1998, d’un Centre de lutte contre le diabète. Depuis, d’autres acteurs se sont impliqués,
comme l’ONG française Santé diabète Mali (SDM), mais également l’État malien, qui a créé en 2002
une section spécifique aux maladies non transmissibles au sein de la Direction nationale de la santé, et
qui a inscrit, depuis 2005, ces maladies dans le Programme de développement sanitaire et social [4] .

Cependant, peu de données épidémiologiques permettent aujourd’hui d’évaluer précisément la


situation du diabète au Mali. La seule étude réalisée par l’OMS date de 1985 (étude KBK) et montre
une prévalence d’environ 0,92 %. Néanmoins, les réflexions et les études très localisées effectuées
par les médecins spécialistes maliens indiquent que le diabète touche environ 3 % de la population et
que le type 2 représente 90 % des cas [Sidibé et al., 2007]. Selon une étude locale réalisée en 1996 au
Centre hospitalier universitaire du Point G à Bamako, le diabète comptabilise 40 % des consultations
en médecine interne, représentant la deuxième cause d’hospitalisation après le VIH/sida [Sidibé et al.,
2007]. Cette littérature, comme un certain nombre d’acteurs impliqués dans la lutte contre le diabète,
explique cette situation par une prise en charge tardive et/ou inefficace des patients diabétiques, mais
aussi par d’autres facteurs, relevant de divers registres comme la difficulté des patients à respecter le
régime diabétique, le manque de personnel soignant formé, le manque de structures équipées, ou la
difficulté d’accès aux traitements.

Basé sur une étude de terrain de trois mois conduite à Bamako en 2008 [5] , ce chapitre cherche à
comprendre les temps et les acteurs principaux de la construction du diabète de type 2 en tant que
problème de santé publique au Mali, à travers en particulier l’analyse de deux aspects spécifiques de
cette émergence : les politiques nationales de santé et les formations universitaires médicales et
paramédicales. Dans un premier temps, sera donc présenté un état des lieux des politiques maliennes
de lutte contre le diabète de type 2. Il s’agira notamment de repérer les stratégies et les activités mises
en place pour améliorer la prise en charge de cette pathologie, ainsi que le rôle joué par les différents
acteurs (nationaux et internationaux) dans la mobilisation contre le diabète. Dans un deuxième temps,
l’attention se portera sur les formations médicales et paramédicales initiales et continues, afin de
comprendre l’organisation de l’apprentissage des connaissances sur le diabète de type 2 au Mali.
1. - Une politique nationale sur le diabète en cours de
construction [6] 
1.1 - Un plan stratégique et une meilleure accessibilité des
médicaments
Avant 2002, lorsqu’une Section pour les maladies non transmissibles a été créée au sein de la
Division prévention et lutte contre la maladie de la Direction nationale de la santé (DNS), rien n’était
prévu spécifiquement pour ces maladies. Depuis, elles ont été incluses dans la deuxième phase du Plan
de développement sanitaire couvrant la période 2005-2009. Dans le Prodess II, en effet, il était prévu
l’élaboration de normes et procédures sur le dépistage et la prise en charge des maladies non
transmissibles (volet 7.15), ainsi que le renforcement des capacités humaines et des plateaux
techniques (volet 4.2). Dans le Prodess II prolongé (2009-2011), la mise en place d’un cadre
institutionnel de prévention et de lutte contre les maladies non transmissibles et le renforcement de la
surveillance épidémiologique sont aussi mis en avant.

Concernant le diabète, depuis 2004 plusieurs ateliers ont été organisés à la DNS pour
l’élaboration de ces normes et procédures de prise en charge. À travers une large concertation,
autorités politiques, médecins spécialistes [7] , ONG et associations de patients ont défini en 2007 un
Plan stratégique national de prévention et lutte contre le diabète qui vise à renforcer les ressources
humaines, la surveillance épidémiologique, et le plaidoyer en faveur de ces actions. Des algorithmes
accompagnent le plan pour harmoniser et décentraliser, dans une logique de référence, le diagnostic
et la prise en charge des patients diabétiques dans les différentes structures de soins [8] . De manière
plus générale, en 2009, des ateliers regroupant les différents acteurs concernés ont permis
l’élaboration d’un Plan national de prévention et de lutte contre les maladies non transmissibles 2010-
2014. Cette même année, les directives relatives au diabète ont été discutées par le ministère de la
Santé. En effet, pour devenir opérationnels, ces deux plans et les algorithmes de prise en charge
doivent être maintenant adoptés par le ministère. Selon les médecins spécialistes du diabète, qui
attendent depuis 2007 cette adoption, celle-ci permettra d’encourager l’implication des bailleurs de
fonds et de résoudre certaines des difficultés actuelles, comme le manque de structures,
l’engorgement des services spécialisés, le manque de personnel soignant qualifié et le coût élevé des
médicaments.

En 2004, la Section pour les maladies non transmissibles a adopté l’approche STEPwise promue
par l’OMS. Mais jusqu’à ce jour seulement des interventions ponctuelles ont pu être réalisées. Parmi
elles, une enquête pilote sur les facteurs de risque, réalisée en 2007 dans les villes de Bamako,
Sikasso, Koulikoro, Kati et Ségou [9] . Les responsables de la Direction nationale de la santé (DNS)
déplorent, en effet, l’insuffisance de ressources humaines et financières et soulignent l’importance du
partenariat dans la construction de la lutte contre le diabète. Or, leurs seuls partenaires sont
aujourd’hui l’OMS, l’ONG Santé diabète Mali (SDM) et l’Association malienne de lutte contre le
diabète (AMLD).

Des actions ont été également mises en place pour améliorer l’accessibilité et la disponibilité des
médicaments. En effet, à la suite de la péremption de plusieurs stocks de médicaments antidiabétiques,
la Pharmacie populaire du Mali (PPM) avait cessé de commander les antidiabétiques oraux
(ADO) [10] . Leur commande n’a repris qu’en 2006, après la collaboration avec l’ONG Santé diabète
Mali (SDM), qui d’une part promeut les génériques auprès des prescripteurs et d’autre part informe la
PPM sur les besoins en médicaments des différentes régions. De 2006 à 2008, la commande en
glibenclamide est passée de 800 à 3 000 boîtes, favorisant une baisse importante des prix : la boîte de
1 000 comprimés est passée de 2 600 francs CFA à 2 000 francs CFA. Sollicité par l’ONG SDM, le
Mali a aussi adhéré à l’Initiative LEAD du laboratoire Novo Nordisk [11] , ce qui a permis une baisse
de 50 % du prix du flacon d’insuline. Aujourd’hui, les responsables de la PPM se félicitent des
progrès réalisés, reconnaissant l’importance de la baisse des prix pour les diabétiques, qui au Mali ne
bénéficient d’aucune subvention. Ils soulignent néanmoins la nécessité de mieux maîtriser la
demande, car la prévision des besoins réels en médicaments reste difficile et les ruptures de stocks
sont encore fréquentes.

Des recherches sont aussi menées dans le domaine de la médecine traditionnelle, registre
d’interprétation des maladies et de recours thérapeutiques ordinairement sollicité au Mali, comme
dans nombre de pays africains. En particulier, depuis plusieurs années, des études sur les propriétés
antidiabétiques de la plante sclerocarya birrea sont conduites par le Département de médecine
traditionnelle au sein de l’Institut national de recherche en santé publique du ministère de la Santé, en
partie en collaboration avec l’ONG SDM.

1.2 - Faible place du diabète dans les interventions des


partenaires techniques et financiers
Au Mali, le dialogue politique entre gouvernement et partenaires techniques et financiers (PTF)
est structuré autour de la mise en œuvre et du suivi du Prodess [12] et l’application de la Déclaration de
Paris sur l’efficacité de l’aide et l’harmonisation [13] . Qui plus est, le Mali a adhéré en 2007 au
Partenariat international pour la santé, qui promeut l’application des principes de cette Déclaration
dans le domaine de la santé [14] .

Interrogés sur la problématique du diabète dans ce pays, la quasi-totalité des chargés de


programme évoque l’ampleur de cette maladie, notamment en milieu urbain, et déplore une
mobilisation associative encore trop modeste. Néanmoins, d’autres problèmes de santé sont
considérés comme prioritaires au Mali, en particulier les maladies infectieuses de la mère et de
l’enfant (notamment paludisme, malnutrition, maladies diarrhéiques, infections respiratoires aiguës)
et la mortalité maternelle et infantile.

Cette tendance se reflète dans les interventions menées par les bailleurs de fonds. Si on regarde
les projets financés en 2008, on constate que ces derniers ciblent majoritairement le VIH/sida, le
paludisme, les maladies de l’enfant, la construction d’infrastructures et le renforcement des capacités.
Seulement deux donateurs financent l’enseignement supérieur et un seul les activités liées à une
maladie non transmissible, la drépanocytose. Sur les 14 partenaires, six agences font de l’appui
budgétaire, sectoriel ou général [15] , dont l’État décide de l’allocation des fonds. Enfin, les agences de
l’ONU (FAO, PAM, Unicef) spécialisées en sécurité alimentaire, malnutrition, santé de l’enfant et de
la mère concentrent leurs projets d’éducation alimentaire au Mali sur les thèmes du sevrage et de la
nutrition infantile, n’abordant pas la question des maladies chroniques liées à l’alimentation.

Ainsi, l’OMS est le seul partenaire directement impliqué dans la lutte contre le diabète : elle
soutient la Direction nationale de la santé et l’accompagne dans l’élaboration du plan stratégique et
dans la mise en œuvre de l’approche STEPwise. Cependant, trois autres agences de coopération, celle
de la Suisse, de la France et de la Commission européenne, intervenaient en 2008 indirectement sur le
diabète en cofinançant des projets réalisés par l’ONG Santé diabète Mali [16] . Ces projets ont été
choisis pour leur qualité et selon des critères d’éligibilité au financement, mais souvent un intérêt
particulier des chargés de mission pour cette maladie a été aussi constaté.

1.3 - Mobilisation nationale autour des associations de


patients et des ONG
La mobilisation nationale autour du diabète trouve ses origines dans un groupe de patients au
profil socio-économique leur octroyant des ressources conséquentes [17] et quelques médecins
spécialistes engagés de manière bénévole qui, autour de l’Unité de diabétologie de l’hôpital Gabriel
Touré, ont fondé en 1991 l’Association malienne de lutte contre le diabète (AMLD). Avec le soutien
financier du Lions Club international, cette association a impulsé en 1998 la création d’un Centre de
lutte contre le diabète, structure associative à but non lucratif qui offre des soins spécialisés aux
diabétiques, des réductions sur le prix des consultations et des médicaments aux patients membres.
Depuis, l’AMLD a encouragé l’association des patients dans d’autres villes du Mali et la célébration
de la Journée mondiale contre le diabète établie par l’ONU, durant laquelle elle organise des
dépistages gratuits et des conférences. Aujourd’hui l’AMLD est membre de la Fédération
internationale du diabète. Parmi ses partenaires, outre le Lions Club, le gouvernement, qui met à
disposition les locaux du Centre ; la PPM et l’OMS, qui font des dons en matériel.

En 2006, la première association communale de patients a vu le jour à Bamako : l’Association de


diabétiques de la Commune 1 (ADC 1), soutenue par l’ONG SDM et appuyée par le CSREF. L’objectif
était de mieux informer les patients de la commune et de favoriser leur accès aux médicaments et aux
consultations hebdomadaires du CSREF. Lors de la Journée mondiale, cette association organise des
conférences et une Marche retransmise à la télévision. Comme pour l’AMLD, plusieurs difficultés se
posent pour cette association : la difficulté à organiser des activités, faute de ressources humaines et
financières et d’appuis extérieurs réguliers ; la difficulté pour les patients de soutenir la cotisation
annuelle de 1 000 francs CFA. L’ADC 1 et l’AMLD revendiquent en particulier un appui majeur de
l’État et une prise en charge gratuite des patients diabétiques.

Depuis 2008, des associations de patients ont été créées dans les cinq autres communes du district
de Bamako, sous l’impulsion des ONG SDM et Handicap international. Avec l’ADC1, ces
associations forment aujourd’hui une coordination. Début 2010, elles se sont adressées au ministre de
la Santé et au ministre du Développement social pour demander un soutien majeur dans les soins et la
gratuité des traitements. Mais leurs activités de sensibilisation et de plaidoyer restent aujourd’hui
limitées par le manque de ressources financières et matérielles, et la difficulté à mobiliser davantage
de patients.

Ainsi, dans cette mobilisation nationale, la contribution de trois organismes étrangers a été très
importante : le Lions Club international, les ONG Santé diabète Mali et Handicap international. Le
Lions Club a été le premier organisme international à appuyer la lutte contre le diabète. Depuis sa
création, en 1993, cette association est intervenue d’abord avec des dons en insuline au CHU de
Gabriel Touré, puis avec un soutien financier et matériel à l’AMLD.

Santé diabète Mali, ONG française installée à Bamako depuis 2003, travaille aujourd’hui dans le
district de Bamako et dans plusieurs régions du Mali. Pour sensibiliser la population, cette ONG a
formé des pairs éducateurs dans les communes, réalisé des ateliers d’éducation dans des écoles
primaires, soutenu la dynamisation des associations de patients diabétiques. Plusieurs recherches ont
aussi été menées, entre autres sur les itinéraires thérapeutiques des patients et les propriétés
antidiabétiques des plantes, souvent en lien avec le Centre de lutte contre le diabète ou le Département
de médecine traditionnelle. Enfin, outre sa collaboration avec la PPM, l’ONG travaille aujourd’hui en
lien étroit avec la DNS pour l’élaboration du plan stratégique et la planification de ses interventions,
et elle promeut des ateliers internationaux [18] .

En outre, entre 2008 et 2010, l’ONG SDM a mené un projet spécifique sur le « pied diabétique »,
financé par l’Union européenne et réalisé en consortium avec l’ONG Handicap international. Cette
dernière a formé dans les hôpitaux de Bamako, Tombouctou et Sikasso des équipes
pluridisciplinaires spécialisées dans l’amputation et la réhabilitation des personnes diabétiques :
chirurgiens, kinésithérapeutes, cordonniers et orthoprothésistes. Elle a aussi suivi 147 patients ayant
besoin d’une amputation et subventionné ceux qui le nécessitaient. Cette ONG a également participé à
la dynamisation des associations de diabétiques et promu la création d’une coordination entre les
associations communales du district de Bamako. Enfin, Handicap international a financé la réalisation
d’activités sportives et culturelles au sein des associations [19] .
2. - L’enseignement du diabète dans les formations
initiales et continues
2.1 - La formation initiale en Faculté de médecine de
Bamako
Sur six années de formation, l’enseignement du diabète à la faculté de médecine de l’Université
de Bamako est réparti sur trois ans. En 3e année dans le module « sémiologie médicale » (90 h), 8 h
sont consacrées à la sémiologie du diabète avec le syndrome d’hyperglycémie et d’hypoglycémie. En
5e année, un cours de 10 h sur la pathologie du diabète est inséré dans le module « endocrinologie »
(20 h). Enfin, le traitement est enseigné en 6e année pendant 8 h dans le module « thérapeutique
médicale » (100 h). Ces trois cours sont enseignés par un seul professeur, agrégé en endocrinologie,
et seul spécialiste au Mali dans cette discipline.

Cet enseignant rencontre plusieurs difficultés pour dispenser l’intégralité de son cours sur le
diabète. D’une part, le nombre d’heures allouées au diabète est insuffisant pour approfondir certaines
notions relatives notamment au « pied diabétique » ou à l’éducation du patient, d’autant plus que,
l’enseignement du diabète étant fragmenté sur plusieurs années, l’enseignant est obligé de reprendre
les notions du module précédent avant de pouvoir poursuivre. D’autre part, depuis plusieurs années,
la Faculté de médecine connaît de nombreuses perturbations, dont des grèves à répétition qui
paralysent l’année universitaire. Par ailleurs, il n’existe pas encore au Mali de spécialité en
endocrinologie du fait de l’absence de deux professeurs agrégés dans cette discipline, condition
nécessaire pour ouvrir une spécialisation [20] . Pour pallier cette absence, des cours sur le diabète sont
dispensés auprès d’étudiants en médecine interne.

2.2 - La formation initiale dans les instituts


paramédicaux
Les instituts paramédicaux agréés par le ministère de la Santé doivent respecter le programme
national de formation, qui date de 1998 et selon lequel tous les techniciens de santé [21] doivent
recevoir un cours sur le diabète durant leur 3e année. Pour les techniciens de santé 1er cycle, ce cours
est inséré dans la matière « pathologies médicales et thérapeutiques » (60 h). Les techniciens
supérieurs de santé 2e cycle reçoivent le cours sur le diabète dans la matière « pathologies médicales
» (45 h). En plus de cette matière, les étudiants ayant choisi la spécialité sage-femme suivent un cours
spécifique sur le diabète et la grossesse, dans la matière « pathologies et grossesse » (60 h).

Ce cadre étant théorique, le contenu et le nombre d’heures accordés au diabète sont en pratique
laissés à l’initiative des enseignants, lesquels construisent leurs interventions en partie en fonction de
leur intérêt face à cette maladie. Ainsi, dans les deux cycles, le cours sur le diabète a un volume
horaire de 2 à 10 heures, selon l’enseignant. Les contenus des cours varient de même en fonction des
enseignants, qui les préparent à partir des cours qu’ils ont eus eux-mêmes lorsqu’ils étaient étudiants
à la Faculté de médecine, ou de mises à jour trouvées sur internet et dans des livres plus récents. À ce
propos, de nombreux enseignants déplorent n’avoir reçu aucune formation complémentaire sur la
pathologie du diabète depuis leur diplôme et se perçoivent comme les parents pauvres des formations
continues, dont ils sont pourtant demandeurs.

Enfin, faute de moyens, les instituts de formation ont des difficultés pour améliorer la qualité de
l’enseignement et pour assurer une bonne complémentarité entre théorie et pratique. En effet, en
l’absence de matériel pédagogique, les cours restent très magistraux. En outre, depuis 2000, beaucoup
d’écoles de soins infirmiers ont été créées à Bamako et le nombre d’étudiants a fortement augmenté,
ce qui rend aujourd’hui difficile de trouver des lieux de stage pour les étudiants et de garantir une
rotation des stagiaires entre les différents établissements de santé. Enfin, envoyés en brousse, les
étudiants n’y trouvent pas toujours de structures et d’encadrement pour un apprentissage pratique de
ces pathologies.

2.3 - Le diabète : une maladie reconnue mais peu prise en


charge par les étudiants
Lors des groupes de discussion réalisés auprès des étudiants, le diabète est souvent cité parmi les
maladies chroniques les plus fréquentes au Mali. Selon les étudiants de médecine et des formations
paramédicales rencontrés, les cours sur le diabète abordent surtout la physiopathologie, la
classification, les signes cliniques, le diagnostic, les complications, le traitement médicamenteux, et
moins la notion de régime ou d’exercice physique [22] . Les étudiants confirment l’impossibilité de
suivre les cours dans leur intégralité à cause des grèves récurrentes, qu’ils justifient néanmoins par
les conditions déplorables dans lesquelles ils vivent et étudient (chambres d’internat surpeuplées,
locaux insalubres, bibliothèque et salles de classe inadéquates).

Les étudiants reconnaissent aussi le peu de complémentarité entre théorie et pratique : les cas
cliniques ne sont pas étudiés en cours et, durant leurs stages, soit ils n’ont jamais vu de patients
diabétiques, soit ils n’ont pas directement assuré leur prise en charge. À ce propos, les étudiants
mentionnent l’écart entre la théorie apprise et la réalité du terrain. Parmi les raisons évoquées : le
manque de personnel et de temps, la difficile rencontre entre savoirs anciens et nouveaux, la difficulté
pour les patients de respecter les traitements et les régimes.

Enfin, on constate qu’avant leurs premiers cours sur le diabète, les étudiants disposaient
d’éléments de connaissance sur cette maladie, provenant notamment de malades dans leur famille ou
leur entourage. Par ailleurs, si nombreux sont les étudiants qui connaissent l’existence d’une
association de patients diabétiques à Bamako, aucun n’a participé à une journée de sensibilisation sur
le diabète ni ne connaît l’existence d’une ONG internationale de lutte contre cette maladie.

2.4 - Les formations continues consacrées au diabète :


plusieurs modalités et objectifs
Aujourd’hui, l’État n’a pas suffisamment de capacités humaines et financières pour prendre en
charge de manière indépendante les programmes de formation continue sur le diabète. Ainsi d’autres
acteurs se sont mobilisés pour pallier cette difficulté. Nous en avons identifié trois, ayant des
modalités d’organisation et des objectifs différents : des chefs de service au cours de leurs pratiques,
le laboratoire pharmaceutique sanofi-aventis, l’ONG Santé diabète Mali (SDM).

Dans le premier cas, il s’agit surtout d’un partage de savoirs parmi les membres d’une même
équipe. Par exemple, au Centre de lutte contre le diabète ou à l’hôpital du Point G, certains chefs de
service organisent des « remises à niveau » auprès de leur personnel soignant. Par ailleurs, des
partenariats sont établis par les professionnels du Centre de lutte contre le diabète avec des structures
hospitalières étrangères, notamment françaises, dans l’objectif de bénéficier des savoirs disponibles
dans d’autres pays.

De son côté, depuis 2004 le laboratoire pharmaceutique sanofi-aventis met en place des
formations continues auprès de médecins généralistes de Bamako. Deux formations de 40 heures ont
été réalisées en 2004 et en 2008 : elles ont permis de former 46 médecins généralistes de la ville. Ces
formations sont intégrées dans la politique marketing du laboratoire, et ont donc un intérêt
commercial. En effet, le laboratoire a reçu l’autorisation de mise sur le marché d’un antidiabétique
oral, l’Amarel®. Les formations ont alors pour fonction latente d’améliorer les dépistages de patients
diabétiques auxquels pourra être prescrit ce médicament [23] .

Une forte impulsion à la formation continue sur le diabète vient des interventions promues par
l’ONG Santé diabète Mali. Depuis 2005, cette ONG a mis en place au Mali un programme de
renforcement des capacités de prise en charge du diabète. Les modules de formation ont été élaborés
au niveau de la Fédération internationale du diabète, section Afrique, puis adaptés au contexte local
grâce à des ateliers réalisés avec la Direction nationale de la santé (DNS) et les médecins spécialistes
maliens. Ce programme de formation a pour objectif de décentraliser la prise en charge de cette
pathologie dans les centres de santé de Bamako et dans les régions d’action de l’ONG, et de
désengorger ainsi les établissements de 3e référence. La décentralisation de cette prise en charge s’est
réalisée en plusieurs étapes. Dès 2005, des ateliers de formation ont été organisés à Bamako pour
former les médecins référents des villes de Bamako, Tombouctou, Sikasso et du cercle de Douenza.
À partir de 2006, l’ONG a mis en place des ateliers dans ces villes pour dispenser des formations
auprès des agents de santé des CSCOM et des CSREF [24] . Ces formations ont été élargies aux
professionnels de santé des chefs-lieux des cercles de région de Tombouctou et Sikasso en 2007, et
aux régions de Kayes, Mopti et Ségou, l’année suivante [25] . L’année 2008 a été très importante.
L’ONG SDM a lancé un nouveau module concernant le « pied diabétique », enseigné auprès des
médecins et agents de santé référents, dans le but de prévenir ce risque de complication et d’éviter
l’amputation. Comme nous l’avons dit, pour approfondir cette intervention sur le « pied diabétique »,
en janvier de cette même année un consortium a été initié avec l’ONG Handicap international. De
plus, en juillet 2008, les modules de formation ont été validés par la DNS, afin de les utiliser comme
base à toutes les formations continues dispensées au niveau national.

On constate que tous les professionnels de santé participant à ces formations continues semblent
satisfaits. Nombreux soulignent l’intérêt de pouvoir se recycler et d’obtenir les dernières mises à jour
concernant les traitements médicamenteux. Plusieurs d’entre eux expriment leur fierté de pouvoir
mettre en pratique les nouvelles connaissances acquises. En effet, comme le montre l’analyse des
différents supports de cours distribués aux participants, les contenus des formations sont très
complets et articulés aux données scientifiques et techniques les plus récentes pour prendre en charge
le diabète, même si parfois, les informations données sont décalées par rapport à l’existant au Mali.
Par exemple, des détails sont donnés sur le traitement chirurgical des artériopathies des membres
inférieurs, notamment par la chirurgie vasculaire, alors qu’elle n’est pas pratiquée dans les hôpitaux
au Mali [26] .
3. - Politique nationale, priorités internationales et
données épidémiologiques
La prise de conscience, au début des années 2000, par les autorités nationales de l’ampleur du
diabète au Mali correspond à un moment où la problématique du diabète dans les pays en
développement est soulevée tant au niveau international, notamment par l’OMS [AFR/RC50/R4],
qu’au niveau national, avec la mobilisation de l’AMLD. Depuis, le manque de moyens humains et
financiers limite visiblement les marges de manœuvre de la Direction nationale de la santé. Ainsi par
exemple, contrairement au Mali, d’autres pays d’Afrique (Algérie, Cameroun, Côte-d’Ivoire, etc.)
publient depuis 2003 les résultats de leurs enquêtes STEPwise.

Ce manque de moyens peut être en partie expliqué par le fait que les partenaires techniques et
financiers (PTF) concentrent davantage leurs interventions sur les maladies infectieuses, notamment
les maladies de la mère et de l’enfant. En effet, dans un pays comme le Mali, fortement dépendant de
l’aide publique au développement, l’État articule ses interventions par rapport aux fonds qui sont mis
à sa disposition, et ses stratégies sont donc souvent liées aux priorités internationales. À titre
d’exemple, aujourd’hui, au Mali, certaines maladies ou interventions sont prises en charge à 100 % :
le VIH, la tuberculose, le paludisme pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes, les
césariennes. Or, ces subventions reposent surtout sur des financements extérieurs, en particulier de
l’Usaid et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

En même temps, certains des plus importants partenaires du secteur de la santé fournissent
aujourd’hui de l’aide budgétaire. De plus, tous les PTF interviennent dans le cadre de la mise en
œuvre du Prodess et, depuis 2009, du Compact, et sont signataires de la Déclaration de Paris dont
l’appropriation des politiques par les pays récipiendaires est un des principes. Dans ce contexte, les
autorités nationales devraient avoir la possibilité de mettre en avant leurs propres priorités et, donc,
d’inclure le diabète dans les plans opérationnels annuels ou dans le renforcement des structures de
soins.

Or, en l’absence d’un Plan national de lutte contre les maladies non transmissibles et d’un
programme de lutte contre le diabète officiellement adoptés, les autorités nationales ont des
difficultés à justifier auprès des bailleurs la priorité de cette pathologie, la nécessité de l’intégrer dans
le paquet minimum d’activités ou de renforcer les formations médicales sur cette maladie. On repère
là une fragilité dont les conséquences se traduisent à différents niveaux, parmi lesquels la capacité de
l’État à équilibrer les investissements financiers entre maladies infectieuses et parasitaires, et
maladies chroniques. De plus, peu de données épidémiologiques existent pour prouver l’ampleur
réelle du diabète au Mali. Ainsi, les partenaires sont sensibles à l’ampleur du diabète, mais ils ne
disposent pas de chiffres leur permettant de mesurer ce problème et de justifier une implication plus
importante en appui à ce programme, malgré les incitations de l’OMS [27] .

Ce manque d’informations et de données se répercute par ailleurs sur d’autres aspects de


l’intervention publique, comme l’approvisionnement en médicaments antidiabétiques. Ainsi, les
problèmes de péremption des stocks connus par la Pharmacie populaire du Mali (PPM) avant 2006
sont-ils attribués à la méconnaissance de la part des prescripteurs, préférant les médicaments de
spécialités. De même, en l’absence d’estimations précises des besoins, la PPM n’est pas en mesure
aujourd’hui de bien maîtriser les commandes ou d’intervenir pour minimiser la durée des ruptures.
4. - L’impulsion de la société civile et la pérennisation
par le politique
Au Mali, comme dans nombre de pays, l’impulsion de la société civile a été et reste cruciale
pour la sensibilisation des décideurs et de la population autour du diabète [28] . Elle a été « en avance »
par rapport au politique, comme le montre notamment l’organisation de l’Association malienne de
lutte contre le diabète dès 1991 et l’ouverture du Centre de lutte contre le diabète en 1998. Les
quelques médecins et diabétiques maliens à l’origine de cette mobilisation sont devenus depuis des
ressources centrales et actives dans le pays ou de l’étranger, notamment de France, pour soutenir les
patients, faire de la sensibilisation auprès de la population et du lobbying auprès des autorités
politiques. L’appui extérieur fourni par des associations internationales, comme le Lions Club et des
ONG étrangères, a également été déterminant pour soutenir cette impulsion et renforcer sa visibilité.
Ainsi, l’ONG Santé diabète Mali (SDM) participe à dynamiser le processus de lutte contre le diabète.

En même temps aujourd’hui, les actions de la société civile restent fortement dépendantes de la
disponibilité des personnes ressources et le lien entre les structures de soins, les associations et les
ONG est davantage assuré par l’engagement parallèle de ces personnes dans plusieurs milieux que
par la réalisation d’activités conjointes [29] . Ceci entraîne des répercussions sur l’impact du plaidoyer,
mais aussi sur les diabétiques eux-mêmes : par exemple, en l’absence d’une fédération entre toutes les
associations de patients, en particulier entre les associations communales et l’AMLD, les patients sont
aujourd’hui obligés de cotiser dans plusieurs associations à la fois pour bénéficier de consultations et
réductions de prix dans différents centres de soins.

Dans ce contexte, le rôle du politique est fondamental pour encadrer, coordonner et pérenniser
toutes les actions réalisées dans le domaine de la lutte contre le diabète, et pour les élargir à
l’ensemble du pays. Cette coordination est d’autant plus nécessaire que, souvent, ces actions promues
par la société civile relèvent en théorie de compétences de l’État (prendre en charge les patients,
former le personnel de santé, etc.). En effet, dans le contexte d’un pays à ressources limitées comme
le Mali, les associations de patients et les ONG deviennent des partenaires presque obligés de l’État.
Si la nécessité de cette implication s’avère bénéfique au Nord comme au Sud, elle revêt ici une force
particulière. La difficulté est, pour le politique, de garder des marges de manœuvre sur les actions
conduites. Aujourd’hui, le renforcement de la collaboration entre l’ONG SDM et la Direction
nationale de la santé (DNS) est à saluer, car elle reflète une meilleure coordination des interventions
et une correspondance entre les actions développées, les besoins et les politiques nationaux, mais il
est évident que le rôle du politique pourrait être davantage affirmé en définissant un cadre de
pérennisation des actions, ainsi qu’un cadre stratégique national pour que les interventions soient
réalisées partout dans les mêmes conditions et élargies dans les zones les plus reculées.
5. - La production des savoirs sur le diabète
Les conditions de production des savoirs constituent un registre essentiel de la construction
d’une pathologie en problème de santé publique, et ont de fait une incidence sur les formes de prise
en charge.

Or, on note au Mali des fragilités structurelles et conjoncturelles dans la formation initiale. L’une
d’entre elles est le manque d’enseignants spécialisés en endocrinologie à la Faculté de médecine,
mais aussi dans les instituts de formation paramédicaux, où seuls des médecins généralistes ou
spécialisés dans une autre discipline sont recrutés pour dispenser le cours sur le diabète. Par ailleurs,
dans le cas des formations paramédicales en particulier, faute de révisions régulières, le programme
pédagogique national n’est pas toujours adapté au contexte national ni aux avancées scientifiques.
Ainsi, si depuis plusieurs années le diabète a suscité une certaine mobilisation nationale et
internationale, les cours sur cette pathologie n’ont pas évolué.

La formation continue ne vient pas compenser ces fragilités. En effet, des limites peuvent
également être mises en évidence à ce niveau, tant dans les principaux contenus de savoirs à
dispenser, que dans le cadre à donner aux formations.

Quant au contenu, ces formations souvent très complètes sur le diabète donnent aux médecins
des connaissances approfondies, en les préparant également aux technologies non encore disponibles
au Mali, mais susceptibles d’y arriver. En même temps, une réflexion sur les priorités et la
hiérarchisation des éléments de savoirs à dispenser s’impose. Dans ce sens, les nouveaux modules
proposés par l’ONG Santé diabète Mali (SDM) et la concertation nationale pour une meilleure
adaptation de leurs contenus sont à saluer. Concernant plus spécifiquement les formations continues
dispensées par le laboratoire pharmaceutique sanofi-aventis, elles restent ponctuelles, leur intérêt est
essentiellement commercial et donc pas toujours cohérent avec la politique des médicaments
essentiels génériques promue par le gouvernement malien.

Concernant le cadre à donner aux formations, en 2009 le Mali a adopté une Politique nationale
pour le développement des ressources humaines pour la santé et créé une Direction des ressources
humaines. Cette politique, assortie d’un Plan stratégique 2009-2015, devrait permettre d’harmoniser
les contenus des formations, d’assurer une cohérence majeure entre ces contenus et les politiques
sanitaires nationales, et d’élargir les formations continues à l’ensemble des médecins du Mali et à des
publics autres que les seuls professionnels de santé référents, comme par exemple les enseignants des
instituts paramédicaux. Aussi, par rapport aux difficultés repérées en 2008, cette nouvelle politique
fournira désormais un cadre pour les partenaires extérieurs, comme les ONG ou les laboratoires
pharmaceutiques, qui d’une part appuient aujourd’hui l’État dans le renforcement des capacités, mais
qui d’autre part ne disposent pas toujours de ressources ou d’intérêt suffisants pour s’adresser à des
professionnels de santé présents en dehors de leurs régions d’intervention ou à des publics élargis.

Une pérennisation des formations continues par le politique s’avère donc fondamentale. Or
aujourd’hui, en l’absence d’un Plan stratégique national de prévention et de lutte contre le diabète
validé, il reste tout de même difficile pour l’État malien de soutenir une dynamique de formation plus
globale et d’assurer qu’une majorité de professionnels de santé soit formée et dispose d’éléments de
savoir sur la pathologie. À ce propos, on ne peut que saluer les coordinations qui se sont dessinées
ces dernières années : la validation par la Direction nationale de la santé des modules de formation
utilisés par l’ONG SDM, mais également le partenariat entre cette dernière et d’autres ONG, telles
que Handicap international, qui favorise sur le terrain la promotion d’un circuit global de prise en
charge médicale du patient diabétique. La coordination de ces acteurs avec la nouvelle Direction des
ressources humaines est aujourd’hui à encourager.
6. - Recommandations
Comme indiqué plus haut, ce chapitre cherche à cerner quelques éléments clés du processus de
construction du diabète en tant que problème de santé publique au Mali. Plus particulièrement, ont été
mis en évidence, d’une part le rôle joué par les différents acteurs et les logiques sous-jacentes à leurs
interventions dans l’élaboration des politiques nationales et, d’autre part, les modalités de
construction des savoirs autour du diabète dans les formations initiales et continues. Cette étude
souligne ainsi la complexité sociopolitique qui entoure la définition d’une pathologie en tant que
problème de santé publique, de même que la place que la production des savoirs à l’échelle d’un pays
occupe dans ce processus. Comprendre ce processus, identifier les tensions existantes entre les
différents acteurs mais aussi les formes de leurs articulations et les multiples contraintes sous-
jacentes pourrait faciliter la planification des actions et aider les acteurs dans leurs choix et leurs
actions. Depuis 2008, des avancées ont déjà été réalisées, comme par exemple la discussion au sein du
ministère de la Santé des politiques concernant le diabète et les maladies chroniques non
transmissibles, ou encore l’élargissement des formations continues à l’endroit des médecins référents
diabète de nouvelles régions du Mali. Cependant, des efforts restent encore à faire. D’où la
proposition ici de quelques recommandations [30] qui pourraient permettre, à court et long terme, de
surmonter certaines des difficultés soulevées par les différents acteurs, d’amplifier l’impact de
certaines activités et de contribuer, in fine, à l’amélioration de la prise en charge du diabète au Mali.

6.1 - Recommandations pour le court terme


Adopter le Plan stratégique national de prévention et de lutte contre le diabète. Cette
adoption est indispensable pour la reconnaissance du diabète comme priorité de santé publique.
Pour faciliter la mise en œuvre et le suivi des interventions au niveau national, davantage de
ressources humaines et financières devraient être attribuées à la Section pour les maladies non
transmissibles. À ce propos, l’État devrait optimiser l’allocation de l’aide budgétaire pour
financer ces interventions qui ne trouvent pas de financement extérieur.

Renforcer le système de surveillance épidémiologique, afin de mieux comprendre


l’ampleur du problème, d’évaluer l’impact des interventions et d’en planifier de nouvelles. Les
données épidémiologiques existantes (études locales, thèses d’étudiants) devraient être diffusées
et les enquêtes STEPwise élargies à l’ensemble du Mali, en vue de réaliser une enquête nationale
de prévalence. Chaque centre de santé pourrait rendre disponibles ses données en les consignant
le plus systématiquement possible dans un registre. L’élargissement de l’Enquête démographique
et de santé aux maladies non transmissibles pourrait garantir un suivi régulier de ces pathologies
et leur meilleure visibilité auprès des partenaires, au même titre que les maladies infectieuses.

Améliorer l’approvisionnement en médicaments modernes et traditionnels et la maîtrise de


la demande au niveau de la Pharmacie populaire du Mali, grâce aussi à une disponibilité majeure
de données épidémiologiques sur le diabète. L’inscription de nouveaux médicaments
antidiabétiques dans la liste des médicaments essentiels pourrait encourager la prescription des
génériques par les prescripteurs et faciliter l’accessibilité des traitements pour les patients. Les
études sur les propriétés antidiabétiques des plantes doivent être poursuivies, la médecine
traditionnelle constituant une offre de soins alternative, souvent préférée et plus abordable, pour
les patients.

Renforcer les actions de la société civile et la collaboration entre les différents acteurs, afin
d’accroître leur visibilité – aux niveaux national et international – et leur rôle. En particulier, la
fédération des associations de patients autour de l’Association malienne de lutte contre le diabète
devrait être encouragée, pour que les patients puissent bénéficier des avantages offerts dans les
différents centres par une cotisation unique. Enfin, une meilleure communication des activités
réalisées auprès de la Direction nationale de la santé (DNS) et des partenaires techniques et
financiers accentuerait le dynamisme de la société civile.

Améliorer la formation initiale dans sa dimension théorique et pratique, afin d’optimiser et


d’harmoniser les savoirs de base sur la pathologie du diabète. Les programmes pédagogiques
nationaux devraient être mis à jour et révisés en proposant, par exemple, une augmentation du
nombre d’heures de cours allouées au diabète ou, au niveau des instituts paramédicaux, en fixant
pour chaque pathologie le nombre d’heures et le contenu du cours. La prise en charge des
patients diabétiques par les étudiants doit aussi être encouragée. Les étudiants en médecine
devraient réaliser des stages en endocrinologie ou en médecine interne. Au sein des écoles de
santé, la répartition des cours et des stages pourrait être modifiée : en 2e et 3e année de
formation, au lieu de trois matinées de stage par semaine, l’alternance d’un mois de stage avec
un mois de cours permettrait une meilleure connaissance du travail des infirmiers.

Renforcer la formation continue auprès des professionnels de santé et des enseignants. À


court terme, la généralisation de ce type de formation est essentielle pour augmenter l’efficacité
de la prise en charge du diabète. Ces formations doivent s’adresser aux médecins et aux agents
de santé, mais aussi aux médecins-enseignants, afin d’améliorer le contenu des cours qu’ils
dispensent aux étudiants. Aussi, pour optimiser la décentralisation de la prise en charge des
patients diabétiques et harmoniser les savoirs transmis, il est nécessaire de renforcer la
collaboration entre les différents organismes de formation continue et le ministère de la Santé
(la Direction nationale de la santé, mais aussi la récente Direction des ressources humaines).

6.2 - Recommandations pour le long terme


Continuer le renforcement en ressources humaines et financières de la Section des maladies
non transmissibles de la DNS. Ceci traduirait de manière plus équilibrée la nouvelle réalité
sanitaire du Mali dans l’organisation structurelle de la politique de santé du pays, et permettrait
de renforcer la visibilité de cette Section auprès des bailleurs, et d’améliorer in fine la
planification et la réalisation des interventions.

Intégrer le Centre de lutte contre le diabète dans le système public de santé. Prévue par le
Plan stratégique, cette intégration paraît indispensable pour réorganiser le fonctionnement de ce
Centre autour des cas les plus complexes et des complications, et pour articuler son
fonctionnement à la décentralisation de la prise en charge des cas plus simples. L’expérience des
médecins y travaillant devrait être exploitée pour la formation d’autres médecins à la prise en
charge du diabète.

Renforcer le système de santé. L’amélioration de la prise en charge du diabète,


l’approvisionnement en médicaments antidiabétiques et le monitorage des activités devraient être
intégrés dans le cadre d’un suivi plus général du fonctionnement du système sanitaire. Comme
proposée aujourd’hui par l’OMS, l’intégration de certains indicateurs relatifs aux maladies non
transmissibles dans le système de surveillance des maladies transmissibles et infectieuses devrait
être visée, afin de mesurer les éventuelles associations entre ces deux types de maladies et
planifier des interventions conjointes.

Promouvoir des réformes dans le système universitaire. Une formation initiale sous forme
de modules permettrait de renforcer les apprentissages de base sur le diabète. Par exemple, à la
Faculté de médecine, les trois cours sur cette pathologie (sémiologie, pathologie et traitement)
pourraient être regroupés en un seul cours d’endocrinologie. Aussi, l’apprentissage des savoirs
pourrait être favorisé en améliorant les conditions de vie des étudiants (internat rénové et
agrandi, indemnités de stages), ce qui réduirait par ailleurs la perturbation de l’année
universitaire. Enfin, l’organisation de formations continues au sein de la Faculté de médecine
devrait être proposée, sous forme par exemple de diplôme universitaire validé par le ministère
de l’Éducation nationale. Ceci permettrait à tous les professionnels de santé qui le désirent
d’approfondir leurs connaissances dans un domaine ou de se renouveler dans une autre
spécialité et de renforcer la prise en charge sur le terrain.
Renforcer et développer à plus large échelle les activités de sensibilisation auprès de la
population malienne, dès le plus jeune âge, sur l’importance d’un régime alimentaire équilibré
en limitant l’apport important de lipides et de glucides. Cette sensibilisation pourrait se réaliser
par le biais de campagnes nationales de prévention au niveau des écoles primaires et
secondaires, des lieux de travail, des centres de santé ou dans les médias. Ces aspects
nutritionnels devraient aussi être traités de manière plus approfondie dans les formations
médicales et paramédicales. Enfin des activités d’éducation thérapeutique du patient pourraient
être organisées au niveau des structures de soins par des professionnels de santé et par des
patients pairs éducateurs. Ceci permettrait de prévenir le risque de diabète de type 2 à l’âge
adulte, et de limiter les risques de complications.
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Résolutions
A/RES/61/225 (2006) : Journée mondiale du diabète.
AFR/RC57/R4 (2007) : Prévention et contrôle du diabète : une stratégie pour la région africaine de
l’OMS.
AFR/RC50/R4 (2000) : Maladies non transmissibles. Stratégie de la région africaine.
WHA 61.14 (2008) : Prevention and Control of Non Communicable Diseases: Implementation of the
Global Strategy.
WHA60.23 (2007) : Lutte contre les maladies non transmissibles : mise en œuvre de la stratégie
mondiale.
WHA57.17 (2004) : Stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé.
WHA57.16 (2004) : Promotion de la santé et modes de vie sains.
WHA55/23 (2002) : Alimentation, exercice physique et santé.
WHA53.17 (2000) : Lutte contre les maladies non transmissibles.
WHA51.18 (1998) : Lutte contre les maladies non transmissibles.
WHA42.36 (1989) : Lutte contre le diabète sucré.
Notes du chapitre
[*] ↑ Diplômée du Master « Affaires internationales et développement » de Sciences Po Paris et d’un Master 2 en « Santé publique
internationale » à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Université Bordeaux-II

[**] ↑ Infirmière, diplômée du Master 2 en « Santé publique internationale » à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de
développement (Isped), Université Bordeaux-II

[1] ↑ Les auteurs remercient le laboratoire ADES/« Société Santé Développement » de l’Université Bordeaux-II, l’Institut de
recherche pour le développement de Bamako et le Centre de lutte contre le diabète de Bamako pour leur collaboration et leur
disponibilité.

[2] ↑ Calculé à partir des certificats de décès, ce chiffre est probablement sous-estimé : les décès des diabétiques sont plus souvent
enregistrés comme liés à une maladie cardiaque ou à une insuffisance rénale, plutôt qu’à une cause directe du diabète (acidocétose,
hypoglycémie…) [Roglic et al., 2005].

[3] ↑ Trois types d’intervention sont proposés : estimation des besoins, élaboration de politiques, mise en œuvre. Durant la première
intervention, trois catégories d’indicateurs peuvent être mesurées, en fonction des moyens à disposition : indicateurs centraux, élargis ou
souhaités [Epping-Jordan et al., 2005].

[4] ↑ Au Mali, les politiques sanitaires s’organisent autour de la mise en place du Plan décennal de développement sanitaire et
social 1998-2007, exécuté par le Programme de développement sanitaire et social (Prodess) : le Prodess I 1998-2002, terminé dans les
faits en 2004, et le Prodess II 2005-2009, qui a été prolongé jusqu’à 2011.

[5] ↑ Cette étude s’est inscrite dans le projet : « D’un savoir à l’autre. Les connaissances des professionnels, des patients et de leur
famille, autour du diabète à Bamako (Mali) ». Financé par l’Agence nationale de recherche sur la période 2007-2009, ce projet a été
conduit par trois anthropologues (I. Gobatto, responsable scientifique, A. Tijou-Traoré, R. Besson) et une biologiste (M. Bernard) du
laboratoire ADES/« Sociétés Santé Développement » de l’Université Bordeaux-II et Bordeaux-III.

[6] ↑ Sauf précision dans le texte, sont ici présentés les résultats des enquêtes de terrain menées entre avril et juillet 2008 à
Bamako. Pour le recueil de ces données, une méthodologie qualitative a été privilégiée, à travers plusieurs outils, à savoir : revue
documentaire, entretiens avec 52 informateurs clés, 14 groupes de discussions avec un total de 86 étudiants, observations participantes
dans le cadre de deux formations continues.

[7] ↑ Médecins des services de médecine interne au CHU du Point G et de diabétologie au CHU Gabriel Touré, et du Centre de
lutte contre le diabète.

[8] ↑ Le système de santé malien est organisé sous forme pyramidale : 1 e référence au niveau des centres de santé communautaire
(CSCOM), 2 e référence au niveau des hôpitaux régionaux et des centres de santé de référence (CSREF), 3 e référence au niveau des
hôpitaux nationaux et des centres spécialisés, à savoir le Centre national d’odontostomatologie et l’Institut d’ophtalmologie tropicale de
l’Afrique.

[9] ↑ Les résultats de cette enquête étaient toujours en attente de diffusion en juin 2010.

[10] ↑ D’après la liste des médicaments essentiels génériques du Mali, la PPM doit approvisionner les hôpitaux et les CSREF avec
deux ADO : glibenclamide en comprimés de 5 mg et metformine en comprimés de 850 mg ; et trois types d’insuline (intermédiaire, rapide,
retard) avec un dosage de 100 UI/ml en flacons de 10 ml.

[11] ↑ Dans les pays pauvres très endettés, Novo Nordisk propose l’insuline à moitié prix par rapport au prix du Nord.

[12] ↑ Tous les deux mois se réunit un Comité de pilotage, une/deux fois par an un Comité technique et une fois par an un Comité de
suivi. Des missions conjointes MS/PTF d’évaluation sur le terrain sont également organisées.

[13] ↑ Adoptée lors du Forum à haut niveau de Paris (23 février-2 mars 2005) pour améliorer l’efficacité de l’aide à travers
l’appropriation des stratégies par les pays récipiendaires, l’alignement des donneurs sur les stratégies nationales, l’harmonisation de
l’aide, la gestion axée sur les résultats et la responsabilité mutuelle [www.oecd.org].
[14] ↑ Dans ce cadre, le Mali a adopté en 2009 le Compact, qui engage ses signataires à accroître les efforts et à renforcer la
prévisibilité de l’aide dans le domaine de la santé.

[15] ↑ Versés directement au Trésor public, ces prêts ou dons rentrent dans le budget général de l’État : dans le cas de l’ABS, ces
fonds ciblent le secteur de la santé, dans le cas de l’ABG l’État en décide l’allocation. Les versements, fixes et variables, dépendent de
la performance du pays récipiendaire.

[16] ↑ Le projet financé par l’Union européenne s’est terminé en mars 2010. La France et la Suisse (dans le cadre de son appui à la
région de Sikasso) continuent aujourd’hui leur soutien à l’ONG SDM.

[17] ↑ Intellectuels et personnes aux revenus élevés. L’un des fondateurs, qui a donné son nom au bol de mesure des aliments (bol
Sada Diallo) employé dans le régime des diabétiques, était un industriel. Un banquier, un avocat à la Cour, un enseignant ont aussi
participé à la création de l’AMLD.

[18] ↑ Par exemple, l’atelier « Stratégies nationales pour la prévention et la lutte contre le diabète en Afrique », co-organisé avec
la Fédération internationale du diabète et l’OMS en juin 2006 à Bamako.

[19] ↑ Aujourd’hui, l’ONG Handicap international ne met plus en place de projets spécifiques au diabète. Certaines des activités
sportives mises en place par les associations ont dû être arrêtées faute de financements.

[20] ↑ Aujourd’hui ce problème a pu être en partie contourné grâce au partenariat avec d’autres professeurs de la sous-région : ceci
a permis de remplir les conditions pour l’ouverture d’une spécialité en endocrinologie, et une demande en ce sens a été soumise pour
l’année 2010/2011 et est en attente de validation.

[21] ↑ Deux types de formation paramédicale sont proposés au Mali : i) techniciens de santé/infirmiers 1 er cycle : trois ans de
formation après le Diplôme d’étude fondamentale (BEPC en France) et deux filières (infirmier obstétricien, infirmier en santé publique) ;
ii) techniciens supérieurs de santé/infirmiers 2 e cycle : trois ans de formation après le Bac et six filières (infirmier d’État, sage-femme,
technicien supérieur en ORL, stomatologie, kinésithérapie, ophtalmologie).

[22] ↑ De plus, pour la plupart des étudiants, la répartition des cours entre pathologies chroniques et infectieuses est inégale et
davantage focalisée sur les maladies infectieuses.

[23] ↑ Les professionnels formés par le laboratoire y sont diversement encouragés, par exemple par des invitations à des soirées de
promotion de ce médicament.

[24] ↑ D’après les rapports annuels, 280 agents de santé ont été formés en 2006 [SDM, 2007] et 155 en 2007 [SDM, 2008].

[25] ↑ En 2010, des formations ont été organisées pour des médecins référents et des infirmiers des régions de Gao, Koulikoro et
du cercle Kati. Ainsi, aujourd’hui, à l’exception de la région de Kidal, toutes les régions du Mali ont été concernées par les formations de
SDM. Depuis 2009, SDM organise aussi des enseignements post-universitaires : les deux premiers se sont déroulés en août 2009 et
février 2010.

[26] ↑ Depuis 2008, le contenu de ces formations a été retravaillé, mieux adapté au contexte malien, et enrichi des nouvelles
recommandations promues par la FID, l’American Diabetes Association et la European Association for the Study of Diabetes. Une place
majeure est accordée à l’éducation thérapeutique des patients.

[27] ↑ À ce propos, l’Enquête démographique et de santé, référence pour les acteurs de la santé sur la situation sanitaire de la
population malienne, met à jour tous les cinq ans les statistiques épidémiologiques relatives à la planification familiale, la santé de la mère
et de l’enfant, le paludisme, l’IST et VIH/sida, l’excision et les dépenses de santé. Or, le poids des maladies non transmissibles n’est pas
analysé ici.

[28] ↑ Au Sénégal, l’Association sénégalaise de soutien aux diabétiques, créée en 1968, a été reconnue d’utilité publique en 1982
[Diop, 2006]. Dans un autre domaine, la pandémie du VIH/sida a également montré combien les associations de patients ont joué un rôle
capital dans les différentes formes de prise en charge de cette maladie.

[29] ↑ Par exemple, la Journée mondiale de lutte contre le diabète est organisée de manière indépendante au Centre de lutte contre
le diabète par l’AMLD, et dans les CSREF par l’ONG SDM. En 2009, les associations communales ont rejoint la manifestation
organisée par l’AMLD, mais sans une véritable contribution et participation à l’organisation des activités.
[30] ↑ Le contenu de ces recommandations a été formulé soit en interaction avec des interlocuteurs au cours de l’enquête – elles
sont alors déjà, pour certaines, l’objet de plaidoyer – soit à l’issue de l’analyse conduite.
7. Progression des cancers en Afrique :
caractéristiques, altérité, nouvelles approches de
santé publique
Adama Ly [*] 
Adama Ly est docteur en immunologie et oncologie de l’Université Paris-Sud-XI
(Institut de cancérologie Gustave-Roussy, Villejuif), diplômé de génie biologique et médical
(Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris) et titulaire du Master « Santé, population et
politiques sociales » de l’EHESS. Après des séjours aux États-Unis au Sydney Kimmel
Cancer Center (University of California San Diego) et aux Départements de médecine
interne et d’oncologie/hématologie de l’Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg
(Allemagne), il développe des activités de recherche sur l’immunité antitumorale et la
thérapie cellulaire des cancers dans une unité Inserm à Paris. Il est le fondateur et le
rédacteur en chef du Journal Africain du Cancer – African Journal of Cancer et
président-fondateur d’Afrocancer, un réseau international de lutte contre le cancer. Il dirige
également le projet de Centre de prévention et de recherche sur le cancer (Ceprec) de
Touba (Sénégal).

L’objectif de développement économique et social de l’Afrique a comme


déterminant majeur la réduction drastique de la pression des maladies endémiques
qu’elles soient transmissibles ou non transmissibles. Cependant, aux maladies
infectieuses et parasitaires, dont le déclin était espéré, se sont additionnées des
affections chroniques non transmissibles telles que les pathologies tumorales. En
effet, la progression continue des cancers au cours de dernières années sur le
continent africain notamment dans sa partie subsaharienne constitue une réalité
épidémiologique dont l’ampleur n’est pas encore évaluée à la mesure de sa gravité.
Si les causes sont mieux cernées, de nouveaux facteurs de risque concourent à
l’augmentation de la morbidité et de la mortalité par cancer dans les populations
africaines. Ces évolutions des profils épidémiologiques exigent un renouvellement
des approches de santé publique. Le renversement de ces perspectives
épidémiologiques requerra tant au niveau global qu’au niveau local l’implication
des politiques, en particulier ceux du continent, pour l’adoption de programmes
nationaux de lutte contre le cancer. L’enjeu crucial est la mise en œuvre de
politiques de santé d’envergure qui visent le renforcement des capacités, de l’offre
thérapeutique et des stratégies de prévention adaptées puisque nombre des causes
de cancers en Afrique sont évitables, notamment chez les femmes et les enfants.
L’irruption dans le champ de la politique internationale des questions africaines de santé
publique a permis de mettre davantage en exergue l’impact négatif des maladies endémiques autant
sur les populations que sur le développement économique. La promotion de la santé est, dès lors, un
levier majeur pour un essor économique des pays africains et une condition d’un meilleur
développement humain tel que l’a préconisé l’Organisation des Nations unies (ONU) dans la
Déclaration du Millénaire déclinée en huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD)
[ONU, 2000].

Ainsi, la situation sanitaire africaine a engendré, au-delà de ses aspects épidémiologiques, des
enjeux nouveaux de type sociopolitique. S’y rajoutent des logiques économiques et financières sous-
jacentes et une dimension éthique, voire compassionnelle, de la prise en charge de ces pathologies.
Ces logiques nationales et transnationales ont rendu complexe l’analyse que nous tenterons ici des
interactions et des tensions existant entre maladies transmissibles notamment, connues du grand
public, et les maladies non transmissibles parmi lesquelles le cancer.

La transition épidémiologique prévue par nombre de spécialistes entre ces deux catégories de
pathologies grâce aux progrès de la médecine n’a pas eu lieu. Au contraire, elles coexistent,
interagissent et parfois se nourrissent les unes des autres. Autant de considérations qui font qu’il faut
déconstruire l’idée, moins en cours d’ailleurs, selon laquelle le cancer, en tant qu’enjeu prioritaire de
santé publique, est circonscrit aux seuls pays développés. En effet, la progression fulgurante des
pathologies tumorales au cours des dernières années en termes d’incidence et de mortalité constitue
un nouveau défi épidémiologique et sociétal en Afrique [Parkin et al., 2003 ; Kanavos, 2006 ; Ly et
Khayat, 2006a ; Ly et Khayat, 2006b ; Dangou, 2009 ; de Graft et Unwin, 2010 ; Mc Carthy, 2010 ;
Sankaranarayanan et al., 2010 ; Globocan 2010].

L’objectif de ce chapitre sera, dans une première partie, de procéder à une revue générale des
aspects épidémiologiques et étiologiques du cancer en accentuant sur les spécificités caractéristiques
de sa progression dans les régions subsahariennes.

Il s’agira, ensuite, d’un point de vue prospectif, de suggérer de nouvelles approches de santé
publique qui pourraient contribuer à l’élaboration de stratégies de lutte contre le cancer qui font sens
au regard des réalités socioculturelles, économiques, sanitaires et politiques de l’Afrique.

À l’évidence, outre une prise de conscience individuelle et collective, le renversement de ces


tendances épidémiologiques nécessitera l’adoption de mesures politiques d’envergure afin de
mobiliser les ressources humaines et les infrastructures que requiert une prise en charge durable et
efficiente de la problématique du cancer sur le continent africain.
1. - Les facteurs de risque
À l’échelle mondiale, les cancers représentent un fardeau qui, par son important potentiel
dévastateur et par le nombre élevé de victimes qu’on lui attribue chaque année, est un sujet de
préoccupation prépondérant qui interpelle aussi bien les pays développés que ceux en développement.

Les statistiques du cancer sont, à ce titre, d’une pertinence pédagogique flagrante. Selon
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le cancer est responsable de la mort de 7,6 millions de
personnes en 2008 soit 13 % de la mortalité globale (il y a eu 58,8 millions de morts en 2004 dans le
monde toutes causes confondues). Les pays en développement enregistrent plus de 60 % de ces décès
par cancer. Quant à l’incidence, elle est, de 12,4 millions de nouveaux cas en 2008 dont plus de la
moitié (53 %) vivent dans les pays à faibles ressources [CIRC, 2008 ; Globocan, 2010].

Ainsi, les pathologies tumorales constituent une des principales causes de décès dans le monde et
se situent au deuxième rang du classement mondial derrière les maladies cardiovasculaires dont elles
se rapprochent progressivement. En effet, les données épidémiologiques prévoient une augmentation
régulière de la mortalité par cancer. D’ici à 2030, 13 à 17 millions d’hommes et de femmes mourront
du cancer chaque année. Le nombre estimé de nouveaux cas variera entre 20 et 26,4 millions en 2030
[CIRC, 2008 ; Thun, 2010 ; Globocan, 2010].

Une des caractéristiques de cette dynamique épidémique des cancers est le déplacement de cette
morbi-mortalité des pays développés vers les pays à ressources moyennes et faibles. Environ 72 %
des nouveaux cas de cancer surviendront dans ces pays en développement [WHO, 2004 ; CIRC, 2008 ;
de Graft, 2010 ; Globocan, 2010].

En Afrique, le cancer est devenu une cause importante de morts et de souffrances. Les carences
et les insuffisances en termes de prise en charge préventive et thérapeutique exacerbent les difficultés
autant des soignants que des soignés. Le manque de registres de cancer fonctionnels dans nombre de
pays et de régions est à l’origine de l’absence de données statistiques fiables [Ly et Khayat, 2006a ;
CIRC, 2008 ; Dangou, 2009 ; Abid, 2009]. Par ce fait, une observation quantitativement réaliste de la
progression de la maladie est indisponible et rend compte de la sous-estimation de l’ampleur de la
maladie en Afrique. Les statistiques les plus convaincantes décrivent la réalité de la maladie au sein
d’un service, d’un institut, d’un hôpital ou d’une grande ville [Ly et Khayat, 2006a ; Sawadogo, 2009 ;
Dao, 2009 ; Ouattara, 2009]. La situation générale du cancer en Afrique n’est souvent appréhendée
que d’après des sources partielles, fragmentaires et parfois obsolètes [CIRC, 2008 ;
Sankaranarayanan, 2010]. Cependant, des initiatives individuelles et des associations ont permis de
sonner le tocsin et rendre visibles les signes précurseurs d’une tragédie de santé publique annoncée
[Ly et Khayat, 2006a ; Mellstedt, 2006 ; Ly et al., 2010 ; Zeigler-Johnson, à paraître]. En effet, selon
l’OMS, d’ici à l’horizon 2020, l’incidence estimée des cancers en Afrique sera de 1 million de
nouveaux cas chaque année [OMS, 2005]. En 2008, on mentionne la survenue de 667 000 nouveaux
cas de cancer [CIRC, 2008 ; Globocan, 2010].

Ainsi, on s’achemine vers un doublement au moins des cas de cancer dans plusieurs pays
africains. Quant à la mortalité, elle est, de la même manière, en augmentation : 518 000 décès ont été
attribués aux cancers durant l’année 2008. On prévoit une progression de ces chiffres d’au moins 50
% en fonction des régions africaines [CIRC, 2008 ; Globocan, 2010].

En dépit de quelques disparités géographiques, cet impact croissant n’est pas apprécié à sa juste
gravité pour plusieurs raisons qui tiennent à la pression continue des maladies tropicales endémiques
et à l’avènement de l’épidémie du sida. Ces fléaux confisquent déjà l’essentiel des infrastructures et
des ressources humaines et financières disponibles.

Par ailleurs, le cancer est aussi une maladie non transmissible insidieuse dont les symptômes
sont peu visibles et variables selon les organes atteints. De surcroît, les effets physiopathologiques
sont plus tardifs. Les facteurs de risque et les conditions d’initiation du processus oncogénétique sont
multiples. Ces considérations plus complexes qu’une pathologie dont l’agent causal et les
manifestations cliniques sont clairement identifiables font que la maladie est peu connue de la
population générale.

Pourtant, cette menace objective, d’un genre nouveau, bouleversera les habitudes et nécessitera
un renouvellement des connaissances, des outils d’analyse d’un point de vue médical et scientifique,
et sur le plan sociétal, elle devra susciter des modifications de comportements, de coutumes et de
croyances.

Si le cancer impacte tous les âges et toutes classes sociales, il concerne aussi les tranches de la
population africaine qui sont socialement et économiquement actives. Les morts prématurées par
cancers et les années de vie utiles perdues du fait de la morbidité cancéreuse accroissent la précarité
des familles et lestent les efforts de développement des pays.
2. - Les facteurs étiologiques
2.1 - Infections virales, bactériennes et parasitaires
La survenue de cancer dans les populations africaines est liée, pour une part importante, aux
maladies virales, bactériennes et parasitaires auxquelles elles doivent résister. En effet, 26 % des cas
de cancer ont une origine infectieuse [Parkin et al., 2003 ; CIRC, 2008 ; Globocan, 2010]. Ce qui est
une singularité en comparaison des schémas épidémiologiques rencontrés dans le pays du Nord. Le
cancer du col de l’utérus induit par le virus du papillome humain est la première cause de mortalité
par cancer chez la femme africaine. L’incidence mondiale du cancer du col utérin est de 493 000
nouveaux cas chaque année avec près de 273 000 décès dont 80 % dans les pays en développement
[CIRC, 2008 ; Ouattara et al., 2009 ; Zur, 2009].

De même, le cancer primitif du foie, associé aux infections chroniques par les virus des hépatites
B et C, est, chez les hommes, la deuxième cause de mortalité et la troisième cause chez les femmes
[CIRC, 2005 ; Kew, 2006 ; Dao, 2009 ; Kew, 2010].

Plus récemment, le virus de l’immunodéficience acquise (VIH) qui est particulièrement prévalent
en Afrique avec plus de 25 millions de personnes contaminées, favorise, en affaiblissant le système
immunitaire des malades, l’émergence de nombre de types de cancers. Le sarcome de kaposi, un
sous-type de lymphome non hodgkinien fréquent chez les malades du sida est, ainsi, le néoplasme
dont l’incidence a le plus cru au cours de ces dernières années [Weiss, 2006 ; CIRC, 2008 ; Dangou,
2009 ; Ouattara, 2009]. Il est devenu la première cause de mortalité par cancer chez l’homme africain
[CIRC, 2008 ; Globocan, 2010].

Un autre exemple est la chronicité de l’infection bactérienne à Hlicobacter pylori qui est un
cofacteur essentiel de la genèse des cancers gastriques dont le nombre est en augmentation sur le
continent africain. Cette forme tumorale est un des cancers les plus meurtriers [CIRC, 2005 ; CIRC,
2008 ; Globocan, 2010].

Certains types de tumeurs malignes sont caractéristiques de l’épidémiologie des cancers en


Afrique. Le lymphome de Burkitt, qui implique le virus d’Epstein Barr, frappe particulièrement les
enfants. Sa distribution géographique coïncide avec les zones impaludées du continent [Ly et Khayat,
2006a ; Hesseling, 2009 ; Israels, 2010]. Le cancer épidermoïde de la vessie atteint les personnes
vivant dans les aires aquatiques infestées par le schistosome, un ver plat, vecteur de la bilharziose ou
schistosomiase. Les professions agropastorales du Nord de l’Afrique et de certains pays de l’Afrique
subsaharienne sont les plus affectées par ce parasite [Badawi, 2006 ; Keita, 2009].

L’exposition permanente aux pathologies parasitaires telles que le paludisme et la


schistosomiase, maladies typiques des régions tropicales, participe avec les infections chroniques à la
majoration de l’incidence et de la mortalité des cancers. Ainsi, en Afrique, les frontières ne sont point
étanches entre maladies transmissibles et maladies non transmissibles. Les politiques de santé
publique devront intégrer cette observation déterminante dans la définition de programmes de lutte
contre les épidémies.

2.2 - Susceptibilités et prédispositions aux cancers


Elles concernent certaines catégories de cancers qui ont une forte composante familiale et
s’observent parmi les individus dans des groupes qui ont une parenté génétique. Ces cancers sont
héréditaires et se transmettent de génération en génération. Ils se différencient d’autres types, les
cancers sporadiques dont la survenue relève des conditions de vie et des comportements individuels.
La susceptibilité ou la prédisposition aux cancers traduit ainsi le risque accru de développer un cancer
par rapport à la population générale. Cette forte probabilité d’apparition ne caractérise qu’environ 5
% de la totalité des cancers et peut être sous l’influence de facteurs environnementaux [CIRC, 2008].
On compte dans cette catégorie une diversité de formes tumorales : cancers du sein, du colon, des
ovaires, le rétinoblastome, des leucémies, etc. Un nombre sans cesse croissant de gènes et
d’anomalies génétiques impliqués dans la pathogenèse de ces types de cancers ont été identifiés
[CIRC, 2005 ; Edlich et al., 2008 ; Sirugo et al., 2008]. Il est ardu, en Afrique, de quantifier
l’importance de ces cancers à cause du manque de registres de cancers et de la méconnaissance par la
population de la maladie et de ses facteurs de risque [Sirugo et al., 2008]. On cite généralement le
rétinoblastome (cancer de l’œil) et la tumeur de Wilms (cancer du rein) qui sont des cancers qui
affectent notamment les enfants [CIRC, 2008]. Il existe aussi des formes familiales de cancer
mammaire dans les populations africaines. Cependant, des études épidémiologiques font défaut qui
permettraient d’en monter l’ampleur et le caractère héréditaire en dissociant la susceptibilité ou la
prédisposition génétique que conférèrent des mutations germinales des comportements à risque
transmis à l’intérieur d’une même famille [Hayanga et Newman, 2007 ; Edlich et al., 2008 ; Baccar et
al., 2009].

Au-delà de la dimension individuelle et familiale, se rajoute une dimension ethnique dans


l’apparition de quelques tumeurs malignes qui peuvent être peu fréquentes ou surreprésentées dans
les populations noires, caucasiennes ou asiatiques [Ly, 2006c ; Couzin, 2007 ; Garner et al., 2008]. Un
faisceau d’arguments épidémiologiques et cliniques suggèrent que les Noirs constituent une ethnie à
risque majoré pour le cancer de la prostate comparée aux autres groupes ethniques sans que les
causes soient clairement explicitées [Ly, 2006 ; Odedina et al., 2009 ; CIRC, 2008 ; Mutetwa et al.,
2010 ; Zeigler-Johnson, à paraître]. Ils sont, a contrario, moins susceptibles de développer un cancer
des testicules [CIRC, 2008 ; Globocan, 2010]. Les tumeurs du cerveau sont, de même, moins
fréquentes dans les populations noires. L’hérédité et des raisons socio-économiques sont évoquées
[CIRC, 2008].

2.3 - Les mycotoxines


Des toxines d’origine fongiques dotées de potentiel mutagène ou carcinogène, les mycotoxines,
contaminent les produits agroalimentaires de base et leurs dérivés dont se nourrissent les populations
africaines. Les céréales, les oléoprotéagineux, les fruits sont concernés par ces toxi-infections : riz,
maïs, mil, café, lait, manioc, fonio, millet, sorgho, haricot, cacao, viandes séchées [Bandyopadhyay et
al., 2007 ; Ly, 2007a ; Wagacha et Muthomi, 2008 ; Pfohl-Leszkowicz, 2009 ; Van der Westhuizen,
2010].

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 25 % de la


production agricole mondiale est contaminée par ces biotoxines. En Afrique, les pertes agricoles
liées à ces infections sont énormes et expliquent, avec d’autres facteurs endogènes, qu’une fraction
importante des besoins alimentaires du continent, environ 60 %, soit importée [FAO, 2005]. Sur toute
l’étendue du continent africain, ces champignons filamenteux toxinogènes trouvent les conditions de
température, de pression et d’hygrométrie idéales pour leur croissance et leur reproduction. Les
mycotoxines incriminées dans les risques majeurs de cancer sont les aflatoxines, les fumonisines et
les ochratoxines [Ly, 2007a ; Wagacha et Muthomi, 2008 ; Pfohl-Leszkowicz, 2009]. Les aflatoxines
sont parmi les mycotoxines les plus répandues sur le continent africain. Les aflatoxines B, en
particulier le sous-type B1, sont associées à la promotion des cancers hépatiques. Elles agissent en
synergie avec le virus de l’hépatite B et augmentent d’au moins 60 % les risques d’hépatocarcinomes
en cas d’infection chronique par ce virus [CIRC, 2005 ; Ly 2007a ; Wagacha et Muthomi, 2008 ;
Pfohl-Leszkowicz, 2009 ; Tchana et al., 2010]. On attribue à ces mycotoxines un rôle dont
l’importance reste à déterminer dans l’évolution de certaines pathologies et d’autres tumeurs
malignes [Ly, 2007a ; Wagacha et Muthomi, 2008 ; Pfohl-Leszkowicz, 2009 ; Paterson et Lima, 2010 ;
Williams et al., 2010].

À ces principales causes de cancer en Afrique se sont agrégés des risques additionnels tels le
tabagisme et les pollutions environnementales qui sont directement dépendants des comportements
humains individuels et collectifs.
2.4 - Le tabagisme
Le tabagisme est responsable de la mort par cancer de 1,52 million de personnes par an dans le
monde. Environ 30 % des cancers humains sont liés au tabagisme [CIRC, 2008]. Il est ainsi la
première cause de cancer évitable. Si le tabagisme est un facteur aggravant dans l’émergence de
nombre de tumeurs malignes (pancréas, sein...), il est établi que la hausse de la fréquence des cancers
des voies aérodigestives supérieures, de l’œsophage, des cancers broncho-pulmonaires ainsi que de
celle des tumeurs rénales et vésicales est une conséquence directe de l’usage de tabac. Les victimes du
tabagisme sont en augmentation dans les pays émergents ou en développement. En Afrique, on
redoute particulièrement les contrecoups de cet usage massif du tabac. Compte tenu du déphasage
estimé à quarante ans entre la consommation tabagique et l’apparition des cancers induits, le pic de
l’épidémie est à l’horizon 2020-2030. À cette date, l’augmentation continue de la consommation de
tabac chez les jeunes, plus vulnérables aux effets toxiques et cancérigènes, fait qu’on aura à déplorer
10 millions de décès imputables à ce fléau dont la majorité (70 %) sera issue des pays pauvres [WHO,
2006 ; Saouna, 2006 ; Hamdi Cherif, 2010]. Le tabac est consommé sous différentes formes. Dans
plusieurs régions du continent notamment dans le sud et l’est africains, on consomme du tabac sans
fumée (tabac à chiquer, tabac à priser…) [CIRC, 2005 ; Kaduri et al., 2008 ; Bissessur et Naidoo,
2010 ; Combrink et al., 2010]. La production africaine de tabac est évaluée à 275 000 tonnes par an
[CIRC, 2005]. L’exportation de tabac est une activité économique importante dont dépendent des
milliers de familles. L’essentiel de cette production (187 000 tonnes) est commercialisé sous forme de
tabac brut ou à peine manufacturé [CIRC, 2005]. En revanche, les pays africains importent environ 86
000 tonnes de tabac majoritairement sous forme de cigarettes [CIRC, 2005]. Or, la délocalisation des
industries du tabac des pays du Nord dont les réglementations anti-tabagiques deviennent plus
contraignantes vers le pays du Sud, plus laxistes dans ce domaine, contribuera à augmenter cette
consommation et à ternir, plus que de raison, les sombres prévisions de la mortalité par cancer en
Afrique. La proportion des cancers imputables au tabagisme atteindra 12 % dans les pays en
développement si des actions de prévention efficace ne sont pas prises suffisamment tôt en particulier
chez les enfants et les adolescents [Groenewald et al., 2007 ; CIRC, 2008 ; Combrink et al., 2010].

2.5 - Les pollutions environnementales


Les pollutions environnementales ont un rôle de plus en plus reconnu dans la pathogenèse des
cancers. Plusieurs études épidémiologiques mesurant l’impact des pollutions sur la santé individuelle
et collective, souvent en réponse aux inquiétudes de la population et aux demandes d’acteurs
associatifs, attribuent à certaines substances qui nous environnent des effets potentiellement
mutagènes ou carcinogènes. L’importance de leurs contributions dans la genèse des cancers est
encore discutée [Ly, 2007a ; CIRC, 2005 ; CIRC, 2008 ; Norman et al., 2007a]. Un des obstacles est
l’absence de modèles expérimentaux pouvant reproduire les conditions d’exposition à ces substances
(durée, concentration, types moléculaires, combinaisons possibles entre eux et activité, stabilité de ces
nouvelles molécules générées par ces réactions chimiques). Par ailleurs, le potentiel cancérogène de
certains produits n’est acquis qu’in vivo après leur transformation chimique par des enzymes de
l’organisme (Cytochrome P 450) qui sont polymorphes et donc varient selon les individus [Ly,
2006c ; Huang et Ratain, 2009].

Cependant, des expérimentations in vitro et vivo permettent, certes dans des conditions
maîtrisées, d’évaluer le pouvoir génotoxique de composés à usage domestique et professionnel. Le
Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC) a, ainsi, établi une classification
régulièrement mise à jour de produits en fonction de leur potentiel cancérigène chez l’homme ou
chez l’animal [CIRC, 2005 ; CIRC, 2008]. Par exemple, pour certains produits comme l’amiante,
l’action cancérigène chez l’homme clairement déterminée puisqu’elle est la cause du mésothéliome,
un cancer de la plèvre fatal pour beaucoup d’ouvriers des chantiers miniers et du bâtiment, justifie
son classement en catégorie I [Rees et al., 1999 ; CIRC, 2005 ; Gamble et Gibbs, 2008 ]. L’impact de
ces cancers professionnels en Afrique n’est pas encore très documenté. Pourtant, les professionnels
du bois, de la bijouterie, de la cordonnerie, du bâtiment, des mines, des ponts et chaussées, de la
voirie, des déchetteries et du recyclage sont souvent exposés, sans aucune protection, à des produits
délétères pour leur santé. En Afrique du Sud, une augmentation de l’incidence des cancers de la
plèvre a été observée chez les mineurs travaillant dans l’extraction industrielle de l’amiante [Rees et
al., 1999 ; Ezzati, 2005 ; CIRC, 2005 ; Ly et Khayat, 2006a ; Ly, 2007a ; Honma, 2007]. Une mort
prématurée par cancers du poumon guette, de la même manière, le travailleur des mines de charbon
et de nickel par inhalation excessive de poussières irritantes altérant les bronches [CIRC, 2005 ; Ly,
2007a ; Honma, 2007].

Pollution atmosphérique
Un lien de causalité est établi entre les activités anthropiques génératrices de rejets dans les airs,
les eaux et les sols et le développement de certaines néoplasies [PNUE, 2006 ; Norman et al., 2007a ;
CIRC, 2008]. Le niveau et les constituants de la pollution atmosphérique sont des indicateurs
essentiels de l’état de santé de la population. La rapide croissance démographique, l’urbanisation
intensive et la densification du trafic routier ont eu des conséquences néfastes sur l’environnement de
vie des populations. Les gaz d’échappement libérés par les voitures et les motocyclettes, les rejets
industriels ainsi que les décharges sauvages de déchets ménagers ont dégradé de façon progressive la
qualité de l’air respiré. L’analyse de l’air atmosphérique dans plusieurs mégapoles africaines montre
qu’il est chargé de composants nocifs pour la santé humaine. Leurs concentrations excédent
largement les normes indiquées par l’OMS. Ainsi, le plomb en suspension, le dioxyde d’azote,
l’ozone, les dioxines, l’oxyde de carbone, le dioxyde de soufre sont les substances les plus
fréquemment détectées [PNUE, 2006 ; Norman et al., 2007a].

Les émissions des industries de la chimie et des hydrocarbures sont une des principales sources
de pollutions environnementales et de menaces notamment pour la santé des personnes vivant à
proximité de leurs sites d’installation qui sont imprégnés continûment. Ces risques sanitaires sont
associés à la libération de polluants comme les dioxines-like (PCB, polychlorobiphényles, les PBB,
polybromobiphényles), les métaux lourds (cadmium, plomb, mercure, arsenic, chrome) [PNUE,
2006 ; CIRC 2008]. Le cadmium, les produits benzéniques et l’arsenic sont incriminés dans le
développement de cancers tels celui du poumon et celui des tissus mous. Les propriétés génotoxiques
du mercure ont été aussi établies [CIRC, 2005].

Outre leur dangerosité et leur potentiel cancérigène, certains de ces polluants ont des propriétés
chimiques qui font qu’ils sont faiblement biodégradables et rémanents. Par leur bioaccumulation dans
les graisses animales et les produits halieutiques, ils prolongent leur cycle de vie et se transmettent
par voie alimentaire chez l’homme [Jaga et Dharmani, 2006 ; Ly, 2007a].

Un facteur aggravant de la nocivité des ces polluants est la taille des particules en suspension
dans l’air atmosphérique. En dessous d’un diamètre inférieur à 10 micromètres, les éléments
microscopiques et nanométriques sont capables de se nicher profondément à l’intérieur des poumons
et peuvent, dans certains cas, servir de transporteurs à d’autres particules adsorbées à leur surface. Il
existe de fortes disparités régionales de niveau et de nature des polluants en Afrique. Le niveau et le
type d’industrialisation des pays déterminent l’intensité de la pollution associée. La concentration
moyenne de ces particules varient de 16 à 25 microgrammes/m3 selon les pays en fonction des
caractéristiques climatiques et géophysiques. La mortalité consécutive à ces pollutions
environnementales est estimée à 3 millions de personnes par an d’après le Fonds des Nations unies
pour la population. La plupart de ces victimes vivent dans les pays à faibles ressources [PNUE, 2006].

Pollution des eaux et des sols


La modernisation de l’agriculture africaine a été accompagnée d’une transformation des
techniques culturales traditionnelles au profit de l’utilisation massive de fertilisants chimiques afin
d’augmenter les rendements des terres arables. Une des conséquences collatérales de cette agriculture
intensive est l’aggravation de la pollution des eaux imputée à l’usage abusif de pesticides et
d’herbicides [PNUE, 2006 ; Wagida, 2006]. Ainsi, l’exposition aux produits phytosanitaires est
corrélée annuellement à la dangereuse dégradation de l’état de santé de 25 millions de travailleurs
agricoles parmi lesquels on dénombre 11 millions de morts africains [PNUE, 2006]. Quelques-unes
de ces substances (TCDD, PCB, PBB) se sont révélées capables d’induire des tumeurs malignes
[PNUE, 2006 ; Wagida, 2006 ; CIRC, 2005 ; CIRC, 2008 ; Norman et al., 2007a].

De même, la consommation régulière d’eau des fleuves et des puits fortement chargée en
nitrates, ingrédients de la fabrication des engrais, peut favoriser l’apparition de cancers gastriques.
L’accès à l’eau potable est, en effet, un problème quotidien dans certaines zones rurales africaines.
Les besoins aquatiques sont comblés par le prélèvement direct, sans aucun traitement, d’eaux
disponibles dans l’environnement immédiat. La seule méthode de purification facilement accessible
est le traitement chimique des eaux de boisson par l’adjonction de chlore. Cela a, certes, permis la
réduction de nombre de maladies infectieuses récurrentes. Cependant, les fortes teneurs en résidus de
sous-produits chlorés comme l’hypochlorite ou la chloramine peuvent engendrer la genèse de
cancers de la vessie [Woo, 2002 ; CIRC, 2005 ; El-Attafia et Soraya, 2010].

Pendant longtemps, la source majeure de pollutions des eaux et de sols a été l’épandage, aérien
et terrestre, de pesticides organophosphorés et organochlorés pour l’agriculture en général et en
particulier pour la lutte antiacridienne (criquets et sauterelles) dans les régions arides et semi arides
en Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal, Mauritanie, etc.). On a recouru également à des produits de
ce type dans le domaine sanitaire notamment dans les tentatives d’éradication de moustiques, parasites
aquatiques, mouches, autant de vecteurs de maladies tropicales comme le paludisme, la bilharziose ou
l’onchocercose. Outre les forêts et les savanes africaines, les pulvérisations intra-domiciliaires ont
été préconisées pour assainir les habitations à long terme avec des produits insecticides rémanents. Si
à l’évidence, les désastres écologiques ont été rétrospectivement perçus, on ignore encore l’impact de
nombre de ces substances sur la santé humaine et leurs activités cancérigènes ne sont pas encore
clairement établies mais fortement suspectées [Mouchet et al., 1991 ; CIRC, 2005 ; Clapp et al., 2008].
Par exemple, des phtalates (dimethylphtalate, dibutilphtalate) ont servi de répulsifs contre les
moustiques alors que l’on sait, de nos jours, qu’ils sont des perturbateurs endocriniens qui en
interférant avec le système hormonal pourraient exposer à un risque de cancer du sein, de l’ovaire, de
la prostate ou des testicules [Mouchet et al., 1991 ; Wogan et Hecht, 2004 ; Clapp et al., 2008]. Des
résultats plus probants de leurs effets cancérogènes sont encore attendus. La dieldrine, un
organochloré insecticide d’utilisation fréquente en Afrique est carcinogène dans les expériences
animales chez la souris mais des preuves suffisamment convaincantes de sa carcinogènicité n’ont pas
été obtenues chez l’homme. Elle est classée par le CIRC en catégorie III alors qu’aux États-Unis,
l’agence de protection de l’environnement la répertorie comme une substance à potentiel oncogène
fort probable chez l’homme [Ezzati, 2005 ; PNUE, 2006 ].

En revanche, le DDT (dichlorodiphenyltrichloroethane), un des premiers organochlorés


synthétiques, largement épandu dans les régions africaines est suspecté conférer un haut risque de
cancer du sein [Mouchet et al., 1991 ; Snedeker, 2001 ; Ly et Khayat, 2006a ; Tarone, 2008]. Il est
aussi associé à la survenue de divers types de néoplasmes : cancer du pancréas, de lymphome, de
leucémie [Snedeker, 2001 ; Wogan et Hecht, 2004 ; Ezzati, 2005]. La suspension de l’utilisation de ce
puissant insecticide dans la lutte antivectorielle qui était effective depuis plusieurs années (1972)
risquerait d’être remise en question par l’OMS, à cause de la recrudescence du paludisme et le
manque de produit de substitution, qui l’avait classé polluant organique persistant (POP) au moment
de son interdiction [OMS, 2004].

La nocivité de nombre de ces produits autant pour l’espèce humaine que pour la faune et la flore
est progressivement établie en fonction de l’accroissement des connaissances scientifiques sur leurs
activités à long terme. Leur production, utilisation et transport sont soumis à des réglementations
dans plusieurs pays. En Europe, la réglementation REACH (Registration, Evaluation, Authorisation
and Restriction of Chemical Substances) de la Commission européenne (EC 1907/2006) est entrée en
vigueur depuis le 1er juin 2007. Elle constitue un cadre réglementaire pour prévenir les risques
sanitaires et environnementaux pouvant provenir des substances chimiques. La charge de la preuve de
leur innocuité incombe aux fabricants eux-mêmes [EC]. En comparaison, en Afrique, en dépit de ces
restrictions, des pesticides obsolètes dont la quantité est estimée à 50 000 tonnes par le Programme
des Nations unies pour l’environnement sont encore stockés [PNUE, 2006 ; Farai et al., 2006]. Ce
sont d’importantes sources de contamination des eaux et des sols dont les conséquences en termes de
santé humaine ne sont pas évaluées.

Hormis ces risques relatifs aux activités anthropiques, il existe, à l’état naturel dans
l’environnement des substances incriminées dans la survenue de pathologies tumorales. Ainsi, les
eaux naturellement surchargées en arsenic font encourir des risques de cancer du poumon, de la peau
et de la vessie comme l’ont montré des observations faites au Bangladesh, aux États-Unis et au
Mexique. Au Nord du Burkina Faso, les eaux des nappes phréatiques et des puits des habitants
contiennent de l’arsenic dont la concentration excède largement celle des normes de l’OMS (1
633mg/l au lieu de 10 mg/l) [Ly, 2007a].

Pollution de l’air des habitations


La qualité de l’air ambiant des habitations a régulièrement baissé au cours de dernières années.
Cet air se charge, en effet, de substances libérées par les activités humaines, l’immobilier et le
mobilier qui par respiration peuvent se retrouver dans les poumons et la circulation sanguine. Ce sont
des composés organiques volatiles provenant de fumée de tabac, de charbon ou de bois, de peintures,
de produits d’entretiens ménagers, etc. Dans les zones rurales, les combustibles traditionnels sont
d’usage pour la cuisine et l’éclairage : bois, charbon, lampe à pétrole ou à graisse. La combustion de
ces biomasses dans des espaces confinés exhale des particules ultrafines de suie, d’hydrocarbures
aromatiques polycycliques (HAP), de dioxines, qui par inhalation et par absorption par voie
alimentaire confère un risque accru de cancer du poumon [Cheng, 2007 ; WHO, 2005 ; Norman et al.,
2007b ; Clapp et al., 2008, Zhang, 2009]. Les cancers du poumon non induits par le tabagisme sont
imputés à l’action cumulative de ces résidus de combustion [CIRC, 2005]. À l’échelle du globe, la
pollution de l’air respiré à l’intérieur des habitations est ainsi responsable de la mort de 2,2 millions
de personnes chaque année dont 1,5 million par cancer du poumon. Les pays en développement en
paient le plus lourd tribut puisque 98 % des victimes en sont les ressortissants [WHO, 2005 ; PNUE,
2006].

Chez les femmes, l’exposition aux dioxines notamment au TCDD (le 2-3-7-8 tétrachlorodibenzo
dioxine ou dioxine Seveso) et au PCB, qui ont des propriétés œstrogènes-like favoriseraient la
survenue des cancers du sein [Snedecker, 2006]. La susceptibilité à ces produits peut être modulée par
divers facteurs aggravants tels que l’âge (les jeunes filles sont plus vulnérables) et le génotype. Il
existe des variations interindividuelles qui font que certaines personnes sont davantage sensibles à ces
dérivés cancérigènes [Wogan et Hecht, 2004 ; Snedeker, 2006]. Par ailleurs, les effluves et émanations
des ateliers de menuiseries, de bijouteries, teintureries, cordonneries qui sont à l’intérieur des
habitations sont des sources supplémentaires de pollution de l’air ambiant [Ly, 2007a]. L’information
et la sensibilisation des professionnels de la construction sur la nocivité voire la carcinogénicité de
certains matériaux de construction est un préalable pour la réduction de ce type de risque
environnemental [Adebamawo, 2009].

2.6 - Rayonnements radioactifs


Les rayonnements radioactifs ne constituent pas, pour l’instant, un risque majeur pour les
populations africaines puisque l’Afrique ne dispose pas encore de capacités industrielles de
production nucléaire. Les sources probables de contaminations radioactives ne pourraient être, dans
un tel schéma, que d’origine professionnelle et restreintes à un cercle d’utilisateurs avertis des effets
cancérogènes des irradiations [Farai et al., 2006]. Néanmoins, il s’y est rajouté, au cours des récentes
dernières années, l’importation sauvage non contrôlée de produits ou de déchets radioactifs auxquels
la population générale est exposée [Ly, 2007a]. Le coût exorbitant des retraitements de déchets
radioactifs, la réglementation de plus en plus draconienne, la pression des milieux écologistes font
mouvoir ce risque radioactif des pays du Nord vers les pays du Sud. En conséquence, le continent
africain, plus vulnérable par manque d’application de législation dissuasive et par proximité
géographique avec les principaux pays détenteurs de produits nucléaires (Europe, Russie, pays de
l’ex-Union soviétique), pourrait devenir une destination de prédilection.

2.7 - Rayonnements solaires


Coloration/décoloration de la peau et socio-comportements à
risque
La vulnérabilité aux rayons solaires des populations des régions subsahariennes est annihilée par
la coloration noire de leur peau. Les caractéristiques de cette pigmentation font que leur épiderme est,
en effet, un protecteur efficace contre les rayons ultraviolets du soleil. Des cas de mélanomes y
existent même s’ils sont peu fréquents [Adigun et al., 2006 ; Ly et Khayat, 2006a ; Nsondé et al.,
2009].

L’Afrique étant un continent ensoleillé la majeure partie de l’année, les populations blanches,
étrangères ou autochtones du sud de l’Afrique ont un risque accru de cancers de la peau en absence de
protection. Or, ces populations ont des comportements qui majorent ces risques comme l’exposition
individuelle délibérée aux radiations solaires afin de brunir leur peau. Les taux d’incidence et de
mortalité des cancers cutanés y sont beaucoup plus élevés que dans les populations noires du sud
africain [Ly et Khayat, 2006a].

Parallèlement, on observe dans les populations noires des comportements similaires qui
consistent en la dépigmentation de la peau pour de raisons esthétiques, sociologiques et
psychologiques. Des crèmes éclaircissantes à base d’hydroquinone ou de cortisone sont utilisées,
sans limite de durée, pour parvenir à un certain teint idéal de la peau. L’hydroquinone procède à la
destruction des mélanocytes, les cellules synthétisant le pigment photoprotecteur qu’est la mélanine
tandis que la cortisone freine la mélanogenèse, le processus physiologique régulé impliquant la
multiplication et la maturation normales de ces cellules. Les effets dépigmentants sont temporaires et
les affections dermatologiques induites peuvent être graves et irréversibles dans certains cas [Morand
et al., 2007]. De plus, l’hydroquinone, produit benzénique utilisé dans la photographie pour ses
propriétés réductrices (développement des photos), est peu biodégradable et particulièrement nocif
pour les animaux aquatiques [INRS, 2006]. La carcinogénicité de l’hydroquinone a été établie dans
des expériences animales mais dans l’espèce humaine ce résultat reste à confirmer [Mc Gregor,
2007].
Ainsi, l’hydroquinone et les produits en contenant sont interdits à la vente dans l’Union
européenne depuis février 2001 [INRS, 2006]. Concernant la cortisone qui a des propriétés anti-
inflammatoires, son emploi de longue durée engendre des complications sévères (ostéoporose,
hypertension, diabètes, vergetures, dystrophies cutanées, etc.). Des substances décapantes plus
toxiques issues du marché de la contrebande peuvent être utilisées sans que leurs actions, de par leur
nature, leur concentration ou leur combinaison, soient explicitées. Ces substances sont susceptibles de
passer dans la circulation sanguine par diffusion [Olumide et al., 2008]. Leurs actions tumorigènes ne
seront connues qu’a posteriori par les observations cliniques et par l’augmentation de l’incidence des
dermatoses. En outre, ces peaux dépourvues de mélanine sont exposées à un ensoleillement intense
sans aucune protection. Les risques de survenue de tumeurs dermatologiques sont ainsi augmentés
[Olumide et al., 2008 ; Ly et al., 2010].

Ces comportements délétères et socialement valorisés concernent plus les femmes que le
hommes. Ils sont adoptés dans toutes les classes sociales et sur toute l’étendue de l’Afrique
subsaharienne. Ce commerce des produits de la dépigmentation de la peau est florissant à l’étranger
grâce aux populations africaines migrantes (France, Belgique, États-Unis, Grande-Bretagne,
Portugal, Espagne…).

2.8 - Démographie et changements comportementaux


Plus globalement, aux causes infectieuses et éco-environnementales du cancer, se sont greffés les
risques découlant des modifications comportementales (déséquilibres alimentaires, sédentarité...) et
de l’urbanisation intensive. Le développement des cancers peut être lié aux modes alimentaires. Des
éléments nutritionnels peuvent constituer des facteurs de risque de cancer alors que d’autres sont des
agents protecteurs. Une alimentation diversifiée et équilibrée composée de fruits, de légumes, de
poissons et pauvre en viandes rouges, légèrement salée et peu riche en matières grasses réduit les
risques de cancer [Schneider et al., 2007 ; Coyle, 2009]. De même, il a été clairement mis en évidence
que l’alcoolisme, l’obésité, le surpoids et l’insuffisance d’activité physique majorent les risques de
cancer [Joubert et al., 2007a ; Joubert et al., 2007b ; CIRC, 2008]. Ces facteurs de risques sont parmi
les plus évitables et doivent être ciblés par les campagnes de sensibilisation. On observe dans les
populations africaines une occidentalisation des comportements et du style de vie qui expose
davantage à ces facteurs de risque de cancers [Joubert et al., 2007a ; Groenewald et al., 2007 ; Joubert
et al., 2007b]. L’augmentation démographique et le vieillissement de la population vont également
contribuer à accroître les nouveaux cas de cancer. En effet, la population africaine estimée à 1
milliard d’habitants en 2009 doublera d’ici à 2050 si les tendances démographiques actuelles sont
maintenues [INED, 2009 ; UNPP, 2010].

Ces aspects de l’étiologie des cancers en Afrique sont emblématiques des exigences de santé
publique et de développement socio-économique auxquelles le continent africain devra faire face.
Certaines causes de cancer sont caractéristiques de l’altérité de la maladie en Afrique et témoignent de
ses fondements culturels, géographiques et environnementaux. Ainsi, l’urgence face à cette ampleur
prévue de l’incidence des pathologies tumorales est l’adoption d’une politique inclusive qui promeut
la lutte contre le cancer et la définition de stratégies de lutte multidimensionnelles adaptées aux
réalités des populations africaines. Le renversement des perspectives africaines du cancer est un
objectif qui devra faire sens pour les professionnels de santé, les acteurs associatifs et les politiques
dont les contributions décisives seront la clef de voûte d’un vaste plan d’ensemble.

En somme, l’évolution des profils épidémiologiques appelle au dépassement des paradigmes


actuels et à la mise en place d’approches plus globales, pluridisciplinaires et transdisciplinaires, de
santé publique dans une logique combinatoire d’où pourraient déboucher des synthèses alternatives
pour structurer des programmes africains nationaux ou régionaux de lutte contre le cancer.
L’élaboration de nouveaux outils d’analyse en sera une des conditions d’efficience.
3. - Nouvelles approches de santé publique
Les cancers sont des maladies multifactorielles dont les causes et les mécanismes
physiopathologiques sont de mieux en mieux connus. Nombre de gènes ou de voies de régulation de
leur expression dont la défectuosité est associée au processus oncogénétique ont été identifiés. Le
décryptage de la totalité du génome humain achevé en 2002 a permis d’accélérer ces formidables
avancées réalisées au cours de ces dernières années [NIH, 2009]. En effet, plusieurs applications
préventives, diagnostiques et thérapeutiques ont découlé de ces connaissances fondamentales bien que
le rythme du passage de la découverte à l’utilisation médicale soit encore lent selon les patients et
leurs familles. Les procédures qui régissent les essais cliniques sont longues et coûteuses mais
indispensables à la validation de l’innocuité et de l’efficacité revendiquée des molécules testées.
Ainsi, l’augmentation des connaissances fondamentales, de l’arsenal thérapeutique et de la qualité des
plateaux techniques fait que les pathologies tumorales évitables et curables sont en nombre croissant.
Selon le docteur Gro Harlem Brundtland, ancien directeur général de l’OMS, « une meilleure
utilisation des connaissances existantes permettrait au moins de prévenir un tiers des cancers qui se
déclarent chaque année dans le monde. Et là où les ressources sont suffisantes, les connaissances
actuelles permettraient la détection précoce et le traitement efficace d’un tiers de cas supplémentaires
» [CIRC, 2005]. En effet, dans les pays du Nord, les taux de guérison de plusieurs types de cancer sont
en forte augmentation. En France, les survies à 5 ans sont de 75 % pour les cancers pédiatriques, 68 %
pour les cancers chez la femme et 44 % pour les cancers masculins [INCa, 2009 ; Guérin et Hill,
2010 ; Bouée et al., 2010]. On vit de plus en plus longtemps avec un cancer qui tend à devenir une
maladie chronique contrôlable. En comparaison, s’agissant des cancers pédiatriques, 20 à 25 % des
cas sont guéris en Afrique [CIRC, 2005 ; Ly et Khayat, 2006a ; Hesseling, 2009 ; CIRC, 2008 ; Ocheni
et al., 2008 ; Israels et al., 2010].

En conséquence, une dissymétrie des connaissances et des capacités entre pays du Nord et du Sud
est une des premières causes de l’écart observé dans le contrôle du cancer. En second lieu, les limites
de la lutte anticancéreuse africaine sont consécutives à la grande faiblesse des systèmes de santé des
pays africains, à l’accès difficile ou sporadique aux soins, aux coûts dissuasifs des médicaments et au
déficit en personnel de santé qualifié. Cette précarité sanitaire est reflétée par le fait que la grande
majorité des Africains est dépourvue de couverture du risque maladie [MAE, 2007 ; Miloud, 2009].
De plus, le nombre réduit d’hôpitaux et de centres de santé, généralement concentrés dans la capitale
et dans quelques grandes villes, restreint l’accessibilité géographique aux soins d’une fraction
importante de la population, en particulier, celle qui vit dans les zones rurales.

À ces aspects socio-économiques s’ajoute l’instabilité politique de certains États qui contribue à
affaiblir davantage les unités de santé existantes. Par ailleurs et plus spécifiquement, les besoins de
structuration de la lutte contre le cancer ne sont pas pris en considération par les politiques de santé
ou se situent en arrière-plan de leurs priorités. Les programmes nationaux de lutte contre le cancer,
quand ils existent, ne disposent ni des outils ni des moyens de leurs objectifs. Or pour certains
cancers, le diagnostic, le traitement, le suivi radiologique et les traitements requièrent des
équipements lourds de services spécialisés de médecine nucléaire.

Dans une publication récente, le bureau Afrique de l’OMS a fait un état des lieux des obstacles
majeurs auxquels la lutte contre le cancer sur le continent est confrontée et lance un appel « auprès
des gouvernements et des partenaires pour l’allocation de ressources supplémentaires nationales et
internationales et pour un accès plus équitable à des services performants de prévention, de diagnostic
et de traitement, et à une meilleure gestion des programmes » [Dangou et al., 2009].

En s’appuyant sur ces constats d’indigence et d’impuissance et sur ses aspects épidémiologiques
précédemment décrits, ces lignes directrices d’une approche renouvelée de la lutte contre le cancer
sur le continent peuvent être proposées.
4. - Responsabilisation politique
L’expression d’engagements politiques volontaristes est indispensable pour faire de la lutte
contre le cancer en Afrique une priorité au niveau des différents États du continent. L’appui politique
permettra, en mettant en lumière au niveau africain et international les enjeux épidémiologiques et
socio-économiques de ce combat, d’impliquer des acteurs politiques, financiers, économiques,
institutionnels et associatifs dans un programme objectivé pour abaisser l’incidence et la
morbimortalité des affections malignes dans les populations subsahariennes. Cette masse critique
devra être obtenue et organisée autour de plans d’actions cohérents, complémentaires et audacieux
financièrement pour être le fer de lance de cette lutte africaine contre le cancer qui sera épique et dont
tous les indicateurs de santé montrent qu’elle n’est pas gagnable d’avance et qu’elle revêt un caractère
d’urgence. L’impulsion politique est, à ce point, déterminante pour catalyser une réaction en chaîne.
Un des rôles des acteurs de santé est donc de responsabiliser et d’informer voire d’influencer les
pouvoirs publics afin que ceux-ci se saisissent de cette problématique des cancers dans les régions
tropicales africaines.
5. - Développement d’une culture de la prévention
Le développement d’une approche pédagogique des maladies malignes est d’autant plus
primordial qu’elles sont ignorées du grand public. Les principales causes de cancer en Afrique et les
cancers les plus représentés aussi bien chez les hommes que chez les femmes ont été documentés. Ces
données épidémiologiques montrent outre l’ignorance des facteurs de risque que les patients se
présentent trop tardivement dans les centres de santé réduisant ainsi dramatiquement leur chance de
survie [Parkin et al., 2003 ; Ly et Khayat, 2006a ; Mayi-Tsonga et al., 2009 ; Dao et al., 2009 ;
Sawadogo et al., 2009 ; Israels et al., 2010].

Les raisons de tels comportements ne sont pas uniquement financières ou liées à l’accès difficile
aux thérapeutiques. Elles sont aussi d’ordre émotionnel et psychosocial c’est-à-dire qu’elles ont des
bases culturelles et cultuelles [Gharbi et al., 2009 ; Clegg-Lamptey et al., 2009]. On a coutume de «
faire avec » en attendant que la maladie guérisse d’elle-même ou de considérer qu’une personne n’est
malade que lorsqu’elle est alitée. La question qui « tue » et qui est régulièrement posée est de savoir
pourquoi consulter alors qu’on est apparemment bien portant ? « J’attends au moins de voir les
signes cliniques de ma maladie, ce sont les signes évidents que je suis malade. Et là je peux aller à
l’hôpital » se disent de nombreux patients.

Sur le plan culturel, des guérisseurs ou des tradipraticiens sont d’abord consultés par les
malades avant de recourir à la médecine moderne en cas d’échec ou d’aggravation et d’évolution
visible de la maladie. La littérature scientifique foisonne de témoignages et de résultats d’enquêtes qui
révèlent ces comportements délétères et ce pour divers types de maladies qu’elles soient
transmissibles ou non transmissibles. Dans le cas des cancers où la prise en charge thérapeutique
précoce est un facteur essentiel de guérison ou de meilleur pronostic, ces attitudes sont nocives et
mettent parfois en péril le pronostic vital [Gharbi et al., 2009 ; Clegg-Lamptey et al., 2009 ; Errihani
et al., 2010]. Elles sont cependant modulables. Le défi consiste à expliquer et faciliter l’application du
principe de précaution. Le passage de « je ne crois que ce que je vois » à « mieux vaut prévenir que
guérir » doit être promu, ce qui ne représentera pas une nouveauté conceptuelle puisque ce principe
de précaution a des pendants dans les cultures africaines [Ly et Khayat, 2006a].

Dans le contexte subsaharien, il est capital de jouer ce rôle d’alerte et de mettre en avant des
mesures de prévention primaires. En effet nombre de causes de cancers sont évitables (infections
chroniques, tabagisme, déséquilibres alimentaires, pollutions environnementales, inactivité
physique…). L’autre raison, non moins déterminante, est que la mise en place de mesures de
prévention primaires est plus accessible en termes économique, logistique et éducationnel. De plus,
elle est gage d’efficience des mesures secondaires et tertiaires de prévention plus complexes à mettre
en œuvre.

5.1 - Partenariat médecine moderne, médecine


traditionnelle et médecines alternatives
Cette sensibilisation de la population aux facteurs de risque de cancer doit s’allier les
tradipraticiens qui sont en première ligne des consultations pour la diffusion des informations et
l’orientation plus rapide des malades vers les services publics de santé. Leur participation contribuera
à baliser les chemins thérapeutiques que compliquent l’analphabétisme, l’indigence et le recours aux
médicaments frauduleux. Des échanges responsables qui sont potentiellement à bénéfices mutuels
peuvent être entretenus avec les adeptes de médecines alternatives (plantes médicinales, pratiques
cultuelles, produits traditionnels...). Ces médecines utilisées en compléments ou en remplacement des
thérapies conventionnelles sont emblématiques de l’environnement social et psycho-affectif des
patients qu’il faut appréhender. En effet, l’offre et la demande de soins comportent une dimension
culturelle importante et irréductible et les logiques et stratégies qui les sous-tendent sont difficilement
transposables du local au global. Le pluralisme médical est une réalité africaine que bouscule souvent
la médecine savante (evidence based medecine) [Scheper-Hugues, 1990 ; Fleurentin et al., 2002]. De
surcroît, ces types de collaborations entre plusieurs savoirs sont à valoriser à des fins de recherches
biomédicales (ethnomédecine, ethnopharmacologie, phytothérapie…) [Cordell et al., 1991 ; Onusida,
2002 ; Steenkamp, 2006 ; Giday et al., 2009 ; Baldé et al., à paraître].

L’élargissement de la couverture vaccinale est une stratégie préventive de première importance


qui permet de conférer une protection au plus grand nombre et d’assécher progressivement les
sources de contamination. Les possibilités de vaccination se sont accrues récemment avec l’arrivée de
deux vaccins contre les papillomavirus responsables du cancer du col de l’utérus [OMS, 2007 ;
Harries et al., 2009]. Le vaccin contre le virus de l’hépatite B est disponible depuis plusieurs années.
Ces outils de prévention sont de véritables remparts contre les deux types de cancer les plus fréquents
et les plus meurtriers à travers le continent africain. Or, ces armes sont peu utilisées. La faiblesse de la
couverture vaccinale contre le virus de l’hépatite B qui contamine dans certains pays plus de 70 % de
la population est à cet égard significative des défis politiques à relever [CIRC, 2005 ; Dao et al., 2009,
Kew, 2010 ; Ferenci et al., 2010]. Si le coût des vaccins peut être un frein dans le rythme de
l’élargissement d’une couverture vaccinale, il ne peut en aucune manière constituer l’horizon
indépassable d’une politique de santé publique et de lutte contre le cancer déterminée.

5.2 - Benchmarking épidémiologique


L’impact de l’épidémie du sida qui est d’une ampleur sans précédent en Afrique a permis
d’explorer des voies innovantes et favoriser la constitution de réseaux d’acteurs d’horizons divers
pour sensibiliser les populations aux risques de l’infection à VIH. Ces ressources épidémiologiques
accumulées seront profitables aux campagnes de sensibilisation aux causes de cancer. Une synergie
des interventions de prévention est ici tout à fait réaliste et réalisable, et se promet d’être efficace et
efficiente.

5.3 - Valorisation de la médecine préventive auprès de


professionnels de santé
L’inclination médicale naturelle des professionnels de santé est de parler aux malades. Il faudra
de la même manière valoriser cette médecine préventive qui passe par la parole et la pédagogie
envers des non-malades.

5.4 - Préventions secondaire et tertiaire


La chronicité des infections et les consultations trop tardives sont responsables de l’ampleur et
de la gravité des affections malignes dans les régions africaines. Pourtant, les cancers sont des
maladies évolutives et certaines étapes du processus oncogénétique peuvent induire des expressions et
des transformations décelables. En conséquence, les dépistages et les diagnostics précoces peuvent
permettre des traitements rapides de la maladie et d’accroître les chances de guérison. Ainsi, les
tumeurs du col de l’utérus, du foie, du sein, de la prostate, de l’estomac, des lymphomes et des
leucémies peuvent être techniquement détectées précocement.

De même, au niveau tertiaire, les personnes à risques connus par leurs comportements
(tabagisme, infections connues…) ou par leur hérédité (prédispositions et susceptibilités génétiques
aux cancers) peuvent être ciblées de façon préventive. La mise en place de telles stratégies de
prévention ainsi que les infrastructures, les équipements et les ressources humaines permettant leurs
applications doivent être envisagées dans des programmes nationaux de lutte contre le cancer.

5.5 - Potentialisation de la lutte contre le cancer


L’instauration d’une politique de lutte contre le cancer à travers des programmes nationaux ou
régionaux doit être durable et volontariste. Les efforts d’investissements nécessitent qu’ils soient
ajustés à la hauteur de la gravité de la menace et des enjeux de santé publique induits par
l’augmentation de l’incidence et de la mortalité par cancer dans les populations d’Afrique. Les
insuffisances dans nombre de disciplines médicales sont plurielles pour espérer répondre à la
demande thérapeutique.

L’analyse de la démographie médicale révèle non seulement un déficit quantitatif (en nombre de
médecins, d’infirmiers et de cadres hospitaliers) mais aussi en spécialistes du cancer [WHO, 2006 ;
Kanavos, 2006 ; Dangou et al., 2009 ; Kerouedan, 2009 ; Israels et al., 2010]. En Éthiopie, on ne
comptait en 2005 qu’un cancérologue pour près de 60 millions d’habitants [Lassarat et Jootar, 2006].
En cancérologie, la prise en charge des patients se fait selon une approche multidisciplinaire. Pour
changer la donne en Afrique, l’offre thérapeutique devra se densifier autant dans les thérapies
conventionnelles que sont la chimiothérapie, la chirurgie et la radiothérapie que dans la gestion des
pathologies d’organes (urologie, hépatologie, gastro-entérologie, sénologie, pneumologie...).

La valorisation de ces professions médicales passe par une amélioration des niveaux de salaires
et des conditions de travail. Ce qui permet de fixer le personnel qualifié car un des maux du secteur
biomédical africain est la migration de ses acteurs de santé vers les pays du Nord où ils sont non
seulement mieux rémunérés mais exercent leurs métiers dans des conditions plus satisfaisantes.

L’accès aux médicaments anticancéreux en absence de couverture maladie universelle est une
préoccupation récurrente des populations. L’Afrique est en effet un continent doté de peu de capacité
de production pharmaceutique. L’importation de médicaments par de multiples voies comme seules
réponses à ses besoins croissants est à l’origine des prix exorbitants des produits antitumoraux
lesquels sont déjà élevés dans les pays de production ou d’importation. L’achat systématique de
médicaments génériques et la mutualisation des moyens et des ressources à travers des groupements
d’achats régionaux ou sous-régionaux constituent des réponses adaptées aux pays africains.

D’autres pistes de réflexion concernent les accords sur les aspects de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (Adpic) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [Correa, 2006 ; Ly,
2007b]. L’interprétation de certaines clauses de sauvegarde prévues par les accords Adpic sur les
brevets pour protéger la santé publique est un moyen pour relever ces défis de l’accessibilité aux
médicaments. Des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud, en réformant leurs politiques
pharmaceutiques, ont facilité l’accès aux thérapies antirétrovirales à leurs populations dans le cadre
de leur politique de lutte contre le sida [Correa, 2000 ; Correa, 2006 ; Velasquez, 2006 ; Correa,
2010]. Ces flexibilités octroyées par les accords Adpic pourraient être invoquées à des fins de santé
publique pour rendre les prix des produits anticancéreux plus abordables en Afrique.

Enfin, la question cruciale du financement de la lutte contre le cancer se pose autant au niveau
national qu’à l’échelle internationale. Si les programmes nationaux africains ciblant les affections
tumorales manquent de moyens d’actions, il est paradoxal de constater qu’une fraction minimale (5
%) des ressources mondiales allouées à la lutte contre le cancer est octroyée aux pays en
développement [WHO, 2002]. Pourtant, ces pays supportent plus de 60 % de la mortalité globale par
cancer [ACS, 2007 ; CIRC, 2008].

Des partenariats avec le secteur privé et des financements internationaux provenant des industries
biomédicales, d’instituts de santé ou de fondations sont vitaux pour la potentialisation du combat
contre l’impact du cancer en Afrique. Ces échanges doivent cependant s’inscrire dans une politique
d’ensemble définie par les États africains pour en garantir la cohérence et en affaiblir les risques
éthiques. La formulation de la cible 17 de l’OMD 8 [1] pourrait être révisée pour inclure « tous » les
médicaments et pas seulement les médicaments essentiels, compte tenu de la juxtaposition des
maladies non transmissibles et des maladies transmissibles dans les pays en développement. Ainsi un
patient atteint de cancer, de maladie cardiovasculaire, de diabète ou de maladie mentale aurait-il la
même chance d’être traité qu’un patient atteint de sida, de tuberculose ou de paludisme, maladies les
plus financées par l’aide publique au développement.

5.6 - Renforcement des capacités


Le renforcement et la diversification des compétences biomédicales et des aptitudes
technologiques sont des préalables pour renverser la tendance épidémiologique des cancers en
Afrique. L’implication des réseaux hospitaliers, universitaires et associatifs sera déterminante pour
l’articulation des différents objectifs de formation et de recherche fondamentale, clinique,
technologique et sociologique. À cet effet, les collaborations Sud-Sud dans une perspective
d’intégration sous-régionale ou régionale doivent être dynamisées : formation et utilisation
d’équipements lourds, études transnationales à long terme, harmonisation de méthodes ou de
réglementations, etc.

Au plan international, les collaborations avec les pays de l’Union européenne, les États-Unis, le
Canada restent les plus fréquentes. Elles sont à renforcer notamment pour le soutien à la formation et
les transferts de technologies [Mc Carthy et al., 2010 ; Printz, 2010, Zeigler-Johnson, à paraître].
Mais, un élargissement de la collaboration étendue à d’autres pays comme l’Inde, le Brésil, la Chine
ou le Japon est aussi intéressant.

Dans la même veine, un atout majeur est le vivier que constitue la diaspora internationale
africaine qui compte dans nombre de ces pays des acteurs de santé qui peuvent entretenir des
échanges réciproques et soutenus avec leur continent d’origine. Des structures telles que Afrocancer,
association internationale de lutte contre le cancer basée à Paris (France) ou la branche internationale
de l’Organisation africaine pour la recherche et l’enseignement sur le cancer (Oarec) installée aux
États-Unis sont des exemples de ces possibilités de collaborations fécondes d’un genre nouveau pour
une vision stratégique intégrée de la lutte contre le cancer en Afrique.

L’analyse des changements épidémiologiques en cours indique que l’incidence et la mortalité par
cancers ont cru et continueront de s’accentuer dans les populations africaines. L’ampleur de la
progression des cancers se complique en Afrique de multiples défis que sont l’ignorance,
l’indifférence, le déficit de responsabilisation sociale et politique. Si les avancées biomédicales ont
rendu caduques les sanctions d’inéluctabilité et de fatalité qui accompagnaient la survenue de cancers
dans les pays du Nord, les populations africaines souffrent de plus en plus des affres de ces maladies.
Leurs caractéristiques épidémiologiques exigent des réponses adaptées aux contextes économiques et
socioculturels. En tout état de cause, les stratégies de lutte contre le cancer doivent concerner le
renforcement des structures et infrastructures de santé et l’augmentation qualitative et quantitative de
la démographie biomédicale. L’adoption de mesures préventives pour réduire l’exposition aux causes
individuelles et collectives de cancer est une des conditions premières pour renverser les tendances
épidémiologiques des néoplasies dans les régions subsahariennes. Manifestement, bien que les
facteurs de risque de cancer soient cumulés sur le continent africain, nombre d’entre eux sont
évitables si les mesures de prévention adéquates sont promues.

L’acuité de la crise de l’offre thérapeutique, la faiblesse des systèmes de santé, dont la pénurie
des personnels de santé et le manque de financement, et la paupérisation des populations rendent la
prise en charge de ce nouvel enjeu de santé et de développement à la fois urgente et tragique. Ces
recommandations organisationnelles et financières et l’adoption de nouvelles approches de santé
publique constitutives d’un programme de lutte contre le cancer en Afrique doivent être portées à la
hauteur de la gravité des enjeux.

Par ailleurs, le temps des épidémies doit être celui des politiques. Le sens de l’anticipation doit
prévaloir pour dynamiser les processus qui facilitent la configuration du futur combat contre les
pathologies tumorales sur le continent. La détermination politique pourrait permettre de réaffirmer
ces priorités et d’instituer la lutte contre le cancer comme une véritable préoccupation de santé en
Afrique.
Annexe
Tableau 1 : Épidémiologie des cancers en Afrique et en Europe

Source : Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Le Cancer dans le monde
en 2008, Lyon, Centre international de recherche sur le cancer.
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Notes du chapitre
[*] ↑ Docteur en immunologie et oncologie de l’Université Paris-Sud-XI, rédacteur en chef du Journal Africain du Cancer –
African Journal of Cancer et président-fondateur d’Afrocancer, réseau international de lutte contre le cancer

[1] ↑ Cible 17 de l’OMD 8 tel que formulé actuellement : « en coopération avec l’industrie pharmaceutique, fournir les
médicaments essentiels à un prix abordable aux pays en développement ».
8. La crise alimentaire 2007-2008 : opportunité pour
une révision des politiques de sécurité alimentaire
Caroline Boussion [*] 
Caroline Boussion, étudiante du double Master « Affaires internationales », mention
« Sécurité internationale », à Sciences Po et « Management des administrations publiques et
des organisations internationales » à l’Université Bocconi de Milan. Au travers de ses
recherches et de sa collaboration avec la FAO, elle s’est spécialisée sur les problématiques
de sécurité humaine, notamment dans les situations post-conflit et d’instabilité politique.

Carlo Crudeli [**] 
Carlo Crudeli, diplômé de Sciences Po en « Affaires internationales », a travaillé sur
les politiques d’aide dans le secteur de la santé et de la sécurité alimentaire en Amérique
latine et Afrique subsaharienne.

Anna Piccinni [***]  [1] 
Anna Piccinni, diplômée en relations internationales et diplomatie à l’Université de
Trieste (Italie), est actuellement étudiante du double Master « Affaires internationales »,
mention « Sécurité internationale », à Sciences Po et « Management des administrations
publiques et des organisations internationales » à l’Université Bocconi de Milan. Elle a
orienté sa recherche sur les questions liées au management public, notamment dans le
domaine de la santé, dans les pays en développement.

La crise alimentaire de 2007-2008 a donné une visibilité politique et sociale


aux problématiques d’insécurité alimentaire et de sous-nutrition. À l’échelle
nationale comme internationale, elle a représenté une occasion de remettre en
perspective et de réinterroger les outils conceptuels et les politiques alimentaires et
agricoles jusque-là mises en place. En mettant en avant les dynamiques sous-
jacentes de l’insécurité alimentaire, elle a conduit à la formulation de nouvelles
stratégies d’action, dans lesquelles les politiques de court terme ne sont pas
envisagées comme des instruments exclusifs, mais comme une première étape de
stratégies menées sur le long terme et focalisées sur le développement agricole,
seule réponse soutenable pour une sécurité alimentaire durable.
Au cours de l’année 2008, à chaque coin du monde se sont élevées des revendications
économiques et sociales en réaction à l’envolée des prix des denrées alimentaires sur le marché
mondial amplifiant l’insécurité alimentaire des populations les plus démunies. De vives protestations
se sont manifestées dans les pays développés, notamment de la part des consommateurs. Ce sont les
pays en développement, et en particulier les pays d’Afrique subsaharienne, qui ont été le théâtre de
manifestations, parfois violentes, parmi les consommateurs urbains comme au sein des populations
rurales. Du Burkina Faso au Cameroun, en passant par le Sénégal, les émeutes contre la « vie chère »
ont été l’objet d’une forte médiatisation, donnant ainsi à la crise alimentaire une visibilité particulière.
L’agenda politique international a de son côté redonné une place centrale à la question de l’insécurité
alimentaire dans les mois qui ont suivi cette crise. Le Sommet de Rome de juin 2008 organisé par
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a centré son débat sur la
sécurité alimentaire, en en faisant une priorité pour l’action internationale. En juillet 2008 également,
à l’occasion du G8 au Japon, les chefs d’État des pays industrialisés ont réaffirmé leur détermination
à multiplier leurs efforts pour réduire la faim dans le monde.

L’enjeu n’est pourtant pas récent : déjà en 1974, à l’occasion du Sommet mondial de
l’alimentation, les gouvernements présents avaient proclamé que « chaque homme, femme et enfant a
le droit inaliénable d’être libéré de la faim et de la malnutrition afin de développer pleinement ses
facultés physiques et mentales ». Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), définis
en 2000 ont de même attiré l’attention internationale sur la sécurité alimentaire, en l’associant
étroitement à la lutte contre la pauvreté : l’objectif premier affirme ainsi la nécessité de « réduire de
moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim ». En parallèle de la
FAO dont la mission a depuis sa création en 1945 été tournée vers la question alimentaire, de
nombreux acteurs ont tenté d’affronter le problème au cours des dernières décennies. La Banque
mondiale, le FMI et l’Union européenne ont développé des politiques à cet égard, mais ne parler que
de ces organisations serait presque réducteur au regard du panel d’acteurs aujourd’hui impliqués
pour une meilleure sécurité alimentaire. Le seuil récemment dépassé de 900 millions de personnes
malnutries dans le monde et la crise alimentaire actuelle interrogent cependant l’efficacité des
politiques mises en place depuis plus de dix ans pour contrecarrer le problème. Avant même que ne se
fassent ressentir les conséquences de la flambée des prix de 2007-2008, les chiffres démontraient
l’insuffisance des actions et des politiques mises en œuvre : entre 1990-1992, date de référence pour
les OMD, et 2003-2005, ce n’est pas à une réduction, mais à une augmentation de 6 millions de
personnes malnutries à laquelle on a assisté. Un constat bien loin des espoirs nourris lors de la
définition des OMD.

La crise alimentaire de 2007-2008 a déjà été l’objet d’une littérature foisonnante, mais il est
intéressant de dépasser l’analyse de la situation actuelle, en la replaçant dans son contexte plus large
de la lutte contre l’insécurité alimentaire. Il s’agira ici de souligner tout d’abord les enjeux qui ont
sous-tendu la crise, avant de dresser une évaluation des solutions jusqu’à présent proposées pour
lutter contre la « faim dans le monde ».
1. - La crise alimentaire mondiale : une crise
conjoncturelle dans un contexte d’insécurité
alimentaire
1.1 - La sécurité alimentaire : définitions et concepts
La définition de sécurité alimentaire, enjeu majeur pour la compréhension du terrain ainsi que
pour l’élaboration de réponses adéquates, a été l’objet d’intenses débats et a subi des évolutions dans
les dernières décennies. Alors que dans un premier temps l’insécurité alimentaire a été associée à un
simple manque de ressources et à une situation de famine, un travail conceptuel a été réalisé afin
d’intégrer l’ensemble bien plus large des dimensions qui en sont à la base.

La définition actuellement plus répandue a été élaborée en 1996 lors du sommet mondial de
l’alimentation à Rome : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout
moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur
permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une
vie saine et active. »

Cette définition permet de mettre en exergue quatre dimensions de la sécurité alimentaire : la


disponibilité, l’accessibilité, la qualité et la stabilité.

La disponibilité a été le premier aspect pris en compte dans la lutte contre la sous-alimentation.
Les premières opérations menées par la FAO et la création du Programme alimentaire mondial
(PAM) s’inscrivaient dans cette optique et faisaient du transfert de nourriture des pays riches vers les
plus pauvres le paradigme à la base de leurs actions. Aujourd’hui la disponibilité peut être définie
comme l’ensemble des quantités domestiques de denrées alimentaires produites au cours de l’année,
auquel s’ajoutent le volume des stocks disponibles en début d’année et les quantités de denrées
alimentaires qui peuvent être acquises avec les revenus disponibles ou importés [FAO, 2001].

Le concept d’accessibilité a lui été formulé dans les années 1980 sur la base de travaux réalisés
par divers acteurs, parmi lesquels on peut citer la formulation de la théorie sur la famine de Amartya
Sen (Poverty and Famines : An Essay on Entitlement and Deprivation, 1981) et l’étude de la Banque
mondiale en 1986 sur la relation entre pauvreté et faim. Ayant constaté que le bond technologique
réalisé en agriculture (La révolution verte…) n’avait pas été accompagné d’une réduction
proportionnelle de la sous-nutrition, l’on a en effet ressenti le besoin de chercher des réponses au
niveau micro, celui des individus et des ménages. L’accent mis sur le concept d’accessibilité
économique souligne le lien entre pauvreté et sécurité alimentaire. Le revenu devient un indicateur
important, même si d’autres facteurs, tels que l’état des infrastructures, qui influencent les
performances des systèmes de commercialisation et de distribution, sont également pris en compte.

La notion d’utilisation ensuite met davantage l’accent sur la qualité par rapport à la quantité. Elle
souligne l’importance des besoins nutritionnels du consommateur qui varient par rapport à l’âge, au
sexe, à la charge pondérale, à l’activité et à l’état physiologique et dépendent principalement du
niveau d’hygiène et de la différenciation du régime alimentaire. Une des problématiques ici centrales
est l’état nutritionnel des enfants, qui joue un rôle important pour un développement sain et régulier.

Finalement, la dimension de stabilité implique la régularité des disponibilités alimentaires, aussi


bien matérielle que temporelle. Elle est influencée par différents facteurs : conditions climatiques
défavorables (sécheresses, inondations), instabilité politique (troubles sociaux, conflits) ou facteurs
économiques (chômage, fluctuations annuelle et interannuelle des prix des aliments).

À partir de cette définition, l’analyse des facteurs à la base d’une situation d’insécurité
alimentaire permet d’élaborer d’autres distinctions importantes. Parmi celles-ci, la distinction entre
insécurité transitoire et chronique est souvent définie comme primordiale. La première, limitée dans
le temps, peut être due à des chocs et des fluctuations à court terme relatives à la disponibilité et à
l’accès aux aliments, incluant les variations annuelles des productions alimentaires domestiques, du
prix des aliments et du revenu des ménages. L’insécurité chronique s’inscrit au contraire dans la
durée et relève de causes structurelles qui touchent à une ou plusieurs des dimensions citées.

Une troisième catégorie, celle de l’insécurité « saisonnière », est parfois aussi prise en compte.
Elle correspond à un modèle cyclique de disponibilité et d’accès inadéquats aux aliments, résultant
lui-même des fluctuations climatiques saisonnières, des types de récoltes, des opportunités de travail
(demande de main-d’œuvre) et/ou de la prévalence de maladies. Bien que décrite dans des documents
d’orientations (FAO, Commission européenne), le statut de l’insécurité saisonnière demeure peu
défini et elle est au final généralement incluse lors de l’élaboration des stratégies d’action dans une
des deux premières catégories préalablement citées.

Cette base analytique permet de mettre en exergue la complexité du concept de sécurité


alimentaire et doit servir à l’élaboration de politiques efficaces. Une étude rigoureuse des spécificités
propres à chaque situation est nécessaire pour la mise en œuvre de réponses s’attaquant aux véritables
racines du problème.
1.2 - La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 :
flambée des prix et causes sous-jacentes
La flambée des prix

Médiatisée internationalement à l’occasion des émeutes de la faim, la crise alimentaire actuelle a


été essentiellement associée à la flambée des prix des denrées alimentaires sur le marché mondial au
cours des dernières années. À Dakar comme à Haïti on s’est soulevé contre l’augmentation du coût de
la vie et la difficulté croissante de se procurer des biens alimentaires. L’explosion des cours de
certaines denrées, en particulier les céréales, le riz, les huiles végétales et les produits laitiers, a
débuté en 2002, mais véritablement pris un tournant critique à partir de 2006, jusqu’à atteindre des
sommets entre la fin de l’année 2007 et le début 2008. L’indice FAO des prix [2] a augmenté de 24 %
entre 2006 et 2007, puis de 8 % entre 2007 et 2008 (cf. graphique 1).

Graphique 1 : Indice FAO des prix alimentaires

La flambée des prix a touché de manière particulièrement aiguë des aliments cruciaux comme le
blé et le maïs. Le prix du blé par exemple a atteint sur les principales plateformes commerciales du
monde des niveaux jamais constatés auparavant. Son cours est passé au cours de l’année 2007 de 200
à 400 dollars, en seulement quelques mois. Le prix du riz également a doublé au cours du premier
trimestre 2008. Il est vrai que les prix des denrées alimentaires ont toujours été très volatiles, et que
leur cours mondial connaît des fluctuations cycliques. Cependant, ils n’avaient jamais connu une
hausse aussi brutale et rapide, de sorte que la FAO et la Banque mondiale estiment aujourd’hui que les
prix, malgré leur diminution sur le marché mondial depuis la fin 2008 et l’amélioration de
l’approvisionnement en denrées alimentaires, resteront relativement élevés au regard des cours d’il y
a quelques années dans les pays en développement. Selon les chiffres récents publiés par la FAO, les
prix intérieurs des biens alimentaires dans 58 pays, dont la plupart en Afrique subsaharienne, sont
supérieurs aux cours de l’année passée dans 78 % des situations étudiées.

Il a fallu peu de temps pour estimer l’impact global de cette explosion du prix des denrées
alimentaires sur l’insécurité alimentaire mondiale. Selon les estimations de la FAO, la hausse des
cours mondiaux aurait participé à une augmentation de 75 millions de nouvelles personnes sous-
nutries entre la période 2003-2005 et la fin 2007 (cf. graphique 2). Toutefois, il demeure encore
difficile d’identifier les conséquences de la crise pour les pays en développement et les pays les
moins avancés de manière plus précise. L’impact de la hausse des prix ne peut être nié en particulier
pour les ménages les plus pauvres, mais toute généralisation serait en effet hasardeuse.

Graphique 2 : Nombre de sous-alimentés potentiellement touchés par la hausse des prix


(2003-2007)

Des causes multiples


Nombreuses sont les explications qui ont été apportées à cette flambée des prix des denrées
alimentaires. Il semble en effet difficile d’y donner une réponse unique : les facteurs en jeu sont
multiples, et s’articulent de manière complexe, dans un jeu associant aussi bien les paramètres de
l’offre que ceux de la demande. Les conditions climatiques des années précédant la crise tout d’abord,
bien qu’insuffisantes pour expliquer seules l’explosion des prix des denrées alimentaires, ont eu un
impact non négligeable. Les récoltes des grands producteurs agricoles, notamment céréaliers, ont
connu une forte chute cette année-là, entraînant une diminution significative de l’offre sur le marché
mondial. La production globale de céréales a ainsi diminué de 3,6 % en 2005, puis de 6,9 % en 2006.
L’Australie et le Canada par exemple ont été fortement touchés, avec un déficit de production
céréalière atteignant 1/5 de leur niveau normal. Un autre parmi les facteurs le plus souvent mis en
avant concerne l’augmentation de la production de biocarburants. Ces nouvelles sources d’énergie,
qui reçoivent depuis quelques années un intérêt croissant des politiques publiques des pays
développés, exercent en effet une forte pression sur le marché des biens alimentaires, dans la mesure
où ils absorbent une partie importante des stocks agricoles, produits normalement destinés à la
consommation. En 2007 par exemple, sur une augmentation de 40 millions de tonnes de maïs dans le
monde, 30 ont été absorbés par la production de l’éthanol. L’effet pervers de ces biocarburants va
même au-delà de la quantité de produits agricoles utilisés : du fait des subventions publiques dont les
producteurs sont les destinataires, ils entraînent également une augmentation de la surface de terres
réservées à leur production, au détriment d’autres denrées alimentaires destinées à la consommation.

En parallèle de ces deux facteurs entraînant une baisse significative de l’offre s’ajoutent des
causes participant à une augmentation de la demande mondiale. L’explosion démographique des pays
émergents, associée à leur rapide urbanisation et à la hausse des revenus sont à l’origine non
seulement d’une augmentation de la demande de produits agricoles, mais également de leur
réorientation vers des denrées plus riches en calories, notamment la viande, dont la production
absorbe une part importante des réserves céréalières. Cet impact de la croissance démographique, s’il
est important à noter, doit cependant être nuancé : la production agricole a augmenté dans les
dernières années de manière plus que proportionnelle à la croissance démographique, de sorte que la
production agricole par tête a augmenté.

Par ailleurs, le marché des produits agricoles étant étroitement lié aux marchés financiers et à
ceux des autres matières premières, les cours des denrées alimentaires ressentent les fluctuations de
ces derniers. L’augmentation du prix de l’énergie tout d’abord, notamment du pétrole, dans les mois
précédant la crise, s’est répercutée indirectement sur celle des produits agricoles, du fait de la hausse
des coûts de transport et des prix des engrais. D’autre part, sur les marchés financiers, les produits
dérivés liés aux cours des denrées agricoles sont devenus, dans un contexte d’exposition croissante
aux risques financiers, des instruments privilégiés offrant aux spéculateurs l’occasion de diversifier
leurs portefeuilles. Les fonds d’investissement par exemple ont fortement investi le marché des
produits alimentaires, le volume de leurs capitaux dans ce champ ayant été multiplié par 5 dans les
années précédant la crise.

Finalement, se superposant à tous ces facteurs cumulés, les politiques de court terme apportées
par les pays en développement aux premiers signes de la hausse des prix alimentaires n’ont fait
qu’empirer la situation, accentuant la spirale dans laquelle les cours s’étaient déjà engagés. Les
mesures visant à réduire l’impact sur le marché intérieur de l’envolée des prix mondiaux, comme
l’instauration de taxes à l’exportation, ont ainsi accentué la volatilité des prix au niveau mondial.

1.3 - Au-delà des prix, un enjeu plus complexe


Au regard de ces considérations, il semble que la flambée des prix des denrées alimentaires ait
eu une influence significative sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, et en particulier
pour les populations les plus pauvres. Néanmoins, elle ne peut être suffisante à expliquer l’ampleur de
la crise dans certaines régions du monde, notamment en Afrique subsaharienne, où des segments de
la population, bien que touchés par l’insécurité alimentaire, ne sont a priori que peu exposés aux
fluctuations du marché international. La crise alimentaire a mis en lumière les fragilités structurelles
de l’ensemble du système agricole et alimentaire et sa vulnérabilité aux chocs dans les pays en
développement. Elle s’inscrit dans le temps et résulte, comme l’affirme Olivier de Sardan, « d’une
dégradation progressive des moyens d’existence et des capacités de survie ».

Cette fragilité du secteur alimentaire est due à plusieurs facteurs, dont la plupart sont liés au
sous-développement des systèmes de production. Le secteur agricole en effet demeure généralement
dans ces régions au stade artisanal, la production et la consommation se faisant essentiellement à
l’échelle familiale. La productivité agricole destinée à l’autoconsommation est restée stagnante
depuis les années 1970, incapable de répondre à une demande croissante du fait de la poussée
démographique. L’Afrique constitue ainsi depuis plusieurs décennies un importateur net de denrées
alimentaires : environ 15 % de sa consommation de base vient de l’extérieur.

En outre, les cultures sont encore extensives et pluviales et n’ont été que marginalement touchées
par les avancées technologiques permettant d’augmenter la productivité des terres. L’irrigation n’a
pas encore pris le relais, les intrants [3] sont généralement insuffisants, les engrais et les semences à
plus haute efficacité sont encore très peu diffusés. Qui plus est, les terres arables se dégradent à cause
d’une exploitation mal gérée.

Ces constats liés au développement agricole ne doivent pas nous faire perdre de vue que d’autres
facteurs entrent également en jeu : le manque de productivité chronique est en effet également
aggravé par des conditions climatiques peu favorables et par l’irruption de conflits.

Le développement agricole, un secteur négligé


Les origines d’une telle situation sont à retracer dans les politiques menées à partir des années
1970 essentiellement par différents leaders politiques et organisations internationales. La diminution
des investissements dans le secteur agricole a été favorisée dans un premier temps par les politiques
de plusieurs pays en voie de développement qui ont choisi de concentrer leurs ressources sur le
secteur industriel, dans le but de rattraper leur retard par rapport aux « pays développés ». Un
tournant majeur s’est produit dans les années 1970 et 1980 en relation avec l’explosion de la dette de
ces pays qui a réduit de plus en plus leur marge de manœuvre dans les politiques publiques, leurs
ressources étant employées principalement pour le remboursement de cette dette.

La Banque mondiale a sur ce point joué un rôle important, notamment par l’élaboration des
plans d’ajustement structurel. De tels programmes, mis en place vers la fin des années 1980,
prévoyaient une libéralisation des marchés des pays endettés, et étaient accompagnés par des
politiques visant la réduction des dépenses publiques et l’entrée de devises étrangères. Afin
d’améliorer la balance commerciale de ces pays, et de permettre en conséquence le remboursement
des sommes dues, les pays étaient de fait incités à se focaliser sur des produits d’exportation (cacao,
café, fruits tropicaux) au détriment des denrées alimentaires de base (blé, maïs, riz). Ces dernières
auraient dû être importées en comptant sur les surplus des pays riches, intéressés à trouver des
débouchés pour leurs produits et capables de les commercialiser au niveau international à des prix
extrêmement compétitifs. C’est dans cette situation, caractérisée par un manque chronique
d’investissements et par une forte concurrence internationale (soutenue en bonne partie par de
considérables subventions), que le secteur agricole n’a pu se développer, et a même vu dans plusieurs
cas sa capacité de production décliner.

Une double cible : impact sur les populations rurales et urbaines


La stagnation de la productivité agricole contribue à créer une situation d’insécurité alimentaire
chronique qui se manifeste de deux façons. D’une part, dans les milieux ruraux, les paysans ne
produisent pas suffisamment pour leur autoconsommation. Cela les rend très dépendants du marché :
ils doivent acheter les compléments des céréales lorsqu’ils font défaut dans leurs greniers, et d’autres
produits complémentaires nécessaires à leur alimentation. Dans ce but, ils doivent produire des
denrées destinées au commerce (sésame, oignon, arachide, etc.) pour se garantir les moyens
financiers d’acheter les biens de première nécessité. Toutefois, cet objectif reste souvent difficilement
atteignable : dans la majeure partie des cas, la commercialisation des produits agricoles ne garantit
pas des revenus suffisants à cause de la discontinuité dans la production, des faiblesses des réseaux
d’infrastructures locales pour la distribution et des marges accaparées par les intermédiaires. En
d’autres termes, l’instabilité des rendements agricoles, à la fois pour l’autoconsommation et pour la
commercialisation, et la dépendance du marché rendent les populations rurales très vulnérables aux
chocs exogènes. Il est important de rappeler que 55 % d’entre elles sont victimes de sous-nutrition et
représentent environ trois quarts du total des personnes souffrant d’insécurité alimentaire.

D’autre part, la dépendance vis-à-vis du marché est d’autant plus significative pour les
populations urbaines qui consomment essentiellement des produits alimentaires importés, les cultures
nationales ne produisant pas en quantité suffisante ni à des prix compétitifs en comparaison des
produits importés. La crise n’a fait que mettre en avant le paradoxe des « plèbes urbaines » qui
reposaient sur une nourriture importée et qui paient plus cher à Dakar le riz produit dans les vallées
du fleuve Sénégal que celui importé de Thaïlande. Le moindre changement des prix mondiaux peut
faire en sorte que leur revenu habituel ne soit plus suffisant pour assurer les quantités nécessaires à
nourrir leur foyer et explique pourquoi la flambée des prix a pu déclencher des émeutes de la faim.
Le problème de la sous-alimentation dans les milieux urbains est donc associé au manque de moyens
financiers plutôt qu’à l’insuffisance de production, bien que les deux phénomènes soient étroitement
liés. En effet, l’urbanisation de masse trouve généralement son origine dans la faible production
agricole et dans la paupérisation progressive de la population rurale, qui ont contraint les paysans à
se déplacer vers les bidonvilles à la recherche de revenus plus élevés.
2. - Les réponses à la crise : vers une politique de
développement sur le long terme ?
2.1 - Dans l’urgence, des politiques de court terme aux
effets limités
Le caractère global de la crise de 2007-2008, associé à une forte médiatisation, a replacé la
question de la sécurité alimentaire non seulement au cœur des politiques nationales, mais également
au sommet de l’agenda international.

Face aux images dramatiques de la crise et à celles, très largement diffusées, des émeutes s’est
affirmée dans un premier temps la volonté d’apporter une réponse rapide. Comme le souligne
Jacques Diouf, directeur général de la FAO, lors d’une telle crise « aucun être doué de conscience ne
peut nier qu’il y a un impératif moral à venir en aide aux personnes qui sont dans l’incapacité de
subvenir à leurs besoins alimentaires ».

Une crise alimentaire peut être vue comme une période d’insécurité alimentaire extrême, où le
danger principal est un manque répandu d’accès à la nourriture, qui peut mener à une situation de
famine. Une réponse efficace dans le cadre de ces crises doit donc être avant tout rapide pour sauver
des vies humaines.

Les aides alimentaires


Le premier outil qui est avancé pour répondre à des telles situations est celui de l’aide
alimentaire. La FAO et le PAM en particulier estiment qu’il n’y a pas de substituts à l’aide alimentaire.
Celle-ci permet de sauver d’une mort certaine des millions de vies humaines. Même si la contribution
que l’aide alimentaire peut apporter aux populations touchées par la famine est indéniable, plusieurs
questions méritent d’être soulevées, portant à la fois sur sa gestion et sur son impact réel sur
l’insécurité alimentaire.

Premièrement, il faut considérer que le transfert de l’aide des pays « riches » aux pays récepteurs
ne peut pas répondre, si pris isolément, aux exigences de rapidité. L’aide alimentaire achetée en
Amérique du Nord ou en Europe a besoin de temps pour arriver dans le pays destinataire : un
transfert d’aide en nature des États-Unis destiné à l’Afrique subsaharienne, par exemple, prend en
moyenne cinq mois, même si est utilisée la procédure « d’émergence » [4] . Les systèmes d’alertes
jouent, dans ce cas, un rôle clé. Leur mise en place au fil du temps, ainsi que l’amélioration de la
coordination entre les pays et les divers acteurs ont montré leur importance primordiale pour mettre
en place des réponses opportunes. Bien que des efforts dans ce sens aient été réalisés, la nécessité de
travailler sur le timing reste nécessaire.

Il ne s’agit pas seulement de secourir à temps les affamés ; un mauvais timing dans
l’acheminement de l’aide peut avoir des effets pervers sur les marchés locaux qui ne doivent pas être
négligés. Plusieurs études démontrent les effets déstabilisateurs de l’aide alimentaire traditionnelle
sur les marchés locaux, mettant ainsi en danger les moyens d’existence des producteurs et des
commerçants locaux dont dépend la sécurité alimentaire durable [5] .

Bien que l’impact de l’aide soit difficilement mesurable en termes qualitatifs, de telles
considérations doivent être bien prises en compte, sans oublier le coût de ces réponses
considérablement plus onéreuses que n’importe lequel des programmes de développement agricole.

Pour contrer ce phénomène plusieurs outils pourraient être employés, qui auraient, et qui ont
montré leur capacité à avoir un impact positif à la fois sur le timing et sur le problème plus général
des effets potentiellement pervers de l’aide. Ne recourir à l’aide alimentaire en nature qu’en cas de
pénurie, et non en cas de problèmes d’accès, et augmenter l’aide en espèces ou en bons d’alimentation
là où cela est possible seraient un premier outil (les fameux transferts sociaux largement développés
en Éthiopie, au Bangladesh…). Par ailleurs, dans les cas où la crise alimentaire est localisée dans une
région bien définie (ce qui est presque toujours le cas), il serait souhaitable de recourir à des achats
locaux ou régionaux d’aide alimentaire, en substitution des transferts directs des pays « riches ». Cela
peut être bénéfique pour le développement agricole des pays à faible revenu en servant de levier à la
production locale [6] .

Un autre aspect fondamental est celui du ciblage. Encore une fois, au-delà de l’amélioration de
l’impact sur les plus vulnérables, il est question de réduire au minimum les effets négatifs d’une
mauvaise gestion de l’aide.

Une dernière remarque mérite d’être faite sur les aides alimentaires et sur leur capacité à
répondre à une crise telle qu’on l’a connue récemment. Devant les problèmes causés par les
fluctuations des prix, les aides alimentaires se sont montrées avoir une capacité de réponse très
limitée. Alors que les difficultés des populations souffrant d’insécurité alimentaire, augmentent de
manière proportionnelle au niveau de prix, la quantité de l’aide disponible est inversement
proportionnelle aux prix sur le marché mondial (cf. graphiques 3 et 4). Il convient ici de rappeler que
ce constat est surtout valable pour les pays qui, comme les États-Unis, n’ont pas encore dissocié leurs
volumes d’aide alimentaire disponibles chaque année du niveau de leurs excédents.

Graphique 3 : Les aides alimentaires : une véritable réponse aux fluctuations des prix ?

Graphique 4 : États-Unis : premier pourvoyeur d’aides alimentaires directes

Les réponses nationales face à l’urgence


En parallèle de ces réponses, coordonnées au niveau international, les pays ont aussi mené
d’autres actions visant, sur le court terme, à réduire l’impact de la flambée de prix sur les marchés
nationaux. Pour maintenir les prix à de bas niveaux, plusieurs pays ont utilisé les outils de la politique
commerciale. Selon que les pays étaient importateurs ou exportateurs nets de biens alimentaires, des
mesures visant à alléger les droits de douane sur les importations, ou à restreindre les exportations,
ont été mises en place.

D’autres politiques de protection sociale, telles que des mesures de contrôle des prix, ont aussi
été mises en avant. Selon une enquête récemment réalisée par la FAO sur les mesures prises par les
pouvoirs publics dans 77 pays visant à limiter l’impact de la flambée des prix, la plupart d’entre eux
(61) ont mis en place une ou plusieurs de ces politiques. Alors qu’il reste difficile d’évaluer
l’influence réelle de ces politiques, plusieurs doutes ont néanmoins été soulevés quant aux
répercussions négatives qu’elles pouvaient avoir sur les autres pays (comme par exemple les
restrictions des importations par des grands pays exportateurs tels que la Thaïlande et l’Inde) et à leur
efficacité sur le long terme (effets décourageants sur la production locale). En outre, plusieurs
exemples ont montré comment ces politiques publiques de contrôle des prix ont souvent manqué
leurs buts, en servant surtout les intérêts de certains pouvoirs locaux.

Bien d’autres considérations pourraient être faites sur les systèmes d’aides d’urgence ; ce qu’on
voudrait ici souligner est la nécessité de ne pas avoir une vision centrée sur le court terme, qui, autre
que simpliste, pourrait se révéler dangereuse. En outre, aucun des outils analysés ne peut être érigé en
modèle standard pour toute situation : l’analyse indépendante et approfondie de chaque situation de
crise, des causes qui la sous-tendent reste le premier outil pour apporter une réponse opportune.
Seule une telle démarche permettrait de répondre à l’impératif moral cité par Jacques Diouf et c’est
par là que passe la compréhension des effets potentiellement pervers dont nous avons fait mention.

Les rapports plus récents de la FAO mettent en avant le fait que le nombre des crises nécessitant
une réponse urgente a doublé au cours des deux dernières décennies, passant de 15 à 30 par an, avec
une augmentation encore plus forte en Afrique, où elles ont triplé. Ce constat devrait pousser à se
poser des questions sérieuses sur le rapport entre réponses d’urgence et réponses à plus long terme.
Plusieurs études mettent en effet l’accent sur le fait que non seulement les politiques à long terme (en
particulier dans le domaine agricole) n’occupent pas une place suffisante, mais que celles-ci ont en
outre perdu du terrain dans les dernières années [7] .

2.2 - Vers des politiques plus cohérentes et durables de


lutte contre l’insécurité alimentaire
Face aux limites des politiques d’urgence, comme on vient de le développer, et grâce à une
analyse de la situation plus approfondie et plus consciente des enjeux, s’est imposée la nécessité
d’aller au-delà de telles mesures et de mettre en place des solutions qui aient « un impact rapide mais
durable [8] ».

Une politique à double volet est aujourd’hui promue, proposée initialement par la FAO, le FIDA
et le PAM [9] , et mise en place en collaboration avec l’ensemble du système des Nations unies et les
institutions de Bretton Woods. D’une part est soulignée la mise en œuvre de politiques ciblées de
court et moyen termes destinées à augmenter le revenu des strates les plus pauvres et les plus
vulnérables de la population et ainsi faciliter leur accès immédiat à la nourriture. D’autre part,
l’accent a été remis sur la nécessité de conduire des politiques durables de lutte contre l’insécurité
alimentaire, incluant le développement agricole et rural. Une prise de conscience semble être
amorcée afin de dépasser la logique « urgentiste », au profit d’une solution plus solide, intégrée et
cohérente. Cependant, l’enjeu est de taille, dans la mesure où urgence et aide au développement ont
des procédures, des contraintes, des logiques et des acteurs différents, qu’il est souvent difficile de
faire cohabiter sur le terrain.

Cette nécessité de mener une action sur deux fronts dans les pays souffrant d’insécurité
alimentaire a été soulignée à plusieurs reprises au cours des mois qui ont suivi la flambée des prix et
les premiers signes de la crise alimentaire. En avril 2008, la mise en place d’une Équipe spéciale de
haut niveau sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire par le Secrétariat général de l’ONU,
composée des représentants des institutions et des agences des Nations unies concernées, a permis de
définir un cadre pour les actions locales et internationales face à la crise alimentaire. La nécessité
d’agir sur deux fronts à la fois a sous-tendu les politiques promues. Au cours de la Conférence de
haut niveau réunie à l’initiative de la FAO à Rome en juin 2008, l’idée que l’insécurité alimentaire
actuelle ne peut être efficacement affrontée que par une politique menée sur deux fronts a été
soulignée et a fait l’objet d’une déclaration conjointe des différents chefs d’État et représentants
gouvernementaux présents au Sommet.

Les filets de sécurité et transferts sociaux


Au-delà des mesures d’urgence qui visent à augmenter la disponibilité locale des denrées
alimentaires et à réduire l’impact d’une crise sur les populations, et dont on a déjà rapidement évoqué
les limites, une réponse immédiate à la situation d’insécurité alimentaire doit intégrer, pour être
efficace, des politiques visant à améliorer de manière ciblée l’accessibilité des populations à la
nourriture. Des mesures de protection sociale et des filets de sécurité alimentaire sont utiles, voire
nécessaires, dans chaque pays afin de réduire la vulnérabilité des groupes les plus pauvres aux chocs
et à l’instabilité permanente du marché des denrées alimentaires. Les filets de sécurité sont des
politiques reposant sur une gamme large et variée d’instruments, mais la logique qui les sous-tend est
similaire, caractérisée par un double objectif agissant sur le court et sur le long terme. Il s’agit
d’améliorer la sécurité alimentaire des populations et leur accès aux denrées alimentaires de manière
immédiate, tout en offrant aux ménages des moyens de subsistance sur le long terme afin de garantir
leur sécurité alimentaire de manière plus durable et de les aider à remettre le pied à l’étrier
économique. La différence principale avec les aides alimentaires liées à une crise particulière est que
ces filets prévoient un mécanisme stable ayant comme but de gérer la réponse à une crise éventuelle,
en structurant l’aide grâce à une élaboration faite en amont de la crise même.

Différents instruments sur lesquels jouent les filets de sécurité ont vu le jour au cours des
dernières décennies. On peut néanmoins les classer en quatre catégories principales.

En premier lieu, les programmes alimentaires supplémentaires consistent en un transfert direct


de nourriture aux ménages ou aux individus, généralement soumis à un système de conditionnalité. Il
s’agit par exemple de programmes distribuant des denrées alimentaires en cas de participation à des
services publics, comme la santé ou l’éducation.

La deuxième catégorie de filets est communément appelée les programmes de « food for work »,
qui ne sont autres que des opportunités d’emploi. Souvent utilisés dans des situations de crise
climatique, de chômage saisonnier ou d’instabilité aiguë du marché des denrées alimentaires, ces
programmes permettent la distribution de rations alimentaires contre la réalisation d’un travail
d’utilité commune, comme la restructuration des infrastructures locales.

En troisième lieu on trouve également dans les filets de sécurité des instruments de transfert
direct de ressources aux ménages, par l’intermédiaire notamment de bons alimentaires ou de
coupons. Ces systèmes assurent à la fois un meilleur accès à la nourriture et une diversification des
biens accessibles.

Finalement, les filets de sécurité alimentaire peuvent consister en des subventions au


consommateur visant à diminuer les prix de certaines denrées alimentaires sur le marché.

Les solutions adoptées au lendemain de la crise de 2007-2008 ont accordé aux mesures de
protection sociale et aux filets de sécurité une place importante, au cœur même de la politique
développée. Pour lutter contre la flambée des prix et ses conséquences en termes d’accessibilité aux
denrées alimentaires, des initiatives visant à promouvoir dans les pays les plus fortement touchés de
telles mesures ont été instaurées. On peut citer notamment l’Initiative sur la flambée des prix
alimentaires mise en place par la FAO en décembre 2007 pour répondre rapidement aux
conséquences de la hausse des prix sur le marché mondial jusqu’à fin 2009. D’une hauteur de 1,7
milliard de dollars, le programme est destiné à fournir une aide budgétaire et une assistance aux
gouvernements pour l’adoption de politiques répondant à la crise du marché alimentaire, incluant
notamment des mesures de protection sociale et des filets de sécurité. Soutenue par le système
onusien, par les principales institutions financières mondiales et par d’autres acteurs comme l’Union
européenne – à travers la Facilité alimentaire, nouvel instrument financier spécialement mis en place
pour répondre aux conséquences de la crise actuelle – cette initiative traduit l’effort vers une action
coordonnée et globale visant à la diffusion de ce premier volet d’une politique efficace de lutte contre
l’insécurité alimentaire. De nouvelles propositions ont été avancées dans ce sens pour intégrer les
filets de sécurité à l’échelle régionale afin d’en augmenter l’efficacité.

Néanmoins, l’efficacité de tels programmes dépend en pratique de bien d’autres facteurs que la
bonne volonté nationale et internationale de les mettre en œuvre. Les filets de sécurité nécessitent des
contextes déterminés et un minimum de bonne gouvernance pour exercer un impact majeur sur la
sécurité alimentaire, contexte qui n’est pas toujours réalisé dans les pays en développement,
notamment en Afrique subsaharienne. Redistribution limitée des ressources, difficulté de mettre en
place des systèmes de bons et de coupons alimentaires du fait de l’insuffisance du système bancaire
national, limitation des programmes « food for work » aux ménages disposant d’une personne capable
de travailler, etc., sont présentées comme autant d’obstacles à l’efficacité des mesures de protection
sociale. En outre, il a été affirmé à plusieurs reprises que les filets de sécurité pouvaient avoir des
effets pervers sur le marché local des produits alimentaires. Il ne s’agit pas ici de traiter toutes les
situations possibles ni tous les freins à la bonne réalisation des mesures de protection sociale, mais
plutôt d’analyser leurs conséquences en termes de lutte contre l’insécurité alimentaire.

Deux conclusions doivent être tirées. En premier lieu, la mise en œuvre des filets de sécurité doit
être adaptée aux contextes particuliers dans lesquels ils sont mis en place : c’est en fonction des
objectifs et des priorités définis par eux que les gouvernements préféreront la mise en œuvre de tel
ou tel programme, qui ne sont d’ailleurs pas exclusifs et voient souvent leur efficacité améliorée par
leur combinaison. En second lieu, il faut garder à l’esprit que les mesures de protection sociale
agissent sur le court et le moyen terme, et qu’elles ne constituent pas une fin en soi ; elles ont une
utilité, notamment en atténuant les effets d’une crise majeure, mais ne sont cohérentes que si elles sont
insérées dans une politique plus globale et durable de promotion de la sécurité alimentaire sur le long
terme.

Augmenter la production locale


La volonté de s’engager sur le long terme dans le domaine de la production agricole figure
depuis longtemps dans la formulation des politiques des institutions internationales et des
gouvernements locaux mais est loin d’avoir été mise en pratique. Les politiques sectorielles pour
l’agriculture qui ont toujours été négligées par les gouvernements locaux et les institutions
internationales sont aujourd’hui mises en avant par ces mêmes acteurs. Après trois décennies de
baisse des investissements dans ce secteur (selon l’OCDE l’aide publique au secteur agricole est
passée de 18,7 % en 1979 à 5,2 % en 2006 de l’aide étrangère totale), la crise de 2008 a remis au cœur
du débat la question du développement rural. Ce dernier apparaît fondamental pour atteindre une
sécurité alimentaire durable et diminuer ainsi la vulnérabilité aux chocs.

Des politiques de développement agricoles favorisant la productivité des petits agriculteurs


pauvres dans les pays en développement permettraient d’avoir un effet multiple : d’une part elles
entraîneraient une augmentation de la production et de l’offre alimentaires, améliorant ainsi la
disponibilité globale, tant en milieu rural qu’urbain ; d’autre part elles peuvent aussi participer à une
augmentation des revenus des populations rurales les plus pauvres et favoriser ainsi leur accès aux
aliments. Des prix élevés peuvent ainsi apparaître comme une opportunité dans les pays en
développement pour relancer le secteur agricole, dans la mesure où ils créent des possibilités pour un
retour sur investissement plus important. Face à des produits importés plus chers, les prix praticables
par les producteurs locaux sont à nouveaux attractifs. Les marchés ont donc intérêt à se tourner vers
les produits céréaliers locaux, stimulant ainsi les villageois à relancer leur production et poussant les
investissements pour le développement du potentiel agricole africain.

Appui technique et engagement sur le long terme : l’exemple des


intrants
Un certain nombre de mesures doivent cependant être mises en place afin de donner aux petits
producteurs agricoles, protagonistes centraux de cette relance [10] , les moyens nécessaires à
l’augmentation de leur productivité.

C’est dans cette direction que s’inscrit actuellement la FAO en collaboration avec d’autres
agences onusiennes et d’autres organisations internationales, telles que l’Union européenne, en
soutenant notamment les petits exploitants agricoles dans plus de 90 pays [11] . Les initiatives élaborées
prévoient un « paquet d’assistance technique » facilitant l’accès pour les agriculteurs aux intrants
modernes. L’attention se concentre autour de plusieurs dispositifs. Il s’agit en premier lieu de faciliter
l’accès aux engrais, essentiels pour augmenter la productivité des surfaces agricoles, mais dont
l’accessibilité est menacée par l’augmentation de leur prix sur le marché mondial. Il apparaît
également important de soutenir l’industrie locale des semences, leur distribution et leur
multiplication en les adaptant aux exigences locales. Plusieurs acteurs ont focalisé leurs actions sur
cet aspect, telle que l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), qui a récemment mis en
place un programme dédié à l’accès aux semences : le Programme pour les systèmes des semences
pour l’Afrique (PASS).

Les politiques qui favorisent l’accès aux intrants requièrent un support des experts et des fonds.
Leur usage doit être prévu sur le long terme, donc les financements sur la longue durée ne peuvent
pas reposer sur les initiatives internationales ni sur les seuls efforts budgétaires nationaux, mais
mettre au contraire en avant l’accès au crédit pour les petits producteurs. De cette façon, les
campagnes pourront compter de façon durable sur ces nouvelles filières d’intrants au-delà des
opérations ponctuelles d’assistance. Des programmes de formation doivent par ailleurs être mis en
place afin de promouvoir une utilisation adéquate de ces intrants. Une conservation et un stockage des
engrais chimiques non adaptés peuvent par exemple entraîner une contamination des terres agricoles
et ainsi avoir des effets négatifs sur la production. Finalement la distribution des intrants ne doit pas
se faire indépendamment du contexte et des spécificités locales (caractéristiques agro-écologiques,
climatiques, etc.), afin d’éviter que ces mesures ne génèrent plus de problèmes qu’ils n’apportent de
réponses.

Une nécessaire fluidification du marché : infrastructures et


politiques commerciales
Un autre axe fondamental dans la promotion du développement agricole concerne les
investissements dans les infrastructures, visant toujours l’amélioration de la productivité d’une part –
notamment par les travaux d’irrigation –, et la distribution des produits finaux. L’amélioration et
l’extension du réseau des transports sont déterminantes dans la mesure où elles ont une influence
fondamentale sur les prix et sur la possibilité pour les producteurs d’écouler leurs produits sur le
marché. Tout autant déterminante seraient l’amélioration des circuits de commercialisation et la
fluidification des marchés, trop souvent dominés par des oligopoles qui contribuent à la spoliation
des petits producteurs au profit de quelques gros commerçants amis des puissants.

Il serait aussi important d’améliorer les transports et la transparence des circuits à l’échelle
régionale pour garantir une meilleure stabilité des prix des biens agricoles, des stocks et de l’accès
aux semences. Le fait de pouvoir compter sur un réseau élargi d’échanges permettrait aux pays à la
fois de pouvoir plus efficacement faire face aux chocs et de maintenir des prix compétitifs.
Un dernier champ d’action susceptible de favoriser le développement du secteur rural concerne
les politiques commerciales. Sans vouloir ici traiter de manière exhaustive le débat sur les effets
d’une plus ou moins grande libéralisation des marchés nationaux, il est pour autant nécessaire d’en
citer l’importance. Les politiques visant à soutenir la production nationale doivent s’inscrire dans une
politique commerciale cohérente qui réussisse à trouver un équilibre entre la protection des produits
nationaux, à travers par exemple des barrières aux importations, et les effets néfastes sur les prix que
la réduction des importations risquerait d’entraîner.

Dans de nombreux pays le potentiel de développement agricole est significatif. Si les


gouvernements s’engageaient à s’investir dans son exploitation, ils pourraient développer un
avantage comparatif par rapport aux autres régions du monde et devenir exportateurs nets [12] . Ceci,
cependant, n’est pas vrai pour toutes les zones géographiques, le « tout agricole » ne doit pas devenir
une tendance généralisée mais reste à comparer avec d’autres options qui pourraient être plus
profitables pour le pays étant donné ses dotations naturelles (par exemple le tourisme).

Une politique à double volet construite sur le long terme semble en mesure de répondre aux
multiples aspects qui caractérisent la sécurité alimentaire. Reste à voir dans quelle mesure cette
nouvelle prise de conscience par les gouvernements sera effectivement traduite en actions. Il semble
cependant utile de relever que les effets des politiques qui soutiennent les agriculteurs sont
constamment à pondérer avec les effets qu’elles peuvent produire sur les consommateurs.
L’augmentation de la productivité agricole, incitée par l’augmentation des prix, doit être conçue
comme un levier pour le développement économique, en permettant de faire reculer la pauvreté et
d’atténuer le fossé entre gagnants et perdants de cette relance. Le but des politiques agricoles doit être
de nourrir les populations en protégeant le développement des agriculteurs de même que le droit des
consommateurs à se nourrir à leur faim et avec une nourriture de qualité.

Le processus d’amélioration de l’agriculture locale devrait se fonder sur un rôle actif des
pouvoirs locaux, tant au niveau de l’élaboration des stratégies que de leur mise en œuvre. Il devrait
passer par une valorisation des connaissances locales et une prise en compte des véritables besoins.
Certaines études confirment que les initiatives informelles, placées sous le contrôle des autorités
locales, peuvent avoir une efficacité plus importante que les programmes élaborés à l’échelle
mondiale sur la base de modèles standard, manquant de contact avec la réalité du terrain. Bien que le
discours prônant l’empowerment des populations locales dans les modalités de distribution de l’aide
internationale se fasse de plus en plus présent, il peine néanmoins à s’imposer. Il impliquerait une
restructuration trop profonde, d’autant qu’aucun accord local, susceptible d’être valorisé, ne se
dessine encore.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la réussite de ces politiques se heurte souvent à de
nombreux problèmes de gouvernance et à un manque de volonté politique. L’insécurité alimentaire
n’est pas un enjeu qui puisse être abordé de manière isolée. Une solution efficace doit s’inscrire dans
un cadre plus large et s’efforcer d’intégrer toutes les autres dimensions qui contribuent à la
réalisation d’un véritable développement durable.
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Notes du chapitre
[*] ↑ Étudiante du double Master « Affaires internationales », mention « Sécurité internationale », à Sciences Po et « Management
des administrations publiques et des organisations internationales » à l’Université Bocconi de Milan

[**] ↑ Diplômé de Sciences Po en « Affaires internationales »

[***] ↑ Étudiante du double Master « Affaires internationales », mention « Sécurité internationale », à Sciences Po et «
Management des administrations publiques et des organisations internationales » à l’Université Bocconi de Milan

[1] ↑ Les auteurs remercient très chaleureusement Stéphane Devaux, conseiller à la Délégation de l’Union européenne à Alger,
pour sa relecture attentive du chapitre.

[2] ↑ L’indice FAO des prix alimentaires est, selon la définition donnée par la FAO, établi à partir des prix de six catégories de
produits (viande, produits laitiers, céréales, huiles et matières grasses, sucre), pondérés en fonction de la part moyenne à l’exportation de
chacune des catégories.

[3] ↑ On appelle « intrants » les différents produits apportés aux terres et aux cultures. Ce terme comprend les semences, des
engrais et fertilisants minéraux et organiques, des produits phytosanitaires ou pesticides chimiques et biologiques, des produits
zootechniques et vétérinaires (aliments bétail, vaccins, médicaments vétérinaires, etc.), du petit matériel agricole (matériel aratoire,
pulvérisateurs, moto-pompes, etc.) (Source : FAO).

[4] ↑ Selon la PL 480, titre II.

[5] ↑ Cf. notamment les rapports de la FAO de 2006 et le livre de Barrett et Maxwell, qui se penchent sur la question en
soulignant que des aides mal gérées peuvent avoir des effets collatéraux sur le niveau des prix et sur l’encouragement de la production
locale.

[6] ↑ Il faut ici encore souligner que, bien que potentiellement bénéfique, cette approche ne peut pas être utilisée de manière
systématique : en particulier les achats in loco peuvent contribuer à l’augmentation des prix sur les marchés intéressés. Afin de réduire au
minimum ces risques une étude sérieuse au cas par cas et un timing conséquent sont d’autant plus nécessaires.

[7] ↑ L’étude de Barrett et Maxwell, en s’appuyant sur les chiffres collectés par l’OCDE/DAC, souligne que la partie des aides
globales dédiée aux urgences a augmenté considérablement, en comparaison aux efforts visant le développement structurel
(infrastructures, agriculture, industrie et autres secteurs productifs). Ces deniers ont diminué de 47 % en 1993 à 21 % en 2002.

[8] ↑ José Maria Sumpsi, sous-directeur général de la FAO, www.fao.org/news/story/fr/item/19718/icode

[9] ↑ Il semble nécessaire de distinguer le rôle de ces trois acteurs : l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM). La FAO est
une agence des Nations unies créée en 1945 ayant comme but de fournir une assistance technique, un forum de débat et une
réglementation internationale dans le domaine du développement agricole avec l’objectif suprême de « libérer le monde de la faim ». Le
FIDA, institution spécialisée des Nations unies créée en 1977, constitue l’outil de financement des politiques pour le développement rural.
Le PAM est un organisme mis en place en 1963 par l’ONU qui s’occupe des aides alimentaires : conçu à l’origine pour acheminer l’aide
vers les populations ayant des problèmes de disponibilité de nourriture, il a cherché au fil des années à s’intégrer aux politiques d’autres
organismes visant plus largement le développement économique et social.

[10] ↑ Il serait ici utile de rappeler qu’une grande partie des personnes victimes d’insécurité alimentaire vivent en milieu rural.

[11] ↑ La FAO agit à partir des programmes qui sont proposés par les gouvernements locaux, notamment à partir des requêtes faites
par les 33 pays qui en décembre 2008 ont demandé assistance. Dans dix pays en particulier, elle le fait grâce à un accord avec la
Commission européenne qui a dégagé 106 millions d’euros le 15 mai 2009, sur un million d’euros prévus au total, en confirmant la
centralité du soutien à la relance de l’agriculture dans les pays du Sud dans la « Facilité alimentaire » lancée par l’UE en collaboration
avec le HTLF au lendemain de la crise.

[12] ↑ Jacques Diouf et Jean-Michel Severino « La hausse des prix agricoles, une chance pour l’Afrique », Le Monde, 17 avril
2008.
9. Conséquences sanitaires du commerce des déchets
électriques et électroniques du Nord vers le Sud
Claire Bernard [*] 
Claire Bernard est diplômée de Sciences Po en « Affaires internationales ».
Spécialisée sur les questions d’environnement, de développement durable et de gestion des
risques, elle travaille pour une collectivité locale aux États-Unis.

La mondialisation des échanges entraîne dans un même mouvement un


commerce nocif en pleine expansion, celui des déchets résultant des biens et
équipements électriques et électroniques. Ces flux de matériaux usagés
s’amplifient, sans que l’on ne sache exactement en déterminer l’ampleur, puisqu’ils
naviguent entre la sphère économique formelle et informelle. En partance des pays
du Nord qui font un usage exponentiel d’équipements électriques et électroniques
en tous genres, ces résidus arrivent par conteneurs entiers dans les grands ports
des pays en voie de développement. Ils y sont « recyclés » à moindre coût, dans des
conditions précaires. Les nombreuses substances dangereuses qu’ils contiennent
sont fortement toxiques pour les travailleurs et l’environnement. Ils contaminent la
chaîne alimentaire ainsi que les habitants vivant à proximité de ces points de
récupération. Les dispositions actuelles du droit international et des régulations
régionales ou étatiques ne permettent pas d’enrayer ce commerce inégal et
dangereux pour la santé des plus pauvres. Cependant, il semblerait que la solution
se trouve du côté même des entreprises productrices d’équipements électriques et
électroniques, qui, sous la pression des différentes parties prenantes et d’une
législation adaptée, sont incitées à internaliser le coût de la fin de vie de leur
produits, et à prendre en charge leur retraitement, dans le cadre d’une démarche
socialement responsable.

Il existe une relation, certes complexe, mais très étroite entre les résidus des équipements
électriques et électroniques et la santé de milliers de personnes, qui se fait chaque jour un peu plus
évidente, au fur et à mesure que s’accélèrent les échanges entre les continents, entraînés par la
dynamique commerciale de la mondialisation.

L’appellation « déchets d’équipements électriques et électroniques » (DEEE) ou e-déchets


recouvre la large palette de tous les biens et équipements qui fonctionnent avec le courant électrique
ou des champs électromagnétiques. Les DEEE comprennent l’ensemble des appareils
électroménagers (50 %), les appareils audiovisuels (10 %) et les équipements informatiques et
bureautiques, ainsi que les produits de la téléphonie (40 %). La production de ces déchets connaît une
croissance exponentielle dans les pays occidentaux, et les pays en développement semblent leur
emboîter le pas. Ainsi la Chine, dont la production nationale atteint 2,3 millions de tonnes par an,
talonne les États-Unis qui restent les premiers producteurs mondiaux de déchets électroniques avec 3
millions de tonnes par an, selon les estimations d’un récent rapport du PNUE [Recycling. From E-
Waste to Resources, 2009]. Plus encore, les perspectives de déchets à retraiter à horizon 2020
explosent, avec une augmentation prévue de 400 % en Chine et en Afrique du Sud et de 500 % en Inde
pour le retraitement des ordinateurs, et 7 à 18 fois plus de déchets de téléphones mobiles en Chine et
en Inde. Cette augmentation de la consommation est liée d’une part à l’émergence des marchés
d’équipement électriques et électroniques dans les pays du Sud, et d’autre part au raccourcissement du
cycle de vie de ces produits. Un ordinateur en 1997 était utilisé pendant une moyenne de six ans contre
deux ans depuis 2005. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) estime
également que la production annuelle de ces produits, entre 20 et 50 millions de tonnes, croît de 3 à 5
% par an [PNUE, 2005].

Parallèlement, les capacités de collecte et le recyclage de ces équipements électriques et


électroniques n’évoluent pas au même rythme et les circuits de récupération de ces équipements
électriques et électroniques sont saturés. Que faire alors de tout ce matériel usagé ? La solution qui
s’est rapidement imposée a été d’acheminer ces équipements vers les pays du Sud. Dans le meilleur
des cas, ils sont réparés et retrouvent une nouvelle vie sur les marchés de seconde main. Mais la
plupart du temps hors d’usage, ils sont désossés puis détruits après récupération des matières
premières. Or, ces équipements contiennent aussi plus d’une vingtaine de produits chimiques toxiques
différents. La majorité des pays pauvres vers lesquels ils sont exportés ne disposent ni de la
technologie adéquate, ni de l’expertise technique nécessaire pour une prise en charge et un
retraitement de ces déchets en toute sécurité. C’est donc un lourd fardeau sanitaire qui est transféré
des pays consommateurs d’équipements électriques et électroniques vers les pays en voie de
développement. Aujourd’hui, un commerce systématique s’instaure, dont on peine à mesurer
l’ampleur, mais qui s’avère à l’origine d’un sérieux problème. Les plus récentes estimations
évalueraient la production de déchets électroniques mondiale à 40 millions de tonnes par an [PNUE,
2009]. Pour Okechukwu Ibeanu, expert de l’ONU sur les déchets toxiques, « cela va probablement
être le problème le plus grave que le monde va devoir affronter au cours de ce siècle, surtout dans les
pays en développement. Jusqu’à présent, il arrivait que quelques compagnies occidentales isolées
déversent quelques tonnes de déchets toxiques dans des régions isolées des pays en développement,
mais ce commerce est devenu maintenant plus systématique et il est en train de prendre de l’ampleur
».

En nous appuyant sur les études documentées des réseaux d’ONG et des institutions travaillant
sur la question, nous nous proposons ici de dresser un état des lieux de ces pratiques commerciales,
du contexte international dans lequel ces échanges se déroulent et des effets en termes de santé
publique qu’ils induisent sur les populations. Dans un deuxième temps, il s’agit de décrypter les
logiques qui sous-tendent ces échanges et d’évaluer les solutions adoptées. Il est intéressant de
souligner qu’un nouvel ensemble de stratégies repérables actuellement ébauchent une manière
différente d’appréhender les problèmes de santé publique. La solution semble venir non pas
uniquement des États et des initiatives de coopération internationale comme c’est classiquement le
cas, mais également d’une implication accrue des entreprises dans le cadre de la « responsabilité
sociale ». Les comportements socialement responsables (CSR) des entreprises sont définis ici de
manière externe, par le respect des attentes des parties prenantes, mais aussi de manière interne par
l’adoption de critères objectifs qui ne nuisent pas aux parties prenantes. Nous tenterons alors de
déterminer les conditions nécessaires pour favoriser le développement de comportements
socialement responsables des firmes dans le cadre de la gestion de la fin de vie des DEEE.
1. - Les termes de l’échange du commerce des e-
déchets
1.1 - E-déchets : un marché récent, en croissance
exponentielle, mais difficile à évaluer
Les États-Unis sont en tête des principaux pays responsables de la production croissante de
déchets d’équipements électriques et électroniques. L’Environmental Protection Agency (EPA) aidée
de l’Association of Electronic Recyclers a entrepris un grand travail d’évaluation de l’évolution des
stocks de DEEE. Selon leurs estimations portant sur les dix dernières années, une moyenne de 400
millions d’unités d’équipements électriques et électroniques sont jetés par an, dont 200 millions de
télévisions et un billion d’ordinateurs. En moyenne, les États-Unis génèreraient près de 3 millions de
tonnes d’e-déchets [EPA, 2008 ; PNUE et StEP, 2009]. Mais certains chercheurs estiment que 75 % des
équipements usagés sont encore stockés par les foyers, s’entassent dans les garages et les caves, en
attendant d’être valorisés d’une quelconque manière. L’Europe n’est pas en reste. Selon la
Commission européenne, chaque Européen produisait en moyenne 14 kg de e-déchets par an en 2006,
soit 9,3 millions de tonnes de DEEE, et ce avec une augmentation continue de 8 % sur les quatre
dernières années, particulièrement en Europe de l’Est. Ainsi les capacités existantes des quelques
dispositifs de prise en charge et de recyclage sont dépassées par cette croissance continue de e-
déchets.

Mais qu’en est-il alors des flux d’exportation de ces équipements en fin de vie ? Leur
comptabilité est difficile, puisqu’ils passent entre les mailles du filet. En effet, quelques 8 000
catégories de biens échangeables sont déterminées par l’Harmonized Traffic System (HTS), mais
aucune distinction n’est faite entre les biens électroniques neufs, usagés ou irréparables. Plus encore,
nombreux sont les collecteurs d’équipements électriques et électroniques dans les pays du Sud qui
préfèrent acheter des containers de vieux équipements au poids plutôt que de les déclarer comme
matériel informatique et de payer une taxe pour un ordinateur vieux de plusieurs années indexée sur
le prix neuf. Le Basel Action Network (BAN) estime tout de même que 80 % de ces équipements
usagés sont exportés. À cette exportation régulière, il faut ajouter l’exportation frauduleuse. Ainsi,
l’Impel, le réseau des autorités des pays de l’Union européenne en charge de l’application et du
respect du droit de l’environnement, qui regroupe des pays tels que les Pays-Bas, le Royaume-Uni,
l’Allemagne ou la Pologne ainsi que les six plus grands ports d’Europe, annonce que 22 % des
exportations de déchets contrôlées sont illégales et concernent toute une gamme variée de déchets
d’équipements électriques et électroniques, des tubes cathodiques en passant par les ordinateurs en fin
de vie. Remonter la chaîne commerciale des DEEE permet alors de comprendre plus précisément
comment ces équipements électroniques en fin de vie passent du secteur formel au secteur informel et
participent à une économie souterraine florissante. Les DEEE représentent d’ailleurs la deuxième
source de revenus pour les mafias, après le trafic de drogue.

Qui sont donc les acheteurs et récepteurs de déchets d’équipements électriques et électroniques
dans les pays du Sud ? De l’exportation au démantèlement et au recyclage, en passant par la
manutention et le stockage des composants électriques et électroniques, le chemin est long. Les
processus sont fractionnés en plusieurs opérations sur lesquelles les agents spécialisés réalisent une
marge (récupération et broyage du plastique, du verre, retrait et revente de la carte-mère,
récupération des composants contenant des métaux rares, récupération des fils de cuivre, etc.). Pour
plus de facilité, on peut schématiser les flux de DEEE en trois niveaux. Le premier niveau est
constitué par les marchés organisés du secteur formel. Les manufactures d’équipements électriques et
électroniques récupèrent les DEEE qui proviennent de la consommation des ménages ou des
entreprises. Ils les revendent ensuite aux scrap dealers ou brokers, constituant ainsi un marché semi-
formel. Les scrap dealers sont le maillon le plus important de cette chaîne commerciale. Souvent
basés dans les pays du Sud, ce sont eux qui réalisent la plus grosse marge de profit (10 à 15 %) en
achetant par conteneurs entiers sur des sites internet spécialisés les déchets d’équipements électriques
et électroniques pour les revendre ensuite aux démonteurs, dans le cadre d’un marché alors
complètement informel. Démantelés, les équipements électriques et électroniques sont ensuite traités
par différents agents qui en récupèrent, pour les uns le verre, le plastique, pour les autres les métaux
précieux, etc. afin de les revendre ensuite aux industries locales qui les réinjecteront dans leurs
circuits de production. Ainsi, une étude menée par le GAO (US Governement Accountability Office)
en 2008, a suivi pendant trois mois les transactions de matériel électrique et électronique en fin de vie
sur les sites internet spécialisés de revente des DEEE. Les scrap dealers des pays du Sud représentent
70 % des requêtes, pour 7,5 millions d’unités de DEEE. Près de 75 % des requêtes offraient moins de
10 dollars par unité, et la moitié proposaient un prix inférieur à 5 dollars. Ces prix spécialement bas
indiquent bien que la plupart de ces équipements échangés sur le marché sont destinés à être
démantelés dans des conditions précaires à moindre coût par le secteur informel.

Des circuits commerciaux s’organisent alors selon les zones géographiques, systématisant et
pérennisant les flux. Il n’existe pas de document reflétant l’organisation globale de tels flux, mais en
recoupant les analyses régionales disponibles sur le sujet, on peut définir schématiquement quelques
grandes tendances. Globalement, les prix du transport maritime conditionnent la demande et les
routes des e-déchets, des pays du Nord vers les pays en voie de développement. Le continent africain
reçoit en majorité des produits en provenance d’Europe [BAN, 2005] et les 30 % restants des
exportations d’Amérique du Nord, essentiellement des États-Unis et du Canada. Mais c’est encore
l’Asie, et plus spécifiquement la Chine et l’Inde, qui reçoivent le plus grand nombre de DEEE. Selon
l’Association chinoise des appareils électroménagers, la Chine recevrait 80 % du total des
exportations de DEEE vers l’Asie, mais elle réexporterait elle-même vers l’Inde les résidus de DEEE
dépecés. L’ONG indienne Toxic Link annonce qu’entre juillet 2002 et janvier 2004, 1 620 tonnes
d’ordinateurs sont arrivées illégalement par le port de Madras et les villes de Bombay, Kandla et
Cochin. En ce qui concerne la Chine, le professeur Yoshida, de l’Université d’Hokkaido au Japon, fait
état dans ses recherches, de flux continus en provenance de son pays qui représentaient en 2004 26 %
des ordinateurs usagés, car le coût du recyclage y est nettement moins cher. Le BAN estime également
que la filière chinoise est très rentable surtout pour les activités de la côte ouest des États-Unis où le
transport par bateau est moins onéreux que le recyclage. En effet, le prix d’un conteneur de 20 pieds
en provenance des États-Unis et en direction de l’Afrique de l’Ouest varie entre 4 000 et 7 000
dollars, contre 750 dollars pour un container de 40 pieds en direction de Hong Kong [GAO, 2008].
De plus, les déchets d’équipements électriques et électroniques permettent de remplir les conteneurs
vides en partance pour la Chine et de rééquilibrer ainsi la balance des exportations sino-américaine.
Les 20 % des DEEE restants sont exportés vers l’Inde, le Viêtnam, l’Indonésie, la Malaisie et
Singapour.

Ainsi, les pressions et les incitations à exporter sont plus fortes que jamais ! Le coût important
des activités de recyclage qui incombent aux firmes dans les pays du Nord les incite à externaliser ces
coûts de management environnemental vers les pays du Sud. Le coût de la main-d’œuvre y est
négligeable, les règlementations en matière de protection environnementale et de normes sanitaires
pratiquement inexistantes. Le faible prix du transport maritime est encore un argument en faveur de
ces flux de DEEE.

1.2 - Les menaces du commerce des déchets électriques et


électroniques pour la santé des populations
Les équipements électriques et électroniques en fin de vie entrent sur les circuits commerciaux
sous l’appellation marchandises d’occasion, mais une fois arrivés à destination, ils sont pour la
plupart inutilisables, même après réparation, pour être vendus sur les marchés de seconde main. Ils
sortent donc de leur circuit légal de récupération et de recyclage et deviennent des déchets
d’équipements électriques et électroniques, dont les travailleurs les plus pauvres vont récupérer les
matières premières, selon des méthodes et des pratiques peu sûres qui leur font courir de grands
risques. En effet, ces déchets contiennent jusqu’à 1 000 substances et produits chimiques différents,
dont la plupart sont très toxiques. Les études toxicologiques portant sur ces différents composants
permettent d’identifier de manière précise leurs effets sur la santé et les maladies qu’ils sont
susceptibles de générer. La première voie d’exposition à ces substances nocives est directe et
concerne tous les travailleurs, qui, à mains nues, dépècent les carcasses d’ordinateurs ou de
téléphones portables, dans des conditions précaires. Ces travailleurs pauvres et peu ou pas informés
sur la nocivité des processus de récupération et des composants n’hésitent pas à utiliser des acides et
des substances chimiques interdites pour récupérer des quantités infimes de métaux précieux
contenues dans les composants électroniques (principalement dans les cartes-mères).

Ainsi, la fin de vie d’un ordinateur a donc un impact largement négatif sur la santé humaine. Le
plomb, utilisé pour les joints, les soudures et d’autres composants des circuits imprimés, fait partie
des métaux lourds récupérés qui, manipulés sans précaution, ont des effets nocifs bien connus sur le
système nerveux, le sang, la fertilité et s’accumule dans les reins. Le mercure également est présent
dans les capteurs, les téléphones mobiles, les batteries, etc. On estime d’ailleurs que 22 % de la
consommation de mercure par an dans le monde est utilisée pour les équipements électriques et
électroniques. C’est ce même mercure auquel sont exposés les travailleurs et qui attaque également
les reins et le cerveau, sans compter qu’il s’accumule rapidement sur la chaîne alimentaire. Le
charbon noir, contenu dans les cartouches d’imprimantes, classé comme un élément cancérigène de
classe 2B représente aussi un danger, lorsque ces dernières sont brûlées pour être détruites. Plus
encore, les plastiques (dont le PVC), qui composent l’enveloppe de la majorité de ces appareils,
relâchent de nombreuses dioxines lorsqu’ils sont brûlés. De plus les retardateurs de flammes qu’ils
contiennent sont toxiques. Mais d’autres substances toxiques, moins connues, sont également
présentes dans ces DEEE : par exemple le cadmium, utilisé dans les anciennes cathodes, dans les
batteries alcalines, les semi-conducteurs, les cellules photos électriques et les résistances. Les reins,
les poumons et les tissus osseux sont les organes principalement atteints par ce toxique cumulatif,
dont l’élimination très lente explique pourquoi des effets peuvent surgir plusieurs années après
l’exposition. Le chrome hexavalent, utilisé comme anticorrosif sur les plaques d’acier galvanisé et
comme décoratif pour les boîtiers métalliques des ordinateurs, endommage les chaînes ADN. De
récentes études font apparaître que même une courte exposition au barium, métal que l’on retrouve
dans les ordinateurs, pour protéger les utilisateurs des radiations, peut causer des dommages au foie,
à la rate et au cœur [BAN, 2005]. Le beryllium, présent dans les cartes-mères et qui est mélangé au
cuivre pour obtenir des composants plus résistants et plus conducteurs, a de redoutables effets à
retardement et attaque surtout la peau, empêchant la cicatrisation. La liste est encore longue, mais ce
sont là les principales substances nocives en quantité signifiantes qui sont contenues dans les e-
déchets.
À cette exposition directe aux substances toxiques, il faut également ajouter l’exposition
indirecte, par le biais de l’environnement pollué des travailleurs pauvres. Stockées pour la plupart
dans des décharges municipales laissées à l’abandon par les autorités locales, les déchets
d’équipements électriques et électroniques amoncelés à l’air libre polluent l’eau ; leurs métaux lourds
et particules toxiques s’accumulent dans les organismes vivants et s’introduisent dans la chaîne
alimentaire, ils sont également présents dans les sols et la végétation. Le PNUE a réalisé une des
premières enquêtes sur le sujet. Il s’est intéressé à la décharge publique de Dandora, à Nairobi au
Kenya, ville dans laquelle d’ailleurs, il a son siège. L’étude pilote s’appuie sur de nombreuses
analyses environnementales du sol et de la qualité des eaux environnant la décharge, comparés à des
échantillons prélevés sur d’autres sites non pollués, mais également sur une étude de l’état de santé
des habitants vivant aux alentours de la décharge (prises de sang, relevés des pathologies fréquentes
observées). Les conclusions font clairement apparaître un lien de causalité entre la prévalence de
certaines maladies et la teneur inhabituelle du milieu en certains métaux lourds ou substances
toxiques. Ceci explique le nombre élevé d’enfants et d’adolescents affectés dans des proportions
inhabituelles par des maladies liées à une déficience de leur système respiratoire, gastro-intestinal ou
dermatologique.

Des conclusions similaires ont été mises au jour par plusieurs études menées dans des villages
au sud-est de la Chine, qui concentrent les activités informelles du retraitement des DEEE. Ainsi, la
ville de Guiyu est tristement connue pour être le plus grand centre de récupération des e-déchets au
monde, avec près d’un million de tonnes de DEEE par an en provenance des États-Unis, du Canada,
du Japon et de la Corée du Sud. Arrivant par conteneurs entiers dans le port de Hong Kong, les e-
déchets sont acheminés à Guiyu par la route, puis sont démontés, triés, recyclés sur place. On estime
que près de 2 500 petites entreprises de recyclage de DEEE emploieraient près 100 000 ouvriers
travaillant à Guiyu, pour une population totale de 150 000 habitants. Dans le village, l’ambiance est
suffocante, l’air saturé de poussières chargées de métaux lourds ; dans les rues et sur les trottoirs les
ateliers de recyclage à ciel ouvert fonctionnent à plein et diffusent les vapeurs de plastique brûlé.

Les études toxicologiques et épidémiologiques menées sur le terrain font état de taux de
prévalences de pathologies liées à des niveaux de pollution importants plus que préoccupants. Dans
une étude publiée par la revue Environmental Science and Technology (2008) sur l’impact du
retraitement des DEEE sur l’environnement et la santé, le sol, dans le village du Guiyu, est saturé de
métaux lourds, les concentrations de plomb et de cuivre y sont 300 fois plus élevées que le site
contrôlé à 8 km du village. Plus encore, selon une autre étude menée par l’Académie chinoise des
sciences de Guangzhou et de l’Université, les ouvriers de Guiyu travaillant dans le recyclage des
produits électroniques présentent des concentrations sanguines en ignifugeants chimiques jusqu’à 200
fois plus élevées que dans le sang de travailleurs industriels. Brûlés, ces produits ignifugeants se
transforment en dioxines, et les niveaux mesurés à Guiyu révèlent un risque d’exposition 64 fois plus
élevé que les seuils définis par l’Organisation mondiale de la santé. Cependant, du fait de la nouveauté
de ces activités, les conséquences sur la santé humaine de ces concentrations hors normes en métaux
lourds et composants chimiques sont encore difficilement démontrables avec précision, même si l’on
constate leurs effets nocifs sur les populations. Ainsi, près de 88 % ouvriers souffrent de problèmes
respiratoires, neurologiques ou digestifs. Les études et les protocoles d’études se sont multipliés ces
dernières années, afin de pouvoir rendre compte de manière précise et scientifique des conséquences
en termes de santé publique de ces activités de recyclage. Cependant, même s’ils sont conscients des
dangers du retraitement des DEEE sur leur santé, ces ouvriers tiennent à leur métier qui leur permet
de gagner 4 euros par jour et de faire vivre leur famille. Les autorités, quant à elles, commencent à
légèrement réguler ces activités, mais ne voudraient en aucun cas nuire à un commerce qui fait vivre
des centaines de milliers personnes dans la région.

1.3 - Un transfert paradoxal au regard de la


règlementation internationale très stricte
C’est en Inde et en Chine que la plupart des appareils électriques et électroniques à destination
des pays du Nord sont produits, mais c’est également là que, quelques années plus tard, ces mêmes
produits reviennent usagés, pour être détruits et s’entasser sur des décharges empoisonnées. Le
problème est donc d’arriver à découpler la consommation des exportations des équipements
électriques et électroniques. C’est ce à quoi s’emploie la convention de Bâle sur la règlementation des
mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, entrée en vigueur en 1992.
Cette disposition du système onusien vise à limiter par le droit international le trafic des substances
dangereuses du Nord vers le Sud, selon le principe d’autosuffisance. Le traitement des déchets doit
ainsi se faire le plus près possible de leur point d’utilisation et de collecte. Cependant, cette
convention, ratifiée par la grande majorité des États, ne l’a toujours pas été par les États-Unis, qui
représentent l’un des plus gros producteurs et exportateurs de e-déchets. Ils n’ont pas non plus ratifié
le Ban Amendment attaché à la convention de Bâle, qui interdit strictement les exportations de déchets
dangereux depuis certains pays développés vers les pays en développement. Cette abstention est une
faille, et non des moindres, dans le système. L’efficacité de la convention de Bâle s’en trouve
considérablement affaiblie et, plus encore, le Ban Amendment, qui nécessite la ratification de 75 %
des Parties à la convention et n’a pour l’instant obtenu la signature que de 63 pays sur les 170 Parties
de la convention. Il n’a donc aucun pouvoir règlementaire pour l’instant, et les velléités affichées
restent lettre morte.
À ces limites politiques, qui freinent l’encadrement de ce commerce des déchets par le droit, il
faut également souligner deux autres limites importantes, qui compromettent la mise en œuvre de la
convention de Bâle. La première réside dans la difficulté de tester et de contrôler le matériel importé
frauduleusement sous l’appellation de bien réutilisable alors qu’il est hors d’état de marche. En effet,
les codes tarifaires ne prévoient pas de notation spéciale pour les déchets électroniques, et les
inspecteurs doivent s’adonner à un véritable jeu de piste et compter sur leur intuition pour définir si
un conteneur contient des DEEE plutôt que des équipements d’occasion [Jeffries, 2006]. La dernière
faiblesse de la convention de Bâle réside dans la possibilité d’interprétation de la classification.
Classer les marchandises sous la rubrique Repair permet de faire passer un bon nombre de déchets
hors de la coupe de la convention. En effet, si l’équipement exporté ne fonctionne pas, mais nécessite
une intervention « mineure » pour fonctionner à nouveau, il ne rentre pas dans la classification
Disposal et ne tombe donc pas sous le coup de la réglementation.

C’est au niveau européen qu’existe la réglementation la plus poussée en matière de contrôle de


déchets dangereux. Signataire du Ban Amendment, l’Union européenne estime également, dans son
règlement du 1er février 1993, que le principe de libre circulation des marchandises ne s’applique pas
aux déchets. Plus encore, elle a mis en place deux directives qui agissent en amont du problème de
transferts de déchets dangereux. La première directive de 1996 fixe un taux obligatoire de recyclage à
atteindre par personne, la seconde, plus connue sous le nom de directive RoHS (Restriction of
Hazardous Substances in Electrical and Electronical Equipment), concerne directement les déchets
d’équipements électriques et électroniques. Ainsi, depuis juillet 2006, l’utilisation de six substances
toxiques, dont le plomb, le cadmium, le mercure, ou encore le chrome hexavalent, dans la fabrication
des équipements électriques et électroniques est limitée à des concentrations maximales de 0,1 % par
unité de poids de matériau homogène, sauf pour le cadmium où la limite est de 0,01 %. L’avantage
des directives est de rendre obligatoire leur transposition dans le droit des États et de les exposer à
des sanctions s’ils ne s’exécutent pas. Les États européens sont donc tenus de mettre en place les
procédures de contrôle et de surveillance, mais la responsabilité repose sur les producteurs
d’équipements qui doivent faire en sorte que leurs produits ne contiennent pas ces six substances
interdites. Les autres pays de l’OCDE suivent cette tendance et des efforts sont faits pour favoriser le
recyclage des équipements électriques et électroniques.

Cependant, les États-Unis se tiennent à l’écart de ce mouvement, et les initiatives en la matière


restent du ressort des États. En effet, au niveau fédéral, les initiatives régulatrices sont peu
nombreuses voire inexistantes. Le GAO (Government Accountibility Office) souligne ainsi dans son
rapport d’août 2008 à la Chambre des représentants, l’inefficacité de l’Environmental Protection
Agengy (EPA) à réguler le commerce des e-déchets à destination des pays du Sud, et plaide pour une
mise œuvre de régulations et de contrôles plus contraignants en la matière. C’est alors au niveau des
États que s’organisent des coalitions d’ONG, afin de faire adopter des régulations qui vont dans le
sens d’un contrôle des exportations des DEEE et de l’incitation au recyclage. Parmi ces organisations
actives et dynamiques on peut citer la Electronics TakeBack Coalition, la Silicon Valley Coalition et
le BAN ou encore Greenpeace et Toxic Link. Ainsi, sous la pression de ces ONG, 23 États ont passé
une loi qui oblige les fabricants d’équipements électriques et électroniques à prendre en charge leur
collecte et leur recyclage, en s’appuyant sur le principe de la responsabilité du producteur. D’autres
sont en cours d’adoption d’une telle règlementation, mais 19 États demeurent imperméables au sujet
et n’ont toujours pas initié de processus règlementaire dans ce domaine.
2. - Quelles solutions face au commerce nocif de ces
déchets ?
2.1 - Déchet ou marchandise ?
On peut s’étonner qu’il n’y ait pas de réelle prise en compte de la question sanitaire posée par le
recyclage des DEEE par les autorités dans les pays du Sud. Les gouvernements les plus réactifs en ce
domaine prennent des mesures législatives pour limiter leur importation sur leur sol, mais ne vont
pas plus loin. La Chine a ratifié la convention de Bâle (avec toutes les limites qu’on lui connaît) et
publié en février 2006 une loi ACPEIP (Administration pour le contrôle de la pollution causée par les
produits d’information électronique). C’est l’équivalent chinois de la directive européenne RoHS
puisqu’elle limite également l’utilisation de certains produits toxiques dans la fabrication des
équipements électriques et électroniques. D’autres pays, comme le Nigeria, se dotent également d’une
législation qui interdit l’importation de déchets sur leur sol sans l’autorisation préalable du
gouvernement.

Mais il n’y a pas d’initiatives qui concernent directement la prise en charge du danger sanitaire et
environnemental que représente la présence des DEEE sur leur sol. On remarquera que les travaux de
comptabilité et de démonstration des effets nocifs sont essentiellement conduits par des organisations
non gouvernementales. Greenpeace, Basel Action Network, Toxic Link… tentent, par des études sur
le terrain qui n’ont jamais été entreprises auparavant, d’estimer la quantité de flux échangés mais
également de fonder de manière scientifique le lien entre cette activité et la détérioration de la santé
des travailleurs et des habitants aux abords des lieux de retraitement des DEEE. Cependant, le
gouvernement indien et son ministère de l’Environnement et des Forêts, assisté d’experts d’ONG
suisses et allemandes, ont publié en mars 2008 des Guidelines for environmentally sound management
of E-waste. Ce document permet de classifier les déchets d’équipements électriques et électroniques,
de déterminer précisément les substances dangereuses qu’ils contiennent, afin d’organiser les circuits
de recyclage des DEEE, formels et informels, et d’introduire des pratiques de retraitement
respectueuses de l’environnement et moins dangereuses pour la santé des travailleurs. Cette initiative
nouvelle apporte une réponse nationale au problème des déchets d’équipements électriques et
électroniques sur le sol indien, tout en prenant en compte les aspects techniques, économiques,
environnementaux et sociaux de la question. Reste à savoir si ce plan d’action élaboré par le
gouvernement sera suivi d’effet sur le terrain, et pourra toucher aussi bien les entreprises de
recyclage que les réseaux informels qui se sont saisis de cette activité.
Ainsi, la faiblesse des institutions à réguler et même contrôler l’activité des entreprises sur leur
sol tient en partie à l’existence d’un climat social qui favorise la corruption et le clientélisme. En 2006
un accord entre le Japon et les Philippines met fin à tous les contrôles sanitaires de déchets aux
Philippines. Dans le même esprit, en Chine, le secteur des DEEE n’est que très peu encadré. Sur le
terrain et en dépit des règles, les autorités, prises d’assaut par des préoccupations sanitaires plus
immédiates, ferment les yeux sur l’importation des déchets solides censés être recyclables, dans un
souci de paix sociale.

Mais si les conséquences des DEEE sont peu prises en compte par les autorités de ces pays, c’est
que cette position relève également d’un compromis entre gain économique à court terme et santé. En
effet, nous avons vu que juridiquement les DEEE ne sont pas une marchandise comme une autre mais
bien un déchet, et que la convention de Bâle et autres mesures législatives en interdisent le commerce.
Mais économiquement, la valeur potentielle de retraitement du DEEE conduit à considérer les choses
autrement. En prenant en charge la dernière phase du cycle de vie des équipements électriques et
électroniques, les pays d’accueil peuvent récupérer des matières premières à faible coût, qu’ils
réinjectent ensuite dans leurs circuits de production, notamment dans l’industrie métallurgique. Ceci
est particulièrement vrai pour la Chine et l’Inde qui sont les principales manufactures du monde et
produisent la majeure part de nos ordinateurs, téléphones portables ou téléviseurs. Plus encore, cette
arrivée informelle de DEEE sur leur sol permet de créer des emplois pour toute une part de leur
population, et participe à la croissance économique de petits villages. Ainsi, en Chine, dans le district
de Guiyu, plus de 150 000 personnes sont employées à traiter les millions de tonnes de DEEE reçues
chaque année. Les inconvénients de cette activité concernent donc l’environnement dans lequel sont
implantées les activités de recyclage et les problèmes de santé des populations [Streicher-Porte et
Yang, 2007]. Ce sont là des considérations qui ne pèsent que très peu dans la balance des
gouvernements des pays en voie de développement où la santé n’est pas la priorité des États.

2.2 - Des solutions à trouver en amont des exportations


Au plan international, la régulation est essentiellement juridique et concerne les déchets
dangereux dans leur ensemble. De plus, nous avons déjà montré les limites de son efficacité. La seule
initiative internationale portant spécifiquement sur le sujet est l’initiative StEP (Solving the E-waste
Problem) de mars 2007, dans le cadre de l’ONU orchestrée par l’Université des Nations unies (UNU).
Elle permet de rassembler ONG, institutions politiques, représentants d’entreprises impliquées dans
la production d’équipements électriques et électroniques mais aussi des scientifiques, afin de trouver
des « lignes directrices globales pour le traitement des déchets électroniques et la promotion de
méthodes durables de récupération ». Cependant, en attendant l’application de telles solutions, le
commerce des déchets d’équipements électriques et électroniques continue d’augmenter.

Que dire alors des solutions prises en amont des exportations de ces déchets ? Du côté
américain, c’est l’approche volontaire qui est prédominante, il n’y a que quelques États qui acceptent
de mettre en place une législation. Sur le vieux continent, ce sont plutôt les approches règlementaires
qui administrent le système, avec la directive RoHS et celle sur les déchets recyclables en tête. Mais
ces différentes manières d’envisager les solutions se rejoignent sur les fins, elles visent à contraindre
les raisonnements économiques pour pousser les entreprises à internaliser d’elles-mêmes le
recyclage des DEEE. Les mesures réglementaires concernent essentiellement les normes de
production et restreignent l’utilisation de substances toxiques, mais plus encore, elles tentent
d’organiser la filière du recyclage. Cependant, le recyclage des DEEE dans les pays consommateurs
d’équipements électriques et électroniques peut-il être envisagé comme une stratégie généralisable ?
Certaines études se rangent du coté de l’avis de l’Université des Nations unies, qui estime que le coût
engendré par la gestion et le retraitement des DEEE sera compensé par la valeur des composants des
DEEE ainsi récupérés, comme c’est le cas pour les métaux précieux par exemple. Notons cependant
qu’en Europe, la réglementation sur les DEEE a engendré des coûts de gestion à hauteur de 40
millions d’euros et que d’ici à 2020 les coûts liés au traitement des DEEE s’élèveront à 3 milliards
d’euros, contre 0,76 milliard en 2005. Ainsi, d’autres avis sont plus réservés sur ce point [Willems et
al., 2006], considérant que le coût engendré par la prise en charge puis l’élimination des DEEE est
trop élevé pour faire du recyclage une pratique généralisée. En effet, la capacité de gestion ne s’est
pas développée en suivant l’augmentation des quantités d’équipements électriques et électroniques
alors que la législation se fait de plus en plus sévère. Comment inciter les entreprises à intégrer la
prise en charge de ces coûts supplémentaires alors que les risques encourus en contrevenant à la loi
sont faibles ? Reporter le fardeau du retraitement des déchets sur des pays où la main-d’œuvre peu
qualifiée est aussi très peu chère, où les exigences sanitaires et environnementales sont faibles,
permet de rester compétitif dans un environnement particulièrement concurrentiel en la matière. À
titre d’exemple, le recyclage d’un ordinateur en Chine coûte 2 dollars contre 30 aux États-Unis. Une
fois le calcul fait, l’arbitrage penche malheureusement en faveur de l’exportation. Pourtant, certains
facteurs peuvent changer la donne et inciter les entreprises à adopter des comportements socialement
responsables [Bensebaa et Bourdier, 2008].

2.3 - Une prise en charge originale par le secteur privé


On peut en effet commencer à voir des entreprises comme Hewlett-Packard lancer
volontairement des initiatives en direction des pays du Sud, entreprendre des partenariats public-privé
sur la question des DEEE ou encore organiser d’ellesmêmes la collecte et le recyclage de leurs
équipements. L’entreprise a, par exemple, initié à Londres en septembre 2007, un Programme de
gestion des déchets électroniques en Afrique. Cette initiative est organisée en collaboration avec le
Fonds mondial de solidarité numérique (FSN) et l’Institut suisse de recherche sur les matériaux et les
technologies (Empa). L’objectif est de développer en Afrique une filière de gestion des déchets et une
infrastructure qui répondent à des standards sanitaires et environnementaux respectueux des
travailleurs et du milieu. Cela permettra en même temps d’aider les communautés défavorisées qui
vivent de ces activités de recyclage. Hewlett-Packard gère également la fin de vie d’une partie de ses
équipements et recycle intégralement ses cartouches laser en Bavière, dans une usine à la pointe de la
technologie. Hewlett-Packard s’est également organisée en 2002, à travers l’European Recycling
Platform avec les marques Sony, Braun et Electrolux, pour anticiper la directive européenne RoHS et
favoriser la recherche sur la logistique, les technologies et les méthodes de recyclage des DEEE. Plus
récemment encore, l’association Basel Action Network (BAN) a lancé le 15 avril 2010 une
certification mondiale pour les recycleurs de DEEE, baptisée e-stewards certified et soutenue par plus
de 70 organisations environnementales et entreprises. Après un contrôle interne mené par le BAN,
puis un audit mené par des organismes de certification indépendants, les industriels respectant des
standards de santé et de respect de l’environnement sont accrédités.

Il semblerait qu’il émerge de toutes ces initiatives privées une situation originale et différente de
l’approche traditionnelle des questions de santé publique, qui généralement relèvent de la
responsabilité de l’État. Ces entreprises se montrent enclines à adopter des comportements
socialement responsables, c’est-à-dire des comportements qui ne nuisent pas à leurs parties prenantes,
et, si c’est le cas, les entreprises veillent à en réparer les effets. Elles y sont poussées par la
législation, et c’est le levier sur lequel jouent les gouvernements en Europe notamment. Mais il existe
un deuxième levier d’action, qui est beaucoup plus exploité aux États-Unis et qui implique non plus
tellement le législateur mais plutôt les parties prenantes concernées par l’activité de ces entreprises :
consommateurs, ONG organisées en réseaux, etc. Ainsi, remarque-t-on que ces mêmes entreprises
enclines à adopter des comportements socialement responsables sont les premières à figurer sur les
listes des coupables dans les rapports d’ONG sur la question des DEEE ! Ce rapprochement est
révélateur. Il montre bien que ces entreprises prennent le risque de mauvaise réputation très au
sérieux, considérant que l’image fait partie de leur capital informel. Pour en être sûr, il suffit de
comparer la liste des entreprises parties prenantes d’initiatives volontaires et celle publiée dans le
rapport de la Basel Action Coalition, The digital Dumpm: Re-use and Abuse to Africa. On y retrouve
des marques comme Hewlett-Packard, Sony, Toshiba, Panasonic, Dell… Ainsi, couplée à la
législation nationale, c’est la capacité des ONG et des consommateurs à participer aux actions de
régulation en la matière qui permet de faire émerger ces comportements socialement responsables.
Pour que la force des revendications des parties prenantes soit effective, il faut alors envisager
de manière différente les responsabilités qui découlent du traitement des substances toxiques
contenues dans les DEEE. Bien souvent, le fardeau du recyclage repose sur l’État ou les collectivités
locales ainsi que sur les contribuables qui financent le fonctionnement des décharges publiques.
Pourtant, le contribuable en tant que consommateur n’a que très peu de pouvoir d’influence sur la
composition du produit qu’il achète. Il s’agit donc de transférer cette responsabilité au producteur de
déchets d’équipements électriques et électroniques selon le principe de responsabilité élargie du
producteur (REP). Ainsi, les producteurs responsables de la fin de vie de leurs produits sont incités à
internaliser la gestion des activités de recyclage, mais aussi à en diminuer le coût en s’acheminant
vers une éco-conception. Des entreprises comme Hewlett-Packard, mais aussi Electrolux, Samsung,
Sony, Nokia ou encore Motorola, se manifestent en faveur de cette REP, et l’éco-conception
représente pour ces firmes un atout dans la concurrence et la perspectives de nouveaux marchés
[Jeffries, 2007]. Investir à long terme pour produire des équipements contenant moins de substances
toxiques, mais également les prendre en charge « du berceau à la tombe » est une stratégie qui répond
aux préoccupations de santé publique tout en servant les intérêts de ces firmes, puisqu’elle leur
permet d’asseoir la légitimité sociale de leur activité. Mais pour pousser ces entreprises à faire d’une
pierre deux coups, il faut nécessairement une action déterminée des parties prenantes dans ce sens et
soutenue par la législation.

La santé peut-elle être reconnue comme une valeur supérieure aux intérêts marchands de
l’exportation de DEEE ? Du point de vue du droit du commerce international, la réponse semble être
positive, puisque ce même droit autorise les États à fermer leurs frontières lorsque les produits
s’avèrent dangereux en termes de santé publique. Pourtant, force est de constater les limites de la
convention de Bâle issue du droit international onusien. Ainsi, la solution nous semble se trouver du
côté des entreprises. Incitées par de nouvelles législations à changer le calcul économique actuel qui
tend à leur faire préférer l’exportation au recyclage des DEEE, elles pourraient trouver dans la voie
du recyclage une alternative économique intéressante et un avantage compétitif. Cependant, les
différentes études économiques sur la rentabilité du recyclage des e-déchets ne sont pas unanimes.

La prise en charge des déchets d’équipements électriques et électroniques par les entreprises
productrices d’équipements électriques et électroniques pourrait alors être incitée par la pression des
différentes parties prenantes concernées par l’activité de ces firmes souvent multinationales. ONG,
associations de consommateurs et institutions de santé ont un rôle actif à jouer en obligeant les
producteurs d’équipements électriques et électroniques à adopter des comportements socialement
responsables. Le principe de responsabilité élargie des producteurs à l’ensemble du cycle de vie du
produit commercialisé semble être un principe efficace pour rompre ce circuit de circulation des
DEEE, mais il doit être soutenu par un circuit logistique de récupération des déchets efficaces. Bill
Sheehan, directeur exécutif du Product Policy Institute, une organisation américaine qui travaille sur
la recherche dans le domaine des politiques publiques sur les biens de consommation, en faveur de la
préservation de l’environnement, estime que ce principe ne pourra être totalement efficace tant que
les moyens de recyclage dans les pays du Nord ne s’adapteront pas à la consommation croissante des
équipements électriques et électroniques et que l’extension des compétences des collectivités locales,
en matière de décharge publique notamment, ne seront pas renforcées.

Ajoutons que, pour être complète, la réponse au problème sanitaire posé par ce commerce des e-
déchets doit également envisager une plus grande sensibilisation du consommateur sur les questions
de fin de vie de ses équipements. Mais c’est surtout une réflexion sur les modalités d’un transfert des
technologies de recyclage qui doit être menée, afin de permettre aux pays en développement de
s’approprier des techniques de retraitement des DEEE de qualité, respectant à la fois l’environnement
et la santé des populations. Il ne faudrait pas que la solution permette aux grandes entreprises des pays
du Nord de s’accaparer le marché du retraitement des déchets qui pourrait profiter également aux
pays en voie de développement.
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Notes du chapitre
[*] ↑ Spécialisée sur les questions d’environnement, de développement durable et de gestion des risques, elle travaille pour une
collectivité locale aux États-Unis
10. La santé mentale en Afrique : un défi oublié ou
une réponse institutionnelle inadaptée ?
Florian Kastler [*]  [1] 
Florian Kastler est étudiant du Master « Affaires internationales » de Sciences Po au
sein du double diplôme (MIA/LLM) avec l’École de droit de Georgetown University
(Washington D. C.). Juriste franco-anglais de formation, il s’intéresse aux questions de santé
et de développement. Il a travaillé à l’OMS dans le département Tobacco Free Initiative
(Initiative pour un monde sans tabac).

Malgré son émergence dès la création de l’Organisation mondiale de la santé


(OMS) en 1946, la notion de santé mentale a encore du mal aujourd’hui à trouver
sa place sur le continent africain. Malheureusement, les maladies mentales
touchent non seulement les pays développés mais également les pays en
développement, en particulier en Afrique. 450 millions de personnes dans le monde
sont touchées par ces pathologies. Néanmoins, face à ce fléau la réponse apportée
par les pays africains est quasiment inexistante en raison principalement de la
concentration des moyens et des ressources sur d’autres maladies, notamment le
VIH/sida. De même, le recensement des pathologies mentales reste très limité en
Afrique en raison d’une part de la peur des patients de se voir écarté de la société
et d’autre part du rôle accru joué par la médecine traditionnelle. Parallèlement, la
volonté des institutions internationales de promouvoir ce sujet, notamment de
l’OMS, s’est fait ressentir depuis le début des années 2000 avec cependant un
manque criant de résultats concrets sur le terrain. Des solutions pourtant existent
et commencent doucement à se mettre en place à l’échelle nationale, associant la
médecine moderne à la médecine traditionnelle. Il s’agit ici de chercher à
comprendre pourquoi la question de la santé mentale semble délaissée sur le
continent africain avant de présenter une synthèse des solutions avancées afin que
les pouvoirs publics africains aient conscience de l’enjeu et prennent en compte
cette question au sein de leurs politiques en matière de santé et de développement.

La composante « mentale » de la santé trouve son origine dès la création de l’Organisation


mondiale de la santé (OMS) en 1946, dans le Préambule à la Constitution de l’OMS qui précise que «
la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une
absence de maladie ou d’infirmité » [2] . Cette définition ambitieuse a été signée et approuvée par les
191 États membres de l’OMS. Cependant, la notion de santé mentale est plus récente et recouvre un
large éventail d’activités relevant directement ou indirectement du bien-être. Selon l’OMS, elle se
définit comme « un état de bien-être dans lequel chaque personne réalise son potentiel, fait face aux
difficultés normales de la vie, travaille avec succès de manière productive et peut apporter sa
contribution à la communauté » [OMS, 2001]. Elle ne se résume donc pas simplement en « l’absence
de troubles mentaux » et inclut également les diverses stratégies qui visent à développer les soins de
santé mentale. La promotion de la santé mentale suppose « une action plurisectorielle, impliquant un
certain nombre d’organismes publics et des organisations non gouvernementales ou communautaires
» [OMS, 2008]. Les travaux de recherche conduits ces dernières années ont mis en évidence que la
santé mentale et la santé physique sont indispensables pour parvenir à un état de bien-être complet. Il
semble que la communauté internationale ait réellement pris conscience ces dernières années de
l’importance et de l’enjeu que représente cette branche de la santé.

La volonté, affichée par la communauté internationale depuis le début des années 2000, de faire
de la santé mentale un des principes majeurs de la santé en l’intégrant aux soins de santé primaire a
été confirmée tout au long de la décennie au travers de nombreux discours, d’organisation de
congrès, et par la mise en place de divers programmes notamment par l’OMS. En effet, encore
récemment, la publication en 2008, puis en 2009, de deux rapports alertait les pouvoirs publics sur les
lacunes en matière de santé mentale et les risques liées aux troubles mentaux en particulier dans les
pays en voie de développement.

Premièrement, un rapport de l’OMS, intitulé mhGAP : Programme d’action Combler les lacunes
en santé mentale et publié en 2008, vise à proposer aux planificateurs sanitaires, aux responsables
politiques et aux donateurs un ensemble d’activités et de programmes clairs et cohérents pour élargir
l’accès aux soins en réponse aux troubles mentaux. L’objectif de ce programme a pour but in fine de
faire de la santé mentale une priorité du programme mondial de santé publique. Deuxièmement, la
publication en 2009 du rapport de la Fédération mondiale de la santé mentale, La santé mentale en
soins primaires : améliorer le traitement et promouvoir la santé mentale, et la création en 2006 de la
World Federation for Mental Health (WFMH) Africa Initiative témoignent de la volonté de la
communauté internationale de faire de la question de la santé mentale dans les pays en voie de
développement un défi prioritaire.

Cependant, malgré cette volonté affichée, le constat actuel montre que cette branche de la santé
continue de représenter le maillon le plus faible de la plupart des politiques étatiques de santé dans les
pays en développement, particulièrement en Afrique, et rappelle qu’il est essentiel aujourd’hui d’agir
et d’intensifier les efforts internationaux pour changer les politiques et les pratiques nationales. En
effet, en Afrique, où la plupart des pays se caractérisent par des revenus faibles, une forte prévalence
des maladies transmissibles et de la malnutrition et une espérance de vie courte, les problèmes de
santé mentale ne sont pas considérés comme prioritaires dans les politiques publiques face à des
enjeux tels que le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. De plus, la particularité liée aux facteurs
socioculturels du continent africain mène à une réflexion sur l’approche à avoir en matière de santé
mentale vis-à-vis des pays africains et de leur population.

Par conséquent, il convient de comprendre pourquoi la santé mentale, qui représente un enjeu
important, est si peu prioritaire dans les politiques publiques des pays africains. En d’autres termes,
s’agit-il d’un défi qui est oublié voir dénié par les pays africains ou d’une réponse institutionnelle
inadaptée et inappropriée ?

En premier lieu, il est nécessaire de constater les conséquences importantes que pose la santé
mentale dans le monde et en Afrique en particulier. En deuxième lieu, il s’agit de comprendre la
perception des maladies mentales par les populations et les pouvoirs publics locaux et d’analyser
pourquoi les services de santé mentale semblent peu développés sur le continent africain. Enfin, il
conviendra d’étudier les perspectives d’avenir en vue d’améliorer les systèmes de santé mentale en
Afrique.
1. - Un constat alarmant : l’importance de l’impact
des maladies mentales
1.1 - Un enjeu global
D’après les chiffres de l’OMS, parmi les dix principales causes d’invalidité à travers le monde
figure la dépression unipolaire, le trouble bipolaire, l’alcoolisme, la schizophrénie et les troubles
obsessionnels et compulsifs [OMS, 2001]. Une personne sur quatre souffre d’un trouble mental ou
neurologique à un moment ou à un autre de sa vie et ces pathologies affectent actuellement 450
millions de personnes. Plus précisément, il y aurait 121 millions de personnes qui souffriraient de
dépression (4e cause d’incapacité au monde [3] , 2e en 2030), 50 millions d’épilepsie et 24 millions de
schizophrénie (1 % de la population est à un moment donné schizophrène). On estime qu’à l’échelle
mondiale, moins de la moitié des quelque 450 millions de personnes qui souffrent d’un trouble
mental reçoivent l’aide dont elles ont besoin [FMSM, 2009]. Ce phénomène touche également les plus
jeunes : un jeune de 15 ans ou moins sur 5 souffre de troubles mentaux plus ou moins graves. On
enregistre en moyenne à travers le monde 400 millions de buveurs pouvant potentiellement
occasionner des accidents avec un coût approximatif d’environ 2 % du PIB selon les États. Enfin, ces
troubles mentaux ont pour corollaire immédiat l’exclusion de la société avec des conséquences
importantes : chaque année 10 à 20 millions de personnes font des tentatives de suicide et 1 million de
personnes meurent de suicide, c’est-à-dire autant que de décès dus au paludisme.

Il est important de rappeler que les troubles mentaux affectent toutes les populations dans tous les
pays surtout en ce qui concerne la schizophrénie qui est indifférente au contexte (à la différence
notamment de la dépression). Cependant, il convient de préciser que les problèmes engendrés par les
troubles mentaux sont certes universels mais la souffrance psychique s’exprime différemment selon
la culture de chacun.

Dans un rapport, l’OMS souligne que les traitements donnent des résultats positifs [OMS, 2001],
après lesquels jusqu’à 60 % des patients guérissent de la dépression, jusqu’à 73 % n’ont plus de crise
d’épilepsie et enfin jusqu’à 77 % n’ont plus de rechutes schizophréniques. À la suite des traitements
on observe une diminution d’environ 60 % de la consommation des drogues.

1.2 - La situation africaine : un danger réel difficilement


observable
La question de la santé mentale en Afrique a longtemps été éludée, la priorité étant donnée à la
lutte contre les grandes endémies durant la période coloniale, puis à la question des revenus faibles,
aux maladies transmissibles, à la santé maternelle et infantile, au travers de services de santé aux
effectifs insuffisants. Une des causes principales de ce peu d’attention accordée à la santé mentale est
liée au manque de ressources des pays africains qui se sont trouvés dans l’obligation de faire des
choix et d’accentuer leurs efforts sur certaines priorités, impulsées de l’extérieur il faut le
reconnaître, ce qui mène souvent à l’absence de politique en matière de santé mentale.

Cependant, dans son livre Vingt ans de travaux à la clinique psychiatrique de Fann-Dakar, publié
en 1978 et qui rend hommage au professeur Henri Collomb, fondateur d’une école de psychiatrie à
l’hôpital de Fann à Dakar, René Collignon souligne que « le problème des “aliénés” fut soulevé assez
tôt. Les premières observations psychiatriques, isolées, retrouvées en archives remontent au siècle
dernier ; elles sont le fait de médecins et chirurgiens militaires qui soulignent dans leurs rapports
médicaux au médecin-chef du Sénégal l’absence dramatique de structures adaptées pour ces
catégories de malades et les difficultés de leur évacuation sur la France ».

Néanmoins, il est très difficile d’obtenir des données fiables pour plusieurs raisons.
Premièrement, le diagnostic est très souvent difficile à faire car un Africain évoquera plus facilement
un corps douloureux qu’une souffrance mentale : les diagnostics d’autres maladies telles que les
céphalées, lombalgies, gastralgies peuvent ainsi mal orienter le médecin et retarder le diagnostic de
dépression ou d’autres maladies mentales. En effet, un Africain souffrant d’une dépression aura
tendance à décrire une sensation de brûlure dans la tête (et il en va différemment selon les continents).
Deuxièmement, la médecine traditionnelle joue un rôle crucial dans le traitement des troubles
mentaux ce qui rend difficile le recueil de l’ensemble des données. De même, s’ajoute à cela la
réticence du patient à aller consulter et se faire soigner parce qu’il ne veut pas être stigmatisé et rejeté
par la société et par sa communauté. Néanmoins, il est important de noter le rôle, souvent inverse,
joué par la famille proche du malade qui cherche à le soutenir et à l’aider. Enfin, le patient lui-même
ne réalise pas toujours qu’il souffre de troubles mentaux, ce qui rend la détection des maladies
mentales très difficile.

Il ne faut pas non plus oublier le poids de la contamination importante du VIH/sida dans les pays
africains. En effet, selon le rapport de la Fédération mondiale de la santé mentale de 2009, « dans les
pays développés et en voie de développement les personnes ayant le VIH/sida ont plus de risque de
développer une dépression que la population générale. Les conséquences potentielles des deux
conditions réunies sont multiples et peuvent être dévastatrices si elles ne sont pas reconnues ou
traitées comme il le faut » [Initiative africaine de la FMSM, 2009].
La situation africaine démontre qu’il y a un risque réel pour les populations visées même s’il est
difficile de quantifier les impacts des maladies mentales en Afrique. On en arrive au constat qu’on ne
peut pas laisser de côté la question de la santé mentale et qu’il est nécessaire d’agir et de redoubler
d’effort pour combattre ce fléau en même temps que les autres maladies qui touchent les populations
sur le continent africain. Cependant, les approches suivies jusqu’à présent dans les régions africaines
ne semblent pas adaptées aux particularités de ce continent. Il convient donc de se poser la question de
l’adaptation des politiques de santé mentale en Afrique et plus précisément, de comprendre les
différences de perception de cette notion.
2. - Une politique de santé mentale inadaptée
2.1 - La perception africaine de la santé mentale
Dans la quasi-totalité des pays du continent africain, le comportement de la population à l’égard
de la maladie mentale est encore fortement empreint de croyances traditionnelles en des causes et des
remèdes surnaturels. Les malades sont souvent considérés comme « possédés » par l’esprit des
ancêtres ou agressés par la sorcellerie. Cela entraîne des réponses inadaptées et contribue à
stigmatiser ceux qui souffrent de maladies mentales. Ce sont les guérisseurs et les dirigeants religieux
qui sont ainsi amenés à traiter les maladies mentales en raison de l’influence de la tradition et du
manque d’infrastructures adéquates. Malheureusement, l’hôpital n’est souvent que le dernier recours
utilisé par les malades pour des cas restés sans espoir pour les familles. D’ailleurs, la plupart des
patients qui se présentent dans les rares hôpitaux psychiatriques ont reçu des soins traditionnels d’un
ou de plusieurs tradipraticiens. Par exemple, 90 % des troubles mentaux au Sénégal et 85 % en
Éthiopie sont traités par la médecine traditionnelle. Cela a une influence inévitable sur la fourniture
de services de soins de santé mentale et sur les responsables politiques. En effet, ces derniers
considèrent souvent qu’une maladie mentale est incurable ou qu’elle ne répond pas aux pratiques
médicales classiques. Il est vrai que les pratiques traditionnelles sont souvent caractérisées par des
méthodes peu hygiéniques, voire nuisibles, mais les tradipraticiens se défendent en invoquant le statut
dont ils jouissent dans la communauté comme preuve de leur efficacité. Les études et la recherche
viennent bien confirmer ce phénomène : l’examen de l’itinéraire thérapeutique des patients d’un
établissement de soins au Nigeria montre que près de 20 % d’entre eux avaient déjà consulté un
guérisseur traditionnel [Gureje, Acha et Odejide, 1995] et dans une étude analogue au Caire, un
chiffre plus important a été relevé [OMS, 2001].

Cela a pour corollaire un manque criant de psychiatres dans les pays africains. Selon l’OMS, il y
aurait environ un psychiatre pour 5 millions d’habitants, contre un pour 1 000 en Europe [OMS,
2001]. L’Éthiopie illustre parfaitement cette défaillance en ne comptant que dix psychiatres pour toute
sa population (85 millions d’habitants). Au-delà de l’existence d’une médecine traditionnelle, ce
manque traduit la carence en médecins spécialistes de manière générale et s’explique par les faibles
moyens financiers et par la priorité donnée aux autres maladies mortelles qui frappent le continent.

Enfin, le droit des malades mentaux dans les pays africains est symptomatique de la perception
de la santé mentale. En effet, au début des années 1990, « seuls 23,4 % des États membres de
l’AFRO [4] avaient mis en place une législation relative à la santé mentale qui comprenait des mesures
de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie » [Uznanski et Roos, 1997]. Dans la plus part des cas,
lorsqu’il s’agit de déterminer la culpabilité des malades mentaux dans des délits qu’ils ont pu
commettre, les dispositions juridiques ne prennent pas en compte ni l’état psychologique de l’inculpé
ni la nature de sa maladie si tant est qu’elle soit diagnostiquée.

La perception et donc l’approche vis-à-vis de la santé mentale en Afrique est différente de celle
des pays occidentalisés et pourtant, ces derniers ont développé un système de santé mentale mondiale
qu’ils ont essayé de transposer, notamment du fait de la colonisation, aux pays africains, avec un
succès limité.

2.2 - Une vision occidentale de la santé mentale


Comme on a pu le voir, les systèmes de santé en général et mentale en particulier dans les pays
en voie de développement se sont révélés inappropriés et inadaptés. Il convient de rappeler que la
majorité de ces systèmes, surtout en Afrique, sont issus de la colonisation. En effet, ils ont été calqués
sur le modèle « occidental » c’est-à-dire élaborés de façon centralisée, axés sur l’hôpital, orientés
vers la maladie avec un accent mis sur la relation personnelle médecin/patient. Cet héritage colonial
s’est avéré incompatible avec les besoins de la population en raison de la méconnaissance de tout le
secteur parallèle de la médecine traditionnelle qui est capital en Afrique.

Au-delà de l’influence coloniale et historique, on peut se demander si la notion de santé mentale


n’est pas, encore aujourd’hui, « imposée » par les pays occidentaux, notamment par les États-Unis, au
reste du monde sans chercher à intégrer les spécificités socioculturelles de l’environnement
particulier des pays africains. Cette vision a été développée récemment dans un livre intitulé Crazy
Like Us: the Globalization of the American Psyche, de Ethan Watters [5] . Il faut rappeler que chaque
culture a sa propre façon d’exprimer la souffrance psychique et qu’elle n’a pas la même perception
de la psychologie humaine. En effet, les troubles mentaux, en particulier la dépression, ne sont pas
répartis de façon uniforme sur la planète et surtout ils ne se manifestent pas de la même façon.

Ce constat acquis, on remarque néanmoins, du fait de l’hégémonie américaine en matière de


classification et de traitements des maladies, que s’opère aujourd’hui une uniformisation de la santé
mentale et le livre fait même référence à l’expression « psychiatrie mondialisée ». Deux maladies
mentales étudiées dans le livre (la dépression et l’état de stress post-traumatique) sont
symptomatiques de ce phénomène, qui montre le risque d’annihilation de toute forme locale de
maladie préexistante. Un exemple concret est donné au travers de la notion de dépression au Japon
qui existe sous le nom de utsubyo mais qui ne ressemble pas à la version américaine car elle est plus
dévastatrice et stigmatisante et surtout plus rare, ce qui risquait de compromettre la vente, par le
groupe GlaxoSmithKline (GSK), d’antidépresseurs à base de paroxétine au Japon. Pour résoudre le
problème, GSK a réussi à modifier la représentation de la dépression au Japon en la présentant
comme un kokoro no kaze (« un rhume de l’âme ») et à généraliser le diagnostic. [6] 

Cet exemple illustre qu’il existe deux perceptions de la maladie mentale. D’un coté, une vision
occidentalisée qui prend en compte la santé mentale mais qui est devenue, paradoxalement, presque
déshumanisée, illustrée par les grands groupes pharmaceutiques qui sont à la recherche de profits et
qui par conséquent ont tendance à avoir une approche uniformisante de la santé mentale. De l’autre,
une vision traditionnelle de la santé mentale des pays en voie de développement et notamment
africains, où les pouvoirs publics s’occupent très peu de politique de santé mentale au niveau national
et laissent cela à la médecine traditionnelle avec des résultats pas forcément inintéressants mais plus
difficiles à quantifier. Cependant, il faut réussir à se détacher de ce constat et essayer d’allier la
perception de la santé mentale en Afrique à des politiques publiques efficaces et pertinentes qui
prennent en compte les spécificités locales sans chercher à imposer une vision et un système
inadaptés pour pouvoir renforcer la protection de ceux qui souffrent de maladies mentales.
3. - Les perspectives d’avenir
3.1 - L’intégration de la santé mentale dans les soins
primaires
Depuis plusieurs années, et encore récemment au travers du WHO MIND project avec le rapport
publié en 2008, Integrating Mental Health into Primary Care: a Global Perspective, l’OMS cherche à
promouvoir la décentralisation des soins de santé mentale en les intégrant aux soins de santé
primaires. Cette notion est définie par l’OMS comme des « soins de santé essentiels rendus
universellement accessibles aux individus et aux familles au sein de leur communauté par des moyens
acceptables pour eux et à un coût que les communautés et le pays puissent assumer ». Ils sont donc le
premier contact avec le système de santé et représentent la « cheville ouvrière » des systèmes de santé
nationaux. L’OMS et la World Organization of Family Doctors (Wonca) préconisent, dans ce rapport,
une approche holistique en santé mentale, comme en santé physique.

Plusieurs arguments sont soulevés en faveur de cette intégration, notamment par la Hogg
Foundation for Mental Health [Fédération mondiale de la santé mentale, 2009]. En Afrique, en cas de
problème de santé mentale, la plupart des gens, s’ils font la démarche de s’adresser à quelqu’un,
contactent en premier lieu les établissements de soins primaires. Cette intégration permettrait
d’intervenir à un stade précoce et de prévenir l’apparition de troubles plus invalidants chez les
personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas accéder à des spécialistes de santé mentale. Cela
impliquerait que la majorité des tâches soit dévolue au personnel de santé de formation générale. De
plus, au vu du rôle joué par la communauté dans les pays africains, il est essentiel que les malades se
fassent soigner à l’intérieur de la communauté ou au plus près possible. De même, la supervision
devrait être confiée à des spécialistes confirmés de la santé mentale en échange de la mise à la
disposition du personnel de ressources convenables telles que des manuels de formation ou un
approvisionnement régulier en médicaments.

Un exemple prometteur est celui de l’Afrique du Sud, même si ce pays n’est pas le plus
représentatif du continent africain [FMSM, 2009]. Dans deux modèles [7] adoptés dans le district
municipal d’Ehlanzeni, il revient au personnel infirmier la responsabilité de détecter les problèmes
de santé mentale, de prendre en charge les troubles mentaux chroniques, d’offrir des prestations de
conseil et de soutien, et d’intervenir en cas de crise. À l’échelon supérieur se trouve un coordinateur
de district – formé en tant qu’infirmier(e) psychiatre – et un médecin pour assister si besoin est.
L’intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaires offre une « option » peu
onéreuse pour les pays africains leur permettant de répondre aux besoins de leurs citoyens souffrants.
Cela est d’autant plus intéressant du fait du manque criant de personnels spécialisés et de la facilité
d’accès des malades aux soins. Cette idée permet de par sa flexibilité de s’adapter aux réalités locales.
Cependant, étant donné la place importante jouée par la médecine traditionnelle, cette intégration doit
s’accompagner d’une prise en compte du rôle des tradipraticiens.

3.2 - La prise en compte combinée de la médecine


traditionnelle et de la médecine moderne
Une des différences entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne tient au fait qu’il ne
s’agit pas de s’interroger sur le « comment » mais plutôt sur le « pourquoi » de la maladie. Dans cette
approche traditionnelle le seul juge à même d’apporter une solution est le tradipraticien qui a reçu un
don inné. Dans certains cas, la société reconnaît dans les ordres religieux également cette compétence.
L’hôpital psychiatrique traditionnel est en réalité un village organisé de manière similaire à tout autre
village : la famille accompagne le « patient » et participe aux activités (danse, sacrifice, décoction,
écoute).

Cette idée de « combinaison », tout à fait intéressante et nécessaire, a été évoquée en 2002 lors du
1er congrès panafricain sur la santé mentale [Diaw, 2002]. Il serait absurde d’essayer de passer outre
cette médecine étant donné la place qu’elle occupe dans les sociétés africaines. Les pratiques
thérapeutiques des tradipraticiens ont un rôle à jouer et doivent être considérées comme un
complément à la médecine moderne permettant d’atteindre un but commun : faire retrouver au patient
un bien-être physique, mental, psychique et social. Cela passe par une meilleure compréhension et
acceptation par les médecins « modernes » des pratiques traditionnelles, par la mise en place d’une
véritable politique de formation des personnels en santé mentale et par le développement d’un
partenariat interculturel. Il me paraît donc essentiel de réussir à intégrer les pratiques traditionnelles
dans les politiques de santé mentale des pays africains. Il existe des solutions concrètes qui ont été
mise en place pour tenter d’intégrer les pratiques traditionnelles aux soins classiques. On peut citer
notamment la cérémonie Ndëpp où des guérisseurs associent non seulement le malade mais aussi sa
famille et tout le quartier [Ndoye, 2010]. Il s’agit d’un rituel de possession, d’une durée de 4 à 8 jours,
qui permet de nouer l’alliance ancestrale avec les esprits tutélaires. L’objectif est d’apporter une
réponse positive aux « possédés » en permettant de recréer un lien avec la communauté.

3.3 - Un nouvel élan depuis quelques années ?


Le rôle de l’OMS a joué non seulement dans la prise de conscience de l’importance de la santé
mentale mais également dans la mise en place de politiques publiques afin d’y intégrer ces enjeux. En
effet, l’OMS lance régulièrement des programmes pour alerter les opinions publiques. Le dernier en
date, Mental Health Gap Action Programme: No Health Without Mental Health, illustre bien la
volonté de l’OMS de faire de la santé mentale une priorité du Programme mondial de santé publique.
Grâce aux efforts de l’OMS, de belles initiatives ont été mises en place et sont porteuses d’espoir
pour l’avenir. On peut citer l’élaboration d’une politique et d’un plan de santé au Lesotho qui souhaite
parvenir, d’ici à 2020, à ce que l’ensemble de la population jouisse du meilleur état de santé mentale
qu’elle est capable d’atteindre notamment au travers de l’intégration des services de santé mentale ;
ou encore la démarche de la Namibie qui a mis en œuvre sa première politique nationale pour
améliorer la santé mentale en 2005, où elle prévoit d’intégrer la santé mentale et de mener des actions
de formation et d’éducation pour donner à la population les connaissances nécessaires pour faire face
aux maladies mentales.

Malgré ces initiatives, les enjeux liés à la santé mentale sont encore peu pris en compte
aujourd’hui dans les politiques de santé des pays africains. Il suffit de discuter avec les responsables
de la santé dans ces pays pour réaliser que la santé mentale est loin d’être une priorité dans les
politiques de santé et ce malgré les efforts de l’OMS.

Parallèlement aux efforts des organisations internationales, les grands groupes pharmaceutiques
commencent également à réaliser l’importance des questions de santé mentale et du manque de
réponses institutionnelles proposées. Un exemple concret de ce qui a été entrepris récemment par le
groupe sanofi-aventis. Dans le cadre du département « Accès au médicament », un programme pilote
a démarré en 2009 au Maroc [8] [sanofiaventis au Maroc, 2009]. Celui-ci comprend à la fois une mise
à disposition à prix coûtant d’un portefeuille médicamenteux pour le système nerveux, une mise à
disposition de kits informatiques afin que les psychiatres locaux (souvent très peu nombreux) forment
les médecins généralistes et les tradipraticiens aux enjeux de la santé mentale. Enfin, une aide
logistique est également apportée pour organiser des réunions collectives avec la population locale.
L’idée est d’étendre à terme ce programme à d’autres pays, les Comores et la Mauritanie notamment.
Aujourd’hui, cette initiative vise environ 150 millions de personnes atteintes d’un trouble mental
sévère vivant dans les pays en développement et les pays émergents, avec la volonté de leur procurer
un accès durable aux traitements. Cette démarche montre bien l’intérêt de partenariats publics-privés à
améliorer l’accès aux soins en santé mentale [9] .

Néanmoins, ces initiatives restent encore trop isolées pour pouvoir parler d’une réponse
institutionnelle adéquate au regard des problèmes posés par les maladies mentales dans les pays
africains.
Pendant longtemps, et malgré les observations des médecins coloniaux, on a pensé, à tort, que
les troubles mentaux et en particulier la dépression étaient réservés aux seuls pays industriels.
Malheureusement, les pays africains sont également très concernés. La société africaine, du fait de la
colonisation puis de l’émigration, et d’une très forte urbanisation, fonctionne selon des « principes »
tels que la performance, la rentabilité, la compétition, avec pour conséquences néfastes davantage de
stress et d’individualisme. Cela mène doucement à la perte de la spécificité de la culture africaine :
une interactivité absolue entre les individus d’un groupe.

Néanmoins, il nous paraît précieux que les pays africains parviennent à garder leur identité, leur
culture et leurs spécificités. C’est autour de ces particularités qu’il faut construire le système de santé
mentale de demain, sans chercher à imposer une vision occidentale qui s’avère inadaptée. Le rôle des
pays occidentaux et des organisations internationales telles que l’OMS a été crucial dans la prise de
conscience de l’existence de troubles mentaux par les autorités sanitaires des pays en développement
et ce combat ne doit pas s’arrêter là. Il est essentiel que les pays africains réussissent à organiser leur
système de santé autour de la combinaison de la médecine traditionnelle, qui a ses bienfaits, et de la
médecine moderne. Cela devrait permettre la préservation de leurs particularités socioculturelles tout
en contribuant à diminuer les exclusions et le sentiment de rejet à l’égard de la santé mentale.

S’il est vrai que la question de la santé mentale n’a pas été considérée comme prioritaire durant
les dernières décennies par les pouvoirs publics africains, il est également important de bien
comprendre que la notion de santé mentale a, en quelque sorte, une identité africaine propre. Il en
découle que les mécanismes pour y remédier ne peuvent pas être entièrement calqués sur les systèmes
occidentaux. La prise de conscience de l’importance de la santé mentale continue aujourd’hui d’être
un enjeu primordial pour l’OMS, mais la santé mentale n’est pas pour autant ignorée par les autorités
sanitaires des pays en développement. L’existence d’une médecine traditionnelle et ses résultats
montrent que des traitements existent. Néanmoins, les pouvoirs publics africains, une fois qu’ils ont
pris conscience du problème et des risques potentiels graves qui en découlent, doivent assumer leur
responsabilité et leur rôle. Pour cela il est essentiel qu’ils aient la volonté de mettre en place des
politiques de santé mentale notamment au travers d’une meilleure information et éducation du public
qui semble ignorer ce défi, et d’une formation accrue des personnels soignants.

Parallèlement à la recherche du système le plus efficace pour prendre en charge les maladies
mentales, il est très important de lutter contre les problèmes de fond à l’origine des troubles mentaux
dans les sociétés africaines. En effet, la pauvreté, le sida, la mortalité périnatale, le chômage,
l’alcoolisme, l’absence de logements, la toxicomanie, les guerres et les conflits internes ont un
impact considérable sur la santé mentale des populations. Malheureusement, au-delà de la volonté, les
pays africains doivent se donner les moyens de développer une politique de santé mentale. Or,
justement, les moyens manquent.

On se trouve donc aujourd’hui dans une situation où l’enjeu et le danger liés aux maladies
mentales semblent être compris par les pays africains. Ils disposent également d’une solution
prometteuse, l’intégration de la santé mentale dans les soins primaires, politique dont le potentiel est
d’être à la fois efficace et appropriée tout en respectant le contexte particulier de l’Afrique.
Bibliographie
« Comment l’Occident exporte ses troubles mentaux », Courrier international, 4 mars 2010.
Diaw (Fara), « 1er congrès panafricain sur la santé mentale : la collaboration avec les tradipraticiens
incontournable », Le Soleil, Sénégal, 2002.
Fédération mondiale de la santé mentale (FMSM), La Santé mentale en soins primaires : améliorer le
traitement et promouvoir la santé mentale, Rapport, 2009.
Gureje (Oye) et Alem (Atalay), « Élaboration des politiques de santé mentale en Afrique », dossier
thématique Santé mentale, Bulletin de l’OMS, 2000.
Gureje (Oye), Acha (R. A.) et Odejede (O. A.), « Pathway to Psychiatric Care in Ibadan, Nigeria »,
Tropical and Geographical Medicine, 47, 1995, p. 125-129.
Initiative africaine de la FMSM, Le VIH/sida et la Dépression en Afrique : pour une prise de
conscience internationale sur la santé mentale et le VIH/sida, 2009.
Ndoye (Omard), « Le Ndep : transe thérapeutique chez les Lébous du Sénégal », Psychanalyse et
traditions, 2010.
Nguimfack Mbodie (Pierre), « Pour une politique de santé mentale adaptée en Afrique noire »,
Médecine d’Afrique noire, 48 (11), 2001, p. 465-471.
OMS, Rapport La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs, 2001.
OMS, mhGAP, Programme d’action Combler les lacunes en santé mentale : élargir l’accès aux soins
pour lutter contre les troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances
psychoactives, 2008.
Sanofi-aventis, sanofi-aventis au Maroc, 2009.
Uznanski (A.) et Roos (J. L.), « The Situation of Mental Health Services of the World Health
Organization, African Region, in the Early 1990s », South African Medical Journal, 87, 1997, p.
1743-1749.
www.who.int/mental_health/en , Mental Health, 2010.
www.who.int/features/qa/62/fr/index.html , Qu’est-ce que la santé mentale, 2007.
Notes du chapitre
[*] ↑ Étudiant du Master « Affaires internationales » de Sciences Po, double diplôme (MIA/LLM) avec l’École de droit de
Georgetown University (Washington D. C.)

[1] ↑ Je remercie le docteur Bruno Floury, conseiller du ministre de la Santé au Sénégal pour le ministère français des Affaires
étrangères et européennes, qui m’a été d’une aide précieuse, ainsi que Sarah Sauneron, pour ses conseils.

[2] ↑ Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la
santé le 22 juin 1946 par les représentants de 61 États (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la santé, 2, p. 100) et entré en
vigueur le 7 avril 1948.

[3] ↑ En année de vie corrigées de l’incapacité (DALY).

[4] ↑ Région africaine de l’OMS.

[5] ↑ Extraits d’un article « Comment l’Occident exporte ses troubles mentaux », Courrier international, 4 mars 2010.

[6] ↑ L’année qui a suivi le lancement de la paroxétine sur le marché japonais, les ventes ont rapporté 100 millions de dollars. En
2005, elles avoisinaient les 350 millions de dollars.

[7] ↑ Soit une infirmière ne voyant que les patients présentant des troubles mentaux (1 er modèle), soit les personnes souffrant de
troubles mentaux attendant leur tour avec les autres patients (2 e modèle).

[8] ↑ Le ministère de la Santé et le groupe sanofi-aventis ont signé une convention qui vise le renforcement de la prise en charge
des personnes atteintes de psychoses au Maroc (soutien financier d’environ 11 7000 euros et mise à disposition de médicaments
antipsychotiques pendant trois ans).

[9] ↑ www.sanofi-aventis.com/ethique_responsabilites/acces_medicament/sante_mentale/sante_mentale.asp
Partie 2 | Organisation des systèmes de santé et
offre de soins dans les pays en développement
Organisation de l’offre de soins
11. Les districts de santé et l’Initiative de Bamako
Juliette Bigot [*] 
Juliette Big ot est diplômée de Sciences Po en « Affaires internationales » («
Management public international »). Coordinatrice terrain au Honduras en 2009, elle gérait
un projet de santé publique (soins de santé primaires en médecines traditionnelles) avec une
coopérative locale.

Le district de santé est l’unité départementale du système national de santé


comprenant les activités de santé développées par la communauté : d’une part, le
niveau de premier contact, le centre de soin et, d’autre part, le niveau de premier
recours, l’hôpital de district. Doté d’une structure administrative, d’un pouvoir
décisionnaire, organisationnel et de gestion des ressources financières, le district
de santé répond aux principes directeurs de l’Initiative de Bamako, tout en
l’englobant dans une vision plus globale [Dujardin, 1994]. L’étude confronte les
principes directeurs de l’Initiative de Bamako [Unicef, 1995] à sa mise en pratique
par la suite, plus précisément à l’une des stratégies retenues qui sera celle du
district de santé.

Notre propos est de mettre en perspective deux textes : celui sur « Les politiques de district de la
santé » écrit par Bruno Dujardin en 1994, et celui de la BIMU (l’Unité de gestion de l’Initiative de
Bamako) de l’Unicef de 1987. Deux textes qui témoignent de l’émergence de « modèles stratégiques »
dans le domaine de la santé publique en Afrique à partir des conférences d’Alma-Ata (1978), de la 37e
session du Comité régional de l’OMS tenue à Bamako et de la conférence Harare en 1987. Ces deux
dernières conférences ont conduit à la mise en place de modèles d’organisation des systèmes de santé
applicables, encore aujourd’hui, à l’ensemble de l’Afrique.

Dans son texte, Bruno Dujardin [1] vient justifier les raisons pour lesquelles l’OMS a choisi à
partir de 1987 d’adopter les politiques de district de la santé, politiques choisies au détriment de
l’hospitalocentrisme et de l’approche sélective de priorités de santé, encore contestée par certains
professionnels de la santé. Il montre, tout en soulignant les difficultés que pose la mise en place de ces
districts, que cette politique semble la plus apte à remplir les conditions préalables à l’établissement
d’un système de santé.
Les districts de la santé reposent sur un concept très globalisant qui exploite différents niveaux
du système de santé. Tandis que, selon Dujardin, la stratégie de l’Initiative de Bamako se limite à
soutenir les seuls centres de soins et ne considère qu’un seul niveau du système de santé, il s’agit
plutôt d’une des modalités de mise en œuvre/fonctionnement des structures parties prenantes des
districts sanitaires. C’est l’Unicef, un fonds des Nations unies plus concerné par les aspects
opérationnels, qui est à l’origine de l’Initiative de Bamako. Elle vient s’ajouter au processus de mise
en place des districts en plaçant le financement sur le devant de la scène, selon une vision
instrumentale de la population (usagers) qui doit participer aux financements des soins de santé,
notamment pour pallier un financement budgétaire public insuffisant. Articulons ces stratégies en les
remettant dans leur contexte historique afin de comprendre les raisons et enjeux de ces choix
politiques de l’OMS et de l’Unicef.
1. - Le développement des systèmes de santé
1.1 - Bref historique
Un historique du développement des systèmes de santé est nécessaire pour comprendre comment
nous en sommes arrivés là.

Avant les indépendances, la période se caractérisait par l’hospitalocentrisme et des programmes


verticaux : les colons se protégeaient en mettant en place des hôpitaux dans les grandes villes,
focalisés sur la lutte contre certaines pathologies. Il est encore difficile de se défaire de cette coutume
dans beaucoup de pays d’Afrique francophone.

Après les indépendances (seconde moitié de ce siècle), une efficacité de plus en plus grande va
de pair avec le souci des nouveaux gouvernements d’étendre les services de santé à l’ensemble de
leur population.

Deux objectifs sont à atteindre. Premièrement, il s’agit de mettre en place des programmes
spécifiques destinés à combattre et éradiquer un seul problème de santé, celui qui serait responsable
d’une plus grande morbidité/mortalité, ou encore centrés sur une frange de la population, qui serait la
plus exposée. Cette approche dite sélective ne remporte que des succès limités et de plus elle crée des
inégalités avérées. Deuxièmement, il faut mettre en place un système de santé accessible à tous et
capable de répondre aux besoins de santé de toute la population. Cela conduit à la politique des soins
de santé primaire définie à Alma-Ata (1978). Le premier contact avec la population doit être au cœur
du système de santé ; ceci marque une rupture avec l’hospitalocentrisme prévalant.

Les difficultés rencontrées apparaissent vite : les problèmes de gestion sont très sous-estimés, et
un important quiproquo voit le jour concernant le rôle de l’hôpital.

À ce double problème est apportée une réponse double : en 1987, c’est l’Initiative de Bamako
avec la politique de mise en place des districts de santé telle que définie à Harare, qui se caractérise
comme l’aboutissement d’expériences et de connaissances accumulées.

On distingue plusieurs raisons structurelles et conjoncturelles qui poussent à la réforme des


systèmes de santé dans les années 1980. Selon Nickson (1990), il n’y a pas de modèle tout fait, et le
processus devrait être adapté à la situation et aux besoins de chaque pays. Or, le constat établi dans
tous les pays dans les années 1980 est catastrophique : l’espérance de vie reste faible, la mortalité
infantile très élevée, la maternité à risques. Cet état des lieux dramatique va pousser à une réforme de
la politique de santé. Selon l’Unicef, les deux causes principales de cette mauvaise situation sont la
mauvaise performance des services de soins primaires et leur accès limité. Ce sont les deux facteurs
déterminants qui priment sur des facteurs économiques et sociaux comme le comportement humain,
la pauvreté, la prévalence des maladies.

Ainsi, une mauvaise santé publique se traduit par un cercle vicieux qui s’auto-entretient :

Coupes budgétaires, gestion médiocre, gaspillage, mauvaise utilisation des ressources


(rares de surcroît)  pénurie chronique des médicaments, déficience des services, détérioration
des infrastructures sanitaires, manque de personnel qualifié et faible motivation des agents de
santé  mauvaise prise en charge des malades  faible attrait pour les services de santé publics
(fuite vers les guérisseurs traditionnels, praticiens privés non répertoriés, vendeurs ambulants
sur les marchés) = gaspillage d’argent pour des services de qualité douteuse qui empêche l’accès
aux soins préventifs de première importance.

1.2 - Les trois faiblesses des services de soins primaires


Les dépenses nationales de santé sont insuffisantes. D’une part, la capacité des pays en
développement à financer les services publics de base est très faible, en raison des effets des
politiques d’ajustement structurel, du poids du remboursement de la dette et de la détérioration
des termes de l’échange. D’autre part, le budget sanitaire est pompé par les infrastructures,
l’équipement et les salaires (80 %) tandis que seul 20 % est alloué à d’autres dépenses,
automatiquement performantes. Ainsi naît un triste paradoxe : alors qu’il y a gratuité des soins
de santé, les dépenses de santé prises en charge par le patient dépassent la dépense publique de
santé par personne ! En effet, les dépenses de santé des ménages s’élèvent la plupart du temps à
70 à 80 % des dépenses totales de santé du pays. Bien souvent la plus grande partie du budget
national est dépensé dans la capitale là où 80 % de la population continue de vivre en milieu
rural.

Les ressources sont gaspillées et l’inefficacité règne. De mauvaises politiques mènent à


cette inefficacité. Des études montrent que ce n’est pas le niveau de ressources qui empêche
d’améliorer le niveau de la santé, c’est-à-dire le facteur économique ; mais plutôt la manière
dont les ressources disponibles sont allouées et utilisées. De plus, malgré la baisse des budgets, il
y a un maintien des politiques de santé universelles ; c’est-à-dire qu’on ne distingue pas les
services les plus essentiels ni les secteurs les plus rentables, ce qui pose des problèmes éthiques,
comme le déplorent certains auteurs [Brunet-Jailly et Kerouedan, 2010a et b]. Seulement 25 %
des dépenses publiques de santé sont allouées à des mesures de santé publique d’un bon rapport
coût/efficacité et à des soins cliniques essentiels dans les communautés. Ce gaspillage concerne
tout particulièrement l’approvisionnement, la distribution, le stockage, la prescription et l’usage
de médicaments. Une étude de la Banque mondiale révèle que les médicaments achetés sont
souvent inutiles, qu’on préfère les grandes marques aux génériques et que l’on privilégie l’achat
local au détail plus coûteux que la quantité au prix du marché international [Banque mondiale,
1993].

La gestion est médiocre et les aménagements institutionnels inopérants. Se pose alors le


problème de fond : comment réformer un mode de gestion colonial c’est-à-dire une structure
administrative centralisée et hiérarchisée. La lutte contre les grandes endémies et les
programmes de santé sont verticaux et fragmentés, ils sont difficiles à intégrer dans la politique
nationale globale. Le manque de coordination est flagrant (double emploi des activités) et le
gaspillage des ressources monnaie courante. Par exemple, les ministères de la Santé sont souvent
amenés à diriger des opérations qu’il aurait été préférable de confier à d’autres institutions.
2. - Le district de santé
En vue de rationaliser l’ensemble, l’OMS propose le district de santé comme base de la
restructuration du système de santé. Le district de santé est un sous-ensemble du système national de
santé comprenant les activités de santé développées par la communauté, le niveau de premier contact
(centre de soin) et le niveau de premier recours (l’hôpital de district). Il a un pouvoir de décision,
d’organisation, de gestion des ressources matérielles, humaines et financières ainsi que sa propre
structure administrative (une équipe dotée de statuts qui permettent un pouvoir réel défini afin de la
responsabiliser). En moyenne, un district regroupe 100 000 à 200 000 habitants, un hôpital de premier
recours (100 à 200 lits) et 10 à 20 centres de santé au niveau de premier contact.

2.1 - Les principes directeurs


Le principe général est la promotion de l’approche scientifique des interventions dans le
domaine de la santé pour offrir des soins de qualité. Il en découle huit principes directeurs :

l’efficience : pour être économiquement efficace, il faut effectuer des choix dans les
politiques de santé et privilégier les activités dont le meilleur rapport coût/efficacité permettra de
satisfaire le plus grand nombre de personnes.

l’équité : c’est l’accessibilité géographique (décentralisation) et financière des services de


santé corrélée à une acceptabilité culturelle (relations humaines entre personnel et communauté).
Assurer l’équité c’est sous-entendre le rôle prépondérant de l’État dans la mise en place et le
fonctionnement des systèmes de santé.

la priorité : les aspects curatifs viennent avant les aspects préventifs (principe de l’intensité
de la souffrance qui prime) mais un premier contact doit toujours pouvoir se poursuivre ensuite
par des services préventifs. Il n’y a cependant pas de distinction d’âge ou de sexe à établir.

la qualité : l’amélioration de la qualité technique des soins de santé offerts est une priorité
mais la qualité de la relation entre patients et personnels de santé doit également être améliorée
en assurant un salaire décent, une formation continue du personnel afin de le motiver. (Le
personnel harassé a tendance à s’en prendre aux patients.)

la pérennité : le long terme est primordial dans les pays en développement car le
développement en matière de santé est tout ou partie basé sur l’aide internationale. Pour que les
effets perdurent, il s’agit de tenir compte des potentialités réelles du pays afin de mener des
projets et des interventions, puis d’en assurer le suivi lorsque l’aide internationale sera terminée.

l’approche intersectorielle : le développement est une approche générale qui prend en


compte le secteur sanitaire, mais aussi d’autres secteurs qui influent sur la santé : c’est le cas de
l’éducation, de l’hygiène du milieu (élimination des ordures), des communications…

la promotion humaine : assurer la motivation du personnel de santé est l’élément clé.


Moteurs du système, les praticiens doivent donc être promus en son sein : au niveau du travail en
équipe, de la formation continue… Le personnel de santé doit se sentir reconnu et ne pas être
soumis à des contraintes trop importantes.

l’autodétermination : il s’agit de promouvoir la participation de la population. Bien que ce


principe ne soit pas reconnu universellement, le développement ne peut reposer sur les seuls
critères techniques. Il faut par conséquent que la communauté puisse exercer un contrôle
démocratique sur le fonctionnement des services de santé. Ainsi, l’efficience prime sur
l’efficacité (1er principe), grâce à la participation, les interventions seront pérennes (principe 5)
et le développement homogène (principe 6). Ce principe est à la base de tous les autres.

2.2 - L’Initiative de Bamako : des concepts, des stratégies


Les postulats de l’Initiative de Bamako reprennent les huit éléments clés des districts de santé. En
1993 la Banque mondiale a apporté son soutien à l’Initiative et à ses trois buts qui sont : assurer à
l’ensemble de la population l’accès aux services de soins primaires à prix abordables, restaurer la
confiance des usagers dans les services de santé publics et enfin changer des comportements néfastes
des ménages [Banque mondiale, 1993].

Dans ce dessein, l’Initiative de Bamako utilise deux stratégies. Tout d’abord, la décentralisation
du pouvoir décisionnel de l’échelon national à celui des districts, en réorganisant les systèmes de
santé, en instituant le financement et la cogestion communautaires des services de santé de base, et en
fournissant un « paquet minimum » de services de santé essentiels au niveau des unités de santé de
base. Deux éléments sont essentiels : la revitalisation et l’extension des services de santé au niveau
périphérique pour les populations isolées, et un plaidoyer en faveur des médicaments génériques
pour assurer l’accessibilité à des prix abordables ainsi qu’une meilleure connaissance des
prescriptions et des utilisations.

Deuxièmement, l’implication des communautés permet de modifier l’équilibre des pouvoirs


entre les prestataires de soins de santé et les usagers et impulser une gestion novatrice. Deux éléments
sont de nouveau importants : le financement communautaire (coûts opérationnels locaux) et le
contrôle communautaire car les fonds générés par le financement communautaire (sur la vente des
médicaments) ne sont pas reversés au Trésor public de l’État ou au ministère de la Santé. En effet, la
communauté en confie le contrôle à un comité de santé au niveau local ce qui permet de rendre
effective la participation à part entière de la communauté à la prise de décision.

Selon Dujardin, les districts de santé seraient la stratégie qui répondrait le mieux aux principes
directeurs de l’Initiative de Bamako. Il faut considérer plusieurs arguments.

Premièrement, à chaque niveau du système de santé correspondent des compétences


particulières. Au premier échelon (dispensaires, centres de santé, médecins généralistes) correspond
le premier contact. L’instauration d’un dialogue et d’une éducation à la santé est cruciale et elle est
plus efficace lorsqu’elle est réalisée près de la population par des personnes qui connaissent et
comprennent les comportements socioculturels de cette population et lui parlent dans sa langue. C’est
pourquoi la zone géographique du centre de soin doit être limitée pour assurer au mieux ses
fonctions (entre 5 et 15 000 personnes). Quant à l’hôpital, celui-ci a le rôle d’assurer le support
technique du premier niveau. Il faut par conséquent allouer son budget aux cas les plus graves et les
plus urgents (5 à 15 %). On rompt ainsi avec l’hospitalocentrisme, lorsque l’hôpital prenait tout en
charge, même ce qui aurait pu être remis au centre de soins. Si chaque niveau de santé est spécifique
afin de respecter le principe d’efficience, chaque niveau est également complémentaire. Pour éviter
les trous fonctionnels, il faut que se coordonne l’action de chaque niveau. Il ne faut pas opposer
hôpital et centre de soins, mais au contraire que l’intégration soit complète.

C’est le système de district qui permet de créer une dynamique de fonctionnement. La qualité des
soins, de la relation, de la gestion conduisent à rendre le système dynamique et permet de rompre
avec la hiérarchisation en rendant le professionnel de santé acteur de cette dynamique.

Ainsi, le district de santé apparaît comme le moteur d’un développement homogène. Dans le
cadre d’une approche intersectorielle, l’équipe du district peut servir d’interface entre la communauté
et les autorités administratives ; que ce soit au sujet de l’amélioration des égouts ou des fontaines
d’eau potable… Ce district « modèle » confronté aux réalités du terrain reste une des meilleures
approches de la pensée stratégique en termes de santé primaire. Pour Bruno Dujardin, il est essentiel
de mettre en place progressivement les systèmes de santé et de prendre en compte la situation donnée.
Le district de santé est un fil conducteur pour un modèle toujours à réinventer, d’autant plus
d’actualité que Margaret Chan, la nouvelle directrice de l’OMS, soucieuse des déséquilibres des
financements extérieurs en faveur des maladies versus les systèmes de santé, relance trente ans après
Alma-Ata une dynamique mondiale en faveur des soins de santé primaires : « Primary Health Care,
now more than ever » [OMS, 2008]. L’efficacité de cette approche en termes d’accès et d’équité va
dépendre des leçons tirées des stratégies sanitaires réalisées sur les trente dernières années.
Bibliographie
Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde. Investir dans la santé, Washington
(D. C.), Banque mondiale, 1993, 339 p.
Brunet-Jailly (Joseph) et Kerouedan (Dominique), « Il est temps d’en finir avec l’exceptionalisme du
sida », soumis à la Revue Esprit, juin 2010b.
Dujardin (Bruno), « Les Politiques de district de santé », Santé publique, 4 (339-355), 1994.
Dujardin (Bruno), Politiques de santé et attentes des patients. Vers un dialogue constructif, Paris,
Editions Karthala, 2003.
Nickson (Patricia), « Bamako Initiative », Essential Drugs Monitor, 9, 1990.
OMS, Rapport de la santé dans le monde. Les soins de santé primaires, plus que jamais, Genève, 2008.
Unicef, Unité de gestion pour l’Initiative de Bamako. L’Initiative de Bamako : reconstruire les
systèmes de santé, New York, Unicef, janvier 1995.
Notes du chapitre
[*] ↑ Diplômée de Sciences Po en « Affaires internationales »

[1] ↑ Bruno Dujardin est docteur ès santé publique, qu’il enseigne à l’Université libre de Bruxelles ainsi qu’à l’Université de
Liège. Il a soutenu sa thèse en 1993 sous la direction du professeur Kornitzer (Épidémiologie et prévention des maladies) : Une approche
globale pour améliorer la santé maternelle. Auteur de nombreux articles de recherche spécialisés, il publie en 2003 le livre Politiques
de santé et attentes des patients. Vers un dialogue constructif, Paris, Karthala.
Personnels de santé
12. Performance des systèmes de santé et ressources
humaines : le chaînon manquant
Gwenaël Dhaene [*] 
Gwenaël Dhaene est conseiller au Groupement d’intérêt public (GIP) santé et
protection sociale internationale (SPSI) en charge de l’appui aux stratégies de renforcement
institutionnel des décideurs, dans les champs de la santé et de la protection sociale. Il est
juriste de droit public (PhD en préparation, Paris-I-Panthéon-Sorbonne/Kingston
University), spécialisé dans les instruments de partenariat public-privé et montages juridiques
complexes dans le domaine de la santé. Il est expert auprès de la Commission européenne
en matière de rapprochement, application et exécution de la réglementation européenne
(Taiex). Il a été consultant en stratégie et renforcement institutionnel dans un cabinet de
conseil britannique en appui au secteur public, puis dans un cabinet international spécialisé
dans le secteur de la santé et du développement social.

La pénurie des ressources humaines en santé constitue un phénomène global,


qui affecte les performances des systèmes de santé de manière différenciée. Cette
crise impacte la disponibilité et l’accès à des soins de qualité pour les populations
bénéficiaires. Il manquerait selon l’OMS près de 4 millions de soignants au monde,
dont plus d’un million pour la seule Afrique. Les causes déterminantes de cette
crise sont connues ; elles intègrent notamment les carences dans la gestion des
carrières et des formations, la faible attractivité des rémunérations comme de
l’environnement de travail, des perspectives professionnelles et familiales suscitant
des souhaits d’émigration, les sollicitations de pays économiquement plus avancés
qui ont besoin d’agents de santé, sans oublier les changements du paysage
épidémiologique. Les solutions esquissées n’emportent en revanche pas toutes le
même consensus. Certaines seraient jugées coûteuses, d’autres remettraient en
cause la liberté de circulation des personnels... et celle des États de recruter des
ressources humaines étrangères. Des pistes plus innovantes sont explorées, comme
celle d’un Code de recrutement des personnels de santé, adopté par l’Assemblée
mondiale de la santé de l’OMS en mai 2010. Une optique plus inclusive, plus
ouverte sur l’ensemble des opportunités en matière de contractualisation, de
partenariats et de synergie entre toutes les parties prenantes mériterait d’être
davantage recherchée.
1. - La santé, une priorité ?
« Pourquoi investir dans les ressources humaines en santé ? Parce qu’elles sauvent des vies ».
Jean-Marc Braichet, expert national détaché par la France à l’OMS et corédacteur de la stratégie
bilatérale française en matière de ressources humaines en santé, résume ainsi le retour sur
investissement qui peut être attendu d’une mobilisation plus importante en faveur des personnels de
santé. Cette formule synthétise également les diagnostics partagés par l’ensemble des acteurs : les
investissements en santé contribuent à stimuler la croissance économique et sociale. Cette corrélation
démontrée a conduit à l’adoption de la Déclaration du Millénaire, signée le 8 novembre 2000 sous
l’égide des Nations unies. En conséquence, les stratégies internationales de développement impliquent
des efforts ciblés sur les problématiques de santé : 3 des 8 Objectifs du Millénaire pour le
développement (OMD) portent directement sur ces thématiques, tandis qu’elles constituent un élément
transversal commun à trois autres objectifs, portant sur la nutrition, l’éducation et l’autonomisation
des femmes. Le cinquième OMD, relatif à la santé maternelle, a en ce sens été consacré priorité
absolue par l’Assemblée mondiale de l’OMS du 22 mai 2009, traduisant l’implication personnelle de
Margaret Chan, directrice générale. Cette prééminence des thématiques sanitaires dans le contexte du
développement international se traduit par ailleurs par une multiplication des structures se
concentrant sur les principaux défis des systèmes de santé. L’OMS a ainsi contribué à fonder
l’Alliance globale des personnels de santé (GHWA). Plus récemment, l’initiative britannique
International Health Partnership (IHP+), promue par le Premier ministre Gordon Brown en
septembre 2007, est venue rappeler l’urgence des questions sanitaires, et de renforcement des
systèmes de santé, notamment au travers d’une pérennisation des financements. L’Alliance Providing
for Health (P4H), initiée en 2008, complète ce dispositif international visant l’amélioration de la
couverture du risque maladie, afin de stimuler une croissance économique et sociale pérenne.

Le poids du secteur de la santé dans les dépenses publiques (comptes de la Nation) doit
également être souligné. Le groupe des pays de l’OCDE connaît une part des dépenses de santé dans
le PIB de l’ordre de 8,9 % en moyenne, en 2009 (contre 7,6 % en 1990). La France elle-même, selon
les chiffres publiés par l’Insee, a fait progresser la part de ses dépenses de santé dans le PIB de 10,9 %
en 2003 à 11,6 % en 2009. Un grand nombre de pays en développement se sont engagés à porter leurs
investissements en santé à des niveaux permettant une progression significative des indicateurs
sanitaires, qui participent à la construction de l’indice de développement humain (IDH). Le sommet
d’Abuja en 2001 a entériné l’intention des principaux pays d’Afrique subsaharienne de réaliser un
objectif de 15 % de dépenses de santé dans la part des dépenses publiques. Cet objectif, qui n’est pas
tenu, semble insuffisant en soi. En effet, les États-Unis fournissent l’exemple de dépenses de santé
importantes en volume (16 % de part de PIB en 2009, selon l’OCDE), sans pour autant garantir
l’accès de tous à des soins suffisants. Au-delà des volumes financiers mobilisés, l’équité et
l’accessibilité des soins, ainsi que la qualité de l’offre de soins, demeurent des conditionnalités
primordiales. Le débat politique initié à l’occasion de la dernière élection présidentielle américaine
illustre les problématiques propres au secteur de la santé et à la couverture des risques sociaux. La
crise financière globale a également conduit à infléchir certaines positions ; de cette manière, la
Banque mondiale a annoncé le 29 avril 2009 son intention de porter de 4 à 12 milliards de dollars son
investissement dans le secteur de la santé et de la protection sociale, au travers de ses instruments
financiers [Banque mondiale, communiqué de presse, avril 2009]. Il s’agit de prises de position
politiques éminemment significatives. Les institutions financières internationales demeurent souvent
accusées d’avoir longtemps promu auprès de leurs partenaires des modèles de gouvernance ne
favorisant pas l’investissement public, et contribuant à une recherche systématique de réduction des
dépenses publiques. Cette stratégie d’appui aurait de la sorte privilégié le retour aux grands équilibres
macro-économiques, et se serait traduit par un impact négatif sur l’emploi public en général. De
manière plus spécifique, on note une dégradation continue de la disponibilité des personnels dans le
secteur public de la santé, ainsi que de leur environnement de travail.
2. - Des ressources humaines, pour quoi faire ?
La santé se trouve au cœur des stratégies de développement. Ce raccourci signifie
nécessairement de s’intéresser au moteur des systèmes de santé : les ressources humaines,
appréhendées dans leur diversité, et sur lesquelles reposent l’organisation et la fourniture des soins
pour les populations bénéficiaires. La réponse apportée par Jean-Marc Braichet, ainsi que d’autres
parties prenantes du renforcement des systèmes de santé à l’échelle mondiale, surprend moins que la
question sous-jacente. Est-il besoin de souligner l’importance de la disponibilité des personnels de
santé, et de l’accessibilité des soins pour les populations, en réponse à leurs besoins et pathologies ?
Les systèmes de santé permettent traditionnellement d’assurer la couverture du risque maladie au
profit des populations d’un territoire donné. Selon la définition donnée par l’OMS, « un système de
santé englobe l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources dont le but est
d’améliorer la santé. La plupart des systèmes de santé nationaux sont composés d’un secteur public,
d’un secteur privé, d’un secteur traditionnel et d’un secteur informel. Les systèmes de santé
remplissent principalement quatre fonctions essentielles : la prestation de services, la création de
ressources, le financement et la gestion administrative ». En pratique, leur architecture repose
fondamentalement sur les éléments suivants (au-delà des piliers traditionnels composant un système
de santé et intégrant notamment les ressources humaines, les systèmes d’information, la fourniture de
médicaments et soins) :

les politiques de santé et de santé publique (détermination des orientations stratégiques,


organisation, administration/régulation et approche systémique) ;

le financement de la santé (couverture du risque maladie du plus grand nombre,


financement des services, contractualisation et conventionnement des offreurs de soins,
fonctions de contrôles et régulations, avec les organismes payeurs) ;

la pyramide des soins (organisée de manière ternaire entre les soins de santé primaires ou
SSP, premier point de contact avec le système de soins, les soins de santé secondaires,
correspondant aux traitements spécialisés auxquels l’usager a accès sur référence du fournisseur
de SSP. Le parcours de soins inclut enfin un troisième niveau, correspondant aux soins
hospitaliers).

Un certain nombre de facteurs contribuent à déterminer le fonctionnement des systèmes de santé.


Il faut évoquer notamment les paramètres endogènes de ces systèmes, qui permettent de caractériser
leur performance, leur qualité et leur accessibilité. Les systèmes de santé sont rendus opérationnels
grâce à des volumes financiers pérennes (sécurisation d’un budget récurrent pour ce secteur,
établissement de plans de viabilité financière et d’outils de pilotage des dépenses : projet de loi de
financement annuel, objectifs de dépenses, etc.) et à la mobilisation de ressources humaines en
quantité suffisante (administrateurs, gestionnaires, professions cliniciennes, médicales et
paramédicales, encadrement, personnels biomédicaux, pharmaciens, techniciens). La disponibilité de
technologies et de médicaments, et la mise en œuvre d’un système d’information parachèvent enfin
l’architecture opérationnelle du système. Le secteur de la santé se singularise de surcroît par une forte
sensibilité à des déterminants exogènes [PWC, 2007]. Sa dépendance à des influences extérieures
explique le besoin de développer une approche inclusive, holistique des politiques de santé ; il
convient à ce titre de distinguer l’influence d’autres politiques sectorielles, concernant par exemple
l’éducation, la nutrition, le logement ou la protection sociale, sur les indicateurs de santé. Cette
sensibilité constitue un particularisme fort des thématiques sanitaires, de nature à limiter l’impact des
seules politiques de santé sur l’amélioration des indicateurs de développement sanitaire des
populations : l’accès à une alimentation et une éducation suffisantes, la présence d’infrastructures
routières et de communication adéquates, et bien entendu l’existence de mécanismes de couverture
des risques sociaux évitant les dépenses de santé catastrophiques influent de manière très substantielle
sur ces indicateurs. Par delà leur niveau de sophistication, les systèmes de santé présentent tous une
sensibilité relative à des enjeux plus globaux. Les personnels de santé, dont on sait qu’ils connaissent
une pression importante à l’expatriation, dans le cadre d’un marché mondialisé, vivent et subissent
également ces facteurs. Les défis partagés par ces systèmes se manifestent avec une sévérité
différente, génèrent des solutions qui varient en fonction du degré de développement des pays, ou de
prise en compte des priorités de santé. Les systèmes de santé sont ainsi tous affectés par l’urbanisation
progressive et constante, qui emporte des phénomènes migratoires de grande ampleur (des zones
rurales vers les zones urbaines et péri-urbaines, des pays moins développés vers les territoires
économiquement plus avancés). La disponibilité d’infrastructures sanitaires et d’une offre de soins
suffisante contraignent les décideurs à une planification modulable, faisant l’objet d’ajustements
réguliers. Sociologiquement, le vieillissement de la population mondiale génère également des
tensions importantes sur les structures de santé. Les changements de profils épidémiologiques,
corollaires du vieillissement, se manifestent par une prévalence plus importante de certaines maladies
chroniques. Ces phénomènes suscitent une réflexion politique internationale. Yannick D’haene,
directeur de l’Observatoire de la sécurité sociale rappelait en décembre 2008 les prévisions de
l’Observatoire des systèmes de sécurité sociale de l’AISS [1]  : « [...] Nous sommes assis sur une
bombe à retardement, et nous ne savons pas quand elle éclatera. Si l’on examine les enjeux du
vieillissement sur les systèmes de protection sociale des pays à revenu faible et intermédiaire, cet
aspect de “bombe à retardement” est également prégnant. Il s’agit d’un phénomène global. Sans
revenir longuement sur les statistiques [...] environ 10 % de la population mondiale est âgée de plus
de 60 ans. Ce taux va doubler d’ici 2050. La situation est particulièrement préoccupante. La moitié de
la population mondiale, chiffre globalement admis, ne dispose d’aucune sécurité sociale, c’est-à-dire
vit dans le même état d’insécurité qu’à l’origine de l’humanité, alors même que les besoins se sont
accrus et que les solidarités se sont délitées ». Les conséquences en termes de prise en charge
sanitaire sont importantes : le poids et le coût financier des maladies chroniques (affections de longue
durée, cancers, diabètes, maladies cardio-vasculaires), l’impact sur les temps d’hospitalisation, le
niveau d’équipement et la technicité requis dessinent de nouveaux paradigmes pour les soins
hospitaliers. Évidemment, le rôle assumé par les réseaux de soins dans la lutte contre les pandémies
reflète la nature globale de ces enjeux, face à de nouvelles menaces sanitaires, protéiformes et
anxiogènes – grippes aviaire H5N1 ou porcine A(H1N1), SRAS, mais aussi VIH/sida dans les pays où
la séroprévalence reste particulièrement importante –, ou à la lutte transfrontalière contre les grands
foyers endémiques (paludisme, maladies parasitaires ou infectieuses à forte charge morbide). Les
établissements de santé forment l’assise des dispositifs modernes de sécurité humaine. La pénurie
globale des personnels de santé modifie en ce sens les conditions de fourniture de soins en quantité et
qualité suffisantes pour les usagers. Ces problématiques restent éminemment sous-tendues par une
double dynamique de contrôle nécessaire des dépenses publiques et d’amélioration de la qualité des
soins : cette apparence de paradoxe résume les exigences des citoyens-usagers-contributeurs. De
manière contradictoire, les décideurs publics sont en effet pressés de conjuguer économies et
investissement. Ceci peut expliquer la raison pour laquelle, en premier lieu, on pose la question de la
pertinence d’un investissement sur les personnels de santé.
3. - Crise ? Quelle crise ?
La crise des ressources humaines dans le secteur de la santé est une problématique des plus
prégnantes, inscrite par exemple au cœur des travaux du Forum de haut niveau pour la santé. Lord
Nigel Crisp a également contribué à porter cette thématique, au travers des recherches et du rapport
de son groupe de travail, la Task Force for Scaling Up Education and Training for Health Workers.
Le dispositif institutionnel français de coopération en santé s’est par ailleurs mobilisé, puisqu’une
première version de la stratégie bilatérale en matière de ressources humaines a été préparée en 2007.
Suite à la réorganisation du ministère des Affaires étrangères, cette stratégie est en cours
d’actualisation depuis 2009. La thématique de la pénurie des ressources humaines a constitué jusqu’à
cette date un sujet d’étude pour le groupe de travail du conseil d’orientation du GIP SPSI, sous la
présidence de Michèle Barzach, ancien ministre de la Santé. Cette enceinte a regroupé l’ensemble des
acteurs français, publics comme privés, intéressés par le développement de la santé. Les
recommandations issues de leurs travaux ont été portées à l’attention des pouvoirs publics, et ont
alimenté la position française en matière de code de conduite pour le recrutement éthique des
personnels de santé, suite à la consultation de l’OMS. La crise des ressources humaines en santé a fait
l’objet d’une analyse détaillée par l’OMS dans son rapport mondial pour la santé de 2006 et est
régulièrement portée à l’ordre du jour de rencontres internationales. Elle a motivé la création par
l’OMS de l’Alliance mondiale GHWA, et dans ce cadre, l’adoption en 2007 du plan de Douala pour le
développement des ressources humaines dans le secteur de la santé. Moins d’un an plus tard, GHWA
et ses partenaires ont permis l’adoption de la déclaration de Kampala de 2008, plaidoyer pour une
meilleure prise en compte de la question des personnels de santé. Il s’agit par conséquent d’un
changement de diagnostic par rapport à une époque récente où les ressources étaient considérées
comme un moyen et non un objectif, même si l’attrition des ressources dans les pays en
développement ne constitue pas un phénomène nouveau. Obstacle majeur au renforcement des
systèmes de santé de ces pays ainsi qu’à la réalisation des OMD en santé, c’est une contrainte
observée, étudiée et prise en compte dans le cadre des programmes de soutiens internationaux, qu’ils
procèdent d’une logique bilatérale ou multilatérale. La globalisation des échanges et l’impact
croissant des migrations sur les volumes et la disponibilité des ressources, leur répartition entre pays
développés et zones en développement permettent d’aborder cette thématique sous un angle différent.
Il faut répondre à une triple problématique de rareté des ressources, de nécessité d’investissement et
de développement de flux migratoires multidirectionnels. De manière très brève, on retiendra la
disparité importante des ressources humaines qui résulte de la désagrégation des systèmes de santé
dans certains pays en développement. Alors qu’un médecin pour 1 000 habitants est nécessaire pour
couvrir a minima les besoins sanitaires d’une population, l’Afrique subsaharienne compte 0,8
soignant pour 1 000 contre 6 pour 1 000 au Moyen-Orient et 10,3 en Europe. Plus généralement, il
manque plus de 4 millions de soignants dans le monde, dont 1 million pour la seule Afrique
subsaharienne. Mary Robinson, écrivait en 2008 « Africa carries 25 % of the world’s disease burden
yet has only 3 % of the world’s health workers and 1 % of the world’s economic resources to meet that
challenge ». Pourtant, la crise affecte l’ensemble des systèmes de santé, comme en atteste les
stratégies très agressives de recrutement de soignants étrangers opérées par certains pays. De manière
corollaire, des politiques de formation de soignants destinés à l’export ont pu être notées. Les
Philippines illustrent cette conception du « marché » de la santé : le soignant constitue une ressource,
dont le coût de formation pourra être amorti par les transferts monétaires effectués une fois
l’émigration réussie. Il s’agit d’une autre forme de réponse à la question « Pourquoi investir dans les
ressources humaines en santé ? »
4. - Des enchères féroces…
La mondialisation, la libre circulation des travailleurs emportent nécessairement des effets
négatifs pour les systèmes déjà défaillants ou déficitaires en ressources. « Chirurgie esthétique contre
emploi d’infirmière… » [AFP, 25 mai 2009] : le printemps 2009 n’a bruissé que de l’incongruité de
cette proposition formulée par Jiri Schweitzer, directeur d’une clinique tchèque. L’accord paraît aussi
simple que déplacé : pour inciter les infirmières à rejoindre l’équipe de soignants de cet établissement
de soins, la direction leur propose de leur offrir l’opération de chirurgie plastique de leur choix. Jiri
Schweitzer se réjouit prosaïquement, tout à la fois du renforcement de ses ressources humaines et de
ses qualités « graphiques » qui ne pourraient que contribuer à une prise en charge chaleureuse de ses
clients. Le cynisme de l’anecdote ne dissimule pas le véritable enjeu : les migrations des personnels
de santé constituent un défi majeur à l’échelle des systèmes de santé comme des établissements. Les
soignants pragois recherchent auprès de pays européens mieux dotés un cadre de vie plus conforme à
leurs aspirations ; simultanément, les infirmières vietnamiennes installées en République tchèque
connaissent une aspiration parfaitement similaire. On serait tenté de conclure, tragi-comique, que les
mesures incitatives discutables utilisées par les managers de cet établissement privé à but lucratif
demeurent impensables pour le secteur public, porteur des valeurs propres aux missions d’intérêt
général, et garant d’une mission de service public devant répondre à des critères éthiques plus
exigeants. Les pays d’Europe centrale et orientale constituent un terrain d’observation original, à
plusieurs titres : la pénurie des ressources qui les caractérise retient comparativement moins
l’attention que la crise sévère, symptomatique des systèmes de santé en difficulté en Afrique
subsaharienne. Par ailleurs, la qualité des structures et des ressources disponibles, à des coûts très
inférieurs aux pays économiquement plus avancés, stimule une nouvelle forme de migration : le
tourisme sanitaire, qui contribue à la prospérité d’un certain nombre de spécialités médicales et
paramédicales, en Croatie ou en Hongrie par exemple. Cette apparence de paradoxe illustre en
définitive l’éclosion d’un modèle global, basé sur la libre circulation des travailleurs, dans un
contexte de pénurie généralisée. L’atelier Taiex de coopération institutionnelle organisée par la
Commission européenne en septembre 2009 à Belgrade atteste de l’importance de ce sujet : la gestion
des aspects liés à la santé dans le secteur du tourisme constitue une thématique de travail et de
transfert de savoir-faire, au profit des autorités serbes appelées de manière prévisible à gérer ce
phénomène, qui accompagnera leur croissance économique et sociale. La crise des ressources
humaines semble en définitive un facteur commun de l’évolution de tous les systèmes de santé,
nonobstant le niveau de développement économique, politique et sociale des pays considérés. La zone
de voisinage de l’Union européenne, des Balkans jusqu’au Maghreb, témoigne de similitudes dans les
déterminants de la crise : la faible attractivité des carrières sanitaires, des conditions de travail et des
rémunérations paraît corrélée à des contextes institutionnels et budgétaires peu propices à une gestion
dynamique des flux de ressources humaines. Les exemples peuvent être multipliés, appliqués à
d’autres zones géographiques : des médecins philippins se présentent ainsi aux concours d’infirmiers,
afin de bénéficier des conditions d’attractivité des politiques de recrutement dans les hôpitaux
américains : un infirmier dans ces établissements est mieux rémunéré qu’un médecin chef de service
aux Philippines. Un médecin-anesthésiste népalais est rémunéré plus de 200 000 dollars par an à New
York ; en comparaison, son salaire s’élèverait à 100 dollars par mois au Népal. Cette échelle,
volontiers rappelée par la Banque mondiale, attire l’attention sur la nécessité de rendre attractifs les
postes dans les pays en développement. Parer au vieillissement de la population, dans des contextes
épidémiologiques de transition notamment, gérer le poids des pandémies, apporter une réponse
territorialisée aux besoins de santé les plus divers, contribuer à la croissance et au bien-être des
populations restent ainsi les éléments essentiels de motivation, justifiant l’investissement dans les
personnels de santé.
5. - Facteurs de crise
Les personnels de santé s’inscrivent dans un double phénomène de mobilité : l’exode rural et
l’urbanisation exponentielle progressive les touchent en premier lieu. Les carrières présentant un
intérêt ou des opportunités d’évolution se rencontrent plus vraisemblablement dans les grands centres
urbains. L’épanouissement familial et personnel trouvera souvent une expression plus aboutie hors de
zones rurales pénalisées. Par ailleurs, l’expatriation des ressources humaines se conclut par une
installation dans d’autres pays de leur sous-région, qui se caractérisent par une attractivité plus
grande, ou une émigration vers des pays développés, économiquement plus avancés, eux-mêmes
assujettis à des contraintes de ressources humaines similaires. Le sous-investissement dans les
secteurs de la santé traduit parfois la faible gouvernance des États, ou leur incapacité à gérer de
manière prospective la production de personnels de santé. La France a entrepris en ce sens d’ouvrir
les conditions d’accès à certaines professions médicales (numerus clausus). Cette faiblesse
d’investissement explique en partie la sous-dotation des formations des agents de santé. D’une
manière générale, cette formation ne se caractérise par toujours par une intégration dans une
politique de développement des ressources humaines cohérente. La formation initiale ou continue
impacte pourtant de manière conséquente sur la qualité des soins disponibles, comme sur la capacité
des soignants à s’adapter à d’autres modes de soins nécessaires. L’évolution de la mortalité et de la
morbidité influe considérablement sur les besoins en ressources humaines : alors qu’un
vieillissement important touche les pays développés, la recrudescence de pandémies affecte
particulièrement les pays les moins avancés. On mesure par ailleurs l’impact du VIH/sida sur les
personnels de santé [Kerouedan, 2007], accroissant la charge de travail du soignant exerçant en
situation palliative, accompagnant le patient en fin de vie.
6. - Éléments de réponse
Le plan d’action de Douala, adopté à la suite de la conférence et des travaux organisés par
GHWA en 2007, se singularise par une approche intégrée aux priorités politiques et sectorielles des
États concernés. Cet ensemble d’engagements fait l’objet d’un suivi régulier, qui atteste de son
appropriation de manière satisfaisante par les administrations et acteurs institutionnels concernés.
Structurée en 12 points, l’architecture de ce plan témoigne d’une dynamique innovante ; il constitue
une feuille de route pour les pays signataires, et un appui à la définition de stratégies pour leurs
partenaires internationaux.

Encadré 1 : Le plan d’action de Douala

S’engager sur un fort plaidoyer en faveur des actions/solutions de développement des


ressources humaines en santé.

Placer la question des ressources humaines en santé comme une priorité dans l’agenda
politique afin de mobiliser davantage de ressources du budget national, des partenaires du
développement et des initiatives mondiales de santé (GAVI, Fonds mondial, etc.).

Identifier les sujets prioritaires des RHS appelant des mesures d’urgence.

Mettre en place un comité multisectoriel pour la promotion des RHS.

Mettre en place ou renforcer les directions des RHS pour leur permettre de jouer leur
rôle de gestion stratégique.

Élaborer/actualiser un plan national stratégique de RHS dans la perspective des OMD


(2015).

Mettre en place un observatoire national du système de santé couvrant toutes les


informations sur les RHS.

Élaborer un référentiel des compétences et un répertoire des métiers de la santé.

Renforcer la formation des managers de la santé et leur utilisation adéquate.

Procéder à l’évaluation et à l’accréditation des institutions et des programmes de


formation des professionnels de santé.
Réviser et harmoniser les curricula de formation des professionnels de santé.

Accélérer la formation des catégories de RHS selon les besoins du pays.

L’Alliance développe de surcroît des activités en faveur des personnels de santé : « knowledge
brokering », afin d’apporter des réponses et un savoir techniques différenciés aux parties prenantes,
lobbying, leadership des États, suivi et évaluation des mesures mises en œuvre, recherche de
partenariats et synergies. Le pragmatisme de l’approche s’appuie sans nul doute sur la clarté de la
feuille de route. Les éléments de diagnostic permettant d’appréhender la crise des ressources
humaines dans la globalité de ses aspects attestent d’un consensus de l’ensemble des parties prenantes.
On retrouve par ailleurs une convergence des solutions envisagées pour répondre à l’attrition des
personnels et l’indisponibilité de certaines compétences. La dynamique de recherche s’oriente vers
une stratégie pluridirectionnelle s’attachant à la fois à des aspects de gestion des compétences et des
formations, et à répondre aux questions de gouvernance. La problématique du financement des
politiques et systèmes de santé demeure à ce titre une priorité transversale, et représente l’assise des
stratégies de renforcement des ressources. De manière plus large, les options de financement des
systèmes de santé font l’objet d’une attention particulière des décideurs publics. Ceux-ci, sensibilisés
par les théories du new public management et leurs contraintes propres, recherchent un investissement
public rationnel et efficient. En matière de partenariat global et de mobilisation de l’ensemble des
parties prenantes, on remarque un engagement progressif des autorités politiques comme des
établissements eux-mêmes à encadrer le recrutement de personnels étrangers. Cette tendance se
vérifie au travers de la multiplication de documents de politiques de recrutements éthiques. Le
National Health Service (NHS) britannique, précurseur, a tenu à se doter d’un outil de référence, afin
de répondre à ses besoins de renforcement d’équipes soignantes tout en préservant les équilibres de
répartition des ressources humaines en santé, à l’échelle mondiale. Conscientes de l’attractivité de ses
conditions de travail et de certaines initiatives agressives visant à stimuler l’intérêt de candidats
étrangers, les autorités britanniques ont opté pour une stratégie ouverte, de partage d’informations et
de promotion de bonnes pratiques en matière de recrutements de ressources issues de migrations.
L’OMS s’est également engagée dans une démarche de codification des recrutements de personnels
de santé étrangers. Procédant par voie de consultation publique en 2008 puis en 2010 pour adoption
en mai 2010, l’OMS a intégré à son projet de code différents commentaires en vue de la finalisation
et de la publication de ce document. Afin d’assurer une meilleure distribution des ressources, de
réaliser les OMD et de poursuivre une stratégie cohérente de « train, retain and sustain », plusieurs
pistes de travail concourantes peuvent être envisagées, et déclinées au niveau des pays ou à une
échelle plus globale. La crise des ressources humaines des systèmes de santé aboutit à la recherche
par les décideurs publics de solutions anticipant l’évolution de la démographie des personnels de
santé et celle du marché du travail dans le secteur sanitaire.

On remarque de la sorte une tendance nette à l’accompagnement des réformes de santé par des
mouvements de déconcentration et/ou de décentralisation forts. La territorialisation de la santé
s’observe dans des zones très différentes : le Brésil, État fédéral, réorganise son offre de soins au
plus près des territoires et des besoins des usagers des services de santé, et mobilise les prestataires
publics comme privés afin d’optimiser la disponibilité des ressources et personnels de santé. Dans
leur ensemble, les BRIC s’intéressent à la crise des personnels de santé à travers la recherche d’une
répartition des ressources de manière équilibrée, en fonction des profils et besoins des territoires.
Depuis juin 2010, l’Inde utilise différents instruments de conventionnement avec l’offre publique et
privée pour concentrer les activités des soignants sur des interventions purement cliniques, et
déléguer – bénéficiant de prêts concessionnels de la Banque mondiale – les services de stérilisation
des établissements de planning familial à des partenaires privés.

Cependant, les régulateurs des systèmes de santé dans les pays du voisinage européen, ou même
les États membres de l’Union européenne conçoivent des réformes qui procèdent des mêmes
principes et méthodes. En France, la loi HPST (Hôpital patients santé territoire) du 21 juillet 2009
vient parachever une inflexion des politiques publiques tendant vers une plus grande régionalisation
de l’organisation sanitaire. Le système de santé place le patient au cœur du parcours de soins, et
apporte une évolution importante de la gouvernance du système de santé, porté par les ARS (agences
régionales de santé), structurant les services déconcentrés de l’État et de l’Assurance maladie autour
d’une réponse commune aux besoins de santé du territoire. Un des objectifs de cette réforme réside
dans le traitement prospectif de la démographie médicale, et l’accompagnement des territoires dans
leur évolution sociodémographique : le système de santé doit pouvoir opérer des gains d’efficience et
attester de sa réactivité face à l’évolution des profils épidémiologiques des bassins de populations
concernés, et s’adapter à la rareté de la ressource humaine en santé. La recherche de synergies entre
établissements publics et privés, de complémentarité des équipes ou les facilités d’établissements de
maisons médicales (regroupant différents personnels médicaux et paramédicaux) répondent à cette
logique. Néanmoins, ces outils opèrent à périmètre constant, et ne prennent pas nécessairement en
compte la dimension globale, mondiale de cette crise.

À l’échelle internationale, l’OMS assume son rôle d’enceinte de gouvernance mondiale de la


santé, et apporte des pistes de réponse à la migration et au recrutement de personnels de santé. Le
Code de pratique mondial pour le recrutement des personnels de santé a ainsi été adopté lors de
l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2010. Faisant suite à l’appel de Kampala, ce document non
contraignant demeure un acte d’engagement et de consensus témoignant d’une prise de conscience
partagée. Toutefois, il appert que les dispositions de ce texte, non coercitif, demeurent limitées dans
leur portée et leur effet. Aux termes du premier article, le Code a pour objectif « de définir et de
promouvoir des principes et des pratiques non contraignants pour le recrutement international
éthique des personnels de santé en tenant compte des droits, des obligations et des attentes des pays
d’origine, des pays de destination et des personnels de santé migrants ; de servir de référence aux
États membres pour instaurer le cadre juridique et institutionnel requis pour le recrutement
international des personnels de santé ou pour l’améliorer ; de donner, au besoin, des indications utiles
pour élaborer et appliquer des accords bilatéraux et d’autres instruments juridiques internationaux ;
de faciliter et d’encourager un débat international et de développer la coopération sur les questions
liées au recrutement international éthique des personnels de santé dans le cadre du renforcement des
systèmes de santé, en se concentrant plus particulièrement sur la situation des pays en développement
».

Si les États membres de l’OMS sont vivement encouragés à mettre en place ce Code et souscrire
à ses dispositions, la migration des personnels de santé demeure un phénomène intangible, difficile à
maîtriser ou juguler. La liberté fondamentale de circulation et d’établissement des travailleurs (au
moins au sens du Traité européen) ferait obstacle à des limitations par trop discriminantes. La
méthode progressive de débat et de renforcement d’un cadre d’action semble donc plus pragmatique,
plus opérative peut-être. On remarquera avec profit la diversité des commentaires formulés par les
États membres à l’occasion de l’élaboration de ce Code, témoignant de la maturité du débat. La
problématique de la raréfaction des ressources, en milieu urbain ou rural, ne manque pas de maîtrise
par les décideurs et parties prenantes des pays industrialisés, émergents ou en développement.

La France, dans ce cadre, a insisté sur la nécessité de documenter davantage cette thématique, et
proposé l’organisation d’un atelier en juin 2010 (en partenariat avec l’OCDE) afin de contribuer à
l’harmonisation et la généralisation des outils de collecte de données. Connaître davantage, de façon
plus certaine : il s’agit sans doute d’une première étape nécessaire afin d’adapter ensuite les stratégies
politiques.
7. - Quelles recommandations ?
Les recommandations formulées par différentes enceintes (GHWA, OMS, groupe de travail de
Michèle Barzach) insistent sur le développement d’une véritable stratégie de renforcement des
ressources humaines, qui s’appuierait sur différentes étapes :

Planification : Il paraît essentiel de se doter, à tous niveaux, d’outils de planification, de mapping


des ressources humaines, comme l’OMS le préconise dans son atlas global des ressources humaines
en santé, et d’établir un partenariat mondial et des politiques nationales sur la base des données de
cartographies établies. Cette analyse des disponibilités doit systématiquement se coupler à un exercice
de cartographie sanitaire permettant d’évaluer les besoins des populations, en couverture sanitaire,
effectifs et compétences requises. Selon les chiffres du Forum de haut niveau, il faudrait une densité
de 2,5 agents de santé pour 1 000 pour atteindre des objectifs cruciaux comme une couverture
vaccinale de 80 % et 80 % d’accouchements se déroulant en présence de personnel qualifié. Pour
atteindre les cibles dont sont assortis les OMD, la seule Afrique aurait besoin de trois fois plus de
personnel de santé, soit un effectif supplémentaire de plus d’un million d’agents de santé qualifiés.
Laurie Garrett insistait sur le juste calcul de l’investissement et de la capacité d’absorption des pays,
en matière d’aide au développement en santé. Il semble peu efficace d’injecter plus de crédits et de
fournir davantage de médicaments sans une stratégie concertée de développement du capital humain,
indispensable à une action efficace dans le domaine de la santé. Un des objectifs principaux de toute
stratégie de renforcement des ressources en santé oblige à une recherche constante d’optimisation de
la répartition géographique des agents de santé. La planification amène également à définir des
partenariats entre les structures publiques et privées, notamment celles qui concourent au service
public de la santé. En Afrique notamment, où les systèmes de santé sont fortement dépendants de
structures confessionnelles, privées, il est important de dépasser les questions de statuts et de
raisonner en termes de ressources disponibles, en réservant à chacun des secteurs les tâches qui
relèvent de ses pôles de compétences, et en recourant aux outils contractuels pour assurer une
synergie entre les ressources publiques et privées. La France a abandonné l’idée de carte sanitaire
mais a poursuivi une stratégie de régionalisation en santé ; cette orientation correspond à une
recherche de rapprochement adéquat de l’offre et de la demande de services de santé. Il s’agit
d’apporter une réponse appropriée (en termes quantitatifs et qualitatifs) aux besoins identifiés. La
mise en place des agences régionales de santé, axe de gouvernance des territoires de santé prévus
dans le cadre du projet de loi HPST, procède de cette logique. À l’international, l’Agence française de
développement (AFD) veille au rapprochement entre offre et demande, par exemple dans le contexte
de son programme de renforcement des districts sanitaires au Togo. Cette aide à la restructuration du
système de santé togolais, entrepris dans une optique déconcentrée, a également favorisé une
approche globale, inclusive des formations de santé et des personnels disponibles. Les questions de
statut public ou privé n’ont pas empêché les établissements se signalant par leur performance d’être
éligibles aux financements visant la dynamisation de l’offre de soins.

Formation : On mesure l’intérêt de repenser les cursus de formation, leur durée, ainsi que
l’articulation, la complémentarité voire la substitution avec les paramédicaux, afin qu’ils répondent
aux besoins des populations bénéficiaires, sans calquer de modèle inadapté. Une réflexion doit par
ailleurs être menée sur la réhabilitation de la médecine générale, qui a parfois pâti des programmes
de renforcement des soins de santé primaire. Le renfort du rôle du praticien clinique dans des
activités opérationnelles et pas uniquement de supervision, l’attractivité de la médecine générale
doivent être soutenus, afin d’éviter l’orientation massive des étudiants vers des spécialités qui ne
participent que très indirectement à la réalisation des OMD ou peu en phase avec les besoins des
populations. Des partenariats innovants (régionaux, internationaux), des techniques nouvelles (e-
learning, pooling) peuvent être envisagés. La formation doit enfin être entendue comme un
investissement continu, assurant une mise à niveau et une performance du soignant durant toute sa
durée d’exercice. Des outils de partenariat se développent aujourd’hui pour contribuer à un transfert
de savoir-faire efficace et flexible, basé sur des coopérations entre professionnels. Des soignants
peuvent ainsi s’inscrire dans des programmes de tutorat et de transmission de compétences. Le
programme Pfizer Global Health Fellows mobilise des équipes travaillant pour ce laboratoire
pharmaceutique, dans le cadre du volontariat. Des missions courtes d’accompagnement de soignants
dans des pays en développement facilitent l’appui au renforcement des ressources. Ces initiatives
nécessitent sans doute des évaluations plus fines mais constituent une piste innovante, comme
l’incitation à des collaborations avec la diaspora, avec leurs établissements d’affectation.

Gestion et investissement : Les ressources formées, selon les besoins analysés des populations,
doivent connaître une affectation en fonction de leurs compétences, et bénéficier d’un plan de gestion
des carrières rationnel. Les évaluations de terrain montrent l’inadéquation des ressources affectées
dans certaines aires de santé, l’absence de gestion de carrière qui induit des pertes d’expertise, la non-
valorisation des formations qui appauvrit les savoirs et les méthodes (ainsi des personnels bénéficiant
de la formation au logiciel de gestion automatisée des vaccins de l’OMS, le plus souvent mutés dans
d’autres secteurs sans partager leurs compétences avec leurs successeurs, qui reviennent à une gestion
manuelle des stocks de vaccins !).

En matière de gestion, il est fondamental de privilégier une politique salariale attractive, et


d’envisager de manière plus globale un ensemble de mesures incitatives assurant la motivation des
ressources (paiement des heures supplémentaires, protection sociale, prise en charge de la
scolarisation des enfants en zone rurale, tickets restaurants), en valorisant les expériences couronnées
de succès et reproductibles : de la sorte, le Joint Learning Initiative tire les leçons d’une allocation
repas qui a amélioré la fidélisation des ressources au sein du système de santé en Ouganda [JLI,
2004]. Pour autant, ces mesures incitatives nécessitent des investissements substantiels. Il s’agit de
faire prendre conscience de l’impact de ressources formées, motivées, dans le cadre de la réalisation
des OMD et de l’amélioration plus générale de la santé des populations. Or on remarque que le sous-
investissement dans le secteur de la santé perdure dans certaines zones, malgré l’insertion croissante
dans les programmes d’aides extérieurs de composantes de plaidoyer, d’appui à la sécurisation de
ressources pour les ressources humaines en santé. La recherche de nouveaux instruments de
coopération au développement (appui budgétaire, SWAp) obéit à cette logique d’optimisation des
ressources financières au service du renforcement des systèmes de santé, et des soignants. Sur un plan
strictement fiscal, il conviendrait de veiller à l’accroissement du ratio de recettes fiscales sur PIB, qui
demeure très bas en Afrique subsaharienne notamment. Selon les chiffres de la Cnuced, ce ratio
atteint 10 % au Niger, au Tchad ou au Soudan, contre 38 % en Algérie, à titre d’exemple. Ceci doit
inciter les États à améliorer le recouvrement de l’impôt et/ou des contributions sociales, au travers de
programmes visant spécifiquement la formalisation des secteurs informels. En termes de
méthodologie, différentes pistes de recommandations peuvent également être envisagées, afin de
contribuer à une politique de développement plus performante.

Standards et bonnes pratiques : Les normes techniques, les standards de formation existent déjà
dans les pays en développement. L’OMS et ses bureaux locaux jouent par ailleurs un rôle
d’homogénéisation normative. Un cadre unifié permettant une amélioration continuelle des
performances impacterait de manière positive en matière de formation, de compétences,
d’organisation des rapports entre soignants et communauté. Un ensemble de directives, de codes de
conduite peut trouver de surcroît d’autres domaines d’applications. Ainsi la collaboration de
médecins étrangers à des systèmes de santé doit faire l’objet d’un encadrement éthique et juridique.
Celui-ci doit prendre en compte les contraintes liées aux flux migratoires importants des ressources
en santé, et contribuant à un rééquilibrage de ces ressources aux profits des populations devant
bénéficier en priorité d’une couverture sanitaire. L’OMS finalise, dans cette optique, un Code de
recrutement éthique des personnels de santé, issu d’une consultation très large. La Commission
européenne s’est approprié ce dossier depuis plusieurs années, et a récemment produit un livre vert
sur le personnel de santé en Europe.

Suivi et évaluation : Comme de nombreuses expériences le soulignent, les programmes et


projets d’appui extérieurs n’incluent ou n’utilisent que trop peu souvent un système efficace de
monitoring et évaluation. Il s’agit de s’assurer a priori de la cohérence et de la pertinence des
opérations envisagées, de collecter les données propres à chaque expérience en vue de les partager
dans le cas où celles-ci seraient reproductibles. Il est également important de systématiser l’évaluation
rétrospective des projets, s’attachant à leur efficacité mais aussi à leur efficience, et appréciant leur
impact comme leur pérennité. Pour autant, l’existence de ces procédures ne semble pas suffisant, et
c’est en définitive le partage de ces enseignements qui conférera une cohérence d’ensemble à ces
outils : comme Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, l’a souligné lors de son
allocution durant le congrès 2006 de l’Asprocop, il manque à la coopération au développement des
réflexes plus communément répandus dans la communauté scientifique, en matière d’échanges et
retours d’expériences, constat qui l’a amené à créer l’initiative Field Actions Science (FACTS ;
www.institut. veolia.org/fr/facts-initiative.aspx)

Plaidoyer : Le développement d’une prise de conscience accrue relative à la crise des ressources
humaines, à l’importance fondamentale de l’investissement sur le soignant afin d’améliorer les
systèmes de santé, nécessite un plaidoyer constant. Tous les acteurs de la coopération au
développement en santé, bi et multilatéraux mais surtout nationaux, doivent contribuer à cet éveil des
consciences : la réalisation des OMD, la prise en compte des besoins sanitaires nécessitent en premier
lieu un investissement massif, durable et croissant (proportionnellement au degré de sophistication du
système) sur les agents de santé. La stratégie bilatérale française élaborée en 2007 s’attache à cet
aspect. Les expériences de participation des populations au financement des systèmes de santé (à base
contributive, communautaire ou mutualiste) stigmatisent l’absence de personnel ou de qualifications
suffisantes comme des critères dirimants, qui empêchent d’intéresser les populations aux mécanismes
de financement des risques maladies. Les systèmes doivent offrir une attractivité suffisante pour
stimuler une croissance des mécanismes de solidarité et de pooling/mutualisation des ressources.

Appropriation : L’appropriation des réformes, du renforcement de la politique de gestion des


ressources humaines, repose sur une prise en compte plus importante des points de vue de toutes les
parties prenantes. Les pays en développement intègrent de plus en plus une démarche bottom-up de
définition de l’offre de soins en relation avec les besoins des populations, et les programmes
nationaux et internationaux gagnent en efficacité lorsqu’ils se basent sur des communautés, et
s’appuient sur des « grassroots organisations », représentatives.
8. - Dynamiser l’investissement : la logique
partenariale
Les États sont fortement incités à sécuriser des budgets pérennes et croissants pour assurer la
continuité et la mutabilité de la couverture du risque maladie, en direction des catégories les plus
pauvres notamment. Le niveau de développement de ces pays et la relative fragilité de leur croissance
économique, ainsi que la sélection adverse de certains régimes obligatoires (affiliant les pauvres
alors que la soutenabilité des régimes n’est pas assurée, en raison de la difficulté d’intégrer le secteur
informel qui peut représenter jusqu’à 80 % des secteurs d’activité) contribuent à des tensions fiscales
et budgétaires importantes. Dans ce contexte contraint, les initiatives globales se multiplient pour
conserver une place de première ordre à la thématique de couverture du risque maladie. Le risque est
de négliger le renforcement de la disponibilité et de la qualité de l’offre de soins, et notamment au
plan du renforcement des équipes et personnels. Les deux logiques d’investissement doivent se
conjuguer. La diversité des outils de commande publique doit être gardée à l’esprit. Les instruments
de partenariat public-privé et de contractualisation représentent des options fonctionnelles au service
permettant une couverture de soins complète et disponible. L’investissement en capital réalisé grâce à
des montages en partenariat ne doit pas être motivé par le souci de desserrer une tension budgétaire.
Le préfinancement éventuel, en fonction des modèles de partenariat public-privé, par les partenaires
privés, doit se baser sur de strictes considérations d’amélioration des performances des
infrastructures et services. C’est la recherche d’efficience dans le capital investi qui doit guider les
décideurs. Ainsi, les instruments de contractualisation et de délégation peuvent permettre d’améliorer
la disponibilité de personnels et de structures, au travers d’accords de partenariat public-privé très
diversifiés : délégation de service public (délégation de gestion hospitalière par exemple),
contractualisation de l’offre de soins privée (en vertu de contrats de performance comportant des
objectifs de service public), association ou fusion de pôles, accords plus aboutis de conception,
préfinancement, construction, exploitation d’infrastructures sanitaires (des modèles de ce type
existent en France : il s’agit du contrat de partenariat, mis en place par l’ordonnance du 17 juin 2004,
complétée par la loi du 28 juillet 2008). Ce montage contractuel complexe demeure un outil
dérogatoire aux règles de commande publique, en raison de son régime juridique particulier – il
s’agit d’un contrat global à paiement étalé, différent des règles de maîtrise d’ouvrage publique. La
modernisation nécessaire des infrastructures et équipements ainsi que les changements
épidémiologiques, démographiques et socio-économiques imposent un maillage plus dense de
compétences à haute valeur ajoutée et d’équipements de grande technicité ; des partenariats innovants
appellent en conséquence des investissements en capital d’une grande ampleur. Les fonds
d’investissements dans les PPP témoignent de la vivacité de cette thématique, portée par les
institutions bi et multilatérales, les banques de développement. La Banque africaine de développement
et Natixis ont ainsi créé un fonds pour les partenariats public-privé, le Raising Africa Infrastructure
Fund (RAIF). Des accords de partenariat public-privé innovants se basent donc sur le partage du
risque et l’apport d’expertise optimal pour des services publics performants et efficients. Des
délégations de gestions, dans le cas d’établissements neufs ou réhabilités, permettent aussi de libérer
et préserver le temps des soignants, se concentrant sur leur cœur d’activité, tandis que la gestion et le
management sont confiés à des spécialistes du secteur privé. Le préfinancement, l’exploitation et la
maintenance d’équipements de pointe peuvent faire l’objet d’accords concessifs, afin de déléguer des
activités biomédicales, si celles-ci ne peuvent pas être exercées au sein de l’établissement. La
modernisation des modes opératoires dans le secteur de la santé appelle donc des investissements en
capitaux. Cet appui doit permettre une dépense publique plus efficiente et aboutir à une mesure de «
best value for money » (BVFM), ration d’investissement/performance, engendrant un cycle
d’amélioration des conditions budgétaires, qui doit profiter aux soignants. Plus largement, sans
s’attacher à la complexité des instruments contractuels, on observe un phénomène général : le constat
de la crise des personnels de santé repose essentiellement sur l’observation des chiffres et flux
d’agents publics. Les décideurs publics peinent souvent à envisager la disponibilité de ressources en
santé de manière plus inclusive : une approche consolidée, prenant en compte les ressources
publiques et privées, limiterait certainement la sévérité de la crise [Dhaene, 2008]. Les pays en
développement comme les pays économiquement plus avancés partagent un même dynamisme du
secteur privé de la santé. En France, c’est plus d’un tiers des lits d’hospitalisation qui ressort de la
responsabilité du secteur privé, et près de 47 % des lits de chirurgie. Ce secteur s’organise d’ailleurs
entre établissements commerciaux (cliniques) et établissements à but non lucratif. Ceux-ci bénéficient
bien souvent du statut de participant au service public hospitalier (PSPH), comme d’autres types
d’établissement (les centres régionaux de lutte contre le cancer par exemple). Le système de médecine
libérale reste d’ailleurs privé, même si les médecins s’inscrivant dans la permanence des soins
peuvent se voir conférer le statut de collaborateur occasionnel du service public. En somme, il faut
appréhender la disponibilité des personnels en dépassant le clivage public-privé. Il est possible
d’envisager la contractualisation d’établissements de soins privés, en fonction d’objectifs de santé
publique clairement définis. Le renforcement des systèmes de santé dans différents pays d’Afrique
subsaharienne se fonde d’ailleurs sur les établissements les plus performants et viables, souvent de
statut privé à but non lucratif (confessionnel, par exemple). Les partenariats public-privé peuvent
représenter un ensemble de solutions permettant de contribuer à la résorption de la crise. La Banque
mondiale et d’autres observateurs internationaux insistent à cet effet sur la prise en charge de toutes
catégories de populations, y compris les catégories pauvres et quasi pauvres, par le secteur privé de
la santé, incluant le secteur privé lucratif ! Au-delà des idées reçues et des défiances
traditionnellement exprimées, la pénurie doit stimuler une prise de conscience : les personnels de
santé sont trop rares pour que l’on refuse de s’intéresser aux réservoirs d’opportunités d’une
collaboration entre toutes les parties prenantes, en synergie.

En guise de conclusion, on ne peut hasarder qu’un souhait : celui d’une approche plus
pragmatique et opérationnelle. Au-delà des nécessaires déclarations et plaidoyers, ou des créations de
structures de suivi et veille, une meilleure prise en compte des facteurs multidimensionnels de la crise
peut être rendue difficile en raison de l’étroitesse des marges de manœuvre budgétaire, ou des
arbitrages politiques. Opérationnaliser les solutions connues de tous exige bien évidemment
l’adhésion de toutes les parties prenantes. Les décideurs publics, les financeurs, la société civile, le
secteur privé de la santé… et les soignants eux-mêmes, doivent trouver un mode opératoire électif
permettant une résolution équilibrée de la crise. Toutefois sur cette question, comme sur toutes les
autres, un plus petit dénominateur commun est rapidement trouvé : quels volumes financiers sont
nécessaires, et quelle utilisation en assurer ? Ce double aspect de capacités et de disponibilité
financière intéresse à l’évidence la thématique des ressources humaines en santé. Il amène à
reformuler la question initiale : « pourquoi » devient ainsi « combien investir sur les personnels de
santé ? », ce qui semble déjà un peu plus pragmatique. Mais en définitive, cela ne reste qu’une autre
manière de demander : « quel est le prix qu’il convient d’accorder à la santé ? ».
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Notes du chapitre
[*] ↑ Conseiller au GIP SPSI en charge de l’appui aux stratégies de renforcement institutionnel des décideurs, dans les champs de
la santé et de la protection sociale

[1] ↑ Organisation internationale liée au BIT, et en charge d’un soutien au développement des systèmes de protection sociale et de
sécurité sociale. Cette structure regroupe les acteurs institutionnels et les organismes de sécurité sociale à l’échelle internationale.
13. La crise des ressources humaines dans les pays du
Sud, un obstacle majeur à la lutte contre le VIH
Karoline Höfle [*] 
Karoline Höfle est titulaire du Master « Affaires internationales », mention « Politique
économique internationale », de Sciences Po depuis 2008 et poursuit aujourd’hui des études
de médecine à l’Université de Munich. Elle s’intéresse particulièrement aux questions
concernant les systèmes de santé des pays en développement.

Ce chapitre présente une synthèse du rapport du Conseil national du sida de


2005, intitulé La Crise des ressources humaines dans les pays du Sud, un obstacle
majeur à la lutte contre le VIH, dont les analyses mettent en exergue les
interrelations entre deux problématiques fondamentales en Afrique : la pénurie de
soignants et la maîtrise de la propagation du sida. Un grand nombre de pays
souffrent aujourd’hui de pénurie de personnels de santé, dont la plupart sont des
pays en développement. La migration des soignants vers des régions plus riches, les
mauvaises conditions de travail et l’insuffisance d’une offre de formation sont à
l’origine du problème. Ainsi, le défi est d’une part structurel et se situe dans les
systèmes de santé locaux, et d’autre part transnational si on l’aborde en termes de
fuite des cerveaux. Il existe, à ce sujet, un double langage des pays du Nord qui
portent une partie de la responsabilité du problème, en recrutant les personnels
formés au Sud. La coïncidence d’une pénurie de ressources humaines et d’une forte
prévalence du VIH/sida, qui apparaît surtout en Afrique subsaharienne, est
d’autant plus compliquée à maîtriser qu’il existe une forte interdépendance entre
les deux phénomènes. Depuis quelques années, depuis qu’il est reconnu que la crise
des ressources humaines est un obstacle majeur à la réalisation des OMD et
compromet la maîtrise du sida, la question est placée sur l’agenda international.
Les initiatives prises à l’échelle globale ne s’accompagnent pas des retentissements
concrets attendus dans les pays où le problème demeure.

Un certain nombre de pays dans le monde connaissent une forte pénurie de personnels de santé,
médecins, infirmières, personnels administratifs et d’appui. L’étendue du problème varie selon les
pays. Il touche certains pays du Nord, mais heurte de plein fouet les pays du Sud, surtout en Afrique
subsaharienne et en Asie du Sud. Ce phénomène résulte de la limitation du recrutement de personnels
dans la fonction publique d’administrations nationales sous ajustement structurel, et des mesures de
réduction des budgets d’investissement qui s’en sont suivies.

Une des premières publications à ce sujet a été le rapport Human Resources for Health :
Overcoming the Crisis de la Joint Learning Initiative en 2005. Les auteurs y ont reconnu l’impact
néfaste de la pénurie du personnel sur la situation sanitaire dans les pays pauvres. Ils étaient aussi les
premiers à lier quantitativement le nombre de soignants (médecins, infirmières, sages-femmes) à la
qualité des soins. D’après leurs calculs, 2,5 soignants pour 1 000 habitants étaient nécessaires pour
arriver à une couverture sanitaire de base de 80 %. Ils ont ainsi donné une définition à « pénurie aiguë
», moins de 2,5 soignants pour 1 000 habitants [Joint Learning Initiative, 2005]. Selon une estimation
de l’OMS de 2006, 57 pays dans le monde souffrent d’une pénurie aiguë, dont 36 se trouvent en
Afrique subsaharienne [OMS, 2006]. Ces carences en personnels sont d’autant plus dramatiques que
les soignants sont la base de tout système de santé. Peu importe les sommes investies dans des
médicaments et infrastructures, si manquent les personnes qui donnent des conseils, soignent les
malades et prescrivent les médicaments, ces efforts sont fugaces.
1. - Crise des ressources humaines et épidémie du
sida, l’analyse du CNS
Aujourd’hui, les systèmes de santé se trouvent aussi confrontés à une autre difficulté
d’envergure : l’épidémie de sida. Si un pays présente un taux élevé de VIH et une insuffisance de
personnel de santé en même temps, la situation devient presque immaîtrisable car les deux crises se
renforcent mutuellement [McCoy, 2008]. Le nombre de personnes vivant avec le VIH s’élève
actuellement à 33,4 millions, dont 67 % en Afrique subsaharienne [Onusida, 2009]. Dans les pays
d’Afrique australe, la prévalence du VIH dans la population est de 15 à 28 %, 36 % des décès sont dus
à ce virus, soit 720 000 personnes [Onusida, 2008]. C’est aussi cette région qui est la plus touchée par
la crise des ressources humaines en santé. Au Mozambique il y a moins de 0,5 médecin et 3
infirmières pour 10 000 habitants [OMS, 2010]. En Zambie, seulement 50 des 600 médecins formés
depuis l’indépendance continuent de travailler dans le pays. Il y a davantage de médecins en
provenance du Malawi à Manchester qu’au Malawi. Plus de 80 % des médecins, infirmières et
thérapeutes formés au Zimbabwe depuis 1980 sont partis travailler à l’étranger, en Grande-Bretagne,
en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et aux États-Unis [Kerouedan, 2009]. Malgré une
mobilisation politique et des financements sans précédent en faveur de la lutte contre le sida,
l’épidémie n’a pu être maîtrisée : on assiste à 2,7 millions de nouvelles infections en 2008 [Onusida,
2009] et pour 2 patients sous traitement, 5 nouvelles infections se produisent (www.unaids.org).

La crise des ressources humaines compromet-elle la lutte contre le sida ? En partie oui, et c’est
en même temps le sida qui représente un lourd poids sur le personnel de santé. La maladie représente
une grande charge de travail, un poids psychologique, sans parler du fait que le sida décime
littéralement le personnel de santé dans certaines régions.

Le rapport du Conseil national du sida (CNS) en 2005 La Crise des ressources humaines dans les
pays du Sud, un obstacle majeur à la lutte contre le VIH [Commission internationale du CNS, 2005]
présente une analyse très approfondie de ces problématiques. Soulignons que les constats et les
recommandations restent d’actualité cinq ans après ! Le rapport du CNS identifie la pénurie du
personnel de santé dans les pays en développement, à côté de la pénurie de moyens et de
médicaments, comme un obstacle majeur à la maîtrise de l’épidémie de sida et à la réalisation des
OMD. Ses auteurs constatent un manque de personnels en valeur absolue et une répartition
géographique inéquitable au sein d’un pays. En effet, la majeure partie de l’effectif travaille
généralement dans les villes, tandis que la plupart de la population vit dans des zones rurales. Au
Sénégal, par exemple, plus de la moitié des médecins vit à Dakar, tandis que 80 % de la population
vivent dans les zones rurales [Commission internationale du CNS, 2005]. Les mêmes constats
s’observent au Bénin, à Madagascar, en Côte-d’Ivoire, au Mali, au Niger, etc.

Le rapport identifie trois grands champs de problèmes : les difficultés de formation, les
conditions de travail et l’émigration du personnel de santé.

Les conditions de travail souvent misérables sont à l’origine d’un très fort absentéisme, les bas
salaires démotivent le personnel. En effet, le secteur public dans les pays concernés rémunère très
mal son personnel, il gèle ou diminue fréquemment les salaires (moins 70 % au Cameroun depuis
1994).

Les conditions difficiles et les rémunérations très faibles du travail des professionnels de santé
dans leurs pays d’origine motivent le départ des soignants vers les pays du Nord, ce qui fait qu’au
Ghana, par exemple, 75 % des diplômés en médecine émigrent au bout de neuf ans et demi dans les
pays du Nord [Commission internationale du CNS, 2005].

Les conditions de travail sont aussi fortement dégradées par un manque sérieux de sécurité
sanguine due à une absence de protection élémentaire du personnel. Cela fait que, dans certains pays
africains, plus de la moitié des travailleurs de santé sont séropositifs [Commission internationale du
CNS, 2005].

Un autre problème est lié à la formation du personnel de santé. Parmi les 47 pays de l’Afrique
subsaharienne, il n’y a que 87 écoles de médecine, 11 pays ne disposent d’aucune école, et 24
seulement d’une. Les écoles existantes ne sont pas en mesure de fournir une formation adéquate. Il y a
un manque important de matériels et de moyens ; laboratoires, internet, abonnement à des revues
scientifiques ne sont pas à la disposition des étudiants. De surcroît, les cursus ne sont pas adaptés aux
besoins sanitaires du pays ; ils ont été créés d’après l’exemple de la formation médicale dans les pays
occidentaux, où la théorie a un très grand poids par rapport à la pratique.

Un autre grand problème est la migration des travailleurs de santé, nommée le « carrousel
migratoire » par les auteurs du rapport, c’est-à-dire qu’il y a un flux migratoire continu de régions
plus pauvres vers des régions plus riches, au niveau local, régional et international. En effet, le
personnel dans les zones rurales a tendance à déménager dans les villes, et le personnel dans les villes
à émigrer vers des pays proches plus prospères ou vers les pays industrialisés.

En 2002, plus de la moitié des médecins et infirmières en Grande-Bretagne ont été formés à
l’étranger [Commission internationale du CNS, 2005]. Le Royaume-Uni absorbe à lui seul une très
grande quantité d’infirmières formées en Afrique du Sud, en Afrique australe, ou même au Guyana.
De 2000 à 2007, 16 000 infirmières africaines y ont présenté une demande de travail. Save the
Children Care estime que le Royaume-Uni a économisé 65 millions de livres sterling en faisant venir
des infirmières ghanéennes sur la période 1998-2005 [Kerouedan, 2009].

Les auteurs revendiquent une plus forte implication des autorités françaises et recommandent
une stratégie de substitution qui vise à un transfert des compétences, une amélioration des conditions
d’exercice des soignants, et une adaptation de la formation au domaine du sida. En dehors des sites de
prise en charge des malades, les personnels de santé dans leur ensemble connaissent peu cette
maladie, en particulier chez les enfants. Notons que le ministère des Affaires étrangères à Paris a
constitué en 2009 un groupe de travail sur les ressources humaines, qui se réunit plusieurs fois dans
l’année. Le Code de conduite pour le recrutement des personnels de santé, en préparation avant
l’Assemblée mondiale de l’OMS 2010, a fait l’objet de discussions approfondies.

Les auteurs du rapport du CNS préconisent en outre la délégation de certaines tâches médicales à
du personnel paramédical et l’implication des acteurs locaux à la mobilisation autour du sida et des
malades. Cette recommandation semble particulièrement intéressante car elle peut être décidée et
organisée à toute petite échelle, au niveau des communautés. Le poids administratif pourrait ainsi être
minimisé et l’efficacité maximisée. Il faudrait néanmoins rester vigilant sur la qualité des prestations.
Certains pays comme l’Afrique du Sud s’opposent à ce « task shifting » ; d’autres comme l’Éthiopie
en usent beaucoup.

Une autre mesure cruciale est le changement par les pays du Nord d’une politique qui semble
incohérente, engagés d’un côté en faveur du développement et occupés de l’autre à absorber les
travailleurs en santé des pays pauvres.
2. - Une mobilisation internationale croissante mais
insuffisante
Quelles sont les mesures politiques prises sur le sujet jusqu’à ce jour ?

Les années 2004 et 2005 étaient celles des premières résolutions votées à l’Assemblée mondiale
de la santé en faveur d’un renforcement des ressources humaines dans le monde, la crise a alors été
identifiée par la communauté internationale.

Le rapport annuel 2006 de l’OMS, intitulé Travailler ensemble pour la santé a fourni la première
analyse du problème au niveau des organisations internationales. Ce rapport chiffre à 4,3 millions le
nombre de personnels de santé manquant dans les pays en développement [OMS, 2006]. L’OMS
conçoit un « Atlas mondial des travailleurs en santé » qu’elle actualise régulièrement et qui représente
un outil de travail pour les décideurs politiques.

D’autres initiatives sont l’Alliance mondiale pour les personnels de santé (Global Health
Workforce Alliance), un rassemblement de diverses parties prenantes sous l’égide de l’OMS, et le
programme de l’OMS « Treat, Train and Retain » qui se consacre au double fardeau du VIH et de la
crise des ressources humaines.

En ce qui concerne l’appui théorique, la plateforme Human Resources for Health (HRH)
rassemble une série d’articles de recherche en libre accès sur internet, et vise à orienter les
programmes réalisés. Elle est un outil important dans l’émergence des meilleures pratiques et la
constitution de plans nationaux.

En 2007, les ministres de la Santé de l’Union africaine se sont mis d’accord sur une stratégie
2007-2015 pour renforcer les systèmes de santé nationaux. Le document stratégique de l’Union
africaine (UA) reconnaît que la crise des ressources humaines est un des plus grands obstacles pour
la santé en Afrique, où vit 10 % de la population mondiale, qui subit 25 % des maladies et dispose de
seulement 3 % du personnel [Union africaine, 2007].

Une suggestion intéressante consiste à mettre en place le service à la communauté à effectuer par
les soignants en début de parcours, une pratique déjà de mise en Afrique du Sud depuis quelques
années ou en Colombie par exemple auprès des communautés indiennes reculées.

En mars 2008, les représentants du G8 et les leaders africains se sont rencontrés au Forum de
Kampala pour établir une coopération au sujet de la pénurie des ressources humaines en santé.
Même si les échanges ont été fructueux, la conférence a manqué de résultats concrets. Au cours
de la conférence, les besoins financiers pour dépasser la crise ont été estimés à 70 milliards d’euros
[Act Up Paris, 2008].

En décembre 2008, un projet de Code de pratique pour le recrutement international des


personnels de santé a été publié par le Secrétariat de l’OMS et soumis à la concertation dans les
comités régionaux. L’année suivante, en 2009, la déclaration ministérielle de l’Ecosoc encourage la
finalisation du Code de pratique et rappelle que le manque de personnel et sa distribution
déséquilibrée minent les systèmes de santé des pays en développement, surtout en Afrique
subsaharienne. La déclaration fait explicitement référence aux pratiques courantes de recrutement et
aux besoins de rétention du personnel [Ecosoc, 2009].

Lors de la 63e Assemblée générale de l’OMS qui s’est tenue du 17 au 21 mai 2010, le « Code de
pratique mondial pour le recrutement international des personnels de santé » est adopté. Il préconise
un recrutement éthique et une coopération internationale renforcée pour faire face à la pénurie en
travailleurs en santé.

Le texte reconnaît le grave problème de l’émigration des soignants d’un pays déjà en crise de
ressources humaines. Il détermine que le bilan net des flux migratoires des pays en développement
doit toujours être positif. Par ailleurs, il condamne le recrutement actif de personnels en provenance
des pays en développement, sauf dans le cadre d’accord bilatéraux, régionaux et multilatéraux
équitables. Il essaie ainsi d’atténuer les facteurs « pull » de la migration et responsabilise les pays
destinataires.

Aussi le personnel émigré lui-même est responsabilisé, il devrait être encouragé et aidé à mettre
son expérience acquise à l’étranger au service de son pays d’origine, donc, à terme, d’y retourner.

Le texte aborde aussi les facteurs « push » de la migration en rappelant que l’amélioration de la
situation sociale et économique des personnels de santé, de leurs conditions de vie et de travail,
constitue un remède effectif à la pénurie actuelle.

Les pays en développement devraient recevoir une assistance technique et financière pour
renforcer leurs systèmes de santé et développer les personnels de santé.

Relatif à la formation professionnelle, le Code suggère de renforcer les établissements


d’enseignement et de faire concorder les cursus avec les besoins de santé actuels [OMS-Assemblée
mondiale de la santé, 2010].
Il répond donc aux trois champs de problèmes identifiés par le Conseil national du sida, soit les
difficultés de formation, les conditions de travail et l’émigration.

L’adoption de cette résolution est sûrement une étape importante car elle fait preuve d’un
consensus international autour du sujet. Or, le Code reste un cadre éthique non contraignant, sa
réalisation dépendra encore une fois de la bonne volonté des pays membres.

Par ailleurs, le texte envisage le renforcement de tout système de santé, et malheureusement, en


matière de migration, le renforcement de l’un signifie l’affaiblissement de l’autre. Plus concrètement,
la réalisation du Code nécessitera des concessions unilatérales de la part des pays industrialisés. Vu
les problèmes structurels autour du vieillissement de la population dans la plupart des pays
occidentaux, ces concessions vont être difficile à obtenir.

Pourquoi cette mobilisation ces dernières années alors que le problème de pénurie existe depuis
longtemps ? La raison est sûrement l’approche de la date cible des Objectifs du Millénaire. En 2015,
effectivement, la communauté internationale voulait avoir atteint les dix OMD, dont quatre ciblent la
santé. L’objectif 6 (cible 7), notamment, est de stopper la propagation du VIH et inverser la tendance
actuelle. L’OMS admet qu’inverser la tendance dépendra, dans une large mesure, du développement
des ressources humaines nécessaires au bon fonctionnement des systèmes de santé [OMS, 2008].

Elle aboutit alors à la même conclusion que le Conseil national du sida. D’après la Joint
Learning Initiative, l’Afrique devrait multiplier le nombre de ses soignants par trois pour atteindre
les OMD [Joint Learning Initiative, 2005].

Néanmoins, dans le discours international, la place des ressources humaines dans l’atteinte des
OMD, est encore largement sous-estimée.

Un domaine où la mobilisation internationale était beaucoup plus importante et a porté ses fruits
était celui de l’accès universel aux médicaments antirétroviraux. Le concept d’« Accès universel à la
prévention, au traitement et aux soins concernant le VIH/sida d’ici 2010 » a vu le jour au Sommet
mondial de l’ONU de 2005 et a été suivi par des initiatives efficaces. Fin 2007, trois millions de
personnes avait accès au traitement antirétroviral (ARV), contre 950 000 en fin 2006 ; une
multiplication par trois en une année. Ce succès reste, toutefois, restreint par la crise des ressources
humaines, puisque ce sont encore seulement 31 % de ceux qui en auraient besoin qui bénéficient du
traitement [OMS, 2008]. Mais il est un exemple qu’une mobilisation internationale soutenue peut
avoir des résultats plutôt surprenants.
3. - La fidélisation du personnel, mesure primordiale
Une approche pour savoir ce qui marche au niveau local vient d’un groupe d’universitaires
américains et kenyans, qui ont analysé trois plans nationaux pour renforcer les ressources humaines.
Un des trois pays est l’Afrique du Sud, un pays intéressant pour nous car il souffre du double fardeau
pénurie de soignants et VIH. En effet, en Afrique du Sud, un adulte sur cinq est séropositif, à savoir
5,7 millions de personnes [Onusida, 2008]. Pour soigner ces malades, seulement 7 645 médecins sont
à disposition pour tout le pays (0,7 pour 1 000 habitants). En 2007, le ministère de la Santé a créé un
plan stratégique national pour améliorer la situation sanitaire du pays. Le ministère a désigné un
médecin et politique expérimenté, Percy Malathi, pour superviser une équipe multisectorielle qui
mettrait en œuvre le plan de RH [Schiffbauer et al., 2008].

En 2007, un nouveau système de rémunération et une formation de courte durée pour du


personnel paramédical ont été mis en place. Le service à la communauté a été poursuivi et développé.
Ce service obligatoire a été introduit pour juguler la sur-installation des médecins dans les villes et
l’émigration à l’étranger. En effet, beaucoup de médecins sud-africains émigraient après l’obtention
de leur diplôme vers l’Arabie Saoudite, le Canada et la Grande-Bretagne.

Le service à la communauté prévoit que les nouveaux médecins travaillent pendant un an dans
des régions rurales. En 2007-2008, 3 800 nouveaux docteurs ont été déployés partout en Afrique du
Sud. Souvent les étudiants hésitent à y aller, mais apprécient, après, leur expérience, trouvant leur
travail plus sensé, et choisissent même de continuer leur carrière en région rurale [Schiffbauer,
2008]. C’est un exemple de fidélisation du personnel, même si les conditions de travail sont encore
insuffisantes. Il s’agit d’une responsabilisation des médecins pour la santé de leurs concitoyens, sans
pour autant mettre des contraintes. Elle doit, bien sûr, être effectuée parallèlement à une amélioration
des conditions de travail. De la même façon, l’expérience de Santé Sud de soutenir l’installation de
jeunes médecins en zone rurale au Mali et à Madagascar a porté ses fruits, et permet de fidéliser des
médecins satisfaits de leurs conditions d’exercice [Coulibaly, 2007].

Nous avons montré des exemples locaux d’une politique de ressources humaines efficace ; ils
peuvent servir de modèle pour d’autres pays, mais ne vont pas suffire à inverser la tendance d’un
affaiblissement du personnel de santé dans le monde. Pour cela, il faudrait plus d’engagement
international, avec une stratégie cohérente, orientée vers des résultats concrets. Le Code de pratique
pour le recrutement est un bon début, il faut espérer qu’il s’accompagnera de coopérations efficaces.
En attendant, ce sera en l’année 2015, date cible des OMD et du plan africain sur la santé, le moment
de tirer des véritables conclusions qui devraient être suivies d’un engagement national et international
adapté et plus courageux.
Bibliographie
Act Up Paris, Closing of Global Forum on Human Resources for Health: No Concrete Commitment
Has Been Made yet, 3 mars 2008, www.actupparis.org
Commission internationale du Conseil national du sida, La Crise des ressources humaines dans les
pays du Sud, un obstacle majeur à la lutte contre le VIH, 14 juin 2005, www.cns.sante.fr
Coulibaly (Seydou), Desplats (Dominique), Kone (Yacouba) et al., Une médecine rurale de
proximité : l’expérience de la médecine rural au Mali, Education For Health, 28 août 2007,
www.educationforhealth.net
Ecosoc, Implementing the Internationally Agreed Goals and Commitments in Regard to Global Public
Health, Ministerial Declaration. 2009 High-Level Segment, 9 juillet 2009, www.un.org
Joint Learning Initiative, Human Resources for Health: Overcoming the Crisis (Studies in Global
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Kerouedan (Dominique), « De plus en plus de malades pour de moins en moins de soignants : la crise
des personnels du secteur de la santé en Afrique », Journal africain du cancer, 1 (2), mai 2009, p. 115-
122.
McCoy (David), McPake (Barbara) et Mwapasa (Victor), « The Double Burden of Human Resource
and HIV Crises: a Case Study of Malawi », Human Resources for Health, août 2008, www.human-
resources-health.com
OMS, Statistiques sanitaires mondiales 2010, Rapport annuel des Statistiques sanitaires mondiales,
mai 2010, www.who.int
OMS, Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans le monde 2006. Vers un accès
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OMS-Assemblée mondiale de la santé, Recrutement international des personnels de santé : projet de
code de pratique mondial, Résolution A63/8, adoptée lors de la 63e Assemblée mondiale de la santé,
17-21 mai 2010, www.who.int
Onusida, Epidemiological Fact Sheet on HIV and AIDS, Core data on Epidemiology and Response:
South Africa, septembre 2008, www.unaids.org
Onusida, Aids Epidemic update December 2009, novembre 2009, www.unaids.org
Onusida, Rapport sur l’épidémie mondiale de sida, juillet 2008, www.unaids.org
Schiffbauer (Judith), O’Brien (Julie), Timmons (Barbara) et Kiarie (William), « The Role of
Leadership in HRH Development in Challenging Public Health Settings », Human Resources for
Health, 6 (23), 4 novembre 2008.
Secretariat des États ACP - Réunion des ministres de la Santé des États ACP, « Formation et rétention
des personnels de santé dans les États ACP », Document préparatoire, octobre 2007.
Union africaine, Stratégie africaine de la santé 2007-2015, avril 2007, www.africa-union.org
Notes du chapitre
[*] ↑ Titulaire du Master « Affaires internationales » de Sciences Po
14. La migration des médecins africains vers les pays
développés
Sarah Sauneron [*] 
Sarah Sauneron, diplômée de Science Po en « Affaires internationales », mention «
Environnement, développement durable et risques », et titulaire d’un Master 2 en
neurosciences à l’Université Pierre-et-Marie-Curie. Elle travaille depuis 2008 comme
chargée de mission au Centre d’analyse stratégique avec pour domaine d’expertise principal
les rapports unissant santé, science et société.

La crise des ressources humaines du secteur de la santé dans les pays en voie
de développement est un phénomène multifactoriel. La migration des médecins
africains vers les pays développés constitue ainsi une partie de ce problème et se
retrouve au premier rang des préoccupations des décideurs politiques. En effet, si
aucune mesure d’envergure n’est prise dès maintenant pour renforcer les ressources
en personnel soignant, les futurs investissements en santé de la communauté
internationale n’auront que des effets très limités sur la situation sanitaire des
populations des pays concernés. Il s’agit ici de décrire l’ampleur du phénomène
afin de mieux en expliquer les causes et les conséquences et d’envisager différentes
solutions dans l’espoir de stopper cette fuite des cerveaux. Les institutions
internationales semblent avoir pris la mesure de l’enjeu : il faut désormais que cela
se traduise en actions concrètes.

Que peut un système de santé sans soignants qualifiés et en nombre suffisant ? La crise des
ressources humaines du secteur de la santé dans les pays en voie de développement est un problème
majeur de santé publique. Loin d’être nouvelle, cette problématique n’occupe pourtant que depuis
récemment une importance première sur l’agenda politique international. Cette prise de conscience
peut s’expliquer par plusieurs facteurs, et notamment par l’ampleur prise par le phénomène, une
ampleur encore appelée à continuer à croître d’après les différentes prévisions. De plus, la
communauté internationale a réalisé qu’elle ne parviendrait pas à réaliser les Objectifs du Millénaire
pour le développement d’ici à 2015, en partie en raison de ce manque de ressources humaines [OMS,
2006]. Les financements ne suffisent pas si les agents de santé qualifiés ne peuvent contribuer à la
mise en œuvre de programmes adaptés.

Cette pénurie concerne l’ensemble des professions médicales et s’explique par nombre de
causes. Il peut s’agir d’une mauvaise répartition du personnel sur le territoire entre les zones urbaines
et rurales, ou entre le secteur public et le privé. Mais une démotivation du personnel se fait également
ressentir face au faible niveau des salaires, au peu de reconnaissance dont il bénéficie pour des
métiers souvent difficiles et risqués. Confrontés à cette situation, certains préfèrent alors changer de
profession plutôt que de continuer à exercer dans de telles conditions. D’autres choisissent de quitter
leur pays pour travailler à l’étranger : ce phénomène intéresse massivement les personnels
paramédicaux en Afrique francophone, et également les médecins en Afrique anglophone.

Face à ce phénomène multifactoriel, le présent travail se propose de recentrer son analyse sur la
migration des médecins africains vers les pays développés. Cette question, primordiale pour
répondre à la crise des ressources humaines médicales, illustre bien l’imbrication des enjeux
sanitaires et politiques. À l’heure où le gouvernement français vante les mérites de l’immigration
choisie, la migration des médecins africains est un sujet d’actualité qu’il convient d’étudier en
profondeur. Ainsi, pour aborder une telle problématique, il s’agit de décrire dans un premier temps
l’ampleur du phénomène afin de mieux en expliquer les causes et les conséquences. Dans un second
temps, sera présentée une analyse critique des potentielles solutions mobilisables pour stopper cette
fuite des cerveaux de la santé africaine.
1. - De la nécessité d’évaluer l’ampleur du
phénomène et ses conséquences
Depuis quelques années, le problème de l’émigration des agents de santé originaires de pays
pauvres vers les pays riches est au premier rang des préoccupations des décideurs politiques.
Cependant, si les polémiques à ce sujet ont été nombreuses, les données dont on disposait jusqu’à
présent pour mesurer l’ampleur du phénomène étaient très incomplètes. Ainsi, l’exemple
emblématique de la ville de Manchester comptant plus de médecins malawites que tout le Malawi était
exposé dans la quasi-totalité des études traitant du sujet, prouvant s’il en était besoin le manque de
statistiques précises. Or faute de savoir combien d’agents de santé sont concernés par ces migrations,
quels sont leurs pays d’origine et quel est leur lieu de destination, il est difficile de se faire une idée
de l’ampleur du problème. La revue médicale The Lancet « tirait la sonnette d’alarme » en estimant
dans une étude de novembre 2004, qu’il manquait 4 millions de professionnels médicaux dans les
pays les plus pauvres, en particulier en Afrique [Chen et al., 2004]. Le rapport publié en 2006 par
l’OMS venait confirmer cette situation de grave pénurie des professionnels de santé en révélant que
57 pays souffraient d’un manque aigu, avec en particulier une situation très préoccupante pour
l’Afrique : alors que le continent regroupait 20 % du nombre de personnes malades au niveau
mondial, il ne comptait que 4 % des agents de santé [OMS, 2006]. Cependant, ces données ne
concernaient toujours pas spécifiquement le phénomène migratoire. Le Center for Global
Development a alors produit un travail considérable en 2006 en rassemblant pour l’Afrique une base
de données exhaustive sur la migration des personnels de santé [Clemens et Pettersson, 2006].
Désormais, un document détaille pour chaque pays d’Afrique, la proportion de médecins et
infirmiers nés dans ces pays et n’y résidant plus. Pour chacun des pays occidentaux, le document
recense le nombre de praticiens nés en Afrique et détaille leur répartition par pays d’origine. Ces
travaux permettent d’appréhender l’ampleur des départs des personnels médicaux. On apprend ainsi
qu’en 2000, 19 % des médecins nés en Afrique exerçaient leur activité hors de leur pays de naissance
et ce chiffre montait à 28 % en ne considérant que l’Afrique subsaharienne. De plus, on constate que
la situation est très différente d’un pays à l’autre : alors que les trois quarts des médecins du
Mozambique n’y exercent plus, cette fuite des cerveaux ne concerne que 9 % des Nigérians ou 3 %
des Égyptiens. Si l’on ne s’intéresse qu’aux seuls médecins subsahariens, le Royaume-Uni est la
destination privilégiée avec plus de 13 300 médecins, devant les États-Unis (8 500) et la France (4
200). Les anciennes puissances coloniales exercent encore une forte attraction. Ainsi, près de 90 %
des médecins ayant quitté le Sénégal travaillent en France, et 70 % des Kenyans expatriés résident au
Royaume-Uni.
L’Afrique manque cruellement de médecins pour atteindre le seuil minimal de 5 ‰,
recommandé par l’OMS, si bien qu’un doublement du nombre de travailleurs dans ce secteur serait
nécessaire. Cette pénurie a de graves conséquences sanitaires et humaines car le personnel est
l’élément charnière de tout système de santé. Sans lui, les structures de santé ne peuvent fonctionner
efficacement et les soins de base ne peuvent être dispensés. De plus, de nombreux programmes
internationaux, comme ceux du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme,
se heurtent sur le terrain au manque de personnel pour mener à bien leurs actions et atteindre leurs
objectifs d’étendre et accélérer les interventions de prévention et de prise en charge des trois
maladies.

Mais cette émigration a également un coût financier conséquent. En effet, la formation des
personnels de santé est chère. Lorsque ceux-ci partent exercer dans les pays du Nord, les pays
africains n’ont pas en quelque sorte « le retour sur investissement » espéré. Certains n’hésitent pas à
évoquer une « subvention perverse » des pays du Sud en faveur des pays du Nord. Ainsi, une étude de
l’OCDE évalue à 1 milliard de dollars la perte que représente l’exil des personnels de santé pour la
seule Afrique du Sud [OCDE, 2004].

De plus, l’émigration des médecins africains a des conséquences plus difficiles à identifier car à
plus long terme : le coût institutionnel. En effet, ce ne sont pas seulement des médecins qualifiés qui
partent mais ces hommes sont également ceux capables de construire et de faire prospérer les
institutions clés en assurant par exemple les rôles de gestionnaires d’hôpitaux, de chefs de
départements universitaires, de formateurs. Les systèmes de santé ne cessant de se détériorer, cela
alimente un cercle vicieux en poussant au départ ceux qui sont les plus à même de développer leur
pays.
2. - De la nécessité de comprendre les raisons de cette
« émigration médicale »
Expliquer les flux migratoires des médecins africains vers les pays développés est complexe tant
les situations et les histoires sont différentes. Cependant, on peut identifier deux grands types de
facteurs avec ceux dits de départ et ceux d’attraction, qui se conjuguent dans la recherche « d’une vie
meilleure ». Ainsi, une étude menée en 2004 révélait que ce mouvement était alimenté par le malaise
social ou un mécontentement vis-à-vis des conditions de vie et de travail [Awases et al., 2004]. La
lourdeur de la charge de travail, l’absence de moyens et de possibilités de promotion, la médiocrité
de la gestion, des conditions de vie risquées sont autant de facteurs d’impulsion. Les départs des
médecins sont ainsi particulièrement nombreux dans les pays confrontés à une forte instabilité
politique ou économique, comme l’Angola, la République démocratique du Congo ou le Rwanda. De
plus, l’absence de valorisation et de reconnaissance du travail de qualité ne pousse pas les médecins à
persévérer dans leurs efforts car, au final, ils seront traités de la même manière que leurs collègues
moins sérieux.

À ces facteurs de départ, viennent s’ajouter ceux d’attraction, comme la perspective d’une
rémunération plus élevée, d’un environnement de vie et de travail plus sûr, de niveaux d’éducation
meilleurs pour les enfants, ou la volonté de perfectionnement professionnel et d’une amélioration des
profils de carrière.

Mais on ne peut évoquer les raisons pour lesquelles un praticien est poussé à migrer sans
considérer le rôle joué par les pays hôtes. En effet, il ne faut pas oublier que la crise des ressources
humaines dans la santé affecte aussi bien le Sud que le Nord. L’Europe, les États-Unis et le Canada ont
négligé de former un nombre suffisant de médecins, d’infirmiers et de sages-femmes pour répondre
à la demande grandissante de soins due au vieillissement de leur population. Le recrutement
international semble alors être une solution peu coûteuse et simple pour faire face à cette pénurie. En
effet, les pays hôtes économisent à la fois sur le coût et la durée de la formation des personnels de
santé qualifiés, et bénéficient de professionnels plus « flexibles » au niveau des conditions de travail
et de rémunération. Certains pays n’hésitent alors pas à mener des politiques de recrutement actives
avec des mesures de simplification des procédures de reconnaissance des diplômes et de délivrance
des visas, des systèmes de quotas, ou l’utilisation d’agences de recrutement aux pratiques parfois peu
éthiques [Oxfam, 2007].

De plus, les politiques de recrutement menées par les agences onusiennes contribuent également
au pillage des compétences médicales des pays africains. En effet, on peut regretter l’emploi de
médecins dans des rôles managériaux, pour lesquels ils ne sont pas nécessairement les plus
compétents, alors que ces derniers en tant que soignants manquent cruellement sur le terrain. Il est
certain que l’efficacité de l’aide se verrait accrue si ces personnels restaient en appui des programmes
locaux, et ce à un niveau opérationnel.

Les pays du Nord ont donc leur part de responsabilité dans les pénuries de personnels. Ils
doivent réagir en proposant des solutions adaptées afin que les pays à forte émigration voient enfin le
nombre des départs de travailleurs qualifiés ralentir ou, à tout le moins, puissent en tirer un certain
bénéfice.
3. - De la nécessité d’agir vite et de façon coordonnée
Les causes pouvant expliquer ces flux migratoires étant multiples, les solutions à y apporter se
doivent de l’être également. Il faut agir à la fois au niveau des pays africains mais également au
niveau des pays développés.

Ainsi, au niveau européen, la possibilité d’indemniser les pays africains formateurs est étudiée
afin de compenser le manque à gagner engendré par le départ de leurs médecins. Cette mesure
pourrait effectivement paraître utile pour que les pays africains ne soient pas perdants sur toute la
ligne mais elle peut paraître difficile à mettre en place : comment évaluer l’indemnisation ? À qui la
verser ? Que se passe-t-il quand le médecin change de pays ?

Un autre mode d’action consiste à mettre en place des codes de recrutement éthique. Ainsi, au
niveau international, il existe huit documents pour encourager un recrutement international éthique de
personnel de santé, dont quatre codes de bonnes pratiques, trois guides et une déclaration émanant
d’organismes nationaux ou internationaux. Le Royaume-Uni a pris la tête du mouvement dans ce
domaine. Le ministère de la Santé anglais a ainsi adopté en 2001 un code de conduite destiné aux
salariés du National Health Service chargés du recrutement international de personnels de santé. Ce
code énonce les grands principes destinés à encourager le respect de normes strictes pour le
recrutement et l’emploi de personnels de santé venus de l’étranger et notamment à prévenir le
recrutement ciblé de personnes venant de pays en développement en proie à des pénuries de main-
d’œuvre dans le secteur de la santé. Cependant, ces codes de bonne conduite ont eu, jusqu’à présent,
un impact très limité car ils n’ont pas force d’obligation. Leur application dépend uniquement de la
bonne volonté des gouvernements. Ils n’ont pas empêché les pays développés de continuer à recruter
du personnel soignant d’origine africaine par la voie d’agences privées. On notera tout de même que
la publication du rapport de Lord Crisp en février 2007 portant sur l’évaluation de la contribution du
Royaume-Uni au développement des systèmes de santé, dont les appuis à la question particulière des
personnels de santé, a permis d’élaborer une série de recommandations pertinentes pour soutenir ces
systèmes de santé ainsi que de créer un Challenge Fund, co-financé par le DFID [1] , à l’issue d’une
étude très intéressante sur les facteurs d’efficacité des partenariats Nord (Royaume-Uni) - Sud (pays
bénéficiaires de l’APD britannique) d’appui aux systèmes de santé [2] .

Les pays à forte émigration ont également mis en place des mesures de rétention afin
d’empêcher, ou tout du moins retarder, ces départs. Ainsi, ils peuvent rendre l’émigration plus
difficile en instaurant des services obligatoires avant l’obtention du diplôme. Mais, devant l’échec de
ces politiques, les institutions internationales prônent désormais la migration circulaire pour
favoriser les allers-retours des personnels de la santé. Les médecins africains sont très nombreux à se
former dans les universités occidentales et il serait néfaste de supprimer de telles filières. L’objectif
n’est donc pas d’empêcher la circulation entre le Nord et le Sud mais bien d’inciter les médecins à
revenir dans leur pays. Ces programmes impliquent généralement la signature d’un contrat entre le
pays de départ, le migrant et le pays d’accueil, garantissant le retour des personnels soignants
qualifiés une fois acquise leur expérience professionnelle ou formation de spécialité. Mais ces
programmes se sont révélés peu efficaces : sans investissement conséquent dans les systèmes de santé,
la migration reste à sens unique. En effet, penser pouvoir remédier à la fuite des médecins africains
sans agir en profondeur sur les systèmes de santé en Afrique est illusoire.

Demander aux pays du Nord de revoir leurs politiques de recrutement est nécessaire, mais
restera insuffisant si l’on ne remédie pas au délabrement sur place du système de santé. Il faut
effectivement s’attacher à résoudre ce que l’on avait appelé les facteurs de départ. Ainsi, il faut
rechercher les moyens incitant les personnels qualifiés à rester ou à se réinsérer dans leur pays
d’origine, en garantissant un emploi dans des conditions de travail et de rémunération satisfaisantes.
L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment, offre
de multiples possibilités, comme la création d’ateliers de formation à distance et la constitution de
réseaux interactifs. On peut également travailler sur la revalorisation culturelle et sociale de la
fonction de soignant : les professionnels de santé doivent pouvoir s’identifier à l’essor de leur pays et
bénéficier de conditions de vie décentes pour eux-mêmes et leurs familles.

De plus, les ministères de la Santé des pays affectés par la migration des médecins ont clairement
exprimé auprès de la communauté internationale leurs attentes d’aide en faveur du recrutement et du
développement des ressources humaines. Cependant, ces appels sont pour l’instant restés vains ou
n’ont été satisfaits que très partiellement, car les points de blocage se situent au niveau des
négociations entre (i) les bailleurs de fonds et les ministères des Finances du fait des contraintes
budgétaires que continue d’imposer le Fonds monétaire international, et (ii) les ministères des
Finances et les ministères de la Santé qui se voient reprocher par les premiers de ne pas savoir
montrer de résultats et mesurer leur performance.

La coopération Nord-Sud constitue donc un élément clé dans la limitation de la fuite des
cerveaux de la santé : le rôle des institutions internationales, à l’image de l’OMS est alors de
coordonner les différentes actions pour s’attaquer à la problématique dans sa globalité et non pas de
manière superficielle. Cette coordination pourrait s’inscrire dans le cadre de la réalisation des
principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide et l’harmonisation et les engagements
pris à Accra en septembre 2008 [3] .

La création de l’Alliance mondiale des personnels de santé en 2006, sous l’égide de l’OMS, vint
s’inscrire dans cet effort. En effet, cette Alliance est un partenariat entre différents acteurs tels que les
gouvernements nationaux, la société civile, les institutions financières et les agences internationales,
dont le but est d’identifier et de mettre en œuvre des solutions pour juguler la crise des personnels de
santé. Ce partenariat cherche des approches pratiques aux problèmes urgents, par exemple en
élaborant des stratégies nationales de développement des ressources humaines bien conçues, en
améliorant les conditions de travail des professionnels de santé et en concluant des accords plus
efficaces pour gérer leur migration. Elle sert également de centrale d’information internationale,
d’observation, d’évaluation, de coordination des actions et d’organe de surveillance. De plus, un
programme ambitieux de formation accélérée va débuter afin d’augmenter rapidement le nombre des
agents de santé qualifiés dans les pays frappés par la pénurie [4] . Cette Alliance a ainsi organisé en
mars 2008 le premier Forum mondial sur les ressources humaines pour la santé à Kampala qui a
permis de mettre en lumière la nécessité d’une intervention immédiate et durable face à cette grave
pénurie de personnel soignant dans le monde aux conséquences multiples.
4. - Discussion
Le « brain drain », traduisant l’idée de pillage des cerveaux, est un sujet d’actualité. En effet,
craignant les conséquences d’une immigration massive, les pays d’accueil ont mis en place des
politiques d’immigration sélective, dont l’objectif serait de limiter l’immigration aux métiers
souffrant d’un déficit de main-d’œuvre avéré. L’aboutissement de cette politique en France est illustré
par la formule « d’immigration choisie » qui fut couplée à un texte de loi en 2007 visant à durcir les
réglementations sur le regroupement familial, le droit d’asile ou le statut de réfugié. On réalise alors
l’incohérence, voire l’hypocrisie des pays qui prétendent augmenter les budgets pour le
développement alors qu’ils drainent les compétences pour leurs propres besoins. Cependant, les
décideurs politiques se défendent de cela en mettant en avant les conséquences positives de cette
migration pour les pays africains [Sarkozy, 2006]. En effet, l’impact de la migration sur les pays
d’origine fait l’objet de débats et d’une importante littérature au sein des institutions internationales.
Ainsi, certains mettent en avant l’ampleur des transferts financiers des migrants vers leurs pays
d’origine, le retour du personnel qualifié et le rôle de la diaspora, afin de démontrer les
conséquences positives de la migration choisie. Le montant des transferts de fonds des migrants a
ainsi été évalué par la Banque mondiale à 160 milliards d’euros en 2006, soit plus de deux fois les
montants officiels d’aide au développement [Banque mondiale, 2005]. À court terme cette source de
revenus est évidemment une condition de survie pour la population de nombreux pays. Mais la lecture
approfondie de ce rapport de la Banque mondiale permet de réaliser que l’impact positif de ces
transferts financiers sur la diminution de la pauvreté est pour l’essentiel le fait de travailleurs non
qualifiés, ceux-là mêmes qui ne sont pas « réellement les bienvenus » dans nos pays développés. Par
contre, le départ des travailleurs qualifiés, soit l’essentiel des personnels de santé migrants, a un
impact désastreux sur le développement économique et social. En effet, les dépenses consacrées à la
formation des migrants, le coût institutionnel que représente leur départ, et le coût sanitaire pour le
pays d’émigration, alourdissent le bilan. Lorsqu’un pays est doté d’un système de santé fragilisé, les
pertes de personnel peuvent conduire le système tout entier au bord de l’effondrement et les
conséquences se mesurent alors en vies humaines perdues. Ceci a été dénoncé par les parlementaires
des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique à l’attention de l’Union européenne [5] .

De plus, l’argument du retour bénéfique des migrants formés et expérimentés dans leur pays de
départ ne paraît pas plus recevable. En effet, si leur contribution au développement du pays est
certaine, l’idée qu’ils reviennent systématiquement est purement utopique, tant les différences de
conditions de travail et de salaire sont importantes.

La migration des médecins dans les pays du Nord ne peut donc être positive que dans le but du
partage des connaissances scientifiques. En ce sens, on ne peut qu’encourager le départ de nos
internes et de nos médecins en Afrique et réciproquement. La mise en place de partenariats de
formation entre les écoles des pays industrialisés et celles des pays en développement, débouchant sur
des échanges de professeurs et d’étudiants, qui est promue par l’Alliance mondiale pour les
personnels de santé est, sans aucun doute, une initiative qui portera ses fruits très rapidement.

Mais ces flux migratoires doivent être accompagnés de mesures adéquates pour favoriser le
retour. En effet, c’est tout le système de santé africain qui se détériore. Comment alors demander à de
jeunes professionnels de revenir exercer dans leur pays lorsqu’ils ont connu « le luxe » des hôpitaux
occidentaux ? Il faut donc améliorer les conditions de travail en augmentant les investissements, en
assurant une bonne gouvernance, en définissant de manière précise les besoins, tant en moyens
matériels, financiers, qu’humains.

La question de l’indemnisation des pays formateurs par les pays hôtes a été soulevée dans ce
travail. Ces indemnisations pourraient se faire de manière à ce qu’elles soient redistribuées à l’hôpital
formateur afin qu’il réinvestisse ces sommes, mais également au médecin ayant accepté de rentrer
exercer dans son pays d’origine afin de lui assurer un salaire équivalent (en fonction du niveau de
vie) à celui qu’il percevait « en exil ». Cette idée, prise parmi d’autres, montre que si le problème de
la migration des personnels de santé est réel, il n’est pas pour autant insoluble.

Pour conclure, il convient de souligner que l’émigration n’est qu’un des facteurs de la crise des
ressources humaines que subissent les systèmes de santé des pays du Sud. En effet, les besoins en
personnel de santé dépassent largement le nombre de travailleurs émigrés. Si aucune mesure
d’envergure n’est prise dès maintenant pour renforcer les ressources en personnel soignant de
l’Afrique subsaharienne, les futurs investissements en santé de la communauté internationale n’auront
que des effets très limités sur la situation sanitaire des populations des pays concernés. On ne peut que
se réjouir du fait que les institutions internationales ont pris la mesure de l’enjeu, comme le prouve la
création de l’Alliance mondiale pour les personnels de santé. Il faut désormais que cela se traduise en
actions concrètes, d’une part au niveau global afin que les pays de l’OCDE forment les soignants dont
ils ont besoin, et d’autre part en concertation avec les professionnels de santé et autorités des pays du
Sud, qui seuls peuvent appréhender le sujet dans son intégralité et proposer des solutions adaptées.
Souhaitons que la tenue du deuxième Forum mondial sur les ressources humaines pour la santé
organisé à Bangkok en janvier 2011 y contribue [6] .
Bibliographie
Awases (Magda), Gbary (Akpa Raphaël), Nyoni (Joyce) et Chatora (Rufaro), Migration des
professionnels de la santé dans six pays : rapport de synthèse, Brazzaville, Bureau OMS régional de
l’Afrique, 2004.
Banque mondiale, Global Economic Prospects 2006: Economic Implications of Remittances and
Migration, novembre 2005, 182 p.
Chen (Lincoln), Evans (Timothy), Anand (Sudhir), Boufford (Jo Ivey) et Brown (Hilary), « Human
Resources for Health: Overcoming the Crisis », The Lancet, 364 (9449), 2004, p. 1984-1990.
Clemens (Michael) et Pettersson (Gunilla), « New Data on African Health Professionals Abroad »,
Working Paper, 95, Center for Global Development, 2006.
OCDE, « La mobilité internationale des professionnels de la santé : Évaluation et enjeux à partir du
cas sud-africain », dans OCDE, Tendances des migrations internationales. SOPEMI 2003, février
2004, 416 p.
OMS, Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans le monde, Genève, OMS, 2006,
243 p.
Oxfam France, « Immigration : qui choisit ? », Agir ici, 79, octobre 2007, 22 p.
Sarkozy (Nicolas), « Immigration. Tribune du ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de
l’Aménagement du territoire », Le Figaro, 9 février 2006.
Notes du chapitre
[*] ↑ Diplômée de Sciences Po en « Affaires internationales », chargée de mission au Centre d’analyse stratégique

[1] ↑ www.dh.gov.uk/en/Publicationsandstatistics/Publications/PublicationsPolicyAndGuidance/DH_083509

[2] ↑ www.dh.gov.uk/en/Healthcare/International/DH_090009

[3] ↑ Accra Agenda for Action, www.oecd.org

[4] ↑ www.ghwa.org

[5] ↑ Résolution de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE sur les migrations de travailleurs qualifiés et leurs effets sur le
développement national, Wiesbaden (Allemagne), 28 juin 2007, www.acpsec.org/fr/jpa/wiesbaden/100.012_fr.pdf

[6] ↑ www.who.int/workforcealliance/forum/2011/en/index.html
15. Santé et migrations, l’exemple de la France
Camille Acket [*] 
Camille Acket est diplômée du Master « Affaires internationales » de Sciences Po en
2008. Elle s’est intéressée aux problématiques de santé publique lors de son stage au Samu
social au Sénégal et en a étudié les applications en termes de droit des étrangers via son
engagement au sein des permanences juridiques de la Cimade. Elle travaille actuellement
dans le domaine du microcrédit, au sein de l’ADIE et est en charge des quartiers sensibles
de Strasbourg.

Étudier les relations entre santé et migrations apporte un éclairage particulier


sur le lien entre santé et politique, car cela met en exergue la tension entre enjeu de
santé publique, avec la prise en charge de cette population particulière que
constituent les migrants, et les impératifs de la politique migratoire et des
restrictions budgétaires. L’exemple de la France est à ce titre intéressant dans la
mesure où existe depuis 1998 un dispositif permettant de régulariser la situation
d’un étranger malade présent sur le territoire français. La jurisprudence à
l’origine de cette loi considère que, dans la mesure où ces personnes n’auraient pas
accès aux soins nécessaires dans leur pays d’origine, toute expulsion entraînerait
des traitements inhumains ou dégradants et serait dès lors contraire aux
conventions internationales sur les droits de l’homme. Dans cet esprit
s’instaurerait au niveau mondial une solidarité sanitaire forcée. Cependant, la
définition de l’accessibilité des soins dans le pays d’origine reste problématique.
Malgré tous les efforts de solidarité internationale en matière sanitaire, celle-ci est
loin d’être effective et ce, même pour une pathologie phare des programmes de
développement, le sida.

Afin d’étudier les liens entre santé et politique dans les relations Nord-Sud, il paraît intéressant
de se pencher sur les relations entre santé et migrations. Nous n’aborderons pas ici la question de la
migration des personnels de santé, quand bien même ce thème représente un réel obstacle aux
politiques de santé publique. Nous nous intéresserons à la migration de personnes malades et plus
particulièrement à leur prise en charge en France. En effet, la France a l’une des rares législations
favorables aux étrangers malades présents sur son territoire, prévoyant notamment leur non-
expulsabilité depuis la loi Debré de 1997 et leur régularisation à travers la loi Chevènement de 1998.
Nous étudierons dès lors le traitement des migrants malades dans le cadre du droit français, mais
aussi dans sa mise en œuvre. Quel est leur statut ? Quel accueil leur est réservé ? Quelle possibilité de
prise en charge médicale ? Quelle protection juridique ? Quel accès aux soins ?

Les migrants sont habituellement définis comme des personnes résidant en France nées
étrangères dans un pays étranger. Un immigrant peut avoir la nationalité française ou celle de son
pays d’origine, voire les deux [Comede/Inpes, 2008]. Nous essaierons aussi de prendre en compte
dans ce travail, les personnes souhaitant venir se faire soigner en France mais n’y résidant pas
encore. Nous adopterons donc une définition plus large du terme de migrants et ce, afin d’envisager
aussi les migrations ayant pour motif la santé, ce que certains perçoivent comme du « tourisme
sanitaire ».

Comme l’expliquent les premières pages du Guide de prise en charge médico-psycho-sociale des
migrants/étrangers précaires coédité par le Comede (Comité médical pour les exilés) et l’Inpes
(Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), les migrants constituent une population
particulièrement vulnérable, notamment du fait des traumatismes liés à l’exil et de leur précarité
administrative et juridique en France qui se répercute sur leurs conditions de vie. Or dans un contexte
de précarité, voire d’exclusion, et face à la crainte engendrée par la situation d’illégalité, le souci de
prendre soin de soi, que ce soit pour prévenir ou pour se guérir, n’est pas une priorité. Les dépenses
de santé préventive seront vues comme superflues d’où des complications et des pathologies plus
graves à traiter par la suite. Malgré les efforts des autorités sanitaires, il existe encore un déficit
d’informations en ce qui concerne l’accès aux soins et aux différents dispositifs existants ce qui
n’encourage pas non plus les personnes migrantes en situation précaire à se soigner. En termes de
santé publique, cette population cible constitue donc un réel enjeu. Ces personnes ne sont pas
forcément plus malades que des personnes de nationalité française, mais se soignent et se font
dépister plus tard. Bien que certaines de ces maladies soient contractées dans le pays d’origine, le
dépistage ou leur diagnostic est effectué en France dans une très forte majorité de cas. En outre, c’est
parmi les groupes les plus vulnérables que l’exclusion a les plus graves conséquences sur la santé :
enfants (sur-représentation des enfants africains parmi les victimes du saturnisme), femmes
(prévalence plus élevée de grossesses non désirées et de complications obstétricales chez les
étrangères), demandeurs d’asile et mineurs étrangers isolés (forte prévalence de psycho-
traumatismes graves) [Comede/Inpes, 2008].

Ainsi il sera particulièrement intéressant dans ce chapitre de confronter cet enjeu de politique de
santé publique aux priorités des politiques migratoires et au souci d’économies budgétaires d’un
système d’assurance maladie et de sécurité sociale constamment déficitaire.
En outre, ce travail permet d’étudier, à travers la situation particulière des étrangers malades en
France, les enjeux de santé internationale par rapport aux migrations. Une première préoccupation est
le contrôle des épidémies, or comme le souligne Didier Fassin, cette menace pathogène s’ajoute à des
représentations déjà négatives d’une population immigrée présupposée dangereuse ou déjà déclarée
indésirable [Fassin, 2005]. La crainte de la propagation d’épidémies est ancienne et justifie une série
de restrictions à l’accueil d’étrangers malades. Ainsi, l’Onusida listait en mars 2010 encore une
cinquantaine de pays appliquant des restrictions quant à l’entrée et le séjour sur leur territoire de
personnes vivant avec le VIH [Onusida, 2010].

Une fois que ces migrants sont sur le territoire du pays concerné, se pose la question de la prise
en charge de leur maladie. Peut-on les renvoyer dans leurs pays ou doit-on les soigner dans le pays
d’accueil ? En Europe, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)
prohibant les traitements inhumains est mis en avant pour éviter le renvoi des migrants dans leur pays
d’origine, ce qui constituerait pour certains une « mise à mort » dans la mesure où leur accès aux
soins là-bas n’est pas assuré. Or comment évaluer l’accès aux soins ? Cette question est actuellement
au centre du débat pour l’application de la régularisation des étrangers malades prévue par la loi
Chevènement. Plus globalement, on peut envisager cela sous l’angle d’un rééquilibrage par les
migrations de la morbidité mondiale, avec la revendication par les malades d’un droit à se faire
(mieux) soigner dans leur pays de résidence et à ne pas être renvoyés dans un pays d’origine où tout
manque. Une solidarité internationale forcée en quelque sorte. Le tout mis en balance avec les efforts
de l’aide au développement en faveur de la santé, censés augmenter l’accès aux soins dans les pays du
Sud. Sur ce dernier point, le traitement privilégié du VIH illustre bien les contradictions.

En somme, l’étude des relations migrations/santé en France devrait nous permettre d’étudier en
pratique le thème des liens entre santé et politiques à travers les tensions entre enjeu de santé publique
et politique migratoire (et restrictions budgétaires). Nous nous pencherons plus particulièrement sur
les possibilités de régularisation au titre de la maladie, l’accès aux soins qui est offert en France mais
aussi dans les pays d’origine ainsi que sur le statut privilégié du VIH. Si la tonalité de ce chapitre peut
paraître très juridique, l’intérêt sera de voir, en dehors de ce qui est prévu par la loi française, jugée
très favorable, ce qu’il en est de son application pratique et les conséquences que cela peut avoir en
termes d’accès aux soins et donc de santé publique.

Voyons tout d’abord ce que prévoit le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile (Ceseda) [1] en matière de droit au séjour, que ce soit pour l’admission sur le territoire français
ou la régularisation d’une personne malade déjà en France. Nous verrons ainsi que si les textes de
lois semblent favorables à l’étranger malade, leur application est de plus en plus restrictive. Nous
retrouverons ce même constat en matière d’accès aux soins, du fait des restrictions aux dispositifs
existants.
1. - Les dispositifs du Ceseda : une perte de l’esprit
du texte face aux impératifs des politiques
migratoires
Il sera ici question essentiellement de la non-expulsabilité des étrangers malades résidant sur le
sol français et de leur régularisation au titre de l’article L 313.11.11 du Ceseda. Toutefois il est
intéressant de mentionner pour débuter la possibilité d’acquérir un visa pour cause médicale urgente.

Selon les dispositions de l’article R212-4 du Ceseda, la cause médicale urgente est entendue
comme un état de santé nécessitant une prise en charge médicale rapide dont le défaut pourrait
entraîner pour l’étranger des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse
bénéficier d’un traitement approprié dans son pays de résidence. Le concept de traitement approprié
dans le pays de résidence n’étant pas clarifié, on aboutit en pratique aux mêmes problèmes
d’évaluation que pour la régularisation d’un étranger malade présent en France, cas que nous
aborderons par la suite.

La procédure est la suivante : un rapport médical attestant d’une cause médicale urgente est
adressé sous pli confidentiel par le médecin traitant au médecin responsable du centre médico-social
auprès de l’ambassade de France dans le pays où réside l’étranger. Le médecin destinataire du rapport
médical communique sans délai son avis motivé aux autorités diplomatiques ou consulaires qui
décident de la suite à donner à la demande de dispense d’attestation d’accueil pour raisons médicales.
On peut en conclure, comme Christel Cournil, que la santé du candidat migrant malade sera
indubitablement examinée au prisme du contrôle migratoire des autorités consulaires [Cournil, 2007].
L’auteur cite notamment certaines circulaires ayant une vision rigoureuse de l’appréciation des
motifs, afin d’éviter tout tourisme sanitaire que semblent craindre les autorités françaises, eu égard au
système français d’assurance maladie très protecteur. Il est en outre nécessaire à la personne malade
sollicitant ce visa de justifier de ressources suffisantes pour couvrir sa prise en charge en France.

Cette crainte du tourisme sanitaire est très répandue dans l’inconscient collectif, or il faut savoir
que la majorité des migrants découvrent leur maladie en France. Comme le précise le Comede, c’est
essentiellement lors d’opérations de dépistage ou lors des premiers symptômes de la maladie que les
migrants découvrent la pathologie [Comede, 2008], d’où un lobbying par le Comede pour un bilan de
santé adapté plus systématique aux primo-arrivants, dans un souci de santé publique et de mieux-être
de ces populations. La seule visite médicale organisée par les autorités françaises est celle de l’Office
français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui est obligatoire pour les personnes entrant
légalement sur le territoire pour un séjour de plus de trois mois et ne propose pas de sérologie VIH.
Suite à leur expérimentation du dépistage des affections graves les plus fréquentes, dépistage
systématiquement proposé dans leur centre de santé, le Comede publie des chiffres qui illustrent bien
l’intérêt d’un tel dispositif. Si la plupart des maladies graves dont souffrent ces personnes récemment
arrivées en France ont été contractées dans le pays d’origine, la majorité était ignorée des malades
concernés : 77 % de l’ensemble des affections ont été dépistées en France, et 94 % pour les infections
virales chroniques incluant le VIH, et ce n’est qu’une fois la pathologie découverte que les malades
décideront d’entamer la procédure « étranger malade » et de demander une régularisation ; cette
procédure nécessitant de toute façon de pouvoir justifier du fait que l’on réside de manière habituelle
en France. D’où un certain scepticisme de la part des associations d’aide aux migrants quand les
autorités leur opposent l’argument d’un appel d’air pour justifier les restrictions actuelles à la
régularisation au titre d’étranger malade.

Ce dispositif est instauré par la loi Chevènement de 1998 et se retrouve à l’article L313-11-11 de
l’actuel Ceseda. Il fait suite à la non-expulsabilité des étrangers malades instaurée par la loi Debré en
1997. Cette avancée législative fut obtenue suite à un intense lobbying des associations qui se sont
invitées dans le débat parlementaire et ont mis en avant la jurisprudence favorable aux malades au
titre de l’article 3 de la CEDH.

Cette non-expulsabilité est toujours inscrite dans le texte de loi et instaure une protection contre
l’éloignement du territoire (article L 511-4-10 du Ceseda). L’article stipule que « ne peuvent faire
l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou d’une mesure de reconduite à la frontière
[…] : l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge
médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité
sous réserve qu’il ne puisse bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi ». On
retrouve ici le concept du traitement approprié, qui n’est pas plus clarifié que dans les autres textes de
lois et pose notamment la question d’un accès effectif du patient à ce traitement dans son pays
d’origine.

Suite à cette avancée législative qui protégeait les étrangers malades de l’expulsion sans
toutefois les régulariser, la loi Chevènement introduit la possibilité de régularisation au titre de cette
même maladie. Cette régularisation se présente sous la forme de l’article 311-11-11 pour « l’étranger
résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le
défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il
ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ».
Outre les critères administratifs à remplir, les critères médicaux sont délicats à évaluer, et l’ensemble
de la procédure requiert une expertise technique assez pointue que ce soit pour les médecins,
l’administration ou la justice, autant d’acteurs entrant en jeu. Au vu de la jurisprudence,
l’interprétation des critères médicaux est la suivante :

nécessité d’une prise en charge médicale : il s’agit d’une prise en charge et non d’un
traitement médical, peu importe si la personne bénéficie déjà d’une prise en charge médicale,
l’important est que son état de santé le requiert ;

risque de conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge :


concerne bien le défaut de prise en charge et non la pathologie seule, ne nécessite pas une
certitude de conséquences graves mais bien un risque médicalement attesté. Pour l’ODSE, les
conséquences d’une exceptionnelle gravité s’entendent par un risque de mortalité prématurée ou
un risque de handicap grave [ODSE, 2008] ;

pas d’accessibilité au traitement dans le pays d’origine : cela constitue l’enjeu majeur dans
l’application du dispositif puisqu’il n’est pas précisé si cela s’entend comme une accessibilité
géographique, financière, une disponibilité des médicaments, des infrastructures nécessaires, etc.

Sur ce dernier point, qui est la cheville ouvrière du mécanisme, les autorités administratives ont
tenté de mettre à la disposition de leurs agents un recueil de données sur les différents pays. Un projet
de circulaire en novembre 2006 souhaitait établir un document sur l’offre de soins des trente
principales nationalités dont sont issus les étrangers malades, afin d’éviter les fréquents écarts
d’appréciation entre les différents acteurs. Cette circulaire ne fut finalement pas publiée à la suite des
protestations du milieu associatif. Toujours est-il que des « fiches pays » sont disponibles sur
l’intranet des directions ministérielles des libertés publiques et des affaires juridiques et de la
population et des migrations. Les autorités françaises ont tenu à rappeler que ces fiches ont une valeur
purement informative d’aide à la décision [ministères de la Santé et de l’Intérieur, 2007]. Pourtant,
l’ODSE a pointé des manques que ce soit sur la méthode d’élaboration – renseignements pris auprès
des médecins des consulats de France dans les pays d’origine sans que ceux-ci soient forcément
informés de la finalité de ces fiches –, doutes sur la mise à jour (ou le contenu), les fiches ne
recensant que la disponibilité des soins et non leur accessibilité effective notamment géographique et
économique [ODSE, 2007].

Le Conseil d’État a pris position sur cette question de l’accessibilité, considérant qu’il convenait
de vérifier si l’étranger pouvait bénéficier effectivement des possibilités de traitement et non
uniquement de leur existence. Furent ainsi mentionnés les coûts du traitement ou l’absence de modes
de prise en charge adaptés [Conseil d’État, 2010].

Sont en outre régulièrement dénoncés des problèmes de procédures entravant l’accès au titre de
séjour « étranger malade ». Outre le refus d’enregistrement de la demande au guichet ou l’exigence
de pièces non prévues par la réglementation, parmi les dysfonctionnements les plus fréquemment
rencontrés, on trouve le refus de délivrance d’un récépissé (qui permet de justifier d’une démarche
administrative, donc d’ouvrir ses droits à la CMU), le délai de réponse anormalement long de
l’administration, le refus oral de renouvellement au guichet (ce qui empêche tout recours), la
délivrance d’une autorisation provisoire de séjour (APS) au lieu d’une carte de séjour temporaire
alors que seule la carte donne le droit au travail et aux allocations.

L’ensemble de ces obstacles réglementaires et procéduriers freine l’accès à ce droit au séjour, si


bien que les dix ans d’application de la loi ont été salués par un rapport alarmant de l’ODSE [ODSE,
2008]. Il est difficile de confronter cette impression « d’épidémie de refus » à la réalité des chiffres,
dès lors que l’administration ne communique pas de manière exhaustive sur ce statut spécifique. Sont
présentées dans les rapports annuels du secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de
l’immigration uniquement des statistiques sur les admissions au séjour, aucune information ne filtre
sur les renouvellements d’autorisation ou les recours devant les tribunaux. De leur côté, les
associations de soutien aux migrants ne peuvent non plus prétendre à l’exhaustivité des statistiques,
malgré leur effort pour documenter cette tendance à la restriction. Toutefois, la prise de conscience
quant aux dysfonctionnements dans l’application de la loi est réelle, comme le souligne une récente
note du ministère de la Santé et des Sports [ministère de la Santé et des Sports, 2010].

Ces restrictions doivent être replacées dans un contexte particulier. Depuis fin 2002, des
circulaires ministérielles mettent en garde contre un appel d’air qui serait créé par le dispositif, la
dénonciation de certificats médicaux complaisants et de nombreuses autres dérives. Telle était aussi la
tonalité du rapport de l’Inspection générale de l’administration sur le réexamen des dossiers des
étrangers en situation irrégulière d’Anne-Marie Escoffier. En outre, la pression du chiffre s’exerce
aussi sur les préfets et les médecins inspecteurs de santé publique chargés de rendre un avis aux
préfets sur la base des dossiers médicaux. Les dossiers refusés passent alors en recours devant le
tribunal administratif avec le risque de divulgation du secret médical, déjà mis à mal par la
collaboration entre préfet et médecins inspecteurs de santé publique [Cournil, 2007]. Enfin, la récente
création d’une autorisation provisoire de séjour (APS) pour parents d’enfants malades (art. L 311-12)
n’est pas si favorable au malade et à son entourage. Auparavant, les accompagnateurs et parents de
malades invoquaient la vie privée et familiale pour obtenir une carte de séjour temporaire, et les
premières décisions favorables en jurisprudence commençaient à porter leurs fruits. Or maintenant,
l’APS est garantie pour seulement l’un des deux parents, d’où une préoccupation croissante que le
malade soit partagé entre le choix de se soigner seul ici ou de se soigner en famille au pays tout en
prenant le risque d’y mourir. Alors même que le Conseil national du sida précisait que le bénéfice du
regroupement familial est important pour les étrangers vivant avec le VIH, car la présence et
l’accompagnement d’un proche jouent un rôle primordial dans l’adhésion au traitement [Conseil
national du sida, 2006].

En somme, alors même que le contenu de la loi n’a pas changé, sa mise en œuvre est de plus en
plus restrictive, butant notamment sur l’absence d’une acceptation commune du concept de l’accès
aux soins dans le pays d’origine. Les obstacles administratifs sont une réalité tout aussi difficile pour
les étrangers malades, notamment ceux qui se voient basculer dans l’illégalité à la suite d’un refus de
renouvellement de carte de séjour. Il faut en effet savoir que la carte est temporaire et doit être
renouvelée annuellement avec le risque réel que la perception de l’accès aux soins dans son pays ait
alors évolué ou que la pression des politiques migratoires se soit intensifiée, or cette carte
comportant une autorisation de travail, cela signifie perdre son emploi, des allocations, etc. Ces
impacts sociaux et médicaux ont fait l’objet d’une attention particulière lors du bilan des dix ans de
l’application de la loi de 1998 [ODSE, 2008]. Par exemple, la difficulté à faire reconnaître son statut
d’étranger malade fragilise celui-ci, alors même qu’il vient souvent de découvrir sa pathologie et de
débuter sa prise en charge médicale, une phase déterminante pour la poursuite du traitement médical.
2. - La situation particulière du VIH
À l’examen de la situation juridique des migrants malades, une pathologie sort du lot : le VIH. Si
les autorités françaises ne publient pas de statistiques pathologie par pathologie au nom du secret
médical, il est communément admis qu’une personne séronégative sera quasi automatiquement
régularisée, que le renouvellement de sa carte se passera sans difficulté. Les chiffres rassemblés par
le Comede, sans pouvoir prétendre à une réelle représentativité, annoncent 100 % d’avis favorables
sur la période 2003-2009, que ce soit en premier accord, renouvellement, recours gracieux ou
contentieux.

La pathologie du VIH n’est pas renseignée dans les fiches pays, et des circulaires traitant
spécifiquement de la question des étrangers atteints par le VIH existent et résolvent notamment la
question de l’accès aux soins dans le pays d’origine. Ainsi, en 2005, une circulaire [2] précise que dans
l’ensemble des pays en développement, il n’est donc pas encore possible de considérer que les
personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ou à la prise en charge
médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH [circulaire DGS/SD6 n° 2005-4,
2005]. Est précisé aussi que même pour les personnes séropositives asymptomatiques dont la charge
virale et le taux de CD4 ne justifient pas une mise sous traitement immédiate, une surveillance
biologique (immuno-virologique en particulier) régulière est nécessaire pour déterminer le moment
où la mise sous traitement sera nécessaire. Or les pays concernés ne disposent pas d’infrastructures
pour ce suivi, l’étranger malade pourra donc rester se faire soigner en France. L’ensemble de ces
observations sera rappelé par les circulaires ultérieures. La dernière en date énonce les faits suivants :

« Les dernières observations recueillies (notamment par Onusida) établissent le constat suivant :

le contexte sanitaire africain se dégrade sur les quinze dernières années, en raison entre
autres du déficit en personnel de santé qui est un problème central ;

la croissance de la pandémie n’est pas encore contrôlée ;

les initiatives de la communauté internationale et de divers bailleurs de fonds permettent des


avancées qui sont indéniables en matière d’accès aux antirétroviraux, mais qui demeurent
insuffisantes ;

quantitativement, la couverture en ARV même de première ligne est limitée : la disponibilité


reste un problème majeur, les systèmes d’approvisionnement, de distribution, de planification
des besoins sont faibles, la couverture en ARV de deuxième ligne n’est pas assurée ;
qualitativement, des ruptures de stocks sont constatées, les soins « globaux » sont
insuffisants, les coûts (directs ou indirects) des traitements limitent l’accès effectif et le
déploiement au-delà de la capitale n’est pas satisfaisant. » [Circulaire n° DGS/R12/2007/383,
2007.]

Comment expliquer ce statut privilégié du VIH par rapport aux autres pathologies ? Cela tient
essentiellement à l’histoire de la mobilisation pour la reconnaissance du droit au séjour pour
l’étranger malade. Ce lobby associatif actif dans les années 1990 était certes organisé sous forme de
collectif dénonçant les expulsions d’étrangers malades. Cependant, les associations de malades du
sida ont acquis une force de parole, une légitimité et un poids dans l’espace public, donc une visibilité
particulière. Elles ont réussi à marquer les représentations, faisant du VIH une pathologie quasi
intouchable. Le statut actuel au niveau administratif du virus du VIH est réellement le fruit de leurs
efforts. Les prises de positions du Conseil national du sida sur le sujet renforcent de plus leur
discours, consolidant les arguments portant sur la santé publique et les droits des personnes. Parmi
les documents publiés, l’avis sur « le droit du séjour pour soins : outil de lutte contre le VIH » est
particulièrement éloquent [Conseil national du sida, 2006].

Les associations de malades sont toutefois conscientes que, derrière ce statut privilégié du VIH,
les restrictions sont réelles et se durcissent pour les autres pathologies. Comme l’écrit Antonin
Sopena, s’agit-il pour le gouvernement de maintenir un statu quo pour les séropositifs étrangers dans
l’espoir de calmer les bruyantes associations de malades et de lutte contre le sida, et ainsi de
poursuivre son démantèlement des droits des malades et des étrangers dans l’indifférence générale
[Sopena, 2006] ? De même, la menace plane encore parfois sur les personnes séropositives,
déclenchant une mobilisation associative vigoureuse, se soldant rarement par une expulsion.
3. - L’accès aux soins en France
L’accès aux soins en France se différencie selon le statut administratif de la personne malade, et
non selon sa pathologie. Schématiquement, le migrant peut accéder aux dispositifs suivants :

Dans ses trois premiers mois en France :

à la couverture médicale universelle (CMU) et à la CMU complémentaire (CMU-C) si


l’étranger est en procédure de demande d’asile ou a le statut de réfugié ;

au fonds de prise en charge des soins urgents, c’est-à-dire ceux dont l’absence mettrait en
jeu le pronostic vital, pour les autres (à l’exception des étrangers en simple séjour, avec visa de
court séjour) ;

à une prise en charge ponctuelle de soins pour des motifs humanitaires par décision
individuelle par le ministre chargé de l’Action sociale en vertu de l’article L 251-1 du Code de
l’action sociale et des familles.

Après le délai des trois mois :

à la CMU et CMU-C pour les demandeurs d’asile et les étrangers ayant sollicité la
délivrance d’un titre de séjour.

à l’aide médicale d’État (AME) pour les personnes en situation irrégulière (sous condition
de ressources), qui peut être traitée en instruction prioritaire lorsque des soins médicaux doivent
être délivrés rapidement.

La création de la couverture médicale universelle en 2000 a réduit considérablement le nombre


de bénéficiaires à l’aide médicale d’État, qui auparavant prenait en charge toutes les personnes non
couvertes par le régime d’assurance maladie. Or aujourd’hui, la CMU et sa complémentaire, qui
représentent le dispositif le plus avantageux en termes d’accès aux soins, ne sont accessibles qu’aux
personnes en situation régulière ou justifiant d’une démarche en cours auprès de l’administration.
Cette dernière disposition est peu connue donc peu utilisée par les étrangers malades. De même, la
croyance est généralement partagée que les sans-papiers ne peuvent que demander l’AME et les
agents au guichet des caisses d’assurances maladies les renverront alors automatiquement vers ce
dispositif, bien moins favorable que la couverture médicale universelle. En outre l’ouverture de
droits à la CMU permet le maintien des droits à la CMU pendant un an quelle que soit la réponse de
l