Vous êtes sur la page 1sur 8

Explication linéaire n°2

Dans cet extrait, Hadrien se remémore une nuit qu’il a passée à la belle étoile dans le
désert de Syrie. Ce passage se situe à la fin du chapitre 3, « Tellus stabilita », juste avant
« Saeculum Aureum ».

Une fois dans ma vie, j’ai fait plus : j’ai offert aux constellations le sacrifice d’une nuit tout

entière. Ce fut après ma visite à Osroès1, durant la traversée du désert syrien. Couché sur le

dos, les yeux bien ouverts, abandonnant pour quelques heures tout souci humain, je me suis

livré du soir à l’aube à ce monde de flamme et de cristal. Ce fut le plus beau de mes voyages.

Le grand astre de la constellation de la Lyre2, étoile polaire3 des hommes qui vivront quand

depuis quelques dizaines de milliers d’années nous ne serons plus, resplendissait sur ma tête.

Les Gémeaux luisaient faiblement dans les dernières lueurs du couchant; le Serpent

précédait le Sagittaire ; l’Aigle montait vers le zénith, toutes ailes ouvertes, et à ses pieds

cette constellation non désignée encore par les astronomes, et à laquelle j’ai donné depuis le

plus cher des noms. La nuit, jamais tout à fait aussi complète que le croient ceux qui vivent et

qui dorment dans les chambres, se fit plus obscure, puis plus claire. Les feux, qu’on avait

laissé brûler pour effrayer les chacals, s’éteignirent ; ce tas de charbons ardents me rappela

mon grand-père debout dans sa vigne, et ses prophéties devenues désormais présent, et bientôt

passé. J’ai essayé de m’unir au divin sous bien des formes ; j’ai connu plus d’une extase ; il en

est d’atroces ; et d’autres d’une bouleversante douceur. Celle de la nuit syrienne fut

étrangement lucide. Elle inscrivit en moi les mouvements célestes avec une précision à

laquelle aucune observation partielle ne m’aurait jamais permis d’atteindre.

1. Osroès est le chef de l’Empire parthe, voisin et rival de l’Empire romain, à qui Hadrien
vient de rendre une visite officielle pour établir la paix.
2. La Lyre, les Gémeaux, le Serpent, le Sagittaire et l’Aigle sont des constellations.
3. Hadrien fait allusion au pôle nord céleste, dont la position exacte change lentement avec les
siècles. 
1/ Cherchez toutes les expressions qui permettent de montrer que cette
expérience est un don de soi. En vert Chercher, pour répondre à cette question,
l’étymologie du mot « extase ».

 Hadrien se livre à une expérience. Cette expérience est vécue comme un don
de soi : le lexique insiste sur cette idée → « offrir, abandonner, se livrer à, le
sacrifice ». Le terme « sacrifice » inscrit ce don de soi dans le domaine des
rituels sacrés.

Définition : un sacrifice est une action sacrée par laquelle une


personne ou une communauté offre à une divinité, selon un certain rite,
et pour se la concilier, une victime mise à mort ou des objets qu'elle
abandonne ou brûle sur un autel.

→ Normalement le sacrifice se fait aux dieux, ici c’est aux constellations :


idée d’expérience à la fois mystique et cosmique en relation avec l’univers
(réel).

Définition : ce qui est mystique concerne les pratiques et les


croyances visant à une union entre l'homme et la divinité et ce qui est
cosmique, c’est-à-dire ce qui concerne l’espace ou l’univers comme un
ensemble ordonné d’astres.

Extase : État particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée
hors d'elle-même, est soustraite aux modalités du monde sensible en découvrant par
une sorte d'illumination certaines révélations du monde intelligible, ou en participant
à l'expérience d'une identification, d'une union avec une réalité transcendante,
essentielle.
− En partic., RELIG. État particulier d'une personne en union intime avec la divinité;
élan religieux, transport mystique.
B.− P. anal. Enchantement, ravissement d'admiration, de joie.

2/ Cherchez les exemples qui utilisent les procédés suivants pour faire de cette
expérience une expérience complète et supérieure à toutes celles vécues :
adverbe d’intensité, superlatif, la négation portant sur les termes exprimant
l’inverse de la totalité.

→ L’union avec le divin et le cosmos nécessite une expérience physique et


psychique d’une extrême intensité.

Plusieurs procédés permettent l’amplification afin de souligner son intensité et sa


rareté. ROUGE dans le texte

+ Adverbes1 d’intensité : - « Une nuit tout entière » : le procédé d’insistance


(adverbe d’instensité accompagnant un adjectif qui exprime l’idée de totalité)
1
Grammaire - Un adverbe :
souligne l’importance du don accordé : le temps humain (surtout celui qui permet à
l’homme par le sommeil de se régénérer), un morceau de vie humaine est donné.
« les yeux bien ouverts » : insiste sur l’idée de lucidité (et non aveuglement),
d’attitude d’ouverture au monde nocturne (# yeux clos ou sommeil des autres plus
bas dans le texte) —> acceptation de la nuit et de l’expérience qu’elle propose.- .
« abandonnant pour quelques heures tout souci humain » : insiste sur l’idée
d’accès à une autre dimension, que la suite du texte révèlera être une dimension
mystique d’union avec le divin.

+ Superlatif2 : « Le plus beau de mes voyages » : aspect exceptionnel avec le


superlatif. Ce voyage est avant tout un voyage de l’esprit, puis qu’il est dans une
position immobile, « couché sur le dos ». Ce voyage est donc un voyage à la fois
esthétique (la recherche du beau), mais aussi moral (la recherche du bien) et
intellectuelle purificatrice (la recherche du vrai), car, dans l’antiquité, il y a une
équivalence du beau/ vrai / bien.

4/ Cherchez la signification des 4 constellations pour le monde grec et trouvez


la raison pour laquelle cela correspond bien au personnage d’Hadrien (La Lyre,
le serpent, le sagittaire et l’aigle).

La 1° constellation ? Relevez le CL de la lumière.

Aspect extraordinaire marqué par : « le grand astre resplendissait »


Définition : « Resplendir » : être au maximum de son rayonnement, répandre
une lumière abondante et pure ; au sens figuré : se mettre superbement en
valeur, se distinguer par des couleurs (plus) éclatantes. Parvenir au summum
de sa valeur, de son talent, de sa gloire, etc.) —> dimension exceptionnelle de
cette nuit.
Jeu sur la polysémie d’astre : ASTRONOMIE Corps céleste, lumineux par
lui-même (soleil, étoiles) ou réfléchissant la lumière solaire (lune, planètes);
ASTROLOGIE Corps céleste considéré par rapport à son influence supposée
sur les hommes ; MYTHOLOGIE Corps céleste considéré comme divinité…
La polysémie du mot « astre » permet de réunir plusieurs plans et de faire de cette
expérience une expérience totale (physique, mystique, révélatrice)

- La Lyre : symbole d’Orphée3, d’Apollon4 : beauté, arts, ordre + annonce Antinoüs


(joueur de lyre). N’oublions pas qu’Hadrien est un grand amateur d’arts et que cet
épisode de la nuit syrienne intervient au moment où il a instauré la paix dans
2
Grammaire - Le superlatif :
3
Culture - Orphée :
4
Culture – Apollon :
l’empire, finalisée par cette dernière visite à Osroès. On est à la fin du chapitre
« Tellus Stabilita » et le chapitre suivant est « Saeculum Aureum » : Hadrien est
arrivé au faîte de sa gloire et de son œuvre politique, qu’il considère à la fois
comme un travail de mise en ordre, au même titre que le passage du chaos au
cosmos et comme une œuvre esthétique à travers son travail de bâtisseur. Cette
constellation de la lyre symbolise cette période de la vie d’Hadrien.

La 2° constellation

- Les Gémeaux : Pour les Grecs, la constellation des Gémeaux représentait Castor
et Pollux, les frères jumeaux d'Hélène de Troie, appelés aussi les Dioscures
(jeunes garçons de Zeus). Ils sont le symbole des jeunes gens en âge de porter
les armes. Ils apparaissent comme des sauveurs dans des situations désespérées
et sont les protecteurs des marins → figures protectrices + image des guerriers
= reflet d’Hadrien (ancien guerrier/ rôle bénéfique pour l’empire : il apporte la paix)
- Parmi ces deux frères, l’un est fils de Zeus, l’autre d’un mortel (fils de Tyndare) 5 :
cette dualité peut marquer l’avènement d’Hadrien, à la fois divin et humain lors de
cette nuit syrienne.
- Les Romains y voyaient Romulus et Rémus.→ légitimation du pouvoir d’Hadrien,
qui l’unit au passé et aux racines légendaires de Rome.

La 3° constellation

5
Ils sont tous deux fils de Zeus dans le Catalogue des femmes du pseudo-Hésiode4 et dans les
Hymnes homériques, dont l'hymne qui leur est adressée les qualifie pour la première fois de
« Dioscures »5. Les Chants cypriens introduisent le motif selon lequel Castor est mortel et
Pollux immortel6.

La légende établit que leur mère Léda, qui se serait unie avec Zeus métamorphosé en cygne,
aurait pondu deux œufs : l'un contenant Pollux et Hélène, fils de Zeus et un deuxième
contenant Castor et Clytemnestre, descendants de Tyndare. Ceux-ci sont donc de simples
mortels, alors qu'Hélène et Pollux sont des demi-dieux7.
- Serpent : image du serpent ouroboros qui se mord la queue : symbole céleste du
temps cyclique, de la vie. / Serpent : Python, prédiction, mort, mais aussi
médecine, vie + mue, transformation.

La 4° constellation

- Sagittaire : Ce terme signifie l’Archer. Dans la mythologie grecque, il évoque le


Centaure (homme-cheval) Chiron en train de viser le scorpion avec son arc.
Contrairement aux autres représentants de son espèce, il est immortel et il est
réputé pour sa grande sagesse et ses nombreuses connaissances. On lui confie
l’éducation de nombreux héros qui deviennent ses disciples, notamment Achille,
Asclépios et les Dioscures. C'est un de ses élèves, Héraclès, qui blesse
malencontreusement Chiron lors d'une bataille contre les centaures : ayant reçu
une flèche empoisonnée par le sang de l’hydre de Lerne, Chiron demande aux
dieux le retrait de son immortalité pour cesser de souffrir. Cela peut symboliser,
encore une fois, la sensation d’Hadrien d’être immortel le temps cette expérience
de la nuit syrienne.

La 5° constellation

- l’Aigle : L'aigle, capable de s'élever au-dessus des nuages et de fixer le soleil. Sa capacité à
regarder le soleil en face évoque la quête de lucidité d’Hadrien qui caractérise cette nuit syrienne,
mais également la rédaction de ces Mémoires. Il est, dans l'antiquité classique, l'oiseau de Zeus, à
qui il lui arrive même de s'identifier. Les Romains l'utilisaient comme emblème pour leurs armées.
Symbole du pouvoir et de puissance, il symbolise le règne de l’empereur et
annonce l’apothéose qui attend Hadrien et consiste à diviniser les empereurs au
moment de leur mort. C’est alors l’aigle qui emporte leur âme. Cet aigle annonce
donc la fin de la vie de l’empereur sur lequel s’était ouvert le roman : « Tout est
prêt : l’aigle chargé de porter aux dieux l’âme de l’empereur
est tenu en réserve pour la cérémonie funèbre. » (Chapitre « Patientia »)

« l’Aigle montait vers le zénith, toutes ailes ouvertes » : marque


d’épanouissement et de réussite: « montait, zénith » (connote le point le plus
élevé : Point de la sphère céleste situé à la verticale au-dessus de la tête d'un
observateur./ Degré le plus élevé, point culminant. ) : là encore le mot zénith indique
que cela se fait par rapport à Hadrien + « toutes ailes ouvertes » —> amplitude,
majesté.

-La 6° constellation
« et à ses pieds cette constellation non désignée encore par les astronomes, et à
laquelle j’ai donné depuis le plus cher des noms. » : annonce d’Antinoüs par une
périphrase et euphémisme : « le plus cher des noms » : le superlatif et l’adjectif (cher
vient de l’adjectif latin < carus : aimé, estimé // cf. chéri) indiquent la puissance de
cette relation amoureuse + la périphrase (au lieu de nommer A.) suggère la peine
encore vive d’H., la difficulté à nommer l’être perdu + « à ses pieds » : lien avec
l’Aigle empereur figure la relation amoureuse mais aussi une relation de soumission.

3/ Montrez à travers trois exemples, que, lors de cette nuit syrienne, Hadrien
s’éloigne du reste des hommes pour se rapprocher de Dieu et s’unir à
l’univers.

La communion de l’homme avec le divin et le cosmos nécessite ce don de soi, cette


dépossession, ce dépouillement qui est symbolisé par le lieu dans lequel se déroule
cette expérience: « le désert ».

- La disparition du « je », à partir de la quatrième ligne, donne l’impression


qu’Hadrien s’est dissout dans l’observation des astres.

« La nuit, jamais tout à fait aussi complète que le croient ceux qui vivent et qui
dorment dans les chambres, se fit plus obscure, puis plus claire. »
- Négation du comparatif d’égalité « n’est as aussi complète que » et périphrase
«  ceux qui vivent et qui dorment dans les chambres » : périphrase à la 3°
personne du pluriel qui distingue Hadrien des autres hommes : oppose « le désert
syrien » (solitude, lieu ouvert sur le ciel, constellation) à un lieu clos, vue limitée,
enfermement. —> liberté et vastitude pour Hadrien —> lieu d’épanouissement,
activité banale et commune (cf. pluriel) # expérience particulière et personnelle
pour H. Verbe croire : « Que le croient » —> illusion qui s’oppose à la vision qu’en
a Hadrien —> idée de connaissance de la vérité.

« Les feux, qu’on avait laissé brûler pour effrayer les chacals, s’éteignirent; ce tas de
charbons ardents me rappela mon grand-père debout dans sa vigne, et ses
prophéties devenues désormais présent, et bientôt passé. »
- « La flamme » # les feux : les « feux », contrairement à la flamme, renvoient à
l’univers matériel et humain (+ fonction matérielle marquée par la présence d’une
circonstancielle et d’un CC de but : « pour effrayer les chacals » + chaleur et
protection). A l’incandescence croissante du ciel s’oppose/ répond la luminosité
faiblissante terrestre : « feux, s’éteignit, charbons ardents » : idée d’une
expérience qui est limitée. Image de la mort à venir. Retour à une existence qui
reste terrestre.
- Le CC de temps « et bientôt passé » rappelle la finitude humaine. Malgré son
extase, Hadrien reste un homme, garde une dimension humaine.

« J’ai essayé de m’unir au divin sous bien des formes; j’ai connu plus d’une extase;
il en est d’atroces; et d’autres d’une bouleversante douceur. Celle de la nuit syrienne
fut étrangement lucide. »
- « M’unir au divin » /«  plus d’une extase » : Champ lexical de la communion
spirituelle qui traduit le caractère extraordinaire, supra-humaine de l’expérience.
Hadrien fait l'expérience d'une illumination, au sens propre et figuré, d'une
« extase », c'est-à-dire d'un moment où l'être sort de lui-même pour accéder au
divin.

- « Celle de la nuit syrienne » : le singulier s’oppose aux pluriel précédent et fait de


la nuit syrienne une expérience à part, unique, exceptionnelle. cf. « étrangement »

- la caractérisation ne se fait pas sur un plan affectif, émotif : « atroces,


bouleversantes douceur » mais sur celui de la raison : « lucide » —> idée de
connaissance et de compréhension de soi et du monde. cf. « lucide » est à
rapprocher du CL de la luminosité présente ans tout le texte (étoiles et feux) et
montre bien que la vision du cosmos est en lien profond avec Hadrien.

Pourquoi est-elle exceptionnelle ? Quelle relation avec la nuit apparait ?


« Elle inscrivit en moi les mouvements célestes avec une précision à laquelle aucune
observation partielle ne m’aurait jamais permis d’atteindre. »

—> idée d’union avec l’univers « inscrivit en moi » inscrire idée de profondeur et de
quelque chose de permanent avec inscrire, ce que confirme la préposition « en » —>
impression durable et intime auquel répond l’ « extase » : ex- stasis : être hors de
soi. —> mouvement réciproque (en dedans/ en dehors) qui renforce l’union avec
l’univers.
—> « Une précision » / « aucune observation partielle (extérieure # en moi) » + la
négation nie le rapport superficiel et commun : le rapport avec le cosmos n’est donc
pas juste physique (« observation » avec les sens, la vue) et complet (« aucune…
partielle ») , « jamais d’atteindre »)

Cl. À la faveur de la transparente nuit du désert, Hadrien sort de lui-même pour être
lui-même plus pleinement que jamais, et nomme cette expérience mystique : il s’agit
d’une extase, dans laquelle l’être ne se perd pas en contemplation, mais au contraire
voit clair en soi, expérimente sa propre complétude. Cette confrontation avec les
espaces sidéraux, loin de l’anéantir, lui permet de s’« unir au divin ». Cosmos :
L'univers, ou partie de l'univers, considéré comme un ensemble ordonné < au gr. κ ο
́ σ μ ο ς « bon ordre; ordre de l'univers; monde, univers »
5/ Observez les signes qui annoncent la présence à venir d’Antinoüs dans le
chapitre suivant.

(Voir ci-dessus : lyre + « le plus cher des noms » et « j’en connu des atroces »)

6/ En quoi cette expérience de la nuit syrienne peut-elle considérée comme une


expérience purificatrice ?

+ La périphrase employée pour désigner la voûte céleste, « ce monde de flamme et


de cristal » signifie bien la dimension poétique et esthétique de ce voyage spirituel,
mais l’élément feu, dont on retrouve le champ lexical à travers tout le passage » et
la transparence du cristal évoquent également l’idée de purification.


Vous aimerez peut-être aussi