1. Considérations introductives
Sans ignorer ces différents points de vue, nous partons du présupposé selon lequel
la qualité de la télévision ne peut être définie qu’à partir des caractéristiques, du
domaine d’action et des fonctions de ce mass media et, surtout, du type de produit
véhiculé.
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Professeur docteur du programme de troisième cycle (pós-graduação) en communication de l’Université
Fédérale de Santa Maria (UFSM), Brésil ; Chercheuse niveau 1C du Conseil National de Développement
Scientifique et Technologique (CNPq) ; Titulaire d’un post-doctorat en télévision de l’Université Paris III
– Sorbonne Nouvelle ; Directrice de la Collection Estudos sobre o audiovisual [Études sur l’Audiovisuel]
de la maison d’édition Sulinas.
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La télévision est un média qui vit de la consommation des produits qu’elle met sur
le marché, aux caractéristiques éminemment discursives : c’est une industrie de textes
construits à partir de la grammaire du télévisuel, dont les normes les plus générales sont
la sérialisation et la fragmentation conséquente de ses récits ; la mobilisation et
l’articulation de différents langages sonores et visuels pour son expression,
surdéterminées par les moyens techniques de production, diffusion et consommation de
ces récits. Ainsi, la qualité de ces produits que sont les programmes télévisuels est en
lien avec : la compétence et la créativité au niveau de la structuration et la réalisation de
leurs récits, en dépit des thèmes abordés ; les ressources discursives et expressives
utilisées pour leur manifestation ; les technologies employées pour qualifier leur
réalisation, diffusion et consommation, en considérant les fonctions qui ont donné à la
télévision sa notoriété – loisirs, information, éducation ; l’approbation et la
consommation nécessaires de son public cible, les téléspectateurs. Quant aux aspects
éthiques ou esthétiques de cette production, ils sont difficiles à évaluer dans la mesure
où ils varient selon les cultures et les idéologies.
Dans le contexte brésilien où la télévision est née en tant qu’entreprise privée régie
par les lois du marché, ces questions auraient pu passer inaperçues si les chaînes de
télévision (gratuites) ne vendaient pas des espaces commerciaux pour subvenir à leurs
besoins – des espaces à la valeur proportionnelle à l’audience obtenue par une chaîne à
un horaire donné. D’où l’importance d’offrir au marché télévisuel des produits de
qualité, capables de susciter l’intérêt et de conquérir le téléspectateur, en comptant si
possible sur l’assentiment de la critique spécialisée. Dans ce mouvement circulaire, la
qualité supposée des produits est avant tout la conséquence de cette logique
économique, qui vise à les rendre compétitifs sur le marché télévisuel étant donné que la
structuration commerciale des réseaux et chaînes de télévision dépend de l’audience.
production télévisuelle de la chaîne tout entière, nous centrons notre réflexion sur les
produits fictionnels dans le but de mesurer les interférences de l’incorporation de ces
transformations les plus récentes dans son organisation narrative, dans la définition des
procédures discursives adoptées et, finalement, dans la qualité de ses produits et dans la
grammaire des formes d’expression du télévisuel.
2. Le contexte énonciatif
Les chaînes de télévision ne peuvent pas être pensées comme de simples émettrices
ou stations de retransmission : elles sont avant tout des énonciatrices, constructrices
d’une identité qui cherche à se manifester de façon cohérente et séductrice. À aucun
moment on ne peut oublier que la télévision désire et a besoin d’être assistée. Elle vise à
conquérir et à maintenir l’attention des téléspectateurs parce que c’est cela qui assure sa
survie en tant qu’entreprise privée à la recherche de profits. C’est la raison pour laquelle
elle interpelle constamment le téléspectateur, l’invite à participer à son jeu
communicatif. Et comme seul un sujet peut interpeller d’autres sujets, elle doit se
constituer comme sujet, se doter d’une identité, d’une image et d’une marque.
Finalement, il lui faut se construire discursivement et stratégiquement en tant
qu’énonciatrice.
Mais la tâche n’est pas simple, car le processus communicatif télévisuel comporte
différents niveaux de sujets énonciateurs : l’instance représentée par l’entreprise
commerciale, régie par une logique économique et donc en quête de profits ; l’instance
institutionnelle, chargée de missions dans l’espace public et institutionnellement
responsable des informations diffusées ; l’instance représentative de la marque, toujours
en concurrence avec les autres chaînes via ses programmes et sa programmation ;
l’instance de réalisation, représentée par les sujets qui font partie de l’équipe de
production/réalisation des programmes ; l’instance discursive, qui peut inclure des
énonciateurs énoncés, des acteurs discursifs qui opèrent dans le texte télévisuel. C’est le
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Organizações Globo : Organisations Globo. Au réseau RGT sont associées Globo Filmes (entreprise
cinématographique), Rede Globo Internacional (diffusion internationale), Globo Marcas (branding et
publicité), Globo Video (vidéos sur Internet), TV Globo Minas (station de télévision dans l’état de Minas
Gerais), TV Globo Brasília (station de télévision à Brasília), TV Globo Nordeste (station de télévision à
Recife), TV Globo Rio de Janeiro (station de télévision à Rio de Janeiro) et TV Globo São Paulo (station
de télévision à São Paulo).
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Son siège administratif est situé dans la zone sud de Rio de Janeiro, dans le quartier
Jardim Bôtanico – là où se trouve également sa section journalisme. Mais ses principaux
studios de production se situent sur le site Projac à Jacarepaguá, dans la région ouest de
la ville. Elle possède également des studios de production à São Paulo (Vila Cordeiro),
où se trouve aussi sa section journalisme qui transmet une partie de la programmation
du réseau.
Sis.com, qui permet la vente d’espaces commerciaux en ligne et rapproche les clients de
l’entreprise ; et le SIM, système d’informations de médias, qui permet aux entreprises
associées et aux agences de construire leurs propres plans média. Ces innovations et les
gains qu’elles ont engendrés donnent encore plus de poids à la norme de qualité visée
par la chaîne.
Avec une équipe dirigée par des cadres compétents et composée des meilleurs
professionnels du marché dans chacun de ses domaines d’activités, la chaîne fonde son
succès sur le contrôle permanent et la diffusion de la norme Globo de qualité. Pour ce
faire, elle dispose de :
(4) Des technologies de pointe – Les gros investissements effectués par la RGT dans
les technologies de l’information lui ont permis d’occuper la première place sur le
marché des médias et de la communication. Cette stratégie lui assure une information
diffusée en toute sécurité, des transactions commerciales via Internet, des procédures
administratives automatisées et une mobilité au niveau de la transmission des données.
Le recours à la technologie de l’information ultramoderne est observable dans
plusieurs secteurs de la chaîne. À titre d’exemples : (a) la connexion par fibre optique
numérique à grande vitesse pour l’échange de documents et l’interrelation entre des
systèmes d’information, qui permet réunir le travail des journalistes des chaînes de Rio
de Janeiro, São Paulo, Brasília, Belo Horizonte et de plus de 30 affiliées ; (b) depuis
1998, la transmission en haute définition (HDTV), qui offre une image de
meilleure qualité ; (c) depuis 2007, la numérisation des images de la TV et la mise à
disposition du signal de télévision numérique dans 27 villes brésiliennes, qui ont
augmenté la qualité et le champ d’action ; (d) le fonctionnement de dix unités mobiles
(UMS), totalement numérisées, qui assure une meilleure qualité de production,
transmission ou génération de contenu virtuel ; (e) le backlot numérique, qui donne la
possibilité d’agrandir virtuellement les décors et de produire des environnements
virtuels à partir de la saisie de lieux réels et l’utilisation de plus d’une caméra ; (f) le
Globocop, un hélicoptère très sophistiqué, totalement numérique et HDTV, qui garantit
une chasse à l’information rapide et précise ; (g) la télémétrie, un système qui permet
d’accompagner les battements cardiaques, la vitesse de déplacement, les distances
parcourues et autres informations des sportifs pendant les compétitions ; (h) la plate-
forme d’accès à iNews, à Internet et aux services du réseau corporatif, qui offre un
soutien et plus d’agilité aux équipes de rédaction ; (i) le Scout, un système de
statistiques qui enrichit les transmissions de matchs de football en fournissant des
données pour orienter les analyses des commentateurs et présentateurs ; (j) le
développement d’une technologie interactive, qui assure l’utilisation de plusieurs
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mécanismes de vote via le téléphone fixe, le portable ou Internet ; (k) la mise en place
du système de vérification de l’interactivité (SAI), par lequel les informations
transmises à la chaîne sont mises à disposition du directeur du programme ; (l) le
panneau de contrôle du produit, qui permet au producteur d’accéder aux informations
les plus importantes pour la gestion d’un produit (dates de diffusion, statut de
l’enregistrement des scènes, statut de la post-production, versos de textes et
d’enregistrement, situation des enregistrements du jour, etc.).
nombre sur les marchés internationaux. Il est vrai que depuis plusieurs années la RGT
mise massivement sur la production fictionnelle en général et les feuilletons
(telenovelas) en particulier, le produit phare de la chaîne. Aujourd’hui, elle diffuse
quotidiennement cinq feuilletons et est considérée comme étant l’une des plus grandes
productrices de feuilletons de la planète. Pour en être arrivée là, elle compte sur : les
écrivains, scénaristes, directeurs et producteurs les plus compétents du pays ; une équipe
de techniciens hautement qualifiés pour les saisies d’images, le montage, l’édition ; un
casting permanent de célébrités, acteurs et présentateurs ; et des équipes de
professionnels – les équipes de production de la chaîne – capables d’apporter la qualité
nécessaire à ces produits fictionnels pour les insérer dans sa grille de programmes. En
somme, il s’agit surtout de donner une identité à tous les produits réalisés par la chaîne
afin que le spectateur sache d’emblée qu’il a devant lui une production Globo.
Le modèle traditionnellement adopté par la Rede Globo pour structurer ses récits
fictionnels s’appuie sur : la sérialisation, qui oblige à fragmenter les récits en chapitres,
en épisodes et en ensembles de scènes ; la fragmentation des chapitres et/ou épisodes
en blocs pour intégrer les espaces commerciaux, ce qui exige des stratégies pour
entretenir le suspense ou l’envie impérieuse d’en savoir plus à chaque pause
publicitaire, chapitre ou épisode ; l’adéquation des récits au public du prime-time ; les
transpositions de sens d’un média à un autre, issues des appropriations de contenu
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opérées dans la construction de ces récits qui récupèrent des textes véhiculés par
d’autres médias et procèdent à des adaptations, des remakes ou à des références à
d’autres discours ; l’adoption du principe de l’œuvre ouverte, c’est-à-dire débuter un
récit télévisuel sans en connaître encore le dénouement final, ce qui permet d’apporter
des corrections et/ou des altérations pendant le développement du texte.
Avec la réussite du réseau au cours des années, la Rede Globo a même incorporé à
tous ses produits une manière de faire de la télévision introduite par l’Équipe Guel
Arraes : un type de télévision unanimement salué par la critique et le public,
progressivement devenu la griffe de qualité de la chaîne et identifié au renouvellement
du langage télévisuel au Brésil. Ainsi, les autres équipes de production de la chaîne se
sont appropriées – parfois de façon grossière – du style, du ton et des stratégies
spécifiques de l’Équipe Guel Arraes, et les ont en quelque sorte banalisés.
S’ajoutent aux desseins de qualité et d’identité le fait que la chaîne, peut-être pour
se rattraper des années de connivence avec le régime dictatorial, tente visiblement
d’associer son image à la fois à une production télévisuelle d’avant-garde et à l’identité
nationale.
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Embauché par la RGT en 1981, Arraes a débuté en travaillant avec Jorge Fernando, un autre débutant, et
le déjà confirmé Roberto Talma à la direction du feuilleton Jogo da vida (1981), de Silvio de Abreu. Ses
succès professionnels lui ont valu des années plus tard d’être nommé directeur d’équipe de production de
la TV Globo.
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6. Considérations finales
Mais qu’en est-il des produits ? En vérité, la quête incessante du nouveau est en lien
avec un ensemble d’éléments : l’adoption d’une grille de programmes prédéfinis qui se
construit et se répète via la sérialisation, aussi bien sur le plan vertical qu’horizontal et
semaine après semaine ; un excès de fragmentation du fait de la sérialisation et de la
nécessité de réserver un espace aux publicités, au marketing social et aux bandes-
annonce de la chaîne ; l’adoption indifférenciée de toutes les stratégies discursives de
l’Équipe Guel Arraes ; la rapidité avec laquelle le développement technologique se
traduit dans le contexte des programmes ; la rapidité avec laquelle ces produits sont
créés, qui confère au texte des caractéristiques très particulières. On assiste à une
superposition et à une imbrication de différents noyaux thématiques dans la tentative
d’aborder pédagogiquement des questions sociales importantes ; il y a un nombre
excessif de personnages et une substitution évidente de l’intégrité, de la globalité, de la
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systématisation ordonnée par la fragmentation. D’autre part, les limites entre les
programmes et les textes intervallaires sont imprécises et il existe un recul des limites
des récits causé par les possibilités d’interaction avec le téléspectateur/usager.
goût du public. Il arrive même que soient réécrits ou modifiés les derniers épisodes de
ces récits en fonction des préférences du téléspectateur.
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