critique acérée de l’idée selon laquelle
l’homme serait naturellement juste.
Si vous mettiez la main sur un anneau
permettant de devenir invisible, ne
seriez-vous pas immédiatement enclin
à commettre une injustice ? Sur le point
de mourir, accepteriez-vous l’offre qui
vous permettrait de survivre à condition
que cent innocents meurent ?
L’ouvrage rejoue ainsi les disputes les
plus célèbres qui animent les œuvres de
Diderot, de Hobbes, de Rousseau ou
encore de Sade. Céline Spector remet
en vigueur la problématique cruciale
de l’injustice dont le traitement philo-
sophique contemporain oscille entre
naïveté et irresponsabilité. L’injuste n’est
pas seulement un parasite inoffensif qui
contribue trop peu à la société. Il existe
bien d’autres personnages plus offensifs
et monstrueux que ceux décrits par
les théories actuelles de la justice. Les
insensés les plus féroces considèrent
qu’ils sont dans leur droit en étant
violents. Ils mettent sauvagement en
question le discours du sage qui prétend
détenir le monopole de la légitimité en
matière de justice.
Néanmoins, l’écoute attentive de leurs
argumentaires, aussi raisonnés que
déraisonnables, laisse poindre une
esquisse de diagnostic. L’injuste est
­toujours celui qui, aveuglé par un type de
droit, en manque un autre. Les monstres
cruels qui ne croient qu’à la force brute
raisonnent ainsi selon les seuls critères
du droit naturel. Ils oublient alors la
nécessité d’un autre droit artificiel,
réglementant les puissances d’agir qui
sinon s’entre-détruiraient. Comme
Socrate l’indiquait déjà, l’aveuglement
pathologique des injustes peut donc
être guéri. Il faut patiemment éduquer
et pointer les contradictions logiques de
celui qui a de mauvaises justifications.
En montrant à l’injuste, dans chaque
cas, qu’il glorifie à tort un type de droit
et que, par là, il se contredit, on pourra
peut-être progressivement contribuer à
le soigner.
Daniel Adjerad
Qui vivra qui mourra.
Quand on ne peut pas
sauver tout le monde
Frédérique Leichter-Flack
Albin Michel, 2015,
208 p., 16 €
Cet essai traite la problématique
des choix extrêmes en situation
­exceptionnelle, du point de vue de
la littérature comparée, en explorant
un corpus de fictions (romans, séries,
productions holly­woodiennes) et de
témoignages, ainsi que des cas d’étude
d’éthique médicale. La question de
base est clairement posée au début de
­l’ouvrage  : « Qui doit vivre quand tout le
monde ne peut pas vivre ? Qui sauver quand
on ne peut pas sauver tout le monde ? »
La démarche de Frédérique Leichter-
Flack consiste d’abord à cerner les
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