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T
andis que les principes tayloristes de l’organisation du travail,
malgré toutes les inévitables concessions dans la pratique de
l’entreprise, aboutissent au fond au mépris des exigences d’auto-
nomie et de réalisation de soi des travailleurs, la nouvelle valorisation
de la subjectivité des travailleurs, dans le cadre de concepts de mana-
gement orientés vers la participation, est l’illustration d’une situation
extrêmement ambivalente. Le dépassement du taylorisme n’est pas le
résultat d’une critique normative et de ses répercussions sur un plan
pratique et politique, mais finalement une victoire des principes fon-
damentaux du taylorisme lui-même. Dans ces conditions, des formes
de manifestation de la reconnaissance, introduites pour des raisons
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Pour pouvoir exécuter un ordre, celui qui le reçoit doit tout d’abord être en
mesure de le comprendre, et qui a compris ce qu’il devait faire peut, par
principe, également refuser. Si l’on considère également que le responsable
chargé de donner les ordres ne peut prévoir la totalité des configurations qui
vont se présenter et les intégrer dans ses directives, et qu’il serait purement
anti-économique de devoir fournir des directives explicites pour chacune
des étapes élémentaires de la tâche, et, qu’en outre, c’est le plus souvent
justement ceux qui sont supposés ne faire qu’exécuter les ordres qui savent
le mieux comment il convient de procéder, on voit bien que le travailleur,
même dans les conditions d’une organisation tayloriste, ne pouvait être
réduit au rôle d’un simple facteur productif programmé rigidement. Pour-
tant, la subjectivité des travailleurs, pour ainsi dire, n’était autorisée à entrer
que par la porte de service.
Cette dépendance de fait des compétences et de l’intervention pra-
tique des travailleurs attachés à la production ne signifiait pas que l’on eût
qu’était supposée avoir lieu la vie véritable, dont le travail aliéné sous les
conditions du taylorisme constituait la base financière. Les revenus pro-
venant du travail salarié dans le capitalisme ne permettaient certes pas de
compenser l’expérience de l’aliénation et de l’absence de considération
engendrées par l’organisation sociale du processus de travail ; ils étaient
pourtant supposés créer les conditions permettant de mener, hors de la
sphère professionnelle, une vie dont on disposait librement et que l’on pût
éprouver comme pourvue de sens. On constata pourtant qu’en fait, l’hété-
ronomie de la sphère de la production se prolongeait effectivement dans
le prétendu temps libre (voir Habermas, 1970). S’il n’y a pas de vraie vie
dans la fausse vie, il n’y a pas non plus de bonne vie sur la base du tra-
vail aliéné. Qui ne peut se réaliser de manière productive dans le cadre de
son travail n’est pas non plus en mesure, à titre, pour ainsi dire, compen-
satoire, de saisir les chances d’épanouissement personnel créatif qu’offre
un monde du loisir où règne l’individualisme consumériste. Ce ne sont
pas seulement les niveaux de salaires ni l’épuisement physique et mental
résultant d’une concentration extrême des tâches qui empêchent de fait
une véritable participation active à la vie politique et sociale. La mise sous
tutelle dans l’entreprise se conjugue à la réception passive de produits finis
de l’industrie culturelle et à une participation à la vie sociale bornée à la
consommation.
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simple fonction subsidiaire ? Dans tous les cas, c’est une singulière vic-
toire sur le taylorisme. Celui-ci a en effet été vaincu grâce à ses propres
armes : des conceptions non tayloristes de l’entreprise se sont avérées plus
efficaces. Le taylorisme classique a étouffé sous ses propres succès, en
hypertrophiant la bureaucratie au sein de l’entreprise, et en atteignant rapi-
dement le point où il devenait évident qu’une réduction supplémentaire
du travail de fabrication direct aboutirait en réalité, par l’augmentation
constante des dépenses consacrées au contrôle bureaucratique, à engloutir
toutes les économies et les gains d’efficience que l’on visait. Le taylorisme
a ainsi succombé à la spirale de rationalisation qu’il avait lui-même essen-
tiellement contribué à mettre en œuvre, et, dans cette mesure, son échec est
en même temps sa victoire.
Le taylorisme n’a pas succombé à des confrontations sociales menées
avec détermination, mais banalement à la modernisation des stratégies de
management. Ce qui s’avère comme une hypothèque non dénuée de problè-
fit pas, en tant que telle, à faire comprendre effectivement aux travailleurs
les principes de l’empowerment et de l’autogestion décentralisée et de les
motiver dans ce sens. Pourtant, le travail en groupe et les nouvelles formes
d’autogestion décentralisée augmentent, comme le confirment nos propres
enquêtes (voir Kocyba, Vormbusch, 2000), les chances des travailleurs
de trouver, dans leur métier, la reconnaissance. Quand le chef ne dirige
plus son équipe en se contentant de donner des ordres, mais qu’il doit se
considérer comme coach, comme entraîneur, donc, des équipes dont il est
responsable, quand les travailleurs peuvent déclarer fièrement que « chez
nous, ce qu’on attend maintenant, ce sont des arguments », l’ambiance au
sein de l’entreprise est nécessairement transformée. Du côté de la direction
de l’entreprise, ces nouvelles formes de communication sont assorties de
nouvelles attentes en termes d’efficacité et d’augmentation du rendement,
ce qui signifie qu’elles ne sont pas le cadeau désintéressé d’une direction
soucieuse d’humanisation. La confiance que le management accorde, en
termes de marge de manœuvre, aux employés, leur crée en quelque sorte
une dette d’obligation. La reconnaissance qu’on leur accorde se double de
l’attente que ceux qui en sont l’objet auront à cœur, à l’avenir, de continuer
à la mériter, et seront donc disposés à tous les efforts pour cela. C’est donc
maintenant par la reconnaissance, par une confiance accordée en apparence
spontanément, que s’effectuent le contrôle et la direction.
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le processus économique, ou telles que tout être humain est fondé à les
attendre d’autrui. Même les formes de reconnaissance juridique n’ont pas
toutes la même structure. La reconnaissance juridique peut nous concer-
ner, en tant qu’êtres humains, de manière universelle, elle peut être liée
au statut de citoyenneté dans un État donné, elle peut aussi concerner les
droits d’individus ou de communautés culturelles, elle peut comprendre
des droits fondamentaux universels, des droits à la participation politique,
ou des droits civils sociaux. Dans les cas où l’on a affaire à une reconnais-
sance qui concerne une réalisation particulière, à la contribution indivi-
duelle à des objectifs communs, où il ne s’agit donc ni de l’exigence uni-
verselle d’une reconnaissance juridique ni de celle d’une reconnaissance
en tant qu’individu particulier, surgissent de nouveaux problèmes, que des
procédures de reconnaissance standardisées exacerbent plutôt qu’elles
ne les résolvent. Pour qui voulons-nous être reconnus, par qui, dans quel
objectif, pour quelles compétences et quelles prestations, et en fonction
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procurent des hiérarchies claires. L’un des reproches qui apparaît fréquem-
ment dans le cas de hiérarchies réduites, c’est la difficulté croissante de
parvenir à une décision. Le fait que, lorsqu’il est impossible de trouver un
accord entre des équipes individuelles, on ne puisse demander à un supé-
rieur de trancher, est souvent ressenti comme irritant. Le fait que l’on par-
vienne aux accords nécessaires par le biais de réseaux de relations infor-
mels, et non plus par des structures directrices claires, est ressenti comme
une impuissance. L’absence de hiérarchies claires et perceptibles entraîne
des sentiments d’insécurité et même de discrimination.
Paradoxalement, l’abolition des structures de commandement for-
melles ne mène pas à la suppression des relations de pouvoir, mais engen-
dre de nouvelles relations de pouvoir qui croissent sur le sol de nouvelles
formes de l’insécurité. La non-décision peut être une importante ressource
de pouvoir. Pour certains collaborateurs, il est, pour chaque cas, difficile
de tabler, vu le peu de temps dont ils disposent, sur des processus d’accord
qu’il accomplisse une tâche en priorité. Dans ces cas, il s’agit d’une auto-
nomie sur la base de responsabilités établies, pas au sens du droit de défi-
nir ses propres buts. Le collaborateur n’est pas « réellement » autonome,
mais lié à des directives et à des contraintes, il ne peut que dans une faible
mesure « déléguer à rebours », donc se retourner, en cas de problème, vers
sa hiérarchie.
Un autre problème des nouvelles formes de management réside
dans les difficultés qui en découlent, en termes de visibilité des presta-
tions personnelles, qui est une condition nécessaire de formes spécifiques
de la reconnaissance. D’une part, les employés ont souvent l’impression
que leur apport, en termes de prestation personnelle, n’est pas réellement
perçu par leurs supérieurs directs ou par la direction de l’entreprise. Pour
eux, ce n’est d’ailleurs pas uniquement la manière dont ils sont perçus
« en haut lieu » qui joue un rôle, mais il est également important de savoir
soi-même « où l’on en est ». Il y a donc, de ce point de vue, une exigence
sensible de transparence. La prestation personnelle, le succès personnel,
doivent être perceptibles. Le problème réside précisément dans l’« invisi-
bilité » des efforts fournis, des réussites personnelles. Cependant, on peut
constater, en même temps, une hostilité marquée contre certaines formes
de « mise en évidence » des prestations individuelles, qui sont perçues
comme surveillance, comme espionnage, comme signes de méfiance. Les
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