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Revue de l'histoire des religions

La valeur de l'or dans la pensée égyptienne


François Daumas

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Daumas François. La valeur de l'or dans la pensée égyptienne. In: Revue de l'histoire des religions, tome 149, n°1, 1956. pp.
1-17;

doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1956.7085

https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1956_num_149_1_7085

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La valeur de Гог

dans la pensée égyptienne

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La manière dont les anciens Égyptiens ont revêtu d'or


certains éléments de leur architecture, à l'exclusion d'autres1,
le soin qu'ils' ont pris d'enfermer leurs précieuses momies
royales dans des sarcophages d'or massif2 (les exposant ainsi
davantage aux profanations qui n'ont pas manqué de se
produire) ou de dorer bien des momies moins illustres3, montrent
qu'ils attachaient à ces revêtements une valeur particulière.
Cela est si peu douteux que, au début de l'époque copte, les
païens avaient encore pour l'or une sorte de vénération
superstitieuse qui les empêchait de le manipuler librement comme
le montre un curieux témoignage du redoutable Chnouté4.
Il ne semble pas qu'on ait essayé jusqu'ici de rechercher
si la littérature ancienne fait allusion à ces conceptions des

Ire Partie,
1) Voir chap.
notre VI.
travail
Déjàintitulé
Champollion
Les Mammisis
avait décelé
des temples
l'emploi
égyptiens
de dorure
(à paraître),
à Kalab-
scha : Lettres écrites d'Egypte et de Nubie, nouvelle éd., 1868, p. 130. Voir ensuite :
Somers Clarke et Engelbach, Ancient Egyptian Masonry, Londres, 1930, p. 205 ;
L. Borghardt, Alhrhand Kleinigkeiten, 1933, pp. 1-11 et pi. 1-5; Chassinat,
Le Mammisi d'Edfou, Le Caire, 1939, p. xvii-xviu ; Lacau, Sur l'emploi de
Гог dans la décoration des monuments architecturaux, à l'époque du Nouvel Empire,
Actes du XXIe Congrès des Orientalistes, Paris, 1949, p. 76-78.
2) Par exemple, H. Carter, Tuteench=Amun féd. allemande, la seule
qui nous soit actuellement accessible), t. II, Leipzig, 1928, chap. 6 et pi. 129.

3) Une des momies du Musée Guimet à Lyon, provenant d'Antinoë, est dorée
de la tête aux pieds, comme cela se voit encore très bien sur les parties conservées.
La couche d'enduit doré est posée directement sur la peau.
4) Texte de Chnouté traduit par Révillout (nous n'avons pu,
provisoirement, retrouver l'original copte), dans RHB, t. VIII, 1883, p. 425 : « Si vous
prenez avec tant de précaution l'or, en ayant soin de ne pas le toucher de vos
mains pour complaire aux démons en qui vous croyez ... si vous n'osez le dépenser
pour vos besoins, si vous pensez être souillé en le touchant, à plus forte raison
serez-vous souillés en l'adorant et en le priant... »
2 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Égyptiens sur l'or et si elle ne permettrait pas non seulement


de les soupçonner, mais même de les préciser quelque peu.
C'est ce que nous voudrions tenter dans les pages qui suivent.
On nous pardonnera de les livrer sans avoir cherché à
amasser une documentation exhaustive. Celle-ci exigerait de
très minutieuses lectures, car nous nous sommes aperçu, à
plusieurs reprises, que les allusions étaient parfois assez
obscures pour n'apparaître point au premier abord. D'autre
part, au point où nous en étions de notre enquête, les choses
nous ont paru suffisamment claires pour être exposées telles
quelles. Elles permettront ainsi, nous l'espérons du moins, de
repérer de nouveaux textes ou de nouveaux faits passés
inaperçus, qui apporteront leur complément d'informations ou
des précisions nouvelles. Le but de ces pages est donc
essentiellement d'attirer l'attention sur ces spéculations curieuses
et de montrer aussi quelles répercussions elles ont eues sur
l'élaboration d'idées voisines dans des civilisations qui se sont
développées en contact étroit avec celle de l'Egypte.

* **

II est bien certain que l'or, comme les pierres précieuses


avait, dès une époque très ancienne, une valeur symbolique.
Cela n'est pas particulier à l'Egypte et il nous est même dit
textuellement dans des commentaires néo-sumériens de textes
antérieurs : « L'or c'est Enméchara1. » Mainte allusion du
reste au symbolisme de l'or est faite déjà dans divers travaux
modernes. Pour Frankfort, il traduirait : « La splendeur de

1) Nous avons tenu à citer ce texte sumérien qui, par bonheur, nous est
parvenu, car nous possédons peu de commentaires égyptiens, alors que ces derniers
ont pourtant existé comme on peut le voir par les gloses qu'on a insérées dans
bien des œuvres plus anciennes. Publiée par Langdon en 1939, cette tablette,
donnant la valeur symbolique des objets rituels, est citée par Conteneau, Manuel
ď archéologie orientale, t. IV, Paris, 1947, p. 1918. Enmešara est défini dans
Falkenstein et Von Soden, Sumerische und Akkadische Hymnen und Gebete,
Stuttgart, 1953, p. 412 : « Un dieu chthonien primitif, parent de Dumuzi, après
son passage, à la mort, dans l'autre monde. » Les indications de M. Jastrow,
Die Religion Babyloniens und Assyriens (trad, all.), t. I, p. 472 et de Deimel,
Pantheon Babylonicum, Rome, 1914, p. 118, n° 982, en font feulement un
équivalent de Nergal, dieu des Enfers. Ch.-F. Jean, La religion sumérienne, Paris,
1931, p. 130, ne définit point ce dieu.
LA VALEUR DE LOR DANS LA PENSEE EGYPTIENNE à

la vie divine »\ tandis que M. de Buck y verrait le symbole


de ce qui est impérissable2. Les spéculations de M. Spiegel le
conduisent à écrire que « le choix de l'or comme symbole de
l'ordre cosmique dans le titre : Horus d'or, créé sous Snofrou,
doit être compris comme une allusion à l'éclat des rayons du
soleil qui, dans les hymnes solaires égyptiens, seront
constamment comparés à l'or »3. Mais ces allusions sont fondées
plutôt sur une impression générale qui se dégage des textes
que sur une interprétation précise de ceux-ci. Ni Lepsius, ni
Berthelot4, ni Vernier, pour ne citer que les plus importants de
ceux qui ont étudié l'or dans l'ancienne Egypte, ne se sont
préoccupés de voir quel pouvait être le sens de son emploi.
Il nous paraît donc nécessaire de l'établir ici de manière un
peu claire, pour éviter l'impression fâcheuse que peut donner
une étude sur le symbolisme : celle de création personnelle de
l'auteur. Il est presque inutile de souligner que nous ne
prétendons nullement faire un travail définitif; il s'agit seulement
d'appuyer une interprétation sur quelques notices explicites.
Il n'est point douteux tout d'abord que l'éclat de l'or ait
contribué à le rapprocher du soleil5 et cela, sans doute, dès
les temps les plus anciens ; on lit aux pyramides :
Salut à toi, ô Rê,
En ta beauté et en ta perfection,
En quelque place que tu sois
Et en ion or-brillant.
§ 7066.
1) Frankfort, Kingship and the gods, 1948, p. 46 et 135.
2) A. de Buck, La fleur au front du grand-prêtre, Oudtestamentische Studien,
IX, 1951, p. 27, n. 37.
3) Joachim Spiegel, Das Werden der Altàgyptischen Hochkultur, 1953, p. 312.
4) Ce dernier a déjà soupçonné la signification symbolique de l'or, dans
l'étude qu'il fit d'un étui, en partie d'or, appartenant au Musée du Louvre ; voir
Archéologie et histoire des sciences, 1906, p. 25 : « Le choix de l'or et de l'argent
semble dû à des motifs théologiques : l'or répondant au soleil et l'argent à la
lune, conformément à la notation astrologique et alchimique. »
5) Des indications sont déjà données par Groff, Le soleil levant, Les couleurs
du soleil ďapres les anciens Égyptiens, Le Caire, Imprimerie Nationale, 1896,
p. 12-14 (réimprimé dans Œuvres diverses, Bibl. Égypt., série étrangère). Mais
Groff n'a pas cherché à classer chronologiquement ses documents, ni à interpréter
le sens de l'or.
6) Voir Sethe, Obersetzung und Kommenlar..., t. III, p. 294 et suiv.
4 REVUE DE L HISTOIRE DES RELIGIONS

Le parallélisme met bien en lumière que la perfection du


dieu . (nfrw) est liée dans l'esprit du rédacteur à l'or aux

,
deux tiers (s',wy), particulièrement brillant qui, pour lui,
compose le soleil. Mais, plus tard, les hymnes solaires
développeront davantage cette idée. Le fameux hymne à Rê au
chapitre XV du Livre des Morts, souligne les rapports entre
l'éclat de l'or et la naissance lumineuse du dieu :
Hommage à toi, qui te lèves dans Vor (nb)
Qui éclaira le double pays,
Au jour où tu fus mis au monde.
Lorsque la mère Veut enfanté sur <sa> main,
Tu as éclairé l'orbe du disque-solaire1.

On pourrait croire que ces allusions créent une identité


entre l'or (s',wy ou nb) et le soleil. Sous Aménophis III, en
tout cas, pour les architectes Souti et Hor, dont les idées
religieuses sont fort évoluées, l'or n'est qu'un signe de l'éclat
divin, bien loin de l'égaler, puisqu'on ne peut le connaître
pas plus qu'on ne peut regarder le soleil ; c'est cette pensée
déjà fort subtile qu'ils expriment dans ces vers, assez
mystérieux au premier abord :
Lorsque tes rayons sont dans les yeux
On ne peut les connaître :
L'électrum (d'm)2 n'est rien auprès de ton éclat3.

Ils ont emprunté textuellement ce passage au Livre des


Morts où on le retrouve dans le papyrus d'Ani4.
Le ciel lui-même est d'or lorsqu'en lui resplendit le dieu5.
Et l'on sait combien chaque fois qu'il s'agit du saint des
saints de Karnak, dans les inscriptions de Thoutmosis III,
par exemple, le nom de l'or revient souvent. Aussi le roi,

1) Budge, Book of the Dead, Text., p. 43. Exemplaire d'Ani.


2) Pour ces équivalences, voir Kees, Mgypten, 1933, p. 131.
3) La dernière publication contient une abondante bibliographie : Varille,
В IF АО, XL I, 1942, p. 25 et suiv. Les vers que nous citons sont à la ligne 2 de
la stèle.
4) Budge, Book of the Dead, Text., p. 41.
5) Hymne à Amon de Leyde, Zeitschrift fur œgyptische Sprache, t. 42, p. 19.
LA VALEUR DE LOR DANS LA PENSEE EGYPTIENNE Э

dieu lui-même, substitut de Rê, auquel il sera assimilé après


sa mort, est-il dit : « Une montagne d'or qui éclaire tout pays,
comme Celui de-l'horizon1. »
On voit comment, de proche en proche, tout ce qui touche
au soleil : le ciel, l'horizon, le roi, sont d'or eux aussi et
empruntent au soleil son éclat. Cette vieille idée qui a sans
doute sinon pris naissance, du moins reçu sa forme
dogmatique à Héliopolis, a subsisté, bien longtemps après la
disparition de la pensée égyptienne, dans les doctrines alchimiques
qui attribuaient un métal, comme symbole, à chaque planète
ou élément du système solaire. L'or correspondait au soleil2
qui le produisait sous la terre.
L'or donc constituait d'abord la matière solaire, puis il
en était devenu le symbole et rayonnait sur ce qui entourait
le dieu comme le ciel et l'horizon ou sur celui qui était dieu
par naissance, le roi3.. Il ne Pétait pas seulement par son
rayonnement, mais aussi par son caractère inaltérable. Ici
aucun texte égyptien à notre connaissance ne nous renseigne
directement. Mais la notion était commune dans l'ancien
Orient. On sait comment le poète des Thrènes a exprimé en
un langage magnifique le caractère inouï de la destruction de
Jérusalem : Гог a-t-il pu changer !
Comment !'
Il s'est terni le vieil or, Vor si fin !
{Thrènes, IV, R)

1) Lepsius, Denkmàler, III, 223 b.


2) Berthelot, Collection des alchimistes grecs, Introduction, Paris, 1888, p. 77.
3) Proclus, Commentaire sur le Timée, 14 b, cité par Berthelot, Les origines
de l 'alchimie, 1885, p. 48-49. Ouoixèç ó xpucràç *<*i apyupoç... ànb tôSv oùpavtojv
êv y?) çfaxai 6euv... Aéysxat y°^v 'HXiou y.h> ó xpua&ç, SsXtjvtjç Se ó acpyupoç.
Nous ne pouvons évidemment entrer ici dans l'histoire de la fusion de ces
doctrines, à l'époque tardive „ avec les conceptions de l'Asie antérieure (surtout
Mésopotamie et Iran). Pour nous en tenir à l'Egypte, on sait combien de fois les dieux
promettent au roi, quand il leur offre des métaux ou des pierres précieuses, de
les « faire pousser » pour lui dans les montagnes.
4) 3*113" ппэп
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T •• Nous avons donné la traduction A: Gelin
(Bible de Jérusalem) qui suit la correction proposée par Kittel de ntot» v • • en jw\
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difficulté vient du verbe tny qui est un hapax. Les Septante et la Vulgate
ajoutent le verbe « changer » devant « l'or si fin ».
6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

L'exclamation initiale, en. anacruse, est destinée à faire


ressortir encore l'invraisemblance d'un fait pareil. Pline, du
reste, insiste sur ce qui fait, à ses yeux, la valeur de Гог :
« Unique parmi les éléments, nous dit-il, il ne subit point de
perte sous l'action du feu... bien mieux, plus souvent on le
met au feu plus il s'améliore1. » On trouve de nombreuses
allusions à cette propriété qui avait frappé les anciens et, si
aucun document égyptien ne nous en a transmis la remarque,
le fait est dû très probablement à ce qu'une grande partie de
la littérature égyptienne a disparu. Une série d'allusions
pourtant nous sont parvenues où l'on discerne bien que telle
était aussi la conception égyptienne. Elle concerne les matières
dont est fait le corps des dieux2. L'or constitue leur chair.
Qu'on nous dise de Rê, dans le Livre de la vache du ciel3,
que « ses os étaient d'argent et ses chairs d'or », nous pouvions
nous y attendre d'après ce que nous savions déjà. Les rois
héritiers et fils, au sens propre, du dieu soleil seront aussi
d'or comme nous le montre la légende racontant l'origine de
la Ve dynastie. Lorsque les rites funéraires royaux passeront
aux particuliers, ils seront; si l'on ose dire, solarises dans l'or :
« Ton corps est enrichi d'or »4, récite-t-on devant la momie
de Nebséni. Mais, ce qui montre bien que l'éclat seul n'entrait
pas en ligne de compte, mais aussi l'incorruptibilité, apanage
des corps divins, c'est qu'Osiris aussi a un corps d'or5. Parmi
les dieux nombreux qui, dans les cryptes de Dendara,
possédaient une statue en or, on spécifie bien qu'Isis a une image
dont « les os brillent en argent, la chair en or ; elle a une

1) Pline, Hist. Nat., XXXIII, 19. Dans le corpus alchimique attribué à


Jabir, où l'on trouve l'écho de toutes ces spéculations gréco-orientales, on lit
aussi : « Tous les corps (= métaux) doivent être réduits à la nature de Гог, vu
qu'il possède une nature équilibrée », dans P. Kraus, Jâbir ibn Hayyân, Le
Caire, 1942, t. II, p. 2.
2) Une précieuse note de Lefebvre (Romans et contes..., Paris, 1949, p. 87),
au passage du Papyrus Westcar (10, 10 et suiv.), qui décrit les nouveau-nés
divins de Redjdjedet, donne une bonne partie des références. ■
3) Maystre, BIFAO, XL, p. 59. Pour la légende de la naissance royale
d'Ouserkaf et de ses successeurs, voir Lefebvre [livre cité à la note précédente)
ou Maspero, Contes populaires, 4e éd., p. 38-41.
4) Budge, Book of the Dead, Text, p. 444.
5) Budge, op. cit., p. 14, 6-7 et Mariette, Abgdos, II, 51, 2.
LA VALEUR DE L OR DANS LA PENSEE EGYPTIENNE 7

coudée de haut, c'est une forme mystérieuse и1. Et ici nous


possédons des indications du plus haut intérêt sur le caractère
sacré que revêtait l'or ainsi compris. Elles ont été données
dans le fameux texte des mines d'or de Rédésyah2 : « Quant à
Гог, c'est le corps des dieux ; il ne fait point partie de vos
besoins. Gardez-vous de dire ce que dit Rê au commencement
de ses paroles : « Ma peau est d'électrum pur. » II faut sans
doute voir dans ce très curieux- passage une protestation
royale ou émanant des cercles théologiques entourant le roi,
contre le désir que pouvaient avoir certains particuliers de
s'assurer pour l'au-delà des statues ou des sarcophages d'or
imitant ainsi jusqu'à son extrême limite la coutume funéraire
royale qui voulait assurer l'indestructibilité du mort en lui
octroyant un corps dans la matière même dont était fait le
corps des dieux. L'or a quelque chose de si sacré que les
particuliers doivent se contenter d'une divinisation posthume
par participation et non comme le roi-dieu, par essence3.
Aussi les statues d'or étaient-elles en principe réservées
aux dieux : « J'ai mis au monde (msy.î) leurs (= des temples)
dieux selon leur forme sainte (m kî.sn šps) en or fnb), argent
et toutes pierres précieuses dans les demeures de l'or. » C'est
en ces termes que Ramsès III décrit au papyrus Harris (47, 2)
les soins qu'il a pris des statues divines dans les grandes villes
du royaume. Sur les murs des temples ptolémaïques, on nous
rappelle constamment que Гог, sous l'une ou l'autre de ses
formes, fait briller le corps des dieux. Au sanctuaire de

1) Dendara, V, p. 123, 1. 2.
2) Donné par Sander-Hanpen, Bibliotheca œgyptiaca, IV, 27. Voir aussi
les corrections proposées par Gardiner et Gunn (The temple of the Wâdy
Abbâd, JEA, 4, 1917, p. 242 et sq.), d'après la comparaison des publications de
Lepsius et de Golénischeff.
3) C'est en ce sens seulement qu'on rejoindrait le commentaire de Kees qui
y voit poindre « le sentiment que Гог ne contribue pas au bonheur de l'homme »
{JEgypten, p. 129). Il faudrait plutôt en rapprocher dans les spéculations
alchimiques, l'interdiction de toucher la pierre philosophale : cf. le manuscrit grec
cité par Berthelot, Les origines de Г alchimie, p. 172. L'or était aussi interdit
dans le XII» nome de Haute-Egypte : voir Weil, dans BIFAO, XLIX, 1950,
p. 61-62. Mais il faudrait réétudier les textes et les faits signalés par R. Weil,
en les mettant aussi en rapport avec la répugnance à toucher l'or décrite par
Chnouté, cf. ici-même, p. 1 n. 4.
8 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Dendara, on insiste sur le fait que « Ses (= Hathor)


reproductions augustes parfaites sont figurées à l'intérieur de son naos,
sculptées parfaitement en lui, recouvertes d'or, brillantes de
couleur1. » II est tentant de voir une intention dans l'écriture
même dumotm/c, l'ancien b\k, qui évoque par jeu graphique, le
verbe mkï « protéger », l'or, élément divin par excellence,
protégeant de sa présence les statues conservées dans le temple.
Les inscriptions placées* dans les salles du trésor, à Edfou
ou à Dendara, sont parfois assez explicites pour que, à la
lumière de ce que nous savons déjà, nous puissions interpréter
le sens des formules condensées qu'elles nous présentent2 :
« Je t'amène Amou3, la falaise4 de Tor-brillant (s\wy). Je
<Г> offre à ta face parfaite pour qu'elle éclaire ton naos5.
Il orne ton habitation et ses rayons illuminent Maa-Hor6. Il
donne de l'or-pur7 pour ton siège, pour faire briller ta statue
de culte, pour parachever les statues de ton Ennéade. Il
t'apporte de Г or-brillant8, solide en tes statues pour <les>
enfanter. » Les deux qualités de l'or et leur signification sont
bien marquées dans ce texte. Il illuminera le naos, ciel où
réside Horus, assimilé au soleil. Il fera paraître sa statue de
culte comme le soleil. Mais aussi cet or perdurable (rwd),
matière aussi durable pour les anciens que la chair des dieux,
va, en entrant dans la composition des statues selon les règles,
leur donner la vie divine. Voilà pourquoi est employé le verbe

p\ que le Dictionnaire de Berlin a rangé sous deux mots
distincts parce que, au premier abord, on ne voit pas le
rapport entre deux sens aussi différents que « luire » et « mettre
au monde ». Pourtant, c'est bien le même mot et la même
chose vus sous deux angles différents.

1) Dendara; I, 34. Parallèles : I, 31, 32, 33 ; IV, 156, etc.


2) Edfou, II, 289.
3) Gauthier, Dictionnaire géographique..., Ill, 8.
4) тпй. Comparer l'écriture de ce mot au duel, Edfou, I, 46.'
5) Dans l'écriture du mot « sanctuaire » figure un vase -пои inexplicable.
6) Un nom du temple d'Edfou, Gauthier, op. cit., III, 8.
7) C'est le même mot que l'hébreu ппэ qui signifie surtout « or pur » ;
cî.Dhorme, Job, p. 373 et 420.
8) Voir plus haut, p. 4. n. 3.
LA VALEUR DE L'OR DANS LA PENSÉE ÉGYPTIENNE 9

A Dendara, dans la première des chambres qui entourent


le sanctuaire à l'est, on nous précise que « les statues de culte
vénérable (ššmw-ntr wrw) sont gravées en son intérieur selon
les prescriptions utiles de Sia (m šsrw ',hw n SI]), ornées d'or-
brillant (s\w\), luisant (p* pf ) comme les rayons solaires ;
sa .vue est plus éclatante que son ciel. (Dès que) le ba de
Celui-qui-brille-en-or les a vues, il vole vers elles en dilatation
de cœur. Il embrasse ses statues de culte sur les murs »4 Le
processus de la vivifieation des statues nous est ici bien
décrit. Il est d'abord nécessaire qu'elles soient conformes au
canon sacré2. Ensuite l'or, dont elles sont composées ou
couvertes (très souvent elles seront seulement peintes en jaune
qui, symboliquement, est la couleur de l'or), par sa similitude
avec la matière solaire, attire le regard du ba divin qui peut,
dès lors, se reposer en ces corps vraiment dignes de lui et
auxquels son embrassement procure la vie divine. Le pays de
Héhé qui apporte l'or, à Dendara. également3, ajoute un
renseignement à ceux qui nous sont déjà fournis : « Semen4 vient
te faire un présent chargé d'or-brillant (s)wy) comme il doit
être (m irw. f) pour approvisionner le siège parfait en
perfection, pour fondre ta statue — sem dans la demeure de l'or. »
Une réglementation rigoureuse présidait, on le voit, à la
vérification de l'or et à la confection des statues divines que l'on
fondait dans la « demeure de l'or » appelée aussi « atelier des
orfèvres » situé à Dendara, à mi-hauteur de l'escalier Ouest
et s'ouvrant par trois baies dans la cour de Vouabilb.
Le travail technique de la fonte avait-il bien lieu dans la
demeure de l'or ? Il est difficile de le dire avec certitude. Ce
qui est certain, par contre, c'est que les rites transformant
les statues en corps divins y étaient certainement pratiqués.

1) Dendara, II, 73.


2) Indications semblables, entre autres, Dendara, IV, 112; V, 109. Avec
Thot, au lieu de Sia, ibid., IV; 58 ; V, 108, etc.
3) Mariette, Dendérah, I, 71, 2.
4) Autre désignation de Héhé.
5) Ces trois baies sont bien visibles au-dessus de la porte dans Dendara, I,
pi. XXXVII.
10 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Or ils nous intéressent au premier chef pour connaître


exactement jusqu'où les Égyptiens avaient poussé le symbolisme
du métal précieux. Le terme même de « demeure de l'or »
remonte aux plus hautes époques, et l'on doit faire remonter
aussi la symbolique de l'or au temps des pyramides, sans que
pour cela on doive lui faire donner nécessairement, à un stade
si ancien, le développement complet que nous exposons à
l'aide de documents bien postérieurs. Il est dit aux Textes
des pyramides1 : « Ta bouche est ouverte par Douaou dans
la demeure, de l'or. » Bien que peu explicite, cette notice a
l'avantage de nous mettre sur la voie des rites pratiqués dans
cette salle. Ces renseignements sont abondamment complétés
par la suite. Séhétépibrê, sous Amenemmès III, nous apprend
qu'il a « rempli la fonction de Fils-qu'il-aime dans la direction
de la demeure de l'or et dans les mystères du seigneur d'Aby-
dos »2. Vraisemblablement, ce haut personnage a tenu le rôle
d'Horus et a pratiqué, dans la demeure de l'or, le rite de
l'ouverture de la bouche sur la momie ď Osiris. Ce texte nous
permet d'inférer que les renseignements fournis tardivement
par le temple de Dendara3 et par beaucoup d'autres
monuments4, s'appliquent au moins au Moyen Empire. Osiris avait
annexé la demeure de l'or qui était devenue une salle de ses
sanctuaires.
Il n'en continue pas moins à demeurer une partie
importante de tous les grands temples où étaient parachevées
statues divines, royales et humaines. Ce fait nous est attesté par
le papyrus Harris, où Ramsès III, résumant son œuvre
religieuse dans l'Egypte entière, dit aux dieux : « J'ai travaillé
pour vous dans les demeures de l'or avec or, argent, lapis-
lazuli et turquoise5 » ; ailleurs encore : « J'ai travaillé à leurs

1) Sethe, Pyramidentexte, § 1329.


2) Catal. gén. Musée Caire, Lange et Schxfer, Grab- und Denksteine, II,
148. Le texte est reproduit dans Sethe, Lesestucke, p. 68.
3) Mariette, Dendérah, IV, 75, col. 1-2 et 35-36.
4) Voir Gauthier, Diet. Géog. s. v. Ht-nb.
5) Bibliotheca aegyptiaca V, Pap. Harris 57, 7 = Breasted, Ancient Records,
IV, 178.
LA VALEUR DE L'OR DANS LA PENSEE ÉGYPTIENNE 11

( = des dieux) statues dans les demeures de l'or1. » Un passage


de La grande inscription dédicaioire ď Aby dos, précise encore
ces conceptions. La statue semble être sculptée ailleurs que
dans la demeure de l'or, mais elle doit y être transportée au
moins pour être « mise au monde » et devenir ainsi « capable »
du ba qui doit l'animer. C'est peut-être en effet ce que désigne
le mot rh. n. /2 employé si curieusement ici : « Sa statue
(sšm) gisait à terre ; elle n'avait point été mise au monde
fmsl) comme une statue (rh. n. f) de la demeure de l'or3. »
Nous ne pouvons songer à faire ici une étude de la demeure
de l'or. Mais son importance pour notre sujet demanderait
au moins que soit éclairci son nom. Il nous semble qu'on peut
le faire d'abord en tenant compte de la valeur toute
particulière que les Égyptiens attachaient au nom4. Si le mot or
a servi à désigner le lieu où l'on « mettait au monde » les
statues, c'est qu'il jouait lui-même un rôle essentiel. Ce rôle
ne peut découler que de sa valeur symbolique. Nous sommes
aidés ici par l'extension qu'ont prise les coutumes funéraires
en Egypte. Au Nouvel Empire au moins, ce ne sont pas
seulement les temples qui possèdent une demeure de l'or, ni
même les tombeaux royaux5 ; les particuliers aussi avaient la
leur6, et c'est ce qui nous vaut de pouvoir faire une hypo-

1) Grand Papyrus Harris, 60, 6 = Breasted, ibid., IV, 182.


2) Voir Wôrterbuch, de Erman et Grapow, H, 445, 11, avec des références
auxquelles il faut ajouter : Pap. Harris, 29, 4 (où notre mot est parallèle à sšm-hw
« statue de culte »), de Rougé, Inscript, hiérog., XIX b et notre texte.
3) Dans Gauthier, La grande inscription dédicatoire d'Abydos, Bibl. d'Études
de VIFAO, t. IV, p. 5-6. Mais la traduction de cette phrase donnée aussi
par Gauthier en 1911, dans Z. A. S., t. 48, p. 56, ne saurait être maintenue.
4) Lefébure, Limportance du nom chez les Égyptiens, Sphinx, I, 1896, p. 93-
112.. Les villes n'échappent pas à cette conception abondamment illustrée pour
les hommes, p. 99. Sur des idées analogues chez des peuples de culture tout à
fait différente de la nôtre, voir P. Tempels, La philosophie bantoue, Paris. 1949,
p. 72-75. Le nom y est analysé avec une rare pénétration et une réelle profondeur.
5) Voir, pour Séti Ier par exemple, Lefébure, Les hypogées royaur de Thèbes...,
fasc. 2, pi. II ; autre mention, ibid., pi. VIII. Pour Ramsès II, Champollion,
Notices descriptives, I, 417.
6) Robb de Peyster Tytus Memorial Series : Davies, The Tomb of Puyemrê,
1922-23. II, pi. LXXI ; Id., The Tomb of two sculptors, pi. XXI et 46-47.
Publications of the Egyptian Expedition (Metropolitan Museum) : Davies, The tomb
of Kenamun, pi. LXIII. Egypt Exploration Society,. Theban Tombs series :
The tomb of Menkheperrasonb, pi. XXXVII. The tomb of Huy, pi. XXXV et
12 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

thèse sur elle, car ils nous ont transmis quelques


représentations des rites qu'on y pratiquait. Aucune d'entre elles n'offre,
toutefois, les détails et la clarté de celles que l'on trouve dans
la tombe de Sennefer, complétée par celle de Rekhmirê1. Sous
le berceau de vigne de son caveau, à droite en entrant,
Sennefer et la maîtresse, de maison Meryt reçoivent de leur fils,
revêtu de la peau de panthère rituelle, une lustration au
moyen de la cruche-nemsei2. La représentation ne laisserait
pas soupçonner qu'il s'agit du début des rites pratiqués dans
la demeure de Гог, si l'inscription ne disait textuellement :
« Première fois de mettre le défunt sur la colline de sable dans
la demeure de l'or, sa face étant vers le Sud, sa nuque sur
terre, au jour de l'enveloppement de sa nuque. Paroles à dire
quatre fois : Purifiés, purifiés, TOsiris, noble, prince, Sennefer
juste de voix et la dame de maison Meryt. » La présence du
même texte au début de l'ouverture de la bouche chez
Rekhmirê3 ne permet aucun doute sur l'identification du rite qui
est représenté et, narré plus précisément encore sur un des
piliers de Sennefer4. On y voit le défunt debout sur une colline
de sable à l'intérieur de laquelle est posé un signe analogue
à celui des coupes d'albâtre veiné. Trois autres de ces signes,
renversés cette fois, sont placés au-dessus de sa tête, sans
doute parce que le rite doit être exécuté en tout quatre fois.
A la main il tient un bâton très particulier qui porte quatre
protubérances dirigées vers le bas. « Une plaque dorée couvre

The tomb of two officials, pi. XV et XXV, ainsi que l'introd., p. 16. Il y en a de
nombreux autres exemplaires inédits ou anciennement publiés et peu
utilisables. Davies a compté plus de cinquante tombes contenant le rituel de
l'ouverture de la bouche : The tomb of Rekhmirê (Metropolitan Museum), New York,
1943, p. 75, n. 13.
1) La tombe de Sennefer, n° 96, connue sous le nom de tombe des vignes,
a été publiée par Virey, dans les t. XX, XXI et XXII du Recueil de travaux;
Pour Rekhmirê, il faut consulter la publication de Davies précédemment citée.
2) Recueil de travaux, XXII, 1900, p. 84. Photographie (malheureusement
en simili-gravure, ce qui ne permet pas l'étude des détails) dans Capart, Thèbes,
1925, p. 332. On trouvera les parallèles dans Schiaparelli, Libro dei Funerali,
Turin, 1882, p. 22-23.
3) Davies, The tomb of Rekh-mî-Rer..., pi. GVII, 1er reg. en bas.
4) Recueil de travaux, XXII, p. 91. Les représentations similaires sont
énumérées à la note 9 de la p. 11.
LA VALEUR DE L'OR DANS LA PENSÉE ÉGYPTIENNE 13

ses épaules1. » Autour de lui, le ptérophore en chef, deux


ptérophores et le prêtre-sem font les aspersions avec la cruche-
nemset. Mais les cruches-decheret et hesel, posées sur des
guéridons dans la scène qui fait face, montrent qu'on faisait ces
aspersions plusieurs fois. Le sens de l'ensemble ne nous est,
évidemment pas expliqué, mais un certain nombre de détails,
tels la colline de sable — sur laquelle a eu lieu l'apparition
de Rê au commencement — les vasques où l'eau de lustration
tombe et d'où ressortira la statue purifiée, l'or dont ses épaules
paraissent couvertes évoquent l'assimilation du défunt à Rê, le
soleil d'or, s'élevant de lui-même, hors du Noun primordial sur la
colline de sable. Le défunt recouvert de l'or éclatant et
impérissable, chair de Rê, est ainsi identifié au dieu. C'est par l'or
qu'il l'est, et c'est pourquoi cette salle est la demeure de l'or.
Que la salle du sarcophage, dans les tombeaux royaux,
se soit appelée la maison de l'or2, ne nous surprendra pas
maintenant. Et vraisemblablement, ce n'est ni parce qu'elle
contenait beaucoup d'or, ni parce qu'elle était peinte d'un
jaune épais3, qu'on la nommait ainsi. Les Égyptiens donnaient
d'habitude un nom à une salle de temple ou à un monument
non point- pour désigner un accident particulier de sa
construction, mais bien pour caractériser essentiellement son rôle.
Si la salle du sarcophage est peinte en jaune c'est parce que,
grâce à l'éclat de l'or, que le jaune traduit, sera facilitée la
renaissance du roi, assimilé au soleil, se couchant en Nout
et renaissant d'elle, comme l'astre, sans cesse. Ici la
démonstration n'est plus à faire ; ce point est tout à fait clair déjà
dès les textes des pyramides. Les Nout dés tombeaux royaux,
du cénotaphe de Seti Ier à Abydos, des couvercles de
sarcophage n'ont pas de rôle plus capital que celui-là4. Ce que nous

1) Virey, dans Rec. de trav., XXII, p. 92.


2) Papyrus de Turin, Journal of Egyptian Archaeology, 4, 1917, pi. XXIX
et Daressy, Un plan égyptien d'une tombe royale, Bévue archéol., 1898, p. 239.
3) Journ.-of Eg. Archaeol., 4, 139 et Badawy, Le dessin architectural chez
les anciens Égyptiens, Le Caire, 1948, p. 237 et 243.
4) Voir les publications des tombeaux royaux, mais aussi A. Piankoff, Le
livre du Jour et de la Nuit, Biblioth. Études I F A O, t. XIII ; la démonstration
de la renaissance solaire du roi est reprise dans Frankfort, Kingship and the
14 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

enseignent ces figurations sur le plan de la mythologie et la


théologie, les rites pratiqués dans la demeure de l'or
l'appliquent complètement et retendent à tous les hommes.
Nous comprenons maintenant les allusions volontairement
voilées de Pétosiris quand il dit à demi mot : « Je donnai
de l'argent, de l'or, toutes sortes de pierres précieuses
véritables, je fis plaisir aux prêtres, j'exécutais ici toutes espèces
de travaux dans la demeure de l'or et mon cœur se complaisait
en eux. Je rendis sa splendeur à ce que j'avais trouvé
manquant et je remis en état ce qui était en souffrance
auparavant et ne se trouvait plus en sa place1. » Pétosiris ne tient
pas à dire trop clairement en quoi a consisté son action pour
rétablir la sainteté des rites en un lieu aussi important. Nous
ne pouvons le deviner que grâce aux indiscrétions de quelques
tombes thébaines et en rapprochant leurs données de ce que
nous savons par ailleurs. Khnoum lui-même, le modeleur
divin, travaillait dans la demeure d'Osiris et il est appelé à
Philae : « Khnoum, celui qui modèle sur le tour, modelant
le corps divin d'Osiris dans la demeure de l'or en vie2. » Le
mot important,- ici, est bien celui qui termine cette courte
notice : « En vie. » L'or vivifie, puisqu'il est matière divine.
C'est sans doute pour cela aussi que le sanctuaire du temple
d'Apit, à Karnak, s'appelait la demeure de l'or3. Peu à peu
la vie divine que l'or communiquait, le faisait étendre ses
conquêtes et il apportait à la naissance d'Osiris l'appoint de
son incorruptibilité, image de l'éternité.
N'allons pourtant pas croire que ce sont seulement des
spéculations tardives qui nous ont transmis ce symbolisme.
Nous avons vu, chemin faisant, que, beaucoup de traits
remontent fort haut. Des allusions, qui nous auraient semblé

gods, 1948, p. 168 et sq. Nous avons dû revenir sur ce sujet pour expliquer Trois
représentations de Nout à Dendara, Annales du Serv. des Ant. Egypte, t. LI,
1951, p. 375-378.
1) Lefebvre, Le tombeau de Pétosiris, Le Caire, 1923 ; inscr. 81, 1. 42 et suiv.
2) Bénědite, Le temple de Philae, 1895, p. 126, 4-5. Texte contrôlé sur une
photographie personnelle. "
3) Rochemonteix, Œuvres diverses, p. 290, dans Bibliothèque égyptologique,
t. II.
LA VALEUR DE ťOR DANS LA PENSÉE ÉGYPTIENNE 15

obscures tantôt, viennent maintenant corroborer la doctrine


qui se dégage des textes. « Je sculptai mon père dans l'or à
nouveau, dès la première année de mon avènement », nous
dit Ramsès II1 qui se vante, dans la même inscription, d'être
« Celui qui modèle (kdw) qui l'a modelé, celui qui met au
monde qui .l'a mis au monde, celui qui fait vivre le nom de
qui Га engendré »2, faisant allusion peut-être à tout ce qu'il
a fait au temple de son père, mais surtout à la confection
de sa statue d'or. Aussi les amis royaux peuvent-ils dire au
monarque : « Joyeux est le cœur de Merenptah, car son nom
est vivifié à nouveau ; tu l'as façonné en or et en pierres
précieuses véritables3. » Seule, la valeur vivificatrice de l'or
peut expliquer encore un passage du décret de Ptah pour
Ramsès II gravé à Abou-Simbel : « Quand je te vois, mon
cœur jubile et je te saisis dans un embrassement d'or4. » La
joie du dieu à la vue de Ramsès se manifeste par un don
immédiat de vie par « embrassement d'or », exactement
comme la lumière solaire touchant la statuette d'Hator, à
Dendara, sur le toit du temple, lui rendait, la vie divine par
un embrassement d'or. Mais il était réservé au tombeau de
Pétosiris, si précieux à tant d'égards, de nous expliquer le
mécanisme même de la régénération de la vie par le soleil.
Sur la paroi Sud, au fond de la chapelle, le registre médian
est occupé par le dieu Khépri, sous forme de scarabée, posé
sur un double palais et couronné. Il est protégé par Nekhbet
et Ouadjit. Nul doute que le dieu qui « devient », qui se
renouvelle sans cesse, ne soit là pour apporter au ba du mort,
perché près de lui, la vie divine. Isis, placée derrière ce ba
s'adressant au dieu, lui dit : « Tu renouvelles la vie au moyen
de l'or qui sort de tes membres5. »

1) Gauthier, La grande inscript, dédie. ďAbydos, col. 49 (cf. Zeitsch. fur


œgyptische Sprache, 48, 1911, 58).
2). Ibid., col. 21.
3) Ibid., col. 63.
4) D'après Reinisch, Chresthomathie, pi. 13, 1. 7, corrigé au moyen du
duplicata de Medinet Habou. Voir Breasted, Ancient Records, III, p. 174 et Rœder,
Urkunden zur Religion der alien JEgypter, p. 158 et suiv.
5) Lefebvre, Le tombeau de Pélosiris, inscr. 94, pi. LU.
16 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

* **
Nul doute ne peut rester maintenant sur la signification
symbolique de l'or dans la pensée des anciens Égyptiens. Nous
n'avons point à poursuivre notre enquête à travers les
représentations figurées ou la littérature. Elle serait infinie. Mais
il faut remarquer en passant quelques faits qui s'expliquent,
semble-t-il, de manière très claire. Quand Hathor est appelée
« l'or (nb) des dieux », il n'y faut pas voir un simple jeu de
mots sur le nom de la déesse qui était la « Dame (nbl) » de
beaucoup de lieux sacrés. Le nom exprime ce qu'il y a de
plus essentiel dans l'être. L'or des dieux, c'est la mère des
dieux. L'antique Hathor céleste retrouve ainsi le rôle
cosmique qu'elle dut avoir très tôt et que lui attribuent encore
les bandeaux extérieurs sud du grand temple de Dendara. Le
signe de l'or que l'on voit figurer souvent, à l'époque tardive
surtout, sous le signe du million et qui est inscrit de tout
temps sous les cartouches royaux, est ainsi un facteur de
durée infinie et de nature divine. La couleur jaune, substitut
de l'or, qui flamboie si souvent dans les tombes royales et
qui domine si nettement dans la niche axiale de la salle du
sarcophage chez Ramsès VI, par exemple, a la même valeur
et doit être étudiée dans ce sens. On voit les répercussions
multiples de ces remarques. Dans l'application d'une idée, les
anciens Égyptiens allaient. jusqu'à l'extrême limite de ses
conséquences. Il faut donc étudier avec grand soin tous les
cas particuliers d'application. Outre les renseignements qu'ils
nous donneront sur l'emploi de l'or ou de ses substituts,
couleur ou signe, ils nous permettront de mieux saisir la
psychologie égyptienne et de comprendre dans une certaine mesure
sur quels principes ils fondaient leur connaissance.
Les revêtements d'or de leurs monuments, qu'ils
s'appliquent aux statues divines seulement ou aux bas-reliefs
représentant l'allaitement ou la naissance, ou bien aux
colonnes végétales qui représentent le développement de la
vie, deviennent maintenant très clairs et ce n'est pas un pur
LA VALEUR DE L'OR DANS LA PENSÉE ÉGYPTIENNE 17

étalage de richesse que recherchaient les décorateurs, mais


l'apport vital, immuable et éternellement jeune du divin
métal qui, dans beaucoup de cas, n'était même pas vu des
profanes.
Enfin, nous avons constaté, chemin faisant, que la vieille
pensée égyptienne, qui voyait dans l'or le corps même du
soleil, ce qui lui permettait de durer indéfiniment sans s'altérer
et d'infuser la vie divine, a trouvé bien plus tard un écho chez
les alchimistes grecs. Avant eux, même, il serait bon de
chercher si la Grèce n'a pas connu et utilisé ces spéculations.
Platon et Pindare, pour ne prendre que deux exemples, ne
semblent pas les avoir ignorées. Et il ne paraît pas trop hardi
de prétendre que l'usage de l'or dans la liturgie catholique
peut devoir à ces lointaines conceptions quelque chose de son
origine.
Il n'est donc pas vain de les étudier et leur connaissance
n'est pas seulement utile pour approfondir notre intelligence
de l'Egypte antique, mais aussi pour mieux saisir ce qu'elle
a donné à des civilisations plus proches de la nôtre et
auxquelles nous devons tant.

Dendara, le 23 novembre 1955.


François Daumas.

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