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PINGOUD, Adrien Germain. Le traducteur face à la dimension culturelle de la
traduction : analyse comparée des traductions allemande et russe du roman
Russendisko de Wladimir Kaminer. Master : Univ. Genève, 2020
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:133105
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Adrien Pingoud
Université de Genève
Janvier 2020
1
Remerciements
Mes remerciements vont également à Madame Claire Allignol pour son soutien
lors de mes empoignades avec le russe, à Madame Irina Ivanova pour m’avoir
mis le pied à l’étrier, ainsi qu’à Monsieur Lance Hewson, qui a inspiré mon
intérêt pour la traductologie.
J’adresse aussi mes remerciements à ma famille et à mes amis, sans qui rien
n’aurait été possible, en particulier ma mère Karin Pingoud pour son soutien
inconditionnel, Marie-Hélène Pingoud Brasey pour sa relecture attentive,
Denise Hofer pour ses précieux commentaires et Dafne Carrasco pour ses
encouragements constants au cours de ses trois dernières années.
3
Tout argument contre la traduction
se résume en un seul : elle n’est pas
l’original.
Georges Mounin
4
Table des matières
1. Introduction……………………………………………………….…………..7
2. Traduction et culture………………………………….………………….……8
3. Approche théorique………………………...………………………………..20
4. Méthodologie………………………………………….……………………..26
5
5.1. Biographie de Wladimir Kaminer……………………………..……33
7. Conclusion…………………………………………………………………...86
8. Bibliographie……………………………………………………………...…90
6
1. Introduction
La traduction littéraire est souvent pour le traducteur un espace de liberté et de
créativité, mais c’est également un domaine complexe où des problèmes parfois
inattendus peuvent surgir, notamment en raison des différences entre la réalité
culturelle représentée dans le texte source et celle connue par le lectorat cible.
En effet, tout individu possède sa propre vision du monde, qui passe par le filtre
de la langue et de la culture. Le traducteur, qui est par essence un médiateur
interculturel, est continuellement confronté dans son travail aux limites de sa
langue et de ses références culturelles. Certaines expressions de la langue source
sont-elles « intraduisibles » ? Comment traduire tel ou tel événement culturel qui
n’a pas d’équivalence dans la langue cible ? Quels sont les choix opérés et les
stratégies adoptées par le traducteur pour rendre intelligible une culture ou un
contexte étranger au lecteur ? Ces questions sont fondamentales en traductologie
et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me pencher sur ce vaste champ de
recherche qui associe traduction et culture.
Comme on peut le constater, le traducteur fait sans cesse face dans son travail à
différentes réalités culturelles. L’objectif de ce mémoire consiste ainsi à
examiner les conséquences de cette confrontation dans le cas des traductions
russe et allemande du roman Russendisko. Je souhaite également mettre en
évidence la relation de coexistence et de concurrence entre les Encyclopédies et
tenter de déterminer leur influence sur les traductions. Je souhaite finalement
examiner si le concept d’Encyclopédie recèle un intérêt pratique pour analyser la
confrontation culturelle qui est au cœur de toute traduction littéraire.
2. Traduction et culture
Traduire la dimension culturelle d’un texte a toujours représenté un défi majeur
pour le traducteur. Il s’agit en effet d’une opération primordiale dans la
communication entre les cultures et l’un des moyens privilégiés pour
comprendre l’Autre, ses représentations du monde et ses mœurs. La traduction
joue un rôle crucial dans cette transmission. Paul Bensimon a ainsi pu dire que
« depuis les temps les plus anciens, la traduction est un des moyens essentiels de
8
la communication interculturelle, et l’un des modes majeurs du croisement des
cultures » (Bensimon 1998 :10).
1
CUCHE, Denis, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La Découverte, 2010
2
« Une théorisation donc qui fasse appel aussi à la philosophie, à la littérature (entendue ici
dans son acceptation traditionnelle), à l’anthropologie, à la psychanalyse, à la biologie, à la
sociologie, à la politique… Car la traduction est croisement. Croisement dans l’homme et
entre les hommes. Croisement donc, entre les cultures » (Cordonnier 1995 :10).
9
de l’actualité du thème et la réflexion traductologique sur la culture offre encore
de nombreux champs inexplorés.
Selon Michel Ballard (2005), la culture n’a acquis son sens moderne qu’au XIXe
siècle :
3
BASSNET, Susan, « The Translator as a Cross-Cultural Mediator », in : The Oxford
Handbook of Translation Studies, dirigé par Kirsten Malmkjoer et Kevin Windle, 2011,
Oxford Handbooks Online, 94-107
10
Dans cette définition, Michel Ballard souligne le fait que la culture est un
phénomène avant tout créatif, visible et matériel, mais également que cette
notion ne concerne pas uniquement les grands groupes humains.
« Elle désigne les modes de vie d’un groupe social : ses façons de sentir,
d’agir ou de penser ; son rapport à la nature, à l’homme, à la technique et à la
création artistique. La culture recouvre aussi bien les conduites effectives que les
représentations sociales et les modèles qui les orientent (système de valeurs,
idéologies, normes sociales…). »
Dans cette définition, Jean-René Ladmiral met l’accent sur l’aspect intangible et
immatériel de la culture, qui est visible dans les comportements d’un groupe
donné et dans sa vision du monde, plutôt que dans les objets qu’il produit.
« En ce qui nous concerne, nous nous référons ici au sens aujourd’hui très
répandu de modes de vie et de pensées communs à une communauté donnée, et
qui conduisent les individus appartenant à cette communauté à agir dans
certaines situations sociales d’une façon commune ».
Déterminer les fonctions d’un texte acquiert ainsi une importance capitale pour
parvenir à une traduction adéquate. Katharina Reiss et Hans Vermeer sont parmi
les premiers à avoir développé cette réflexion dans leur théorie du skopos4. Ces
chercheurs soulignent que la traduction doit être effectuée en fonction du public
et de la culture cible. Le texte source perd en importance en faveur du texte
cible, qui devient l’objet principal de la traduction. L’approche linguistique, qui
met au premier plan le concept d’équivalence, est ainsi rejetée. Jean-Louis
Cordonnier rapproche cette recherche de l’équivalence à de l’ethnocentrisme :
« The problem of defining equivalence remains central to the field, but the
emphasis has shifted away from endeavouring to see equivalence in terms of
sameness between languages, and more towards exploring ideas of equivalent
effect » (Bassnet, 2011 :95).
4
REISS, Katharina et VERMEER, Hans, Grundlegung einer allgemeinen
Translationstheorie, Tübingen : Niemeyer, 1984
12
Susan Bassnet souligne alors l’importance de prendre en compte ces deux
contextes (source et cible) pour parvenir à une traduction adéquate :
Cependant, certains désaccords sont apparus parmi les chercheurs quant à cette
analogie entre langue et culture, cette langue-culture dont le concept a été
formulé par Henri Meschonnic5 en 1973. Parmi ceux-ci, Serge Rolet :
« Les travaux qui portent sur la traduction des cultures ne prennent pas le risque
de prétendre récuser Saussure. Ils maintiennent néanmoins, quelques fois
jusqu’à une totale confusion, l’analogie entre la culture et la langue, alors que,
manifestement, en termes saussuriens6, ce qui peut être traduit appartient
exclusivement à la parole » (Rolet 2012 :888).
Serge Rolet critique ainsi les Cultural Studies qui mettent en avant la langue
comme porteuse de sens. Selon lui, la langue est plutôt un système qui permet de
faire passer le sens. « La langue elle-même ne se traduit pas » (2012 :88),
poursuit-il, car « c’est l’exécution qu’on peut traduire, non le schéma »
(2012 :88).
Selon lui, c’est précisément cette fusion entre langue et culture qui est
responsable de la difficulté de traduire l’aspect culturel d’un texte et propose
5
MESCHONNIC, Henri, Pour la poétique II, Paris : Gallimard, 1973
6
Dans son Cours de linguistique générale (1915), Ferdinand de Saussure différencie le
langage (la faculté de pouvoir communiquer au moyen de signes) de la langue (un système de
signe particulier à un groupe) et de la parole (l’usage effectif de signes pour communiquer
dans un contexte donné).
13
plutôt de la rattacher à la parole. Finalement, Serge Rolet critique le terme de
culture, qu’il considère comme « opaque », même s’il admet que, en dehors de
ce qu’il appelle « l’approche multiculturaliste », l’idée d’une traduction des
cultures reste d’un grand intérêt (2012 :892).
7
BERMAN, Antoine, L’Épreuve de l’étranger : Culture et traduction dans l’Allemagne
romantique, Paris : Gallimard, 1984
14
cultures, ni même des langues-cultures : on traduit des textes ! C’est pourquoi il
faudra faire le choix d’une traduction cibliste » (1998 :26).
Jean-Louis Cordonnier décrit ensuite les modes de traduire européen, qui ont été
largement influencés par la découverte américaine (1995 :11) et qui se fondaient
sur une perception ethnocentrique du monde. Les spécificités culturelles des
textes sont gommées au profit d’une interprétation qui met en avant la culture
cible. Jean-Louis Cordonnier nomme ce phénomène la traduction-annexion et
estime que cette pratique s’est développée lors de la constitution des États-
15
Nations européens et des langues-cultures nationales. Il appelle alors à rejeter
cette pratique ethnocentrique et introduit le concept d’ouvertude8.
Cet ethnocentrisme s’est toutefois révélé avoir des effets positifs, en contribuant
à la constitution des différentes cultures européennes (Cordonnier 2002 :41).
Cependant, la tâche assignée à la traduction a évolué :
8
Le traducteur qui adopte cette attitude s’efforce de sortir de l’ethnocentrisme hérité du passé
et s’engage à apporter à sa culture des éléments nouveaux qui permettront d’améliorer les
relations interculturelles (Cordonnier 2002 :47).
9
Ce type de retraduction doit mettre en avant la différence culturelle et remplacer les
traductions ethnocentriques du passé qui ne sont plus acceptables aujourd’hui (Cordonnier
2002 :47).
16
Étant donnée la complexité du phénomène culturel, de nombreux chercheurs ont
plaidé pour une approche multidisciplinaire de la notion de culture en traduction.
Jean Delisle (2014) a par exemple souligné l’intérêt d’une approche
sociologique de la question (2014 :40). Il décrit dans sa recherche les différentes
fonctions de la traduction et met en évidence « la place et l’importance qu’elles
occupent au sein d’une société et entre les sociétés ». Constatant l’apport fécond
de la sociologie de Pierre Bourdieu en traductologie, il introduit alors le concept
de sociotraduction, qui doit permettre aux traducteurs de délaisser une approche
purement linguistique au profit d’une analyse qui englobe également les enjeux
sociétaux de la traduction (2014 :55).
17
« […] le degré de méconnaissance de la culture étrangère est directement
proportionnel au degré de résistance de la traduction. Plus cette méconnaissance
est grande et plus cette résistance l’est aussi. On peut dire également que plus
l’implicite culturel étranger est méconnu de la part du destinataire de la
traduction, plus les possibilités de solutions de la traduction sont réduites pour le
traducteur. En fait, les résistances à la traduction révèlent l’état des interactions
culturelles » (Cordonnier 1995 :56).
Corinne Wecksteen note ainsi que « […] la traduction des référents culturels
révèle, de manière exacerbée, toutes les difficultés auxquelles le traducteur est
confronté » (2005 :122).
18
« As a member of a sociocultural group, readers are expected to know about the
values that are relevant in their societies and necessarily interpret a text against
this background. Where there is a conflict of values, there may be conflicts in
the communication process » (2012 : 1).
3. Approche théorique
Le présent chapitre sera consacré à présenter les divers concepts qui sont au
fondement de ce travail. Il s’agit en particulier du concept d’Encyclopédie
élaboré par Umberto Eco (1984) et approfondi par Lance Hewson (2012), de
l’approche interprétative de Jean-Jacques Lecercle (1999) et de la méthode de
critique des traductions élaboré par Lance Hewson (2017).
« Nous pensons […] que l’on doit postuler une langue L qui contienne, parmi
ses règles de signification, des instructions pragmatiquement orientées. Si cela
était impossible, on aurait tout au plus un dictionnaire de L, très rigoureux mais
insuffisant pour rendre compte des signifiés situationnels » (Eco 1984 :75).
10
Umberto Eco emploie le concept de « l’encyclopédie » sans utiliser de majuscule. Cette
notion étant centrale dans mon travail, j’emploierai systématiquement la majuscule à l’instar
de Lance Hewson (2012), afin de la différencier du substantif ordinaire.
20
Ces « instructions » sont précisément ce que fournit l’Encyclopédie. On peut le
voir dans la situation suivante : quand une femme commande un café à un
serveur, elle ne s’attend pas à se voir apporter un seau d’un litre. L’employée et
la cliente partagent des connaissances situationnelles encyclopédiques qui leur
permettent de se comprendre, alors que ces informations ne sont pas présentes
dans l’expression « j’aimerais un café ». Selon Eco :
L’Encyclopédie joue donc un rôle clé chez Umberto Eco. Il la définit comme un
« postulat sémiotique », c’est-à-dire un principe qui guide la représentation des
signes des systèmes signifiants. Chaque individu possède sa propre
Encyclopédie, qui est un vaste ensemble regroupant les informations, les
images, les signes qui lui permettent de se représenter le monde.
22
On peut alors poser différentes hypothèses concernant l’image que se fait le
traducteur de l’Encyclopédie de son lecteur et des stratégies qui en découlent.
Lance Hewson (2012 :51-53) définit quatre cas de figure : dans le premier cas,
le traducteur ne tient pas compte des diverses Encyclopédies en jeu et traduit
sans prendre le temps de déterminer celle de son lectorat cible. Dans le second
cas, le traducteur estime que son lecteur modèle ne possède pas les entrées
requises dans son Encyclopédie. Le traducteur dispose alors de différentes
stratégies (notes de bas de page, réécriture, etc.) pour pallier ce manque. Dans le
troisième cas, le traducteur postule que son lecteur possède les informations
encyclopédiques nécessaires. Le traducteur n’explicite alors aucune référence du
texte source, cependant cette situation est potentiellement risquée dans la mesure
où le lecteur pourrait parvenir à une interprétation erronée du texte original, ses
entrées encyclopédiques pouvant être insuffisantes. Le dernier cas concerne la
traduction spécialisée, quand un expert écrit pour des experts. Le traducteur n’a
alors pas besoin de déterminer l’Encyclopédie de son lectorat cible, étant donné
que celui-ci possède les connaissances scientifiques lui permettant d’interpréter
le texte source.
Ainsi, toutes les interprétations sont envisageables et l’on peut faire dire ce que
l’on veut à un texte. Dès lors, lorsque le traducteur construit son interprétation
du texte source, il ne doit ainsi pas viser l’interprétation vraie, qui est une tâche
23
impossible, car infinie, mais plutôt parvenir à un éventail d’interprétations
« justes » :
Le traducteur se doit donc de rejeter les interprétations qui ne suivent pas les
contraintes imposées par l’Encyclopédie et la langue. Le critique, lui, doit éviter
la comparaison infinie des textes en jeu et des différentes interprétations mais
rechercher les différentes possibilités et les limites qu’offrent ces textes et
interprétations (Hewson 2011 :23). Le concept d’Encyclopédie est ainsi
particulièrement intéressant, car il permet de comparer le potentiel interprétatif
du texte source et de sa traduction et d’examiner s’ils véhiculent des pistes
interprétatives similaires. En effet, certaines traductions, qui peuvent paraître
étonnantes ou discutables, trouvent parfois leur sens (ou leur explication) en
tenant compte de la problématique de l’Encyclopédie. Le but de ce travail sera
alors d’examiner dans quelle mesure les choix du traducteur permettent de
conduire à une interprétation « juste » selon la définition de Jean-Jacques
Lecercle.
11
« […] si la critique veut dire analyse rigoureuse d’une traduction, de ses traits
fondamentaux, du projet qui lui a donné naissance, de l’horizon dans lequel elle a surgi, de la
position du traducteur ; si critique veut dire, fondamentalement, dégagement de la vérité
d’une traduction, alors il faut dire que la critique des traductions commence à peine à
exister » (Berman, 1995 :13-14).
24
Lance Hewson rejette également la polémique sourcier/cibliste12, qu’il estime
improductive. Il souligne de même qu’un projet de traduction ne relève que
rarement du seul traducteur. En effet, ce dernier n’est souvent pas celui qui met
le point final au texte et les interventions de l’éditeur ou du réviseur peuvent
avoir une importance significative dans le projet final (Hewson, 2016 :19). C’est
pourquoi la critique des traductions doit tenir compte de ces « manipulations »
(Hewson, 2011 :13).
« The critic’s task is particularly arduous, as she is faced with a text – the
translation – which takes on a life of its own in the target culture, while
simultaneously representing the source text, and its interpretative potential. The
critic’s undertaking becomes one of comparing the interpretative potential of the
two texts, in other words giving some indications of the nature of the
interpretations that they encourage » (Hewson, 2011 :23).
12
Pour la position de Lance Hewson sur ce sujet, consulter Sourcistes – cibliers (Hewson,
2004)
25
4. Méthodologie
Dans son ouvrage (Hewson, 2011 :24), Lance Hewson présente six différentes
étapes de la démarche du critique. La première consiste à récolter les données
entourant l’œuvre sélectionnée. Toutefois, l’objet de ce travail n’étant pas
d’effectuer une critique des traductions, je vais me limiter à un rapide examen
des éléments principaux afin de mettre en évidence le contexte de l’œuvre et de
ses traductions.
Dans la cinquième étape, Lance Hewson propose d’effectuer une synthèse des
résultats sur le plan macrostructurel. Cette partie sera également réduite, car il ne
s’agit pas de juger une traduction dans son ensemble, mais d’effectuer une
analyse de certains éléments spécifiques à la lumière du concept
d’Encyclopédie. Je n’utiliserai donc pas les catégories de « similarité
divergente », « divergence relative », « divergence radicale » et « adaptation »
élaborées par Lance Hewson (2011 : 181-183) et ne porterai ainsi pas de
jugement sur la nature des traductions russe et française de Russendisko, comme
le propose Lance Hewson dans sa sixième et dernière étape. Je m’efforcerai
plutôt de saisir si et dans quelle mesure le concept d’Encyclopédie permet
d’expliquer des choix traductifs surprenants.
« The aim is not to produce an interpretation per se, but to identify a limited
number of elements that appear to have particuliar importance when
interpretations are envisaged - and whose treatment by the translator is thus
deemed to be important. When the translation(s) in some way alter or transform
these elements, the critic will try to ascertain to what extent the translational
choices encourage divergent interpretations » (Hewson, 2011 :26).
Le critique a ainsi pour tâche de repérer les choix du traducteur qui peuvent
donner lieu à une interprétation différente du texte source. Élaborer un cadre
critique permet donc de donner un objectif à la recherche et à limiter son champ,
qui sinon serait potentiellement illimité.
Syntaxe :
13
Ces catégories sont tirées de l’ouvrage déjà cité de Lance Hewson (2011) que je traduis
librement, excepté les catégories de l’addition, la suppression, l’implicitation et
l’explicitation, qui proviennent de son article intitulé L’implicite : esquisse d’une approche
traductologique (2017).
28
adjectif).
Tournure verbale Le traducteur a procédé à une
modulation (exemple : une tournure
active devient passive).
Cette partie décrit les choix traductifs potentiels sur le plan du lexique :
Le traducteur a utilisé un
hyperonyme, c’est-à-dire un terme
plus général que le terme présent dans
le texte source (exemple : traduire
chat en langue source par animal en
langue cible).
Description Le traducteur a remplacé un terme ou
une expression par une description de
ses formes et fonctions (exemple :
traduire hamburger par sandwich à la
29
viande).
Adaptation culturelle Le traducteur a remplacé un élément
spécifique à la culture source par un
élément spécifique à la culture cible
(exemple : traduire fish & chips par
fondue au fromage).
Modification/modification radicale Le traducteur a remplacé un élément
du texte source par un élément en
langue cible qui n’a qu’un lien
sémantico-pragmatique ténu
(exemple : traduire cheval en langue
source par voiture en langue cible).
Cette partie décrit les choix traductifs potentiels sur le plan du cadre
linguistique :
30
Cette partie décrit les choix traductifs potentiels sur le plan stylistique :
Ici également un élément de la phrase peut être concerné par plusieurs de ces
catégories. Il convient encore de signaler que cette dernière liste n’est
évidemment pas exhaustive et que d’autres paramètres stylistiques pourraient
être ajoutés. Je n’ai retenu que les catégories les plus pertinentes dans le cadre
de ce travail.
Après avoir classé les observations tirées de la comparaison entre le texte source
et le texte cible, je ferai un premier bilan sur le plan microstructurel.
31
2011 :87) propose une grille qui permet de classer ces effets mésostructuraux. Je
m’en suis inspiré pour élaborer une grille adaptée à l’objectif de ce travail :
Les effets de voix apparaissent lorsque les choix traductifs produisent une
modification de la voix du narrateur et/ou de celle des personnages. Dans le cas
d’un accroissement, la voix est amplifiée, a plus d’intensité dans la traduction
que dans le texte original. Une réduction rend au contraire la voix plus discrète
et plus effacée. La déformation apparaît en particulier lorsque l’on constate une
modification du type du discours (Hewson, 2011 :85-86).
À côté des effets de voix, il existe également ce que Lance Hewson appelle
les effets d’interprétation. Ces effets apparaissent lorsque la traduction propose
soit des pistes interprétatives plus nombreuses et plus riches que le texte source
(expansion), soit des pistes plus limitées et moins riches (contraction). On parle
également de transformation lorsque les choix du traducteur permettent
l’émergence de pistes interprétatives différentes du texte source ou qu’elles
n’ont qu’un lien ténu avec ce dernier (Hewson, 2011 :86-87). Cette grille permet
ainsi de comptabiliser les effets prévisibles produits par la traduction et leur
accumulation dans les différents passages de l’œuvre sélectionnée.
32
semblent au premier abord incompréhensibles au moyen de ce concept et de
déterminer s’il peut avoir une utilité pratique. Il convient toutefois d’ajouter
d’emblée que tous les choix traductifs ne peuvent se justifier par l’Encyclopédie
et que le recours à cette notion sera appliqué au cas par cas. En effet, de
nombreuses raisons extérieures au seul traducteur peuvent entrer en ligne de
compte lorsque l’on constate un choix traductif surprenant ou questionnable :
contraintes linguistiques, erreurs de correction, oubli du traducteur,
modifications dues au réviseur ou encore interventions de l’éditeur lui-même,
qui dispose des pleins pouvoirs en ce qui concerne le contenu de la traduction et
qui n’est pas tenu de rendre des comptes au traducteur. Trouver une justification
pour l’ensemble des choix traductifs qui semblent questionnables ne peut
malheureusement entrer dans le cadre réduit de cette recherche, car cette
démarche nécessiterait un travail de plus longue haleine et impliquerait une prise
de contact avec l’auteur, les traducteurs et les maisons d’édition. Je me limiterai
donc à émettre des hypothèses sur l’Encyclopédie dans les cas où l’emploi de ce
concept me semble justifié.
14
« Obwohl jung, brachte ich es schnell fertig, alles Negative, was ein Bürger der
Sowjetunion nur anstellen konnte, zu akkumulieren. Ich war kein richtiger Russe, weil in
meinem Pass »Jude« stand, nicht Komsomolze, ein wenig Hippie und ein passiver
Dissident.». KAMINER, Wladimir, Militärmusik, München : Wilhelm Goldmann Verlag,
2001, p. 61
15
Die Tageszeitung, Nie am anderen Ufer angekommen, entretien avec Wladimir Kaminer
réalisé par Helmut Höge, 2000, consulté le 16.10.2019, https://taz.de/!1219028/
33
mouvement Neue Proletarische Kunst et se met à lire des textes dans les cafés
littéraires de Berlin16. Comme le souligne malicieusement Wladimir Kaminer, «
une enfance dans l’ex-URSS suffirait à transformer n’importe qui en écrivain17
». Ses anecdotes sur le régime soviétique et son ton ironique lui vaut ainsi une
large audience. En 2000 paraît alors son premier ouvrage, Russendisko, qui
connaît immédiatement un immense succès populaire18.
16
Ibid.
17
Café Babel, Wladimir Kaminer : Je m’en fous d’être un Russe modèle, entretien avec
Wladimir Kaminer réalisé par Prune Antoine, 2007, consulté le 18.10.2019,
https://cafebabel.com/fr/article/wladimir-kaminer-je-men-fous-detre-un-russe-modele-
5ae004f3f723b35a145dc5ee/
18
Plus de 1,8 millions de livres vendus, Spiegel Online, Guter Humor muss gefährlich sein,
entretien avec Wladimir Kaminer réalisé par Caroline Ischinger et Michael Sontheimer, 2005,
consulté le 16.10.2019, https://www.spiegel.de/kultur/literatur/interview-mit-wladimir-
kaminer-guter-humor-muss-gefaehrlich-sein-a-374900.html
19
Ibid.
20
«Но я вообще-то, не пытаюсь заключать в какие-то литературные рамки. Это рок-н-
ролл, свободная литература, возвращение к истокам. Просто рассказывается история,
от начала и, желательно, до конца». Deutsche Welle (Russie), Владимир Каминер,
русский-немецкий писатель, entretien avec Wladimir Kaminer réalisé par Iouri Veksler et
Efim Schuman, 2001, consulté le 18.10.2019, https://www.dw.com/ru/22082001-
%D0%B2%D0%BB%D0%B0%D0%B4%D0%B8%D0%BC%D0%B8%D1%80-
%D0%BA%D0%B0%D0%BC%D0%B8%D0%BD%D0%B5%D1%80-
%D1%80%D1%83%D1%81%D1%81%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BD%D0%B5%D0%BC%D0%B5%D1%86%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BF%D0%B8%D1%81%D0%B0%D1%82%D0%B5%D0%BB%D1%8C/a-351259
21
Südwest Presse, Bestsellerautor Wladimir Kaminer über Schrebergartenglück, entretien
avec Wladimir Kaminer réalisé par Marcus Zecha, 2016, consulté le 19.10.2019,
https://www.swp.de/suedwesten/staedte/goeppingen/interview_-bestsellerautor-wladimir-
kaminer-ueber-schrebergartenglueck-18167519.html
34
Pour Wladimir Kaminer, la question est tout d’abord d’ordre pratique : son
public est allemand et peu de gens lisent le russe en Allemagne 22. Mais pour
Wladimir Kaminer, l’important est surtout de transmettre un message, la langue
n’étant alors qu’un moyen d’y parvenir23: « Ein Sprachkünstler bin ich nie
gewesen, für mich ist die Sprache nur ein Werkzeug, ein Hammer, der mir hilft,
Verständigungsbrücken zu anderen zu schlagen. […] Und so haue ich auf mein
Deutsch, das bei weitem nicht perfekt ist, aber ausreicht, um sich damit
Gedanken über das Leben zu machen und sie zu Papier zu bringen 24 ».
C’est donc cette vision utilitaire de la langue qui lui a permis d’entamer sa
carrière d’écrivain germanophone. Wladimir Kaminer n’est-il alors qu’un
« artisan ordinaire25 » ? Le succès de ses livres auprès du public le dément.
22
«Семья моя, мои родители тоже живут здесь. Поэтому и писать я стал на немецком
языке. Собственно, это было решение практически подсознательное. Я стремился к
максимальному расширению круга возможной публики, и поэтому начал писать по-
немецки. […] Какая разница, в конце концов, на каком языке писать, главное, чтобы
кайф от этого был, чтоб кураж какой-то, чтобы люди читали. А язык – это уже дело
техники». Deutsche Welle (Russie), Владимир Каминер, русский-немецкий писатель,
entretien avec Wladimir Kaminer réalisé par Iouri Veksler et Efim Schuman, 2001, consulté
le 18.10.2019, https://www.dw.com/ru/22082001-
%D0%B2%D0%BB%D0%B0%D0%B4%D0%B8%D0%BC%D0%B8%D1%80-
%D0%BA%D0%B0%D0%BC%D0%B8%D0%BD%D0%B5%D1%80-
%D1%80%D1%83%D1%81%D1%81%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BD%D0%B5%D0%BC%D0%B5%D1%86%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BF%D0%B8%D1%81%D0%B0%D1%82%D0%B5%D0%BB%D1%8C/a-351259
23
« Language for me is merely a means of addressing the reader. It's only an instrument, like
a guitar for a musician. You can be a great guitar player, but if you've got nothing to say, it's
meaningless ». Words Without Boarders, An Intervew with Wladimir Kaminer, entretien avec
Wladimir Kaminer réalisé par Boris Fishman, 2003, consulté le 23.10.2019,
https://www.wordswithoutborders.org/article/an-interview-with-wladimir-kaminer
24
KAMINER, Wladimir, Ich mache mich Sorgen, Mama, München : Wilhelm Goldmann
Verlag, 2004, p. 12
25
«I am not a literary writer […]. I am an ordinary craftsman driven by curiosity, and I use
writing as a tool to explore many different aspects of life». Words Without Boarders, An
Intervew with Wladimir Kaminer, entretien avec Wladimir Kaminer réalisé par Boris
Fishman, 2003, consulté le 23.10.2019, https://www.wordswithoutborders.org/article/an-
interview-with-wladimir-kaminer
35
meine Geschichten, ja sogar Bücher mit diesen zusammengeklappten
wunderbaren Worten, die immer wieder neue Farben in die Sprache brachten26
».
En effet, Wladimir Kaminer forge sans cesse des mots composés étonnants dont
il parsème ses nouvelles : « Anders als in meiner Heimatsprache kann man im
Deutschen alle Worte zusammensetzen, Substantive mit Adjektiven verbinden
oder umgekehrt, man kann sogar neue Verben aus Substantiven ableiten. Dabei
entstehen völlig neue Redewendungen, die aber von allen sofort verstanden
werden27 ».
26
KAMINER, Wladimir, Ich mache mich Sorgen, Mama, München : Wilhelm Goldmann
Verlag, 2004, p. 12
27
Ibid.
28
Deutsche Welle, Kaminer : Kreuzfahrten sind eine seltsame Mischung aus Empathie und
Schweinerei, entretien avec Wladimir Kaminer réalisé par Paula Rösler, 2018, consulté le
21.10.2019, https://www.dw.com/de/kaminer-kreuzfahrten-sind-eine-seltsame-mischung-aus-
empathie-und-schweinerei/a-45149647
36
menschlicher Größe29 ». Cette philosophie volontiers fataliste lui permet ainsi de
mettre en évidence le ridicule des situations de la vie. Cette perception de
l’humour doit être relié à la vision de la littérature qu’a Wladimir Kaminer,
celle-ci devant rester un divertissement : « Quoi qu’il arrive, il me semble que la
littérature doit être un plaisir et un éclat de rire partagés. Cela ne veut pas dire
qu’on doit passer son temps à faire des textes autour de blagues potaches et des
histoires drôles, mais l’humour permet de faire passer beaucoup de choses entre
les êtres30 ».
29
Spiegel Online, Guter Humor muss gefährlich sein, entretien avec Wladimir Kaminer
réalisé par Caroline Ischinger et Michael Sontheimer, 2005, consulté le 16.10.2019,
https://www.spiegel.de/kultur/literatur/interview-mit-wladimir-kaminer-guter-humor-muss-
gefaehrlich-sein-a-374900.html
30
MOREL, Olivier, « Vents d’Est. Entretien avec Wladimir Kaminer », in : Berlin légendes
ou la Mémoire des décombres. Une capitale littéraire en rêveries et conversations, dirigé par
Olivier Morel, 135-150, Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, « Hors collection
», 2014, consulté le 20.10.2019, https://www.cairn.info/berlin-legendes-ou-la-memoire-des-
decombres--9782842924010-page-135.htm#
31
Scheinschlag, Russen in Berlin, Wladimir Kaminers Text-Sammlung Russendisko, compte-
rendu réalisé par Thomas Keith, 2000, consulté le 21.10.2019,
http://www.scheinschlag.de/archiv/2000/10_2000/texte/23.html
32
Deutsche Welle (Russie), Владимир Каминер, русский-немецкий писатель, entretien
avec Wladimir Kaminer réalisé par Iouri Veksler et Efim Schuman, 2001, consulté le
18.10.2019, https://www.dw.com/ru/22082001-
%D0%B2%D0%BB%D0%B0%D0%B4%D0%B8%D0%BC%D0%B8%D1%80-
%D0%BA%D0%B0%D0%BC%D0%B8%D0%BD%D0%B5%D1%80-
%D1%80%D1%83%D1%81%D1%81%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BD%D0%B5%D0%BC%D0%B5%D1%86%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
%D0%BF%D0%B8%D1%81%D0%B0%D1%82%D0%B5%D0%BB%D1%8C/a-351259
37
Wladimir Kaminer se permet une part de fiction, mais cherche avant tout à
décrire la réalité de la vie: «Ich sehe meine Aufgabe in erster Linie nicht darin,
mir etwas auszudenken, irgendwelche Gefühle zu imitieren, die ich selbst nicht
habe, über Menschen zu schreiben, die ich nicht kenne oder über Ereignisse, bei
denen ich nicht dabei war. Sondern ich versuche, mich mit der Realität und mit
der eigenen Vergangenheit auseinander zu setzen, um zu verstehen, was
eigentlich gewesen ist. Weil, wenn man die Vergangenheit nicht versteht, weiß
man auch von der eigenen Realität, von der Gegenwart nichts und hat Angst vor
der Zukunft33».
C’est la raison pour laquelle nombre des récits de Wladimir Kaminer sont
autobiographiques. La description de la réalité est ainsi au cœur de son œuvre.
« Il n'y a pas de fiction évidente, et d'où vient-elle, une fiction évidente, il faut l'inventer. Je
suis trop paresseux pour cela en tant qu'écrivain. C’est pourquoi j'essaie toujours de
travailler avec du matériel existant, vécu et vu, ou du moins entendu par moi. Il y a une faible
proportion de fiction : les années sont interchangées, les noms de famille sont également
généralement modifiés, mais pas tous. C'est tout. Tout le reste est pure vérité. Pas tout, mais
seulement une petite partie, parce que vous ne pouvez pas écrire toute la vérité », ma
traduction.
33
Deutsche Welle, Kaminer: Grass hat mich als Mensch beeinflusst, entretien avec Wladimir
Kaminer réalisé par Annabelle Steffes, 2015, consulté le 21.10.2019,
https://www.dw.com/de/kaminer-grass-hat-mich-als-mensch-beeinflusst/a-18378439
34
http://www.unesco.org/xtrans/bsresult.aspx?a=kaminer&stxt=russendisko&sl=deu&l=&c=&p
la=&pub=&tr=&e=&udc=&d=&from=&to=&tie=a, consulté le 21.10.2019.
38
qu’elle a également traduit une autre œuvre de Wladimir Kaminer, Küche
totalitär parue en 2015.
La traduction russe a elle été publiée en 2004 par la maison d’édition Новое
литературное обозрение (Novoe literatournoe obozrenie). Il est intéressant de
constater qu’elle est le fait de deux traducteurs, Irina Kivel et Nikolaï
Klimeniouk. Irina Kivel a traduit de nombreux ouvrages, notamment certaines
œuvres de Friedrich Dürrenmatt36, alors qu’il s’agit de la troisième production
de Nikolaï Klimeniouk, qui auparavant avait traduit deux livres pour enfant
d’Anne Möller37.
Sur la première page du livre figure un résumé humoristique du livre, une courte
biographie de l’auteur qui souligne l’origine russe de Wladimir Kaminer, ainsi
qu’une liste de ses autres ouvrages publiés par Wilhelm Goldmann Verlag. On
retrouve ensuite une page avec le nom de l’auteur et le titre du livre. Finalement,
la page suivante présente la table des matières avec les noms et les pages des
différents chapitres. Il n’y a aucune introduction, notes ou postface, ce qui n’est
guère étonnant puisqu’il s’agit d’une version de poche. À noter toutefois que la
version reliée en est pareillement dépourvue.
35
https://catalogue.bnf.fr/changerPage.do?motRecherche=clauss%2C+lucile&nbResultParPage
=10&afficheRegroup=false&affinageActif=false&pageEnCours=1&nbPage=5&trouveDansF
iltre=NoticePUB&triResultParPage=0&critereRecherche=0 , consulté le 21.10.2019
36
https://www.litmir.me/a/?id=49530, consulté le 21.10.2019
37
http://maxima-library.org/year/bl/52587?layout=author, consulté le 21.10.201921
38
Ma traduction.
39
La couverture française reprend le design de la version allemande. Elle diffère
uniquement par l’apposition d’une bande horizontale jaune, sur laquelle est
inscrit en noir le nom de l’auteur et le titre. Le quatrième de couverture précise
qu’il s’agit d’une traduction et donne le nom de Lucile Clauss. Ce commentaire
est suivi d’un résumé de l’œuvre qui met en avant l’humour de Wladimir
Kaminer. À noter que rien n’est précisé concernant le style de l’auteur,
contrairement à la version allemande. On trouve finalement une petite
biographie de Wladimir Kaminer rappelant son succès et ses origines
soviétiques, ce qui permet de faire le lien avec la page de couverture.
La traduction russe propose une couverture qui diffère des versions allemande et
française. Elle montre en gros plan une cassette qui semble faire référence au
titre. Le nom de l’auteur est écrit en russe, alors que le titre a conservé sa
graphie latine. Il est par ailleurs intéressant de noter que le titre n’a pas été
traduit, que ce soit dans la version française ou dans la version russe. Le
quatrième de couverture de la traduction russe est extrêmement concis et ne
propose qu’une biographie de quelques lignes de Wladimir Kaminer. Il y est
également indiqué que l’auteur écrit en allemand. La première page du livre ne
précise toutefois pas qu’il s’agit d’une traduction. Elle est cependant composée
d’une double page, dont la première reproduit la page de titre de la version
allemande, ce qui permet de l’inférer. À noter encore que le terme рассказы
(« récits ») est placé sous le titre, ce que ne précise pas la version originale. La
table des matières se trouve à la fin du livre et c’est uniquement lors de sa
lecture que l’on comprend que deux traducteurs ont collaboré ensemble et se
sont répartis les chapitres. Les parties traduites par Nikolaï Klimeniouk sont
suivies d’un astérisque, alors que ceux traduits par Irina Kivel en comptent deux.
Il est extrêmement étonnant de remarquer que la version russe contient
davantage de chapitres (4) que l’original. Un examen plus précis permet de
constater que six chapitres de la version allemande ont été supprimés et que
quatre récits qui n’en font pas partie ont été ajoutés. Le livre ne fournit aucune
explication sur ce sujet et je n’ai malheureusement pas pu trouver les raisons de
ces ajouts et suppressions. Le lecteur russe n’a ainsi pas la possibilité de savoir
que sa version diffère de l’original. Finalement, comme pour les versions
allemande et française, la version russe ne comporte aucune introduction, notes
ou postface.
40
6.2. Élaboration du cadre critique
Je vais maintenant présenter les pistes interprétatives majeures et les principaux
traits stylistiques qui constitueront mon cadre critique. Suite à la lecture de
Russendisko, j’ai pu constater que Wladimir Kaminer écrivait la plupart du
temps de manière très familière, associant différents niveaux de langues et
utilisant des expressions très orales, ce qui se reflète également au niveau
grammatical. En effet, la construction syntaxique des phrases de Wladimir
Kaminer suit en général le schéma le plus simple, et l’ordre canonique allemand
est la plupart du temps respecté. Le fait que Wladimir Kaminer ne soit pas de
langue maternelle allemande joue clairement un rôle dans cette apparente
simplicité. Apparente, car elle recèle de nombreux traits humoristiques et
ironiques parfois subtiles et qui peuvent potentiellement poser des difficultés au
traducteur. Je souhaite ainsi analyser les traits stylistiques suivants : d’une part
la simplicité de la syntaxe de Wladimir Kaminer et d’autre part le registre
familier et oral du narrateur. En ce qui concerne les pistes interprétatives, j’ai
constaté que l’auteur maniait l’ironie de manière subtile tout au long du texte.
Wladimir Kaminer utilise en effet différents procédés stylistiques, tels que
l’exagération, le paradoxe, l’antiphrase ou encore la construction de mots
composés surprenants pour l’exprimer et je trouve particulièrement intéressant
d’examiner dans quelle mesure cette ironie reste visible dans la traduction. Le
récit donnant une bonne place au communisme, à l’URSS et aux réalités russes
en général, de nombreux référents culturels sont présents dans le texte. Si
certaines de ces termes sont connues et possèdent des équivalents établis en
français, d’autres sont plus exotiques et nécessitent un travail particulier du
traducteur pour les rendre visibles au lecteur. Les pistes interprétatives que je
souhaite alors étudier sont la visibilité des référents culturels russo-soviétiques
ou issus du communisme et l’accessibilité de l’ironie.
45
Ma traduction.
46
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.2023 et
https://de.pons.com/%C3%BCbersetzung?q=zur+Wiedergutmachung&l=defr&in=&lf=de&q
nac= pour la traduction.
47
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-relations-RDA-Israel.html, consulté le
22.11.2019. La RDA était censée payer 500 millions de dollars à titre de réparation.
48
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.289
44
s’embusquer), qui peut être utilisé de façon ironique49, produit toutefois un effet
de voix qui se rapproche du texte source.
Dans ce passage, on relève des différences sur le plan lexical dans les deux
traductions. En effet, le substantif Nachricht (la nouvelle, l’information50) est
remplacé en français par le terme rumeur. Cette légère hyponymisation ne
change pas l’interprétation du texte, Lucile Clauss reprenant le substantif
Gerücht présent dans le premier passage examiné.
49
Dictionnaire russe Ozhegov (Ожегов, Сергей Иванович, Словарь русского языка, 2003),
p.438
50
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.449
51
Ma traduction.
45
mêmes qui sont les sujets de la phrase (Nous avions eu vent de cette rumeur
[…]). Ce passage à la focalisation interne modifie ainsi légèrement la voix
narrative, qui paraît plus personnelle, plus active.
52
tentent (sic). Cette erreur de concordance est plus probablement dû à un oubli de correction
qu’à un choix volontaire du traducteur.
46
structurelle produit une réduction de la voix du narrateur dans la version
francophone : le texte cible respecte les conventions écrites du français littéraire,
alors que le texte allemand est lui beaucoup plus familier et oral, ce qui est l’une
des caractéristiques principales du style de Wladimir Kaminer.
53
Ma traduction.
54
Ma traduction.
55
Ma traduction.
47
l’expression не могло быть и речи, qui s’utilise à l’oral comme à l’écrit56,
permet de conserver le ton familier du texte source.
Une autre remarque peut être faite concernant l’expression sauberem Pass. En
allemand, l’adjectif « sauber » peut avoir une connotation ironique57, comme
dans l’expression « Du hast das sauber gemacht ! »58, qui est à relier en français
aux expressions « C’est du propre ! » ou « Nous voilà propres ! ». La phrase nur
mit einem sauberen Pass konnte man auf eine Karriere hoffen est ainsi marquée
ironiquement et cette ironie est par ailleurs soulignée dans la phrase suivante
(Die Ursache dafür war nicht der Antisemitismus) qui met hors de cause
l’antisémitisme dans ces pratiques. Comme nous le verrons plus bas, il s’agit
cependant d’une antiphrase, qui en réalité dénonce de manière humoristique
l’antisémitisme qui régnait dans le parti communiste, notamment à l’instigation
de Staline59. Lucile Clauss a certainement remarqué la connotation ironique de
sauber, mais il est difficile en français de rendre cette ironie. Son choix traductif
de placer l’adjectif propre entre guillemets permet alors de souligner le caractère
ambigu du terme. Cependant, cette solution produit une contraction des pistes
interprétatives, la voix du narrateur paraissant moins moqueuse. La phrase la
plupart des Juifs tentent de dissimuler leur origine, car, pour faire carrière, il
était indispensable d’avoir un passeport « propre » paraît ainsi excessivement
sérieuse par rapport à la phrase du texte source qui comporte les différents
éléments ironiques mentionnés plus haut.
56
https://www.multitran.com/m.exe?l1=2&l2=4&s=%D0%BD%D0%B5%20%D0%BC%D0%
BE%D0%B6%D0%B5%D1%82%20%D0%B1%D1%8B%D1%82%D1%8C%20%D0%B8
%20%D1%80%D0%B5%D1%87%D0%B8, consulté le 24.11.2019.
57
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1507
58
https://www.duden.de/rechtschreibung/sauber, consulté le 42.11.2019.
59
RIASANOVSKY, Nicholas (1994) Histoire de la Russie, Éditions Robert Laffont, Paris,
p.628.
48
l’Encyclopédie de son lecteur, qui, comme toute Encyclopédie, a tendance à
atténuer ses aspects négatifs, dans le cas présent l’importance de l’antisémitisme
en URSS. L’adverbe отнюдь (« pas du tout, aucunement60 »), présent dans la
version russe mais absent en allemand (nicht) est un autre indice de cette
transformation des pistes interprétatives.
60
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.305
61
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.381
62
« Figure par laquelle, par crainte, scrupule ou ironie, on emploie un mot, un nom propre,
une phrase, une locution, avec l'intention d'exprimer le contraire de ce que l'on a dit ».
https://www.cnrtl.fr/definition/antiphrase, consulté le 20.12.2019.
63
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.212
64
Dictionnaire russe Ozhegov (Ожегов, Сергей Иванович, Словарь русского языка, 2003),
p.329
49
les postes plus ou moins à responsabilité65 », c’est-à-dire en réalité tous les
postes).
Lucile Clauss a choisi en revanche de relier l’expression mehr oder weniger non
pas à l’adjectif verantwortungsvolle, mais au substantif Posten (pratiquement
tous les postes). Ce choix traductif change l’interprétation du texte en mettant en
avant la quantité de postes et non pas le degré de responsabilité des postes. Or,
dans la version allemande, le lien entre mehr oder weniger et
verantwortungsvolle en renforce l’effet ironique. Cependant, ce choix traductif
est en partie dû aux contraintes linguistiques du français. En effet, la locution « à
responsabilité » ne peut se construire dans une phrase de la même manière que
l’adjectif allemand « verantwortungsvoll » et la traduction que j’en ai donnée
plus haut (« tous les postes plus ou moins à responsabilité ») est très littérale et
peu acceptable du point de vue stylistique. D’autres choix auraient été possibles,
comme par exemple « tous les postes comprenant un tant soit peu de
responsabilité », mais cette tournure est très littéraire et il est difficile de rendre
l’ironie de l’auteur tout en conservant la simplicité de sa syntaxe et de son
lexique. Ce choix traductif de Lucile Clauss produit ainsi une contraction des
pistes interprétatives en affaiblissant l’effet ironique présent dans le texte source.
65
Ma traduction.
50
Einheit ziemlich dumm оказывалась вся
da. первичная
организация.
Dans ce passage, la version française suit de près le texte source et l’on constate
uniquement quelques différences sur le plan du registre. Ainsi, le verbe
marschieren (« marcher66, défiler67 ») est rendu par l’expression réglait son pas,
qui est moins usuel. L’expression « in Ordnung sein », que le dictionnaire
unilingue Duden classe comme courante et familière68 est traduit par le verbe
« tolérer », qui est plus littéraire, et à l’inverse, le groupe verbal standen […]
dumm da (« avoir l’air stupide69 ») devient l’expression l’avaient dans le baba,
tournure qui s’emploie la plupart du temps à l’oral. On peut au premier abord
supposer que Lucile Clauss a voulu compenser la différence de registre par cette
dernière expression très familière. Cependant, l’effet produit est différent, car
cette soudaine baisse du niveau de langue provoque plutôt la surprise chez le
lecteur de la version française, qui ne s’y attend pas. On peut encore noter que
pour le mot composé Arbeitssieg, qui aurait pu poser des difficultés
(littéralement « victoire du travail »), Lucile Clauss a opté pour une légère
modification (victoire ouvrière) qui est parfaitement appropriée dans ce
contexte.
La version russe est intéressante sur plusieurs points. On constate tout d’abord
une explicitation, le référent culturel soviétique wie die Soldaten am Roten Platz
étant rendu par la proposition как кремлевские курсанты на параде 7 ноября
(« comme les cadets du Kremlin lors de la parade du 7 novembre 70 »). On peut
supposer que l’Encyclopédie du lecteur, qu’il soit allemand ou français, possède
l’image bien connue de soldats soviétiques défilant sur la place Rouge. Or, la
parade du 7 novembre est très connotée en Russie et a une signification bien
plus importante dans la culture et l’histoire soviétique. Il s’agit du défilé de
l’Armée rouge qui s’est tenu en hiver 1941, alors que les troupes allemandes se
trouvaient à une trentaine de kilomètres de Moscou. Cette parade a relevé le
moral des troupes soviétiques, galvanisé le pays contre l’envahisseur et montré
que l’URSS était prête à se battre jusqu’au bout, quelles que soient les
66
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.430
67
https://de.pons.com/%C3%BCbersetzung?q=marschieren&l=defr&in=&lf=de&qnac= ,
consulté le 25.11.2019.
68
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1301
69
Ma traduction.
70
Ma traduction.
51
circonstances71. Cette explicitation produit ainsi un effet probablement très
différent sur le lecteur russe : au lieu de l’image légèrement moqueuse proposée
par Wladimir Kaminer qui rappelle la propagande soviétique, il se retrouve
devant le tableau d’un événement glorieux de son histoire. La fin de la phrase
renforce encore cette transformation des pistes interprétatives. En effet, la
proposition keiner konnte aussteigen, qui est une expression courante et
familière72, est traduite par la phrase шаг влево считался побегом (« un pas à
gauche était considéré comme une évasion73 »), qui est beaucoup plus dure que
son pendant allemand. On peut finalement noter quelques choix lexicaux
surprenants dans la traduction de Nikolaï Klimeniouk : le substantif Partei est
explicité par l’acronyme russe КПСС (c’est-à-dire le PCUS, le parti communiste
de l’Union soviétique), alors que rien ne le justifie. De même, la proposition die
anderen Kommunisten aus seiner Einheit (« les autres communistes de son
unité74 ») devient le groupe nominal вся первичная организация (« toute
l’organisation primaire75 »). Ces deux choix traductifs ont pour effet de rendre
les référents culturels russo-soviétiques plus visibles et plus marqués. Ils
produisent également une contraction des pistes interprétatives relatives à
l’ironie, la voix du narrateur paraissant sensiblement plus grave. L’effet
provoqué est en effet différent si toute l’organisation communiste « a l’air
stupide » ou s’il ne s’agit que des « autres communistes de sa division ». On
peut tenter d’expliquer ce choix traductif étonnant par l’Encyclopédie russe du
traducteur. En effet, le PCUS avait une importance considérable en Russie
soviétique et conserve une image positive dans le pays, en témoignent les
résultats obtenus aux dernières élections par son successeur, le Parti communiste
de la Fédération de Russie76. Nikolaï Klimeniouk a ainsi peut-être jugé plus
opportun de mettre en avant cette importance, qui s’inscrit dans l’Encyclopédie
russe, au détriment cependant de l’effet ironique présent dans le texte source.
71
https://histrf.ru/biblioteka/b/parad-izmienivshii-istoriiu-7-noiabria-1941-ghoda, consulté le
20.12.2019.
72
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.238
73
Ma traduction.
74
Ma traduction.
75
Ma traduction.
76
https://meduza.io/feature/2018/09/10/edinaya-rossiya-slabeet-kommunisty-pobezhdayut-
glavnye-itogi-vyborov-v-rossii et https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-
poutine/elections-en-russie-lourdes-pertes-a-moscou-pour-le-pouvoir-en-place_3609283.html,
consulté le 20.12.2019.
52
Kaminer, p.10 Clauss, pp. 7-8 Klimeniouk, p.6
Mein Vater, zum Mon père, par exemple, Взять, к примеру,
Beispiel, kandidierte a déposé pas moins de моего отца. Он пытался
viermal für die Partei, quatre candidatures pour вступить в партию
und jedes Mal fiel er adhérer au parti, qui ont четыре раза, и каждый
durch. Er war zehn Jahre systématiquement раз - безрезультатно.
lang stellvertretender échoué. Adjoint du chef Десять лет он
Leiter der Abteilung de service de la проработал на одном
Planungswesen in einem planification d’une petite заводике заместителем
Kleinbetrieb und träumte entreprise, il rêvait d’être начальника планового
davon, eines Tages un jour promu chef de отдела. И все десять
Leiter zu werden. Dann service, ce qui lui aurait лет мечтал стать
hätte er insgesamt 35 permis de gagner начальником. Тогда бы
Rubel mehr gekriegt. quelque 35 roubles он получал на целых 35
supplémentaires. рублей больше.
Dans ce passage, on constate des modifications sur plusieurs plans. Tout d’abord
d’un point de vue syntaxique : dans la version allemande, les deux premières
phrases sont composées de deux propositions simples liées entre elles par la
conjonction de coordination « und » (Mein Vater […] und jedes Mal […] et Er
war […] und träumte […]). Cette syntaxe simple n’est cependant pas respectée
dans la version française et l’on constate des recatégorisations. La première
phrase comprend ainsi une proposition infinitive (pour adhérer au parti) et une
proposition relative (qui ont systématiquement échoué). Cette complexification
syntaxique se poursuit à la phrase suivante : Er war zehn Jahre lang
stellvertretender Leiter der Abteilung Planungswesen in einem Kleinbetrieb est
rendue par une phrase nominale (Adjoint du chef de service de la planification
d’une petite entreprise), alors que la phrase Dann hätte er insgesamt 35 Rubel
mehr gekriegt est fusionnée avec la précédente pour créer une proposition
relative (ce qui lui aurait permis de gagner quelque 35 roubles
supplémentaires). Cette construction plus complexe ne reflète pas le style simple
et familier de Wladimir Kaminer et produit un effet plus littéraire. Cependant,
cette syntaxe est en partie due aux contraintes du français, car il n’existe pas
d’équivalent simple pour « kandidieren ». Les traductions françaises de ce verbe
(« faire acte de candidature, déposer sa candidature77 ») rendent pratiquement
indispensable l’emploi d’une proposition infinitive (pour adhérer au parti).
77
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.356
53
s’attend pas à ce que ce soit pour « toucher en tout 35 roubles de plus78 ». La
faiblesse de ce montant (35 roubles équivalaient à une cinquantaine de francs
suisses en 199379) n’échappe probablement pas au lecteur allemand, même sans
connaître le cours de l’époque. Son Encyclopédie contient assurément une
entrée relativement fournie concernant le rouble, étant donné la proximité de
l’URSS et de ses satellites avec l’Allemagne. Cette phrase est ainsi très ironique,
car elle entre en contradiction avec ce qui est décrit comme un rêve.
Or, dans la version française, le fait d’enchâsser cette phrase ([…] il rêvait
d’être un jour promu chef de service, ce qui lui aurait permis de gagner quelque
35 roubles supplémentaires) gomme l’ironie présente en allemand en effaçant la
cassure du rythme occasionné par le point. L’impression qui en ressort est qu’il
s’agit d’un réel avancement. De plus, l’Encyclopédie du lecteur français contient
probablement des informations moins étayées concernant le rouble que celle du
lecteur allemand et ne peut l’aider à saisir l’ironie du texte. Le lexique et le
registre employé par Lucile Clauss conforte cette impression qu’il s’agit
uniquement du récit d’une candidature refusée. Ainsi, le groupe verbal
kandidierte viermal (« a posé quatre fois sa candidature80 » devient plus marqué
en français (pas moins de quatre candidatures) ; le groupe nominal jedes Mal
est traduit par un adverbe plus intense (systématiquement) ; le groupe verbal
Leiter zu werden (« devenir chef81 ») est rendu par la formule être […] promu
chef de service, ce qui est plus officiel et moins courant. Toutes ces
modifications concourent à la perte du ton moqueur et familier employé par
Wladimir Kaminer et produisent ainsi non seulement un accroissement de la
voix narrative, mais également une contraction des pistes interprétatives
relatives à l’ironie.
78
Ma traduction.
79
https://fxtop.com/fr/historique-taux-
change.php?MA=1&C1=RUB&C2=CHF&DD1=01&MM1=01&YYYY1=1990, consulté le
22.12.2019.
80
Ma traduction.
81
Ma traduction.
54
dix années82 ») est une répétition qui n’existe pas dans le texte source, mais sa
présence renforce le ton ironique de l’auteur et ne modifie ainsi pas les pistes
interprétatives.
Dans les phrases suivantes, Wladimir Kaminer conserve son style ironique. Au
rêve du père répond ainsi le cauchemar du directeur : avoir un chef qui n’est pas
membre du parti.
82
Ma traduction.
83
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1321
84
https://www.duden.de/rechtschreibung/parteilos, consulté le 20.12.2019.
85
Ma traduction.
55
Nikolaï Klimeniouk utilise lui l’adjectif « беспартийный », dont la construction
est semblable à la construction allemande (il est formé de « бес », « sans » et de
« партийный », « de parti », « du parti »86). L'emploi de ce terme paraît ici
judicieux, car, selon le dictionnaire Ozhegov en ligne, il signifie à la fois « qui
n’est membre d’aucun parti » et « qui n’est pas membre du parti communiste »
87
. Le lecteur russophone n’a de toute manière pas besoin d’explicitation, son
Encyclopédie étant bien plus fournie sur le sujet que l’Encyclopédie française.
86
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.316
87
https://ozhegov.slovaronline.com/1532-BESPARTIYNYIY, consulté le 20.12.2019.
88
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.109
89
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.409
90
https://www.multitran.com/m.exe?s=%D1%80%D0%B0%D0%B9%D0%BA%D0%BE%D0
%BC&l1=2&l2=4, consulté le 21.12.2019.
91
Dictionnaire russe Ozhegov (Ожегов, Сергей Иванович, Словарь русского языка, 2003),
p.644
56
district »). Ces abréviations sont typiques de l’organisation soviétique 92 et sont
très connotées en Russie. L’effet produit par ce terme sur le lecteur russe est
probablement différent de celui provoqué par Bezirkskomitee sur le lecteur
allemand. Cependant, malgré ses connotations importantes, le choix de ce terme
ne modifie pas l’interprétation du texte et s’inscrit parfaitement dans
l’environnement du récit et l’Encyclopédie du lecteur. On peut en outre ajouter
qu’il n’existe que peu de variantes à la disposition du traducteur russe ; l’emploi
de la forme non abrégée (« районный комитет ») aurait probablement surpris le
lecteur russophone habitué aux abréviations dans un contexte soviétique.
92
https://fr.rbth.com/chroniques/2014/02/13/urss_pcus_kgb_comprendre_les_abreviations_polit
iques_en_russie_27809, consulté le 21.12.2019.
93
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1445
94
Ma traduction.
57
importance considérable en URSS. Elle permettait de faire carrière, de voyager à
l’étranger et apportait à son détenteur une considération importante. Sa perte,
voire sa non-présentation pouvait conduire à de sérieux problèmes allant jusqu’à
l’exclusion du parti95. Il y avait ainsi des surveillants préposés au contrôle des
cartes lors des réunions politiques importantes et cette image est probablement
fortement ancrée dans l’Encyclopédie russe. On peut ainsi poser comme
hypothèse que Nikolaï Klimeniouk a effectué ce choix traductif pour répondre
aux attentes de l’Encyclopédie de son lecteur. Il est également intéressant de
constater que Mitgliedsausweis est traduit en russe par une autre abréviation
soviétique, « партбилет » (de « партийный билет »), ce qui renforce le
contexte soviétique dans le texte russe.
On remarque dans ce passage des points intéressant sur différents plans. Tout
d’abord, Wladimir Kaminer décrit ici les efforts de son père pour se faire
accepter au parti, et en particulier l’alcool qu’il a dû ingurgiter (er trank mit den
Aktivisten literweise Wodka). Or, dans la version française, la vodka devient de
la bière (Il descendait des litres de bière avec des activistes). Cette modification
lexicale est très surprenante et peu justifiable. En effet, l’Encyclopédie française
est abondamment pourvue d’images et de clichés concernant les Russes et leur
consommation excessive de vodka96. Remplacer le terme « vodka » par le
95
http://22-91.ru/statya/partbilet-kpss-partija---um-chest-i-sovest-nashejj-ehpokhi/10.04.2014,
consulté le 21.12.2019.
96
Les nombreux articles sur la question publiés sur les sites internet francophones en
témoignent. Par exemple, https://www.bfmtv.com/international/russes-champions-monde-
consommation-vodka-540560.html, ou encore
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/01/31/21928-faible-esperance-vie-russie-attribuee-
vodka, consulté le 20.12.2019.
58
substantif « bière » risque ainsi de surprendre le lecteur francophone et d’attirer
son attention sur un détail du texte au détriment de l’effet humoristique du
passage.
97
Ma traduction.
98
https://yandex.ru/turbo?text=https%3A%2F%2Fribalych.ru%2F2014%2F01%2F03%2Fintere
snye-istoricheskie-fakty-o-russkoj-vodke%2F, consulté le 20.12.2019.
99
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.121
100
Ma traduction.
101
Sur le vouloir-dire de l’auteur, à consulter en particulier l’article de Lance Hewson intitulé
« Les incertitudes du traduire », point 2.2.3. (Hewson 2016 :18-19)
59
Lucile Clauss a choisi de traduire Aktivisten par activistes. Le Petit Robert
renvoie à l’entrée « activisme » pour en donner une définition : « 1. Attitude
morale consistant à rechercher l’efficacité, les réalisations ; forme de
pragmatisme. 2. Doctrine qui préconise l’action violente en politique » 102.
Comme on peut le voir, le choix de Lucile Clauss, qui paraît à première vue
simple et adéquat, se révèle en réalité questionnable. Le terme Aktivisten présent
dans le texte source ne renvoie en effet ni à des personnes pragmatiques, ni à des
extrémistes violents. Le terme « militant »103 semblerait ici mieux adapté et
moins marqué, même si les efforts indiqués (boire de la vodka et aller au sauna)
paraissent davantage comme des tentatives d’entrer dans l’intimité de membres
officiels du parti qu’à se rapprocher de simples militants. Le choix du terme
activistes produit ainsi une contraction des pistes interprétatives. Il a également
pour conséquence de rendre la voix du narrateur moins claire et moins précise.
102
Le Petit Robert de la langue française, 2017, p.30
103
Définition du Petit Robert de la langue française, 2017, p.1599 : « Militant : 2. Qui lutte
activement pour défendre une cause, une idée. 3. Membre actif d’une association, d’un
syndicat, d’un parti ».
104
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.522
105
Ma traduction.
60
On peut également remarquer un décalage sur le plan du registre. En effet,
Wladimir Kaminer utilise des expressions familière et courantes (jedes Jahr,
schwitzte sich […] zu Tode, alles war umsonst), alors que Lucile Clauss a
recours à des locutions plus littéraires et poétiques (Année après année, suait
toute l’eau de son corps, tous ses efforts demeuraient vains), ce qui modifie le
style de l’auteur et provoque un accroissement de la voix du narrateur qui paraît
plus recherchée et élevée. Cet embellissement n’est cependant pas homogène et
l’emploi du verbe « descendre » (descendait des litres de bière), qui est très
familier dans ce contexte106, produit un effet de surprise qui n’apparaît pas dans
le texte source.
106
Le Petit Robert de la langue française, 2017, p.701
107
Ma traduction.
61
doch nie tun«, erwiderte répondait mon père. – собираюсь валить»,
mein Vater. »Natürlich Bien sûr, on sait tous que протестовал отец.
wirst du nicht abhauen, tu ne vas pas le faire, «Конечно, конечно, ты
das wissen wir alle, aber mais théoriquement, не собираешься. Но
rein theoretisch gesehen c’est quand même ведь, чисто
wäre es doch möglich? possible, non ? Et si ça теоретически, ты
Stell dir mal vor, wie arrive, on aura l’air fin. » можешь? В каком мы
blöde wir dann C’est ainsi que mon père тогда окажемся
schauen.« So blieb mein est resté un éternel положении?» В
Vater für immer ein candidat. результате в
Kandidat. положении вечного
кандидата оказался мой
отец.
Ce passage ne comporte que peu de points saillants selon mon cadre critique. On
peut cependant noter une seconde occurrence du substantif Aktivisten, qui est
traduit cette fois-ci par un hyponyme (camarades) dans la version française. Ce
choix traductif donne une nouvelle fois l’impression d’avoir affaire à des
militants usuels. Cependant, la phrase suivante de la version allemande (Wir
hätten dich auch gerne in die Partei aufgenommen) contredit cette interprétation
en employant le verbe « aufnehmen ». En effet, selon le Duden, celui-ci signifie
dans notre contexte « die Mitgliedschaft bewähren, ein-, beitreten lassen »108. Il
s’agit donc d’une permission, de quelque chose qu’on accorde. Les émetteurs de
la phrase Wir hätten dich auch gerne in die Partei aufgenommen expriment donc
leur décision de ne pas avoir accepté le père de l’auteur dans leur rang. Or, la
version française en donne une autre signification (On aurait vraiment bien aimé
t’avoir dans le parti), comme si le refus de l’adhésion n’émanait pas de leur
volonté. De plus, ces choix traductifs conduisent à un gommage de l’ironie
présent dans le texte source. En effet, l’élément Wir hätten dich auch gerne in
die Partei aufgenommen est une antiphrase exprimant en réalité le contraire de
ce qu’elle transmet. La judéité du père du narrateur semble n’être qu’un prétexte
pour les membres du parti et sert à justifier le refus de son adhésion. L’avant-
dernière phrase du passage souligne l’incongruité de leurs regrets (Stell dir mal
vor, wie blöde wir dann schauen, « Imagine-toi comme on aurait l’air
stupide »109).
La version russe reste, dans les premières phrases, assez proche du texte source.
Nikolaï Klimeniouk reprend le terme « функционер » pour rendre le substantif
108
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.203
109
Ma traduction.
62
« Aktivist » qui, comme nous l’avons observé plus haut, est tout à fait adéquat
dans ce contexte. À noter que le traducteur russe emploie un synonyme
(принять, « admettre »)110 pour exprimer « aufnehmen », ce qui lui permet
d’éviter le glissement de sens présent en français. On remarque toutefois une
modification curieuse dans la traduction de la réponse du père (»Aber das werde
ich doch nie tun«, « Mais je ne le ferai jamais »111). En effet, le texte cible
emploie une construction infinitive qui met en avant l’intention de l’émetteur
(«Никуда я не собираюсь валить», « Je n’ai l’intention de me barrer nulle part
»112). De plus, la locution adverbiale Никуда (« nulle part »113) est antéposée, ce
qui met l’accent sur la destination et non pas sur le fait de partir. Ces
modifications n’entraînent toutefois pas d’effets notables sur l’interprétation du
texte.
110
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.376
111
Ma traduction.
112
Ma traduction.
113
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.267
114
Ma traduction.
115
Ma traduction.
116
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.351
63
un parallèle entre la situation dans laquelle se seraient retrouvés les membres du
parti (В каком мы тогда окажемся положении?) et la position d’aspirant
perpétuel du père de l’auteur (В результате в положении вечного кандидата
оказался мой отец, « Par conséquent, mon père se retrouva dans la position
d’un éternel candidat »117). Ce choix traductif produit un effet humoristique qui
cependant n’existe pas dans le texte source et qui ne compense que peu les
pertes citées précédemment. On constate finalement que le substantif
« положение » occupe une position relativement inhabituelle dans les deux
phrases : il est séparé de ses compléments (В каком) et placé à la fin de la
phrase dans la première proposition, alors qu’il est positionné avant le sujet et le
verbe dans la deuxième. Cette construction a pour effet de mettre en valeur le
parallélisme décrit plus haut, mais n’a pas de correspondance dans la version
allemande.
117
Ma traduction.
64
sie keine dritte Karte auf, paraîtrait pourtant tout первыми двумя
was für oberflächliche naturel à quelqu’un de картами 13 или 14
Franzosen eine superficiel, comme un очков, он никогда не
Selbstverständlichkeit Français. берет третьей, как это
wäre. непременно сделал бы
легкомысленный
француз.
Lucile Clauss a traduit ce titre par Les règles du jeu mondial. Elle a donc choisi
de traduire Weltspiels littéralement, ce qui reprend l’idée d’une compétition
internationale, mais exclut toutefois le caractère humoristique et enfantin présent
dans la version allemande. Elle a également opté pour un hyponyme (Les règles)
qui est plus précis que le substantif Systeme. Ce choix traductif, qui paraît de
prime abord adéquat, est cependant questionnable, car, nous le verrons plus bas,
le terme « System » joue un rôle particulier dans la suite du récit. On peut en
outre ajouter que le titre français paraît très sérieux ; le lecteur peut être tenté de
relier ce titre avec des expressions comme « gouvernance mondiale » et avoir
118
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.2009
119
https://www.theworldgames.org/contents/TWG-25/The-birt-1341, consulté le 22.12.2019.
120
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.2017
121
Ma traduction.
65
l’impression qu’il s’apprête à lire un récit relatif à la politique, ce qui n’apparaît
pas dans la version allemande.
De son côté, Irina Kivel a traduit ce titre par Игральные системы у разных
народов, littéralement « Systèmes de jeu chez différents peuples »122. Ce choix
traductif conserve ainsi l’idée de « système », qui sera repris plus tard, et semble
de ce point de vue plus proche de l’allemand. Il évite également de donner une
teinte politique au récit. On peut toutefois remarquer la perte de la connotation
de compétition, ainsi que du caractère puéril de cette dernière.
On rappelle que dans le titre de la version française, Lucile Clauss n’a pas
employé un synonyme du terme « système », mais un hyponyme (règles). Elle
choisit ensuite de remplacer le groupe nominal »vietnamesischen System« par le
complément d’objet leur propre tactique. Ce choix traductif a pour effet de
gommer la mise en valeur du « système vietnamien » qui est placé entre
guillemets dans le texte source. Ce choix paraît ainsi étonnant, car il réduit la
portée ironique de la description des différents « systèmes » qui vont être
comparés par la suite.
122
Ma traduction.
66
de faire le lien entre le titre et les différents systèmes en question. Il est
cependant surprenant de noter qu’elle procède à une explicitation géographique
(в Берлине) qui paraît superflue dans ce contexte et qui n’apparaît pas dans la
version allemande.
123
https://www.google.de/search?ei=oZcEXvecFLaKk74PzIWlsAo&q=Amerikaner+oberfl%C3
%A4chlich&oq=Amerikaner+oberfl%C3%A4chlich&gs_l=psy-
ab.3..0i19l2.5020820.5024961..5026550...0.0..0.107.462.4j1......0....1..gws-
wiz.......0i8i30i19.Ufflj1SkBPw&ved=0ahUKEwi38cWVmdPmAhU2xcQBHcxCCaYQ4dU
DCAo&uact=5, consulté le 23.12.2019.
124
https://www.google.de/search?ei=8KwEXsuUM4-
dsAeo4pHoCg&q=Franzose+oberfl%C3%A4chlich&oq=Franzose+oberfl%C3%A4chlich&g
s_l=psy-ab.3...10640.13860..15439...1.0..0.164.1185.10j2......0....1..gws-
wiz.......0i19j0i5i30i19j0i8i30i19j0i7i30j0i13j0i8i7i30j0i8i7i10i30j0i8i13i30.CK12qi9JP18&
ved=0ahUKEwjLzPe-rdPmAhWPDuwKHShxBK0Q4dUDCAo&uact=5, consulté le
23.12.2019.
125
Par exemple, http://www.domotvetov.ru/znamenityie-lyudi/steriotipyi-o-frantsuzah.html,
ou https://inosmi.ru/world/20140420/219702579.html, consultés le 23.12.2019.
126
Ma traduction.
67
constate ainsi que Lucile Clauss a dilué la force de ce cliché en détachant le
substantif « Français » de la proposition principale et en le plaçant à la fin de la
phrase, séparé par une virgule. Ce découpage produit ainsi un effet qui diffère
légèrement de celui du texte source et entraîne une contraction des pistes
interprétatives, mais permet au lecteur francophone d’être potentiellement moins
surpris par la présence de ce cliché inhabituel qui ne comporte probablement pas
d’entrée dans son Encyclopédie. Lucile Clauss conserve ainsi le sens du texte
allemand, tout en ménageant l’Encyclopédie française de son lecteur.
De son côté, Irina Kivel a choisi de rendre la subordonnée relative was für
oberflächliche Franzosen eine Selbstverständlichkeit wäre par la proposition
как это непременно сделал бы легкомысленный француз (« comme n’aurait
pas manqué de le faire un français frivole »127). On constate ainsi qu’elle
conserve le cliché proposé par Wladimir Kaminer, mais qu’elle n’emploie pas
l’adjectif « поверхностный » qui est l’équivalent établi de « oberflächlich ». Le
terme utilisé (легкомысленный) est un synonyme qui rend toutefois davantage
compte de l’insouciance que de la superficialité. L’effet produit par le texte
russe reste cependant similaire à celui produit par le texte allemand et fidèle à
l’Encyclopédie des lecteurs russophones.
127
Ma traduction.
68
Vietnamesen haben auch ont eux aussi un bleu à la пятно удачи бывает у
Mongolen und Chinesen cuisse, mais ils ne jouent монголов и китайцев,
den blauen Fleck auf pas au black-jack. но они, дурачки, не
dem Schenkel, aber sie играют в блэк-джек.
spielen nicht Black Jack.
128
Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1221
129
Ma traduction.
130
Ma traduction.
69
croupiers, car ils ne respectent ni les mœurs locales (tirer une troisième carte
lorsqu’on a déjà cumulé 13 ou 14 points), ni le moral du joueur (qui doit être
élevé, pour que ce dernier soit prêt à prendre des risques). Tout ce passage est
ainsi teinté d’ironie, car avec cette stratégie décrite comme inacceptable, les
Vietnamiens ont du succès (Auf diese Weise gewinnen Vietnamesen jedoch beim
Black Jack). L’auteur se moque ainsi du comportement des joueurs locaux, qui
est visiblement inefficace. L’adjectif jedoch renforce encore l’effet humoristique
produit, car il souligne qu’il importe peu de suivre les tactiques locales ou
d’adopter un comportement téméraire pour gagner au black jack.
De son côté, Irina Kivel a choisi de traduire cette proposition par le groupe
nominal моральные правила игры (« les règles morales du jeu »131). On
constate ainsi également une contraction des pistes interprétatives, car le moral
du joueur (qu’on exprime en russe par « боевой дух », littéralement « esprit
combatif ») n’est pas exprimé. La traductrice effectue en outre deux
modifications : elle procède tout d’abord à une explicitation du substantif
Wahrscheinlichkeit (Вероятность выигрыша, « la probabilité de gain »132) et
une addition du verbe « соблюдать » (« observer, respecter »133) à la forme
négative (не соблюдают). Ces changements produisent une contraction des
pistes interprétatives en gommant le ton ironique présent dans la version
allemande. De plus, l’addition du verbe « соблюдать » produit également une
131
Ma traduction.
132
Ma traduction.
133
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.454
70
explicitation qui peut paraître légèrement péjorative (« ils ne respectent pas les
règles morales du jeu »)134.
144
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.113
145
Ma traduction.
73
Russen gewinnen beim tactique. « La tactique столом. Араб играет
Pokern, weil sie ein russe », évidemment. бессистемно, потому и
System haben. Das проигрывает. Русские
»russische System« же, наоборот,
eben. выигрывают
исключительно по
«русской системе».
146
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, pp. 31 et 350
147
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.93
148
Synonyme courant de Leute selon le Duden en ligne :
https://www.duden.de/rechtschreibung/Belegschaft, consulté le 27.12.2019
149
https://de.pons.com/%C3%BCbersetzung?q=Belegschaft&l=defr&in=ac_de&lf=de&qnac=Be
legschaft, consulté le 27.12.2019.
74
présent (me rappellent), ce qui a pour effet de rendre la narration plus proche du
lecteur. Ce changement de temps est étonnant, car une traduction telle que « Les
deux seuls tables de poker du casino de l’Europa-Center à Berlin m’ont rappelé
avec tout son cortège les réunions du Politburo » aurait été une solution
envisageable qui a l’avantage de conserver le cadre temporel du texte source. À
noter également de légères modifications, telle que la perte du terme « Partei »
dans le substantif composé Parteisitzungen. Cependant, la conservation de ce
terme aurait sensiblement alourdi la phrase en français (« une réunion de parti
du Politburo »150) et les termes réunion du Politburo semblent suffisamment
explicites. On peut encore ajouter que le substantif pluriel Parteisitzungen est
rendu en français par un singulier (une réunion), ce qui ne semble pas justifié
dans ce contexte mais n’entraîne pas d’effets notables.
Dans la version russe, le terme Politbüro est également remplacé par son
équivalent établi (Политбюро). On constate cependant que le verbe pronominal
au passé erinnerten mich (« m’ont rappelé »151) est rendu par un verbe à la
tournure impersonnelle conjugué au présent (напоминают) (« rappellent »152).
Le narrateur semble alors plus distant dans le texte russe, comme s’il ne s’était
pas personnellement rendu sur place. Cette impression est renforcée par
l’addition de l’adjectif советского (« soviétique »153) qu’Irina Kivel a accolé au
substantif Политбюро (« Politburo »). Cette addition semble superflue, car elle
est implicite en allemand étant donné l’origine du narrateur. Or, la traductrice a
effectué ici un changement de focalisation, ce qui explique cette addition. En
effet, la focalisation interne du texte source, avec le récit du narrateur décrivant
ses souvenirs, est rendue en russe par une focalisation zéro, la voix narratrice
étant impersonnelle et sans point de vue. Ces modifications engendrent une
réduction de la voix, qui paraît moins familière et plus froide.
150
Ma traduction.
151
Ma traduction.
152
Ma traduction.
153
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.455
154
Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.169
75
ainsi rendu par l’adverbe évidemment. Comme on peut le constater, ce choix
traductif entraîne une contraction des pistes interprétatives relatives à l’ironie.
On constate dans la version russe qu’Irina Kivel a choisi d’éliminer les deux
premières occurrences du terme « System ». Elle effectue dans le premier cas
une recatégorisation en employant un adverbe (бессистемно) qui dérive du
substantif « система », mais dont le sens diffère légèrement. En effet, le
dictionnaire Ozhgov propose comme synonyme « беспорядочный »155, qui
signifie « en désordre, pêle-mêle, confusément, sans suite »156. On remarque
ensuite qu’Irina Kivel a fusionné l’adjectif konsequent (« cohérent, logique »157)
avec la subordonnée causale weil er kein System hat! pour les remplacer par
l’adverbe бессистемно décrit plus haut et par la proposition потому и
проигрывает (« et donc perd »158). Ces choix traductifs provoquent ainsi la
perte de la référence aux différents systèmes décrits. De plus, la disparition du
point d’exclamation, qui dans ce passage concourt à l’expression de l’ironie,
entraîne également une contraction des pistes interprétatives. Irina Kivel élimine
ensuite la deuxième occurrence du terme « System » en supprimant la
subordonnée weil sie ein System haben. Cette décision entraîne la disparition du
parallélisme produit par la conjonction « weil » dans le texte allemand, ce qui
constitue une simplification de la structure du texte source. Irina Kivel emploie
toutefois finalement à nouveau le terme « система » pour traduire la dernière
occurrence du terme « System » («русской системе»). Ces choix traductifs
diluent toutefois l’effet ironique présent dans la version allemande, même si la
dernière référence au « système », placée entre guillemet comme chez Wladimir
Kaminer, reproduit légèrement cet effet humoristique.
161
Ma traduction.
77
des pistes interprétatives, le ton ironique du texte allemand cédant la place à une
tournure de voix plus sérieuse dans la version française. On remarque également
que la construction syntaxique du texte cible est davantage complexe (absence
de propositions infinitive et relative dans le texte source). Ce choix traductif
entraîne un accroissement de la voix du narrateur, qui paraît plus littéraire et
moins familière. Il convient encore de noter que la proposition und strahlt
Sicherheit aus (« rayonner de confiance »162) a été supprimée dans la version
française. Or, cette phrase, par son côté grotesque, concourt à l’expression de
l’humour présent dans tout le passage et contribue à exprimer l’ironie du texte
source. Les choix de Lucile Clauss semblent ainsi questionnables et il aurait été
possible de rester plus proche du ton de l’auteur (« Peu importe la combinaison
de cartes qu’on a en réalité, il suffit de tirer la tête du type qui a un full et de
rayonner de confiance jusqu’à la fin de la partie »163), même s’il n’est pas
toujours possible de conserver la structure syntaxique du texte source.
La version russe présente également des modifications, mais d’un tout autre
ordre. En effet, le groupe nominal der russische Präsident se voit complété par
l’adjectif предыдущий (« précédant »170) dans le texte cible. Irina Kivel procède
ainsi à un changement de protagonistes et désigne probablement avec cette
addition Boris Eltsine, qui était l’ancien président de la Russie à l’époque de la
publication de l’ouvrage. Cette hypothèse est renforcée plus loin par l’emploi de
167
Ma traduction.
168
« Acquiescement de l’esprit fondé sur des preuves évidentes ; certitude qui en résulte »
selon la définition du Petit Robert de la langue française, 2017, p.539
169
HEWSON, Lance, « L’adaptation larvée : trois cas de figure », Palimpsestes, 16 I 2004,
105-116
170
Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.367
79
l’adjectif substantivé здорового (« l’homme en bonne santé »171) en lieu et place
du groupe nominal den ewig Jungen. En effet, la santé de Boris Eltsine était
notoirement mauvaise, en particulier en raison de son abus d’alcool 172. Cet
échange de personnage entraîne ainsi une transformation des pistes
interprétatives sur tant le plan des référents culturels que sur le plan de l’ironie.
Il s’agit ici d’une modification radicale et l’on peut s’interroger sur les raisons
qui ont poussé Irina Kivel à l’effectuer. L’hypothèse qu’elle ait cherché à éviter
de critiquer le gouvernement en place, peut-être par peur de conséquences sur sa
carrière professionnelle, semble peu vraisemblable et bien évidemment
impossible à établir pour le critique. S’agit-il alors d’une autre tentative de
ménager le lecteur russe ? En effet, Vladimir Poutine reste très populaire en
Russie173, à l’inverse de Boris Eltsine, qui a longtemps été considéré comme le
responsable de la crise économique qui a suivi l’effondrement de l’URSS 174. Il
est ainsi plus facile de se moquer d’un ancien président impopulaire et décédé
que d’un président apprécié et qui dirige le gouvernement russe actuel. Une
autre possibilité réside dans l’intervention du réviseur ou de l’éditeur, qui ont pu,
pour les mêmes raisons que celles citées plus haut, effectuer ce changement à
l’insu de la traductrice.
171
Ma traduction.
172
https://www.liberation.fr/planete/1996/09/23/le-president-russe-cumule-les-handicaps-son-
abus-d-alcool-notamment-rend-les-medecins-pessimistes_181517, consulté le 30.12.2019.
173
https://www.lefigaro.fr/international/2017/12/26/01003-20171226ARTFIG00204-poutine-
les-ressorts-d-une-popularite-presque-sans-faille.php, consulté le 29.12.2019
174
https://fr.sputniknews.com/societe/2007051865722475/, consulté le 30.12.2019.
80
Recatégorisation 7 2
Modulation
Implicitation 2 2
Explicitation 5 7
Hyponymisation 3
Hyperonymisation 2 2
Description
Adaptation culturelle 1
Modification/modification radicale 3
Création 1 1
Temps
Aspect
Modalité
Focalisation 1 1
Connotation 2
Registre 7 1
Répétition 2
Élimination 2 6
Addition
81
Adaptation culturelle
Modification/modification radicale 7 2/1
Création
Temps 1 1
Aspect
Modalité
Focalisation 1
Connotation 2 1
Registre 6
Répétition
Élimination 5 9
Addition 6
Cette seconde grille permet d’effectuer une brève comparaison avec les résultats
obtenus lors de l’analyse du premier passage. On observe ainsi que la traduction
de Lucile Clauss diffère à nouveau du texte source sur le plan du registre (6) et
qu’elle a procédé à davantage de modifications (7) et d’éliminations (5) dans ce
passage que dans le premier (3 et 2), qui est pourtant légèrement plus long.
Ces quelques remarques nous donnent déjà certains indices sur les pratiques des
traducteurs. Je vais maintenant commenter la grille des effets constatés sur le
plan mésostructurel et observer dans quelle mesure ils sont confirmés.
82
Établissement des effets sur le plan mésostructurel :
Il convient tout d’abord de rappeler qu’il n’entre pas dans le cadre de cette
recherche de porter un jugement général sur la valeur d’ensemble du travail des
traducteurs, étant donné le nombre limité de passages analysés. Cependant, les
observations effectuées sur le plan micro- et mésostructurel permettent de
distinguer des tendances. On peut ainsi remarquer que certains choix traductifs
sont susceptibles de privilégier une interprétation aux dépens d’une autre et que
ces décisions peuvent éloigner le lecteur des pistes interprétatives et des traits
stylistiques que je considère comme particulièrement importants. Je vais donc
m’attacher à examiner dans quelle mesure les effets produits par ces choix
traductifs diffèrent de mon cadre critique. Ces remarques préliminaires étant
effectuées, je vais débuter l’examen de cette grille par une réflexion globale sur
les résultats obtenus.
Un examen général de ce tableau montre tout d’abord que les trois traducteurs
ont produit davantage d’effets d’interprétation (78) que d’effets de voix (44).
Les contractions des pistes interprétatives relatives à l’ironie sont de loin les plus
nombreuses (57) et il s’agit pour chaque traducteur du chiffre obtenu le plus
élevé, quelle que soit la catégorie observée, à l’exception de Nikolaï Klimeniouk
dont les réductions de voix (7) dépassent légèrement les contractions des pistes
interprétatives (5).
83
comptabilise que des réductions (7). Ce résultat de Lucile Clauss est cependant à
relier avec le chiffre obtenu dans la catégorie « Simplicité de la syntaxe » où elle
cumule cinq points. En effet, comme nous avons pu l’observer tout au long de
l’analyse, la prose de la traductrice française a tendance à orner le texte source
d’éléments qui semblent superflus, tandis que celle de Nikolaï Klimeniouk tend
au contraire à simplifier et à neutraliser le texte original.
Les effets de voix du second passage sont presque équilibrés entre les deux
traductrices (7 pour Lucile Clauss et 5 pour Irina Kivel). On constate cependant
à nouveau un chiffre élevé (6) en ce qui concerne le niveau de langue chez la
traductrice française, à l’instar du premier passage. Cette tendance à
l’embellissement mériterait une analyse plus complète de l’ouvrage afin de
pouvoir la confirmer.
84
Je vais maintenant brièvement comparer les résultats des traducteurs russes. On
remarque que Nikolaï Klimeniouk obtient un nombre d’effets légèrement
supérieur (28) à celui d’Irina Kivel (27). Son texte comporte en particulier des
réductions du registre (7), des expansions sur le plan des référents culturels (5),
ainsi que des contractions relatives à l’ironie (5). De son côté, Irina Kivel ne
possède en général que des chiffres faibles dans toutes les catégories. Il existe
pourtant une exception que j’ai déjà mentionné plus haut en ce qui concerne
l’accessibilité de l’ironie (18 contractions et une transformation). Ce nombre
élevé est surprenant quand on rappelle qu’il s’agit d’une traductrice
expérimentée.
7. Conclusion
La traduction de la dimension culturelle d’une œuvre littéraire est une opération
complexe et épineuse pour le traducteur. Ma comparaison des traductions
française et russe de Russendisko ont, je l’espère, permis de mettre en évidence
cette complexité.
Cette recherche m’a également permis de montrer que le traducteur est sans
cesse confronté à de multiples choix et que les décisions qu’il prend ont une
influence capitale sur l’interprétation du texte proposé au lecteur. Il suffit ainsi
d’un détail, l’élimination d’un adverbe, l’emploi d’une expression particulière,
pour que les pistes interprétatives se retrouvent limitées ou enrichies, voire
même transformées. La voix narrative peut aussi être victime de décisions
questionnables et voir son intensité réduite ou au contraire gagner en force. La
tâche du traducteur est ainsi à multiples facettes et dépasse de loin la dimension
purement linguistique du texte.
86
J’espère également avoir pu montrer dans ce travail que l’origine de l’auteur et
la langue qu’il emploie peut jouer un rôle clé en ce qui concerne la
compréhension des différentes spécificités de son œuvre. Il en est ainsi de
Wladimir Kaminer, écrivain polyglotte qui a fait le choix de s’exprimer dans
une langue qui n’est pas la sienne, mais dont les récits contiennent de
nombreuses références culturelles tirées de sa vie passée en URSS. Le style
familier et oral qu’il emploie et la simplicité apparente de sa prose ne peuvent en
aucun cas servir de prétexte au traducteur pour gommer les subtilités et les
nuances présentes dans son œuvre. J’ai toutefois pu constater que Lucile Clauss,
Nikolaï Klimeniouk et Irina Kivel ont été passablement libéraux à cet égard.
87
Il m’a également semblé percevoir, et ceci chez les deux traducteurs russes, un
désir d’occulter les critiques que Wladimir Kaminer adresse à ses compatriotes.
C’est dans ces cas précis que la voix narrative de Nikolaï Klimeniouk perd en
personnalité. Il n’est pas possible de savoir si ces modifications sont dues à la
seule volonté du traducteur russe et une enquête chez le correcteur et l’éditeur
permettrait probablement d’y apporter une réponse. Aucun chercheur n’a, à ma
connaissance, effectué ce genre d’étude et il pourrait s’agir d’un axe de
recherche très intéressant dans l’optique de donner une suite à mon travail.
En ce qui concerne les référents culturels, j’ai pu remarquer avec surprise que
Nikolaï Klimeniouk, loin d’en minimiser leur visibilité, emploie différentes
stratégies pour les rendre plus marqués. Ce constat est contraire à mon intuition
préliminaire qui supposait que les référents culturels communistes ou russo-
soviétiques seraient probablement rendus de manière moins explicite dans la
traduction russe, étant donné les connaissances encyclopédiques fournies dont
disposent les lecteurs de ce pays sur le sujet.
Irina Kivel est une traductrice expérimentée et les chiffres peu élevés qui
composent son résultat le confirme. Il est alors d’autant plus décevant de noter
que la plupart des effets qu’elle produit consistent en des contractions des pistes
interprétatives relatives à l’ironie, dont la présence est pourtant systématique
dans le texte de Wladimir Kaminer. Elle effectue en effet à de nombreuses
reprises des éliminations ou des additions qui sont difficilement justifiables et
qui ont pour effet de gommer les traits les plus saillants du texte. Cependant, son
choix le plus regrettable reste à mon sens la modification des protagonistes à la
fin du second passage. Cette modification s’apparente en effet à une sorte de «
trahison » du texte source et le lecteur n’a aucune possibilité de le déceler.
Considérant l’énormité de cette manipulation, je ne peux m’empêcher de penser
qu’Irina Kivel n’en est pas l’unique responsable et que les raisons de cette
transformation des pistes interprétatives sont dues à une intervention externe à la
traductrice. Cette hypothèse serait une nouvelle fois à confirmer en effectuant
des entretiens avec les traducteurs.
88
également une importance certaine en ce qui concerne la qualité d’une
traduction.
J’ai tout d’abord constaté que la longueur et le nombre des passages sélectionnés
ne permettent pas de porter un jugement général sur le travail des traducteurs.
S’attaquer à une recherche de cette ampleur dans le cadre limité d’un mémoire
de fin d’étude me paraît aujourd’hui trop ambitieux et il aurait été probablement
plus sage de me limiter à une analyse moins vaste de la dimension culturelle en
traduction littéraire. Je reconnais également que mes commentaires sont
probablement plus précis et étayés en ce qui concerne la traduction française. Il
aurait cependant été possible de mener cette recherche de manière collaborative
et inviter des chercheurs germanophones et russophones à participer m’aurait
ainsi sans doute permis d’effectuer une analyse d’une plus grande finesse.
89
8. Bibliographie
Corpus :
KAMINER, Wladimir, Russendisko, München : Wilhelm Goldmann Verlag,
2000 (2002 Taschenbuchausgabe)
Monographie :
BALLARD, Michel, « Les stratégies de traduction des désignateurs de référents
culturels », in : BALLARD, Michel (éd.), La traduction, contact de langues et
de cultures (1), 125-151, Arras : Artois Presses Universitaires, 2005
BERMAN, Antoine, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris :
Gallimard, 1995
90
CUCHE, Denis, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La
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Dictionnaires :
GRAPPIN, Pierre, Dictionnaire général français-allemand, allemand-français,
Paris : Larousse, 2009
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Kaminer réalisé par Caroline Ischinger et Michael Sontheimer, 2005, consulté le
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%D1%80%D1%83%D1%81%D1%81%D0%BA%D0%B8%D0%B9-
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Autres :
KAMINER, Wladimir, Militärmusik, München : Wilhelm Goldmann Verlag,
2001
97