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Phèdre

Racine
Livret pédagogique
établi par Anne AUTIQUET,
agrégée de Lettres classiques,
professeur en I.U.F.M.

HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur :Médiamax

Mise en page
Maogani

Illustration
Élisa Félix dans le rôle de Phèdre
©Hachette Livre

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.


© Hachette Livre, 2002.
43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15.
ISBN : 2.01.168546.X

www.hachette-education.com

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droit ou ayants cause,est illicite».
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre
français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE

AVA N T - P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉPONSES AU X Q U E S T I O N S 10

Bilan de première lecture ................................................................................................. 10

Acte I, scène 1
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Acte I, scène 3
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Acte II, scène 5


Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Acte IV, scène 2


Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Acte IV, scène 6


Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Acte V, scène 6
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

BIBLIOGRAPHIE CO M P L É M E N TA I R E 77
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,
il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents
objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux
techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes,
analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire,
de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi,l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.Phèdre,
en l’occurrence, permettra d’aborder les formes du langage dramatique, les
rapports entre texte et mise en scène, et de s’initier aux genres théoriques,
tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture…

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle


collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois:
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte,
moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires
et quelques repères fondamentaux;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux
travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants:


• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément,en bas de page,afin
d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant
donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux
donnent à l’élève les repères indispensables: biographie de l’auteur, contexte
historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de
couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc),
il comprend:

4
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un
parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettent
de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre: l’élève est invité à observer et à analyser
le passage;les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sont
proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre
lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction
du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse
du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un
questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse
et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve
écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en
rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves,
un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

5
TABLE DES CORPUS

Composition
Corpus
du corpus

Scènes Texte A : Scène 1 de l’acte I de Phèdre


d’exposition de Jean Racine (pp. 31-38).
au théâtre Texte B : Scène 1 de l’acte I de Bérénice
(p. 44) de Jean Racine (pp. 45-46).
Texte C : Extrait du prologue d’Antigone
de Sophocle (pp. 46-47).

La passion Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte I de Phèdre


amoureuse de Jean Racine (p. 58, vers 269, à p. 59, vers 310).
chez Racine Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte I de Bérénice
(p. 66) de Jean Racine (pp. 66-67).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte II
de Britannicus de Jean Racine (pp. 67-68).
Texte D : Extrait de Sur Racine
de Roland Barthes (p. 69).

Des tirades d’aveu Texte A : Extrait de la scène 5 de l’acte II de Phèdre


et de justification de Jean Racine (p. 90, vers 670, à p. 91, vers 703).
(p. 99) Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte II
de Britannicus de Jean Racine (p. 100).
Texte C : Extrait de la scène 4 de l’acte IV
d’Iphigénie de Jean Racine (pp. 101-102).
Texte D : Extrait du 2e épisode d’Antigone de
Sophocle (p. 102).

6
Objet(s) d’étude Compléments aux travaux d’écriture
et niveau(x) destinés aux séries technologiques

Le théâtre : genre Question préliminaire


et registre. Quelles questions peut encore se poser le spectateur
Histoire littéraire à la fin de ces textes ?
(Seconde
ou Première) Commentaire
Vous examinerez la manière dont sont introduits
les personnages,l’espace,le temps et l’action de la
tragédie,ainsi que les rôles respectifs des deux confidents.

Le théâtre : genre Question préliminaire


et registre En quoi peut-on dire que les caractères de l’amour
(Seconde dans les textes A, B et C correspondent à ceux
ou Première) de l’«Éros immédiat» décrit par Barthes ?

Commentaire
Vous pourrez étudier la mise en scène de la rencontre,
les effets de la passion sur Néron et la manière dont
est fait l’éloge de Junie.

Le théâtre : genre Question préliminaire


et registre. Vous montrerez comment les valeurs qui s’opposent
Convaincre, dans chaque extrait forment les termes du conflit
persuader, délibérer tragique.
(Seconde ou
Première) Commentaire
Vous pourrez étudier la manière dont est introduit
l’aveu de la décision d’Agamemnon, ainsi que
le caractère tragique de son conflit intérieur et
les arguments utilisés pour justifier son choix auprès
de sa fille.

7
TABLE DES CORPUS

Composition
Corpus
du corpus

Un personnage, Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte IV de Phèdre


deux de Jean Racine (p. 123, vers 1035, à p. 124, vers 1076).
interprétations Texte B : Extrait de Mise en scène de Phèdre
(p. 135) de Jean-Louis Barrault (pp. 136-137).
Texte C : Extrait de « Antoine Vitez à la rencontre du
texte » de Denise Biscos (pp. 137-138).

La jalousie tragique Texte A : Extrait de la scène 6 de l’acte IV de Phèdre


(p. 156) de Jean Racine (p. 145, vers 1218, à p. 149, vers 1294).
Texte B : Extrait de la scène 4 de l’acte III
de Bajazet de Jean Racine (pp. 157-158).
Texte C : Extrait de la scène 3 de l’acte III
d’Othello de William Shakespeare (pp. 158-159).

Le récit épique Texte A : Extrait de la scène 6 de l’acte V de Phèdre


dans le théâtre de Jean Racine (p. 169, vers 1498, à p. 172, vers 1570).
classique Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte IV du Cid
(p. 179) de Pierre Corneille (pp. 180-182).

8
Objet(s) d’étude Compléments aux travaux d’écriture
et niveau(x) destinés aux séries technologiques

Le théâtre : texte Question préliminaire


et représentation. Où peut-on voir, dans la tirade de Thésée,
Convaincre, une certaine ambivalence de sentiments ?
persuader, délibérer
(Première) Commentaire
Vous pourrez étudier les causes et les enjeux de
la fureur de Thésée, les moyens stylistiques traduisant
sa violence et son aveuglement, les composantes et
les effets du monde mythologique évoqué.

Le théâtre : genre Question préliminaire


et registre Étudiez les marques de la lucidité et de l’aveuglement
(Seconde dans les textes A et B.
ou Première)
Commentaire
Vous pourrez étudier l’expression de la jalousie,
l’alternance de Roxane entre lucidité et aveuglement
et les effets produits.

Le théâtre : genre Question préliminaire


et registre. Vous comparerez les procédés qui rendent ces récits
Éloge et blâme vivants à nos yeux.
(Seconde
ou Première) Commentaire
Vous pourrez étudier la situation et l’enjeu dramatique
du récit, sa composition, les procédés de l’éloge
du héros et les caractéristiques du registre épique.

9
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Bilan de première lecture (p. 188)

a L’action commence dans la Grèce légendaire, à Trézène, port du Péloponnèse,


devant le palais de Thésée, roi d’Athènes, et en début de journée.
z Hippolyte veut quitter Trézène pour chercher son père parti depuis six mois et
pour fuir Aricie,princesse de sang royal,qu’il aime secrètement,mais que Thésée lui
interdit d’épouser pour raison d’État.
e Identité des personnages : Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des
Amazones ;Théramène, gouverneur d’Hippolyte depuis l’enfance ;Thésée, fils
d’Égée, roi d’Athènes, absent et introuvable depuis six mois. On apprend plus tard
qu’il était prisonnier du tyran d’Épire auquel il a fini par échapper ; Phèdre,
femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé ;Aricie, princesse de sang royal
d’Athènes, aimée d’Hippolyte et qui l’aime ; Œnone, nourrice et confidente de
Phèdre.
r Phèdre est la fille de Minos, roi de Crète et juge aux Enfers, et de Pasiphaé,
mère du fameux Minotaure. Elle descend du Soleil par sa mère et de Zeus par son
père. Sa sœur est Ariane, qui aida Thésée à sortir du Labyrinthe puis fut séduite et
abandonnée par lui.
t Phèdre est follement éprise de son beau-fils Hippolyte.Cet amour est illicite,car
il est adultère et quasi incestueux. Phèdre, ne pouvant se libérer de cet amour et se
sentant trop coupable, veut mourir pour cacher sa honte et sauver son honneur.
y Phèdre accuseVénus,déesse de l’Amour,d’avoir provoqué sa passion pour se ven-
ger de l’aïeul de Phèdre, le Soleil, qui a dévoilé jadis ses amours secrètes. Elle a déjà
frappé la mère de Phèdre, Pasiphaé, d’un amour monstrueux et inspiré à sa sœur
Ariane une passion funeste pour Thésée.
u La première annonce imprévue de la pièce est celle de la mort de Thésée,à la fin
de l’acte I. L’amour d’Hippolyte devient permis et celui de Phèdre cesse d’être
coupable, puisque la mort de Thésée rompt tout lien familial entre elle et lui.
i Hippolyte vient proposer à Aricie de régler la succession de Thésée en lui
rendant le trône d’Athènes sur lequel elle a des droits,tandis que lui gardera Trézène.
Devant la réaction étonnée d’Aricie, il se trouble et lui avoue son amour.
o Devant l’aveu de Phèdre, Hippolyte a une réaction d’incompréhension et
d’indignation. Puis il garde un silence horrifié et ne répond rien à son aveu final.

10
Bilan de première lecture

q La nouvelle du retour de Thésée bouleverse la situation de Phèdre et d’Hippolyte,


car ils ont avoué leur amour secret à la personne aimée.La situation devient surtout
critique pour Phèdre qui craint d’être dénoncée à Thésée par Hippolyte et
souhaite à nouveau se suicider.
s Œnone accuse Hippolyte, entre l’acte III et l’acte IV, d’avoir cherché à abuser
de force de Phèdre,et l’épée d’Hippolyte,laissée aux mains de cette dernière,lui sert
de preuve pour appuyer son accusation.
d Hippolyte ne se défend pas de l’accusation de Thésée, car il ne veut pas porter
atteinte à l’honneur de son père en dénonçant Phèdre.Peut-être aussi se sent-il trop
coupable de son amour pour Aricie ?
f Ne voulant pas souiller sa mémoire d’un meurtre honteux,Thésée demande à
Neptune,à la scène 2 de l’acte IV,de le venger en punissant son fils de mort.Le dieu,
en effet, a une dette envers lui et lui a promis de satisfaire son premier vœu.
g Phèdre,venue dans un ultime sursaut de vertu pour sauver Hippolyte en avouant
sa faute et son mensonge à Thésée,renonce à cet aveu à la scène 4 de l’acte IV,quand
elle apprend qu’Hippolyte aime Aricie. La rage de la jalousie l’empêche alors de
prononcer la parole salutaire.
h Hippolyte, chassé par son père, et Aricie décident de partir ensemble à la
scène 1 de l’acteV. Ils se marieront auparavant dans un temple proche de Trézène.
jThéramène vient annoncer la mort d’Hippolyte à Thésée à la scène 6 de l’acteV.
L’attelage qu’il conduisait, épouvanté par un dragon sorti de la mer, s’est emballé
et a fracassé le prince contre les rochers,malgré sa lutte héroïque contre le monstre.
Ses dernières paroles proclament son innocence et son amour pour Aricie.
k Phèdre, qui s’est empoisonnée, vient avouer sa faute à Thésée avant de mourir,
afin d’innocenter Hippolyte. Elle invoque, une dernière fois, la responsabilité de
Vénus et celle d’Œnone.

11
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Acte I, scène 1 (pp. 31 à 38)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 39 À 43)


a Les deux personnages en scène sont Hippolyte, fils de Thésée, et son confident
et gouverneur Théramène qui l’a élevé et instruit quand il était enfant.On l’apprend
par les marques du destinataire (v. 1 : « cher Théramène » et v. 8 : « Seigneur »), par
le vers 66 (« Toi qui connais mon cœur depuis que je respire ») et par les vers
73-74 et suivants (« Attaché près de moi par un zèle sincère, […] »).
z L’entretien est rendu crédible par le retour de Théramène après une longue
absence à la recherche de Thésée et par la décision, annoncée par Hippolyte, de
partir lui-même pour chercher son père.
e Les raisons invoquées par Hippolyte sont successivement : la volonté de retrou-
ver son père (v. 1-7), l’arrivée de Phèdre (v. 34-36), la présence d’Aricie (v. 48-51),
la honte d’aimer Aricie et d’aller contre l’interdit de son père (v.65-68 et 102-113).
Théramène s’étonne des raisons invoquées :pourquoi retrouver un père introuvable
et qui se cache peut-être à dessein (v.8-21) ? peut-être veut-il fuir l’inimitié de Phèdre
(v. 37-47) ? Hippolyte veut-il punir Aricie des crimes de ses frères (v. 51-55) ? Les
suppositions de Théramène se fondent sur des quiproquos qui amènent Hippolyte
à se « dévoiler » progressivement et à avouer ses sentiments.
r Les interrogations successives et réitérées de Théramène, ses reprises des mots
d’Hippolyte (v.7-8 et 28-30 :« lieux » ;v.36-38 :« Phèdre » ;v.50-53 :« Aricie » ;etc.)
montrent qu’il a l’initiative dans le dialogue. Il cherche à faire expliquer sa décision
à Hippolyte et suscite ses aveux par des malentendus ;puis il cherche à le convaincre
d’accepter l’amour d’Aricie et de ne pas quitter Trézène. Son rôle réel est toujours
celui de gouverneur qui veille sur Hippolyte et le conseille.
t L’amour semble à Hippolyte un reniement de lui-même, une indignité dont il
a honte ; il utilise le champ lexical de la faute (« faillir ») et de la honte : « le désa-
veu honteux », « d’un cœur si fier, si dédaigneux » (v. 67-68), « humilié », « méprisable »,
« lâches soupirs » (v. 96-97), et celui de la défaite (métaphore guerrière) devant une
« ennemie » (v. 49), un « vainqueur » (v. 102). Son amour lui apparaît déraisonnable :
« un fol amour » (v. 113).
y Les relations d’Hippolyte avec les différents personnages sont complexes :il est lié à
sa mère par son hostilité à l’amour,fasciné par son père tout en détestant ses conquêtes
amoureuses et en redoutant ses interdits ;il craint Phèdre,mais la respecte ;il aime Aricie,
mais en est honteux ;à Théramène il se confie,tout en se défendant de ses sentiments.

12
Acte I, scène 1

u La double raison annoncée est la recherche du roi son père absent (quête poli-
tique) et,plus loin dans la scène,la fuite d’un amour honteux et coupable.L’obstacle
principal est l’interdit paternel pour des raisons politiques.
i Personnages absents :Thésée, Phèdre,Aricie ;Antiope, mère d’Hippolyte ; les
brigands tués par Thésée et ses conquêtes féminines dont Ariane,la sœur de Phèdre.
Le long récit fait par Hippolyte du passé de Thésée a comme fonction de présenter
l’arrière-plan mythologique dont fait partie le héros chasseur de monstres, montrant
en même temps la dualité du personnage et des sentiments d’Hippolyte pour lui.
o Liens sociaux et familiaux des personnages entre eux :Thésée, roi d’Athènes et
père d’Hippolyte ; Phèdre, belle-mère d’Hippolyte, fille de Minos, roi de Crète, et
de Pasiphaé,et sœur d’Ariane ;Aricie,fille d’un roi d’Athènes descendant de Pallas,
chassé du trône par Thésée ;Antiope, reine des Amazones et mère d’Hippolyte.
Caractérisation des personnages principaux :Thésée, personnage double, à la fois
héros chasseur de monstres et grand séducteur, roi absolu et père redoutable (qui
interdit d’épouser Aricie) ; Phèdre, belle-mère agressive à l’égard d’Hippolyte et
atteinte d’un mal mystérieux ;Aricie, « l’aimable sœur des cruels Pallantides ».
q Reconstitution de l’ordre des faits (retour en arrière) :
– le temps lointain des exploits légendaires de Thésée (enfance d’Hippolyte) ;
– son mariage avec Phèdre et la fin de ses conquêtes féminines ;
– l’exil d’Hippolyte par Phèdre d’Athènes à Trézène ;
– l’arrivée à Trézène de Phèdre et d’Aricie ;
– le nouveau départ de Thésée (depuis 6 mois) ;
– les recherches vaines de Théramène ;
– la maladie mystérieuse de Phèdre ;
– le changement d’attitude d’Hippolyte amoureux, sa décision de partir.
s Les procédés sont des indicateurs temporels qui inscrivent dans le temps les
événements :le départ de Thésée (v.5-7 :« Depuis plus de six mois »);l’arrivée de Phèdre
(v. 35 : « Depuis que sur ces bords ») ; le retour à l’enfance d’Hippolyte (v. 66 : « depuis
que je respire » ;v.71 :« Dans un âge plus mûr moi-même parvenu »).La forme de discours
utilisée par Hippolyte pour raconter les exploits de son père est un discours narratif
à deux niveaux.Tout en prêtant à Théramène ce récit qui donne une dimension
mythique au personnage de Thésée, il raconte ses propres réactions contradictoires
d’enfant à l’écoute de ces histoires, partagé entre la haine, héritée de sa mère
amazone, des conquêtes amoureuses de son père et la fascination de ses exploits.
d Hippolyte associe le registre épique à cet arrière-plan.Ses caractéristiques sont le
discours narratif,le temps mythique,les exploits guerriers du héros et son éloge.Les

13
RÉPONSES AUX QUESTIONS

procédés sont les énumérations et le vocabulaire mélioratif (« nobles exploits »,


« héros intrépide »).
f Il y a trois sortes de lieux :
– les lieux de l’action :Trézène, l’antichambre du palais de Thésée (lieu conven-
tionnel) ;
– les lieux évoqués,contigus à l’action et symboliques :le rivage,la mer et les forêts ;
– les lieux plus éloignés dans l’espace et le temps, lieux mythiques des exploits pas-
sés et des voyages récents de Thésée (parcourus par Théramène) :fleuves des Enfers
(Achéron), mer Ionienne et mer Égée (v. 10-13) ; dans le Péloponnèse – Élide, cap
Ténare, Sparte, Épidaure, Salamine,Athènes (dont Thésée est le roi) –, la Crète,
pays d’origine de Phèdre (v. 81-87).
g Trézène est présenté comme un lieu « aimable » par Hippolyte (v.2) et « paisible »
par Théramène (v. 30) ; le lieu de l’enfance heureuse d’Hippolyte où il a fui les
artifices de la cour d’Athènes, sorte de havre de paix que l’arrivée de Phèdre et
d’Aricie a perturbé (v. 29-36). C’est aussi un port, lieu de départ et d’arrivée pos-
sible pour Théramène,Hippolyte (sur le point de partir tout au long de la pièce) et
Thésée (qui arrive par là).
h Le port est le lieu de l’entre-deux : entre la forêt et la mer. La mer est le royau-
me de Neptune, lieu d’où viendront les dangers (Thésée et le monstre). Mer et
forêt représentent le monde d’Hippolyte et de ses activités préférées : il dresse ses
chevaux sur le rivage et chasse dans la forêt, domaine de la déesse Diane. Mer et
forêt peuvent être aussi opposées : la mer associée à la lumière et au soleil ; la forêt,
lieu d’ombre et de fraîcheur,lieu de refuge et de secret.Or l’opposition entre ombre
et lumière est fondamentale dans Phèdre.
j L’évocation des lieux mythologiques contribue à la création d’un arrière-plan,
d’un univers merveilleux, à la fois grandiose et inquiétant, qui grandit les person-
nages et laisse augurer des événements violents et tragiques.
k À la fin de la scène, Hippolyte se dit toujours aussi décidé à partir. En ce sens,
l’action n’a pas avancé. Pourtant, il a révélé indirectement son amour à Théramène
qui l’avait déjà compris et l’a encouragé à l’accepter. En outre, le spectateur a
appris des deux protagonistes l’identité des personnages, leurs relations, leur passé
et l’état de la situation : absence de Thésée, imminence du départ d’Hippolyte,
énigme du « mal » de Phèdre.
l Le mystère de Phèdre :pourquoi Phèdre a-t-elle éloigné Hippolyte d’Athènes ?
pourquoi veut-elle mourir ? quel est ce mal qu’elle cache ?
m Les questions qu’on peut se poser : qu’est-il arrivé à Thésée et va-t-il revenir ?
Hippolyte va-t-il avouer son amour à Aricie ? va-t-il partir ? quels sont les senti-

14
Acte I, scène 1

ments d’Aricie à son égard ? va-t-on apprendre pourquoi Phèdre veut mourir ? On
peut s’attendre à des coups de théâtre : révélations, aveux, retours.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 44 À 49)


Examen des textes

a Les deux personnages sont Antiochus,roi de Comagène,l’un des plus grands de


l’Orient, et son confident Arsace, qui nous apprend qu’Antiochus est un « ami
fidèle » et un ancien « amant » (« qui aime et qui est aimé » au XVIIe siècle) de la
reine Bérénice, que l’empereur Titus aime Bérénice et qu’elle espère l’épouser.
Antiochus veut rencontrer Bérénice, tout en craignant de l’importuner. Le cabi-
net, espace médian entre les appartements de Titus et de Bérénice, sert de lieu de
rendez-vous à Titus et Bérénice.Meublé de façon luxueuse (« pompe »,« superbe »),
il est dit « solitaire » et lieu de « secret ».Le regard du spectateur va donc être témoin,
paradoxalement, de scènes secrètes.
z L’énigme est le motif de cet entretien secret. On pressent que le mariage
prochain de Bérénice peut être l’objet de cet entretien entre elle et son ancien
amant.
e Le « Arrêtons un moment » du premier vers inaugure la pièce en proposant une
entrée in medias res, au milieu d’une promenade et d’une conversation.Antiochus
fait découvrir à son confident Arsace un lieu secret qu’il ne connaît pas encore et
lui présente la disposition des lieux et leur fonction pour le couple Titus/Bérénice.
La crainte d’Antiochus de déplaire à la reine provoque (comme pour Théramène)
l’étonnement d’Arsace et l’amène à rappeler au roi son statut et ses relations
passées avec Bérénice, selon le procédé du malentendu. Le rôle d’Arsace semble
plutôt celui d’intermédiaire que de confident, car Antiochus ne répond pas à ses
questions.
r La didascalie initiale d’Antigone présente les personnages par ordre d’apparition
sur scène, tandis que, chez Racine, l’ordre est celui du statut social, conformément
au souci de préséance du XVIIe siècle. Par ailleurs, l’identité de chaque personnage,
n’étant pas connue des spectateurs de l’époque de Racine,est indiquée pour Bérénice,
et non pour Antigone, le théâtre grec représentant des légendes connues de tous.
t On constate,dans le prologue d’Antigone,la présence de deux personnages prin-
cipaux,Antigone et sa sœur, dont l’une (Antigone) présente à sa sœur des éléments
de la situation inconnus d’elle,alors que le théâtre de Racine introduit dans l’expo-
sition un héros et son confident.

15
RÉPONSES AUX QUESTIONS

y Le lieu de l’action est devant le palais des Labdacides à Thèbes (didascalie initiale) ;
le moment est le début du jour (« cette nuit »). Les personnages présents sont deux
sœurs,Antigone et Ismène, filles d’Œdipe et nièces de Créon, roi de Thèbes. Leurs
deux frères, Étéocle et Polynice, se sont entretués, et Créon vient, pour des raisons
politiques, d’accorder la sépulture à Étéocle et d’en priver Polynice, menaçant de
mort ceux qui contreviendront à cet interdit (« cet édit »).Antigone annonce à Ismène
sa décision d’ensevelir malgré tout Polynice (« ce que je veux faire »). Les mots
démonstratifs sont des déictiques qui permettent d’ancrer le temps et les événements
dans une réalité connue et partagée par les deux sœurs.
u L’enjeu de la discussion est l’efficacité de l’argumentation d’Antigone : Ismène
se laissera-t-elle convaincre d’aider sa sœur malgré ses réticences ? Il n’y a pas
d’énigme et l’action est déjà nouée, car on sait qu’Antigone va ensevelir le corps
de son frère et l’on attend de savoir comment Antigone va réaliser son projet et
affronter Créon.

Travaux d’écriture
Question préliminaire
Au prologue de la tragédie grecque, s’est substituée au XVIIe siècle, en France, la
convention de l’exposition qui permet de présenter au spectateur le cadre spatio-
temporel, les personnages et la situation dramatique, et de donner les éléments de la
crise qui s’amorce.
Les trois lieux rendent vraisemblables les rencontres : Antigone se situe en Grèce, sur
une place devant le palais des Labdacides à Thèbes ; Phèdre commence en Grèce,
dans une antichambre de passage devant le palais deThésée àTrézène ;Bérénice à Rome,
dans un cabinet secret entre les appartements des deux héros,dans le palais de Titus.
Les trois actions commencent en début de journée (les pièces classiques par conven-
tion,la pièce grecque l’annonçant dans le prologue).Le présent de la tragédie actualise
un passé qui pèse sur la pièce :amour ancien d’Antiochus et amour deTitus et Bérénice
dans Bérénice ;exploits positifs et négatifs de Thésée,haines familiales et amour interdit
d’Hippolyte dans Phèdre ;malheur d’Œdipe et mort de ses fils dans Antigone.
La pièce grecque présente immédiatement les protagonistes (l’héroïne et sa sœur) dans
le prologue, tandis que les expositions raciniennes mettent en scène un seul person-
nage principal et son confident.Les autres personnages sont présentés par les person-
nages présents :Thésée,Phèdre et Aricie dans Phèdre ;Titus et Bérénice dans Bérénice ;
Créon (ainsi que les frères morts d’Antigone) dans Antigone, tandis que les autres
personnages (Hémon,Jocaste) ne sont pas encore évoqués.

16
Acte I, scène 1

Dans les trois cas, un personnage présente ou rappelle à l’autre et au spectateur une
situation dont il ne connaît qu’une partie :édit de Créon annoncé par Antigone ;aveu
de son amour pour Aricie par Hippolyte et annonce du « mal » de Phèdre par
Théramène ;habitudes de rencontre de Titus et Bérénice révélées par Antiochus.Le
personnage principal annonce une décision qu’il a prise et qui amorce l’action :
enterrer son frère pour Antigone ;fuir Trézène pour Hippolyte ;rencontrer Bérénice
pour Titus. Dans la tragédie grecque, l’action principale est nouée et la crise peut
éclater. Chez Racine, l’exposition ne fait que donner des éléments essentiels pour
sa compréhension et créer des attentes chez le spectateur : des mystères restent en
suspens (quel est le secret de Phèdre ? pourquoi Antiochus veut-il rencontrer
Bérénice ?).

Commentaire
Le commentaire doit permettre de montrer de manière comparative les informations
données dans ces deux extraits de scènes d’exposition, les faits dont la connaissance
est indispensable à l’intelligence de l’intrigue. Le procédé utilisé dans les deux
expositions de Racine est le dialogue entre un héros et son confident, permettant
d’informer le spectateur sur des faits mal connus et de faire part des intentions du
personnage principal, afin de concentrer les germes des éléments futurs de
l’action. On peut remarquer que l’intrigue de Phèdre semble la plus complexe.
On peut suggérer le plan suivant :

1. Les données du conflit tragique


A. Informations données
• Présentation du cadre spatio-temporel.
• Présentation des personnages et de leurs liens,et évocation de leur passé (conquêtes
de Thésée et histoires d’Hippolyte,d’Aricie,de Phèdre ;histoires de Titus et Bérénice,
d’Antiochus et Bérénice).
• Présentation de la situation et des éléments de l’action à travers les intentions
d’Hippolyte et d’Antiochus.
B.Attentes des spectateurs
• On attend l’arrivée retardée de Phèdre et de Bérénice, héroïnes éponymes des
deux pièces.
• Des mystères restent en suspens (quel est le secret de Phèdre ? pourquoi Antiochus
veut-il rencontrer Bérénice ? quel est l’avenir des intrigues amoureuses évoquées
dans ces scènes ?).

17
RÉPONSES AUX QUESTIONS

2. Les artifices d’une exposition


A. Moyens utilisés
• Exposition dynamique in medias res et informations transmises en action : c’est le
cas dans les deux pièces, et surtout dans Phèdre, où l’on présuppose un début de
conversation contradictoire.
• Étonnement du confident, s’exprimant par des questions (v. 8, 15-16, 29-33 dans
Phèdre) qui font préciser ou expliquer les intentions du héros,ou malentendu (quipro-
quo) sur les intentions du héros (v. 37-47 dans Phèdre ; v. 11-16 dans Bérénice).
B. Personnalité et rôle du confident face au héros
Dans Phèdre,ces stratégies aboutissent à des protestations (v.22-28) et des confidences
progressives (v.34-36,50-51 et 56) d’Hippolyte à Théramène qui joue ici vraiment
le rôle de confident. Dans Bérénice,Antiochus refuse la confidence et rappelle Arsace
à des fonctions de simple intermédiaire.

Dissertation

Introduction
Dans un souci de vraisemblance,les dramaturges s’efforcent de rapprocher les deux
temps inhérents à toute représentation :durée objective du spectacle (temps réel) et
durée supposée de l’action (temps fictif). On a donc limité la durée de la fiction à
vingt-quatre heures.Toutefois,la tragédie est un moment de crise provoqué par des
événements et des sentiments qui s’enracinent souvent dans un passé lointain, et la
fonction de l’exposition est notamment d’en rendre compte par des récits qui res-
tituent ce passé. On verra, dans les trois extraits proposés, en quoi le présent est
présenté comme « le fruit du passé » – ce qui rend ce passé menaçant – et par quels
moyens les dramaturges le présentent. On s’appuiera aussi sur la connaissance de
l’ensemble de l’exposition de Phèdre.

1. Le présent de l’action, produit du passé


• Poids des dieux sur les héros :
– vengeance de Zeus contre les Labdacides (Antigone, l. 1-4) ;
– influence de Vénus sur l’amour d’Hippolyte (Phèdre, v. 61-62 et 123).
• L’hérédité qui détermine leurs sentiments ou leur destin :
– haine de l’amour héritée de sa mère par Hippolyte ;
– hérédité de la malédiction contre les enfants d’Œdipe (début d’Antigone).
• Fatalité du caractère :
– « inconstance fatale » de Thésée (v. 25, 60, 85-90) ;
– réputation d’austérité qui marque Hippolyte depuis longtemps (v. 66-68).

18
Acte I, scène 1

• Querelles politiques anciennes ou plus récentes qui provoquent des obstacles


aux désirs des héros :
– le massacre des Pallantides et l’interdit qui pèse sur Aricie (v. 105-110) ;
– mort récente des fils d’Œdipe et édit de Créon.
• Sentiments anciens ou plus récents qui tissent les relations entre les personnages :
– fascination exercée par les exploits de Thésée sur son fils ;
– haine affichée autrefois par Phèdre contre Hippolyte (v. 36-40), désir de mourir
plus récent de Phèdre ;
– liens amoureux entre Antiochus et Bérénice et projet de mariage d’Antiochus et
de Bérénice (v. 5-6, 13, 15), amour récent d’Hippolyte pour Aricie (v. 128-137) ;
– fidélité d’Antigone aux membres de sa famille (fin de la 5e réplique).

2. L’actualisation des menaces du passé


• Le poids du passé provoque et actualise la crise tragique en opposant des obstacles
aux désirs des héros :
– conflit chez Hippolyte entre son attachement à son père, sa fidélité à sa mère et
sa passion pour Aricie qui le fait fuir ;
– conflit chez Antigone entre l’édit menaçant de Créon et sa fidélité à son frère ;
– conflit prévisible entre deux amours pour Bérénice.
• Ces menaces laissent aussi planer des mystères qui provoquent l’attente des
spectateurs, sur les raisons du désir de mourir de Phèdre ou de la demande
d’entretien d’Antiochus.

3. Les moyens ou artifices du dramaturge


• Exposition dynamique in medias res :
– Hippolyte s’apprête à quitter Trézène contre l’avis de Théramène ;
– Antiochus conduit Arsace en conversant dans un cabinet inconnu de lui ;
– Antigone demande à rencontrer sa sœur en secret pour lui confier son projet.
• Rôle du personnage-confident qui ne connaît qu’une partie de la situation :
–Théramène ignore les motifs d’Hippolyte,de même qu’Arsace ceux d’Antiochus ;
– Ismène ne connaît pas l’édit dont lui parle sa sœur.
• Malentendus qui amènent les confidents ou les héros à restituer une partie du
passé :
–Théramène,cherchant l’origine du désir de partir d’Hippolyte,lui rappelle son dé-
part d’Athènes pour Trézène et son attachement pour ce lieu ;
– croyant qu’Hippolyte veut fuir Phèdre, il rappelle la haine affichée par Phèdre à
son égard ;
– Hippolyte,en évoquant sa haine d’enfant pour les récits des conquêtes féminines
de son père, cherche à nier son amour pour Aricie.

19
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– prendre en compte la situation d’énonciation propre à cette lettre ainsi que sa visée
argumentative ;
– faire un choix justifié par les indices spatiaux donnés dans le texte – lieu de
l’action et lieux évoqués – et les déplacements des personnages suggérés par le texte
(comment représenter ce lieu médian entre mer et forêt, à l’entrée d’un palais ?) ;
– dans le cadre du décor,on peut réfléchir aussi sur les éclairages (jeux entre l’ombre
et la lumière), et même sur les costumes que l’on propose pour les acteurs.

Acte I, scène 3 (pp. 50 à 59)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 60 À 64)


a On voit ici que l’état de Phèdre correspond à ce que Théramène avait dit d’elle
aux vers 44-47 :
– « Une femme mourante et qui cherche à mourir » : v. 153-156, 172, 226, 242 ;
– « Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,/Lasse enfin d’elle-même et du jour
qui l’éclaire » : v. 158-168.
La suite de la scène va constituer l’explication de ces paroles de Théramène.
z Deux scènes d’aveu entre héros et confident.
Hippolyte/Théramène (I, 1) Phèdre/Œnone (I, 3)
Hippolyte exprime le désir de fuir (v.1-7). Phèdre veut mourir (v.169-172).
Premier stade de l’aveu :questions et Premier stade de l’aveu :questions,erreurs et
erreurs de Théramène jusqu’au vers 56 pressions d’Œnone jusqu’au vers 205 («Ah,
(« Si je la haïssais,je ne la fuirais pas »). dieux ! »),puis jusqu’au vers 246 («Tu le veux.
Lève-toi »).
Deuxième stade :questions pressantes de Deuxième stade :questions d’Œnone et
Théramène jusqu’au vers 65 («Aimeriez-vous, déplorations de Phèdre jusqu’au vers 259
Seigneur ? »). («Aimez-vous ? »).
Troisième stade (v.65-113) :semi-aveu et récit Troisième stade (v.259-264 et 265-316) :aveu
de ses réticences face aux exploits de Thésée et dramatisé et récit détaillé de la naissance de cet
de l’interdit amoureux qui frappe Aricie. amour interdit,de sa lutte et de son désespoir.
Réaction de Théramène :tirade pour justifier Pas de réaction d’Œnone dans cette scène,qui
cet amour aux yeux d’Hippolyte (v.114-135). attendra l’annonce de la mort de Thésée pour
conseiller à Phèdre de céder à une flamme
devenue « ordinaire » (v.350).
Hippolyte redit sa décision de partir (v.138). Phèdre redit son désir de mourir (v.315-316).

20
Acte I, scène 3

On peut donc parler de parallélisme entre les deux scènes en ce qui concerne les
situations initiales et finales, la progression dans les confidences et le rôle des confi-
dents. L’aveu de Phèdre est plus long et progressif, mais aussi plus total, alors
qu’Hippolyte manifeste des résistances à l’aveu de son amour en ne répondant pas
à la dernière question de Théramène (v. 137).
e À la fin de l’exposition, il reste au spectateur à connaître les sentiments d’Aricie
pour Hippolyte.
r Phèdre, dans une sorte de délire, exprime successivement sa faiblesse extrême et
son impossibilité de vivre (v.153-157),le rejet de sa tenue (v.158-161),la hantise de
son aïeul le Soleil (v.169-172),une hallucination (regret de l’ombre des forêts et du
char d’Hippolyte, v. 175-177), l’égarement et la honte (v. 179-183). Œnone tente
en vain, à chaque réplique, de la ramener à la raison.
t Œnone exerce une pression constante sur Phèdre pour qu’elle dise les raisons de
son mal :après des rappels à la raison,elle fait appel au sens familial de Phèdre (v.185-
246) et à ce qu’elle croit être sa rivalité à l’égard d’Hippolyte (v. 206-216). Puis,
rappelant son dévouement pour Phèdre qu’elle a élevée, elle utilise la menace
d’abandon et la supplication (v. 227-245). Quand Phèdre, décidée à avouer, hésite
encore, elle lui promet le secret (v. 251-252) et lui arrache le nom de celui qu’elle
aime (v. 259-264). Ses motifs semblent être le désir de tout savoir des secrets de
Phèdre et de la sauver de la mort.
y Les trois étapes de l’aveu :
1) Une réaction vive au nom d’Hippolyte (v. 207).
2) Cédant aux menaces et aux supplications d’Œnone, elle décide de parler et
déplore la malédiction de Vénus sur sa famille (v. 246, 249).
3)Après avoir entendu nommer Hippolyte par Œnone,elle raconte,dans une tirade,
l’irruption de cet amour, ses efforts vains pour s’en défaire et le désespoir qui s’en
est suivi (v. 264-316).
u Phèdre manifeste d’abord sa honte de s’être laissée aller dans son égarement à
évoquer Hippolyte (v. 179-184) ; puis elle supplie Œnone de ne pas chercher à
savoir son secret (v. 225-226), la prévenant que cet aveu sera pire pour elle que son
silence (v. 237-238, 241-242). Elle semble ensuite déclarer son amour contre son
gré, bouleversée par le nom prononcé par Œnone au vers 205 ; puis, ébranlée par
la violence et les supplications d’Œnone, elle reporte trois fois sur elle la responsa-
bilité de son aveu : « Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche ? » ; «Tu le veux.
Lève-toi » ; « C’est toi qui l’as nommé ». La stichomythie des vers 246 à 265 accentue
le caractère de combat mené pied à pied par Œnone pour faire céder Phèdre.

21
RÉPONSES AUX QUESTIONS

i Phèdre demande à Œnone de la laisser à présent mourir après avoir compris


ses raisons. L’explication a donné sens au secret de Phèdre sans modifier son inten-
tion. Mais rompre le silence, c’est déjà donner corps au désir coupable et c’est déjà
transgresser l’interdit.
o Étapes du récit de Phèdre :
– le coup de foudre (v. 269-278) : alternance de l’imparfait marquant la situation
initiale équilibrée (v. 270-271) et du passé simple pour l’irruption de l’amour et de
ses effets (vers suivants) ;
– la lutte inutile (v.279-290) :imparfait de répétition (v.282-290) marquant les ten-
tatives réitérées ;
– tentative de réaction contre elle-même et résultats positifs (v. 291-300) : transfor-
mation de l’amour en haine et repli sur la famille (époux, enfants), passé simple
marquant les sursauts (« j’osai » « j’excitai »,« J’affectai »,« Je pressai »,« L’arrachèrent »)
et imparfait de l’équilibre retrouvé (« Je respirais », « coulaient », « je cultivais »), indi-
cateur temporel (« depuis son absence ») ;
– rechute (v. 301-306) avec les mêmes causes engendrant les mêmes effets : passé
composé des événements proches dans le temps dont les conséquences sont encore
présentes, présent de généralité (« Ce n’est plus », « C’est Vénus tout entière ») ;
– échec final et désespoir, conclusion sur son aveu (v. 307-316).
q Du vers 249 au vers 258, le rappel du passé rattache la passion de Phèdre à la
malédiction lancée par Vénus sur sa famille et qui a déjà atteint sa mère et sa
sœur : celle des amours interdites et maudites. Il l’inscrit dans la lignée des victimes
de la fatalité.
Du vers 269 au vers 308,le recours au passé est une justification de Phèdre par elle-
même qui témoigne de son impuissance devant cette passion irrésistible. Ce rap-
pel tente de montrer l’absence de responsabilité de Phèdre. Il a aussi une fonction
pathétique, cherchant à attirer la pitié du spectateur sur l’héroïne.

s Termes désignant l’amour (v. 269-310) : « Mon mal », « feux redoutables », « tour-
ments inévitables », « incurable amour », « blessure trop vive », « une ardeur », « Vénus tout
entière à sa proie attachée », « mon crime », « une flamme si noire ».
Les champs lexicaux de la souffrance, de la blessure ou de la maladie montrent cet
amour comme un « mal » ; celui du feu associe l’« ardeur » à la cruauté de Vénus et
la « flamme » au « noir » dans un oxymore qui traduit son caractère criminel.L’amour
est souffrance mortelle, esclavage et honte.

d a) Effets physiques de la passion (v. 269-278) :


– trouble physiologique soudain et puissant : rougeur, pâleur (v. 273) ;

22
Acte I, scène 3

– inhibition des facultés physiologiques : aveuglement, aphasie (v. 275) ;


– sensualité de tout le corps :sensations contradictoires de chaleur et de froid (v.276).
L’importance du champ lexical du regard et de la vue (v. 273, 275, 286, 290, 303)
et de celui du corps dans les manifestations de la passion montrent son caractère
sensuel : « mon corps », « mes yeux », « ma bouche », « mes veines ».
b) Effets mentaux de la passion :
– troubles psychologiques de l’« âme éperdue », égarement de la raison (v. 282) ;
– idolâtrie et obsession (v. 286) ;
– dédoublement de la personnalité de l’amant (v. 284-290) ;
– angoisse et désir de mort (v. 307-308).
L’amour est donc à la fois désordre physiologique et aliénation de la volonté mal-
gré des sursauts de révolte ou de fuite.
c) Figures de style traduisant la force contradictoire de cette passion :
– gradation : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » (v. 273) ;
– alliances de mots qui devraient se repousser :« je rougis,je pâlis »,« et transir et brûler »,
« l’ennemi dont j’étais idolâtre », en particulier l’oxymore « une flamme si noire ».

f Champ lexical de l’idéalisation : « J’adorais Hippolyte », « ce dieu », « idolâtre ». La


passion de Phèdre transforme Hippolyte en divinité à laquelle elle rend un culte.

g Phèdre invoque le Soleil, son aïeul maternel, pour lui annoncer sa mort (v. 169-
172) ; puis elle déplore la haine de Vénus (v. 249-250) qui poursuit sa famille de sa
vengeance en l’accablant d’amours impossibles ;enfin,elle évoque sa mère Pasiphaé
et sa sœur Ariane victimes de cette vengeance (v. 250, 253-254) avant elle-même
(v.257-258).Ces évocations mettent l’accent sur la responsabilité de la fatalité dans
son amour coupable.

h Ses sentiments à l’égard du Soleil sont mêlés de vénération et de honte (v. 169-
171). Elle exprime un sentiment d’accablement devant les « tourments inévitables »
que lui inflige Vénus.

j Phèdre a usé de tous les moyens possibles pour lutter contre sa passion :tentatives
pour calmer Vénus (prières, construction d’un temple et sacrifices), fuite devant
Hippolyte et bannissement d’Hippolyte. L’échec de ses tentatives tient à la volonté
de Thésée lui-même,qui l’a emmenée à Trézène rejoindre son fils avant de repartir
en voyage.
k Le terme rougir est employé au vers 170 s’appliquant au Soleil (« Qui peut-être
rougis »), au vers 182 par Phèdre pour elle-même (« la rougeur me couvre le visage »)
et au vers 273 (« Je le vis, je rougis »). Par ce terme, Phèdre exprime à la fois la honte

23
RÉPONSES AUX QUESTIONS

(celle de son aïeul vis-à-vis d’elle et la sienne propre à l’idée de dire sa passion) et
le trouble des sens qui l’a saisie à la vue d’Hippolyte.
l Horreur et compassion pour elle-même sont les sentiments contradictoires qui
agitent Phèdre devant une faute dont elle se sent à la fois coupable et innocente.Son
horreur d’elle-même s’exprime par sa honte,traduite par sa « rougeur » et ses « hon-
teuses douleurs » et liée à la culpabilité la poussant à écourter « la coupable durée » de sa
vie et à nommer deux fois sa passion « crime ». Le terme d’« horreur » qualifie sa
passion et le sentiment qu’elle suscite : elle a pris sa « flamme en horreur » et pense
qu’Œnone frémira « d’horreur », car elle-même considère cet amour comme « le
comble des horreurs ».Sa compassion pour elle-même se traduit par ses plaintes sur son
sort (nombreuses phrases exclamatives de déploration :« Ô comble de misère ! »,« Cruelle
destinée ! »), par ses regrets de ne pouvoir être avec Hippolyte (v. 176-178), par le
sentiment d’accablement devant la fatalité inéluctable qui la poursuit par la faute
de Vénus (v. 257-258) et provoque les malheurs de sa famille dont elle est aussi
victime (v.249-254).Sa pitié pour elle-même est contenue dans le vers 161 :«Tout
m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire ».
m Le spectateur sait,tandis que Phèdre ne sait pas encore,qu’Hippolyte aime Aricie.
On peut se demander comment Phèdre va l’apprendre et comment elle réagira
à l’annonce de cet amour, qui la place dans une situation d’amour d’autant plus
impossible qu’il n’est pas partagé.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 66 À 71)


Examen des textes
a Situations d’énonciation de ces trois scènes de confidences :
– Texte A :dans le palais de Thésée à Trézène,Phèdre répond à sa confidente Œnone,
en début de journée, pour lui raconter les origines de sa passion pour Hippolyte
et sa lutte contre ce sentiment tyrannique. C’est un aveu et une tentative de
justification.
– Texte B : dans le palais de Titus à Rome, Bérénice répond, le matin suivant
le couronnement de Titus, à sa confidente Phénice, qui lui fait part de ses craintes
pour son mariage avec Titus. Elle évoque la splendeur de l’homme qu’elle aime
pendant cette nuit de couronnement.
–Texte C :dans son palais à Rome,Néron révèle et raconte à son confident Narcisse
son « coup de foudre » pour Junie pendant la nuit où il l’a fait enlever pour des raisons
politiques.

24
Acte I, scène 3

z On observe l’importance du champ lexical de la vue dans le « coup de foudre


racinien » :
–Texte A :« Je le vis […] je pâlis à sa vue »,« Mes yeux ne voyaient plus »,« le voyant sans
cesse »,« Mes yeux le retrouvaient »,« J’ai revu l’ennemi ».
–Texte B :« Il verra »,« as-tu vu la splendeur ? »,«Tes yeux »,«Tous ces yeux »,« leurs avides
regards »,« Peut-on le voir »,« en le voyant ».
–Texte C :« je l’ai vue »,« ses yeux » (deux fois),« une si belle vue »,« mes yeux » (deux
fois).
Phèdre (texte A) dit l’effet produit par Hippolyte sur sa propre vue :aveuglement,ob-
session. Bérénice (texte B) insiste surtout sur l’effet produit par Titus sur les regards
de tous les Romains.Néron (texte C) évoque d’abord les yeux de Junie,puis,comme
Phèdre,sa présence obsédante à sa propre vue.
On peut donc évoquer l’« Éros immédiat » de Barthes,qui est « toujours d’ordre visuel ».

e Procédés d’idéalisation de l’être aimé :


–Texte A : le procédé est la divinisation (« J’adorais », « ce dieu », « je suis idolâtre »).
– Texte B : la puissance royale est magnifiée à travers le champ lexical du pouvoir
(noms abstraits : « splendeur »,«grandeur »,« gloire »,« victoire » ; insignes du pouvoir :
« aigles », « faisceaux », « pourpre », « or », « lauriers » ; institutions : « armée », « rois »,
« consuls », « sénat »). Autre procédé de l’éloge : accumulation de termes descriptifs
mélioratifs (« port majestueux », « douce présence »).
–Texte C :usage du verbe idolâtrer ;l’éloge de la beauté de Junie se fait par la reprise
émerveillée des termes de la famille de beau dans sa description (« Belle, sans
ornements », « une beauté », « une si belle vue »).
r Procédés picturaux :
– Récurrence du champ lexical de la vue dans tous les textes.
– Notations et oppositions de lumière : « splendeur », « flambeaux », « bûchers »,
« nuit enflammée »,« éclat », « pourpre »,« or » (texte B) ;« brillaient »,« les ombres », « les
flambeaux » (texte C).
– Termes évoquant l’harmonie entre les éléments du tableau : « cette pourpre, cet or,
que rehaussait sa gloire » (texte B) ; les éléments environnant Junie « relevaient de ses
yeux les timides douceurs » (texte C).
Les deux textes, essentiellement descriptifs, montrent, comme des tableaux, des
groupes d’objets et de personnes, des contrastes de couleurs et des mouvements.
t Effets de l’amour :
–Texte A : le « rapt » amoureux de Phèdre se traduit par l’inhibition de ses facultés
(aveuglement, aphasie, égarement), des troubles physiologiques (rougeur, pâleur,

25
RÉPONSES AUX QUESTIONS

brûlure et froid, souffrance physique), l’idéalisation et l’obsession de l’être aimé. Il


entraîne culpabilité et désir de mort.
–Texte B : Bérénice est aussi aveuglée par le ravissement du spectacle, voyant Titus
avec des yeux « tout pleins de sa grandeur », à travers les « avides regards » du peuple et
admirant le « respect » et la « complaisance » de « tous ces cœurs ». Bérénice oppose
avec admiration les désignations de l’être unique qu’est Titus («Titus »,« mon amant »,
« lui seul », « son maître », « son règne naissant » et « son empire heureux ») à celles de la
masse de ceux qu’il gouverne (« cette foule »,« tous »,«Tous ces yeux »,«Tous les cœurs »,
« Le monde »). Elle se dit emportée par « ce souvenir charmant », les phrases exclama-
tives renforçant cet enthousiasme sans bornes.
– Texte C : Néron est « ravi d’une si belle vue » et privé de ses sens (« Immobile, saisi
d’un long étonnement », sa « voix s’est perdue ») ; l’image de Junie l’obsède (v. 15-17),
mais le plaisir de faire souffrir (sadisme) est associé à cet amour, excité par la souf-
france et les larmes de Junie (v. 8) et par la cruauté des ravisseurs (v. 13-15).
y Caractéristiques de l’« Éros immédiat » dans le texte de Barthes (texte D) : nais-
sance brutale, marquée par le « ravissement » de la vue et par la fascination ; il est
condamné à ne pas durer ; il est souvent peint dans un « tableau tragique » par le
souvenir des êtres amoureux qui revivent de manière obsessionnelle la naissance
de cet amour ; il s’oppose à l’amour plus ancien, réciproque et installé dans la
durée de l’« Éros sororal ».

Travaux d’écriture
Question préliminaire
Dans les trois scènes de ce corpus, qui évoquent des souvenirs de « saisissement »
amoureux que les héros revivent en évoquant la force des sensations et des senti-
ments éprouvés, on retrouve les caractéristiques de l’« Éros immédiat ».
• Les textes A et C montrent la naissance d’une passion – ancienne chez Phèdre,très
récente chez Néron –, à la différence du texte B où Bérénice évoque un moment
où son amour déjà ancien pour Titus a été réactivé de manière intense à la faveur
de son couronnement.
• Le rapt : les héros revivent leur amour comme une sorte de ravissement ou d’en-
voûtement qui opère chez eux une transformation radicale, grandit l’être aimé
(divinisation d’Hippolyte,vénération de la puissance de Titus,idolâtrie devant Junie)
et inhibe totalement leurs sens – la vue pour Phèdre et Bérénice (textes A et B) et
la parole pour Phèdre et Néron (textes A et C).
• L’obsession : ce coup de foudre produit ensuite sur eux une forme d’obsession
tyrannique qui leur fait revoir sans cesse (textes A et C) et partout (texte A) l’être

26
Acte I, scène 3

aimé devenu l’unique centre de leurs pensées.L’amour est considéré comme défini-
tif (texte C) ou irrémédiable (texte A).
• Un tableau vivant : les textes B et C montrent ce moment comme un véritable
tableau dont ils décrivent les composantes (l’être aimé entouré d’une foule – admi-
rative dans le texte B, hostile dans le texte C) et les contrastes de couleurs, fixant
ainsi dans sa vie même le moment d’émotion amoureuse.
• Selon les œuvres, l’évocation de ce moment est suivie de celle de la culpabilité et
du désespoir (texte A), du bonheur d’être aimé (texte B) ou du désir sadique de
possession (texte C).

Commentaire
On pourra adopter le plan suivant :

1. La mise en scène de la rencontre


• Dans son palais à Rome, aveu et récit par Néron à son confident Narcisse de son
« coup de foudre » pour Junie,la nuit où il l’a fait enlever pour des raisons politiques.
• La confidence : déclaration par Néron de son « coup de foudre » à Narcisse.
• Rôle de Narcisse : interrogations laconiques, marquant son étonnement et son
incrédulité.
• Nouvelle adresse à Narcisse : « Que veux-tu ? », comme pour se justifier de cette
confidence.
• Le récit en quatre temps : arrivée de Junie au milieu de la nuit (2 vers) ; descrip-
tion du tableau (10 vers) ;effet produit immédiat sur Néron (5 vers) ;conséquences
(7 vers) – obsession de l’image de Junie.

2. Le tableau et l’éloge de Junie


• Alternance entre passé composé de l’événement, passé proche et imparfait de la
description.
• Énumération des éléments du tableau (v. 9, 13-14) ; accumulation d’adjectifs
épithètes et en apposition et de propositions relatives pour décrire Junie (v. 8-11).
• Harmonie entre les éléments du tableau : Junie mise en valeur par son environ-
nement (« ses yeux mouillés de larmes,/Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes »).
Les éléments qui entourent Junie « relevaient de ses yeux les timides douceurs ».Contrastes
de lumière entre « les ombres » de la nuit et « les flambeaux » (ou les yeux de Junie qui
brillent).
• L’éloge de Junie : représentation de Junie surtout esthétique (« une si belle vue »,
« son image »). L’éloge de sa beauté se fait par reprise des termes de la famille de
beau (« Belle, sans ornements », « une beauté », « une si belle vue »).

27
RÉPONSES AUX QUESTIONS

3. Le coup de foudre et ses effets


• La vision : importance du champ lexical de la vue dans le ravissement amoureux
(« je l’ai vue », « mes yeux »). Néron évoque deux fois les larmes et la douceur des
yeux de Junie (v. 8, 15).
• Le ravissement, surprise qui paralyse : Néron, « ravi d’une si belle vue », est privé de
ses sens (« Immobile,saisi d’un long étonnement », sa « voix s’est perdue » malgré son désir
de parler).
• L’obsession de l’image de la jeune fille (v. 20-22) qui va jusqu’à l’égarement (« je
croyais lui parler »).
• Le plaisir de faire souffrir (sadisme) associé à cet amour : attiré par la fragilité et la
souffrance et les larmes de Junie (v.8) et par la cruauté des ravisseurs (v.14-15),Néron
se représente en train de la faire pleurer et de la menacer (v. 23-24).
• Caractère définitif et irréversible de cette passion (v. 1, 3-4) affirmé dès le début
et inscrit dans la durée (« Depuis un moment mais pour toute ma vie »).
Le rôle tragique de cette passion dans la tragédie est dessiné par les premières réac-
tions de Néron :amoureux subitement et de manière violente,séduit par la fragilité
et la souffrance de la jeune fille,il n’hésitera pas,par jalousie,à faire périr Britannicus
qu’elle aime.

Dissertation

Introduction
L’amour est avec l’ambition l’un des premiers moteurs de la tragédie, notamment
chez Racine.Un amour ambigu est un amour qui réunit des qualités opposées.On
peut parler d’ambiguïté de l’amour chez Racine par le rôle qu’il joue dans la tragédie,
porteur à la fois de vie et de mort,déclenchant des conflits tragiques insolubles,mais
aussi par sa nature même, car il comporte en lui-même, alors même qu’il cherche
le bonheur, des germes de sa perte et de la perte de l’être aimé.

1. Place et rôle de l’amour dans la tragédie


L’amour contribue à former le nœud du conflit tragique, car il se heurte à des
interdits ou des impossibilités absolues.
A. L’amour face à l’interdit
• Il s’attache à quelqu’un qui est interdit (interdit d’État :Aricie, Bérénice ; interdit
social et moral : Phèdre).
• Il se heurte aux lois et engendre la culpabilité ou la révolte : c’est ce mal qui
conduit Phèdre à vouloir mourir.

28
Acte I, scène 3

B.Amour non partagé


Celui qui aime s’attache souvent, chez Racine, à quelqu’un qui ne l’aime pas – ce
qui engendre souffrance et jalousie : Phèdre aime Hippolyte qui aime Aricie et
en est aimé ; Néron aime Junie qui aime Britannicus. C’est la chaîne des passions
raciniennes.
C.Amour caché et dévoilé
C’est pourquoi l’amour est d’abord souvent gardé secret, et c’est son aveu qui va
déclencher l’affrontement avec l’autre et la crise tragique, comme dans la scène 5
de l’acte II de Phèdre.
D.Amour partagé et déchiré
Même ceux qui s’aiment d’un amour tendre, partagé et non passionnel (« Éros
sororal ») se voient interdire leur amour (Aricie et Hippolyte, Junie et Britannicus),
déchiré par la jalousie d’un autre amour non partagé.

2. La nature même de l’amour est ambiguë


A. Il détruit ceux qui aiment, leur volonté et leur raison, et les conduit souvent à leur perte
• Passion brutale et tyrannique pour celui qui la ressent (« Éros immédiat » selon
Barthes),l’amour racinien est un coup de foudre irréversible :Phèdre a beau vouloir
s’en défaire, elle ne le peut pas.
• Effets physiques de la passion : inhibition, dérèglement des sens, perte du
sommeil (Phèdre et Néron).
• Effets mentaux :
– l’image de l’être aimé devient obsessionnelle (Phèdre et Néron) ;
– la passion embellit ou divinise son objet de manière irrationnelle :Phèdre,Néron
et Bérénice idolâtrent Hippolyte, Junie et Titus. Ce sentiment aveugle et inhibe
Néron et Phèdre et empêche Bérénice d’envisager tout obstacle qui pourrait le
contrarier.
B. Il tyrannise et détruit ceux qui sont aimés
L’amour est souvent lié à l’autorité, et si l’être aimé ne peut être à soi, celui qui a le
pouvoir n’hésite pas à le tyranniser et à précipiter sa mort par possessivité et jalousie :
Phèdre laisse calomnier Hippolyte et s’accomplir la malédiction de Thésée qui le
condamne ; Néron cherche dans son amour le plaisir de faire souffrir Junie et fera
exécuter Britannicus dont il est jaloux.

Conclusion
Vision pessimiste de l’amour toujours malheureux et voué à l’échec,responsable de
l’échec.

29
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– réfléchir à partir de sa connaissance de l’argument de la pièce et de la situation
d’énonciation ;
– s’appuyer sur les adresses de Bérénice à Phénice et sur les éléments de sa descrip-
tion pour en tirer d’autres conclusions qu’elle ;
– prendre en compte la visée argumentative de la réponse de Phénice en se posant
préalablement la question : de quoi Phénice veut-elle convaincre la reine ?

Acte II, scène 5 (pp. 85 à 92)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 93 À 98)


a Contrairement à Phèdre, le spectateur sait qu’Hippolyte aime Aricie qui lui
a laissé entendre qu’elle l’aimait (v. 575-576) ; il sait aussi qu’Hippolyte, pressé
de partir pour convaincre les Athéniens de rétablir les droits d’Aricie au trône
d’Athènes, ne veut que dire un rapide adieu à sa belle-mère. Le spectateur connaît
par ailleurs la passion secrète de Phèdre pour son beau-fils, que celui-ci ignore,
trompé par l’inimitié qu’elle a manifestée à son égard. Il sait aussi qu’elle vient,
poussée par Œnone, demander à Hippolyte de soutenir contre Aricie les droits
de son propre fils au trône d’Athènes. Le spectateur sait les amants en danger et
l’amour de Phèdre impossible.Il ne peut que craindre les effets d’une telle rencontre
et compatir avec chacun des protagonistes.
z Œnone préserve la bienséance,essentielle au XVIIe siècle,car la déclaration d’amour
d’une femme à un homme était indécente pour le goût du temps.Sa présence dans
la scène lui permet aussi de savoir ce qui se dit et d’intervenir à la fin pour arracher
Phèdre à sa folie et ramasser l’épée, constituant ainsi la preuve de la « trahison »
d’Hippolyte. Elle assiste enfin, muette, à une scène qu’elle a elle-même inspirée (I,
5) pour rendre Phèdre à la vie.
e Phèdre a l’intention de demander à Hippolyte de soutenir les droits de son fils
au trône d’Athènes.Détours pour avouer son amour :prière pour son fils,rappel de
sa haine passée pour suggérer sa nature, affirmation de la mort de Thésée (qui la li-
bère de la faute d’adultère), déclaration de son amour pour un Thésée semblable à
Hippolyte, aveu déguisé par le biais du roman d’amour d’Ariane qu’elle remplace.
Aveu et plaidoyer :la responsabilité des dieux dans sa passion,ses efforts pour l’éloi-

30
Acte II, scène 5

gner,son impuissance à résister à cet aveu,et son désir d’expier sa faute par la mort.
Propos à double sens : « Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire » (v. 598) ;
litote aux vers 606-608 ;« Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore ! » (v.617) ;
l’assimilation entre Thésée et Hippolyte déclenche un cri d’aveu encore déguisé
(« ma folle ardeur malgré moi se déclare », v. 626-630).

r Phèdre s’efforce d’abord de maîtriser sa passion et de garder la distance d’une


mère et d’une veuve, tout en faisant appel à la pitié d’Hippolyte ; puis, avec des al-
lusions détournées à son amour, des tentatives de rapprochement lui échappent
(v. 606-630). Elle passe alors de « Seigneur » à « Prince », usant d’un ton passionné et
pressant et manifestant un regret désespéré pour dire la vérité par le détour de la
fable d’Ariane et Thésée. Devant la réaction indignée d’Hippolyte, elle reprend sa
dignité (v. 665-666), mais quand il tente de fuir, elle change de ton et sa fureur ex-
plose, avec l’usage du pronom « tu » et de l’apostrophe « cruel ». Du détour elle
passe à l’affrontement,et l’aveu final débouche sur un appel pathétique à mourir de
la main d’Hippolyte.
t Hippolyte vient de vivre une scène d’idylle amoureuse avec Aricie.Il est au comble
du bonheur partagé quand l’annonce de Phèdre arrive comme une menace, car il
sait qu’il n’a rien à attendre de sa belle-mère.Ses intentions sont à l’opposé des siennes,
puisqu’il cherche à protéger Aricie qu’elle veut écarter du trône et à réaliser un
amour contraire aux intérêts de Phèdre.
y Hippolyte fait tout pour retarder l’aveu,tout en poussant involontairement Phèdre
à clarifier ses sous-entendus par une série de malentendus :il généralise d’abord l’at-
titude de Phèdre à celle des marâtres (v.609-614),interprète sa passion comme une
marque d’amour conjugal et le regret de la mort de Thésée (v.631-633),rappelle le
statut de Thésée (v. 664 : « mon père » et « votre époux »), tente de rattraper ce qui lui
a échappé (v.667-670),puis veut sortir (v.670).Chaque malentendu conduit Phèdre
à réagir en parlant davantage et avec une émotion croissante.
u Hippolyte, dès les vers 629-630, manifeste de l’étonnement (« effet prodigieux »),
mais c’est à partir du vers 640 (« ou tel que je vous voi »), où Phèdre s’adresse à lui
par le pronom de 2e personne, qu’Hippolyte ne peut que comprendre et le dire
(« Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? »).
i Quand il comprend, Hippolyte ne peut que réagir avec indignation et rappeler
l’interdit (v. 663-664). À la déclaration finale il oppose un mutisme horrifié. La
seule solution possible pour lui est la fuite, la bienséance interdisant dans cette
situation tout propos ou geste violent sur scène.

31
RÉPONSES AUX QUESTIONS

o a) Structure parallèle des deux déclarations :


– motivation ou prétexte d’ordre politique : problème de la succession de Thésée.
Hippolyte veut restituer ses droits à Aricie (v. 494-495), Phèdre veut se concilier
Hippolyte pour défendre les droits de son fils (v. 586-590) ;
– aveu malgré soi : Hippolyte (v. 518-560), Phèdre (v. 615-711) ;
– interruption par Théramène et réponse retardée :Hippolyte (v.561-576),Phèdre
(v. 711-713).
b) Thèmes semblables :
– culpabilité : Hippolyte (v. 529-552), Phèdre (v. 670-698) ;
– peur d’être repoussé(e) par l’autre : Hippolyte (v. 553-560), Phèdre (v. 679-711).
c) Différences de situation :
– la mort de Thésée peut lever l’interdit paternel pour Hippolyte, mais non celui
d’inceste pour Phèdre ;
– aveu d’un homme à une jeune fille (II,2),aveu d’une femme à un homme (II,5).
q Phèdre utilise d’abord l’indicatif,mode d’affirmation du réel,et le présent du mo-
ment où elle parle pour opposer Thésée et Hippolyte (v. 634-640). Puis elle utilise
les temps du passé :l’imparfait du passé revécu et le passé simple (v.641-645) des ex-
ploits anciens de Thésée. Par le biais de ces souvenirs, elle bascule dans l’imaginaire
et le fantasme (v. 649-662) : avec les irréels des conditionnels passés et du subjonc-
tif plus-que-parfait (« aurait péri », « eût armé », « aurais devancé »), elle réinvente
l’histoire qu’elle souhaite, celle où Hippolyte prend la place de Thésée et elle celle
d’Ariane.
s Passage progressif de Thésée à Hippolyte : opposition entre le « volage » Thésée
et l’Hippolyte de maintenant (« non point tel que […] Mais […] tel que je vous vois ») ;
des vers 641 à 644, comparaison entre le Thésée d’autrefois et l’Hippolyte d’au-
jourd’hui (« Il avait votre port »), puis, après l’adresse au jeune homme (« Que faisiez-
vous alors ? »), vision d’un Hippolyte devenu « vous », sujet des verbes d’action et
remplaçant Thésée (v. 654-662) dans un passé hypothétique. À «Thésée » (v. 634)
repris par le pronom « Il » (v. 641, 644, 646) se substituent, dès le vers 640, le
pronom « vous », les déterminants possessifs de la deuxième personne ou le
démonstratif déictique « cette » désignant Hippolyte (v. 652-657).
Passage d’Ariane à Phèdre :Ariane, « Ma sœur » (v. 652), est remplacée par « je »,
sujet de verbes au conditionnel dès le vers suivant et repris ensuite par les pronoms
« me » et « moi », et par le groupe nominal « votre amante » qui les unit tous deux.
Le « vous » devient, dès le vers 656, complément de ces verbes qui montrent
l’initiative rêvée par Phèdre dans la quête du Minotaure.

32
Acte II, scène 5

d Phèdre opère donc, par cette série de glissements dans le temps et de substitu-
tions de personnages progressifs, un passage du présent au passé, puis de la réalité
de l’histoire mythique à une autre histoire imaginaire où elle et Hippolyte
auraient tenu les rôles d’Ariane et Thésée. La description d’Hippolyte évoque
sa séduction physique (v.641-657),la descente au Labyrinthe symbolise la quête de
l’amour dont elle rêve ; son récit fantasmatique devient ainsi déclaration d’amour
passionnée à Hippolyte et regret douloureux et pathétique.
f La modification du ton de Phèdre tient au passage brutal à un langage de com-
munication directe :interjections (« Ah »,« Eh bien »),tutoiement,impératifs,apos-
trophes (« cruel »), lexique de l’aveu (« Je t’en ai dit assez », « Connais donc Phèdre »)
remplaçant les détours précédents. Le temps est celui de l’énoncé ancré dans la
situation d’énonciation : présent et passé composé. Ce changement produit un
effet de rupture, tout en étant préparé par toute la progression précédente.
g Les étapes de la montée de sa « fureur » : agression contre Hippolyte par l’apos-
trophe « cruel » (par deux fois) ; haine et condamnation de soi (v. 673-678, « Je
m’abhorre ») ; réquisitoire contre les dieux et leur cruauté (v. 679-682) ; rappel
véhément du passé et de sa lutte contre son amour par la recherche de la haine
d’Hippolyte (v. 683-690) ; négation de la responsabilité de son aveu (v. 691-698) ;
désir d’autodestruction (v.699-711) ;ironie cinglante des derniers vers (v.700-710),
avec un retournement de sa violence contre elle-même de façon paroxystique,
jusqu’à l’affrontement physique.
Marques stylistiques de la violence : lexique de l’amour et de la haine ; interjec-
tions et apostrophes ;types de phrases exclamatifs,interrogatifs et impératifs traduisant
le désarroi ; usage réitéré de l’impératif ; répétitions manifestant l’exaspération
(« ces dieux », « cruel », « tes yeux », « cet aveu », « monstre ») et mise en relief par
détachement de certains de ces groupes.
Cette violence est constitutive de la passion tragique racinienne, qui détruit celui
qui l’éprouve par son caractère tyrannique et violent. Elle est nécessaire à la cathar-
sis finale et à l’édification du spectateur auquel elle montre les effets pervers des vices.
h Champ lexical de l’amour :« cruel »,« Je t’aime »,« fol amour »,« le poison »,« le feu
fatal », « séduire le cœur », « je ne t’aimais pas moins », « charmes », « langui », « séché »,
« les feux », « les larmes », « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « aimer ».
Champ lexical de la haine : « Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes », « odieuse,
inhumaine », « ta haine », « tu me haïssais plus », « odieux amour », « sang si vil ».
Le champ lexical de la haine est plus important que celui de l’amour. L’alternance
de ces champs lexicaux opposés et leur rapprochement (v.688) traduisent le drame

33
RÉPONSES AUX QUESTIONS

de Phèdre :son amour est odieux à Hippolyte.Elle lui prête une horreur particulière
pour elle, se présentant comme un « monstre » à éliminer : cette horreur qu’elle
éprouve pour elle-même (v. 678) lui fait désirer la mort.
j Le discours de Phèdre est une suite d’appels à Hippolyte :appels à tout connaître
de sa passion,à l’en excuser pour les raisons qu’elle donne,à se souvenir pour mieux
comprendre (v. 683 et suivants), à la regarder comme une femme (v. 690-692), à la
tuer comme un monstre. Ce discours tend à susciter la pitié d’Hippolyte à défaut
de son amour,à obtenir au moins un signe d’intérêt,quitte à mourir de sa main.Ce
discours pathétique provoque la compassion devant sa solitude, face au mutisme
d’Hippolyte.
k Phèdre use d’un certain nombre d’arguments pour justifier sa passion : la force
des sens qui déborde la raison (v. 689-690), l’amour-maladie (v. 690), la haine de
soi (v. 677-678), l’atavisme (v. 680), la vengeance divine (v. 679-681), l’impuissance
des moyens humains (v. 686-688, 693-696), le désir d’expiation (v. 699-711). Elle
réfute par avance (v.673-694) certains arguments :accusation de complaisance pour
sa passion ou de préméditation de son aveu. Il s’agit donc bien d’un plaidoyer
pour se justifier, malgré sa culpabilité profonde, aux yeux de ceux qui la jugent
responsable de sa passion.
l « Monstre » est pris ici au sens d’« être effrayant par son caractère moralement
perverti ». On peut lui associer les champs lexicaux de la faute (« indigne »,
« offense »), de la haine et de l’horreur. L’emploi de ce terme représente le paroxys-
me de la fureur de Phèdre et de sa volonté d’autodestruction :devant l’échec de son
plaidoyer, elle réclame son châtiment en se qualifiant de « monstre », donnant à
Hippolyte le rôle de son père, chasseur de monstres.
m Le caractère tragique de cette scène tient à l’impasse dans laquelle Phèdre se
retrouve.Un aveu lui a échappé :humiliée par le silence d’Hippolyte,elle a vu quels
sentiments elle lui inspirait malgré son plaidoyer. Ses paroles et son geste de folie
l’ont rendue odieuse à Hippolyte dont elle a gardé l’épée, instrument de sa haine
contre elle-même. Elle semble vouée désormais à la folie ou à la mort.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 99 À 104)


Examen des textes

a et z et r Tableau récapitulatif :

34
Acte II, scène 5

Phèdre Junie Agamemnon Antigone


Aveu (mots) « Connais donc Phèdre ». « Je n’ai point prétendu « Ma fille,il est trop vrai ». «Oui».
m’en cacher ».
Qui à qui ? Phèdre à Hippolyte. Junie à Néron. Agamemnon à Antigone à Créon.
Iphigénie.
Quoi ? Amour coupable de Amour légitime de Junie Décision de sacrifier sa Sépulture donnée à
Phèdre pour Hippolyte. pour Britannicus. fille pour obéir aux Polynice malgré l’interdit.
dieux.
Ce qui provoque L’annonce de la mort de Les avances de Néron Vérité sue et exigée Créon veut connaître
l’aveu Thésée et la folie amoureuse et la sincérité de Junie. par sa femme et sa fille. et punir le coupable.
de Phèdre.
Enjeu dramatique Désir d’émouvoir Dissuader Néron de ses Convaincre Iphigénie de Justifier son acte auprès
Hippolyte par sa passion. projets et sauver son se soumettre. de Créon.
amour.
Responsabilité Non assumée :rejetée sur Assumée. Rejetée sur la volonté Assumée.
assumée ou la volonté divine. des dieux,mais assumée.
refusée
Tragique de Prise entre sa passion Sa sincérité la précipite Pris entre son amour Prise entre une vie
la situation fatale et la culpabilité due avec Britannicus entre les paternel et son honneur honteuse si elle cède et
à son sens de l’honneur. griffes de Néron. de chef d’État. une mort certaine mais
digne.

e Junie justifie son choix par la force et l’ancienneté de son amour et par son de-
voir de fidélité face aux malheurs et à la solitude de Britannicus. Elle réfute les
propositions de Néron en lui montrant qu’il n’a pas besoin d’elle, contrairement à
Britannicus,au milieu des honneurs qui l’entourent.Antigone justifie son choix face
au tyran par un devoir supérieur de fidélité à ceux de son sang et aux lois divines
et non écrites. Elle revendique ce choix et réfute les menaces de Créon par le
mépris d’une vie sans honneur à laquelle elle préfère la mort. Elle lui retourne
son accusation de folie.
t On observe que Phèdre et Agamemnon sont pris entre un amour de l’ordre du
monde et un devoir sacré.Cette loi sacrée ne doit pas être transgressée,et c’est pour-
quoi l’aveu de Phèdre est honteux. Mais, si Agamemnon rejette aussi la responsa-
bilité du conflit tragique sur la volonté divine, il cherche à convaincre sa fille de sa
décision au nom de l’honneur familial.Sans l’avoir choisie,il assume cette décision.
y Phèdre fait le récit de ses vaines tentatives pour se débarrasser de sa passion, afin
de tenter de dégager sa responsabilité.Agamemnon de même raconte sa tentative
échouée pour empêcher sa fille d’arriver au camp, preuve de son impuissance face
à la volonté divine. Junie raconte l’évolution de son amour avec les malheurs de
Britannicus pour témoigner de la force de ce sentiment.
u Il convient de s’interroger sur la situation d’argumentation (statut et intentions
du destinataire) autant que sur la validité des arguments de chaque locuteur : ni

35
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Hippolyte, par son respect filial et son amour pour Aricie, ni Néron, emporté par
une passion possessive, ne peuvent être sensibles à l’argumentation de Phèdre et de
Junie. Chef d’État, Créon prône des valeurs opposées à celles d’Antigone. Seule
Iphigénie, de par sa position et son amour filial, peut être convaincue par son père.

Travaux d’écriture
Question préliminaire
On rapprochera les textes deux par deux.
• Situations qui provoquent l’aveu
–Textes A et C : aveux non choisis.
La possibilité offerte par l’annonce de la mort de Thésée et la violence de sa passion
amoureuse face au silence d’Hippolyte provoquent l’aveu incontrôlé de son amour
coupable chez Phèdre,peut-être comme une ultime tentative d’émouvoir Hippolyte.
Agamemnon, voulant cacher sa décision de sacrifier sa fille, se trouve obligé de la
dire et de la justifier auprès de sa fille et de sa femme qui l’ont déjà apprise et lui
demandent des comptes.
–Textes B et D : aveux revendiqués.
Junie, refusant de céder aux sollicitations de Néron, revendique son amour
menacé afin de sauver son couple avec Britannicus. La situation d’Antigone et
sa personnalité se rapprochent de celles de Junie : confrontée à une décision
tyrannique, elle refuse de s’y plier, avoue et revendique son choix.
• Nature de l’objet de l’aveu : le problème de la légitimité de l’objet de l’aveu est primordial
– Textes A et B : amour à la fois coupable et innocent pour Phèdre, légitime mais
contesté pour Junie.
– Textes C et D : décision d’un sacrifice odieux mais imposé par les dieux pour
Agamemnon,acte de piété familiale légitime mais interdit par la loi pour Antigone.
• Composantes et conséquences du conflit tragique
–Textes A et C : amour humain ou honneur.
Le conflit de Phèdre oppose sa passion humaine irrésistible et son honneur qui la
pousse à mourir pour se punir.Celui d’Agamemnon oppose son amour paternel et
la raison d’État, devoir sacré qui détermine sa décision. Ce conflit sera amplifié par
l’opposition de Clytemnestre et d’Achille, fiancé d’Iphigénie.
–Textes B et D : obéir à la tyrannie ou rester fidèle.
Junie,à qui Néron propose d’être reine,lui oppose son amour sans gloire,mais sincère
et fidèle, pour Britannicus. Cet aveu va pousser Néron à lui imposer le choix entre
le renoncement à son amour et la mort de Britannicus.Antigone est prise entre

36
Acte II, scène 5

l’autorité de Créon qui impose sous peine de mort d’obéir aux lois de la cité et les
lois divines lui prescrivant la fidélité à son frère mort. Son choix dans ce conflit
l’amène à affronter Créon qui la condamnera malgré son fils Hémon, fiancé
d’Antigone.
• Argumentation
–Textes A et C :
Phèdre tente d’atténuer sa responsabilité dans cette passion dont elle a horreur en
l’attribuant à Vénus et en disant tous ses efforts vains pour s’en débarrasser, puis en
demandant la mort pour expier sa faute.Après s’être justifié par l’échec de ses ten-
tatives contre l’oracle,Agamemnon tente de convaincre sa fille de céder à la raison
d’État, au nom de son honneur.
–Textes B et D :
Junie affirme la force et la légitimité de son amour et appelle Néron à la compas-
sion en se situant du côté de l’opprimé dont elle oppose la faiblesse à la toute-
puissance du tyran.Antigone justifie son choix par les lois divines et le mépris
pour le châtiment d’une faute qu’elle ne reconnaît pas.Nulle tentative chez elle pour
émouvoir Créon qu’elle brave et taxe de folie.
• Statut et attitude de celui qui avoue
– Malgré leur position d’infériorité, revendication des jeunes filles dans les textes
B et D.
– Malgré le statut d’autorité, nécessité de se justifier dans les textes A et C.
• Conclusion : le choix des quatre héros les porte à choisir la loi morale sacrée
contre les sentiments humains d’amour, de crainte ou d’ambition.

Commentaire
Plan possible:

1. La situation de l’aveu : conditions, destinataires, enjeu


• Conditions :Agamemnon,voulant cacher sa décision de sacrifier sa fille qu’il a fait
venir sous prétexte de la marier à Achille,est obligé de l’avouer et de la justifier auprès
de sa fille et de sa femme alarmées par son silence et qui lui demandent des comptes
sur ce qu’elles viennent d’apprendre.
• Étapes : après beaucoup de détours depuis leur arrivée, il s’explique enfin – deux
adresses à sa fille (« Ma fille, il est trop vrai », « Ma fille, il faut céder ») marquent le
passage de l’aveu à l’acte d’autorité.
• Double énonciation :le spectateur a de l’avance sur les protagonistes car il sait tout
depuis le premier acte.

37
RÉPONSES AUX QUESTIONS

2. L’argumentation d’Agamemnon : composition de la tirade en trois temps


• Constat de la volonté de l’oracle (v. 1-4) et incompréhension.
• Justification :exposé de son dilemme et récit de sa résistance et de son échec (v.5-
16), preuves de l’impuissance de son amour face à la volonté des dieux.
• Conclusion : incitation à se soumettre (v. 21), au nom de la volonté du peuple
(v. 18-20) et de l’honneur de son sang (acte d’autorité).

3. L’aveu, tentative d’expliquer et de résoudre le conflit tragique


• Les termes du conflit tragique : son amour paternel qui l’a poussé à se révolter
contre l’arrêt des dieux – il oppose son « amour » (2 fois) et sa résistance (« j’ai
résisté »,« j’avais révoqué »,« je vous sacrifiais ») à la cruauté incompréhensible des dieux
(« colère des dieux »,« victime »,« oracle cruel »,« votre sang coule »,« lois meurtrières »).Les
vers 15-16 résument son échec.
• Le choix : la raison d’État, devoir sacré qui détermine sa décision. Le champ
lexical de l’honneur familial domine dans la dernière partie : « rang », « de qui vous
êtes née », « mon sang ». Le rappel de sa souffrance (« vous mourrez moins que moi »)
produit un effet pathétique.
• L’effet :Iphigénie peut être convaincue par ces arguments,étant de la race des héros
raciniens. Mais l’opposition de Clytemnestre et d’Achille à cette décision va
renforcer le conflit tragique.

Dissertation
Plan possible:

Introduction
L’aveu est un acte de langage fréquent dans le dialogue tragique, où un person-
nage révèle à un autre un fait ou un sentiment plus ou moins pénible à dire car il
concerne généralement un interdit. Quelles sont donc les fonctions de ces actes
de langage dans les scènes étudiées ?

1. Fonction informative de l’aveu


• Des révélations :l’aveu apporte des informations importantes pour ses destinataires,
car il suit une période d’incertitude ou d’inquiétude :
– Phèdre révèle la raison de son mal mystérieux à Hippolyte ;
– Junie informe Néron, amoureux jaloux, de ses sentiments pour Britannicus ;
– Agamemnon fournit à Iphigénie l’information nécessaire pour comprendre son
attitude ;
– Antigone donne à Créon la réponse qu’il attend pour la condamner.

38
Acte II, scène 5

• Des coups de théâtre :ces révélations prennent parfois la forme de coups de théâtre
et influent sur l’action.
• Double énonciation : le spectateur est en général en avance sur eux.

2. Fonction argumentative de l’aveu


• Un plaidoyer : l’aveu est aussi tentative de convaincre l’autre en justifiant ses posi-
tions. Il prend la forme d’un plaidoyer, pour justifier ses sentiments chez Phèdre et
sa décision chez Agamemnon, pour convaincre l’autre de son bon droit chez Junie
et Antigone.
• Son efficacité dépend des intérêts et du statut d’autorité des interlocuteurs :
– les intérêts : ni Hippolyte qui respecte son père et aime Aricie, ni Néron fou de
pouvoir ne peuvent accéder aux arguments de Phèdre et de Junie ;chef d’État,Créon
préconise des valeurs opposées à celles d’Antigone ; seule Iphigénie peut être
convaincue par son père dont elle est proche ;
– le statut d’autorité : la portée de l’argumentation d’Agamemnon qui a le
pouvoir n’est pas la même que celle de Junie et Antigone qui sont prisonnières.
• Intérêt pour le spectateur : en exposant les données du conflit tragique,
l’argumentation suscite la réflexion du spectateur.

3. Effets produits par l’aveu


• Sur l’interlocuteur :
– Phèdre provoque chez Hippolyte un sentiment d’horreur ;
– le plaidoyer de Junie va déclencher la rage jalouse de Néron ;
– Agamemnon,s’il peut compter sur l’obéissance de sa fille,va se heurter à la colère
de Clytemnestre ;
– Antigone déchaîne la colère de Créon et sa condamnation.
• Chez le spectateur :
– Phèdre suscite la pitié et la crainte des suites de sa folie destructrice ;
– Junie et Antigone forcent toutes deux l’admiration par leur franchise et leur courage,
mais font aussi craindre pour elles ;
– Agamemnon excite la compassion pour sa lutte vaine et douloureuse.
• Amplification des conflits : ces aveux ont donc pour effet d’amplifier le conflit
tragique et de provoquer crainte, pitié et admiration chez le spectateur.

Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– tenir compte du genre imposé et de la situation d’énonciation propre à la lettre ;
– prendre en compte le langage et le ton employés par Hippolyte face à Aricie,
ainsi que le contenu de leurs derniers échanges sur scène ;

39
RÉPONSES AUX QUESTIONS

– restituer l’essentiel des étapes de l’aveu de Phèdre ;


– dire les réactions d’Hippolyte en s’appuyant sur ses propos dans la scène, mais
aussi sur ce qu’il a tu.
Ce texte peut prendre la forme d’un aveu et s’inspirer de ceux du corpus. Sa visée
argumentative doit apparaître :justifier un silence qui peut paraître étrange à Aricie.
On peut faire envisager par Hippolyte les conséquences de cette scène.

A c t e I V, s c è n e 2 ( p p . 1 2 3 à 1 2 8 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 129 À 134)


a Le début du premier vers de Thésée peut s’adresser encore à Œnone, sortie
juste après avoir calomnié Hippolyte à la scène précédente. À la vue de son fils,
Thésée ne peut retenir un cri intérieur de fierté paternelle déçue devant « ce noble
maintien » et cette apparence vertueuse qu’il considère déjà comme ceux d’un « profane
adultère », dans sa conviction d’être trompé. De son côté, Hippolyte, étonné de ce
« funeste nuage » sur le visage de son père,lui demande,en fils aimant,de lui en confier
la raison. Avec deux attitudes radicalement opposées, ils évoquent tous deux
l’expression de l’autre, l’un déjà persuadé d’être trahi par l’apparence, l’autre inter-
rogeant pour comprendre. Ces répliques jouent le rôle de didascalies, en donnant
au metteur en scène des indications pour le jeu des acteurs.
z Les trois étapes de la scène et les paliers de tension :
– la colère de Thésée avec la prière à Neptune, point culminant dans la tension
(v. 1044 à 1076) ;
– la défense d’Hippolyte, temps d’apaisement qui suspend la colère paternelle, et la
révélation de son amour pour Aricie, rebondissement suivi d’un temps d’hésita-
tion de Thésée (v. 1077 à 1133) ;
– l’affrontement final entre la fureur de Thésée et les plaintes indignées d’Hippolyte,
qui fait monter la tension jusqu’à ce que Thésée chasse Hippolyte en un dernier
point culminant (v. 1134 à la fin).
Évolution des relations entre les personnages selon la longueur de leurs répliques :
Hippolyte, écrasé par la longue tirade de colère de Thésée (v. 1076-1080), reprend
assurance dans sa tirade de justification (v. 1086-1113), puis avoue son amour dans
deux répliques assez longues (v. 1119-1126 et 1129-1134) interrompues par une
question étonnée de Thésée («Tu l’aimes ? »). Mais, devant l’incrédulité de son
père (v. 1134-1136), il devient agressif, et dans cette accélération des répliques ou

40
A c t e I V, s c è n e 2

stichomythie (v. 1137-1156), le fossé se creuse entre lui et son père à nouveau
furieux.

e Thésée s’adresse à Hippolyte (v. 1044-1064), puis à Neptune (v. 1065-1076)


suivant une composition parallèle à celle d’un procès :
a) Réquisitoire : apostrophes de plus en plus insultantes pour l’accuser (« Perfide »,
« Monstre », « Reste impur des brigands », « traître », v. 1044-1058).
b) Condamnation à l’exil par une série d’interdictions et d’ordres, avec gradation
dans l’espace et le temps : « Fuis » (anaphore), « Ne viens point », « Prends garde
que », « purge tous mes états » (v. 1053-1064).
c)Aggravation de la sentence :adresse à Neptune dans une imprécation condamnant
Hippolyte, suivant une construction similaire (v. 1065) ; apostrophe renforcée par
des pronoms d’insistance (« Et toi, Neptune, et toi ») ; trois impératifs (« Souviens-
toi », «Venge », « Étouffe »), suivant une gradation vers plus de précision ; progres-
sion de « je retiens à peine » (v. 1054) à « J’abandonne » (v. 1074) et solennité de la
formule « Je t’implore aujourd’hui ».

r Fondements de la colère de Thésée :


– jalousie de l’époux devant l’adultère supposé d’Hippolyte :« amour plein d’horreur »,
« lit de ton père » et « ses désirs effrontés » (v. 1047-1048 et 1075) ;
– sentiment de trahison personnelle et d’humiliation : importance des pronoms et
déterminants de première personne (v. 1035, 1044, 1046, 1049, 1052-1053, 1055,
1057-1058, 1060, 1064) ;
– défense de l’image de lui-même ternie par Hippolyte, à travers les champs lexi-
caux de la souillure et de la purification, associés par antithèses : « reste impur des
brigands/dont j’ai purgé la terre », « ton infamie »/« mon nom », « mettre au jour/un fils si
criminel », « honteuse/à ma mémoire », « de mes nobles travaux/vienne souiller la gloire »,
« De ton horrible aspect/purge », « d’infâmes assassins/nettoya ton rivage » ;
– ambivalence des sentiments de haine et d’amour pour ce fils dont il est fier :aparté
du début (v. 1035-1038) et cris de souffrance d’un « malheureux père » (v. 1056 et
1073).

t Procédés stylistiques de la colère :


– anaphore de l’injonction « Fuis », mot central relayé par les autres impératifs ;
– apostrophes insultantes en gradation ;
– opposition entre le champ lexical du crime (« fureur »,« tête ennemie »,« infamie »,
« criminel », « scélérats », « traître ») et celui de la gloire passée (« mémoire », « nobles
travaux », « courage », « efforts heureux ») traduisant l’honneur bafoué ;
– champ lexical de la colère :« ma haine »,« un courroux »,« ta colère »,« tes fureurs » ;

41
RÉPONSES AUX QUESTIONS

– champ lexical de la mort :« ta mort »,« un châtiment soudain »,«Venge »,« son sang ».
L’antithèse finale « tes fureurs/tes bontés » marque le point culminant de la colère ;
– types de phrases injonctifs et exclamatifs traduisant la violence ;
– opposition passé composé/présent (v.1044-1048,1050-1052) et passé simple/passé
composé/présent (v. 1065-1074), opposant passé glorieux et présent humilié.

y Les vers 1065-1076, incantation à Neptune, sont une imprécation sur la tête
d’Hippolyte.Si l’on voit dans cette tirade un procès,on peut y lire une condamna-
tion à mort par le Père à la fois Roi et Juge, qui préfigure le massacre de l’acteV.
La solennité de la prière, confirmée par la prédiction des vers 1156-1160, rend le
dénouement tragique inévitable.
u Étapes de la défense d’Hippolyte :
– stupéfaction et anéantissement (v.1076-1080) ;
– plaidoyer selon la structure du genre judiciaire de la défense, avec un rythme
oratoire :sous-entendu (v.1086-1089) ;demande d’examen de sa vie (v.1090-1092) ;
lieu commun : le crime prépare le crime (v. 1093-1100) ; rappel du passé et de ses
mœurs : hérédité, éducation, vertu et rudesse (v. 1101-1113) ;
– aveu de son amour pour Aricie se terminant par un serment, face à l’accusation
d’indifférence pour toute autre femme que Phèdre (v. 1119-1133) ;
– face à l’incrédulité de Thésée, recours à la plainte pathétique (v. 1143-1144) et à
l’attaque par sous-entendus ironiques (v.1138 et 1152),avant de renoncer devant sa
colère : « Je me tais » (v. 1150).

i Hippolyte ne veut pas accuser Phèdre en disant la vérité. Il semble incapable


de convaincre son père de son innocence et n’évoque la vérité que par sous-
entendus qui irritent encore plus Thésée. Sans doute tient-il à préserver l’honneur
de son père, comme il le dira à Aricie à l’acteV. Mais peut-être se sent-il aussi trop
coupable devant lui de son amour pour Aricie ?
o Dans le vers 1112, repris en écho par le vers 1138, Hippolyte oppose à la pure-
té du fond de son cœur le fond du cœur de Phèdre, comme un appel à son père à
discerner le vice et la vertu cachés, à voir la vérité masquée par les apparences. En
faisant allusion à la vertu qu’il a opposée à l’aveu de Phèdre et dont elle seule pour-
rait témoigner, il utilise le sous-entendu comme stratégie pour signifier la vérité à
son père sans la dire clairement.
q La défense d’Hippolyte ne convainc pas Thésée, qui semble pourtant ébranlé
un instant au vers 1127. L’argument de l’éducation et de la vertu d’Hippolyte lui
paraît une hypocrisie pour masquer son amour adultère (v. 1114-1118). L’aveu de
son amour pour Aricie lui semble un autre artifice grossier. Serments et appel à la

42
A c t e I V, s c è n e 2

pitié l’exaspèrent, et les allusions à Phèdre lui sont une nouvelle insulte à son hon-
neur. Sans doute la culpabilité d’Hippolyte et son souci d’épargner son père l’em-
pêchent-ils de le convaincre,mais Thésée se laisse surtout tromper par les apparences.
L’aveuglement et la toute-puissance de ce père allié des dieux écrasent Hippolyte et
rendent la lutte inégale.
s La situation d’Hippolyte est pathétique par la générosité qui le pousse à se taire,
son impuissance à se faire entendre, la lutte inégale qui l’oppose à son père et son
destin scellé par la malédiction.

d Le spectateur connaît à la fois l’aveu de Phèdre à Hippolyte,inconnu de Thésée,


et la colère de Thésée après la calomnie d’Œnone, ignorée d’Hippolyte. Il connaît
aussi l’amour partagé d’Hippolyte pour Aricie que celui-ci vient avouer à son père.
Il attend donc, avec crainte et intérêt, les éclaircissements et l’affrontement qui
doivent surgir de cette rencontre.

fThésée s’interroge, dans les vers 1039-1040, sur sa difficulté à déceler la vérité
du cœur humain derrière les apparences, en l’absence de signes pour la lui faire
comprendre.Or,déjà abusé par de faux signes (l’épée),il refuse de comprendre ceux
que lui adresse Hippolyte tout au long de la scène et ne voit que fausseté dans sa
défense. Cette illusion fatale qu’il dénonce contribue à l’ironie tragique.
g L’indice qui a convaincu Thésée est l’épée d’Hippolyte, abandonnée à Phèdre.
C’est la dénonciation d’Œnone et son mensonge qui lui ont donné cette valeur
de preuve.Mais d’autres éléments ont contribué à l’égarer (IV,1) :la gêne d’Hippolyte
à son retour et le souvenir des plaintes de Phèdre à Athènes.Thésée, trompé par
la calomnie d’Œnone, a reconstruit un faisceau de faits pour en faire des pièces à
conviction contre Hippolyte.
h Les propos d’Hippolyte destinés à signifier la vérité à Thésée sont ceux des vers 1087-
1090,1131,1137-1138,1150-1152 :accusation de mensonge,évocation d’un secret qui
touche son père,allusions plus directes à la connaissance qu’a Phèdre de sa vertu et à l’ata-
visme d’inceste et d’adultère dans sa famille.Les allusions d’Hippolyte à la faute de Phèdre
sont claires pour le spectateur averti qui ne peut que s’étonner de l’aveuglement deThésée.

j et k Dans sa Mise en scène de Phèdre,J.-L.Barrault demande que l’acteur marque


un temps assez long après « Ciel ! » :« Grand temps.Hippolyte,toujours à genoux,est en-
core haletant.Thésée se détourne,confus,il fait un pas ou deux.Hippolyte amoureux d’Aricie,
c’est autant dire Phèdre perfide et Thésée trahi dans son amour !... Son amour est alors le
plus fort.Il aveugle Thésée qui,maintenant,se reprend.Il se retourne :renouvelle ses menaces.»

43
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Cette mise en scène montre la possibilité d’un retournement de situation et la


force de l’aveuglement de Thésée face aux « signes ». La peur de découvrir la
vérité le fait renoncer à comprendre et l’enferme dans sa méprise tragique.

l Thésée évoque, au-delà de ses nombreux « États » (v. 1064), l’espace de « la


terre » parcourue (v. 1046), le « ciel inconnu » de « pays » étrangers (v. 1051-1052) et
les forces cosmiques des dieux ses alliés : « le tonnerre » de Jupiter (v. 1045), « l’astre
qui nous éclaire » (v. 1061), et le « rivage » de Neptune (v. 1066). Le temps héroïque,
c’est le « jadis » (v. 1065) de ses « nobles travaux » et de son long séjour aux
Enfers (v. 1069). C’est donc vers cet univers divin que Thésée se tourne tout
naturellement pour obtenir la récompense de ses services.

mThésée apparaît comme un héros,connu dans le monde entier par son œuvre de
justicier pour la cause des hommes et des dieux (élimination des « brigands » de la
terre, des « scélérats », des « infâmes assassins » de la mer) dont il veut conserver la
« gloire » pour la « mémoire ». L’énumération de ses travaux et de ses victimes, les
champs lexicaux de l’espace et du temps héroïques, la rime « mémoire »/« gloire »
contribuent à cet effet et au registre épique :célébration des vertus et des prouesses
d’un héros, de façon à susciter l’admiration ; procédés d’amplification (gradations,
anaphores et phrases de plus en plus amples).
w et x Le terme de « Monstre », utilisé pour désigner Hippolyte (v. 1045), associé
aux « brigands » éliminés par Thésée, évoque le Minotaure et les monstres qu’il a
vaincus. Mais le champ lexical de la monstruosité psychologique, qui qualifie les
actes d’Hippolyte (« impur », « horreur », « infamie », « opprobre »), traité aussi de per-
fide, scélérat et traître, vise les crimes contre nature d’adultère et l’inceste. L’ironie
tragique naît de l’emploi aveugle de ces termes par un père monstrueux qui
chasse comme un monstre son fils innocent. Phèdre a déjà qualifié Hippolyte de
« monstre effroyable » (III, 3) pour son insensibilité à sa passion. Hippolyte, bien
qu’innocent, semble voué tragiquement à passer pour un monstre et mourra
victime d’un monstre.
c et v Neptune est l’allié de Thésée pour accomplir ses desseins les plus meurtriers.
Phèdre a déjà adressé une prière à Vénus pour lui demander d’insuffler de l’amour
à Hippolyte (III, 2), lui faisant aussi jouer un rôle d’alliée de ses desseins funestes,
après avoir subi elle-même l’effet de sa vengeance. On voit ici le rôle cruel de ces
dieux, bourreaux des mortels qu’ils poursuivent de leur vengeance et aident à
provoquer leur propre perte en récompense de leurs services.

44
A c t e I V, s c è n e 2

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 135 À 140)


Examen des textes
Tableau présentant les observations des questions 1 à 4.
Texte Barrault : Barrault : Vitez : Vitez :
de Phèdre Thésée Hippolyte Thésée Hippolyte
v.1043 Toute la force du
souffle et du timbre
de voix.
Voix et v.1063 Syllabes très longues.
intonation v.1065 Couplet dit
(incantations sourdement,d’un
maléfiques) seul souffle.
v.1073 :«Venge » Il éclate.
v.1035 Considère l’ombre Regarde H.et
d’H. sourit.
v.1040 Mine tragique.
v.1065 Regarde vers le Regarde le public
Regard haut (le ciel). par-dessus son
épaule.
v.1074 : Regard menaçant.
« J’abandonne
ce traître »
v.1035 Se redresse au Avance lentement Regarde arriver H. H.arrive.
premier plan droite. du chemin d’Aricie.
H.apparaît.
v.1040 :H.
interroge Th.
v.1044 :« Perfide » Remonte d’un bond Descend,surpris, Va vers H.,les bras Embrasse Th.
au milieu. vers la face (2e plan ouverts,l’embrasse.
gauche).
Gestes et v. 1053 :« Fuis » Fait un pas.
déplacements v.1059 :« Fuis » Un autre pas.
dans l’espace
scénique v.1063 Passe au premier
plan droite (près
sortie),terrorisé.
v.1065 :« Et toi, Se précipite vers le À genoux contre Couché sur le sol,
Neptune » premier plan milieu H.,le caresse,se tête dans les bras,
(incantations gauche. courbe sur lui,le fœtal.
maléfiques) recouvre.
v.1074 : Se tourne
« J’abandonne lentement vers H.,
ce traître » bras menaçants.

45
RÉPONSES AUX QUESTIONS

a Les indications sur la voix et l’intonation sont inexistantes chezVitez.Chez Barrault,


elles sont données,pour l’acteV,au 3e paragraphe du deuxième mouvement,qui met
l’accent sur la force du timbre et du souffle, en cohérence avec la violence de
l’acte.Apostrophes et phrases injonctives, lexique de la colère et du déshonneur
justifient dans le texte cette explosion vocale de la colère. L’anaphore de « Fuis »
est martelée par les « syllabes très longues ». Le « couplet » à Neptune est dit plus
sourdement quand Thésée évoque le service qui lui a valu la reconnaissance du dieu.
Mais l’éclat de voix revient dans l’imprécation finale.

z Différences importantes entre les mises en scène de Barrault etVitez concernant


les regards de Thésée :la « mine tragique » de Barrault est sourire chezVitez ;le regard
tourné vers le ciel pendant l’invocation à Neptune chez Barrault est tourné vers le
public chezVitez ;Thésée chez Barrault menace du regard son fils aux derniers vers
et le couve au contraire des yeux chez Vitez.

e Même contraste à propos des gestes des personnages : chez Barrault, le père fait
des gestes de rage violente (bondit,se précipite),avant de se tourner vers le ciel pour
sa malédiction.Il se retourne finalement vers son fils pour le menacer du bras.Celui
deVitez lui ouvre au contraire les bras,l’embrasse,le caresse et le couvre de son corps.
En l’absence de didascalies, les paroles de Thésée peuvent être lues de façon à y
découvrir la douleur de cet amour déçu qu’il exprime dans la réplique précédant
cette tirade (v. 1035-1040), au vers 1073 et, dans la scène 3, aux vers 1061-1066.
r Chez Barrault,Thésée occupe successivement tout l’espace scénique : face à la
tentative de rapprochement d’Hippolyte, il s’éloigne pour le dominer et ne se rap-
proche que pour le chasser, tandis qu’Hippolyte recule vers la sortie. ChezVitez, ils
restent l’un contre l’autre. L’accent est mis, chez Barrault, sur l’accord entre le recul
et le rejet de Thésée et ses paroles de haine.Vitez montre au contraire l’ambivalence
des sentiments du père : l’amour et le regret intimement liés à sa colère.
t L’interprétation du personnage de Thésée par Barrault apparaît à la fin du
deuxième paragraphe (« La rage monte irrésistiblement ») et au milieu du quatrième
paragraphe, avec l’énumération des actes de parole violents de l’acte V : rage,
malédictions, affolements, etc. Le commentaire de Vitez termine le premier
paragraphe (à partir de « Il ne s’agit pas […] ») et le troisième (de « Puis, courbé […] »
jusqu’à la fin). La première lecture met l’accent sur l’explosion de la violence des
personnages, la seconde montre un père terrible mais pathétique, dont le geste
contredit la parole,protégeant son fils – fœtus et cadavre – des conséquences funestes
de son anathème et signifiant déjà son destin tragique.

46
A c t e I V, s c è n e 2

y Chez Barrault, Hippolyte adopte une attitude fière, traduisant sa décision d’assu-
mer son amour face à son père, mais aussi celle d’un bon fils, confiant et docile. Sous
les insultes de son père, il s’éloigne, terrorisé par sa violence, mais garde un compor-
tement digne. Celui de Vitez, écrasé par la malédiction paternelle, est lové dans une
attitude de régression et d’impuissance. L’Hippolyte de Barrault est prêt à rebondir
dans un sursaut d’indignation,celui deVitez semble déjà anéanti par son destin.

Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les deux mises en scène traduisent des conceptions différentes des deux person-
nages de cette scène. Chez Barrault, la colère de Thésée croît en regardant venir
Hippolyte :il explose dès ses premiers mots,le met à distance brutalement pour l’ac-
cuser, le menace pour le chasser loin de lui, se détourne pour adresser à Neptune
son imprécation,accompagnée d’un geste menaçant.C’est un roi et un père noble,
et un mari outragé qui rejette son fils.Le jeu est en harmonie avec le texte de Racine.
Vitez représente une rage mêlée de tendresse,où les gestes disent le regret de l’amour
passé et l’angoisse de la mort à venir,tandis que les paroles rejettent et condamnent :
une contradiction apparente entre les paroles et l’attitude pour traduire les ambiguïtés
du texte et mettre à jour le conflit intérieur de Thésée.Les représentations d’Hippolyte
diffèrent aussi : fils aimant et terrifié, mais fier pour Barrault ; fils impuissant pour
Vitez,réduit à la régression par la colère et l’amour de son père.Son attitude prostrée
manifeste sa dépendance à l’égard de son père et de son destin.Vitez propose une
interprétation qui met à nu le texte : il choisit, plutôt que l’harmonie, la disso-
nance et le décalage.

Commentaire
On peut organiser le commentaire selon le plan suivant:

Introduction
La tirade de Thésée se caractérise par un réquisitoire contre Hippolyte et une
condamnation sans appel,et le déchaînement d’une colère aveugle – celle d’un héros
épique issu du monde mythologique.

1. Le « procès » d’Hippolyte et le meurtre programmé


A. Réquisitoire
Apostrophes instruisant les fautes de son fils de plus en plus insultantes : « Perfide »,
« Monstre », « Reste impur des brigands » et, plus loin, « traître » (v. 1044-1058).

47
RÉPONSES AUX QUESTIONS

B. Condamnation à l’exil sous peine de mort


• Anaphore de « Fuis ».
• Gradation des impératifs.
C.Aggravation de la sentence
• Imprécation condamnant inéluctablement Hippolyte.
• Apostrophe renforcée.
• Impératifs en gradation.
• Caractère solennel de la formule « Je t’implore aujourd’hui ».

2. La colère tragique et aveugle de Thésée


A. Les fondements de la colère
• Le déclenchement : la sollicitude d’Hippolyte (v. 1041-1043).
• La jalousie face à l’adultère supposé d’Hippolyte :« amour plein d’horreur » et « désirs
effrontés » (v. 1047-1048 et 1075).
• L’orgueil blessé et l’honneur bafoué :importance des pronoms et déterminants de
première personne ; champs lexicaux antithétiques de la souillure et de la purifica-
tion, du crime et de la gloire.
• Opposition des temps passé/présent opposant passé glorieux et présent humilié.
B. La violence verbale
• Champ lexical de la colère :« ma haine »,« un courroux »,« ta colère »,« tes fureurs ».
• Champ lexical de la mort :« ta mort »,« un châtiment soudain »,«Venge »,« son sang ».
• L’antithèse finale « tes fureurs »/« tes bontés » marque le point culminant de la colère.
•Types de phrases injonctifs et exclamatifs.
• Amplification oratoire des phrases.
C. L’ambivalence des sentiments
Mélange de haine et d’amour pour son fils : après l’aparté du début, vers 1056 et
1073.
D. L’illusion tragique
Ce père est aveuglé par des calomnies et des signes peu fiables et se laisse emporter
par son orgueil et sa violence dans un mouvement de rage irréversible.

3.Thésée, triste héros d’un monde mythologique


A. L’espace et le temps héroïques
• Monde mythologique à l’échelle de l’univers : les « États » de Thésée, « la terre »,
le « ciel inconnu », des « pays » étrangers.
• Forces cosmiques : « le tonnerre » de Jupiter, « l’astre qui nous éclaire », et le « rivage »
de Neptune.
• Le temps héroïque (« jadis ») des « nobles travaux » et du séjour aux Enfers.

48
A c t e I V, s c è n e 2

B.Thésée, héros justicier


• Énumération de ses victimes : « brigands », « scélérats », « infâmes assassins ».
• Association par la rime de « gloire » à « mémoire ».
• Registre épique :glorification des prouesses du héros,amplification par gradations
et anaphores.
C. Le chasseur de monstres
« Monstre » est la désignation d’Hippolyte par son père qui l’assimile aux monstres
qu’il a vaincus,comme le Minotaure :la monstruosité s’étend ici aux crimes d’adultère
et d’inceste (monstruosité psychologique). L’ironie tragique résulte de la mons-
truosité du père chassant et condamnant son fils voué à passer pour un monstre et
à mourir victime d’un monstre.
D. Le rôle ambigu des dieux
Ambiguïté de ces dieux à la fois aides et bourreaux des mortels, qui les pour-
suivent de leur vengeance ou les poussent à leur perte pour les récompenser de
leurs services.

Dissertation
On peut proposer le plan suivant:

Introduction
On a longtemps étudié les pièces classiques comme des textes à lire seulement. Or
le texte théâtral, composé de paroles, est par nature destiné à être joué, et son éty-
mologie grecque souligne cette primauté de la représentation (théaô signifie « je
regarde »).Tant qu’il n’est pas représenté, il n’existe pas vraiment, et les pièces clas-
siques étaient jouées avant d’être imprimées.Le personnage dramatique commence
donc à vivre sur scène. Quel est le rôle de la mise en scène dans l’interprétation du
personnage ? Comment permet-elle le passage de l’œuvre littéraire à l’œuvre théâ-
trale ? Comment plusieurs interprétations peuvent-elles rendre compte d’un même
personnage ?

1. Qu’est-ce qu’un personnage de texte de théâtral ?


A. Le personnage d’un texte théâtral
• Les paroles du personnage de théâtre le caractérisent et sont en elles-mêmes des
actions, qui ont une visée, des causes et des effets, et lui confèrent un rôle dans ses
relations avec les autres personnages.
• Exemple de la tirade de Thésée :
– un acte de parole : bannissement et condamnation de son fils sous l’effet de la colère ;
– causes de sa colère : un héros humilié, un père trahi et un mari bafoué ;

49
RÉPONSES AUX QUESTIONS

– effets : un juge impitoyable et un père monstrueux qui condamne son fils à une
mort certaine ;
– caractérisation :l’illusion tragique d’un homme aveuglé par sa colère et meurtrier
d’un innocent.
B. Une parole théâtrale écrite pour être lue
Ce texte théâtral est écrit avec une visée et des procédés stylistiques :
– alexandrins, marques prosodiques et jeux de sonorités ;
– composition marquant la progression de la colère et mimant le mouvement
d’un procès ;
– procédés de style traduisant la violence et la souffrance : rythme et syntaxe (types
de phrases, apostrophes) ;
– lexique de la colère et de la mort, de l’honneur bafoué et de la douleur.
C. Une parole écrite pour être mise en scène
• L’auteur raconte une histoire dans un texte théâtral écrit et dialogué pour être dit
et joué par des acteurs, et inséré dans une situation d’énonciation, une action, un
temps et un espace scénique.
• Les didascalies de l’auteur donnent souvent des indications sur l’espace et le jeu
des acteurs pour que la représentation soit fidèle à la situation d’énonciation
imaginée.
• L’espace scénique est ainsi utilisé par Barrault, à défaut de didascalies, pour
montrer les rapports de force et les distances entre les personnages :
–Thésée occupant le centre dans tous ses déplacements ;
– Hippolyte près de la sortie, prêt à fuir (son désir dans toute la pièce).

2. Le rôle de l’acteur
Au XVIIe siècle,l’auteur écrit sa pièce et crée ses personnages en fonction de ses acteurs
qui en sont les premiers interprètes :Racine écrit ses rôles pour ses comédiennes.
A. L’acteur complète le texte par des éléments non verbaux
La présence physique, la voix et les gestes construisent un personnage scénique à
partir du texte : intonation, accentuation et timbre de la voix, mais aussi gestes et
jeux d’expression des acteurs.
B. Exemple : les gestes dans la tirade de Thésée
• Chez Barrault,Thésée ponctue sa colère de gestes de rage (bondit,se précipite),se
tourne vers le ciel pour condamner son fils et se retourne finalement vers lui en le
menaçant du bras.
• Chez Vitez, il lui sourit au contraire et l’embrasse, le caresse et le couvre de son
corps,comme pour le protéger de sa violence et traduire ainsi sa douleur profonde.

50
A c t e I V, s c è n e 6

3. L’interprétation du metteur en scène


A. La lecture du metteur en scène
•Toute mise en scène est une certaine lecture de l’œuvre, à laquelle contribuent le
jeu des acteurs, leurs gestes et leurs déplacements, les costumes, les décors visuels et
sonores, et les éclairages.
• Exemple de Thésée :
– Barrault veut montrer la rage d’un père noble et d’un mari outragé, la colère de
Thésée qui éclate aux premiers mots d’Hippolyte et va crescendo jusqu’à la fin de
la tirade, se manifestant par des paroles et des gestes violents.
– Plus près de nous,Vitez dévoile chez Thésée une rage mêlée de tendresse,traduisant
les ambiguïtés de son discours et son conflit intérieur par des gestes d’amour et
d’angoisse en discordance avec ses paroles.
B. L’effet sur le public : la double énonciation
La parole au théâtre a la double fonction d’agir sur le destinataire du message et
d’informer et émouvoir le public. L’auteur comme le dramaturge s’adressent
donc au public. La tirade de Thésée vise ainsi à produire sur le spectateur des effets
différents selon le metteur en scène : émotion de sa violence et compassion pour
Hippolyte chez Barrault ;surprise du paradoxe apparent,intérêt et émotion suscités
par l’amour blessé du père chez Vitez.

Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– respecter la situation d’énonciation : dialogue conversationnel ;
– prendre en compte la visée argumentative des discours :appui sur le texte de Phèdre
pour argumenter ;
– prendre en compte les observations faites sur les mises en scène et les différences
constatées.

A c t e I V, s c è n e 6 ( p p . 1 4 5 à 1 5 0 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 151 À 155)


a La tirade de Phèdre s’organise autour de l’opposition entre le couple heureux
et uni qui l’obsède et son amour solitaire (v.1231: «Ils s’aiment»/v.1241: «Et moi
[…]»).
a) Composition de la tirade en fonction de l’opposition des pronoms personnels
et des temps :
– v. 1226-1230 : « Je » évocateur de sa souffrance amoureuse passée ;

51
RÉPONSES AUX QUESTIONS

– v.1225 («Ah ! douleur non encore éprouvée ! ») et v.1230 (« du tourment que j’endure ») :
« je » évocateur de sa souffrance présente plus forte que la souffrance passée ;
– v.1231-1241 : « Ils » (Hippolyte et Aricie) évocateur de leur bonheur amoureux
passé en pleine lumière ;
– v. 1241-1250 : « Je » évocateur de sa souffrance passée (son désir de mort et la
nécessité de se cacher) ;
– v. 1252-1256 : « Ils » évocateur de leur bonheur présent et futur (« Ils s’aimeront
toujours »).
b) La jalousie de Phèdre consiste à évoquer toute sa souffrance amoureuse passée,
étouffée par l’interdit et vécue dans la solitude, amplifiée par la comparaison avec
le bonheur idyllique des amants, licite et protégé des dieux. Les plaintes alternent
avec des questions insistantes et incohérentes,cherchant à tout savoir de cet amour.

z Le rythme des phrases est saccadé : certains vers (v. 1231, 1233, 1237) irréguliers
s’écartent du schéma classique du rythme de l’alexandrin,avec la présence de phrases
exclamatives (v.1225-1226,1231,1237) et l’accélération des interrogatives (v.1231-
1233) ;les plaintes alternent avec des questions insistantes,cherchant à tout savoir de
cet amour.
e a) Succession de scènes imaginaires ou obsessionnelles : le bonheur des amants
(v.1253-1256) ;scène de vengeance (v.1259-1263) ;représentation de l’horreur que
Phèdre inspire (v.1264-1272) ;vision hallucinatoire de son jugement aux Enfers par
son père Minos (v. 1278-1290).
b) La progression des sentiments :de la jalousie à la haine,puis au retournement de
cette haine contre elle-même (auto-accusation) jusqu’à l’appel au jugement divin,
ou retour de la loi morale qui punit le désir coupable (Dieu caché janséniste).
Progression aussi dans la violence de la souffrance, à mesure que se dressent les
obstacles à ses désirs.

r a) Chaque scène imaginée est interrompue par un cri d’horreur ou de désar-


roi,sous forme d’une brève exclamative ou interrogative :« Que fais-je ? » (v.1264) ;
« Misérable ! et je vis ? » (v.1273) ;« Mais que dis-je ? » (v.1278) ;« Pardonne » (v.1289).
b) À chaque étape correspond une prise de conscience accrue de ses fautes et de
l’impossibilité d’échapper à son destin.

t a) Le retournement de la haine à la culpabilité s’opère au vers 1264, par l’appel


de Phèdre à sa lucidité, suivi du rappel des termes du conflit qui la déchire : son
honneur opposé à son amour coupable (v. 1266).
b) Phèdre, qui s’adressait à Œnone, se retourne alors vers elle-même, comme pour
un examen de conscience, se traitant de misérable, se demandant où se cacher et

52
A c t e I V, s c è n e 6

s’incitant à mourir (v.1277) ;puis elle invoque dans l’au-delà son père Minos,le juge
des Enfers, anticipant le jugement qui l’attend et réclamant son pardon pour une
faute imputable à la vengeance des dieux.
c) Les crimes dont elle s’accuse sont l’adultère (v. 1266), l’inceste et l’imposture ou
calomnie (v. 1270), l’homicide (v. 1271).
y Le champ lexical de la vue traduit chez Phèdre à la fois la honte d’être vue (v.1273 :
« je soutiens la vue » ; v. 1282 : « il verra » ; v. 1285 : « ce spectacle horrible ») et ses vi-
sions (v. 1286-1287 : « Je crois voir », « Je crois te voir »). Elle est poursuivie par la
honte et la culpabilité d’être vue par ses ascendants divins : le Soleil dans le ciel,
principe de lumière et de vérité (celui qui a dévoilé les amours coupables de
Vénus),et Minos,le juge des Enfers,devant qui elle se voit comparaître dans la « nuit
infernale ». Dans les hallucinations de son imagination, elle se représente avec
épouvante son châtiment, revivant, avec le jugement des morts, l’époque
mythique de l’enfance de l’humanité.
u
Ombre Lumière
Ombre-refuge des amours :« Dans le Lumière protectrice :«Tous les jours
Hippolyte fond des forêts allaient-ils se cacher ? » se levaient clairs et sereins pour eux »
et Aricie (v.1236). (v.1240).
Ombre de la mort :« Où me cacher ? Lumière qui éclaire la honte :
Fuyons dans la nuit infernale » (v.1277). « et je soutiens la vue/ De ce sacré Soleil
Phèdre dont je suis descendue ? » (v.1273-1274) ;
« Je me cachais au jour,je fuyais la lumière»
(v.1242).

Si, pour les amants heureux, ombre et lumière sont accueillantes, la lumière
représente pour Phèdre ce qu’elle doit fuir, et l’obscurité la mort qu’elle cherche
maintenant, comme au début de la pièce.
i Phèdre vient de l’adjectif grec phaidra qui signifie « brillante ». Fille du Soleil par
sa mère et participant des Enfers par son père Minos, elle craint et appelle la
lumière et souille le jour qu’elle réclame. Et sa culpabilité, culminant dans cette
scène,la pousse à fuir le « sacré Soleil » dont elle descend pour se réfugier dans l’ombre
des Enfers où son père va la juger. Par ses origines mêmes, Phèdre représente le
paradoxe tragique de la « flamme si noire » (I, 3) qu’elle veut dérober au jour.
o a) L’unité de temps enferme la tragédie dans les limites de la journée.La nuit des-
cend maintenant.Décidée à mourir à l’aube de la journée et de la pièce,Phèdre n’a vu
ce jour que comme le dernier.La fin de la représentation coïncide avec celle de sa vie.

53
RÉPONSES AUX QUESTIONS

b) Cette métaphore représente les deux termes de l’impasse tragique : d’un côté,
vivre au jour, mais dans la honte (en le fuyant), et de l’autre, mourir (rejoindre
l’ombre), pour expier et être jugée.

q Au début de la scène, Phèdre, dévastée par l’annonce de l’amour d’Hippolyte


et Aricie,ne veut que dire cette nouvelle et exprimer sa douleur et sa jalousie.Œnone
vient pour lui porter secours et l’empêcher, encore une fois, de se tuer, alarmée
par son comportement suicidaire.

s La nourrice Œnone jouait jusqu’ici dans la pièce le double rôle de confidente et


de conseillère écoutée de Phèdre. Devenue celle à qui Phèdre se confiait et se fiait,
sa part de parole était importante dans les scènes de rencontre précédentes. Lors de
chacune d’elles, son ascendant a progressé et Phèdre s’est abandonnée de plus en
plus à ses conseils,jusqu’à la calomnie d’Hippolyte (I,3,v.309-311 ;I,5,v.363-364 ;
III, 1, v. 811 ; III, 3, v. 911).

d Phèdre donne successivement dans cette scène à Œnone un rôle de confidente


(v.1214,1218,1219-1224),d’informatrice à qui elle reproche injustement de n’avoir
pas rempli son rôle (v. 1231-1236), enfin un rôle d’intermédiaire auprès de Thésée
pour perdre Aricie (v. 1258-1263), sur lequel elle revient ensuite : on perçoit une
dégradation de sa confiance vis-à-vis d’Œnone.

f a) Le vers 1252 enchaîne deux hémistiches,le premier d’Œnone et le second de


Phèdre, avec une construction symétrique et une opposition entre « ne [...] plus »
(au sens de « jamais ») et « toujours ».L’effet produit est pathétique,par la lucidité sans
illusion de Phèdre sur les effets de l’amour. Cette interruption brutale du discours
d’Œnone marque aussi une détermination nouvelle à penser par elle-même et à re-
fuser le point de vue de sa nourrice.
b) Dans les vers 1295-1305, Œnone tente encore de raisonner sa maîtresse et de la
consoler,en présentant son amour coupable comme une fatalité ordinaire,humaine
et divine,à laquelle on ne peut que se soumettre.Elle donne ainsi des arguments du
bon sens commun,laxistes et immoralistes (v.1297,1301-1302),qui ne peuvent que
révulser l’angoisse éminemment morale de Phèdre.

g a) Phèdre énonce un discours moral et un réquisitoire contre Œnone.Après un


refus indigné de ses conseils empoisonnés,elle revient sur le passé en six vers qui ré-
sument la pièce et impute toute la responsabilité de ses actes à Œnone (pronom
de 2e personne répété et accentué) :

54
A c t e I V, s c è n e 6

– accusations de l’avoir empêchée de mourir,de l’avoir détournée de son devoir en


lui faisant voir Hippolyte, d’avoir calomnié la pureté d’Hippolyte et provoqué sa
mort inéluctable (v. 1309-1316) ;
– après la rupture,elle maudit et voue la malheureuse au « supplice » du ciel (v.1317-
1320) ;
– dernier argument : lieu commun à l’usage des rois sur le rôle néfaste de tous les
flatteurs.Phèdre emploie ici un discours de reine,nouveau chez elle et témoignant
de son changement.
b) La malédiction d’Œnone satisfait la morale politique des rois par le rejet sur
le « serviteur » de la responsabilité des fautes, et la bienséance de rigueur par la
punition de la conseillère coupable.

h L’isolement total du héros tragique est nécessaire au dénouement de la tragédie :


Phèdre a choisi de mettre fin à sa honte en chassant Œnone, et en rejetant sur elle
la responsabilité de ses fautes, mais elle est désormais seule pour les assumer car elle
n’a plus personne à qui se confier et se fier. La rupture avec sa nourrice lui permet
d’aborder seule le dernier acte, celui de l’expiation, qui donne à la pièce son sens
moral. Sa solitude laisse présager sa mort prochaine, annoncée au vers 1318.
Œnone est la première victime du dénouement. Pour elle, perdre la confiance de
celle à qui elle est entièrement dévouée équivaut à la mort.

j Œnone marque sa rupture définitive avec Phèdre en ne s’adressant plus à elle :


l’usage de la troisième personne la met à distance. Elle prononce des paroles qui
disent l’échange,le paiement juste du service rendu :un reniement absolu pour un
don de soi absolu. La réplique traduit soit l’ironie, soit plus probablement l’accep-
tation d’Œnone, l’abandon total et le retour lucide sur soi avant le suicide.

k a) Phèdre, au cours de cette scène, se montre progressivement isolée de tous :


d’Hippolyte dont elle jalouse l’amour pour Aricie ; d’Aricie qu’elle hait et voudrait
détruire (v.1259-1263) ;de Thésée qu’elle a voulu tromper,dont elle a calomnié le fils
et qu’elle ne peut plus implorer (v. 1265) ; de son aïeul le Soleil et de son père qui
condamnent ses actes (v. 1272 et suivants). Enfin, au comble de la culpabilité et de la
rage,elle se retourne contre Œnone,sa seule confidente,pour la chasser.
b) Elle se montre particulièrement pathétique quand elle regrette de n’avoir pu avoir
au moins la jouissance de son amour coupable (v.1291-1292).

55
RÉPONSES AUX QUESTIONS

l Échos entre la scène 2 de l’acte IV et la scène 6 de l’acte IV.


IV, 2 IV, 6
L’éclatement tragique Père/fils. Reine/confidente.
de deux couples
Fureur et malédiction Thésée sur son fils. Phèdre sur Œnone.
Cause : annonce L’annonce de la calomnie d’Œnone. L’annonce de l’amour d’Hippolyte
d’une nouvelle pour Aricie.
Découverte Abusé,il croit avoir découvert ce Longtemps aveugle,elle découvre
d’un secret qui n’est qu’un mensonge. la vérité et se déchaîne contre celle
qui a maintenu l’illusion.
Conséquences Il voue son fils à la vengeance de Elle voue Œnone au châtiment
Neptune et se retrouve seul. divin et se trouve désormais seule.

m Cette scène contient en germe tous les éléments du dénouement. On peut


s’attendre désormais à la disparition d’Œnone,maudite par Phèdre,à celle d’Hippolyte,
prédite par Phèdre, et à celle de Phèdre, désormais seule et décidée à mourir. Mais
le suspense reste entier.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 156 À 160)


Examen des textes
a
Phèdre Roxane Othello
Situation Mariée à Thésée. Favorite du sultan Marié à Desdémone.
Amoureuse de son fils absent.Amoureuse du Amoureux d’elle.
Hippolyte. frère du sultan Bajazet.
Nouvelle qui Vient d’apprendre de Vient d’apprendre par Vient d’apprendre par Iago,
provoque Thésée l’amour partagé Atalante qu’elle est qui a déjà excité sa jalousie,
la jalousie d’Hippolyte et d’Aricie. amoureuse de Bajazet. qu’il avait une preuve de
l’infidélité de Desdémone.
Certitude de Information vraie. Information vraie. Information fausse.
l’information

56
A c t e I V, s c è n e 6

z
Œnone Iago
Statut social Nourrice de Phèdre. Officier d’Othello (porte-enseigne).
But ou intention Désintéressée :empêcher Phèdre de Intéressé :goût du pouvoir et désir
mourir. de se venger.
Rôle initial Confidente :écoute l’information. Informateur :donne une information
fausse qui suscite la jalousie d’Othello.
Actes de parole Consolatrice :tente d’apaiser Phèdre Excite d’abord la jalousie d’Othello
(v.1251-1252). (3e réplique).Puis feint de le calmer
Conseillère (v.1296,1302). (4e et 5e répliques).
Effets ou issue Phèdre refuse ses conseils et la chasse. Iago est écouté et cru par Othello.

e Dans le monologue, le personnage se parle à lui-même, dans une parole que


personne n’est supposé entendre, et où le dramaturge exprime les conflits qui
divisent le personnage. Parfois, il s’adresse à quelqu’un d’absent, à un mort ou à un
dieu. C’est toujours d’une forme particulière de dialogue.
Ici,le monologue s’adresse au « moi »,avec utilisation de la première personne du sin-
gulier et du pluriel dans les verbes des phrases déclaratives,impératives (« Poursuivons »,
« laissons », « poussons », « voyons si ») et interrogatives, qui sont des questions que
Roxane s’adresse à elle-même (« Mais que pourrais-je apprendre davantage ? »).

r et t
Stratégies successives Objections Types de phrases
de Roxane
Constat de l’amour de Bajazet Déclarative :« Ma rivale à mes yeux
et Atalide. s’est enfin déclarée.»
Ruser pour percer à jour Impérative :« il faut maintenant
la relation entre Atalide m’éclaircir.»
et Bajazet (v.11-12).
La ruse est inutile,car leur amour Interrogative,surtout interro-
est évident (v.13-18). négative :« Mais que pourrais-je
apprendre davantage ? » ;« Mon malheur
n’est-il pas écrit sur son visage ? »
(interrogations rhétoriques).
La ruse :tendre un piège Impératives :« Poursuivons » ;
(v.19-21). « tendons-lui quelque piège ».

57
RÉPONSES AUX QUESTIONS

Stratégies successives Objections Types de phrases


de Roxane
La méprise :Atalide peut s’être Déclarative hypothétique :
trompée sur les sentiments de « Elle peut,comme moi […]. »
Bajazet (v.19-20).
La ruse est indigne (v.22-23). Exclamative et interrogative
exprimant l’indignation :« Mais
quel indigne emploi moi-même
m’imposé-je ! » ;« Quoi donc ? ».
Elle peut être éventée par Déclarative :« Lui-même il peut
Bajazet (v.25). prévoir et tromper mon adresse.»
L’urgence politique est grande Déclarative :« D’ailleurs l’ordre,
(v.26). l’esclave,et le Vizir me presse.»
Simuler l’ignorance en atten- Impératives (v.27-34) :« Il faut
dant que Bajazet se dévoile prendre parti » ;« fermons plutôt les
et qu’elle puisse les châtier yeux » ;« Laissons » ;« Poussons » ;
(v.27-42) :c’est la solution « le parti qu’il faut prendre » ;« Je
choisie. veux tout ignorer ».

y
Phèdre Roxane
Souffrance de la jalousie. v.1225-1250 v.2-10
Évocation du bonheur
de ceux qui s’aiment.
Lucidité sur les sentiments v.1252-1256 v.15-18
de l’autre.
Volonté d’aveuglement. Aucune. v.19-20,42
Désir de détruire ceux dont v.1257-1263 (Aricie) :mais v.21,40 (Bajazet et Atalide) :
on est jaloux. elle y renonce tout de suite. ce projet est maintenu.
Tentation du suicide. v.1243,1277,1294 v.40 (mais après
(dès maintenant). sa vengeance).
Culpabilité. v.1265-1274 Aucune.
Évocation de la loi morale v.1277-1288 Aucune.
et du jugement des morts.
Accusation de la fatalité divine. v.1289-1290 Aucune.
Décision finale. Se suicider. Attendre pour triompher
ou se venger.

58
A c t e I V, s c è n e 6

La fureur jalouse est plus terrifiante chez Roxane que chez Phèdre, écrasée par la
culpabilité et le poids de la fatalité. Roxane, toute-puissante dans son sérail, peut
décider du destin de Bajazet – ce qui contribue à sa volonté de vaincre et sa déter-
mination.Aucun souci moral ne la trouble dans son désir de possession de Bajazet.
Malgré sa lucidité, elle choisit de s’aveugler sur ses chances d’être aimée. Elle inspire
la terreur par sa cruauté,tandis que Phèdre inspire ici la pitié.

u Phèdre Roxane
Désir de vengeance Contre Aricie (v.1258-1263), Contre Desdémone et Cassio.
et de meurtre. mais s’en repent (v.1271-1272).
Invocations à l’au-delà. Appel à son père,juge des Enfers, Appel aux forces de l’enfer pour
pour le prier de lui pardonner ses le venger :imprécations,serment
crimes. devant le Ciel.
Obsessions de la jalousie. Visions obsédantes du couple Vision obsédante de meurtre,
amoureux et de son propre ses « pensées de sang »
jugement. (métaphore filée).
Désir d’autodestruction. Désire mourir par désespoir Excite en lui-même une haine
amoureux et culpabilité. « tyrannique » contre son « fol amour ».
Relation au confident. Résiste à l’emprise d’Œnone. Prêt à croire Iago sans preuve :
illusion tragique.
Annonce du dénouement Mort certaine de Phèdre pour Meurtre prévisible d’un innocent.
tragique. expier.
Points communs entre les « fureurs jalouses » : violence, caractère obsessionnel de la
jalousie, désir d’autodestruction. Mais la fureur de Phèdre se retourne contre elle-
même,sous l’effet de la culpabilité,après avoir envisagé de « perdre Aricie ».Il faut rap-
peler que son acte de jalousie meurtrière a déjà eu lieu lorsqu’elle s’est tue devant
Thésée (V, 4).Tandis que la fureur d’Othello se déchaîne ici dans un serment so-
lennel de vengeance dont il prend le Ciel à témoin, contre un amour qu’il renie.

Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Rôle dramatique de la jalousie dans la tragédie :
– elle est provoquée par une révélation subite,un coup de théâtre qui bouleverse les
projets de Phèdre et Roxane ;
– elle provoque les catastrophes du dénouement : suicide de Phèdre, meurtre de
Bajazet.

59
RÉPONSES AUX QUESTIONS

• Amour et jalousie :
– la jalousie témoigne d’un amour impossible : le triangle racinien, ou la chaîne
des passions impossibles (Phèdre aime Hippolyte qui aime Aricie ; Roxane aime
Bajazet qui aime Atalide) ;
– c’est un surcroît de malheurs :pour Phèdre,elle apparaît après la honte d’avoir été
repoussée ; pour Roxane, elle apparaît après bien des peines et des intrigues.
• Les souffrances de la jalousie :
– la jalousie est entretenue par l’imagination qui aggrave la souffrance :surtout chez
Phèdre qui se représente le couple heureux d’Hippolyte et d’Aricie ;
– elle a un pouvoir d’aveuglement :Roxane préfère ne pas affronter la vérité et croire
à une méprise ;
– elle déclenche une folie meurtrière de vengeance contre l’autre : toutes deux
envisagent le meurtre ;
– elle pousse à l’autodestruction :Phèdre veut mourir et Roxane envisage le suicide
après sa vengeance.

Commentaire
On peut organiser le commentaire selon le plan suivant :

1. Roxane, entre lucidité et aveuglement


A. Le monologue délibératif ou l’hésitation
• Injonctions contradictoires tendant à des décisions opposées : tendre un piège
(v. 11-13 et 21) ou laisser faire les choses (v. 28-29, 42).
• Arguments et objections.
• Choix final en faveur d’un aveuglement maîtrisé.
B. Lucidité et aveuglement
Alternance entre la conscience de la vérité de l’amour entre Bajazet et Atalide
(v. 5-10 et 13-18) et l’illusion volontaire (v. 19-20).

2. La jalousie destructrice
A. La volonté de maîtriser la situation
• «Voyons » (v. 31).
• Répétition de « je saurai » (v. 35-38).
B. Le désir de vengeance et de meurtre (v. 35-40)
Lexique de la mort violente.
C. La destruction de soi
Suicide envisagé (v. 40).

60
A c t e I V, s c è n e 6

3. Roxane, pathétique et terrifiante


A. Le pathétique
• Roxane suscite la pitié par l’évocation de ses « soins » (v.3-10),de son tourment (v.17),
de son dépit amoureux (v.12 :« la perfidie » ;v.37 :« le perfide » ;v.30 :« l’ingrat »).
• Mais elle suscite surtout la compassion pour les amoureux qu’elle va épier sans
pitié.
B. La terreur
Sa détermination cruelle,sa violence,sa capacité de dissimulation et sa puissance sur
le sérail ne peuvent qu’effrayer le spectateur et lui faire attendre le pire.

Conclusion
Monologue délibératif qui a pour fonction d’entretenir la crainte et la pitié du spec-
tateur (catharsis), en faisant connaître les répercussions de la jalousie sur celle qui a
tout le pouvoir,mais aussi de révéler les ombres du personnage ambigu de Roxane.

Dissertation
On peut envisager une partie analytique et une partie de discussion. On peut
proposer le plan suivant :

Introduction
Dans sa préface,Racine s’est défendu de l’accusation d’immoralité en affirmant que
les « passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont
cause ». Nous allons envisager ce qui fait la visée édifiante de la pièce de Racine et
des autres textes du corpus,puis les autres sentiments ou intérêts que le spectacle de
la passion peut susciter chez les spectateurs.

1. La visée édifiante
A. Les désordres engendrés par les passions
Les deux passions principales dans la tragédie sont la passion amoureuse et la
passion du pouvoir.
• Le scandale moral et social : dénonciation de la passion interdite, adultère et
incestueuse qui bouleverse l’ordre social et familial (Phèdre).
• Les excès de la passion et leurs effets néfastes pour soi :
– tyrannie irrésistible exercée par la passion (Phèdre, Britannicus) ;
– aveuglement de la passion qui idéalise l’être aimé (Phèdre, Bérénice) ou fait perdre
la raison ;
– dépendance vis-à-vis des conseillers et confidents : Œnone et Iago.

61
RÉPONSES AUX QUESTIONS

• Les excès de la passion et leurs effets néfastes pour les autres :


– possessivité de la passion et tyrannie sur les autres (Roxane, Néron) ;
– jalousie morbide et meurtrière, destructrice pour soi et pour les autres (3 per-
sonnages du corpus, Néron) ;
– meurtres et suicides qui en découlent (Phèdre, Bajazet, Britannicus, Othello).
B. À l’opposé, l’amour tendre ou « Éros sororal »
Les couples,chez Racine,qui s’aiment d’un amour légitime,tendre et partagé,échap-
pent aux ravages de la passion, mais ils en subissent les contrecoups (Hippolyte et
Aricie, Britannicus et Junie).

2. La pitié suscitée par la passion


Ces personnages suscitent aussi la compassion du spectateur par un certain nombre
de raisons.
A. Le problème de la responsabilité
• On compatit avec ceux qui ne sont pas responsables de leurs passions et qui
luttent contre elles.
• Poids de la fatalité à l’origine de la faute :vengeance divine et atavisme dans Phèdre.
• Rôle des mauvais conseillers (Œnone, Iago).
• Caractère irrésistible de la passion (Phèdre, Britannicus).
B. La souffrance et la culpabilité
• Le sens moral du combat contre la passion chez certains personnages – ce qui
permet de distinguer la passion de Phèdre de celles de Néron ou de Roxane, que
n’entrave aucun scrupule.
• Ce conflit est à l’origine de la crise tragique et suscite bien des émotions et des
larmes. Phèdre « rachète » ainsi sa passion coupable par sa souffrance et par son
suicide : c’est la lecture chrétienne de Phèdre.

3. L’intérêt pour la révolte et le désordre


A. Les effets du désordre social
On peut avoir une lecture de Phèdre qui s’intéresse aux effets du désordre social.
Ainsi,la mise en scène deVitez tente de mettre en lumière les effets du monde op-
pressif de la Cour au XVIIe siècle sur les tout jeunes gens que sont Hippolyte et Aricie,
qui connaissent l’amour pour la première fois.
B. La révolte
L’accent peut être mis alors sur la révolte contre l’oppression que représente la trans-
gression de l’interdit pour Phèdre, permettant au spectateur-lecteur de se sentir
solidaire du personnage.

62
A c t e V, s c è n e 6

Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– prendre en compte la situation d’énonciation : dialogue entre maîtresse et
confidente;
– tenir compte de la situation de la scène dans l’action et des personnages évoqués ;
– utiliser la polyphonie énonciative du monologue:deux points de vue s’affrontent,
dont l’un peut être représenté par la confidente. Mais elle peut aussi proposer les
objections à chacun de ces points de vue.

A c t e V, s c è n e 6 ( p p . 1 6 9 à 1 7 3 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 174 À 178)


a a) Hippolyte est parti,chassé par son père (IV,2).Ayant demandé à Aricie de l’ac-
compagner, il devait la retrouver dans un temple proche pour l’épouser. Son projet
est d’unir leurs forces pour préserver la succession de Thésée contre Phèdre, en
s’appuyant sur le soutien des villes grecques (V, 1).
b) Thésée,après avoir rencontré Aricie qui l’a troublé dans ses certitudes,vient d’ap-
prendre le suicide d’Œnone et l’état désespéré de Phèdre. Il a aussitôt demandé le
retour de son fils pour qu’il s’explique et supplié Neptune de suspendre son châti-
ment. C’est juste au moment où il sort de son aveuglement et doute de sa raison
que survient l’annonce de la catastrophe.
c) Ce qui laissait prévoir la catastrophe : la malédiction de Thésée, vouant son fils à
la vengeance de Neptune (IV, 2) ; sa confirmation de l’efficacité de ce vœu terrible
(IV, 3) ; la prédiction de Phèdre reprochant à Œnone d’être responsable de la mort
d’Hippolyte (IV, 6, v. 1315-1316) ; l’inquiétude croissante de Thésée, pressentant le
dénouement tragique (v. 1455-1460 et 1480-1487).

z La scène racontée se passe entre la sortie d’Hippolyte à la fin de la scène 1 et le


début de cette scène. Elle se situe à la sortie de Trézène, sur la route de Mycènes,
au bord de la mer.Les lieux évoqués dans le récit sont la mer d’où surgit le monstre,
et le temple, proche des tombeaux des princes de Trézène, où Hippolyte devait
retrouver Aricie et où il va mourir.
e La mort d’Hippolyte ne peut être représentée sur scène par souci de vraisem-
blance (apparition du monstre), de bienséance (combat et mort), et pour respecter
l’unité de lieu.Le récit est justifié par l’information nécessaire qu’il apporte à Thésée
et au spectateur, par l’émotion qu’il engendre et par l’éloge funèbre du héros qu’il
permet.

63
RÉPONSES AUX QUESTIONS

r Composition du récit et progression.J.-L.Barrault,dans sa Mise en scène de Phèdre,


analyse la progression du rythme du récitatif de Théramène.
Étapes du récit de Théramène Progression du récitatif (J.-L. Barrault)
1. Le départ vers l’exil (v.1498-1506) : Marche lente.
description du prince et de son cortège.
2. L’irruption du monstre (v.1507-1521) : « Secousse intérieure,changement de timbre » ;
– préliminaires :cri effrayant,angoisse (v.1507- « frémissement général » ;« Départ lent.Large et
1512) ; crescendo jusqu’à la fin du vers 1516 » ;« Rapide,
– lente apparition du monstre (v.1513-1515) ; anxieux,sonore et précipité ».
– description du monstre (v.1516-1521).
3. L’effet :la panique générale qui frappe « Diminuendo rapide du souffle général de
les éléments et les hommes (v.1522-1526). l’orchestre » ;« Court point d’orgue ».
4. Le combat héroïque d’Hippolyte « S’élève alors le thème à la gloire d’Hippolyte :tout
(v.1527-1544) : ce que l’orchestre peut émettre de grand,de beau,de
– attaque du monstre par Hippolyte solennel.C’est le combat.»
(v.1527-1530) ;
– attaque des chevaux par le monstre blessé
(v.1531-1534) ;
– affolement des chevaux excités par un dieu
(v.1535-1540) ;
– l’accident de char et la chute (v.1541-1544). Le rythme des vers mime le galop d’Hippolyte,
les bonds de l’animal blessé et sa dernière
attaque.
«Vigoureux crescendo.»
5. Pause du narrateur (v.1545-1546). « Point d’orgue.Immobilité générale du théâtre.»
6. La mort d’Hippolyte (v.1547-1570) :
– Hippolyte traîné par les chevaux parmi les cris Ralentissement dû à « l’épuisement moral de
(v.1547-1554),poursuite de Théramène et Théramène ».
description du sang (v.1555-1558) ;
– dernières paroles d’Hippolyte (v.1559-1567) ; « Avec beaucoup de précautions, comme lorsque l’on
retient sa respiration à l’approche d’un mourant.»
– mort d’Hippolyte et conclusion (v.1567 à
la fin).
Le récit progresse par accélérations et ralentissements parallèles au rythme des
actions racontées et représentées.Alternance entre la description, l’expression des
émotions, la narration et la prise de parole. Progression aussi dans les sentiments
suscités : terreur, admiration et pitié horrifiée mêlée d’admiration.

64
A c t e V, s c è n e 6

t a) Procédés de style :
– le présent de narration, qui se substitue au passé simple, permet de rendre les
actions plus proches et vivantes aux yeux du spectateur et de rendre le mouvement
et la rapidité de l’action ;
– l’insertion du style direct dans le récit donne la parole au mourant pour la lui ar-
racher brutalement, et met son agonie sur scène – ce qui accentue le pathétique et
l’admiration pour ce héros exemplaire.
b) L’hypotypose : cette figure, fréquente dans le théâtre classique, consiste à rendre
particulièrement vivant,et comme présent,un récit ou une description.Les procédés
de l’hypotypose dans ce récit sont :le présent de narration ;les verbes d’action et de
mouvement dans le combat (v. 1528-1530 : « saisir », « pousser », « faire ») ou pen-
dant l’attaque du monstre (v.1531-1533 :« bondir »,« venir »,« tomber »,« se rouler ») ;
l’animation des éléments et des objets,eux-mêmes sujets de verbes d’action (« L’onde
approche, se brise et vomit », « Le flot […] recule », « L’essieu crie ») ; le style direct ; les
déterminants définis ; l’accumulation de notations descriptives pittoresques sur le
monstre (v. 1515-1521) et sur le spectacle d’horreur (v. 1555-1558).

y À intervalles réguliers, Hippolyte a annoncé son départ dans la pièce (I, 1, v. 1 ;


I,2,v.463 ;II,6,v.717 ;III,5,v.925-926).Il veut,dès le début,quitter Trézène,d’abord
à la recherche de son père et pour fuir Aricie, puis pour fuir Phèdre, et il part en-
fin, chassé par son père. Il veut fuir, parce qu’il se sent constamment menacé. Mais
c’est de l’extérieur que viendra la mort.

u Dans les vers 948-952,Hippolyte offrait à son père de partir pour tuer un mon-
stre qui lui aurait échappé,ou de mourir au combat pour se montrer digne de lui et
conquérir la gloire.C’est ainsi qu’il meurt effectivement,réalisant l’un de ses souhaits
les plus chers.On peut voir dans ce rapprochement un fil conducteur de son destin
tragique et l’un des signes de l’ironie tragique.

i L’irruption d’un monstre marin,issu du royaume de Neptune,le bouleversement


manifesté par les éléments face à cet être surnaturel (v. 1507-1510, 1522-1524), le
dieu qui aiguillonne le flanc des chevaux (v. 1539-1540) sont les signes que la
catastrophe est bien la conséquence du vœu de Thésée à Neptune.

o Le récit de la mort d’Hippolyte fait écho à celui de la mort d’Œnone, première


victime du dénouement tragique, rapporté en trois vers par Panope à la scène 5.
La mort est, dans les deux cas, l’objet d’un récit – ce qui assure l’homogénéité
dramatique de ces deux scènes.

65
RÉPONSES AUX QUESTIONS

q a) Le merveilleux est intimement lié à l’histoire de ces personnages d’origine my-


thologique : le Minotaure et les monstres tués par Thésée ne sont pas loin. C’est
pourquoi l’irruption de ce monstre,phénomène merveilleux,semble vraisemblable
dans ce cadre. Cette intrusion a été préparée par le vœu de Thésée à Neptune, lié à
une dette du dieu (IV, 2) et dont il a confirmé le caractère inéluctable (IV, 3).
b) On peut s’interroger sur le rôle et les intentions d’un dieu qui,pour récompenser
Thésée de ses services, exécute un vœu sanglant de manière aussi atroce. Il semble
bien que Neptune soit en fait ligué avec Vénus. Il s’agit véritablement des dieux
de la mythologie grecque, aussi haineux que les hommes :Thésée les accuse d’être
« impatients » et « inexorables » en l’ayant « trop servi » (v. 1572). Mais eux-mêmes ne
sont-ils pas de simples instruments de la fatalité tragique ?

s Le monstre qui attaque Hippolyte, mais qu’il tue héroïquement, est la pre-
mière cause de la mort d’Hippolyte.L’affolement des chevaux,qui les conduit à fra-
casser leur maître contre les rochers, provoque directement sa mort. Hippolyte, le
dresseur de chevaux, est paradoxalement tué par ses propres chevaux qui ne re-
connaissent plus sa voix. Ont-ils peur des crachats de feu du monstre ou de l’aigu-
illon d’un dieu ? Pour J. Schérer, il est vraisemblable qu’Hippolyte ayant négligé
ses chevaux pour Aricie,ceux-ci l’ont oublié.On peut songer aussi à la fatalité con-
tenue dans le nom d’Hippolyte, « celui qui libère les chevaux » : le monstre serait
alors l’instrument du destin, qui réaliserait la signification de son nom.

d Thésée est le tueur des monstres.Troublé par Phèdre et par son fils, égaré par
Œnone, il a retrouvé le langage et les gestes d’antan pour chasser Hippolyte
comme un monstre. Mais ce geste de purification qui a fait sa gloire devient
instrument de son malheur, par un retournement tragique : un monstre naît de sa
colère contre son fils.

f Selon Barthes, le monstrueux menace tous les personnages de Phèdre, qui sont
des monstres les uns pour les autres : Phèdre pour elle-même (II, 5) et pour Aricie
(V,3) ;Œnone pour Phèdre (IV,6) ;Hippolyte pour Phèdre (III,3) ;Hippolyte pour
Thésée (IV, 2); Thésée qui devient père infanticide.
Barthes voit dans le monstre qui tue Hippolyte « l’essence même du monstrueux » des
personnages,la force qui déchire et fait éclater le secret de tous,en même temps que
le corps d’Hippolyte. Par ailleurs, Hippolyte, l’innocent qui passe pour un
monstre, semble dans ce texte la victime d’un sacrifice monstrueux. On peut lire
dans sa passion sanglante les signes de l’abandon du père.

66
A c t e V, s c è n e 6

g a) Théramène,précepteur d’Hippolyte,est interrogé par Thésée sur ce qu’il a fait


de son fils. Son récit permet de voir son propre rôle et sa visée ; il est à la fois :
– un témoin privilégié et un informateur qui a tout vu et sait tout : dans son récit
fidèle et circonstancié (description du monstre, détails du combat), il cherche à
expliquer le comportement du dragon (rage et douleur) et celui des chevaux
(peur, non-reconnaissance de leur maître) ;
– un personnage acteur du drame :présent d’abord dans le pronom « nous » représen-
tant Hippolyte,Théramène et ses gardes ; puis dans les indéfinis « tout » et « chacun »
au moment de leur fuite, tandis qu’« Hippolyte, lui seul », fait face au monstre ;
ensuite par le pronom « je » exprimant sa douleur ; enfin par le « je » qui accourt
pour recevoir les dernières paroles et le corps d’Hippolyte. Il veut montrer qu’il a
accompagné Hippolyte jusqu’au bout et n’a rien pu faire pour lui ;
– un confident aimant qui communique ses sentiments : angoisse, pitié et admira-
tion pendant l’action ; au milieu et à la fin, sa douleur ;
– un messager qui a pour mission de transmettre les dernières paroles du mort à
Thésée.
b) L’effet produit sur le spectateur : le sentiment du tragique devant la catastrophe,
l’admiration devant la mort exemplaire d’Hippolyte, mais aussi l’émotion devant
l’immense douleur de Théramène.

h Le destinataire du récit est Thésée,à qui Théramène raconte et explique la catas-


trophe pour le convaincre de l’innocence et de l’héroïsme d’Hippolyte.Thésée est
interpellé deux fois directement dans sa souffrance de père :Théramène lui fait
partager ce moment horrible où son fils est entraîné par ses chevaux (v.1545-1549)
et,à la fin,il évoque ce corps défiguré,méconnaissable même pour son père.Thésée
apprend,outre la mort de son fils et ses causes,son héroïsme et ses dernières paroles,
témoignant de sa fidélité envers Aricie et de son innocence. Il lui reste à apprendre
de la bouche de Phèdre sa calomnie et ses raisons.

j Ce discours de Théramène s’adresse aussi aux spectateurs : en témoignent le re-


spect des fonctions du récit au théâtre (place, respect des règles, justification et in-
térêt), les effets de style (hypotypose) qui font sa beauté poétique et les effets
recherchés (terreur et pitié).

k Champ lexical du corps (v. 1550-1570) : « son corps », « une plaie », « son généreux
sang »,« [rochers] teints »,« ronces dégouttantes »,« de ses cheveux les dépouilles sanglantes »,
« main », « œil mourant », « corps défiguré ». Le lexique du corps, lié à celui du sang,

67
RÉPONSES AUX QUESTIONS

s’étend au paysage. On retrouve le souci du pittoresque, présent dans la description


du monstre et des chevaux (v. 1512-1520, etc.), destiné à mieux montrer la scène
aux spectateurs, mais aussi à susciter l’horreur devant les souffrances engendrées
par l’abandon du père : on peut ici voir dans le supplice et le sang répandu le sacri-
fice du fils par le père.

l L’épopée,genre connu depuis l’Antiquité gréco-latine (Iliade,Énéide),désigne un


récit poétique célébrant les exploits d’un héros, où le merveilleux se mêle au vrai.
Le registre épique peut se trouver ailleurs que dans l’épopée, et notamment dans la
tragédie, à laquelle Aristote compare l’épopée.
Caractéristiques empruntées au genre épique : niveau élevé des personnages, dis-
cours narratif long, narrateur omniscient, intervention du surnaturel cosmique et
mythologique (apparition du monstre, du dieu participant au combat, animation
des éléments),éloge des exploits et du courage d’un héros ;phrases amples et figures
d’amplification – hyperbole (description du monstre), gradation (v. 1515, 1522-
1524), accumulation (v. 1534), personnification (v. 1521-1524) – ; lexique guerrier
et des vertus héroïques (v.1527-1530),nombreux verbes d’action,lexique panthéiste
(v. 1521-1524).

m Théramène veut aussi faire l’éloge funèbre d’Hippolyte : l’oraison funèbre, ou


discours d’hommage aux morts,appartient au genre de l’éloge (épidictique).Le por-
trait d’Hippolyte présente les qualités d’autorité princière d’Hippolyte, dominant
sur son char, au centre du tableau (v. 1502), et exerçant un ascendant certain sur ses
gardes et ses chevaux (v. 1499-1500, 1505-1506), à l’unisson de « sa triste pensée ».
Ce portrait du jeune homme,à l’imparfait,semble figé dans un passé déjà révolu.Le
récit met en valeur les qualités du « digne fils d’un héros » (v.1527) :sang-froid et tech-
nique de combat exceptionnels (v. 1527, 1529-1530), courage (v. 1537, 1542) qui,
jusqu’à la fin, fait honneur à son « généreux sang » (v. 1556). Ses derniers propos
manifestent sa noblesse d’âme :fidèle à lui-même,il ne dénonce pas Phèdre ni ne se
révolte, mais ses dernières pensées vont à celle qu’il aime. Cet éloge de la noblesse
d’âme d’Hippolyte dans son aspect, ses actes et ses paroles hisse au rang de héros la
victime innocente et pathétique d’un père égaré par l’orgueil.

68
A c t e V, s c è n e 6

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 179 À 184)


Examen des textes
a à r Comparaison entre les deux récits de combat :
Phèdre Le Cid
Narrateur Théramène. Rodrigue.
Destinataire Le roi Thésée. Le roi don Fernand.
Statut du narrateur Témoin principal. Acteur principal.
Demande de Thésée :raconter Demande du roi :raconter son
Justification du récit
la mort de son fils Hippolyte. combat glorieux,pour être loué.
Circonstances de la mort : Circonstances de la victoire :
combat contre un monstre combat contre les ennemis de
Événements rapportés
surnaturel. l’État (les Mores).
Dénouement de la tragédie. Péripétie de la tragédie.
Aux portes de Trézène,en fin de Dans le port de Séville,la nuit qui
Lieu et moment
journée,juste avant cette scène. précède la scène.
Hippolyte chassé par son père, Départ vers le port avec une
sur la route de Mycènes,avec ses troupe d’amis sous ses ordres
Situation initiale du héros
gardes et Théramène (v.1498- (v.3-5).Grossissement de la
1506). troupe (v.5-8).
Sauver sa vie,celle de ses Défendre le royaume attaqué.
Enjeu du combat
compagnons et son honneur. Obtenir la gloire et le pardon.
Durée Quelques minutes. Trois heures.
– Stratagème et attente de l’ennemi.
– Irruption du monstre – Débarquement des Mores
et panique (v.1507-1526). (v.19-28).
1re phase du combat :avantage 1re phase du combat :avantage de
d’Hippolyte sur le monstre. Castille sur les Mores (v.29-38).
Péripéties
2e phase :réaction du monstre 2e phase :ressaisissement des
blessé et accident (v.1531-1544). Mores (v.39-46).
Pause lyrique (v.1545-1546). Pause lyrique,indécision (v.47-54).
3e phase :Hippolyte traîné par 3e phase :fuite des Mores sans
ses chevaux (v.1547-1558). leurs rois (v.55-67).
Dernières paroles (v.1559-1567) Victoire de Rodrigue :les rois
Dénouement et mort d’Hippolyte (v.1567 mores prisonniers (v.68-75).
à la fin).

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RÉPONSES AUX QUESTIONS

Deux récits de combat faits à la demande de deux rois : l’un veut savoir les cir-
constances de la mort tragique de son fils, l’autre veut entendre le héros conter son
exploit et sa victoire,péripétie heureuse.Ces deux récits sont structurés de la même
façon, en trois étapes qui maintiennent le suspense sur leur issue. Ces deux
combats démesurés, où le héros fait preuve de qualités exceptionnelles, fournissent
l’occasion de faire son éloge.Théramène veut faire partager sa douleur et Rodrigue
son désir de gloire à leur auditoire.
z Le combat contre les Mores ne peut être mis sur scène pour des raisons de
vraisemblance et de bienséance, et pour respecter les unités de lieu et de temps : ce
combat a lieu entre deux actes, afin que sa durée soit crédible.

t Procédés de style (texte B). On retrouve ceux de l’hypotypose :


– le présent de narration rend le récit de la bataille plus vivant, le met sous les yeux
des spectateurs ;
– les verbes d’action et de mouvement accentuent sa dynamique (« J’en cache »,
« se couche », « abordent », « ancrent », « descendent », « courent », « nous nous levons »,
« poussons »). La répétition de ces verbes (v. 36 : « Nous les pressons sur l’eau, nous les
pressons sur terre ») ou leur gradation (v. 27 : « Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils
descendent ») renforce encore l’effet produit ;
– les déictiques,démonstratifs et déterminants définis actualisent (v.3 :« cette troupe » ;
v. 19 : « Cette obscure clarté » ; v. 6 : « au port »).
Des procédés poétiques font apparaître la subjectivité du récit et permettent de se
représenter la scène : oxymore (v. 19 : « cette obscure clarté ») ; images hyperboliques
(v. 37 : « des ruisseaux de leur sang » ; v. 46 : « des champs de carnage ») ; contrastes de
bruits (v. 25 : « notre profond silence » ; v. 30 : « mille cris éclatants » ; v. 60 : « des cris
épouvantables ») et de lumière (v.19 :« cette obscure clarté ») ;sonorités et rythme (v.22 :
« les Mores et la mer montent jusques au port »), où les allitérations en -m et -r,
l’assonance en -o et le rythme 2/4-2/4 miment le bruit étouffé et la cadence de
la flotte.

y a) Mise en scène et mise en valeur de Rodrigue : ce récit n’est pas nécessaire à


l’action mais à la dramaturgie pour mettre en valeur le héros et justifier son titre de
« Cid ». On peut analyser, à travers le jeu des pronoms, la part respective de ses
actes et de ceux qu’il attribue à ses hommes dans ce texte.

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A c t e V, s c è n e 6

«Je» «Ils» «Nous»


(Rodrigue) (la troupe de Castille) (Rodrigue et sa troupe)
Le rôle de commandant: Ralliement des hommes à son
il dirige l’expédition projet (v.54-6).
(«Sous moi donc »).
L’organisation du Obéissance:«Le reste […] autour
stratagème:«Par mon de moi demeure»,«la garde en fait
commandement»,«l’ordre […] de même».
que je donne à tous».
Union :« Nous nous levons alors,et
tous en même temps ».
Ardeur au combat :« Nous les
pressons sur l’eau ».
Encouragement des combattants: Héroïsme (exploits et sacrifice
«j’allais de tous côtés encourager de leur vie):«chacun,seul témoin
les nôtres». des grands coups qu’il donnait».
Il obtient la reddition des rois.

Le jeu des pronoms personnels fait alterner le « je »,le « nous » et le « ils »,conférant
au narrateur un rôle éminent de chef de guerre rassembleur d’hommes,stratège re-
marquable, modèle de bravoure et de magnanimité envers ses ennemis, qui le re-
connaissent comme Cid. Doubrovsky trouve dans ce récit un exemple du « Moi
héroïque », et non du « Moi épique » : « Ce “je” audacieux qui assume le commandement
de sa propre initiative et l’impose sans discussion domine de prime abord la scène. […] Le Moi
épique est, en fait, un “nous” déguisé. Le Moi héroïque, au contraire, même lorsqu’il
paraît engagé dans une action collective, ne poursuit que des fins individuelles » (Serge
Doubrovsky, Corneille et la Dialectique du héros, Gallimard, 1970).
b) Caractéristiques du registre épique (texte B) :niveau élevé des personnages (rois,
gentilhomme) ;glorification du héros et des combattants,les Castillans (voir tableau)
comme les Mores, capables de résistance héroïque (v. 39-44, 65-69) ; discours nar-
ratif long, racontant des épisodes violents ; narrateur omniscient (v. 34-35) ; rôle
actif de la mer (v.22) et des étoiles (v.19) ;phrases amples,hyperboles,gradation,ac-
cumulation (v. 45-46), répétitions (v. 36) ; lexique guerrier (« alfange », « cimeterre »,
« presser »,« résister »,« rallier ») et lexique des vertus héroïques (« courage »,« vaillance »,
« impatience », « mâle assurance », « exploits célèbres ») ; nombreux verbes d’action.

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RÉPONSES AUX QUESTIONS

u Les sentiments suscités chez le spectateur :


– texte A : crainte, pitié, horreur et admiration pour le héros, indignation contre la
fatalité ;
– texte B : crainte, exaltation et admiration, espoir pour le héros.

Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Fonction dramatique du récit dans les textes A et B.
– Ces deux récits de combat sont faits à la demande d’un roi : l’un (texte A) pour
connaître les circonstances de la mort tragique de son fils,début du dénouement de
la pièce qui va se poursuivre avec le suicide de Phèdre ; l’autre (texte B) pour en-
tendre le héros conter sa victoire sur les Mores, péripétie heureuse qui va ouvrir
une issue au conflit tragique, après le duel où Rodrigue a tué le père de Chimène
pour laver son honneur.Les deux combats sont narrés selon un schéma sensiblement
similaire (voir phases des combats dans le tableau).
– Le narrateur est,dans le texteA,un témoin du drame :son précepteur Théramène,
qui accompagnait Hippolyte et qui doit transmettre le dernier message du défunt.
Le but de Théramène est,dans un récit circonstancié,d’expliquer pourquoi et com-
ment Hippolyte est mort dans ce combat perdu contre le monstre. Dans le texte B,
le narrateur est Rodrigue, l’acteur principal du combat lui-même, et son but est de
raconter dans le détail comment il a conçu et gagné cette bataille avec ses compagnons.
– L’enjeu pourThéramène (texte A) est de persuaderThésée de l’innocence d’Hippolyte
et de l’héroïsme de sa mort, en faisant appel à l’émotion de son cœur de père. Pour
Rodrigue (texte B), il est de se faire pardonner du roi pour ce combat qu’il a or-
ganisé de son propre chef sans le consulter,mais aussi de conquérir,par cette victoire,
le pardon de Chimène pour son crime.
• Autre fonction du récit : l’éloge du héros, oraison funèbre (texte A) ou éloge du
vainqueur (texte B).
– Texte A : à travers un portrait plein de noblesse, le récit d’un combat surhumain
et l’exposé de paroles pathétiques,Théramène montre l’autorité princière d’Hippolyte,
son sang-froid,sa technique de combat et son courage exceptionnels,et la grandeur
d’âme présente dans ses dernières paroles. Il le présente comme un héros digne de
son père qui force l’admiration. Sa mort horrible ne peut que susciter douleur et
indignation chez le spectateur, devant un sort aussi indigne et tragique. Hippolyte
devient, par cet éloge, à la fois martyr et héros.
–Texte B : Rodrigue se présente comme le principal acteur de ce combat ; dans le
récit de ses actes et de ses paroles, il se révèle un chef de guerre plein d’autorité,
un rassembleur d’hommes et un stratège remarquable, un exemple de bravoure au

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combat, de soutien pour ses hommes et de magnanimité envers ses ennemis, qui le
reconnaissent comme Cid. Il force ainsi l’admiration du spectateur.
– Procédés : le récit du combat est rendu plus présent aux yeux du spectateur par
les procédés de l’hypotypose, et la grandeur du héros est amplifiée par des procédés
du registre épique.

Commentaire
On peut organiser le commentaire selon le plan suivant :

1. La fonction du récit du combat


• Situation d’énonciation : demande d’information du roi, nécessaire à la glorifica-
tion du vainqueur du combat.
• Situation du combat dans la pièce : péripétie et retournement.
• Enjeu pour Rodrigue :obtenir par cet exploit le pardon du roi et celui de Chimène.
• Fonction d’information directe et indirecte :étapes de l’expédition et dénouement.

2. La mise en scène du héros


• La mise en valeur du rôle de Rodrigue,stratège,rassembleur et chef de guerre (jeu
des pronoms personnels).
• Dramatisation du récit :
– l’hypotypose : actualisation par présent de narration, déictiques, verbes d’action ;
– visualisation par procédés poétiques : oxymore, notations de bruits et de lumière,
sonorités et rythme mimant le bruit et la cadence de la flotte.

3. Un récit de combat épique


Il permet de donner un « souffle épique » au récit.
• Personnages de sang noble ; participation des éléments actants dans le combat :
mer, étoiles.
• Combat violent contre des forces impressionnantes : nombre et violence des en-
nemis, champs lexicaux des armes et de la violence, amplification des massacres
par hyperboles et répétitions.
• Exploits du héros et des combattants :ardeur et exaltation des hommes,héroïsme,
ampleur des émotions.

Conclusion
Effets sur le spectateur :émotion,admiration,meilleure compréhension du person-
nage de Rodrigue et de son désir de gloire.

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RÉPONSES AUX QUESTIONS

Dissertation
On peut proposer le plan suivant :

Introduction
Récit au théâtre à la fois contesté et réclamé.Il est nécessaire à l’information du spec-
tateur quand la bienséance et la vraisemblance s’opposent à la représentation sur
scène. Les longs récits ont connu un prestige important dans le théâtre classique.

1. Inconvénients d’un long récit


• Il se substitue à l’action représentée, propre au théâtre.
• Il peut être ennuyeux s’il est long, par le risque de monotonie engendré.
• Il peut sembler gratuit, sans justification réelle.

2. Intérêts d’un long récit


• Informations : il donne des informations complètes et circonstanciées et des
explications sur un événement.
• Fonction dramatique : il permet soit d’informer de ce qui a précédé la pièce
(récit d’Hippolyte dans la première scène),soit de rapporter des péripéties qui provo-
quent des retournements (extrait du Cid) ou des morts de personnages qui dénouent
la tragédie (extrait de Phèdre).
• Actualisation :il rend présente une action impossible à représenter,par l’utilisation
de procédés d’actualisation et de visualisation.
• Fonction poétique : procédés poétiques, rythmiques et prosodiques.
• Fonction discursive :
– caractérisation du narrateur : c’est un discours qui permet de caractériser le
personnage qui raconte (sentiments, points de vue) ;
– visée du narrateur : c’est un morceau d’éloquence qui a une visée argumentative
(plaidoyer, éloge du héros) ;
– effets produits : par son registre, il peut donner un souffle épique à la pièce et
contribuer à la glorification du héros. Il permet aussi de susciter des émotions
violentes chez l’interlocuteur et le spectateur : horreur, pitié, admiration.

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Écriture d’invention
Les élèves devront prendre en compte :
– le genre (lettre) et la situation d’énonciation (roi more prisonnier écrivant à son
fils après la bataille) ;
– la forme de discours narrative et sa visée argumentative : plaidoyer et éloge ;
– les principales étapes du combat et les réactions successives des Mores indiquées
par Rodrigue ;
– la caractérisation des Mores et leurs rois par Rodrigue;
– éventuellement le registre épique.

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BIBLIOGRAPHIE C O M P L É M E N TA I R E

◆ SUR LE THÉÂTRE
– Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, P.U.F., 1980.
– Michel Pruner, L’Analyse du texte de théâtre, coll. «128», Nathan, 2001.
– Jean-Pierre Ryngaert, Introduction à l’analyse du théâtre, Nathan, 2000.
– Jean-Jacques Roubine, Introduction aux grandes théories du théâtre, Bordas, 1990.
– Anne Ubersfeld, Lire le théâtre (tomes 1, 2, 3), Belin, 1996.

◆ SUR LA TRAGÉDIE
– Christian Biet, La Tragédie,Armand Colin, 1997.
– Alain Couprie, Lire la tragédie, Dunod, 1994.
– Jacques Truchet, La Tragédie classique en France, P.U.F., 1975.

◆ SUR R ACINE
– Christian Biet, Racine ou la Passion des larmes, Hachette, 1996.
– Lucien Goldmann, Le Dieu caché, Gallimard, 1956.
– Jean Starobinski,« Racine et la poétique du regard »,in L’Œil vivant,Gallimard,1968.

◆ SUR PHÈDRE
– Lionel Acher, Jean Racine, Phèdre, P.U.F., 1999.
– Jean Gillibert, Phèdre et l’Inconscient poétique, L’Harmattan, 2001.

◆ SUR LES MISES EN SCÈNE DE PHÈDRE


– Jean-Louis Barrault, Mise en scène de Phèdre, Éditions du Seuil, 1946.
– Antoine Vitez, « Phèdre », in L’Arc, 2e trimestre 1973.

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