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LA DRUIDESSE, MYTHE OU RÉALITÉ?

Par Michel-Gérald Boutet

La druidesse, gravure anglaise du XIXe siècle.

Les druidesses ont-elles vraiment existé ?

Les chercheurs C.-J. Guyonvarc'h et F. Le Roux, qui ont longuement fouiller la


question, déclarent catégoriquement :
"La druidesse de l'imagerie romantique est en effet un leurre ou une illusion.
Nous n'avons aucune trace sérieuse d'un sacerdoce féminin, surtout pas chez
César qui, s'il avait existé des collèges de druidesses en Gaule indépendante,
aurait dû le remarquer". (in Les Druides p.40)

Relisons César, il dit bien que :


"La nation gauloise est tout entière adonnée aux pratiques religieuses…" (VI,
14, 16)
César dit bien que la nation tout entière est adonnée aux pratiques religieuses.
Ce qui revient à dire que la pratique religieuse était aussi une affaire de femme.

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Pour le celtologue britannique Peter Berresford Ellis, il n'y a pas de doute : "Les
druides étaient autant mâles que femelles". (Dictionary of Irish Mythology, p.
90)

- Jean-Paul Persigout quant à lui, la défini ainsi :

"Druidesses, femmes qui initient les gens, les héros tels que Cuchulainn et dont
le pays est l'Écosse ; elles dispensent une éducation de type initiatique aux plans
guerrier, magique (on les qualifie de sorcières et de prophétesses), sexuel,
philosophique, traditionnel. On retrouve dans leurs activités les rôles essentiels
de la Femme, initiatrice "érotico-guerrière" et poétesse, expression de deux
visions indissociables de la Vie : l'Amour et la Mort. Les druidesses de l'île de
Sein, Armorique, ont le pouvoir de revêtir des formes animales - souvent celles
du Cygne ou de la Corneille -, celui de calmer le vent et les eaux". (Dictionnaire
de mythologie celte, pp. 105-106)

Les trois nymphes, sculpture gauloise.

- La druidesse dans les sources classiques latines (textes cités par


Guyonvarc'h et Le Roux in Les Druides p. 41) :

"Une druidesse, sur son chemin, s'écria en langue gauloise : va mais n'espère pas
la victoire et n'aie pas confiance en tes soldats." (Vie d'Alexandre Sévère LX.)

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"(Dioclétien) disait en effet qu'à un certain moment Aurélien avait consulté des
druidesses gauloises, cherchant à savoir si l'empire reste à ces descendants. Il dit
qu'elle a avaient répondu : "Il n'y aura pas de nom plus illustre dans l'état que
celui des descendants de Claude". Il est donc bien vrai que le présent empereur
Constance est de la même race et je pense que ses descendants parviendront à la
gloire qui leur a été prédite par les druidesses." (Vopiscus, Vie d'Aurélien
XLIV.)

Merlin et Morgane, gravure de Gustave Doré.

La druidesse dans la littérature Irlandaise

Ne nous détrompons-nous pas, dans toute la littérature celtique, la femme, en


tant que dame du sidh (> sidos = "Paix"), est la messagère des dieux. Il n'est
donc pas surprenant de la retrouver dans des rôles mystiques et magiques liés à
la parole. Or justement, ce rôle (de première fonction) de médiatrice ou de
communicative entre les dieux et les hommes dénote la position que la druidesse
devait occuper au sein du sacrifice païen. Les habitants du Sidh, monde parfait

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de beauté, d'équilibre et de paix et inconnu des démons que sont les Fomoire,
sont des dieux.

Le terme Ban-drui, femme druide est bien attestée dans la littérature médiévale
irlandaise. Ce terme, par perte de prestige, est venu à désigner la magicienne, la
sorcière, l'enchanteresse. Même dérive de sens que pour le masculin drui =
"magicien", "conjureur de sorts", en langue irlandaise.
On a voulu reléguer la druidesse dans un rôle de sorcière, de pythie tout au plus.
Non savons cependant que la femme avait accès aux occupations de son rang :

"Diancecht avait quatre fils : Cu, Cian, Cethen et Miach. Etan la poétesse était
sa fille et Armed la femme-médecin était une autre fille de Diancecht.
Cridinbel, Buidne et Casmael étaient les trois satiristes". (Livre des Conquêtes
de l'Irlande)

Diancecht (< Danuuiacaceto = "la Prise Brutale") le dieu druide-medecin avait


donc deux filles : Etan (< Etana "Poésie"), et Armed (< Aremedto =
"l'Évaluation", "la bonne mesure"), la femme-médecin. Et comme affirment
Guyonvarc'h et Le Roux : "Quelle fonction lui (Diancecht) assigner ou lui
confier ? Ce n'est certainement pas non plus la troisième car la médecine est de
rang druidique et les druides qui la pratiquaient ne cessent pas d'être druides
pour autant". (La civilisation celtique, p. 139)

Armed était donc une druidesse pratiquant la médecine !

Etana et Armed, la femme-médecin selon l'ordre de tripartition :

1re fonction : médecine incantatoire :


Etan (< Etana = "Poésie"), la sœur d'Armed, épouse Ogma, le dieu de
l'éloquence, elle est identifiée à Brigit, patronne des arts et de la médecine.
2e fonction : médecine sanglante ou chirurgicale :
Gardienne du puits de la Santé, elle est chirurgienne comme son père et son
frère, elle assiste son frère Miach dans la greffe d'un œil de chat dans l'orbite du
portier borgne de Nuada en recousant le nerf optique.
3e fonction : médecine artisanale ou naturelle :
Elle connaît par cœur toutes les herbes médicinales.

Un mot sur Etan / Brigit :

Brigit (< Brigantia / Brigindo) est la Déesse Druidesse par excellence; mère,
sœur et fille du Dagda (Dagodeuos = "Bon Dieu"), le Dieu-Druide, Dieu des
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druides, c'est d'elle (en tant qu'Etana) que se réclament les poètes. Mère des
poètes, des forgerons et des médecins, elle est la Druidesse des druidesses. C'est
en son nom que sont consacrées les druidesses, incluant les poétesses, pythies,
astrologues, enseignantes, femmes-médecins, sages-femmes, herboristes etc.
"Car les initiations guerrière et artisanale sont féminines, seule l'initiation
sacerdotale est masculine". (in La civilisation celtique p. 137)

- Le druide initie le druide, consacre la druidesse


- La druidesse initie les guerriers et les artisans

Plus qu'une probabilité, un fait de l'antiquité, dans toute l'aire indo-européenne,


il y a effectivement eu des femmes-prêtres. Non seulement les Celtes n'y
échappent pas, mais au surplus, représentent l'ethnie où la femme trouve sa plus
grande assise.

Or justement, nous savons par l'hindouisme et le bouddhisme qu'il y avait des


femmes-prêtres en védisme. Pensons à la Striguru, la prêtresse initiatique
enseignante hindoue et à la Kamanda, la prêtresse bouddhiste.

La liste est plus longue en fait : Deva-dàsa, la servante de monastère ou de


temple ; la Kumara-tapas, la fille ascétique ; la Vratin, l'étudiante ou l'engagée
en religion, la jeune dévote, l'ascétique ; la Pra-ôvrajita, la femme ascétique ou
nonne, qui chez les Jaïns, est la femme mendiante qui a quitté la maison pour
devenir religieuse. N'oublions pas aussi la Zramana, la mendiante, la nonne
ainsi que la Zakya-bhiksuka, la nonne bouddhiste.

Il est évident que la femme, dans les sociétés indo-aryennes, avait dans sa caste
un rôle secondaire à celui de l'homme, du père, frère, mari ou fils. La petite
servante du temple était de caste brahmanique… et remplissait ainsi son dharma
de fille de brahmane. Chez les Celtes on peut supposer une plus grande mobilité
d'une classe à l'autre car on ne peut pas, dans ce cas, parler de caste figée.

« Or la tradition celtique accorde à la femme une place prépondérante dans les


cycles initiatiques. Prophétesses, sorcières, enchanteresses, elles possèdent les
«techniques secrètes » et bien plus encore : le secret des rites. Le but de la fée
n’est pas de dominer l’homme mais de le réveiller. Il y a bien évidemment un
danger à délivrer la fée. » (Caruocnos in Ialon # 10)

Donc, la druidesse, messagère des dieux, détentrice du secret des rites… bref, de
la mystique ascétique et tantrique, est l'instrument, le moteur, L'ÂME de la
dévotion sacrée.

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Pour schématiser :

- Ministère du druide : il veille à l'exécution des sacrifices, règle les pratiques


religieuses, initie les druides et consacre les druidesses, conseille les
seigneurs et rois ;
- Vocation de la druidesse : elle veille au maintien de la dévotion et de la
pérennité de la tradition (arts, médecine et métiers du feu), entretient la
sacralité (des lieux, du feu), initie les guerriers et les artisans.

La gorsedd galloise, gravure du XIXe siècle

Druidesse mère de la dévotion

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Ainsi, Dechtiré / Dectera (< Dexsitera = "Droitière"), fille du grand druide
Cathbad et de Maga par le truchement du dieu de l'amour Aongus Ôg (<
Oinogustios Ogios = "le Premier Choix - Jeune"), devient la mère du héros
demi-dieu Cuchulainn, par l'intervention d'un dieu, celle de Lugh.

Bref, Cuchulainn est fils de Dechtiré par l'intervention du dieu Lugh…

J'ai en mémoire surtout l'histoire de Caer Ibormaith (< Cadra Eburomatia= "la
Belle / Vaillante - Bonne Mère - If / Sanglier"), fille d'Éthal Anubhail.

Le jeune Belenos, Aonghus Ôg après l'avoir vu en songe devient désespérément


amoureux d'elle. Le jeune dieu ne pouvait malheureusement l'épouser car, suite
à un sortilège, elle était condamnée à passer la moitié de sa vie sous la forme
d'un cygne.
Pour les druides, comme pour les prêtres grecs et les brahmanes hindous, l'âme
était comparable à un cygne. Ainsi, l'âme individuelle d'une personne vivante
était qualifiée 'anatia' alors que celle d'une personne désincarnée était qualifiée
'anamu'.
En termes zoologiques, le cygne siffleur se disait Elouios ou Elaios alors que le
cygne muet se disait 'elarcos' ou 'elercos'. Chacun de ceux-ci est la
représentation symbolique, l'allégorie, de l'âme individuelle, incarnée ou
désincarnée.

Ainsi, Elouios = Anatia et Elarcos = Anamu.

Les métamorphoses de Caer de femme en Cygne passant la moitié de sa vie soit


femme ou cygne rappellent les états de veille et d'éveil des humains. Cette
transformation est symbole de la relation d'amour entre la divinité le mortel, de
la transformation de l'âme par l'esprit divin. La tradition védique à recours au
terme "Rasa" qui exprime le doux sentiment qui marque la relation intime
unissant chaque être individué à l'Être Suprême. On en compte généralement
cinq : le rasa de neutralité, de la servitude, d'amitié, d'affection parentale et
amoureuse. Rasa se disait Deuocaria (dévotion - pieuse, divine).
Le beau motif de mythologie celte qui suit est en tout point semblable à celui de
Radha, ses gopis (vachères) et le dieu Krishna :

“Aonghus s'empressa vers le lieu comme s'il avait des ailles à ses pieds. Là au
bord de l'eau, il épia cinquante fois trois filles parées de chaînes d'argent. C'était
les vachères qui gardaient le troupeau de la Boann.
Isolée d'elles était la demoiselle qui hantait ses rêves, celle qu'il avait tant
cherchée depuis trois longues années.
Elle avait son propre collier d'or finement œuvré.”

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Mais sans être trop pessimistes, si nous oublions cette folklorisation de la
religieuse en prophétesse, sorcière ou enchanteresse, quel était réellement le rôle
ecclésiastique de la femme dans l'antiquité pré-chrétienne celte ?

Rôle ecclésiastique de la femme celte :

La druidesse en tant que prêtresse est à la fois la messagère des dieux (aspect
divinatoire), la gardienne des lieux, du feu, la maîtresse, l'enseignante et la
matrone (maintien du sacré), initiatrice, patronne des arts (maintien de la
Tradition) ; et en médecine, garante de la fertilité et de la production veillant au
maintien de la santé (bien-être collectif).
C’est aussi la druidesse (en tant que fée : « sorcière tantrique ») qui initie le
jeune guerrier aux arts martiaux. N’oublions pas l’épisode où Scatach (< Scataca
= « l’Ombreuse », « la Sombre » ) initie le héros Cuchulainn (< Cu-Cuslantios
= « le Chien de Cuslanos = « du Coudrier »).
« … Le mariage s’ajoute à l’union libre en quelque sorte. Fée et sorcière… La
Dame n’est pas duale mais triple à l’image de Macha. Visionnaire lorsqu’elle est
la femme de Nemed dans une qualification de première fonction, reine de
deuxième fonction lorsqu’elle guerroie les fils de Dithorba, et agricultrice de
troisième fonction avec le paysan Crunnchu.
Il n’y a pas, dans la matière celtique, de preuves pour affirmer que la femme a
limité son sacerdoce à la prophétie et à la médecine. Le mystère qui entoure les
cultes féminins témoigne plus d’un secret initiatique que d’une absence. La
place prépondérante, qu’elle tient dans les récits héroïques de l’antiquité
celtique, démontre qu’elle consacrait le roi. Il y a là une exclusivité typiquement
féminine qui s’apparente parfois à un sacrifice. » (Caruocnos in Ialon # 10)

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Donc, si la druidesse appartient à la classe des nemetes, des prêtres en fait, peut-
on alors parler de prêtresse ? Si oui, quel était le nom de la prêtresse en celtique
ancien ? Question que j'ai posée à Joseph Monard il y a quelque temps… et
voici sa réponse :

"Un terme attesté et probablement spécialisé est celui de sena (nominatif pluriel
senai) en le prenant au pied de la lettre ce seraient des "doyennes" car l'adjectif
sena = vieille ; il s'agissait de membres d'une communauté vivant dans l'île aussi
nommée Sena = Sein = Enez Sizun. On peut penser à un jeu de mots gaulois
avec semna = vénérable, mal perçu par l'auteur latin Mela ; Ceci est plausible à
travers une autre référence ci-après... Strabon et Ptolémée mentionnent les
Samnitai, autre communauté féminine vivant dans une autre lie, proche de
l'estuaire de la Loire, auprès des Namnetes, dont le nom ethnique a donné
Namned > Nantes : signifiant lui-même les "célestes" < namos = ciel. Je pense
donc à l'attraction phonétique de Namnetes sur *Semnitai qui aurait donné
Samnitai chez ces auteurs non celtophones, coïncidant en outre pour les
latinophones avec le nom ethnique italiote des Samnitae... Donc va pour
semnitai, en variante de semnai; (nominatifs singuliers respectifs : semnita,
semna .) qui seraient des moniales

On retrouve là la racine commune seb- à la fois celtique, germanique et grecque


d'où au masculin semon, génitif semnos en goidélique parallèle au gaulois sebo,
génitif sebnos , au sens de "révérend, vénérable".

Autre terme probable : nemetialis = "attachée au nemeton" qui est attesté


comme nom de déesses plurales:

les Nemetiales ; - toujours sous toutes réserves quant au contenu de la fonction


mais semble bien être des prêtresses attachées aux sanctuaires.

Nemetona // Nemetara, la Sacrée, un des aspects de Nameta (Neuvième, en j.


de m. : Noiolatis = Neuvaine), Namanta (L'Ennemie), la Nemain irlandaise, une
des trois Moriganes avec la Macha

A titre historique, il faut mentionner deux termes désignant la femme devin:


ueleta > ueleda = "voyante" dont il n'est pas dit qu'elle était vraiment prêtresse;
et après déclin de l'ordre druidique le titre de "druidesse" usurpé par des diseuses
de bonne aventure, probablement *druuidissa en celtique.
Si l'on croyait à la réalité de femmes prêtresses, on pourrait forger un féminin au
nom du "curé de campagne" gaulois ecco, génitif ecconos qui serait une
*eccona. " (lettre de Joseph Monard, 2001)

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Autres dénominations féminines :

Bardissa < Barda , la bardesse, poétesse


Cailiaca // Coiliaca, Femme Devin, Prophétesse
Idennica // Idemnica, l'accoucheuse
Iacceta, la guérisseuse
Isara, une sainte, bénie, sacrée
Nexa, la Nymphe, nexai, les nymphes
Retlodruuidissa, l'astrologue
Sebara < Soibra, la fée
Suliuia-Idennica, la sage-femme
Uataca, femme ayant un don divinatoire
Uatinea, fille vate, petite prophétesse
Uateissa // Uatissa, vatesse, prophétesse
Uatolegia, femme médecin, vatesse
Uercana, "la Très Accomplie", l'enseignante
Lubieulaca, savante en herboristerie, savante des plantes médicinales
Lubionaca, herboriste, botaniste
Uatua // Uatuia, vatesse agissante, en jeu de mots avec prophétesse
Uegeiadia > Uegeadia > Ueadia // Ueiadia, la tisseuse, la fée
Uidodunia, la savante, femme de science
Uindabra < Uinda Soibra, le Fantôme Blanc, la Dame Blanche
Uindisa, la Dame Blanche.
________
Sources :
Anonyme. Lebor Gabala Erenn, "Livre des Conquêtes de l'Irlande". Irish Texts
Society, Dublin, édition R.A.S. Macalister, 1939.
Berresford Ellis, Peter. A dictionary of Irish mythology. Oxford University
Press, Oxford, G.-B., 1987.
Caruocnos. Initiatrice et sacrificatrice. Ialon # 10.
César, Jules. La Guerre des Gaules. Traduite et commentée par Jean Thoraval,
Bordas, Paris, 1967.
Cologne Digital Sanskrit Lexicon
http://www.uni-koeln.de/cgi-bin/SFgate
Guyonvarc'h, Christian-J. et Le Roux, Françoise. Les Druides. Editions
Ouest-France Université, Rennes, 1986.
__________________________________________. La civilisation celtique.
Éditions Payot, Paris, 195.
Monard, Joseph. Dictionnaire de Celtique Ancien. Keltia Publications,
Edimbourg, Écosse, 2000.
______________. Courriel, Lettre datée de 2001.
Persigout, Jean-Paul. Dictionnaire de Mythologie celte. Éditions du Rocher,
Monaco 1990.
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