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Le califat d'Omar Ibn El Khattab : l'idéal à l'épreuve du pouvoir

Après avoir, dans un premier temps, combattu l’islam de manière virulente, Omar Ibn El
Khattab, en fut l’un des plus fervents défenseurs dès sa conversion et contribua, de par
sa personnalité crainte et respectée, à faire pencher la balance en faveur des musulmans.

Après la mort d’Abu Bakr As-Siddiq, le gendre et proche compagnon du Prophète lui
succéda pour devenir le deuxième calife de l’Etat musulman naissant de Médine. Son
prédécesseur, Abu Bakr, fut celui qui apaisa les tensions consécutives à la mort du
Prophète Muhammad, laissant les croyants désorientés suite à la perte de leur guide
spirituel, et qui assura ainsi la continuité et la pérennité de la religion musulmane. Omar
Ibn El Khattab, quant à lui, dut faire face à un contexte d’expansion rapide des territoires
d’islam. Ces territoires présentèrent une diversité jamais rencontrée auparavant par un
dirigeant : des musulmans et non-musulmans, des Arabes et des non-Arabes, des peuples
aux us et coutumes différentes.

Les défis du calife furent donc de gouverner ces peuples avec justice, dans le respect de
leur culture, répandre le Message du Prophète, unifier les populations et leur transmettre
un sentiment d’appartenance à l’Etat islamique malgré les différences. Il a pour cela fallu
réfléchir à de nouveaux systèmes d’administration et de gouvernance. Parce qu’il parvint
à créer un Etat stable et fonctionnel, son califat eut un impact majeur dans l’histoire de la
civilisation arabo-musulmane.

Trois principes de base : la


justice, l’égalité et la liberté
Pendant toute la durée de son califat, Omar
n’eut de cesse d’insister sur trois grands
principes, fondateurs jusqu’à aujourd’hui de
toute société harmonieuse : la justice,
l’égalité et la liberté. Conscient que ces valeurs étaient indubitablement liées à la morale
islamique, il pensait que l’islam ne pouvait exister dans une société où prévalait l’injustice.
Il prôna donc une justice pleine de compassion, à l’image de celle du Prophète.

Pour illustrer ce souci de justice, prenons quelques exemples. Omar avait pour habitude
d’envoyer des agents dans la ville. Il dit à son peuple, lors d’une assemblée : « ô gens, je
n’ai pas envoyé mes agents pour vous battre ou pour prendre votre argent, mais pour vous
protéger de quelconque injustice. Si quelqu’un a quoi que ce soit à leur reprocher, qu’il se
lève maintenant ». Un homme se leva et dit : « Ô commandeur des croyants, ton agent
m’a battu. » Omar lui demanda alors de rendre les coups qu’il avait reçus, ce que le
croyant refusa, et on lui donna à la place 200 dinars, 2 dinars pour chaque coup.

Le principe d’égalité fut de la même façon fondamental aux yeux de Omar. D’un point de
vue islamique, tous les êtres humains sont égaux, peu importe leurs statuts ou leurs
origines, et un calife qui ne respecterait pas ce principe ne saurait se montrer digne de
cette noble fonction. C’est ainsi que Omar s’appliqua à faire en sorte que nul ne soit lésé
ou favorisé sur la base de sa race, de sa couleur, de sa descendance, de son genre ou
de sa classe sociale. Lors d’une famine qui toucha Médine et ses environs durant le règne
de Omar, il jura qu’il ne consommerait plus de lait ou de yaourt jusqu’à ce que tout le
monde puisse se permettre d’accéder à ces denrées, ce qui montre ce souci d’équité non
seulement entre les gens du peuple, mais en plus entre lui et ses sujets.

Enfin, l’islam garantit un certain nombre de libertés fondamentales, comme la liberté de


culte, de propriété et la liberté d’opinion des individus et ce droit fut protégé pendant la
période des califes bien-guidés.

Une société régulée par une morale et des principes islamiques


Le calife jouait bien entendu un rôle majeur dans la gestion du culte et des actes
d’adoration de la jeune communauté de Médine, l’adoration renforçant la croyance du
peuple et établissant ainsi des valeurs morales, tout en réformant la société. Mais il existe
par ailleurs une dimension autre que spirituelle du califat, la gestion des affaires liées à la
vie en société. Plusieurs éléments sont intéressants à mettre en lumière pour bien
appréhender cette préoccupation de Omar Ibn El Khattab.

Le premier exemple est celui du commerce. Le calife veillait particulièrement à ce qu’il soit
réalisé en accord avec le droit musulman (charia). Nul ne pouvait exercer une activité
commerciale à Médine s’il ne connaissait pas les lois islamiques sur le sujet. Omar dit à
ce propos que « personne ne doit avoir une place dans notre marché s’il ne sait pas ce
qu’est l’intérêt (riba) ». En plus des lois religieuses clairement établies, il mit en place des
lignes directrices pour les marchands afin de réguler les échanges et de garantir la stabilité
du marché, en interdisant par exemple la triche, les stocks trop importants, le marché noir
ou la corruption. Le calife ne se limita donc pas aux sources traditionnelles de la religion,
mais après observation des pratiques commerciales couramment répandues dans la
population, il s’efforça de les réformer afin de faire en sorte qu’elles fassent prospérer et
fructifier l’Etat tout en respectant l’éthique prônée par l’islam.
Deuxièmement, il convient de souligner
l’importance qu’il accorda au savoir et à la
science. Quiconque se penche sur le
Coran réalisera l’abondance de versets qui
encouragent à la quête de savoir. Les
compagnons, dont Omar, comprirent ainsi
qu’il était crucial de rechercher la science, et d’en favoriser l’accès au plus grand nombre.
Omar était un homme cultivé, il savait lire et écrire et aimait la poésie. En raison de la
profondeur de sa connaissance et de sa capacité d’analyse, Omar Ibn El Khattab fut l’un
des premiers spécialiste du fiqh (faqih) et il encouragea l’accès au savoir, en faisant de
Médine un centre de la jurisprudence islamique (fiqh) et d'avis juridiques (fatwas).

Par la suite, une école d’où les gouverneurs et les juges étaient diplômés y vit le jour et un
groupe de compagnons y fut formé pour diriger les instituts d’apprentissage dans les
régions conquises. Ils enseignaient et éduquaient la population à la lumière du Coran et
de la tradition prophétique. Animé par cet amour de la science, il posa ainsi les fondations
d’illustres écoles, tels que celles de Bassora, Koufa, Damas, Médine et La Mecque.

Il recommandait aux musulmans d'apprendre les sciences de leur époque et d'en tirer
profit pour leur bien-être. Il a dit entre autres : « Apprenez la science et, pour pouvoir
l'acquérir, apprenez la noblesse de caractère et l'indulgence. Et soyez humbles auprès de
ceux qui vous apprennent la science, pour que soient humbles à votre égard ceux à qui
vous l'enseignerez. Ne soyez pas de ces savants tyrans et orgueilleux car votre science
ne pourra pas se révéler si vous vous comportez comme un ignare ! »

Ce ne sont là que deux illustrations du rôle que pouvait jouer le calife dans la vie
quotidienne du peuple, mais son champ d’action fut bien plus étendu : de la garantie de la
sécurité des habitants par la mise en place d’un service de surveillance, à la gestion des
crises économiques, Omar Ibn El Khattab veilla à ce que les affaires publiques assurent
d’une part la pérennité de l’Etat et le bien-être du peuple et d’autre part soient en
conformité avec l’éthique et les valeurs de l’Islam.

Le rôle du califat dans la vie socio-économique


L’islam considère les richesses sous toute leur forme comme appartenant à Allah et que
l’être humain est chargé d’en disposer en accord avec les conditions stipulées par Dieu.
C’est ainsi que Omar voyait les richesses de l’Etat considérablement augmentées durant
son règne étant donné le nombre important de terres conquises. Il s’attela donc à
superviser la collecte et la distribution de ces richesses et désigna des personnes attitrées
pour s’en occuper. Il se chargea également de développer les différentes sources de
revenu en accord avec les principes de la charia et pour le bénéfice de son peuple.

La plus grande innovation d’Omar en matière socio-économique est la création d'un Bayt
al-Mal qu’on pourrait comparer à un trésor public. A l’origine, l’Etat islamique n’en avait
pas car la politique du Messager fut de ne pas reporter les dépenses ou la division des
richesses et son successeur Abu Bakr adopta cette même politique. Omar suivit cette
méthode au début de son califat jusqu’au moment où les territoires musulmans se
propagèrent d’est en ouest et, par conséquent, où les revenus accumulés lors des
collectes d’impôts tels que la jizyah (la taxe imposée aux Gens du Livre qui sont sous la
protection des musulmans), le kharadj (le revenu des terres que les musulmans ont
conquis par la force) ou la zakat (l'aumône légale) augmentèrent d’une manière inédite
pour les musulmans.

Les conquêtes et les victoires se succédant, et les richesses se devant d’être distribuées
avec justice et intelligence, Omar décida alors qu’il n’était pas raisonnable de ne pas les
comptabiliser, et de laisser les gouverneurs gérer ces revenus sans contrôle et régulation.
Il établit donc une organisation structurée pour gérer l’argent collecté et le diwan, ou
registre officiel, fut ainsi mis en place. Certains historiens rapportent que Omar s’est inspiré
des Perses pour la création du diwan.

Organisation de l’Etat : le système de gouvernorat


L’Etat s’étant agrandi du temps de Omar, il le divisa en plusieurs zones administratives
afin de rendre sa gestion plus aisée : La Mecque, Médine, Ta’if, le Yémen, le Bahrein,
l’Egypte, les provinces de la Syrie, l’Irak et la Perse, Bassorarah, Koufaoofah, Al-Mada’in
et l’Azerbaïdjan. Chaque région avait à sa tête un gouverneur, nommé par le calife. Il
semble évident qu’une personne seule, même épaulée de conseillers et administrateurs,
ne peut prêter attention à tout ce qui se passe sur un territoire aussi étendu.

C’est la raison pour laquelle Omar estima qu’une personne compétente, digne de
confiance et animée par de bonnes intentions pouvait gouverner une région, en s’assurant
du bien-être de la population et du respect des lois. Il ne nommait ainsi jamais quelqu’un
qui demandait à être gouverneur, mais favorisait plutôt les personnes qualifiées et dignes
de confiance. Avant la désignation, il consultait les compagnons pour s’assurer que le
potentiel gouverneur possédait les qualités requises pour cette fonction.

Le rôle du calife fut l’administration de ces régions, en nommant les personnes


compétentes, en étant disponible pour les conseiller et les guider, en s’assurant qu’elles
ne manquaient pas à leurs devoirs, et en les destituant s’il estimait que le rôle n’était pas
tenu de manière convenable.

De la séparation du pouvoir judiciaire et exécutif et diversification des


sources de droit
Lorsque l’islam entra en contact avec d’autres peuples, il devint une nécessité d’établir un
système judiciaire efficace. En effet, augmentation de la population signifie aussi
augmentation des affaires judiciaires. Le calife ainsi que les gouverneurs, ayant de plus
en plus d’affaires à gérer, Omar décida de donner aux juges une autorité indépendante
afin que les gouverneurs soient totalement disponibles pour s’occuper de la bonne
administration de leur province.

Il devint ainsi le premier à séparer le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif, ce qui ne


l’empêcha pas d’intervenir lorsqu’il l’estimait nécessaire. Omar attendait de nombreuses
choses de ses juges : la sincérité envers Allah pour chaque action, une compréhension
précise de l’affaire, une décision finale en accord avec la charia, la consultation d’autres
personnes, ou autrement dit de témoins, si le juge a des doutes, traiter les plaignants de
manière égale, encourager le faible afin qu’il ne soit pas effrayé de s’exprimer, traiter
rapidement l’affaire d’un étranger afin qu’il rentre rapidement chez lui et ne reste pas trop
longtemps éloigné des siens, éviter tout ce qui pourrait influencer le juge (accepter des
cadeaux par exemple) et considérer l’accusé innocent jusqu’à ce que le contraire soit
prouvé.

Il participa également à développer les sources de droit, qui se limitaient à l’époque du


Prophète au Coran, à la sunna et à l’ijtihad, un effort de réflexion et d’interprétation faisant
appel à la raison humaine. Mais devant la complexité des affaires judiciaires reportées aux
gouverneurs et au calife, d’autres sources émergèrent de ce contexte, tel que la
consultation (choura), le consensus (’ijma’), l’opinion personnelle du juge (ra’y) et le
raisonnement par analogie (qiyas).

Ce qu’on peut retenir du califat d’Omar Ibn El khattab, c’est cette force du gouvernant à
s’adapter à un environnement totalement nouveau. Il faut se replacer dans le contexte de
l’Arabie de l’époque où Omar a grandi. La population était alors exclusivement arabe,
tribale, de culture relativement similaire et ni le Prophète ni Abu Bakr n’ont gouverné un
peuple démographiquement aussi important que celui sous Omar Ibn El Khattab.
Gouverner n’a pas donc nécessité seulement une bonne application du schéma
précédemment établi par ses prédécesseurs, mais une capacité de s’en éloigner parfois,
avec intelligence, dans la bonne compréhension du contexte en pleine transition et dans
le respect des valeurs et des lois islamiques. Omar Ibn El Khattab, grâce à ses qualités
humaines et intellectuelles, a su mener à bien cette mission. Le Messager a dit à son sujet
: « Je n'ai jamais vu un génie qui puisse l'égaler. » (Bukhari et Muslim).

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Maryam Ali, étudiante, est membre d'El Médina, une
association animée par la volonté de partager la
connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture
et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina,
en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine
de partir à la redécouverte de cette civilisation.

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